Amour et Virtualité au Féminin - Recherches Actions Périnatalité
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Amour et Virtualité au Féminin - Recherches Actions Périnatalité
Mémoire de maîtrise de Psychologie Clinique - Paris X - Sous la direction de S. Missonnier « Amour et Virtualité au Féminin » Vanessa MÉNARD (2003) [email protected] SOMMAIRE 1. INTRODUCTION p5 1.1 L’Amour 1.1.1 Définition 1.1.2 Libido et sexualité 1.1.3 Libido et pulsion de vie 1.1.4 L’organe virtuel manquant 1.1.5 Qu’est-ce que l’amour ? 1.1.6 Amour et insatisfaction 1.1.7 L’amour au féminin p5 p5 p6 p6 p7 p7 p8 p8 1.2 Le monde virtuel 1.2.1 Les sites de rencontre 1.2.2 Le « Chat » 1.2.3 La cyber-rencontre ou la rencontre virtuelle p9 p9 p11 p11 PARTIE THEORIQUE p13 2. VIRTUALITE ET AMOUR p14 2.1 Virtualité et Clivage 2.1.1 Relation d’objet partiel et clivage 2.1.2 Relations virtuelles p14 p14 p15 2.2 Idéalisation du partenaire virtuel 2.2.1 Le couple 2.2.1.1 Le choix d’objet d’amour 2.2.1.2 Structuration du couple 2.2.2 « La lune de miel » 2.2.3 Lune de miel virtuelle p19 p19 p19 p19 p21 p23 2.3 Partenaire idéal et idéal du moi 2.3.1 Narcissisme primaire et narcissisme secondaire 2.3.3 Narcissisme et stade du miroir 2.3.4 Le cyber-partenaire ou le miroir virtuel p26 p26 p27 p28 1 PARTIE THEORICO-CLINIQUE p33 3. METHODOLOGIE p34 4. HYPOTHESES p35 4.1 Hypothèses théoriques 4.2 Hypothèses de travail p35 p35 5. DU CYBER-LIEN AU COUPLE VIRTUEL p36 5.1 La scène du « vrai » 5.1.1 L’authenticité 5.1.1.1 Le « Chat » un espace publique ? 5.1.1.2 Se dévoiler 5.1.2 La sincérité 5.1.2.1 Préserver la convivialité 5.1.2.2 Authenticité associée à la sincérité 5.1.2.3 Identification projective 5.1.2.4 S’exprimer librement 5.1.2.5 Abstraction du corps 5.1.3 Le corps 5.1.3.1 Le corps de Soi 5.1.3.1.1 Se cacher 5.1.3.1.2 Etre à l’aise 5.1.3.1.3 Une barrière au dévoilement de soi 5.1.3.1.4 Une barrière à ne pas franchir 5.1.3.2 Le corps de l’Autre 5.1.3.2.1 Imaginer ce corps 5.1.3.2.2 Valoriser l’esprit de l’Autre 5.1.3.2.3 Valoriser son propre esprit 5.1.3.2.4 Abstraction partielle du corps 5.1.3.3 Les corps 5.1.3.3.1 Rejet des apparences 5.1.3.3.2 Rencontre entre deux âmes p36 p36 p36 p36 p37 p37 p38 p38 p38 p38 p39 p39 p39 p39 p40 p40 p41 p41 p43 p43 p43 p44 p44 p44 5.2 Je est-il un autre ? 5.2.1 Limite entre Soi et l’Autre 5.2.1.1 L’absence des corps 5.2.1.2 Proximité relative 5.2.1.3 Se toucher à distance 5.2.1.4 Distance et proximité 5.2.1.5 Distance et frustration 5.2.2 Etre un Autre 5.2.2.1 Etre anonyme 5.2.2.2 Etre caché pour mieux se dévoiler 5.2.2.3 Pouvoir dire ce que l’on veut 5.2.2.4 Etre accessible 5.2.2.5 Etre quelqu’un d’autre 5.2.2.6 Etre merveilleuse 5.2.2.7 Etre séductrice sans en avoir l’air 5.2.2.8 Etre libre mais dans l’incertitude p45 p45 p45 p45 p45 p45 p46 p46 p47 p47 p47 p48 p48 p49 p49 p50 2 5.3 Relation idéale et partenaire idéal 5.3.1 Le mauvais objet c’est celui qui… 5.3.1.1 … pose trop de questions 5.3.1.2 … joue un rôle 5.3.1.3 … veut rencontrer trop vite 5.3.1.4 … suscite de la méfiance 5.3.1.5 … n’est pas sérieux 5.3.1.6 … parle du corps 5.3.1.7 … parle de sexualité 5.3.1.8 … est vulgaire 5.3.1.9 … est considéré comme un pervers 5.3.1.10 Celui que l’on peut rejeter ou ignorer facilement 5.3.2 L’attrait pour l’homme virtuel 5.3.2.1 Avoir le choix 5.3.2.2 Attrait pour l’inconnu(e) 5.3.2.3 Séduire sans se toucher 5.3.2.4 Séduire sans séduire 5.3.2.5 Imaginer l’Autre 5.3.2.6 Aimer l’imaginer 5.3.2.7 Les qualités du partenaire virtuel 5.3.3 Idéalisation du partenaire 5.3.3.1 Ne pas fantasmer 5.3.3.2 Deviner l’Autre à travers les mots 5.3.3.3 Apprendre à l’aimer 5.3.3.4 Sentiments amplifiés 5.3.2.5 Le transformer en « Prince Charmant » 5.3.3.6 Relation avec le Prince Charmant 5.3.3.6.1 Rêve diurne 5.3.3.6.2 La peur de se réveiller 5.3.3.6.3 Soudaine sortie du rêve 5.3.3.7 Des sentiments malgré la distance 5.3.3.8 De l’amour ? 5.3.3.9 Conscience de l’idéalisation 5.3.4 Valorisation narcissique 5.3.4.1 Miroir de Soi 5.3.4.2 Se sentir exister 5.3.4.3 Se sentir femme désirable 5.3.4.3 Se sentir femme désirable et unique p50 p50 p50 p50 p51 p51 p52 p52 p53 p53 p53 p53 p54 p54 p54 p55 p55 p56 p56 p57 p59 p59 p59 p60 p60 p60 p61 p61 p61 p62 p63 p63 p64 p65 p65 p66 p66 p67 5.4 Réalité et virtualité 5.4.1 Appréhension de la rencontre 5.4.1.1 Une proximité angoissante 5.4.1.2 La peur de sa propre déception 5.4.1.3 Justifier sa peur 5.4.1.4 La peur de la déception de l’Autre 5.4.1.5 L’inquiétant étranger 5.4.1.6 La peur d’être dupé 5.4.1.7 Rester dans le rêve 5.4.2 La déception 5.4.1.1 Refus d’une éventuelle déception 5.4.1.2 Le mauvais objet 5.4.1.3 Sentiments ambivalents 5.4.1.4 La part de l’imaginaire 5.4.1.5 Revers de l’idéalisation 5.4.1.6 L’inévitable déception p68 p68 p68 p69 p69 p69 p70 p70 p71 p72 p72 p72 p73 p73 p74 p74 3 5.4.3 Décalage entre virtualité et réalité p75 6. RESULTATS p78 6.1 En Résumé p78 6.2 Spécificités 6.2.1 Shina 6.2.2 Fée Clochette 6.2.3 Angelle 6.2.4 Nina 6.2.5 Finalia 6.2.6 Myriam p80 p80 p81 p82 p82 p83 p83 7. DISCUSSION p85 CONCLUSION p97 BIBLIOGRAPHIE p99 [ Pour des raisons éthiques et déontologiques, les extraits d’entretiens ont été supprimés dans cette version numérique ] 4 1. INTRODUCTION 1.1 L’Amour Très peu d’auteurs se sont aventurés à travailler sur le thème de l’Amour car il se caractérise par une certaine complexité et suscite de nombreuses interrogations. L’Amour aussi mystérieux qu’il soit, nous fait penser à une forme de pathologie du narcissisme. En effet, nous sommes tentés d’associer l’état amoureux à une sorte de régression ontogénétique temporaire, liée à une nostalgie du ventre maternelle. Le sujet retrouverait cette relation idéale fusionnelle qu’il avait eu autrefois avec sa mère, d’où l’émergence de mécanismes très archaïques. Contrairement à ce qui est arrivé à Narcisse pour avoir oser aimer et qui a finalement sombré dans l’eau pour « se rejoindre », cette régression dans le sens de la « dégénitalisation » ne serait que temporaire et conduirait à une nouvelle naissance de soi mais aussi de l’autre en tant qu’Autre. Dans un monde virtuel, il semblerait que cette relation amoureuse s’avère différente et plus complexe, entre autre à cause du rôle joué par l’ordinateur posé comme intermédiaire entre les individus, mais nous y reviendrons ultérieurement. Nous nous demandons à ce propos si le nouveau Soi du sujet et le Soi de l’Autre, conséquence de la relation amoureuse, prennent consistance dans la réalité non virtuelle à un moment donné ou à contrario inciterait à ne pas en sortir. Mais beaucoup de questions sont à développer et nous ne pouvons pas nous attarder sur toutes. Voyons pour commencer, et par le biais de ce Mémoire de recherche, comment évolue la relation amoureuse dans un monde virtuel. 1.1.1 Définition S.Freud considère que la libido témoigne de la présence d’une sexualité sur le plan psychique. La libido serait l’énergie de l’Eros, l’énergie psychique des pulsions sexuelles : «La libido désigne la force avec laquelle se manifeste l’instinct sexuel »1. En 1921, il précise que la libido rejoint le concept de l’amour c'est-à-dire qu’elle représente : « l’énergie des tendances se rattachant à ce que nous résumons dans le mot amour »2. 1 2 FREUD, S. (1917). Introduction à la psychanalyse. Paris, Payot, 1962. FREUD, S. (1921). Psychologie collective et analyse du moi. In Essais de psychanalyse. Paris, Payot 1968. 5 1.1.2 Libido et sexualité Lors de ses études sur la sexualité infantile, S.Freud va avancer l’existence d’un sexuel qui ne serait pas de l’ordre du génital mais davantage en lien avec l’accomplissement d’une satisfaction : « le tournant du développement est constitué par la subordination de toutes les pulsions sexuelles au primat des organes génitaux, de par la soumission de la sexualité à la finalité de la procréation »3. Le Moi serait le « grand réservoir » de la libido et le but premier de la pulsion ne serait pas la reproduction sexuelle. La première satisfaction serait sous le joug de l’oralité et correspondrait au plaisir de la succion. En effet, la sexualité de l’individu passerait par différentes étapes de développement et serait caractérisée par une évolution de la libido allant de la satisfaction orale vers la satisfaction génitale : « la fonction de la libido, loin de surgir toute faite, loin même de se développer elle-même, traverse une série de phases successives entre lesquelles il n’existe aucune ressemblance. Elle présente par conséquent un développement qui se répète plusieurs fois à l’instar de celui qui s’étend de la chrysalide au papillon. »4. La libido peut investir les objets extérieurs : « nous avons appelé libido les dépenses d’énergie que le moi affecte aux objets de ses tendances sexuelles… »5 ou investir le moi du sujet : « la libido qui est l’expression d’une tendance à obtenir une satisfaction par le moyen de ces objets, peut aussi se détourner de ceux-ci et les remplacer par le moi »6. S. Freud désigne du terme de « narcissisme » ce déplacement de la libido sur le moi du sujet. 1.1.3 Libido et pulsion de vie Dans son ouvrage Trois Essais sur la théorie de la sexualité, S.Freud écrit que l’être humain se sent toujours divisé et cherche donc à se compléter, à combler son manque à Etre par la quête d’objets pouvant l’apaiser. Il utilise ensuite le terme d’Eros pour désigner les pulsions de vie (pulsions sexuelles et d’autoconservation) dans Au-delà du principe de plaisir. Eros serait donc l’énergie des pulsions qui tendent à la liaison. Puis en 1938, il a précisé que la libido est l’énergie de l’Eros. 3 FREUD, S. (1917). Introduction à la psychanalyse. Paris, Payot, 1962. ibid 5 ibid 6 ibid 4 6 1.1.4 L’organe virtuel manquant Par rapport au « mythe de la lamelle » décrit par S.Freud dans Trois essais sur la théorie de la sexualité, J.Lacan considère que la libido renvoie à un fondement narcissique et imaginaire. L’objet de la pulsion serait une demande du grand Autre : « cet objet étant luimême, si l’on veut, non-être, ou absent, ou néantisé »7. L’objet du désir serait irréel : « l’objet du désir au sens commun, courant du mot, ce que nous croyons, je dirais, est ou un fantasme qui est en réalité le soutien du désir, ce n’est pas l’objet du désir, ou un leurre. »8. Chacun chercherait à retrouver sa partie manquante, cette mamelle imaginaire, « quelque chose qui a rapport avec ce que l’être sexué perd dans la sexualité, c’est comme est l’amibe par rapport aux être sexués, immortel »9. Cette mamelle est la libido, « organe, qui a pour caractéristique, de ne pas exister, mais qui n’en est pas moins un organe. »10. Et c’est cette partie manquante qui serait recherchée dans l’amour, « la recherche de cette part, à jamais perdue de lui-même dans le vivant, qui est constituée du fait qu’il n’est qu’un vivant sexué et qu’il n’est plus immortel »11. 1.1.5 Qu’est-ce que l’amour ? Selon S.Freud, l’individu aurait besoin de retrouver cette relation fusionnelle lorsqu’il était dans le ventre de sa mère. La relation amoureuse correspondrait alors à une quête de la satisfaction perdue : « nous ne sommes pas capables de supporter pendant longtemps le nouvel état créé par la naissance et que nous nous en évadons périodiquement »12. Il définit deux formes d’amours. D’une part il y aurait l’amour « sensuel » qui s’éteint dès que l’individu a obtenu la satisfaction demandée : « Dans un certain nombre de cas l’amour n’est pas autre chose qu’un attachement libidinal à un objet, dans un but de satisfaction sexuelle directe, l’attachement cessant dès que la satisfaction est réalisée : c’est l’amour commun, sensuel »13 et l’amour « véritable » qui durerait plus longtemps quand le désir sensuel est réprimé : « nous parlons notamment d’amour lorsque les tendances psychiques de l’instinct sexuel viennent occuper le premier plan, alors que les exigences corporelles ou sensuelles qui forment la base de cet instinct sont refoulées ou momentanément oubliées. »14. 7 LACAN, J. (13/05/1964). Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. In Le séminaire : livre XI. Paris, Seuil, 1975. 8 Ibid. 9 Ibid. (20/05/1964). 10 Ibid. 11 Ibid. (27/05/1964). 12 FREUD, S. (1921). Psychologie collective et analyse du moi. In Essais de psychanalyse. Paris, Payot 1968. 13 Ibid. 14 FREUD, S. (1917). Introduction à la psychanalyse. Paris, Payot, 1962. 7 L’individu attribuerai à l’objet aimé toutes les perfections, non pas pour ses qualités véritables mais plutôt sous l’influence de son propre désir : « lorsque les tendances sensuelles se trouvent plus ou moins efficacement refoulées ou réprimées, on voit naître l’illusion que l’objet est aussi aimé sensuellement, à cause de ses qualités psychiques, alors que très souvent c’est au contraire sous l’influence du plaisir sensuel qu’il procure qu’on lui attribue ces qualités psychiques »15. Cet embellissement de l’objet serait la conséquence du mécanisme de l’idéalisation car « dans l’état amoureux une certaine partie de la libido narcissique se trouve transférée sur l’objet »16 et l’objet prendrait ainsi la place de l’idéal du moi du sujet : « la manie des grandeurs peut d’ailleurs être comparée à l’exagération de la valeur sexuelle de l’objet qu’on observe dans la vie amoureuse ». Ces mécanismes archaïques qui se mettent en oeuvre lui fait d’ailleurs préciser que l’amour aurait des traits de ressemblance avec la psychose : « c’est ainsi que pour la première fois un trait d’une affection psychotique nous est révélé par sa confrontation avec la vie amoureuse normale » 17 . Cette folie passagère serait ensuite atténuée par le biais d’une subtile corrélation entre le plaisir corporel et le plaisir psychique : « d’une diminution du degré de l’idéalisation qu’il accorde à l’objet tandis que son idéal du moi reprend sa 18 fonction momentanément éteinte » . 1.1.6 Amour et insatisfaction Plus l’absence de l’objet est présente dans la vie psychique du sujet et plus l’objet est désiré. Selon S.Freud, « l’importance psychique d’une pulsion croit avec sa frustration » 19 . C’est ainsi que certains individus épuisés d’être dans l’attente seraient plus que d’autres en quête de l’objet perdu, de cet être merveilleux qui comblerait et consoliderait leur unité, de cette « mamelle » imaginaire mentionnée par S.Freud et J.Lacan. 1.1.7 L’amour au féminin La famille est devenue un lieu de réalisation de soi. Le lien entre les conjoints s’établit plutôt sur la base de l’amour que dans un but de transmission des biens et de la reproduction de l’espèce. Vers les années 1960-1970, les femmes ont commencé à acquérir une 15 FREUD, S. (1921). Psychologie collective et analyse du moi. In Essais de psychanalyse. Paris, Payot 1968. Ibid 17 FREUD, S. (1917). Introduction à la psychanalyse. Paris, Payot, 1962. 18 FREUD, S. (1921). Psychologie collective et analyse du moi. In Essais de psychanalyse. Paris, Payot 1968. 19 FREUD, S. (1912). Contribution à la psychologie de la vie amoureuse. In la Vie sexuelle. Paris, PUF, 1969. 16 8 indépendance financière et morale par rapport à leurs conjoints. Certaines d’entre-elles formulent désormais de nouvelles attentes. L’amour est mis au premier plan et c’est à travers cette quête du partenaire idéal que resurgit le mythe du Prince Charmant. Nous nous intéresserons pour cette recherche aux femmes âgées entre 30 et 35 ans ayant déjà vécu une histoire d’amour décevante et dont la rupture a entraîné un besoin profond de revalorisation narcissique. Ces personnes dorénavant seules et n’ayant plus le courage de revivre une rencontre conventionnelle avec toutes les étapes de séduction que cela implique, vont se tourner vers des lieux moins contraignants pour séduire. Internet semble être un lieu approprié et propice à la concrétisation de leurs désirs ; « c’est là que l’enfant (Narcisse), fatigué par l’ardeur de la chasse et par la chaleur, vint s’étendre, attiré par l’aspect du lieu et par la source »20. 1.2 Le monde virtuel Il y a quelques années, Internet était réservé à une certaine catégorie socio-professionnelle de la population. De nos jours, la multiplication des cyber-cafés ou la possibilité d’acheter du matériel informatique et une connexion à Internet à moindre coût a permis d’alimenter l’aspect attrayant de cet outil technologique. Pour certains individus, Internet est devenu un espace privilégié de communication et d’échanges. Cette communication est possible, entre autre, par l’utilisation d’espaces virtuels de discussion. Par le biais de cette recherche, nous souhaitons mettre en évidence que ces lieux virtuels favorise l’idéalisation du partenaire. 1.2.1 Les sites de rencontre Nous assistons depuis quelques temps à l’émergence des sites de rencontre sur Internet. Nous pourrions comparer ces sites à des agences matrimoniales dont le principal avantage est la facilité d’accès. Certains sites sont payants et d’autres gratuits. Nous avons comparé le nombre d’hommes et de femmes inscrits et nous pouvons constater que ces dernières sont moins nombreuses que les hommes à utiliser les sites de rencontre. Selon une étude de décembre 2001 de la société européenne http://www.netvalue.com, qui mesure l’audience et le comportement des consommateurs sur Internet, 58,3% d’hommes contre 41,7% de femmes utilisent Internet, bien que cet écart tende à s’estomper au fil des années. 20 OVIDE. Narcisse & Echo. In Les Métamorphoses. Livre III. Trad. J.Chamonard. Paris, Flammarion, 1997. 9 Les sites de rencontres (http://www.meetic.fr, http://www.netclub.fr, http://www.mieuxadeux.com…) semblent fonctionner selon le même système. Dans un premier temps, les personnes intéressées doivent s’inscrire. Elles choisissent un pseudonyme qui garantit une première forme de protection de la vie privée et remplissent une fiche descriptive afin de donner un minimum d’information sur leur personne. Les Internautes21 peuvent ainsi effectuer une présélection du partenaire en consultant ces fiches. Une fois le partenaire choisi, il est possible de communiquer avec lui par l’envoi « d’email »22 ou de discuter en temps réel par l’intermédiaire d’un « Chat »23. Sur chaque fiche, il est également précisé le type de personne recherchée. D’après quelques témoignages, nous pouvons noter que les femmes cherchent explicitement une relation amoureuse sur ces sites alors qu’une majorité d’hommes semblent davantage attirés par une simple aventure. De plus nous pouvons remarquer que les hommes sont dès le départ en demande d’une photo ou d’une description physique alors que les femmes n’y accordent pas la même importance. Selon P.Leleu « l’usage compulsif masculin relève de la pornomanie… L’usage compulsif féminin relève de la 24 romanticomanie. » . Cependant, nous souhaitons apporter une nuance aux propos de P.Leleu. Nous n’avons aucunement l’intention de faire ici une comparaison arbitraire entre les hommes et les femmes, ni de les placer dans des catégories aussi strictes. Nous observons juste une tendance chez ces femmes à apprécier le romantisme, thème qui nous intéresse dans le cadre de cette recherche. Notre attention s’est portée en premier lieu sur ces sites mais, afin de pouvoir observer en toute liberté la séduction qui s’opère lors de discussion en direct, nous nous sommes orientés vers des sites non spécialisés qui hébergent des « Chats » gratuits. En effet, l’utilisation du « Chat » sur les sites de rencontre représentait de très grandes contraintes pour mener à bien notre recherche et l’accès à celui-ci est toujours payant. Peu de femmes acceptent de payer ce service et utilisent davantage l’envoi de courrier électronique. 21 Utilisateur d’Internet. Courrier électronique. 23 Espace de discussion en ligne en temps réel. 24 LELEU, P. (2001). Internet et Intercorps. Stéphanie et le prince charmant virtuel. Intervention au congrès « la présence de l’absence » du Lasi. 22 10 1.2.2 Le « Chat » Le « Chat » ou IRC (Internet Relay Chat) est un Serveur25 permettant de dialoguer en direct avec plusieurs personnes sur des « channels »26 thématiques, exactement comme sur les forums de discussion en direct du Minitel. Ce programme a été écrit en 1988 par le finlandais J.Oikarinen. Plus précisément, c’est un réseau de rencontres virtuelles ou des gens du monde entier peuvent discuter (écrire) et se rencontrer sur des salons virtuels pour parler en groupe ou en privé. Il n’y a pas de limitation au nombre de personnes qui prennent part aux discussions ou au nombre de « channels » qui peuvent être sur IRC. Les utilisateurs peuvent accéder aux « Chats » en se connectant sur un site Internet, ou bien se servir d’un logiciel client tel « MIRC » pour se connecter à un serveur sur un réseau IRC. MIRC est un logiciel client IRC pour Windows, développé et sous copyright de K.Mardam-Bey. Ce logiciel essaie de fournir une interface pratique pour l’utilisation des réseaux IRC. Tous les serveurs sont interconnectés et passent les messages d’utilisateur en utilisateur à travers le réseau IRC. Un serveur peut être connecté à plusieurs autres serveurs et à plusieurs centaines de clients. Nous avons utilisé cette interface pour pouvoir commencer nos premières observations et contacter des femmes âgées entre 30 et 35 ans susceptibles de participer à notre recherche. 1.2.3 La cyber-rencontre ou la rencontre virtuelle Nous utiliserons les termes de « cyber-rencontre » ou de « cyber-échange » lorsqu’il s’agit de rencontre ou de communication sur Internet. Le terme de « virtuel » peut prêter à confusion car il pourrait supposer qu’il ne s’agit pas de réels échanges ou discussions, mais nous l’utiliserons également. Nous rejoignons les propos de P.Levy « Le virtuel ne s’oppose pas au réel mais à l’actuel : virtualité et actualité sont seulement deux manières d’être différentes»27 et ceux de P.Leleu quand il dit qu’Internet est « un espace de projection, mais également d’expérimentations réelles, et non pas virtuelles »28. Ces cyber-rencontres sont donc de réelles rencontres et les règles sociales de discussion s’établissent à peu près sur les mêmes bases, même si chaque individu est dissimulé derrière son écran. Nous pouvons 25 Ordinateur détenant des ressources particulières, qu’il met à la disposition d'autres ordinateurs par l'intermédiaire d'un réseau. 26 Pièces, endroits virtuels, avec habituellement un certain sujet de conversation. 27 LEVY, P. Qu’est ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 1995. 28 LELEU, P. (2001). Internet et Intercorps. Stéphanie et le prince charmant virtuel. Intervention au congrès « la présence de l’absence » du LASI. 11 observer que les habitués se respectent et aucun abus de langage ou de comportement n’est toléré. Des modérateurs sont présents sur les différents salons virtuels pour surveiller les propos ou les comportements des utilisateurs et ils peuvent exclure du « Chat » les individus qui ne respectent pas un minimum de règles de conduite. Les « Chatteurs » 29 veillent eux aussi à préserver la sérénité et la convivialité sur les salons et ils n’hésitent pas à répondre aux individus irrespectueux pour les mettre en garde. Nous pensons que le lien amoureux peut se créer sur Internet malgré une absence physique du partenaire. Le corps garde son importance, il est décrit, imaginé et investi d’une façon différente. Le contact physique peut aussi être imaginé lorsque les partenaires se prêtent au jeu de la séduction et lorsque la confiance est suffisamment établie. Mais pouvons-nous parler du lien amoureux tel qu’on le conçoit habituellement ? Les cyber-échanges sur Internet peuvent s’établir sur un mode amoureux mais il nous semble que nous ne pouvons pas faire abstraction d’un certain décalage entre virtualité et réalité ; « au fond, cet outil, en fidèle miroir de ses créateurs, aveugle autant qu’il n’éclaire. » 30 (S.Missonier, 2002). La relation virtuelle amoureuse serait sous-tendue par une forte projection. Les personnes qui se rencontrent par le biais des « Chats » et qui s’attachent l’une à l’autre vont projeter chacune une image idéale sur l’autre et cette image persistera jusqu’au moment de la rencontre. En somme, la cyber-rencontre faciliterait l’idéalisation du partenaire. Selon P.Attigui « le virtuel deviendrait alors le moyen planétaire d’une activation technologique du monde fantasmatique »31. 29 Utilisateurs de « Chat ». MISSONNIER, S. (2002). Préface. In Psychanalyse du net. Paris, Hachette littérature, 2003 31 ATTIGUI, P. (2001). Le sexuel.com ? Une activation technologique du fantasme. Intervention au congrès « la présence de l’absence » du LASI. 30 12 PARTIE THEORIQUE 13 2. VIRTUALITE ET AMOUR 2.1 Virtualité et Clivage 2.1.1 Relation d’objet partiel et clivage Selon M.Klein32, le Moi et les relations objectales sont institués dès le début de la vie. Elle donne un rôle essentiel à la pulsion de mort et à son action dès les premiers mois en dégageant l’existence d’une configuration œdipienne précoce qu’elle situe bien avant le stade phallique. La théorie Kleinienne se base sur deux concepts : la position schizoïdeparanoïde et la position dépressive. « Ces deux positions sont relatives à la perte, au travail de deuil et à la réparation consécutive de deux objets psychiques partiels et primordiaux dont tous les autres ne sont que des substituts métonymiques : le sein et le pénis. Ces deux objets partiels entrent en jeu dans une scène imaginaire inconsciente, nommée scène maternelle par M.Klein »33. Dans les premiers mois, le bébé établit des relations avec des objets partiels et vit l’image d’une mère clivée. Le premier objet est le sein maternel dans lequel, face à l’angoisse et sous l’effet de la pulsion de mort, il va projeter des parties de son Moi. Le sein devient alors persécuteur et l’enfant va s’en protéger et tenter de le contrôler par des attaques sadiques orales, anales et urétrales. La frustration ressentie à cause de l’attente de la réponse du sein maternel va augmenter l’aspect persécuteur du mauvais sein et l’intensité de l’angoisse. Par contre, la récompense par le sein va augmenter la confiance en un bon sein en diminuant les pulsions sadiques. Le bon sein sera idéalisé car l’enfant va s’identifier à celui-ci par le mécanisme de l’introjection sur le mode de l’incorporation orale et il exercera une protection contre les actions du mauvais sein. La mise à distance par le biais du clivage entre bon et mauvais sein va permettre d’éviter les attaques du mauvais sein contre le bon sein idéalisé et le Moi qui le contient. Cette position paranoïde-schizoïde serait donc sous-tendue par un clivage de l’objet donnant accès à des processus qui modèrent les rapports du sujet à ses pulsions, tels que l’introjection en soi, la projection hors de soi et l’identification à ce qui est introjecté et projeté. Ensuite, l’enfant va commencer à comprendre qu’il n’existe pas un bon et un mauvais sein séparés mais un objet total, et il prend conscience d’une différenciation entre son monde interne et le monde externe. Il entre alors dans une phase dépressive car il se sent coupable de l’amour et de la haine qu’il porte envers le même objet. Sous l‘effet des attaques sadiques 32 KLEIN, M. (1952). Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés. In Développements de la psychanalyse. Paris, PUF, 1966. 33 Le Grand Dictionnaire de la Psychologie. Paris, Larousse-Bordas, 1999. 14 qu’il émet à l’encontre du corps de sa mère, l’angoisse du nourrisson reflétera la crainte d’avoir détruit le bon objet idéalisé. La séparation avec la mère va renforcer cette angoisse dépressive et sa croyance en l’efficacité de ses fantasmes sadiques. Si les mauvaises expériences l’emportent sur les bonnes, si le bon sein est trop menacé par le mauvais sein, alors le Moi ne pourra pas accepter ses pulsions destructrices. L’image de la mère ne sera pas intégrée comme un tout, et l’enfant restera au stade des relations partielles. Si les bonnes expériences l’emportent sur les mauvaises dans les échanges avec sa mère, si le bon sein n’est pas trop menacé par le mauvais sein, alors le Moi va accepter ses pulsions sadiques. La résolution de cette phase dépressive se manifestera par la considération de la mère comme un tout. La réparation et la génitalité vont permettre l’intégration de l’ambivalence et la réduction du clivage des objets totaux en bons ou mauvais objets. Les relations d‘objet ne se feront plus sur un mode exclusif car l’enfant aura établi une différenciation entre soi et l’objet. Mais comment s’établissent les relations virtuelles, les relations médiatisées par un ordinateur ? L’individu se retrouve seul devant son écran et nous ne pouvons pas considérer qu’il s’agit d’une activité purement passive comme cela peut être le cas devant un écran de télévision. Cet individu devient acteur de ce monde qui s’offre à lui. Par le biais d’Internet, il peut accéder à une multitude d’informations, mais surtout, il peut communiquer avec des personnes du monde entier, avec des personnes qui partagent les même passions ou les mêmes intérêts. Nous pensons que l’utilisation d’un ordinateur comme intermédiaire pour communiquer avec autrui, favorise un retour à cette position schizo-paranoïde, période au cours de laquelle le nourrisson établit des relations avec des objets partiels. 