L`informalité n`est – elle pas urbaine avant d`être économique ? Des
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L`informalité n`est – elle pas urbaine avant d`être économique ? Des
L’informalité n’est – elle pas urbaine avant d’être économique ? Des illustrations d’une métropole du Sud :Casablanca Mustapha Chouiki1, Université de Casablanca Résumé : A Casablanca, les marges urbaines, ont depuis la période coloniale attiré la population exclue des quartiers centraux. Ce qui a accentué leur marginalisation et leur stigmatisation. Actuellement, ces marges sont confrontées au phénomène de l’informalité urbaine qui gagne en ampleur et en complexité, avec l’interférence de ses dimensions spatiales, politiques, sociales et économiques. Depuis les années 80, ce phénomène s’est amplifié par la prolifération de l’habitat non réglementaire, et la diversité des couches sociales mobilisées, pour constituer l’aspect le plus pesant de l’évolution actuelle de la métropole. Ce qui légitime de l’appréhender en tant qu’aspect de la vie urbaine et non comme simple aspect de l’économie de la ville. Mots clés : Informalité urbaine, activités informelles, marges urbaines, habitat non réglementaire, Casablanca, The informality is not it urban before to be economic ? Illustrations of a southern metropolis : Casablanca Abstract In Casablanca, urban margins, have since the colonial period attracted the population excludes from central quarters. What has emphasized their marginalisation and their condemnation. Currently, these margins are confronted with the phenomenon of the informality urban that earns in extent and in complexity, with the interference of its spacial dimensions, policies, social and economic. Since the eighties, this phenomenon has amplified by the proliferation of the habitat not regular , and the diversity of mobilized social layers, to constitute the heaviest aspect of the current evolution of the metropolis. What legitimate to apprehend it as aspect of the urban life and not as simple aspect of the economy of the city. Key words: Urban Informality, informel activities, urban margins, not regular habitat, Casablanca, JEL: A12 , J15 , N97, O18 1 Email : [email protected] Introduction « Depuis le début de la décennie quatre-vingt, on assiste à une véritable révolution économique silencieuse au Maghreb dont le pivot est l’économie souterraine connue plus communément sous le vocable d’économie informelle.» ( Salahdine, M, 1991, 5) Le propre de cette « révolution » est qu’elle s’est accompagnée d’une autre sur le plan urbanistique, avec l’amplification de l’habitat non réglementaire. Ce qui légitime leur interpellation en termes de rapports et d’interférences. En tant que « composante durable et structurelle du tissu urbain » ( Salahdine, M, 1991, 5), l’informalité économique puise une part non négligeable de sa raison d’être dans les bases socio-spatiales de la ville. Cette réalité mérite réflexion, non seulement en raison de l’ampleur qu’on lui connait, mais également pour éclairer les zones d'ombre qui jalonnent les différents niveaux des rapports et des interférences entre les différentes composantes de l’informalité urbaine, en tant que totalité. Cette communication qui se veut une modeste tentative de repenser ce phénomène en tant que totalité, s’adosse à des questions du genre : Les villes du Sud vivent – elles à l’heure d’une informalité urbaine globale conquérante ? Les activités informelles ne sont – elles pas une des multiples faces d’une même informalité ? Le virage postkeynésien du début des années 80 ne laisse – t – il pas entrevoir une autre façon d’insertion de l’informalité aux circuits économiques modernes ? Comment les activités informelles associées à l’informalité spatiale peuvent – elles être appréciées en termes de continuité et de rupture ? . . . Ces questions et tant d’autres sont d’une importance capitale pour contourner une très forte tendance à appréhender l’informel par lui-même et pour lui-même. L’intégration de la contextualité en tant que facteur déterminant conduit à l’octroi d’un plus grand rôle au phénomène urbain en tant que vecteur de production et de reproduction de l’informalité. Ce qui revient à dire, revisiter l’informalité en tant qu’expression de la crise urbaine, que traverse Casablanca, dans ses dimensions spatiales, politiques, économiques et sociales. Pour ce, ce texte s’articule autour de quatre niveaux des interférences de l’informalité urbaine permettant de placer le tout dans la globalité qui est celle du contexte urbain. 1. Le local et le global : des racines profondes et ramifiées Sans vouloir renier le rôle incombant à la mondialisation dans l’amplification du phénomène de l’informalité, il importe de donner aux pesanteurs locales la place qui leur revient. En effet, ce phénomène s’inscrit fortement dans les conjonctures spécifiques qui s’imposent en tant que surdéterminants dont le poids n’est point négligeable, mais assez souvent marginalisé Si ces pesanteurs ne sont nullement indépendantes de la macro conjoncture, elles bénéficient malgré tout d’une certaine marge de manœuvre inhérente au contexte politique et socioéconomique local. En gros, l’informalité urbaine puisse l’essentiel de ses dynamiques de la situation socioéconomique des populations qu’elle mobilise. Comme le souligne bien Adam, A. « à Casablanca, [ . . . ] richesse et pauvreté ont opéré leur clivage entre les quartiers » ( Adam, A, 1968, 19). Autrement dit, il n’y a de clivages urbains que ceux qui traversent la société et ses assises économiques. 