mémoire de défense
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Swiss Moot Court 2007/2008 12 novembre 2007 MÉMOIRE DE DÉFENSE adressé au Tribunal correctionnel de Lausanne par M. Luca Fonti, accusé dont les conseils sont des étudiants contre le Ministère public du Canton de Vaud Equipe 6 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 I. Compétence 1 L’art. 3 CP prévoit que le Code pénal suisse s’applique à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. Selon l’art. 8 CP, une infraction peut être réputée commise aussi bien à l’endroit où l’auteur de l’infraction a agi, qu’à l’endroit où son résultat s’est produit. Concernant la poursuite et le jugement, l’art. 340 al. 1 CP prévoit que l’autorité compétente est celle du lieu où l’auteur a agi ou, si seul le résultat de l’infraction s’est produit en Suisse, l’autorité du lieu de ce résultat. De plus, si le résultat s’est produit en différents lieux, l’autorité compétente est celle du lieu où la première instruction a été ouverte (art. 340 al. 2 CP). Enfin, conformément au principe de l’accessoriété, le complice suit l’auteur principal (ATF 104 IV 77 c.7b ; ATF 108 Ib 301 c. 5). 2 En l’espèce, des téléchargements d’œuvres cinématographiques protégées par le droit d’auteur ont été effectués en Suisse. Ces téléchargements constituent des violations des droits d’auteur au sens des art. 67 et 69 LDA, dont l’accusé se serait rendu le complice. Conformément au principe de l’accessoriété, le Code pénal suisse est applicable à l’accusé. 3 Il l’est également en ce qui concerne les autres faits reprochés à l’accusé. L’accusé aurait soustrait des données se trouvant dans les fichiers centraux de la société Macroflop SA dont le siège est à Lausanne, et aurait injecté par la même occasion un virus dans le système informatique. Par ailleurs l’accusé, résidant à Lausanne, a communiqué par Internet avec une adolescente habitant la région lausannoise. L’accusé a donc agi en Suisse au sens des dispositions précitées et, partant, le Code pénal suisse est applicable. 4 L’état de fait ne précise pas si des téléchargements ont été effectués spécifiquement à Lausanne. Cependant une instruction y a été ouverte à Lausanne, et il n’apparaît pas que d’autres autorités pénales se sont chargées de l’instruction. Ainsi, au vu de l’art. 340 al. 2 CP, le Tribunal d’arrondissement de Lausanne est compétent. Concernant les autres faits reprochés à l’accusé, soit la soustraction de données, l’injection du virus informatique et ses relations avec une adolescente, tous se sont déroulés à Lausanne. Ainsi, au vu de l’art. 340 al. 1 CP, le Tribunal d’arrondissement de Lausanne est également compétent pour connaître des faits susmentionnés. 5 Au vu des dispositions pénales éventuellement applicables, la peine privative de liberté maximale encourue par l’accusé excède six mois mais ne dépasse pas douze ans. Conformément aux art. 8, 10, 11 et 13 CPP-VD, le Tribunal correctionnel est compétent. 1 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 II. Moyens A. Exploitation d’un logiciel peer-to-peer 1. Recevabilité du rapport de Big and Brother Inc. en tant que moyen de preuve 6 La défense conteste la recevabilité du rapport de la société privée Big and Brother Inc. en tant qu’élément de preuve. L’état de fait ne nous informe pas sur le mode de procéder de cette société. En revanche, le rapport fait état de multiples téléchargements, « notamment en Suisse ». Pour déterminer les destinataires des transferts de fichiers opérés par le serveur P2P, la société mandatée a donc inévitablement dû dépasser le stade de la simple observation passive des offres de fichiers sur le serveur, afin de rechercher quelles adresses IP se cachaient derrière les utilisateurs. 7 La jurisprudence définit la sphère privée comme l’ensemble des « évènements que chacun veut partager avec un nombre restreint d’autres personnes […] et qui ne sont pas destinés à être connus d’un large public » (ATF 97 II 97 c. 3). Il est notoire que l’identité de l’ordinateur et le caractère des fichiers qui y sont transférés ne sont pas destinés à être connus d’un large public. En conséquence, une telle investigation du contenu des télécommunications viole la sphère privée des titulaires des adresses IP ainsi que celle du détenteur du serveur. 8 Selon l’art. 179octies al. 1 CP, une telle ingérence dans la sphère privée est illicite à moins que celui qui l’exerce ne soit au bénéfice d’une autorisation de l’autorité compétente. Aucun élément du cas d’espèce ne nous informe que la société Big and Brother Inc. soit détentrice d’une telle autorisation. Le rapport doit donc être considéré comme un élément de preuve illicite au sens de l’art. 411 CPP-VD. 9 La jurisprudence admet que l’illicéité d’une preuve n’engendre pas l’empêchement de son utilisation, même si l’établissement de cette preuve a été fait par un privé. Une telle sanction serait trop absolue. La solution est donc « de mettre en balance, d’une part, l’intérêt de l’Etat à ce que le soupçon concret soit confirmé ou infirmé et, d’autre part, l’intérêt légitime de la personne concernée à la sauvegarde de ses droits personnels […] Toutes les circonstances essentielles doivent être prises en considération » (ATF 109 Ia 244 c. 2b). L’argument déterminant est donc l’infraction suspectée. Dans l’arrêt précité, l’auteur qui a obtenu la preuve illicitement était soupçonné d’assassinat. L’infraction a donc été jugée suffisamment grave pour passer outre l’illicéité de la preuve. 10 Au contraire, la Cour constitutionnelle allemande n’a pas admis une telle gravité dans la cadre d’une soustraction fiscale. Elle a estimé que devaient être considérées comme graves les infractions contre la vie humaine, l’intégrité corporelle, les atteintes graves à l’ordre constitutionnel, ainsi 2 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 qu’aux libertés démocratiques et à des biens juridiques de même importance (Arrêts de la Cour constitutionnelle fédérale allemande 34-1973 p. 238 ss, p. 249). 11 En l’espèce, comme dans le cas de la soustraction fiscale, l’infraction porte atteinte uniquement aux intérêts pécuniaires des sociétés mandantes. Il n’y a pas lieu d’admettre qu’un intérêt d’une importance supérieure comme l’ordre constitutionnel ou l’intégrité physique ait été atteint et donc l’intérêt privé de l’accusé l’emporte. 12 En outre, la doctrine estime que l’intérêt privé l’emporte lorsque la preuve obtenue illicitement a été acquise dans le but de convaincre une personne de sa culpabilité (« Überführung eines Straftäters ») et non dans le but de se protéger contre une atteinte illicite (« Abwehr unrechtmässiger Eingriffe ») (Hauser/Schweri/Hartmann, p. 285s. n. 14). 13 En l’espèce, Luca Fonti et Antonio Caruso ont arrêté immédiatement leur activité lorsqu’ils ont été prévenu de l’ouverture de l’enquête pénale. Il y a donc lieu d’admettre que la preuve acquise illicitement était un moyen superflu pour faire cesser l’activité des deux protagonistes et non un moyen de prévenir une atteinte aux intérêts des sociétés filmographiques. En conséquence, cette investigation avait pour but uniquement l’acquisition de preuves en leur faveur. 14 Ce rapport doit donc être considéré comme un moyen de preuve illicite et ne doit pas être pris en considération par la Cour. 15 Ces documents irrecevables étant « les seuls éléments matériels figurant au dossier transmis au Tribunal », il y a lieu de considérer que les allégations du Ministère Public sont dépourvues de toute justification et ne doivent donc pas être retenues. 2. Validité de la plainte : art. 30 CP, 67 et 69 LDA 16 Subsidiairement, si la Cour devait admettre la recevabilité du moyen de preuve, la défense estime que les sociétés cinématographiques n’ont pas qualité de plaignantes. 