Frédéric Macler. Autour de l`Arménie. 1917.

Transcription

Frédéric Macler. Autour de l`Arménie. 1917.
Macler, Frédéric (1869-1938). Frédéric Macler. Autour de l'Arménie. 1917.
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Jlufour
de
l'ç/lrménie
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Imp.F. GAULTIER
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Maclep
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^Autour
de
r<Arménie
PARIS
E. NOURRY
LIBRAIRIE
62
02, RUEDESÉCOLES,
1917
arméLa guerre a donné à la question
nienne une telle actualité, qu'il a paru bon
nombre d'articles,
de réunir un certain
écrits
sur cette
question
différents
et publiés clans
Ou y a joint un
article
périodiques.
inédit sur les Jeunes
ménie.
Le tout constitue
grands traits
ménien.
Turcs
et l'Ar-
une esquisse
à
des destinées
du peuple ar/
INDICATION^'lElft)jRAPHIQUES
On n'a d'aulrç but, ici, queftlè donner au lecteur français le moyenÂO^se renseigner rapidement sur le passé du peuple arménien.
Il ne s'agit, dès lors, pas de dresser une liste
complète de tous les ouvrages relatifs à l'Arménie, qui ont paru jusqu'à ce jour, mais seulement d'orienter le public sur les ressources
dont il dispose en français pour étudierla Question arménienne.
Orientation générale.
Outre les articles Arménie, publiés dans Encyclo»
pédiemoderne... (Paris, Firmin-Didot, 1861) ; — Grand
dictionnaire universel du XIX* siècle (Paris, Larousse
—
on
Grande
s.
[1876]);—
Encyclopédie; (Paris,
d.);
signalera particulièrement l'article Arménie, donné
AamEncyclopédie de l'Isldm... (Leyde-Paris 1,1913),
très important, par suite de l'utilisation des sources
musulmanes et des derniers travaux de la critique
moderne.
On parcourra avec profit L'Arménie, journal politique et littéraire, paraissant le 16 de chaque mois.
n° 1,15 noRédacteur en chef: Minasse (tic) TCIIKHAZ,
vembre 1889. Dernier numéro à la Bibliothèque nationale, 1" décembre 1898 (coté : f«0* b 190).
Histoire.
Livres généraux.
Mémoires historiques et géographiques sur l*Arménie,
Imprimerie royale), 1818,
par J.SAINT'MAIITIN(Paris,
in-8% t. I, p. 279-448 [d'après les sources armé*
IV
DEl/AMléX!!!
AUTOL'ft
niennes, a beaucoup utilisé l'histoire d'Arménie de
Tchamitch publié en arménien, à Venise, 1785.]
Esquisse de l'histoire de l'Arménie. Coup d'&il sur
l'Arménie ancienne et surson état actuel, par G. v.
CHAUNAZARIAN
(Paris, Ch. Aleyrueis), 1856, in 8*,
123 p.
L'Arménie et les Arméniens, par J.-A. GATTEYRÎAS...
(Paris, L. Cerf), 1882, in-16, 144 p. [petit livre
d'orientation, bref et sensiblement vieilli.]
et
Histoire des anciens Arméniens, par Noël DOLBNS
A. KUATCEI...
(Genève, publié par l'Union des étudiants arméniens de l'Europe), 1907, in-8°, 226 p.
[Excellente tenlalived'écrire l'histoire de l'Arménie
d'après les travaux delà critique moderne. L'oeuvre
entreprise est malheureusement restée inachevée.]
Eludes historiques sur le peuple armé'
Kévork ASLAN.
nien. (Paris, G. Dujarric), 1909, in-8', 339 p.
Histoire politique et religieuse de l'Arménie, par Fr.
Tome I, depuis les origines des ArméTOURNEBIZB.
nieiis jusqu'à la mortdeleurderniérroi(ranl393)...
(Paris, Firmin-Didot et O) [1910], in-8°, 872 p.
Histoire moderne des Arméniens, deK. J. BASMADJIAN.
puis la chute du royaume jusqu'à nos jours (13751916)... (Paris, J. Gamber), 1917, in-8<\VIII +165 p.
.. (ParisEssai sur les tationatités, par J. DE MORGAN
Nancy, Berger-Levrault), 1917, in-8°, XI -f-136 p.
[1" partie : Le, problème des nationalités ; 2*partie :
dans
et H. HAUSBR,
Les Arméniens]. (Cf. A. MEILLBT
Revue critique d'histoire et de littérature, n° du
28 avril 1917.)
Il fauUigualer de plus, en anglais, un ouvrage de description, richement illustré, Armenia, travels and
sludies, by H. F. B. LYNCH...
(London, Longmans,
Green and O), 2 vol. in-8».
Histoire et organisation de l'église arménienne.
Histoire, dogmes, traditions et liturgie de l'Église ar-
INDICATIONS
illlir.IOUHXI'IIIQUKS
V
ménienneorientale, avec des notions additionnelles...
2*éd... (Paris, A. Franck),
par Edouard DULAUIUER,
. 1857. in-12, 186 p.
Le Vatican et les Arméniens, par M. ORMANIAN
(Home,
C. Bartoli), 1873, in-8\307 p.
Malachia "ORMANIAN...
L'Église arménienne. Son histoire. Sa doctrine. Son régime. Sa discipline. Sa
liturgie. Sa littérature. Son présent. (Paris, E. Leroux), 1910, in-8% X + 192 p.
Ethnographie.
Mm*B. CHANTRE.
A travers l'Arménie russe.:. (Paris,
Hachette et C"), 1893, in-8°, 368 p.
Ernest CHANTRE.
Les Arméniens. Esquisse historique
et ethnographique (Communication faite à la Société
d'anthropologie de Lyon, séance du 1" février 1896,
p. 49-101).
Livres particuliers.
MÛLLBR-SIMONIS.
Relation des missions scientifiques de
MM. II. Hyvernat et P. Muller-Simonis (1888-1889).
Du Caucase au Golfe persique à travers l'Arménie,
le Kurdistan et la Mésopotamie..., suivie de notices
sur la géographie et l'histoire ancienne de l'Arménie, et les inscriptions cunéiformes du bassin de
Van, par H. HYVKRNAT
(Paris-Lyon. Delhomme et
Briguet), 1892, gr. in-8*, VIII -f-628 p. (nombreuses
illustrations).
Milhridate Eupator. roi de Pont, par Théodore REINACH...(Paris, Firmin-Didot et G"). 1890, in-8»,
XVI -f- 494 p. [histoire d'une partie de l'Arménie à
l'époque romaine],
Recherchessur la chronologie arménienne technique et
historique, ouvrage formant les prolégomènes de la
collection intitulée Bibliothèque historique arménienne, par Edouard DuLAunirK...T. I. Chronologie
technique (Paris, Imprimerie impériale), 1859, in-4%
XXIV -}-427 p.
VI
DEL'.VUMÊNIE
AUTOUR
Sources.
Collection des historiens anciens et modernes de l'Armer
nie, publiée en français sous les auspices de S. E.
Nubar-Pacha... et avec le concours des membres de
l'Académie arménienne de Saint-Lazare de Venise
et des principaux arménistes français et étrangers,
Tome l : Première période. —
par Victor LANGLOIS.
Historiens grecs et syriens traduits anciennement
en arménien (Paris, Firmin-Didot frères), 1867,
in-8% XXXI + 421 p.
Idem. Tome II : Première période. — Historiens arméniens du v*siècle, (ibidem), 1869, in-8°, XVI -f 405 p.
Collectiond'historiens arméniens. Th. Ardzrouni, x*siècle, Histoire des Ardzrouni ; Arakel, de Tau riz,
xvu* siècle, Livre d'histoires ; Iohannès de Dzar,
xvti*siècle, Histoire de l'Aghovanie ; traduits par'
M. BROSSET...
t. 1 (S.-Pélersbourg, impr. de l'Aca-i
demie impériale des sciences), 1874, in-8°, XXXII
+ 618 p.
Idem. Tome II (ibidem), 1876, in-8°, IV -f 696 p. [Zakaria. Hassan Dchalalianls. Davith-Beg. Abraham de
Crète.tSamouel d'Ani Souvenirs d'un officier russe].
Soulèvement national de l'Arménie chrétienne au V*siècle, contre ta toi de Zoroastre, sous le commande*
ment du prince Vartan le Mamigonien, ouvrage
écrit par ELISÉEvartabed, contemporain, sur la demande de David le Mamigonien, son collègue; traduit en français par M. l'abbé Grégoire KABARAOY
Garabed de l'Académie arménienne de Venise...
Dédié à la Société Orientale de Paris. (Paris, au
comptoir des imprimeurs-unis), 1844, iu 8*, XIX-f*
358 p.
Histoire d'Héraclius, par l'évêque SEBÊOS,traduit de
l'arménien et annotée par Frédéric MACLER
(Paris,
Impr. nationale. E. Leroux, éditeur), 1904, in*8%
XV + 167 p. (vu' siècle]. t
INDICATIONS
BillMOGnU'HIQUES
Tll
Histoire des guerres et des conquêtes des Arabes en
Arménie, par Péminent GIIÉVOND...,écrivain du
vin' siècle, traduite par Garabed v. CHAUNAZARIAN,
et enrichie de notes nombreuses. (Paris, Ch. Meyrueis et G1'),1856, in-8», XV -f- 164 p.
Histoire d'Arménie, par le patriarche Jean VI, dit
J BANCATHOLICOS,
traduite de l'arménien en français
Ouvrage posthume publié sous
par J. SAINT-MARTIN.
les auspices du Ministère de l'Instruction publique.
(Paris, Imprimerie royale), 1841, in 8°, XLVIII -f462 p. [x* siècle].
Deux historiens arméniens, Kiracos de Gantzac, xiu«siècle, Histoire d'Arménie; Oukhlanès d'Ourha, x*siècle, histoire en trois parties; traduits par M. BROS. SET... '(Saint-Pétersbourg, commissionnaires de
l'Académie impériale des sciences), 1870, in-4°,
LX1I -f- 351 p.
Histoire universelle, par ETIENNE
DE DARON,
AÇOGU'IO
traduite de l'arménien et annotée par E. DULAURIER...Première partie (Paris, E. Leroux), 1883, in8*, 204 p. [xe-xi»siècle].
IDEM.Deuxième partie, traduite par Frédéric MACLER
(sous presse).
Histoire d'Arménie, comprenant la fin du royaume
d'Ani et le commencement des invasions des SeldDE LASDIVERO;
traduite
joukides, par ARISDAGUÊS
pour la première fois de l'arménien et accompagnée
de notes, par Ev. PHUD'UOMME
; dans la Revue de
l'Orient, de l'Algérie et des colonies. 1864[xi*siècle].
Recueil des historiens des Croisades, publié par les
soins de l'Académie des inscriptions et belleslettres. Documents arméniens. Tonie I. (Paris, Imprimerie impériale), 1869, in-fol., CXXIV-f- 855 p.
Contient les
[La préface est signée : Ed. DULAURIKR.
oeuvres de : Matthieu d'Edesse. Grégoire le prêtre.
Le docteur Basile. Nersès Chnorhali. GrégoireDgh'a.
Michel le Syrien. Guiragos de Kantzac. Vartan le
VIII
DE I. ARMENIE
AUTOUR
Grand. Samuel d'Ani. Héthoum l'historien. Vahram
d'Edesse. Chant populaire sur la captivité de Léon.
Le roi Héthoum 11. Nersès de Lampron.-'Le connétable Sempad. Mardiros de Crimée. Mekhilhar de
Daschir. Appendice],
Idem. Tome II. Documentslatins et français relatifs rf
l'Arménie (Paris, Imprimerie nationale) 1906, infoI. CCLX1V+ 1038 p. [L'introduction est signée :
Ch KOIILKR.
Contient : Jean Dardel. Ilayton. Brocard us. Guillelmus Adae. Daniel de Thaurisio. Les
Gestes des Chiprois].
Exposé des guerres de Tamerlàn et de Schah-Rokhdans
CAsie occidentale d'après la chronique arménienne
inédile de THOMAS
DE MKDZOPH,
par Félix NÊVB...
(Bruxelles, M. Hayez), 1860, in-8% 158 p. [Extrait
du t. XI des Mémoirescouronnés et autres, publiés
'
de
l'Académie
par
royale
Belgique.]
i
Grammaires.
Esquisse d'une grammaire comparée de l'arménien
classique, par A. MEILLBT
(Vienne, impr. des PP.
Mékhilharistes), 1903, in-8% XX + 116 p. (situe
l'arménien parmi les langues indo-européennes).
Du même auteur, consulter les importants travaux
relatifs à la grammaire arménienne, publiés dans
les Mémoiresde la Société de Linguistique de' Paris,
à partir du volume Vil (1889).
Grammaire arménienne, par M. LAUBR,
traduite, revue
et augmentée d'une chrestomathieet d'un glossaire,
par A. CARRIÈRE
(Paris, Maisonneuve et #•), 1883,
in-16, XIV -f- 220 p. (arménien ancien, classique).
' dialectes arméniens,
des
Classification
par H. ADJARIAN...(Paris, H. Champion), 11*09,in-8% 88 p.
[173* fascicule de la Bibliothèque de l'Ecole des
hautes études. Sciences historiques et philologiques.] (Arménien moderne).
INDICATIONS
llini.IOGnAUIIIQUES
ix >
Dictionnaires.
Dictionnaire arménien'français, par G. A. NARBEYde
Lusignan. 4e édition (Paris, l'auteur, L. Hachette
et C", Maisonneuve et C,<), 1893, in-12, VI -f1033 p. . [Les premières éditions portent, comme
nom d'auteur, celui de Ambroise CALFA.]
Dictionnaire français-arménien d'après les dictionnaires d'E. Litlré et de l'Académie française, par
DB BYZANCE
NÉANDRE
(Conslantinople, A.
(NORAYR)
H. Boyajian), 1884, gr. in-8», 1298 p., -f- 5 pages
non paginées.
GUYDELUSIGNAN.
Nouveau dictionnaire illustré françaisarménien (Paris, typographie Morris père et fils),
1.1, 1900; 1.11,1903; gr. in-8».
Littérature.
La littérature arménienne, dans
Archag TCHOBANIAN.
Revue encyclopédique Larousse, 27 août 1898,
p. 756760 ; 3 septembre 1898, p. 771-775; 8 juillet
1899, p. 521-526.
IDEM.L'Arménie. Son histoire, sa littérature, son rôle
en Orient. Conférence... (Paris, Mercure de France),
1897, in-8%90 p.
IDKII.Le peuple arménien. Son passé, sa culture, son
avenir. Conférence... (Paris, P. Geuthner), 1913,
in-8», VI + 62 p.
IDBM.Chants populaires arméniens, traduction française avec une introduction... Préface de Paul ADAM. ,
(Paris, OlIendorlT),1903, in-16, LXXXII 4- 268 p.
IDEM.Les trouvères arméniens... traduction française
avec une introduction ..'(Paris, Mercurede France),
1906, in-16, 297 p.
IDEM.Poèmes... Préface de Pierre QUILLARD.
(Paris,
Mercurede France), 1908, in-16, XII -f- 263 p.
IDEM,/M Vie et le rêve... Lettre-Préface de Emile
VERHABRBN
(Paris, Mercure de France), 1913, in-16,
Vil + 218 p.
X
AUTOUR
DE I, AHMKNIB
IDEM.Offrande poétique à la France... (Paris-Nancy,
Berger-Levraull), 1917, in-8% 31 p.
*
/
*•
Petite^Bibliothèque arménienne publiée sous la direction de M. F. Maclcr (Paris, E. Leroux, éditeur) :
Tome I. /M Possédée, par CUIRVANZADÊ;
traduction
1910.
d'Archag TCUOBANIAN,
Tome II. Nouvellesorientales, par Minas Tchôraz, 1911.
Tome III. Contes et légendes de l'Arménie, traduits et
recueillis par F. MACLER.
Préface do Henô BASSET,
1911 (honoré d'une souscription du Ministère do
l'instruction publique).
Tome IV. Avétis AHAHONIAN.
Vers la liberté. L'ab\me.
etElias-Sarkis
Traduction par le Dr Missak&iAMLiAN
ALTIAR.Préface de A.-Perdinand HÉROLD.1912
(Ouvrage couronné par l'Académie française). (
Tome V. H. ZARTARIAN.
Clarté nocturne. Traduction
cl ESSAYAN.
Préface
COLANQIAN
par A. TCUOBANIAN,
de Gaston BONET-MAURY,
1913.
Tome VI. H. BARON/AN.
MaUre Ralthasar. Comédie en
trois actes. Introduction et traduction par SILNITZKY.
1913.
lome VIL ARAKELIAN
(Hambartzoum). Contes et Nouvelles. Scènes delà vie arméiio-persanc. Traduction
1916.
par Aram EKNAYAN.
Nouvelles et Contes.
Tome VIII. M01*Iskouï MINASSE.
1917.
Préface do M"*Bcrthc-Georges GAULIS.
Tome IX. Vrlhanès PAPAZIAN.
Santo. Traduction par
SERGEO'HERMINY
(en préparation).
»
Marie SEVADJIAN.
Nouvelles, traduites de l'arménien
moderne par Frédéric MACLER
(Paris, Société nouvelle de librairie et d'édition), 1904, in-16,155 p.
Contes arméniens, traduits de l'arménien moderne par
Frédéric MACLBR
(Paris, E. Leroux), 1905, in-16,
194 p.
ituaiormu'iiini KS
INMCATIONS
il
CUIRVANZADÊ.
L'artiste. Traduit de l'arménien par
SERGED'HERMINY
(Paris, chez le traducteur et chez
tous les libraires), 1909, in-8°, 147 p.
Minas TCIIÉRAZ.
L'Orient inédit. Légendes et traditions
arméniennes, grecques et turques... (Paris, E. Leroux), 1912, in-16, 328 p.
Minas TCIIÉRAZ.
Poètes arméniens... (Paris, E. Leroux),
1913, in-16, XI + 155 p.
M"*Iskouï MINASSE.
Heures intenses. Poèmes en prose
(Conslanlinoplc, impr. do la Palr\e) [1942], in-12,
167 p.
LAMÊME.
Sanglots. Poèmes en prose. Préface do Frédéric MACLER
(ibidem). 1913, in-12, 162 p.
LAMÊME.Pertes vénitiennes. Poèmes en prose... (ibidem), 1914, in-12, 150 p.
P. S. ERÉMIAN.
Tableaux. Poèmes en prose. (Venise,
impr. do Saint-Lazare), 1914, in-12, XIII -f- 126 p.
Contes transcrits par Maurice BOUCIIOR
d'après la tradition orientale et africaine (Paris, A. Colin), 1913,
in-16, XXIV -+ 272 p. [« Dans tout ce que j'ai lu en
fait de folk-lore de l'Asie-Mineure, rien ne m'a paru
aussi intéressant que les contes arméuicns »,
p. XII].
SIAMANTUO
traduction do M"eMar(Adom YARDJANIAN),
: Le Chant du Chevalier, dans Les
guerite BAOAÏAN
fleurs de mai, Paris, 1913, nf 3, p, 161-169; Le rêve
d'une mère, ibidem, 1914, nt 4, p. 121-123; Soif,
ibidem, 1912, n° 1, p. 30; Enterrement, ibidem,
1912, n» 1, p. 31 [Siamantho est < le plus grand
poète arménien moderne. Ses chants (quatre volumes publiés) sont presque tous patriotiques, inspirés par les massacres des Arméniens. Instruit à
Paris, il a vécu un temps aux Elals-Unis d'Amérique, avec tant d'émigrés do sa race... » Note de
do la rédaction].
Les murmures
Haig-Àram KUJARIAN-D'ARTCIIOUGUENTZ.
du coeur.Poésies arméniennes accompagnées d'une
XII
AtTOl'RDE I.'AHMÈME
traduction de l'auteur (Paris, G. H. Nercôs), 1915,
in-16, 93 p.
Art.
Gabriel MOURKY.
La poésie et l'art arméniens, dans
Poèmes arméniens anciens et modernas, traduits par
Archag TCUOBANIAN...
(Paris, A. Charles), 1902, in16, p. 943.
Gabriel MILLET.
L'art byzantin, dans Histoire de l'art...
publiée sous la direction de André MICHEL...
(Paris,
A. Colin), 1905, gr. in-8*. I, passim, à partir de la
p. 127.
IDEM.Recherches sur Ciconographie de l'Evangile aux
X/V\ XV* et XVh siècles, d'après les monuments
de Mislra, de la Macédoine et du Mont-Alhos...
Dessins de Sophie Millet. 070gravurcs dans le texte
et hors texte (Paris, FonlemoingetC'*)i 1916, in-,8»,
LX1V-f- 809 p. [fait la place très large à là documentation arménienne].
L'Ecole grecque dans l'architecture byzantine...
IDEMP
(Paris, E. Leroux), 1916. io-8«. xxvnt f 329 p. [relève l'importance de l'architecture arménienne.
Nombreuses illustrations.]
',
Charles DIIIIL.Manuel d'art byzantin (Paris, A. Picard
et fils), 1910, in-8* [art de l'Arménie au vu» siècle,
p. 315-318 ; ses rapports avec Byzance, 315, 318319; son art au x* et xi« siècle, 441-444; ses rapports avec l'art byzantin, 444-447].
II. P..Séraphin ABDULLAU
et Frédéric MACLER.
Etudes
sur la miniature arménienne... (Paris, P. Geulhner),
1909, in-8», 46 p.
Frédéric MACLER.
Miniatures arméniennes. Vies dû
Christ. Peintures ornementales (x*au xvn» siècle),
68 planches en phototypie et 8 figures dans le
texte... (Paris, P. Geuthner),1913, in-4% 44 p.
Muslquf.
Pierre AUBRY.
Souvenirs d'une mission d'études musi*
INDICATIONS
mnLIOGRAI'IIIQUKS
Xtlt
!
cales en Arménie (Paris, éd. de la « Schola canto. rum »J, 1902, in-8', 4i p., musique et fac-similés
[le système musical de l'église arménienne].
IDEM,tissais de musicologie comparée. Le rythme
tonique dans la poésie liturgique et dans le chant
des églises chrétiennes au moyen Age (Paris, H.
Welter), 1903, gr. in-8% 84 p.
IDEM.Le peuple arménien et son art musical [Conférence faite à la salle Pleyel, le2juin 1899. Inédite].
IDEM.La musique arménienne liturgique et popufaire.
[Conférence faite h la soirée d'art arménien organisée au profil des orphelins d'Arménie, le 15 février
1903. Inédite].
Chants liturgiques arméniens exécutés a la soirée du
15 février 1903 par M. Agopian et les chanteurs de
Saint Gervais (Paris, 1903), in-8°, 8 p.
PROFF-KALFAÏAN
(K.). Directeur-rédacteur du Groung,
revue artistique arménienne (publication trimestrielle) n° 1, décembre 1904. N*2 et dernier, mars
1905. (Paris, 3 bis, place de la Sorbonne), iu-8*.
[Bibliothèque nationale, coté : 4* V. 6849].
EGUIASARIAN.
Recueil de chants populaires arméniens.
1" livraison (Paris, Costallat etC"), 1900. ïn-fol, 31 p.
BOYADJIAN
(G.). Chants populaires arméniens, recueillis
et transcrits... Avec accompagnement de piano par
A. SÉRIEYX;
adaptation française des paroles, par
A. TCUOBANIAN.
Introduction par Pierre AUBRY
(Paris, E. Démets), 1904, in-fol., 32 p.
KoMITASwardapet. La lyre arménienne. Recueil de
chansons rustiques... (Paris, E. Démets) [1907], infol., 45 p.
IDEM.La musique rustique arménienne, dans Mercure
musical..., n* du 15 mai 1907, p. 472-490.
AveMaria pour mezzo-soprano
DikCan TCUOUHADJIAN.
ou baryton, avec accompagnement de piano. 1883
(Paris, Léon Hainpartzoumian), 2« éd. 1914, in-fol.
7 P-
XIV
DE L'ARMÊME
AUTOUR
Laura. Romance pour raezzo-soprano ou baryton.
Paroles de Victor HUGO.
Musique de D.TCUOUUADJIAN(Paris, Léon Hamparlzoumian) 1914, in-fol. 4 p.
La musique en Arménie (Paris,
Frédéric MACLER.
E. Nourry), 1947, in-16, 40 p.
M11*
Marguerite BABATAN
publie, en collaboration avec
: Mes exercices, tirés des chansons poJean PBRIBR
pulaires de France (Paris, Maurice Senarl et C")>
1917,in-4%83p.
Le»Massacres.
Pro Armenia. Rédacteur en chef : Pierre Quillard.
N* 1, 25 novembre 1900. Huitième année, n* 190,
20 septembre 1908; le dernier cahier présent à la
Bibliothèque nationale (coté : f» 0» b 211).
Continué sous le titre : Pour les peuples d'Orient.
Organe des revendications arméniennes. Directeurs : F. de Pressensô et Victor Bérard. N*il,
10 décembre 1912. N« 24 et dernier, 25 novembre
1913. — Continué sous le titre: Pro Armenia. Directeurs ; F. de Pressensé et Victor Bérard. N# 1,
10 décembre 1913. N# 14-15 et dernier, 25 juîn10 juillet 1914.
Pour l'Arménie, mémoire et dossier.
Pierre QUILLARD.
(Paris, 8, rue de la Sorbonne), 1902, in-18,167 p.
[Cahiers de la quinzaine, 19* cahier de la 3* série].
A la mémoire de Pierre Quillard (Paris, Mercure de
•France), 1912, in-16, 247 p. [Discours prononcés à
Paris le 16 février 1912. Compte-rendu de la cérémonie deConslantinople. Quelques articles. Traduction des articles publiés dans le journal arménien
« Azatamart ». Notes biographique et bibliograi
phique],
Le livre jaune, publié sous le titre : Ministère des
affaires étrangères. Documents diplomatiques :
Affaires arméniennes. .Projets de réformes dans
l'Empire ottoman 1893-1897. (Paris, Imprimerie
INDICATIONS
tl|lt|.IO<;tlVI>IIIQUES
XV
nationale), 1897, in-fol., 371 p., plus un Supplément
de 124 p.
Us massacres d'Arménie. Témoignages des victimes.
Préfacede G. CLEMENCEAU
(Paris, Mercurede France),
1896, in-12, 264 p.
Arménienset Jeunes-Turcs. Les massacres
A. ADOSSIDÈS.
de Cilicie (Paris, P.-V. Stock), 1910, in-16,143 p.
Georges GAULIS.La ruine d'un empire. Abd-ul-Hamid, ses amis et ses peuples. Prérace de Victor BÉRARD
(Paris, A. Colin), 1913, in-16, XI + 357 p.
Francis de PR&SSENSB.
L'Arménie, dans Foi et Vie, n° du
\" août 1915, cahier B, n«13. [Conférence donnée
en décembre 1913 sur l'Arménie, dans la série : le
nouvel empire turc et l'avenir de la Méditerranée],
L'extermination des Arméniens, dans Bulletin de l'Ai'
liance française, 1" novembre 1915, p. 109-111. Cf.
lw juillet 1916, p. 171.
Les massacres d'Arménie, ibidem, 1»' mars 1916, p. 4748. [Excellents articles, dus à la plume autorisée de
M. A. Meillet].
Rapport du Comité américain de New-York sur les
atrocités commises en Arménie Traduit de l'anglais. Octobre 1915. In-16,63 p.
Quelques documentssur le sort des Arméniens en 19iô.
Publié par leComitô de l'OEuvrede secours 1915aux
Arméniens. Imprimé comme manuscrit (Genève,
Société générale d'imprimerie), in-8% 72 p.
A. TCUOBANIAN.
L'Arménie sous le joug turc... (Paris,
Plon-Nourrit et &•), 1915, in-8% 39 p.
Emile DOUMERGUB.
L'Arménie, les massacres et la question d'Orient. Conférence. Éludes et documents...
2« édition revue et augmentée. (Paris, librairie de
Foi ct Vie) [1916], in-8°, 205 p.
Pour les Arméniens. Discours prononcé par S. Gr.
Mf'TOUCHBT...
en l'EglisedelaMadeleinole dimanche
13révrierl9l6 (Paris, BloudetGay), 1916, in-8,18p.
Herbert Adams GIBBONS.
Les derniers massacres d'Ar-
XVI
DF.L'ARMÉNIE
AUTOUR
ménit. Los responsabilités. Traduit do l'anglais.
(Paris-Nancy, Berger-Levrault) [1910), in-16, 47 p.
René PINON.IAXsuppression des Arméniens. Méthode
allomande. Travail turc, 2* édition (Paris, Perrin
et G"), 1916, in-16, 76 p.
Les massacres arméniens. Préface
Arnold J. TOYNBBB.
(Lausanne-Paris, Payot et Cu), inpar Lord BRYCB
16, 158 p.
Comment un dr'apeau sauva quatre mille Arméniens
(Paris. Fischbachor) [1916], in-8% 15 p. [signé :
Dikran ANDRBASIAN).
Les massacres et ta lutte de Mousch-Sassoun
ARAMAÎS.
(Arménie), 1915. Traduit du journal arménien
« Arev »»de Bakou (Genève, édition de la revue
« Droschak »), 1916, in-8% 63 p.
/AI défense héroïque de Van (Arménie). Traduit dedif*
fôrenls journaux arméniens par M. G. (Genève, édition de la revue « Droschak »),1916, in-8°, 10| p.
Le livre bleu anglais, sur les massacres arméniens,
publié sous ce titre : The Treatment ofArmeniansin
the Ottoman-empire, 1915-16. Documents presenled
to viscount Grey of Fallodon,.. by viscount BRYCB.
With a préface by viscount Bryce (London.fJoseph
Causlon and Sons), 1916, in-8», XLII +684* p.
Idem, partiellement traduit sous le litre :
Extraits du < Livre Bleu » du gouvernement britannique, mélanges n* 31 (1016)... Le traitement des
Arméniens... (sous presse).
correspondant de guerre du «Journal ».
Henry BARBY,
Au pays de l'épouvante. L'Arménie martyre. Préface
de M. Paul Deschanel, de l'Académie Française,
président de la Chambre des Députés. (Paris, Albin
Michel), 1917, in-16, V + 260 p. [Nombreuses illustrations, permettant de se faire une idée des horreurs qu'a vues l'auteur, dans son voyage à travers
les ruines de l'Arménie],
Pari»,12mai 1917. j
AUTOUR
DE
LA CHAIRE
A L'ÉCOLE
L'ARMÉNIE
D'ARMÉNIEN
NATIONALE
ET SPÉCIALE
DRS LANGUESORIENTALES VIVANTES<«>
MESDAMES,MESSIEURS,
en 1798. Dès les premiers moi? ^
l'année, le général Bonaparte avait ordonné à
Venture de Paradis, professeur do turc à l'École
des langues orientales, de le rejoindre à Toulon pour faire partie d'une expédition secrète.
Il no s'agissait de rien moins quo de l'expédiavec
tion d'Egypte. Venture obéit, emmenant
trois élèves de
lui, en qualité d'interprètes,
Aniédée Jaul'École des langues orientales,
C'était
(t) Leçond'ouverturedu cours d'arraéoiea ù l'Écolenationale et spécialede»languesorientalesTiranteslue le 14novembre 1911.— Extrait de la Revueinternationalede t'enseigne'
ment,publiéepar la Sociétéde l'Enseignementsupérieur,u*du
ISjaoTier1912.
t
a
AtT0Vll DEI.'AHVJÉMK
bert(l). Raige et Belleteste (2); et le journal
Gabarit vante les services
d'Abd»er-Rahman
éminenta rendus à l'armée d'Orient par Venture de Paradis et ses élèves.
Et Yjici que, dans l'automne de la même
année, l'affiche de l'École annonçait qu'un Arménien, Jacques Chahan de Cirbied « donnera
des leçons de sa langue naturelle ». — Mats
Cirbied no possédait pas assez bien le français
pour enseigner avec fruit sa langue maternelle;
le cours provisoire d'arménien fut supprimé le
16 octobre 1801 (3).
« Dix ans après, Chahan de Cirbied demanda
à le rouvrir, alléguant ses « études continuelles
dans la langue et la littérature françaises ».
de l'École des langues
Langlès (l'administrateur
orientales, 1796-1824) pensa également
qu'il
devait avoir acquis « la iacilité d'exprimer
et de communiquer ses idées à ses auditeurs »,
et donna un préavis favorable. Le Ministre, de
son côté, estimant qu'il y avait lieu de tenter
encoro un essai, autorisa de nouveau un cours
provisoire le 8 décembre 1810, et promit en cas
de succès de prendre des mesures pour créer
en Arménieet en Perse, précédéd'une
(1) Voirson Voyage'
noli.esur l'auteurpar Sédillot(Paris,1821).ln~S«,et l'éditionde
«860.
(t) Cf. Noticehistorique sur f École spéciale des langues
orientalesvivantes{parA. (UanitM](Paris,1883},
p. 17.
(WNoticehistorique...,p. 18.
LA.CHAIRE
D'ARMÊMES
$
une chaire d'arménien.
Cette
définitivement
fois, Cirbied réussit, forma rapidement
plusieurs élèves dont deux (1) publièrent des travaux, et montra un zèle qui lui valut d'être
nommé professeur titulaire par décret impérial
du 27 février 1812 (2) ».
• Il y a donc cent ans, éaison pour saison, qu'un
enseignement officiel de l'arménien est donné
dans notre École. La création de *ette chaire
en Orient, et vous
eut un grand retentissement
me permettrez de vous citer un document, qui
est peut-être inédit, adressé à Napoléon !' par
un savant arménien, pour le remercier d'avoir
établi en France une chaire d'arménien. Ce document est contenu dans le numéro 279 des
manuscrits arméniens'de la Bibliothèque nationale de Paris. En voici la teneur :
« Grammaire arabe expliquée en arménien.
. « Dédiée à Sa Majesté, au premier Napoléon le
« Grand, Empereur des Français et Hoi d'ila« lie : à l'usage des élèves du cours d'arménien
« nouvellement établi dans la ville Impériale de
« Paris, Traduite et rédigée d'après les meilleurs
« auteurs originaux,
par Mcircar Zacarie de
« Gelam Kogenlzdc la ville d'Ërivan. L'an 1811
« mois de septembre, à Saint-Pétersbourg.
(I) Je peusequ'il s'agit ici du docteur Bellaud,anteur d'un
Estai sur ta tanguearminienne(Paris,1812),et de LeVaillant
de HoriTal.
(t) notice historique.,.,p. 23-2*.
4
AUTOUR
DE L'ARVIÉXIB
« Auguste César Majesté,
« La merveille des merveilles se voit opérer
« dans notre siècle. Le soleil qui, depuis le corn« mencement du monde, envoyait ses rayons
« de lumière d'Orient en Occident, aujourt d'hui, il répand son éclat brillant du couchant
« en Orient, et nous en sommes des témoins
« oculaires.
« La Munificence de Sa Majesté Impériale et
« Royale, qui a bien voulu établir une École de
« notre Langue orientale dans votre ville céleste
« et Impériale, a tellement ému votre Serviteur,
« Sire, que je prend la respectueuse
liberté
« d'offrir à la dite École ce petit fruit de mes
c veilles, et de La supplier, sans garder à la
« médiocrité dé l'objet et de la personne, de
« recevoir seulement ses voeux et son dévoueif ment le plus sincère en reconnaissance
de
« Ses Bienfaits pour notre nation.
<r Cette petite grammaire, Sire, traduite de
« l'arabe, ef réduite en méthode selon le système
« des grammairiens
européens et arméniens,
c ne fut dédiée à Sa Majesté que pour servir
a de monument éternel des Protections particua Hères qu'Blle veut bien étendre s ir notre
« nation comme èur celles de toute la terre.
« Daignez, Sire, jetter un regard favorable
-- f.'ir le dévouement et le zèle
qui m'anime.
a Je suis, avec le plus profond respect, Sire,
D'ARMÉNIEN
5
hk CHAIRE
« de Votre Majesté Impériale et Royale, le très
c humble et très obéissant serviteur.
« Marrar Zacarie de Gelam Kogentz à Saint« Pétersbourg, 13/2 décembre 1811. »
L'enseignement de l'arménien, venant s'ajouter à ceux, déjà existants, du persan, de l'arabe
et du turc, fut une preuve nouvelle de l'intérêt
que la France portait aux peuples orientaux,' et
ceux-c», de leur côté, se firent sans peine, et
pendant de longues années, à la douce habitude
de tourner leurs regards vers notre pays, dans
leurs moments de péril et d'angoisse.
Cent ans d'arménisme
une
représentent
somme de travail et un effort scientifique dont
il faut tenir compte. Aussi voudrais-je, avant de
vous exposer le programme de nés études
futures, vous retracer, d'une façon aussi sobre
et aussi brève que possible, l'oeuvre des arménistes français, et plus particulièrement
de
ceux qui occupèrent cette chaire avant moi.
J'aimerais
ensuite vous peindre, à grands
trait8, les destinées du peuple arménien, dans
le temps et dans l'espace; vous dire en peu de
mots ce qu'il en faut savoir, avant d'entreprendre l'étude de sa langue, de son histoire,
de sa littérature; rechercher avec vous les raisons psychologiques, les conditions de race et
de milieu qui ont permis à ce peuple, vieux de
G
DE l/ARMESIB
AUTOUR
près de trente siècles, de vivre, d'agir, de braver les invasions, de subir le martyre, d'être
intédécimé par les guerres extérieures/et
rieures, et de jouer néanmoins et malgré toutes
les vicissitudes morales et physiques, un rôle
prépondérant au milieu des peuples oit il est
condamné à vivre; — vous rappeler quelquesuns des personnages Importants de cette nation
qui, en dehors de la sphère d'activité quelque
peu restreinte que leur offrait l'Arménie, présidèrent souvent aux destinées d'autres peuples,
en tant qu'empereurs, impératrices, généraux,
hommes d'État, riches banquiers et généreux
t
commerçants.
Je terminerai en vous exposant ce que je crois
devoir vous enseigner. Nous sommes à un
tournant de l'arménisme en France. Pendant un
siècle, l'arménien ici enseigné fut l'arménien
ancien ou classique (grabar). Les travaux de
mes devanciers, comme ceux des autres arménistes, portèrent toujours sur la langue et la
littérature 'arméniennes
anciennes. Rompant
avec cette tradition, considérant que, depuis
une cinquantaine d'années, une jeune littérature arménienne a vu le jour, a crû et s'est
développée, qu'elle est suffisamment riche, et
variée et intéressante, nous enseignerons ici la
grammaire de l'arménien vivant, nous expliquerons les oeuvres des écrivains contemporains,
IA CII\IRKU'ARMKMKN
7,
*
nous prendrons avant tout en considération les
manifestations actuelles d'une nation qui exerce
une influence très grande sur les pnuples parmi
lesquels ello vit.
Non que nous fassions fi de l'arménien ancien.
Bien au contraire. Son importance est capitale
pour l'étude de la grammaire comparée indoeuropéenne, pour l'histoire générale au moyen
fige, pour ses contributions à l'histoire ecclésiastique, pour les renseignements
précieux
4
qu'il peut fournir sur de vieux cultes païens,
pour le folklore oriental, pour les don m'es
Sa place
relatives à. l'art et a l'architecluro.
reste parmi nous, et nous l'enseignerons toutes
les foi s que l'occasion s'en présentera. Et si
l'on peut souhaiter, dans une certaine mesure,
qu'un enseignement fût créé ailleurs, qui complétât par des leçons d'un ordre plus scientU
fique et plus technique les notions forcément
sommaires d'arménisme que trois années de scolarité dans cette École sont à peine suffisantes
à vous inculquer, il n'en subsiste pas moins la
très grande influence de l'arménien ancien sur
le moderne : celui-ci est, selon l'expression
grecque, une langue puriste, qu'il ne faut pas
prendre pour la langue de la rue; n'est celleci, fortement modifiée sous l'influence delà
langue ancienne.
8
AtTOIR I»BI/ARUÉME
1
Je serai bref dans Toxposô des promiersarménisants européens. Ce furent d'abord des missionnaires, dominicains pour la plupart, que
les papes envoyèrent au pays du Levant, Barthélémy de Bologne partit pour l'Orient en 1316,
sur Tordre du râpe Jean XXII. Cet évoque latin
dut apprendro le persan et l'arménien pour
pouvoir exercer une influence sur les populations au milieu desquelles il allait passer une
partie de son existence. Nous possédons à la
Bibliothèque nationale un manuscrit arménien
(lo n° 105), contenant le bréviaire romain, traduit en arménien en 1330 par les soins de
Barthélémy de Bologne. Ses oeuvres, traduites
par Jacques Thargman, constituent le n° 149
de la môme collection.
François Bivola de Milan (xvu* siècle) publia
une grammaire de la langue arménienne, dont
une copie, exécutée par Pétis de La Croix, se
trouve à nblre Bibliothèque nationale (n° 272),
et un dictionnairo arménien-latin. — On cito
encore le nom du missionnaire calabrais Paolo
Firomalli, qui étudia l'arménien pour se rendre
en Orient. — Epfin, le P. Clément Gala nus,
napolitain, qui fut longtemps missionnaire en
Orient et possédait fort bien, dit-on, le géorlaissa quelques
gien, le turc et l'arménien,
9 «
ouvrages indigestes, qui firent époque, et dont
il faut donner les noms :
!• Grammatical et logicw institttlhnes linguoe
literalis armenicoe, Arménie traditio a D. Clemento GALAKO...Addito vocabulario armono-latino omnium scholasticarum dictionum. Romeo,
1645. 4».
2° llistoria armena, ecclesiastica et politiôa,
nunc primum in Germania excusa et ad exemplar romanum diligonter expressa. Coloniao,
1686. ln-8'.
3* Concilialio ecclesioe armenoe cum Romana,
ex ipsis Armenorum patrum et doctorum tostimoniis in duas partes hislorialem et controvorsialem divisa. Romeo, typ. Sacr. Congr. de
Propag. Fido, 1658, 1661 et 1690, 3 vol. in-fol.
(en arménien et on latin).
LACHAIRE
n'ARMÊME*
J'ai hâte d'arriver aux Français. M. Omont a
publié dans la Bibliothèque de l'École des
Chartes (1882, p. 563-564) un ancien glossaire
latin-arménien,
placé à la fin d'un manuscrit
des Lettres de Saint-Jérôme, de la bibliothèque
du grand séminaire d'Autun. Carrière a repris
l'étude de ce glossaire dans un mémoire offert
à Eraine (1) ,ct ces deux savants arrivent à la
Un ancien glossairelatin-aanénien...
(I) Cf. A. CAHRIÈRI,
Paris,1886.Iu-8*.
1.
1Q
AUTOUR
l)E l/AnMBMB
conclusion que la composition de ce glossaire
est antérieure au commencement du x* siècle.
En 1322, l'arménien était enseigné à la cour
des papes d'Avignon par les envoyés du roi
Léon V (1).
Guillaume POSTEL, célèbre Orientaliste du
xvi 9 siècle, qui fut interné en 1562 à cause de
ses écrits et surtout de son livre sur la venue
d'un Messie féminin, intitulé : les Merveilleuses
victoires des femmes (1553), fut un grand voyaIl parcourut à
geur et un habile observateur.
plusieurs reprises l'Europe et l'Asie et publia
de nombreux livres. J'en citerai un seul, qui
nous intéresse directement : Linguarum duodecim characteribus
differenlium afphabetum
introduclio ac legendi modus longe facillimus.*,
Paris, 1538. ln-4e de 75 pages non paginées. Les
douze langues, dont il est question dans cette
plaquette, sont : l'hébreu, le syriaque, le chaldéen ancien, le samaritain, l'arabe ou punique,
l'éthiopien (appelé lingua indica), le grec, lo
géorgien, le bosnien, l'illyrien, l'arménien et
le latin. L'auteur consacre cinq pages à la
langue arménienne; il donne, à la quatrième,
l'oraison dominicale, qui se termine, à la en
quième page, par quelques remarques gr mmaticales que je recommande à la méditatif \ des
'.
linguistes.
t. I, p. ,i,
(t)M. fitcciM,la librairiedespapes d^Âvlgnon,
LACIIVIHK
D'AIOIKMKX
II*
Postel arrête là ses observations,
estimant
en avoir assez dit sur l'arménien, cette langue
orientale si difficile à prononcer,
a Illa satis
sunt Interomnes linguas quas iinquam atidiui,
prolatione difficiliorem hâc non noui. » Guillaume Postel, qui fit ainsi le premier essai de
grammaire polyglotte, est surtout connu comme
hébraïsaitt.
Le P. Jacques VILLOTTE, jésuite, séjourna
A
longtemps en Orient comme missionnaire.
son retour en France, il publia différents
ouvrages en français et en arménien.
Le célèbre hébraïsant Richard SIMONpubliait,
sous le pseudonyme de DE MONI, d'intéressants
détails sur les Arméniens, dans son Histoire critique de la créance et des coutumes des nations du
Levant (Francfort, 1684), p. 137-146et 217-229.
Le Français Maturin VBYSSIKHKLA CROZK,
bibliothéancien professeur en philosophie,
caire et antiquaire du roi de Prusse, donnait à
La Haie, en 1739, uno Histoire du christianisme
d'Ethiopie et dArménie ; il avait composé précédemment un dictionnaire arménien en deux
volumes.
né à Paris en
L'abbé Guillaume de VILLKFIIOY,
1690, dressa le catalogue des manuscrits arméniens de la mission Sevin(l); il mourut en 1777,
Cataloguedis manuscritsarminiens et
(t). Cf. F. MACLCR,
nationale(Paris, 1908),p. iv, D.3.
géorgiensde ta Bibliothèque
12
AUTOlïlDE I/VHSIKME
professeur d'hébreu au Collège de France. Son
LOUIIDET/ comme
élève, l'abbé Pierre-Simon
lui professeur d'hébreu au Collège de France,
mort en 1791, étudia l'arménien avec ardeur et
se rendit, en 1785, à Venise, où il passa près de
deux ans chez les PP. Mekhitharistes
(1). 11
avait, paraît-il, composé un dictionnaire arméfort volumineux,
nieh-latin,
qui ne fut pas
imprimé.
Signalons enfin, que l'abbé GARNIER,supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, élève de
l'abbé Lourdet, et l'illustre orientaliste Etienne
membre de l'Académie des InsQuATREMfcRE,
une
criptions et Belles-Lettres,
possédaient
connaissance approfondie de l'arménien.
L'enseignement et les publications de CHAHAN
effort
DE CIRBIED dénotent un consciencieux
scientifique. S'il ne donna pas des ouvrages
immortels, il publia néanmoins quelques livres
qui lui font honneur. En 1806, il faisait paraître avec F. Martin ses Recherches curieuses
sur l'histoire ancienne de l'Asie. En 1811, il
publiait un fragment de Mathieu d'ifdesse,
relatif à la première croisade ; en se bornant au
texte conservé à notre Bibliothèque nationale,
Cirbied se condamnait à faire une oeuvre incomi
Calatogut...,p. xiiu, a. 1.
(I) Cf. MACLER,
D'ARMÉMEX
LA CHAIRE
i3
plus tard par
plète, qui devait être reprise
celui-ci procéda scientifiquement,
Dulaurier;
en collationnant le texte de Paris avec ceux de
Venise. — Quelques années plus tard, Cirbied
publiait, avec Mir-Davoud Zadour de Melik
Schahnazar, les Détails sur la situation actuelle
du royaume de Perse (1816), en français, en
arménien et en persan ; et deux ans plus tard,
en 1818, s'étant assuré la collaboration de son
administrateur,
Langlès, il faisait paraître ses
Notices sur l'état actuel de Ifi Perse, en persan,
en arménien et en français. — L'ouvrage vraiment original et personnel de Cirbied est sa
Grammaire
de la langue arménienne
(1823).
C'est un livre épais, touffu, où il y a beaucoup
à glaner, mais que l'on ne saurait mettre entre
les mains d'un débutant ; l'introduction
a
xxxn pages et le corps de l'ouvrage en compte
820. Je ne vous ai cité que les principales
oeuvres de Cirbied. Bien que datant de cent ans,
on y peut encore trouver, de-ci de-Ià, quelques
bonnes notes, quelques renseignements
utiles,
que l'on chercherait en vain ailleurs.
En 1826, Chahan de Cirbied s'était rendu à
Tiflis où l'appelait l'archevêque
Nersès, pour
organiser une École spéciale de langues occidentales (1); il avait obtenu à cet effet un congé
(I) Notice historiquesur l'École des languesorientales...,
p. 27.
>
ALTOLH
l)K L'AIIMKME
l/|
de trois ans et avait désigné/ pour le suppléer
pendant son absence, un de ses élèves, Le
Vaillant de Florival, qui fit partie de la première
promotion de l'École des Chartes, section des
archives, 1821. Comme Cirbied ne revenait pas
à l'expiration de son congé, on le considéra
comme démissionnaire,
et son suppléant fut
titularisé le 4 septembre 1830. Il resta professeur d'arménien
sa mort, 20 janvier
jusqu'à
1862 (1),
de LE
Je ne sais ce que fut l'enseignement
VAILLANTDE FLOBIVAL.Il publia fort peu et
s'attaqua à deux des principaux écrivains arméniens pour en donner une traduction, Moïse de
Khoren (1841) et E/nik (1852). L'entreprise
était manquée et l'oeuvre était à.refaire. L'ouvrier n'avait pas été à la hauteur de sa tAche.
Edouard DULAUIHBR
ouvre l'ère des professeurs d'arménien qui se préoccupèrent d'appliquer une méthode scientifique.
de
Dès 1850, alors qu'il était professeur
malais et de javanais à l'École des langues
orientales vivantes, il publiait le Bécit de la
première croisade, extrait de la Chronique de
Matthieu d'Edesse et traduit de l'arménien,
d'après quatre manuscrits de la Bibliothèque
du couvent de Saint-Lazare, à Venise, et un
(2)Solice historique...,p. 28.
..
.
.
LACHAIRE
I/ARMÉME*
t
I5!
manuscrit de la Bibliothèque nationale, à Paris.
Il estimait que « de toutes les littératures qui
« se développèrent
en Orient sous l'influence
celle de l'Arménie est,
<• du christianisme,
la plus remarquable
« sans contredit,
par sa
Placés dans le
« richesse et son originalité...
<c voisinage des grands empires qui s'élevèrent
«• dans l'Asie occidentale, et mêlés aux vicissil'existence et la
« tudes qui en marquèrent
a chute, les Arméniens nous ont conservé le
« souvenir de faits ignorés des historiens grecs
« et romains, ou que ceux-ci n'apprirent
que
des
<• d'une manière imparfaite. Limitrophes
o peuples de race scythe ou tartare, ils ont
« connu et retracé avec soin et exactitude les
« origines et les migrations de ces peuples...
« C'estainsi que, pour les invasions des Arabes,
« des Turcs seldjoukides
et des Mongols, et
« pour les croisades, le patriarche Jean VI,
« Assolig, le prêtre Léonce, Ariataguès, Gui« ragos de Kantzag, le moine Malachie, le doc« teur Vartan et plusieurs
autres écrivains
c arméniens, qui son' restés jusqu'à présent
« inconnus à nos érudîts, nous offrent dans
« leurs ouvrages une mine nouvelle et féconde
« de renseignements
sur ces grands mouve« ments de peuples qui exercèrent une influence
» profonde sur les destinées
des nations de
« l'Asie et de l'Europe » (Préface, v-vi).
iG
AUTOUR
UE I/ARMÉ.ME
Et voilà comment Dulaurier, abandonnant le
malais et le javanais à l'abbé Fabre,-s'adonna
entièrement à l'arménisme et fut nommé professeur de la chaire d'arménien,
par décret
impérial du 19 février 1862.
Les publications
de Dulaurier sont nombreuses et variées. Elles se rapportent presquo
exclusivement à l'histoire et peuvent être rangées sous trois chefs principaux :
a) Les historiens arméniens, en général, traduits et annotés ;
b) Les historiens arméniens relatifs aux croi'
traduits
et
annotés
sades,
;
c) Les historiens arméniens relatifs aux Mongols, traduits et annotés.