1.1. L’informalité : un mode d’urbanisation reproduit à l’identique L’origine de l’informalité urbaine, à Casablanca, remonte aux années 20 lorsque « la tolérance des autorités coloniales a favorisé l’éclosion de toute une ville marocaine à la marge de la ville européenne, comme un défi aux règles les plus élémentaires de l’hygiène, de l’urbanisme, de l’équipement et de la construction ». (Déthier, J, 1970, 24) Ainsi, non seulement, les Marocains ont été exclus de la ville européenne et se sont trouvés obligés de s’exiler en dehors des zones soumises à la réglementation introduite par l’administration coloniale, mais, une hiérarchie de l’accès à l’espace urbain s’est ainsi instituée. ( Chouiki, M. 1997, 86) . Ce refoulement s’est accompagné du foisonnement d’une économie de la débrouillardise, à la marge de la nouvelle économie formelle dominante en ville. L’informalité est ainsi née comme le sous-produit de l’intrusion coloniale qui a poussé les Marocains à se prendre en charge en matière de logement comme en matière de travail. Le développement du phénomène, lors de la période postcoloniale a été réactivé par des politiques de logement et de travail, ne répondant pas toujours adéquatement aux besoins de la ville. Le tournant libéral du début des années 80, s’est soldé par un déversement massif et généralisé de la ville sur ses marges externes. Ce qui s’est traduit par l’urbanisation d’agglomérations rurales périurbaines, ( carte n° 1) et un déversement urbain diffus sur un rayon de plus de 30 km autour de la ville. Comme par le passé, l’informalité urbaine a pris de l’ampleur lorsque le marché de logement est devenu de plus en plus sélectif, en parallèle avec le rétrécissement du marché de travail, sous les effets du programme de réajustement structurel dicté par les bailleurs de fonds internationaux. « Programmes [qui] ont provoqué une réduction massive de l’emploi dans le secteur public et une contraction très marquée du secteur formel. » (BIT, 2000, 3) Ce qui a ouvert la voie, comme autrefois, au transfert des populations de la ville vers ses marges internes et externes, et partant l’accroissement de la part des habitants issus de la ville par rapport à ceux nés sur place, comme le démontre le tableau suivant : Tableau 1. Evolution des origines de la population de la couronne périurbaine de Casablanca Lieux de naissance Casablanca Sur place Autres Sources : R.G.P.H. de 1971 et 1994 Année 1971 1994 2,9 % 62,8 % 34,3 % 39,2 % 22,3 % 37,5 % L’accroissement de la pression humaine sur les marges de la ville a fini par rendre difficile l’accès aux espaces périphériques même. Ce qui a favorisé le foisonnement de l’habitat non réglementaire, à l’instar des premiers quartiers marocains nés en marge des quartiers européens, au cours des années 30. (Miège, 1953, 247). Le mode d’urbanisation qui en est résulté a donné lieu à des constructions « toujours inachevées » (Adam, 1968, 82) ne cesse depuis les années 80 de se reproduire à l’identique. Les tissus informels ainsi formés juxtaposent des caractères urbains traditionnels et modernes dans un décor rural inchangé, et se démarquant ainsi, à la fois, des anciennes médinas et des quartiers modernes. La description établie par Ecochard, au cours des années 40, à propos de la Nouvelle Médina comme conglomérat de logements exigus2 mal construits, avec des maisons collées les unes aux autres, qui paraissent inachevées, et sans aucun plan d’ensemble. . . ( Ecochard, M, 1955, 22) colle parfaitement à la réalité actuelle des quartiers informels apparus plus d’un demi-siècle à près. L’exiguïté des parcelles rend indispensable l’adjonction d’un ou deux étages. Quand les surfaces sont relativement suffisantes, les constructions gagnent en hauteur pour se transformer en immeubles de rapport. L’extension verticale s’accompagne assez souvent par la transformation des rez-de-chaussée en locaux commerciaux, ateliers, garages, entrepôts . . . Les sites occupés sont généralement différents de ceux des bidonvilles, puisqu’il s’agit de terrains commercialisés et non squattés, et devant répondre aux exigences de l’accès à la propriété des logements. En somme, pendant, un siècle on a tout fait pour imposer un modèle d’urbanisation comme alternative au model local, qui a fini par déchanter, et céder la place à un mode d’urbanisation rampant inventé par les couches exclues de la ville. 1.2. L’informalité : un processus de déclassement social Comme lors de la naissance de la Nouvelle Médina au début des années 20, les tissus informels ont attiré, à la fois, des ruraux, des citadins de souche, et même des « commerçants de Fès qui sont [devenus] les plus importants propriétaires, » (Miège, 1953, 245), l’attraction s’exerce actuellement sur un plus large éventail de couches sociales, puisque le rétrécissement du marché de travail, depuis les années 1980, a contraint des ménages de niveaux sociaux assez variés à s’exiler, soit pour sauvegarder leur niveau de vie ou tout simplement pour accéder à la propriété des logements. Ce qui laisse entrevoir que l’informalité s’inscrit globalement dans des rapports d’inégalité et de compétition sociales. Si la ville dans sa globalité est régie par la logique de l’inégalité de l’accessibilité à tous les biens urbains, l’informalité est reproduite au sein de cette logique, et par les mécanismes auxquels elle s’adosse. Le marché de travail constitue le pivot de ces mécanismes. (figure 1) Figure 1. L’évolution du taux d’activité de la Région du Grand Casablanca Source : HCP : Activité, emploi et chômage, Résultats détaillés, 2011 Le redéploiement continu de l’informalité urbaine, en tant que forme renouvelée de territorialisation et d’appropriation de l’espace urbain, est l’expression de : son caractère de produit de différents processus d’exclusion sociale ; son aspect de reflet d’une ville reproduisant incessamment les formes de sélection sociale ; des rapports étroits entre la territorialisation informelle et le marché de travail ;3 la démultiplication des catégories socioprofessionnelles déclassées ; la reproduction continue de l’informalité urbaine sur les marges externes de la ville. Si les espaces de l’informalité urbaine s’inscrivent dans la globalité du contexte socio-économique, ils s’inscrivent automatiquement dans la globalité urbaine de la métropole. « L’informel est presque partout présent » (Chouiki, 2012, 30) Comme dans la nouvelle médina, les lots ne sont pas préétablis, dans le cadre d’un lotissement obéissant aux normes techniques en vigueur, mais taillés en fonction de la demande de chaque client. Ce qui donne lieu à une grande diversité s’échelonnant des environs de 20 à plus de 200 m². 3 A Casablanca où le taux de chômage n’a cessé de s’accroître depuis le début des années 80, et qui se situe actuellement audessus de 13%, l’effectif des chômeurs s’élève à près de 150 000 personnes, le taux d’activité est en baisse ( 46,3% en 2010 et 45,7% en 2011), et la part de l’informel dans l’emploi s’élève à hauteur de 27%. 