Tocsin N° 2 - Conseil Général de l`Aude

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Tocsin N° 2 - Conseil Général de l`Aude
La lettre de la Mission audoise pour la célébration de 1907
Conseil Général de l’Aude
Edito
i nous en jugeons par le succès rencontré par le premier
numéro du Tocsin 2007, la commémoration du mouvement viticole de 1907 est un événement
attendu, dans l’Aude mais aussi
dans les départements voisins.
Nous avons déjà connaissance
de nombreux projets, dans des
domaines aussi divers que l’art
contemporain, le spectacle
vivant ou l’édition d’ouvrages à
caractère historique. Les trois
commissions, chargées de préparer le travail de la Mission, ont
tenu leurs premières réunions et
nous ne manquerons pas prochainement de vous tenir au courant de leurs observations.
ette dynamique ne peut que
nous encourager à poursuivre dans cette voie. Et nous
comptons sur tous pour que cette
célébration ne soit pas seulement
un regard porté sur le passé mais
aussi une réflexion sur l’avenir.
S
C
Marcel Rainaud,
Président du Conseil Général
de l'Aude
AVRIL 2006 N°2
Vignerons en révolte
Comme nous l’avions annoncé précédemment, voici le premier épisode du
récit retraçant l’histoire de la révolte de 1907.
Temps de prospérité,
temps de crise
n 1840, le vignoble dans
l’Aude, l’Hérault, le Gard et
les Pyrénées-Orientales
représente 269 000 hectares. Vingt
ans plus tard, on dénombre dans ces
quatre départements 457 000 hectares de vignes, soit 18,7 % de la
superficie totale du vignoble français. L’importance considérable
prise par la viticulture en
Languedoc est donc relativement
récente et date seulement de la première moitié du XIXe siècle.
E
ertes, dès le premier siècle
avant notre ère, la culture de
la vigne est attestée dans la
Narbonnaise antique. Dans son
Histoire naturelle (livre XIV, 18,
26, 43 et 68), Pline l’Ancien (23-79
apr. J.C.) évoque les vins de cette
province. Au Moyen Age, comme à
l’époque moderne, la vigne continue à occuper une place certaine
dans l’espace cultivé, modeste toutefois en raison de l’obligation
absolue de produire sur place les
grains nécessaires à la subsistance
et de la faiblesse des débouchés
commerciaux. Les vins du
Languedoc figurent sur la table de
Philippe Auguste, roi de France ;
quant à la blanquette de Limoux,
elle est connue dès le XVIe siècle et
sans aucun doute plus appréciée
que le vin clairet : les consuls de
Limoux en font livrer deux flacons
C
Ordonnance royale demandant un état des
nouvelles plantations en vignes faites dans
les terroirs des communautés du
Languedoc pour s’assurer que l’interdiction
de planter des vignes en date du 5 juin 1731
est bien respectée (A. D. Aude, 10 C 47).
au sieur d’Arques en 1544 (A. D.
Aude, 23 C 2, f° 21 v°). Mais le
Midi languedocien ne bénéficie pas
de conditions aussi favorables que
celles dont jouit notamment le
Bordelais (liens anciens noués avec
l’Angleterre, commerce maritime
développé). Par ailleurs, l’évolution
défavorable du prix du vin par rapport à celui du blé bloque durablement l’extension de la vigne. Bien
que l’intendant Nicolas Lamoignon
de Basville affirme dans ses
mémoires que le Languedoc
connaît à la fin du XVIIe siècle un
important essor viticole, il semble
que la réalité soit plus complexe. La
construction du Canal des Deux-
Mers et l’aménagement du port de
Sète ont élargi les horizons commerciaux et accentué le partage du
Languedoc en deux zones, une partie occidentale orientée vers la production des grains, une partie orientale davantage viticole. En 1774, la
généralité de Toulouse produit
80 095 muids de vin ; celle de
Montpellier 181 614, soit au total
2 millions d’hectolitres pour l’ensemble de la province. Mais les
freins à la viticulture demeurent :
les pouvoirs publics, appréhendant
les pénuries en grain, interdisent à
diverses reprises les plantations de
vignes ; les taxes intérieures et les
droits d’exportation demeurent élevés. A la fin du XVIIIe siècle,
cependant, l’intérêt pour la viticulture est manifeste : les Etats de
Languedoc y portent attention, le
négoce du vin et des eaux-de-vie
tend à se développer.
’augmentation du prix du vin
par rapport à celui du blé,
qui intervient alors, bénéficie à la culture de la vigne.