Dulaurier
d'une
commença la publication
Bibliothèque historique arménienne, ou Choix
des principaux historiens arméniens traduits
en français et accompagnés de notes historiques
et géographiques,
collection destinée à servir
de complément aux Chroniqueurs byzantins et
slavons. Le premier volume, qui comprend
Matthieu d'Edesse (926-1136) avec la continuation de Grégoire le prêtre jusqu'en 1162, parut
en 1858. Il donna ensuite une traduction annotée do VHistoire universelle d'Etienne Asolikdo
Taron, 1" partie, qui fut publiée en 1883, après
sa mort.
LACHAIRE
D'ARMÉMEN
17
La collection qui était réservée aux documents relatifs aux Mongols d'après les historiens arméniens ne comprend que deux fragments, de Guiragos et de Vartan, donnés dans
le Journal asiatique en 1858 et en 1860. C'est
là, Messieurs, qu'il y a un effort à porter et que
je voudrais voir l'un de vous s'occuper de cette
question importante pour l'histoire de la haute
Asie.
Un volume de Recherches sur la Chronologie
arménienne technique et historique, ouvrage formant les prolégomènes de la collection intitulée « Bibliothèque historique arménienne »
(Paris 1859, t. I) est capital et renferme, sauf
quelques erreurs de détails, tout ce qu'il faut
savoir pour étudier et comparer les ères de
l'ancien monde, au point de vue arménien.
L'oeuvre vraiment durable de Dulaurier est
constituée par ses travaux sur les documents
arméniens relatifs aux croisades. 11 donnait, en
1861, dans le Journal Asiatique, une Étude sur
l'organisation politique, religieuse et administrative du royaume de la Petite-Arménie à
l'époque des croisades. 11 reprenait cette étude
et la remaniait pour en faire l'Introduction
au
tome I des Documents arméniens, Recueil des
historiens des croisades, publié par les soins
de l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres
(Paris, 1869). Ce volume in-folio renferme, outre
l8
DEL'ARMÉMF.
AUTOUR
le texte et la traduction française des historiens
arméniens des croisades, une quantité de notes
et de renseignements
des plus précieux pour
de celte période.
l'historiographe
Si Dulaurier fij avant tout oeuvre d'historien,
un critique.
CARRIÈRE
(1) fut essentiellement
Son esprit y avait été formé par l'enseignement
de Reuss et de Colani à Strasbourg, d'Ewald en
fatal des choses 4
et, revirement
Allemagne;
d'ici-bas, Carrière fut à son tour violemment
critiqué. Il inaugure une ère nouvelle en s'émancipant entièrement du travail des Arméniens, et
en particulier des Mekhitharisles
de Venise, j
Les études de Carrière ne concernent pas
exclusivement
Movsès Khorénatsi (Moïse de
Khoren) ; mais ce sont ses travaux relatifs à cet
écrivain arménien qui ont fait sa célébrité.
Voici, en deux mots, la thèse de Carrière, relative à Moïse de Khoren, historien arménien
au v° siècle de
que l'on place généralement
l'ère chrétienne.
La vie de saint Silvestre a été traduite du grec
en arménien au vn° ou au vut* siècle. Carrière
relève des citations de Khorenatsi qui corres(I) CLA. MeicLtr,AugusteCarrière,rfaosÉcolepratiquedes
HautesÉludes,Section«lesscieuceshistoriqueset philologiques.
Annuaire19o3U'ari«,
Moitede
1«02),p. 22-29.— Et F. MACLER,
Khorenet tes travaux a'AugksteCarrière,dans Rtvuearchio*
logique(Paris,191)2).
LACHAIRE
D'ARMKXIEX
IQ
pondent mot pour mot au texte de saint
Silvestre; donc Khorenatsi ne vivait pas au
ve siècle, mais était du vu 8 ou du vin 6 siècle,
puisque cette traduction de la vie de saint Silvestre a été exécutée par Philon Tirakatsi, vers
696 (cf. Garegin ZARMIANALIAN,
Anciennes traductions, p. 694), et que le texte arménien de
ce'te vie se trouve toujours en tôte des manuscrits qui renferment YHistoire ecclésiastique d'e
Socrate. Puisque la traduction arménienne de
Socrate doit être considérée comme une source
de Moïse de Khoren, la date de cette traduction
avec elle, celle de la
emporte nécessairement
composition de l'Histoire d'Arménie, qui ne
peut être antérieure au vm« siècle (1).
Plusieurs savants arméniens tentèrent de
réfuter les conclusions de Carrière. Quelquesuns y mirent même une apreté qui sortait des
limites de la pure science. C'est ainsi que feu
le P. Baronian refusa de prendre place à coté
de Carrière, à un banquet d'orientalistes.
Des réponses qui furent faites aux critiques
de Carrière, j'en retiendrai deux, que je citerai
brièvement, car la discussion n'est pas close, et
les solutions proposées ne sont pas définitives.
do Venise,
LeP.Sarkisian.desMckhitharistes
a publié, en 1893, le texte grec et la traduction
Nouvellessourcesde Moïsede Khoren...
(I) Cf.A. CARMÈRS,
(Vi.nne,1893),p. VI-VII.
20
AUTOUR
DEL.ARMÉ.XIE
arménienne de la vie de saint Silvestre, le tout
précédé d'une introduction où il examine l'hypothèse de Carrière.. Pour le savant de Venise,
la question se pose et se résout ainsi : la vie de
saint Silvestre a été écrite en grec, peu aprèf*
sa mort, au iy« siècle. On en a fait un abrégé et
c'est cet abrégé qui a été traduit en arménien,
au xe-xi* siècle. Khorenatsi devait connaître
sur cet
l'original et c'est vraisemblablement
original qu'il a exécuté sa traduction au v' siècle*.
Le P. Sarkisian trouve encore d'autres arguments en faveur de sa thèse dans les ménologes
latins et grecs, et dans quelques fragments
'
latins publiés récemment.
M. GaloustTêrMkrttchian,
d'Etchmiadzin, a,
lui aussi, formulé son avis sur cette question si
délicate, dans un article publié par la revue
arménienne Ararat, en 1898. Voici, pour ce
savant, comment il faut traiter l'hypothèse de
Carrière et résoudre le problème : Carrière a
voulu démontrer que Khorenatsi a utilisé YHistoire ecclésiastique de Socrale le Scolaslique;
entre Khopuis il a montré des ressemblances
renatsi d'une part, Malalas et la Chronique
pascale d'autre part. Puisque ces deux oeuvres
sont des compilations, on ne sait pas s'il n'y a
pas des morceaux plus anciens, qu'auraient
utilisés Malalas et Khorenatsi. Le point important est la ressemblance entre Socrate et Khore-
i
D'ARMENIEN
. LACHAIRE
il!
natsi. Or, on savait par tradition que Socrate
avait été traduit en arménien au vu® siècle, et
on a démontré qu'il y avait deux Socrate, le
Grand et le Petit. Pour résoudre le problème,
il fallait avoir l'édition de Socrate. Elle fut
donnée en 1897, à Etchmiadzin,
par Mesrop
vardapet Ter Movsésian. Cette édition a montré
que, au vu* siècle, le grand Socrate, correspondant au grec, avait été traduit en 696. La ressemblance avec Khorenatsi est presque nulle.
Le petit Socrate, au contraire, est une compilation arménienne, faite sur des sources arméniennes et étrangères, qui a gardé la mention
de Nersès Kamsarakan, et a abrégé la vie de
saint Silvestre. C'est une rédaction postérieure
à Khorenatsi. M. Galoust Ter Mkrttchian a
relevé une page entière dans la vie de saint
Silvestre, l'éloge du saint, qui est identique à
l'éloge de saint Mesrop dans Khorenatsi (Khoren. III, 67= p. 669 de Socrate, édition Mesrop
vard. Ter Movsôsian), et il conclut : puisque
nous connaissons la date de la traduction du
Grand Socrate, qui est 696, et que nous savons
par le traducteur de Socrate qu'il possédait la
traduction de la vie de Silvestre, exécutée 18 ans
auparavant, c'est-à-dire en 678, nous posons en
fait que l'histoire de Khorenatsi n'existait pas
avant 678.
Carrière avait appliqué aux historiens armé'
S2
DEL'ARMÊSIE
AUTOUR
nieus les méthodes de critique qu'il avait vu
employer pour les écrits bibliques. Il a fait
oeuvre véritable de savant et son nom restera
indissolublement attaché à la révolution opérée
sur la valeur historique de Moïse de Khoren.
Carrière, qui avait succédé à Dulaurier en
1881, mourut en janvier 1902. Il eut pour successeur M. MEILLBT,aujourd'hui professeur au
Collège de France. L'enseignement de M. Meillet à l'École des langues orientales marque |o
ancien à l'arménien
passage de l'arménien
moderne. Ayant hérité de Carrière* d'élèves qui
avaient débuté dans l'arménien ancien, il jui
fallait continuer cet enseignement en vue des
examens qu'ils avaient à subir. En mémetU-uips,
M. Meillet consacrait d'abord une heure par
semaine à l'explication de la grammaire de
l'arménien moderuo et d'auteurs écrits dans
cette langue, pour les nouveaux élèves qui
n'avaient pas suivi les cours de Carrière. Progressivement l'arménien ancien fut remplace
parle moderne, qui occupa la plus grande parti»
des heures. De la sorte, M. Meillet ouvrait lu
voie à son successeur qui, dans son enseignement, donnerait le pas à l'arménien moderne.
De son court passage aux Langues orientales
(1902-1906), datent trois études importantes do
M. Meillet : sa belle et' limpide Esquisse dJunc
LACHAIRE
D'ARMÉSIES
a3
grammaire comparée de l'arménien classique
(Vienne 1903), ses Observations sur la graphie
de quelques anciens manuscrits de l'Évangile
arménien {Journal asiatique, 1903, II, p. 487arméniens
507), de quelques Êvangéliaires
accentués (Paris, 1905. Extrait des Mémoires
orientaux. Congrès de 1905) et ses Recherches
sur la syntaxe comparée de l'arménien (Paris,
1904. Extrait des Mémoires de la Société de linguistique de Paris, t. XII).
*'*
L'arménisme français, au xix« siècle, ne fut pas
l'apanage exclusif des professeurs d'arménien
à l'École des langues orientales vivantes. Des
savants et des érudits de réel mérite lui consa. crèrent de notables travaux, et mention doit en
être faite ici.
Antoine Jean Sainl-Mârtin naquit le 17 janvier 1791 à Paris, dans le voisinage de l'Hôtel
de ville (1). Quoique destiné au commerce, il
devint l'un des élèves les plus brillants du collège des Quatre-Nations; à vingt ans, il savait
l'arabe et l'arménien. Il avait préparé la trajeune, Sol'uehistoriquesur U. A.-I. Saint'
(1)Cf.BBOSSCT
Martin(en tétadu tomeXIIIde l'Histoiredu Bas-Empire,
par
Paris,1832,
Lebeau,éditionrctue et corrigéeparSaint-Martio).
!o-8\
a\
ÀlTOlft DE L'\RMKME
duction de plusieurs écrivains arméniens, tels
que Lazare de Pharpi, Moïse de Khoren, Elisée, etc. Il (ut élu membre de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres le 2 septembre
1820, à l'âge de 29 ans.
Saint-Martin espérait la création d'une chaire
d'arménien au Collège de France» comme il en
avait été créé une de chinois pour son ami Aboi
Rémusat. Mais ses opinions politiques, qu'il ne
dissimulait pas, l'empêchèrent
d'arriver à de
hautes fonctions officielles. Son biographe et
élève, Brosset jeune, rapporte avec un peu
d'exagération
que Saint-Martin également au
courant des choses arabes composa divers
mémoires à l'époque de l'expédition d'Alger
(1830) et si la France possède Alger, dit-il, c'est
à lui qu'elle le doit, en partie du moins. SaintMartin mourut le 15 juillet 1832, du choléra
asiatique.
L'ouvrage do Saint-Martin, qui consacra sa
réputation de savant, comprend les deux volumes de Mémoires historiques et géographiques
sur l'Arménie (Paris, 1818 et 1819). In-8<\
Le tome I, le plus personnel et le plus important, renferme le mémoire sur la géographie de
l'Arménie, le piécis de l'histoire d'Arménie et
les tables chronologiques
de ladite histoire.
L'ouvrage a'vieilli, on a découvert et publié des
manuscrits depuis snn impression; il n'en reste
LACHAIRE
D'ARMÊSIBX
a5
pas moins que ce volume défraya pendant près
de 80 ans les snvants et les spécialistes qui
avaient quelque recherche à faire relative à
l'Arménie. Le tome II comprend l'histoire des
Orpélians, et différents documents d'un intérêt
de second ordre.
Saint-Martin mourut trop jeune, pour avoir
pu fournir une longue carrière scientifique;
parmi les nombreux papiers recueillis après sa!
mort, on publia une traduction de Y-Histoire
d'Arménie de Jean VI (1841), ouvrage qui se
ressent forcément de n'avoir pas été édité par
l'auteur lui-môme, et des études sur l'histoire
des Arsacides de Perse et d'Arménie.
Je citerai, pour terminer, les noms de Victor
Langlois (1), d'Eugène Bore (2), d'Évarista
Prud'homme (3), de Gatteyrias (4), de P. P.
dans sa Collec(t) Voirla noticeque lui a consacréeDR»SJET
tion d'historiensarméniens(St-Péterabourg,
1874),I, p. XXITXXTIII.
(2)Néle 15ao&t1809i Augen,mort le 3 mai 1818à Pari*,
de la Missionet de la
supérieurgéaéralde la Cougrég&tiuc
Compagniedes fillesde la Cbaritd(cf. EugèneBori..., par
LéonceOBM RALIATI,
Pari»,1894).Les publicationsde Bore
à Venise,
relativesà l'Arméniesont: LecouventdeSaint-Lazare
ou Histoiresuccinctede tordre desAtekhitharUtes
arminiens,
subiede renseignements
sur la langue,la littérature,l'histoire
religieuseet la géographiede l'Arménie...(Paris,1837).In-12,
V—259
p. — L'Arménie,dans l'Universpittoresque.Europe,'
t. VIII(Paris,1838),—Correspondance
et mi.noiresd'un vogigeuren Orient(Paris,18*0)2 tomesea 1»ol.in-S».
Collectiond hit trientarminiens(St-Pél^r*(3) Cf BROSSBT,
bourg,*874).I, p. xxvm.
(4)Néen 1853,morten 1883;publia?Arménieet Ut ArmiX
a6
.VUTOUH
DEL'ARUÉME
Martin (l), de Pierre Aubry (2), qui, chacun
sciendans sa sphère, et par des publications
tifiques ou des récits de voyages, contribuèrent
à enrichir la littérature arménienne et les travaux d'érudition, dus à des plumes françaises.
II
un peuple
11 existe, épars dans l'univers,
dont le lointain passé permet de faire remonter
les origines au x8 siècle avant notre ère. Ce
peuple, qui connut la gloire des conquêtes et
compta des royaumes importants, qui força de
grands empires à composer avec lui, qui connut
niens (Paris, 1882);cf. Les étudesarméniennesen Europe...
'(Venise,1893)(en arménien],p. 237-238.
(1) Cf. F. Màcujt, Cataloguedes manuscritsarminienset
nationale(Paris, 1908),p. XXIT,
géorgiensde la Bibliothèque
o. 2.
(2)Néà Paris, 1874,mort à Dieppe,d'un accidentd'escrime,
en septembre1910.Publicationsrelatives&l'arménisme: Le
systèmemusicalde rÊgtise arménienne,dans la Tribunede
tiré à part sous te litre : Souvenirs
Saint-Gervais,1901-1903;
dune missiond'étudesmusicalesen Arménie(Paris,1902),42p.,
— Chantsliturgiquesarméniensexécutésà
mus. et fac-similés.
la soiréeda 15février1903(Paris,1903).In-fol.—Introduction
à « Chantépopulairesarméniens recueillispar G. Bojadjian
(Paris, 1901).Iri-fol.— La musiquearménienneliturgiqueet
populaire(Conférenceà la soirée d'art arménien organisée
an profit des orphelins d'Arménie.le 15 février 1903).— Le
peuple arménienet son art musical. (Conférencefaite & la
salle Plejel, le 3 juin 1899).Voir la notice nécrologiques
PierreAubry,1874-1910,
cotée & la Bibliothèquenationalede
Paris: 4*LnP 54739,
LA CHAIRED'.\fUj£siÊS
2"J
également la ruine, la destruction et les pires
malheurs qui peuvent fondre sur une nation, ce
on voulut
peuple, qu'en maintes circonstances,
anéantir, persiste à vouloir vivre et à jouer un
rôle dans les divers milieux oit sa destinée l'a
placé. Le peuple arménien, dont l'histoire est
insuffisamment faite, dont les origines sont entourées de tant d'obscurité, dont le rôle mondial
est souvent fort méconnu, mérite qu'on le considère un instant et, qu'après l'avoir étudié plus
on lui accorde plus d'intérêt,
attentivement,
plus de sympathie, plus d'estime.
Les Arméniens, chez qui les récents massacres hamidiens ont fait tant de victimes, ont
obtenu, grâce à ces cruautés mêmes, un triste
regain d'actualité ; mais c'est surtout par philanthropie,
par pitié, que plusieurs chrétiens
d'Europe et d'Amérique vinrent au secours de
leurs frères d'Arménie. Ils ne connaissaient du
lui-même que fort peu de
peuple arménien
chose ; peut-être s'en tenaient-ils, au point de
vue documentation,
à la mauvaise opinion, tout
à fait erronée, qui ne voit dans cette nation
qu'un groupe de changeurs, d'usuriers et d'inIls ignoraient
termédiaires
peu scrupuleux.
que le peuple arménien, à toutes les périodes
de l'histoire où nous le voyons agir, fut un
de premier ordre, qu'il
agent de civilisation
joua un rôle décisif au temps de Mithridatç
38
DE L'AHMÉME
AUTOUR
Eupator et de sa lutte contre Rome, qu'il fut un*
des premiers peuples de l'Orient à embrasser
le christianisme, qu'il exerça une large influence
sur l'Orient tout entier par les règnes de douze
empereurs
byzantins et de neuf impératrices
d'origine arménienne,
qu'il facilita aux croisés
la conquête des lieux saints, et que presque
toutes les reines du royaume
de Jérusalem
étaient de sang arménien (1), que depuis lors
ils furent les intermédiaires
naturels entre
l'Orient et l'Occident, et que, dans les temps
leur royaume n'existant
modernes,
plus, ils
portèrent la même maîtrise, le même génie,
dans le commerce, dans l'industrie,
dans la
dans la guerre, se rendant ainsi,
diplomatie,
non seulement
à
utiles, mais indispensables
leurs patries d'adoption.
Par les idées qu'il éveilla au cours des âges,
incontestée
par l'influence
qu'il exerça sur
l'Occident et sur l'Orient, par les problèmes
politiques
qu'il posa et qu'il pose encore, le
peuple arménien est un sujet d'étude qui intéresse à la fois les hommes d'État, les savants,
les artistes, les historiens, les archéologues. Ce
des titres, suffisants pour
sont, semble-t-il,
recommander à notre attention, à notre curioles choses
sité, à notre estime sympathique
i
Sissouanou l'Armino-Cilicie...(Venise,1899),
(I) Cf. ALISUAK,
p. 43, n. 2 et p. 4tÇ.
LA.CHAIRSD'ARMENIEN
3Q
d'Arménie. C'est ce qu'en peu de mots ju voudrais vous exposer aujourd'hui.
Dans la célèbre inscription de Bissoutoun ou
Behistoun, Darius I", fils d'Hystaspe (522-486),
énumère les 23 pays qui lui échurent en partage
et dont il devint le roi, par la volonté d'Ahuramazda ; c'étaient les Èlamites, les Babyloniens,
les Assyriens,
les Mèdes, les Parthes,
les
Arméniens, et d'autres encore; et de tous ces
peuples, il ne subsiste guère aujourd'hui que
le souvenir et les monuments que les fouilles
mettent chaque année au jour. L'un d'eux
cependant, comme une épave à travers ces flots
de peuples, malgré les révolutions et les ruines
l'Arad'empires, continue à vivre, s'agrippantà
rat, telle une nouvelle arche du patriarche Noé,
à qui, du reste, la légende prétend le faire
remonter. Et vous pouvez maintenant, à Paris
comme à Calcutta, à Pétrograd comme à NewYork, coudoyer un descendant de cette antique
nation.
Laissant de côté les origines légendaires
consignées par Moïse de Khoren, je voudrais,
en quelques
mots, faire passer devant vos
esprits le processus historique de ce peuple.
Les Arméniens, d'après les plus récents ira-
3o
AlTOl'R1»E1/ARVIÉ.ME
et de la
vaux de l'histoire, de l'anthropologie
seraient des colons phrygiens,
linguistique,
qui, é migra ni vers l'est, seraient venus, par
étapes successives, de Thrace dans le pays où
ils s'arrêtèrent
définitivement. Cette migration
aurait eu lieu entre le x* et le vu* siècle avant
notre ère. Us passèrent successivement
de la
Phrygie aux sources du fleuve llalys, occupèrenl le territoire situé à l'est de l'Euphrate
et à l'ouest de l'Arsanias; ils gagnèrent ensuite
le massif montagneux qui s'étend entre l'Asie
Mineure et la mer Caspienne, puis se répan'
dirent dans les plaines de l'Araxe.
i
Le grand voyageur grec que fut Hérodote
(484-406) parle, comme d'un pays bien connu,
de l'Arménie, où prennent leurs sources l'Euphrate et le Halys : il dépeint avec complaisance le mode de navigation employé par les
mariniers arméniens pour descendre l'Euphrate
jusqu'à Babylone ; les barques sont rondes et
en cuir; lès mariniers façonnent les côtes en
taillant des saules qui croissent en Arménie,
au-dessus de l'Assyrie ; puis ils appliquent,
tout autour, des peaux apprêtées. Chacune de
ces barques porte un âne; à Babylone, lorsque
les mariniers ont déposé leurs marchandises,
ils vendent lés roseaux et la carcasse, chargent
les pèâUx sur les àncjs el retournent à pied en
car iî leur est impossible Je reArménie,
LACHAIREH'ARUÊME.X
3I
monter en barque le cours rapide du fleuve.
Les Arméniens, nous dit encore Hérodote,
.constituent avec leurs voisins le 13* nome de
l'empire de Darius et lui payent un tribut de
400 talents ; ils ont une multitude de troupeaux
à l'élevage du
et s'entendent
particulièrement
cheval. Les Arméniens, équipés comme les
Phrygiens, étaient commandés par Artochme,
gendre de Darius.
Parmi les généraux illustres
qui contribuèrent à affermir l'autorité des Achéménides,
Darius Ier choisit l'Arménien Dadarâiâ, qu'il
envoya en Arménie combattre les rebelles. Une
première rencontre eut lieu à Zouzou, et Dadarsis remporta la victoire, le 21 mai 521. Une
deuxième rencontre eut lieu à Tigra en Arménie, et les armées de Darius, sous les ordres
de Dadarsiâ, lurent victorieuses, le 31 mai 521.
Une troisième fois, l'ennemi offrit la bataille ;
près de la forteresse d'Uiama, en Arménie,
Dadarsis lui infligea, le 21 juin 521, une sanglante défaite; puis le général arménien attendit, dans son propre pays, l'arrivée de Darius
der
WEISSBACFI, Die Keilinschriflen
(F.'H.
Achâmenideh, Leipzig, 1911, passim).
L'Arménie joue un rôle de premier ordre
avec son roi fîgrarië, gendre dé Milhridate
Eûpalor; Une armée arménienne envahit le territoire parthe ël pénètre" jusqu'à Aréoles et
3a
DE L'ARMÉSIB
AUTOUR
Ninive; les Parthes signèreut un traité désastreux et rendirent à l'Arménie les 70 vallées
conquises en 95; ils lui cédèrent en outre la
Mygdonie et l'Osroène. Les Arméniens poussèrent ensuite jusqu'à Ecbatane et brûlèrent le
palais du Satrape de la Grande-Médie. Les rois
d'Albanie, d'ibérie, d'Atropatène, de Gordyène
et d'Adiabène devinrent les vassaux de Tigrane.
Il s'empara ensuite de la Syrie, ravit aux Séleucides impuissants la Cilicie plane et conquit,
pour la troisième fois, la Cappadoce, dont la
population fut emmenée à Tigranokert, la nouvelle capitale du Roi des Roi* (77 avant J.-C).
Et Rome assistait, indifférente, à la chute des
vieilles monarchies orientales, tandis qu'en surgissaient de nouvelles, dont l'Arménie, qui
devaient Mre fatalement hostiles à sa politique
mondiale (Théodore REINACH,Mithridale Eupator, Paris, 1890, p. 311-312).
Si nous quittons le monde païen, vous consn'atténua ni les
taterez que le christianisme
qualités ni les défauts dés Arméniens. Laissezmoi vous citer une page de M. Ch. Diehl, qui
vous exposera, beaucoup mieux que je ne saurais le faire, le rôle capital que joua dans l'empire byzantin le rival de Bélisaire.
<rEn face de Bélisaire, il faut faire place à son
rival Narsès. Celui-là était un homme d'une
autre trempe et bien supérieur, à mon gré, au
LA CHAIRE
D'ARMfrqBX
33
vainqueur de Gélimer et de Viligès. Arménien
d'origine et eunuque, il avait commencé sa carrière au palais, comme cubiculaire et spalhaùc
de l'empereur, et rapidement, il s'était élevé au
poste de grand chambellan. Là, ce petit homme,
d'apparence grêle et fragile, d'allure délicate,
de façons élégantes, avait révélé bien vito do
hautes et fortes qualités. Au moment de la sédition Nika, pendant que Bélisaire se battait, il
avait, par de savantes intrigues et d'opportunes
distributions
d'argent, réussi à détacher les
Bleus de la révolte et acquis des titres sérieux
à la reconnaissance
du basileus... Aussi, loi t
bien vu à la cour, familier de Justinien, grand
favori de Théodora, voyait-il chaque jour s'accroître sa faveur; il préludait parla à de plus
hautes destinées... A ces qualités d'esprit érainenles, Narsès joignait une âme ambitieuse et
dure. Intrigant et avide, il pesa lourdement sur
et si son
l'Italie qu'il fut chargé de réorganiser;
habileté sut triompherdes difficultés de la tâcho
et remettre de l'ordre dans la province, sa cupidité laissa dans la péninsule un long et don
loureux souvenir... Et si l'on peut enfin faire
des réserves sur la valeur morale de ce personnage, trop expert aux intrigues do cour et qui
nier
tout
cas
en
saurait
fut
on
ne
mêlé,
y
trop
les éminenles qualités d'esprit du diplomate,
les hautes vertus militaires du grand général
34
Al'TOL'R
DE I.'ARMÉNIE
». (Ch. DIEIIL,
queNarsès fut incontestablement
et la civilisation
Jttstinien
au
byzantine
17*siècle , Paris 1901, p. 167 et suiv.).
Vous connaissez aussi l'histoire d'isaac l'Arménien, qui fut exarque de Ravenne (625-643),
tint dans sa main la destinée de l'Italie et contint
pendant plusieurs années le flot débordant des
Lombards. Son tombeau est un des plus beaux
monuments de l'art byzantin en Italie, avec sa
représentation des rois mages et de la résurrection de Lazare (1).
Vous parlerai-je des empereurs
byzantins
d'origine arménienne, qui rendirent à jamais
illustre le nom même de Byzance? d'un Maurice
qui, par. ses campagnes contre les Perses en
Asie, contre les Maures en Afrique, contre les
Lombards en Italie, contre les Avars et les Slavons sur le Danube, fit retomber sur l'empire
une partie de la gloire dont il s'était couvert?
— d'un Basile Jtx, qui descendait, dit la légende,
de la maison royale d'Arménie par son père, et
d'Alexandre le Grand par sa mère, mais qui
était tout humblement le fils de pauvres colons
(I) Voirla reproduction
qui ea estdonnéedansGelouni,Illustrationarminienne(Venise,Saint-Lazare,1909),
u*6, p. 31 et
32.—UnArménien,Jean,ducde Tigisl,construitune chapelle
ATimgaJ,vers 645,sonsle règne de l'empereurConstantinet
le patriciatde Grégoire;cf. Mosctux,dansAnnuairede ticote
deshautesétudes(sectionreligieuse),1911,p. 23.
LACHAIRE
l/ARUÊ-MtX
33
arméniens des environs d'Andrinople?
(Ch.
DIKHL,Figures byzantines. Paris, 190G, p. 159).
11fonda la dynastie macédonienne, résista aux
Sarrasins, affermit en Italie l'autorité impériale,
mit de l'ordre dans les finances et provoqua la
rédaction des Basiliques.
Vous citerai-je Constantin Vif Porphyrogé*
nète, dont le règne fut un des plus glorieux de
l'empire et qui fit de Byzance le centre de la
civilisation et le foyer des lettres au xe siècle?
-—Jean Tzimiscès, cet empereur « si charmant,
avec ses yeux bleus, son
si élégant et si no',!
•*< aevelure blonde tirant sur
t
vif
et
bon,
regard
le roux, sa barbe d'un rouge fauve, son teint
si clair, son nez fin délicatement
arqué, son
corps si bien pris dans sa très petite taillo,
d'une vigueur, d'une agilité, d'une adresse prole meilleur cavalier, le meilleur
digieuses,
tireur de flèches, le meilleur lanceur de javelots
». (G. SCULUMBERGBR,
de l'empire
L'épopée
—
Basile II le
Paris,
1896,1,
3)?
p.
byzantine,
Bulgaroctone qui, par la conversion au christianisme 'de Vladimir I,r, prince de Kiev,
en 988, mit fin aux invasions russes qui menaçaient l'empire, qui fortifia l'Italie contre
les prétentions
allemandes
de l'empereur
0thon II et se fit des Vénitiens de sûrs alliés
contre les Sarrasins? Vous relire/., à ce propos,
les pages que leur a consacrées M. G. Schlum-
30
DEl/ARMÊXlB
AUTOUR
berger dans sa belle Epopée byzantine (t).
Tontes tus choses vous sont connues, fl
notait pas inopportun de vous les rappeler ici.
Co que l'on sait peut-être moins, c'est que plude Byzance étaient des
sieurs impératrices
Arméniennes.
.
Charleraagne, dit la chronique, avait l'intention d'épouser Irène; celle-ci,tutrice de son fils
Constantin VI, ne s'en souciait guère et eût
préféré voir son fils épouser Rotrude, la fille de
Charlemagne. Aucun des deux mariages projetés ne se réalisa. Et le jeune Constantin VI
Marianê, dont la
épousa uno Arménienne,
beauté et la grâce lui tinrent lieu de fortune et
de titres (788-795).
L'impératrice Théodosia (813-820), fille cJ'Archavir Kamsarakan, était la femme de Léon V,
dit Halkazn. Ce dernier fut assassiné et Théodosia fuyant le palais avec ses quatre fils et le
cadavre de son auguste époux, se retira à l'Ile
de Prinkipo où elle entra dans les ordres. —
Euphrosyne, fille de Marianê, vivait avec sa
mère dans un couvent. L'empereur Michel le
Uogue la vit et s'éprit d'elle. Le patriarche et
les princes forcèrent la jeune religieuse à épouoer l'empereur. Mais à sa mort, après quatre
ans de règne, elle préféra retourner au couvent,
Lesempereursarmi(1)VoirégalementP. K. T«aSAHAKUN,
niensdt Byianee...(Venise,1905),2 vol. in-16(en arménien).
i\ CHAIRE
l)'\ RM
KMEX
3^
d'où elle n'aurait jamais voulu sortir. — Théodora (830-867) était la soeur de Yard llalkazn et
la petite-fille de Manuel Mamigonien. Voici
dans quelles circonstances,
bien connues par
les publications et les éludes de Krumbacher
et do MM Diehl et Psichari, elle parvint au
troue. Euphrosyne avait hâte, avant de rentrer
au couvent, de marier le jeuno empereur.
« Pour trouver une femme au basileus, on envoya, selon l'usage traditionnel du palais byzantin, des messagers à travers les provinces, avec
mission de découvrir et d'amener à Conslantinople les plus jolies filles de la monarchie, et
dans le grand salon de la Perle, on rassembla
les élues, afin qu'entre elles Théophile désiguàt
la future souveraine... Il s'arrêta d'abord devant
une fort jolie femme, de haute naissance, qui
s'appelait Kasia, et un peu troublé sans doute et
ne sachant trop comment engager l'entretien,
il lui débita ce compliment
sentencieusement
assez discourtois : « C'est par la femme que
nous est venu tout le mal. » Kasia avait de l'es: a Oui,
déconcerter
se
sans
elle
riposta
prit,
mais c'est par la femme aussi que nous vient
tout le bien. » Celte réponse ruina sa fortune (l).
•
d
e
et
cette
ihêologique
allégorique
Sur
l'interprétation
(1)
École
dans
la
Pomme
et
d'or,
Cassia
pracf.
PSICHARI,
légende,
et
tiquedes HautesÉludes. Sectioniles scieuceshistoriques
17
et
suit.
1910-1911
1910),
p.
Auuuaire
(Paris,
pbilologiqaes.
3
38
AUToinDKI/.MWIKME
Fort effrayé par celte belle personne, si prompte
à la répartie et d'humeur aussi féministe, Théophile tourna le dos à Kasia et il alla porter ses
hommages et sa pomme à une autre candidate,
également fort jolie et qui se nommait Théodora.
(DIEHL, Figures byzantines, p. 134). Théodora
était pieuse et respectait à l'excès les saintes
icônes. Elle prit une part très active aux querelles des iconoclastes et des iconolâtres. Pour
combattre l'hérésie, elle se montra d'une cruauté
révoltante en faisant persécuter et martyriser
les Pauliciens; plus de cent mille périrent dans
les supplices. Et ceux qui préféraient se convertir à l'islamisme devinrent un grand danger
pour l'avenir de l'empire. D'autre part, « ce fut
elle qui préluda à la grande oeuvre désunissions
qui devaient, quelques années plus tard, porter
l'Evangile chez les Khazars, les Moraves, les
Bulgares. Elle eut la gloire aussi de remporter
sur les Arabes quelques succès durables, et de
des
l'insurrection
réprimer vigoureusement
Slaves de l'Hellade ». (DIEHL, Figures byzantines, p. 146).
Héliné (919-961), femme de Constantin Porphyrogénète, appartenait à la famille Kapelian ;
sa conduite lui valut le surnom de Simiramis
arménienne. — Sa fille, Théodora (971-976),
vivait retirée dans un couvent quand Jean Tzimiscès, parvenu au trône, l'épousa et congédia
'
LA.CHAIRE
II'AKMÉMEV
f
3y.
Théophano. —Une autre Théodora (1042-1056),
fille de Constantin VIII et soeur de l'impératrice
Zoé, gouverna avec une telle sagesse, fit si
bien régner la paix dans tout l'empire, que son
siècle fut nommé, à cause d'elle, « le siècle
d'or», le « siècle d'Auguste ». — Je vous citerai,
pour terminer, YAmazone arménienne, dénomination qui fut donnée à Ritha (1296-1333), fille
de Léon III, soeur de Héthoum II, femme de
Michel. A la mort de son mari,
l'empereur
pour ne pas être envoyée en exil, elle se retira
dans une église àThessalonique.
Son beau-frère
pénétra dans le sanctuaire pour la faire sortir.
Ils en vinrent aux mains et Ritha eu le dessus.
Il fallut envoyer des soldats pour s'emparer
d'elle et l'obliger à quiter sa retraite (1).
La royauté arsacide d'Arménie s'éteignit vers
430 après J.-C. et alors s'ouvre une ère de
déchirements, de luttes, qui dura des siècles.
Pendant cette période ce qui avait été l'Arménie fut administré par des curopalates pour
le compte de Byzance, par des marzpans pour
le compte de la Perse, et enfin, lorsque les
Arabes eurent établi leur conquête jusqu'au
pied de l'Ararat, ils firent gouverner ces nou(1)Surles impératricesbyzantinesd'originearménienne,voir
Les empereursarminiens de Byzance...
P. K. TKRSAHAKIAS,
(Venise,1905),t. Il, p. 337-411
(«Darménien).
4o
AUTOUR
DE L'ARÛÉMIË
velles provinces de leur empire par des ostikans.
La politique arabe à l'égard de l'Arménie
diffère de la, persane. Tandis que les Persans
tâchaient de convertir les Arméniens au culte
du feu et de fusionner les deux nations, tout
l'effort des Arabes consiste à maintenir l'Arménie dans la soumission la plus absolue et à
e.n tirer le plus de profit. De petits royaumes
tributaires prirent ainsi naissance, parmi lesquels je vous mentionnerai ceux des Bagratides
et des Arcrounis. Les Bagratides
rendirent
même de si grands services aux Khalifes 'de
Bagdad, que ceux-ci décidèrent d'offrir la couronne à Achot, et ainsi fut rétabli, en 885, un
Les- fouilles
d'Arménie.
nouveau royaume
méthodiques que dirige M. Marr à Ani montrent
quelle grande ville fut cette capitale bagratide
qui était surnommée la ville aux 1000 églises.
Le petit royaume arménien ne put résister aux
coups que lui portèrent les Grecs et les Seldjoukides, et il succomba, vers 1070, après avoir
lutté vaillamment.
Poussant de plus en plus vers le Taurus et la
un nouCilicie, les Arméniens constituèrent
veau royaume (1080-1393) qui fut en relation
directe avec l'Occident. C'était l'époque des
Croisades. Les Houpéniens, les llcthoiimiens,
les Lusignan rivalisèrent de zèle pour se cou-
LACHAIRED'ARUÉMEX
4l
Fr'é-*
cilier l'amitié des empereurs allemands
déric Barberousse
et Henri IV, de Richard h»,
roi d'Angleterre,
de Jean, roi de Castille, de
Charles VI, roi de France. Léon do Lusignan,
le dernier roi d'Arménie, ne put protéger son
des
réitérées
royaume contre les invasions
Mamelouks, et il vint finir ses jours à Paris, e'n
1393. Dans un des fréquents entretiens
qu'il
avait avec Charles VI, Léon lui dit un jour : le
salut des chrétiens d'Orient dépend de l'alliance
de la France et de l'Angleterre.
Et c'en fut fait,
à jamais, du royaume d'Arménie.
Les Arméniens se dispersèrent
dans le monde et fondèrent des colonies très florissantes.
L'Italie est sans conteste le pays de l'Europe
occidentale
où les Arméniens
sont établis
depuis le plus longtemps. Feu le P. Alishan
(Haï-Venel, Venise, 1896, p. 12) prétend que la
crypte de Saint-Marc à Venise, placée sous l'invocation de saint Théodore, fut construite par
un Arménien du nom de Nersès, et que son
frère fut évoque de cette église.
Il y avait, à Ravenne, entre le via et le
vin» siècle, des vice-rois byzantins, qui étaient
alliés aux Vénitiens.
étaien
Quelques-uns
Arméniens, comme Narsès, Grigor, Isaac ; il y
avait, en outre, une garnison
arménienne,
nommée Numerus Armenornm, qui résidait dans
4'*
AlTOIII DE I/VHMÉME
le quartier de la ville portant le nom de classis
(ALISIIAN,HaJ-Venel, p. 12).
servaient
Au ixe siècle, plusieurs-Arméniens
de mandataires entre Venise et Constantinople.
L'amiral arménien Cespherano vint de la part
de Pépin (809-810) pour protéger les Vénitiens.
Arsaphius ou Archak fut envoyé par l'empereur
à Aquisgrana
Nicéphore comme ambassadeur
(810) ; il était venu à Venise pour juger le duc
d'Obelerio (ALISIIAN,Haï-Venet, p. 14).
Les Vénitiens s'emparèrent
en 1124 de la
ville de Tyr. Comme le siège traînait en longueur, un prêtre arménien Avédik (Ventura)
inventa une machine pour battre les murs et
facilita, de la sorte, la prise de la ville (ALISIIAN,
Haï-Venet, p. 22).
Au xiii* et au xiv° siècle, les Arméniens
étaient répandus dans plus de trente villes
d'Italie; ils y avaient leurs hôtelleries et leurs
églises; ils s'établirent à Rome, à Florence, à
Ancona, à Rimini, au xuie siècle; à Bologne, à
Ferrare, à Gênes, à Padoue au commencement
du xiv* (ALISIIAN, Haï-Venet, p. 142-149). Les
traités passés entre les Vénitiens et les Génois
d'une part, et les Arméniens de Cilicie d'autre
part, « nous offrent le modèle des plus anciennes
capitulations
qui régissent les Européens dans
le Levant et dé l'institution
des agents consulaires » (DuLAUHiKii, Documents
arméniens,
Il'AltMÉMEV
LVCHAUVE
4<*
des croisades,
Recueil des historiens
Paris,
1869, t. I, p. xevi).
,
Feu le P. Alishan, que je vous ai déjà cité,
rapporte qu'en 1561, un Arménien originaire
de Mésopotamie', Anton Sourian (=Souriani
était ouvrier à l'Arsenal de Venise.
=Syrien),
Il obtint l'autorisation
d'essayer de retirer une
galée qui avait coulé dans le Canal, avec ses
canons et toute son artillerie. La permission
lui fut d'autant plus facilement accordée, qu'un
capitaine, du nom de Barthélémy, avait complètement échoué dans cette tentative. Les efforts
de Sourian furent couronnés de succès; il
ramena la galée et son artillerie, et le Sénat lui
accorda une récompense de 1000 ducats. Une
autre fois, Sourian retira, à ses frais, une galée
qui avait encore coulé dans le Canal. Il demanda
au Sénat que, pendant 30 ans, personne autre
que lui ne fût autorisé à rendre ce service à la
Sérénissime
République (ALISIIAN, Haï-Venet,
p. 234 sqq).
En 1570, un an avant la bataille de Lépante,
Sourian avait obtenu du Sénat vénitien l'autorisation de construire des canons d'un plus gros
calibre. 11 n'eut pas le temps de réaliser ce
projet; la guerre survint, où Don Juan d'Autriche s'illustra en coulant la flotte ottomane.
C'est Sourian qui disposa les galéesen rang de
bataille : 50 à droite, 50 à gauche, 60 au milieu,
44
AUTOUR
DEL'ARMÉME
26 par derrière ; le tout flanqué de 6 galères de
fortes dimensions, munies de canons de gros
calibre.
Si nous passons en France, nous constatons
que dès le vi« siècle les Arméniens venaient
dans notre pays(l). Saint Grégoire de Tours
mentionne un évêque Simon, à Tours, en 591.
Dans l'ambassade arabe chargée d'offrir des
cadeaux à Charlemagne, il y avait des Arméniens (ALISIIAN,Sisakan, Venise, 1893, p. 456,
n. 5). En 1295, un commerçant parisien obtenait
de grandes facilités pour porter en Cilicie des
articles français, tels que des miroirs, des couteaux, dus cierges. Quelques années plus lard,
en 1321 (2), le roi d'Arméno-Cilicie,
Léon IV,
promulguait un édit destiné à faciliter l'accès
de l'Arménie aux Montpelleriens.
Lès Arméniens étaient si estimés des Français que Vais.(I; Auparavant,an iv»siècle,l'empereurConstanceavaitfait
veniren Gaulel'ArménienBarouirou Proeresios,professeur
A Rome,on lui éleva,de son vivant,
d'éloquenceAAthènes».
une ftalue, avec celte dédicace: Begina rerum,Borna,Begi
eioquenliae.Baronircomptaparmi ses élèvesles plus illna'res
Julieni'Apn»tat,saint Basile,saint Grégoirede Nsiianie; ce'
dernierse plaisaitAdire qu'il devnitA son maîtrearménien"
touteson éruditionet'tonte son éloquence.
(3)C'est4 la mêmeépoque,au début do xiv*fiècle,qu'une
riche Arméniennelit construirea srs frais, en Chine, à KanVersuch
ton, une grande et belle église. Voir C. V. NRCMAN.I,
einer Gtschichleder armenischenLileralur (Leipzig,183*),
p. vu et les référencesy indiquées.
LACHAINE
II'ARMÉ.MEX
/|5
selle, dans l'histoire du Languedoc, rapporte
qu'en 1335, Philippe de Valois projeta une croisade en faveur de ce peuple (1). Au xv* siècle,
Jacques Coeur, voulant ranimer le commerce,,
fit appel à des Orientaux, et en particulier à des
Arméniens. Je me demande même si les graffittes arméniens gravés sur un pilier de la nef
gauche de la cathédrale de Bourges ne doivent
pas être reportés à cette époque (F. MACLER,
Mosaïque orientale, Paris, 1907rp. 27 et suiv.).
Richelieu et Mazarin augmentèrent
le commerce de Marseille en faisant appel à des
bonnes volonté? arméniennes;
il suffit de rappeler que Oskan avait établi une imprimerie
arménienne à Marseille (ALISIIAN,Sisakan [Venise, 1893), p. 456-457 et F. MACLER,Mosaïque
orientale, p. 39-75) (2).
Lorsque vous vous promenez, le soir, sur les
boulevards et que vous voyez les terrasses des
cafés bondées de consommateurs, vous ne vous
doutez sans doute pas que le premier café établi
à Paris le fut en 1672, par un Arménien du nom
de Pascal ou Harouthioun, dans le marché de
et du quai de l'Ecole,
Saint-Germain-l'Auxerrois
à deux pas de la Mère Moreaux ; et le second
(1) Voirsurtout, A ce sujet, N. JOROA,
Phil:ppede liitiires
13tT-N0Set la croisadeau XIVsiècle(Paris,1896).
Histoirecritiquedts tenions du Nou(2)Cf. RichardSIMO.H,
veauTestament...
(Rotterdam,1690),in-4*,p. 196et suiv.
3.
/|G
AITOIR DEI/VIUIKME
caTc parisien fut ouvert peu après par,un autre
Arménien nommé Stéphan (ALISIIAN,Houchikq
hnyreneats Hayols, Venise, 1869, I, p. 73).
. Dois-je vous rappeler que la culture de la
garance, qui fit la fortune du Comtat Venaissin,
était due a un agronome arménien, né en Perse
en 1709, mort en France en 1774 ? Althen fut
esclave en Anatolie et
pendant longtemps
devint un habile ouvrier dans l'exploitation de
la garance et du coton. 11 réussit à s évader et
se réfugia en France où Louis XV lui accorda
une audience. Je pense que la statue érigée à
Althen, en 1846, sur le rocher de Notre-Damedes-Doms est une des premières élevées à un
Arménien sur terre française.
Je pourrais multiplier ces exemples et vous
montrer par le détail lé rôle que jouèrent les
Arméniens en Europe dans des pays autres que
la France et l'Italie. J'ai hâte, pour ne pas
abuser de vos instants, d'arriver à des moments
plus rapprochés de nous.
En Turquie, depuis deux siècles, plusieurs
membres de la famille arménienne des Balian
sont architectes des sultans; ce sont eux qui
ont construit le palais de Tcheragan, devenu,
il y a trois ans, le siège du parlement ottoman,
et dont le récent incendie fut universellement
déploré, comme la perte de l'un des chefs-
i
f\~{
d'oeuvre de l'architecture
orientale. Ce sont
encore des membres de cette famille Balian qui
édifièrent le palais de Dolma Bagtché, sur le
Bosphore, résidence du sultan actuel. Ce sont
les Balian, également, qui firent bâtir le magnifique palais de Bélier bey, sur la rive asiatique
du Bosphore, ainsi que la jolie mosquée d'Orta
Keuy, et tant d'autres monuments que je ne
saurais énumérer ici. Ce n'est que dans ces
dernières années qu'Abd ul Hamid enleva ce
privilège à la famille Balian.
Une autre famille arménienne,
celle des
Dadian, administre, depuis un siècle, la poudrerie impériale; ils ont fait venir d'Europe
Les Dadian dides machines perfectionnées.
rigent eux-mêmes la poudrerie impériale de
Zeïtoun Bournou. Notre Bibliothèque nationale
possède, sous le numéro 239 du fonds arménien, une série de renseignements sur l'origine
de cette famille princière.
La Monnaie impériale fut, pendant de longues
années, administrée par la famille arménienne
des Duz; elle le fut ensuite par l'Arménien
Kazaz Artin.
Uimprimerie fut établie à Constantinople par
les Arméniens, quelquo temps après la découverte de Gutenberg, alors que le sultan venait
d'interdire à ses sujets ottomans, sous peine
de mort, de fonder une imprimerie, craignant
LVCHAIRE
l/VRMKMEX
/J8
DE LARMÉNIE
AUTOUR
xque le Coran ne fût édité. Plus tard, les ateliers
arméniens imprimèrent des livres et des journaux turcs. De nos jours, une bonne partie des
sortent
des
turc
en
imprimés qui paraissent
Le
de
arméniennes
Constantinople.
presses
journal Sabah a'pour éditeurs et imprimeurs
des Arméniens. — Un célèbre typographe arménien, Muhendissian, a fondu des caractères
turcs et leur a donné une forme tellement artistique que les Turcs eux-mêmes adoptèrent sa
réforme (1). Ses caractères sont les plus beaux
parmi les caractères turcs et sont en Orient ce
que Turent les elzévirs dans notre Occident.
Ainsi ce sont des Arméniens qui établirent l'art
et publièrent
de l'imprimerie à Constantinople
les premiers journaux parus dans cette capitale.
Ce sont eux aussi qui fondèrent le théâtre
turc. Vous savez qu'il est strictement défendu
à une femme musulmane de paraître sur la
scène; de sorte que les dramaturges turcs sont
obligés de recourir à des actrices arméniennes
pour tenir les rôles de femme. Chez les
hommes, les meilleurs acteurs sont arméniens.
— Tigrane Tchouhadjian, célèbre compositeur
arménien, composa, le premier, des opérettes
turques (langue turque et musique orientale) ;
i
(I) Il y a cinquanteans, environ.
D'ARMÉNIEN
LACHAIRE
%$
tels sont : Arif, Leblébidji, Keussé. Ces pièces
eurent un immense succès, non seulement
dans les grandes villes de la Turquie d'Europe
et d'Asie, et en Egypte; mais, il y a quelques
mois à peine, à l'Hippodrome de Londres, la
troupe arménienne de Mlle Ohannian joua leblébidji avec un succès qu'enregistra la presse
anglaise.
La bijouterie et l'orfèvrerie sont entre les
mains des Arméniens, que les Turcs euxmêmes tiennent pour d'excellents artisans. Ces
mêmes Arméniens
sont également
réputés
comme médecins, avocats, ingénieurs, instituteurs. Dans toutes ces branches de l'activité
humaine, ils furent constamment les devanciers
et,les maîtres des Turcs. Dans les finances et
le commerce, où l'esprit d'initiative entre pour
une grande part, les Arméniens l'emportent
toujours sur les Turcs, qui se tournent de préférence vers les fonctions gouvernementales.
Bien que le parlement ottoman compte seulement une dizaine de députés arméniens, chacun des cabinets formés depuis la révolution a
toujours compris un ministre arménien. Au
premier parlement ottoman, 1876, inauguré par
Midhat pacha, il y avait des membres arméniens. C'est un Arménien, Grigor Odian, qui
conseilla à Midhat pacha d'octroyer une constitution au peuple ottoman, et qui l'aida dans la
f>0
DELARMENIE
ACTOI.-R
réalisation de ce projet. Odian, persécuté par
Abd ul Hamid, mourut à Paris et fut enterré au
cimetière du Père-Lachaise. Au lendemain de
la proclamation de la nouvelle constitution
(1908), le prince Sabbah ed Dine et quelques
Jeunes-Turcs, de passage à Paris, organisèrent
une manifestation sympathique sur la tombe
d'Ôdian.
En Russie, où une statistique, fonctionnant
régulièrement,
permet de se rendre compte
des faits, il y a un million et demi d'Arméniens;
sur ce nombre, 80 p. 100 s'adonnent à l'agriet à l'élevage des troupeaux. Si' la
culture
même sécurité régnait en Turquie et en Perse,
et que le laboureur voie sa récolte assurée
pour lui et non pour le Kurde, il en serait dans
ces pays comme en Russie. Au Caucase, de
l'aveu même des Russes, le commerce, l'industrie, les finances sont entre les mains des
Arméniens.
