176k - Darksite

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J’avais affûté ma pelle, aiguisé ma pioche. J’étais entré comme à mon habitude par
la porte de derrière du manoir. Je me trouvais à l’intérieur du corridor mal éclairé, en
face du trophée d’antilope, derrière lequel le maître avait coutume de me donnait ses
ordres. De sa vieille voix grave, il m’apostropha :
- « Ah, te voilà enfin ! Théophile, la plus misérable vermine que la terre a portée. Malgré le peu de
confiance que j’ai en toi, je vais te confier une nouvelle mission. As-tu entendu parler une fois dans
ta vie des Ramones ? J’en doute fort...
Et bien, vois-tu, les Ramones ont marqué de manière irrémédiable la grande épopée du rock. L’origine du groupe remonte
à 1974, alors que le rock était en plein marasme, après la
mort d’Hendrix, Joplin, et Morrison. L’industrie du disque
avait alors pratiquement réussi à museler l’énergie du rock
pour en faire un produit sans âme. Les derniers groupes, qui
restaient, s’étaient pour la plupart ramollis et leur musique
était devenu trop prétentieuse pour être honnête. C’est dans
ce contexte, qu’ont décidé de se former les Ramones, avec
l’envie de revenir à un rock plus spontané et plus proche
des fans. Les Ramones s’étaient rencontrés à New York et
avaient suffisamment traîné ensemble pour savoir ce qu’ils
se voulaient. Tous les unissait, soit leur amour pour le rock
direct et violent, leur aptitude à consommer toutes sortes
de matières plus ou moins licites et leur goût immodéré
pour foutre la merde partout où ils le pouvaient. Ils avaient
beau ne pas jouer très bien, leur passion les amena à
conduire une carrière exemplaire. Leurs chansons
simples et rapides, ont permis au rock d’effectuer
sa cure de jouvence et de revenir à ses aspects
jouissifs et rebel. Les Ramones inventèrent le
c o n - cept du lourdingue fière de l’être. Du
punk
rock prolétaire, classe moyenne
blanche parfaitement
a u
courrant que
l’âge
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d’or, les années soixante, est révolu et qu’il ne reste plus
qu’à désosser des voitures et fracasser des postes de télé
par terre. Leur carrière aura été une ode au rock’n roll. Des
disques à la pelle, tous meilleurs les uns que les autres, des
chansons honnêtes et inspirées de leurs propres expériences, des concerts par milliers, des galères, un public fidèle et
reconnaissant et finalement des groupes qui se sont inspirés
d’eux. Les Ramones allumèrent l’étincelle du punk pendant
l’été 1976, lors de leur première tournée anglaise à laquelle
assistaient les futurs membres des Sex Pistols et des Clash.
Avec ce premier concert anglais, le message des Ramones
fût clair: - « Sortez de vos caves et allez-y ! » Ce qui fut aussitôt suivi par une meute de nouveaux groupes. Finalement
leur seule déconvenue est venu du fait, qu’ils sont toujours
resté un groupe culte et non jamais réussi à faire de grosses ventes de leurs albums. Trop dur ou trop intègre
pour la masse populaire ? Les Ramones ont jeté
l’éponge en 1996, après dix-huit ans de carrière et
quelques changements de personnel, ayant ainsi
élargi leur famille. Ils estimaient avoir tout dit
et avoir laissé un héritage suffisant pour que
d’autres groupes prennent le relais. Leur chanteur, Joey est mort hier, en date du 10 avril
2001. C’est pour cela que je t’ai fait venir. Va
me le chercher immédiatement.
Grâce à son corps tout frais, je
Le Fanzine
Par Théophile Le Néchro-Niqueur
vais enfin pouvoir contribuer moi aussi à l’histoire du rock’
n roll. Je le ferais ressusciter et chanter dans mon groupe
d’outre-tombe. Alors, met toi à l’œuvre et surtout, n’échoue
pas, sinon …
Je n’eu aucune peine à trouver le caveau familial des frères
Ramones. Le cortège funéraire venait de quitter les lieux et
je me mettais discrètement au travail. La terre était encore
fraîche, la météo clémente. Tout semblait parfait. Pourtant,
dès le premier coup de pelle, une impression désagréable
me saisit. Il me semblait entendre des sons de voie, qui
sortait de dessous terre. J’appuyais mon oreille sur le sol à
la manière des indiens et écoutais. Je n’avais pas la berlue.