2 De part la même logique, l’informalité est également globale, du fait que ses différentes formes et variantes s’originent dans le même contexte et évoluent en rapport avec lui. Cependant, l’informalité n’est pas un tout homogène. Elle est faite d’une multitude de structures urbaines aussi hétérogènes qu’hétéroclites. Faut-il une preuve ? Les catégories déclassées et exclues de la ville se retrouvent dans les mêmes espaces, sans avoir les mêmes conditions de vie, et les mêmes trajectoires sociales. Autrement dit, l’informalité est une totalité, qui n’est pas vécue de la même manière. Le parc de logement produit dans le cadre de l’informalité urbaine n’est pas uniforme et ne reflète pas les mêmes conditions de vie. Dans ce sens, certains modes de gentrification sont en œuvre dans les espaces informels, à travers l’invasion de l’habitat rural par des citadins et par les mutations que connaissent certaines concentrations suite à l’infiltration de couches moyennes cherchant à faire des affaires ou à fuir une ville devenue étouffante. La grande ramification de l’informalité urbaine Suite à ce qui précède, il apparait que l’informalité dans tous ses aspects ne relève pas entièrement de l’évolution postcoloniale. Elle est plutôt le produit d’un processus d’urbanisation initié par la colonisation, et reproduit à l’identique, depuis lors. L’association originelle des activités informelles à l’habitat dit ‘’nonréglementaire’’ en a fait un phénomène structurel, qui est pour beaucoup dans la naissance et le développement de nombreuses générations de quartiers périphériques de Casablanca, et elle est à la base de la reproduction du même mode d’urbanisation dans les futurs quartiers périphériques, actuellement en gestation. Le caractère hétéroclite de l’informalité urbaine fait des marges urbaines de véritables laboratoires de stratification de la marginalité urbaine et de reproduction de la sélection sociale. Le retournement de la conjoncture internationale qui est derrière le virage néolibéral et du réajustement structurel qui l’a accompagné, au début des années 80, a certainement donné une nouvelle impulsion à l’informalité urbaine, et il est ainsi derrière « un nouveau dysfonctionnement que la régulation urbaine, telle qu’elle se profile actuellement, aura du mal à dompter. » (Chouiki, 2012, 21). 2. La politique et l’espace : restructuration continue de la ville Toute recherche de restitution de l’informalité dans sa globalité, ne peut faire l’impasse sur les dimensions politiques de ce phénomène en tant que facteurs déterminants de premier ordre, étant donné que le contexte politique comme actions publiques et comme tolérance clientéliste a beaucoup joué dans l’enracinement de l’informalité urbaine dans ses différentes formes. La prise en compte des dimensions spatiales du phénomène informel permet, de sa part, de redonner au contexte urbain, la place qui lui revient dans l’appréhension d’une réalité qui ne peut être saisie en dehors du contexte spatial, dont elle puise sa raison d’être. En plus, l’espace urbain en tant que totalité fait la synthèse de tous les aspects de la vie humaine et fait de l’informalité un tout. 2.1. Une restructuration spatiale de plus en plus stressée En contribuant à l’allégement de la pression en matière de logement et à la création d’emplois dans un marché de travail de plus en plus stressé, l’informalité qui s’est grandement amplifiée depuis la fin des années 80, a rendu un service inestimable au pouvoir politique au moment où il était contraint à se désengager sous la pression des bailleurs de fonds internationaux. Ainsi, elle continue à jouer le rôle qu’elle a acquis sous la colonisation comme un canal déstressant pour la ville. Cependant, il y a juste deux ou trois décennies, l’informalité était politiquement considérée comme une gangrène à éradiquer. Vision qui reflétait la volonté de tout soumettre au centralisme étatique dominant, alors que l’informalité n’est autre qu’une réponse libérale, spontanée à une économie centralisée et surréglementée. (Salahdine, 1991, 9) En même temps, l’informalité a permis à la ville de disposer d’importants terrains gelés pendant longtemps par leur ouverture à l’habitat non réglementaire et partant au marché de logement. Elle a, par conséquent, créé un segment du marché foncier et immobilier qui n’est pas des moindres. Ainsi, la spéculation foncière qui est à l’origine de l’exclusion de nombreuses couches sociales de la ville, est également à la base de l’ouverture de nouveaux fronts de l’urbanisation récupérés par les autorités locales pour redonner de nouveaux souffles à l’extension spatiale de l’agglomération. De ce fait, le périmètre urbain a craqué de toutes parts, sous la pression croissante d’une multitude de nébuleuses mi-urbaines et mi-rurales détricotant, à la fois, la ville et ses marges périurbaines, et imposant une restructuration, à la fois, de la forme et de la consistance de l’ensemble de l’agglomération. 2.2. Une restructuration des rapports de pouvoir L’informalité urbaine constitue un des niveaux majeurs de l’organisation socio-spatiale et des processus de fabrication de la ville tels qu’ils s’opèrent en dehors du système de régulation officiel. Ce qui exprime l’émergence de nouveaux rapports entre la population et les pouvoirs locaux. D’un côté l’informalité urbaine renforce le réseau des notables et des élus locaux, et d’un autre elle met les autorités locales en situation de difficulté. Née du refus de la ville institutionnelle, l’informalité se développe comme un défi à l’ordre urbain officiel. L’ampleur qui est la sienne sur le plan spatiale renforce son pouvoir de résistance et ses dynamiques de reproduction et d’adaptation aux changements de conjoncture. Les rapports conflictuels avec les structures officielles renforcent les rapports sociaux auxquels elle s’adosse. Le statut partagé de populations en situation défensive consolide les liens sociaux et multiplie les solidarités. Les plus pesantes parmi cers dernières sont celles des notabilités locales et des mouvances intégristes qui trouvent dans ce genre de conflits des opportunités pour faire démonstration de leur pouvoir de résistance, et élargir leur clientèle et leurs fiefs socio-spatiaux. Ce contexte dans toutes ses dimensions, s’avère propice pour le développement d’une nouvelle