L
L
a mise en place du réseau de
chemins de fer au XIXe siècle contribue au développement de la viticulture de masse. En
1871, le vignoble des quatre départements méridionaux produit
14 816 000 hectolitres (sur les
59 025 000 hectolitres produits en
France). Mais, à la fin du XIXe siècle, la prolifération d’un insecte
minuscule, le phylloxera vastatrix,
qui provoque sur les racines des
nodosités ou des tubérosités entraî-
nant la pourriture du cep, dévaste le
vignoble. Introduit en France par
les plants américains, le phylloxéra
apparaît vers 1869 dans le Gard,
atteint la région de Montpellier en
1870 et l’Aude en 1878. En 1886,
100 000 hectares dans l’Aude sont
détruits, soit les deux tiers du
vignoble. On ne découvre que fort
tard les remèdes à ce fléau : la submersion des plants en hiver n’est
pas réalisable partout et nécessite
de gros travaux d’aménagement ; la
greffe d’un plant français sur un
porte-greffes américain résistant au
parasite apporte la solution.
a crise phylloxérique a une
double conséquence. La
sous-production de vin pendant plusieurs années a rendu
nécessaire l’achat de grandes quantités de vins étrangers (Italie,
Espagne), amené le gouvernement
à encourager la création d’un
vignoble algérien et conduit à la
fabrication de vins artificiels avec
du sucre et des raisins secs. Par ailleurs, la reconstitution du vignoble
a donné naissance à une “viticulture
industrielle”, exigeant davantage
d’investissements et de main d’œuvre qualifiée. Lorsqu’on évoque les
dix dernières années du XIXe siècle,
on peut parler de nouvel âge d’or
viticole : il n’y a pas encore de surproduction et le vin se vend bien.
Mais déjà la crise est en gestation :
la concurrence des vins algérien et
étrangers, l’augmentation des coûts
de production sont à prendre en
considération. Dès 1900, le vin se
vend mal.
A suivre…
Site internet
Une erreur s’est glissée dans
le Perspectives n° 141 de
mars 2006. Pour télécharger
Le Tocsin 2007, vous devez
vous connecter à :
http://www.aude.fr/
L
Pour en savoir plus
- Gilbert Larguier, “Vigne et production en Languedoc et en Roussillon, XVIe-XVIIIe
siècle”, dans Vignobles du Sud, XVIe-XXe siècle. Actes du colloque de Montpellier.
Textes réunis par Geneviève Gavignaud-Fontaine et Henri Michel. Montpellier,
Université de Montpellier III, 2003, p. 127-143.
- Monique Pech, Essai sur la crise économique de la viticulture languedocienne, antécédents et causes. Paris, diplôme d’études supérieures soutenu à la Faculté des lettres
de Paris, 1967, 170 p. dact.
-2-
Le phylloxera vastatrix
Edité par le Conseil général de l’Aude
Centre administratif départemental
11855 Carcassonne cedex 9
Directeur de la publication :
Marcel Rainaud
Rédaction :
Archives départementales de l’Aude
41 avenue Claude Bernard
11855 Carcassonne cedex 9
Responsable de la rédaction :
Sylvie Caucanas
Photographies : J.-L. Bernad,
A. Estieu (Archives départementales)
Tirage : 3000 exemplaires,
publication gratuite
Compogravure :
Imprimerie de Bourg (Narbonne)
Imprimeur :
Maraval imprimeurs S.A. (Saint-Pons)
Des archives à découvrir :
Le Syndicat des vignerons de
Carcassonne-Limoux
endant l’été 2004, à l’occasion du
déménagement de la Chambre
d’agriculture de l’Aude, le Syndicat
des vignerons de Carcassonne-Limoux
adhérent à la Confédération générale des
Vignerons du Midi, hébergé jusque là
dans les mêmes locaux, a fait don de son
fonds d’archives aux Archives départementales de l’Aude (sous-série 98 J).
P
e Syndicat des vignerons de
Carcassonne-Limoux voit son origine dans le mouvement viticole de
1907, après une assemblée constitutive,
en date du 31 août 1907, où le courtier en
vins de Carcassonne, Gaston Faucilhon,
devient le premier président de ce qui
n’est encore que le Syndicat professionnel des vignerons de la région de
Carcassonne. Déclaré le 8 septembre de
la même année à la préfecture de l’Aude
par M. de Brignac, de Limoux, successeur de Gaston Faucilhon, ce syndicat a
son siège social 34 boulevard de la
Préfecture à Carcassonne.
L
Gaston Faucilhon, premier président du
Syndicat professionnel des vignerons de la
région de Carcassonne (A. D. Aude, 98 J 92).