17 Selon les lettres de l’art. 67 al. 1 et 69 al. 1 LDA, l’infraction est poursuivie uniquement sur plainte (art. 30 CP), à moins que l’auteur ait agi par métier. Cette seconde hypothèse est exclue en l’espèce, Luca Fonti n’ayant pas, selon l’état de fait, aspiré à obtenir des revenus relativement réguliers (ATF 123 IV 113 c. 2c). A qualité pour porter plainte « toute personne lésée » par l’acte en question (art. 30 CP), ce qui vise en première ligne, le titulaire du droit d’auteur (Glarner, p. 69). La jurisprudence précise qu’est considéré comme lésé celui dont le bien juridique est directement atteint par l’infraction (ATF 92 IV 1 c. a). 18 En l’espèce, les sociétés World Entertainment Corporation, French Films Group Inc., Mondial Cinema Production Inc. ainsi que All in One Studios Corporation détiennent des droits sur la majeure partie des œuvres cinématographiques françaises et américaines et non sur la totalité. Rien ne permet d’affirmer que les œuvres téléchargées à de nombreuses reprises par les utilisateurs étaient celles dont les plaignantes étaient titulaires des droits exclusifs. 3 Swiss Moot Court 2007/2008 19 Equipe n° 6 Les sociétés susmentionnées n’ont donc pas qualité pour déposer plainte et, partant, la plainte est irrecevable. Les infractions des art. 67 et 69 LDA n’étant punies que sur plainte, Luca Fonti ne peut en aucun cas être poursuivi pour violation de ces articles. 3. Complicité de violations des droits d’auteur : art. 67 al. 1 lit. e et f, 69 al. 1 lit. f LDA et art. 25 CP Plus subsidiairement, si la Cour devait retenir que la preuve est recevable et que les 20 plaignantes ont qualité pour déposer plainte, elle devrait cependant refuser l’application des art. 67 et 69 LDA. L’art. 67 LDA réprime les violations des droits d’auteur protégés par les art. 9 à 11 LDA. En particulier, l’art. 67 al. 1 lit. f LDA punit la mise en circulation d’un exemplaire d’une œuvre protégée. L’art. 69 LDA sanctionne la violation de droits voisins découlant des prétentions garanties aux art. 33, 36 et 37 LDA. Plus spécifiquement, l’art. 69 al. 1 lit. f LDA réprime la violation de l’art. 36 LDA, qui prévoit le droit exclusif du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes « de reproduire les enregistrements et de proposer au public, d’aliéner ou, de quelque autre manière, de mettre en circulation les exemplaires reproduits. » 21 a) aa) L’art. 67 LDA suppose en premier lieu l’existence d’une œuvre. 22 Il n’est pas contesté que le contenu des fichiers téléchargés remplissait les caractéristiques d’une œuvre, puisque l’art. 2 al. 2 LDA mentionne expressément l’exemple de l’œuvre cinématographique. 23 bb) L’art. 69 LDA suppose quant à lui l’existence de droits de producteurs de vidéogrammes. 24 Ce point n’est également pas contesté par la défense. L’état de fait indique que les plaignantes sont titulaires des droits sur les œuvres. Il y a lieu d’admettre que ces droits comprennent des droits de production. Nous sommes donc en présence de droits de producteurs de vidéogrammes. 25 b) Les art. 67 et 69 LDA supposent une utilisation de l’œuvre. Selon la doctrine (Dessemontet, p.168 n. 221; Bühler, p. 157ss ; Barrelet/Egloff art. 67 n. 12), les art. 67 al. 1 lit. e et f et 69 al. 1 lit. f LDA répriment deux formes d’utilisation de l’œuvre : la confection et la mise en circulation d’exemplaires de l’œuvre, prévues aux art. 10 al. 2 lit. a et b et 36 LDA. 26 Puisque par nature le réseau P2P permet l’upload d’œuvres vers le serveur de l’accusé et le download de ces dernières par les utilisateurs, il n’est pas contesté qu’il y a eu une utilisation de l’œuvre, à savoir une confection et une mise en circulation au sens des art. 10 al. 2 lit. a et b et 36 LDA. 27 En revanche, rien ne permet d’affirmer que l’espace de stockage d’un utilisateur était accessible par les autres utilisateurs du réseau. Leur utilisation ne constitue donc pas une confection ni une mise en circulation. 28 c) Le droit d’auteur étant un droit exclusif (Barrelet/Egloff, art. 10 n. 6), il faut que l’auteur de l’infraction ait agi sans droit, c'est-à-dire sans autorisation de la part du titulaire des droits. En 4 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 l’espèce, les utilisateurs du logiciel n’étant vraisemblablement pas titulaires des droits d’auteur, ceux-ci ont donc agi de manière illicite. 29 d) L’infraction est intentionnelle. Le dol éventuel suffit (arrêt 4C.111/2005 c. 6.2). Le dol éventuel se définit comme le fait de connaître le risque et de l’accepter (Killias, n. 321). 30 La défense ne conteste pas que certains utilisateurs ont agi par dol éventuel en transférant des fichiers dont le contenu est protégé par le droit d’auteur via le serveur mis en place par Luca Fonti. Ceux-ci se sont donc rendus coupables de violation des droits d’auteur et des droits voisins. Quant à l’éventuelle punissabilité de Luca Fonti, celle-ci doit être analysée dans le cadre de la complicité, l’accusé n’ayant pas directement eu de comportement punissable. 31 « Est complice celui qui prête intentionnellement assistance à une infraction » (Killias, n. 618) L’intensité subjective avec laquelle l’intéressé s’associe à la décision dont est issu le délit est déterminante (ATF 101 IV 306 c. II. 8b). Pour être qualifié comme tel, le complice doit avoir agi intentionnellement. Il doit avoir réalisé qu’il favorisait un acte punissable et qu’il ait accepté ce résultat pour le cas où il se produirait. Le dol éventuel suffit (ATF 118 IV 309 c. 1a ; ATF 109 IV 147 c.3). La complicité requiert que le complice ait conscience que les agissements de l’auteur constituent une infraction. La volonté indéterminée d’assister autrui dans la réalisation d’une infraction ne suffit donc pas (Décision de l’OG de BL du 06.02.1990). En matière de droit d’auteur, il faut interpréter la notion de dol éventuel de manière plus restrictive, car au contraire du droit des marques ou des brevets, il n’existe aucun registre des droits d’auteur (Glarner, p. 88). En conséquence, il faut que le complice soit conscient qu’il s’agit d’une œuvre, et que celle-ci soit utilisée de manière illicite. 32 Premièrement, Luca Fonti a « mis en place un réseau d’échanges de fichiers sur Internet au moyen du système P2P […] Luca Fonti et son ami n’avaient pas les moyens de contrôler les échanges et l’utilisation qui avait été faite de leur logiciel ». Deuxièmement, lors de l’instruction, l’accusé a indiqué « qu’il n’était jamais à proprement parler intervenu dans la gestion du serveur, […] ni n’avait accompli quelque acte d’ordre technique que ce soit sur celui-ci ». Au vu de la noningérence et du recul qu’a gardé l’accusé dans la gestion du serveur, il est insoutenable d’affirmer que Luca Fonti savait ce qui se passait effectivement via son serveur. 33 L’ignorance de l’accusé quant au caractère illicite des agissements de certains utilisateurs a été confirmée par trois éléments : premièrement, l’accusé a affirmé qu’il avait mis en place le réseau P2P car il considérait que celui-ci répondait parfaitement à l’esprit de l’Internet soit « un outil formidable de communication, de partage, et finalement de liberté ». Deuxièmement, « aucune autorité, société de production ni aucun organisme de protection des œuvres n’avait attiré [son] intention sur les reproches devant être adressés à [ces] activités ou organisme. Troisièmement, l’accusé a cessé l’exploitation de son serveur aussitôt que les autorités l’ont averti du caractère 5 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 illicite de certains transferts s’opérant par son logiciel. Luca Fonti n’a donc jamais eu conscience ni voulu une exploitation illégale de son serveur. 