1
Au point de vue intellectuel, plusieurs écrivains arméniens ont fait leurs études en Russie,
en Allemagne, en France, en Suisse, dans les
universités les plus célèbres de ces différents
pays.
Dans la carrière militaire, les Arméniens ont
produit des hommes de la plus haute valeur.
Loris Melikof, à l'instar de Dàdarsis, non seulement gagna des batailles et mérita le titre de
LA CIIMREII ARMENIEN
51
a héros de Kars », mais il gouverna/'éellement
l'empire russe, en sa qualité de vice-empereur;
c'est lui qui conseilla à Alexandre II d'octroyer
la première constitution à la nation russe, pour
mettre un terme à l'agitation des nihilistes. —
Malgré le temps qui s'avance, je ne résiste pas
au plaisir de vous rappeler une des belles pages
où le vicomte E. M. de Vogué, dans ses Spectacles contemporains
(Paris, 1891), essaie de
fixer pour la postérité la figure de Loris Mélikof
qui « appartenait à une famille noble du Causuivant les uns,
case, de souche géorgienne
arménienne
suivant les autres, rattachée en
tout cas à cette dernière communauté par la
religion et les affinités. Ce petit peuple arménien, dispersé sur toute l'Asie, a.,donné ou
opposé à ses divers maîtres quelques politiques
de premier ordre; j'en ai connu deux à l'oeuvre:
ils m'ont
l'évoque Azarian et Nubar-Pacha;
aux hommes
paru égaux, sinon supérieurs
d'Etat que j'ai vus jouer sur de plus grands
théâtres; Toute la personne de Loris criait son
origine; du premier coup d'oeil on reconnaissait en lui le montagnard du Caucase, croisé
de Géorgien et d'Arménien » (p. 226-227). Et
quelques pages plus loin, l'illustre académicien
français raconte comment Alexandre II mourut
le jour même où, sur les instances de Loris
Mélikof, il avait signé la constitution.
5a
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
« Alexandre II, après une dernière lutte intérieure, signa le 28 février l'acte limitatif de son
autocratie; en posant la plume, il fit le signe do
croix qui accompagne chez les Russes touto
détermination
grave. Le papier, ajoute-t-on,
serait resté'sur son bureau, pour être transmis
le lendemain au Sénat, qui devait, selon l'usage,
pourvoir à la promulgation de l'ukase. Le lendemain, c'était le 1" mars 18811 L'infortuné
souverain sortait le matin pour se rendre à la
parade de la garde montante ; une heure après,
on le rapportait baignant dans son sang, mutilé
par la bombe de Ryssakof. Avant la chute du
jour, le drapeau qui s'abaissait sur le Palais
d'Hiver annonçait à la foule anxieuse, avec la
fin de son empereur, la fin des rêves libéraux
et de la « constitution » mort-née. Loris devait
être la victime expiatoire de cette tragédie et du
déchaînement de colères qui la suivit»(p. 263).
D'autres Arméniens se distinguèrent dans la
carrière des armes, tels les Béboutof, les Madatof, les Lazarev, lesTer>Ghoukassof, les-Chelkovnikov, les Alkhazof ; et si ces noms défilentainsi
à vos oreilles, d'une façon beaucoup trop sèche,
c'est pour qu'à tout le moins vous constatiez que
l'esprit militaire" n'est pas éteint chez les Arméniens, malgré les persécutions auxquelles ils
étaient en butte dans les pays musulmans où la
carrière militaire leur était fermée.
LA CHAIRE
D'ARMÉNIEN
53
La Perse est le troisième état qui se partagea,
avec la Turquie et la Russie, l'ancien'royaume
d'Arménie; comme Odian en Turquie et Loris
Mélikof en Russie, c'est encore un Arménien,
le prince Malkbm Khan, ancien ambassadeur
de Perse à Londres, etqui mourut ambassadeur
de Perse à Rome, qui travailla à doter la Perse
d'une constitution. 11 publia à Paris un journal
persan, le Kanoun (loi), qui demandait la ré—
forme radicale de l'administration
[persane.
En Perse, où, vous le savez, les Arméniens
sont peu nombreux, le rôle qu'ils jouent est
forcément moins grand qu'en Russie et en
Turquie. Là aussi, ils ont été les pionniers
de la civilisation occidentale, en fondant des
des
écoles, des comptoirs, des imprimeries,
journaux, un théâtre à Téhéran et un à Tauris.
Lors des derniers événements,
les Arméniens ont beaucoup contribué à l'établissement
du régime parlementaire en Perse, et le soldat
qui a, jusqu'à présent, refoulé victorieusementtoutes les attaques des réactionnaires,
en un
mot, le champion de la révolution est un Arménien, Ephreni Khan; il réussit, grâce à son
énergie et à celle de ses volontaires arméniens,
à refouler du sol de la patrie, l'ex-shah, Mehemed Ali, qui allait s'emparer de Téhéran. Si le
captif d'Odessa avait eu une avance de quelques
jours, c'en était fait de la constitution persane.
5.'|
ALTOIRDEL'ARMÉNIE
La prospérité de VEgypte actuelle date de la
bonne organisation de Nubar pacha, et vous
venez d'entendre ce que le vicomte de Vogué
pensait de sa valeur. Nubar pacha organisa les
tribunaux, en établissant la justice sur la base
des institutions de l'Europe. Grâce à lui, le
fellah devint un citoyen comme les autres Égyptiens. Nubar pacha s'est créé un titre de reconnaissance scientifique, en palronant la Collection des historiens arméniens anciens et modernes, publiée par Victor Langlois (1).
Les Arméniens ont joué un très grand rôle
aux Indes, en facilitant aux Anglais la pénétration du pays et en servant d'intermédiaires
entre ceux-ci et les princes indigènes. Le premier journal arménien fut fondé à Calcutta par
un prêtre arménien, il y a plus d'un siècle;
Depuis plus de 50 ans, les premiers colons
partis de Turquie pour YAmérique étaient des
Arméniens* Les uns sont devenus de riches et
Habiles négociants, d'autres, après avoir fréquenté les universités du nouveau Continent,
s'illustrèrent dans les arts et les sciences. Un
des premiers Arméniens établis en Amérique
était le docteur Séropian, qui inventa l'encre
(I) C'estégalement« souslesauspicesde S. E.NoabarPacha,
ancienministredesaffairesiétrangèresde S. A.le Khédive»
que fui publiéela traductionfrançaisede Sissouan,par le
P. Alichan(Venise,Saint-Lazare,
IS99),
LACHAIRE
II ARMENIEN
55
verte des billets de banque américains, encre
'
ne
qui
peut pas être imitée par les faux
monnayeurs. Le docteur Mihran Kassabian,
qui mourut l'année dernière à New-York, mérita, par son dévouement à la science, ce jugement que lui portait la revue North-American :
« La science est entrée dans une nouvelle
phase par l'usage des rayons X, surtout par
leur usage inoffensif. Et personne ne contribua
autant à obtenir ce résultat que Kassabian, lui
qui tomba victime de la science, mais après
avoir découvert le moyen de rendre inoffensifs
les rayons X. »
A Londres, à Manchester, à Liverpool, des
servent
centaines de négociants arméniens
d'intermédiaires
entre YAngleterre et les pays
d'Orient. Ils sont à ce point habiles que les
Financial News, après avoir parlé des négociants de Manchester, ajoutent cette phrase
: « Le commerce de l'avenir
caractéristique
appartiendra aux Ecossais, aux Allemands et
aux Arméniens. »
J'arrêterai là cette énumération, ne voulant
pas abuser de votre patience. Trois facteurs
essentiels me paraissent avoir conditionné la
durée et la persistance de la race arménienne,
à savoir : sa résistance physique; sa vie de famille; sa religion.
>
56
AUTO!
R DE I/ARMÉNIE
L'Arménien a une résistance physique extraordinaire; le pays est excessivement montucux;
l'altitude du haut plateau arménien est grande
et le climat en est rigoureux. Les hommes de
santé délicate ne peuvent résister et meurent
de bonne heure; c'est donc une sélection naturelle qui s'opère, et seules les robustes constitutions subsistent. Au lendemain des massacres,
les docteurs européens en service dans les hôpitaux de Constantinople
étaient surpris que les
Arméniens, qu'on leur amenait, aient pu survivre à leurs atroces blessures,
alors qu'un
Européen, dans les mêmes conditions, serait
mort depuis longtemps.
A la résistance physique correspond la résistance morale, sous les formes de la vie de
famille et de la religion. Ce sont les deux facteurs qui ont le plus contribué à conserver la
race. La langue aussi entre pour une part dans
celte conservation.
Oh observera toutefois, à
cet égard, que les Arméniens
d'Adana, de
Césarée, d'Angora, de Brousse, parlent turc.
Ils n'en restent pas moins d'excellents Arméniens.
La famille arménienne est beaucoup plus unie
que chez les autres peuples; il arrive fréquemment que l'on fiance, dès le bas âge, les enfants
de familles déjà unies par l'amitié. Lorsqu'un
un
Arménien
doit
émigrcr
gagner
pour
jeune
*
I»
LACHAIREDARMÉNIEN
Of peu d'argent afin de payer les impôts, la famille
se hâte de le marier dans le pays cl'd'attendre
qu'il soit devenu père, avant de le laisser partir. De la sorte, on est assuré qu'il reviendra
auprès des siens; c'est ce qu'on nomme : lui
lier le pied, (otqe kapel). Si un cadet rencontre
une belle occasion de se marier, il n'en profite
pas avant que son aine ne le soit lui-même. Cet
état de famille tout à fait patriarcal existait déjà
et l'on voit souvent une
avant le christianisme
dizaine de familles vivre ensemble dans la même
maison.
L'église arménienne étant une église-nationale
avec le génie
s'est identifiée complètement
de la race. Les Arméniens
doivent à ce fait
non seulement
qu'ils ne sauraient fusionner,
avec les musulmans, mais même avec les chrétiens de rites différents. La fusion ne s'est •
jamais opérée, malgré les tentatives faites soit
du côté grec, soit du côté latin. L'Eglise est
tout pour les Arméniens
: elle est le centre
morale et religieuse;
de leur indépendance
Etchmiadzin
comme la
peut être considérée
vraie capitale du monde arménien, gouverné
par le Catholicos, comme chef suprême, et les
vardapets qui l'assistent. C'est une théocratie
monacale.
Ceux des Arméniens
qui se considèrent
comme très éclairés, les Jibres-pensctirs
eux-
58
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
mêmes, tiennent à ce que l'Église reste debout.
C'est l'église arménienne qui a gardé les chefsd'oeuvre de la littérature classique, les monuments d'art et d'architecture.
Si elle constitue
la seule épave de leur passé national, elle est
aussi leur seule espérance pour l'avenir.
Si nous passons à la langue et à la littérature,
nous avons tout d'abord à distinguer une langue
ancienne classique représentée par les oeuvres
d'Eznik, d'Elisée, de Moïse de Khoren, de
Sébcos, et d'autres encore. Cette littérature classique a fleuri du v*au xie siècle. Son importance
dépasse le cadre de l'ancien royaume d'Arménie,
peut-être par le fait même que ce dernier avait
cessé d'exister. Les traducteurs.arméniens,-qui
sont à l'origine de la littérature classique, nous
ont conservé des oeuvres grecques et syriaques ;
puis vient une pléiade d'historiens, de chronographes; la littérature religieuse est largement
représentée par des oeuvres dont beaucoup sont
anonymes.
La poésie, religieuse et mystique, à l'époque
classique, prend un ton plus libre avec le
temps, notamment avec les achoughs (trouvères
arméniens) dont voici un exemple :
LACHAIRE
D'ARMÉNIEN
5O
LE TROUVÈRE
,
Le trouvère est un oiseau sans ailes,
Aujourd'hui par ci, demain par là;
Le trouvère est un rouet qui tourne,
Aujourd'huipar ci, demain par là.
Tantôt dévoré de faim et de soif,
Tantôt favorisé par la fortune,
Il erre, il erre sans cesse,
Aujourd'hui par ci, demainpar là.
H est une sorte de ver-luisant,
Il est un héraut qui propage des nouvelles,
Il est un pelit nuage chassé par le vent.
Aujourd'huipar ci, demainpar là.
Il erre en quête de vains espoirs.
Il traverse villeset villages,
Il frappe parfois commela foudre,
Aujourd'hui par ci, demainpar là.
Djivani ne s'arrête nulle part,
11voltige toujours commeune abeille; •,
Jusqu'à sa mort, il vivra ainsi,
Aujourd'huipar ci, demain par là (1).
Ainsi s'exprime, dans sa langue alerte et
imagée, le dernier en date des trouvères armécette
niens, Djivani. Et c'est précisément
langue des trouvères, l'arménien vulgaire qui
fut la langue
à
parlée en Arméno-Cilicie
l'époque des Roupéniens, qui, s'élevant au rang
de langue littéraire, devint ce que nous dénommons l'arménien moderne (2).
Let trouvèresarminiens (Paris,
(1) Cf. ArcliagTÏ.HOBAÎIU:»,
1906;,p. 291.
(2)Cf. IbK*,ibidem,p. 13-16. •
6o
AUTOUR
DEL'ARMÉNIE
Tandis que l'arménien classique représenté
la langue des savants, des littérateurs, de la
chancellerie royale, des gens d'église, de la
noblesse', il y avait un parler populaire, dont
l'existence est attestée par des passages de
Fauste de Byzance, de Moïse de Khoren, de
Lazare de Pharpi. Les écrits de Ohann Manta0 siècle, ont des réminiscences de
au
vu
gouni,
la langue vulgaire. Au x* siècle; les hymnes de
Grégoire de Narek contiennent beaucoup de
vulgarismes. Au commencement du xne siècle,
plusieurs auteurs écrivirent indifféremment en
classique et en vulgaire; tels sont : Nerses
Chnorhali, Nerscs Lampronatsi; Ohann Erzengatsi et Yartan Areveltsi (xm« siècle) ; un autre
Vartan ou Vahram, au xine siècle^ Grigor
Anavarzetsi (xui* siècle); Malakhia Abegha
(XIVe siècle) et les décrets de la chancellerie
royale. D'autres écrivirent exclusivement en
langue vulgaire, comme Mathieu d'Edesse, Mekhithar Heratsi (xn# siècle), Smbat(xm« siècle),
les traducteurs des Geoponica, et tous les
livres de médecine jusqu'au xvi' siècle (1).
« Au xiv* siècle, l'arménien vulgaire commence à devenir la langue prédominante, non
seulement en Cilicie, mais encore dans les
principaux foyers intellectuels de l'Arménie.
IA langue vulgairedes anciens,
(Il Cf.V.Léon HovxA.MAS,
Vienne,18)1,2.toi. iu-8»,passim.
LACHAIRE
D'ARMÉNIEN
fji
L'arménien
classique est toujours pmployé,
notamment dans la littérature ecclésiastique et
en partie dans les chroniques historiques, mais
de plus en plus envahi et déformé par des éléments d'arménien
vulgaire. Même dans des
ouvrages composés au xm° siècle, tels que
l'Histoire Universelle du vardapet Yartan le
Grand et YHistoire des Tartares de l'abbé Malachia, on trouve un arménien classique très fortement influencé par la langue populaire. Le
plus grand poète arménien du xtv* siècle, le
moine Constantin
d'Erzenga, se sert de la
langue populaire dans tous sesr écrits. Et la
plupart des poètes apparus après lui suivent
commencement
son exemple, jusqu'au
du
xviue siècle, où la langue classique reprend le
dessus, pour s'effacer déiinitivement, au xix«siècle, devant l'arménien moderne » (1).
C'est cette langue, connue sous le nom de
et qu'il faut nettement
achkharhabar
diset
tinguer de l'ancien vulgaire ou r^nkôrén
la littérature écrite dans ce dialecte, que nous
étudierons ici. Et vous ne tarderez pas à vous
apercevoir que ce nouveau champ d'études est
suffisamment vaste et riche ut intéressant pour
des heures de travail que
vous récompenser
vous y consacrerez.
Lestrouvèresarminiens,p. 16.
(1) A. TcHOB.iîtrAx,
4
6a
At TOI?
Il DE L'ARMÉNIE
La renaissance de la littérature arménienne,
ou, si vous le préférez, la naissance de là littérature arméniennemoderne,
résulte des travaux
des Mekhitharistes de Venise et de Vienne, au
XVIII'et au XIXe siècles; il faut toutefois descendre jusqu'à Abovian, Raffi et Prochiantz pour
rencontrer des romanciers dignes de ce nom ;
leur exemple fut suivi, en Russie, ,par Dzerentz (1), Chirvanzadé, Mouratzan, Léo, Verthanès Papazian. Les oeuvres des poètes KamarKatiba, Ohannisiantz, Dzadourian, Issahakian,
Toumanian, Chanth, sont très populaires au
Caucase; le théâtre s'honore des noms de Sanet de
doukiantz,
Aharonîan,
Chirvanzadé,
l'acteur Adamian qui dépassa, dit-on, Rossi et
Salvini dans le rôle d'IIamlpt (2). La littérature arménienne de Turquie compte
également des écrivains de talent : Béchiklachlian, Hékimian, Tersian, Baronian, Berberian, Minas Tchéraz, Démirdjibachian, Arpiar
Arpiarian, Archag Tchobanian, et tant d'autres
que je ne saurais citer ici.
Il faut distinguer deux périodes bien nettes
dans la littérature arménienne de Turquie, celle
qui
(1)Dierenlz,pseudonymelittérairedu D' Chichmanlan,
et a
vécutet écrivit&TiOis,mais qui était de Constantinople
écrit dansl'idiomedes Arméniensde Turquie.
(2)Cf. A.TCHOBANIA»,
\A LittératurearméniennecontempoLarousse,n*305(8juillet 1899),
raine,dansBtvutencyclopédique
p. 523et suiv.
Il'VRMÉNIEN
LVCHAIRE
G.'î
qui précède les massacres hamidiens; et celle
qui en est contemporaine.
Sous le régime hamidien, avant les massacres
qui commencèrent en 1894, la littérature'arménienne est fine, discrète, remplie de sous-entendus, par crainte et à cause de la censure; le
style devient très affiné, très symbolique. Il
s'agit pour l'auteur arménien d'alors de se faire
comprendre, tout en voilant sa pensée. La nouvelle, la chronique, la poésie, la satire ont reçu
de ce chef un grand développement. Par contre,
et philosophiques,
la
les études religieuses
étaient interdites ; même
critique historique
ostracisme à l'égard de la littérature politique
et de tout ce qui a trait soit au passé, soit au
présent de l'histoire arménienne. — A'près les
grands massacres de 1895, la plupart des protagonistes de ce mouvement littéraire ont fui
Constantinople et se sont réfugiés à Paris, à
Londres, à Genève, en Amérique et en Egypte.
Ils ont produit une littérature libre, sans entraves, en faisant connaître au monde européen
les horreurs perpétrées en Orient, cl en encourageant les Arméniens à persévérer dans la
lutte et à espérer contre toute espérance. Depuis les massacres, de nouveaux écrivains ont
surgi, tels Adom Yardjanian et Daniel Varoujnn,
qui ont produit une poésie lyrique et épique,
chantant la lutte et le martyre des Arméniens.
G$
ENIE
AUTOUR
DEL'ARM
De l'esquisse qui précède, vous avez pu juger
que le rôle joué par les Arméniens, au cours
des siècles, n'est comparable ni à celui de la
Grèce et dé Rome en Occident, ni à celui de
Ninive, de Babylone, de Bagdad, en Orient.
L'Arménie a joué un rôle secondaire, mais qui
ne manque ni d'intérêt ni d'utilité; c'est le rôle
d'un petit peuple qui a porté à l'Asie antérieure
le flambeau de la civilisation occidentale, et qui
aurait pu faire mieux si les persécutions incessantes et les luttes séculaires ne l'avaient pas
forcé à pourvoir avant tout à sa propre défense,
et à ne s'occuper de science, d'art et de littérature que dans les rares loisirs que lui laissaient
les massacres et les attaques perpétuelles de
ses voisins.
Vous le voyez, Messieurs, le champ est vaste,
qui s'offre à vos investigations et à vos travaux.
Vous triompherez sans peine des premières difficultés de la grammaire et du vocabulaire;
vous arriverez sans grands efforts à comprendre
les plus belles pages des écrivains dont je ne
vous ai cité que quelques noms, et vous ne tarderez pas à goûter un réel plaisir au contact
d'une littérature déjà fort riche bien qu'encore
fort jeune.
Imitant l'exemple de Markar Zacharie
Gelam Khodjents, remerciant
Napoléon
de
I*r
LACHAIRE
D'ARMÉNIEN
65
d'avoir établi une chaire d'arménien à Paris,
vous vous joindrez à moi pour adresser un
message de reconnaissance à M. le Ministre de
l'Instruction
publique et à tous les amis des
choses arméniennes, qui ont pourvu au maintien de cette chaire. — Nous nous efforcerons
de répondre à la confiance que l'on a placée en
nous.
LA. QUESTION
ARMENIENNE
KT LA CONSTITUTIONNATIONALKRN TUUQUIB
(18O0-1010)(i)
Si la nation arménienne écrit maintenant, en
caractères do sang, une des pages les plus
glorieuses do son histoire, il ne faut pas oublier
est
que le spectacle
auquel nous assistons
l'aboutissement normal des longs efforts qu'elle
fait, depuis dos siècles, pour s'affranchir de la
tyrannio turque. Les jours que nous vivons
sont un moment dans l'enchaînement
des faits
grandioses qui s'accomplissent actuellement, et
ce sera l'oeuvre de l'historien de domain de
tracer le tableau véridique,
autant que faire
se pourra, de ces mois do luttes héroïques,
d'une ère nouvelle. On aurait pu
précurseurs
croire, au lendemain do la révolution ottomane
do 1908, que l'aurore attendue allait enfin se
lever; il n'en fût rien, et le régime sous lequel
i
de Tonvragede M.ArakelSaroukhansur ce
(1)Compte-rendu
sujet, et publiédans leJournal asiatique,1915,1.p. 161-169.
i.v orisn<>\ vuMÉMi.wr.
U7
se débat, jusqu'à co jour, dans les affres do
l'agonio, co qui fut lo grand Empiro ottoman,
montre jusqu'à i'évidonce que lo gouvernomont
jouno-turc so montra le digno émule et successeur do l'autocratie hamidienne qu'il prétendait
renverser pour la mioux remplacer.
Notre confrèro, M. Arakôl Saroukhan, a ou
l'excellente idée do noter les moments historiques qui, dopuis 1860, on; préparé lo mouvement qui devait aboutir fatalement, tùt ou tard,
aux événements dont nous sommes les témoins
oculaires. Son livre est important; il a sa place
toute marquée dans les bibliothèques
des
diplomates, dos historiens et des orientalistes
qui suivent, avec un intérêt toujours croissant,
le développement dos idées et la suite des faits
dans cotte Asie antérieure qui nous intéresso et
nous captive, à des titres, du reste, fort divers.
L'ouvrago, si important soit-il, a l'inconvénient, pour la plupart des européon», d'être
écrit en arménien, et cette langue n'étant pas
encore très « véhiculaire », il nous a paru bon,
en attendant qu'une traduction en soit donnéo,
de l'analyser d'une façon suffisamment détaillée,
pour faire voir l'importanco que l'on attache à
ectto publication.
M. Saroukhan a divisé son livre en deux
parties, d'inégalo longueur, dont la première
comprend 20 chapitres, et la deuxième 11 cha-
68
AITOIRDE L'ARMÉNIE
11 serait peut-être fastidieux, pour on
une idée, de l'analyser chapitre par
chapitre; ce serait, au demeurant, fort long. Le
mieux sera, sans doute, de dégager la Irame
historique, et de ranger la matière sous quelques
rubriques principales.
pitres.
donner
I. — C'est d'abord la période des Amira (1).
Dans la première moitié du xix« siècle, la classe
des Amira, tous Arméniens, avait la haute main
sur les affaires nationales, publiques, laïques et
spirituelles, ayant trait aux Arméniens de Constantinople. Cette sorte de caste se composait de
banquiers, de grands négociants, de hauts fonctionnaires arméniens au service de la Sublime
Porte. Ces Amira décidaient, non seulement du
sort du peuple arménien, mais de celui du
patriarche lui-même; et le peuple, docile et pas*
s if, exécutait leurs volontés et s'inclinait devant
et leur puissance
leur autorité personnelle
financière.
Durant toute la période de l'omnipotence des
Amira — et ce, jusque vers 1846, — le plus
influent d'entre eux centralisait en sa personne
des affaires de la nation : les
l'administration
autres Amira n'étaient que des satellites gravitant autour do ce Chef delà Nation. Le patriarcat
(I) Cemot, d'originearabe,signifie: celuiqui ordonne,celui
qui commande,chef, maître,seigneur,grand seigneur.
LA QUESTION
ARMÉNIENNE
fil)
de cet Amira, dont les
dépendait entièrement
dispositions prises à l'endroit dos affaires laïques
avaient leur répercussion
dans la gestion des
affaires religieuses, bien que la direction en fut,
nominalement, subordonnée à l'autorité patriarcale. Cependant, de temps à autre, cette règle,
devenue générale, fléchissait lorsque des dissentiments ou des rivalités surgissaient parmi
les gros bonnets nationaux, et l'on a enregistré
lescas où les Amira banquiers, en désaccord
avec las Amira architectes d'État ou les Amira
directeurs de la Poudrerie impériale, rompirent,
de propos délibéré, la bonne entente qui les
unissait à l'ordinaire.
La rivalité des Amira contribua grandement
naisà favoriser un mouvement d'émancipation
sant, dû à la classo des esnaf (i). Des luttes
s'ensuivirent qui donnèrent naissance au Règledes
ment de 1847, qui confiait l'administration
affaires nationales, laïques et spirituelles, à deux
conseils: le Conseil religieux et le Conseil supérieur (séculier), lesquels étaient renouvelés tous
les deux ans.
Lesilttiir<3 conservaient néanmoins leur situation prépondérante
dans les premiers Conseils
(i)Mol turc, d'originearabe(plurielde l'arabesenti) et signifiant : les classes et, par extension,les artisans, ceux qui
s'occupentd'un métier manuel,tous ceuxqui gsgnentleur vie
è la sueur de leur front.
70
AlTOIIVDEL ARMENIE
ils no perdirent
du lorrain quo
supérieurs;
petit à petit, devant la pousséo des petits commerçants ot des artisans, si bien que, dos vingt
membres qui composaient lo dornier Conseil
supérieur, on 1858, six seulement étaient dos
Amira ; quatre banquiers, un directeur do la
Poudrerie impériale, et un dernier, architecte
d'État; les quatorze membres restants étaient
des élus du peuple, se répartissant ainsi : sept
artisans, un médecin, doux orfèvres, et quatre
petits commerçants.
Ces deux conseils, Religieux ot Supérieur,
n'avaient pas de règlement intérieur, précisant
leurs attributions respectives;
aussi so heurtaient-ils, de ce chef, à de grosses difficultés
dans la gestion des affaires confiées à leurs
soins. A cetto époque, les affaires en question
se rattachaient ou au patriarcat, ou à l'hôpital
national, ou encore à la caisse des indigents ot
aux écoles. Et lorsque l'on voulut serrer les
choses de près et appliquer lo règlement nouvellement élaboré, on se heurta dès lo début à
une extrême divergence do points de vue, les
uns étant pour, l'ancien état de choses, les
autres, la jeunesse imbue d'idées européennes
nouvelles, étant pour co que l'on convient
d'appeler le progrès; la scission ne tarda pas à
so produire et le clan dos khavarial (rétrogrades)
se trouva en opposition flagrante avec celui des
ARMENIENNE
|.V QIT.STION
71
lousavortal (éclairés). Ces deux partis entrèrent
ouvertement on lutte et, tols dos frères ennomis
on vit, dans los familles, lo frère lutter contre
lo frèro, lo fils contre son propre" père. Les
ménages les plus unis jusqu'alors, les familles
homogènes auparavant, los églises elles-mêmes,
devinrent lo théâtre de querelles, de rixes, do
d'insultes
fort regrettables.
Les
discussions,
Amira faisaient naturellement partie du promiur
groupement, tandis que lo second compronait
avant tout la classo instruite do la nation, à
laquelle s'étaient joints les artisans ot les négociants. Ce fut co dernier parti qui remporta la
victoire.
II. Le premier Règlement national arménien.
— L'honneur de mettre fin à la gestion arbitraire et ploutocraliquo
des Amira et do la
administration
légale, démoromplacerparune
cratique et populaire des affaires nationales,
revient au parti des Eclairés\ lo triomphe de co
clan servit de trait d'union aux partis adverses, et
les groupements,
naguère ad versa il es irréconciliables, se luiront d'accord pour élaborer un
projetfondé sur le principedu suffrage populaire.
En vertu de co projet, la direction dos affaires,
tant spirituelles
quo temporelles, était confiée
à un Corps représentatif
élu par le peuple.
En 1847, lo gouvernement
turc sanctionna ce
^a
AUTOUR
nu L'ARMÉNIË
projet, qui fut érigé en Règlement national, Ot
qui remettait les rênes des affaires du patriarcat entre los mains de doux Conseils nationaux
élus par voie de suffrage.
D'après los dispositions de ce Règlement, le
Conseil religieux devait so composer do 14 ecclésiastiques, et avait uniquoment pour juridiction
l'examen des affaires du domaine religieux et
spirituel. Quant au Conseil supérieur (laïque),
il avait pour attributions do contrôler les affaires
civiles de la nation; il était supérieur en nombre
au premier : on effet, il comprenait 20 membres
laïques, élus par le peuple arménien de Constantinoplo, sans distinction de classe.
C'ost ainsi que, pour la première fois, la partie du peuple arménien vivant en Turquie, fut
dotée d'un Règlement régularisant losaflairos
de la communauté et y introduisant la laïcisation, c'est-à-dire le principe du contrôle et de
l'ingérence du peuple dans le domaine si vaste
des affaires nationales.
111. La « Constitution nationale », — Ce premier Règlement national ne tarda pas à aboutir
quelque temps après, à la Constitution nationale. Voici dans quelles circonstances î
Le Haïtichérif
(la charte) de Gulhané, 1839,
et le Firman de 1&5, concernant les réformes
à introduire en Turquie, contenaient les dispo-
LVQUE*riO\ARMENIENNE
7^
sitions invitant les différentes communautés,
non musulmanes, constitutives de l'Empire, à
turc toutos les
soumettre au gouvornomont
réformes qu'elles jugoraiont utilos à la gestion
de leurs allairos rospectives.
Profilant de cos dispositions impériales, los
Arméniens furent los premiors à établir, en
faveur de lotir nation on Turquie et pour leurs
affaires intérieures, un régime représentatif, ou,
pour ainsi dire, un régimo miniaturo do celui
constituqui fonctionne danslesgouvornoments
tionnels d'Europe. A celte fin, on élabora un
Règlement do 09 articlos, qui fut sanctionné par
iradé (décret) impérial du sultan Abd-ul-Aziz,
à la date du 9 chewal 1279 (17 mars. 18G3, v. s.).
En Yertu do ce Règlement, que les Arméniens
dénomment Constitution nationale, ces mêmes
Arménions devinrent on Turquio une Commuen ce qui concorno la
nauté constitutionnelle,
gestion do leurs affaires nationales, séculières
et spirituelles. Us eurent ainsi une Assemblée
nationale ou Conseil national des députés, élu
directement par le suffrage populaire, et qui
représentait lo Pouvoir législatif.
Lo Pouvoir exécutif, représenté par l'Administration centrale des affaires nationalos, su
compose du Conseil mixte et a pour chef lo
Le
patriarche arménien de Constantinople.
Conseil religieux et le Conseil civil, nommés
7*i
Ai roiR HRI.'ARMÉME
respectivement par l'assemblée nationale, composent ledit Conseil mixte.
En vertu des dispositions de la Constitution
est
nationale, le patriarche de Constantinople
le chef de la nation arménienne en Turquie, et
il représente, comme tel, la nation arménienne
auprès du sultan et do son gouvernement.
Il ne faut pas omettre de relevor que la Constitution nationale arménienne, dont il s'agit ici,
doit beaucoup au mouvement d'émancipation
qui eut lieu en Europe en 1848. On y rotrouvo
ce
les éléments
essentiels qui caractérisent
mouvement : régime représentatif, laïcisation
de l'instruction publique et de la gestion des
biens ecclésiastiques,
compte rendu exigible
des corps publics constitués, contrôle exercé
par le peuple, en un mot, une administration
entièrement démocratique.
De la sorte, on avait réussi à apporter une
certaine amélioration et une régularisation relative dans la situation des Arméniens de Turquie,
surtout en ce qui concernait les affaires intérieures, d'ordre religioux et laïque, de la nation.
• 1Y. Le traité de San Stefano,
père de la « Question arménienne ». — En dépit de cette amélioration que la Constitution nationale apportait à
la vie nationale arménienne, toutes les libertés
civiles des Arméniens do Turquie étaient outra-
ARMÉNIENNE
LAQUESTION
7a
geusoinont et cruollemont fouléos aux pieds
parles autorités turques et les éléments musulmans, tels que les Kurdes, les Circassiens et
autres, qui cohabitaient, par ordre, au milieu
des populations arméniennes. Et ce, malgré la
réitérée dos iradé, annonçant
promulgation
chaque fois l'application imminente des reformes... Cela jetait de la poudre aux yeux des
grandes puissances, et c'est tout ce que voulait
le Grand Turc.
Les persécutions
et les massacres, sans
jamais discontinuer,
reprirent do plus belle
lors do la guerre russo-turque (1877). Ces événements douloureusement tragiques donnèrent
môme lieu à do violentes protestations au sein
du Parlement ottoman (séance do la Chambre
des députés du 13 avril 1877), par lo fait que
soldats irréguliers et Kurdes répandaient la
terreur au sein des populations arméniennes,
en pillant des villages entiers, et en décimant
des milliers de villageois arménions.
D'autre part, les autorités religieuses des
localités martyrisées adressaient dépêche sur
dépêche au patriarcat arménien de Constantinople, avec force détails sur les atrocités commises. A son tour, le patriarcat ne cessait
d'adresser des rapports et des protestations à
la Sublime Porte, demandant de mettre fin à cet
état de choses, do faire punir les coupables et
jG
AtTOiR I»EL'ARMÉNIE
d'appliquer enfin les réformes si souvent promises,
Lo patriarche arménien d'alors, M»' Norsôs,
surnommé lo « patriote », voyant que toutes ses
démarches restaient vaines; considérant, d'autre
part, l'avance des armées russos jusqu'à San
Stofano, la porte de la capitalo turque, fit, d'accord avec l'assemblée nationale arménienne,
une démarche suprême auprès du généralissime
russe, le grand-duc Nicolas, pour attirer sa
bienveillante attention sur lo sort misérable
dos Arméniens. Le grand-duc, cédant à la sollicitation de ces derniers, dont il disait n'avoir eu
qu'à se louer pendant la guerre, obtint de son
auguste frère, le tsar Alexandre II, qu'une clause
spéciale serait consacrée aux Arméniens, dans
le traité de San Stefano :
« Art. 16. Comme l'évacuation, par les troupes
russes, des territoires qu'olles occupent en Arménie et qui doivent être restitués à la Turquie,
pourrait y donner lieu à des oonflils et à des
complications préjudiciables aux bonnes relations des deux pays, la Sublime Porte s'ongago
à réaliser, sans plus tarder, les améliorations et
les réformes exigées par les besoins locaux dans
les provinces habitées par les Arméniens et à
garantir leur sécurité contre les Kurdes et les
Circassiens ».
I.\ QIESTION
ARMÉNIENNE
77
C'est ainsi que fut créée à San Stofano la Question arménienne qui devint, quelques mois plus
à Borlin, lorstard, une question internationale
qu'elle fut traitée au Congrès qui se tint dans
la capitale de PEmpiro allomand.
V. Le Congrès de Berlin et la question arménienne. — Quoique la clause du traité de San
Stefano, rolativo au sort des Arméniens do Turaux
quie, no correspondit
pas intégralement
désirs intimes dos Arméniens, ceux-ci commencèrent, néanmoins, à nourrir l'espoir qu'ollo les
et des maspourrait libérer des persécutions
sacres auxquels ils étaient systématiquement
en
butte.
Puis, lorsque l'on apprit quo le traité do San
Stefano serait révisé par les grandes puissances
et deviendrait le Congrès do Berlin, les autorités
de Constantinople
se
nationales arméniennes
mirent aussitôt à rechercher los moyens convenables pour envoyer une députation audit Congrès; cette députation devait exposer aux congressistes lo sort des Arméniens, demander et
tâcher d'obtenir une autonomie administrative,
dans le genre de celle accordée aux populations
du Mont Liban,c'est-à-dire
: des libertés civiles,
des institutions
la sécurité, les
garantissant
biens, l'honneur des femmes et des filles des
78
At'TOI'lll>EL'ARMÉNIE
Arméniens, soit, en un mot, la garantie de leurs
droits à l'existence.
La députation, composéo de M*rKhrimian, de
M*' Narbey Lusignan, de Stôphan Papazian,
membre de l'Assemblée nationale, — auxquels
Minas Tchéraz fut attaché comme secrétaire et
— se rendit, avant l'ouverture du
interprète,
Congrès, auprès de chacun dos cabinots des
grandes puissances pour soumottre un mémoire
destiné à faire connaître le sort et les voeux de
la nation arménienne sur terro turque.
Puis la députation arrive à Berlin, assiste aux
réunions du Congrès, faisant toutes les démarches possibles pour faire accepter aux congressistes l'idée d'une autonomie administrative, qui était, du reste, le minimum de co
qu'oxigeait le sort des Arméniens, par rapport
aux libertés que le Congrès attribuait aux chrétiens de la Turquie d'Europe.
Malgré les efforts déployés parla députation,
lo projet soumis par le patriarcal arménien n'eut
pas gain de cause, et toutes ces légitimes revendications se résumèrent en l'article 61 du traité
de Berlin, ainsi conçu :
<<La Sublime Porte s'engage à réaliser, 'sans
plus de retard, les améliorations et les réformes
qu'exigent les besoinis locaux dans les provinces
habitées par les Arméniens, à garantir leur
LVQlESriONARMÉNIENNE
7<)
sécurité contro les Circassiens et les Kurdes.
Ello donnera connaisssanco périodiquement des
mesures prises à cet effet aux Puissances qui en
surveilleront l'application ».
ni la lettre, ni l'esprit de cet
Naturellement,
article ne pouvaient donner satisfaction aux
Arméniens,
qui en furent [douloureusement
affectés et cruellement désillusionnés.
Aussi,
sur les instructions
reçues du patriarcat de
arménienne
la députation
Constantinople,
adressa-t-elle à tous les membres du Congrès
—«sauf aux plénipotentiaires
turcs — une pro»
teslation en français, dont ci-dessous la traduction, faite sur lo texte arménien de M. Saroukhan :
« La députation
arménienne
exprime ses
regrets que sos demandes légitimes, et si modérées à la fois, n'aient pas été agréées par le
Congrès.
« Nous avions cru qu'une nation composée do
quelques millions d'âmes comme la nôtro, qui
n'a été jusqu'à présent l'instrument
d'aucune
politique étrangère, qui — bien qu'elle fut beaucoup plus opprimée que les autres populations
chrétiennes do la Turquie — n'a causé aucun
ennui au gouvernement turc et que, quoiqu'elle
n'ait aucun lien do religion ni d'origine avec
80
AUTOUR
DE L'ARMÉNIE
l'une ou l'autre
des grandes puissances, mais
que, cependant, étant chrétienne comme tous
les autres peuples chrétiens de la Turquie, elle
pouvait espérer trouver dans notre siècle la
même protection que celle accordée à d'autres;
« Nous avions cru qu'une pareille nation,
démunie de toute ambition politique, aurait dû
• acquérir le droit de vivre sa
propre vie et d'être
gouvernée sur sa terre àncestrale au moyen de
fonctionnaires arméniens.
« Les Arméniens
viennent
de se rendre
"
compte qu'ils se sont trompés, que leurs droits
n'ont pas été reconnus, parce qu'ils ont été paci- '
do
Piques et que le maintien de l'indépendance
leur vieille Eglise et de leur nationalité ne les a
avancés en rien.
« La imputation arménienne
va rentrer en
Orient, en emportant cette leçon. Elle déclare,
néanmoins, que le peuple arménien ne cessera
jamais de crier jusqu'à ce que l'Europe donne à
ses demandes la légitime satisfaction.
Berlin, le 13 juillet 1878».
Puis, les délégués arméniens prirent congé
des congressistes
et adressèrent
à Biilow une
lettre de remerciements
pour l'accueil aimable
que leuravaient réservé l'impératrice et le kron'
prinz.
Le volume se termine
par un appendice
qui
LA QUESTION
ARMÉNIENNE
8l
renferme, en caractères arméniens, la reproduction du texte officiel turc de la Constitution
nationale, ainsi que les iradê impériaux et les
lettrci officielles qui les accompagnent./
Tel est, dans ses grandes lignes, le livre que
nous présente M. Saroukhan. Il possède une
réelle valeur historique et devra être consulté
par quiconque s'occupera des affaires de l'Arménie, dans ses rapports avec l'Empire ottoman
sur son déclin ; la documentation est abondante
et habilement
utilisée; les données sont précises et les dates citées le sont exactement.
Enfin, et c'est par là que je terminerai ce compte
rendu, l'auteur fait preuve, au cours de son
exposé, historique, d'une parfaite impartialité;
son langage est pondéré, son raisonnement est
juste; il juge avec équité les personnes et les
d'autant
choses, et ces qualités apparaîtront
plus précieuses que M. Saroukhan est un excellent patriote arménien, qui a su faire abstraction
de sa personnalité
pour édifier le monument
historique dont il vient d'être question,
LES ARMÉNIENS
EN
TURQUIE'"
AVERTISSEMENT
La liste est déjà fort riche des publications qui ont
paru, relatives à la Question arménienne, cl notre
bal, en écrivant ces lignes, n'est nullement de vouloir
l'augmenter dune unité. Mais il nous a semblé qu'il
pourrait être intéressant, au jour où la guerre turcobalkanique prend fin et où un remaniement de la carte
de l'empire ottoman s'effectue, non pas de répéter ce
que tant d'autres ont dit avant nous sur cette question,
www bien plutôt de chercher à en dégager la trame
historique.
La Question arménienne ne sera pas exposée ici in
extenso; elle sera simplement analysée, comme chapitre
(tun ensemble. IJCSphases successives par lesquelles
elle a passé, s'arrêtent, pour nous, à la Révolution
ottomane de juillet 1908. Depuis lors, ce ne sont
que soubresauts, évolutions et révolutions, qui se succèdent au jour le jour. On n'écrit pas rhisloire des
événementscomlemporains; ilfaut se borner à les enregistrer aujowdhui, pour préparer roenvre historique
de demain.
i
(1)Extraitde la Betuedu mondemusulman,n*de septembre
1913.
ENTURQUIE
LESARMÉNIENS
83
Indêiwndamment des données puisées dans les publications qui sont à la portée de tout le monde, Vauteiir a
consulté oralement quelques personnalités. Il -a des
obligations particulières à Fun des politiques les plus
fins et les plus instruits de rOrient actuel *qui désire
garder l'anonymat et à qui il adresse Vexpression de sa
vive gratitude.
On ne trouvera que quelques mentions des sources,
puisqu'il ne s'agit pas d'une publication de recherches
nouvelles, mais d'un groupement-de faits généraux. La
bibliographie de la matière est d'ailleurs abondante'
En voici quelques éléments : .
BIBLIOGRAPHIE
Armenia,Travels and Sludies by. H. P. B. LYNCH...
(Londoii, 1901),t. II, pp. 408-46;.
— Ibidem, la bibliographie donnée pp. 4ç>4-496,
sous la
rubrique : VI, political.
Ajouter à cette bibliographie très complète et très bien
faite les ouvrages suivants :
Die Leiden des armenischen Volkes und
Ed. BERNSTEM,
die Pfl'uhlen Europas (Berlin, 1902).
Arménienund Ruropa (Genf, 1903),
Georg BRANDES,
KRAPAM
(Use), DiearmenischeFrage (Genf, 1903).
— Armenierund Zarismus (Genf, 1906).
Ffir Arménien und Macédonien,d'Estournelles de Constant, Denys Cochin, Jean Jaurèfr, Francis de Pressensé,
Paul Lerolle, AnatoleLeroy-Beaulieu (Genl, 1903).
Marcel LÉART,La question arménienne à ta lumière des
documents(Paris, 1913).
Pour les peuples d'Orient, 'Organe des revendications
SY|
Auront DEI/AHUÉNIE
arméniennes,paraissant le 10et le 25 de chaque mois
(Paris). N° 1, du 10 décembre 1912.
La question arménienne et la constitution
SAROUKHAN,
nationale en Turquie (18601910);t. 1 (Tiflis, 1912) [en
arinénieu].
VANDENSTEEN
DEJEIIAY,
De la situation légale des sujets
ottomans non-musulmans(Bruxelles,1906).VARANOIAN
(Mikbaycl), Les origines du mouvementarmé'
(en arménienllalkakan charjman
nien, t. I (Genève,1912)
'
nokhapatmoulhiun).
ÎAIsituation des Arméniens en Turquie, exposée par des
documents, 1908-1912[S. I. n. d.], fascie. I et II.
[Recueil de takrirs et mémorandumsadressés au gouvernementimpérial ottoman au cours des quatre années
qui ont suivi la remise en vigueur de la Constitution).
I
Avant les Ottomans
Les relations entre les Arméniens et l'Islam
sont presqû'aussi anciennes que celui-ci. Elles
commencent en l'an 14 de l'Hégire (636 J.-C),
dans la
avec les incursions
musulmanes
Grande-Arménie révoltée contre la domination
aux Grecs et aux
perse. Soumis alternativement
Arabes, les Atméniens passent définitivement,
arabe (1); mais
en 703, sous la domination
i
de l'Islam, t. I, p. 4(4.
(1) Cf. YEncyclopédie
ENTURQUIE
LESARMENIENS
85
ils conservent une autonomie assez étendue, ot
leurs vainqueurs sont obligés de laisser l'administration
intérieure
aux mains des nakha1
un
se contentant d'exiger
tribut en
rars(i),
argent et des contingents armés.
L'organisation était toute féodale. Lo prince
(ichkhan) et le commandant militaire (zorapel
ou zoravar), toujours choisis parmi les plus
laissaient à ces derniers
notables nakharars,
de leurs districts : lo prince,
l'administration
ou
un bagralouni,
qui était ordinairement
Bagratide, se bornait à percevoir le tribut; lo
un Mamikonien,
commandant,* généralement
réunissait les cavaliers fournis par les nakharars qui, pour tout ce qui était étranger aux
finances et à l'armée, étaient libres do leurs
actes, mais devaient compter avec le clergé
et peut-être
plus
qui, là comme ailleurs,
qu'ailleurs, à cette époque, jouait un rôle actif
dans la vie sociale et familiale. Généralement,
c'étaient les prêtres qui rendaient la justice ;
les évéques avaient, auprès des nakharers,
une influence prépondérante,
de même que le
patriarche suprême « catholicos de tous les
Arméniens » à la cour des rois.
(1)Ceterme,rendu généralement
par « satrapes»,s'applique,
non Ades préfets envoyé*par le pouvoircentral,maisà des
chefsféodaux,de véritablesclefs detribus.
8C
AUTOUR
HE I/ARMÉME
L'établissement
définitif de la domination
arabe fut surtout
l'oeuvre du patriarche
SahakIIIde
Tzorapor(l).
Voyant sans cesse le
pays dévasté par les Grecs dont l'autorité s'affaiblissait tous les jours et qui voulaient contraindre les arméniens
à accepter la profession de foi chalcédonienne(2),
ou bien parles
Arabes alors dans la plénitude de leur force, le
catholicos décida d'aller offrir à Mohammed
benOkba la soumission complète de son peuple,
à la condition que sa foi serait respectée. L'histoire arménienne lui attribue un mode de négociation, inusité et persuasif. Gravement atteint
par la maladie en cours de route, et sentant sa
fin prochaine, il transcrivit ses propositions
dans une lettre qui devait rester-dans sa main.
Touché à la vue du cadavre du catholicos tendant cette lettre, Mohammed ben Okba accorda
ce qui lui était demandé, et pardonna aux
Arméniens leur dernière défection en faveur
de Justinien 11(705).
Leur soumission étant définitive, le khalife
'Abd El-Malik décida qu'à l'avenir un gouverneur général arabe, auquel les auteurs armé(f) Catholicosou chefsuprême de l'ÉgliseArménienne,élu
en 611,morten 103.
(2)Les monophjsiles,ou seclalenrs d'Eulychèscondamné,
en 451,par le conciledeCh&jcédoi
ne, étaientsurtoutdes Arméniens et des Abyssins.
LESARMÉNIENS
ENTURQUIE
87
niens donnent le titre de ostikan{\), résiderait
désormais en Arménie, avec la double mission
de percevoir le tribut et de commander les
Comme il ne pouvait s'occuper de
troupes.
l'administration intérieure, on lui adjoignit un
nakharar
arménien, qui prenait le titre do
patrik « patrice », en usage alors dans l'Empire
byzantin; mais rien ne fut changé à l'organisation féodale du pays. L'arrangement
proposé
par le patriarche Sahak fut complété par le catholicos Hovhannes 111d'Otzoun (2), qui, lors
d'une visite au khalife Omar II, en 719, obtint
l'exonération des impôts pour tous les ecclésiastiques, à partir du rang de diacre (sarkavag),
et pour les établissements religieux, la liberté
absolue dans l'exercice public du culte et l'interdiction de toute mesure ayant pour objet de
contraindre les Arméniens à embrasser l'Islamisme.
Cela dura jusqu'en 885, époque à laquelle les
khalifes abbasides étendirent les pouvoirs du
patrik adjoint à Yoslikan. On lui conféra, avec
le titre et les insignes de roi, les attributions
financières et militaires réservées jusqu'alors
(1)Administrateur,préfet, gouverneurpour le compte des
de Ostikanis,arablcisArmtniae
khalifes;cf. i. II. PSTIRXAM.I,
gubernaloribus(Berlin,
1840);—et II. Ilasscum**,Armenische
Grammatik...(Leipzig,1891),pp. 215-216.
(2) OuJean luiaslaser,élueu 111,décédéen 128.qui présida
les concilesde Dwîn(119)et de Manaikerl(126).
88
AlTOIR DEI/AH\IÉNIE
aux résidents arabes; mais il resta sous le contrôle et l'autorité de Voslikan de l'Azérbaïdjan.
En apparence, les Arméniens gagnaient de
nouveaux privilèges. En fait, leur unité était en
train de disparaître, et leur tranquillité était
menacée. Les khalifes multiplièrent les princes
tributaires coiffés en rois ; si le système administratif resta le môme, en revanche l'Arménie fut partagée entre les rois d'Ani, de Van,
de Kars, de Gougarq et d'Antzévatziq ; il s'en
suivit des luttes fratricides (1).
Ces petits royaumes ne durèrent pas plus
d'un siècle et demi. La plupart de lours souverains cédèrent leurs territoires aux Grecs, alors
aux prises avec les Tartares qui commençaient
Le roi do Van
leur exode vers l'Occident.
émigra en 1021 à Sébaste; celui d'An! fut
dépossédé en 1046, 'e roi de Kars échangea
son territoire contre la province d'Amasis en
1064. Le reste de l'Arménie fut également
absorbé par l'Empire byzantin.
Les hordes tartares qui, sous Toghroul-Heg
et ses successeurs, dominèrent l'Arménie, ne
pouvaient avoir un système administratif régulier. Vers la fin de leur domination, les Seiavec les
djoukides de Konia entretenaient,
i
(1)Cf.G v.CffArmzAftu*.
Esquissedel'histoirede VArménie.,.
(Paris,1856),pp. 35,40<t passim.