2.1.2 Relations virtuelles Lorsqu’un individu se connecte à Internet, il se place dans une position de repli par rapport à son environnement. Il peut seul de chez lui interagir avec un monde, mais pas n’importe lequel, un monde virtuel qu’il a choisi et qu’il peut manipuler sous l’illusion d’une certaine liberté. Il est libéré de ce corps qui l’encombre car il est caché derrière son écran d’ordinateur. Cette situation lui apporte une impression de toute puissance et de possible contrôle sur les objets. Ses relations sur Internet lui permettent de se sentir dégagé d’éventuelles pressions surmoïques. La culpabilité que l’individu pourrait éprouver face à un interlocuteur présent physiquement s’en trouve diminuée car il a le sentiment qu’il peut s’exprimer librement. Le regard de l’Autre est moins pesant. Ce repli du monde extérieur 15 nous fait penser à un repli de type paranoïde, celui que nous détaille M.Klein à travers son concept de position schizo-paranoïde. Ce repli paranoïde ne se produit pas comme dans le cadre de la psychose, il est temporaire pour certains et quasi permanent pour d’autres, ceux qui utilisent Internet de façon intensive. Selon M.Civin « nous avons tendance à continuellement retourner à une position shizo-paranoïde lorsque l’environnement devient menaçant »34. En dehors de l’aspect attrayant que représente le fait de discuter « en ligne », nous pouvons observer que ce type de relation apporte un avantage sur le plan de l’investissement de la libido sur l’objet. En effet, l’ordinateur représenterait une barrière protectrice contre le monde environnant, qui peut sembler persécuteur car ce qui intéresse « le Chatteur » n’est pas un isolement total des objets extérieurs. Il semble souhaiter maintenir des relations. L’Internaute a besoin de la présence d’autrui, mais ses interlocuteurs doivent correspondre à ses attentes, et il rejette ou ignore l’individu qui a des aspects dangereux et angoissants. Ce sentiment d’être à la fois présent et absent de la relation maintient le sujet à la fois « dans » et « hors de » la relation. Une certaine proximité physique semble l’angoisser et une simple déconnexion du monde virtuel peut dans certains cas suffire à rompre la relation en cas de conflit avec un interlocuteur. La fuite est plus simple et la confrontation avec l’autre peut être évitée. Nous pouvons nous poser une première question par rapport à cette notion de distance car l’ordinateur en tant qu’intermédiaire est rassurant mais nous pouvons observer que cette impression de distance semble s’effacer lorsque le « Chatteur » investit une relation. Cet aspect protecteur que représenterait l’ordinateur amènerait l’utilisateur des « Chats » à opérer un clivage tel que le décrit M.Klein. Les individus sont clivés en bon ou mauvais objet. Il devient alors difficile pour l’individu de rompre une relation qu’il a surinvesti car la déconnexion d’Internet ne suffit pas à atténuer la tension intrapsychique. Ne pas voir l’interlocuteur amène le sujet à imaginer l’Autre dans ses aspects les plus positifs. L’ambivalence s’efface du fait de la distance mais surtout elle ne peut pas s’établir car le but implicite dans ce type de relation est d’avoir le sentiment que les personnes sur les « Chats » que l’on apprécie ne peuvent être que parfaites. A contrario, un individu est vite rejeté ou ignoré lorsqu’il montre le moindre défaut par rapport à l’image idéale projetée par le sujet. Il est plus facile pour les « Chatteurs » de considérer les autres comme de bons ou de mauvais objets. Ce clivage s’opère pour faire face à l’angoisse que pourrait constituer une rencontre avec des objets totaux mais il s’opère également dans ce processus illusoire de relation avec des objets parfaits du fait de l’absence de leurs corps. Le clivage leur permet 34 CIVIN, M. (2000). Psychanalyse du Net. Paris, Hachette littérature, 2002. 16 d’une part de se protéger de l’aspect angoissant d’une relation de proximité mais en même temps d’établir les contacts avec autrui dont ils ont besoin. Dans le monde virtuel, les « Chatteurs » utilisent couramment les termes de relation « vraie » ou de relation « plus sincère » car Ils mythifient ce type de relation. Ils justifient leur propos en prônant le fait que seuls leurs esprits et leurs personnalités sont présents sur Internet. Lorsque nous observons les « Chatteurs » dialoguer sur un même salon virtuel de discussion, nous pouvons remarquer que le contact semble plus facile à établir et ils se permettent, pour la plupart, de très grandes familiarités. Le terme de « vraie vie » est couramment employé pour désigner la vie en dehors d’Internet mais en même temps les « Chatteurs » ont ce sentiment que les relations sont plus sincères et à la rigueur plus « réelles » que dans la réalité. Nous pourrions parler alors d’un monde surréel, entre le rêve et la réalité c’est à dire un monde où l’on rêve éveillé. Nous sommes tentés de comparer cette impression à celle du nourrisson lorsqu’il hallucine la satisfaction pour faire face à l’angoisse qui l’assaille quand la mère ne répond pas dans l’immédiat à son attente (M.Klein, 1946)35 . Selon S.Freud, « Le désir du rêve est halluciné et trouve sous forme d’hallucination, la croyance en la réalité de son accomplissement »36. C’est un rêve diurne où il est possible de réaliser ses désirs, ses fantasmes de changement d’identité ou de « dédoublement » de la personnalité, ou de projeter sur l’autre une image idéale. C’est un monde à part et telles des entités fantomatiques (ou devrions nous plutôt dire des entités à la fois réelles et fantasmatiques), les « Chatteurs » se baladent virtuellement d’un salon à un autre sans avoir le sentiment de dépenser une énergie considérable. L’énergie est utilisée à maintenir une entente cordiale, une sensation proche de la relation fusionnelle du nourrisson avec sa mère lors de la petite enfance. Ces salons de discussion représentent un espace protecteur et contenant qui pourrait nous faire également penser à « l’aire intermédiaire d’expérience »37 de Winnicott. Mais nous n’affirmons pas que ce soit le cas pour toutes les personnes qui utilisent les « Chats », car pour certains, cet espace n’est autre qu’un divertissement ou un simple outil de communication comme le téléphone, et la déconnexion d’Internet n’a pas de caractère angoissant. Le fait d’idéaliser ses partenaires de « Chat » donne un aspect de longévité à la relation, la déconnexion ne suffit pas à rompre le contact. Les personnes que l’internaute rencontre sur les « Chats » deviennent des entités car le sujet ne peut pas les voir, mais seulement les imaginer. 35 KLEIN, M. (1946). Notes sur quelques mécanismes schizoïdes. In Développements de la psychanalyse. Paris, PUF, 1966. 36 FREUD, S. (1915). Complément métapsychologique à la théorie du rêve. In Métapsychologie. Folio Essais, 1996. 37 WINNICOTT, D. W. (1975). Jeu et réalité : l’espace potentiel. Paris, Gallimard, 2002. 17 Cette mise à distance par crainte de la relation dans un monde non virtuel disparaît-t-elle lorsque le « Chatteur » éteint son ordinateur ? L’individu retourne à ses activités quotidiennes, retrouve ses amis et sa famille mais pour lui où sont ses « vrais » amis lorsque nous voyons que certains « Internautes » passent énormément de temps sur les « Chats » ? Nous pouvons observer que certains considèrent que leurs amis sont uniquement sur le « Chat » car les corps ne sont présents physiquement et seules les personnalités de chacun sont exprimées. L’utilisation intensive de ces espaces virtuels, nous fait penser à une activité compulsive ou à une forme « d’addiction sans drogue » à laquelle fait référence O.Fénichel en 1945, mais nous ne nous étendrons pas sur ce thème qui ferait l’objet d’une recherche à part entière. Le sujet projette sur ses partenaires les qualités qu’il recherche et c’est en partie ce pour quoi ces personnes deviennent « ses vrais amis ». Nous précisons « en partie » car il les apprécie aussi pour ce qu’elles expriment de leur personnalité. Mais il les apprécie surtout pour ce qu’elles sont en tant qu’objet partiel idéalisé avec l’impression que le contact s’établit avec des objets totaux. En quoi ces relations sur Internet sont-elles partielles ? Selon M.Civin « Ces modes d’interactions sont une forme de relation d’objet caractérisée par des relations partielles, par une confusion et une ambiguïté entre ce qui se passe et ce qui est imaginé »38. Ces relations seraient partielles car les utilisateurs ne sont pas appréhendés dans leur intégrité. Les corps physiques ne sont pas présents physiquement même s’ils sont tout de même exprimés de façon indirecte : «Internet est utilisé comme médiateur entre les corps, comme protection, déguisement, déni : le corps est là, pas l’image du corps »39 (P.Leleu, 2001). L’imagination joue aussi un rôle pour appréhender la personnalité de l’interlocuteur. Une image idéalisée ou agressive est projetée sur l’individu par le biais du clivage, mais nous ne devons pas oublier un élément également important qui est la façon dont l’individu se montre aux autres sur le « Chat ». Le « Chatteur » peut également s’exprimer d’une manière différente qu’il le ferait dans un monde non virtuel. Par exemple, quelqu’un de très inhibé peut devenir sur le « Chat » quelqu’un de très extraverti. Lorsque nous lisons une phrase du type : «il y a beaucoup de menteurs sur les Chats » que devenons nous comprendre ? S’agit-il de réels mensonges tel que nous les concevons habituellement ? Nous pouvons considérer qu’il peut s’agir aussi d’un décalage entre ce que le « Chatteur » nous montre de sa personne dans un monde virtuel et ce qu’il pourrait exprimer dans un autre contexte. 38 CIVIN, M. (2000). Psychanalyse du Net. Hachette littérature, 2002. LELEU, P. (2001). Internet et Intercorps. Stéphanie et le prince charmant virtuel. Intervention au congrès « la présence de l’absence » du LASI. 39 18 Nous avons vu que les relations virtuelles s’établissaient sur un mode partiel et nous allons maintenant aborder le thème de la relation amoureuse virtuelle, sujet qui nous intéresse plus particulièrement. 2.2 Idéalisation du partenaire virtuel 2.2.1 Le couple 2.2.1.1 Le choix d’objet d’amour Dans « Pour introduire le narcissisme » (1914, in La vie sexuelle), S.Freud avance l’existence de deux types de choix d’objet d’amour : le choix d’objet par étayage et le choix narcissique. Ces deux choix peuvent coexister ou s’alterner, et se faire toujours de la même façon suivant l’histoire et la structure psychique du sujet. Bien souvent, ils s’effectuent de façon inconnue des partenaires. Dans le choix par étayage, l’objet d’amour est élu en fonction du modèle des figures parentales sur un mode d’opposition à ces images ou sur un mode identique. Ce choix va se constituer par identification aux premières relations que le sujet a eu avec sa mère sur le plan de l’oralité et de l’auto-conservation puis aux autres expériences de satisfaction auxquelles cette mère a répondu au cours des premières années de la vie du bébé. Dans l’optique de retrouver ce sein maternel, le partenaire constituerait une enveloppe contenante et ferait revivre au sujet ses premières satisfactions ou comblerait ses frustrations précoces. Le choix d’objet narcissique s’accomplit sur le modèle de la relation du sujet à sa propre personne c’est à dire ce que l’élu représente : « a) ce que l’on est soi-même ; b) ce que l’on a été soi-même ; c) ce que l’on voudrait être soi-même ; d) la personne qui a été une partie du propre soi.»40. C’est une quête issue de l’idéal du Moi. 2.2.1.2 Structuration du couple Le compagnon choisi apporte au sujet une certaine satisfaction par rapport à ce qu’il en attend dans un processus d’idéalisation, mais il contribue aussi à préserver un certain équilibre psychique. C’est à travers l’Autre que le sujet peut chercher à se valoriser 40 FREUD, S. (1914). Pour introduire le narcissisme. In la Vie sexuelle. Paris, PUF, 1969. 19 narcissiquement dans l’illusion d’une unité, et c’est dans une position idéale que chacun des partenaires rejoint l’autre sous le jeu du désir. « Le miroir psychique qu’est l’image de l’élu dans mon inconscient ne doit pas se penser en une surface lisse d’une glace mais comme un miroir morcelé en petits fragments mobiles de verre sur lesquels se reflètent, confondues, des images de l’autre et des images du moi »41 (JD.Nasio, 1996) Le partenaire dans cette configuration ne semble plus être un «Autre » bien qu’il soit objet de désir. Mais jusqu’où les partenaires se perdent-ils l’Un dans l’Autre pour ne former qu’une unité ? En effet, dans cette illusion de complétude, le sujet qui regarde cet Autre doit pouvoir être capable, comme dans la conception Winnicottienne, d’être seul en présence d’une personne familière qui respecte et protège cette solitude : « Graduellement, l’environnement qui sert de support au moi est introjecté et sert à l’édification de la personnalité de l’individu, si bien que se forme la capacité d’être vraiment seul. Même ainsi, théoriquement, il y a toujours quelqu’un de présent, quelqu’un qui, en fin de compte et inconsciemment, est assimilé à la mère… »42. Si la pulsion de vie l’emporte sur la pulsion de mort, les partenaires pourront ainsi atténuer leurs sentiments dépressifs et leur agressivité à travers une aide mutuelle qui marque cet équilibre. A la possibilité de trouver cet équilibre s’ajoute une satisfaction corporelle et un support narcissique rassurant, car l’un et l’autre partenaire s’épanouit à travers le regard de l’Autre. Lorsque le partenaire est inclus dans un système narcissique prévalent, il vient répondre au désir de pouvoir s’épanouir à travers le regard de l’Autre. Le sujet attend tout de ce partenaire qui est idéalisé et qui lui permet de renforcer son sentiment d’existence. La séparation représente une menace importante, et l’individu va se servir de cet Autre pour faire face à sa peur de l’abandon, mais il est en même temps effrayé par une trop grande proximité qui risque de menacer ses limites. Cette dépendance à l’autre ou cette recherche de la relation fusionnelle peut s’exprimer par une attente passive, mais bien souvent elle se manifeste par une tentative de contrôle du partenaire. Les partenaires s’efforcent donc de préserver leur unité en s’isolant du monde qui les entoure. C’est le monde extérieur en dehors de cette unité qui devient menaçant et persécuteur. Une fois le couple construit, même si les partenaires se réservent une part de liberté individuelle, ils vont s’attacher à maintenir l’illusion amoureuse. « Le désir de maintenir les bénéfices…est suffisamment vif et réciproquement entretenu pour faire apparaître une série de phénomènes destinés à maintenir l’idéalisation mutuelle et la satisfaction inaugurées par la lune de miel »43 (JG.Lemaire, 1979). Ce début de relation de couple est alors caractérisé 41 NASIO, J.D. Le Livre de la douleur et de l’amour. Paris, Payot, 1996. WINNICOTT, D.W. (1958). La capacité d’être seul. In De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Payot, 1969. 43 LEMAIRE, J.G. (1979). Le couple : sa vie, sa mort. Paris, Payot, 2000. 42 20 par une fragile ambivalence. La peur de perdre l’Autre au risque de se perdre soi-même, représente un élan supplémentaire pour maintenir la relation. L’identité fragile amène l’émergence des modes d’interactions précoces avec la mère et ce n’est plus le désir de l’autre qui est présent dans la relation mais le besoin de l’Autre comme contenant protecteur de son unité. 2.2.2 « La lune de miel » Lors d’une histoire d’amour, selon J-G.Lemaire dans son ouvrage Le couple, sa vie, sa mort, les partenaires passent par différentes étapes. Il appelle la première étape « La lune de miel », étape au cours de laquelle la relation est très passionnelle. Le sentiment d’amour procure un certain bien être qui pour certains, les emmène dans un voyage hors du temps et hors de la réalité. Ils vivent dans un monde à part. De leur cocon, le monde extérieur leur apparaîtrait comme persécuteurs. Ce sentiment d’unité et de rapprochement fusionnel donne un aspect rassurant à la relation. « Le désir de l’Autre » pourrait ressembler à un « besoin de l’Autre ». Pour J.Lacan, le désir est lié au manque, et il apparaît de cet écart entre le besoin et la demande. Il n’a pas d’objet dans la réalité, donc il ne peut pas être comblé par un objet réel. C’est le manque qui provoque le désir de l’objet, de l’objet perdu support de fantasmes. Ce désir s’organise alors en fantasme, représentation imaginaire de l’objet perdu. Cette représentation imaginaire de l’objet perdu amènerait le sujet à le chercher toute sa vie mais c’est cette insatisfaction qui maintiendrait le désir. Cet objet support de fantasme et cause du désir, J.Lacan l’appelle « objet a »44. Dans la relation amoureuse, le sujet cherche à travers l’Autre cet objet perdu et c’est par le biais de cette relation fusionnelle qu’il espère le trouver. Nous voyons à travers cette quête de l’objet supposé perdu, le désir insaisissable de posséder la « Mère ». Cette relative dépendance qui existe entre les partenaires nous fait penser à cette dépendance du nourrisson à sa mère. Le mécanisme d’incorporation lié à la satisfaction orale et dû au plaisir de la succion chez le nourrisson tend plutôt à l’absorption totale de l’objet par le jeu de fantasmes sadiques de destruction. L’incorporation fonctionne dans la relation amoureuse sur un plan plus ou moins réciproque. Cependant, jusqu’où les partenaires sont-ils prêts à supporter l’absorption par l’Autre ? Ce rapprochement fusionnel peut donner lieu également à une angoisse où l’autre serait perçu comme intrusif. Ce sentiment d’unité, de ne former qu’ « Un » par rapport à une angoisse existentielle, peut provoquer une peur de l’aspect intrusif de la relation. C’est donc un jeu de rapprochements et de déliaisons pour maintenir à la fois le sentiment d’unité du couple et le sentiment d’unité 44 LACAN, J. (1960). Subversion du sujet et dialectique du désir. In Ecrits. Paris, Seuil, 1966. 21 de soi. L’indépendance des sujets se trouve donc relativement perturbée dans la relation amoureuse. Cependant, selon JG.Lemaire 45 , ce qui caractérise le début de cette relation sont les mécanismes mis en œuvre de façon défensive pour préserver l’aspect magique de leur histoire d’amour. Le partenaire ne serait pas appréhendé dans sa totalité. C’est un type de relation partielle où seul les bons aspects de l’autre sont intégrés. Le partenaire devient alors un support de projection et ce sont les parties bonnes du partenaire qui sont ensuite introjectées dans le moi du sujet. Ces mécanismes de projection et d’introjection rassurent le sujet et diminuent ses angoisses. Il fait du partenaire son Idéal du Moi. JG.Lemaire nous dit que « la stratégie amoureuse reproduit celle des tous premiers moments de l’existence quand elle vise à maintenir, éventuellement grâce à l’activité fantasmatique, le caractère totalement bon de l’objet, quitte à détacher de lui ce qui pourrait apparaître comme des parties mauvaises. »46. Cette idéalisation permet au couple d’avoir le sentiment d’une unité et d’une certaine complétude. Cependant, l’illusion de ne former qu’« Un » fragilise les limites du Moi, car chacun des partenaires a l’impression de faire partie de l’Autre. La « lune de miel » est une période au cours de laquelle l’angoisse d’abandon serait la plus intense. Le mécanisme du clivage va scinder le partenaire en bon ou mauvais objet suivant les différents moments de cette vie commune. Si l’ambivalence ne peut s’établir, les comportements de possession à l’égard de l’Autre vont s’accentuer. Le sujet qui manifeste ce besoin de possession peut vivre alors sa relation sur un plan dépressif caché et dans un semblant de normalité, la souffrance étant le prix à payer pour ne pas perdre l’Autre au risque de se perdre soi-même. Les pulsions agressives par moments trop importantes et la lutte contre l’angoisse de perte amèneraient le sujet à utiliser un objet tiers pour décharger l’excès pulsionnel. L’ordinateur pourrait être cet objet tiers. Il constituerait en tant qu’objet inanimé une barrière protectrice dans la relation à l’Autre. Selon H.Searles47, les premières relations qu’entretient l’individu avec les objets extérieurs seraient avec l’environnement non humain. Le sujet apprendrait ensuite à dissocier ce qui est humain de ce qui ne l’est pas. De par ce caractère angoissant de la relation avec un objet animé (un humain), l’individu utiliserait un intermédiaire pour donner au partenaire un aspect moins humain. Notons tout de même que cet Autre ne sera considéré ni comme un humain ni comme un objet inanimé mais plutôt comme une entité, un objet partiel visé par une pulsion partielle. 45 LEMAIRE, J.G. (1979). Le couple : sa vie, sa mort. Paris, Payot, 2000. Ibid. 47 SEARLES, H. L’environnement non humain. Paris, Gallimard, 1986. 46 22 2.2.3 Lune de miel virtuelle Si nous nous basons sur les théories de JG.Lemaire concernant la première étape de la relation amoureuse, nous avons vu que celle-ci était caractérisée par un clivage et une forte idéalisation du partenaire. D’autre part, si l’on se réfère à M.Civin, la relation virtuelle favoriserait également ce type de mécanisme défensif. Mais que pouvons nous penser de la relation amoureuse virtuelle ? L’ordinateur utilisé pour discuter sur les salons de discussion d’Internet aide l’individu à se protéger d’une éventuelle proximité, le pseudonyme permettant d’ailleurs de préserver son anonymat. De ce fait, il devient possible de se dévoiler aux autres de façon moins inhibée. Le regard de l’Autre représente moins une menace lorsque l’individu discute avec des personnes qu’il apprécie et celles-ci peuvent également être fuies lorsque l’angoisse de persécution surgit. Ignorer un interlocuteur ou se déconnecter du « Chat » provoque moins de culpabilité que si les corps étaient en présence. L’interlocuteur est donc clivé en bon ou mauvais objet, et l’utilisation des « Chats » sur Internet ne favoriserait pas l’accès à l’ambivalence dans la relation virtuelle. Cependant, nous devons tout de même apporter une nuance à propos de l’ambivalence car d’après ce que nous avons pu remarquer lors de nos premières observations sur les « Chats », il semblerait que tous les « Internautes » n’utilisent pas cet outil de la même manière. Certains d’entre eux ont bien conscience de cette part d’imaginaire et de processus d’idéalisation au sein d’une relation virtuelle, d’autres sont dans une forme de confusion, et d’autres encore dénient une éventuelle différence entre une relation en face à face et une relation virtuelle. Selon les individus, le clivage est donc plus ou moins accentué et l’idéalisation plus ou moins présente. Nous pouvons supposer que tout dépend de ce que chaque individu recherche personnellement à travers ces relations virtuelles, en dehors d’une forme de protection de soi, de la possibilité de rencontrer des gens de tous horizons, de la facilité du contact avec autrui ou encore de son aspect divertissant. La plupart des « Chatteurs » affirment chercher à se faire des amis en fonction de leurs intérêts communs sur les salons de discussion, mais ce qui a attiré plus particulièrement notre attention, c’est la séduction qui s’opère entre les hommes et les femmes, et une certaine rivalité entre les personnes de même sexe présentes sur un même salon. Tout se passe comme s’il y avait un concours de popularité permanent sur le salon public, car en privé les relations se gèrent d’une manière différente. La séduction entre les hommes et les femmes est clairement affichée, bien que certains refusent toute discussion en privé ou n’aient pas l’impression de séduire. C’est à celle qui plaira le plus aux hommes, et à l’homme 23 qui plaira le plus aux femmes. Par exemple, Ils peuvent parfois se dire des mots tendres alors qu’ils se parlent pour la première fois sur le « Chat ». Nous savons que la séduction fait partie de toute relation, mais dans cet espace virtuel elle semble d’autant plus présente. Nous pouvons supposer que ne pas voir l’interlocuteur favorise l’utilisation de diverses stratégies pour obtenir une certaine popularité auprès des autres. Les mots ont toute leur importance ; ils doivent être efficaces et suffisamment percutants quant à leur but. Suivre le fil de la discussion, qui est assez rapide quand il y a beaucoup de personnes sur les « Chats », incite peut-être les individus à être assez directs sur le plan de la séduction. Se faire apprécier des autres, être valorisé narcissiquement et plus que les autres, deviendrait alors une priorité. La séduction sur les canaux privés est tout autre. Les individus ne peuvent dialoguer que deux par deux. Il ne s’agit plus ici de se faire remarquer ou de plaire à tout prix pour obtenir une certaine reconnaissance ou une existence au sein d’une communauté. Tous les « Chatteurs » n’acceptent pas ces discussions privées avec des personnes du sexe opposé. Les femmes ont des exigences bien particulières pour accepter la discussion avec un homme. Elles sont sensibles à une forme d’expression élaborée et elles acceptent volontiers de se faire séduire sur les salons publics, mais dès que la relation concerne le domaine privé, l’homme doit faire preuve d’une certaine originalité. C'est-à-dire une originalité caractérisée par une façon de s’exprimer mais aussi d’une manière différente de celle qu’elles peuvent rencontrer dans un cadre non virtuel. Tout homme qui ne fait pas preuve de respect, de patience, d’humour ou tout simplement qui ne fait pas l’effort de ne pas parler de sexualité ou de l’aspect physique de la relation est vite rejeté. La sélection est donc très rigoureuse. Mais que cherchent ces femmes par le biais de ce type séduction ? Elles ne chercheraient pas forcément la rencontre mais un aspect paradisiaque de la relation tel que l’on pourrait le vivre à travers les contes de fées. L’homme est idéalisé et doit se transformer en Prince Charmant en mettant en avant toutes ses qualités d’homme romantique. L’homme qualifié de « primitif » ou « d’animal » avec toute la symbolique de sa puissance phallique, représente un danger et devient le mauvais objet à éviter. Le futur partenaire masculin ne doit absolument pas parler de sexualité ou des corps physiques car les mots à connotation sexuelle peuvent être ressentis comme intrusifs. Ce thème est assez tabou, car l’homme est recherché pour sa sensibilité et sa part de féminité. C’est la peur du contact que nous pouvons associer à ce tabou. Pour reprendre les propos de S.Freud «C'est justement pour cette signification intermédiaire encore neutre de "démoniaque", "qu’il n’est pas permis de toucher", que le terme tabou convient bien, étant donné qu’il fait ressortir une caractéristique qui en fin de compte restera à jamais commune au sacré et à l’impur : celle d’inspirer la 24 crainte de les toucher.»48. La relation virtuelle signifie pour ces femmes que le contact ne doit pas avoir lieu et ne doit pas être évoqué. L’homme qui ne respecte pas ce tabou se voit transformer en Démon et en devient le mauvais objet à éviter ou à ignorer. De plus, cet aspect démoniaque de l’homme non romantique fait également l’objet d’une projection agressive car ces femmes souhaitent avoir un certain contrôle sur la relation. L’aspect intrusif que peut représenter la sexualité ne semble pas être le seul élément de rejet de l’homme virtuel, « primitif et désocialisé », c’est aussi dans sa toute puissance phallique qu’il est rejeté. Les femmes souhaitent avoir un certain contrôle sur la relation, et lors du premier contact elles restent assez défensives. C’est à elle seule que doit revenir la toute puissance phallique avant de se laisser aller à un échange avec un accord explicite ou implicite de séduction. Voyons désormais comment cela se passe lorsqu’un début de confiance s’est établit entre les deux partenaires et qu’ils discutent sur le « Chat » « en privé ». Si un homme devient le bon objet grâce aux mots qu’il emploi et à ses qualités d’expression, la séduction a davantage d’impact que si elle se faisait dans un autre contexte. Le partenaire peut être ainsi idéalisé alors que l’individu n’est pas appréhendé dans sa totalité. Dans ce monde virtuel, le sentiment amoureux s’exprimerait de façon exacerbée, et de par l’absence des corps la relation serait mythifiée. Selon JG Lemaire, ce processus d’idéalisation s’observe lors d’une relation amoureuse « conventionnelle » au début de la relation. Sur Internet, cette idéalisation se produit également, mais nous aimerions apporter un élément supplémentaire. En effet, dans le cas d’une relation amoureuse « conventionnelle », le clivage et l’idéalisation sont des processus qui apparaissent au début de la relation, puis l’idéalisation s’estompe pour laisser place à l’ambivalence. Le partenaire est aimé pour ce qu’il est en tant qu’objet total, donc il est apprécié pour ses qualités, et ses défauts sont plus ou moins tolérés. Sur Internet, l’idéalisation semble persister dans la relation amoureuse. Le seul moyen d’accéder à l’ambivalence serait la rencontre physique entre ces deux personnes. Mais ces femmes souhaitent-elles réellement cette rencontre ? Elles ont trouvé cet homme parfait support de projection idéale, et accéder à l’ambivalence serait admettre la possibilité du conflit et la construction du couple avec tous les inconvénients que cela implique. C’est également accepter une forme de sexualité alors que le principal avantage de la relation sur Internet serait un échange entre deux entités dépourvues de corps physique, et une protection contre la proximité perçue comme impure ou dangereuse. 48 FREUD, S. (1912). Totem et tabou : interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs. Paris, Gallimard, 1993. 25 Certaines femmes ont l’impression qu’elles ne forment qu’ « Un » avec l’Autre car il n’y a plus la barrière du corps. Dans la relation amoureuse virtuelle l’illusion de l’unité est davantage présente et les limites du Moi en sont d’autant plus incertaines. En dehors de cette peur d’une proximité physique et de la peur d’être confrontées à des objets totaux, qu’est ce que cette relation virtuelle leur apporte ? Dans ce mécanisme du clivage, la projection d’une image idéale sur l’objet permettrait à l’individu de s’identifier à celui-ci. L’intégrité du Moi serait en danger et le sujet chercherait à travers l’Autre une image idéale à introjecter. Les limites du Moi n’étant pas clairement définies de par l’absence des corps sur Internet, cette identification se poursuivrait sans limite dans le temps. Selon S.Freud « ce qu’il projette devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance ; en ce temps là, il était lui-même son propre idéal »49. Ces femmes trouveraient, dans ces relations partielles avec ces hommes, une satisfaction narcissique qu’elles ne souhaitent pas perdre. Ce fort besoin de valorisation narcissique conduirait ces femmes à apprécier et à maintenir cette forme de relation qu’est la relation virtuelle. 