Les “zadistes” d`Auteuil montent au filet

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Les “zadistes” d`Auteuil montent au filet
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Alexandre Gady, président
de la SPPEF, Agnès Popelin,
vice-présidente de France Nature
Environnement, et Philippe
Toussaint, président de Vieilles
Maisons françaises, mènent
la fronde depuis cinq ans.
Guérilla à Roland-Garros
Les “zadistes”
d’Auteuil
montent au filet
Dans le très chic 16e arrondissement parisien, un trio de mousquetaires écolos,
soutenu par les riverains, s’oppose au projet de la Fédération française de Tennis
d’étendre le stade jusqu’aux serres voisines. Leur meilleur supporter ? Ségolène Royal
rugby, ex-président du RC Narbonne, avaient bien ficelé leur
affaire, s’attachant le soutien de la mairie de Paris, de Matignon,
et, selon les jours, de l’Elysée. Leur projet : récupérer une partie
des jardins des serres d’Auteuil et y construire un terrain semienterré, entouré de serres, reproduisant presque à l’identique les
fameuses constructions de l’architecte Jean-Camille Formigé,
créateur du lieu. Sur le papier, un modèle de respect de la protection des paysages. Et des procédures, avec enquête d’utilité
publique, concertation avec les riverains, débat au Conseil de
Paris, consultation des instances chargées de la protection des
sites. A priori, une affaire bien huilée. Dans les faits, une bombe à
retardement qui inquiète les politiques, jusqu’au sommet de l’Etat.
Leur peur panique ? L’apparition d’une nouvelle affaire Sivens au
cœur du bois de Boulogne, en plein été, avec débarquement de
zadistes dans les quartiers chics de la capitale. Un scénario catastrophe : des campements de « guérilleros verts » à quelques
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M
ais qu’est-il donc venu se fourrer dans pareil
pétrin ? Certains soirs, Jean Gachassin, président
de la Fédération française de Tennis, FFT, gloire
du rugby des années 1960, surnommé « Peter
Pan », s’interroge. Ce dossier de l’extension du
stade de Roland-Garros, qu’il traîne comme un
boulet depuis plusieurs années, sent aujourd’hui
la poudre. Alors que le tournoi 2015 s’apprête à
démarrer, ce casse-tête empoisonne furieusement l’ambiance. Au
départ, il semblait pourtant si simple, si évident. Explication : le
terrain mythique de la porte d’Auteuil, à la renommée internationale, manquait d’espace. Avec ses malheureux 8,5 hectares, il ne
pouvait plus faire face à la concurrence de ses rivaux du Grand
Chelem, Wimbledon, Melbourne et Flushing Meadows, tous installés sur des superficies dépassant les 20 hectares. Jean Gachassin, avec son directeur général, Gilbert Ysern, lui aussi venu du
afp
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✍ Serge Raffy
william beaucardet
Le projet d’extension vu par Cabu dans « Charlie Hebdo », le 29 mai 2013.
Le contre-projet des associations
Garros. « On lui reproche d’être une riveraine qui défend sa tranquillité, raconte Alexandre Gady, président de la Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France (SPPEF). On
oublie qu’elle est la ministre chargée de la protection des sites classés.
C’est le cas des serres d’Auteuil. En nous soutenant, elle ne fait que son
travail. Pour nous, il faut l’avouer, c’est assez nouveau. » Au cabinet
de la ministre de l’Ecologie, on soutient que Ségolène Royal a tenu
compte de la réaction des opposants pour prendre position. Dans
la balance, une pétition qui atteint plus de 63 000 signatures, initiée
par l’écrivain Lise Bloch-Morhange, une manifestation de près de
1 000 personnes, et, surtout, l’implication d’une myriade d’associations très mobilisées, sous la houlette des trois poids lourds, FNE,
SPPEF et VMF.
Couverture
de l’autoroute
A13 pour installer
des courts
de tennis.
Maintien du
court n°1, terrain
historique en
forme d’arène,
que la FFT veut
démolir.