Quelqu’un chantait là-dessous ! ? Au fur et à mesure que je
creusais, la voie était de plus en plus audible et d’autres
s’ajoutaient à celle-là. Lorsque j’arrivai enfin à ouvrir le
couvercle de pierre, j’eu la surprise de constater que l’intérieur de celui-ci faisait place à des marches d’escaliers.
J’entendais toujours les voies et commençai à dévaler l’escalier sans faire de bruit. Arrivé en bas, je me glissai vers
l’entrée de ce qui semblait être une grande pièce et jetai un
coup d’œil. Putain, quelle fête il y avait. Une vraie réunion
de morbacs. J’aperçus parmi le groupe de fêtards, Joey, qui
était en train de se peloter avec Janis Joplin. Il y en avait
plein d’autres. Et pas des moindre. Tous des rockers décédés
que mon maître m’avait, pour la plupart, envoyé chercher. Je
n’avais d’ailleurs jamais réussi à en ramener un. Stiv Bator,
johnny Tunder, Bon Scott, … J’étais en train de défaillir.
Et si je les attrapais tous d’un coup ; je serais riche... Mais
comment faire ? J’étais en train d’hésiter sur la démarche
à suivre, lorsque quelqu’un dans la salle m’interpella. C’était
la voix de Joey :
« - Allons espèce de cloche de Théo, sort de ta cachette, on
sait que t’es là. On te connaît bien toi et ton abruti de maître.
T’es venu pour piquer mon cadavre ? ! Et bien, approche, je
t’attendais. ».
N’écoutant que mon bon sens, je pris mes jambes à mon
coup jusqu’à la sortie du caveau, poursuivi par des rires
tonitruants. J’étais fait. Il ne me restait plus qu’à retourner
au manoir la queue basse pour annoncer une nouvelle fois
l’échec de ma mission. J’angoissais. C’est alors que j’eu une
idée, qui m’apparu de génie, mais qui allait se révéler en fait
catastrophique. Je me mis en route pour le cimetière espagnol, qui ne se trouvait pas loin de là. Après avoir passé une
demi-journée à arpenter toutes les tombes, je finis par trouver ce que je cherchais. Il s’appelait José Ramone et n’avait
été enseveli que depuis quelques jours. Aussi, je le déterrai et
le ramenai au manoir. Mon maître, fou de joie, me remis ma
récompense et je partis aussi vite que je pus au marché du
village dépenser cet argent. Puis deux semaines passèrent
sans que je ne repense à cette histoire.
J’étais en train de réparer mes outils lorsque j’entendis un
Qui Démange
hurlement qui provenait du manoir. Un
frisson me parcouru l’échine. Le pot aux
roses avait été découvert. Je n’attendis
pas un instant de voir les molosses de mon
maître débouler et quittai immédiatement le village pour me
réfugier dans une grotte. J’ai appris à me fier à mon sixième
sens et à me méfier des crocs de ses chiens.
Plus tard lorsque j’osai enfin revenir à la maison, ma femme
me raconta, comment mon maître était parvenu à ramener à
la vie le cadavre et comment celui-ci, ayant à peine retrouvé
le souffle, s’était mis à chanter à tue-tête de la rumba et des
passodoble pendant deux semaines, jusqu’à ce que mon maître parvienne à l’achever. Depuis cette malheureuse histoire,
je n’étais plus retourné au manoir…
Heureusement, je crois enfin avoir trouvé une solution pour
me faire pardonner. J’ai appris,
à ma grande
surprise, qu’il de cela environ un
mois en arrière, est sorti
u n
nouveau disque solo de
Joey Ramones, celui-ci
ayant pour titre « Don’t
worry about me ». En
effet, il semblerait que
ce dernier était entré
en studio peu avant
sa mort, avec l’intention, sans doute, de
laisser un témoignage
posthume à ses fans.
Aussi, je me suis
rué chez le
disquaire pour
acheter le CD.
Malgré le fait
que je ne comprenne
pas
grand chose à
cette musique,
je dois avouer
que le disque m’a
plu. Je crois que
le Maître l’appréciera aussi, car
il semble porter
incontestablement la marque
du grand rock’n
roll. Une fois encore,
j’arriverai à sauver
ma tête. Pourvu que ça
dure…
A la memoire de Joey & Dee Dee
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