2.3 Partenaire idéal et idéal du moi Avant d’aborder ce besoin de valorisation narcissique présent dans la relation virtuelle, nous allons d’abord faire un rappel concernant la notion de narcissisme. 2.3.1 Narcissisme primaire et narcissisme secondaire En 1914 S.Freud50 élabore la théorie du narcissisme, qui remet en question sa première théorie des pulsions en parlant de l’existence de pulsions sexuelles du moi. Il décrit ce stade comme un état précoce où l’enfant investit toute sa libido sur lui-même, c’est à dire un état intermédiaire entre auto-érotisme et amour d’objet. Le Moi se constitue et se prend comme objet d’amour. Il n’existe pas chez l’individu une unité qui puisse être comparable au Moi. Le développement va être progressif, et le corps n’est pas considéré dans son ensemble car il est divisé en territoires pulsionnels (zone orale, génitale et anale). Ces pulsions fonctionnent indépendamment les unes des autres et chacune vit pour elle-même. Ce premier mode de satisfactions libidinales est caractéristique du stade auto-érotique et correspond à la première unification du sujet. Les pulsions sexuelles se rassemblent, et le Moi va satisfaire lui-même ses pulsions sur un mode auto-érotique. La notion de réalité n’est pas encore établie, et il va lui succéder un autre temps, celui du passage de l’amour pour un objet 49 50 FREUD, S. (1914). Pour introduire le narcissisme. In la vie sexuelle. Paris, PUF, 1997. Ibid. 26 semblable (homosexuel) à celui de l’amour pour un objet différent (hétérosexuel). S.Freud situe la position des parents dans ce narcissisme primaire, et il note que la venue de l’enfant produit chez chacun des parents un réveil de leur propre narcissisme. C’est une réactivation qui va favoriser l’attribution à leur enfant de toutes les perfections. Cette rencontre du narcissisme primaire chez l’enfant et du narcissisme réactivé des parents favoriserait la création chez l’enfant d’un espace de toute-puissance, auquel il aura à renoncer par la suite. Il abandonne en 1920 la distinction entre auto-érotisme et narcissisme pour aborder les concepts de narcissisme primaire et secondaire. Il considère le narcissisme primaire en le rapportant à un état de la vie, antérieur à la constitution du Moi (stade anobjectal), c’est à dire un état sans différenciation entre le sujet et l’objet, entre le sujet et le monde extérieur. Le modèle de cet état serait la vie intra-utérine. L’enfant va progressivement apprendre à connaître et à s’approprier son corps. Le narcissisme secondaire apparaît selon S.Freud, lors du retrait de l’investissement des objets extérieurs vers le repli de la libido sur le sujet. Il s’agit ici d’un état régressif où le Moi cherche à maintenir son unité face à une angoisse insoutenable. Ce concept de narcissisme est constitutif de l’appareil psychique et il persiste dans l’individu une libido du moi comme structure permanente. Cette énergie investie dans le moi et sur le monde extérieur va circuler d’un coté à l’autre en sachant que le repli de la libido sur le Moi se fera au détriment de l’investissement des objets extérieurs. 2.3.3 Narcissisme et stade du miroir Pour J.Lacan, le nourrisson n’a pas d’image unifiée de son propre corps, il ne fait pas encore la distinction entre lui et les autres. L’investissement pulsionnel se fait sur un mode autoérotique. Son identité va se construire à travers le regard de l’autre, et c’est ce que J.Lacan appelle « le stade du miroir »51. Cet enfant va découvrir que l’autre dans le miroir n’est pas réel mais une image, il réalise donc qu’il n’est qu’une image qui est la sienne. L’autre devient alors intéressant parce qu’il lui renvoie une image complète de lui-même, ce qui place l’autre en tant qu’être différencié et complet. Le sujet se place donc « d’un certain point de vu idéal choisi dans l’Autre »52, l’Autre en tant que miroir de Soi. L’enfant s’identifie en fait au manque de la mère, ce phallus unifiant symbole de toute puissance : « Le Moi idéal conçu comme un idéal narcissique de toute puissance ne se réduit pas à l’union du Moi avec le Ca, mais 51 LACAN, J. (1949). Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique. In Écrits. Paris, Seuil, 1966. 52 LACAN, J. (1953-1954). Les écrits techniques de Freud. In Le Séminaire : livre I. Paris, Seuil, 1975. p160. 27 comporte une identification primaire à un autre être investi de toute puissance, c'est-à-dire la mère »53. C’est à travers ce regard remplit d’amour et parfait de la mère qu’il se crée une image idéale. C’est le passage du registre du besoin à celui du désir dont le choix se réfère à l’objet du désir de l’Autre. L’Idéal du Moi est l’héritier du narcissisme primaire et correspond au modèle auquel le sujet veut se conformer. Par une confrontation avec la réalité, l’idéal du moi va se réajuster et permettre la construction d’un noyau du Moi différencié. En fin de compte, l’idéal du moi se situe dans l’Autre, « c’est dans l’autre qu’il retrouvera toujours son moi idéal, d’où se développe la dialectique de ses relations à l’autre »54. In fine, ce stade du miroir est structurant car il permet à l’enfant de s’identifier à une image qui le forme et en même temps l’aliène. 2.3.4 Le cyber-partenaire ou le miroir virtuel Nous avons vu que la séduction sur les canaux privés est différente de celle sur les canaux publics des « Chats ». Lorsqu’une femme accepte de passer à la discussion en privé, c’est que le partenaire masculin a su répondre à certains critères et qu’un minimum de confiance s’est instauré. Le principal critère qui décide la femme à engager une conversation avec un homme semble être une forme d’originalité. Le partenaire de discussion devra ensuite jouer de ses qualités d’homme romantique et faire preuve d’humour. Nous voyons là des critères en général appréciés dans la vie courante par les femmes car elles semblent en majorité être sensibles à ces qualités. Sur Internet, les corps sont cachés et même niés par certaines femmes. Le partenaire masculin doit respecter ce tabou du corps pour ne pas être exclu d’une relation privilégiée avec une femme. Il arrive que les corps soient décrits mais ce n’est que beaucoup plus tard que certaines femmes acceptent l’éventualité d’une description physique, aussi bien la leur que celle de leur partenaire. Le virtuel cachant ce corps, la séduction prend un caractère différent dans la relation. Pour certaines femmes, le corps représenterait l’érotisme et il pourrait être perçu comme intrusif. Effectivement, sur Internet la séduction ne passe pas par l’expression du corps ou par l’expression du soi tout entier, elle s’exprime uniquement par les mots. Ces mots sont interprétés comme étant le reflet de la personnalité du partenaire, mais aussi comme étant le reflet de son corps. Si les mots représentent l’intégralité du partenaire, alors celui-ci est perçu comme un objet total. Il devient alors un objet totalement bon ou un 53 LAGACHE, D. Psychanalyse et structure de la personnalité. Cité in J.DOR : Introduction à la lecture de J.Lacan. Tomme 2, p47. Coll L’espace analytique. Paris, Denoël, 1992. 54 LACAN, J. (1953-1954). Les écrits techniques de Freud. In Livre I. Paris, Seuil, 1975. 28 objet totalement mauvais, alors que la relation virtuelle semble s’établir sur un mode partiel. Ces femmes émettent le vœu de s’entretenir avec des objets totaux, d’établir des relations parfaites avec des objets parfaits. Elles aiment un être virtuel, imaginaire ressemblant à leur Idéal du Moi et en même temps un être réel mais choisi parce que justement il est éloigné et inaccessible. La relation non virtuelle implique d’accepter d’éventuelles frustrations, et ces dernières pourraient ne pas être tolérées. Le partenaire virtuel leur permettrait d’incorporer un objet totalement bon et l’image de celui-ci deviendrait également bonne à être introjectée. Les relations sur les « Chats » d’Internet favoriseraient l’idéalisation du partenaire car le sujet peut imaginer l’autre à son avantage. Les mots sont entendus comme ils aiment être entendu et le partenaire est ainsi apprécié pour ce qu’il représente. Il devient un homme à modeler en « Prince Charmant » virtuel. En effet, le partenaire masculin permettrait au sujet féminin de renforcer son sentiment d’existence en tant qu’être humain et il renverrait à ces femmes une image favorable d’elles-mêmes, une image dénuée d’imperfection. Elles deviendraient belles aussi pour ce qu’elles sont en tant que femme, c'est-à-dire des femmes aimées pour leur esprit et moins pour leur enveloppe physique. Ce partenaire virtuel doit le rester car il renvoie une image positive, mais c’est surtout ce mode de relation qui semble être apprécié plutôt que le partenaire lui-même La relation en elle-même leur permettrait d’éviter le conflit ou la frustration et c’est à travers cet Autre idéalisé que le sujet féminin répondrait à son Idéal du Moi. Au fil des discussions avec un partenaire idéalisé, ces femmes peuvent se construire une autre identité, une identité façonnée par l’autre. Il devient donc possible de construire une identité à l’autre par projection d’une image idéale sur celuici mais aussi de se construire une identité à soi. Telle une graine qui ne demande qu’à germer sous un jour meilleurs, « graine qui, à partir des contraintes internes et environnementales, va inventer une solution au problème "devenir arbre" ».55 (S.Missonnier, 2000). Certains « Internautes » ont l’impression de se montrer sous leurs meilleurs aspects, mais d’autres peuvent se montrer désagréables pour susciter le rejet et confirmer ainsi leur faible estime d’eux même. Parmi cette population de femmes présentes sur les « Chats », certaines établissent des relations sur la base de ce versant. Cette relation en miroir peut donc prendre un sens différent. Le miroir serait au service de la baisse de l’estime de soi. D’autres femmes n’hésitent pas à rencontrer beaucoup d’hommes. Chaque partenaire est un miroir différent, il est idéalisé et la rencontre a lieu. L’érotisation est ici bien présente mais la rencontre en face à face casse ce désir. Cependant, elle recommence le processus à 55 MISSONNIER, S. (2000). Le vieil homme, l’enfant et le travail virtuel. In Spiral, n°14, « Les bébés de l’an 2000 ». Paris, Eres, 2000. 29 chaque fois. L’objet perdu est espéré être retrouvé et cela implique une vérification dans le réel. Cet être virtuel n’est plus désiré lorsqu’il devient un homme dans la réalité. Nous pouvons supposer que le corps n’est pas vécu comme intrusif avant la rencontre. Ce qui brise la relation serait un décalage entre ce qui a été projeté sur le partenaire et ce qu’il représente dans un monde non virtuel. Le miroir virtuel ayant disparu, c’est en tant qu’objet total que le partenaire masculin est rejeté. Cependant, l’image du « Prince Charmant » se maintient dans l’imaginaire de ces femmes et c’est par le biais d’une quête active qu’elles reproduisent le même schéma. La relation est un cercle vicieux, elles continuent de chercher compulsivement le partenaire idéal. Il s’agirait ici d’une forme de relation particulière caractérisée par la répétition comme nous l’avons vu précédemment, à ceci près que la recherche active va dans le sens de la confirmation d’une image positive de soi par la confrontation avec la réalité. Tant que le partenaire ne renvoie pas cette image parfaite lors de la rencontre, la déception ne serait pas attribuée à un certain décalage entre virtualité et réalité mais au partenaire masculin lui-même. Il devient ainsi le mauvais objet à fuir pour en retrouver un autre qui soit bon à être introjecté. Dans le cadre de cette recherche, nous n’aborderons pas davantage la facette négative du miroir virtuel ni la confirmation d’une image positive de soi par la confrontation avec la réalité. Nous nous intéressons au cyber-miroir lorsqu’il est maintenu et utilisé dans le sens de la valorisation narcissique et du renforcement de l’estime de soi. Ces femmes apprécieraient ce type de relation car elles auraient le sentiment d’avoir un certain contrôle sur le partenaire et sur la relation en elle-même. Le partenaire virtuel est « un Prince Charmant » et il doit le rester. Au moindre conflit ou défaut perçu, il est rejeté car il n’est plus le miroir qui renvoie une image positive d’elle-même. Selon S.Freud « tout ce qu’on possède ou qu’on atteint, tout reste sentiment primitif d’omnipotence que l’expérience a confirmé, contribue à augmenter le sentiment d’estime de soi. » 56 . Certaines femmes feraient en sorte de favoriser l’évolution de la relation dans cet univers. Nous employons le terme d’évolution car elle est perçue comme évoluant. Mais évolue-t-elle vraiment sur le plan de la réalité? Ce type de relation serait plutôt régi par « le principe de plaisir » qui selon S.Freud57 entraîne la satisfaction par les voies les plus courtes. Qu’en est-il du « principe de réalité » qui vient réguler cette recherche de la satisfaction immédiate ? Nous n’affirmons pas que la relation virtuelle ne soit pas une relation réelle mais son maintien favoriserait la complaisance au leurre. Internet servirait aussi de parexcitant car une relation non virtuelle 56 57 FREUD, S. (1914). Pour introduire le narcissisme. In la vie sexuelle. Paris, PUF, 1997. FREUD, S. (1920). Au-delà du principe de plaisir. In Essais de psychanalyse. Paris, Payot, 1981. 30 entraînerait une tension intrapsychique intolérable. La confrontation avec la réalité, avec l’Autre en tant qu’objet total, le transformerait en miroir double c'est-à-dire que cette femme devra accepter d’avoir des sentiments ambivalents pour cet homme, d’accepter qu’il ne soit plus un être mythique et parfait mais un homme avec ses défauts et ses qualités. Si le sujet n’accepte pas de passer cette étape, la relation virtuelle peut encore se poursuivre ainsi un certain de temps. La relation en face à face devient difficile à envisager lorsque l’imaginaire prend le dessus dans la cyber-relation. On peut supposer que ces femmes ont une certaine conscience d’un décalage entre virtualité et réalité. En effet, une image idéale est projetée sur l’Autre mais c’est surtout ce type de relation qui est idéalisé. Le partenaire virtuel constitue un miroir qu’elles ne souhaitent pas briser. La relation sur les « Chats » revêtirait un aspect de perfection. Le caractère physique et sexuel non abordé dans la relation virtuelle et le déni du corps constitueraient une défense contre l’aspect intrusif de la relation amoureuse « réelle ». L’homme, de par sa symbolique phallique, constituerait un danger. Cet homme virtuel perd donc de sa symbolique phallique dangereuse et devient un Prince asexué. Cependant, c’est quand même un homme qui est choisi parce justement il est un homme et c’est un miroir masculin qui lui renverrait une image féminine. En effet, Il est choisi pour son romantisme mais surtout pour sa sensibilité, sa part de féminité. Ce cyber-miroir masculin permettrait à ces femmes de se sentir exister en tant qu’êtres humains, mais surtout en tant que femmes, même si l’aspect physique et érotisé de la relation est dénié. Le partenaire virtuel perd son caractère humain, il devient miroir et support de projection. Cette relation virtuelle se transforme peu à peu en relation amoureuse virtuelle. Elle est parfois qualifiée de relation « parfaite » ou « profonde » sans que le mot « amour » soit prononcé. La relation étant mythifiée, elle ne pourrait pas être qualifiée de « relation amoureuse » car elle est considérée comme supérieure à l’amour. La relation amoureuse impliquerait une notion de couple et de conflit psychique à devoir dépasser à un moment donné. Le corps physique qui semble être angoissant et la relation amoureuse « conventionnelle » seraient fuis. Le fait d’avoir expérimenté une relation de couple décevante ou de ne pas avoir trouvé de miroir masculin satisfaisant dans lequel se regarder, les aurait amenées à choisir un autre mode de relation. Nous pouvons supposer que de par leur problématique, ces femmes ont trouvé un moyen de répondre à leur Idéal du Moi exigeant. Mais pouvons nous évoquer un réel désir pour un partenaire si celui-ci est considéré comme un miroir ? S’il perd son statut d’objet extérieur, il devient alors une partie de soi ? Ces femmes peuvent nommer l’amour car elles associeraient leur désir au désir de l’autre. Elles peuvent également parler de relation car elles auraient conscience de ne pas dialoguer avec 31 des objets inanimés. Par contre, sont-elles capables de parler de « relation amoureuse » ou de couple ? La relation amoureuse suppose que l’Autre soit un Autre et non juste un miroir support de projection d’une image idéale. Elle implique que la confrontation au réel s’effectue par le biais d’une rencontre en face à face et que le partenaire soit considéré en tant qu’objet total. Le sujet doit accepter d’aborder le conflit entre pulsion objectale et narcissique, de se donner à l’Autre physiquement et psychiquement par un jeu d’incorporation mutuel, et surtout il doit être capable d’assumer la baisse de l’idéalisation et du clivage par l’accès à l’ambivalence, en tolérant ses pulsions hétéro et auto-agressives nécessaires au bon fonctionnement du couple. Les femmes dont nous parlons sont-elles prêtes à vivre cette relation selon ces conditions ? Dans une seconde partie, nous allons maintenant confronter cette réflexion théorique et nos hypothèses à notre expérience clinique. 32 PARTIE THEORICO-CLINIQUE 33 3. METHODOLOGIE Pour contacter des femmes susceptibles de participer à cette étude, nous nous sommes connectés sur deux serveurs IRC : irc.voilà.fr et irc.liberix.org par l’intermédiaire du logiciel MIRC. Dans un premier temps, nous avons déposé une petite annonce sur l’espace privé d’environ 200 femmes et 18 d’entre elles ont répondu favorablement à cette annonce. Nous leur avons expliqué de façon plus détaillée l’objet de cette étude et alors seulement six ont accepté un entretien en face à face. Afin de préserver la qualité clinique de cette recherche, nous n’avons passé aucun entretien en ligne. La demande de rencontre en face à face a suscité une grande méfiance, même chez les femmes qui ont accepté. Il a donc été difficile de fixer un rendez-vous avec chacune d’elle malgré leur motivation exprimée. La rencontre avec le chercheur suscite couramment de la méfiance mais le fait de parler de son intimité en face à face semble d’autant plus difficile pour ces femmes qui ont l’habitude de le faire derrière leurs écrans. Nous aurions préféré avoir un plus grand échantillon mais cela n’a donc pas été possible. Au début de chaque entretien, une lettre de consentement leur a été adressée afin de leur préciser la nature de cette recherche et le caractère anonyme de leur participation. Ces femmes se sont présentées comme n’utilisant pas Internet pour se mettre en couple mais juste pour discuter et échanger. Cependant, nous avons constaté que les échanges vont davantage dans le sens de la séduction et de la recherche d’un partenaire idéal. Nous avons réalisé six entretiens semi-directifs avec des femmes parisiennes, célibataires, sans enfants, âgées entre 30 et 35 ans. Certains ont été organisés dans des cafés et d’autres au domicile des interviewées. Au préalable, nous avions préparé un questionnaire en fonction de nos hypothèses de travail et celui-ci nous a servit de fil directeur tout au long de l’entretien. Cependant, certaines questions ont parfois été adaptées en fonction des réponses apportées précédemment, de la réceptivité ou de la compréhension du sujet. Les entretiens ont tous été enregistrés puis retranscrits. 34 4. HYPOTHESES 4.1 Hypothèses théoriques : - La séduction sur Internet favorise un processus de clivage où seul les bons aspects du partenaire sont conservés. - Le partenaire virtuel, n’étant pas présent physiquement, est davantage idéalisé. - Le partenaire virtuel permet au sujet féminin de renforcer son narcissisme. 4.2 Hypothèses de travail : - Les relations sur Internet sont considérées par les « Chatteuses » comme plus sincères que celles établies dans un monde non virtuel. - Les « Chatteuses » se sentent plus à l’aise pour créer des liens avec un partenaire masculin sur Internet que dans un monde non virtuel. - Les « Chatteuses » valorisent la relation virtuelle. - Les « Chatteuses » appréhendent la rencontre en face à face avec un partenaire masculin, et sont souvent déçues par celle-ci. 35 5. DU CYBER-LIEN AU COUPLE VIRTUEL 5.1 La scène du « vrai » Avant d’aborder la question du « vrai » pour les Internautes, voyons les différents sens pour lesquels ce terme est utilisé en général58 : - Qui est conforme à la vérité - Qui est réellement ce dont il a les apparences - Qui est réel et non apparent ou imaginaire - Qui seul convient 5.1.1 L’authenticité 5.1.1.1 Le « Chat » un espace publique ? Les « Chats » sont des espaces publics mis à disposition pour discuter, échanger et effectuer des rencontres. De nombreuses personnes côtoient ces lieux car elles peuvent y accéder facilement et gratuitement. Le terme « public » n’est peut-être pas approprié pour qualifier ces espaces. En effet, ce sont des espaces publics particuliers car les échanges font davantage partie de la sphère de l’intime, du privé. Les individus n’étant pas présents physiquement, la présence de chacun ne peut se manifester que par le biais des mots. Cependant, il y a des exceptions car certains individus se sentent dans un espace contenant et rassurant en étant simplement connecté à un salon. Ils restent donc en tant qu’observateurs silencieux. Parfois occupés par une autre activité, ils ne sont là ni pour échanger ni pour discuter. Le pseudonyme de chaque utilisateur connecté sur un même salon est toujours affiché au bord de la fenêtre de discussion mais celui-ci est vite oublié lorsque l’individu intervient rarement sur l’espace public. 5.1.1.2 Se dévoiler Un « Chatteur » est quelqu’un qui discute, qui « tchatche ». Un « Chatteur » qui ne « tchatche » pas n’est pas un « Chatteur », juste un simple pseudonyme. Pour marquer sa présence sur le « Chat », il doit donc se manifester autrement que par l’affichage de son 58 http://www.francophonie.hachette-livre.fr 36 pseudonyme. Il donne son avis, en prenant part aux discussions, ce qui implique le dévoilement d’une partie de soi aux autres. Selon Finalia et Fée Clochette, les individus s’expriment de façon authentique car ils se dévoilent. Pour Nina, les Internautes ont l’habitude de discuter dans des espaces publics mais ils le font d’une meilleure façon sur les «Chats ». Ce qui nous amènent à penser que ces espaces sont qualifiés de lieux publics, mais la sphère du privé et de l’intime y est davantage présente. Ainsi, l’authenticité passe par l’expression des mots, par l’expression de soi, c’est à dire par le dévoilement de soi aux autres. 5.1.2 La sincérité 5.1.2.1 Préserver la convivialité Pour se faire accepter des autres, l’individu doit échanger dans la plus grande convivialité en utilisant les mots appropriés, et les moins ambigus possible, afin d’éviter tout conflit. Ce maintient de la convivialité est souhaité par la majorité des utilisateurs habitués des « Chats », et le moindre malentendu peut provoquer le rejet immédiat de certains individus perçus comme de mauvais objets. Il est très difficile pour un « Chatteur » de passer du statut de mauvais objet à celui de bon objet. Une fois qu’il est considéré comme un mauvais objet, il est exclu du groupe. L’anonymat facilite l’exclusion car le poids de la culpabilité est moindre. Il arrive qu’une négociation soit possible, mais la plupart du temps, les individus sont perçus définitivement comme de bons ou de mauvais objets. Si nous supposons que l’incorporation successive des objets considérés comme totaux servent à consolider leur Moi alors les mauvais objets ne peuvent être qu’évités ou exclus. Prenons l’exemple de Finalia qui nous a confié qu’elle ignore très vite un homme qui lui déplait. Elle a utilisé les termes de « disparition magique » ce qui nous laisse comprendre que le mauvais objet est écarté sans négociation. Ce mécanisme défensif qu’est le clivage semble se manifester couramment sur les « Chats » car il permet au sujet l’évitement de tout conflit inter et surtout intrapsychique. De ce fait, lors d’un début de litige, l’individu considéré comme mauvais est exclu ou ignoré dans le but de préserver la convivialité de l’espace virtuel. Mais cette exclusion évite également aux utilisateurs d’envisager la résolution d’un quelconque conflit. En effet, d’une part l’agressivité de l’autre peut provoquer une angoisse, et d’autre part leurs propres motions agressives envers autrui sont inconcevables. 37 5.1.2.2 Authenticité associée à la sincérité Au départ, ce lieu virtuel a été choisi pour ses qualités d’espace contenant protecteur, et les « Chatteurs » veillent ainsi à le préserver. Angelle a souligné que les individus sont perçus « sous un jour différent » ce qui nous laisse entendre l’existence de ce processus de clivage par le biais duquel seuls les bons aspects de l’Autre sont conservés. L’authenticité est ici associée à la sincérité, car les individus doivent être de bons objets à incorporer. Et comme ils se dévoilent, alors ils sont sincères et acquièrent ainsi leur statut de bons objets. 5.1.2.3 Identification projective Selon Myriam, Internet peut être un outil pour trouver un partenaire idéal. Elle fait une comparaison avec les individus qui fréquentent les boîtes de nuit et qui ne seraient pas « de bonnes rencontres ». Ils sont de mauvais objets car ils ne seraient pas intéressés par une relation durable. La sincérité est associée ici à une notion de temps, à la construction d’une relation sur du long terme. Cependant elle précise que le partenaire idéal n’existe pas. Nous voyons dans ses propos l’expression d’une ambivalence : les individus sur les « Chats » seraient à la fois plus sincères et aussi idéalisés par projection. Nous pouvons supposer que Myriam associe son propre désir « de créer quelque chose » comme étant celui de l’Autre. Elle est sincère donc les autres doivent l’être également. 5.1.2.4 S’exprimer librement Nina considère que dans un monde non virtuel, le regard de l’Autre freinerait la sincérité alors que sur Internet, les individus auraient le pouvoir de s’exprimer en toute liberté. 5.1.2.5 Abstraction du corps Un autre facteur semble contribuer à cette impression de sincérité : l’absence du corps. Selon Shina, il s’agit d’éviter les regards de soi et de l’Autre, portés sur le corps. Fée Clochette sous-entend que la présence du corps biaise la relation. Elle nous disait auparavant que le physique n’a pas d’importance, que seul l’esprit est synonyme de pureté de soi. Nous supposons que la sincérité serait associée à l’abstraction du corps au profit de l’expression de la personnalité. 38 5.1.3 Le corps 5.1.3.1 Le corps de Soi 5.1.3.1.1 Se cacher Selon M.Pagès-Delon : « Toute situation de séduction donne à voir un jeu de l’apparence corporelle aussi bien dans la préparation de la présentation physique de soi (et les rituels qu’elle implique) que dans les multiples attitudes mettant en jeu gestes, postures et mimiques au cours de la situation elle-même »59. Cependant, lorsque ces femmes séduisent, elles sont dissimulées derrière leurs écrans d’ordinateur. Elles cachent ce corps car il traduirait l’expression de leurs pensées, pensées qui peuvent être jugées et interprétées. En face à face, le partenaire peut interpréter la parole d’une femme comme étant de la séduction, il se fie également aux signaux corporels qu’elle lui envoie. La parole et l’attitude corporelle sont mis en adéquation et permettent ainsi au partenaire d’adapter ses propres réactions en fonction de l’autre. Fée Clochette semble penser que l’expression de son corps ne l’aide pas à séduire mais provoquerait une mauvaise interprétation d’elle-même. Elle serait perçue par le partenaire à son désavantage. Le regard de l’Autre dérange aussi Myriam car elle se dit être une femme très complexée. Nous pouvons supposer que l’absence physique de leurs corps leur permettrait d’avoir un certain contrôle sur la relation car elles ne pourraient soumettre qu’une partie d’elles-mêmes au regard de l’Autre, une partie qu’elles sentent pouvoir être acceptées par le partenaire. En d’autres termes, elles considèrent qu’elles ne peuvent plaire qu’à la condition que ce corps soit caché. 5.1.3.1.2 Etre à l’aise L’utilisation d’Internet pour communiquer avec autrui préserve l’anonymat des individus et protège du regard de l’Autre, qui peut éventuellement être perçu comme persécuteur. Prenons l’exemple de Finalia qui a stipulé être plus à l’aise pour séduire en restant derrière cet écran car elle peut « se cacher » en tant qu’individu (ou objet total), et aussi faire abstraction de son corps en le dissimulant. Elle nous précisera plus tard qu’elle préfère qu’il ne soit pas du tout évoqué dans le cadre de ses relations virtuelles. 59 PAGES-DELON, M. Le corps et ses apparences. Paris, L’Harmattan, 1989. 39 5.1.3.1.3 Une barrière au dévoilement de soi Ces femmes préfèrent cacher leurs corps car elles ont peur du regard scrutateur du partenaire. Mais il représente aussi une contrainte au dévoilement de soi. Comme nous l’avons vu précédemment, Fée clochette considère que les relations sur Internet sont « sincères », et authentiques, grâce à l’invisibilité des corps. Elle qualifie ces relations de « plus profondes » car elle leur associe une forme d’authenticité émanant de l’intérieur de l’être. Le corps en tant qu’enveloppe contenante de cette authenticité ferait, par conséquent, barrière au dévoilement de soi. Fée Clochette se sent libérée de ce corps qui l’encombre lorsqu’elle discute avec des hommes sur les « Chats ». En ce qui concerne Angelle, le corps biaise le regard de l’Autre parce qu’il n’est que l’enveloppe de soi. Son corps serait un mauvais reflet de ce qu’elle est réellement. Nous pouvons supposer qu’elle faisait référence à la pression sociale c’est à dire « être comme il faut » et avoir une apparence correcte et recevable par l’Autre. En d’autres termes, nous pouvons entendre que l’image du corps exposé au regard de l’Autre dans la vie « réelle », l’empêcherait de se dévoiler car elle ressentirait une trop grande pression surmoïque. 