J
E^lTURQUIE
LESARMÈXIEXS
89*
Arméniens, les mêmes rapports que les khalifes, à cette différence près qu'ils ne prirent
comme intermédiaires
jamais de Chrétiens
entre eux et leurs sujets. Ceux-ci avaient toute
latitude, en ce qui concernait leurs affaires
sociales ou familiales, affaires
ecclésiastiques,
dans lesquelles on ne pouvait appliquer la loi
Comme les contrées
musulmane.
voisines,
l'Azérbaïdjan et la Mésopotamie, l'Arménie, au
temps de la puissance seldjoukide, était mor"
celée en un assez grand nombre de districts, à
la tète desquels étaient placés des émirs, représentant le pouvoir central, mais ayant une autorité plutôt nominale qu'effective. Notons le fait
que le souverain du royaume de Khilat ou
Akhlat, le plus puissant des États seldjoukides,
arménien
et celui . où l'élément
dominait,
prenait le titre de Chah Armen « roi des Arméniens »; il ne possédait, cependant,
que le
cinquième du territoire de l'ancienne Arménie.
Ce titre de Chah Armen fut repris plus tard par
les Ayyoubite8(l).
de t Islam,i,
(I) Cf. StstCK,art. ArménieAmi YEncyclopédie
p. 446.
OO
AUTOUR
DEI. ARMÉNIE
II
Avant Fâtlh (MçbmedII)
Les Osmanlis ou Ottomans remplacent les
Seldjoukides de Konia; ils gouvernent comme
eux. La Chart'a (Chériat), ou loi musulmane,
est à la base de tout; le souverain s'en inspire ;
mais elle ne suffit pas dans toutes les circonstances de la vie sociale, et il faut, au besoin, la
compléter par des règlements. C'est ainsi que
toute une féodalité militaire se fonde en Asie
Mineure ; de nouvelles conceptions de la propriété foncière apparaissent.
Mais, en ce qui concerne les non-Musulmans,
il n'y a pas encore de règles bien précises. Parfois tyranniques, les sultans ottomans se montrèrent cependant,
d'une manière générale,
plus libéraux et plus humains que leurs prédécesseurs. C'est qu'ils avaient compris l'impossibilité d'étendre leur domination sans faire des
concessions aux Chrétiens. Se réservant l'exercice de l'autorité et la force militaire, ils abandonnèrent à ces derniers tout le domaine économique. Comme l'a ;fait remarquer naguère un
collaborateur
de la Ilevue du Monde Musul-
LESARMÉNIENS
EXTURQUIE
Ql
man (1), les Turcs ne jugeaient compatibles
avec leur dignité que les carrières de soldat et
d'administrateur.
Le commerce, l'industrie, restèrent donc aux
mains des Chrétiens. Bientôt après, on leur
vendit les dîmes, mais on ne leur confia les
finances de l'État que beaucoup plus tard, de
telles fonctions se rattachant à l'industrie très
spéciale des banquiers.
A ce point de vue, l'élément arménien devait
être préféré aux autres. Ennemis des Grecs, ces
anciens maîtres de l'Empire, suspectsauxTurcs,
ils n'avaient pas d'appuis politiques; traités
avec faveur par les conquérants, ils s'avancèrent
partout à la suite de leurs armées, colonisant
l'Asie Mineure. Se rendant des services réciproques, devenus nécessaires les uns auxautres,
ayant des goûts et des coutumes analogues,
Turcs et Arméniens furent bientôt tellement
unis, que l'on a pu appeler les premiers des
Arméniens musulmans,
et les seconds, des
Turcs chrétiens.
(I) T. XXII,mars1913,p. 166.
02
DEI.'ARMÉNIE
AUTOUR
m
Sous le règne de Fâtih (MehmedD).
Dès les premiers jours de la conquête, Mehmed H, rejetant les conseils de ceux qui l'engaaccordait
geaient à islamiser Constantinople,
l'invQstiture solennelle au patriarche grec, Genà sa communauté,
nadius (I, et reconnaissait
avec le libre exercice du culte, une large autonomie sociale et administrative.
Sous le nom de « Grecs », on entendait tous
les orthodoxes dépendant du patriarche, y compris les Arméniens, très peu nombreux alors à
où cependant ils possédaient
Contantinople,
une église à Galata, l'église actuelle de Saintet même, depuis 1307,
Grégoire-l'Illuminateur,
un évoque (1).
En revanche, les Arméniens étaient nombreux
en Asie Mineure, où ils jouissaient de la plus
large tolérance, sans que leurs maîtres leur
eussent accordé de garanties précises. On ne
pouvait refuser aux anciens sujets la faveur dont
STESS
DSJIHAT,
(I) VASMUI
T\ela situationlégaledes sujets
oftomansnon-musulmans
(Bruxelles,1906),p. 62.
LESARMÉNIENS
EXTURQUIE
O3
bénéficiaient les nouveaux, et il était de bonne
la situation faite
politique de eonlre-balancer
aux Grecs, anciens maîtres du pays, dont la
fidélité n'était pas sûre, par des avantages accordés aux Arméniens. On facilita donc la formation d'une forte colonie arménienne à Constande Brousse,
tinople. En 1461 l'archevêque
Hovakim, recevait l'invitation, ou plutôt l'ordre,
de se transporter dans la capitale avec une partie considérable
de sa communauté, et un firman, en lui conférant le titre de patriarche,
patrik, avec des privilèges analogues à ceux
dont jouissait Gennadius, « confondait en un
seul groupe, avec les Arméniens, tous les raïas
non orthodoxes de l'Empire (1) ».
Lo patriarche Hovakim résidait; d'abord à
Katahié (Keotahia) ; il était venu à Broussequand
le gouvernement ottoman s'y était établi; celuici ayant été transféré à Constantinople, il devait
l'y suivre. Ffttih le tenait en grande estime; on
assure qu'il lui avait fait bénir son épée avant
de tenter l'assaut de la capitale. Les Arméniens
dans celle-ci, le
qui avaient accompagné,
nouveau patriarche, furent répartis dans les
uvt Stee*OKJEIIAY,
(i) VAM
opèrecilato, p. 62. Les Israélites
iormèrent bientôt une troisième communauté;les autres
groupeschrétiens, sans parler des Nestoriens,soumisd'une
manièrepurementnominaleaux Arméniens,ne se «éparêrent
de ceux-ciqu'assezlard. —Ibidem'noiedes pp. 6263.
DEI/ARMÊXIE
AUTOUR
$\
quartiers de Koum»Kapou, YénUKapou, Psamet Balatmalhia, Narli-Kapou,
Edimô-Kapou
Kapou (1). Lo siège du patriarcat, après être
resté pendant cent cinquante ans dans le quartier de Psammathia, a été transféré près du château des Sept-Tours,
Yédi-Koullé, à Koum
Kapou, où il est encore aujourd'hui (2).
Les firman8 originaux accordés à Gennadius
et à Hovakim n'existent plus; ils ont disparu
dans les incendies qui ont ravagé, à tant de
reprises, les archives de la Porte et des Patriarcats. Mais leur contenu a été conservé dans des
la chancellerie
copies postérieures,
impériale
de Beylikdjl ayant toujours scrupuleusement
gardé, dans une intégrité parfaite, les formules
des actes officiels.
IV
'
De Fâtih à 'Âdii
Nous allons passer rapidement en revue une
période de trois siècles et demi, de Mehmed II
(1) Cesuomssont ceuxde plusieursdesprincipalesportesde
la ville;en turc kapou= porte.Onnommeaussioda (au pluriel
odalar)les ruellesoù s'établirentles premiersArméuieus; cf.
l'Orientinédit (Paris,1912),.p.34.
il. TcutHAZ,
STEJM
DXJZBAT,
(2) VASDBM
opèrecitato, p. 63.
EESARMÉNIENS
EVTURQUIE
y5
à Mahmoud II dit 'Adtl « lo Juste » (1808-1839).
Pendant cette période, le gouvernement ottoman n'a porté aucune atteinte aux règles qui
la vie intérieure des communautés
régissaient
chrétiennes : n'ayant en vue que ses propres
intérêts, celte vie lui était indifférente. 11légalisait la nomination des nouveaux patriarches,
moyennant le payement des droits de chancellerie et de redevances officieuses que les candidats étaient obligés d'offrir aux agents intermédiaires (1).
Le gouvernement,
pour avoir moins d'occasions de discussions dans les affaires intérieures
des communautés chrétiennes, ne reconnaissait
que deux chefs seulement pour tous les chrétiens de son empire, et leur laissait la tâche do
s'occuper des doctrines, des rites et des langues
qui divisaient ces chrétiens entre eux. Ces deux
chefs étaient le patriarche grec et le patriarche
arménien, l'un reconnu, l'autre institué par
Mehmed H. Le patriarche grec était le chef~de
tous les orthodoxes professant le diophysisme,
n
(Arménie,p. 50,note) donnede curieuxdétailssur
(1) BOBÉ
la moukdta*a,
bu droit exigé a la nominationdes patriarches,
et qui était devenu un véritabletribut annuel, et dont le
montant dans la première moitié du xix« siècle, était de
10.0C0
piastres.« L'électiondu patriarchede Constantinopleest
dansl'Églisearménienne,l'occasioud'un grand
communément,
scandale. La cupidité des viiirs tire babilemeutprofit des
ambitionssecrètes du clergé, eu mettantà l'encancelle première dignitéecclésiastique...•
AUTOUR
DE I.'AHVÉXIE
ijG
tandis que lo patriarche arménien était lo chef
do tous les orthodoxes do profession monophysite (l). Dans lo premier groupe étaient incorporées les communautés bulgare, serbe, valaque,
moldave, albanaiso, bosniaque, monténégrine,
au fur ot à irïesuro qu'elles tombaient sous la
domination ottomane. Les sultans évitaient do
multiplier les chefs religioux en relation directo
avec eux.
Lo patriarcat arménien était considéré comme
de tous los orthodoxes
le chef représentatif
orientaux, quels que fussent leur race, leur rite,
leur langue et même leur profession do foi;
puisque non seulement los monophysites, mais
aussi les Nestoriens et les adoptes du catholicisme romain étaient compris dans cette agglomération dont lo chef reconnu et responsable
était le patriarche arménien do Constantinople.
les SyriensCependant, les Syriens-Jacobites,
Melkhites, les Coptes et les Abyssins avaient
leurs chefs spirituels particuliers, lesquels recevaient leur investiture du patriarcat arménien,
(1) Cen'est qu'en 1813que le gouvernementottoman,tenant
les promessesdu knal't-i humayounde 1856,accordaan patriarche des Jacobites,M«'Bedros,un bérat le reconnaissant
commechefde communauté,MilletBachi.— VAM
DE»SIBMDS
lwkv,opêrecilato, pp. 31-3;).Quantaux Nestoriens,l'autorité
du patriarchearméniensur 4ux a été, de tout temps,purement
nominale; aucune communautéchrétienne,en Turquie, n'a
Joui d'one telle indépendance.— Ibidem,p. 28.
E\ TURQUIE
I.F.SARMÉNIENS
"l»7
etdqvaiont passer par lo mémo canal pour leurs
En tout lo reste,
relations avec lo gouvernement.
autonome visils gardaient une administration
à-vis do leurs fidèles ot do leurs clergés.
Do même, il y avait, dans la communauté
les catholicos do Sis (Cilicie) et
arménienne,
d'Aghthamar (lac do Yan), ainsi quolo patriarche
do Jérusalem, qui avaient une juridiction eccléot qui, hiérarchiquesiastiquo indépendante,
ment, occupaient uno place supérieure à celle
du patriarche do Constantinople;
mais, aux yeux
ils so trouvaient sous la
du gouvernement,
dépendance do co dornior (1).
A des époques déterminéos,
quand Etchmiadzin tomba au pouvoir dos Ottomans, lo
catholicos suprême de tous les Arméniens fut
lui-même regardé comme relevantdu patriarcat
de Constantinople,
et il n'obtint son investiture
déco dernier. Il no sera
que par l'intermédiaire
pas inutile d'ajouter que, avant la domination
ottomane, chaque évéque possédait une juridic(1) « Au point de vue religieux, les Catholicosde Sis et
d'Àghlamarse considèrentcommesubordonnésau seul Catholicosd'Btchmiadzin.— VASDMSTIMDEJKHAY,
opèrecitato,
p. 65. L'exercicedes deux Juridictions,civile et religieuse,
donnalieu parfois i des conflits; l'un d'eux, en 1900,a failli
amener une scission dans la communautéarménienne,et le
patriarche,M«rOrmanian,avait offert sa démission pour le
conjurer.Unparti,quiparaissaitavoirl'appuidu gouvernement,
s'était forméen vuede faire accorderau Catholicosde Sis une
Juridictioncivileindépendantedecelledu patriarchedeConstantinople.
6
AUTOUR
DE l/ARMENIE
1)8
tion à lui, très large, et qu'il no reconnaissait
pour son chef direct quo lo catholicos d'Etchmiadzin ou celui do Sis. C'ept pour cela quo los
premiers temps après la création du patriarcat
de Constantinople,
les évoques diocésains continuèrent à agir de la même manière, sauf qu'ils
leur investiture
des mains du pareçurent
triarche de Constantinople.
Car le gouvernement no connaissait quo celui-ci, comme chef
unique do tous les chrétiens orientaux, qu'il
entre eux.
considérait comme coreligionnaires
Cependant les relations de dépendance devenaient de jour en jour plus étroites; les inter-.
i
dans
de
ventionsdu
Constantinople
patriarche
les affaires des diocèses furent de plus en plus
fréquentes, de plus en plus efficaces, et lo siège
créé d'abord sous
patriarcal de Constantinople,
un aspect civil, par la volonté du sultan conquérant, changea peu à peu de caractère et de
et presque
nature, pour devenir réellement
avec
complètement une autorité ecclésiastique,
sur tous les diocèses
des droits hiérarchiques
compris dans l'empire ottoman (1). Cette trans(1)Aujourd'huiencore,le patriarchede Constantinople,dont
le titre officielest « archevêquede Constantinople,patriarche
des Arméoiensdé Turquie», et dont la juridictionéplscopale
est limitéeau diocèse,c'est-à-direau vilayet,de Constantinople,
a la juridictioncivile sur les 45 diocèsesde sa communauté
existanten Turquie,y comprislesanciennesprovinces(Egypte,
STEM
DBJXBAY,
opère
Roumanie,Bulgarieet Grèce).— YAKDES
tttato, p. 65.
K\ T»HQIIE
LESAKUËMKXS
()9
formation s'opéra sans changemont brusque et
sans délibération
positive, mais en suivant
naturel des affaires et la nécesl'amendement
sité imposée par les circonstances, confirmée
par l'action consciente de tout le monde, et par
le consentement
tacite, mais pratique, de tous
les ayants droit et do tous les ayants voix dans
ces affaires. Nous ne saurions fixer une date
pour préciser l'époque à laquelle le patriarcat
plutôt civil, créé en 1461, fut reconnu officielle mont comme une autorité entièrement eccléet où les évéques arméniens des
siastique,
diocèses en Turquie ont pris le caractère de
suffragants vis-à-vis du patriarche de Constan*
n'a
tinople. Cette période de transformation
pas été pourtant très longue, et tout était entré
dans une situation normale et légale avant la fin
du XVesiècle.
En mémo temps que l'autorité du patriarche
de Constantinople
s'étendait et s'affermissait,
on commençait à créer à côté une administration centrale pour la communauté arménienne
de Turquie.
de l'église
L'usage traditionnel
arménienne, qui exige toujours la participation
des laïques dans l'administration
ecclésiastique,
et le caractère du siège nouvellement
créé
d'avoir des attributions civiles, ouvraient naturellement aux notables de la capitale une largo
entrée pour exercer leur prépondérance
dans
lOO
AVTOl'RDE I.'\H\IÉME
les affaires du patriarcat, autrement dit, de la
communauté. Le système électif et représentatif n'était pas encore entré dans les moeurs de
celte époque, a plus forte raison dans les moeurs
des Orientaux. Les notabilités étaient les représentants nés de la communauté;
et comme
on ne possédait pas l'aristocratie
de sang,
l'aristocratie d'argent la remplaçait.
Nous avons mentionné plus haiit les banquiers qui tenaient entre leurs mains les
finances de l'empire, par l'entremise des hauts
fonctionnaires. C'était la classe privilégiée des
sarraf (\) arméniens, qui exerçaient un rôle
du pacha que
important, grâce à J'influence
chacun d'eux servait par ses finances. Us portaient le titre d'amira (2), titre spécialement
créé pour remplacor ceux que l'on ne pouvait
pas donner aux chrétiens, et qui étaient en
usage parmi les musulmans. Ces amira agissaient en maîtres, à côté du patriarche. Ils
n'avaient pas de séances périodiques et délibôratives ; mais ils envoyaient des ordres, pour
(I) Ce mot arménien,empruntéà l'arabe \J\yot signifie,
commeenarabe : ehangiur,celui qui trafiquede l'argent; il
n'a rien de commun,aveclaracinesémitiquetpty qui indique
l'idée de brûler, de consumer. D'autre part, dans les vieux
textesarménien*,dans l'Évangile,par exemple(Matthieu,xxi,
12),changeurse dit : hatatadjar.
(S)Motd'originearabe{a\*ir ou émir), qui avait païaé en
arméniendéjà au vn*siècle (ap. J.-C); cf. II. HÛBICBMAMI,
ArmenUche
Qrampiatik...(Leipzig,1891),p. 300,
ENTl'RQl'IE
IÏS AHMFMENS
IOI
faire ou pour ne pas fairo telle ou toile chose,
pour favoriser ou pour déposer telle ou telle
personne, et ils pouvaient changer à leur gré
le patriarche, sur une simple recommandation
auprès d'un pacha influent.
Cette autorité leur venait de leur fortuno
matérielle; car ils entretenaient de leurs dons
le patriarcat, les institutions de bienfaisance et
les églises. D'écoles, onne parlait pas beaucoup
en ce temps-là. L'administration
patriarcale
n'était donc ni absolue, ni purement ecclésiastique; elle avait à ra fois un caractère mixte et
mais en réalité, elle était conconstitutionnel;
fuse et irrégulière, comme le régime qui présidait alors aux destinées des peuples ottomanisés.
n'était pas
Toutefois, l'élément
populaire
absolument méconnu. Dans des circonstances
les a mira cherchaient à avoir
exceptionnelles,
le consentement et l'appui des chefs de corporations,
appelés
esnàf-bachi
(1); quelquefois
(1}Chaquecorporation(sia/, pluriel arabe etnd/),avait ses
loiset ses règlementsparticuliers; des agents nomméspar le
gouvernementveillaient&leur exécutionstricte. A lajêle de la
corporationétait placéun kiahiaou kéhayaavec un vjll-bachi
ou subttitut; tous les deux étalent placéssous le contrôlede
Vltlambol'Kadiii.Cf.MOUIUDOXA
Tabltaugénéralde
D'OBSSO*,
l'Empireottoman,éditionin-8, t. IV, p. 223.Le mot etndf a
pris divers sens en turc; il désignait,entre autres, ceux qol
exerçaientuu commerceou une industriedéterminésen vertu
d'un brevetofficiel.
t.
|OS
mémo
U TOIUDE I.'ARMÊME
on recourait
aux convocations
populaires, auxquelles prenaient part jusqu'à un
millier d'individus ; mais tout cela n'avait aucun
caractère régulier et systématique. C'étaient,
que des délibéraplutôt des démonstrations
tions.
. Tel est le résumé succinct de co qui se passa
pendant la période qui, depuis la conquête de
nous amène aux premières
Constantinople,
entreprises réformatrices de Mahmoud II 'Adil,
vers le milieu du xi.v' siècle. Il faut pourtant
avouer que cette période n'a pas été uniformément 6ombre et triste. Il y eut des moments pendant lesquels on travailla consciencieusement au bon ordre des affaires et à
du progrès.
Les patriarches
l'encouragement
llovhannès
IX Kolot (1715-1741), Hakob II
Nalian (1741-1749 et 1752-1764), et Zakharia II
Pokouzian
(1772-1799), sont dignes d'une
mention spéciale pour le zèle et les mérites
qu'ils ont déployés & préparer et à inaugurer
l'ère du réveil et du progrès de leur communauté.
E\ TIRQIIE
LESARUEMENS
IO.'t
V
Sou* l'Influencedu Tanxlmat.
Reprenant l'oeuvre de son père, Mahmoud 11,
le sultan 'Abdul-Medjld (1839-1861) publiait, le
lb39, le Khalti ttumayoun
9/21 novembre
« Rescrit impérial » que l'on considère comme
la charte essentielle des réformes ottomanes
désignées, en bloc, sous le nom de Tanzimal,
et basées sur l'égalité de tous les sujets de
l'Empire aux yeux du gouvernement, qui doit,
leurs religions et tenir
toutefois, respecter
compte de la différence des races.
Il devait en résulter de grands changements,
à la foi s dans les rapports du gouvernement
avec les communautés, et dans la vie intérieure
de ces mêmes communautés.
Les Chrétiens
étant admis à intervenir dans les affaires de
l'État, celui-ci devait, à son tour, intervenir
dans leurs affaires.
En 1853, un firman impérial confirmait de
façon formelle à cinq chefs do communautés
non-musulmanes, dont le patriarche arménien,
les privilèges anciennement
accordés à ces
lO-t
AITOIRUE I.'ARMÉ.ME
communautés. Trois ans plus tard, le 18 février
1856, un nouvoau règlement, dit Règlement
national des Arméniens, codifiait les règles
d'après lesquelles la communauté arménienne
devait s'administrer. Adopté par une assemblée
denotablesen 1860, ce Règlement reçut l'approbation officielle définitive en 1863. Il fait du patriarche le chef de la nation arménienne, Erment
J/We/*, et l'intermédiaire du gouvernement ottoman pour l'exécution de ses ordres. Un conseil
religieux et un Conseil civil, réunis en cas de
besoin, l'assistent dans l'exercice du pouvoir.
Une Assemblée des notables, divers conseils
spéciaux, des Ephoriés ou assemblées locales,
tous corps élus et dont le Règlement précité
fixe la composition et.les conditions de nomination, prennent part aux gouvernement (1).
Les patriarcats, jusqu'alors
maîtres autodurent se connomes de leurs ressortissants,
former aux lois ottomanes, notamment en ce
qui concernait l'état civil et la procédure judiciaire. L'autorité de leurs tribunaux fut limitée.
ils avaient leurs prisons, pour-*-!
Auparavant,
vaient infliger des châtiments corporels, comme
la falaka (1), condamner à l'exil, à toutes les
©MSTKIN
PI JRHAY,
cilato, pp. 66et sq.
\>pere
(1)VAN
(S)Ce mot arabe désigne « un Instrument composéd'an
morceaude bois, aux deux extrémitésduquel une cordeest
EXTIRQUE
EESARMÉNIENS
IOÔ
sortes de punitions, et il suffisait, pour cola,
d'un simplo mot d'eux. C'est ainsi du reste que
procédaient toutes les autorités du pays. Le
Tanzimat venait de proclamer que nulle punition ne serait infligée sans un jugemont préalable; les patriarcats devaient donc suivre la
nouvelle loi.
11en advint de même des affaires financières.
Les autorités exigeaient auparavant ce que bon
leur semblait, et dépensaient à leur gré; le
Tanzimat prévoyait le contrôle financier, et les
communautés devaient adopter uno forme analogue. C'est en 1840 qu'un conseil judiciaire et
un conseil économique furent créés au patriarcat
arménien, et que les prisons et les verges, les
exactions et les dépenses arbitraires furent
abolies.
avant cette date et immédiatement
un plus grand
après le traité d'Andrinoplo,
changement avait eu lieu au sein de la commitMais
attachée,de manièreà formerun arc ». Ontourne plusieurs
folsla cordeautour des jambes du patient,et, celui-ciélant
réduità l'immobilité,on lui assènedes coupsde bâtonsur la
II, p. 280.Cechâtiment,
plantedespieds.Cf.Dozr,Supplément,
très répandu dansles diverspays de dominationmusulmane,
étaiten usage,non seulementdans les prisons, maisencore
dansles écoleset lesateliers.Ou en trouverauns description
.circonstanciéedans 11.AtuKiLux,Contesel Nouvelles,Irad.
AramEKM»YAH
(Paris,1916),p. S5et'sulv.
lOii
AITOIR|IE |.*AR\IÉ\IE
nauté arménienne. Nous avons déjà eu l'occasion do mentionner les adoptes du caiholicismo
romain qui se trouvaient mélangés aux communautés orthodoxes.
La Cour de Rome et la Royauté française les
favorisaient d'une façon toute particulière,
et
les conversions se faisaient nombreuses, en vue
d'avantages matériels faciles à obtenir. C'est la
raison principale du succès du prosélytisme
Un groupe
catholique parmi los Arméniens.
considérable
avait embrassé le catholicisme
romain dès le xyu* siècle, à Constantinôpie, mais il ne pouvait pas avoir de situation
au
il était obligé de s'adresser
autonome;
clergé arménien orthodoxe pour l'accomplissement des actes religieux de nature officielle,
tels que les baptêmes,
les mariages et les
tandis que pour les actes de
enterrements;
nature privée, tels que la confession, la communion, les messes et les prières, il recourait au
ministère du clergé latin catholique (1).
La Propagande de Rome,* pour renforcer ce
prosélytisme, avait multiplié les prêtres catholiques, arméniens de nationalité et de rite;
elle avait soutenu la formation de deux congrécelle des Antonins au
gations catholiques,
mont Liban et celle des Mekhitharistes
à
DINSTISSDI
(I)Yoir,pour l'histoirede la communauté,VA?»
JIHAT,
opèrectlato, pp. 244-2(5.
LESARMÉNIENS
EXTIRQllE
107
Venise; elle avait créé un siège patriarcal
en Syrie, et adjoint un
arméno-catholique
évéquo arménien au délégué papal do Constantinople. Les secours en argent ot la protection
politique de l'ambassade de France complutaient cette campagne propagandiste.
Le xvm' siècle et le début du xixe siècle sont
remplis do fréquents témoignages d'aniinosité
et de scissions, de troubles et d'hostilités, qui,
de part et d'autre, poussaient aux délations, aux
Le patriarcat arméexils, aux condamnations.
nien s'efforçait d'empêcher cette tendance séparatiste, qui, du reste, ne pouvait être bien vuo
par le gouvernement, par suite de l'hostilité de
l'Occident contrôla Turquie. Lescatholicisants,
au contraire,
inspirés par leurs protecteurs,
allaient jusqu'au fanatisme, voulaient amoner
toute la communauté à leur point de vue, et
s'emparer du patriarcat lui-même. Les querelles intestines, avec intervention éventuelle
ont été presque continuelles
du gouvernement,
pendant la période qui nous occupe Les ordres
émanés du gouvernement
pour disperser les
catholicisants,
regardés comme dos agents
étaient qualifiés de persécutions
étrangers,
religieuses organisées par le patriarcat, tandis
que la coopération do ce dernier n'était qu'un
acte de défense légitime.
Ce désir du gouvernement,
d'éloigner de
I08
AUTOUR
DE L'AIOIEW.
Constantinople les catholiques arméniens nés
dans les provinces, avait été surexcité lorsque
la France avait accordé sa protection armée à
l'insurrection de Morée. L'insurrection
réussit
et se termina par le traité d'Andrinople, qui
devait être profitable aussi aux catholiques
arméniens; car le gouvernement ottoman dut
leur octroyer le droit déformer des communautés à part et d'avoir un patriarcat autonome,
en les séparant définitivement
du reste des
Arméniens et en les érigeant en une Katolik
millet (nation catholique), qui comprenait tous
les catholiques-romains,
de quelque
race
qu'ils fussent. Le patriarcat arménien perdait
de ses ressortissants,
ainsi une partie
40.000âmes environ; mais il y gagnait la tranNaturellequillité et l'uniformité intérieures.
ment le groupe dissident ne devait avoir et
n'eut aucune part aux possessions publiques de
la communauté arménienne, et ce fut le secours
de ses coreligionnaires
latins qui lui fournit
les moyens de fonder des églises et des écoles.
Le gouvernement ottoman, tout en érigeant
les catholiques en communauté autonome, leur
défendait toutes relations directes avec les
Européens, et, comme une conséquence de
cette règle, il refusa de reconnaître comme chef
delà nouvelle communauté l'archevêque Anton
LESARMÉNIENS
ENTl'RQl'IE
ÎCW)
Nouridjan, que le pape s'était hâté de nommer
à cette charge, dès le 15/27 février 1830. Le
exigea l'élection populaire, et,
gouvernement
sur celte base, il accorda, le 22 décembre 1830
du patriarcat au
(3 janvier 1831) l'investiture
prêtre llakobos Tchoukotirian. Nouridjan resta
cependant un chef spirituel nommé par le Pape,
taudis que Tchoukouriah détenait les fonctions
comme chef national nommé par le sultan. Celte
division du pouvoir continua dans la communauté catholique jusqu'à sa réorganisation
en
1882 ; mais, auparavant, elle avait pris fin partiellement, en 1869, lorsque Mgr llassoun fut
nommé, en même temps que patriarche, catholicos de Sis, siège du chef suprême religieux
des Arméniens catholiques (1).
En revenant sur les réformes introduites
dans le patriarcat arménien, à la suite du Tanzimat, nous devons remarquer
que la plus
grande difficulté fut dé passer du régime autoritaire des amira au système du suffrage populaire. Les amira, prêts à payer et a dépenser,
ne voulaient le faire qu'à la condition de détenir
l'autorité; le peuple qui revendiquait le droit à
n'était pas disposé à solder les
l'autorité
dépenses. Delà, la source de nouvelles compliet de dispositions
cations intérieures
variant
le Vaticanet lesArméniens(Home,18î3j.
(I) Cf.M.OnvAMA*,
1
HO
AlTOin DE l,'.\H\IKNIK
continuellement
jusqu'à ce que le temps et
l'expérience eussent amené une situation normale.
les premiers temps qui suivirent le
àe novembre 1839, le gouKliatt-i-Ilumayoïui
le
vernement
avait chargé les patriarches,
1/13 mars 1840, de percevoir les impôts de
finanl'État, ce qui facilitait l'administration
confiée à un conseil de
cière du patriarcat,
des
membres
pris en dehors
vingt-quatre
amira. Mais avant que cette disposition ne fut
révoquée, le conseil des vingt-quatre se trouva
face à face avec de grosses difficultés et voulut
se retirer en août 1841. On désira alors renouveler l'ancien conseil des dix amira, mais le
peuple exigeait le maintien du Conseil des
Les discussions
durèrent
des
vingt-quatre.
mois, et ne cessèrent que par la création d'un
nouveau conseil de vingt-sept membres choisis,
également, dans le peuple et confirmés par
Yiradé impérial du 12/24 décembre 1841. Peu
après, le 11/23 mars 1842, on promulgua la nouvelle disposition, qui enlevait aux patriarcats la
perception des impôts de l'État, et le Conseil
des vingt-sept, tombé dans l'impossibilité
de
faire face aux dépenses, se démit spontanément
de ses fonctions, lej 13/25 novembre 1842. Une
fois de plus, on reconstitua le Conseil des dix
Dans
LESARMÉNIENS
ENTURQUE
III
amira. Mais cette fois, les amira eux-mêmes
en.vinrent à discuter des transactions. Ils portèrent au trône patriarcal l'évéque Matthéos
Tchouhadjian, bien vu par le peuple; et ils
consentirent à la formation d'un conseil mixte
de trente membres, dont seize pris parmi les
amira et quatorze dans le parti populaire.
elle dura
C'était une mesure transitoire;
néanmoins pendant trois ans, jusqu'à ce que
l'idée d'un conseil administratif central, composé d'éléments ecclésiastiques et laïques, eût
été mûrie. La jeune génération des amira, qui
comptait des membres instruits en Europe,
facilita la cho3é, en combattant pour le principe électoral sans restriction et sans privilège.
Ces mêmes jeunes amira interposèrent
leur
influence
du gouvernement
pour
auprès
l'obliger à y consentir, et le 7/19 mai 1847,
l'ordre de, procéder à une élection fut promulgué.
Celte élection eut lieu deux jours après. Le
20 mai (1erjuin), les deux Conseils, dûment confirmés par la Sublime Porte, furent convoqués,
le conseil religieux avec quatorze membres, et
le conseil civil avec vingt membres, qui, réunis,
devaient former le Haut-Conseil du Patriarcat (1).
ORHASMN,
l'Eglise,arménienne(Paris 1910),
(1)Cf. MALACIUA
p. 12.
112
DE U'ARMÉNIE
AUTOUR
A partir de ce jour, après huit années de
fluctuations, de 1839 à 1847, le patriarcat adopta
normale
un nouveau système d'administration
et stable, qui devait contribuer merveilleusedes écoles et des
ment au développement
éludes, du culte et des institutions de bienfaides
sance, comme aussi aux améliorations
affaires commerciales et.industrielles.
Une jeunesse nombreuse, instruite dans les collèges et
les universités d'Europe, et plus spécialement
de France, fit de son mieux pour accroître la
des Arméniens et
réputation et le bien-être
préparer une ère meilleure pour la Nation.
,
En cette même année 1847, le prosélytisme
souaméricains,
protestant des missionnaires
tenu par l'ambassade
réussit à
d'Angleterre,
obtenir, pour ses adeptes, le droit de se constituer en communauté autonome, sous la dénomillet (nation protesmination, de Protestait
tante). Là devaient se trouver réunis tous les
sujets ottomans, sans distinction
protestants,
de race et de dénomination
professionnelle,
mais fa presque totalité était formée d'Arméniens, au nombre de 15.000 âmes environ (1).
des comCes deux séparations successives
munautés catholique et protestante détachées
ut JIHAV,
SIEKJI
opèrecilato, pp. 218-22'i,
(I) Cf.VASOR*
LESARMÉNIENS
ENTURQUIE
II3
lui ont
de la communauté-mère
arménienne,
apporté sans doute des dommages sensibles,
en affaiblissant son unité d'action et d'efforts,
et en créant une lutte continuelle,
tantôt
ouverte, tantôt sourde, pour enlever à la communauté-mère des adeptes qui iraient grossir
leurs rangs. Le nombre actuel des membres de
ces communautés détachées est plus du double
de ce qu'il était à leur création (1).
D'autre part, ces parties séparées devaient
entrer en coi tact immédiat avec les peuples
européens qui les soutenaient ; ce qui devait
et intellectuellement
à
profiter matériellement
la race arménienne
en général, en encourageant parmi les Arméniens les relations, les
sentiments
et les. tendances
civilisés, et en
attirant sur l'élément arménien l'attention des
peuples d'Occident. Cependant, il ne faut pas
oublier que Ions ces avantages n'étaient pas
liés au reniement de l'Eglise
indispensablement
nationale pour l'adoption d'une religion étrangère.
(I) Oo compteaujourd'huide 60.000à 70.000le nombreJe»
protestantsarménien»,et à peu près autant de catholiques.
Il/|
AUTOUR
DE I/ARMÉNIE
VI
Verala constitution nationale.
Le systèmo inauguré en 1847, par la création
du Haut-Conseil administratif composé de deux
sections, l'une religieuse et l'autre civile, fut
observé pour une période de
régulièrement
treize ans, avec des élections biennales. Chaque
renouvellement
y apportait un élément plus
instruit et doué de,meilleures intentions, pour
donner au système adopté une conformation
plus parfaite, et pour le consolider. Deux éléments, pendant cette période, donnèrent plus
d'efficacité à ce môme système et lui fournirent
une organisation, sinon absolument complète,
du moins satisfaisante.
Le premier se trouva dans la nécessité qui se
faisait sentir de préciser les droits et les devoirs
de tous ceux qui, soit comme électeurs, soit
comme élus, venaient d'acquérir une particiLe nouveau
pation aux affaires nationales.
système avait été inauguré sur des normes
absolument discrétionnelles.
Il pouvait durer
quelque temps, tant que durerait l'enthousiasme
delà première heure; mais les choses devaient
I,ESARMÉNIENS
ENTURQUIE
Il5
changer dès que les circonstances créeraient
des complications, des prétentions et des luttes.
Le conseil élu en 1856 s'occupa plus spécialement de cette situation, mais sans résultat, et
il laissa à celui qui lui succédait, en 1858, la
tâche de régler définitivement la question.
Le second point qui contribua à l'accomplissement de cette oeuvre fut' le développement
des entreprises réformatrices
inaugurées par
le gouvernement
ottoman. Autant la Sublimé
Porte voulut bien apporter des réformes dans
la gestion des affaires, autant les communautés
voulurent voir se préciser leurs attributions et
leurs privilèges. La campagne de Crimée et
l'intervention
dans les affaires
européenne
intérieures de la Turquie, les pressions qu'on
exerça sur elle pour lui faire adopter un système complet de réformes, tout cela devait
induire le gouvernement ottoman à publier un
nouveau Khatt-i-Hitmayoun, en date du 6/18 février 1856, Khatt-i-Humayoun dont les puissances prirent acte dans le traité de Paris du
30 mars 1856 (article IX). Ce nouveau fxrman de
réorganisation
reçut le nom de lslahat ou
Réformes. Cet acte, entre- autres dispositions,
garantissait le maintien des attributions et des
privilèges des communautés non-musulmanes,
à condition cependant que ces attributions et
ces privilèges fussent spécifiés et formulés par
Il(ï
AUTOUR
l>EI/ARMÉNIK
un règlement organique, soumis à l'approbation du gouvernement et sanctionné par un
iradé impérial. Cette condition venait légitimer
les exigences du parti libéral arménien, qui
réclamait un règlement précisant les droits et
les devoirs des nationaux.
Une première ébauche de règlement avait
élé élaborée le 22 mars (3 avril) 1857 ; mais il
n'avait point obtenu l'agrément du gouvernement, et on dut recourir à une nouvelle rédaction, laquelle fut confiée à une commission de
vingl-quatre membres, et présenta son projet à
la communauté convoquée le 25 décembre 1859
(6 janvier 1860). La communauté chargea une
nouvelle Commission d'en faire la révision et
la rédaction définitive. Comme le patriarche
Kévork Kércstedjiân se montrait peu favorable
aux visées libérales de la Commission, on
dut d'abord remplacer le patriarche.
Sarkis
Kouyoumdjian fut élu le 2/14 mai 1860 ; le
14/26 mai, il prit possession de son siège, le
24 mai (5 juin) il fut reçu par le sultan, et le
même jour, le règlement national était lu,
approuvé et promulgué dans une réunion générale et publique. On procéda ensuite à l'élection de l'assemblée générale élective, qui ratifia
officiellement le dit taclo ou charte, le 25 août
(6 septembre) 1860.
LESARMÉNIENS
ENTURQUIE
I | -}
Cet acte fut rédigé en double : en arménien
pour la communauté arménienne, et en turc
pour le gouvernement. Le titre arménien porle
le nom de Sahmanadrouthiun
et le turc celui de
Nizâmnamé. Le mot arménien correspond à
celui de Constitution, dans sa double acception
de règlement quelconque,
pris selon l'usage
ancien, et de délimitation du pouvoir absolu,
d'après la technologie moderne ; tandis que le
titre turc ne signifie que Règlement, dans le
sens pur et simple du mot.
. La communauté, tout en présentant cet acte
à l'agrément et à l'approbation du gouvernement, commença à régler son administration
conformément aux dispositions arrêtées. Les
affaires marchèrent plus ou moins régulièrement pendant 17 mois environ ; puis la mort-du
patriarche de Jérusalem et l'élection de son
successeur motivèrent des discussions et des
troubles, par suite des conditions requises pour
les candidats.
Comme ces discussions
se
basaient sur les dispositions du règlement de
mai 1860, et que les partis dissidents recouraient à des mesures alarmantes, le gouvernement intervint et proclama l'annulalion de la
il
Constitution qu'il n'avait pas sanctionnée;
suspendit le régime constitutionnel, accepta la
démission du patriarche Sarkis Kquyoumdjian,
confirma l'élection
deoètepaii
'Magharian,
I|8
DE I.ARMÉXIE
AUTOUR
évoque d'Armache, comme locum tenens ou
et nomma
gérant clu patriarcat (téghakal),
d'office un conseil mixte pour l'administration,
se passaient
du patriarcat. Ces événements
vers le milieu d'octobre 1861.
Quant à la sanction delà constitution, le gouvernement nomma d'abord douze Arméniens
" faire la
:
revision, puis le 12/24 février
pour
1862, il demanda à la communauté de renommer
sept délégués, pris dans son sein. Les délégués du gouvernement et de la communauté
terminèrent
très.vite leur travail et présentèrent dès le 16/28 février, la nouvelle Constitution, qui n'était autre que celle de mai 1860,
avec quelques modifications de rédaction plutôt
que de sens.
Pendant cet intervalle, le sultan Abdul-Aziz
avait succédé en 1861 à son frère Abdul-Médjid.
Le gouvernement retarda la ratification de la
Constitution et toutes les insistances réitérées
du patriarcat demeurèrent
Le
infructueuses.
peuple, à bout de patience, attaqua le patriarcat,
le 1/13 août 1862, en chassa le locum tenens et
les conseillers, ferma les portes, et s'en alla
déposer les clefs à la Sublime Porte. Le général
Sélim pacha vint au patriarcat le 9/21 du môme
mois, avec des forces militaires, pour réinstaller
le locum tenens et le conseil, et il repartit en
laissant une compagnie en garnison. Mais le
ENTURQUIE
LESARMÉNIENS
I 1(J
locum tenens et les conseillers se refusèrent à
et ils
assumer une si lourde responsabilité
exposèrent, eux aussi, l'urgence d'une ratification immédiate. Enfin, après maints tiraillements, la sanction désirée fut octroyée avec
quelques nouveaux changements opérés par le
et elle fut communiquée
au
gouvernement,
locum tenens, par l'office d'Ali-pacha, ministre
des Affaires étrangères, le 17/29 mars 1863 (1),
On chargea immédiatement un conseil provisoire et une commission spéciale de l'exécuet de l'appel des élection de la constitution
tions qui devaient fournir le Conseil général ou
Le 25 août (6 septembre),
assemblée.
il fut
procédé à l'élection des deux conseils administratifs, et le 15/27 octobre à celle du patriarche
dans la personne de Boghos Taktakian, archevêque de Smyrne.
La Constitution nationale était enfin légalement et définitivement entrée en vigueur.
(1)> Commeou sentit le besoind'<i-irèglementpour déterminer leur compétence(des Conseilsdu Patriarcat)et régler
leurmodedegestion,on élaboraenfinune constitution[sahmanadroulhiun)ou statut arménien(1860).Cet acte importantfut
soumisà lasanctiondu gouvernement
ottoman;maisson approbationne fat pas obtenue sans difficulté.Carce ne fut qu'an
bout de trois ans de négociations,et après maintesdémonstrations populairesque le Divanse décida à accomplircelte
formalité (1863).» MALACKIA
ORHASIA.N,
l'Église arménienne,
pp. 72-13.
120
AUTOUR
l>EI.'AHMÉNIE
VII
Résuméde la constitution.
Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire de
présenter une étude comparative de la première,
de la seconde et de la troisième rédaction do
Étant
nationale arménienne.
la Constitution
de donné le caractère forcément sommaire
celle esquisse, nous préférons expliquer brièvement la Constitution qui devait obtenir enfin f
l'approbation du gouvernement ottoman, et qui
constitue encore aujourd'hui la loi fondamental'; sur laquelle se fonde la communauté
arménienne en Turquie.
Celle Constitution contient 99 articles, divisés
en cinq chapitres, dont le 1" intitulé : Administration centrale comprend .les articles 1-84;
le 2'. Règles générales pour les conseils, 85-89;
le 3\ Contribution nationale,90-93; le /»•, Administration
nationale des diocèses, 94-98; le
5", Révision de la Constitution, 99.
Comme on le voit, c'est l'administration
du
patriarcat qui absorbe la plus grande partie de
elle concerne, le patriarche, les
l'ensemble;
LESARMENIENS
ENTUKQITE
131
conseils, les commissions, les éphories et l'as*
On y commence, selon
semblée elle-même.
mais
l'ordre hiérarchique,
par le patriarche;
d'abord l'assemblée,
nous examinerons
selon
l'ordre d'activité.
est composée de 140 membres
L'assemblée
âgés de 30 ans au moins; 20 sont des ecclésiastiques élus par le clergé de la capitale ;
40 laïques sont élus par les assemblées diocésaines, et 80 autres laïques sont élus par les
paroisses de la capitale. C'est donc la capitale
avec 4/7 do
qui y joue un rôle prépondérant
; tandis que les
laïques et 1/7 d'ecclésiastiques
laïques des provinces n'y figurent que dans
les proportions
de 2/7, et les ecclésiastiques
du
des provinces n'y sont pas représentés
tout. Mais auparavant les provinces n'avaient
aucune participation dans l'administration centrale.
Les membres de l'Assemblée recevaient leur
mandat pour dix, ans, et étaient renouvelable
par cinquième tous les deux ans ; ses sessions
s'ouvraient tous les deux ans vers la fin d'avril
et duraient deux mois à partir du jour de l'ouverture officielle.
Les fonctions ordinaires de l'Assemblée sont :
1* élection des conseils administratifs;
2° vote
du budget préventif; 3° contrôle du budget ;
4° délibération sur le compte-rendu général des
fit
|>EI. ARMENIE
AUTOUR
conseils sortants;
5° rédaction
des règlements
particuliers.
Ses attributions extraordinaires sont : 1° élection du patriarche de Constantinople ; 2° élection du patriarche de Jérusalem ; 3° participa*
tion à l'élection du catholicos d'Etchmiadzin ;
4° questions de conflits entre le patriarche et
les conseils ; 5° questions au-dessus de la compétence des conseils ; 6° révision de la Constitution. Pour ces derniers cas, on doit
avec
convoquer des sessions extraordinaires
l'autorisation préalable du gouvernement.
Les conseils administratifs
sont au nombre '
de deux : l'un religieux, l'autre civil ; siégeant
ensemble, ils forment le Conseil mixte.
Le conseil religieux
comprend
quatorze
membres ecclésiastiques de tout rang, élus par
l'Assemblée générale sur la triple liste formée
par le clergé de la capitale. Sa compétence
regarde les affaires spirituelles et les personnes
des ecclésiastiques.
Le conseil
civil devait être formé de
20 membres, mais il avait été réduit, ultérieusont élus par
rement, à 14. Ces membres
l'Assemblée, parmi des personnes môme qui
n'en font pas partie. Sa compétence roule spéd'économie et
cialement sur des! questions
d'enseignement.
ENTURQUIE
LES \R\IÉNIENS
l'j'i
Le consoil mixte s'occupe de l'administration
nationale en général, des droits et des privilèges du patriarcat, des questions diocésaines,
et de tout ce qui exige l'action commune des
éléments ecclésiastique et laïque.
Les conseils administratifs sont assistés par
des commissions spéciales, chargées des études
préparatoires dans chaque branche, de la surveillance et des enquêtes sur les corps inférieurs. Telles sont :
formée do
La commission de l'instruction,
sept membres laïques, élus par le conseil
civil ;
La commission dés finances formée également de sept membres laïques, élus par le
conseil civil •
.
,
La commission des monastères, formée de
et laïques, élus
sept membres ecclésiastiques
par le conseil civil;
La commission des testaments,
formée de
trois ecclésiastiques et de quatre laïques, élus
par le conseil mixte ;
La commission d'économie, formée de sept
membres laïques, élus par le conseil civil, pour
la gestion intérieure du patriarcat ;
La commission de l'hôpital, formée de neuf
membres laïques, dont doux médecins diplômés, élus par le conseil civil pour administrer
l'Institut central de bienfaisance, comprenant
124
l»E l.'VRMÛME
AUTOUR
l'hôpital des malados, l'hospice des pauvres,
l'hôpital des aliénés, et l'hospice des orphelins,
le tout pour les deux sexes.
Les jugements
relevant du patriarcat re'les affaires matrimogardent
spécialement
niales. Un tribunal de première instance est
institué, comprenant
quatre membres ecclésiastiques et quatre laïques, tous mariés et
âgés de 40 ans au moins, élus par le conseil
mixte et siégeant sous la présidence du vicaire
"
. .*
patriarcal.
Les conseils religieux et civil, siégeant séparément, fonctionnent comme tribunal d'appel,
d'après la nature du point contesté, et le conseil mixte figure comme tribunal de troisième
instance.
Les paroisses sont administrées
par des
éphories entièrement composées de laïques, au
nombre de trois à douze, d'après l'importance
de la paroisse, élus par les paroissiens au vote
direct. Leur compétence embrasse les intérêts
matériels des églises, les écoles, les pauvres,
les petits litiges domestiques, les rovenus journaliers, les biens immeubles, et les actes de
et de statistique.
chancellerie
se trouve à
Le patriarche de Constantinople
comme
la tête de tout ce rouage administratif,
président suprême et comme autorité exécu-
EXTURQUIE
LEStRUÉNIENS
11*1
tive. Il doit être évoque et appartenir au
nombre de ceux qui relèvent
directement
d'Etchmiadzin ; il doit être sujet ottoman depuis
sa naissance ; se trouver sur le territoire ottoman au moment de son élection, et être Agé de
35 ans au moins.
Le clergé de Constantinople vote la liste des
éligibles. L'Assemblée élit, d'après cetto liste,
à la simple majorité de voix, et elle présento
l'élu au gouvernement,
avec la signature do
tous les électeurs. Le gouvernement se réserve
le droit de no pas ratifier cette élection, mais
jusqu'ici, il n'y a pas eu d'exemple de refus. Le
cntholicos d'Etchmiadzin
le fait
reconnaît
accompli.
Tout Arménien de sexe masculin et sujet
ottoman, domicilié à Constantinople,
Agé de
25 ans et payant une contribution annuelle de
75 piastres (15 fr. 75) est électeur pour les délégués à l'Assemblée. Pour les élections des
éphories paroissiales, la contribution annuelle
de 25 piastres (5 fr. 25) suffit. La contribution
annuelle est obligatoire pour, tout Arménien, a
l'Age de majorité, qui possède une occupation
lucrative. La somme à payer est 25,50 et
75 piastres, d'après les conditions respectives
de chacun. Les sommes supérieures sont volontaires et non imposées.
Le titre d'électeur est acquis de droit aux
laG
AUTOUR
I»EI/ARVIÉXIE
aux
fonctionnaires
de l'État, aux médecins,
et aux auteurs.
membres de l'enseignement
L'âge d'éligibilité
pour les charges nationales
est fixé à 30 ans, et à 25 ans pour les charges
paroissiales. Sont privés de ces droits les condamnés pour'crimes,
les condamnés par auto*
rite patriarcale, les condamnés en correctionnelle jusqu'à l'accomplissement
de la peine, et
les aliénés.
La Constitution
contient plusieurs articles
concernant le» formes d'élections, les modes de
convocation et de délibération;
les formalités
de chancellerie,
lès particularités
des compétences, qui sont conformes aux règles généralement admises en ces matières, et qu'il serait
superflu do reproduire ici.
Les administrations
diocésaines
sont calcenquées sur le modèle de l'administration
trale; elles tiennent compte de l'importance
des diocèses, et en réduisent proportionnellement le nombre des membres. Les élections
des gérants, des assemblées
et des conseils
administratifs des diocèses sont assujetties à la
de l'administration
confirmation
centrale
du
au
On, admet aussi le recours
patriarcat.
diocépatriarcat contre les administrations
saines.
i
La revision des articles de la Constitution
LESARMÉNIEN»
ENTURQUE
II7
est autorisée après cinq ans d'exercice. Les
revisions doivent être étudiées par une commission de 20 membres, pris 3 dans chacun des
conseils religieux et civil, 2 dans chacune des
commissions d'instruction,
des finances, des
monastères et des jugements et 6 au sein ou en
dehors de l'assemblée, tous confirmés par le
gouvernement.
L'administration
qui régit le pays de 1872 à
1873 a élaboré des instructions spéciales pour
les diocèses, les paroisses, les monastères, les
testaments, les écoles, et les relations avec le
ces instructions se trouvent tougouvernement;
jours en vigueur comme règlements intérieurs.
Pour le patriarcat de Jérusalem, l'Assemblée
générale de Constantinople
possède le droit
d'élire le patriarche sur une liste de cinq candidats présontés par la congrégation, de voter
le budget, de contrôler les comptes, et de juger
et de décider dans les contestations survenant
entre le patriarche et ses administrés.
La manière dont l'Assemblée doit participer
à l'élection du catholicos d'Etchmiadzin n'est
et
pas précisée, et dépend des circonstances
des exigences de la législation de Russie.