34 Si, par une interprétation insolite et erronée des faits, la Cour devait admettre que les espaces de stockage étaient accessibles aux autres internautes, il y aurait lieu d’exclure l’encouragement par l’accusé à la violation des droits d’auteur. En effet, la mention « parfait pour les films » relative à cet espace ne fait pas référence à des films protégés par le droit d’auteur dont les utilisateurs ne seraient pas titulaires, mais à des films privés, tels qu’il en existe en grande quantité sur Internet. Il n’est donc pas soutenable d’affirmer que Luca Fonti encourageait sciemment les utilisateurs à « uploader » des films protégés par le droit d’auteur en mettant à disposition ces espaces de stockage. 35 En conclusion, Luca Fonti ne s’est pas rendu coupable de complicité de violation de droit d’auteur. 4. Complicité de pornographie : art 197 ch. 1 et 25 CP Le logiciel P2P mis en place par l’accusé a permis par ailleurs des téléchargements de 36 d’images pornographiques. L’état de fait ne précise pas si les images devaient être classées dans la pornographie « douce » (art. 197 ch. 1 CP) ou dans la pornographie « dure » (art. 197 ch. 3 CP). Conformément à l’adage in dubio pro reo (Piquerez, p. 441 n. 700), il y a lieu de considérer que ces images appartenaient à la pornographie douce. 37 a) L’art. 197 ch. 1 CP suppose, en premier lieu, un objet ou une représentation. La jurisprudence admet que l’objet peut être une image (ATF 121 IV 109 c. c). En l’espèce, l’exploitation du serveur mis en place par Luca Fonti a permis « des téléchargements gratuits d’images pornographiques ». La défense admet donc qu’il y a un objet au sens de l’art. 197 ch. 1 CP. 38 b) Les images doivent avoir un caractère pornographique, ce qui est admis en l’espèce. (cf. § 37) 39 c) L’acte délictueux consiste à rendre l’élément pornographique accessible à des enfants, peu importe la manière de procéder (Corboz, art 197 n. 24). 40 En l’espèce, « l’exploitation du serveur [a] permis, de façon très étendue, […] de multiples téléchargements gratuits […] d’images pornographiques ». Les images ont donc été rendues accessibles aux utilisateurs. 41 d) L’art. 197 ch.1 CP réprime les représentations pornographiques lorsqu’elles sont mises à la disposition d’un enfant de moins de 16 ans. Il n’exige pas qu’un enfant de moins de 16 ans ait effectivement accès à un objet pornographique (BSK StGB II-Schwaibold/Meng, art. 197 n. 32). 42 En l’espèce, des enfants de moins de 16 ans risquaient d’avoir accès à des fichiers pornographiques via le serveur de l’accusé. La condition est donc remplie. 6 Swiss Moot Court 2007/2008 43 Equipe n° 6 e) L’art. 197 ch. 1 CP exige l’intention de l’auteur. La défense ne conteste pas que certains utilisateurs ont agi par dol éventuel en transférant des fichiers pornographiques via le serveur mis en place par Luca Fonti. 44 Luca Fonti n’a pas mis à disposition des images pornographiques sur son serveur, il ne peut donc être l’auteur de cette infraction. Il faut donc examiner son éventuelle participation en tant que complice. Comme il a été précédemment (cf. § 33). Luca Fonti ignorait tout du caractère potentiellement illicite de ses agissements, en mettant à disposition un logiciel P2P sur l’Internet. Cela est également valable pour une utilisation à des fins pornographiques de son logiciel. Dès lors, l’art. 197 ch. 1 CP ne lui est pas applicable. B. Soustraction de données et injection de virus 1. Soustraction de données : art. 143 CP L’art. 143 CP a pour but de « réprimer ‘le vol de données’ (Datendiebstahl), c’est-à-dire 45 l’obtention illégitime de données incorporelles […] Il s’agit de protéger le droit du bénéficiaire légitime de données d’en disposer librement et conformément à sa volonté. » (FF 1991 II p. 977). 46 a) La soustraction de données suppose, en premier lieu, l’existence d’une donnée informatique. On entend par donnée « toute information qui peut faire l’objet d’une communication humaine » (Corboz, art. 143 n. 2 ; Trechsel, art. 143 n. 3 ; Hurtado Pozo I, p. 248 n. 889). Cette information doit être stockée, respectivement transférée, électroniquement ou selon un mode similaire pour être qualifiée d’informatique (Corboz, art. 143 n. 3s. ; Trechsel, art. 143 n. 3 ; BSK StGB IIWeissenberger, art. 143 n. 5). 47 En l’espèce, Luca Fonti a soustrait les fiches d’évaluation des employés, des fiches de salaire et le plan stratégique de Macroflop SA, lesquels étaient stockés dans les fichiers centraux de la société. La défense ne conteste dès lors pas que ces éléments soient des données au sens de l’art. 143 CP. 48 b) Cette donnée ne doit pas être destinée à l’auteur de l’infraction (aa) et être protégée contre tout accès indu de sa part (bb) (Corboz, art. 143 n. 6s. ; Trechsel, art. 143 n. 5s. ; BSK StGB II-Weissenberger, art. 143 n. 9ss). 49 aa) L’art. 143 CP ne s’applique pas si la donnée en question est accessible à tous (Corboz, art. 143 n. 6). L’auteur ne doit pas être légitimé à disposer des données (Trechsel, art. 143 n. 5) et doit pouvoir reconnaître clairement que le titulaire des données ne veut pas qu’il y accède (Kübler, p. 310). 50 Il n’est pas contesté que l’accusé n’était pas légitimé à accéder aux données centrales de la Macroflop SA, dès lors qu’au moment des faits il n’était plus employé par cette dernière. 7 Swiss Moot Court 2007/2008 51 Equipe n° 6 bb) Par ailleurs les données soustraites devaient être « spécialement protégées contre tout accès de [la] part [de l’auteur] » (art. 143 al. 1 CP). De façon générale, on exige que les mesures de sécurité prises dans le cas concret soient généralement suffisantes pour empêcher l’accès de l’auteur aux données (BSK StGB II-Weissenberger, art. 143 n. 12 ; Kübler, p. 310 ; Trechsel, art. 143 n. 6). L’accès peut, par exemple, être limité par un mot de passe (BSK StGB IIWeissenberger, art. 143 n. 12; Kübler, p. 310 ; Corboz, art. 143 n. 7). L’auteur doit être confronté à une sécurité qui l’empêche d’accéder aux données et parvient à la déjouer (Stratenwerth/Jenny, p. 325 n. 28 ; BSK StGB II-Weissenberger, art. 143 n. 12). De simples instructions ou interdictions orales ou écrites ne suffisent pas, il faut une mesure physique ou technique (Schmid, p. 121; Kübler, p. 310). 52 Le niveau de sécurité exigé ne peut pas être déterminé dans l’abstrait ; la sécurité mise en place doit être suffisante vis-à-vis de l’auteur de la soustraction (Corboz, art. 143 n. 7 ; Schmid, p. 117 s.). Elle doit être suffisante également au regard de la nature des données (Stratenwerth/Jenny, p. 325 n. 28). Les données relatives à la vie commerciale doivent ainsi être sécurisées de manière nettement plus rigoureuse que les données privées contenue sur un ordinateur domestique (BSK StGB II-Weissenberger, art. 143 n. 12). 53 En l’espèce, on rappellera que la société possédait dans ses fichiers centraux des données concernant « [l’]évaluation des employés, des fiches de salaires ainsi que le plan stratégique […] détaillant notamment un projet de fusion avec un gros concurrent ». Au vu du caractère commercial et hautement confidentiel de ces informations, il convient donc de se montrer sévère quant au niveau de sécurité exigé. 54 La défense ne conteste pas que l’accusé a accédé aux données de son ancien employeur grâce au mot de passe que celui-ci lui avait confié durant les rapports de travail. Mais c’est précisément cet élément qui permet, en l’espèce, de conclure que les données n’étaient pas protégées. Un système protégé par mot de passe ne constitue une sécurité, par définition, qu’envers les personnes ne bénéficiant pas d’un mot de passe valable. Dès lors qu’un utilisateur détient, de façon légitime ou non, un mot de passe permettant d’accéder à un système informatique, ce dernier n’est plus protégé à son égard. 55 Cette évidence a été reconnue en jurisprudence. Celle-ci admet en effet qu’un employé n’accédait pas à un système protégé au sens de l’art. 143 CP lorsqu’il utilisait le mot de passe fourni par son employeur pour s’introduire dans le système de ce dernier et y soustraire des données informatiques (arrêt du Tribunal cantonal du canton du Valais du 19 mai 2005, résumé in RVJ 2006, p. 225). 