5.1.3.1.4 Une barrière à ne pas franchir Angelle considère qu’il est plus facile de trouver un partenaire idéal sur Internet car elle ne serait pas choisie pour son apparence physique par les hommes, et elle pense que cela augmente ses chances de trouver le partenaire idéal. Angelle avance avoir la possibilité de séduire « pleins » d’hommes mais elle pourrait surtout trouver davantage de miroirs masculins à travers lesquels se regarder pour répondre à son idéal du moi. Ce qui expliquerait pourquoi elle introduit un doute concernant la nature de ses sentiments alors que le corps est nié. Si cet homme n’est qu’un miroir, il est considéré comme faisant partie de soi alors que l’amour sous-entend de le considérer à un moment donné comme étant un « Autre ». La construction d’une relation amoureuse entre deux partenaires signifie alors : appréhender autrui dans son intégrité, en tant qu’un objet total après le dépassement de l’étape de la « Lune de miel » dont fait référence J-G.Lemaire dans son ouvrage Le couple : sa vie, sa mort 60. C’est un dépassement caractérisé par une diminution de l’idéalisation du partenaire. Pour Angelle, l’absence de l’image du corps ne favoriserait pas un amour authentique. A notre sens, ce corps nié constitue un refus d’appréhender l’Autre dans son intégrité. Et par conséquent, il ne faciliterait pas un accès à l’ambivalence, et une construction de la relation amoureuse. Pour Finalia, l’expression de son corps est une 60 LEMAIRE, J.G. (1979). Le couple : sa vie, sa mort. Paris, Payot, 2000. 40 barrière à la relation car elle a l’impression que les hommes ont tendances à s’arrêter sur son apparence. Elle nous a dit qu’elle « n’accorde pas d’importance » à l’apparence physique, cependant cela semble en effet la préoccuper : elle précise qu’elle « aime surtout les intellectuels », qu’elle « rejette » l’image des corps en général, et en particulier celle de son corps parce qu’il représente sa féminité. Finalia apprécie les « intellectuels », car justement ils lui renverraient l’image d’une femme « intelligente ». Elle nous dira par la suite qu’elle a rencontré un homme et que leur relation s’est arrêtée brusquement après leur rencontre. Elle s’est montrée assez défensive et hésitante à en parler. L’aspect sexuel du corps semble l’angoisser. Shina n’apprécie pas non plus les hommes qui s’intéressent uniquement à son physique. Le regard de l’Autre imprégné du désir semble elle aussi l’angoisser. Il provoquerait un décalage par rapport à ce qu’elle attend de cet Autre. Cet homme qui regarde ce corps est considéré comme un objet désirant ou désireux de la toucher alors que peut-être elle souhaiterait trouver en ce partenaire un simple miroir. Le regard de l’Autre porté sur leur corps est vécu comme angoissant et effractant, et par conséquent « le corps de soi » constitue une barrière à ne pas franchir si ces hommes souhaitent préserver leurs relations avec ces femmes. Cela nous fait penser au mythe de Narcisse. Lorsque la Nymphe tente de s’approcher de l’objet de son désir, Narcisse s’enfuit et lui dit : « Bas les mains, pas d’étreinte ! Je mourrai avant que tu n’uses de moi à ton gré ! »61. Le rapproché symboliserait la mort ? 5.1.3.2 Le corps de l’Autre 5.1.3.2.1 Imaginer ce corps Ces femmes préfèrent cacher leur corps, et s’appliquent à le protéger en maintenant une certaine distance. Certaines prétendent accorder rarement de l’importance à l’apparence physique, mais apparemment elles font référence à leurs propres corps car elles apprécient « imaginer » ou « fantasmer » le corps du partenaire. Notre question : « Pensez-vous que de ne pas voir le partenaire en face à face favorise l’imaginaire, le fantasme ? » a suscité des réactions différentes chez ces femmes. Nous avons volontairement utilisé les mots « imaginaire » et « fantasme ». Nous considérons que la fantasmatisation est une activité mentale dont le moteur est le désir, désir non satisfait dans la réalité, qui peut se réaliser sur un plan imaginaire. Cependant, nous souhaitions différencier clairement ces deux termes afin d’observer la place du désir chez ces femmes. L’imaginaire faisant référence à la 61 OVIDE. Narcisse & Echo. In Les Métamorphoses. Livre III. Trad. J.Chamonard. Paris, Flammarion, 1997. 41 construction d’une image parfaite de l’Autre et le fantasme renvoyant à la notion de désir pour l’Autre. Prenons l’exemple de Fée Clochette, elle semble n’avoir retenu que le mot « imaginaire » car elle nous a dit qu’elle imagine toujours les hommes romantiques comme étant des individus « magnifiques et intelligents ». L’accent est porté ici sur l’idéalisation du partenaire et elle nous précise que les mots favorisent une interprétation positive. Elle projette sur l’Autre l’image d’une « personnalité » idéale. Mais elle accorde également l’image d’un corps parfait, au partenaire romantique. Fée Clochette interpréterait donc les paroles des hommes pour leur attribuer un corps « parfait » ou un corps « hideux ». En ce qui concerne Shina, elle nous a confié qu’elle se méfiait des « propos pervers » sur les « Chats » car elle considère qu’il ne reflète pas une forme de séduction. Nous faisons l’hypothèse que l’homme qui parle ouvertement de sexualité est considéré comme un mauvais objet. Elle nous précisera plus tard que l’ordinateur ne favorise pas le fantasme car elle pense que cet outil ôte toute connotation sexuelle à la relation. Shina ne souhaite pas « entendre » de propos sexuel de la part des hommes et elle nous précise qu’elle n’en parle pas non plus. L’utilisation de l’ordinateur comme intermédiaire dans ses relations, diminuerait l’excitation pulsionnelle et c’est ce qu’elle semble rechercher. Nina note une nette différenciation entre « l’imaginaire » et « le fantasme ». Elle nous a donc répondu qu’elle appréciait l’aspect onirique et « magique » des relations virtuelles et qu’elle « ne fantasmait pas » car elle ne s’intéresserait pas au corps du partenaire. Par ailleurs, elle s’est montrée assez défensive à ce sujet. Le partenaire serait ainsi appréhendé en tant qu’objet idéal « non sexué ». L’aspect sexuel de la relation étant réprimé, elle serait plutôt intéressée par l’aspect attrayant du rêve diurne et elle précise d’ailleurs qu’il y aurait une forme de danger à rester dans ce rêve. Le désir ici ne correspondrait pas à un désir sexuel pour l’Autre mais au plaisir de retrouver l’objet idéal supposé perdu. En restant dans ce rêve cet objet resterait irréel, d’où son caractère dangereux. Nous supposons que le maintient du rêve diurne serait une défense contre une angoisse de perte d’objet. Finalia stipule qu’elle apprécie imaginer le partenaire et qu’elle interprète les propos de son interlocuteur « à son avantage ». Mais à l’avantage de qui ? Nous supposons qu’il s’agit pour elle d’avantager l’Autre par la projection d’une image idéale, mais aussi d’imaginer l’Autre à son propre avantage en introjectant ensuite cette image idéalisée. Angelle a mentionné son plaisir à inventer un corps à son partenaire et ainsi à l’imaginer comme un être dénué d’imperfection. Nous pouvons faire référence ici au mécanisme de la projection qui s’opère pour modeler le corps du partenaire. Ce qui est projeté sur l’Autre est une image idéale qui est ensuite introjectée. A ce propos, Myriam nous a parlé d’une forme d’excitation ressentie et liée à cette démarche. Le retour sur soi de la libido provoquerait une excitation, qui est clairement énoncée par ces femmes. 42 5.1.3.2.2 Valoriser l’esprit de l’Autre Le sujet féminin favoriserait la personnalité du partenaire au détriment de la prise en considération de son corps. Prenons l’exemple d’Angelle qui nous a expliqué précédemment qu’elle préfère imaginer un corps parfait. Cependant elle trouve tout de même étrange de « s’attacher » à son partenaire et de valoriser son esprit alors qu’elle ne prend pas en compte son corps réel. Elle introduit ainsi un doute concernant le caractère « sain » de ses relations car elle accorde davantage d’importance au corps virtuel de l’homme. Shina nous a précisé qu’elle ne s’intéresse pas au physique des hommes et c’est pour cette raison qu’elle n’appréhende pas la rencontre en face à face. Elle se dit prête à rencontrer tous types d’hommes. De plus, nous avons vu précédemment qu’elle considère qu’Internet ne favorise pas « le fantasme ». Nous supposons alors qu’imaginer le corps de l’Autre donnerait un caractère sexuel à la relation, thème qu’elle ne souhaiterait pas aborder. Elle n’y « prêterait plus attention » car cette représentation l’angoisserait. En ce qui concerne Fée Clochette, l’amour implique une notion d’idéalisation et le partenaire est considéré comme un objet idéal sans corps. Le corps est nié bien qu’elle précise lui accorder de l’importance. Elle préfère en faire abstraction et favoriser le côté « spirituel » du partenaire. 5.1.3.2.3 Valoriser son propre esprit Angelle nous a parlé de son plaisir à « deviner » le corps de ses interlocuteurs masculins et elle nous a confié ensuite qu’elle ne souhaite pas qu’ils lui fournissent une description physique. Elle préfère imaginer le corps de l’Autre plutôt que de l’accepter sur le plan de la réalité mais il semblerait qu’elle ait cette préférence dans un but défensif. En effet, elle ne peut pas accepter qu’un homme lui demande une description physique. C’est son propre corps qu’elle rejetterait, et par conséquent, ne pourrait pas concevoir le corps de l’Autre. Angelle valoriserait alors l’esprit du partenaire pour que celui-ci valorise le sien et ne prenne pas en considération son corps. 5.1.3.2.4 Abstraction partielle du corps Nina nous a expliqué à plusieurs reprises que le physique ne l’intéresserait pas, qu’elle « ne le fantasmait pas ». Cependant, lors d’une rencontre en face à face, elle le prend tout de suite en considération. Apparemment, si celui-ci ne correspond pas à ce qu’elle avait imaginé, elle considère que c’est le partenaire qui aurait joué « un rôle » lors de leurs échanges sur le « Chat ». L’abstraction du corps de l’Autre serait partielle car ce corps ne serait plus nié lors de la rencontre en face à face. 43 5.1.3.3 Les corps Sur les « Chats », ces femmes accordent une priorité à l’expression de soi, en faisant abstraction de leurs propres corps et du corps des autres. 5.1.3.3.1 Rejet des apparences Le fait d’être caché semble constituer un des aspects positifs de la relation, mais plus spécifiquement, il est un élément important lors de la séduction. Shina confirme cet aspect particulier de la relation à l’autre sur les « Chats » en nous disant qu’elle souhaiterait plutôt être désirée pour son caractère que pour son corps. Par conséquent, le corps de l’Autre est aussi nié pour marquer un certain équilibre. Pour Fée Clochette, la connaissance de l’Autre et le dévoilement de soi aux autres lui parait plus facile en l’absence de ces corps. L’ordinateur poserait ainsi une distance entre soi et l’Autre, et édifierait une barrière protectrice contre une proximité angoissante. Tout comme aurait dit Narcisse en se parlant à lui-même : « ce que je puis toucher, qu’il me soit permis d’en repaître mes yeux, et d’en nourrir ma misérable folie ! »62. 5.1.3.3.2 Rencontre entre deux âmes La relation à l’Autre est idéalisée mais également mythifiée : « c’est une rencontre entre deux âmes. » nous a confié Nina. La relation virtuelle nécessiterait l’abstraction des corps. Elle serait idéalisée car ces femmes ont l’impression que la séduction est plus « authentique » et plus « sincère » car dénuée de l’aspect sexuel du corps. Les individus deviennent ainsi des entités, des « âmes », des miroirs reflétant des images parfaites qui alimenteraient leur idéal du Moi. Si nous nous référons à Narcisse, « que voit-il donc ? Il l’ignore ; mais ce qu’il voit l’embrase et la même erreur qui abuse ses yeux excite leur convoitise. »63 62 63 OVIDE. Narcisse & Echo. In Les métamorphoses. Livre III. Trad. J.Chamonard. Paris, Flammarion, 1997. Ibid. 44 5.2 Je est-il un autre ? 5.2.1 Limite entre Soi et l’Autre 5.2.1.1 L’absence des corps Ces « Chatteuses » semblent penser que l’absence de l’image du corps freine le désir de l’Autre et pose ainsi une distance. Shina et Fée Clochette nous ont dévoilé à ce propos que l’absence de l’image du corps marque une distance tout en facilitant la mise en place du lien entre soi et l’Autre. 5.2.1.2 Proximité relative Les liens paraissent s’établir plus rapidement sur les « Chats » car ces femmes se sentiraient plus à l’aise pour s’exprimer en étant dissimulées derrière leurs écrans, dans un monde virtuel. Cependant cette impression de proximité est relative. Nous supposons que les « Chatteuses » souhaitent recréer virtuellement le « Lien » correspondant à celui du nourrisson avec la mère, alors qu’elles seraient en même temps effrayées par une trop grande proximité. Myriam stipule qu’elle souhaite juste maintenir un lien sans de confrontation en face à face, ni avec la réalité de l’Autre. Nous faisons l’hypothèse que ce lien peut être rompu aussi vite qu’il a été créé sans nécessaire justification car elle précise que « les engagements ne sont pas les mêmes » que dans le monde non virtuel. 5.2.1.3 Se toucher à distance Certaines « Chatteuses » abolissent la distance en simulant la proximité. Prenons l’exemple de Nina qui échange des baisers virtuels avec ses partenaires. Nous pouvons nous demander si ces baisers ne sont pas justement appréciables parce qu’ils sont envoyés de « loin ». 5.2.1.4 Distance et proximité Cette mise à distance n’est pas toujours efficace pour faire face à cette angoisse de proximité. Angelle nous a expliqué qu’elle a l’impression qu’elle se serait trop dévoilée à son 45 partenaire alors qu’il n’est qu’un homme virtuel, un homme qu’elle n’a jamais vu, et plus encore, un « inconnu » qui la connaît mieux qu’elle ne le connaît. Elle éprouverait donc un sentiment d’intrusion alors que cet homme lui plaît, ce qui empêcherait une éventuelle rencontre en face à face. 5.2.1.5 Distance et frustration Shina a le sentiment qu’elle s’attache systématiquement à des hommes qui habitent « trop loin ». Elle fait référence au « hasard » alors qu’elle nous a dit précédemment que le principal aspect positif de la séduction sur Internet serait la mise à distance pour éviter « l’attirance physique ». Cette notion de « hasard » tel qu’il nous est présenté, sous-entend davantage une triste destinée ou un mauvais sort prononcé à son égard. Comme Narcisse qui fut victime du mauvais sort jeté par la déesse de Rhammonte pour avoir dédaigné les nymphes qui ont tenté de le toucher : « qu’il aime donc de même à son tour et de même ne puisse posséder l’objet de son amour » 64 . Nina nous a expliqué qu’elle favorisait cette distance en faisant abstraction de son corps et du corps de l’Autre de telle sorte que la rencontre ne se fasse qu’entre « deux personnalités, deux âmes ». Cependant elle exprime une certaine souffrance par rapport à cette distance. Cette mise à distance (par l’utilisation de l’ordinateur comme barrière protectrice) et en même temps la tentative d’abolition de celle-ci, mettent en évidence le caractère ambivalent et masochiste de cette relation virtuelle. Cette relation constituerait alors « Un plaisir pour le moins ambivalent et protéiforme puisqu’il combine le plaisir des retrouvailles à celui, sadique, du rejet, de l’expulsion, à un plaisir encore plus ultime, masochiste qui répète dans la tristesse un départ redouté »65 (P.Attigui, 2001). 5.2.2 Etre un Autre Selon C-G.Jung : «L'individuation n'a d'autre but que de libérer le Soi, d'une part des fausses enveloppes de la persona, et d'autre part de la force suggestive des images inconscientes»66. L’utilisation d’Internet permettrait de se constituer un autre Soi, ou plutôt un Soi davantage en adéquation avec son idéal du moi. 64 OVIDE. Narcisse & Echo. in Les Métamorphoses. Livre III. Trad. J.Chamonard. Paris, Flammarion, 1997. ATTIGUI, P. (2001). Le sexuel.com ? Une activation technologique du fantasme. Intervention au congrès « La présence de l’absence » du LASI. 66 JUNG, C-G. Dialectique du moi et de l’inconscient. Paris, Gallimard, 1964. 65 46 5.2.2.1 Etre anonyme Pour Angelle, le pseudonyme l’aide à être plus à l’aise pour dialoguer et elle pourrait également choisir d’échanger avec « qui » elle le souhaite et « quand » elle le souhaite sans avoir à se justifier et sans éprouver de culpabilité. En ce qui concerne Finalia, elle apprécie de pouvoir cacher son corps, mais aussi de se rendre moins « apparente » afin d’éviter le regard de l’Autre, qu’elle ressentirait comme trop intrusif et pesant. Pour Fée Clochette, l’anonymat favoriserait la diminution de pressions surmoïques. Quant à Nina, elle a mentionné clairement sa peur du regard de l’Autre. Nous supposons alors, que l’anonymat constitue pour ces femmes un plaisir d’être invisible au regard, ou plus particulièrement au jugement de l’Autre. 5.2.2.2 Etre caché pour mieux se dévoiler Nina nous a expliqué qu’elle aime séduire sur Internet car elle ose davantage se dévoiler aux autres. Elle ne se qualifie pas comme quelqu’un de timide mais elle pense que d’être derrière un écran représente un certain avantage pour devenir quelqu’un de plus communicatif : « Le cyberespace permet à ces personnes de se libérer d’une existence où leur identité est réduite et assaillie par un monde qui les limites et les menace… »67. (M.Civin, 2002) 5.2.2.3 Pouvoir dire ce que l’on veut Finalia a sous-entendu que dans une relation en face à face, elle ne pourrait pas séduire de la même manière que dans un espace virtuel car elle ne pourrait plus utiliser ses qualités de narratrice ni « jongler avec les mots ». Elle a fait mention à ce moment-là de l’apparence physique du partenaire, qu’elle préfère imaginer. Nous supposons alors qu’elle se sent capable de séduire avec des mots écrits mais pas avec son corps, et sans prendre en compte le corps du partenaire. Myriam nous a précisé qu’elle s’exprime différemment suivant les jours et que cet espace virtuel lui servirait « d’exutoire », ce qui signifie précisément « se débarrasser de ce qui gène ». Lorsqu’elle nous a dit cela, elle paraissait très angoissée. Cet état d’excitation s’est manifesté par une logorrhée : son débit de parole était excessif. Il en est de même sur Internet : les mots écrits seraient comme déversés, expulsés hors d’ellemême, comme si elle se sentait débordée par une trop forte excitation. 67 CIVIN, M. (2000). Psychanalyse du Net. Paris, Hachette littérature, 2002. 47 5.2.2.4 Etre accessible Lorsque nous avons demandé à Shina si c’était plus facile pour elle de séduire par le biais d’Internet, elle nous a répondu que cela le serait plutôt pour les autres. Elle nous parle des autres alors que nous ne lui demandions pas un avis « objectif ». « Est-ce plus facile pour vous… » a été transformé en : «Est-ce plus facile pour les individus en général… ». Nous souhaitons préciser que cette question avait quand même un caractère plus « subjectif » que les précédentes. Quoi qu’il en soit, elle a apparemment suscité un malaise : nous voyons en ses propos, une manière détournée et défensive de parler d’elle-même. Par conséquent, nous nous demandons si elle n’a pas honte de nous « avouer » qu’elle choisit une solution de facilité pour séduire des hommes. Elle a précisé ensuite qu’elle se méfiait des « intentions des hommes ». Elle éprouverait donc moins de méfiance à l’égard des hommes sur le « Chat » car elle se sentirait moins persécutée, et moins harcelée pour son corps. Nous avons noté d’autre part que pendant tout l’entretien, Shina est restée assez précautionneuse dans ses réponses, et semblait avoir peur d’un éventuel jugement. 5.2.2.5 Etre quelqu’un d’autre Le changement d’identité constitue un autre aspect attrayant de la séduction en ligne. En effet, certains « Chatteurs » changent même leur identité sexuelle : une femme peut se faire passer pour un homme pour éviter d’être trop convoitée. Il lui est possible de faire apparaître son pseudonyme d’une couleur masculine (le bleu, par exemple), ou éventuellement d’une couleur neutre (gris) si elle ne souhaite pas affirmer son identité sexuelle. Mais dans le cadre de notre recherche, nous ne développerons pas ce thème du changement de l’identité sexuelle. Les femmes que nous avons interviewées n’utilisent pas ce stratagème, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles apprécient d’être convoitées ou désirées. Bien au contraire, nous supposons qu’elles sont assez angoissées par l’expression du désir de l’Autre et espèrent plutôt trouver ce « Prince Charmant » ou ce « cyber-miroir » masculin qui leur renverrait une image positive d’elle-même et qui répondrait alors à leur idéal du moi. Une femme peut prendre plaisir à se faire passer pour une autre (ou pour quelqu’un d’autre) par plaisanterie, mais aussi dans le but de sonder ou d’espionner, ou dans les plus extrêmes des cas, de se venger d’un individu perçu comme un mauvais objet. Shina nous a raconté à ce propos qu’une de ses amies de « Chat » a déjà utilisé son pseudonyme dans cette optique. Elle précise qu’elle est prête à se «venger » si la rencontre est décevante. Cependant, Shina ne semble pas pouvoir assumer cette responsabilité et accepter ses 48 pulsions agressives. Elle s’en protégerait donc en utilisant un objet tiers, son amie de « Chat ». Elle pourrait alors avoir l’impression d’un certain contrôle sur cet homme devenu un mauvais objet, et éprouverait un sentiment de toute puissance par identification à cet objet tiers qui prend sa place le temps d’une soirée, sans ressentir le poids de la culpabilité. En ce qui concerne Angelle, elle a exprimé le fait qu’elle devient une femme « extravertie » sur Internet. Elle a employé le terme de « réalité » pour désigner la vie en dehors du « Chat », ce qui nous laisse supposer qu’il s’agit ici de prendre une autre identité, de devenir quelqu’un d’autre. Cependant, elle semble avoir peur d’être jugé par rapport à cette identité qu’elle incarne. Elle considère que ce n’est pas un « jeu » et elle n’a pas l’impression de « jouer un rôle », ce qui expliquerait pourquoi elle précise qu’elle est « sincère », honnête. 5.2.2.6 Etre merveilleuse Finalia a qualifié son identité de « fragile » dans un monde non virtuel. Dans une tentative de résolution de ce malaise existentiel, elle prendrait alors l’identité d’un être parfait, et plus précisément elle incarnerait l’apparence d’une femme dénuée d’imperfection, d’une femme davantage en accord avec son idéal du moi. 5.2.2.7 Etre Séductrice sans en avoir l’air Par rapport à l’usage traditionnel, le rôle de la séduction reviendrait à l’homme. Une femme trop entreprenante ou séductrice pourrait être mal perçue : «On n'accorde en général à la femme bien élevée qu'un minimum de besoins érotiques »68. (Freud, 1908) Nous voyons à ce sujet que Fée Clochette souhaite préserver cette image de la femme. De plus, en réponse à notre question : « séduisez-vous sur les Chats ? », elle prétend que même sur Internet, elle se « laisse séduire » mais ne séduit pas. Nous avons pris en compte cette affirmation, cependant elle nous a dit ensuite qu’elle ne reste pas forcément en position d’attente et de passivité vis-à-vis de l’homme. Par conséquent, certaines femmes peuvent ainsi recourir à leurs qualités de séductrice « sans en avoir l’air ». Nous notons une fois de plus, l’importance pour ces « Chatteuses » du regard de l’Autre. 68 FREUD, S. (1908). La création littéraire et le rêve éveillé. In Essais de psychanalyse appliquée. Paris, Gallimard, 1971. 49 5.2.2.8 Etre libre mais dans l’incertitude Ces femmes se sentent plus libres pour s’exprimer en étant sur le « Chat ». Cependant cette liberté représente un inconvénient : si un individu se sent plus libre de ses réactions et de ses paroles, ceci est valable pour tous les autres. Par exemple, Myriam nous a dit qu’elle ne souhaite pas construire une relation sur le plan de la réalité avec des hommes rencontrés sur Internet. Elle pense qu’elle ne peut pas accorder toute sa confiance à un homme qui apprécie, tout comme elle, de se cacher derrière un écran. 5.3 Relation idéale et partenaire idéal Dans la partie théorique, nous faisions l’hypothèse que sur les « Chats », les individus seraient clivés en de « bons » ou de « mauvais » objets. Par conséquent, dans cette partie théorico-clinique, Il nous semble important d’expliquer, d’abord ce que représente un mauvais objet pour ces femmes, avant d’aborder le thème de l’idéalisation du partenaire. 5.3.1 Le mauvais objet c’est celui qui… 5.3.1.1 … pose trop de questions D’après nos observations, les hommes sur les « Chats » posent des questions assez « directes » aux femmes qui les intéressent. Ils les questionnent sur leur apparence physique, leur âge, leur profession, leur provenance géographique etc… Certains savent que ces questions peuvent rendre mal à l’aise ces femmes en quête d’hommes « originaux » et « romantiques ». Mais d’autres réagissent différemment pour des raisons que nous n’expliquerons pas dans le cadre de cette recherche. A ce sujet, Fée Clochette nous a dit qu’elle se méfiait des hommes qui souhaitent faire sa connaissance trop rapidement. Nous en déduisons que le respect qu’elle engage doit être réciproque. 5.3.1.2 … joue un rôle Il subsiste une certaine méfiance chez ces « Chatteuses » que nous pourrions trouver paradoxale. En effet, les relations seraient plus « vraies » au sens « plus authentiques et plus sincères » qu’elles donnent à cet adjectif, mais nous avons vu précédemment qu’Internet permettait à certaines femmes d’exprimer un autre Soi. Par conséquent, cet autre 50 Soi entrerait-il en contradiction avec le fait d’être « vrai » ? Fée Clochette nous a précisé que certains hommes incarneraient des personnages qui ne leur correspondent pas. Nous pouvons nous demander comment elle peut avoir la certitude que son interlocuteur n’est pas « authentique » et décider de ce fait de condamner rapidement une conversation. Elle a également stipulé que cela représentait un aspect négatif de la séduction en ligne. Nous considérons tout d’abord qu’elle n’a aucun moyen d’affirmer qu’un individu se montre différent sur Internet, ou qu’il lui ment, sans une éventuelle confrontation dans la réalité. De plus, nous notons, que le mensonge est ici associé à la théâtralisation de soi alors que lors de l’entretien, elle nous a précisé d’une part l’importance du facteur imaginaire dans la relation virtuelle, et d’autre part qu’elle pouvait « être une femme libre » et séduire tout en restant une femme « convenable ». Nous supposons alors, qu’a elle seule reviendrait le droit et le pouvoir de juger autrui, et plus précisément de juger un homme en terme de « bon » ou de « mauvais » objet. 5.3.1.3 … veut rencontrer trop vite Nous pensons que certaines « Chatteuses » appréhendent la rencontre en face à face. Et par conséquent, tout homme qui d’emblée ou expressément demande à une femme de la rencontrer est souvent mal perçu. Myriam nous a dit à ce propos que certains hommes sont « trop pressés de savoir s’il y a une rencontre possible ». En d’autres termes, la virtualité de l’espace d’échange ne serait pas un motif d’excès de liberté et d’abus. Les habitués des « Chats » considèrent qu’un certain nombre de règles de savoir-vivre doivent être respectées. En ce qui concerne la séduction, certaines femmes semblent très exigeantes quant à la manière dont elles sont considérées. Nous supposons qu’une demande rapide de rencontre leur donne l’impression qu’elles seraient considérées comme de simples objets de désir. Le plaisir d’échanger serait pour elles plus concevable que le désir de l’autre. 5.3.1.4 … suscite de la méfiance. Malgré cette apparence d’authenticité et de sincérité, Fée Clochette nous a expliqué que certains hommes seraient des « pervers », sous-entendu des « obsédés sexuels », qui pourrait porter atteinte à sa « virginité » virtuelle. Nous pouvons nous demander de quelle manière ils sont dangereux alors qu’ils sont absents physiquement. Nous supposons alors que l’ordinateur en tant que barrière protectrice de soi perd son efficacité quand un homme 51 exprime un désir trop direct de rapprochement des corps. L’approche virtuelle serait ainsi vécue comme une effraction de soi. 5.3.1.5 … n’est pas sérieux Un homme « faux » serait un homme qui recherche une relation sexuelle sans l’exprimer clairement. Finalia nous a dit à ce propos qu’elle regrette que trop d’hommes sur Internet n’attendent que d’obtenir d’une femme une réponse à un désir sexuel, ce qui entraîne chez elle une certaine méfiance. Fée Clochette considère aussi comme une forme de trahison une demande implicite de rapport sexuel. Cette demande serait alors perçue comme un souhait détourné de lui faire du mal. 5.3.1.6 … parle du corps Nous avons vu auparavant que l’évocation du corps serait un sujet tabou. Par conséquent, un homme qui demande à une femme des informations concernant son physique est jugé comme un « mauvais objet ». Bien souvent, un inconnu qui fait mention des dimensions des différentes parties de l’anatomie féminine, n’est pas très apprécié. Il en est de même lorsque cette demande est faite sur le « Chat », comme Angelle nous l’a précisé. Par ailleurs, une simple demande de description physique adressée à une femme peut entraîner une réaction négative ou une rupture de la relation. La description physique serait perçue comme associée à un désir du corps, et non à un vœu de l’homme de faire plus ample connaissance afin de considérer cette femme dans son intégrité, c’est à dire en tant qu’objet total. Nous supposons que pour Fée Clochette cette demande est très effractante car elle a employé le terme « d’agression ». Myriam nous a dit qu’elle ressent cette demande comme une « intrusion », et puis elle nous a parlé de précaution sans préciser qui doit se protéger. L’emploi de ces termes : « Il faut prendre un minimum de précaution… » revêtirait ici un double sens. Elle signifierait d’une part qu’elle doit se protéger elle, des agressions sexuelles virtuelles en posant une distance ou en ne poursuivant pas la discussion. Et d’autre part, que l’homme lui aussi doit « prendre ses précautions » pour la protéger elle de la « pénétration » et prendre son temps car nous dit-elle « il y a une manière d’entrer en… ». 