culture, sur la base de la démarcation par rapport à la ville réglementaire qui s’affiche exclusive. Culture de groupes solidaires dans et par leur position spatiale. Ainsi, l’informalité urbaine fonctionne comme un moyen de conciliation des valeurs traditionnelles à celles à caractère universel, pour répondre aux attentes des plus conformistes comme à celles des plus modernistes. Elle cristallise ainsi un univers culturel hybride. C’est donc, des espaces qui permettent un jeu subtile des transactions entre des tendances différentes, mais toutes en tension avec les autorités locales. Cette situation est inhérente à la diversité des acteurs illégaux qui s’inscrivent dans des réseaux de soutien, de couverture, d’allégeance, de complicité et d’alliance. De ce fait, la tolérance envers la diffusion de ces espaces illégaux qui est difficile à assimiler à une quelconque candeur de la part des autorités ou à une œuvre de charité de la part des notables locaux, ne s’explique que par la connexion à des réseaux dont la coloration politique est souvent affichée au grand jour, et par les intérêts que procure l’espace en tant que marchandise. Cette situation est voulue par les autorités publiques comme l’expression d’une intégration des populations exclues de la ville par le marché, et non plus par l’intervention publique. Autrement dit, l’informalité urbaine ne se développe pas en dehors des mécanismes du pouvoir, qui entretient l’ordre établi à travers la reproduction des structures en place. 2 – 3 Une montée en puissance des revendications Les quartiers informels prennent l’allure d’îlots de liberté dans une ville contraignante. Mais, c’est d’une liberté surveillée qu’il s’agit, ( Chouiki. M. 2011, 115) , à cause des contraintes au niveau de la valorisation de l’espace, et sur le plan des pratiques spatiales, et en raison de l’ampleur de la déficiente urbaine. L’habitat informel qui a commencé par s’implanter dans les espaces délaissés par la ville (topographies accidentées, zones à risques naturels, emprises des lignes de haute tension électrique, terrains difficiles d’accès, proximité de décharges publiques, voies ferrées) gagne du terrain en s’attaquant aux terres agricoles et aux zones ouvertes à l’urbanisation. Il a ainsi effectué une « sortie de la clandestinité » qui lui a donné l’occasion de s’afficher au grand jour et devenir même revendicatif du droit à la ville. Après l’acquisition du raccordement aux réseaux d’eau potable et d’électricité, et l’obtention de certains équipements socioculturels, c’est au tour du raccordement aux réseaux d’assainissement liquide et de transports en commun que se focalise actuellement les revendications. Certains équipements de proximité sont pris en charge par la population, et se réduisent au strict minimum nécessaire : commerce alimentaire, bain maure, four à pain, mosquées. . . Certaines agglomérations ont étoffé leurs équipements par d’autres commerces et services (équipement domestique, cafés, services de réparation . . .) et ont perdu leur fonction d’agglomérations dortoirs pour accéder à une multifonctionnalité dépendante des tissus urbains voisins, ou des axes routiers desservant le périurbain casablancais. L’évolution des tissus informels dépend ainsi des interactions urbaines qu’ils développent. Si le déficit en équipements publics est partout frappant, c’est en matière de structures d’enseignement et de santé, de voirie, d’espaces verts . . . qu’il est alarmant. La saturation des ces quartiers est contournée par le surdimensionnement des hauteurs. Les densités changent d’un îlot à l’autre, mais restent en général, supérieures à celle de la ville. Elles oscillent globalement, entre 500 et 2000 habitants par ha. Elles sont supérieures à celles des bidonvilles. Ainsi, la déficience urbaine reste grande. Autrement dit, il y a toujours de quoi aiguiser les conflits avec les autorités locales, alimenter les revendications, et reproduire les réseaux de clientélisme politique, et les systèmes d’allégeance partisane. 2.4. Multiplication des quartiers en difficulté Le modèle d’urbanisation qui est à la base de l’informalité urbaine, est adapté à la modestie des moyens des populations concernées. Pour certains, ce n’est plus le bidonville, mais ce n’est pas encore la ville. Pour d’autres, ce n’est pas l’idéal recherché, mais c’est déjà l’accès à la propriété du logement. Pour la majorité, on ne pouvait pas espérer mieux. C’est ce qui explique le pouvoir d’attraction de ces espaces. En gros, l’informalité urbaine n’offre ni la stabilité sociale, ni la dignité humaine, et encore moins le développement urbain. Elle sert d’amortisseur de choc et reporte les solutions, comme du temps du protectorat, pour des lendemains meilleurs, à la fois, pour les populations et pour les autorités publiques. Au moment où ces dernières multiplient les programmes et les efforts de lutte contre les bidonvilles, l’habitat informel contribue à cette entreprise, et la marginalité est de plus en plus refoulée plus loin sur les marges des marges de la ville. (Chouiki. M, 2003, 170) Cependant, l’informalité urbaine ne fait, d’autre part, qu’amplifier les dysfonctionnements urbains en transférant l’insalubrité urbaine des tissus sommaires vers les structures en dur. Ce qui revient à inscrire l’informalité dans la durée, à la fois, en tant que processus de fabrication de la ville et comme structures de fonctionnement de l’espace urbain, et favorise, par conséquent, la cristallisation spatiale de la pauvreté et de l’exclusion. Ce qui donne lieu à une urbanité plurielle, une citadinité non accomplie, et une identité urbaine atrophiée. La mise en place d’une nouvelle approche des problèmes urbains, dans le cadre du projet de politique de la ville, de 2012, reflète, quelque part, la prise de conscience de la gravité de la situation, et se veut un tournant cherchant à mettre a contribution les efforts de tous les acteurs pour contourner la montée en puissance des difficultés et des dérapages devenus monnaie courante à l’échelle locale. Le développement de toute une ceinture d’espaces informels tout autour de la ville n’est pas démuni de risques, puisque même certains quartiers centraux et péricentraux sont tout autant concernés. (carte n° 2 ) Aspects de l’informalité commerciale 3. L’économie