Originaire de l’Hérault où il voit le jour à
Saint-Pargoire le 13 décembre 1853, Gaston
Faucilhon s’établit à Carcassonne comme
courtier en vins vers 1880. Militant radical,
il fonde en 1890 l’Union socialiste. A cette
date, il est premier adjoint du maire de
Carcassonne Antoine Durand, un républicain modéré. En 1896, il s’engage auprès
des radicaux et Jules Sauzède, élu maire, le
maintient à son poste. Lors de la crise de
1907, la municipalité de Carcassonne organise l’accueil et le déroulement de la manifestation du 26 mai qui regroupe plus de 200
000 vignerons. Gaston Faucilhon, en l’absence du maire, détermine le parcours à suivre et règle tous les problèmes matériels. Le
9 juin 1907, à Montpellier, il donne le signal
de la démission des municipalités en “jetant
son écharpe au peuple souverain”. Jules
Sauzède démissionne lui aussi mais se
rétracte dès le 19 juillet. Faucilhon entre
alors en dissidence, il bat Jules Sauzède aux
élections de 1908, et reste maire de
Carcassonne jusqu’en 1919.
ous le coup des évènements de
1907, c’est en fait tout le département viticole qui se regroupe en
syndicats de défense fédérés par zone
(Narbonne et Carcassonne). En effet, des
statuts-type ont été diffusés auprès des
viticulteurs, et chaque commune voit se
créer un syndicat professionnel des
vignerons. En fonction de leur localisation, ces syndicats communaux sont
regroupés au sein du Syndicat professionnel des vignerons de la région de
Carcassonne ou du Syndicat professionnel des vignerons de la région de
Narbonne, tous deux affiliés à la
Confédération générale des Vignerons.
S
e but des syndicats ainsi créés, le
même pour tous, est d’une clarté
totale : lutter contre la fraude des
vins pour défendre les intérêts des viticulteurs. L’article 3 des statuts précise : “le
syndicat a pour objet général tout ce qui
concerne la répression de la fraude sur les
vins, dans la France, l’Algérie ou les
Colonies, l’étude et la défense des intérêts
viticoles, agricoles, économiques et
sociaux de ses membres. Il a pour but spécial : a) de rechercher les fraudes et d’exercer ou de provoquer toutes poursuites auxquelles elles pourraient donner lieu ;
L
Télégramme adressé à Jules Sauzède, l’informant de la démission de son premier adjoint
(A. D. Aude, 4 E 69/ I 122)
-3-
b) d’examiner et de proposer toutes réformes législatives et autres, toutes mesures
économiques, de les soutenir auprès des
pouvoirs publics et d’en poursuivre l’application”. Et pour donner l’exemple, l’article 4 stipule : “chaque syndiqué s’engage
à ne mettre en vente que du vin, parfaitement naturel, c’est-à-dire provenant uniquement de la fermentation alcoolique de
jus de raisin frais” (A. D. Aude, 1 M 564565 ; 15 M 87, 96 et 106).
e fonds d’archives donné par le
Syndicat des vignerons de
Carcassonne-Limoux ne comprend
toutefois que des documents postérieurs à
1935, date où la surproduction de vin est
toujours un problème très important, au
lendemain de l’interdiction des cépages
américains. Ce fonds très intéressant
retrace les activités du syndicat et de la
C.G.V.M. depuis cette date, essentiellement au travers des correspondances
échangées, des communiqués et des coupures de presse. On y voit notamment les
responsables du syndicat se dépenser sans
compter pour alerter élus et patrons de
presse sur les crises récurrentes de la viticulture. Dans un article destiné à L’Echo
de Paris, le poète propriétaire viticulteur
Jean Lebrau dresse un tableau dramatique
de la situation viticole de 1935 dans
l’Aude : “Le crédit chez le boulanger,
l’épicier, le boucher est depuis longtemps
épuisé ; le médecin soigne à nouveau sans
espoir d’honoraires. Dans certains domaines, les domestiques ne sont pas payés
depuis plusieurs semaines, sinon un peu en
nature. Aux hypothèques se sont ajoutés
les emprunts à court terme, et, à bout d’expédient, on a pu enregistrer récemment des
ventes sur souches à vingt francs l’hectolitre, ce qui n’est pas vendre seulement la
peau de l’ours, mais sa chemise avec.”
L
ne soixantaine d’ouvrages relatifs
à la viticulture composent la
bibliothèque qui accompagne le
fonds. Les archives comprennent également les collections de journaux suivants :
L’Action vinicole, La C.G.V., La Page
vigneronne. Enfin, quatre portraits de responsables de la C.G.V.M. sont également
conservés, dont ceux d’Edouard Barthe,
Gaston Faucilhon ou Pierre Bénet, actifs
défenseurs de la viticulture audoise et
languedocienne.