Création d’une
esplanade de verdure
en remplacement
de 4 courts de tennis
“procè s en sorceller ie ”
« Dire que l’histoire personnelle ne joue pas serait un petit mensonge,
soutient un dirigeant de la FFT. Même le président de la République,
François Hollande, a confié à Jean Gachassin, qu’il a reçu deux fois à
l’Elysée, qu’il connaissait lui-même très bien les jardins des serres
d’Auteuil. Ils ont habité là pendant des années avec Ségolène. Ils y ont
promené les enfants. Adolescents, ces derniers jouaient au tennis sur
les terrains du Fonds des Princes, à deux pas du court central. »
Devant ses collaborateurs, la ministre tempête contre tous ceux qui
n’ont rien compris à ce dossier et qui tentent de lui coller une étiquette de « bourgeoise des beaux quartiers ». « Les Invalides sont
situés dans un quartier huppé. Faut-il pour autant raser les Invalides ? » a-t-elle dit à son entourage au cours d’une réunion sur le
sujet. « On me reproche aussi d’avoir proposé d’utiliser les stades voisins, Jean-Bouin ou le Parc des Princes, pour y organiser une partie
des compétitions du tournoi, en installant des courts éphémères. Ce
qui aurait évité toutes ces polémiques. Et permis de sérieuses économies, poursuit-elle. On m’a quasiment traitée d’amateur, pour ne pas
dire pire. J’ai eu droit encore à un petit procès en sorcellerie. On a dit
que cette solution était techniquement impossible. Et où a été organisée, l’an dernier, la finale de la Coupe Davis, en présence du président
de la République ? Dans le stade de football de Lille… »
Peut-on taxer Ségolène Royal d’amateurisme ? « Elle a compris
que ce dossier était éminemment politique, confie Yves Contassot,
conseiller vert de Paris. Bien sûr, les collections végétales des serres
sont des bijoux inestimables de la biodiversité, mais elles sont surtout
au cœur d’un dossier sensible dont a hérité Anne Hidalgo. La maire
doit gérer un legs signé Bertrand Delanoë dont elle se serait bien passée. » Flash-back : en mars 2006, Bertrand Delanoë jure que jamais,
au grand jamais, les serres d’Auteuil ne seront touchées en cas d’extension de Roland-Garros. En 2009, Jean Gachassin
et Gilbert Ysern prennent la direction de la FFT et
cherchent des solutions pour sortir du carcan urbain
de la porte d’Auteuil. Des projets mirifiques de déménagement dans le Grand Paris sont proposés aux deux
hommes. Avec de l’espace, toujours plus d’espace, des
terrains gratuits, des redevances dérisoires. Face aux
jardins d’Auteuil, les jardins d’Eden… La grande majorité des membres du conseil fédéral de la FFT s’apprête à voter pour le projet de Versailles, prévu sur le
terrain des Matelots, avec vue imprenable sur le château de Versailles. « Bertrand Delanoë, meurtri par son
échec aux JO, paniqué à l’idée de perdre aussi RolandGarros, a alors fait volte-face. Il a fait une surenchère
incroyable, raconte un élu écologiste parisien. Il a
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bradé les jardins d’Auteuil, offert un bail de 99 ans à Gilbert Ysern, une
subvention de 20 millions d’euros et des tas d’autres avantages. Finalement, les dirigeants du tennis ont voté pour le maintien sur Paris.