et la société : fragilité croissante des équilibres 3.1. Rentabilité économique et rentabilité sociale Dans les pays du Sud, l’approche foncièrement économique est assez souvent soumise au risque de reproduction de la théorie dualiste opposant un secteur moderne à un autre traditionnel. Opposition largement dépassée par la réalité vécue. Et ce, au moment où l’informalité urbaine, est de plus en plus admise comme un processus plus social qu’économique dans la mesure où elle est l’expression d’une dynamique de sélection sociale qui s’opère au sein des couches sociales les plus soumises aux processus de restructuration sociale. L’informalité produit de la valeur sur le plan économique et social, puisqu’elle donne lieu, parallèlement à des circuits de production et d’échange, à un parc de logements qui ne cesse de s’amplifier et de devenir objet d’échange très pesant sur le marché immobilier. Comme elle permet à de nombreuses couches sociales de s’imposer en tant qu’acteurs sociaux très dynamiques. Elle est ainsi l’expression d’un rapport de force social qui se joue de plus en plus sur et autour de l’espace et instrumentalise les outils économiques comme moyens de lutte. Ses mécanismes de développement s’originent dans le décalage entre une sphère économique de plus en plus mondialisée et une sphère sociale où la marginalité gagne de plus en plus de terrain. Situation inhérente à la prééminence de la rentabilité économique sur la rentabilité sociale, dans les rapports de force en présence, et qui se traduit par la pérennisation de la pauvreté urbaine. 3.2. Précarité et promotion sociales Le propre de l’informalité urbaine est qu’elle peut être perçue, à la fois, comme une reproduction de la précarité sociale et comme une forme de promotion sociale. Cette double face est inhérente au fait qu’elle ne procure pas un changement social radical, mais elle permet le passage au rang de propriétaire du logement. Evolution qui cristallise un certain repositionnement social, surtout pour les anciens bidonvillois, ou pour ceux qui passent de la location à la propriété. Mais globalement, elle constitue le passage d’une précarité à une autre. Dans ce sens, l’accès à un logement ne donne pas lieu à l’accès à la ville dans sa totalité, étant donné qu’il ne permet pas de parfaire l’intégration urbaine. L’association du recours aux activités informelles et du logement non réglementaire démontre que l’intégration à la ville ne se gagne pas sur un seul front. La situation de non-intégration ou du moins de mal-intégration à la ville, fait des quartiers informels des lieux de façonnement d’une nouvelle société. Dans ces espaces, les habitudes citadines des quartiers traditionnels de la ville s’ajoutent aux héritages ruraux pour reproduire une vie communautaire mi-urbaine et mi-rurale. Un mixage qui est à la base d’un champ fertile pour la reproduction des liens familiaux et religieux. D’un autre côté, le sentiment d’une certaine amélioration des conditions de vie et la fierté d’être propriétaire de son logement donnent lieu à une aspiration débordante à l’ascension sociale. Les dynamiques engendrées par l’informalité urbaine peuvent se traduire, plus ou moins concrètement, par des formes de mobilité sociale qu’illustre l’émergence de nouvelles élites sociales de la marginalité urbaine. La spéculation foncière et immobilière a favorisé l’émergence de nouveaux fortunés qui tentent de s’imposer en notables locaux. Dans l’ensemble des quartiers périphériques, les promotions vertigineuses sont assez fréquentes. Tous les ingrédients que nécessite cette mobilité sont réunis : carrière politique, contrebande, spéculation, affaires louches, émigration des jeunes à l’étranger … Les élections communales et législatives révèlent, depuis trois décennies, la montée en force des représentants de certaines couches moyennes comme nouvelle élite politique des quartiers périphériques. Ils ont représenté 57% des candidats aux élections de 1997, toutes colorations politiques confondues. Promotion qui offre de nouveaux interlocuteurs au pouvoir, et un renouvellement des alliances locales. 3.3. Crise de logement et crise sociale La crise de logement tant réduite à l’équation opposant offre et demande, reste au fond, inhérente au fait que la ville n’offre plus les possibilités de promotion sociale d’antan. Pour ce, l’informalité urbaine est l’affaire des couches exclues des circuits de promotion sociale en ville, et qui entrent en force sur la scène urbaine , par l’accès à la propriété du logement. Mais, cet accès n’est possible que dans le cadre des opérations immobilières publiques, qui deviennent de plus en rares, et la promotion immobilière informelles en croissance soutenue. Le tout se traduit par la marginalisation de nombreuses couches moyennes, par leur transfert vers des espaces sous équipés et sans les moindres composantes de base d’un environnement urbain. En somme, l’informalité urbaine est surtout l’expression de l’appropriation du territoire par des couches sociales cherchant à graver leurs empreintes dans l’espace, comme signes de réussite sociale. Ainsi, si les espaces informels sont, concrètement des lieux de cristallisation de la marginalité, ils ne sont pas perçus de la même manière par leurs habitants, qui n’attendent pas les interventions publiques pour mener à leur convenance leur propre train de vie, et chercher en permanence à mettre à nue la crise urbaine. 