HORS-JEU [11] You`ll never walk alone
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L’Insatiable > Espace ouvert > Articles > HORS-JEU [11] You’ll never walk alone HORS-JEU [11] You’ll never walk alone mardi 21 juin 2016, par Pierre-Jérôme Adjedj Depuis hier, on est entré dans la dernière ligne droite de ce premier tour du championnat d’Europe. À l’orgie de trois matches enchaînés chaque jour, succèdera bientôt la phase éliminatoire [1]. Un seul match à chaque fois donc, mais à fort enjeu. Pour le moment, on est dans une phase transitoire à deux matches par jour, où les quatre équipes font partie du même groupe. Si elles jouent le même jour à la même heure, c’est pour éviter, autant que faire se peut les petits arrangements entre amis [2]. On précisera que cet article, publié tardivement pour cause d’absence de connexion Internet, est écrit dans les conditions du direct, c’est-à-dire sans savoir ce que donneront les matches. La première chose remarquable dans le double affrontement du jour, Russie-Pays de Galles et SlovaquieAngleterre, c’est qu’il aurait eu une toute autre signification au temps de la guerre froide, surtout dans un contexte où il faut éviter la triche. Même si dans le cas présent, le fait que les pays de chaque « bloc » affrontent le pays de l’autre bloc limite les possibilités de tricherie. Et puis on relèvera (éventuellement avec plaisir) que la logique du football ne suit pas toujours celle de la politique, de l’économie et de la diplomatie. C’est ce qui vaut à la Russie d’être, à l’orée de cette dernière journée, bonne dernière de son groupe avec un point : seule une victoire contre le pays de Galles pourra éventuellement les sauver d’une élimination un peu honteuse. Surtout qu’en terme de honte, la Russie a déjà fait le plein en enregistrant la semaine passée la disqualification de ses athlètes pour les jeux de Rio, pour cause de dopage. La honte, c’est aussi celle des hooligans ; et dans ce domaine, les Anglais ont réaffirmé d’une courte tête (un coup de boule en fait) sur leurs homologues russes, un leadership inversement proportionnel à celui qu’ils exercent sur le terrain : rappelons que la sélection nationale anglaise n’a rien gagné depuis la coupe du monde 1966 (et encore cette victoire souffre-t-elle quelques contestations [3]). Nous verrons bien ce que ça donne sur le plan sportif. Il est cependant une autre discipline pour laquelle ces nations sont en concurrence : l’accueil des migrants. 5-4-1 Si l’on considère que le Pays de Galles est hors-concours, ou du moins géographiquement et statutairement inféodé à l’Angleterre, on remarquera que sur le plan du contrôle des frontières en général et de l’accueil des migrants en particulier, la Slovaquie, la Russie et l’Angleterre se tirent une sacrée bourre, avec pour point commun de jouer avec cinq défenseurs [4]. Alors on notera que l’Angleterre n’a pas grand mérite : elle est séparée du continent par la mer d’une part, et bénéficie de l’inexplicable servilité, le zèle même, du gouvernement français et de son glorieux corps de Préfets. Celle du Pas-deCalais, Fabienne Buccio, vient d’ailleurs de se distinguer par une initiative innovante. Alors que la routine consistait jusque-là à refouler du migrant, à démonter des parties de campements et à inspecter les camions pour empêcher qu’ils ne franchissent la frontière vers le Royaume-Uni, cette brave dame a eu la riche idée de fermer la frontière dans l’autre sens ! Non pas pour empêcher des migrants déçus par le mirage britannique de revenir chez nous, mais bien pour empêcher des sujets de la Reine de pénétrer sur notre territoire. En lisant que des raisons de sécurité et de risque de trouble à l’ordre public étaient évoquées, je me suis dit qu’il devait s’agir d’une horde supplémentaire de hooligans. Que nenni : il s’agissait d’un convoi humanitaire de vivres et de biens à destination des migrants de Calais et de GrandeSynthe [5]. A moins que le gouvernement et la préfectorale ne nous annoncent que cette décision correspond à la mise en application d’un concept novateur, qui pourrait s’appeler par exemple « échelle géostratégique variable d’appréciation pondérée des menaces », vu le rapport entre la menace et sa réponse, comparé à d’autres troubles bien plus graves ayant perturbé l’Euro 2016, ça ressemble quand même foutrement à de l’arbitraire bête et méchant cette histoire. On pourra se poser la même question concernant l’interdiction pure et simple de manifester en réponse à quelques vitres cassées par une imposante bande d’une seule personne. La Russie, elle, ne se complique pas tant la vie : elle fait dans le brutal, dans le grossier. A l’intérieur, en tabassant autant que faire se peut tout ce qui pourrait ressembler à un migrant, et à l’extérieur en jetant de l’huile sur le feu par la diffusion de fausses informations [6] pour déstabiliser les pays qui font le job en terme d’accueil. On reconnaîtra par contraste une certaine forme d’originalité à la Slovaquie puisque, loin de stigmatiser, de violenter ou de construire des barrières à la hongroise, ils ont simplement imposé, en 2015, qu’on ne leur envoie que des migrants chrétiens [7], ce qui reconnaissons-le, est un sacré moyen de dire non sans en avoir l’air. D’ailleurs, le premier Ministre Robert Fico, à qui l’UE voulait imposer un quota de 1200 migrants, n’a pas dit autre chose : « Nous