La Constitution ne fait pas mention spéciale
Leurs
des catholicos de Sis et d'Aghthamar.
diocèses sont compris dans le nombre de ceux
qui relèvent directement de Constantinople, et
ia8
I* L'ARUÉNIE
AUTOUR
les catholicos sont élus par les assemblées
localos et confirmés par l'Assemblée générale.
L'exposé que nous venons de fairo suffit,
claire de
idée
une
donner
pour
croyons-nous,
de la communauté arménienne,
l'organisation
telle qu'elle a été formulée, en conformité avec
ses usages traditionnels.
de la comLe règlement ou la constitution
munauté grecque, dont la confirmation impériale est antérieure à celle de la Constitution
arménienne, est plus restreint pour l'élément
laïque. Il n'y a qu'une assemblée transitoire et
dans l'élection du paélectorale;
purement
est décitriarche, la voix des métropolitains
sive ; pas de conseil civil, mais seulement un
conseil mixte, avec l'addition d'une minorité
laïque an conseil religieux ou synode des métropolitains. C'est ainsi <;ue le synode et le conseil
mixte ne sont pas assujettis au contrôle de
l'Assemblée. Le budget et les finances appartiennent exclusivement
au conseil mixte. Le
droit d'élection
est circonscrit à une classe
restreinte ; la majorité des électeurs est comdu
posée des ayants-droit,
indépendamment
Il y a seulement, en
devoir de contribution.
du gouvernement
plus, l'assistance
pour le _
ce qui manque
payement des contributions,
dans le règlement arménien, et ce qui est, pour
lui, une cause de faiblesse intérieure,
ENTURQUIE
LE*AHMÊNIENS
IÙQ
vin
Apres U constitution nationale.
et complète
du
La jouissance
pacifique
régime constitutionnel, accordé par le gouvernement, ne fut pas de longue durée. Des
divergences, occasionnées par des conflits do
pouvoir, surgirent en 1866 entre les conseils
religieux et civil à propos de l'accusation
portée contre un prêtre d'Erzeroum. La Sublime Porte, informée du litige, voulut intervenir, et, par la missive du 20 mars (l,r avril)
1866, prenant motif de certaines circonstances
réglementaires,
suspendit les deux conseils
administratifs en y substituant un conseil mixte
de sa nomination ; elle ne permettait à l'Assemblée que la question de revision, que l'Assemblée, à son tour, confia à une commission
spéciale. Le projet de celte commission fut
communiqué au patriarche le 7/19 mars 1868,
et les discussions qui s'en suivirent obligèrent
le patriarche Taktakian à présenter sa démission, et le conseil mixte à se retirer également.
La situation étant redevenue plus calme, le
i3o
AITOURDEL'AR«I:NIE
gouvernement, à la suite do l'intervention de
tels que S. Scrvicen,
notables arméniens,
K. Odian, A. Dadian, P. Féronkhan, N. Roussinian, S. Aslanian et autres, accorda l'autorisaet de
tion d'élire un nouveau
patriarche
reprendre le système administratif d'après los
Mkrlich Khrimian
formes constitutionnelles.
fut élu le 4/16 septembre 1869, et la reprise de
la Constitution fut inaugurée le 4/16 décembre
de la mémo année.
Tout marcha régulièrement sous le patriarcat
de Khrimian, et sous celui de Nersès Yarjabôdian, élu le 24 avril (6 mai) 1874, décédé lo
1884. Ces deux
26 octobre (7 novembre)
vraiment
animés de sentiments
patriarches,
patriotiques, jetèrent les yeux sur l'état lamentable des provinces, et voulurent apporter
aux vexations dont
quelques soulagements
étaient victimes les Arméniens des provinces
intérieures.
Non seulement ils furent secondés par les
conseils administratifs, mais ils reçurent aussi
l'assistance de l'Assemblée générale qui,depuis
avait commencé à tenir des
sa réouverture,
séances régulières chaque quinzaine. Un premier rapport sur les maux dont souffraient les
provinces fut rédigé par une commission spéciale et présenté à l'assemblée le 8/20 octobre
1871 ; après délihération, il fut soumis à l'atlcn-
LESARMlSlLNS
ENTURQUIE
|3|
(ion du gouvornoment.
Ces démarches furent
ronouvoléos,mais elles domcurèrent sans grand
résultat. Le patriarche Yarjabôdian réitéra à son
tour les démarches, pour faire cesser les vexations dans les provinces, au moment où les
et des Rulgaros
querelles des Rosniaquos
étaient prises en considération, et où l'onospérail voir s'ouvrir une ère do réformes. La Constitution ottomane du 23 décembre 1876 (4 janvier 1877) fut accueillie comme le prélude de
ce nouvel état do choses. Malheureusement,
non seulement elle devait être uno mesure stérile, mais encore, elle fut vito retirée, et le
Coup d'État de 1878 mit un terme à la Constitution ot aux espérances qu'elle avait légitimement fait naître.
Le patriarche Varjabédian ne renonça pas
copendant â ses efforts. H avait présenté au
gouvernement ottoman un projet do réformes
sur la base
dans les provinces arméniennes,
d'une administration
locale, ce qui avait été
mal interprété dans les hautes sphères turques.
de San*
Il voulut .profiter des conférences
Stefano pour plaider la cause des réformes
arméniennes
des
auprès
plénipotentiaires
russes, et il obtint l'insertion de l'article 16
dans le traité de San-Slefano. Quand les puissances imposèrent aux belligérants le Congrès
doRerlin et la révision du traite de San-Slefano,
i'S'J
AUTOUR
l>EL'ARMÉNIE
la Sublime Porte conseilla au Patriarche d'envoyer des délégués au Congrès. La Porte cherchait ainsi à faire avorter l'autonomie de la
Bulgarie par la multiplicité des quémandeurs,
tandis que lo Patriarche espérait obtenir enfin
un résultat tangible. L'article 16 de San-Stefano
devint l'article 61 de Rerlin.Mais l'interversion
des chiffres produisit l'interversion des affaires.
Les destinées
de l'Arménie
des réformes
passèrent de l'action énergique d'une puissance
victorieuse aux mains de six puissances ayant
entre elles de nombreuses divergences de vues
et d'intérêts.
L'article fut considéré comme •
lettre morte et la Porte eut la grande habileté
do saisir au passage l'occasion favorable qui lui
était offerte et qu'elle avait en quelque sorte
provoquée (1).
Pendant ces négociations, le patriarche Yarjabédian avait recours, non seulement au conseil des hommes experts en politique, mais
aussi à l'assistance de l'Assemblée générale, qui
discutait en pleine séance les questions de
et de
vexations, de plaintes, de réformes
démarches, concernant, toutes, la situation des
(t) « Lesréformesstipuléesau Congrèsde Berliaen fareur
«Jel'Arménietarque n'ont pas eu pour leschrétiensde ce paja
le moindrerésultat; la situationdevintsaut cessepins intolérable jusqu'à l'aunée 1894où le feu qui courait éclata...•
art. 'Arméniedans VEncyclopédie
de Chlam, t. 1,
STRBCK,
p. 449.
EXTURQUIE
LESARMÉNIENS
|33
ou, mieux, des terriprovinces arméniennes,
toires habités de préférence par des Arméniens.
On avait aussi retracé les limités de ces terrides habitants
toires et fait le recensement
arméniens qui, à cette époque, formaient la
majorité de la population. Telle fut l'origine de
la question arménienne.
ottoman venait de voir
Le gouvernement
l'élément bulgare, la dernière des races chrétiennes de la Roumélie, échapper à sa domination, après la Roumanie, la Serbie et la Grèce.
H s'était habitué à regarder d'un mauvais oeil
l'élément prépondérant
parmi les chrétiens, à
le poursuivre et à le persécuter dans la crainte
de le perdre. Quand les races européennes
se
furent libérées du joug, ce fut le tour des éléments asiatiques,
et l'arménien en était sans
contredit le plus important. C'était donc à son
tour de devenir l'objet des persécutions
traditionnelles. Cor.:me motif, il y avait la démarche
du patriarche en vue des réformes, démarche
qui avait été l'objet de discussions dans l'Assemblée arménienne ; ces faits avaient provoqué la mention officielle des Arméniens dans
les traités internationaux, attiré l'attention des
puissances et la sympathie de la presse européenne universellement exprimée.Si l'on ajoute
II à
à tout cela un sultan comme*Abdul-llamid
I3.'I
AITOIR ne L'ARVIÉNIE
la tête du gouvernement
ottoman, on conçoit
bien quo cela suffit pour expliquer les perse'
cutions habiles et cruelles qui allaient éclater
contre les Arméniens. Kt elles ont commencé,
en réalité, bien avant que les Arméniens, exaspérés par les souffrances, aient pensé à l'action
en vue de préserver
leurs vies,
défensive,
leurs biens, leur sécurité et leur honneur.
II, les ArméJusqu'au règne d'Abdul-llamid
niens fournissaient tout le fonctionnariat techottoman (1). C'est le
nique dans, l'empire
régime hamidien qui a brisé cet état de choses :
1° en éliminant la bourgeoisie arménienne des
postes qu'elle occupait auparavant ; 2° en rcm-J
plaçant dans les pays kurdes les propriétaires
arméniens par des propriétaires
kurdes. Ces
mesures vexatoires conduisirent les Arméniens
à organiser
la révolte (vers 1891); à cette
révolte, Hainic* répondit par les massacres. Ce
sont, à nos yeux, les deux points principaux
qui marquent le règne du sultan Abdul-Hamid.
les ArméEt, une fois la tempête déchaînée,
(I)« Ona leurrél'Europeavec l'idéede l'égalitéet del'admission des chrétiens aux emploisquand on sarait que de tout
temps il y en eut dansles fonctions,sinon élevées,du moins
lucratives.Les populationsappartenantà la religion du Christ
en ont-elles été plus heureuses? On devait songer plutôtà
améliorer l'administrationen général et faire que les musulmanset les chrétienspussent vivre en paixsous un gouvernementhonuêteet bien orgauisé», dit IIAULGASEM
[LesSultans
ottoman*,t. Il, p. 33S).
E\ TURQUIE
LESARMÉNIENS
l35
niens, sujets ottomans, ne furent soutenus ni
par les Allemands, qui tenaient à lour clientèle
turquo, ni par les Russes, qui ne pouvaient pas
encourager en Turquie un mouvement nationaliste arménien, qui aurait eu de trop fortes
répercussions au Caucase. Or, après les massacres, il no fut fait aucune démarche, ni pour
en prévenir le retour, ni pour donner une
sanction quelconque.
La nécessité s'imposait dès lors aux Arméniens d'essayer de se défendre eux-mêmes. Un
premier symptôme d'action se manifesta à
Erzeroum en 1892, et, deux ans plus tard, en
1894, le même mouvement se produisit à Sassoun. Or, bien avant ces dates, les Arméniens
étaient devenus l'objet de délations, de poursuites et de persécutions
de la part des autorités ottomanes et à l'instigation du sultan. On
leur prêtait gratuitement
des idées séditieuses
et séparatistes, quand ils ne demandaient que
le droit de jouir d'une existence sûre et tranquille.
l3fi
AUTOUR
DE L'ARMÉNIE
IX
Diverses phases de la question.
Les relations traditionnelles
et séculaires,
qui unissaient les Turcs et les Arméniens,
venaient de subir une transformation radicale.
Jadis, comme nous l'avons déjà dit, on pouvait
qualifier les Arméniens de Turcs chrétiens, et
les Turcs d'Arméniens
musulmans. C'est précisément par l'abolition de cet état de choses
que Abdul-IIamid a commencé sa politique, en
créant et en cultivant des dissensions intestines
et des antagonismes de races.
C'est le Kurde qui forme la presque totalité
de l'élément musulman en Arménie ; c'est lui
que l'on désigne surtout sous le nom général de
Turc. Or le Kurde se considérait autrefois bien
plus près de l'Arménien que du Turc proprement dit. Et cela, avec raison. L'Arménien elle
Kurde étaient les autochtones, tandis que les
Turcs n'étaient que les débris des hordes
ta tares. Les troupes kurdes formées pendant la
dernière guerre avaient montré clairement
qu'elles n'étaient guère disposées à faire cas
LESARMÉNIENS
EXTURQUIE
des vrais
|37
Môme les
intérêts de la Turquie.
exigences de l'islamisme n'étaient pas respectées par eux; les mosquées étaient rares dans
les districts qu'ils habitaient. On risquait do
voir le rapprochement
des Arméniens et des
Kurdes se changer en coalition, au cas d'un
mouvement libéral dans les provinces asiaLes troubles
causés par le Chaikh
tiques.
Oubéidullah avaient éveillé l'attention.
Un des premiers
moyens employés
pour
éviter la réalisation d'une telle perspective fut
la création des troupes hamidiennes. Cette institution conservait
aux Kurdes leur vie à
exclusivement adonnée au bridemi-sauvage,
et loin de toute initiative de vie
gandage,
industrielle
et civile. Ensuite, en militarisant
ces tribus, on leur conférait amplement ledroft
d'exercer
librement
et sans aucune entrave
leurs moyens d'existence illégaux. En outre, on
commençait à les'« turquifier », pour ainsi dire,
en les soumettant aux conditions musulmanes
et en les familiarisant
avec les usages turcs.
C'est dans ce but que l'on construisit des mosleur expédia
quées dans leurs montagnes,qu'on
des fonctionnaires
civils pris parmi les religieux musulmans, et qu'on créa à Constantinople une école spéciale pour la jeunesse de la
noblesse Kurde (1), à l'effet de lui imprimer le
[i) 'AchtretM'kMi Écolede la Iri'hu•.
3.
|38
R DEL'ARMÉNIE
AUTOl
caractère voulu. Toutes ces mesures étaient
d'insinuations
et d'instructions
renforcées
secrètes et habiles, pour créer et pour cultiver
un esprit hostile aux Arméniens.
les vexations devaient acNaturellement
croître chez'ceux-ci l'exaspération des esprits ;
les tortures devenues insupportables devaient
produire des mouvements, qui allaient servir
et impide prétexte pour sévir rigoureusement
toyablement contre eux. Voilà le cercle vicieux
que la politique hamidienne a créé autour de la
question arménienne, et dont elle a usé pour
justifier ses cruautés, aux yeux des puissances
européennes. Bien que l'opinion publique et la
presse libre aient élevé la voix contre les actes
inqualifiables du Sultan Rouge, les cabinets
ont cru bon de demeurer inactifs, semblant
donner raison à la politique hamidienne, qui
leur représentait
ses actions brutales comme
des répressions légitimes.
A côté de cette action indirecte, on inaugura
une action directe contre l'élément arménien,
action fondée sur des privations systématiques
cl des difficultés gratuites, exercées spécialement dans le but d'ôter aux Arméniens les
ressources qui rendent la vie aisée et paisible.
Il suffira de mentionner les obstacles qu'on
mettait aux voyages à l'étranger, les difficultés
EXTURQUIE
LESARMÉNIENS
l3c)
de circulation dans les provinces, la défense
pour les provinciaux d'habiter dans la capitale,
et celle qui empêchait l'exercice de professions
qui auraient occasionné ou nécessité des relations suivies avec les pays ou les navires de
ordre donné aux établissements
l'étranger,
de ne pas employer d'Arméniens,
étrangers
sur les bâtiobligation de voyager seulement
ments battant pavillon ottoman, arrestations
arbitraires sur toute délation, emprisonnements
prolongés sans motifs et sans interrogatoires,
le traitement
des criminels appliqué à tout
Arménien arrivant dans la capitale, fût-il muni
de toutes les pièces, eût-il rempli toutes les
formalités requises.
Nous ne voulons pas parler des massacres
qui, commencés à Sassoun en 1894, étendus
aux provinces pendant 1895, perpétrés dans la
capitale elle-même en 1896, ont continué sourles années
noisement
suivantes,
pendant
comme un vaste incendie qui consume lentement mais sûrement.
Les relations officielles entre le gouvernement et la communauté n'étaient pas dans une
situation
Pour être conséquente
meilleure.
avec elle-même, la politique hamidienne tîevait
affaiblir le pouvoir du patriarcat et la gestion
administrative
de la communauté, car c'était de
là que cette dernière puisait le peu de soutien
l/|0
AUTOUR
DE Î.'ARMÉXIE
et de force qui lui restait. Le patriarche Varjalu.nian acheva les dernières années de sa charge
les
fji»squ'en 1884), au milieu des tracasseries
dont il cherchait toujours à
plus tatillonnes,
sortir par l'habileté. Abdul-Hamid ne pouvait
oublier le rôle, que ce prélat avait joué pendant
les traités de San-Stefano et de Berlin, et les
propositions qu'il avait avancées soit devant le
ottoman, soit devant les puisgouvernement
Mais il connaissait égalesances européennes.
ment l'influence qu'exerçait
le patriarche en
dehors aussi bien qu'au sein de sa communauté ; de sorte qu'au lieu de le contrecarrer
il cherchait à le gagner par de
ouvertement,
fausses avances et dés largesses. Varjabédian,
sur ce qu'il pouvait
à son tour, désillusionné
attendre des puissances européennes,
obligé
de ménager le gouvernement
hamidien, dut se
montrer conciliant, sans, toutefois, rien sacrifier de ses demandes de réformes, en vue du
soulagement de l'élément arménien.
commenD'un autre côté, les Arméniens
<-t
çaient à prendre conscience d'eux-mêmes,
ils arrivaient à la conviction que rien ne serait
possible tant qu'ils n'auraient pas recours à une
action défensive.
La première
tentative de
défense nationale eut lieu à Erzeroum en 1882.
On pensait alors que la Russie, fidèle à la poli-
LES.ARMÉNIENS
EXTURQUIE
l/|!
de Pierre le Grand, renoutique traditionnelle
vellerait à brève échéance ses efforts agressifs
contre la Turquie, et que, celte fois-ci, ce serait
du côté de l'Asie qu'elle organiserait
l'attaque
principale. En outre, on pouvait espérer que,
pour empêcher, tout au moins pour diminuer
l'effet des brigandages
et des vexations conune
serait
tinuelles,
énergique
opposition
exercée et pourrait imposer aux Kurdes, encouragés par le gouvernement,
plus de modération. 1On chercha donc à former des comités
d'action, on se mit à armer chacun, et à s'associer en groupes de coopération.
Ce premier
pas ne pouvait demeurer ignoré, et les arrestations et les poursuites commencèrent en 1882
même ; les procès furent suivis des condamnations de 1883, les premières dans la série interminable des procès politiques. Malachia Ormanian,évoque d'Erzeroum, accusé de connivence
avec les rebelles,Tut rappelé à Constantinople ;
il put échapper à la condamnation et le patriarcat
réussit à obtenir
une amnistie, l'année suivante, pour tous les condamnés, ainsi que le
retour d'Ormanian à son siège épiscopal.
Le patriarche Varjabédian, accablé de maladies et de chagrins, terminait sa vie peu do
jours après, à l'âge de 47 ans, sans avoir eu la
satisfaction de voir ses efforts patriotiques couronnés du moindre succès..
Ir|2
AUTOUR
DEI.'ARMÉXIE
X
Événements ultérieurs.
Après la mort de Varjabédian, la communauté chercha à ménager les susceptibilités
hamidiennes
en appelant à lui succéder un
prélatavancé en âge et notoirement connu pour
ses tendances turcophiles, mais en même temps
fidèle et attaché aux droits et privilèges acquis
à la communauté depuis des siècles. Tel était
Harouthioun
ancien archevêque
Véhabédian,
et ensuite vicaire patriarcal de
d'Erzeroum,
Jérusalem. Elu le 25 janvier (6 février) 1885,
il prit possession de son siège le 17/29 avril, et
devait l'occuper jusqu'en juin 1888.
Le pénible état de choses, dont le patriarche
Varjabédian avait vu le début, ne fit que s'aggraver sous le patriarcat de Véhabédian. Une
nouveauté cependant, durant cette période, fut
à
la formation des comités révolutionnaires
l'étranger, avec les débris du premier mouvement libéral d'Erzeroum. Ceux qui avaient été
compromis dan? des affaires analogues ou qui
étaient impatients d'améliorer les conditions
du pays, avaient pris déjà la route de l'Europe
EXTURQUIE
LESARMÉNIENS
lft3
et de l'Amérique, et, plus facilement encore,
celle du Caucase. Les Arméniens de Russie
avaient commencé à s'intéresser vivement au
sort de leurs compatriotes de Turquie, à les
aider et à les soutenir dans leurs tendances
ces
Toutes
circonstances facid'émancipation.
litèrent la création de groupes et de comités
hors de la Turquie, dans le
révolutionnaires
double but de procurer des moyens d'action et
de résistance aux Arméniens de l'intérieur, de
et
soulever l'opinion publique européenne
d'attirer l'attention des puissances en faveur
des persécutés.
Le résultat de ces efforts ne fut pas entièrement conforme à ces prévisions.
L'opinion
publique européenne témoigna un sentiment
tout platonique. Les puissances s'abstinrent de
toute démarche énergique, craignant de causer
une conflagration générale au détriment de
leur accord précaire. Et, tandis que les efforts
des Arméniens de l'étranger ne répondaient
point aux espérances qu'on en avait conçues, le
gouvernement hamidien en prenait motif pour
aggraver plus que jamais ses mesures vexatoires contrôles Arméniens demeurés dans son
empire, pour augmenter les privations et les
tortures, pour prévenir la soi-disant insurrection arménienne qu'il ne croyait du reste pas
même réalisable, mais dont il se servait comme
l44
AUTOUR
DEL'ARMEXIE
d'un prétexte pour écraser l'élément arménien.
Il pensait que cet élément, à lui seul, pouvait
être une- raison de transporter
la question
d'Orient en Asie, et d'y créer des émancipations analogues à celles qu'il avait déjà vues
dans son domaine européen. Plus d'une fois
Abdul-Hamid, appelant en sa présence le
patriarche Véhabédian, le menaça'ouvertement
de ne laisser pas un seul Arménien en vie dans
son empire, et il se réjouissait sans doute des
larmes versées par l'infortuné vieillard sur son
peuple abandonné de tous.
Malgré cette douloureuse situation, et malgré
le peu de force et de ressources dont pouvait
disposer Véhabédian, il put, pendant les trois
ans de son patriarcat, tenir ferme la position
traditionnelle du siège patriarcal et de sa communauté; il ne sacrifia rien des droits acquis;
il continua l'administration
patriarcale conformément au régime constitutionnel, créé par la
à
charte de 18G3, et il résista énergiquement
toute tentative du gouvernement pour en abolir
ou en restreindre les prérogatives. Mais, à la
fin de ses trois années, il quitta le siège de
Constantinople pour passer a celui de Jérusalem, auquel il avait été promu, et qu'il devait
occuper depuis 1888 jusqu'à ces dernières
années, puisqu'il,ne mourut que le 5/18octobre
1910, à l'âge de 91 ans.
LESARM&tlEXS
EXTURQUIE
I^Ô
La succession de Véhabédian fut confiée à
Khorène Achekian, abbé d'Armache, qui n'était
point du tout rompu aux affaires administra*
tives, et dont le tempérament paisible, j'allais
dire débonnaire, devait se plier facilement aux
Élu le 29 sepexigences des circonstances.
tembre (11 octobre) 1888, entré en exercice le
19/31 octobre, il resta au patriarcat jusqu'au
14/26 juin 1894. Les vexations contre les Arméniens, durant ce temps, ne firent qu'augmenter de jour en jour. Les actes officiels du
patriarcat furent paralysés, les séances périodiques de l'Assemblée générale interdites en
1891; les démarches du patriarche considérées
comme nulles.
Ce furent autant de causes qui motivèrent
une recrudescence des agissements révolution*
naires. Des comités s'étaient formés dans la
capitale même, et opéraient clandestinement.
Le patriarche Achekian, pressé entre les exigences arbitraires du gouvernement hamidien
des comités
et les propositions énergiques
secrets, chercha de son mieux à trouver un
modus vivendi tant soit peu conforme aux circonstances ; mais il lui fut impossible de réussir
v
dans cette tâche vraiment difficile et surhumaine, on le conçoit sans peine.
il faut attribuer la cause de son échec, en
partie à la force des pressions contradictoires,
9
l4Ô
DE L'ARMÉXIE
AUTOUR
et en partie à son peu d'habileté personnelle.
des coIl eut à subir même les persécutions
la
mités, sans parvenir à attirer entièrement
bienveillance du sultan, et il se relira enfin
d'une charge qui lui avait valu beaucoup de
soucis et de peines.
Pendant ce temps, la politique hamidienne
avait entrepris,
comme dernier moyen et le
plus énergique, la politique des massacres.'
Elle commença par celui de Sa'ssoun, durant
l'été de 1894.' L'élection patriarcale se fit sous
l'impression de ce triste événement, et sous,
l'inspiralion produite par les protestations des
puissances.
Le nouvel élu était Matthéos Ismirlian (1),
ancien évoque d'Egypte, qui avait la réputation
L'élection
d'un caractère ferme et énergique.
eut lieu le 7/19 décembre 1894, et la prise de
possession le 26 du même mois (7 janvier 1895).
Le gouvernement hamidien s'était vu, pour un
moment, obligé de transiger. 11avait dû agréer
l'élection d'ismirlian, bien que celui-ci ne fût
nullement persona grala; il avait dû en outre
entrer en négociations avec les représentants
des trois grandes
puissances : Angleterre,
Rapportsur unemission
(1)Voirsa biographiedansF. MACLSR,
scientifiqueen Arménierusse el en Arménieturque.v (Paris,
1911),pp. 88-92.
EX TURQUIE
LESARMÉNIENS
1^7
France et Russie, sur un projet de réformes
pour les six provinces, pour ne pas dire les
enprovinces arméniennes. Ces circonstances
Ismirlian à exagérer ses condicouragèrent
tions, quand un délégué du Palais fut envoyé
auprès de lui pour s'entendre directement sur
ce que l'on devait faire. Mais la ruse hamidienne ne cherchait qu'à gagner du temps; les
désarmées par une
puissances se trouvèrent
espèce de projet de réformes, composé de lieux
communs, et dont l'exécution avait été laissée
au bon plaisir du gouvernement, sans la participation et sans le contrôle des puissances
négociatrices.
avait irrité le
L'attitude décidée d'ismirlian
sultan qui allait maintenant jusqu'à voir en lui
un ennemi personnel, qu'il allait chercher' à
abattre par tous les moyens. De nouveaux massacres «généraux et des pillages organisés suivirent le projet des réformes et les propositions d'ismirlian. Commencés à Trébizonde en
octobre 1895, ils allaient faire le tour des six
en
provinces, pour aboutir à Constantinople
août 1890. La presse contemporaine et les livres
bleus et jaunes ont donné les récits navrants
de ces cruautés indescriptibles.
On évalue à
300.000 le nombre des Arméniens tués, Liesses, arrêtés, condamnés, exilés et émigrés en
ces tristes jours. L'évaluation des fortunes, des
l48
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
possessions, des biens perdus est impossible.
Ismirlian, devant une opposition systématique
et une volonté impérieuse, dut démissionner
le 23 juillet (4 août) 1896, après 19 mois de
patriarcat, et le 23 août (4 septembre), il parlait
en exil pour Jérusalem.
En même temps que le patriarche Ismirlian,
les conseils
s'étaient
administratifs
retirés
aussi, et le gouvernement profita de cette circonstance poifr imposer un conseil mixte de
son choix, et un locum tenens ou gérant, de sa
confiance. Parthoghiméos (Barthélémy) Tchamtchian, ancien évéque de Brousse, fut le locum
tenens, et Ohannès Nourian effendi, conseiller
d'État, fut l'àme et le chef du conseil mixte. Ils
entrèrent en fonctions le 27 juillet (8 août) 1896.
Us se soumirent aux vues du gouvernement
pour réviser la Constitution ou règlement de
1863, en ôter toutes les dispositions favorables
au peuple arménien, et lui donner un caractère
essentiellement gouvernemental et clérical. On
incriminait celte constitution comme ayant été
la cause des idées libérales et soi-disant subversives et révolutionnaires,
introduites dans
la communauté arménienne. On voulait aussi
prolonger indéfiniment la durée de l'administration provisoire, afin d'affaiblir l'influence du
LESARMÉNIENS
EXTURQUIE
iflO,
patriarcat et de changer la conformation interne
de la communauté.
Un sourd mouvement commença à agiter la
communauté, à ce sujet, dans le but d'éviter la
que l'on pressentait
catastrophe
prochaine.
Artine Dadian pacha, sous-secrétaire
d'État aux
Affaires étrangères, se mit à la tâche, et il parvint à induire le sultan à permettre les élections
régulières du patriarche et des Conseils, en le
convainquant que c'était une condition nécessaire pour arriver à la révision de la Constitution. L'autorisation
désirée fut accordée ; les
Conseils furent élus le 31 octobre (12 novembre)
1896, et le patriarche le fut le 6/18 novembre,
pour entrer en fonctions le 20 du même mois
(2 décembre).
XI
L* dernière période.
Le nouvel élu fut Malachia Ormanian, ancien
abbé d'Annache, recteur
évoque d'Erzeroum,
du grand séminaire patriarcal qu'il avait luimôme organisé en 1889, tandis qu'Artine Dadian pacha devenait
du Conseil
président
civil. Le patriarche Ormanian occupa le siège
patriarcal pendant 12 ans, jusqu'au 16/29 juillet
I0O
AUTOUR
DE I.'ARMÉXIE
de la
1908, au lendemain de la promulgation
Constitution turque. Le président Dadian devait mourir en octobre 1901.
Cette période fut inaugurée par une amnistie
générale, sollicitée par le patriarche. Plus de
douze cents Arméniens, accusés de délits politiques ou condamnés pour ce motif, en profitèrent. Après cette amnistie, on dut recourir,
de part et d'autre, à des efforts étudiés, afin de
relalivcment
parvenir à établir des rapports
satisfaisants. Tputefois, des massacres furent
de nouveau organisés à Tokat, en février 1897;
mais les protestations énergiques du patriarcat
montrèrent quelque efficacité; des tribunaux
extraordinaires
sévirent, celte fois, contre les
massacreurs turcs, et non contre les Arméniens
qui survivaient aux tueries, comme cela avait
été le cas en 1895 et 1896. Soixante individus
furent condamnés à des peines variées, et le
public turc comprit, sans doute, que le sultan
ne permettait plus les massacres officiels; après
cette date, en effet, il n'y eut plus que quelques
tueries localisées à Sassoun et à Van, et motivées en partie par les agissements des comités
bien malgré lui,
arméniens. Le gouvernement,
ne put profiter de la circonstance
pour les
étendre, et il dut, au contraire, les circonscrire
et les réduire à des Conflits de bandes montagnardes,
LESARMÉXIEXS
EXTUIIQUIE
l5l
Les massacres généraux avaient pris fin,
mais leurs effets se faisaient encore sentir.
Aussi, à un diplomate qui déclarait avec satisfaction que les massacres avaient cessé, le
patriarche Ormanian répliquait qu'ils étaient
plutôt civilisés et plus raffinés. En effet, c'était
le système du feu lent qu'on avait adopté vis-àvis des Arméniens, Toutes les actions, tous les
moyens, qui pouvaient les aidera se reconstituer, voyages, entreprises, commerce, commissions, fonctions, métiers, tout était entravé et
prohibé par des mesures arbitraires et draconiennes. L'instruction même de la jeunesse, le
traitement des malades devaient en supporter
les tristes conséquences. Le sultan abondait en
déclarations de sympathie, mais les instructions secrètes étaient diamétralement opposées
à sej paroles. Les fonctionnaires se pressaient
d'émulation pour maltraiter le plus possible les*
Arméniens, et ceux qui, d'aventure, agissaient
avec humanité, étaient révoqués ou déplacés.
Comme il était impossible de transformer les
idées du sultan, le patriarche était réduit à
chercher à diminuer les tristes suites de ce
système, en recourant aux expédients momentanés ou individuels, et en multipliant le plus
possible ces cas isolés. Il ne cachait à personne
le véritable aspect du système gouvernemental,
déclarant même au sultan, qu'il était reconnais-
l5a
AUTOUR
DEL'ARMÉNIE
sant des ordres donnés, mais qu'il le serait
davantage si ces ordres étaient exécutés.
Les difficultés perpétuelles que l'on soulevait contre l'organisation
constitutionnelle
de
la communauté arménienne étaient toujours en
vigueur. Outré la prohibition des séances de
on exigeait impérieusement
la
l'Assemblée,
revision et le changement de la Constitution
elle-même, en se basant sur l'engagement pris
par Dadian et confirmé par le corps électoral
de 1896. Le patriarche Ormanian ne voulut
jamais s'assujettir à cette condition, et prévoyant qu'on allait mettre tout en danger, si
l'on proposait même un projet partiel, il se
refusa, d'accord avec les conseils, à présenter le
plus inoflensif projet de revision. Il dut, par
conséquent, recourir à toutes les manoeuvres
possibles pour éviter le coup fatal.
Le gouvernement,
à son tour, maintint
ferme sa décision d'empêcher même les séances
de l'Assemblée, indispensables
pour le renouvellement biennal des Conseils administratifs.
Le patriarche Ormanian, toujours avec l'assentiment des conseils et le consentement
tacite
delà communauté, préféra gérer les affaires dix
ans de suite avec les mêmes conseils, plutôt
que de mettre en danger l'existence de cette
si chèrement
achetée déjà. La
Constitution,
suspension forcée de l'exécution de quelques
LESARMÉXIEXS
EXTURQUIE
153
clauses ne pouvait produire la conséquence
fatale que l'on redoutait de la revision imposée.
Au bout de dix ans, le nombre des conseillers
étant sensiblement diminué par les décès et
fut obligé
par les absences, le gouvernement
d'accepter l'élection faîte le 25 juillet (7 août)
1906 sans son consentement
officiel, et de la
valider malgré ses observations. La Constitution de 1863 resta ainsi en pleine vigueur, au
milieu des plus mauvaises volontés. Quant à
l'exécution des clauses, elle avait été observée
dans toutes celles qui n'impliquaient pas l'intervention du gouvernement.
Cette tactique observée par le patriarche
Ormanian pourrait être qualifiée de campagne
défensive, pour ainsi dire : une action conciliante sans faiblesse, une action ferme sans
agression, conformément à la maxime fortiter
in re, suaviter in modo. Le patriarcat n'avait
entre les mains d'autre arme que la justice de
sa cause, et cette justice ne pouvait évidemment prévaloir contre une force brutalement
tyrannique.
D'autre part, les cabinets européens, signataires du Traité de Berlin, et promoteurs du
à
réduits
de
étaient
réformes
de
1895,
projet
une inaction complète, dont nous croyons inutile de rechercher ici mémo les motifs. Que ce
»,
l.V|
AUTOUR
DE l/ARMÉXIE
fût la crainte d'une conflagration générale ou le
désaccord qui se cachait au fond de l'accord
apparent, que ce fût l'indifiércnce sur le sort
d'un peuple martyr ou l'indice de la réprobation sur; la conduite de certains Arméniens,
que ce fût peut-être la conséquence des intérêts matériels que chacun d'eux cherchait à
tirer du gouvernement
ottoman, aucun de ces
motifs ne pourrait éliminer le fait pur et simple,
qui nous intéresse et que nous voulons constater, pour fixer,la situation du patriarcat arménien, privé de toute assistance,
malgré les
engagements pris. Les ambassadeurs ne réponaux demandes et
daient que platoniqucment
du patriarche, de sorte
aux communications
du
qu'il fallait tout attendre, exclusivement,
sultan lui-même, et ne compter que sur le bon
plaisir du maître. Il était donc indispensable
d'user de moyens pacifiques, sans rien sacrifier
de ses aspirations, pour atténuer les fureurs du
tyran ; il fallait quelquefois se passer même de
satisfaction sur quelque point secondaire, pour
ne pas compromettre l'essentiel. C'est par cette
politique qu'on a pu, du moins, obtenir des
amnisties partielles, procurer à la population,
surtout à celle des provinces, sinon la cessation, au moins la diminution des prohibitions
perfides, préparer les, mesures indispensables
pour leur subsistance, leur faciliter les affaires,
EXTURQUIE
LESARMÉXIEXS
55
conserver, enfin, l'élément national, dans l'ai*
tente de jours meilleurs.
avait reçu l'apCe système d'administration
probation de la communauté demeurant dans le
pays, surtout de celles des provinces. Mais il
n'était point du goût des émigrés et des comités
d'action formés en Europe et en Amérique, au
Caucase et en Perse. Ceux-ci auraient désiré
voir suivre une politique agressive, anticonciliatrice
et révolutionnaire
; ils cherchaient
même à forcer la main au patriarcat, en provoquant des incidents dans les provinces limitrophes du Caucase et de la Perse, en faisant
des irruptions avec de petites bandes, ou bien
en organisant à l'étranger des manifestations
menaçantes. 11 aurait été facile de leu laisser
une libre action, et de ne pas même s'il téresser
à leurs agissements, si ceux-ci n'avaient pas dû
provoquer des répressions vindicatives sur les
populations indigènes, et fourni des prétextes
aux vexations et aux mesures exceptionnelles
du gouvernement hamidien.
#
Cette différence de vues entre l'action du
et celle des comités a valu au
patriarcat
des pamphlets
et des
patriarche Ormanian
attaques dans les organes des comités révolutionnaires, des lettres de menace, provenant de
l'intérieur du pays et de l'extérieur,
et même
un attentat contre sa vje et une balle à l'épaule.
l56
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
Le patriarche ne se relira pas cependant, convaincu qu'il était qu'on ne pouvait déserter pendant la guerre ni abandonner son peuple devant
le danger. Il menaça, il est vrai, le gouvernement de se retirer, mais seulement dans un cas,
où il avait à défendre un droit traditionnel du
ne
patriarcat, contre lequel le gouvernement
pouvait se prévaloir d'aucune raison plausible :
c'était lorsqu'on voulut séparer la Cilicie du
patriarcat de Constantinople, et quand on imagina de donner un caractère légal et normal
Devant cette attiaux mesures exceptionnelles.
tude énergique et quasi menaçante, le gouvernement dut opérer un mouvement de recul et
se contenter des soi-disant mesures de sûreté
générale «t policière (1).
Tel est le caractère général de cette période,
que nous dénommons la dernière, parce qu'elle
a précédé immédiatement la proclamation de la
liberté. Pendant celte période, et malgré toute
e%pèc* de difficulté, on a pu encourager les
et de bienfaisance, doter
oeuvres d'instruction
au* dernietsjomnd'Abdul(t)CJ. pAVLttscMtConstdntimopU
l\amU{Vàx\9t
WT), p. âSI et H|. Cet «image,reproduitla plus
gtw4* partie 4e la LelUt **x Arménien*daoa Uqualle le
prfeeeSabftfced-Dfeeiftorteceux-cià renoncer4 l'actionré?otatteeaaire;quf,touten efeetebtft4 provoquer«M intervention
M ïEuf»»e,•* fclaâit que eon>frowett/é t'ireatr, et c*u»ait
ttttafit é» »•* *W Armiekai e«i-«éut«squ'euxTurc»,
EXTURQUIE
LESARMÉSIEXS
l5}
les institutions de nouvelles ressources et de
constructions récentes, régler les affaires des
administrations diocésaines, diriger régulièrement l'administration
centrale, et arriver à recueillir par des souscriptions particulières, et
malgré le refus de l'autorisation gouvernementale, la somme de 82.500 livres turques, soit
1.896.000 francs, somme qui fut employée à soulager les éprouvés, à entretenir une trentaine
et environ quatre-vingts écoles
d'orphelinats
rurales, créées dans les pays dévastés par les
massacres.
XII
Apres le liberté.
•
Au strict point de vue historique, nous devrions ici même mettre un terme à celte esquisse
déjà fort longue. Les événements qui se sont
déroulés depuis le mois de juillet £908 ne sont
pas encore arrivés au point qui permette de les
juger, et l'on n'écrit pas l'histoire de faits inachevés et dont les conséquences inattendues se
placent en dehors de toute prévision humaine.
Nous croyons cependant nécessaire, avant de
conclure, de donner quelques indications qui
l58
AUTOUR
DEI/ARMÉXIE
éclaireront la situation actuelle, au moment où
la Turquie, refoulée de l'Afrique, sur le point
de l'être de l'Europe, sera plus que jamais appelée à vivre en bonne intelligence avec ses sujets
asiatiques.
La proclamation de la liberté le 10/23 juillet
1908 à Monastir, et sa confirmation le 11/24 juillet à Constantinople vinrent bouleverser inopinément la situation. En un moment où tout ce
qui datait de l'ancien régime était voué à l'ostracisme populaire, un groupe d'Arméniens,
inspirés des vues et des idées des comités révolutionnaires, voulut également s'en prendre au
patriarche, qui, tant bien que mal, avait eu le
courage de défendre les intérêts de la communauté contre les fureurs hamidiennes. Le patriarche Ormanian n'hésita pas à se retirer, et il
démissionna le 16/29 juillet, cinq jours après la
proclamation de la liberté. La situation nouvelle qui devait en résulter pour les Arméniens
doit être considérée, en quelques lignes seulement, au double point de vue de la communauté
en elle-même, et dans ses relations avec lé nouveau régime ottoman.
Le nombre est restreint des années qui se
sont écoulées depuis l'ère nouvelle, et déjà plusieurs titulaires se sont succédé sur le trône
patriarcal. Elisée Tourian, évéque de Smyrne,
prit l'intérim après la démission d'Ormanian,
EXTURQUIE
LESARMÉNIENS
lÔQ
puis il laissa la place à Ismirlian, de retour de
l'exil et unanimement fêlé comme une victime
de l'ancien régime. Ismirlian, réélu patriarche
le 22 octobre (4 novembre) 1908, prit possession
de son siège le 31 octobre (13 novembre). Le
jour suivant, il était élu catholicos d'Etchmiadzin, cl le °/22 février, il se retirait du patriarcat.
Ohannès Archarouni, évoque de Brousse, appelé
à l'intérim, le garda jusqu'au 5/18 juin 1909,
date de la prise de possession du patriarche
Tourian, élu le 22 mai (4 juin). Celui-ci se relira
à son tour le 2/15 février 1911, après 20 mois
de patriarcat, dont une bonne partie avait été
passée en démissions et en absences provisoires. L'archevêque Vahram Mangouni fut
ensuite appelé, le 23 février/8 mars 1911, à la
tête des affaires comme patriarche intérimairei
El il en fut ainsi jusqu'à ce jour, où nous enregistrons une série de nominations et de démissions des patriarches arméniens de Constantinople, tous actes provenant de la situation
difficile qui était faite au chef de la communauté
par les événements intérieurs et extérieurs.
Le même spectacle nous est offert par les
conseils religieux et civil qui, tour à tour, foncet gérèrent les
tionnèrent, démissionnèrent
affaires par intérim, en attendant un état de
choses meilleur et définitif.
Ce n'était certes pas l'effet que l'on aurait pu
lOo
DEï/ARMÉNIE
AUTOUR
attendre du nouveau régime de liberté, qui, en
dotant le pays de la Constitution ottomane, autorisait la communauté arménienne à jouir sans
contrainte de sa propre constitution. Celte Constitution, qui avait pu être gardée intacte pendant la longue période du régime lyranniquc,
et en faveur de laquelle le patriarche Ormanian
avait déployé tous ses efforts afin que son existence ne fût en rien atteinte, aurait dû, à cette
heure, être l'ancre de salut de la communauté,
et non point une raison d'envenimer les passions et de réduire la communauté à une situa'
tion fort critique.
A notre point de vue, — et ici que l'on nous
—
nous
nous
notre
si
erreur
pardonne
trompons,
à notre point de vue, l'origine réelle de cette
pénible situation réside dans l'altitude des
membres des comités révolutionnaires
qui, de
tous les côtés, se donnèrent rendez-vous
à
accueillis et
Favorablement
Constantinople.
frénétiquement fêtés durant les premiers jours
de la proclamation de la liberté, comme des victimes de l'ancien régime et des facteurs du nouveau, ils se sentirent, pour un moment, flattés
dans leur amour-propre et conçurent la velléité
de faire main-basse sur tout ce qui datait d'avant
la révolution, pour organiser à eux seuls un
nouvel état de choses et un nouveau système
d'administration nationale*
*
LESARMÉNIENS
iGl
ENTURQUIE
De là, une source de difficultés et de conflits.
Les comités étaient plus d'un, et leurs tenLes principaux,
dances assez dissemblables.
ceux dont les noms sont le plus connus chez
nous sont : Hentchak (la clochette), Dachnaktzouthiun (Fédération), Vérakazmial (Le Réformé) (1) et Ramkavar (démocratique), et chacun de ces comités voulut être à la tête des
affaires, ce qui ne pouvait produire que des dissensions. Les Dachnakistes furent les plus habiles à gagner une certaine prépondérance; de
ce chef, ils provoquèrent i'animosité et l'hostilité des autres. En même temps, ils voulaient
combattre et exclure l'élément dominant, qu'ils
se plaisaient à dénommer bourgeoisie dans le
sens péjoratif d'aristocratie.
C'est l'élément
paisible, conservateur et tant soit peu dise, qui
n'aime pas les transformations brusques et les
tendances poussées à l'extrême, mais qui renferme suffisamment d'expérience, de prudence
et de moyens matériels, toutes qualités indispensables pour mener à bonne fin une entreprise.
Ajoutez à cela le mouvement intellectuel,
que les membres des comités, rentrés de leur
émigration, avaient provoqué et qu'ils voulaient inculquer de force aux populations de la
(I) Ou: le Reconstitué,
iGa
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
à peine réTurquie, aux paysans ignorants,
veillés de leur longue torpeur. La doctrine
les
les Revendications
ouvrières,
socialiste,
mouvements grévistes, la libre pensée, l'enseignement antireligieux, jusqu'aux principes du
tout cela comcommunisme et de l'anarchisme,
mençait à bouillonner dans les jeunes cerveaux
des membres des comités, mais ne pouvait que
troubler la situation, créer des difficultés administratives et fort médiocrement
intéresser le
lui le
paysan arménien qui n'a pas derrière
passé historique des populations européennes.
Depuis que la liberté est proclamée, l'élément arménien qui a réellement contribué à ce
succès, et qui avait tous les droits à en recueillir les fruits, non seulement n'en a nullement
intéprofité, mais encore son organisation
rieure n'est pas meilleure qu'auparavant,
et ses
affaires ne sont pas plus brillantes que par le
passé.
Nous arrivons à une dernière considération
relative aux rapports de la communauté arménienne avec le nouveau régime. Peut-être celuici n'a-1-il pas vu d'un mauvais oeil le tour que les
Arméniens venaient de donner à leurs affaires,
à leur propre détriment. On a voulu attribuer
une arriére-pensée
au soutien que les Jeunes?
LESARMÉNIENS
ENTURQUIE
lG3
Turcs ont donné aux comités dachnakistes (1),
plutôt qu'aux autres comités, plutôt qu'au patriarcat môme, afin de coopérer et de prendre
part d'une manière plus intime aux discussions
et aux dissensions qui étaient nées de ce chef.
C'est un bruit qui eut une certaine consistance,
mais dont on ne saurait, à l'heure actuelle,
établir le bien-fondé.
se basant sur le
Le nouveau gouvernement,
grand principe de l'égalité, et considérant que
tout privilège et toute immunité est incompatible avec l'égalité, veut établir comme point de
départ l'abolition des immunités ecclésiastiques
et des privilèges des patriarcats, comme un
hommage à l'égalité constitutionnelle.
Voyons
en quoi peut consister cette égalité.
Dans les pays où l'élément est homogène,
et où la question religieuse se trouve placée
hors de l'ingérence gouvernementale,
on peut,
dans une certaine mesure, se faire l'idée d'une
égalité générale et idéale; tel serait le cas en
Italie et en France, actuellement. Mais dans les
pays où les races sont différentes et où les variétés religieuses contribuent à la formation de
corps distincts, on ne saurait arrivera un état
(I) Les Dichnakistesétaient, pendant ces dernierstemps,
atec l:s Israélites,les seuls non-Musulmans
nui ne se fussent
pas séparés du ComitéUnionet Progrès.Cf. la lievuedu
I. XXI,décembre1912,p. 211.
MondeMusulman,
it)^
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
normal qu'en fusionnant les différents éléments,
ou bion en traitant les diverses parties sur un
une
est
fusion
La
relative.
hypod'égalité
pied
thèse difficile à réaliser; c'est bien plutôt une
utopie
L'Angleterre,
qui passo pour être à
l'avant-gardo des pays de liberté, n'a jamais pu
fusionner los Irlandais, L'Autriche, le prototype
des pays à races différentes, a dû multiplier ses
diètos et ses ministères.
La Turquie, où les différences des races sont
ancréos et
plus accentuées,
plus solidement
plus anciennes, et où elles sont doublées de
différences religieuses poussées jusqu'au fanatisme, doit concevoir un système d'égalité qui
lui soit spécial; elle no saurait en aucun cas
copier l'Italie ou la Franco.
Les Jeunes-Turcs ont des prétentions à être
un régime de type européen, avec égalité civile
ot égalité politique, la religion devant y être
une affaire privée qui n'interviendrait
pas dans
les affaires publiques.
Mais les principes de l'Islam sont exactement
en contradiction avec ce postulat; et il faut do
toute nécessité la notion des privilèges pour
contre-balancer
le droit de veto du cheikh-ulislam.
Je m'expliquo : le gouvernement
actuel de la
Turquie a mis en avant le principe ù'ottomanisation générale, sans pouvoir préciser le sens
LESARMÉNIENS
|65
ENTURQUIE
pratiquo do ce mot, ou l'étendue de l'action
impliquée par ce vocablo. Co quo l'on conslato
on réalité, à bien observer les hommes et les
choses, c'est plutôt la turquification,
puisque
l'on so propose d'abolir le nom et l'individualité dos races et do consacror l'existence de la
race turque musulmane (1), avec la simple tolôrance*pour les individus des autres croyances.
Dans tous les projets de lois nouvelles, on considère à part le Turc musulman comme lo lypo
de l'Ottoman et oh lui gat mlit toutes ses exitandis qu'on imposo aux
gences religieuses,
une laïcisation
et aux israélitos
chrétiens
forcée. Dans le conseil des ministres, le cheikhul-islam, le pontifo des musulmans, a son siège
et sa voix prépondérante, jusqu'à poii»oiroppo;
ser son veto, toutes les fois qu'un projot loucherait aux lois musulmanes. Le respect do la
loi sacrée do l'islam nommée ckériat est proclamé dans tous Us actes officiels et dans tous
les discours du trône. Au Parlement ot au
Sénat, les religieux musulmans en turbans sont
(1) Cf. Panislamismeet Panturquisme,étude publiée récemment dans la Revuedu MondeMusulman(t. XXII,mars 1913,
pp. 119-220}.La politique d'ottomanismeproprementdite,
dont les protagonistesles plus célèbresont été 'AitPachaet
MidbatPacha,faisaità chaque uatioualiléde l'Empirela part
qui lui revenait; voir les Courantspolitiquesdans ta Turquie
(llevuedu MondeMusulman,t. XXI,décembre
contemporaine
1912,pp. 163169).
ititî
AUTOUR
DEL'ARMÉNIE
en prépondérance,
et ils élèvent la voix tottlos
les fois qu'ils croient voir une attaque lointaine
à la Cher t'a t.
Ou les principes religieux sont valables, et il
faut qu'ils aient leur force pour les chrétiens et
les Israélites; ou ils ne le sont pas, et ils no
doivent pas plus être pris en considération pour
les musulmans que pour les adeptes d'autres
religions. C'est ici que le gouvernement actuel,
fait fausse routo, quand il veut
constitutionnel,
respecter la cheriat et abolir les privilèges des
patriarcats et des rabbinats.
Les clauses et les usages, qu'on a pris l'habitude de dénommer des privilèges, ne sont
pas, dans le sens strict du mol, des faveurs
exceptionnelles qui puissent blesser le principe
de l'égalité : ils sont des clauses de compensation pour sauvegarder, jusqu'à un certain point,
la jouissance de l'égalité.