4. Le Formel et L’Informel: une dualité dépassée par une réalité complexe Les espaces informels fonctionnent par l’imbrication d’une multitude d’acteurs et de secteurs qui ne laisse aucune place ni à l’uniformité ni à la dichotomie. Elle s’impose comme un facteur grandissant sur le plan de la structuration et du fonctionnement de la ville, à tel point que nombreux sont ceux qui revendiquent une redéfinition de la ville. L’informalité qui ne fonctionne pas en réseau séparé, s’insère dans presque tous les réseaux qui animent la ville, et fait partie intégrante, à la fois, du paysage urbain, de l’organisation socio-spatiale, et du fonctionnement de l’ensemble de la ville. « Certains segments de l’informel dans la métropole connaissent une vitalité que peuvent leur envier la plupart des activités dites structurées » ( Laoudi, M, 2001, 382). Et ce, en plus de la multiplicité croissante des connexions et des interférences entre les différentes formes de l’informalité urbaine, et entre le ‘’secteur structuré’’ et son homologue informel, se traduisant par des recompositions continues : 4.1. L’informel dans le formel Etant donné que l’informalité fait désormais partie intégrante de la ville, et que la concurrence exercée par l’informel ne cesse de s’amplifier, « la frontière entre secteur informel et secteur formel devient de plus en plus floue » (BIT , 2000, 6), et partant il invraisemblable d’exclure l’existence de pratiques informelles au sein du secteur dit structuré. En effet, nombreuses sont les entreprises formelles qui s’adonnent à l’informel d’une manière ou d’une autre . Dans beaucoup de cas les « affaires-iceberg »4 permettent à l’informel d’être couvert, par une « casquette » formelle. Dans ce sens, les cas de figure les plus connues sont : des entreprises à double visage, associant des activités informelles à d’autres formelles réduites au strict minimum, pour les apparences et pour servir de paravent vis-à-vis du fisc ; des entreprises développant des activités informelles différentes selon la conjoncture ou les saisons. C’est le cas, par exemple, des conserveries de fruits et de légumes qui changent de produits selon les saisons, et qui s’approvisionnent chez les grandes fermes comme chez les petits producteurs. Des entreprises immobilières s’adonnent à une production formelle et à une commercialisation informelle des logements, à travers le paiement en partie en noir ; les 4 Qualification désignant les affaires dont les aspects visibles sont infimes par rapport aux aspects invisibles, à l’instar de l’iceberg. propriétaires fonciers, et les promoteurs immobiliers qui arrivent à contourner les normes de l’urbanisme, en lotissant les terres agricoles sous couvert de la réglementation rurale ; le commerce de détail des fruits et des légumes qui s’effectue pour l’essentiel par des commerçants de rue qui distribuent plus de produits que leurs homologues du secteur formel, tout en s’adressant tous au même marché de gros formel de la ville ; de nombreuses entreprises industrielles et commerciales ont recours à des transporteurs clandestins pour assurer leur approvisionnement ou distribuer leurs produits. Certaines entreprises industrielles écoulent une partie de leurs production dans le marché noir ; le travail en noir constitue une pratique presque générale dans le secteur industriel, commercial et de services. . . dans la mesure le recours au travail temporaire réglementaire sert de couverture pour le travail en noir. « Des hommes d’affaires, de grands propriétaires fonciers et immobiliers, de hauts responsables administratifs . . . s’adonnent à des activités qui ne laissent aucune trace, ne paient aucun impôt, et ne passent par aucun circuit légal. Des affaires se traitent dans des cafés ou à domicile, ou même dans un établissement public ou privé, en dehors de toute légalité » (Chouiki, 2012, 30) Ces différents exemples et tant d’autres n’illustrent pas uniquement la ramification accrue des pratiques informelles qui ont infiltré le secteur dit formel, mais démontre que « l’urbanisation devient un vecteur de promotion de l’économie informelle.» ( Chouiki, M, 2012, 30) Dans tous les cas, si les pratiques informelles ne signifient nullement perte du fonctionnement de la ville de son caractère formel, elles illustrent une tendance presque générale à se soustraire à la réglementation en vigueur. Comme elles signifient que les intérêts économiques dominants ont recours à différentes formes de captage des profits. Ce qui est à même d’ériger l’informalité en support non négligeable pour les structures formelles. C’est ce qui ressort à travers la grande diffusion des pharmacies, des cabinets médicaux et de chirurgie dentaire, des écoles privées . . . au sein des quartiers informels. Il ressort de cette petite incursion dans ce soi-disant monde, qu’il n’y a pas d’informalité sans formalité. Autrement dit, il n’y a pas de rupture entre les deux. Les coupures sont plutôt perceptibles entre les activités informelles et les activités traditionnelles qui n’arrivent pas à s’adapter à la ville, et qui bloquent l’insertion de l’informalité dans la ville, et gênent la réussite de l’aventure urbaine pour les néo citadins. 4.2. Le clandestin dans l’informel Contrairement à l’informalité spatiale qui s’affiche au grand jour, l’informalité économique comporte un segment occulte ou sous-terrain qui reste difficile à appréhender. Il s’agit, en plus des exemples cités cidessus, d’activités connues juste par un nom ou un surnom qui ne renvoie pas toujours à une réalité très précise. Comme il s’agit d’une multitude d’activités et de pratiques relevant du domaine de l’interdit ( vol, arnaque, drogue, contrebande, prostitution. . . ) Casablanca, comme bon nombre de métropoles connait un foisonnement d’activités illicites qui rentrent dans la décomposition analytique du réel (Hugon, 1980, 406) mais sans possibilité d’une véritable approche quantitative ou qualitative même. Si « les petits métiers de rue constituent l’un des aspects caractéristiques du fait urbain casablancais » (Laoudi, 2001, 61), la clandestinité qui s’opère en parallèle acquiert parfois des dimensions insoupçonnées. Elle se dissimule même parfois sous des apparences informelles tolérées ou s’affichant publiquement. Ainsi, l’informalité qui est, elle-même, plus tolérée qu’autorisée sert de paravent pour des ascensions sociales dont le caractère anormal n’étonne personne. C’est ce que révèlent les rafles fréquentes dans certains milieux. C’est le cas des métiers de vente en détails des cigarettes, des gardiens de rue ou de voitures, des porteurs dans les marchés de fruits et de légumes . . ., qui mènent un train de vie disproportionné par rapport aux revenus de leurs activités. 