52 5.3.1.7 … parle de sexualité La séduction n’impliquerait pas forcément un lien avec le sexuel. Nina a expliqué qu’un homme qui lui parle ouvertement de sexualité ne serait pas considéré comme un séducteur habile ni comme un homme séduisant. C’est un homme séduisant de par le fait qu’il séduise mais il n’est pas attrayant car il ne sait pas s’y prendre. Par conséquent, il perd toute forme d’intérêt en même temps que son pouvoir de séduction. 5.3.1.8 … est vulgaire Pour Finalia vulgarité et sexualité vont de paire donc elle refuse toute discussion portant sur ce thème. Pour Angelle, la vulgarité marque un manque de respect. En ce qui concerne Nina un homme vulgaire serait un homme qui ne fait pas l’effort de séduire. Et pour Fée Clochette, la grossièreté ou l’impolitesse serait associée à la perversité. 5.3.1.9 … est considéré comme un pervers La sexualité exprimée par un homme serait vécue comme dévalorisante. Angelle a stipulé que les hommes qui en parlent sont uniquement présents sur les « Chats » pour « trouver de la chair » et considèrent les femmes comme des « prostituées ». Les termes « trouver de la chair » signifieraient qu’un homme qui séduit sur Internet dans le but d’avoir une relation sexuelle ne s’intéresse qu’à ce corps dont justement elle aimerait faire abstraction. Il ramènerait sur le plan de la « réalité » une chose qui est nié, ce qui provoque chez elle une vive agressivité. Les messages à connotation sexuelle sont placés dans le registre de la perversion, de l’anormalité. 5.3.1.10 Celui que l’on peut rejeter ou ignorer facilement Si cet homme virtuel revêt l’une ou plusieurs de ces caractéristiques, il suscite d’abords de la méfiance, puis il devient un « mauvais objet » à être expulsé hors de la relation, hors de soi. A ce sujet, Finalia nous a dit qu’elle peut « se débarrasser facilement » d’un homme qui lui déplaît. N’étant qu’un objet partiel, l’expulsion de celui-ci n’entraîne pas la culpabilité : « il disparaît aussi vite qu’il est apparu… c’est magique ». La réalité de cet homme serait également partielle car il n’est qu’une entité qui se volatilise comme par « magie » une fois 53 projeté hors de soi. Pour Myriam, elle peut à sa guise refuser la tentative d’un homme d’entrer en contact avec elle. Nous supposons d’après son hésitation à en parler, qu’elle n’ose pas prononcer le mot « sexuel » pour qualifier les propos de cet homme qui la dérangerait. Il représenterait une menace pour sa sécurité psychique. Dans ce genre de situation, soit elle accepterait ses pulsions agressives et rejetterait explicitement cet homme, soit elle ne peut les concevoir, et un clivage du Moi s’opérerait alors, « clivage en deux personnalités qui ne veulent rien savoir l’une de l’autre»69 (Ferenczi, 1932), et cet homme serait ainsi ignoré. 5.3.2 L’attrait pour l’homme virtuel 5.3.2.1 Avoir le choix La probabilité de trouver un homme idéal serait plus grande sur Internet selon Finalia. Elle paraît penser que trouver cet homme parfait n’est pas une tâche facile car de nombreux hommes fréquentent les « Chats ». Fée Clochette nous a dit à ce propos que c’est une quête active qui augmenterait ses chances de trouver cet homme merveilleux et, en même temps, elle sous-entend que l’absence des corps physiques rend la relation plus véridique. Ces deux femmes paraissent favoriser l’idée qu’il y aurait un lien entre la quantité d’hommes présents sur les « Chats » et la probabilité de trouver le « Prince Charmant ». 5.3.2.2 Attrait pour l’inconnu(e) Le virtuel donne l’illusion de possibles relations avec des objets totaux, mais cela ne signifie pas pour autant que certains Internautes n’en aient pas conscience. Parmi les femmes que nous avons interviewées, certaines précisent qu’elles favorisent les espaces virtuels car justement elles sont en relations avec des « objets partiels », qui doivent le rester. Elles éprouveraient de la complaisance à rester dans cette illusion. Par exemple, Myriam nous a expliqué qu’elle apprécie ne pas connaître le partenaire dans son intégrité : « cette part d’inconnue est excitante ». Nous supposons que c’est surtout le plaisir d’imaginer à sa convenance le partenaire privilégié qui est « excitant » car il s’agirait d’un retour de la libido sur le Moi. Elle nous a dit d’autre part qu’elle aime surtout « échanger avec des inconnus ». Par conséquent, la mise à distance des individus en général par l’utilisation de l’ordinateur 69 FERENCZI, S. (1932). Journal Clinique. Paris, Payot, 1985. 54 comme barrière protectrice favoriserait chez Myriam la diminution d’une tension intrapsychique qui serait trop importante. Nous voyons ici l’expression d’un paradoxe. En effet, que constitue l’avantage de cette relation virtuelle : l’afflux d’excitation ou sa diminution ? Nous supposons alors qu’il s’agirait en quelque sorte de trouver un juste équilibre. L’ordinateur jouerait un rôle de filtre pour cette excitation, dont le sujet à quand même besoin pour renforcer son Moi. 5.3.2.3 Séduire sans se toucher L’image du corps de l’homme virtuel n’aurait pas sa place dans la relation, ni celle de la femme. Si nous nous référons aux propos de Joyce Mac Dougall : « Une telle avidité orale fait du pénis, ou de l’homme tout entier, un objet persécutoire, et d’elle-même un objet également dangereux pour l’autre »70. Par conséquent, la question du toucher ne se pose pas. Pour Fée Clochette, le rapprocher se fait sans les corps. Il s’agit surtout du regard porté sur le corps qui est appréhendé. Ce n’est pas l’Autre qui excite, mais c’est l’image qu’il renvoie qui est stimulante pour le Moi. Elle se sentirait alors séduisante sur le plan du plaisir et non du désir, par un retournement de la libido sur le Moi. Angelle nous a précisé clairement qu’elle ne veut pas avoir de relations sexuelles avec un homme rencontré sur le « Chat ». Selon M.Klein : « L’envie est une manifestation sadique-orale des pulsions destructrices, elle intervient dès le commencement de la vie et elle a une base constitutionnelle»71. Angelle aurait un désir de possession, d’incorporation, plutôt qu’un désir de l’Autre. Ce qui expliquerait ce doute qu’elle exprime vis-à-vis de son désir : « peut-on vraiment aimer par simple échange de messages ? ». Elle s’interroge sur les sentiments qu’elle éprouve à l’égard de ce partenaire : serait-ce de l’amour ou autre chose ? 5.3.2.4 Séduire sans séduire Fée Clochette nous a précisé qu’une femme « bien élevée »72 (S.Freud, 1908) ne séduit pas. De plus, elle prétend qu’elle ne vient pas sur Internet pour rencontrer un homme mais pour établir des relations amicales. Elle sous-entend qu’elle ne séduit pas sur les « Chats » car ce n’est pas convenable pour une femme de le faire. Par conséquent, ses relations avec les 70 MC-DOUGALL, J. Plaidoyer pour une certaine anormalité. Paris, Gallimard, 1978. KLEIN, M. (1957). Envie et gratitude : et autres essais. Paris, Gallimard, 1968. 72 FREUD, S. (1908). La création littéraire et le rêve éveillé. In Essais de psychanalyse appliquée. Paris, Gallimard, 1968. 71 55 hommes resteraient platoniques, sur le versant du plaisir et non du désir. En ce qui concerne Angelle, elle nous fait part également de son impression de ne pas avoir spécifiquement de désir pour l’Autre. Cette relation serait idéalisée et considérée comme prioritaire, avant l’expression du corps ou de la sexualité. 5.3.2.5 Imaginer l’Autre Pour se donner l’illusion qu’elles entretiennent des relations avec des objets totaux, elles devront alors construire la partie manquante de cet objet. Prenons l’exemple de Shina : elle semble faire abstraction de l’image du corps des hommes et ôter ainsi toute expression de désir dans ses relations, comme nous l’avons vu précédemment. Nous supposons qu’elle a imaginé ce corps mais qu’elle préfère en éloigner la représentation. Finalia n’aime pas les hommes qui lui demandent de se décrire physiquement et, par conséquent, elle n’en fait pas la demande non plus. Cependant, et contrairement à Shina, elle nous précise qu’elle donne libre cours à son imagination pour modeler le corps de ces hommes. Elle fuirait toute expression de sexualité, mais elle leur façonne tout de même un corps. En ce qui concerne Fée Clochette, elle se fait une idée du corps et de la personnalité du partenaire masculin, mais elle anticipe également le déroulement de leur future rencontre. 5.3.2.6 Aimer imaginer Angelle nous a expliqué sa tendance à imaginer favorablement ses interlocuteurs. Par conséquent, les discussions seraient considérées également comme plus intéressantes. Nina tire avantage de son recours à l’imaginaire. Elle aime imaginer les hommes car elle pourrait ainsi leur attribuer une image idéale. Cette image idéale serait construite à partir de ses propres attentes, mais aussi à partir des mots de l’interlocuteur : « Internet c’est un peu le conte de fée, on espère rencontrer un ptit prince. » nous a précisé Fée Clochette. Elle a fait référence aux contes de fées alors nous sommes tentés de comparer ces mots lus sur l’écran à la lecture d’un conte sans image ou chacun fait appel à son imaginaire pour se représenter le Prince Charmant. Fée clochette utiliserait sa baguette magique virtuelle pour transformer en Prince Charmant cet homme romantique, cet homme tout droit sortit d’un roman virtuel. 56 5.3.2.7 Les qualités du partenaire virtuel Lorsqu’un individu se connecte à un « Chat », il peut alors choisir de prendre part aux conversations, de rester en qualité d’observateur, ou de s’entretenir en privé avec la personne de son choix. La séduction qui s’opère sur l’espace public reste assez discrète et les individus préfèrent se contacter sur les espaces privés pour faire plus ample connaissance. Lors du premier contact, un homme qui souhaite avoir une conversation privée avec une femme doit faire preuve d’une certaine habileté. Les femmes que nous avons interviewées ont des critères de sélection bien spécifiques pour choisir de répondre ou non à une demande de cet ordre. Myriam et Shina, par exemple, nous ont expliqué qu’elles sont attentives à la politesse et à la civilité. Cependant, l’emploi du verbe « respecter » semble sous-entendre qu’il s’agirait d’une demande implicite de prudence pour le caractère sacré de leur corps. En effet, elles nous ont parlé toutes les deux à ce moment-là de leur inquiétude à être considérées comme de simples objets de désir. Fée Clochette est également sensible à l’humour. Nous avons l’impression que l’humour est apprécié car son utilisation détournerait l’attention, et cette femme oublierait ainsi qu’elle suscite la convoitise. L’art de séduire «sans en avoir l’air » serait alors également exigible de l’homme. Ce qui attire l’attention de Finalia, c’est la façon dont un homme s’exprime. Elle nous a précisé qu’elle haït les hommes qui lui demandent une description physique. Par conséquent, elle aurait une préférence pour le langage de « l’esprit » pour mieux rejeter et compenser le langage du corps. En ce qui concerne Angelle, elle serait en quête d’un homme qui ne ressemble pas à ceux qu’elle a rencontré jusqu’à présent : un homme qui l’impressionne par sa façon de jouer avec les mots et qui l’emmène ainsi hors de la réalité, de sa réalité quotidienne. Quant à Nina, cet homme doit rapidement lui démontrer qu’il est quelqu’un de suffisamment pertinent pour deviner ce qu’elle attend d’un partenaire masculin de discussion. Un homme intelligent connaîtrait bien les femmes en générale et saurait comment il doit se montrer à elle. Cependant, le fait de « montrer sa personnalité » signifierait de devoir convaincre son interlocuteur ? Il ferait donc un effort supplémentaire pour se mettre en valeur au regard de cette femme, en supposant que cet effort ne soit peut-être pas si contraignant pour lui car cela représenterait l’avantage de valoriser son propre narcissisme en se montrant à une femme en tant qu’homme idéal. L’absence de son corps physique expliquerait pourquoi cet homme doit convaincre. Il lui démontrerait alors qu’il ne fait pas cette demande pour lui-même et en réponse à son propre désir, mais pour elle et en réponse à son plaisir à elle. 57 Lorsqu’un homme a franchit l’épreuve du passage en privé, il devient alors un individu masculin digne d’intérêt. Le maintient du lien dépendra ensuite d’autres critères. Par exemple, elles apprécient les hommes qui les détendent en faisant preuve d’humour. Nous pensons que c’est une bonne stratégie afin de diminuer les défenses mise en place pour lutter contre la représentation du caractère intrusif de la séduction. Shina nous a précisé que les qualités qu’elle recherche ne sont pas différentes de celles qu’elle apprécie habituellement : « Les mêmes que dans une vraie rencontre c'est-à-dire : l’humour, de la répartie et de l’imagination. ». Par l’emploi du terme « vraie », nous notons qu’elle sousentendrait que la rencontre virtuelle ne serait pas réelle alors qu’elle a prétendu à la fin de l’entretien qu’il n’y aurait pas de décalage entre virtualité et réalité. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement. Dans un deuxième temps, cet homme devra raconter ses activités et lui expliquer « qui il est » dans sa vie non virtuelle nous a dit Fée Clochette. En effet, si cet homme lui dévoile son intimité, elle serait davantage en confiance pour en faire de même. Ce qui est ensuite apprécié, c’est le romantisme nous a expliqué Angelle. Par définition, un homme romantique est un individu qui fait prévaloir l’imagination sur la réalité. Cependant, nous supposons qu’elle fait référence ici aux hommes qui expriment leurs sentiments et leur sensibilité à travers un langage qui évoque le poème ou le roman. Nina nous a précisé que l’originalité est également importante. Il semblerait qu’un homme original soit un individu qui fait figure d’exception, et l’originalité exprimée par les mots ferait de lui un individu extraordinaire. Pour Finalia, cette originalité transparaît essentiellement chez les hommes fervents de littérature. Le goût pour les mots ferait de cet homme un être hors du commun puisqu’il ne communique pas de « banalités » et, par analogie, un homme commun est sans intérêts pour elle. Elle a précisé par ailleurs qu’il devait « rayonner » et la faire « vibrer ». Cet homme est loin d’elle mais elle se sentirait très proche de lui car il arriverait tout de même à la toucher virtuellement par le biais de la projection de quelque chose de mystique émanant de lui-même. L’emploi du verbe « rayonner » nous fait penser aux rayons du soleil qui se reflètent dans le miroir et qui peuvent éblouir. Nous supposons alors que cet homme « mystique », tel un miroir renverrait quelque chose d’éblouissant qui serait de l’ordre du retournement de la libido sur le Moi du sujet, en provoquant une excitation, une « vibration ». Selon Myriam, Il devra faire preuve d’authenticité. Elle semble ne pas avoir de préférence pour des qualités particulières. Cependant, par rapport à ce qu’elle nous a dit ultérieurement elle aimerait surtout les hommes qui sont présent pour elle. Pour Nina, il devra insister sur les raisons pour lesquelles il s’intéresse à elle. Cette relation semble unilatérale car ce qui importerait pour elle serait le propos de l’autre et plus précisément ce qu’il lui renvoie pour la mettre en valeur. 58 5.3.3 Idéalisation du partenaire Précédemment nous avons expliqué pourquoi certains hommes sont considérés comme de « mauvais objets » à éviter et d’autres comme de « bons objets » dignes d’intérêt. Ensuite, nous avons précisé les qualités particulièrement appréciées chez les hommes considérés comme de bons objets. Nous allons maintenant stipuler comment un partenaire masculin est idéalisé afin d’en faire un « être merveilleux ». 5.3.3.1 Ne pas fantasmer Pour Shina, un homme parfait serait un être virtuel sans corps, mais aussi un homme réel dont l’apparence ne compte pas. Confrontée à la réalité du corps physique, elle prétend que l’apparence de son partenaire n’aurait pas d’importance. En d’autres termes, elle semble considérer que cet homme parfait existerait aussi dans la réalité. 5.3.3.2 Deviner l’Autre à travers les mots Finalia a stipulé qu’en lisant les mots écrits par l’interlocuteur, elle comprendrait seulement ce qu’elle souhaiterait entendre, comme si elle se trouvait dans un monde non virtuel. Par contre, Nina nous a expliqué qu’elle a déjà rencontré un homme qui l’avait déçue et, de ce fait, elle ne se méfierait pas de la part d’imaginaire de la relation virtuelle mais plutôt du partenaire en lui-même. C’est grâce aux paroles de cet homme qu’elle réussirait à déterminer s’il sera le même dans la réalité. Nina précise également qu’elle discute longuement avec un homme pour être sûre de son authenticité. Tout comme Narcisse, « pendant qu’il boit, séduit par l’image de sa beauté qu’il aperçoit, il s’éprend d’un reflet sans consistance, il prend pour un corps ce qui n’est qu’une ombre. » 73 . En ce qui concerne Myriam, elle aurait conscience de sa tendance à imaginer son interlocuteur, mais si elle converse pendant un certain temps sur Internet avant de le rencontrer, ce serait pour s’assurer qu’elle ne va pas se retrouver en face d’un homme qui pourrait l’agresser physiquement. 73 OVIDE. Narcisse & Echo. In les Métamorphoses. Livre III. Trad. J.Chamonard. Paris, Flammarion, 1997. 59 5.3.3.3 Apprendre à l’aimer Fée Clochette discute un certain laps de temps sur le « Chat » avec ses partenaires masculins pour s’assurer qu’ils ne s’intéressent pas en priorité à son corps. Nous supposons qu’elle « apprend » à ne plus s’en méfier, mais aussi qu’elle « apprend à aimer l’autre » comme elle voudrait qu’il soit. 5.3.3.4 Sentiments amplifiés Lorsque nous avons demandé à Finalia quels sont les aspects positifs de la séduction en ligne, elle a mentionné apprécier que les « Chatteurs » aient tendance à enjoliver leurs interlocutrices. En ce qui la concerne, elle se sentirait « belle, intéressante… » comme elle nous l’a dit ultérieurement. De plus, elle nous a précisé qu’elle aurait aussi cette tendance à embellir ses partenaires virtuels. Internet serait, selon ses dires, un lieu propice à l’idéalisation. 5.3.3.5 Le transformer en « Prince Charmant » Ces femmes construiraient la partie manquante de cet objet partiel et elles apprécieraient de lui attribuer toutes les perfections. A ce propos, Angelle nous a dit qu’elle préfère s’imaginer un homme « parfait ». A notre question : « pensez-vous qu’il est plus facile de trouver un partenaire idéal sur Internet ? » Myriam nous a répondu que les individus auraient plus de facilité à « créer » des liens mais nous supposons qu’il est plus facile pour elle de « créer » un personnage masculin dénué d’imperfection avec lequel elle pourrait avoir une relation idéale. Mais que représente pour Myriam une relation idéale ? Il semblerait qu’un homme devient un « Prince Charmant » s’il parle le même langage. Les mots utilisés seraient appréciés car ils resteraient du domaine de la tendresse et non du sexuel. Si nous nous référons à S.Ferenczi74 le langage de l’enfant serait celui de la tendresse alors que celui de l’adulte serait un langage de la passion. Nous supposons alors que Myriam rejetterait alors sur Internet tout sens érotique de ses relations avec les hommes afin de retrouver le plaisir de la relation précoce. 74 FERENCZI, S. (1933). Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, le langage de la tendresse et de la passion. In Œuvres Complètes. T4. Paris, Payot, 1982. 60 5.3.3.6 Relation avec le Prince Charmant 5.3.3.6.1 Rêve diurne Cette relation avec un partenaire privilégié sur Internet donne l’impression à ces femmes qu’elles se trouvent dans un rêve. Fée Clochette nous a raconté qu’elle discute actuellement avec un homme pour lequel elle éprouverait de l’amour : « C’est l’homme dont je rêvais depuis longtemps ». Le rêve représente ici l’espoir, l’accomplissement de ses désirs et plus particulièrement une réponse à son désir de rencontrer l’homme idéal. De plus, elle souhaite ne pas perdre cet homme tant espéré et serait sujette à l’insomnie. Le rêve nocturne apporte au désir une réalisation de type hallucinatoire, cependant il s’agit d’une réalisation incontrôlable par le sujet puisqu’il dort. Fée Clochette ne pourrait pas se laisser glisser dans le sommeil car elle chercherait à vivre de façon consciente la réalisation de ses désirs pour ne plus rester au niveau du fantasme. Le virtuel se situerait entre le rêve diurne et la réalité. Cet homme virtuel serait réel sans l’être tout à fait, étant le produit d’un rêve. Angelle éprouve également des difficultés à s’endormir. Lorsque nous interprétons un rêve, nous essayons de découvrir son contenu latent, les pensées à l’origine du désir. Mais que se passe-t-il lorsque ce rêve apparaît sur le plan conscient et dans l’espace virtuel ? Angelle a l’impression qu’elle est davantage dans la vérité de son Être lorsqu’elle est connectée sur un « Chat », ou dans un espace plus réel que la réalité. Par conséquent, la réalisation d’un désir fantasmatique dans ce monde considéré comme « surréel » semble avoir un effet traumatique chez Angelle. En effet, le travail du rêve est de rendre certaines représentations acceptables par le Moi, mais dans ce monde virtuel, la réalisation de ses désirs provoquerait davantage d’angoisse que de satisfaction. Nous supposons qu’elle lutte contre l’expression de ses désirs pour cet homme virtuel en vue de ne valoriser que le plaisir d’être avec lui. Mais l’excitation due aux sentiments qu’elle éprouve pour lui ne fait que de s’intensifier. Cela représenterait également un conflit intrapsychique entre son désir d’établir des relations avec des objets totaux satisfaisants dans la réalité et son désir de rester au niveau des relations partielles avec des objets virtuels, sous l’illusion qu’ils sont présents dans leur « totalité ». 5.3.3.6.2 La peur de se réveiller Si nous nous référons à S.Ferenczi : « Dès sa naissance, l’homme est dominé par une tendance régressive permanente visant au rétablissement de la situation intra-utérine, et s’y cramponne obstinément sur un mode magique-hallucinatoire, à l’aide d’hallucinations 61 positives ou négatives » 75. Par conséquent, cette mise à distance par rapport à autrui serait caractérisée par l’envie d’un retour à la vie intra-utérine mais plus précisément par un plaisir de communiquer avec autrui à travers cette membrane virtuelle, et depuis ce ventre virtuel. De là où elles se trouvent, elles pourraient imaginer la rencontre plutôt que de la vivre dans la réalité. Cette complaisance au rêve diurne cacherait en fait une peur d’être en relation avec l’Autre dans la réalité. Nina a déjà rencontré un homme en face à face. Depuis elle aurait peur de revivre cette expérience car elle n’aurait pas supporté la déception. Elle nous a précisé ultérieurement qu’elle vit sa relation comme un rêve. Il semblerait que plus elle discute avec cet homme sur Internet et plus elle l’idéalise. De plus, Nina idéaliserait également cette relation virtuelle et ne voudrait pas sortir. Elle favoriserait ainsi le plaisir de cette relation au détriment de son désir pour lui. Tel Narcisse qui a du mal à concevoir la rupture de sa mystérieuse relation : « souhait insolite chez un amant, ce que j’aime, je voudrais en être séparé. »76. 5.3.3.6.3 Soudaine sortie du rêve Cette complaisance à rester dans le rêve diurne pourrait être inversée quand une femme a l’impression que sa relation sur Internet avec un homme ne ressemble plus à un rêve mais évolue dans le sens de la construction du couple. Selon J-G.Lemaire, tout au début d’une relation amoureuse, «l’idéalisation nécessaire de leur relation d’objet ne peut se faire qu’à condition de limiter étroitement la relation, cette partialisation permettant de préserver l’essentiel cette relation d’objet » 77 . Par conséquent, la diminution de l’idéalisation entraînerait la rupture de la relation sur Internet. Shina nous a raconté qu’elle vit actuellement une histoire d’amour avec un homme qu’elle a rencontré sur Internet. Ils auraient passé beaucoup de temps ensemble à discuter sur les « Chats », puis ils auraient introduit dans leur relation l’utilisation du téléphone. Elle nous a dit éprouver à cette période de l’amour pour cet homme alors que leur relation s’est « arrêtée » brusquement avant que la rencontre en face à face n’ait eut lieu. Six mois plus tard, elle aurait repris contact avec lui par téléphone et ils se seraient rencontrés en face à face. Peut être que l’idée d’une éventuelle rencontre avait un caractère si angoissant qu’ils auraient préféré rompre cette relation. Ce rêve semble avoir été brisé car, justement, il se rapprochait trop de la réalité pour être concevable. Aurait-elle entendu la voix d’Ovide qui aurait dit autrefois à Narcisse : « Crédule enfant, à quoi bon ces vains efforts pour saisir une fugitive apparence ? L’objet de ton désir n’existe pas ! Celui de ton amour, détourne toi, et tu le feras disparaître. » 78 ? 75 FERENCZI, S. (1924). Thalassa, Psychanalyse des origines de la vie sexuelle. Paris, Payot, 1992. OVIDE. Narcisse & Echo. In Les métamorphoses. Livre III. Trad. J.Chamonard. Paris, Flammarion, 1997. 77 LEMAIRE, J.G. (1979). Le couple : sa vie, sa mort. Paris, Payot, 2000. 78 OVIDE. Narcisse & Echo. In Les métamorphoses. Livre III. Trad. J.Chamonard. Paris, Flammarion, 1997. 76 62 Cependant, cette relation serait restée une énigme. Elle aurait alors pris la décision de confronter à la réalité cette image qu’elle avait de lui et de tester ses sentiments par le biais d’une rencontre en face à face quelques mois après. Le rêve virtuel se serait interrompu de lui-même car il devenait trop proche de la réalité, mais plus tard, il aurait été quand même rompu volontairement par cette femme, dans une tentative d’accès à l’ambivalence et à la construction du couple. 5.3.3.7 Des sentiments malgré la distance Angelle nous a expliqué qu’elle n’arrivait pas identifier les sentiments qu’elle éprouve pour un homme avec qui elle discute sur Internet. Par rapport à ces propos, nous voyons qu’elle lutte contre son désir pour ce partenaire privilégié. Elle semble l’apprécier car justement il est loin d’elle, mais en même temps elle ne comprendrait pas pourquoi elle l’aime autant alors qu’il ne représente qu’un objet virtuel, désincarné et partiel. Tout comme Narcisse qui s’est dit : « je suis séduit, je vois, mais ce que je vois je ne puis le saisir ; si grande est l’erreur qui m’abuse dans mon amour. Et pour ajouter encore à ma douleur, ni l’immensité de la mer ne nous sépare, ni une longue route, ni des montagnes, ni des murailles aux portes closes : une mince couche d’eau est tout ce qui empêche notre union. »79. Elle semble essayer de se persuader qu’elle ne serait pas déçue lors de la confrontation à la réalité mais nous pouvons nous demander si elle souhaite réellement cette rencontre. En effet, elle aurait conscience de son idéalisation pour ce partenaire et cela expliquerait pourquoi elle s’interroge sur le caractère « sain » de cette relation, à savoir suffisamment « réelle » pour être considéré comme faisant partie de la réalité. La part illusoire de cette relation favoriserait ce sentiment ambivalent et pourrait se traduire par une question de ce type : « Suis-je totalement dans l’illusion ou suis-je quand même dans la réalité malgré cette part d’imaginaire et cet ordinateur qui nous sépare ? » 5.3.3.8 De l’amour ? Ces femmes finiraient par se demander à un moment donné si les sentiments qu’elles éprouvent pour un partenaire masculin virtuel correspondent à de l’amour. Pour Finalia, l’utilisation d’Internet favoriserait un sentiment qui ressemble à la passion amoureuse. Nina se méfierait désormais des sentiments qu’elle éprouve à l’égard des hommes virtuels depuis 79 Ibid. 63 qu’elle en a rencontré un en face à face. Par conséquent, lorsque nous lui avons demandé si elle avait déjà eu des sentiments forts pour un homme sur Internet, elle nous a répondu que ces termes n’étaient peut-être pas appropriés pour décrire ce qu’elle éprouvait. Elle nous a expliqué ensuite qu’elle discutait sur Internet avec un homme qui lui plaisait mais nous supposons qu’elle « attendait de voir comment il est réellement » avant de donner libre cours à l’expression de ses affects. En ce qui concerne Myriam, nous remarquons qu’elle est très défensive à ce sujet. Tout d’abord, elle n’a pas su comment nommer ce partenaire virtuel qu’elle semble énormément apprécier. Elle lui aurait donné toute sa confiance en lui faisant lire son rapport de stage, écrit faisant partie de sa réalité quotidienne. C’est une confiance qu’elle accorderait habituellement à un ami ou à un conjoint dans la réalité. Mais elle semble refuser toute notion de réalité dans leur relation. Elle refuserait également toute notion de désir car elle n’envisagerait pas de relation corporelle avec cet homme considéré comme plus important qu’un ami. Dans un second temps, elle admettrait finalement que la séduction soit présente dans leur relation. Elle ne pourrait donc le considérer ni comme un ami, ni comme un conjoint « réel » car elle ne souhaite aucun rapport corporel. Par conséquent, elle ne pourrait pas non plus rattacher ses sentiments à de l’amour : « Il est mon miroir ». Cet homme ne serait pas un « amoureux » mais un être support de projection d’une image idéale. Selon C-G.Jung : « Les hommes sur qui l'animus est le plus susceptible de se projeter, les plus aptes par suite à servir de réceptacle à la projection de l'animus, devront être d'un genre tel que la femme en mal de projection puisse y voir une réédition vivante du Bon Dieu, des hommes qui savent tout, qui comprennent tout ; ou bien il s'agira de novateurs méconnus, disposants de grands charmes rhétoriques… »80. 