56 Cette solution doit également être retenue en l’espèce. Il est exact que contrairement à l’état de fait de l’arrêt précité, l’accusé n’était plus employé de la société Macroflop SA au moment des faits. Toutefois, cet élément permet seulement d’affirmer que l’accusé n’était pas légitimé à accéder aux données mais n’est d’aucune pertinence quant à la preuve de l’existence ou non d’un 8 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 système protégé. Celle-ci doit reposer sur l’examen des mesures concrètement mises en œuvres par le titulaire des données pour en empêcher l’accès (BSK StGB II-Weissenberger, art. 143 n. 12 ; Kübler, p. 310). 57 La limitation d’accès par un système de mot de passe ne constituait pas une mesure de protection à l’égard de l’accusé puisque celui-ci bénéficiait d’un mot de passe valide. Il n’est par ailleurs pas établi que Macroflop SA ait pris la moindre mesure pour protéger son système contre l’intrusion de l’accusé, par exemple, en changeant les conditions d’accès suite au licenciement de l’accusé, rendant par là le mot de passe de ce dernier inutilisable. Mais en l’espèce, il n’en est rien. Pour reprendre la formule de l’arrêt précité (RVJ 2006, p.225), l’accusé « n’a rencontré aucune mesure de sécurité spécifique lui entravant l’accès ». 58 Le système de Macroflop SA n’était donc pas spécialement protégé contre tout accès indu de la part de l’accusé. 59 c) L’art. 143 CP prévoit que l’auteur doit avoir agi « dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime ». 60 En l’espèce, rien ne permet d’affirmer que l’accusé a agi dans l’espoir de retirer un quelconque profit. La seule indication ayant trait la motivation de l’auteur fait état d’une « colère suite à son licenciement » et ne permet donc pas de déduire un dessein d’enrichissement illégitime. 61 En conclusion il est exclu d’appliquer l’art. 143 CP, dès lors que la condition du système spécialement protégé n’est pas remplie et que le dessein d’enrichissement illégitime fait défaut. 2. Soustraction de données personnelles : 179novies CP 62 a) Cette infraction n’est poursuivie que sur plainte. Le droit de porter de plainte appartient à la personne que les données concernent (Stratenwerth/Jenny, p. 257 ; Hurtado Pozo II, p. 107 n. 382). Cette solution est discutée en doctrine (Rehberg/Schmid/Donatsch, p. 360), mais elle doit être suivie. En effet, la qualité pour porter plainte appartient au lésé (art. 30 CP). Le lésé est celui dont le bien juridique est directement atteint par l’infraction (ATF 92 IV 1). Le bien juridiquement protégé par l’art. 179novies CP est la personnalité de l’individu concerné par les informations contenues dans le fichier (Message du CF, FF 1988 II p. 490 ; Corboz, art. 179novies n. 1 ; Trechsel, art. 179novies n. 1 ; Hurtado Pozo II, p. 107 n. 382), ce que même Rehberg/Schmid/Donatsch (p. 359) reconnaissent. Seul cet individu est dès lors légitimé à déposer plainte. 63 En l’espèce, la plainte a été déposée par André Zurcheret, responsable informatique de la société Macroflop SA. Parmi les données soustraites figuraient des fiches d’évaluation et de salaire des employés de Macroflop SA. André Zurcheret n’est pas concerné par ces données. En effet, celui-ci était, en date du 26 janvier 2007, employé par la société « depuis quelques jours ». Or l’accusé a soustrait des fiches de salaire et d’évaluation « en été 2006 », de sorte qu’il est impossible que des informations concernant André Zurcheret aient figurées parmi les données soustraites. 9 Swiss Moot Court 2007/2008 64 Equipe n° 6 Les données soustraites contenaient également le plan stratégique de Macroflop SA, détaillant notamment « un projet de fusion avec un gros concurrent ». Ces informations ont trait à des choix stratégiques qui ne concernent que le Conseil d’administration et l’Assemblée générale de Macroflop SA, dont il n’est pas indiqué qu’André Zurcheret fasse partie, en tant que responsable informatique. Il n’est donc pas directement concerné par ces informations et, de ce fait, pas légitimé à déposer plainte. 65 En conséquence, la plainte d’André Zurcheret n’est pas recevable. Puisque l’art. 179novies CP suppose le dépôt d’une plainte, et qu’il n’est par ailleurs pas établi qu’une autre personne qu’André Zurcheret ait déposé plainte, cette infraction ne peut être retenue. 66 b) Subsidiairement, si le Tribunal correctionnel devait considérer qu’André Zurcheret a valablement déposé plainte, il devrait néanmoins exclure l’application de l’art. 179novies CP. 67 aa) L’art. 179novies CP suppose l’existence de données personnelles sensibles ou de profils de la personnalité. Selon la doctrine (Corboz, art. 179novies n. 3 ; BSK StGB II-von Ins/Wyder, art. 179novies n. 8 ; Trechsel, art. 179novies n. 2 ; Stratenwerth/Wohlers, art. 179novies n. 1), ces notions correspondent à celles définies à l’art. 3 LPD : les données personnelles sont « toutes les informations qui se rapportent à une personne identifiée ou identifiable» (art. 3 lit. a LPD). 68 En l’espèce, les données soustraites contenaient, d’une part, le plan stratégique de Macroflop SA et, d’autre part, des fiches d’évaluation et de salaire des employés de cette société. Ces données sont des données personnelles au sens de la disposition précitée, puisqu’elles concernent des personnes physiques ou morales identifiables. 69 Pour être qualifiées de sensibles, ces données doivent entrer dans l’une des catégories décrites à l’art. 3 lit. c LPD. Les données soustraites par l’accusé ne sont éventuellement susceptibles d’entrer que dans la catégorie des données relatives à la sphère intime au sens de l’art. 3 lit. c ch. 2 LPD. 70 Les données touchant à la sphère intime sont en particulier celles qui ont une « grande connotation affective » et que la personne concernée ne désire partager qu’avec un cercle restreint de personnes (Message du CF, FF 1988 II p. 454, DSGK-Belser, art. 3 n. 15). Le Message exclut par ailleurs explicitement les données relatives à la situation financière d’une personne (FF 1988 II p. 454). 71 Il est exclu de considérer que le plan stratégique détaillant notamment un projet de fusion ainsi que les fiches de salaire des employés soient des données sensibles. La défense conçoit qu’un employé ne désire partager ses fiches d’évaluation qu’avec un cercle restreint de personnes. En revanche, il paraît difficilement soutenable d’affirmer que le contenu d’une fiche d’évaluation puisse avoir une quelconque connotation affective. 72 Les données soustraites ne sont donc pas des données sensibles au sens de l’art. 3 LPD. 10 Swiss Moot Court 2007/2008 73 Equipe n° 6 Par ailleurs, les profils de la personnalité sont définis à l’art. 3 lit. d LPD. Le Message du CF exige qu’un profil de la personnalité, pour être qualifié comme tel, donne « une image complète d’une personne ou de ses caractéristiques essentielles » (FF 1988 II p. 454). 74 En l’espèce, les fiches d’évaluation soustraites n’offrent qu’une appréciation professionnelle des employés concernés et ne fournissent donc pas une image complète de ceux-ci. 75 En conclusion, la condition de l’existence de données personnelles sensibles ou de profils de la personnalité n’est pas remplie. 76 bb) Il faut relever que le deuxième élément constitutif de l’art. 179novies CP, soit un fichier qui n’est pas librement accessible, n’est pas présent en l’espèce. L’art. 179novies CP suppose que les données ne soient pas destinées à l’auteur de l’infraction et soient spécialement protégées contre un accès indu de sa part (RVJ 2006 p. 327ss, p. 331 ; Corboz, art. 179novies n. 6ss). Il s’agit donc de la même condition que celle prévue par l’art. 143 CP (Rehberg/Schmid/Donatsch, p. 360). 