4.3. Interférences entre informalité et urbanité L’informalité qui a tendance à se dévoiler en public, comme expression de la légitimité du droit à la ville, se veut ainsi une partie intégrante de la ville et une forme d’urbanité revendiquant le droit à l’existence. Certaines activités informelles qui dégagent parfois une rentabilité inimaginable, expliquent l’acharnement des populations concernées à démontrer qu’elles n’ont rien à envier aux autres citadins. L’aspect tapageur de certaines constructions, l’acquisition de voitures particulières, la scolarisation des enfants dans écoles privées, l’affichage du numéro du téléphone portable sur un mur pour attirer la clientèle . . . constituent autant de signes et de messages d’une revendication de l’urbanité confisquée par l’exclusion spatiale. Si ces aspects ne sont pas partagés par l’ensemble des habitants des quartiers informels, ils restent, néanmoins, fort présents et grandement mobilisateurs. De ce fait, l’informalité se présente comme une négation pure et simple de l’urbanisme en vigueur, et non de l’urbanité. Elle constitue ainsi un rejet de la ville exclusive et la recherche du façonnement d’une nouvelle identité urbaine, fondée sur des structures urbaines faites sur mesure, par et pour des couches sociales agissant sur la ville à partir de ses marges. Ce n’est, donc, pas une remise en cause de l’urbanité, mais plutôt d’une entreprise de se tailler une place dans cette urbanité. L’ampleur prise par le recours aux écoles privées pour l’éducation des enfants dans les marges urbaines illustre cette tendance. En plus, le fait que l’exercice des activités informelles, notamment commerciales, est de plus en plus une affaire de citadins qui tentent de récupérer les métiers développées par et pour les migrants ruraux, exprime la volonté de récupération d’une ville qui risque d’être perdue pour toujours. C’est dans ce sens, que l’informalité devient également une affaire de jeunes, dans une conjoncture de plus en plus difficile, et imposant de se garantir une place dans une ville où on ne se reconnait plus. Par conséquent, l’informalité n’est donc ni économique, ni sociale, ni spatiale d’une manière exclusive, mais elle est globale et tend à consacrer sa globalité par son inscription dans les structures spatiales de la ville. En tant que telle, l’informalité enfante une culture urbaine qui se veut un cadre de démarcation par rapport à la culture dominante. Culture qui est à la base de comportements, et de goûts spécifiques en matière de musique, de langage, de pratiques, comme signes d’une nouvelle urbanité . C’est donc une réappropriation de la ville à partir de ses marges. L’entrée en scène de la mouvance intégriste, qui a emprunté le même circuit d’appropriation de la ville, a trouvé dans ces marges un champ fertile pour se faire des adeptes, en misant sur la consécration du droit à la différence par rapport au mode de vie moderne prôné par l’urbanisme hérité de la colonisation. Ce qui s’est soldé par l’émergence d’une certaine légitimité du refus de la ville officielle, taxée d’extravertie. D’une manière générale, l’informalité qui s’oppose avant tout au mode d’urbanisation dominant, a permis à tous les discours de cristallisation du refus, les chances nécessaires pour se faire des adeptes. En conséquence, les mutations territoriales inhérentes à l’urbanisation informelle, ont gagné en profondeur et en ampleur, d’une manière douce et en trois décennies, ce que l’urbanisme officiel n’a pas réussi, pendant plus d’un siècle, à coups de budgets colossaux, et de mégaprojets. De quoi se demander : y-a-t-il de plus informel que l’urbanisation au Maroc ? (Chouiki, 2012, 30). Aspects de l’attachement à l’urbanité et d’adaptation de l’informalité Usage répandu de la voiture particulière Une école privée dans une concentration informelle La présence notoire de la voiture Usage répandu du téléphone comme outil de travail 4.4. Doit – on repenser l’informalité urbaine ? La réponse est certes, oui. Mais c’est le comment qui est problématique. La réponse se déploie sur trois niveaux : la reconnaissance, l’appréhension, et le traitement. Le déploiement continu de l’informalité urbaine, en tant que forme de territorialisation et d’appropriation de l’espace urbain , impose la reconnaissance d’un fait accompli qui ne peut continuer à être ignoré. Le refus de prendre en considération une réalité urbaine en tant que trajectoire spécifique, et comme l’expression d’un contexte social qui n’est pas forcement assimilable à celui de la ville-centre, relève de la persistance à vouloir faire tout couler dans un même moule qui n’est pas fait pour. En plus, l’informalité n’est plus l’affaire des seules couches sociales vulnérables. Les activités qu’elle développe attirent la clientèle de toutes les couches sociales de la ville. Le fameux marché au puce de Derb Ghallef n’offre – t – il pas mieux que les magasins les plus côtés de la ville, en matière de prêt-à-porter ? Les fonds de commerce qu’il recèle ne sont – ils pas des plus chers de la ville ? En plus, Casablanca ne développe – t – elle pas sur ses marges externes des quartiers informellement construits par et pour les couches les plus aisées ? . . . Il y a là une réalité connue qui ne cherche que d’être reconnue. L’appréhension dominante développe des lectures décalées par rapport à la réalité, dans la mesure où elle s’adosse à une vraie-fausse opposition entre formel et informel. Etant donné, qu’il est de plus en plus communément admis que les frontières entre les deux sont non seulement floues, mais suffisamment poreuses, pour permettre toutes sortes d’interactions, il n’est plus pertinent de continuer à évaluer l’informalité selon les mêmes critères du secteur formel . Il importe désormais de construire un arsenal méthodologique adapté. L’outillage méthodologique et les schémas explicatifs doivent être conçus à partir de la réalité, avant d’être coulés dans les moules théoriques d’encadrement, pour leur garantir de mieux cadrer avec la réalité ciblée, et tenir compte de son évolution. Autrement dit, le renouvellement des fondamentaux et du référentiel d’interprétation s’impose, et passe nécessairement par l’adoption d’une approche plus globale, et plus ancrée dans la réalité vécue. Pour ce qui est du traitement, il importe d’abord de réévaluer les potentialités et les faiblesses de l’informel, identifier les dynamiques qui le traversent, les formes d’adaptation qu’il développe, le système de valeur qui le sous-tend, ses ramifications sociales, les opportunités qu’il offre, ses interactions avec le reste de la ville . . . en vue de dégager les pistes d’intervention les plus appropriées. En somme, l’informalité présente un grand nombre