5.3.3.9 Conscience de l’idéalisation Certaines des femmes que nous avons interviewées nous ont parlé d’une image idéale qui serait projetée sur autrui dans le cadre de la relation virtuelle. Par exemple, Finalia nous a expliqué que les hommes avec qui elle discute n’auraient rien de réel. Cet homme finirait par devenir irréel tellement il serait idéalisé. La relation également ne se construirait que sur un plan imaginaire, elle ne serait qu’une « illusion » et par conséquent « un leurre » car cet homme rencontré en face à face ne correspondrait pas à cet homme virtuel, alors qu’il s’agit bien du même. En ce qui concerne Angelle, elle nous a dit « fantasmer sur une image et non sur la personne ». D’après ces propos, l’homme avec lequel elle discute sur Internet ne serait pas apprécié en tant qu’individu réel. C’est l’image projetée sur autrui puis introjectée 80 JUNG, C.G. Dialectique du moi et de l’inconscient. Idées /Gallimard, 1973. 64 dans le Moi qui représenterait la jouissance de la perfection de l’Être. De ce fait, l’autre en tant qu’Autre n’existerait pas vraiment : elle a mentionné que cette image est différente de la réalité. Pour Myriam, l’Autre est bien réel. Le réel c’est ce qui est déjà là, et le virtuel c’est ce qui serait déjà là mais en même temps ailleurs. En d’autres termes, le virtuel permettrait d’avoir un certain contrôle sur ce réel qui lui échappe. Les désirs de Myriam ne pourraient pas être réalisés dans cette réalité auquel elle est confrontée au quotidien, mais le virtuel en tant qu’autre niveau de la réalité lui apporterait la sensation de vivre l’accomplissement de ses fantasmes. Ce ne serait pas elle qui écrit sur le « Chat » mais ce serait ses propres fantasmes qui « parlent ». Et par le biais de l’écriture, elle inscrirait (dans le réel) cette réalité qui lui échappe. 5.3.4 Valorisation narcissique Le sujet féminin chercherait dans le monde virtuel : « La preuve que l‘autre désire qu’il existe et désir qu’il ait des désirs propres »81 (J. Mac Dougall, 1982) 5.3.4.1 Miroir de Soi Lorsque Finalia discute avec un homme sur Internet, elle nous dit comprendre seulement ce qu’elle souhaiterait entendre. Elle analyserait toutes les phrases de son interlocuteur « à son avantage » à lui mais aussi au sien. Cet homme deviendrait alors un être idéal, un être « avantagé » grâce à ses projections et cette image idéale serait ensuite introjectée pour qu’elle puisse alors se montrer « à son avantage ». Cette relation irait dans le sens d’un renforcement narcissique. Tel Narcisse, « il se désir dans son ignorance, lui-même. » 82 . Myriam nous a précisé d’une part l’importance du moniteur de l’ordinateur en tant que barrière protectrice entre elle et son partenaire virtuel. D’autre part, elle nous a dit que l’homme idéal n’existait pas et qu’elle construisait une image de cet homme en fonction de ce qu’elle attend d’un partenaire idéal. Quand Myriam nous parle de son écran d’ordinateur, nous pensons à toutes ces surfaces à travers lesquelles tout individu peut voir son reflet. Mais que voyons-nous lorsque nous nous plaçons devant un écran d’ordinateur éteint ? Nous voyons une image sombre et grisâtre de nous même. Lorsque Myriam allume son ordinateur, elle ne se voit plus à travers cet écran qui lui renverrait une image trop terne d’elle-même mais elle y verrait un outil, un miroir actif répondant à un désir de perfection. Cet 81 82 MC-DOUGALL, J. (1982). Théâtre du je. Paris, Gallimard. OVIDE. Narcisse & Echo. In Les métamorphoses. Livre III. Trad. J.Chamonard. Paris, Flammarion, 1997. 65 homme placé à côté de ce miroir orienterait ce dernier pour sa satisfaction, son plaisir à elle, et cette satisfaction répondrait à son besoin d’abaisser une tension intrapsychique. Cependant, cet homme placé à côté du miroir finirait en quelque sorte par disparaître en tant qu’Autre. Ce ne serait plus cet homme, n’étant plus un Autre, qui manipulerait ce miroir, mais Myriam, pour sa propre jouissance à Être. Être quelqu’un ferait fonction de signifiant cause de la jouissance, car cette femme trouverait sa place en tant qu’Être, différent des autres. En effet, cet écran, symboliquement éteint, lui renverrait également une image trop proche de la réalité, une image floue, représentant son « manque à Être ». Une fois cet écran allumé, elle deviendrait enfin quelqu’un, une femme désirable, et unique. 5.3.4.2 Se sentir exister L’expression écrite permettrait de renforcer indirectement le Moi du sujet. Prenons l’exemple d’Angelle, qui nous a dit qu’elle avait davantage l’impression d’exister car elle sentait moins la présence du regard de l’autre, le regard des hommes qui l’intimide. En réponse à notre question : « Est-ce plus facile pour vous de séduire par le biais d’Internet ? », Finalia nous a précisé qu’elle n’aurait le temps de séduire dans le cadre de sa vie quotidienne. Nous supposons que c’est moins contraignant pour elle sur le plan de l’effort physique mais surtout, cela implique un avantage important sur le plan intrapsychique. Puis elle nous a expliqué qu’elle pouvait ainsi imaginer ses interlocuteurs en fonction de ses attentes mais qu’elle avait trouver aussi un moyen de se sentir quelqu’un à part entière, « un objet total », même si comme elle le précise « ces relations sont illusoires ». 5.3.4.3 Se sentir femme désirable Finalia serait également gênée par le regard de l’autre, mais surtout par le regard de l’homme. Ce regard porté sur elle provoquerait une peur d’un jugement négatif sur ses qualités de femmes séduisantes. De ce fait, elle préférerait séduire sur Internet afin d’être apprécié non pas en premier lieu pour son corps mais pour sa personnalité. Elle s’exprimerait alors en tant que femme intéressante et sans attributs sexuels apparents, mais sans rejeter pour autant sa féminité intrapsychique : «… Je suis quelqu’un d’autre sur le net… Une femme merveilleuse ». Elle s’identifierait au désir de cet homme et deviendrait ainsi un être féminin parfait. Nous supposons que la problématique de la castration est présente tout en n’étant pas élaborée selon sa portée structurante. Sur le plan fantasmatique et grâce à cet espace virtuel, elle tenterait d’affirmer cette identité sexuelle qui serait mal 66 assurée. Myriam est restée assez réservé sur ses sentiments vis à vis de cet homme avec qui elle a un rapport privilégié sur Internet. Elle précise également qu’un homme et une femme pouvaient communiquer sans se séduire. Cependant, elle semble noté tout de même qu’il a été choisi parce que justement il est un homme. Elle a souligné par conséquent cette ambiguïté. Nous supposons que cette incertitude met l’accent sur cette notion du plaisir, et non du désir. Elle prendrait plaisir à être considérée par cet homme comme une femme dénuée d’imperfection mais elle nous a précisé d’une manière un peu maladroite que cet homme finirait par ne plus exister en tant qu’individu. Même si la séduction est présente dans leur relation, cet homme serait apprécié en tant que « miroir ». Cet homme lui aurait précisé que c’est elle qui lui assigne ce rôle particulier, mais nous voyons qu’elle semble refuser cette représentation qui la gêne, vu qu’elle s’en est défendue ensuite par le biais d’une dénégation. Elle a stipulé finalement qu’elle ne souhaitait pas l’évolution de cette relation au sens de la construction d’un couple. Cet homme disparaîtrait pour son propre plaisir mais nous pouvons nous demander si cet homme qui accepte sa condition de « miroir » ne la considérerait pas elle aussi comme telle. Elle se sentirait donc une femme qui mérite d’être désirée grâce à cette image que lui renvoie ce miroir désirant, et non une femme qui fait naître le désir. 5.3.4.4 Se sentir femme désirable et unique Une femme qui mérite d’Être, et d’être désirée, ne pourrait le devenir qu’à la condition d’être considérée comme unique nous a précisé Nina. Ce caractère unique serait justifié par la différence, et justement cette femme doit être choisie pour sa différence. Elle serait donc unique car différente, et c’est cela qui justifierait sa perfection en tant qu’Être. En ce qui concerne Myriam, elle a prétendu aimer l’homme omniprésent pour elle, et serait prête de ce fait à le rencontrer. Que se passe-t-il lorsque cet homme, ce miroir virtuel disparaît ? Myriam n’aurait alors plus de miroir dans lequel se refléter, elle se retrouverait donc confrontée au vide. Dès qu’elle se connecte sur Internet, elle sait qu’elle va trouver cet homme, ce miroir qui a peu de consistance dans la réalité ni en tant qu’objet total, mais celui-ci au moins est « toujours là ». Nous supposons que cette promesse d’être toujours présent pour elle l’a incitée à rencontrer cet homme en face à face. Elle devait vérifier que cet homme serait effectivement toujours présent. Cependant, elle a été déçue de cette confrontation à la réalité. Cet homme ne correspondait pas à ce qu’elle avait imaginé et ne jouait plus son rôle de miroir, il lui fallut alors en trouver un autre. Nous sommes tentés de voir à travers cette quête du « miroir masculin» idéal une forme d’addiction à l’autre, à un autre qui n’en est pas 67 un : « toujours à recréer car toujours en dehors »83 (J.Mac Dougall, 1982). Ce miroir serait recréé chaque fois qu’il disparaît pour pouvoir enfin mettre cet Autre « en dedans ». Cependant, ce rapport à l’autre reste virtuel et cet autre resterait en dehors. Malgré son souhait de l’incorporer en tant qu’objet total, Myriam ne pourrait pas mettre cet homme « en dedans » une fois confrontée à la réalité. Elle nous a dit que l’homme devait prendre « un minimum de précaution » et qu’il y avait « une manière d’entrer en (communication)». Elle ne supporterait ni le regard, ni le corps « pénétrant » de l’autre vécu comme une « intrusion ». Par conséquent, la relation virtuelle représenterait un compromis intéressant : elle n’introjecterait qu’une image renvoyée par un « miroir masculin» idéal qui ferait d’elle une femme virtuellement désirable et unique. 5.4 Réalité et virtualité Les femmes que nous avons interviewées ont en majorité rencontré un partenaire masculin en face à face après un certain nombre d’échanges sur les « Chats ». Le passage de la virtualité à la « réalité » semble avoir été plus ou moins traumatisant, ce qui aurait provoqué chez elle une méfiance du renouvellement de l’expérience. 5.4.1 Appréhension de la rencontre La représentation de cette rencontre avec un homme dans la réalité non virtuelle susciterait tout d’abord de l’appréhension. 5.4.1.1 Une proximité angoissante Le partenaire masculin virtuel serait apprécié car il donne l’impression d’être à la fois éloigné et proche du sujet féminin. Le lien affectif qui s’établit dans cet espace virtuel apporterait un sentiment de proximité raisonnable. Cependant, « A qui veut vraiment s’affronter à cet Autre, s’ouvre la voie d’éprouver non pas sa demande mais sa volonté »84 (J.Lacan, 1966) et, par conséquent, cette proximité pourrait être ressentie comme angoissante lorsqu’il est question de rencontrer cet homme en face à face. Angelle a livré son intimité à un partenaire perçu comme n’étant pas tout à fait réel, et elle semble avoir aussi peur d’être confrontée à son regard dans la réalité non virtuelle. Rencontrer cet homme signifierait de se confronter à un 83 84 MC-DOUGALL, J. (1982). Théâtre du je. Paris, Gallimard. LACAN, J. Subversion du sujet et dialectique du désir. In Ecrits. Paris, Seuil, 1966. 68 inconnu qui en sait énormément de son intimité. Quant à Nina, elle nous a dit ne pas être prête pour cette rencontre en face à face car elle se méfierait des talents de séduction de son partenaire virtuel. Ce n’est pas le caractère intrusif du regard de l’autre qui est craint mais les éventuelles intentions sexuelles de cet homme. En ce qui concerne Shina, elle a longuement hésité à rencontrer cet homme avec qui elle vit à ce jour une histoire d’amour. Elle aurait réussit à diminuer son angoisse pour appréhender cet homme dans sa réalité subjective et en tant qu’objet total. 5.4.1.2 La peur de sa propre déception La conscience d’un décalage entre virtualité et réalité freinerait l’envie de la rencontre. Finalia a mentionné que la confrontation à la réalité non virtuelle serait souvent décevante. Nous notons surtout qu’elle s’est rendu compte que cet homme « réel » deviendrait un « mauvais objet » au moindre « défaut » perçu. 5.4.1.3 Justifier sa peur Fée Clochette semble avoir honte de ne pas oser rencontrer en face à face cet homme dont elle a stipulé être amoureuse. Au départ, elle s’est justifiée en avançant une difficulté due à la distance qui les séparait puis elle a finalement précisé que cet homme en avait fait la demande, mais qu’elle hésitait. Son envie de le rencontrer entrerait en contradiction avec son plaisir pour la relation virtuelle : « Le net c’est un peu un conte de fées ». De plus, elle a déjà vécu une rencontre décevante, elle ne souhaiterait donc pas perdre de nouveau une relation idéale et détruire son image idéalisée de cet homme. 5.4.1.4 La peur de la déception de l’Autre Angelle nous a fait part de sa grande timidité à discuter avec les hommes en général. Ce qui semble la déranger, c’est le regard qui juge son apparence physique, qui scrute son corps, et l’intention implicite de cet homme de se servir d’elle comme d’un simple objet de désir qui serait « dévoré » puis « expulsé ». Dans le monde virtuel, les hommes ne voient pas son corps. Elle serait donc appréciée non pas pour son enveloppe physique mais pour ce qui est caché à l’intérieur, sa personnalité. Le corps étant un mauvais représentant de soi, elle craindrait un rejet de la part de cet homme dans la réalité non virtuelle. Nous remarquons un 69 certain paradoxe dans ses propos : sur Internet elle considère qu’elle « est aimée pour ce qu’elle est » (pour sa personnalité) et non « pour ce qu’elle représente » (pour son corps), et elle a tout de même l’impression de tromper ses interlocuteurs sur le « Chat ». Angelle aurait le sentiment d’être en même temps « quelqu’un d’autre » et « une même personne ». Nous supposons qu’Être « quelqu’un d’autre » représente pour elle l’expression de son autre Soi, cette partie d’elle-même invisible dans la réalité non virtuelle, pouvant être jugée négativement par autrui. Cet autre Soi entrerait en contradiction avec le fait d’être « vrai », c’est à dire être authentique et sincère. Nous avons vu précédemment que pour les « Chatteurs », l’authenticité impliquerait de se dévoiler davantage tout en signifiant paradoxalement d’être perçu comme étant « la même personne » dans la réalité non virtuelle. La rencontre en face à face favoriserait alors un sentiment de « fausse » sincérité, de « mensonge », ce que Angelle redoute quant à elle. 5.4.1.5 L’inquiétant étranger Lorsque ces femmes voient leur partenaire pour la première fois, elles auraient l’impression de se retrouver face à un individu étrange car il ne correspondrait pas à ce qu’elles avaient imaginé. A ce propos, Myriam nous a dit que le « face à face » est une nouvelle rencontre. Cet individu serait également perçu comme inquiétant : « il reste un étranger » nous a précisé Fée Clochette. Selon S.Freud : « Tout ce que l'on peut dire, c'est que ce qui est nouveau devient facilement effrayant et étrangement inquiétant» 85 . Dans la réalité non virtuelle, ce partenaire serait appréhendé comme un objet total « inquiétant » car ce dernier leur est « étranger ». Cet homme serait donc un « inquiétant étranger ». 5.4.1.6 La peur d’être dupé Cet homme perçu comme différent dans la réalité non virtuelle a donné à Fée Clochette le sentiment d’avoir été victime d’une usurpation et non de sa propre imagination. Nous supposons qu’elle préfère considérer cet homme comme un mauvais objet dont elle doit se méfier plutôt que d’accepter cette part d’imaginaire présente dans la relation virtuelle. Nous avons vu que le mauvais objet est celui qui n’aurait pas été honnête sur son identité, mais surtout, par ses intentions d’obtenir un rapport sexuel. Elle craindrait alors de se retrouver face à un manipulateur, à un mauvais objet considéré comme bon dans le monde virtuel. 85 FREUD, S. (1919). L’inquiétante étrangeté. In Essais de psychanalyse appliquée. Paris, Gallimard, 1971. 70 5.4.1.7 Rester dans le rêve Si nous nous référons à J-G. Lemaire, la « Lune de miel » (première étape de la relation amoureuse) est caractérisée par une idéalisation du partenaire. Les individus fuiraient toute situation de déplaisir afin de préserver l’illusion d’une certaine unité et d’une relation parfaite : « Ne pas penser et méconnaître cette notion de temps leur permet, dans ce cadre bien particulier, de garder la relation comme totalement bonne »86. La rencontre dans un monde non virtuel impliquerait de sortir du rêve diurne. Mais après une première expérience décevante de rencontre en face à face, ces femmes semblent préférer poursuivre leur relation sur les « Chats » afin de ne pas perdre cette relation idéale. Pour Nina, la rencontre en face à face est difficilement envisageable lorsqu'elle a investit psychiquement un partenaire virtuel. Le plaisir de cette relation idéale la dissuaderait d’une confrontation à la réalité non virtuelle. En ce qui concerne Myriam, elle semble très angoissée à l’idée de perdre son partenaire, son « miroir » virtuel. Ce partenaire serait tellement idéalisé qu’elle ne pourrait pas accepter l’éventualité d’une rencontre : « il y a de plus grands enjeux ». Nous voyons ensuite dans ses propos ultérieurs une certaine ambiguïté concernant la façon dont elle qualifie sa relation avec cet homme. Nous supposons qu’elle ne peut pas concevoir un lien « réel » avec un homme « réel » si elle ne l’a « jamais vu », ce qui expliquerait pourquoi elle a rectifié ses propos en remplaçant le terme « relation » par le mot « dialogue ». De plus, il semblerait que cet homme ne soit attrayant que pour son rôle, et non pour sa qualité d’homme. L’utilisation de l’expression « On a beau dire » est intéressante car c’est à travers les « dires » que cet homme deviendrait « beau », ce qui la rendrait « belle » elle aussi car « L’introjection est toujours l’introjection de la parole de l’autre » 87 (J, Lacan, 1954). Cet homme virtuel ne serait ni un Autre ni un être, mais un « Être » à « Soi » du fait que «L’autre est facilement miroir et d’autant plus virtuel qu’il n’est pas humain » 88 (J.Lacan, 1954), support de projection. Son partenaire lui aurait fait part de son souhait de la rencontrer mais elle a précisé qu’elle appréhendait «que ça s’arrête » après cette confrontation. Par rapport à la rectification dont nous avons parlé précédemment, nous supposons que le pronom « ça » ne désignerait pas une « relation » mais un rêve diurne dont elle ne souhaite pas l’interruption. 86 LEMAIRE, J.G. (1979). Le couple : sa vie, sa mort. Paris, Payot, 2000. LACAN, J. (1954). Séminaire 1 : Les écrits techniques de Freud. Paris, Seuil. 88 Ibid. 87 71 5.4.2 La déception Le premier partenaire masculin que ces femmes ont rencontré en face à face, ne semble pas avoir répondu à leurs attentes. Chacune d’entre elles justifie sa déception d’une manière plus ou moins défensive. 5.4.2.1 Refus d’une éventuelle déception Nous supposons que les relations sur Internet s’établissent avec des objets partiels du fait de l’absence des corps, et de la façon dont les individus se montrent aux autres et imaginent leurs interlocuteurs. Cependant, le « Chatteur » aurait l’impression d’échanger avec des objets totaux. Et quand une femme idéalise un partenaire virtuel, elle aurait des difficultés à concevoir une éventuelle déception de la rencontre en face à face. Prenons l’exemple d’Angelle qui a précisé connaître suffisamment son partenaire virtuel pour ne pas être déstabilisée par sa personnalité. Nous avons vu précédemment que pour Angelle le corps physique ne serait qu’une enveloppe trompeuse car il biaiserait ce qui se cache de merveilleux à l’intérieur. Elle ne pourrait pas prendre en considération le corps de l’autre étant donné qu’elle n’accepte pas qu’un homme l’apprécie pour son apparence physique. D’une part, son partenaire virtuel serait sous l’effet de l’idéalisation car elle lui attribue toutes les perfections (« On préfère s’imaginer l’homme parfait »). D’autre part, la rencontre dans la réalité non virtuelle lui échapperait car elle n‘a pas encore vécu celle-ci. En ce qui concerne Fée Clochette, les sentiments qu’elle éprouve pour son partenaire virtuel et cette impression de relation avec un objet total l’empêche d’envisager une éventuelle déception lors de la confrontation à la réalité non virtuelle, bien qu’elle en ait déjà fait l’expérience. 5.4.2.2 Le mauvais objet Lorsqu’une femme n’accepte pas de prendre en compte la part de l’imaginaire et ces autres Soi présents dans le monde virtuel, le partenaire deviendrait un mauvais objet dans la réalité non virtuelle. A ce sujet, Shina nous a dit que le premier homme qu’elle a rencontré en face à face aurait jouer le rôle d’un autre personnage sur Internet. Elle a l’impression que cet homme l’aurait manipulée pour la convaincre de le rencontrer. Shina a ensuite qualifié de « mensonge » cet autre Soi du partenaire. L’expression du Soi passe par les mots. Par conséquent, le partenaire n’aurait d’identité que par les propos qu’il tient. De plus, nous avons vu qu’une fois qu’un homme est considéré comme un mauvais objet, il est expulsé hors de soi et toute tentative d’approche serait ressentie comme une agression. Ce qui 72 expliquerait pourquoi elle emploie le verbe « harceler » pour désigner les tentatives de cet homme de garder le contact avec elle. Ne pouvant pas supporter ses propres motions agressives, elle aurait été jusqu’à demander à une autre femme de « la venger » pour obtenir réparation dans le monde virtuel de cette castration symbolique. Pour finir, Shina a précisé que ces mots mensongers reflétaient partiellement cet homme car l’expression du « Soi » de ce dernier n’était qu’une parole écrite par lui-même dans le monde virtuel. Notons également que pour Shina ce Soi virtuel ne serait pas en partie constitué par son imaginaire. Lors de la rencontre en face à face, elle aurait été gênée par le Soi « virtuel », et non pas par le Soi « réel » de cet homme. Dans l’après-coup, elle ne dissocierait plus ces deux Soi et l’homme caractériserait sa déception en tant qu’objet total. 5.4.2.3 Sentiments ambivalents La rencontre en face à face peut susciter un sentiment ambivalent, bien que la part imaginaire soit prise en considération pour constituer le Soi de l’autre. Nina a précisé que l’espace virtuel ne serait pas tout à fait réel et que la rencontre en face à face ferait disparaître l’aspect magique de la relation. Cette agressivité, qu’elle ne peut s’accorder, est reportée sur l’homme qui deviendrait un mauvais objet. La confrontation à la réalité non virtuelle susciterait une certaine sidération, le « Soi-corps » prendrait la place du « Soiépistolaire » : « On ne sait plus quoi se dire ». Dans la rencontre en face à face, l’image du corps aurait toute son importance, et ne serait plus déniée. Par conséquent, Nina ne pourrait pas accepter ce "Soi-corps" effrayant impliquant une notion de sexualité : « Qu’il ne me parle pas de sexe, je ne supporte pas ». Son partenaire virtuel aurait prétendu être une entité incorporelle et elle « regrettait » d’avoir dévoilé son intimité à cet homme finalement détenteur d’un corps. In fine, Nina semble refuser la place de son imaginaire pour pouvoir justifier sa déception. 5.4.2.4 La part de l’imaginaire Le plaisir d’imaginer le partenaire virtuelle rendrait décevant le passage de la virtualité à la réalité. Fée Clochette a qualifié le monde virtuel de « conte de fées ». L’histoire qu’elle vit avec un « Prince Charmant » virtuel ne serait pas seulement un rêve diurne mais aussi un roman sortit de son imaginaire et écrit de sa main. La rencontre en face à face rendrait impossible l’écriture de ce « conte » et provoquerait « la sortie du rêve ». Ses précédentes déceptions seraient la conséquence de son plaisir à imaginer le partenaire. Fée Clochette 73 nous a dit favoriser la relation virtuelle pour rester dans ce « conte de fées ». Elle craint la rencontre avec de mauvais objets dans le monde non virtuel, mais surtout elle aurait peur de ne pas pouvoir poursuivre ce « conte » qu’elle « écrit » avec un homme dont elle a stipulé être actuellement amoureuse. Fée Clochette a conscience de sa tendance à idéaliser ses partenaires virtuels, mais nous avons vu précédemment qu’elle ne peut pas concevoir d’être déçue à nouveau lors d’une rencontre en face à face. 5.4.2.5 Revers de l’idéalisation L’homme rencontré dans le monde virtuel serait un bon objet mais surtout un objet parfait. Pour Finalia, ses partenaires masculins ne sont que des entités qui manipulent un miroir virtuel : « L’autre n’existe pas vraiment ». Lorsqu’elle se retrouve devant un homme qu’elle a rencontré sur Internet, elle ne pourrait pas l’accepter en tant qu’objet total. Le partenaire passerait directement dans la catégorie des mauvais objets à expulser hors de soi. Elle considère le monde virtuel comme ne faisant partie d’aucune réalité. La déception lors d’une rencontre serait d’autant plus forte que le partenaire virtuel a été idéalisé : « La chute est violente ». La confrontation à la réalité non virtuelle de l’Autre l’aurait perturbé car cet autre n’avait justement pas d’identité concrète avant la rencontre en face à face. 5.4.2.6 L’inévitable déception La déception éprouvée lors d’une rencontre avec un homme dans la réalité non virtuelle serait inévitable pour Myriam. Elle ne semble plus vouloir renouveler cette expérience afin de préserver une relation idéale avec un partenaire. Elle a l’impression qu’elle serait forcément déçue par cet homme qu’elle apprécie uniquement en tant qu’homme virtuel reflétant une image idéale : «Il est mon miroir ». De plus, elle prétend avoir une bonne perception des mauvaises intentions des hommes avec lesquels elle discute sur les « Chats ». Elle éprouverait de la satisfaction à idéaliser ses partenaires masculins virtuels et désormais, elle fuirait la frustration ressentie lors d’une rencontre en face à face. 74 5.4.3 Décalage entre virtualité et réalité Dans cette dernière partie, nous souhaitons mettre en évidence le caractère traumatique de la rencontre en face à face pour ces femmes que nous avons interviewées. L’expérience d’une première rencontre aurait entraîné la mise en place de certaines défenses pour éviter une nouvelle déception et le caractère angoissant d’une confrontation à la réalité non virtuelle. Elles appréhenderaient différemment leurs partenaires actuels. Finalia aurait des doutes concernant le caractère « réel » de la relation amoureuse sur Internet. Nous supposons que cette interrogation serait en lien avec le ressenti d’un décalage entre virtualité et réalité lors de sa première rencontre en face à face avec un partenaire virtuel. La représentation de cette rencontre semble l’angoisser et dénie celle-ci en affirmant tout d’abord ne pas en avoir fait l’expérience. Nous avons volontairement utilisé le mot « partenaire » pour qualifier l’homme virtuel car c’est un terme assez neutre pour désigner un quelconque rapport de proximité entre deux Internautes. Il peut sous-entendre une relation amoureuse ou amicale. Nous avions posé l’hypothèse que cet individu soit considéré ni comme tout à fait un conjoint ni vraiment un ami. Finalia ne saurait pas comment qualifier cet homme ou cette relation même aujourd’hui. Son angoisse à en parler s’est manifestée par de longs silences, par une tentative d’esquiver notre question en nous interrogeant sur la durée de l’entretien, et non par une demande explicite de répondre à une autre question. Le contexte de la relation non virtuelle implique d’appréhender l’autre comme un objet total. Cependant lorsque celui-ci ne correspond pas à ce qu’une femme avait imaginé et quand ce qui est idéalisé n’est qu’imperfection de par son caractère sexuel, la proximité physique provoquerait de l’effroi. En l’absence de cet objet vécu comme parfait, parce que remplacé par un étranger, le sujet féminin se trouverait submergé par une excitation interne, dans une situation où il se sent impuissant. Ne pouvant dans un premier temps, mettre un sens à ce qui s’est passé et introjecter l’objet total imparfait, elle semble vouloir dans l’après-coup annuler la représentation de cette rencontre non virtuelle. Elle ne pourrait élaborer le deuil de sa première perception du partenaire et aurait mis fin à sa relation avec cet homme. Cette rencontre aurait été décevante, mais surtout effractante. Dans le monde non virtuel, ce qui l’a sidérée, c’est une confrontation à l’inconnue, à la réalité de l’autre et ce qui l’a effractée, c’est le regard « réel » de l’autre et la proximité de cet inconnu. De ce fait, elle évite désormais la rencontre en face à face. C’est plus facile pour elle de se débarrasser d’une représentation dérangeante dans le monde virtuel. Fée Clochette a tout d’abord précisé que la rencontre en face à face est dérangeante, le partenaire virtuel serait un étrange inconnu : « Il reste un étranger ». Bien qu’elle ait une 75 impression de proximité à cause du dévoilement réciproque de leur intimité, la distance ressentie amène une interrogation quant au caractère véritable de la relation virtuelle. Le jour de cette première rencontre elle n’aurait pas pu mettre des mots pour qualifier la sensation éprouvée, qui aurait suscité chez elle de l’incompréhension. Elle explique très bien cette part de l’imaginaire qui rend la confrontation à la réalité non virtuelle difficile mais c’est comme si elle ne pouvait pas l’accepter. Nous supposons que l’idéalisation de son récent partenaire serait si intense qu’elle ne pourrait pas actuellement concevoir une nouvelle confrontation décevante. De manière très défensive, elle semble tenter de se persuader et de nous convaincre lors l’entretien, que cette nouvelle relation serait différente de la précédente. De plus, l’ordre par lequel nous avons posés les