77 Il a été démontré précédemment (cf. § 51 ss) que les données soustraites n’étaient pas, en l’espèce, protégées au sens de l’art. 143 CP. 78 En conclusion, l’application de l’art. 179novies CP est exclue. 3. Accès indu à un système informatique : art. 143bis CP 79 a) L’accès indu à un système informatique est poursuivi sur plainte. La qualité pour déposer plainte appartient à l’administrateur du système informatique (BSK StGB-Weissenberger II, art. 143bis n. 18 ; Trechsel, art. 143bis n. 11). Le délai pour déposer plainte est de trois mois dès le lendemain du jour où l’ayant droit a eu connaissance de l’infraction et de son auteur (art. 31 CP, ATF 97 IV 238 c. 2). 80 André Zurcheret, en sa qualité de responsable informatique, a qualité pour déposer plainte et a valablement exercé ce droit le 26 avril 2007. La défense ne conteste pas ce point. 81 b) L’art. 143bis CP ne peut s’appliquer qu’en présence d’un système informatique appartenant à autrui et spécialement protégé (BSK StGB-Weissenberger, art. 143bis n. 5ss ; Corboz, art. 143bis n. 8 s. ; Rehberg/Schmid/Donatsch, p. 164). 82 aa) Par système informatique, on entend notamment un ordinateur au sens courant du terme (Rehberg/Schmid/Donatsch, p. 164). L’accusé ayant accédé aux fichiers centraux de la société Macroflop SA, cette condition est remplie. Il en va de même de l’appartenance à autrui dans la mesure où les fichiers centraux appartenaient à la société Macroflop SA et non à l’accusé. 83 bb) Toutefois, l’exigence d’une protection spéciale du système informatique n’est pas remplie. La défense a démontré précédemment (cf. § 51 ss) que les art. 143 et 179novies CP ne pouvaient s’appliquer en raison de l’absence d’un système informatique protégé. La doctrine unanime reconnaît que cet élément constitutif correspond à celui de l’art. 143bis CP (Corboz, art. 143bis n. 3 ; Trechsel, art. 143bis n.5 ; Rehberg/Schmid/Donatsch, p. 165). 11 Swiss Moot Court 2007/2008 84 Equipe n° 6 Ainsi, le système de la société Macroflop n’était pas protégé à l’encontre de l’accusé au sens de ces dispositions et il est exclu d’appliquer l’art. 143bis CP. 4. Détérioration de données : art. 144bis ch. 1 CP 85 a) La détérioration de données n’est poursuivie que sur plainte. La qualité pour déposer plainte appartient à celui qui a, dans l’intégrité des données, un intérêt juridiquement protégé (Trechsel, art. 144bis n. 10 ; BSK StGB-Weissenberger II, art. 144bis n. 30). Elle peut être admise lorsque la personne concernée a une responsabilité particulière dans la sauvegarde de l’objet (ATF 118 IV 209 c. 3b ; ATF 121 IV 258 c. 2b). 86 La défense ne conteste pas qu’André Zurcheret a qualité pour le faire, puisqu’en tant que responsable informatique de la société Macroflop SA, il est tenu de préserver les données de son employeur et a un intérêt direct et juridiquement protégé à ce qu’un virus n’altère pas ces données. La plainte est donc recevable. 87 b) Dès lors il y a lieu d’examiner l’éventuelle application de l’art. 144bis CP. 88 aa) En premier lieu, il est nécessaire que l’on soit en présence de données électroniques. Cette notion correspond à celle de l’art. 143 CP (Stratenwerth/Jenny, p. 333 n. 57 ; BSK StGB IIWeissenberger, art. 144bis n. 4 ; Corboz, art. 144bis n. 2). La défense ne conteste pas que les fichiers contenus dans le système informatique de Macroflop SA sont des données au sens de cette disposition. 89 bb) En second lieu, il est requis un comportement punissable. Ce dernier comporte trois variantes : modifier, effacer ou mettre hors d’usage des données. Les deux dernières sont à exclure en l’espèce, dans la mesure où le virus ne s’est pas déployé dans le système informatique de Macroflop SA. 90 Il est également exclu de retenir une modification des données. En effet, la doctrine exige, pour qu’il y ait modification au sens de l’art. 144bis ch. 1 CP, que de nouvelles données soient, par exemple, ajoutées aux données préexistantes ou que celles-ci soient partiellement supprimées (Stratenwerth/Wohlers, art. 144bis n. 1 ; Schmid, p. 190). Dans cette optique, il est toujours exigé un résultat concret au sens d’une modification du contenu ou de la forme des données (BSK StGB IIWeissenberger, art. 144bis n. 15). Par conséquent si un virus est introduit dans un système, il faut encore qu’il contamine effectivement ce système et le modifie (Trechsel, art. 144bis n. 5 ; BSK StGB-Weissenberger II, art. 144bis n. 28). 91 Or en l’espèce, le virus ne s’est pas déployé et n’a donc eu aucun effet sur les données contenues dans le système. Son utilisation normale n’est en aucun cas affectée. Il est par conséquent exclu d’admettre une modification au sens de l’art. 144bis CP. 92 L’infraction consommée de détérioration de données au sens de l’art. 144bis ch. 1 CP ne peut donc être retenue en l’espèce. 12 Swiss Moot Court 2007/2008 93 Equipe n° 6 Il convient toutefois de l’examiner sous l’angle de la tentative (art. 22 CP). Pour être punissable sous l’angle de la tentative, il faut que l’auteur ait dépassé le stade des actes préparatoires et commencé l’exécution de l’infraction (ATF 131 IV 100 c. 7.2.1). Il y a début d’exécution lorsque « l’auteur commence à accomplir des actes qui, selon le cours ordinaire des choses et tenant compte de ses caractéristiques personnelles, devraient normalement aboutir immédiatement à la consommation du délit en question » (Killias, n. 504). Le début d’exécution signifie que l’auteur ne peut dès lors normalement plus revenir en arrière (ATF 131 IV 100 c. 7.2.1 ; BSK StGB I-Jenny, art. 21 n. 14). « [Le] seuil à partir duquel il y a tentative ne doit pas précéder de trop longtemps la réalisation proprement dite de l'infraction » (ATF 117 IV 395 c. 3). 94 En l’espèce, il est nécessaire pour que le virus se déploie qu’une « opération donnée soit accomplie ». L’état de fait ne précise pas si celle-ci doit être effectuée par l’accusé ou par un tiers. Puisqu’en cas de doute, les faits doivent être appréciés de la façon la plus favorable à l’accusé, conformément à l’adage in dubio pro reo (Piquerez, n. 700), il y a lieu d’admettre ici que cette opération devait être effectuée par Luca Fonti. Or ce dernier ne l’a pas effectuée puisque le virus ne s’est « pour l’heure » toujours pas déployé. Etant donné que l’accusé est libre d’accomplir ou non l’opération menant au déploiement du virus, il n’a donc pas franchi le stade de non-retour. De plus, au moment où Luca Fonti a injecté le virus, soit « en été 2006 », rien ne permettait d’affirmer que ce dernier prévoyait d’accomplir l’opération décisive peu après. Le fait que Luca Fonti n’ait, à ce jour, pas effectué cette opération confirme cette interprétation. 95 L’accusé n’ayant donc pas dépassé le stade des actes préparatoires, la tentative de détérioration de données ne peut pas être retenue à son encontre. 5. Détérioration de données : art. 144bis ch. 2 CP 96 Cette disposition vise à punir celui qui aura « fabriqué, importé, mis en circulation, offert ou d’une quelconque manière rendu accessible des logiciels dont il savait ou devait présumer qu’ils devaient être utilisés dans le but de commettre une infraction visée au chiffre 1 […] ». Elle suppose que l’auteur ait au moins accepté, au moment de la conception, l’éventualité que son logiciel serait ensuite utilisé pour commettre une infraction visée à l’art. 144bis ch. 1 CP (Corboz, art. 144bis n. 20 ; BSK StGB II-Weissenberger, art. 144bis n. 48 ; Rehberg/Schmid/Donatsch, p. 176). 97 En l’espèce, Luca Fonti a conçu ce virus, «deux mois » avant son intrusion dans le système et « par pur intérêt scientifique ». Aucun élément de fait ne permet d’affirmer qu’il avait imaginé lors de la conception que celui-ci pourrait être utilisé de manière néfaste. 98 L’art. 144bis ch. 2 CP n’est donc pas applicable. 