Mais à quel prix ? C’est ce virus malin qu’Anne Hidalgo tente d’enrayer
depuis son élection. Par loyauté, elle soutient le projet de la FFT qui,
au fond, est le projet Delanoë. Elle devrait se pencher sur le projet alternatif des associations. » Le contre-projet : la couverture d’une partie
de l’autoroute A13, entre Roland-Garros et le bois de Boulogne. Projet simple, proposé par un aréopage de polytechniciens et d’inspecteurs des Ponts et Chaussées, qui éviterait l’intrusion dans les serres
d’Auteuil. Son coût ne serait pas supérieur à celui de la FFT. Selon
le cabinet EGIS, qui rend son rapport sur le projet cette semaine aux
élus parisiens, les opposants ont les pieds sur terre et leur proposition tient la route. Tout le contraire de ce que prétendait l’équipe
d’Anne Hidalgo. La maire de Paris se retrouve prise sous le feu nourri
des écologistes et de la droite parisienne, emmenée par Nathalie
Kosciusko-Morizet, qui ne manque pas une occasion de la déstabiliser. Anne Hidalgo sait que le dossier de la FFT prend l’eau de toutes
Des HLM avenue Foch ?
Deux mille logements sociaux et une grande artère
piétonne avenue Foch, au cœur du 16e arrondissement
de Paris ? Le projet, encore dans les cartons
de la mairie de Paris, fait bondir les élus UMP de l’Ouest
parisien, en particulier le maire du secteur, le député
Claude Goasguen. Certains prétendent que l’opération est
un coup de bluff de l’équipe d’Anne Hidalgo pour mettre
la pression sur des conseillers de Paris conservateurs qui
s’allient de plus en plus souvent avec les Verts et mettent
la majorité de gauche en péril. On murmure presque à
voix haute dans les couloirs de l’hôtel de ville que les élus
écologistes ont négocié dans le plus grand secret un pacte
donnant-donnant avec Claude Goasguen. Un petit
marchandage sans grande délicatesse : la droite soutient
les Verts sur la protection des serres d’Auteuil, en échange
les Verts s’opposeront à la construction de HLM en
bordure du bois de Boulogne. La cuisine politique
à la mairie de Paris n’est pas toujours simple.
S. R.
Maintien des serres chaudes promises
à la destruction pour être remplacées
par un court semi-enterré.
parts. Le 16 mars dernier, au Conseil de Paris, elle a accepté, à contrecœur, de prendre en compte ces nouveaux éléments. Dans son cabinet, on s’affaire pour trouver une parade, une porte de sortie par le
haut. Le mot d’ordre : éviter d’envenimer les choses et de saper la
candidature de Paris aux JO de 2024.
l’av i s du pr é siden t
Ira-t-elle jusqu’à renier définitivement le legs Delanoë et donner
tort à celui qui l’a faite reine ? Rejoindra-t-elle sa meilleure ennemie, Ségolène Royal, dans le soutien mesuré aux « zozos » du bois
de Boulogne ? Malgré les injonctions de Manuel Valls, la ministre
rebelle, elle, n’est pas rentrée dans le rang. Elle répète à la cantonade, avec une certaine gourmandise, qu’elle est un bon soldat et
qu’elle ne fait que suivre… l’avis du président de la République. Ce
dernier, tirant les leçons de l’affaire Sivens et de la mort de Rémi
Fraisse, n’a-t-il pas déclaré, le 27 novembre dernier, à l’Elysée, lors
de l’ouverture de la conférence environnementale, que le drame de
« Sivens exige d’accomplir des progrès supplémentaires dans la participation des citoyens à l’élaboration de la décision publique » ? Le
trio d’associations qui dirige la révolte depuis les premiers jours
vient justement de trouver une nouvelle astuce pour « participer
encore un peu plus au débat » et paralyser le dossier de la FFT. Ils
ont retrouvé les descendants de Jean-Camille Formigé, l’architecte
des serres, mort en 1926. Les arrière-petits-enfants de l’artiste s’apprêtent à défendre devant les tribunaux l’œuvre de leur ancêtre.
Après cinq ans de bataille devant le tribunal administratif, des
débats épiques en Commission supérieure des Sites, et des pétitions, voilà donc un nouvel obstacle qui se dresse devant Jean
Gachassin : le fantôme du père des serres d’Auteuil !