Los patriarcats existants dans l'empire en
général, et le patriarcat arménien en particulier, sont aujourd'hui en conflit avec le gouvernement sur les nouveaux projets de loi et sur
les mesures administratives
prises pour l'étatcivil, le mariage, l'instruction primaire, les institutions de bienfaisance, les successions, les
testaments, les personnalités morales, et autres
actuel
points similaires, que le gouvernement
LESARMÉNIENS
ENTURQUIE
1G7
veut prendre sous sa juridiction, en éliminant
l'action des patriarcats et des autorités ecclésiastiques subalternes.
Dans le régime ancien, il y avait tyrannie
politique complète, mais liberté religieuse et
indépendance civile. Le nouveau régime inlro»
duit une certaine liberté politiquo; ce ne sera
pas un bénéfice pour les différentes nations, si
elles y perdent l'indépendance qu'elles avaient
par ailleurs.
Des privilèges importants, accordés à chaque
nation, seront la rançon nécessaire de ce changement, pour faire le pendant de la situation
de la religion
privilégiée
particulièrement
musulmane.
La Turquie comporte des nations très diverses
et, môme parmi les musulmans, des tentatives
des résistances.
La
d'unification rencontrent
crise actuelle, où se débat la Turquie, a commencé par une révolte des Albanais, et les
Arabes sont trop fiers de leur passé pour se
soumettre aux Turcs, dont ils jugent la culture
inférieure. Les Grecs et les Arméniens soront
encore beaucoup moins disposés à se laisser
assimiler par les Turcs.
Ce n'est pas en appliquant la centralisation
des nations occidentales de l'Europe, mais en
pratiquant un régime tout à fait original, où
chaque nation pourrait garder une autonomie,
lG8
DEh'ARHPMIv
AUTOUR
que les Turcs maintiendront leur empire. Et los
Arméniens ne demanderont qu'à devenir et à
pester les loyaux sujets d'un gouvernement
tolérant et impartial (1).
(t) Voirnotre articleArménieet Turquie,dam leSiècle,Q*du
15janvier 1913.
AltMÉNIE
ET TURQUIE(,)
A cette heure qui semble devoir enfin être
décisive, où les nombreux éléments ethniques
qui constituent le colossal empire ottoman, du
sud de l'Arabie aux rives de la mer Noiro, sont
tous animés d'un véritable soufflo séparatiste,
il ne sera pas inutile peut-être d'indiquer certaines précisions qui auraient pour but d'éviter
un de ces conflits dangereux et pour ceux qui
laissent opprimer et pour ceux qui sont opprimés. Ce n'est pas un discours dogmatique que
l'on voudrait ici même livrer aux méditations,
mais quelques consoils d'un ordre tout à fait
un
do préparer
pratique, qui permettraient
terrain d'entente, à l'issue de la guerre turcobalkanique.
A considérer les Arméniens à travers les
âges, on les voit toujours doués des mêmes
qualités de travail, d'activité, d'ambition, do
des affaires, d'intelligence
compréhension
diplomatique et militaire, qui les faisaient estimer et rechercher, en dehors de leur royaume,
(1)Extraitdu journal le Siècle,n*du 15janvier1913.
10
AUTOUR
HEL'ARMKNIE
170
aussi bion à Uyzancequ'à Dagdad ; plus tard, ils
furent les plus précieux auxiliaires dos croisés;
ils permirent à ces derniers do traverser l'AsieMineure sans avoir trop à souffrir des privations do tout genre qui les guettaient et des
ennemis qui les harcelaient sans cesse.
Mais, de si belles et de si précieuses qualités
ne sautaient aller sans une contrepartie et les
Arméniens
ont eu beaucoup à souffrir, ils
souffrertt encore beaucoup do certaines particularités do leur caractère, qui, par suite d'un
individualisme
poussé à l'excès, ne sont pas
chez uno nation
toujours opportunes,,surtout
appelée à vivre sous le joug étranger; un entêtement que souvent rien ne justifie et qui
devrait plus fréquemment céder le pas devant
une saine compréhension des choses. De, plus,
et c'est ici le côté le plus néfaste du tempérade Ilaïk, l'Arménien
ment des descendants
indiscipliné,
apparaît comme essentiellement
no voulant pas so plier aux besoins du moment,
silence à son moi
no sachant pas imposer
lorsque l'intérêt commun l'exigerait impérieusement. Il est vrai d'ajouter que ces défauts,
atténués et adoucis, ne manqueraient pas, avec
un peu de bonne volonté, de se transformer en
qualités.
Lorsque l'Arménien veut bien se laisser discipliner, lorsqu'il consent à assurer sa collabo-
ET TURQUIE
ARMÉNIE
17!
do tutelle, celto
ration, voiro à tolérerunosorto
collaboration mémo produit les plus beaux
résultats. Lo voyageur qui visito do grands
centres commo Hakou, Tillis, Erivan, Hatoum,
est frappé do l'aisance, du bien-être qui régnent
dans ces villes; c'est quo l'Arménien, essentiellement actif et industrieux,
produit librement, sous lo conlrôlo de l'Etat et avec une vio
régulière, son maximum do rendement. Il sait
qu'uno fois les impôts payés, le surplus de la
recette sera pour lui et il s'efforco do réaliser
une fortune qui no lui sera pas enlevée arbitrairement. Presque toutes les maisons de commerce, presque toute l'industrie du naphte,
dans les villes précitées, se trouvent concentrées en des mains arméniennes.
Les Arméniens ont également un goût très
prononcé pour l'instruction : leurs écoles primaires nationales sont très florissantes dans la
région caucasique, et il suffit de mentionner
l'Institut Nerscssian à Tifiis et l'Institut La/areff
des langues orientales à Moscou, pour montrer
en quelle estime ils tiennent le haut enseignement.
En Turquie d'Asio, il n'en va pas encore de
mémo, mais rien n'empêche d'entrevoir lo jour
où lo gouvernement ottoman, favorisant et laissant s'épanouir librement l'élément arménien,
en fera un des facteurs les plus actifs de sa
17»
AUTOUR
OEL'ARMÉNIE
régénération. Un autre facteur entre ici en J«HÎ,
c'est l'influence française.
L'activité quo développe l'Alliance françaiso,
dans ses nombreuses branches et ramifications,
l'instruction
et l'éducation que reçurent chez
nous nombre de médecins, d'avocats, d'ingé*
nieurs, de commerçants arméniens sortis de nos
principales écoles, contribuent puissamment à
répandre en Turquie, par lo canal arménien,
la mentalité française.
Qu'on nous permette un exemple. D'après la
Revue commerciale du Levant, organe de la
Chambre do commerce françaiso do Constantià
nople, celle-ci a comme correspondants,
à CasAngora, un Arménien, M,,Toumaïan;
tamboul, un Arménien, M. Cavoukdjian ; à
Diarbékir, un Arménien, M. Cassapian, qui est
aussi drogman du vice-consulat de France; à
Erzeroum, un Arménien, M. Elfasian, drogman
du vice-consulat de France ; à Koniah, un Arménien, M. Chiknagour, à Mamouret-ul-Aziz, un
correspondant, M. Aharonian, qui est Arménien
et drogman du vice-consulat de France; à Maarménien, M. Kherrache, un correspondant
lakian ; à Si vas, un Arménien, M. Ansourian,
qui est drogman du vice-consulat do Franco; à
Tokat, un Arménien, M. Derderian ; à Van,
M. W. Sarabey, qui estj Arménien et drogman
du vice-consulat de France,
ET TURQUIE
ARMÉNIE
173
Ces noms pris au hasard indiquent suffisamment quel rôlo les Arméniens jouent dans un
rouago aussi important qu'une Chambre de
commerce; et l'on ontrevoil l'intérêt tout particulier qu'a la France à s'occuper du sort des
Arméniens en Turquie, à s'en faire une clientèle sûre et fidèloet à s'efforcer d'obtenir qu'ils
no soient plus molestés comme par le passé.
Un exemple typique nous revient en mémoire : malgré tous les efforts déjà faits, maigre
les nombreuses faveurs accordées surtout sous
. le r^ègno d'Abd-ul-IIamid, le commerce allemand
n'a pas réussi à s'implanter en Anatolie; et
lorsque des négociants allemands parvenaient
ou parviennent à placer leurs produits, c'était
aux conditions suivantes : les prix courants
doivent être imprimé*- en français, les factures
doivent être libellées en français; en un mot, le
peuple anatoliote est tellement .attaché à la
France que, pour avoir quelque chance d'accès
auprès de lui, il faut lui présenter les choses
en français.
Il semble donc que France et Turquie aient
un intérêt primordial, ne serait-ce qu'au seul
point de vue commercial à protéger les Arméniens, sujets ottomans, qui sont lo principe actif
du négoce sous toutes ses formes en AsieMineure.
Dans les grands centres de commerco ana10.
!>El/ARMÉNIE
AUTOUR
17*•
tolioles, mais do préférence dans ceux des régions maritimes, toul lo trafic se trouve enlro
Jus mains dos Arméniens. A Adabazar, huit
banquiers sur neuf sont Arméniens; les bois
do construction sont aux Arméniens, ainsi que
le commerce des céréalos, des confections, des
cotons, de h droguerie, des vers'à soie, des
pelUleries, des tanneries, des filatures do soio,
etc., etc. Parmi les artisans, les chaudronniers
sont Arméniens dans la proportion de 6 à 8, les
ferblantiers dans celle de 3 à \, les horlogors
dans celle do 4 à 5, les orfèvres dans celle de 2
à 3. Les médecins, les pharmaciens, les photographes, les confiseurs sont Arméniens.
Si nous considérons une autre ville, plus en
contact avec l'Occident, Adana en Cilicie, nous
ferons les mêmes constatations : chez les banquiers, deux sur qualro sont Arméniens; les
négociants en bas de coton sont Arméniens; les
égréneurs do coton le sont dans la proportion
de 4 à G}'les négociants en peaux, les fabricants
de sacs et articles de jute, les propriétaires de
soieries sont Arméniens dans la proportion do
5 à 5. Ce sont eux qui détiennent le commerce
des denrées coloniales, du fer, des métaux, des
fonderies, des machines et fournitures industrielles, de la sériciculture. Les médecins, les
pharmaciens, les tailleurs sont presque tous
Arméniens,
ET TURQUIE
ARMÉNIE
17a
Esl:il nécessaire d'ajouter, après ces chiffres
suffisamment
éloquents par eux-mêmes, que
l'intérêt bien entendu de la Turquie, au point
do vue industriel, commerci.il ot surtout agriavec
cole, est do vivre en bonne intelligence
les Arméniens, de les favoriser, do les encourager autant que possible, et do chercher à fairo
oublier par tous les moyens en leur pouvoir un
passé qui doit être sans lendemain? Ce serait,
en toul cas, de la bonne politique.
Et que demandent,
en éehango, les Arméniens? Pas grand'chose, à nos youx d'Occiden—
taux;
beaucoup, pour leur mentalité d'Asiatiques.
Les Arméniens
la sécurité de
demandent
d'une justice équitable,
l'existence,l'application
le respect de la propriété, do la famille et do
leur culte; et, de grand coeur, lorsqu'ils auront
obtenu ces desiderata, ils deviendront les meilleurs et les plus utiles collaborateurs des Turcs.
Les Arméniens,
en Turquie, n'ont aucune
visée politique; ils ne cherchent nullement à
constituer
une principauté indépendante
: ils
sont, en Asie-Mineure, chez eux depuis plus do
et ils ne demandentqu'à
vingtsièclcs,
y restée;
ils n'émigrent qu'à leur corps défendant.
Le paysan arménien n'est pas utopiste au
point de désirer quitter ses champs do Van ou
do Bitlis pour venir mener une Vie de fortune
AUTOUR
PE l/ARMÈNIE
I76
dans la plaine d'Adana, si fertile soit-elle, Que
son existence et celle de ses troupeaux soient
assurées à Erzeroum, et il ne viendra pas s'installer de bon coeur à Tarso ou à Zéythoun. Le
négociant qui fait de bonnes affaires à Samsoun
n'a nulle envio de s'expatrier
et de chercher
fortuno ailleurs. Ce qu'il demando, ce qu'il
espère, c'est de vivre une vie sauve là où sa
destinée l'a placé.
Il est- désirable, dans l'intérêt même de la
Turquie, que les réformes ci-dessus mentionnées soient appliquées le plus promptement
possible. Le Turc est assez fin et suffisamment
diplomate pour comprendre ce qu'a de grave
la situation actuelle. Qu'il prenne les devants,
qu'il agisse par lui-même, s'il veut éviter qu'un
voisin, sous un prétexte plus ou moins habile,
ne vienne supplanter
la Turquie. Que le gouvernement ottoman ait enfin la sagesse et l'opportunisme d'accorder de plein gré et sans
les réformes qu'il a si longtemps
arrière-pensée
promises. Il fera faire.de la sorte, un grand pas
à la civilisation dans l'Asie antérieure.
Et il
n'aura que des raisons de s'en louer.
LES
ORIGINES DU MOUVEMENT ARMÉNIENl,)
I
L'histoire, à l'heure présente, ost poussée
par des forces si tumultueuses, l'ouragan que
l'on redoutait se déchaîne avec une telle rage
sur le monde, que l'on est contraint de noter
en hâte quelques points, en attendant de connaître la vérité dans la plénitude de sa force
lumineuse. Varandian, en écrivant le premier
volume d'une oeuvre qui voulait établir les
débuts et lo processus historique du mouvement
arménien, pensait bien avoir le temps de parachever cette oeuvre avant qu'éclatât l'orage
des
qui devait enfin provoquer l'intervention
grandes puissances combattant pour la liberté
et l'affranchissement
des peuples opprimés.
(1)Miqavël\xnkxt>\\H,llaykakancharj'man
nakhapalmouthiun
(Lesoriginesdu mouvementarménieu),tome I, Genève,1912,
ln-16,320p. — Extraitde Foi et Vie,les questionsdu temps
présent, revuedé quinzaine.CahierB,n« 19. ^décembre 1915.
AUTOUR
DEL'ARMÉME
178
Les événements se sont précipités, et la collaboration" effective des peuples civilisés aux
côlés des nations persécutées de l'Orient s'est
produite avec une telle soudaineté que l'on no
doit qu'enregistrer
au passage les faits, quant
à présent; l'histoire s'en écrira plus tard. C'est
dire que si jamais le tome II des Origines du
mouvement arménien paraît après la guerre, il
ne seça pas, à coup J-ùr, ce qu'il aurait été s'il
avait vu le jour avant le mois d'août 19Ki. Le
tome I, que nous annonçons aujourd'hui, fait
désormais partie du domaine du passé, il est
entré dans la collection des ouvrages historiques
qui ont provoqué l'intervention
européenne
contre le despotisme turco-germain; il est intéressant à lire, et nous tenons à en signaler
l'esprit et la lettre au public auquel rien de ce
qui est oriental et humain ne saurait demeurer
étranger.
'
:*
#'*
Poète autant qu'historien, patriote avant tout,
Varandian a écrit quelques pages animées d'un
tel amour de sa patrie que l'on voudrait pouvoir
traduire l'ouvrage dans son intégralité. A défaut d'une telle publication, une analysedétaillée
permettra de juger au moins l'importance des
questions traitées. Le lecteur voudra bien reméd'un bref exposé que
dier à l'insuffisance
DUMOUVEMENT
ARMÉMEV 17g
LESOIUGINES
n'anime pas le souffle patriotique de l'auteur,
en lisant à travers nos lignes ce que l'écrivain
arménien a mis de passion et de dévouement
dans sa grande oeuvre.
Vers la grande souffrance. — Une manière
d'un accent lyrique très émoud'avant-propos
vant et d'un slyle hautement philosophique se
propose de pénétrer les arcanes de cette force,
de cette énergie, de cette persévérance qui ont
permis à la nation arménienne de vivre quand
môme dans le tourbillon deslrucicur des invasions barbares, des conversions
forcées, de
l'extermination
toujours poursuivie de celle
race, en un mot dans les terreurs sans cesso
accrues d'une tyrannie toujours grandissante,
Comment ce peuple a-t-il pu se relever de
ses martyres incessants, flotter perpétuellement
et sans sombrer tout entier dans l'Océan infini
de ses tortures et maintenir malgré tout le drapeau de sa nationalité, de sa civilisation, bien
que modeste et précaire? Comment le peuple
et paralysé, a-l-il pu se
arménien,
déchiqueté
relever de ses tourments sans nombre et vivre,
surtout pendant ces vingt dernières années, les
affres d'une crise si terrible qu'elle semble surpasser même les plus effroyables conceptions
de la « Divine comédie » du divin Dante?
Ces considérations
semblent acculer la pensée au paradoxe, et c'estpour/expliquer
quelques
l8o
DÉ L'ARMEXIÈJ
AUTOUR
coins au moins de cet apparent
Yarandian écrit.
paradoxe
que
*
l
RELIGIEUX
ANTAGONISME
A.
sur
. Voici les bases solides et irréfragables
lesquelles s'établit l'édifice historique de l'Arménie.
Les guerres de religion, les guerres pour
obtenir la liberté de conscience ont précédé,
dans le monde occidental, les guerres qui ont
assuré à leur suite les autres délivrances. L'humanité a, tout d'abord, brisé les liens qui entraet ce n'est
vaient sa liberté de conscience,
qu'après ce triomphe moral qu'elle a brisé les
chaînes du despotisme politique, qu'elle a pu,
enfin, aborder le plus grave et le plus inextricable des problèmes, celui de la liberté et de
l'égalité économiques.
Et la nation arménienne, cette petite nation
perchée sur le haut plateau asiatique, n'a pas
elle
fait exception à la règle, en participant,
aussi, à toutes les luttes de l'humanité auxquelles il vient d'être fait allusion; elle a lutté,
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN l8l
LESORIGINES
des siècles durant, au nom de sa foi et de son
église, au nom de ses traditions sacrées.
Sous la domination turque, la vie des Arméniens, surtout de ceux de l'Arménie turque,
devient un véritable martyre. La preuve n'en
est pas dans les seuls historiens arméniens; il
y a aussi le témoignage d'illustres voyageurs
européens, français et anglais pour la plupart,
tels que Tavernier, Tournefort,
Ricaut, Curzon, etc., et le texte de différents Rluc Book du
Cabinet anglais, qui exposent et résument les
relations officielles des consuls anglais en Arménie. Tous ces témoignages montrent, à l'évidence, la barbarie et le fanatisme religieux dont
les Turcs font preuve à l'égard des Arméniens.
Mais comment concilier la tolérance turque
et, en général, musulmane, avec tous les crimes
commis par les Turcs au nom de l'Islam sur
leurs sujets, notamment sur les Arméniens,
tolérance souvent signalée et mainte fois proclamée par quelques voyageurs et écrivains
européens?
Ce simulacre de tolérance islamique aurait
son origine dans le fait que tous les éléments
hétérogènes de l'Empire ont pu conserver chacun, au cours des siècles, sa couleur nationale
el son culte, sa langue et sa croyance religieuse,
et que ces éléments n'uni pas été fusionnés par
les Turcs,alors que c'était cljosc aisée pour eux.
n
l8a
" AUTOUR
DE I.'ARMÉNIE
Pour ceux qui connaissent les idées de derrière la tête des gouvernants musulmans, cette
tolérance est apparente, fictive et motivée par
d'ordre politique et éconodes considérations
mique.
En effet, dès, sa constitution, le système poliou de
tique ottoman a, au lieu d'exterminer
contraindre officiellement à l'Islam les peuples
chrétiens soumis à sa domination, décidé de
de chacun d'eux, de
maintenir la,personnalité
leurs
traditions
leur
respectives,
ménager
langue, leurs religions distinctes, leurs particularités nationales; il a résolu de ménager ces
éléments travailleurs et producteurs, — comme
une sorte de vache à traire perpétuellement
—,
et ces éléments, grâce à leur esprit entreprenant, à leur capacité de travail, à leurs mulpour
tiples aptitudes, étaient tout désignés
faire prospérer
le
l'agriculture,
développer
et nourrir l'élément
commerce et l'industrie,
dominant.
Celui-ci, à la vérité, se présentait plutôt
comme un type réfractàiro à toute civilisation,
familiarisé depuis des siècles avec i'art de la
guerre, habitué au pillage, au meurtre, aux
invasions dévaètatrices;
qui n'avait pas encore
su se dépouiller
de la vie et des moeurs du
nomade et du berger; qui ne s'était pas encore
fait, malgré les siècles, à l'idée d'un état et
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMINIEN 183
d'un travail plus nobles, plus élevés et plus productifs; en un mot, le type par excellence du
parasite, bien décidé à vivre aux dépens de ses
sujets non musulmans.
Vivre aux dépens des populations
chrétiennes, les astreindre à la capitation, maintenir intacte leur entité raciale — quo ne redoudominant militaire — les
tait pas l'élément
réprimer, de temps à autre pour ne.pas leur
«outre mesure »,
permettre un développement
ne pas tolérer qu'en leur sein germent des ferments de révolte ou de mutinerie, si redoutables à la domination de l'Islam, — telle est
l'arrièrc-penséo
qu'abritait l'apparence de libéralisme tolérant du pouvoir turc.
II, Souléiman,
Osman, Mahomet
Ahmed,
Mahmoud, Abdul-Medjid, Abdul-Azizpnt, tous,
dans une mesure déterminée, suivi cette politique; ils ont même, dans une certaine proportion, encouragé leurs sujets chrétiens, en accordant à leurs communautés respectives des prérogatives et des immunités, et en conférant aux
membres de leurs clergés et à plusieurs
de
leurs notabilités des situations brillantes, honorifiques et rémunératrices.
Varandian estime que ces faits ont certes
leur côté utile; que la distinction religieuse,
malgré ses défauts et ses méfaits, a contribué,
dans une bonne mesure, à la conservation natio-
DE'L'ARMÉNIE
AUTOUR
I8/I
nalo de chacun
au joug turc.
des éléments chrétiens
soumis
II
ANTAGONISME
RELIGIEUX
B.
Varandian examine ici la religion islamique;
il en marque, en connaisseur, les traits les plus
saillants et les plus caractéristiques.
Pour ceux qui ont quelque culture générale
et, en particulier, pour ceux qui ont pratiqué
la science comparée des religions, le Coran est
et d'oracles positifs
un mélange d'instructions
et négatifs, de lumières et de ténèbres; c'est,
en un mot, le livre par excellence des contradictions, surtout lorsqu'il s'agit des Infidèles,
des giaours, pour employer le terme consacré.
En effet, Mahomet ordonne expressément à
ses adeptes de massacrer tous les Infidèles,
sans pitié. Ce serait un ordre céleste. H réserve
l'enfer aux Infidèles et le paradis aux Musulmans, aux vrais croyants.
Mais, alors, comment expliquer certaines
instructions de tolérance, en faveur des Infidèles, qui figurent dans l'étrange mélange de
dualisme, de duplicité qu'est le Coran? Se réfé-
DUMOUVEMENT
ARMENIEN 185
LESORIGINES
rant à l'autorité
des principaux historiens et
philologues européens qui ont pratiqué à fond
l'islam, Varandian propose l'explication suivante :
Tant que la domination de Mahomet n'était
pas encore consolidée, le prophète affectait
certains égards pour les peuples chrétiens, leur
promettant qu'il ne les persécuterait pas et leur
adressant la proclamation que voici : « O Infidèles, si vous n'adorez pas ce que j'adore, gardez pour vous votre religion, et moi, je garderai
pour moi la mienne ».
Mais, dès qu'il eut affermi sa situation et renforcé son pouvoir, il changea totalement et de
ton et de tactique. Et c'est alors qu'il dicta les
deux fameux chapitres du Coran, intitulé?
« Epée » et « Guerre », dans lesquels il ordonne
impitoyablement de couper la tête, d'assassiner,
de réduire en esclavage chaque fois et partout
où les Fidèles rencontreront
des Infidèles.
De ces principes coraniques, de ces préceptes
absurdes et équivoques, il est aisé de déduire
le traitement qui fut infligé aux non-musulmans,
et surtout aux chrétiens, dans tous les temps et
dans tous les lieux soumis à l'Islam.
D'ailleurs, en quoi consiste le suprême commandement de la religion musulmane? N'est-ce
pas en la foi et en la guerre sainte (djikad)? Et
le fanatisme et le fatalisme ne sont-il pas les
l86
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
deux puissants leviers de la doctrine do Mahomet?
Ainsi, différence de religion, distinction entre
seigneur et vassaux, antagonisme profond entre
musulmans et raya (troupeau), tel est le principe directeur de la politique turque à l'égard
des diverses races constitutives
de l'Empire,
aucun
auxquelles les Turcs ne reconnaissent
caractère de nationalité^ se contentant de les
considérer comme des communautés.
Et la nation chrétienne arménienne n'a pas
échappé, et encore moins qu'aucune autre, à ce
traitement des maîtres musulmans et barbares.
111
L\ RACEDOMINANTE.
\
Varandian retrace ensuite la préhistoire, ou
mieux la protohistoire de la race turque, surgissant des sleppes infinies de l'Asie centrale
et envahissant l'Arménie dans sa course impétueuse. Il brosse un magnifique tableau de cette
peuplade vagabonde et nomade, type du parasitisme social, guerrier, destructeur et pillard.
Il décrit la marche en avant, dans les immenses
plateaux de l'Asie, des hordes turques, forte-
ARMÉNIEN 187
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ment exercées à la course de chevaux et à l'art
de la guerre, habituées dès l'enfance à manier
l'épée, l'arc et la lance, avides d'élans fougueux
et d'aventures, d'incursions et de pillages, toutes
audacieuses et téméraires, sobres et robustes,
douées, en un mot, de toutes les qualités propres
et indispensables aux races conquérantes.
Au fur et à mesure qu'elles avançaient, elles
s'emparaient de nouvelles terres et occupaient
de nouvelles contrées, sous le commandement
de chefs dont le prestige fut toujours très grand,
comme dans les temps reculés et primitifs de
l'humanité, surtout chez les peuplades errantes
et nomades.
Ainsi guidée, cette caravane immense se dirige par la voie du Turkeslan et de l'Iran vers
l'Arménie et l'Anatolie. Et toutes ceé contrées
se courbent l'une après l'autre devant ces forces
fraîches, vigoureuses et guerrières; et l'on voit
successivement sombrer, dans ces régions déjà
anémiées et sensiblement épuisées, lo Khalifat
arabe, la Perse jadis florissante et civilisée,
l'empire de Byzance désagrégé par d'interminables luttes intestines.
Les intrépides cavaliers turcs arrivent en piétinant tout dans leur marche triomphale; dès
leurs premiers pas, ils trahissent l'empreinte
fatale de leur caractère et de leur nature : ils
dominent les races qu'ils jont domptées, sans
l88
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
être à même de les gouverner; ils soumettent
les Persans, civilisés, et qui leur sont supérieurs; mais ils se voient obligés de recourir
au concours des vaincus pour rétablir l'ordre et
la police dans les pays conquis. Cette vérité
de toute leur
constitue le trait caractéristique
histoire': les Turcs n'ont jamais su, ils n'ont
leurs sujets, nouer des
jamais pu gouverner
liens intimes avec eux; ils sont, au contraire,
restés indéfiniment des étrangers dans les pays
qu'ils ont occupés.
Au cours de leurs mouvements progressifs,
alors qu'elles allaient toujours de l'avant, une
force nouvelle vint imprimer un essor et tun
élan extraordinaires à ces hordes cnv; hissantes
et conquérantes : elles embrassent l'islamisme.
Et c'est alors que, suivant le mot célèbre de
Lavisse, l'alliance des Turcs avec CIslam enfanta un monde. Un monde nouveau, en effet,
naquit de l'alliance de deux puissants facteurs,
la race et la religion, le Turc et l'Islam. Et
c'était, dans l'état chaotique de l'Europe et de
l'Asie d'alors, dans l'anarchie sans nom qui y
régnait, une force nouvelle, torrible et imposante qui montait à l'horizon.
Ces deux forcés, race et religion, étaient animées des mêmes appétits agressifs, du même
désir d'opprimer et de dominer. Elles s'aidaient
et se fortifiaient l'une l'autre. L'Islam passait
DUMOUVEMENT
LESOniGINES
ARMÉNIEN l8y
par une phase critique; il était sur le point de
s'éteindre.
Les races qui l'avaient subi, les
Arabes les premiers, étaient politiquement épuisés. La nouvelle race vint rajeunir la religion
vieillie, lui inspira un souffle et un esprit nouveaux, et fit de son credo la foi d'un Empire
jeune, immense et puissant. I/lslam, à son tour,
stimula encore le zèle dominateur des Turcs;
il eut un chef nouveau, un guide terrible et
vengeur en la personne d'Othman ou Osman, le
père delà dynastie turque actuelle, le fondateur
de l'Empire ottoman.
El voici qu'en s'avançant progressivement,
les Turcs parviennent jusqu'à Brousse; ils s'emparent de Byzance, occupent les Balkans et
poussent jusqu'aux portes de Vienne. Ainsi
s'établit le puissant Empire ottoman, dressant
son front, d'un côté vers l'Asie, de l'autre vers
l'Europe.
Cet État ottoman est bien l'image de la race,
a forme la plus parfaite et la plus concrète du
despotisme asiatique, reposant uniquement sur
la force des armes. Ainsi s'établit la monarchie
absolue des sultans de Turquie, fondée sur le
militarisme, ne possédant pas une classe de
nobles et de feudataircs qui pût la contrebalancer, à l'instar de ce qui se passait dans les monarchies les plus absolues de l'Europe.
Varandian arrive à cclto conclusion que, dans
u.
DEL'ARMÉNIE
AUTOUH
IQO
cet Empire ottoman, il n'y avait que des esclaves
et qu'il faudrait crier au miracle si l'on y rencontrait un seul individu épris de liberté; dans
ce régime de tyrannie orientale, une seule perle sultan-khalife.
sonne était libre;'c'était
du pays,
En outre, toutes les ressources
toutes ses richesses étaient concentrées entre
les mains du sultan; il héritait naturellement
de tous les biens; il possédait tout. Il fallait
avant tout ne pas permettre aux grands du pays
et aux autres éléments de la population de so
développer et de devenir puissants; il fallait
prévenir tout esprit de révolte, toute velléité do
rébellion.
Un tel état de choses ne devait pas favoriser
l'activité économique du pays. D'autre part, pour
des raisons d'atavisme, les arts et les métiers,
ne furent jamais
le commerce et l'agriculture
en faveur auprès des Turcs; ceux-ci détestent
ces occupations, ainsi que les sciences et les
lettres. Seul, le régime militaire est en honneur chez eux. Une des meilleures preuves en
est que la langue turque est excessivement
pauvre pour tout ce qui concerne les termes
d'arts, de métiers, de sciences, etc.
Suivant l'exemple de leurs ancêtres, les Turcs
ils
ne s'adonnent pas volontiers à l'agriculture;
lui préfèrent le métier des armes, et le dolce
far niente, qui en est la suite naturelle. Dans
LESOIUGINES
DU MOUVEMENT
ARMÉNIEN 14)|
toute l'étendue do l'Empire, la meilleure partie
des terres est en friche; et ce sont les Arméniens, les Grecs et d'autres populations qui
s'occupent de l'agriculture.
D'origine tatare, les Turcs ont conservé jusqu'à présent les caractères de leur ancienne
existence dans les steppes, caractères qu'un
séjour de cinq siècles au contact do peuples
civilisés n'a pas pu faire disparaître. La nature
leur a accordé de l'intelligence,
mais elle s'est
refusée à leur donner du goût et des aptitudes
pour les différentes branches de l'activité humaine.
De l'aveu même des Européens qui ont étudié
sur place le peuple turc, celui-ci n'est qu'un
élément paresseux, indolent, armé seulement
de qualités guerrières.
Les Turcs ne sont ni
commerçants avisés, ni cultivateurs capables;
Us sont ou propriétaires
d'immeubles
ou fonctionnaires de l'État. En un mot, le Turc est un
être humain qui consomme inutilement, négligemment et sans profit pour personne. Il vit
aux dépens des éléments non-musulmans,
avec
lesquels il cohabite.
On peut en dire autant de leur conception
économique et de leurs aptitudes destructives.
Dans tout système politique et social, leur
manière de procéder a nom : arbitraire, pillage
et ruine.
iga
C'est
DÉ {.'ARMÉNIE
AUTOUR
ce système qui, joint à l'intolérance
religieuse, provoqua, au xix* siècle, la série des
des élélongues et sanglantes insurrections
ments chrétiens» sujets de la Turquie.
IV
L'AnwÉNiE ET LES ARMÉNIENS
Les considérations
historico-philosophiquos
dans lesquelles
feraient
s'engage Varandian
conclure à une sorte d'antinomie dans l'évolution et la destinée du peuplo arménien. Malgré
les persécutions sans nombre, malgré les nomà
breux moyens de destruction
employés
fait preuve
la nation arménienne
l'anéantir,
d'une vitalité extraordinaire,
qui constitue un
vrai paradoxe.
Un peuple, numériquement
inférieur, soumis
à de fréquents
torrents dévastateurs,
vivant
dans un pays où les conditions climatériques
ne sont pas favorables à un grand développement, sans moyens de communications
rapides
et faciles avec l'Occident civilisé, un tel peuple,
le peuple arménien, a su, au travers des siècles
et malgré des conditions si défavorables, vivre,
progresser, se développer et pousser ces bour-
DUMOUVEMENT
LESORIGINES
ARMÉNIEN lo3
do
geons de civilisation qui lui permettent
prendre conscience de sa valeur, de son droit
à une vie libre, et lui donnent
imprescriptible
moral et matél'espoir d'un affranchissement
riel.
Poursuivant l'énumôration de ces antinomies
plus apparentes que réelles, Varandian ajoute
que ce peuple arménien, bien que confiné dans
l'horizon limité do l'Asie, fut de tout temps un
partisan et un admirateur de la pensée européenne; il fut, il est encore un peuple d'asia"
suivant l'expression
do
tiques européanisés,
Victor Bôrard, un peuple qui, au prix do son
a donné la preuve
sang versé généreusement,
indiscutable do son instinctif attachement à la
dès avant les Croicivilisation européenne,
x
sades et jusqu'à aujourd'hui,
Et cependant ce peuple, durant les périodes
les plus sombres de son long martyrologe, dans
l'enfer perpétuel que lui créait la cruauté musulmane, ce peuple n'a jamais joui, d'une façon
complète et franche, du concours de l'Europe
civilisée ; jamais il n'a obtenu de celle-ci cette
assistance effective qui permet d'escompter un
avenir meilleur au travers des affres du présent
cruel ; et cela, malgré les plaintes maintes fois
renouvelées, malgré les supplications les plus
ardentes,...
malgré, aussi, les promesses formelles émanant des chefs 'des cabinets euro*
IÇ)T
' AUTOUR
DE l/ARMÉME
péens. Cet état do choses a duré depuis la
mission patriotique d'Israël Ory on Europe
jusqu'à la date do 1908.
Quelle était donc la raison puissante de co
rapprochement moral entre le peuple arménien
et les États européens? Quel était le lien intime
qui l'attachait si fortement à la pensée européenne?
Varandian ne nie pas, sans doute, le rôle que
le christianisme joua dans cette oeuvre de rapprochement intellectuel et moral, sans toutefois
en exagérer la portée. Il observe, cependant,
que ce peuple asiatique, humble et lointain,
s'était européanisé par le fait que, dès les premiers siècles de son existence historique, il
s'était enrôlé sous les plis du drapeau de la
véritable civilisation, de celle qui crée et qui
produit et que, malgré des voisins barbares et
sauvages, .il avait cultivé toutes les branches de
la civilisation : l'agriculture, le commerce, les
arts, les divers métiers, les lettres, etc., surtout l'agriculture
et le commerce, éléments
premiers de toute civilisation. Et .Varandian
trace un parallèle saisissant entre deux types
bien distincts, celui des peuplades nomades et
errantes, tels les Turcs et les Kurdes, et celui
des cultivateurs
tels les Armésédentaires,
niens, ces paisibles e,t féconds laboureurs. La
charrue et la caravane furent les deux puissants
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN l{)5
leviers de la civilisation arménienne, les deux
traits caractéristiques
de l'instinct opiniâtre,
créateur et indomptable do la raco.
Les Arméniens, do l'aveu même des historiens les plus autorisés et les plus anciens
(Hérodote, Strabon), réalisent d'incossants prodans lo commerce
grès dans l'agriculture,
d'exportation et d'importation, dans l'art do la
navigation, au point d'avoir su habilement tirer
parti du Tigro et de l'Euphrate pour leurs transactions commerciales avec la Perse.
D'ailleuis,
par sa position géographique,
placée sur la grande voie de communication
entre l'Orient et l'Occident, l'Arménie fut toujours un centre très actif do transactions pour
les produits provenant de l'Assyrie, do la Perse
que l'on dirigeait sur l'Occident on passant par
la mer Noire. C'est une des raisons pour lesentre
d'intermédiaire
quelles la dénomination
l'Asie et l'Europe fut appliquée, à juste titre, à
l'Arménie.
Varandian poursuit le développement do son
idée en relevant les qualités innées du peuple
arménien, comme travailleur, comme commerçant, et surtout sa merveilleuse faculté d'adaptation. Cette dernière qualité valut aux Arméniens de pouvoir se développer
malgré les
obstacles qu'ils rencontraient
partout et en
que leur
dépit de la haine, des persécutions
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
— essor qui
voisins
leurs
puissants
inlligeaiont
dès le xvii* siècle fut magnifique.
Il était réservé à cette classe d'Arméniens
et polyglottes, de
commerçants,
cosmopolites
faire connaître à l'étranger les trésors que receDeux
lait en .son sein le peuple arménien.
— des
hommes énergiques et entreprenants,
surhommes, comme on dirait en Occident —
surgirent au sein de cette race persécutée, et se
firent une grande réputation en Europe à la fin
du xvnd et au début du xvnr» siècle. L'un fut
le pionnier de la renaissance
intellectuelle;
t
l'autre, celui de la renaissance politique.
Le premier alla planter dans les lagunes do
l'Adriatique le drapeau des lettres, de la civilisation arméniennes, en faisant participer l'Europe aux bienfaits de la culture d'une nation
antique et en l'affinant au contact d'une civilisation plus jeune.
Le second alla frapper à la porte des cabinets
informant que, là-bas, au pied et
européens,les
à l'entour de l'Ara rat, le peuple d'asiatiques
européanisés, soumis au joug musulman, gémissait lamentablement
sous ce despotisme, alors
qu'il méritait au contraire de mener une existence plus humaine. 11partit pour faire connaître
aux nations civilisées que la question arménienne était posée de [fait, dès le jour où ce
petit peuple, ami de la civilisation, entouré do
ICjO
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN I07
LESORIGINES
hordes sanguinaires, avait embrassé lo christianisme, acceptant, du coup, toutes les conséquences de la civilisation occidentale.
Le premier de ces pionniers était l'abbé
Mekhilhar; le second, Israôl Ory.
V
ORIGINEDE I.\ QUESTIOND'ORIENT
Premier essai d'indépendance
Arméniens,
tenté par les
C'est une des pages les plus intéressantes de
l'histoire que celle qui retrace l'évolution de
cette Question d'Orient, d'où devait sortir et se
développer la Question Arménienne. Après la
par les Turcs, le
prise de Constantinople
monde chrétien et le monde musulman, la Croix
et le Croissant restèrent à part l'un de l'autre,
chacun se ramassant sur soi dans une sorte
d'isolement majestueux, dédaigneux à l'égard
de son 'ennemi religieux. L'abîme paraissait
infranchissable, et l'antagonisme qui séparait
les représentants des deux religions, en Orient
comme en Occident, semblait devoir être aussi
éternel qu'implacable. Les papes ne cessaient
de prêcher de nouvelles croisades, exhortant à
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
icfi
refouler les hordes ottomanes, « cetto effroyable
poussière vivante », suivant l'expression de
Michelet, hors des territoires qu'elles avaient
' indûment
conquis et à leur faire réintégrer leur
pays d'origine, l'Asie centrale.
Supplications vaines, exhortations inutiles!
L'esprit chevaleresque du moyen-âge n'existait
plus; l'enthousiasme et l'esprit de solidarité
avaient à jamais déserté le coeur des rois et des
puissants, et les masses populaires ne se sentaient plus appelées à renouveler
la triste
expérience des Croisades lointaines et désastreuses.
,
Par contre, le capitalisme avait fait son apparition dans le monde; le commerce, le négoce
sous toutes ses formes commençaient à jouer
un rôle prépondérant dans la vie des collectivités de l'Occident. L'Europe était devenue
plus réaliste, plus a vériste », plus matérielle.
Certes, la religion maintenait encore très haut
son étendard; mais les plus grandes préoccupations étaient désormais d'ordre économique ;
et les nécessités courantes delà vie poussèrent
les dirigeants de l'Europe à trouver un compromis, à intenter un modus vivendi avec l'Infidèle.
Ainsi l'Occident abandonna petit à petit son
attitude d'adversaire juré et implacable du
musulman; il combla les brèches et, le sourire
ARMÉNIE* I99
DU MOUVEMENT
LESORIGINES
diplomatique aux lèvres, il s'approcha de l'orKhalife du 'Bosphore,
gagna sos
gueilleux
faveurs, conclut avec lui des pactes, afin de
pouvoir pousser librement son commerce, sos
entreprises économiques dans les mers orientales. Ainsi naquirent les fameuses capitulations, qui devaient régler les relations de
chaque Etat européen avec la Sublime Porto.
L'Europe, divisée mais toujours hostile, ne
se montrait pas trop exigeante vis-à-vis des
ennemis du christianisme;
son plus grand
désir était d'assurer la sécurité et la liberté de
son commerce levantin. Opiniâtre et résolue,
ce but suelle poursuivit méthodiquement
nouvellement
éclos,
prême du capitalisme
sans toutefois perdre de vuo son autre désir,
secret et inavoué, bien que réel : punir sévèles barbares
rement, au moment*opportun,
» et leur
infidèles, les battre a copieusement
infliger la plus énergique des proscriptions.
Ici, Varandian présente, dans toute leur nudité répugnante, les procédés aussi barbares
qu'humiliants avec lesquels le sultan recevait
il relève,
les ambassadeurs
des Puissances;
en outre, en parfaite connaissance de cause,
les rivalités entre ces mêmes Puissances européennes qui avaient commencé à s'infiltrer
auprès du maître de Constantinople.
Néanmoins, tous les États européens ne se
200
AUTOUR
DE LARMENIE
soumettaient
dédaigneux
pas au traitement
des Turcs; tous les ambassadeurs, chrétiens
n'étaient pas reçus avec le mémo cérémonial
'
dégradant. Une puissance put, de très bonne
au Khalife en exigeant un
heure, s'imposer
traitement plus respectueux pour son représentant officiel, l'Etat chrétien limitrophe, la
Russie.
En effet, vers la fin du xv' siècle, sous
'
Ivan III, cet Etat entra en relations avec le
sultan et envoya une ambassade spéciale à
(1499), sous les ordres de
Constantinople
Michail Plechtchôieff.
Et l'étonnement/fut
grand lorsquo co dernier, aussitôt débarxjué
dans la capitale ottomane, déclara tout net
- qu'il ne se soumettrait
pas au cérémonial humiliant dont on usait, à la Porte, à l'égard
des ambassadeurs
étrangers, qu'il ne se prosternerait nullement
devant le sultan, mais
debout ; c'était Tordre
qu'il lui parlerait
Maître, le
qu'il avait reçu de son auguste
grand prince de Moscovie... et le sultan dut
*
céder.
Telle fut l'entrée en scène de la Russie dans
la formidable question d'Orient;
et sous le
geste fier et hardi de Plechtchéieff, on pouvait
déjà entrevoir le tonnerre lointain, mais terrible, qui allait éclater du côté de l'ennemi
et faisant trembler lé
moscovite, ébranlant
DUMOUVEMENT
LESORIGINES
ARMÉMEX 301
trôno majestueux dos Mahomet et des Souléiman.
/
Dès ce moment, lo despotisme turco-musulman pressentit tout le péril russe. Le padichah
no redoutait guère les puissances européennes,
divisées et rivales. Tout. autro apparaissait
l'Etat moscovite, petit encore et à peine naissant, mais dont le souverain portait, entre
autres titres, celui de « Prince de Bulgario »,
ol qui avait déjà manifesté un vif intérêt aux
peuples, ses coreligionnaires, soumis au joug
turc. Il cherchait, avec persévérance et opiniâtreté, à se rapprocher des raya chrétiens,
à se les attacher el à s'assurer leur sympathie,
à la fois raciale et religieuse.
Cet état de choses dura jusqu'au règne de
Pierre lo Grand, qui érigea en système poli»
tique ce qui n'avait été jusqu'alors que velléités. Son programme politique fut d'étendre la
domination russe dans toutes les directions,
mais surtout vers le sud et vers l'est, au détrila
ment des Etats musulmans limitrophes,
Turquie et la Perse. Pour réaliser ce projet,
la Russie résolut de s'appuyer sur les Slaves et
sur les Grecs, contre la Turquie, tandis qu'elle
s'appuyerait sur les Arméniens dans son effort
contre la Perse.
203
DEL ARMENIE
AUTOUR
*
•»
L'ôro dos Croisades était passée. Et cependant, en Occident comme on Russio, des prc*
avoués ou secrets,
jets, des programmes,
étaient .élaborés contre l'ennemi commun, le
musulman; on.y discutait tantôt les moyens
de pénétration pacifique, par des concessions
—
et
des
tantôt les
économiques
capitulations,
futures, au prix de
conquêtes territoriales
luttes sanglantes.
Un pareil état de choses ne pouvait rester
sous le
ignoré des peuples qui gémissaient
joug de l'Islam; ils étaient, à juste titre, émus
et encouragés
par ces bruits menaçants qui
venaient du nord et de l'ouest, et dans lesquels
ils se plaisaient à voir l'aurore de jours nouveaux et libérateurs.
Le peuple arménien, divisé entre deux Etats
musulmans lyranniquos, la Perse et la Turquie,
opprimé et asservi par l'un comme par l'autre,
forcément condamné à la décadence morale et
matérielle, manifesta, dès ce t^mpsdà, une disposition guerrière si forte qu'on n'en retrouve
pas de pareille, durant deux siècles, avant les
derniers mouvements d'émancipation
au Caucase.
Ce fut dans l'Arménie persane, dans l'héroïque Karabagh, que sd produisit la promicro
ARMÉNIEN 3o3
DUMOUVEMENT
LESORIGINES
effervescence en faveur de la liberté. Co fut là
quo l'élément avancé de la nation pressentit
et s'em»
les temps nouvoaux et libérateurs,
pressa d'y entrer. L'initiative de ce mouvement
arménion reviont à la noblosse
révolutionnaire
arménienne locale, les méliks ou princes arméniens du Karabagh.
Ce réveil de la conscionco nationale aboutit
à l'envoi, on Europe, vers la fin du xvii* siècle,
Israël Ory, lui-mémo descende l'Arménien
dant de cos méliks, pour aller solliciter l'aide
et la protection des puissances; il partit comme
d'un des principaux
territoires
mandataire
arméniens révolté, décidé à frayer lui-même sa
voie, fut-ce au prix do son sang, si l'indépendance de la patrio en était la conséquence certaine.
à travers
Après vingt ans de pérégrinations
l'Europe,
après des démarches
pénibles et
laborieuses
occidenauprès des souverains
taux, l'envoyé spécial des Arméniens réussit,
grâce à la ténacité qui caractérise sa race, à
gagner à sa cause, avec promesse formelle
d'intervention
armée, de grands personnages,
tels que l'empereur
Léopold et le tsar Pierre
le Grand.
Au moment où le plan, admirablement conçu,
allait avoir un commencement
d'exécution, de
terribles événements, tels que la guerre russo-
30-T
AUTOUR
DE L'ARMÉNIE
de guerre
suédoise, et d'autres complications
en Europe, vinrent en empêcher la réalisation.
Et lo tsar promit de s'occuper de la question
arménienne... après la conclusion de la paix.
VI
LA QUESTIONARMÉNIENNEET LE8 MOUVEMENTS
ARMÉNIENSAU XV1I1*SIÈCLE ET DANSLA PREMIÈREMOITIÉDUXIX*.
La Russie et les Arméniens
,
Varandian remémore
les vieilles.batailles,
les actes de vaillance et de dévouement qu'accomplirent, deux siècles auparavant, les héros
arméniens dans les vallées profondes, de la
Siounie (Suniq), dans les forêts impénétrables
de Khatchen et de Varand.
A la servitude séculaire avait succédé un
réveil prqdigieux.
Une grande partie de la
patrie était devenue le théâtre d'expéditions
héroïques, de luttes incessantes et sanglantes,
et l'on citait les noms de David-Beg, du généralissime Mekhithar, de Bayindour, du prince
Thoros, do Tér-Avétik, et de tant d'autres
héros populaires,
tel que Tuli-Arzouman
et
Dali-Mahrassa. La légende s'est emparée de
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN 20J
ces noms; elle vole de bouche en bouche chez
los peuplades héroïques du Karabagh et de la
Siounio.
Grâce à leur position naturelle
très favorable, observe Varandian, grâco à leur osprit
d'indépendance,
grâco aussi au régime russe
relativement doux, les peuplades arméniennes
du Caucase s'habituèrent
relativement vite et
facilement à ces nouvelles
exigences guerrières, tandis que les Arméniens de Turquie
so vouèrent presque exclusivement
à la littérature, à l'histoire nationale et à la philologie.
Celte différence continua d'exister entro cos
deux grandes fractions du peuple arménien ;
elle semble même s'être accentuée au cours
des dernières
années. L'Arménie ottomane,
tout en présentant
de nombreux jlypes do
héros, n'a presque jamais produit un mouvement dç révolte en masse, embrassant tout le
pays ou une fraction importante de celui-ci, à
l'instar de ce qui se passa dans l'Arménie caucasienne, en 1903, et surfout en 1905-1906.
•a
*- *
Les longues révoltes arméniennes
au Cau»
0
du
xvui
dans
le
courant
case,
siècle, sont intimement liées au programme de progression
vers l'Orient conçu par la Russie; elles se
12
2o6
DEL'ARMENIE
AUTOUR
rattachent
toutes à cette espérance
enthousiaste qu'Arméniens
du Caucase, Arméniens
de Perse avaient mise dans le grand Etat libérateur chrétien du Nord.
Varandian prouve qu'à cette époque,
la
Russie ne répondit
pas aux. espérances du
peuple arménien
qui subit de ce chef une
profonde déception, alors qu'il était en droit
d'attendre mieux et plus comme réponse à son
attitude loyale et aux services réels qu'il avait
rendus à la Russie. Car, il ne faut pas l'oublier,
le peuple arménien avait, dès le début, pris fait
et cause pour le drapeau russe; il avait suivi, ~
'
au prix de sacrifices immenses, la marche de la
vers cet
Russie au-delà de la Transcaucasie,
Orient inconnu et islamique; le peuple arménien fut, deux longs siècles durant, le pionnier
du commerce, de la culture et de l'influence
'
politique russes; ce peuple fit preuve, en toute
circonstance, de la plus grande obéissance et
de la fidélité la plus absolue à l'égard du trône
moscovite.
Lorsque, en 1722, la guerre russo-suédoise se
termina par la victoire de la Russie, on rappela
à Pierre le Grand sa promesse de marcher
vers l'Orient pour sauver les chrétiens. Le tsar
s'exécuta de bonne grâce, l'heure étant plus
que propice :1a Perse était sur le point d'échapper aux Musses, par suite des visées
LESORIGINES
ARMENIEN 207
DUMOUVEMENT
que les Afghans et les Ottomans avaient sur elle.
Sur l'ordre du tsar, se forme une armée de
plus de 50.000 hommes, composée d'Arméniens et de Géorgiens, en attendant l'arrivée
des troupes russes pour commencer l'insurrection. Le commandant en chef était DavidBeg, assisté de deux généraux capables et valeureux, Mélik-Yégan et Avan-Uzbachi.
Et voici qu'en cours de route, le tsar change
d'idée; arrivé avec ses armées jusqu'à Derbend, il rebrousse chemin, et retourne à Aschemin
trakhan, puis en Russie, s'emparant,
faisant, d'une série de villes riveraines de la
côte septentrionale
de la mer Caspienne.