13 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 6. Tentative de violation du secret commercial : art. 162 et 22 CP 99 a) Cette infraction n’est poursuivie que sur plainte. Le droit de porter de plainte appartient au titulaire du droit au secret (Corboz, art. 162, n. 17, BSK StGB II-Amstutz/Reinert, art. 162, n. 27). A qualité pour déposer plainte la personne physique ou morale dont le bien juridique est directement atteint par l’infraction (ATF 92 IV 1). 100 Or en l’espèce, l’art. 162 CP protège les secrets commerciaux appartenant à une personne morale (Hurtado Pozo I, p. 374 n. 1380). En conséquence, seul un organe de la société Macroflop SA serait légitimé à porter plainte. André Zurcheret n’est que le responsable informatique de la société et n’appartient pas, à défaut d’indication contraire dans l’état de fait, à un organe celle-ci. La qualité pour déposer plainte ne peut donc pas lui être reconnue. 101 b) Subsidiairement, si la qualité de plaignant était reconnue à André Zurcheret, il conviendrait néanmoins de ne pas retenir l’art. 162 CP. 102 aa) Cette infraction suppose la présence d’un secret commercial. Il faut entendre par secret, au sens de cette disposition, une connaissance particulière qui n’est pas de notoriété publique ni facilement accessible et dont le détenteur a un intérêt légitime à garder secrète. Plus précisément, la notion de secret commercial s’entend d’informations qui peuvent avoir une incidence sur le résultat commercial (« un'incidenza sull'esito commerciale ») (ATF 118 Ib 547 c. 5a avec références). La doctrine et la jurisprudence admettent qu’un projet de fusion est un secret commercial (ATF 109 Ib 56 c. 5c ; Corboz, art. 162 n. 8 ; Trechsel, art. 162 n. 5). 103 L’accusé a, en l’espèce, soustrait un plan stratégique détaillant un projet de fusion, des fiches d’évaluation et des fiches de salaires des employés, de sorte que la défense concède que ces informations ne sont pas de notoriété publique et peuvent avoir une incidence sur le résultat commercial. Elles peuvent donc être qualifiées de secrets commerciaux. 104 bb) L’auteur de l’infraction doit être, en vertu de la loi ou d’un contrat, soumis à un devoir de garder le secret (Corboz, art. 162 n. 9 ; Trechsel, art. 162 n. 7). 105 In casu, l’accusé était employé par Macroflop SA, ce qui implique qu’il était lié par un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO. Il était en conséquence soumis aux obligations du travailleur, en particulier l’art. 321a al. 4 CO au terme duquel « le travailleur ne doit pas utiliser ou révéler des faits destinés à rester confidentiels, tels que des secrets de fabrication et d’affaires dont il a pris connaissance au service de l’employeur ». Il est précisé par la loi que ce devoir de garder le secret perdure au-delà de l’extinction des rapports de travail. L’art. 321a al. 4 CO impose un devoir de garder les secrets uniquement si l’employé les apprend « au service de [son] employeur ». Or, en l’espèce, il n’est pas possible de prouver que l’accusé avait déjà connaissance des secrets soustraits avant la fin de ses rapports de travail. Le doute profitant à l’accusé (Piquerez, n. 700), il y a lieu d’admettre que l’accusé a découvert les secrets commerciaux seulement au moment de son 14 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 intrusion dans le système suite à son licenciement, donc à un moment où il n’était plus « au service de [son] employeur ». 106 L’accusé n’est donc pas soumis à un devoir de garder le secret concernant ces informations. 107 cc) Le comportement punissable consiste en ce que l’auteur de l’infraction révèle le secret à un tiers non autorisé (art. 162 al. 1 CP). 108 Les faits retenus contre l’accusé ne permettent pas d’affirmer qu’il a révélé le secret. Dès lors, il est exclu de retenir une infraction consommée. 109 Il convient d’analyser si une tentative peut néanmoins être imputée à l’accusé. 110 Il y a tentative lorsqu’un ou plusieurs éléments constitutifs objectifs de l’infraction font défaut mais que les éléments subjectifs sont réalisés ; à cet égard le dol éventuel suffit (ATF 122 IV 246 c. 3a). On exige de plus une certaine proximité temporelle entre les actes effectués et la commission de l’infraction (ATF 117 IV 395 c. 3). 111 En l’espèce, l’accusé n’a jamais manifesté une quelconque intention de dévoiler les secrets commerciaux dont il a eu connaissance. Au contraire, il a soustrait ces données il y a plus d’une année et ne les a pas dévoilé à ce jour, ce qui démontre bien que cette soustraction a trouvé sa source uniquement dans son état de colère suite à son licenciement, et non dans le but de dévoiler des secrets commerciaux appartenant à son ancien employeur. 112 La tentative de soustraction de secrets commerciaux au sens de l’art. 162 CP ne peut donc pas être retenue. C. Relation avec une mineure de 15 ans 1. Actes d’ordre sexuel avec des enfants : art. 187 ch. 1 CP 113 a) Pour que l’art. 187 ch. 1 CP s’applique, il faut tout d’abord qu’il y ait un acte d’ordre sexuel. Il faut entendre par acte d’ordre sexuel une activité d’ordre sexuel sur soi-même ou sur autrui qui tend à l’excitation ou à la jouissance sexuelle d’un des participants (Rehberg/Schmidt/Donatsch, p. 406). 114 aa) Luca Fonti a échangé « des poèmes de nature érotique » avec une adolescente. La doctrine et la jurisprudence exigent une activité corporelle pour que la condition d’acte d’ordre sexuel soit remplie (Suter-Zürcher, p. 43 ; Stratenwerth/Wohlers, p. 549 n. 6 ; ATF 90 IV 200 c. 1a). De ce fait, des propos dont le contenu à un caractère sexuel ne peuvent pas remplir cette condition. 115 Dès lors, l’échange de poèmes érotiques ne revêt pas le caractère d’un acte d’ordre sexuel. 116 bb) Lors de leurs conversations vidéophoniques, les protagonistes se sont présentés dévêtus devant leurs webcams. La doctrine unanime admet que l’acte doit avoir un caractère objectivement sexuel, c’est-à-dire indépendamment de la motivation de l’auteur (Corboz, art. 187 n. 8 ; 15 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 Rehberg/Schmidt p. 380). Le fait de se montrer nu n’est donc pas un acte d’ordre sexuel (ATF 104 IV 258 c. 2), ce même si le sexe de l’homme est en érection (Suter-Zürcher, p. 44). Le bien protégé par l’art. 187 CP étant le développement normal de la sexualité de l’enfant, un acte objectivement dépourvu de toute connotation sexuelle ne peut donc en aucun cas porter préjudice au bien juridiquement protégé, même s’il est motivé par la stimulation sexuelle de l’auteur (Suter-Zürcher, p. 49). De plus, la prise en considération de l’évolution de mœurs voulue par le législateur impose de ne sanctionner que les actes d’une certaines importance au regard du bien juridiquement protégé (ATF 125 IV 58 c. 3b). 117 En l’espèce, les deux protagonistes se sont contentés de se montrer nus. Rien ne permet d’affirmer que le but de cet acte était l’excitation sexuelle d’un des deux correspondants. Au vu de ce qui précède et conformément à l’adage in dubio pro reo (Piquerez, n. 700), il convient de ne pas considérer le fait de se montrer nu comme un acte d’ordre sexuel. 118 cc) L’accusé s’est masturbé lors de l’une de leurs conversations. Bien que ces traits fussent «relativement évocateurs », le « sexe de Luca Fonti n’était […] pas visible ». 119 La défense concède que la masturbation entre dans la catégorie des actes d’ordre sexuel puisque cela consiste en un acte sur soi-même tendant à la jouissance sexuelle de celui qui l’exerce (SuterZürcher, p. 54). 120 dd) Finalement, l’accusé a donné rendez-vous à l’adolescente dans sa caravane. Cette dernière ne s’y étant pas présentée, aucun acte physique n’a pu être commis. En l’absence d’activité corporelle (cf. § 114) il faut exclure le caractère sexuel de l’acte en l’espèce. 121 b) En deuxième lieu, l’application de l’art. 187 ch. 1 CP suppose que la victime soit un enfant de moins de 16 ans. En l’espèce, cette condition est réalisée puisque l’adolescente avait 15 ans au moment des faits. 