questions en lien avec la confrontation à la réalité non virtuelle de l’autre a eut une portée particulièrement significative. Fée Clochette s’est contredit dans ses propos : alors qu’elle avait stipulé précédemment la place importante de l’imaginaire dans la relation virtuelle, elle a prétendu ne pouvoir être déçue par une future rencontre en face à face avec son partenaire actuel. De manière très défensive, à notre question : « Lors de vos rencontres en face à face avec des hommes, avez-vous observé un décalage entre ce que vous aviez imaginé et la réalité ?», elle a donné une réponse négative. Puis semble avoir finalement exprimé l’existence d’un décalage à la question d’après (« Avez vous rencontré plusieurs hommes ? »). Le « enfin bref » prononcé à la fin de son explication révèle le fait qu’elle ne souhaite pas s’étendre sur le sujet, elle préfère faire abstraction de la représentation de ce décalage et profiter pleinement de son plaisir à vivre sa relation idéale actuelle. Angelle semble également ne pas pouvoir concevoir de décalage entre virtualité et réalité, bien qu’elle est conscience d’idéaliser son partenaire, elle n’a pas encore passé l’étape de la rencontre non virtuelle. Cependant, elle aurait une idée de ce qui pourrait se produire si elle rencontrait son partenaire virtuel. Elle pressentirait le caractère étrange de cette confrontation à la réalité de l’autre : « On fantasme sur une image et pas sur une personne ». Shina s’est décidée à rencontrer l’homme dont elle soupçonnait être amoureuse. Contrairement aux autres femmes que nous avons interviewées, elle a tout d’abord rejeté son partenaire virtuel avec l’impression de se leurrer elle-même et considérant sa relation comme étant plus irréel que réel. En reprenant contact avec cet homme par téléphone, elle aurait cherché à réfuter cette impression qu’elle ne peut accepter. Elle considère de ce fait que la relation virtuelle serait davantage caractérisée par une « confusion » que par un décalage. Nous notons un certain paradoxe dans ses propos car elle prétend avoir finalement « fait une bonne analyse » de son partenaire et qu’elle ne pouvait donc pas être déçue. Sa satisfaction d’avoir réussit à maintenir dans la réalité non virtuelle son idéalisation 76 de cet homme par le biais d’un clivage lui apporterait un sentiment de toute puissance par rapport à une peur d’être baignée dans la confusion mentionnée précédemment, et la conforterait dans l’idée de ne pas s’être trompée sur l’identité satisfaisante et tant espérée de son partenaire. Nina a précisé que l’utilisation d’Internet pour établir des liens amoureux représente une forme de danger. La confrontation à la réalité de l’autre impliquerait une méfiance de ce que l’homme lui montre de sa personne dans le monde virtuel. En effet, lors de la rencontre en face à face, les pulsions agressives émergeantes ne seraient pas tournées vers le sujet luimême mais vers l’individu considéré ensuite comme responsable d’une mascarade. Après cette première expérience décevante, elle définit alors l’existence d’un décalage entre la façon dont certains hommes se décrivent dans le monde virtuel et leur véritable identité. Elle semble préférer ne pas prendre en considération le fait que l’idéalisation signifie d’attribuer à l’autre toutes les perfections sans que ce dernier n’ait nécessairement de rôle à jouer dans ce processus. De plus, elle tenterait de ne pas s’exalter d’une rencontre idéale, elle estime qu’elle doit se méfier des hommes qui sont finalement de mauvais objets dans la réalité, bien qu’elle stipule, in fine, que sa propre contribution à la construction de cet autre favorise une difficile élaboration dans ce genre de contexte. Myriam nous a expliqué, d’une part, que le passage de la virtualité vers la réalité implique de faire un « deuil » de ses idéaux. D’autre part, qu’il induit un conflit intrapsychique important. Par conséquent, qu’il est préférable de ne pas mélanger ces deux réalités, qu’il est nécessaire de bien dissocier ces deux modes relationnels et de ne pas faire l’expérience d’une rencontre en face à face avec un homme qui prendrait le rôle d’un personnage différent suivant le monde dans lequel il est appréhendé. Lorsqu’elle nous a narré cette première rencontre décevante, nous avons eu l’impression que l’expérience de détresse vécue auparavant refaisait surface à travers une tentative de construction de son récit. Elle était persuadée qu’elle continuerait d’aimer son partenaire après une confrontation à la réalité non virtuelle, bien que consciente de l’avoir imaginer en partie sur Internet. Elle n’aurait pas pu faire le « deuil » de ses idéaux, mais surtout d’une représentation qui n’a pas lieu d’exister puisqu’elle est fausse. Une « sensation » agréable s’est alors transformée en « sensation » désagréable dans le monde non virtuel. La représentation de la confrontation au réel l’a perturbé et la déstabilise encore aujourd’hui : elle a essayé de rendre possible un passage qui revêt un caractère d’impossibilité. La rencontre en face à face aurait annulé le lien qui existait entre elle et son partenaire, et semble dissoudre aujourd’hui la réalité des événements qui se sont produits auparavant avec le partenaire virtuel. 77 6. RESULTATS 6.1 En résumer Le monde virtuel serait apprécié en tant que scène du « vrai » mais nous avons vu que ce terme a plusieurs significations. Que représente-t-il pour ces femmes ? - Qui est conforme à la vérité : L’intérêt dans l’utilisation d’Internet est de pouvoir vivre une vérité qui convient davantage. Elles peuvent ainsi présenter un Soi plus en adéquation avec leur idéal du moi et construire un Soi à l’autre pour le rendre meilleur. De plus, cet autre Soi est qualifié de plus authentique et de plus sincère. Il correspond à une vérité enfouie à l’intérieur et prisonnière du corps, et ne pouvant s’exprimer qu’à la condition d’être dissimulée derrière un moniteur. - Qui est réellement ce dont il a les apparences : Le Sujet féminin attribue une apparence à l’homme virtuel. Notons que la seule image du corps acceptée est celle dénuée de toute connotation sexuelle. Sur le plan imaginaire, le Prince Charmant est dessiné sans sexe : il est une mamelle, une partie de soi supposée perdue et qui vient à manquer. Sur le plan symbolique, il possède ce phallus à la fois effrayant et attirant, mais comme tout totem, il est interdit d’en jouir. Sur le plan réel, il devient un mauvais objet à expulser hors de la réalité car il est angoissant, et hors de soi parce qu’il n’a pas l’apparence idéale espérée. - Qui est réel et non apparent ou imaginaire : Le monde virtuel est considéré comme « surréel » et « irréel ». Les hommes rencontrés sur Internet sont des entités masculines dénuées d’imperfection, des dieux qui vivent dans un monde surréel, un lieu merveilleux et plus attrayant que la réalité non virtuelle. D’autant plus qu’ils ne sont pas tout à fait réels mais plutôt des cyber-miroirs vivants dans un monde irréel et reflétant une image bonne à être introjectée, en vue de rendre le Moi plus consistant. - Qui seul convient : Le partenaire masculin virtuel accepte de jouer le rôle d’un personnage mythique et (nous supposons qu’en contre partie) il respecte ce tabou du corps représentant le désir sexuel. Le monde virtuel permet ainsi à ces femmes de devenir désirables, non pas en tant qu’objets suscitant du désir mais en tant que femmes méritantes d’être désirées. Il donne aussi la possibilité d’un certain contrôle sur les objets. En effet, l’homme virtuel qui ne convient pas est considéré comme un mauvais objet facile à ignorer ou à rejeter d’un simple clic de souris. 78 L’ordinateur symbolise une barrière protectrice placée entre Soi et l’Autre. Malgré la distance, ces femmes ont l’impression d’être proches de leurs partenaires car les corps physiques sont absents, et les sentiments qu’elles éprouvent apportent l’illusion d’une unité ou d’un rapproché fusionnel. Cependant la relation virtuelle provoque une certaine frustration. La nécessaire mise à distance ne signifie pas pour autant que la relation virtuelle avec des objets partiels est aussi idéale qu’elle en a l’air, mais elle représente un compromis par rapport à l’impression d’une incapacité à établir des relations satisfaisantes avec des objets totaux. De plus, cet outil technologique permet à ces femmes de moins ressentir la pression du Surmoi inhibant leurs actes et produisant le remords. Elles peuvent se montrer librement aux autres, mais aussi idéalement, car le regard de l’autre est moins perçu comme jugeant. La relation idéale suppose un clivage des individus en de bons ou de mauvais objets. Le mauvais objet c’est l’homme qui formule une demande de rencontre dans le monde non virtuel, mais surtout, c’est celui qui parle directement ou indirectement de sexualité. La relation virtuelle est appréciée car justement elle n’implique ni un rapprochement corporel ni un toucher imprégné du désir. Le partenaire qui ne répond pas à cette attente devient impropre à approcher, même virtuellement, car il pourrait souiller ce corps revendiqué sacré. L’homme virtuel idéal, c’est celui qui est présent pour le plaisir de sa partenaire et non pour son propre désir. Lors de la prise de contact, il doit être respectueux, faire preuve d’humour, avoir un langage soigné et adapté à son interlocutrice. Quand cet homme répond à ces conditions, il peut ainsi poursuivre la discussion sur le canal privé. Cependant, il devient un Prince Charmant s’il parle suffisamment de lui, s’il est romantique, original, hors du commun, toujours présent pour elle, et s’il lui explique pourquoi il la considère comme une femme merveilleuse et unique. Cet homme est ensuite idéalisé et placé dans un rêve diurne que ces femmes ont des difficultés à quitter. L’idéalisation de ce partenaire suscite de l’interrogation. Elles en viennent à se demander si les sentiments qu’elles éprouvent pour leur partenaire ne seraient pas biaisés dans le monde virtuel. En effet, l’amour implique la prise en compte de son corps suscitant le désir, et le rapprochement physique lors du rapport sexuel. Il suppose aussi une confrontation à la réalité de l’autre en tant qu’Autre et objet total. Il conduit ensuite à l’acceptation de ses motions agressives et de ses sentiments ambivalents pour le partenaire, qui n’est pas un Dieu mais bien un homme. La baisse de l’idéalisation permet ainsi la construction du couple. Cependant, l’homme virtuel n’est pas convoité dans un but de construction d’un couple mais il est un outil support de projection d’une image idéale, introjectée ensuite pour répondre à un idéal du moi exigeant chez ces femmes. 79 Le plaisir pour la relation avec un « homme-miroir » dissuade ces femmes de se confronter à la réalité insatisfaisante de l’Autre. Dans la rencontre en face à face, elles appréhendent le regard de l’autre qui les juge, celui des hommes en général reflétant un désir porté sur leur corps, puis leur propre regard ayant déformé l’image de cet homme pour le transformer en Prince Charmant. Lorsque le partenaire est idéalisé, la représentation d’une éventuelle déception de la rencontre en face à face n’est pas concevable. Après une première expérience de la rencontre avec un partenaire dans le monde non virtuel, elles expliquent leur déception de manière plus ou moins défensive. Leur représentation de cet échec peut aller d’une extrême à l’autre : du refus de prendre en considération leur propre imaginaire responsable en partie de la réalité décevante, en attribuant exclusivement cet échec à la mise en scène du partenaire pour se faire apprécier, vers la représentation d’une inévitable déception due à une forte idéalisation favorisée par le contexte virtuel. Dans l’après-coup, un décalage entre virtualité et réalité est souvent perçu. Cependant, leur conflit intrapsychique ne pouvant être élaboré, il est mis en acte dans le monde virtuel. Pour ces femmes, le plaisir de vivre leurs relations dans un paradis virtuel constitue un bénéfice premier. L’effort du Moi pour se satisfaire de ces relations virtuelles représente un bénéfice secondaire car il renvoie à une lutte du sujet avec lui-même. Cet effort se caractérise par la quête nécessaire d’hommes acceptant de jouer le rôle d’objet idéal. 6.2 Spécificités Dans le cadre de cette partie théorico-clinique, nous avons abordé nos différentes hypothèses en nous appuyant sur des exemples recueillis dans nos entretiens cliniques. Cependant, nous souhaitons mettre en évidence l’aspect spécifique de chacune de ces femmes dans leur utilisation de cet espace virtuel. En effet, elles n’appréhendent pas toutes de la même manière leur relation avec un partenaire masculin virtuel, bien qu’elles apportent des éléments significatifs par rapport à nos hypothèses. 6.2.1 Shina Depuis deux ans, elle consacre toutes ses soirées à discuter avec des partenaires féminins ou masculins virtuels. Elle prétend ne plus séduire sur les « Chats » depuis qu’elle vit une histoire d’amour avec un homme qu’elle a rencontré sur Internet. Elle idéalise la relation virtuelle car permet d’aborder des individus qui ne prennent pas en considération son 80 apparence physique. Elle rejette toute notion de désir et se méfie des intentions des hommes qui la considèrent comme un simple objet de désir. Cependant, cette distance posée par l’utilisation d’Internet a constitué une certaine frustration nécessitant une confrontation à la réalité non virtuelle de son partenaire. Elle ne semble pas pouvoir concevoir un décalage entre virtualité et réalité mais nous supposons que c’est sa relation satisfaisante avec cet homme qui la conforte dans cette idée qu’il n’y aurait pas de décalage entre réalité mais plutôt une « confusion ». Ce qui explique son refus actuel de considérer l’éventuelle utilisation de son imagination pour construire l’homme virtuel idéal. Cette confusion mentionnée précédemment et sa méfiance pour les hommes en général laisse supposer qu’un clivage s’opère également dans la réalité non virtuelle. Par conséquent, l’homme qui ne répond pas à ses attentes ou qui exprime un désir sexuel serait considéré comme mauvais car vécu comme intrusif, quel que soit le monde où il se trouve. 6.2.2 Fée Clochette Fée Clochette a davantage de temps libre depuis qu’elle travaille à mi-temps en tant que secrétaire et l’utilise à discuter sur les « Chats ». Elle apprécie Internet car elle peut séduire sans avoir le sentiment d’être une femme libertine. Le regard de l’autre jugeant semble lui être très important. L’absence de l’image de son corps dans le monde virtuel lui donne l’impression d’une plus grande authenticité car ce qui est perçu serait le reflet de ce qui se cache de pur en elle ou cet autre Soi ne pouvant s’exprimer à cause de son corps faisant barrière dans un autre contexte. Le monde virtuel est également idéal car ses désirs s’expriment par le biais d’un rêve diurne. Mais plus précisément elle aurait la possibilité de modeler un homme en Prince Charmant comme si elle se trouvait dans un « conte de fées » réel, écrit de sa main dans la réalité. Fée Clochette affirme clairement sa complaisance pour ce rêve diurne, du fait qu’elle ait déjà vécu une rencontre décevante dans la réalité non virtuelle. L’homme rencontré en face à face lui était inconnu et lui est apparu comme bizarre, sous le joug d’une trop forte idéalisation. Par conséquent, l’homme avec lequel elle a une relation actuellement doit rester un Prince Charmant et ne peut être appréhendé dans un monde non virtuel. Elle affirme vivre une relation amoureuse avec cet homme sur Internet. Cependant, elle semble refuser la rencontre en face à face dans le but d’une évolution de la relation bien qu’elle démente cette tendance à retarder cette échéance ou ce passage vers la construction d’un couple. Nous supposons alors qu’elle a peur de quitter ce rêve et ne souhaite pas vivre à nouveau une confrontation à une réalité décevante car elle a justement conscience d’idéaliser son partenaire. 81 6.2.3 Angelle Elle se connecte sur les « Chats » depuis trois ans dans le but explicite de séduire des hommes. Ses relations virtuelles lui permettent de renforcer son narcissisme, elle a l’impression d’être davantage réel dans le monde virtuel, appréciée pour ce qu’elle est réellement et non pour ce qu’elle représente dans un monde où la pression sociale et le regard d’autrui empêchent une expression authentique du Soi. Elle exprime son plaisir pour la relation virtuelle sans sexualité car elle angoisse à l’idée de passer pour une femme qui offre son corps à tous les hommes qui en font la demande, ou bien de s’apercevoir qu’elle est considérée comme un simple objet de désir. Angelle appréhende la rencontre en face à face : elle a peur de sa propre déception car elle a conscience d’idéaliser ses partenaires virtuels, mais surtout elle a peur que cet homme la trouve décevante, lui aussi victime de sa propre idéalisation. De plus, elle appréhende de rencontrer cet homme à qui elle a dévoilé son intimité psychique et qui lui a donné l’impression d’une certaine proximité dans le monde virtuel alors qu’il n’est qu’un étranger dans le monde réel. Elle se demande si les sentiments qu’elle éprouve pour un homme correspondent à de l’amour bien qu’elle ait tendance dans le monde virtuel à idéaliser son partenaire, qu’une distance physique les sépare et qu’il ne soit qu’un inconnu. La proximité physique l’effraie et en même temps, elle dénie la représentation d’une éventuelle déception lors d’une rencontre en face à face avec son partenaire actuel parce que d’une part ce dernier est idéalisé, et d’autre part, cette réalité à laquelle elle n’a pas encore été confrontée lui échappe. 6.2.4 Nina Nina utilise Internet depuis cinq ans, essentiellement pour l’aspect attrayant de la communication en ligne. Elle accorde beaucoup d’importance au regard et au jugement de l’autre. Elle apprécie de pouvoir s’exprimer sans ressentir une trop forte pression surmoïque. Elle éprouve un certain plaisir à échanger dans le monde virtuel car la proximité physique semble l’angoisser. Cependant, elle se sent frustrée de ne pouvoir établir des relations plus directes avec ses partenaires. La proximité se manifeste lors d’un rapprocher imaginaire des corps et elle est aussi exprimée par le biais des mots. Cet homme doit lui renvoyer une image parfaite d’elle-même pour l’aider à consolider son identité en tant qu’individu unique et en tant que femme méritante d’être désiré. L’aspect sexuel de la relation est ainsi rejeté pour laisser place au plaisir d’Être, tout en essayant de retrouver le plaisir de ne former qu’Un avec l’objet idéal, la mère. Malgré cette place importante de l’imaginaire, la relation virtuelle apporterait la satisfaction d’avoir retrouvé l’objet idéal supposé perdu et favoriserait la 82 réalisation concrète de ses désirs dans un monde semi-réel. Nina a été déçue par sa première rencontre, elle n’a pas trouvé de correspondance entre l’homme imaginé et la réalité. Elle semble refuser l’idée que son imaginaire ait à ce point déformé la réalité de son partenaire. Cet homme l’aurait trompée en dévoilant son corps, et l’image de ce corps était décevante car déniée dans le monde virtuel. Par conséquent, Nina ne favorise pas la rencontre en face à face parce que le partenaire devient un mauvais objet avec un aspect sexuel angoissant. Elle prolonge la discussion en ligne afin de se convaincre que l’homme apprécié est bien en adéquation avec ce qu’elle imagine et ce qu’il prétend être. Cependant, nous nous demandons comment il lui sera possible à un moment donné d’être pleinement satisfaite des vérifications effectuées alors qu’elles paraissent correspondre au domaine de l’impossible. 6.2.5 Finalia Elle se connecte sur les « Chats » depuis environ quatre ans et considère son appétence pour la relation virtuelle comme étant une forme d’addiction. Elle stipule qu’Internet favorise l’émergence d’affect et l’idéalisation des individus. De ce fait, ses partenaires masculins virtuels n’auraient pas d’existence en tant qu’individus mais serviraient de supports de projection pour confirmer la sienne. Elle a ressenti une certaine sidération à rencontrer son premier partenaire virtuel en face à face. Le plaisir d’être avec l’autre s’est transformé en dégoût pour cet autre qui n’en était pas un, étant uniquement convoité pour son rôle de miroir. Nous sommes tentés de mettre en évidence le caractère traumatique de cette expérience car elle ose à peine en parler et qualifie de « violente » la confrontation à la réalité non virtuelle. De plus, notons que sa peur du regard de l’homme explique son plaisir à échanger avec des personnages virtuels répondants à son besoin de valorisation narcissique. La rencontre en face à face est donc évitée, cet homme ne pourrait pas efficacement jouer ce rôle ailleurs que dans un monde virtuel. 6.2.6 Myriam Elle a une connexion à Internet depuis un an et n’a pas hésité à nous faire part de son intérêt pour la séduction en ligne. Elle n’utilise pas les « Chats » pour faire des rencontres en face à face mais pour expulser hors d’elle et dans le réel un conflit psychique qu’elle ne peut pas élaborer. Les propos des hommes virtuels doivent être dénués de toute connotation sexuelle sous peine d’être considérés comme de mauvais objets inintéressants et effractants à 83 ignorer. De plus, elle a expliqué très précisément qu’elle aime imaginer à sa convenance et idéaliser les partenaires virtuels qui lui renvoient une image plus acceptable d’elle-même. Elle a eut de grandes difficultés à nous narrer sa première rencontre en face à face qui semble encore à ce jour traumatique et sidérante. Le processus de refoulement n’aurait pas bien pris en charge la représentation de cette rencontre, bien qu’elle essaie aujourd’hui d’apporter un sens à ce qui s’est passé. Elle s’est retrouvée face à un homme auquel elle avait accordé toute sa confiance mais il s’est avéré être un inconnu étrange. Elle considère que la rencontre en face à face provoque une déception inévitable et, de ce fait, à éviter car trop déstabilisante. En effet, la relation virtuelle qu’elle entretient actuellement avec un homme virtuel lui donne l’impression de vivre un rêve dont elle ne souhaite pas sortir car la confrontation avec la réalité non virtuel de son partenaire impliquerait qu’elle fasse le deuil de cette relation idéale. 84 7. DISCUSSION Nous regrettons de ne pas avoir pu aborder certains points dans le cadre de ce Mémoire et nous souhaitons maintenant poser les prémices d’ultérieures recherches sur ce thème de la relation d’objet virtuel. Curieusement, le nombre si peu élevé de femmes qui ont accepté de participer à cette recherche par le biais d’un entretien sont celles qui refusent toute rencontre en face à face avec un homme après avoir vécu une première expérience décevante. De plus, nous pouvons nous demander si nos hypothèses auraient été validées et jusqu’à quel point les résultats obtenus auraient été significatifs si notre échantillon avait été plus grand. Est-ce que toutes les « Chatteuses » fuient la rencontre en face à face ? D’après quelques témoignages informels, il semblerait que non. Internet serait le lieu idéal pour que le Moi du sujet puisse pactiser avec ses symptômes existants. Chaque pathologie se trouverait ainsi exposée et mise en acte dans la réalité du monde virtuel. En ce qui concerne les femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenus, leur plaisir pour la discussion en ligne et leur peur de la confrontation en face à face semble caractéristique d’une problématique « Etat-limite ». L’identité du sujet se construirait en deux étapes essentielles. Dans un premier temps, dans un registre narcissique, le sujet va constituer son Soi et son Je sur un mode relationnel d’incorporation oral. C’est à travers le regard de sa mère, qui correspond au « Stade du miroir »89 de J.Lacan, que le bébé va intérioriser son image. Dans un second temps, le déclin du Complexe d’Œdipe marque le début d’une identité sexuelle et de la différenciation sexuelle. Selon D.Anzieu : « Les identifications secondaires constituent le noyau du Moi, composent notre sentiment d’identité. Les identifications primaires nous aliènent à des images de l’autre » 90 . Ce déclin de l’Œdipe laisse place à l’Idéal du moi héritier du narcissisme (model auquel le sujet souhaite se conforter) et au Surmoi (représentant des interdits parentaux). Le Moi opère donc le refoulement, c’est le siège des résistances, il tente de gérer le rapport entre « le Principe de plaisir » et le « Principe de réalité », il participe à la censure par le biais du Surmoi, il est capable d’établir des protections, il est lieu de passage de la libido et le siège des identifications imaginaires. L’enveloppe du Moi, selon D.Anzieu, 89 LACAN, J. (1949). Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique. In Écrits. Paris, Seuil, 1966. 90 ANZIEU, D. L’épiderme nomade et la peau psychique. Paris, Collège de psychanalyse groupale et familiale. 1999. 85 se construit par le biais des interactions et sera constitutive de l’autonomie du Moi. Le contenant psychique est d’abord fournit par le corps de la mère avant la naissance. Puis les sollicitudes de celle-ci vont, dans une deuxième étape, favoriser une relation sur un mode fusionnel et protecteur. L’enfant va progressivement différencier ses besoins corporels et ses besoins psychiques qui correspondent à une unité de Soi comprenant le corps et la psyché. Puis il fera une distinction entre lui et le monde extérieur pour la protection de son narcissisme. Ensuite, son sentiment d’identité se forgera par rapport aux images que lui renvoient les objets externes. L’autonomie se poursuit alors par la constitution d’un « espace transitionnel »91 qui permet à la fois l’union et la séparation entre le corps de la mère et de l’enfant. La dernière enveloppe représente la possibilité pour le sujet d’accepter la solitude sans perdre une certaine continuité de soi. L’évolution de cette enveloppe psychique doit pouvoir instaurer une certaine forme d’autonomie à l’âge adulte. Elle rappelle la protection maternelle. Elle représente un contenant qui permet l’échange avec le monde extérieur sans mettre en danger la survie psychique de l’individu à condition que l’enfant ait intériorisé une mère suffisamment bonne et qu’au travers de ses interactions, les messages parentaux n’ont pas été producteurs d’angoisse. D.Anzieu fait une distinction entre autonomie et dépendance. Le concept d’autonomie concerne le rapport que le sujet entretien avec son monde interne et cette autonomie s’exprime dans une première manifestation par l’utilisation du clivage. La notion de dépendance serait liée au sujet dans son rapport à l’environnement. L’acquisition de ces deux notions suppose une différenciation entre soi et l’objet, entre le dedans et le dehors, c’est à dire quand le sujet se détache de sa mère. Une trop forte dépendance à autrui peut faire barrage à l’autonomie psychique du sujet, et vice versa. Lorsque l’équilibre entre ses deux notions est menacé, nous pouvons observer une instabilité dans les relations à l’autre, comme c’est le cas dans les problématiques « Etatlimite » et aussi pour les femmes que nous avons interviewées. Le « Moi-peau » décrit par D.Anzieu assure une enveloppe narcissique et permet l’échange avec les objets extérieurs : « Par Moi-peau, je désigne une figuration dont le Moi de l’enfant se sert au cours de son développement pour se représenter lui-même contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps. Cela correspond au moment où le Moi psychique se différencie du Moi corporel sur le plan opératif et reste confondu avec lui sur le plan figuratif »92. Au cours de ses échanges avec la mère, le bébé va d’abord acquérir le plaisir d’absorber de la nourriture puis à travers les soins de la mère, il va prendre conscience de sa propre peau. La perception de sa peau établit la limite entre le dedans et le dehors si sa mère lui apporte un sentiment de sécurité. Sa peau remplit donc la fonction de préservation 91 92 WINNICOTT, D. W. (1975). Jeu et réalité : l’espace potentiel. Paris, Gallimard, 2002. ANZIEU.D. Le Moi peau. Paris, Dunod, 1985. 86 du bon à l’intérieur du corps, elle marque la limite entre dedans et dehors et laisse une possibilité de communication avec autrui. Chez les sujets « Etat-limite », le Moi-peau semble altéré malgré une certaine adaptation à la réalité. Les affects difficilement contenus, sont projetés à l’extérieur de façon violente, dont le retour sur soi est redouté. Le Soi ne pouvant pas supporter ces mouvements pulsionnels trop importants, devient un lieu vide à remplir par la présence fantasmatique d’objets rassurants. Mais que se passe-t-il pour ces femmes qui utilisent Internet ? Elles semblent colmater une brèche de leur « Moi-peau » par l’utilisation d’un objet tiers, d’un écran qui constituerait une peau supplémentaire, une « cyber-peau ». De plus, elles pourraient remplir leur vide intérieur par la présence d’objets réconfortants, plus réels que fantasmatiques car virtuels. Les traumatismes liés aux réponses inadaptées de la mère provoqueraient chez le sujet adulte un clivage entre le corps et la psyché pour se protéger de la destruction de son unité. Cette dissociation représente une défense contre la perte totale de son unité psychique et corporelle. L’utilisation d’un ordinateur comme intermédiaire dans la relation permettrait alors au sujet féminin de préserver son unité car il pourrait écarter ce corps pour laisser place à la psyché et favoriserait cette revendication de l’unicité de soi. L’introjection des fonctions maternelles fonde le sentiment de l’expérience de soi et la capacité à être seul. L’enfant se constitue un espace interne par introjection d’une mère suffisamment soutenante, cette image pourra ainsi abaisser ses tensions interne. L’impossible accès à l’ambivalence rend difficile la séparation de l’objet primaire maternelle et amène une défaillance au niveau de l’élaboration de la sexualité. Les sujets féminins que nous avons interviewés semblent difficilement supporter l’absence de l’objet qui se manifeste par une quête compulsive du Je des autres : « Le Je va tenter d’expulser et ainsi d’extérioriser son conflit intime, mais pour le faire, il lui faut le concours des autres Je ; ceux là seront appelés à jouer les rôles des différents figurants, tirés du monde interne du sujet, ayant été désignés par projection pour ces identifications aux personnages expulsés… »93. Selon O.Kernberg94, la faiblesse du Moi, chez les sujets à problématique « Etat-limite », se caractérise par le manque de tolérance à l’angoisse. L’absence de l’autre se traduit par un manque de contrôle des pulsions. Le sujet ne pouvant pas gérer celles-ci, va tenter d’évacuer ses tensions. Nous pouvons observer l’émergence, chez ces « Chatteuses », de processus primaires qui se manifestent par la réactivation de relation d’objet internalisé, l’utilisation de mécanismes de défense précoces, une mauvaise stabilité des frontières du Moi et des changements rapides dans les mouvements d’investissement d’objet. Notons que 93 94 MC-DOUGALL, J. Théâtre du je. Paris, Gallimard. 