Celte altitude étonne d'abord les Arméniens
et les Géorgiens; mais, revenus de celle première surprise, ils décident de s'entre-aider et
de lutter quand même. David-Beg se retire
dans \& Siounie et fortifie ses positions pour se
battre et résister. La situation devenait terrible,
car les Ottomans s'étaient rués sur le territoire
persan et étaient arrivés jusqu'au Karabagh.
C'était un adversaire
plus fort et plus redoutable quëles Persans déjà sensiblementaffaiblis.
Les Arméniens,
à leurs propres
réduits
moyens, font des prodiges de valeur. L'insurrection éclate simultanément,
en 1722, dans le
Karabagh et en Siounie. Les combats qui s'y
livrent deviennent
des luttes véritablement
2o8
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
épiques. Les exploits de David-Beg et de son
état-major sont des faits d'armes admirables?
et les batailles de Kafan et de Halilzor constitituent des actes d'héroïsme arménien que l'on
peut sans crainte comparer aux plus épiques
dans l'histoire de tous les âges.
Les Arméniens étaient parvenus à dégager le
pays de l'étreinte barbare qui menaçait de
les Ottomans avec
l'étouffer; ils massacrent
un tel entrain et en si grand nombre que leur
chef Sari-Moustafa
Pacha réussit à grand'peine à se sauver et à se réfugier à Erivan.
Et, fort de son prestige militaire et de son
excellent état-major, le héros de Siounie, DayidBeg, maintient le pays, quatre ans durant, dans
l'indépendance;
répandant la terreur parmi les
populations musulmanes avoisinantes.
Après la mort de David-Beg et de son bras
l'Arménie
retomba
droit, Mélik-Pharsadan,
Elle fut plus que jamais
dans la servitude.
domptée par l'ennemi musulman, qu'il fût persan, tatar ou turc.
A cette époque, comme pendant ces trente
dernières années, la phalange des Arméniens
luttant pour l'émancipation du pays avait mis
son espoir dans une intervention
extérieure.
La foi en la Russie, malgré tous les déboires et
toutes les déceptions, continuait à animer le
courage des héros de Siounie, Les démarches
ARMÉNIEN 20Q
DUMOUVEMENT
LESORIGINES
des Arméniens se multipliaient auprès du tsar.
Vains efforts 1 Celui-ci ne répondait plus; ses
lèvres ne prononçaient plus 1' « attendez » de
jadis. La préoccupalion de l'autocrate de toutes
les Russies n'était plus l'autonomie des Arméniens... 11se proposait de les faire émigrer sur
les rives nouvellement
russifiées* de la mer
Caspienne, où les Arméniens, commerçants et
donneraient
une forte impulsion
travailleurs,
et procureraient
une grande prospérité à ces
pays récemment acquis à la couronne de Russie. Et, au lieu de la liberté, les Arméniens
eurent en partage l'émigration.
Cette aventure ne tua pas, chez les Arméniens, l'espoir de la liberté. Trente-cinq ans
après, l'avènement au trône de Catherine II
raviva les espérances arméniennes. Car c'était
toujours, chez les Arméniens, le môme optimisme' et à la cour impériale, la même attitude
bienveillante.
Les négociations,
longues et laborieuses,
leur cours un moment interrompu
reprennent
entre les méliks et le gouvernement russe. Les
délégués de la nation arménienne s'engagent,
vis-à-vis du tsar, à frayer la voie aux armées
impériales, à fournir tous les ravitaillements
nécessaires aux troupes russes et à joindre à
ces dernières plusieurs bataillons de volontaires arméniens. La guerre est alors décidée
12.
2IO
AUTOUR
Ï)E L'ARMÉNIE
pour l'été de 1784; les forces réunies des Arméniens et-des Russes devront rejeter les Perde
sans et supprimer le Khanal (principauté)
Chouchi. Tel était le programme élaboré par la
Cour impériale russe.
Et ce programme, une fois encore, n'est pas
rempli. Les Russes ne viennent pas. Leurs préinterminables
paratifs et leurs pourparlers
avec les Arméniens ne servent qu'à exaspérer
davantage le fanatisme et la soif de vengeance
des bourreaux des Arméniens. f
. En 1791, les doléances des Arméniens et
des Géorgiens parviennent à nouveau à Pélrograd, au moment où l'un des derniers rejetons
de Timour-Lang,
dans ses incursions incessantes, menaçait d'envahir l'Ara rat arménien
interet la Géorgie. Celte fois, l'impératrice
vient. Les Russes arrivent et, sans coup férir,
grâce au concours très actif des Arméniens,
ils s'emparent de Derbend, de Ghouba, de Chamakhi, marphent sur Gantzag et pénètrent dans
le Karabagh. Mais, une fois encore, la fortune
L'impératrice
conspire contre les Arméniens,
meurt et les troupes russes reçoivent l'ordre
de rentrer en Russie (1797), laissant les Arméniens à leur cruelle désillusion et à la merci de
leur ennemi.
Enfin, en 1805, grâce au concours de généraux et de volontaires
la Russie
arméniens,
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN :>I 1
occupe, sans effusion de sang, les forteresses
de Gantzag et de Chouchi, et le drapeau russe
flotle dès lors sur ces régions arméniennes,
*
* *
A là suite des événements qui viennent d'être
relatés, les Arméniens s'aperçurent qu'il avait
été puéril et chimérique de leur part de compter sur l'autocrate chrétien. Varandian formule,
à ce propos, quelques réflexions sur la politique russe, qui étaient peut-être vraies en
1912, qui ne le sont plus aujourd'hui. Il raconte
du tsar
que, non seulement le gouvernement
ne restaura pas le mélikal arménien, mais qu'il
porta le coup de grâce aux vestiges d'indépendance et d'autonomie qui avaient pu subsister
en Arménie malgré le despotisme des tyrans
orientaux.
Cette attitude russe à l'égard des Arméniens
ne devait du reste avoir rien de mystérieux
ni d'énigmatique.
Un des principes du système
politique russe est celui de la monarchie absolue et homogène. 11ne pouvait donc pas y avoir
non
de place pour les éléments étrangers,
russes, si avancés fussent-ils. Telle fut la ligne
russe à l'égard
de conduite du gouvernement
des sollicitations arméniennes jusqu'à ces dernières années. Depuis lors, un revirement
212
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
heureux s'est produit dans les relations russoarméniennes.
Et cependant, bien qu'au début la domination russe ne fût pas toute de douceur et de
tolérance, les Arméniens se félicitèrent du
changement de régime et ne regrettèrent pas
d'avoir passé sous de nouveaux maîtres. Ils
avaient tant souffert sous la tyrannie musulmane que les coups de knout leur semblaient
presque des caresses au prix des tortures sans
nom que leur avaient infligée? les Persans et
les Turcs. Les Arméniens, au cours des siècles,
avaient déjà tant souffert que le régime russe
leur apparaissait comme une véritable libéra*
:
tion.
Bien que la satisfaction relative que le peuple arménien éprouvait pour son maître russe
ne fit qu'accroître ses sentiments de fidélité et
de loyalisme pour son souverain chrétien, il
semble cependant que les choses ne marchaient pas aussi vite qu'il eût pu le souhaiter.
La date de 1826-1828 marque, en effet, l'une des
phases les plus orageuses et les plus caractéristiques de l'histoire arménienne.
L'Arménien de l'Ararat se soulève et combat
aux côtés du soldat russe contre la tyrannie
persane. Il massacre et il est massacré. Le
catholicos Nersôs dlAchtarak, d'illustre mémoire, est l'âme de celte noble insurrection, Il
DUMOUVEMENT
LESOHIfîlNES
ARMÉNIEN 21.3
préside en personne à l'appel arménien el à
toutes les péripéties de la lutte. Il s'élance luimême sur le champ de balaiMe, tenant d'une
main la croix, et de l'autre un drapeau. L'en
thousiasme est général dans le Caucase arménien. La guerre nationale arménienne a électrisé tout le monde. La nation entière se soulève pour assurer le triomphe de la Russie sur
le despotisme musulman.
La guerre, après une série de batailles sanglantes où les Arméniens n'épargnèrent ni leur
sang ni leurs biens, prend fin, assurant la victoire définitive de la Russie qui devint, du
coup, maltresse des grands khanals (prinei
pautés) d'Erivan et de Nakhilchévan. Et l'empe
reur Nicolas I donna à ces nouvelles province
russes le nom de « Arminskaya-Oblaça », c'est
à-dire « pays des Arméniens ».
La nouvelle de la collaboration et des imÉ
menses sacrifices des Arméniens se répan»
partout et parvient même jusqu'à la Cour imptriale. La personnalité du catholicos Nersè t
nimbée de la double auréole de l'apôtre et d,
héros, devient l'objet des plus chaleureuse
attentions de la part du souverain russe, c
môme temps, il est vrai, qu'elle excite la jalousi»
el la suspicion de quelques envieux.
Et voici qu'à titre de première faveur accordée aux Arméniens pour prix de leur précieuse
ai4
AUTOUR
DELARMÉNIE'
participation à la guerre, le gouverneur général du Caucase propose à Nersès de constituer
un corps permanent de 2.000 Arméniens destinés à surveiller et à garder les forteresses du
pays conquis, pour que Jes soldats russes ne
soient pas astreints à passer la chaude saison de
l'été dans les plaines araratiennes.
Un autre geste de la Russie d'alors, et qui ne
fut pas à son honneur, est le traitement que les
autorités caucasiennes infligèrent aux Arméniens réfugiés. Au nombre de 40.000, pendant
le gros de l'hiver, ils avaient' suivi hors de
Perse les troupes russes, quittant leurs terres
cultivées, leurs foyers, leurs biens, meubles et
'mmeubles; ils s'étaient empressés de franchir
l'Araxe, espérant trouver sur le territoire russe
un accueil cordial et, du reste, mérité.
11n'en fut rien. Les autorités russes reçurent
avec la plus froide indifférence ces malheureux,
soumis aux plus grandes privations, souffrant
de la faim et exposés aux humiliations les plus
dures.
Le gouvernement
russe de cette époque ne
comprit pas le parti qu'il pourrait tirer de ce
peuple arménien, prêt encore à verser son sang
s'il en était besoin, et qui ne demandait qu'à
faire prospérerle commerce, les arts, à développer la culture du coton, le commerce du sel de
Golb el d'autres entreprises d'utilité publique.
DU MOUVEMENT
LESORIGINES
ARMÉNIEN 2lÔ
Bien plus, on ne tarda pas à voir, dans certains milieux gouvernementaux
russes, scdéve.
lopper un engouement exagéré en faveur de
l'élément musulman, au détriment de l'arménien. Et, la paix une fois rétablie, c'est à des
du
musulmans que l'on confia l'administration
a Pays des Arméniens »; ces ««M, chargés
d'organiser les villages arméniens, ne se firent
aux populations
chrépas faute d'appliquer
tiennes leurs usages de féodalisme musulman,
avec toutes les conséquences
d'injustice
qui
s'ensuivaient.
Les hautes personnalités
arméniennes
qui
participaient au gouvernement de& affaires nationales ne tardèrent pas à être soupçonnées et
accusées d'intriguer contre la Russie. Le gouverneur général du Caucase, Paskévitch, dirigeait en personne ces perfides machinations.
Les premiers coups furent portés contre la personne du catholicos Nersès lui-même. Paskévitch n'eut de cesse qu'il n'eût renversé l'Arménien le plus éclairé, le plus autorisé, le plus
digne, celui qui s'était dévoué à la cause de son
malheureux peuple avec un patriotisme admirable et sublime. Peut-être le vieux pontife
gênait-il beaucoup le gouverneur général, en
lui rappelant, trop souvent au gré de ce dernier, les promesses qui avaient élé faites et qui
n'avaient pas été tenues, les engagements que
àlC
AUTOUR
DEL'ARMENIE
le gouvernement
russe avait pris à l'égard des
Arméniens, et qu'il n'exécutait pas. Paskévitch
réussit à faire « détrôner » Nersès et à le faire
exiler en Bessarabie, en août 1828, à un moment
où les exploits de ce Garibaldi en soutane
étaient encore si vivants dans le coeur et dans
la mémoire de,tous les Arméniens.
VII
LE MOUVEMENT
DE RENAISSANCE
CHEZLES
ARMÉNIENSOCCIDENTAUX
I
A
Période des Amira
Mais Varandian laisse là les Arméniens de
Russie et passe à ceux de Turquie. II fait ressortir, en un tableau d'un coloris très vivant, la
grande différence qui sépare ces deux principales fractions du peuple arménien. Tandis que
l'Arménie caucasienne, à partir de David-Beg
jusqu'au pontificat de Nersès d'Achtarak, s'était
accoutumée au fracas de la guerre et qu'elle
allait de révolte en révolte pour obtenir la
liberté si désirée, à l'autre extrémité de la mer
Noire, l'Arménie turque dormait le profond
et de l'abrutissesommeil de l'asservissement
ARMÉNIEN 217
LÉSORIGINES
DU MOUVEMENT
c'était la torpeur, presque le silence du
ment;
sépulcre.
dès 1830, un mouvement à
Et cependant,
peine esquissé commençait à prendre corps ; le
semblait vouloir
pouls de la vie arménienne
revenir à ses anciennes pulsations, et ce renouau début ne tarda
veau presque imperceptible
pas à s'accélérer, à se fortifier, à prendre une
telle consistance que le moment vint où les
Arméniens de Turquie dépassèrent
en hardiesse leurs compatriotes du Caucase.
Il est vrai que les Arméniens de Russie,
et à leur
grâce à leur situation géographique
assez aisément
pouvaient
passé historique,
tenir tête à la domination de l'Islam ; mais la
culture intellectuelle de la nation, l'étude de la
langue, de l'histoire et de la littérature armé»
niennes étaient, chez eux, moins avancées que
chez leurs frères de Turquie; et la conscience
nationale était, aussi, bien moins intense que
chez les Arméniens soumis au joug ottoman.
Ceux-ci, profilant de la facilité relative des
tournantplus volonmoyens decommunication,
tiers leurs regards vers l'Occident, avaient pris
contact avec quelques grands foyers de la civilisation européenne;
ils concentrèrent
tous
leurs efforts sur la renaissance intellectuelle de
l'amour de la langue et
la nation, rallumèrent
de da littérature de leurs pères, et, ravivant
13
2l8
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
l'idée de patrie, devinrent les facteurs essende la nationalité (azkaytiels et indispensables
nouthiun).
Et ces deux fractions principales du monde
arménien,- loin de se combattre en un antagonisme fatal, se complétèrent l'une l'autre, chacune se soumettant à la loi propre de son évolution.
*.
«»
Au début du xix* siècle, malgré l'activité
des
d'ailleurs,
scientifique, fort respectable
Pères Mekhitharistes, en dépit des témoignages
et des Joubert, le
élogieux des Tournefort
peuple arménien était à peine connu du monde
européen, surtout en tant que corps de nation.
L'Europe ne connaissait les Arméniens que par
et les tenait,
au dire d'un
Constantinople,
italien de l'époque,
ecclésiastique
pour une
communauté de type juif, composée exclusivement de négociants
çà et là, de
dispersés
de gains
commerçants occupés uniquement
matériels, composant une. nation proscrite et
vagabonde, sans patrie et sans asile.
La nation arménienne n'existait pas aux yeux
du monde européen; pour celui-ci, l'Arménie
tenait tout entière dans Constantinople,
dans
Smyrne et dans quelques autres villes cométait le cerveau, le
merçantes. Constantinople
ARMÉNIEN 210
DUMOUVEMENT
LESORIGINES
centre, le point de ralliement des Arméniens de
Turquie; et ce point de vue a prédominé jusqu'à
aujourd'hui. Quant à la province, elle ne comptait pas. C'était la grande silencieuse, obscure,
sans vio et dont on ignore même l'existence.
au contraire, débordait de
Constantinople,
vie, d'activité, d'ardeur au travail et de pensée.
L'essor commercial s'y donnait libre carrière et
l'élément arménien, de concert avec le grec,
constituait le levier le plus important de toute
l'activité qui se déployait dans celte grande
Echelle levantine. En des hôtels particuliers et
« le sel de la nation », la
somptueux,'vivait
classe des gros bonnets nationaux, la caste des
Amira.
Ces Amira étaient une épave, sans éclat
arménienne.
aucun, de l'antique aristocratie
Ils étaient, avant tout, des financiers habiles et
aux affaires. Très
des banquiers
rompus
des pachas turcs, ils
humides mandataires
avaient eu l'habileté de réaliser d'immenses
fortunes qui leur permettaient
de jouer un
rôle fort important, même au palais des sultans.
Humbles serviteurs des grands seigneurs turcs,
les Amira étaient d'une rare arrogance à l'égard
de leurs coreligionnaires
et jouaient aux tyranneaux dans les milieux arméniens. Le patriarche
arménien de Constantinople était un jouet dans
leurs mains; ils.pouvaient
le choisir, le nom-
aao
AUTOUR
DEL'ARMÉNIE
mer, le détrôner comme bon leur semblait. Ils
no se croyaient tenus à aucun égard vis-à-visdu
peuple et des autres classes do la société arménienne ; lo peuple du reste ne comptait pas en
ces jours sombres de despotisme oriental.
Toutefois, malgré leur caractère insupportable et despotique, il se rencontra des Amira
aux
de
leur
des
laissèrent
traces
passage
qui
affaires, qui prirent une part utile à l'oeuvre (h:
D'aude la nation arménienne.
régénération
cuns fondèrent des écoles, des églises, des établissements publics; certains favorisèrent les
le'ltres et l'instruction publique; d'autres enfin
rendirent de signalés services à leurs compatriotes, grâce à la situation tout à fait exceptionnelle et à l'influence dont ils disposaient
auprès du gouvernement turc.
Du reste, en ce temps-là, les écoles et les
autres établissements
d'instruction
constituaient uue nécessité économique; l'utilisation
de la machine, nouvellement inventée et importée d'Europe, avait donné une impulsion
bienfaisante et vigoureuse au commerce avec
l'Orient proche; et l'Arménien était la cheville
ouvrière, toute indiquée, dans ce genre nouveau de transactions. Il importait donc de répandre, avec la connaissance des langues européennes et turque, celle de la langue arménienne
elle-même.
i
ARMÉNIEN 231
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
la fondation do
Il s'ensuivit naturellement
nombreuses écoles, l'installation d'imprimeries,
l'établissement
de bibliothèques bien pourvues
et la publication de livres, de quotidiens et de
ne s'arrêta pas là. Les
revues. L'enthousiasme
pères envoyèrent leurs fils se former dans les
universités d'Europe, afin de développer leurs
et d'être plus
connaissances
professionnelles
aptes à diriger, à leur retour, les affaires de la
nation.
Dans tous ces efforts, le sentiment patriotique
jouait un rôle considérable. Les Amira n'étaient
pas hommes à méconnaître quelle arriérée était
la race dominànto par rapport à la culture générale des Arméniens; aussi le zèle patriotique
des Amira était-il surtout stimulé par la pensôo
de la décomposition-fatale
qui guettait la Turquie.
La classe instruite, habile et circonspecte des
Arméniens ne pouvait pas ne pas être frappée
par les progrès de cette nation au moment même
où la domination musulmane,
tant dans le
monde turc que dans le persan, marchait à
grands pas vers la ruine, à une époque où l'élément arménien du Caucase luttait héroïquement
contre la tyrannie persane, sous la conduite du
dans une période
pontife Nersès d'Àchtarak;
où de puissants États chrétiens du Nord et de
l'Ouest adressaient des menaces et frappaient
292
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
des coups redoutables sur la tête de l'« homme
malade »; à une époquo, enfin, où le Grec, par
mâlos et énergiques, setsuite d'insurrections
le joug du despolismo
couait définitivement
turc.
Ce même souffle patriotique allait inspirer, à
son tour, le clergé arménien.
Ce clergé est représenté en première ligne
par la congrégation de l'abbé Mekhilhar. Né en
Europe, étendant ses ramifications dans les différentes parties de la patrie arménienne,
le
mouvement mekhithariste est venu, à son heure,
secouer la torpeur du clergé arméno-grégorien;
il exerça sur lui une profonde et bienfaisante
à l'activité, l'incitant
réaction, l'encourageant
au réveil national.
Le clergé arménien grégorien avait, durant
des siècles, lutté contre les hordes barbares; il
avait vécu et fait vivre son troupeau dans une
résistance passive; il s'était efforcé de conserver toujours vivantes la langue et les lettres
il s'était évertué à dissiper, dans
arméniennes;
la mesure du possible, les ténèbres épaisses
et à détrujre à jamais l'état
qui l'environnaient
chaotique dans lequel croupissait la nation arménienne; mais, à la longue, ce clergé s'était
anémié; il s'était épuisé sous lès coups destructeurs des barbares, il était moralement déchu,
plongé dans un vil et répugnant matérialisme,
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN, 2a3
trop heureux de végéter dans lo marasme si
cher aux égoïstes et aux épicuriens.
Tout autre est le tableau que nous offrent la
du clergé
vie, la conduite et les aspirations
mekhithariste.
L'immortel abbé qui, en 1717,
après mille péripéties, alla planter son drapeau
dans la lagune vénitienne, ne s'était rendu en
Europe qu'avec la ferme résolution de servir
son peuple abandonné et souffrant. Et le drapeau de Saint-Lazare était éminemment national.
Mekhithar avait fondé une association littéraire et religieuse. A côté des prières et des
offices, une activité purement scientifique, un
labeur incessant dans les études et les recherches des manuscrits, telle devait être la vie
dans la solitude quiète et sereine du nouveau
monastère. Par ses propres publications, par la
traduction de presque tous les chefs-d'oeuvre
de l'esprit humain, par l'édition de presque tous
des
les classiques arméniens, la congrégation
Mekhitharistes a ressuscité dans les nouvelles
générations arméniennes l'amour de la langue
nationale, le goût de l'histoire et de la littérature des ancêtres, préparant de la sorte la régénération de la nation entière.
En 1839, un événement politique de la plus
haute importance vint donner une vigoureuse
impulsion au mouvement arménien : la proclamation du Tanzimat octroyait enfin la liberté
33$
•
AUTOLH
I»El/AHMÊXlE
aux difTérentes communautés sujettes de l'Empire turc.
La Turquie, sur la pente de l'abîme, n'avait
que ce moyen de salut : accorder la réforme.
Caries populations chrétiennes se détachaient
peu à peu de son organismo a demi mort; la
désagrégation se faisait rapide, et le seul moyen
de retenir encore ces différentes chrétientés
dans la sphère d'influence turque était de proclamer la tolérance, d'établir l'égalité réelle
entre le musulman et le chrétien. De la sorte,
on pouvait espérer élever un rempart contre
les invasions du dehors, invasions qui devenaient de plus en plus dangereuses pour la sécurité des sultans et de leur Empire.
A ce moment critique de son histoire, la Turquie avait besoin d'un souverain de l'enverguro
de Pierre le Grand, capable d'assumer la lourde
tâche de rompre avec les traditions vieillottes
qui arrêtaient tout essor vers le progrès, et de
diriger l'État menacé vers la renaissance, vers
la civilisation occidentale. Le sultan d'alors,
Mahmoud II, résolut de deyenirce réformateur
et ce libérateur. Animé d'un esprit libéral, il
introduisit la Turquie dans la voie des réformes,
par un geste terrible, il est vrai : le massacre
des Janissaires, en 1826.
Et cependant, Mahmoud II ne fut pas un Pierre
le Grand. S'il reconnaissait excellemment
la
DUMOUVEMENT
AHMKMEX 2l5
LESORIGINES
supériorité de l'Europe, il ne saisissait pas le
secret de cette supériorité. 11 voulait devenir
européen, tout en restant Turc dans son essence
mémo, souverain absolu et maître despotique
do la destinée de ses sujets et do son Empire.
D'ailleurs, l'Europe était plutôt sceptique à
l'endroit de cette renaissance turque. Le massacre des Janissaires ne fut-il pas le premier et
le dernier geste qu'entreprit le sultan Mahmoud
dans un esprit de réforme? Il mourut avant
d'avoir poussé plus avant dans la voie des améliorations qu'il espérait réaliser.
Son fils, Abdul-Medjid, continua l'oeuvre de
son père et proclama enfin, en 1839, le fameux
Tanzimal, le grand Hatl-i-Chérif, annonçant
que a les institutions nalionales devaient désormais garantir à nos sujets une sécurité parfaite
de leur vie, de leur honneur et de leurs biens.
'Tous jouiront de ces privilèges, à quelque con»
fession qu'ils appartiennent ».
Le manifeste impérial, tel quel, était déjà, en
soi, une révolution. Il renversait radicalement
la doctrine traditionnelle de l'Islam, ébranlait
le sacro-saint Chéri; (ou la Chérial) ce livre de
lois pétrifiées en vertu duquel le chrétien est
impur, constitue une race inférieure et ne peut
pas jouir, conjointement avec un musulman, de
droits et de privilèges égaux.
Donc, dès sa conception, dès son élaboration
U.
«fi
AIroui ns I.'ARMIMK
la réforme était condamnée à l'avortonicnt. Et
l'avenir se chargea de prouver combien étaient,
chancelantes les bases de cet édifice réformateur que l'on voulait élever quand môme. Les
idées d'égalité se brisèrent au contact du roc
granitique do l'Islam.
Toutefois, ces tentatives de réforme do la
part du gouvernement laissèrent une impression heureuse sur les sujets chrétiens do la Turquie ; elles donnèrent quelques encouragements
aux éléments conscients de ces populations,
faisant naître chez eux l'espoir et le revo. Elles
permirent surtout, aux Arméniens,de continuer
la lutte des classes.
La classe des Esnaf&e dressa énergiquement
contre celle des Amira, qui avaient en quelque
sorte monopolisé la gestion des affaires nationales arméniennes. C'était, sans vouloir pous. séria comparaison, le tiers-état qui apparaissaitpour la première fois dans l'arène, conscient
'de sa situation, de sa force et de ses droits,
afin de secouer la surveillance et l'ingérence
des Amira, et assumer à son tour la direction
des aflaires nationales.
Le clergé arménien qui, lui aussi, souffrait
des vexations des « gros bonnets », lia partie
avec les Esnaf et défendit la cause du peuple en
soutenant le principe de la représentation popu'
laire.
i.r.s ORir.iNEsin- \ior\t.m.Nr UIWÊMKX 317
Le patriarche
Mathéos, d'accord avec le
peuple, mena la lutte et réussit à introduire
dans le Conseil national 14 délégués des Esnaf
contre 16 des Amira. Ces 14 délégués n'étaient
pas élus, mais désignés seulement par le
patriarche. C'était un commencement qui permettait d'espérer plus et mieux. Dès 1844, on
voit se constituer au patriarcat deux grands
Conseils nationaux, l'un religieux, et l'autre
laïque, dont les 20 membres étaient fournis
par la classe des Esnaf. Ce n'était pas le
triomphe final et intégral du principe populaire,
vu que les Amira pouvaient encore favoriser
l'élection du candidat qui leur plaisait, grâce à
l'influence et amx moyens de corruption dont
ils disposaient.
En 1848, un événement extraordinaire se produit. La classe des ' gros bonnets » n'avait pas
pardoniyâ au patriarche Mathéos d'avoir introduit des Esnaf dan^ les Conseils nationaux.
D'où intrigues et machinations contre le pasteur
et ses ouailles. Le pair*;*rche, las de la lutte et
dégoûté de ces intrigues* donne sa démission :
c'est tout ce que dema,nd »:ent les Amira.
Une surprise ne devait £is tarder à leur être
réservée. Le peuple se soulève, le peuple arménien organise des démonel étions collectives.
C'était en 1848. L'écho de 'a Révolution de
février, ébranlant toute l'Europe,
parvint-il
aî8
I>EL'ARMKXIF.
AUTOUR
jusqu'aux rives placides du Bosphore? On ne
saurait l'affirmer avec certitude. Mais, depuis
des siècles, c'était la première fois que le peuple
arménien de Turquie so livrait à un geste de
révolte, d'un caractère collectif.
La basilique arménienne
de Koum-Kapou
Le
servit de théâtro à ces démonstrations.
patriarche était présent, avec les membres des
deux Conseils. U y avait là, frémissante, une
foule immense, émue, enthousiaste,
comme
élcctrisée. Et dès que, du haut de la chaire, le
patriarche eut lancé sa démission, des cris de
colère, de véhémentes protestations s'élevèrent
comme un long bruit de tonnerre, sommant le
patriarche de retirer cette démission et de persévérer dans la lutte. A la fin, comme la décision du prélat était irrévocable, quelqu'un,
parmi les manifestants, désigne au choix du
peuple, comme successeur tout à fait digne de
Mathéos, J'ex-patriarche Agop. Cette proposition est accueillie à l'unanimité, frénétiquement.
Agop estéfu, et il suit, dans ses nouvelles fonctions, la ligne de conduite de son éminent pré.
décesseur.v
La situation Revient embarrassante
pour les
Amira. Us décident de céder devant cette première démonstration, si inopinée, du peuple.
La voie était ouverte. La lutte bat son pleiq
et aboutit à la o Constitution Nationale 9 de 1860.
DUMOUVEMEXT
ARMEXIR* 320,
EESORIGINES
Ces mots séduisants volent de bouche en
bouche. Us signifient à la fois un symbole et un
appel. Us provenaient de la patrie de la grande
les immenses
Révolution pour bouleverser
« marais » asiatiques, pour préciser les tenLa« («ons»
dance8duself-governmentarménien.
titution » n'était encore qu'un principe, qu'un
projet; son application devaitencore demandor
de longues années.
Tandis qu'en 1840, les mouvements dont il
vient d'être question prenaient naissance dans
une atmosphère toute imprégnée de liberté;
alors que, là-bas, sur les bords orageux de la
Seine, quelques intellectuels arméniens prenaient place sur les bancs de l'Université, ces
mêmes aspirations à la liberté hantaient les
cerveaux de tous les Arméniens. Et ces intellectuels, prêtant l'oreille aux événements grandioses qui se déroulaient en France, se faisaient
écoliers à l'étranger, tout en songeant aux horizons lointains de leur patrie, pour acquérir des
principes, pour concevoir un système de gouvernement et devenir à leur tour des meneurs
d'hommes, en devenant les fondateurs de la
Constitution nationale arménienne.
Mais, quels étaient donc ces intellectuels
arménien? ?
a3o
AITOIRDEI/ARMKME
VIII
CHEZ,LES
DE RENAISSANCE
LE MOUVEMENT
ARMÉNIENSOCCIDENTAUX
B
Balian.
Roussinian.
Alichan.
A partir de 1840, les étudiants arméniens
arrivent nombreux dans les universités d'Europe. Très bien doués, avides de savoir, ils
s'assimilent avec une rare facilité les produits
de l'esprit occidental, pour aller ensuite les
greffer sur le sol encore aride de leur patrie.
Ces premières hirondelles de la Renaissance
animées
sont généralement
arméno-turque
elles
d'idées radicales, de foi démocratique;
sont éprises d'un égal amour pour la liberté et
pour la patrie.
Paris était le centre et le rendez-vous préféré
de celte jeunesse désireuse de s'instruire. On
Samuelmekhithariste
«
le
avait
établi
collège
y
Mourat », et c'est à Paris que se réunit la pléiade
de ces futurs directeurs spirituels de l'Arménie : Nicolas Balian, Kh. Bardizban, Kh. Missakian, Nahabed Roussinian, Grégoire Âgathon,
LESORIGINE*
DUMOUVEMENT
ARMENIEN a3l
Garabed Uludjian, Gabriel Ayva/.owski, Ambroiso Calfayan, Khorène
Calfayan, Joseph
Cbichmanian (Dzorentz), et d'autres encore.
La période que l'on traversait était des plus
importantes. Un souffle de révolte passait sur
toute l'Europe occidentale, souffle précurseur
qui devait aboutir àla Révolution de févrierl848.
C'est dans une telle atmosphère que l'essaim
des premiers universitaires
arméniens venait
butiner dans les jardins du savoir humain. Ces
étudiants étaient les spectateurs involontaires
et émerveillés du drame qui se jouait dans la
Paris était le précepteur,
Ville-Lumière.
la
source vivifiante à laquelle ils allaient puiser
les principes directeurs de leur vie et de leur
les
action. C'est là qu'ils allaient acquérir
maximes de la Révolution et apprendre à connaître et à pratiquer le culte de la patrie et
du peuple. Involontairement,
ces jeunes intelleurs regards vers
lectuels d'élite reportaient
l'Asie et se rappelaient l'épaisse brume de servitude qui obscurcissait encore leur patrie.
Et tout en faisant leurs études, ils rêvaient
à des projets de renaissance nationale, morale
et intellectuelle; ils élaboraient aussi des plans
de renouveau politique. C'est à Paris même que
deux des plus illustres
Arméniens, Nicolas
tracèrent les
Balian et Nahabed Roussinian,
premières lignes de la Constitution de 1863.
a3a
I>EL'ARMÉME
AUTOUR
le plus grand, lo plus désinL'enthousiasme
téressé exaltait ces jeunes coeurs et le Ministre
des Affaires étrangères de la République Française, Lamartine lui môme, dans son discours
du collège « Samuel-Mou rat » à
d'inauguration
Paris, donnait solennellement un témoignage
de la maturité politique de la nation arménienne;
lorsqu'il déterminait, dans les termes suivants,
le rôle qu'elle était appelée à jouer : « La République française envisage la question de la
de la
Les germes
orientale...
régénération
nationalité orientale, dont vous êtes l'un des _
en .
plus puissants rameaux, se développent...
France... L'étude de votre belle langue "armé- j
nienno est utile aux Français et réciproquement »,
*
»
Après avoir esquissé, en termes généraux,
les événements
auxquels il vient d'être fait
allusion,; Varandian retrace les traits caractéristiques {le quelques-uns de ces pionniers de
l'oeuvre de revendication du peuple arménien
de Turquie, tels que Nicolas Balian, le promoteur dô la Constitution nationale, Nahabed
Roussinian, lé plus grand orateur dans les
Conseils nationaux, Grégoire Agathon, etc.
la période qui date de 1840,
Reprenant
Varandian s'occupe des conditions de la presse
I-ESORIGINES
DUMOUVEME-XT
ARMEX1EX a33
arménienne à celte époque, Uconstato qu'ello
avait peu à peu commencé à s'animer, à parler
le langage qui convient à l'homme préoccupé
de ses justes revendications.
Le fouet du despotisme ne les menaçait pas encore; la presse
arménienne, à la vérité, n'était pas libre, mais
elle n'était pas prise non plus dans les griffes
de la censure. De ce fait, les premiers journalistes arméniens osaient aborder, dans leurs
modestes
certaines
publications,
questions
d'ordre national et public, adresser des enlancer des appels et donner
couragements,
des instructions. De temps à autre, les expressions de nation et de patrie apparaissaient;
on osait en parler sur un ton ardent et élevé,
peut-être en raison même de ce que cet état
de choses serait éphémère et que la période
des ténèbres et du silence forcé ne tarderait
pas à refaire son apparition.
La voix qui domina toutes les autres, l'appel
le plus patriotique qui électrisaltous les coeurs,
la lyre merveilleuse qui conquit les suffrages
ce furent les poésies
de la nation entière,
vibrantes du jeune .cénobite de Venise, où
l'écho de la révolution européenne était YCIHI
agiter la quiétude de l'ilôt de Saint-Lazare. Le
père Alichan, le plus sensible des poètes,
inquiet, anxieux, prétait l'oreille aux bruits qui
lui parvenaient du Nord et de l'Ouest,' Dans un
DEl/ARMKME
AUTOUR
23.'|
élan sublime de poésie et de souffle belliqueux,
il porte au loin ses regards
ardents, vers
soufl'Orient, vers sa patrie perpétuellement
frante cl continuellement
martyre; et dans des
vers qui infusèrent à la nation une nouvelle et
vigoureuse sève de patriotisme, et qui le firent
« le bien-aimé Nahabed » (1) des
surnommer
Arméniens, il inspira à son peuple l'amour de
la liberté, et le culte de la patrie.
Aucun, peut-être, des poètes arméniens n'a
décrit avec des accents aussi émouvants
les
ruines de son pays, ses gloires passées; et
aucun, peut-être, n'a exalté avec plus de force,
avec une verve plus pure et plus sincère, la
Ses poésies
gloire de la révolte arménienne.
tant qu'il
resteront
éternellement
admirées,
restera, sur terre, un Arménien pour les comprendre.
IX
DE RENAISSANCE
LE MOUVEMENT
CHEZLES
' ARMÉNIENSOCCIDENTAUX
C
Khrimian
et « Archive
Vasbouragani
»
Chez les Arméniens de Turquie, la presse
manquait do souffle. Imposante au dehors, elle
(I) Oa Nahaptt,* patriarche », • chefde famille», « prince»,
fie.
I
I.ESORIGINES
l»UMOUVEMEXT
ARMEMEX 335
était superficielle au dedans; et cette médiocrité de la presse arménienne
n'était pas la
conséquence du régime d'alors, du manque de
la liberté de penser et d'écrire; elle était imputable aux seuls journalistes.
La vie du peuple arménien n'avait pas sa
place dans la presse nationale, tant à Constanlinople qu'à Smyrne, Rien, ou presque rien
de ce qui touchait à l'océan de douleurs dans
les Arméniens des
se débattaient
lesquelles
dans les colonnes de
provinces n'apparaissait
ces quotidiens.
Cette presse débordait de discours pathétiques sur le patriotisme, d'articles émouvants
sur le nationalisme. Mais il eût vraiment fallu
la lanterne de Diogènc pour y découvrir des
études sérieuses, des données raisonnables
sur la vie du peuple et les souffrances qu'il
endurait. Celte presse, terne et insipide, est
même après
restée identique à elle-même,
nationale.
l'avènement
de la Constitution
Aucun esprit scrutateur, désireux d'étudier et
d'élucider les questions si obscures de l'histoire, de, la psychologie de ce peuple, ne se fit
jour. Et cette lacune était surtout visible chez
les intellectuels
arméniens de Conslantinople
euroqui avaient passé par les universités
munis
de nombreux
et étaient
péennes
diplômes.
236
AUTOUR
DEL'ARMÉ.XIE
On notait bien, au passage, un Zorayan, un
Missakian, un A. Osgan, qui, s'occupant de
dés articles
moderne,
critique
publiaient
sérieux sur l'économie politique, la civilisation
l'évolution
de la pensée libre;
universelle,
c'étaient, au demeurant, des travaux abstraits
et àcadémiqifes, incapables de réchauffer la
vie intellectuelle
du peuple arménien, incapables surtout de fournir à la jeunesse scolaire la nourriture spirituelle dont elle était si
avide.
Toutefois, dès que l'on approche du grand
mouvement de 1860, on constate que la presse
de la mentalité
s'anime, que le radicalisme
arménienne, tant dans les questions politiques
que sociales et religieuses, a fait plus de progrès qu'on ne serait tenté de le croire au premier abord.
Il importe de relever ici que le radicalisme
déreligieux était modéré et complètement
pourvu de cet athéisme qui, à l'époque, battait
son plein en Europe, grâce aux théories et aux
systèmes des Focht, des Buchner, des Darwin.
Cependant ce libéralisme modéré en matière
de religion et professé par la jeunesse arménienne instruite avait soulevé des tempêtes au
sein du clergé et dans la masse ignorante de la
nation. Les libéraux étaient persécutés comme
dus areligieuXf d'où deux camps bien distincts ;
DUMOUVEMÊXT
LÉSORIGINES
ARMEXIEX 2^7
celui des éclairés et celui des rétrogrades.
La lutte devenait de plus en plus âpre dans
les deux camps. L'un, la minorité avancée,
tout en pratiquant le culte de la nature et celui
de la Patrie, s'était résolument mis à se conformer aux exigences de la science et du temps, à
briser avec la routine et l'esprit de traditionalisme et de superstition.
L'autre, la majorité
tendait à maintenir intacts les
conservatrice,
et à conprivilèges des classes dominantes,
server l'hégémonie de la religion et du clergé.
La lutte des partis ne tarda pas à dégénérer
en trahisons et en calomnies insidieuses. Les
ennemis de la lumière répandirent
de faux
bruits dans le genre de ceux-ci : la jeunesse
est non seulement athée,
libérale arménienne
mais déloyale; elle ne mérite aucune confiance
elle n'a d'autres visées
en matière politique;
que la restauration du royaume d'Arménie.
Les jeunes gens, ainsi attaqués, se défendes explications et menadirent, demandèrent
cèrent de livrer au régime de la terreur les
traîtres qui osaient ainsi les bafouer. Car l'antique fléau de la trahison, écrit Varandian, se
redressait devant les pionniers de la régénération nationale. De lâches éléments agissaient
ils voulaient, par
tlans l'ombre, traîtreusement;
de vils moyens, ravaler la Constitution nationale à peine éclose, en la taxant de foyer
a38
DE L'ARMÉMB
AUTOUR
d'athéisme, de démocratique et de révolutionnaire. Foyer révolutionnaire,
une institution
qui n'était pas encore organisée et dont l'unique
but était de réformer les écoles, les hôpitaux,
les couvents 1
Les ennemis intérieurs
de la Nation poussèrent l'infamie jusqu'à ses dernières limites.
Se répandant dans le monde officiel et dans
certains milieux turcs, ils ne se firent aucun
scrupule de s'ériger en véritables agents de
provocation, d'inventer des nouvelles calomniatrices et sensationnelles
au sujet de préparatifs militaires et insurrectionnels
des Arméniens. Ils choisissaient précisément le moment
où la crainte d'un massacre général menaçait
plus que jamais le peuple arménien.
Seule, l'intervention énergique du patriarche
auprès de la Sublime Porte mit fin à ce courant
malveillantes
et perfides. Le
d'insinuations
des Armésultan, comprenant la susceptibilité
niens, manifesta sa confiance dans l'élément
arménien de Turquie, en proclamant la fidélité
séculaire de ce petit peuple,envers
le trône et
ottomans. Et le patriarche,
le gouvernement
dans une Lettre pastorale, fit part à la nation de
en ordonnant
des
cet heureux
événement,
prières pour la conservation des précieux jours
de Sa Majesté.
C'est qu'en effet les' bruits relatifs à un péril
DUMOUVEMENT
ARMENIE* a3g
LESORIGINES
de révolte arménienne étaient sans fondement
aucun. La fidélité, le caractère paisible de l'élément arménien à l'égard du souverain et des
incontestables
dans toute
autorités étaient
l'Arménie turque.
Au "moment où le groupe des populations
balkaniques était animé de l'esprit de liberté
le plus authentique,
et d'insurrection
alors
que quelques-unes étaient déjà libérées, tandis
que d'autres préparaient leur émancipation; à
l'heure
où les coups tombaient
dru sur
» l'homme malade » et où, malgré l'optimisme
éphémère résultant de la guerre de Crimée, le
a malade » était condamné à subir un démembrement fatal et graduel, à celte heure les
Arméniens de Turquie, représentés
par les
éléments influents de la communauté de Constantinople, faisaient dire des prières pour le
Souverain, Jui faisant parvenir des adresses de
fidélité, reconnaissant hautement la sollicitude
paternelle du gouvernement à leur égard et la
du peuple arménien en
situation heureuse
Turquie.
Quanta la presse de Constantinople, qui ne
cessait de tisser des louanges à l'adresse du
sultan, elle faisait preuve d'un mutisme absolu
au sujet des tortures inouïes que subissaient
les Arméniens des provinces. Les journaux
arméniens
semblaient
entièremen
ignorer
2/|0
l'Arménie
AUTOUR
DÉI/ARMÉNIÉ
et son peuple, se contentant d'appels
d'un style acapatriotiques, de considérations
démique, sec et sans charme, et de discussions
interminables au sujet du caractère apostolique
de la sainte Eglise d'Arménie.
* *
fière et altière,
Seule, une voix résonnait,
dans ce silence timide et volontaire; elle résonnait avec toute la conscience de la dignité
sans s'insinuer,
sans flatter, sans
humaine,
du c grand
cacher les plaies ensanglantées
muet qu'est le peuple », de l'exécrable enfer
des souffrances arméniennes,
enfer pavé de
sang et d'ignominio.
Cette voix s'élevait du Vasbouragan (1), des
hauteurs du Varak (2), où était allé percher
l'aigle, et d'où il lançait ses cris aigus vers les
horizons brumeux du pays arménien, pleurant
avec son peuple, vivant ses tortures et partageant son martyre, faisant connaître les plaintes
de ce peuple., contre les forces
désespérées
aveugles de la barbarie.
C'était Khrimian, la noble conscience, l'inter(1)Ou Yaspourakan,nomanciende la régionde Van.
(2)Célèbre couvent fondé sur le mont du mêmenom, et
cher«mêmes arméniennespartes traditionsreligieuses;situé
au «u-l-estdu Van.
ARMENIEN -j. t
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
•
voeux
endeuillés
di
des
des
douleurs
et
prête
peuple arménien d'alors. « L'aigle du Vasbouragano(l)
apparaissait comme un phénomène
dans l'horizon
révolutionnaire
extrêmement
arménien. C'était le seul organe dé la patrie,
qui, tout en pleurant les ruines, adressait à la
nouvelle génération des appels de lutte et de
révolte. Les pleurs et les plaintes ne formaient
de
s'élevant
qu'un môme cri de douleur,
l'obscure imprimerie de Varak, parvenant au
loin, à Constantinople, au Caucase, en Perse,
racontant les souffrances du peuple, apportant
partout le parfum des monts et des vallons de
la patrie, remplissant les coeurs de l'enthousiasme le plus patriotique, le plus pur, le plus
chaleureux.
Khrimian était un autre Alichan, établi sur le
sol môme de la patrie, au sein de sa propre race,
en contact immédiat et journalier avec le formidable drame qui se déroulait, en communion
directe avec les plaintes douloureuses qui émanaient des milliers d'âmes environnantes. Khrimian était un autre Alichan, peut-être moins
poète que le chantre d'Avarayr, mais plus original et plus profond, doué d'une mentalité plus
forte et d'une verve plus vigoureuse, un maître
(I) l,o journal fondé el publié à Varak par MgrKhrimian
», « l'aigleâj Vasbou*
portaitle nomd*» ArdzireVasbouragani
ragan ».
U
2^2
DEL*ARMENIE
4UT0UR
à la fois de la plume et de la parole, en un mot
un écrivain, un orateur el un conducteur. C'était
un maître, de naissance, original, singulier, ne
possédant pas une instruction normale et complète, mais surprenant son interlocuteur par sa
parole instructive- et sa sagesse profonde.
C'était un métal brut qui rendait un son merveilleux, le type véritable de l'apôtre dont le
regard sublime reflétait les immenses douleurs
de son peuple, dont le visage simple et titanique personnifiait les hautes montagnes de
l'Arménie, ses horizons immenses, ainsi que
ses eaux claires et limpides.
Khrimian fut le premier abbé qui devint publiciste et prononça des harangues. Il fut le premier religieux qui renonça à la vie stérile du
couvent et s'adonna, de toutes les forces de son
être, au peuple des travailleurs. La démocratie
n'a, sans aucun doule, pas eu de représentant
plus illustre et plus pur, de pionnier plus puissant et plus convaincu que cet abbé « égaré ».
Les livres de prières furent exclus de ses préocles chaires des églises
cupations journalières;
retentissaient de ses sermons patriotiques, chaleureux et encourageants, évoquant les noms
vénérés et légendaires d'Aram et de Haïg.
De ces mêmes tribunes sacrées, le Docteur,
épris de liberté, lançait, en même temps que ses
prières, ses foudres contré les usuriers, les
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN 2/|3
et toutes les
prévaricateurs
ecclésiastiques
classes du peuple ouvrier. De ces mêmes tribunes, il cinglait de son verbe mordant la dissimulation,
faisant, par contre,
l'ignorance;
l'apologie de l'élude, de la civilisation, de l'école
populaire, de la science, du progrès sous toutes
ses formes.
Ce type rare et admirable d'autodidacte eut
très vite rempli son arsenal intellectuel. Il fit
les progrès les plus rapides, grâce à son extraordinaire faculté d'observation et de compréhension, grâce surtout à ses longues et lointaines
en Turquie, au Caucase, en
pérégrinations
Perse. Partout et toujours, il observait attentivement et étudiait minutieusement la vie arménienne, et les antiques ruines de la patrie. Partout il rallumait le feu patriotique par ses
sermons entraînants, par son langage simple et
biblique. Il relevait les courages abattus, les
coeurs accablés, invitant tout le monde'à l'action, à l'oeuvre inlassable de la reconstitution
de la Patrie.
Sa plume ne fut pas moins forte que son
verbe. Que de puissance, que de beauté, que de
flamme dans ces appels, dans ces pleurs, dans
et suppliants, dans ces
ces cris désespérés
mâles et belliç
énergiques,
encouragements
queux qui abondent dans les écrits de Khrilieramian, à dater dosa première publication^
AUTOUR
DEL'ARMÉNIE
virag Araratian », où la lyre du poète commence
à chanter, jusqu'aux pages sublimes de 1*« Ardzive Vasbouragani»,
dans lequel il expose, aux
yeux du lecteur, l'immense Arménie avec ses
spectacles les plus grandioses et les plus touchants, avec ses ruines tristes et glorieuses,
avec l'ombre encore parlante des Mesrob, des
Varlan et des Sahag...
Et. le lecteur émerveillé, au milieu de cette
entrevoit,
galerie immense jnais délaissée,
dressé sur les ruines, le géant, — le patriote
pleurant, exhortant, encourageant sans cesse,
appelant les enfants errants de l'Arménie :~
« Vers la patrie! Vers la patrieI Réveillez vous,'
fils de Haïg, réveillez-vous! Car le soleil de la
civilisation a point à l'horizon des cieux, il n'y
a plus de despotisme barbare! »
Quel spectacle ravissant que celui de ce soleil
levant I Khrimian avait pressenti déjà son rayonnement libérateur. Aussi, ne se contcnte-t-il
» de,
plus, dans 1' « Ardzive Vasbouragani
simples mélodies plaintives, de lamentations
inutiles et démoralisantes; il sait y faire vibrer
l'accent de la révolte; il sait y prêcher la résistance en vue de la liberté.
Ses hautes qualités morales et intellectuelles,
son patriotisme des plus ardents et des plus
sincères, ses efforts inlassablement tendus vers
la libération rie son peuple valurent à Khrimian
l(\\
LESORIGINES
DU MOUVEMENT
ARMÉNIEN 2/|5
le titre de'premier révolutionnaire
des Arméniens de Turquie.
Varandian ramène son lecteur, à Varak, ce
nid de YAigle du Vasbouragan :
L' « Ardzivc Vasbouragani » a sa place d'honneur dans la presse arménienne comme dans
l'histoire de la renaissance nationale. Il fait partic de l'existence volcanique de Khrimian; il
constitue le superbe monument de son immense
et si féconde activité.
Un groupe d'élèves de l'internat fondé par
Khrimian à Varak collaboraient à son périodique. C'étaient les aiglons intellectuels qu'il
avait amenés des quatre coins de l'Arménie; ils
sous le souffle vivilivivaient et grandissaient
cateur du maître adoré; ils s'instruisaient, s'ennoblissaient dans son atmosphère pure, idéale,
en sa compagnie charmante
et captivante.
C'étaienl'Servantzdianlz.Tokhmakliian,d'autres
encore, tous futurs conducteurs du peuple arécrivains.
ménien, instituteurs,
prédicateurs,
Et Raffi lui-même, l'éminenl romancier national
arménien, le plus fort inspirateur, le plus grand
promoteur des récenl3 mouvements arméniens,
apportait, quoique encore débutant, sa collaboration à P « Ardzive Vasbouragani », durant son
court séjour à Varak.
Ces patriotes convaincus constataient personnellement, sur place, en pleine Arménie turque,
2^6
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
les horreurs du régime ottoman; ils assistaient
au drame le plus effrayant et le plus monstrueux; ils voyaient, de leurs yeux,'la torture la
plus cruelle et la plus satanique appliquée à ce
petit peuple de quelques millions d'âmes. Les
affres de cet enfer s'intensifiaient
d'année en
année, par l'incursion des Circassienset d'autres
réfugiés musulmans, par le contre-coup des
mouvements libérateurs des Balkans, par l'épuisement progressif de la Turquie amenant à sa
suite l'augmentation effrénée des impôts.