122 c) En troisième lieu, l’art. 187 CP suppose un comportement délictueux. A cet égard, trois variantes sont envisageables (Trechsel p. 703 n. 7 ; BSK StGB II-Maier art. 187 n. 9 ss) : l’acte sur la personne de l’enfant (aa), l’incitation à un acte d’ordre sexuel (bb) et l’association à un acte d’ordre sexuel (cc). 123 Dans la mesure où seule la séance de masturbation de l’accusé peut être considérée comme un acte d’ordre sexuel, il convient d’examiner l’existence d’un comportement délictueux uniquement dans le cadre de cet épisode. 124 aa) La première variante suppose un contact physique sur la personne de l’enfant (ATF 90 IV 200 c. 1a). En l’espèce, la relation entre Luca Fonti et l’adolescente s’est déroulée par l’intermédiaire de leurs webcams. Aucun contact physique n’était donc possible. 125 bb) D’après la deuxième variante, il faut que l’auteur pousse le jeune à accomplir un acte d’ordre sexuel sur son propre corps ou sur celui d’autrui (Corboz, art. 187 n. 23 ; Trechsel, art. 187 n. 8). En l’espèce, Luca Fonti s’est certes livré à la masturbation, mais n’a en aucun cas incité 16 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 l’adolescente à commettre ces actes sur elle-même ou sur autrui. Bien au contraire, il s’est caché pour se livrer à la masturbation, ce qui suppose qu’il ne voulait pas « instruire » l’adolescente sur des pratiques sexuelles. La deuxième variante de comportement délictueux n’est donc pas applicable en l’espèce. 126 cc) Il convient également d’écarter le comportement délictueux sous la forme de l’association à un acte d’ordre sexuel. En effet, cette variante ne suppose pas un contact physique sur la personne de l’enfant, mais un acte accompli par l’auteur ou un tiers (Arrêt 6P.237/2006 c.3.2 ; SuterZürcher, p. 64 ; BSK StGB II-Maier, art. 187 n. 13). L’enfant est donc rendu spectateur d’un acte d’ordre sexuel, non pas par hasard, mais comme élément du jeu sexuel (Corboz, art. 187 n. 24). Il doit percevoir cet acte directement par ses sens (ATF 129 IV 168 c. 3.1). 127 « D’un point de vue subjectif, l’auteur commet sciemment l’acte d’ordre sexuel devant l’enfant et veut que celui-ci le perçoive » (arrêt 6P.237/2006 c. 3.2). Le dol éventuel ne suffit pas. En conséquence, celui qui admet que l’enfant puisse percevoir l’acte d’ordre sexuel et accepte de courir ce risque agit par dol éventuel et n’est donc pas punissable (arrêts 6S.241/2002 c. 1.2 ; 6S.474/2002 c. 1.2). 128 Notre Haute Cour a jugé qu’un enseignant se masturbant pendant les heures de cours ne se rendait pas coupable de l’art. 187 CP, malgré que les élèves perçussent la nature de l’acte, dans la mesure où, celui-ci le dissimulait derrière son bureau et sa mallette. De plus, l’enseignant donnait du travail aux élèves et leur interdisait de s’approcher de lui pendant ses agissements, ce qui démontre clairement qu’il ne voulait pas que les enfants perçoivent l’acte (arrêt 6S.175/2003). 129 En l’espèce, Luca Fonti « s’est masturbé devant sa webcam, alors que l’adolescente était en ligne. [Son] sexe n’était cependant pas visible». Comme il a été démontré dans l’arrêt 6S.175/2003 précité, le fait que le spectateur ne puisse pas percevoir visuellement l’acte en tant que tel, grâce aux précautions prises par l’auteur de l’acte, exclut l’association à un acte d’ordre sexuel. En maintenant son sexe hors du champ de vision de la caméra, Luca Fonti avait pris toutes les précautions nécessaires pour que l’adolescente ne perçoive pas son activité. Le fait qu’elle ait pu saisir implicitement la nature de l’activité n’est pas suffisant, tout comme dans l’arrêt 6S.175/2003 dans lequel la large majorité des élèves comprenaient la nature de l’activité du professeur. 130 d) L’infraction est intentionnelle (Rehberg/Schmidt/Donatsch, p. 409). 131 Si l’accusé avait voulu que l’adolescente perçoive son activité, il lui aurait été loisible d’orienter la caméra différemment. Il est donc indiscutable que Luca Fonti ne voulait pas mêler l’enfant à son activité strictement privée. De plus, la jurisprudence exigeant l’intention de l’auteur, il y a lieu d’exclure la punissabilité dans la mesure où ce dernier ne voulait pas rendre l’adolescente spectatrice de son acte. Son acte n’est donc pas constitutif d’une association d’un enfant à un acte d’ordre sexuel. 17 Swiss Moot Court 2007/2008 132 Equipe n° 6 En conclusion, Luca Fonti n’a commis aucun comportement délictueux et son acte ne remplit donc pas les conditions de l’acte d’ordre sexuel avec des enfants. L’art. 187 CP ne s’applique donc pas en l’espèce. 2. Tentative d’actes d’ordre sexuel avec des enfants : art. 22 al. 1, art. 187 ch. 1 CP 133 Le Ministère public reproche à l’accusé d’avoir convenu d’un rendez-vous avec l’adolescente dans sa caravane. 134 Pour que l’art. 187 ch. 1 CP, il faut tout d’abord qu’il y ait un acte d’ordre sexuel (Corboz p. 719 n. 5 ss ; Trechsel p. 702 n. 5). 135 Le rendez-vous dans la caravane ayant été avorté par l’absence de l’adolescente, aucun acte d’ordre sexuel n’a pu être commis. La condition de l’acte d’ordre sexuel fait donc défaut en l’espèce. De ce fait, l’infraction de l’art. 187 ch. 1 CP n’a pu être consommée et doit donc être analysée sous l’angle de la tentative. 136 « Il y a tentative […] lorsque l'auteur a réalisé tous les éléments subjectifs de l'infraction et qu'il a manifesté sa décision de la commettre, sans toutefois que les éléments constitutifs objectifs soient tous réalisés; la tentative […] implique donc que tous les éléments subjectifs de l'infraction soient réunis, en premier lieu l'intention - à cet égard, le dol éventuel suffit - et, le cas échéant, les autres conditions subjectives (dessein d'enrichissement, etc.), alors que les éléments objectifs font, au moins partiellement, défaut » (ATF 122 IV 246 c. 3a). Le TF a admis la tentative d’acte d’ordre sexuel avec des enfants lorsque l’auteur donne rendez-vous à un adolescent en précisant quels types d’actes allaient être commis lors de cette rencontre (ATF 131 IV 100 c. 7.2.2). 137 L’état de fait nous indique uniquement que Luca Fonti a convenu d’un rendez-vous dans sa caravane avec l’adolescente. En d’autres termes, aucun élément ne nous permet de déduire que l’accusé ait envisagé l’éventualité que ce rendez-vous puisse aboutir à un acte d’ordre sexuel. A la différence de l’arrêt précité (ATF 131 IV 100), Luca Fonti n’a jamais précisé quelles étaient ses attentes concernant ce rendez-vous. Le doute profitant à l’accusé (Piquerez, n. 700), le dol éventuel doit être exclu. 138 La tentative d’actes d’ordre sexuel avec des enfants n’est donc pas envisageable en l’espèce. 3. Subsidiairement : art. 187 ch. 4 CP 139 Si par impossible, la Cour retenait que l’accusé a commis un acte d’ordre sexuel au sens de l’art. 187 ch. 1 CP, il y aurait lieu d’appliquer la circonstance atténuante du ch. 4 du même article. 140 Selon l’art. 187 ch. 4 CP, il y a lieu d’atténuer la peine si l’auteur a admis par erreur que sa victime avait au moins de 16 ans, alors qu’en prenant les circonstances nécessaires, il aurait pu s’apercevoir que celle-ci avait moins de 16 ans. Il commet donc une négligence fautive (Corboz, art. 187 n. 44). 18 Swiss Moot Court 2007/2008 141 Equipe n° 6 La doctrine admet qu’agit sous l’influence d’une erreur, l’auteur qui se méprend sur des circonstances personnelles ou matérielles formant l’élément constitutif d’une infraction (Dufour, p. 55). 