1982. KERNBERG, O. (1967). Les troubles limites de la personnalité. Paris, Dunod, 1979. 87 l’utilisation du clivage est une défense contre l’angoisse. Les objets extérieurs ou virtuels se retrouvent vécu comme mauvais et, à d’autre moment, comme de bons objets. Cette dissociation empêche l’intégration du Surmoi et la construction d’une identité stable, mais constituerait un mode de relation satisfaisant dans leur tentative de préserver cette fragile identité. Dans le développement normal de l’enfant, la frustration due à l’absence de la mère contribue à la distinction du Soi et du non Soi. Mais une trop forte frustration à l’âge adulte peut ramener le sujet à un mode de fonctionnement précoce afin de retrouver une satisfaction perdue. Selon O.Kernberg, l’intensité des pulsions agressives pourrait provenir soit de frustrations précoces sévères, soit de l’intensité constitutionnelle de ces pulsions agressives. Cette agressivité peut s’exprimer par l’exercice d’une forte emprise sur l’autre. A d’autres moments le sujet fait preuve d’un amour totalement passionnel pour l’autre. Nous pouvons expliquer ces mouvements extrêmes par la désintrication pulsionnelle. Le sujet féminin n’aurait pas réellement de désir pour l’objet virtuel, il en aurait besoin pour se sentir protéger contre l’environnement extérieur perçu comme dangereux, et dans un but de revalorisation narcissique. L’objet virtuel se voit alors paré de toutes les qualités et l’apparition du moindre défaut entraînerait un renforcement du comportement d’idéalisation sur Internet, ou bien un renversement complet dans le monde virtuel ou non virtuel. Dans un sentiment d’insécurité, le sujet féminin exigerait et estimerait qu’il est en droit d’obtenir satisfaction de la part de l’autre. L’idéal du Moi exerce une forte influence car cette femme est également exigeante vis à vis d’elle-même afin s’assurer de l’amour de l’autre. Toute dévalorisation narcissique est vécue comme une blessure profonde et favorise l’angoisse dépressive. Elle doit alors prendre possession sur l’autre pour le contrôler, d’où l’utilisation de l’identification projective. Ce manque de différenciation entre le Soi et l’objet correspond à la phase « schizoïde-paranoïde » 95 décrit par M.Klein où l’enfant se projette fantasmatiquement à l’intérieur du corps de la mère pour le maîtriser ou pour détruire les mauvais objets qui s’y trouvent eux-mêmes déjà projetés. Bien que ces femmes soient conscientes de leurs sentiments à l’égard de l’autre, elles dénient les variations affectives brutales et sont incapables d’intégrer ces variations à leurs sentiments du moment. La différenciation entre les images de soi et des objets semble avoir atteint un niveau insuffisant chez ces femmes : la frontière entre le dedans et le dehors reste floue. Tout échange affectif excessivement proche provoque la crainte d’une intrusion de la part de l’objet extérieur alors qu’une trop grande distance pourrait les mettre en danger par rapport à une peur de l’abandon. Cette peur de l’abandon montre que la « Position dépressive » (M.Klein, 1952) n’aurait pas bien été élaborée. La fonction du « Moi-peau » (D.Anzieu, 1985) serait assurée de manière précaire. Sa fonction contenante est défaillante et nécessiterait un fort étayage 95 KLEIN, M. (1952). Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés. In Développements de la psychanalyse. Paris, PUF, 1966. 88 de la part de l’autre. La relation virtuelle leur permettrait d‘être à la fois proches et éloignées de cet objet dont elles ont besoin pour se sentir exister. La nature des mécanismes de défense, l’agressivité et l’angoisse dépressive rendent difficile le maintient avec la réalité. La distinction entre le dedans et le dehors est acquise mais reste fragile. Le secteur adaptatif du Moi permet le maintient du lien avec la réalité mais le secteur anaclitique du Moi amène à une vulnérabilité des limites. Par conséquent, le monde virtuel constitue une réalité satisfaisante, à la fois dehors et dedans, et abaisse le conflit intra-psychique. Nous souhaitons apporter une certaine nuance à nos propos. En effet, il semblerait d’une part que l’utilisation d’Internet favorise l’émergence de mécanismes défensifs assez archaïques tel que le clivage du moi, le clivage de l’objet, l’idéalisation primitive, la projection, l’introjection, l’identification projective, le déni… D’autre part, notons que le début de la relation amoureuse est caractérisé également par ce type de mécanismes. Par conséquent, l’existence d’une problématique « Etat-limite » chez ces sujets féminins ne peut être confirmée. Nous manquons d’un recueil anamnestique pour appuyer cette hypothèse et nous n’avons pas dirigé nos entretiens dans ce sens. Nous pouvons seulement mettre en évidence la fragilité narcissique de ces femmes. De plus, nous précisons que cette notion de « cyber-peau » mentionnée précédemment n’est que spéculation et les éléments présents dans nos entretiens ne nous permettent d’argumenter cette réflexion, bien qu’il nous semblerait intéressant de la développer davantage dans une recherche ultérieure. Nous aurions également aimé aborder un autre élément qui nous semble important. En effet, nous nous interrogeons sur le caractère addictif de la relation virtuelle. Ces femmes ont majoritairement affirmé utiliser Internet exclusivement pour discuter sur les « Chats ». De plus, elles ont précisé consacrer de nombreuses heures (même la nuit) à leurs relations virtuelles. Selon P.Jeammet, la problématique addictive correspondrait à une « pathologie de l’agir »96. Le sujet tenterait de résoudre son conflit intrapsychique en utilisant un objet extérieur. L’objet d’addiction permettrait de suppléer l’absence de l’objet sur un mode auto-érotique. Cette mise en acte du conflit serait caractérisée par la répétition, par la domination de la pulsion de mort, même si au départ l’effet recherché était différent. Toute notion de plaisir se trouverait alors abolie car le sujet tenterait compulsivement de maîtriser l’objet extérieur. Il s’agirait 96 JEAMMET, J. Dépendance et séparation à l’adolescence, point de vue psychodynamique. In Dépendance et conduite de dépendance. Paris, Masson, 1994. 89 surtout pour lui d’établir un contact : « il faut s’assurer que l’autre est là, au contact mais en même temps toujours au dehors, en périphérie et par là même contrôlable »97. La prise du produit apporterait donc des sensations, davantage tolérables, que des émotions. Cette tentative d’autoguérison par la prise d’un produit échouerait, elle conduirait à la destruction physique et psychique du sujet. P.Jeammet, nous dit que malgré cette tentative du sujet pour établir un semblant de relation objectale, la prise de drogue n’apporte « aucun réapprovisionnement narcissique »98. En effet, elle amplifierait le vide intérieur et le besoin de l’objet. Et le comportement deviendrait « de plus en plus délibidinalisé, purement mécanique, tandis que disparaît toute activité fantasmatique qui lui soit liée et que l’autoérotisme perd toute dimension érotique et de plaisir au profit du besoins de sensations violentes pour se sentir exister et non plus pour éprouver du plaisir »99. Cette explication de P.Jeammet concerne la prise d’un produit, d’un objet toxique, choisit certes pour ses propriétés apaisantes, mais qui finalement n’est qu’un objet inanimé. C’est un objet non humain qui répond négativement à sa question existentielle. Cet objet inanimé ne fait que confirmer son vide intérieur car il lui renvoie sa « non existence ». Il l’emmène ainsi vers sa propre mort, un retour à l’état inorganique ; ce qui expliquerait la disparition de l’activité fantasmatique liée à l’objet. Cette recherche de sensations nous fait penser à une tentative de retour dans le ventre maternelle, lieu où le nourrisson a ses premiers ressentis ou lorsqu’il apprend à maîtriser son environnement en manipulant des objets inanimés. Il n’est plus question d’un échange libidinalisé mais juste d’une prise de contact avec les objets extérieurs. Les Chatteuses que nous avons interviewés se servent en effet d’un objet inanimé, l’ordinateur, qu’elles utilisent de façon assez intensive mais il ne constitue pas le but de la pulsion, il est là en tant qu’intermédiaire. Nous reviendrons plus tard sur le rôle joué par cet objet dans la relation virtuelle. L’objet visé est bien un objet animé puisqu’il s’agit d’un homme, davantage fantasmé qu’un homme réel, mais il est bien vivant. Il renvoie donc une image vivifiante, et non mortifère, à son interlocutrice. Il contribue également à la fantasmatisation parce qu’il est ni tout à fait réel ni tout à fait présent, par conséquent il vient à manquer, et c’est ce qui leur alimente leur désir. Mais aussi parce qu’il est un objet d’amour idéal, doté de toutes les perfections qu’elles lui attribuent, et renvoyant une image idéale. 97 Ibid. Ibid. 99 Ibid. 98 90 A.Charles-Nicolas relie l’addiction à la problématique narcissique à cause des traits dépressifs présents chez les sujets addictés. Il rejoint les propos de P.Jeammet concernant le fait que la drogue serait utilisée « de façon autothérapeutique »100 et que le sujet tenterait de résoudre son conflit interne par « des passages à l’acte qui servent à combler, à empêcher le vide d’apparaître »101. Cette mise en acte se ferait au détriment de l’élaboration psychique. De plus, il souligne que la problématique addictive serait sous-tendue par une recherche compulsive de la satisfaction grâce à l’incorporation (l’introjection échouant) et à la projection. D’après l’importance des pulsions agressives que le sujet ressent comme venant de l’extérieur, il incorporait l’objet pour mieux le contrôler : « tout ce qui vient de l’extérieur peut être menaçant et se droguer c’est maîtriser ce qui vient de l’extérieur. »102. Ensuite, A. Charles-Nicolas précise que l’addicté se comporte avec autrui comme il le ferait avec de la drogue, c’est à dire qu’il « ressent à l’égard de l’autre un profond besoin de sa présence… Il s’agit d’un mouvement de dépendance pure qui se situe dans le champ utilitaire et non dans celui du désir. Utilitaire dans la mesure où il a besoin de l’autre pour exister à travers lui. L’autre assure une véritable suppléance narcissique, tout en amplifiant le manque et en dramatisant l’insuffisance »103. Nous ne pouvons pas stipuler que les utilisatrices de « Chat » s’en tiennent à un simple passage à l’acte en navigant sur Internet, parce qu’un véritable échange s’opère entre elles et les hommes virtuels, la rencontre a bien lieue. Cependant, nous avons mis en évidence l’expression d’une recherche très active de la satisfaction, passant par l’utilisation d’un outil informatique, et qui permettrait à ces femmes d’avoir un certain contrôle sur leur relation d’objet. Elles décident ainsi quand et comment elles vont se connecter sur les « Chats » d’Internet pour « entrer en relation », mais aussi, quand, comment et avec qui elles vont « échanger », d’un simple clic de souris. Cet homme, objet semi réel, surréel ou irréel, mais en tous les cas proche de la réalité, elles l’utiliseraient comme un support de projection pour ensuite introjecter une meilleure image d’elle-même, confirmer leur existence et combler leur manque à Etre. D’une part, l’introjection fonctionnerait puisque ces femmes ont précisé que grâce à l’intermédiaire d’Internet, elles auraient trouvé un homme-miroir qui leur renvoie une image favorable. D’autre part, notons que cette tentative de contrôle de l’objet se ferait sur le plan de l’oralité car le sujet féminin incorporait l’objet sous l’illusion qu’il est un objet total. L’homme serait perçu dans la réalité non virtuelle comme inquiétant, et deviendrait sur Internet un objet qu’il est possible de contrôler et d’approcher en toute sécurité. Nous 100 CHARLES-NICOLAS, A. Toxicomanies et pathologie narcissisme. In Narcissisme et états-limites. Paris, Dunod, 1986. 101 Ibid. 102 Ibid. 103 Ibid. 91 précisons que cet objet n’est pas dénué de sexe, c’est un homme choisit parce que justement il est un homme, bien qu’il semble considéré comme un Dieu, un prince tellement merveilleux qu’on ne peut le toucher qu’avec les yeux ; satisfaction quasi orale si l’on considère que les paroles de cet homme sont absorbées, tout comme le nourrisson éprouve de la satisfaction à boire le lait maternelle. Cet homme serait à maîtriser car il constituerait ce mauvais sein qu’elles doivent détruire pour ne prendre que le bon, mais surtout parce qu’il détient le phallus, symbole de puissance, à la fois méprisé et suscitant le désir. Nous nous demandons alors si cette quête de la mamelle imaginaire, décrit par S.Freud et J.Lacan, dont nous avons parlé au début de cet écrit, ne serait pas accompagnée d’une quête du phallus, objets partiels venant tous deux à manquer et alimentant le désir. Nous souhaitions ici mettre en évidence la tentative de contrôle de l’objet qui serait sous-tendue par la revendication orale et phallique de ces « Chatteuses » ; tentative également observée dans la problématique addictive. Cependant, les pulsions agressives ne semblent pas dominer dans cette relation à l’objet virtuel, l’introjection aurait aussi sa place. En effet, l’objet que cette femme tente de contrôler est avant tout un objet d’amour. Selon J Mac Dougall, les objets d’addiction ne seraient pas seulement les objets inanimés, mais aussi des individus « réduits à des objets partiels, voire inanimés, telles les drogues, substituts de la mère interne, mère-soignante, parce que celle-ci manque dans le monde interne. »104. Ces objets seraient recherchés pour leur caractère bénéfique (même lorsqu’il s’agit d’un toxique), d’où l’emploi du terme « addiction » plutôt que « toxicomanie » ; le sujet ne chercherait pas à s’empoisonner. L’addicté aurait « tendance à fuir, au travers divers paradis substitutifs, la douleur issue de divers paradis. »105. L’objet d’addiction rejoindrait le rôle de l’objet transitionnel de la petite enfance mais il resterait « transitoire, toujours à recréer »106 et permettrait au sujet de se sentir exister. La confirmation de cette existence ne pourrait passer que par l’intermédiaire d’un autre. Cette addiction témoignerait donc d’une fragilité narcissique. De ce fait, la disparition de l’objet mettrait l’individu en danger parce qu’il le considérait comme faisant partie de lui-même. Elle précise également qu’il peut aussi fuir toute relation afin de « parer au danger de perdre les limites de soi »107. Mais qu’en est-il pour les femmes que nous avons interviewées ? Elles nous ont fait part de leur peur du regard de l’autre (ce qui témoigne de leur fragilité narcissique) et de l’utilisation d’Internet pour entrer en contact avec autrui, mais aussi pour échanger. Même si les corps 104 Mac Dougall, J. Théâtres du Je. Paris, Gallimard, 1982. Ibid 106 Ibid 107 Ibid. 105 92 physiques sont absents de la relation, que le contact est considéré comme plus « propre » et moins effractant, nous mettons l’accent sur cette notion « d’échange » qui s’opère malgré tout. Echange verbal, mais aussi échange sur le plan psychique, caractérisé par les mécanismes de projection et d’introjection qui s’organise chez les deux partenaires. En effet, ces mécanismes sont archaïques mais ils constituent l’élément moteur de la relation amoureuse ainsi que l’utilisation du partenaire comme support de projection d’une image idéale qui est ensuite introjecté, et prendrait la place de l’idéal du moi du sujet. Si nous nous référons à C.David, « dans l’état amoureux c’est du Moi qui, par personne interposée (l’objet aimé), absorbe le Moi ; somme toute c’est le Moi qui s’absorbe lui-même par le biais de la projection des qualités qu’il se souhaite sur un support objectal »108. La libido aurait donc finalement pour cible le moi du sujet, la satisfaction sexuelle ne serait que secondaire. La tentative de fusion des deux partenaires irait dans le sens d’une destruction, d’une effraction des limites du Moi. Mais un compromis habile entre libido narcissique et libido sexuelle prolongerait l’état amoureux et rétablirait l’équilibre : « quand l’objet aimé ne constitue pas seulement un prétexte à fantasmes et qu’il peut exister avec lui un échange réel, je pense que l’aventure peut aller et va plus loin et que l’état amoureux - dépassant l’exaltation narcissique – revêt alors une signification différente, plus complexe. »109. Le sujet chercherait à travers l’autre à colmater un trou pour garantir son unité. La relation amoureuse permettrait donc au sujet de confirmer son identité car l’objet aimé comblerait cette partie supposée manquante. Mais le désir se maintiendrait parce que l’objet ne remplirait que partiellement ce rôle. C.David donne l’exemple de la lettre amoureuse qui s’efforce de compenser l’absence de l’autre. Même si les corps sont absents, « une véritable rencontre s’opère dans la correspondance comme elle se produit dans la relation direct ; une rencontre qui ne peut pas plus être assimilée ou réduite à l’échange de deux fantaisie, que l’union charnelle ne peut être réduite au contact de deux épiderme »110. Les mots envoyés en retour par l’objet d’amour, ne ferait qu’augmenter le plaisir narcissique. Cependant, que se passe-t-il lorsque la rencontre physique n’a pas lieu ? Dans un contexte de relation amoureuse virtuelle, le narcissisme du sujet semble d’autant plus exalté et apporterait à ces femmes une confirmation positive de leur existence. Mais nous nous demandons si cette renaissance de soi à travers l’autre ne serait pas que partielle ou temporaire. En effet, pouvons nous parler d’un échange réel entre les deux partenaires étant donné que le sujet reste dans l’inassouvissement sexuel ? L’ordinateur servirait de 108 DAVID, C. (1971). L’état amoureux. Paris, Payot, 2002. Ibid. 110 Ibid. 109 93 barrière protectrice et éviterait une effraction du Moi. Nous supposons que l’espace virtuel constitue un espace « transitionnel », ou plutôt « transitoire », pour rejoindre les propos de J.Mac Dougall. Cette barrière se dresserait entre soi et l’autre mais permettrait à ces femmes de vivre cette fusion amoureuse sans qu’elle soit ressentie comme trop menaçant les limites de leur moi. Elles pourraient ainsi répondre à leur idéal du moi exigeant à travers cet homme-miroir, vivre une pénétration libidinale et du regard de l’autre plus tolérable. Alors pouvons nous affirmer qu’il est question ici d’une relation addictive à ces hommes ? Ils ne semblent pas seulement être des « objet-choses » à contrôler tel que l’on pourrait l’observer dans le comportement pervers, puisqu’ils sont aimés et fantasmés. Le partenaire participe volontiers à ce jeu d’introjection et de projection étant donné que cela alimente leur relation. La relation amoureuse, en raison de sa complexité, ressemblerait à une forme d’addiction puisqu’elle serait sous-tendue par les mêmes mécanismes archaïques. L’espace virtuel constituerait un refuge paradisiaque, leur relation amoureuse virtuelle contribuerait à confirmer leur existence puisque cette relation n’est pas qu’une illusion. Cependant, dans la relation amoureuse virtuelle quel est le pouvoir de Thanatos, grandement présent dans la problématique addictive ? Selon J.Mac Dougall, l’objet d’addiction serait vital pour le sujet, sa disparition se caractériserait par un deuil très douloureux pour le sujet fragile narcissiquement, parce que l’objet serait considéré comme faisant partie de lui-même. Mais dans la relation amoureuse conventionnelle, le partenaire est aussi considéré comme une partie de soi et sa perte serait aussi mal vécue. Dans la relation amoureuse virtuelle, l’autre ferait parti du sujet seulement sur Internet et c’est la rencontre en face à face qui impliquerait la domination des pulsions agressives. Le miroir-masculin ne remplirait plus tout à fait son rôle et il ne serait plus une partie de soi mais un Autre, un inconnu étrange. Par conséquent, sa disparition n’entraînerait une perte d’une partie de soi que dans l’espace virtuel. Cet homme est-il vraiment considéré comme une partie de soi ou comme un Autre ? Nous supposons que ces femmes se posent cette question, ce qui expliquerait le maintient de cette relation virtuelle et l’évitement d’une confrontation dans le monde physique. Nous considérons qu’Internet est un espace semi réel qui confirmerait en partie leur existence. Cette tentative d’autoguérison caractéristique de la problématique addictive, dont nous parle A.Charles-Nicolas et P.Jeammet, serait plutôt une tentative de guérison mutuelle car nous ne devons pas oublier qu’ils sont deux à partager cet amour dans cette semi réalité. Nous rejoignons les propos de C.Davis lorsqu’il dit que l’amour serait bénéfique pour le sujet, « aimer, c’est renaître »111. Cela contribue à consolider l’identité, le moi du sujet. De ce fait, les tensions entre l’idéal du moi et le moi s’amenuisent. Alors peut-on parler d’objet d’addiction puisque la relation amoureuse virtuelle est efficace et rempli le rôle que ces 111 Ibid. 94 femmes attendent ? Expriment-elles un souhait implicite de rejoindre la mort, de retourner à un état inorganique, à un contact délibidinalisé ? Non, car Eros triomphe de Thanatos, et peut-être un peu trop. La relation amoureuse suppose l’émergence de mécanismes archaïques et le contexte virtuel favorise d’autant plus cette domination d’Eros. Ce qui d’ailleurs rend difficile la rencontre. L’objet idéal, parce qu’il est virtuel, serait idéalisé en raison du pouvoir de l’amour. Mais que se passe-t-il au bout d’un certain temps d’échange entre les partenaires ? C.David nous dit ceci : « l’amoureux qui accomplit réellement et juste dans ses possibilités ultimes l’expérience sexuelle et effective de l’amour, je le nommerais volontiers un miroir qui voit »112. L’inassouvissement sexuel serait la cause de l’extinction d’une relation amoureuse alors que certains amoureux attendent parfois plusieurs mois avant d’avoir un rapport sexuel et charnel, et leur amour ne s’éteint pas pour autant. Mais considérons la particularité de la relation amoureuse virtuelle. Dans ce contexte, nous supposons que l’amour pourrait s’épuiser, non pas à cause d’une insatisfaction corporelle mais plutôt lorsque le partenaire masculin remplit uniquement un rôle de miroir. Les femmes que nous avons interviewées sont amoureuses depuis plusieurs mois. Elles cherchent à répondre à leur idéal du moi mais elles semblent aussi attendre de cet autre qu’il se montre étayant, patient, à l’écoute et respectueux de leur peur de la proximité. Elles choisiraient donc l’homme qui répond à ce qu’elles voudraient être mais aussi l’homme qui protège. Selon S.Missonnier, « la virtualisation sera toxique si elle inhibe durablement l’élan créateur et favorable si elle conduit, à ne pas répéter aveuglément les refrains actuels »113. Nous considérons que ces femmes ne sont pas dans la tentative fusionnelle et de symbiose parfaite les conduisant à la mort, ni dans la répétition aveugle où elles ne voient qu’ellesmêmes, mais bien dans une construction préliminaire de la relation où elle considère bien l’autre comme un Autre malgré leur fragilité narcissique. La création se situe donc au niveau de soi, de l’autre, vers un meilleur apprivoisement de la relation, et incluant dans un second temps, la satisfaction sexuelle. Nous restons donc optimistes concernant leurs futures relations amoureuses dans le monde non virtuel. Nous tenons à préciser que la mise en corrélation entre addiction, virtualité et amour est si complexe que cette question mériterait d’être plus approfondie. 112 Ibid. MISSONNIER, S. (2000). Le vieil homme, l’enfant et le travail virtuel. In Spiral, n°14, « Les bébés de l’an 2000 ». Paris, Eres, 2000 113 95 En ce qui concerne le choix de notre population, d’après nos observations les femmes seraient davantage en quête d’un partenaire idéal et d’une relation idéale que les hommes. Il aurait été intéressant par exemple de s’entretenir avec ces partenaires masculins afin de comprendre ce qu’ils attendent d’une relation virtuelle, pourquoi ils acceptent ce rôle de miroir virtuel, pourquoi ils se montrent aussi tolérants face aux exigences des « Chatteuses », et patients dans leur attente d’une rencontre en face à face. Selon les femmes que nous avons interviewées, leurs partenaires masculins ont tous formulé une demande de confrontation dans la réalité non virtuelle. 96 CONCLUSION Toute femme espère trouver un jour un homme avec qui vivre une histoire d’amour idéale car c’est retrouver le plaisir de la relation privilégiée et unique du nourrisson avec sa mère. Cet espoir se manifeste par une attente passive du futur élu ou par une quête active du partenaire idéal. Cependant lorsque cet élu apparaît dans la vie d’une femme, il est d’abord idéalisé. Cette première étape est caractérisée par la passion, une sorte de folie passagère : « Quand on est amoureux, comme le dit le langage populaire, on est fou » 114 (J.Lacan, 1954). L’étape suivante consiste à accepter l’Autre en tant qu’objet séparé de soi et comme partiellement insatisfaisant. Faire le deuil de cet idéal n’est pas chose évidente et chaque partenaire s’en accommode comme il peut. L’étape de ce deuil peut être évitée dans un certain contexte. En effet, le monde virtuel donne la possibilité à des individus de vivre une relation idéale avec un partenaire idéal. La rencontre en face à face permet d’accéder à l’ambivalence et à la construction du couple mais elle est contraignante, déstabilisante et insatisfaisante pour les femmes qui prennent plaisir à s’entretenir avec le Prince Charmant. La relation virtuelle est certes directe, rapide et peu coûteuse mais sur le plan imaginaire, ces femmes trouvent une réponse à leurs espérances et se sentent plus libres de séduire, étant moins sous le joug du regard de l’autre. Les individus rencontrés sont clivés en bons ou mauvais objets. Parmi ces bons objets, cette « Chatteuse » chercherait un objet meilleur que les autres, un Prince Charmant si merveilleux qu’elle ne peut le toucher, mais cela lui convient. Elle n’exprime pas un désir de l’être car la proximité physique semble l’angoisser. Mais elle revendique un droit à Être dans son unicité, à paraître une femme involontairement séduisante, une femme qui mérite d’être désirée. L’image idéale est projetée sur le partenaire et ensuite introjectée pour répondre à leur idéal du moi. La relation amoureuse virtuelle correspondrait à la recherche d’un miroir masculin renvoyant une image favorable mais serait surtout une quête de la relation parfaite. Cependant, ces femmes ressentent à la fois une certaine frustration et de la complaisance à rechercher quelque chose d’inaccessible. Ce qui est inaccessible ne peut supposer une quelconque forme de rapprochement physique puisque le contact signifie le sexuel. Elles ne peuvent ni toucher ce qui est intouchable, car tabou, ni concevoir de toucher ce qui n’existe pas. L’homme virtuel est alors un Prince Charmant intouchable et un être convoité parce qu’inaccessible. Ce qui nous ammène à supposer l’expression d’un certain masochisme. 114 LACAN, J. (1954). Les écrits techniques de Freud. In Le Séminaire : livre I. Paris, Seuil, 1975. 97 Cependant, nous considérons que la relation virtuelle serait davantage la mise en acte d’un compromis. Se rapprocher de l’homme virtuel signifierait ne plus être complété par un Autre mais rassembler des parties dispersées de soi. Internet permettrait l’expression de cet autre Soi dissimulé par l’enveloppe corporelle (considérée comme encombrante) et censuré dans le monde non virtuel. L’homme virtuel pourrait alors aider le sujet féminin, dont l’identité est fragile, dans sa tentative de consolidation du Moi. Ces femmes ont conscience du bénéfice qu’elles tirent à idéaliser leur partenaire mais souhaitent rester dans l’illusion de cette première étape passionnelle, avec l’impression qu’elles entretiennent des relations avec des objets totaux. Cette relation virtuelle avec un Prince Charmant, ce « Dieu immaculé », apporterait un plaisir plus satisfaisant que la relation amoureuse conventionnelle. 98 BIBLIOGRAPHIE - ANZIEU, D. L’épiderme nomade et la peau psychique. Paris, Collège de psychanalyse groupale et familiale, 1999. - ANZIEU, D. Le Moi peau. Paris, Dunod, 1985. - ATTIGUI, P. (2001). Le sexuel.com ? Une activation technologique du fantasme. Intervention au congrès « La présence de l’absence » du LASI. - CHARLES-NICOLAS, A. Toxicomanies et pathologie narcissisme. In Narcissisme et états-limites. Paris, Dunod, 1986. - CIVIN, M. (2000). Psychanalyse du Net. Paris, Hachette littérature, 2002. - DAVID, C. (1971). L’état amoureux. Paris, Payot, 2002. - FERENCZI, S. (1924). Thalassa, Psychanalyse des origines de la vie sexuelle. Paris, Payot, 1992. - FERENCZI, S. (1932), Journal Clinique, Paris, Payot, 1985. - FERENCZI, S. (1933). Confusion de langue entre les adultes et l’enfant. In Œuvres Complètes. T4. 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