De quoi alimenter la guérilla des « jadistes ». L’opération « Pas
touche aux serres d’Auteuil » est une saga écologiste et urbaine, un
combat de titans entre les forces de l’argent du sport et celles de la
défense du patrimoine. Ce feuilleton pourrait finir par abîmer
l’image environnementale de la France, à quelques mois de la conférence sur le climat, à Paris, chère à François Hollande. Comment
sortir du piège ? Pendant que Rafael Nadal et Roger Federer cognent
dans les petites balles jaunes, l’ancien demi d’ouverture du XV de
France va devoir affronter de nouveaux faux rebonds. A 73 ans,
Peter Pan a appris qu’en droit politique, comme au rugby, on ne sait
jamais comment le ballon va rebondir.
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encablures des sièges des télévisions. « Attention, prévient
Claude Goasguen, député-maire UMP du 16e arrondissement de
Paris, il ne faut pas prendre cette histoire à la légère. Il ne faut pas
sous-estimer le poids des associations de protection de l’environnement qui ont fait un symbole de ce dossier. Elles ne veulent pas qu’on
touche aux serres d’Auteuil ? Il faut peut-être les écouter. » A l’hôtel
de ville de Paris ou à la direction de la FFT, on surnomme les
opposants au projet les « zozos », les « mémés à chien-chien », les
« bourges des beaux quartiers » ou encore les « écolos du
dimanche ». Ils ne seraient qu’une poignée de riverains mal
embouchés, décidés à défendre leur pré carré de verdure contre
les tenants de la modernité. Des zadistes ? Non, des « jadistes »,
des protecteurs du passé. Bref, de sacrés ringards… « C’est la
grande erreur de la mairie de Paris et des instances du tennis : nous
ne sommes pas des zozos, se défend Philippe Toussaint, président
de Vieilles Maisons françaises (VMF), une association nationale
de défense du patrimoine, forte de 20 000 adhérents. Ce qu’il faut
comprendre dans cette affaire, c’est que les serres d’Auteuil sont un
ensemble vivant, un jardin botanique. Ce n’est pas un patrimoine
de pierre et de fer. C’est un ensemble de la biodiversité de renommée
mondiale. » Parmi les défenseurs des serres d’Auteuil qui se sont
exprimés ces dernières années : Nicolas Hulot, Cabu (voir dessin),
Alain Baraton, le jardinier de France-Inter, des artistes comme
Françoise Hardy et Marie Laforêt. Et, chez les politiques, une
figure de proue… Ségolène Royal !
« Quand nous avons appris qu’elle était nommée ministre de l’Ecologie, nous avons presque allumé des cierges à Notre-Dame, ironise
Agnès Popelin, vice-présidente de France Nature Environnement,
(FNE, 12 000 adhérents). Jusqu’alors, la plupart des ministres
s’étaient couchés sur ce dossier. Personne ne comprenait vraiment les
enjeux de ce débat. On nous rabâchait que nous mettions en danger
la candidature de Paris pour les JO de 2024. Or, c’est tout le contraire.
Le CIO a mis la défense de l’environnement comme un facteur déterminant dans ses choix. Il faut donc être exemplaire. »
Dans son bureau, au siège de la FFT, Gilbert Ysern regrette le
temps d’avant l’arrivée de « Madame Royal » au ministère de l’Ecologie. « Depuis qu’elle est en poste, elle nous fuit et n’a pas voulu étudier notre projet, ni même nous rencontrer, s’insurge-t-il, dépité. En
2011, quand nous avons choisi de rester sur Paris, après avoir étudié
de très bons dossiers de déménagement sur Versailles, Marne-laVallée ou Gonesse, nous avions toutes les garanties des pouvoirs
publics pour engager au plus vite la modernisation du site de la porte
d’Auteuil. Ce blocage est purement politique. Il met en danger l’existence même du tournoi. » En coulisses, les défenseurs du projet
accusent Ségolène Royal de tous les péchés. Le crime de la ministre :
elle habite Boulogne, à deux pas de l’entrée du stade de Roland-
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cabu/collectif cap
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