avons donc refusé [le plan] et affirmé qu’un système de volontariat devait être mis en place. Dans ce cadre, alors oui, nous ferons preuve d’un certain niveau de solidarité ». « Un certain niveau de solidarité », c’est aussi grandiose qu’un « certain niveau de retenue » de la part des forces de l’ordre dans les manifs de la loi travail. Le ministre de l’Intérieur slovaque prend de son côté en considération des aspects pratiques trop souvent négligés par les pays plus accueillants : « Nous n’avons pas de mosquées ! ». Ah ben oui, forcément ! Résultat des courses, la Slovaquie a proposé d’aller choisir elle-même ses cent « chrétiens » pour les ramener en Slovaquie et, toujours selon le chef du gouvernement, « voir s’ils ont envie de rester ». Vu l’entrain slovaque pour les accueillir, c’est comme si c’était fait ! En tous les cas, rapportée à la population de la Slovaquie, l’invasion des migrants représente tout de même 0,002% de la population : gageons que les théories de Renaud Camus [8] vont connaître làbas un essor considérable. Et si on rapporte ces 100 migrants au nombre total que l’UE voulait répartir entre les pays membres, c’est-à-dire 40 000, et qu’on rapporte le tout au million que l’Allemagne a d’ores et déjà accueilli, ça éclaire sous un autre jour, celui des égoïsmes nationaux, la genèse de l’ignoble accord passé avec Erdogan. On n’est pas sortis En allant vite, on pourrait tirer une ligne entre ces égoïsmes résurgents et le comportement des hooligans, notamment Russes et Anglais. Tout ça paraît procéder d’une même logique qui conduit à détester dans un même élan le nationalisme et le foot, en critiquant ces foules bêlant leurs hymnes dans des stades surchauffés à l’alcool. Pourtant, et quitte à m’attirer les foudres des moins footeux d’entre les lecteurs, je me dois de mentionner une exception, qui confirme peut-être la règle mais là n’est pas la question. Il faut pour cela descendre d’un échelon, des équipes nationales vers les clubs. Il existe un hymne, pas national donc, qui a la particularité d’être partagé par plusieurs clubs de plusieurs pays, j’ai nommé le « You’ll never walk alone [9] ». Attaché avant tout au Liverpool F.C., il est également partagé, entre autres, par des clubs comme le F.C. Sankt Pauli [10] ou encore le Borussia Dortmund. Le 1/4 de finale de ligue des champions 2016 entre Dortmund et Liverpool a d’ailleurs donné lieu à un évènement auquel il est difficile de rester insensible, et qui minore un jugement trop définitif sur le foot et la nature humaine : déjà exceptionnel parce qu’il marquait le retour à Dortmund de l’entraîneur mythique Jürgen Klopp, passé à Liverpool l’an passé, le match a été l’occasion d’entendre les supporters des deux équipes entonner en cœur leur hymne commun, certains supporters allemands chantant a milieu des anglais, certains arborant écharpes de circonstance mélangeant les couleurs des deux équipes. Ce dépassement des égoïsmes partisans le temps d’un chant, ça fait penser à ce que devrait être l’hymne à la joie pour l’Europe. Et on se prend à espérer que les évènements sportifs puissent véhiculer des valeurs positives… Et puis les supporters Allemands à Lille, les Anglais et les Russes à Marseille… Et on retombe dans une réalité plus terre à terre, qui nous rappelle que le devenir des peuples est subordonné à ses structures organisatrices : Union Européenne d’un côté, UEFA de l’autre, on mesure facilement, quel que soit le résultat des matches de ce soir, l’ampleur de la défaite collective. Pierre-Jérôme Adjedj P.-S. Pour ceux qui préfèrent entendre l’hymne de Liverpool dans un autre contexte : Notes [1] Note pour les non-connaisseurs : au lieu de rencontres dans des groupes qui sont autant de minichampionnats avec des points en fonction de la victoire, du match nul ou de la défaite, on aura affaire à des matches-couperets où le perdant est éliminé. On aura donc 16 équipes en huitièmes de finales, puis huit en 1/4, puis 4 en 1/2 finales puis 2 en finale. [2] Référence au Allemagne-Autriche de 1982, surnommé « le pacte de non-agression » où les deux équipes s’étaient arrangées pour assurer leurs qualifications respectives au détriment de l’Algérie. voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Match_de_football_RFA_–_Autriche_(1982) [3] Les anglais on tiré bénéfice d’un nombre de faits litigieux supérieurs à la moyenne de ce qui est communément admis pour les pays organisateurs. [4] Pour les non-amateurs de foot : on ne peut pas faire plus a priori. [5] http://www.paris-normandie.fr/breves/l-essentiel/le-convoi-anglais-d-aide-aux-migrants-en-route-pour-ca lais-refoule-a-la-frontiere-XJ6092734 [6] http://www.france24.com/fr/20160219-crise-migrants-allemagne-russie-intox-propagande-guerre-froide -refugie-cologne-lisa [7] http://www.euractiv.fr/section/langues-culture/news/l-ue-choquee-face-au-souhait-de-la-slovaquie-de-n-a ccueillir-que-des-migrants-chretiens/ [8] Voir sur le bonhomme le regard singulier de Didier Lestrade : http://www.slate.fr/story/116013/renaud-camus-traitre-homosexuel-xenophobe [9] https://fr.wikipedia.org/wiki/You%27ll_Never_Walk_Alone [10] Club mythique d’un quartier de Hambourg, réputé pour être antifasciste et antiraciste, bénéficiant d’un engouement hors-norme dans toute l’Allemagne : http://www.lesinrocks.com/2014/12/21/actualite/fc-sankt-pauli-la-ferveur-du-foot-militant-11542462/