142 En l’espèce, rien ne permet d’affirmer que Luca Fonti savait que l’adolescente était âgée de moins de 16 ans. Le doute profitant à l’accusé (ATF 124 IV 86 c. 2a ; Piquerez, n. 700), il y a lieu d’admettre que Luca Fonti admettait que sa correspondante avait plus de 16 ans. L’âge inférieur à 16 ans de la victime étant une condition objective de l’art. 187 ch. 1 CP (cf. § 121), il y a donc erreur au sens de l’art. 13 CP et 187 ch. 4 CP. 143 La défense renonce à invoquer l’erreur (excusable) sur les faits au sens de l’art. 13 CP dans la mesure où elle concède au Ministère public que Luca Fonti n’a pas effectué les démarches que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui pour s’assurer que sa correspondante avait atteint la majorité sexuelle. 144 Luca Fonti a donc agi sous l’emprise d’une négligence fautive et s’est rendu coupable de l’art. 187 ch. 4 CP lorsqu’il a considéré que sa partenaire avait atteint la majorité sexuelle. 4. Pornographie : art. 197 CP 145 L’art. 197 ch. 1 CP suppose, en premier lieu, l’existence d’un objet ou d’une représentation. Le TF a, dans un ATF 121 IV 109 relatif à l’exploitation d’une ligne téléphonique rose, largement analysé ces deux notions dans le cadre de conversations de vive voix. Il a exclu la notion d’objet, soit de support matériel, pour des conversations de vive voix. Le but de l’exigence d’un objet est d’exclure les conversations entre deux personnes présentes tout comme les conversations par le biais d’un appareil téléphonique (c. 2c). Pour pallier l’exigence trop restrictive du support matériel, le législateur a introduit la notion de représentation. Pour comprendre la portée de cette notion, il y a lieu de se référer à la version allemande (« Vorführungen ») de l’art. 197 ch. 1 CP qui s’entend d’une manière restrictive. « Le législateur avait en vue la représentation d’un spectacle ou d’une pièce […]. Il n’est d’ailleurs en tout cas pas usuel en français d’employer le terme de "représentation" pour une description ou une évocation faite lors d’une conversation de vive voix » (c. 2c). La doctrine a suivi ce point de vue en estimant qu’il est douteux qu’une conversation puisse être qualifiée de représentation (Cassani, p. 434 nbp. 29). 146 En l’espèce, les conversations ont eu lieu par le biais d’ordinateurs. Ce mode de communication est tout à fait comparable au téléphone dans la mesure où le support matériel fait défaut. De plus, ce type de communication est s’effectue entre deux personnes ce qui exclut la notion de spectacle et donc de représentation. Il n’y a donc pas d’objet ou de représentation en l’espèce. 147 Concernant l’échange de poèmes de nature érotique, l’état de fait ne nous indique pas si ceux-ci ont été transmis par oral ou par écrit. Dans la première hypothèse, le raisonnement relatif à l’absence d’objet ou de représentation (cf. § 145 s.) est également applicable. Dans la seconde, la 19 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 défense concède qu’un message électronique peut éventuellement constituer un support matériel. Mais il y a lieu d’exclure l’art. 197 CP dans la mesure où cette infraction n’est punissable que si la communication a un caractère pornographique. 148 Or, en l’espèce, les poèmes sont de nature érotique. Cela exclut la pornographie douce, condition minimale exigée pour que l’art. 197 ch. 1 CP soit retenu (BSK StGB II-Schwaibold/Meng, art. 197 n. 18). L’échange de poèmes n’est donc pas punissable. 149 Les conditions de l’art. 197 CP n’étant pas remplies, il n’y a pas lieu de retenir cette infraction contre Luca Fonti. III. Culpabilité et fixation de la peine 150 151 Luca Fonti ne s’est rendu coupable d’aucune infraction. Subsidiairement, si le tribunal devait le reconnaître coupable de l’art. 187 ch. 4 CP ou d’une autre infraction, la peine devrait être fixée d’après la culpabilité de l’auteur, ses antécédents, sa situation personnelle et l’effet de la peine sur son avenir (art. 47 CP). L’état de fait ne contient que peu d’informations sur la situation personnelle de l’accusé et ne dit rien de ses antécédents. Il n’est pas plus aisé de déterminer l’effet de la peine sur son avenir. 152 La peine devrait dans tous les cas être atténuée, si l’accusé devait être reconnu coupable de tentative (art. 22 CP). L’accusé a agi avant le 1er janvier 2007. Or les nouvelles dispositions du Code pénal sont entrées en vigueur au 1er janvier 2007. Elles prévoient une réduction obligatoire de la peine, et constituent ainsi une lex mitior par rapport aux anciennes dispositions (art. 2 CP). IV. Conclusions La défense a l’honneur de conclure à ce qu’il plaise au Tribunal correctionnel de Lausanne, sous suite de frais et dépens, Principalement Acquitter Luca Fonti de toutes les charges qui pourraient être retenues à son encontre. Subsidiairement Condamner Luca Fonti à une peine pécuniaire clémente, avec sursis. 20 Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 Bibliographie BARRELET DENIS/EGLOFF WILLY, Le nouveau droit d’auteur, Commentaire de la loi fédérale sur le droit d’auteur, 2e éd., Berne 2000. [cité : Barrelet/Egloff] BÜHLER LUKAS, Schweizerisches und Internationales Urheberrecht im Internet, thèse, Fribourg 1999. [cité : Bühler] CASSANI URSULA, Les représentations illicites du sexe et de la violence, in RPS 1993, p. 428 ss, Berne 1993. [cité : Cassani] CORBOZ BERNARD, Les infractions en droit suisse, Volume I, Berne 2002. [cité : Corboz] DESSEMONTET FRANÇOIS, Le droit d’auteur, CEDIDAC n. 39, Lausanne 1999. [cité : Dessemontet] DUFOUR ISABELLE, La culpabilité, in KUHN ANDRÉ/MOREILLON LAURENT/VIREDAZ BAPTISTE/BICHOVSKY AUDE (éd.), La nouvelle partie générale du Code pénal suisse, Berne 2006. [cité : Dufour] GLARNER ANDREAS, Musikpiraterie im Internet, Urheberstrafrechtliche Betrachtungen, thèse, Zurich 2002. 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[cité : Trechsel] III Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 Tables des arrêts Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral ATF 90 IV 200 ATF 109 Ia 244 ATF 121 IV 258 ATF 92 IV 1 ATF 109 IV 147 ATF 122 IV 246 ATF 97 II 97 ATF 117 IV 395 ATF 123 IV 113 ATF 97 IV 238 ATF 118 Ib 547 ATF 124 IV 86 ATF 101 IV 306 ATF 118 IV 209 ATF 125 IV 58 ATF 104 IV 77 ATF 118 IV 309 ATF 129 IV 258 ATF 104 IV 258 ATF 121 IV 109 ATF 131 IV 100 Arrêts non publiés Arrêt du TF du 20 septembre 2002, 6S.241/2002 Arrêt du TF du 10 avril 2003, 6S.474/2002 Arrêt du TF du 7 août 2003, 6S.175/2003 Arrêt du TF du 9 août 2005, 4C.111/2005 Arrêt du TF du 27 mars 2007, 6P.237/2006 Arrêt du Tribunal cantonal du canton du Valais du 19 mai 2005, résumé in RVJ 2006, p. 225 Jugement du Juge des districts de Martigny et St-Maurice du 28 juin 2005, partiellement reproduit in RVJ 2006, p. 327 Décision de l’Obergericht de Bâle-Campagne du 06.02.1990 Arrêts de la Cour constitutionnelle fédérale allemande 34 – 1973, p. 238 IV Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 Tables des abréviations (mémoire d’accusation et mémoire de défense) ATF Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral al. Alinéa art. Article Aufl. Auflage (édition) BL Baselland (Bâle-Ville) c. Considérant(s) CC Code civil suisse du 10 décembre 1907 (RS 210) CF Conseil fédéral cf. Confer (comparez) ch. Chiffre CO Code des obligations du 30 mars 1911 (RS 220) CP Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (RS 311.0) CPP-VD Code de procédure pénale vaudois du 12 septembre 1967 (RSV 2.10) éd. Edition etc Et caetera FF Feuille fédérale Hrsg. Herausgeber (éditeur) Inc. Incorporated (société de capitaux) IP Internet protocol LDA Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992 (RS 231.1) lit. Littera (lettre) LPD Loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 (RS 235.1) n. Numéro marginal nbp. Note de bas de page OG Obergericht p. Page P2P Peer to peer RPS Revue pénale suisse RS Recueil systématique du droit fédéral RSV Recueil systématique du droit vaudois V Swiss Moot Court 2007/2008 Equipe n° 6 RVJ Revue valaisanne de jurisprudence s. Suivant(e) SA Société anonyme ss Suivant(e)s StGB Schweizerisches Strafgesetzbuch (Code pénal suisse du 21 décembre 1937, RS 311.0) TF Tribunal fédéral VI
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