U
UNE PANCARTE DES
MANIFESTATIONS DE 1907 :
En bref
VILLEGAILHENC
Les collections iconographiques des Archives départementales s’enrichissent
es pancartes, brandies par les manifes- mune, tandis que sur la partie basse est inscrit le
tants, font leur apparition dès le début du slogan “A bas les fraudeurs” accompagné d’une
mouvement viticole de 1907. On en dis- grappe de raisin. Entre ces deux inscriptions, un
tingue notamment sur les photographies du dessin en couleurs représente de façon imagée
meeting de Lézignan, le 28 avril. la dramatique situation des vignerons méridioConformément d’ailleurs aux instructions du naux acculés à la ruine. L’un d’entre eux, idenComité d’Argeliers, publiées dans Le Tocsin du tifié par sa gourde et son escaucel, est écrasé,
5 mai, les délégations, participant aux manifes- dans une sorte de pressoir symbolique, par les
tations, doivent défiler groupées derrière une produits utilisés par les fraudeurs : l’arrosoir
pancarte indiquant le nom de leur commune. d’eau, le pain de sucre et la bonbonne d’acide
Rapidement,
sulfurique. De sa
malgré les consibouche s’écoule
gnes de retenue
un flot de sang.
des
organisaJuste à côté, un
teurs, les pancarhomme politique
tes et autres banen costume et
nières se multichapeau haut-deplient, ornées de
forme, décoré de
slogans ou textes
la légion d’honplus ou moins
neur et d’une
longs, rédigés en
écharpe rouge,
français, en occisignifiant
sans
tan et en catalan.
doute son apparteCertains slogans
nance au bloc des
sont ainsi demeugauches,
porte
rés célèbres, tels
dans ses bras une
que “Mort aux
bourse
sur
fraudeurs”
ou
laquelle est ins“Lou
darnié
crite la mention
croustet” illustré
“6000 FR”, cord’un croûton de
respondant à l’inpain des vignedemnité touchée
rons de Ginestas.
par les parlemenPancarte de Villegailhenc, 1907 (coll. part.).
Fr é q u e m m e n t ,
taires.
elles comportent
es deux pancartes de Villegailhenc,
aussi des dessins illustrant, de façon réaliste ou
peintes sur de la toile et auparavant
symbolique, les misères et les revendications du
clouées sur un cadre en bois, sont l’œumonde de la viticulture.
vre d’un artiste local : Benjamin Fabreans l’Aude, un petit nombre seulement Guireaud. Ce vigneron de la commune posséde ces pancartes illustrées est parvenu dait aussi un réel talent de dessinateur et de
jusqu’à nous. On peut ainsi citer celle caricaturiste qu’il utilisait notamment pour
de la commune de Lauraguel, dont la reproduc- illustrer ses poèmes composés en français, en
tion a été publiée en 1970 par l’érudit Urbain allemand ou en occitan. L’œuvre de ce poèteGibert, et celle qui est conservée à la mairie de paysan, aujourd’hui totalement oublié, constiSaint-Jean-de-Barrou. Il faut donc se féliciter tue une bonne illustration de ces multiples
de la redécouverte récente de deux d’entre elles, talents artistiques individuels mis au service des
provenant de la commune de Villegailhenc, revendications collectives à travers les grandes
grâce à l’attention bienveillante portée au patri- manifestations du Midi viticole. Chacun à sa
moine départemental par MM. Serge Laure et façon, par la parole, le texte ou le dessin, contriFrancis Poudou. Sur celle présentée ici, figure bua fortement à accentuer l’image populaire de
bien sûr dans la partie haute le nom de la com- ce mouvement.
L
C
D
Orientations bibliographiques :
- Fournel (Jean), Avec ceux d’Argelliers, Montpellier, Les éditions languedociennes,
1908, 195 p.
- Gibert (Urbain), “Quelques aspects populaires des manifestations viticoles de 1907”
dans Carcassonne et sa région. Actes du congrès d’études régionales des Fédérations
historiques languedociennes, 17-19 mai 1968, Carcassonne, 1970, p. 325-333
-4-
Grâce à l’obligeance de M.
Bouscarle, photographe à
Narbonne, les Archives départementales ont pu numériser plus
de 500 clichés photographiques
concernant le mouvement viticole de 1907 (et tout particulièrement les événements tragiques
de juin 1907 à Narbonne), les
différents anniversaires qui
furent célébrés par la suite et
diverses manifestations viticoles
postérieures. Un grand nombre
de ces photographies a été réalisé par Henri Sallis qui ne se
contenta pas d’effectuer des portraits en studio mais réalisa un
véritable travail de reportage sur
le terrain.
*
* *
Par ailleurs, M. Francis Vergé,
de Limoux, nous a permis de
numériser sa collection de cartes
postales sur 1907. Le mouvement viticole a certainement
contribué à l’essor de la carte
postale à sujet “social”. Ce sont
d’abord des éditeurs locaux qui
les publient mais, à partir du
moment où la révolte devient
une affaire d’Etat, les éditeurs
parisiens s’emparent du thème et
la production s’accroît. Ces
documents iconographiques sont
une source irremplaçable pour
l’historien.
*
* *
Un grand merci à tous ceux qui
nous aident à enrichir la
mémoire du département.