d’avantages pour la ville, qui doivent être pris en compte au même titre que les nuisances qu’elle occasionne. Dans ce sens, l’informalité qui n’a rien de statique, est traversée par une multitude de dynamiques notamment celles tendant à la consacrer en tant que vecteur du développement socio-économique. Elle peut être ainsi porteuse d’opportunités inestimables en matière de développement, en tant que support de promotion de technologies appropriées à la réalité du pays, comme marché de travail, comme stimulant du marché de consommation, comme débouché pour de nouveaux produits industriels. . . Les valeurs du marché qui sont désormais dominantes au sein de l’informel, constituent un garant de taille pour une plus grande insertion dans l’ensemble des tissus économiques. Cependant, l’Etat réajusté par le programme de réajustement structurel est – il en mesure d’entreprendre le réajustement de l’informalité urbaine ? Conclusion Si les différents schémas théoriques établis pour l’informel ont fini par reconnaître la complexité et l’hétérogénéité de la réalité informelle, et ses ramifications économiques, sociales et spatiales, c’est parce que l’informalité ne cesse de prouver sa nature d’expression d’un développement économique inégal, et un défi spatial à toutes les formes de régulation réglementaire. Aussi, ce phénomène cristallise-t-il l’émergence de diverses formes d’accommodation des populations à la ville, et de réadaptation de la ville aux besoins de nouvelles couches sociales, C’est dire trop de réajustements, à la fois, pour donner lieu à une synchronisation fonctionnelle, dans un contexte où prédominent de nombreuses lacunes institutionnelles et réglementaires, largement mises à profit par de nombreuses couches sociales revendiquant leur droit à la ville. Les différents détours effectués ci-dessus, au sein d’un phénomène typiquement urbain, démontre qu’il s’agit d’une réalité qui ne se limite plus à ses seuls aspects économiques. Elle est le produit de tout un système où il est difficile de séparer le social du spatial, ou le politique de l’économique. Si sa qualification de gangrène à éradiquer n’est pas oubliée, ceci n’empêche pas la diffusion d’une certaine intégration forcée du phénomène. L’informalité est à l’origine d’une recomposition de la ville, par la multiplication des structures sociospatiales, puisqu’elle remodèle la ville dans sa personnalité et son identité. Même si cette recomposition s’assimile davantage à un bricolage pas toujours réussi, elle consacre son caractère structurel, par l’inscription dans la durée des mutations qu’elle engendre. C’est peu dire, qu’elle constitue un tournant dans le processus d’urbanisation qui se transforme et transforme la ville quantitativement et qualitativement. La ville développe désormais un nouveau patrimoine urbain portant les empreintes d’une crise urbaine allant en s’aggravant. Bien plus durable est encore le mode d’urbanité qui servira de moule pour le façonnement de la société ascendante, en rapport avec des formes de territorialisation attirant les interventions publiques dans différentes directions et toujours loin de la ville formelle. En se redéployant spatialement l’informalité a consacré la complexité et l’imbrication de ses différentes dimensions. Comme elle est en passe de consacrer la ville comme cadre formel pour une informalité conquérante et restructurant l’ensemble de la ville. C’est ce qui explique que l’informalité dans toutes ses variantes recherche toujours la proximité des structures formelles. Cette évolution plaide pour une recherche des moyens de dépassement d’une manière aussi globale qu’homogène. Cependant, la difficulté tient à la non-concordance entre les méthodes en vigueur qui se veulent modernes et universelles et les réactions des populations concernées qui restent ancrées dans une réalité vécue faiblement sécurisée et sécurisante. Ainsi, c’est toute la question du mode d’intégration de l’informalité à une ville pas toujours formelle qui reste posée. Intégration qui ne se pose pas uniquement en termes socioéconomiques, mais surtout en termes de contexte urbain global. Jusqu’ici, Casablanca n’a pas su synchroniser la question de l’habitat et du travail, comme principaux vecteurs de l’intégration urbaine. Ce qui favorise le redéploiement de l’informalité sur plus d’un plan, alors que cette dernière a démontré qu’elle est à même d’offrir à l’économie formelle des « sous-traitants flexibles, souples et dynamiques » et « s’impose et se développe en assurant des fonctions complémentaires à la production à grande échelle » (Salahdine, M, 1991, 7). En étant perçue de la sorte, l’informalité peut être mieux saisie et offrira la visibilité nécessaire à son intégration globale, et permettra l’émergence d’une nouvelle vision du développement. Un développement plus intégré et plus équilibré, et une démocratisation de l’accès au marché dans toutes ses dimensions, où la place pour le ‘’business populaire’’ ne manque pas. L’informalité urbaine est érigée en obstacle majeur au développement des pays du Sud. Pour ce, dans son essai sur le rôle des facteurs non économiques en matière de développement l’économiste Belal, A, a mis en évidence la nécessité d’une « stratégie globale de développement intégrant pleinement le jeu complexe des facteurs non-économiques, dans leur esprit dynamisant ». (Belal, A, 1980, 5). Dans ce sens, l’informalité est à même d’assurer la fonction de moyen de mobilisation de toutes les ressources et les richesses de la ville, et d’une excellente courroie de transmission entre les dynamiques socioéconomiques inhérentes aux exigences locales, et des mutations téléguidées par la mondialisation. Ce qui revient à porter un nouveau regard sur l’informalité, en tant que phénomène ancré dans la réalité vécue, et comme phénomène global reflétant un autre horizon du présent et du devenir de la ville. Références bibliographiques Adam, A. (1968) Casablanca. Essai sur la transformation de la société marocaine au contact de l’occident, CNRS, Paris Belal A. (1980) Développement et facteurs non-économiques, Ed SMER, Rabat BIT (2000) Emploi et protection sociale dans le secteur informel, Commission de l'emploi et de la politique sociale, Genève, mars Charmes, J. 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