En présence des malheurs séculaires et sans
cesse croissants de la patrie, l'Aigle du Vasbouragan et ses aiglons frappaient énergiquement
à la porte de là déesse Liberté, voulant à tout
prix, d'un effort héroïque, jeter à bas l'hydre du
despotisme. Et c'était la Muse de Khrimian qui,
éplorée, inconsolable, mais fière et intrépide,
était venue se fixer dans la patrie même pour
proclamer une idée sublime sur ces hauteurs
endeuillées: l'idéede l'insurrection arménienne,
qui. devait désormais grandir, se développer
'sous la double poussée de
progressivement
l'esprit subjectif et de la réalité objective, et
qui s'en irait gagner peu à peu les coeurs et
enflammer les esprits.
La lutte héroïque, lugubre, singulière, devait
éclater en un temps confus et sous un ciel oraéclatât, selon l'exgeux. Mais il fallait'qu'elle
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMENIEN 2/17
pression prophétique de l'Aigle du Vasbouragan, pour régénérer un peuple insulté et foulé
aux pieds; il fallait qu'elle éclatât, pour essuyer
de son front la honte de la servitude et faire
pousser à nouveau les nobles rejetons d'une
Nouvelle Arménie, sur le sol trempé de larmes
et de sang de l'ancienne...
*
* *
C'est sur cette envolée patriotique et lyrique
que Miqayêl Varandian termine la première
partie de son histoire. Son oeuvre se distingue
par une documentation riche et variée, par le
ton correct et modéré des critiques, par les
considérations historiques et philosophiques de
bon aloi qui l'émaillent
en maints endroits.
de l'auteur ne l'empêche
pas
L'impartialité
d'être un ardent patriote, son esprit poétique
ne l'égaré pas lorsqu'il écrit une page d'histoire.
Sans doute, la fin de l'histoire devait venir d'assez près. Les événements se sont tellement précipités, l'heure de la délivrance, si longuement
préparée et si passionnément désirée, a sonné
si inopinément que le- rêve sera, espérons-le,
devenu réalité lorsque le poète-historien reprendra la plume pour chanter l'affranchissement
définitif de sa patrie, la pauvre, la noble Armé*
nie.
LES
ORIGINES DU MOUVEHEiïï
ARMENIEN
(1>
ii
Je ne croyais pas, en annonçant l'apparition
du premier volume de l'oeuvre de M. Afarandian (2) que le second suivrait de si près. Mais
la publication se faisait en Suisse, où les imprimeurs et les fabricants de papier souffraient
moins qu'ailleurs du fait de la guerre. Il convient dès lors de compléter l'information
en
signalant le tome II qui, joint au premier, forme
un ensemble homogène et constitue une des
pages les, plus instructives de l'histoire de l'Arménie moderne.
Ce deuxième volume est divisé en onze cha(t) MiqayëlVARAXDiAN.f/aj/*a£an
charjmannakhapatmoulhiun,
t. II. Genève,1913,io-16,281p. (Publicationde la Fédération]
La couvertureimpriméeporte
Révolutionnaire]A[rrnéniennr}.
la date de 1914).— Le présent article est eitrail de L'Asie
française,»• de Janvier-mar»1917,
(2)Ci-deaaos,p. 117,
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN 2.'|{)
LESORIGINES
d'inégale longueur et d'inégale impor-
pitres
tance.
Dans le premier chapitré, l'auteur traite de
la période qui s'étend de 18G0 à 1870, et qu'il
considère comme la plus fébrile et la plus significative de la régénération
nationale.
En effet, dans l'intervalle de ces années, les
vagues de l'émancipation intellectuelle et spirituelle, parties de l'Occident, atteignent l'Orient
et créent un mouvement intense au sein de tous
les sujets du tsar. Même phénomène dans la
vieille cité de Byzance où la ronflante proclamation du llatti-Iloumayoun
réclame la réorganisation de l'empire ottoman.
C'est également à la date de 1860 que les
intellectuels arméniens de Turquie, s'inspirant
des principes
par le Hatli-Houproclamés
mayoun, formulent les desiderata de la Nation,
dans l'institution connue sous le nom de « Constitution nationale ».
C'est aussi à la même époque que les douleurs, les griefs et les plaintes de l'Arménie
enfin à se faire entendre dans la
réussissent
presse nationale de la capitale ottomane, et que,
par l'accession au trône patriarcal de Constantinople du plus pur enfant de l'Arménie persécutée, le « Ilayrik » (petit père) du peuple
des souffrances et
arménien, personnification
la question
des protestations
ariiuMiicnncs,
a5o
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
arménienne s'achemine de l'Enfer d'Arménie
vers le Bosphore, pour s'en aller de là vers les
Cabinets des grandes puissances européennes.
Enfin, c'est vers la même époque (1862) que
s'allume la mémorable insurrection deZêythoun,
grâce à laquelle une poignée d'ardents guerriers
sut imprimer à l'immense majomontagnards
rité de la Nation arménienne un peu d'espoir et
d'encouragement.
différents
Après quoi, l'auteur
reproduit
textes de correspondances
puisés aux Archives
du patriarcat arménien deConstantinopIe
même,
concernant les meurtres, les vols, les viols commis par les Kurdes et les Circassiens dans différentes localités des provinces habitées par les
•
Arméniens.
Il reprend
la révolte de Zéylhoun et en
retrace la cause, une cause des plus futiles
d'ailleurs : une contestation s'élève entre deux
Turcs de familles hostiles. L'une de ces familles
veut soumettre le cas a l'arbitrage du chef du
village arménien d'Alabache, le personnage le
plus autorisé et le plus influent de l'endroit.
Cependant, les hommes d'une des familles en
cause tuent en route l'un des Arméniens appelés à l'arbitrage en même temps que le chef du
Cet assassinat produit la
village arménien,
plus fâcheuse impression sur les braves fils
arméniens de Zéyltioun; il blesse leur amour-
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMENIEN a5l
propre et leur fierté belliqueuse, et occasionne
ainsi une insurrection qui cause d'immenses
pertes à l'armée ottomane et donne du fil à
turc de Constantiretordre au gouvernement
nople.
Vainqueurs, les vaillants Zèythouniotes veulent imposer leur volojité au gouvernement
turc, en réclamant pour leur pays uneautonomie
du genre de celle accordée au
administrative
Liban.
Et, dans ce but, on tourne naturellement les
regards vers la France, toujours libérale, toujours prête à soutenir les peuples opprimés.
On présente une supplique à l'empereur Napoléon III qui lui fait un bon accueil et use aussitôt de son influente pour arrêter l'expédition
ottomane dirigée contre les Zèythouniotes dans
le but d'anéantir cette population.
Mais de, basses manoeuvres de quelques nationaux stipendiés par les Turcs coupent court
aux nobles élans de ces montagnards et les
réduisentàse
soumettre sans réserve au sultan.
Les réflexions éloquentes auxquelles l'auteur
se livre à cet égard .dénotent un patriotisme
ardent et profondément sincère.
*•
»
Le chapitre II traite de Yorigine delà question arménienne; il est consacré à rénumération
JÔ2
AUTOUR
DEL*ARMÉNIE
consciencieuse
de toutes les concussions
et
exactions commises sur les Arméniens d'Arbasée sur dés documents
ménie, énumératipn
communiqués au Patriarcat arménien de Constantinople.
mis sur le tapis de
Ces faits déplorables
l'Assemblée nationale arménienne donnent lieu
à des discussions
vives, mais la plupart du
et souvent entachées de
temps infructueuses
d'alors,
partialité, si bien que le patriarche
Ilayrik, désespéré de voir, d'un côté, l'impuissance où se trouve la nation de remédier â ses
maux et, de l'autre, l'aggravation croissante des'
souffrances des Arméniens, se voit dans la nécessité de donner sa démission.
Celte démission met fin à un des épisodes les
plus tristes et les plus émouvants de l'histoire
moderne de l'Arménie. C'est ainsi que prend
naissance la question arménienne qui, dès ses
premiers pas, se heurte à des obstacles très
graves, pour ne pas dire insurmontables.
#
»
Dans le chapitre 111, M. Varandian étudie
l'ennemi intérieur, les éléments vexateurs de la
Nation. L'auteur se montre cruel, implacable
même à l'égard de certains éléments de la
Nation arménienne qui, de tout temps, ont pré*
LESORIGINES
DU MOUVEMENT
ARMÉNIEN 253
féré leurs intérêts personnels
à ceux de la
Nation. Il faut reconnaître
que ce jugement
sévère procède du plus pur patriotisme de l'auteur. Aussi, n'est-il que juste de souscrire au
bien-fondé des critiques acerbes dont il use à
l'égard de ces agha (chefs), sarraf (banquiers),
espions, traîtres, classes aisées, clergé, usuriers, etc., qui n'ont cessé d'exploiter leurs
compatriotes, en leur causant parfois plus de
torique ne leur en ont causé peut-être les turcs
eux-mêmes.
Aussi, après une analyse des plus consciencieuses et des plus complètes de ce triste phénomène national, l'auteur arrive à bon droit à
la conclusion que le mouvement de l'émancipation arménienne
n'a pas été un mouvement
national dans le sens où il a été conçu et appliqué dans d'autres pays de l'Europe. Le mouvement de l'émancipation
arménienne a été uniquement populaire, car ce fut le peuple, le
peuple arménien vexé, torturé et opprimé, l'ensemble de.ce peuple travailleur et souffrant,
qui s'en est chargé et qui l'a mis à exécution.
•*
Avec le chapitre IV, nous arrivons au Fléau
kurde. « 11y a lâ-bas une bande de tyrans, c'est
le Kurde qui n'est pas un sujet au même titre
n
25/i
AUTOUR
DE L'ARMÉNIE
que nous, qui ne paie pas d'impôt, mais qui
exploite l'Arménien et qui ravage le pays, les
armes à la main... » C'est en ces termes que,
dans la séance du 21 novembre 1870, présidée
par le patriarche Khrimian, un des députés de
nationale arménienne
l'Assemblée
précisait,
caractérisait le terrible fléau kurde.
<(... Il est armé, il ne paie pas d'impôt et il
exploite, vexe et vole l'Arménien et ravage le
pays... » Combien de temps a duré cet état plus
—
?
Des siècles entiers. Aussi, peutqu'infernal
on dire avec raison que la question arménienne
était une question de relations arméno-kurdes.
Aucun autre élément, dans les limites de
l'Arménie historique, n'a autant nui au peuplé
arménien, tant sous le rapport matériel qu'au
point de vue de la culture générale, et ne lui a
causé de préjudice aussi sensible que le Kurde.
11 n'est pas de peuple, qu'il s'agisse des Turcs,
des Tartares ou des Perses, il n'y a pas de gouvernement, si despotique qu'il ait été, dont l'Arménien n'ait éprouvé autant de souffrances,
n'ait subi autant d'exactions, de persécutions
que de la part du Kurde.
Enfin, fait observer M. Varandian avec infiniment de justice, le. Kurde forme un État dans
l'Etat; de sorte que l'Arménien a à supporter
un double joug et il ne sait si l'histoire de l'humanité présente l'exemple d'un autre peuple
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN a55
plongé depuis des siècles dans un état aussi
épouvantable que celui sous lequel gémit le
peuple arménien. Puis, dans un exposé magistral, l'auteur étudie parallèlement et fait passer
sous nos yeux les deux jougs, celui du Turc et
celui du Kurde; comparaison de laquelle ressort
nettement la psychologie de ces deux peuples,
issus d'une race nomade commune, et qui ont
beaucoup de ressemblance et d'affinité entre
eux.
Le Kurde, dit-il, est un triste résidu d'un
monde antique, une épave de l'humanité primitive. En parlant des moeurs de ce peuple, il
cite les paroles du célèbre romancier national
Raffi : a Le Kurde est hospitalier sous sa tente,
comme le patriarche Abraham; mais il ne se
fait pas de scrupule de voler son hôte même,
à une lieue de sa
s'il vient à le rencontrer
tente... ».
Enfin, c'est un peuple dont le métier de berger, avec le brigandage et le pillage, constitue
ses seules et « honorables » occupations. Et
c'est avec une telle race, extraordinaire, et dont
les traits sont absolument négatifs, que l'histoire cruelle a lié le sort des Arméniens I
Après les considérations qui précèdent, l'auteur parle de la puissance que les Kurdes ont
acquise à la longue, comme Dèrébeyi, c'est-àdire pouvoir féodal, puissance qui, à un moment
256
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
donnée finit par s'imposer même au gOuVerhé>
ment lurc, lequel ne s'en préoccupa pas grandement, soit par faiblesse, soit par égard à la
de religion, souvent même par
communauté
pure tolérance, au grand détriment de l'élément
arménien.
A la veille du Congrès de Berlin, tel est le
contenu du chapitre V. A Mgr Khrimian succède le patriarche Varjabédian.
Le « Rapport des oppressions et exactions... »,
après avoir béatement somnolé dans les Archives, revient sur le tapis en 1876, durant le
patriarcat de M»' Nersès Varjabédian.
L'année était riche en surprises politiques et
en événements orageux. La Turquie vivait de
nouveau un de ce? moments de l'agonie de son
avait éclaté dans les
existence. L'insurrection
Balkans et le spectre russe s'était dressé, menaçant, en face du Croissant agonisant.
Le sultëtn Abdul-Hamid, pressentant de terribles complications, s'était empressé de jeter
de la poudre aux yeux des grandes puissances,
en proclamant « la Constitution
ottomane »
(décembre 1876).
Celle initiative du perfide sultan put non seulement arrêter tous^projets de démembrement
de l'Empire'de la part des grandes puissances,
DU MOUVEMENT
ARMÉNIEN a57
LESORIGINES
mais elle inspira même dans les milieux des
une certaine confiance
dirigeants arméniens
par rapport aux réformes dont avaient si grandement besoin les provinces arméniennes de
l'Empire.
L'un des phénomènes qui ont le plus fortement contribué
à affermir celte confiance,
c'étaient les sentiments russophobes dont les
Arméniens étaient animés à l'égard de la Russie, laquelle, malgré tous ses avantages, se
présentait aux yeux des Arméniens de Turquie
comme une force, tendant essentiellement
à
absorber la nationalité arménienne;
ils pensaient, en outre, que leurs frères du Caucase
étaient condamnés à perdre tôt ou tard leur
individualité nationale et à fusionner avec les
Russes dans le giron de l'Église orthodoxe.
Mais, quel changement magique 1
Dès que l'armée russe, dans sa marche triomphante, arrive à San-Stéfano et que les détonations du canon moscovite ébranlent les fondements du gouvernement
constantinopolitain,
aussitôt les dispositions des Arméniens de Turquie se transforment; aussitôt le russophilisme
devient un mot d'ordre et le patriarche Nersès,
obéissant à ce mot d'ordre général et collectif,
prend une attitude diamétralement
opposée; il
prend le chemin de Canossa et se rend au quartier général russe à San-Stéfano, afin
d'implorer
258
DE L'ARMÉNIE
AUTOUR
la protection
du grand duc généralissime
tsar.
/
C'était la seconde période de la politique
du
ar-
ménienne,,
Lé résultat en fut l'article 16 du Traité de
San-Stéfano.' Le peuple arménien en attendait
davantage; les souffrances qu'il avait endurées
jusque-là et le concours très appréciable qu'il
avait fourni aux armées russes lors de l'envahissement de l'Arménie leur donnaient droit
d'espérer et d'exiger davantage.
Aussi, déçus du côté russe, ils se réfugièrent
auprès du rival de la Russie, l'Angleterre.
Ainsi, nouveau changement de situation, nouvelle volte-face... C'est la troisième période de
la politique arménienne qui devait se terminer,
hélas I par une douloureuse désillusion.
A ce moment, il y eut, de la part des Armé-,
merveilleux d'efforts
niens, undéclanchement
et de mouvements dans toute l'Europe, surtout
dans les grands centres d'Angleterre, en vue de
soulever la question arménienne et d'obtenir
du Congrès de Berlin plus que ce qui avait été
obtenu par le traité de San-Stéfano.
*
* *
Le chapitre
tement».
VI e^t intitulé
Vijoume « l'avor-
LESORIGINES
ARMÉNIEN 2Ô0,
DUMOUVEMENT
Lorsque, malgré toutes les espérances de la
Nation, la Russie victorieuse accordait aux Arméniens, au lieu de l'autonomie de l'Arménie,
l'article vague et restreint du traité de San-Stéfano; lorsque ledit article se transforma en l'article 61 du traité de Berlin élaboré par un grand
aréopage et qui, par cette origine, rappelle la
montagne accouchant d'une souris, la désillusion et la déception de la Nation furent aussi
vives que poignantes et douloureuses.
Et aussitôt, les .critiques tombèrent drues
sur les agents qui avaient fait tout leur possible
en vue d'obtenir et d'assurer le bien-être et la
sécurité dans les provinces habitées par les
Arméniens. Les diatribes les plus vives et les
plus acerbes ne furent pas ménagées à la députation arménienne qui s'était rendue au congrès
de Berlin, el notamment à Mgr Nersès, le
patriarche 'd'alors.
Néanmoins, d'après notre auteur, l'avortemenl de toutes les démarches
effectuées ne
provenait pas de la forme ou des erreurs de la
diplomatie arménienne : il attribue cet insuccès
au manque de préparation du peuple, à l'insuffisance de la force de résistance de ce dernier.
Il y manquait la a grande cuiller en fer » dont
Mgr Khrimian, à son retour de Berlin, pleurait
amèrement l'absence...
Et la Nation qui dédaignait le fer n'a ramassé
2C0
AUTOUR
DEL'ARMÉNIE
que l'outrage diplomatique. En effet, LordBea-consfield n'avait même pas voulu-recevoir
la
députation arménienne.
continue M. Varandian, si
Et, justement,
l'Arménien n'avait pas été une lettre morte en
1878 et après, s'il avait mis fin à sa docilité et
à sa passivité cadavérique en présence des violences infinies des Kurdes et des Turcs; si, par
contre, il avait été quelque peu initié à l'esprit
révolutionnaire et avait euavec ses inriombrables
écoles et couvents quelques organisations dans
ce but, ;— organisations qui avaient poussé
comme des champignons en Grèce, au commencement du xixe siècle, au sein des établissements scolaires purement nationaux, — l'Angleterre ne se serait pas comportée avec le peuple
arménien comme elle l'a fait, et, par conséquent, la puissante propagande menée à Londres au nom de l'autonomie de l'Arménie n'aurait pas eu une fin aussi triste que déplorable.
*
* *
Le chapitre VII s'occupe des répercussions
de la guerre et expose le premier essai de réforme.
L'année 1877 est une date considérable pour
l'histoire arménienne moderne, tellement la
guerre russo-turque est riche en conséquences,
MOUVEMENT
ARMÉNIEN 2<il
LESORIGINES.DU
et tant elle a profondément
remué la situation
et les dispositions
du peuple arménien en
Turquie...
En effet, la déclaration
de la guerre fut
comme la sonnerie de la liberté pour le pays
tanttorturé.
Les espérances battirent leur plein
et l'enthoule peuple s'anima, s'encouragea
siasme décupla lorsque l'on apprit surtout que
c'étaient des généraux d'origine arménienne
qui commandaient les armées russes sur le front
asiatique, sur le théâtre de ta guerre qu'était
l'Arménie! Les noms des Loris-Mélikoff, des
toute
Ter-Ghoukasoff, des Lazaref électrisaient
la nation.
on ne sait que trop en
Malheureusement,
en quelles déceptions se
quelles désillusions,
changèrent peu après toutes ces attentes effrénées, toutes ces espérances dorées de la nation
arménienne. En même temps que la retraite de
l'armée russe, même avant, la haine musulmane
se ralluma avec beaucoup plus de violence que
jamais. Ce fut le règne des brigands et des
tels que Chéikh-Djelaleddine;
le
assassins,
crime se déchaîna comme un ouragan et alla
s'abattre sur les parties de l'Arménie qui étaient
et qui avaient le »
restées jusque là prospères
moins subi l'influence de la guerre et du fléau
des concussions
et des exactions kurdes et
turques.
45.
26a
DE I.'ARMÉME
AUTOUR
Ici, l'auteur s'arrôlo pour jeter un coup d'oeil
sur la situation économique du pays, immédiatement après la guorro, et il s'écrie : quello
économie et quel trafic au milieu de cet extraordinaire tourbillon des barbaries kurdes I Tout
était arrêté net. Le villageois arménien avait
mis à la disposition du Turc non seuloment son
bétail pour les besoins de la guerre, mais il
s'était attolô lui-même à la charruo gouvernementale à la place du boeuf pour transporter des
canons et des munitions.
Ainsi, la vie économique s'était éteinte; avec
les travailleurs de la campagne s'était ruinée '
'
aussi la classo des commerçants.
Seuls, do
rares aventuriers
avaient réussi à profiter de
ces terribles événements, à brasser des affaires
lucratives, à faire leur fortune.
A la famine pour ainsi dire naturelle, conséquence inhérente à toute guerre, n'avait pas
tardé à succéder la famine artificielle (1880). Lo
d'Abdul-Ilamid,
gouvernement
qui avait pour
des Arméniens, tenobjectif l'anéantissement
dait à compléter l'oeuvre de ruine et de dévastation accomplie par les bandits kurdes, en
restreignant le libre échange des marchandises,
en interdisant l'exportation des céréales dans
les localités où elles étaient relativement aboni
dantes...
El que faisait donc l'Europe en ce moment-là?
1>UMOUVEMENT
ARMÉNIEN at>3
LESORIGINES
Nous avons connu déjà la famouso et solènnollo déclaration de Lord Salisbury qui a faille
arménien
:
au
tort
peuple
grand
peut-être
plus
« La Turquio ne pourra pas fairo les réformes,
tant que ses finances no seront pas réformées ».
Néanmoins, l'opinion publiquo se révoltait da
temps on temps et exigeait la mise à exécuticn
des engagements assumés. Quant à l'Arménie,
la situation y devenait do plus on plus déplorable et tragique. Sur quoi, le gouvernement
britannique prit le parti— pour sauver les apparences — do faire un pas actif, A la suite do sos
amicales, la Porto fit en 1870 le
suggestions
premier essai de réformes en Arménie.
On expédia dans les vilayels arméniens doux
commissaires anglais, auxquels étaient adjoints
deux autres commissaires indigènes choisis par
central.
le gouvernement
Inutilo'd'ajouter
que ces commissaires, nommés déjà pour la forme, ne serviront à rien,
puisqu'ils n'étaient munis d'aucun pouvoir exécutif et que tout était subordonné au bon plaisir
do la Porte.
Ainsi donc AbduMiamid trompait cyniquement l'opinion publique; et l'Angleterre,
au
conservateur
nom du gouvernement
qui dirigeait, continuait à prodiguer sa protection à la
Porte. Ce qui est plus fort encore, conformément à l'exemple dos Tures, le Livre bleu anglais
a64
AUTOUR
DBL'ARMÉNIK
ui aussi commença à appolor les provinces
arméniennes du nom de « Kurdistan ». Ce fut
un comble pour les Arméniens. Et ce fut le
résultat le plus tangible du traité do Chypre et
des engagements solennels pris par la GrandeBretagne. En réduisant l'Arménie au Kurdistan,
de Beaconsfield donnait la
le gouvernement
consécration aux vieilles tendances de la Sublimo Porte : bouter hors de sa patrie l'élément
arménien en y implantant des éléments musulmans tels que Turcs, Circassions, Turkomans,
d'alors
La/es, otc. En un mot, l'Angleterre
sacrifia à sa politique do haino contre la Russie
et à la possession de l'Ile de Chypre, tout l'avenir et tout le bien-être du peuple arménien I
* *
Dans le chapitre VIII, l'auteur expose le
développement de la question d'Orient et traite
A cet effet,
do l'Antagonisme
anglo-russe.
M. Varandian interrompt un instant le fil de
l'histoire du drame arménien et retourne aux
évolutions de la grande question d'Orient à
le
de
lié
sort
si
intimement
se
trouve
laquelle
!a question arménienne.
des circonstances
Après une récapitulation
déjà relatées dans le, tomo I (p. 153-166) qui
avaient donné naissance à cette fameuse ques-
LESORIGINES
DUMOUVEMENT
ARMÉNIEN aG5
lion, il reparle do la rivalité entre doux grandes
puissances, l'Angleterro et la Russie, et reproduit, enfin, le toxto du Programme Politique de
Piorro le Grand, qui a servi, deux siècles
durant, do Crodo politique à la diplomatie
russe.
Pour contrecarrer les projets do conquéto et
do domination de la Russie on conformité des
clauses du testament de Pierre le Grand, la
Grando Bretagno maintiont le plus fortoment
possible le dogmo de l'intégrité do l'Empire
de la
ottoman (et, par extension, l'intégrité
Perse).
Après avoir mis ainsi on évidence los dogmes
opposés des deux grands Etats rivaux, M. Varandian expose les idées de différentes personnalités politiques do tous les pays sur l'opportunité et la non-opportunité de l'intégrité de la
'
Turquie.
Il passe en revue, avec nombre d'appréciations de la plus hauto valeur, la guerre de
Crimée et le Congrès do Paris, ainsi que la
thèse da « l'homme malade » à propos du partage de la Turquie, préconisé et soutenu par la
Russie.
Ainsi la Russie, fidèle à son programme traditionnel, reprend ses visées sur la Turquie et»
fait la guerre de 1877.
Malheureusement, à cette époque, los rênes
iCtï
lUTOUK
DE L'ARMÉME
du gouvernement
anglais n'étaiont plus entro
los mains do Gladstono qui no cossait do prêcher l'expulsion des Turcs ot leur rejet au fond
de l'Asie; le parti opposé, c'est à-diro le parti
tenait le pouvoir, dont le chef,
conservateur,
Disraeli devenu Lord Beaconsfield, partisan
convaincu do l'impérialisme britannique et non
moins partisan fervent do l'intégrité de la Turquie, observait d'un oeil inquiet le nouveau progrès réalisé par la Russie sur le théâtre des
il fit
événements orientaux. En conséquence,
stationner
la flotte anglaise devant Conslantinople, réviser le traité de San-Stéfano par lo
Congrès de Berlin et conclure, en faveur de la
Turquie ot do l'Angleterre», le traité de Chypro
qui devint le tombeau de tou*? les droits et do
toutes les espérances du peuple arménien.
*
• *
Chapitro IX. L'auteur y envisage la « JeuneTurquie » et le spectre du Panislamisme. Avec
une connaissance approfondie de la psychologie
et de la mentalité turco-musulmanes,
M. Varandian prouve magistralement
que ce que l'on
» est fait de la môme
appelle « Jeune-Turquie
pâte, inspiré des mêmes idées qui constituent
l'essence de la Turquie vieille et décrépite.
Cette « Jeune-Turquie », qui avait pris naissance
DU MOUVEMENT
LESORIGINES
ARMÉNIEN :jt»7
au sièclo dernier, vors 1860, s'était donné
comme mission do sauver la patrie, en intro*
dans le concert do la civilisation
duisantcollcci
elle était entrée on scène avec les
européenne;
symboles do la liberté et de l'égalité; mais en
réalité, elle déclarait la guerro à l'Europo, on
opposant l'islamisme au christianisme, lo Coran
à l'Evangile; ce qu'elle réclamait hautoment,
c'était do ne plus faire do concessions
aux
« giaours », d'éloigner les Européens du serdu pays, d'abolir lo
vice des administrations
Tanzimat et toutes autres institutions similaires.
Toute pénétréo du patriotisme turc orgueilleux
et exclusif, elle exigeait quo la Turquie se réorganisât d'elle-même, avec ses propres forces,
sans le concours de l'Europo.
En empruntant les formules politiques occile texte do la Consdontalos, en s'appropriant
titution des nations européennes, les <(JeunesTurcs »>ne songeaientqu'à forger des instruments
de guerro contro cette même Europe et faire
persister l'hégémonie de l'élément turc sur le
« raya », sujet et dépossédé... Enfin, le nouveau*
courant paraissait sur la scèno avec l'emblème
belliqueux du Panislamisme, animé de la même
haine instinctive envers le « giaour», décidé à
rassembler sous un mémo drapeau toutes les
races islamiques, diriger une lutte impitoyable
et faire rentrer
contre le monde chrétien
aC8
DRL'ARMÉNIF.
AUTOUR
dans le giron do l'Islam ses territoires perdus.
Tel est, proclame très justement M. Varandian, le vrai portrait, dans le passé, dans lo
présent et dans l'avenir, de la « Jeune-Turquie ».
L'autour parle ensuite du Coran, prétendue
« source do tout savoir humain », et se livre à
une critique sévère de la « Constitution ottomane », attribuée à Midhat pacha, qu'il trouve,
tant celle de 1876 que colle proclaméo en 1908,
dénuée de toute sincérité et de tout principo
d'égalité.
Néanmoins, malgré toutes ses tares et tous
ses défauts, la « Jeune-Turquie » constituait en
son temps une heureuse nouveauté pour les
races opprimées et dépossédées, sujettes de la
Turquie, et tout particulièrement
pour la raco
arménienne, au point que, dans sa période do
formation encore clandestine et extra légale, le
avait déjà réussi à gagner
parti jeune-turc
même des membres chrétiens, entre autres —
— l'Arménien
et le plus important
Odian
Effendi. Le rôle de ce grand Arménien, haut
fonctionnaire du gouvernement ottoman, avait
été tellement considérable dans le mouvement
et son influence si puissante
constitutionnel,
dans les milieux jeunes-turcs
et sur Midhat
pacha lui-même, que c'est à lui que d'aucuns
attribuent la conception de la Constitution de
Midhat pacha.
LESORIGINES
PU MOUVEMENT
ARMENIEN aGf)
Phénomène significatif et coïncidence digne
de toute attention : presque simultanément,
dans trois Etats différents, en Russie, en Turquie et en Egypte, ce sont trois Arméniens,
autorisés et influents, qui s'érigent en partisans
et
convaincus des institutions
européennes
jouent un rôle de premier ordre dans l'oeuvre
de la régénération de ces pays arriérés : LorisMélikof, Grégoire Odian ot Nubar pacha.
Sur ces entrelaites, l'insurrection de l'Herzégovine et la perspective d'une nouvelle invasion russo vinrent hâter les choses, et on 1876
Stamboul devenait le théâtre d'une formidable
Le manifeste des « Patriotes
conspiration.
Turcs », qu'on attribue à Midhat pacha et à
Odian Effendi, distribué entre tous les hommes
d'Etat de l'Europe, rassure les cabinets eurode
péens et permet ainsi aux conspirateurs
détrôner Abd-ul-Aziz et de le remplacer par le
sultan Moura,t. Ce dernier, détrôné à son tour,
sous prétexte d'une maladie incurable, est remplacé avec force pompe et solennité par « cet
homme qui ferait perdre à.jamais la Turquie et
dont les actions infernales ébranleraient
le
monde entier ».
:»;o
DE I. ARMENIE
AUTOUR
—
On na
intitulé
Abdul-Hamid.
:
Chapitre X,
le
titro
dont
ce
sur
chapitre,
s'appesantira pas
est assez éloquent par lui-même.
Qui ne connaît le « grand assassin » le « sultan rougo », dont le nom est déjà voué à l'exécration par l'humanité en général et par les
Arméniens en particulier qui, pendant toute la
durée do son règne néfaste et despotique, n'ont
été que ses « boucs émissaires »?
M. Varandian^avec sa plume autoriséo et sa
science au-dessui de toute contestation, dépeint
de main de maître le génie malfaisant qu'est
l'ex-sultan de Turquie. Il trace admirablement
le caractère de ce maniaquo, continuellement
obsédé parle doute, la peur, la persécution. Il
note chez ce tyran original les sentiments
do
haino et de vengeance; il en relève la volonté
de vivre,,à quolquo prix que ce soit. Il fait un
exposé magistral de ce régime de persécution
et de terreur. Pour lui, Abdul-Ilamid
est le
type du tyran classique, et son règne celui de la
centralisation absolue et du régime personnel.
Il en relève, néanmoins, la puissance de travail
presque phénoménale.
Avec une connaissance
approfondie de son
sujet, l'autour résume en deux mots tout le
LESORIGINES
DUMOIVEMFNT
ARMÉNIEN 271
symbole d'Abdul-llamid : Panislamisme otPaiiturquismo. Il relève ensuite les traits maladifs
do l'intolligonco d'Abdul-llamid et souligno son
attitude vis-à-vis do la « Jeune-Turquie », altitude toute de perfidie et d'hypocrisie
dont la
prouve la plus manifeste fut la disgrâce et l'assassinat de celui à qui il devait son trône, Midhat
pacha.
Avant de cloro ce chapitro, l'auteur rappelle
les atrocités bulgares do 1875.ot l'émancipation
du peuple bulgare qui s'ensuivit, sous les auspices de la Russie.
Chapitre XI. Mais voici que los bouches arméniennes elles aussi commencent à parler d'émancipation. On sont enfin apparaître les premiers
souffles de révolte. La crise permanento que
traversait le pays, le moment historique orageux, l'invasion victorieuse de la Russie, que
comme le vont de la
beaucoup considéraient
libération appelé à mettre une fois pour toutes
fin à la domination du Croissant, enfin la conscience de l'inutilité
des suppliques et des
plaintes formulées depuis dos années et des
années, tout cela ne pouvait pas passer saiVs
exercer une influence, au moins sur quelquesuns des représentants de la classe intellectuelle
DR I.'ARMÉNIR
AUTOUR
37a
des Arméniens do Turquie. Aussi, depuis los
journées désastreuses de 1877-1878, los accents
de protestation contre la tyrannie des sultans
se faisaient-ils entendre,
de temps en tomps,
plus fréquents, plus précis, plus forts.
Et, en effet, cette époquo marque l'ouverture
d'uno nouvelle période dans les annales du
de Turquie : l'Assemblée
peuple arménien
Nationale arménienne de Koum-Kapou devient
une tribune où les représentants
de la Nation
exposent hautement et crânement les douleurs,
les tortures endurées par la Nation, et dessillent
los yeux de cotte dernière sur la réalité do sa
situation.
Déjà, dès 1870, un groupe de jeunes agents
s'était formé à Constantinoplo,
avec ChahnazaMinas Tchêraz, Arpiarian,
rian, Portoukalian,
etc., etc. Animés de tenDémirdjibachian,
dances réformatrices, et visant à la régénération
de la nation arménienne, ils stimulaient avec un
zèle inlassable
l'Idée nationale, soit dans la
presse et la littérature, soit dans le domaine de
l'enseignement.
Pourtant, dès 1873, au nombre do cette jeunesse d'élite et patriote, une figure attira tout
l'attention
particulièrement
publique, tant à
cause de son caractère intègre et intrépide, que
:
de son tempérament ardjpnt et révolutionnaire
c'était Meguerditch Portoukalian, à qui il était
LESORIGINES
DU MOUVEMENT
ARMÉNIEN W]ï&
réservé do fonder plus tard lo promier parti
révolutionnaire
arménion
et de dovenir
le
du
nouveau mouvemont
armépromoteur
nien.
Bientôt l'activité nationale prenant do grandes
on fonda tour à tour différentes
proportions,
sociétés de bienfaisance
et d'instruction,
qui
jouèrent toujours un rôle prépondérant au point
de vue de la préparation do la conscience natiodestinale. Telle la Société Antznanouvère,
née à apprendre à lire et à écrire à des milliers
d'Arméniens émigrés des provinces à Gonstantinoplo, Une autre société plus considérable
encore fut la Parékordzagan
(do bienfaisance),
do la
qui avait pour but le développement
Cilicie.
En outre, avec la coopération de la jeunesse
appartenant aux autres fractions religieuses de
la nation, trois autres associations vinrent à se
former : YAraradianth
Tcbrolzasser-Arévélian,
et la Kilikian. Tous les membres de ces diverses
nationales
étaient des hommes
associations
révoltés contre la situation dominante ; et, tout
en poursuivant
des buts d'instruction
et d'éduau fond do leur coeur
cation, ils caressaient
l'idée de l'émancipation de l'Arménie.
Conjointement avec les agents nommés pliiB
haut, lo romancier D/crcnlx (Chichmaniaii) faisait paraître ses oeuvres qui, avec celles d'Abo-
DE L'ARMÉNIE
VUTOUR
17-r|
viuu et do Ha fli, venaient enrichir la liltératuro
do romans héroïques.
Et l'on dirait que ce fut comme une réponse
à ces appels et à ces sourdes exhortations à la
révolte que l'on apprit vers la fin de 1878 la
nouvelle que les Zèythouniotes s'étaient insurges.
commence à
Mais le vent do l'insurrection
souffler plus fort ; toutes les voix qui s'élèvent,
é/eillent des échos de plus en plus forts, qui
so traduisent en actos et en gestes pratiques.
En 1887, on inaugure à Erzeroum le premier
ot le premier
grand comité de conspiration
'
de
munitions.
dépôt
En 1885, Portoukalian
fonde à Marseille son
journal Arménia; pou après, il crée l'associa».
tion dite « Société patriotiquo arménienne
Un pou plus tard, on fonde le Hentchak ou le
« Parti hentchakisto ».
En 1890, éclate à Erzeroum même la première
et sanglante démonstration
arménienne contre
le despotisme du jour; elle est suivie de la
démonstration de Koum-Kapou, et dans lo cours
de cette môme année 1890 se fonde la « Fédération Révolutionnaire arménienne ».
Telle est, dans ses grandes lignes, l'économio
de l'oeuvre de M. Varnndian. Les analyses que
DUMOUVEMENT
LESORIGINES
ARMENIEN 3"]5
*
no
une
données
Iraai
remplaceront
pas
j'en
duction intégrale do l'original arménien ; elles
à tout le moins, à signaler un
contribueront,
qui sont plus que
ouvrage et une question
jamais à l'ordro du jour.
Lo deuxième volume de M. Varandian s'arrête
au moment où los divers partis arméniens se
sont résolument mis à l'oeuvre pour procurer
enfin à la grande nation infortunée le repos ot
la sécurité. Les événements tragiques de ces
dernières années sembleraient vouloir donner
un démenti formol aux aspirations arméniennes.
sort
Mais, de même que l'auroro printannière
des ténèbres obscures do l'hiver, de même un
peuple rajeuni, puissant et robuste, sortira du
creuset où le plongea la tyrannie turco-germaine. La résolution que prirent le i Arméniens
de se ranger, dès le début, aux côtés des Alliés,
leur est un sûr garant que leurs justes revendications seront entendues, et qu'il sera fait
droit à leurs demandes les plus légitimes. L'arménie revivra, comme revivront la Belgique et
la Serbie.
L'EXTERMINATION
D'UN
PEUPLE(
1)
Sous cette rubrique, quelques périodiques(2)
des
ont signalé la destruction
systématique
Arméniens de Turquie. L'appel à la pitié et à
l'intervention des nations qui auraient pu et
dû protéger d'innocentes victimes contre des
brutes déchaînées n'a pas produit l'effet qu'on
aurait été en droit d'attendre.
Depuis si longtemps
que l'on parle de
massacres d'Arméniens, depuis que l'ex-sultan
Abdul-Hamid a, pour son propre compte, fait
tuer un demi-million do ses sujets arméniens,
il semble que les nations européennes se soient
accoutumées à ces appels déchirants qui nous
viennent d'Orient et que ces tueries humaines
(1)Kxlraitde Poi et Vie,les qaeition*du teatp»prêtent,
revuede quinzaine.CahierB, n« 19.16décembre1915.
(2)Araral, asearchllghton Armenia(LondooJn**d'août1914
et suiv.—Armenia,eeodélie rivendlgailonlarmene(Torino),
15oct.et 15nor. 1915.—VIllustration(Paria),nMda 9 octobre
et da 20 novembre1915.— Bulletin de (Alliancefrançaise
— Et de nom(Paris),n*25',!•' novembre,1915,p. 109-111.
breux article*ou enlreGIeladans lea quotidiensde Franceet
de l'étranger.
L'EXTEHMIMATIO*
D'UNPEUPLE
277
constituent pour ainsi dire un état quasi normal
dont on a presque pris son parti.
Et puis, les États alliés ont actuellement une
tâche suffisamment lourde à accomplir pour
qu'ils n'aient même pas le loisir d'intervenir en
faveur des victimes de la barbarie ottomane. Il
est d'autres peuples européens qui n'auraient
qu'un mot à dire pour que ce cruel état de
choses prenne fin immédiatement;
ce mot, non
seulement ils ne .le diront pas; mais, par la
plume d'un comte Reventlow, ils proclament le
droit et le devoir des autorités turques de
« prendre des mesures vigoureuses contre des
éléments arméniens
de confiance,
indignes
avides de sang et rebelles » I
Et dans ce drame gigantesque qui se déroule
à nos yeux, il nous est particulièrement
agréable
de relever que, parmi les victimes arméniennes
destinées aux tortures et vouées à la mort certaine, 4.200 ont pu échapper aux a tires des
supplices et vivent maintenant tranquilles en
Egypte, grâce â la générosité et au dévouement
de trois bâtiments français. Dans ses heures
d'angoisse les plus poignantes, la France sait
encore porter secours aux faibles et aux opprimés.
Dans cette ruée des peuples les uns contre
les autres, où la soif de la mort, le besoin de la
sont
destruction, la passion de l'anéantissement
10
x AUTOUR
DE L'ARMÉXIB
378
devenus une règle, on est frappé de remarquer
une recrudescence de massacres, d assassinats,
de meurtres, comme si la mort n'accomplissait
pas suffisamment son oeuvre par la disparition
de ceux à qui incombent le devoir de lutter,
l'honneur de vaincre ou de mourir.
Et l'on se demande quelle peut bien être la
cause de cette recrudescence du fanatisme turc
à l'égard des Arméniens.
La raison en est facile à trouver. Elle s'explique par l'attitude même des Arméniens. Elle
est également à chercher dans le caractère
j .
propre du Turc.
Dès que la guerre éclata, en août 1914, les
Arméniens, n'écoutant que leur conscience, se
rangèrent résolument du côté des Alliés; des
volontaires s'enrôlèrent sous le drapeau français, tandis que d'autres gagnaient les rangs
russes. C'était plus qu'il n'en fallait pour s'attirer la haine duTurc. Si les Arméniens avaient,
résisté à la Russie, s'ils avaient embrassé la
cause des Austro-Allemand?, les événements, à
coup sûr, n'auraient pas pris la tournure que
l'on sait. Parce qu'ils ont sympathisé avec les
soldats du droit et de la liberté, parce qu'ils
n'ont pas même cherché à dissimuler
leurs
sympathies, les Arméniens ont payé et paient
durement encore leur geste de noblesse et de
générosité. Et c'est pourquoi lo Turc redouble
D'UXPEUPLE
L'EXTERMISATIOX
279
de cruauté et raffine les supplices à leur égard.
Quel est donc le tréfonds de la mentalité
turque ? Les Turcs no peuvent rien faire par
eux-mêmes; ils sont restés un peuple nomade,
malgré leur séjour plusieurs fois séculaire dans
les villes. On chercherait vainement à nommer
une seule cité importante qui ait été construite
par eux. Ils font travailler les autres; ils leur
laissent même,au début, une certaine latitude;
puis, lorsque la prospérité commence à couronner l'effort du travailleur, lorsque le Turc
estime que le giaour risque de devenir un danger pour lui, il fomente une révolte et le massacre des révoltés s'ensuit fatalement. C'est en
vertu de ce principe, de cet esprit d'organisation, que les massacres n'ont jamais eu lieu
aux mêmes endroits; on procède par coupes
réglées, on n'abat pas en une fois tous les arbres
de la forêt ; on y met de la méthode; mais au
bout d'un temps fixé, les arbres auront tous été
sûrement abattus. Cette façon de procéder est
d'une application plutôt difficile dans des centres
Smyrnc;
importants comme Constantinopleou
c'est la tactique courante à l'intérieur du pays.
A aucun moment de son existence, le peuple
arménien n'a été à la charge du conquérant ; il
a toujours subvenu aux besoins de son culte,
de ses écoles, de ses hôpitaux et de ses autres
institutions de bienfaisance; et ceci, malgré les
DE I/ARMÊNIE
v AUTOUR
impôts réguliers et surtout irréguliors qu'il
payait ponctuellement et qui l'accablaient progressivement. Lo gouvernement turc n'a jamais
dépensé un seul para pour les Arméniens. Lo
contraire a fréquemment lieu, et il n'est pas
rare de constater dans les grands centres où il
y a des hôpitaux arméniens, israéliteset turcs,
que les Turcs vont se faire soigner gratuitement dans les hôpitaux arméniens qui sont exclusivement entretenus par les deniers arméniens'
Une autre preuve palpable de l'incapacité
turque est que, dans les centres turcs, il n'y a
pas un seul exportateur turc, qui traite directement des affaires avec l'Europe. Les Turcs se
contentent de trafiquer avec les commerçants
de l'intérieur, lis sont littéralement incapables
do faire le grand commerce, à telle enseigne
que les négociants turcs de l'intérieur envoient
leurs marchandises en commission chez des
Arméniens' ou des Grecs.
On a répété h satiété que les Turcs, étant
fatalistes et ne possédant aucune éducation, il
leur était impossible do s'européaniser;
il n'y
aurait là que demi-mal, s'ils rachetaient par
d'autres qualités leur incapacité radicale, leur
impuissance complète de conception. Ce n'est
pas le cas. Leur cerveau est engourdi par ces
deux facteurs : lé fatalisme et le manque d'éducation, Ils ont la mentalité de leurs ancêtres, et
a8o
D'UNPEUPLE
L'EXTERMINATION
281
depuis six siècles qu'ils infestent l'Europe et
l'Asie antérieure, ils n'ont fait aucun effort pour
marcher résolument dans la voie do la civilisation et du progrès. Ils pillent, ils tuent, ils
massacrent, ils violent comme l'ont fait leurs
pères ; ils se trouvent bien de cet état de choses,
ils s'y maintiennont.
Ils croient avoir d'autant plus de raisons de
s'y maintenir qu'ils sont ouvertement approuvés
par leurs alliés ; et ils no voient pas, les malheureux, que leur incapacité même est un des
motifs pour lesquels leurs amis allemands les
encouragent à faire disparaître les Arméniens..
Ceux-ci sont, avec les Grecs et d'autres populations autochtones, l'élément travailleur, nourde l'empire ottoman. Une
ricier, producteur,
fois cet élément anéanti, une fois le commerce,
la banque, l'jndustrio entre les seules mains
des Turcs, ceux-ci mêmes, en raison do leur
—
si l'on
feront
impuissance radicale,
appel
—
ainsi
à leurs amis qui entrepeut s'exprimer
voient déjà la prise de possession de ce qui
aura été une fois l'empire ottoman.
Si peu renseignés que nous puissions être
sur les événements qui se déroulent en Anatolic, nous savons que des consuls allemands
ne se cachent pas pour inciter les Kurdes et les
leurs
Turcs aux massacres des Arméniens;
noms onl été publiés.
(6.
282
DE I/ARMÉME
AUTOUR
Nous savons, pour ne citer qu'un exemple
typique entre mille, qu'à Trébizondé, dont la
population se composait de 15.000 Arméniens,
de 20 000 Grecs, de 35.000 Turcs, en chiffres
ronds, il ne reste plus un seul Arménien vivant.
Ils ont tous été massacrés. Et nous savons
comment les choses se passèrent :
d'abord
Les autorités turques rassemblèrent
tous les Arméniens, sujets russes ; sous le prétexte de les expulser, on les fit monter dans des
la
embarcations,
qui prirent immédiatement
mer ; quelques heures après, ces mêmes embarcations rentraient au port, délestées de leurs
passagers arméniens;
Ces mêmes autorités turques ordonnèrent à
tous les Arméniens habitant les villages environnants, de se rendre à Trébizonde, faute de
quoi, ils seraient mis à mort sur-le-champ. Une
fois réunis en ville, on sépara les jeunes gens
d'avec les femmes et les vieillards ; sous pré>
texte à%exputsiont on en embarqua une partie,
qui fut coulée en pleine mer, tandis que les
du
autres étaient acheminés vers l'intérieur
pays, et massacrés sans pitié en cours de route.
Puis on sépara des femmes les enfants de trois
à treize ans, que l'on parqua dans le collège des
Les
expulsés.
français,
précédemment
religieux
Turcs vinrent au collège, choisirent les plus
jolis garçons et les plus belles fillettes. Le reste
L'EXTERMINATION
D'UNPEUPLE
'l83
fut conduit hors de ville et disparut mystérieusement.
- Puis vint le tour des femmes; celles
qui ne
furent pas choisies pour enrichir les harems
turcs furent emmenées hors de ville et impitoyablement massacrées ou noyées, après avoir
subi les derniers supplices. Au lendemain de
cette a expulsion », le consul d'Amérique, faisant une promenade à cheval dans les environs
de la ville, vit de ses propres yeux la rivière
charrier des cadavres enlacés de femmes et de
tout petits enfants, en quantité innombrable.
Parmi les jeunes filles parquées dans le collège français, l'une d'elles fut assez heureuse
pour se réfugier au grenier. Elle attendit la
nuit et, à la faveur de l'obscurité régnante, elle
se sauva au consulat d'Italie. Le consul reçut
Mlle Karagueusian, l'emmena avec lui à Constantinople, puis au Pirée, l'habilla comme sa
bonne, lui fit établir un passe-port italien et la
dirigea sur Odessa où l'infortunée jeune fille
retrouva sa soeur, Mme Boyadjian. C'est par
cette seule rescapée que l'on connut tout
d'abord les atrocités du massacre criminel de
Trébizondé, perpétré en juin-juillet 1915.
Nous savons, par une lettre que nous avons
sous les yeux en traçant ces lignes, qu'une seule
Arménienne de Trébizondé ne fut pas massacrée : sur le point d'accoucher, Mme Tahmad-
28/1
AUTOUR
DE L'AHM£NIE
jian était à l'hôpital; elle mit au mondé un
enfant et, immédiatement la délivrance opérée,
on la fiança d'office à un musulman de la ville.
C'est, sur une population de 15000 Arméniens,
la seule personne qui soit restée à Trébizondé;
mais elle n'est plus arménienne, et elle ne doit
la vie qu'à l'abjuration qu'on lui imposa.
La tactique des autorités turques, en faisant
sortir de la ville les Arméniens pour les massacrer plus à l'aise, était, avant tout, d'éviter que
leurs victimes pussent se réfugier chez des
musulmans compatissants. En haute mer, ou à
l'intérieur des terres, l'assassinat pourrait; se
perpétrer plus aisément, sans avoir à redouter
la pitié de témoins gênants.
les Turcs
En exterminant
les Arméniens,
faisaient une « bonne affaire » et l'on estimé que,
pour la seule ville de Trébizondé, les pertes
nettes arméniennes peuvent être évaluées à cent
millions de' francs, tant en propriétés mobilières qu'immobilières.
Tandis qu'en 1896, on
se contentait de ruiner les Arméniens et de
s'emparer de leur fortune, une fois la faillite
déclarée, témoin le cas de M. Aznavorian, dont
le commerce de tissus fut détruit, puis revendu
pour une bouchée de pain au turc Nemlizadé,
en 1915 on les extermine purement et simplement pour s'emparer'de
leurs richesses. Un
des plus fortunés Arméniens de Trébizondé,
D'UNPEUPLE
L'EXTERMINATION
285
M. Arabian, se voyant sous le coup d'une expulde la ville et
sion, alla trouver le gouverneur
lui proposa de donner tous ses biens, meubles
et immeubles, à qui de droit, pourvu qu'on lui
garantit la vie sauve. Le gouverneur lui rit au
nez et lui répondit: « Mais tout cela nous appartient déjà ». Et il le condamna à l'élargissement.
.On sait ce que signifie, en turc actuel, une
condamnation à l'exil.
Ce qui se passa à Trébizondé eut lieu dans
.tous les grands centres ottomans, comptant de
fortes colonies arméniennes
et l'on estime à
plus d'un million le nombre des victimes exécutées au nom de l'Union et du Progrès du
gouvernement jeune-turc, l'allié des Allemands,
des Austro-Hongrois
et des Bulgares. Formés
aux disciplines du Sultan rouge, les élèves ont
de beaucoup dépassé le maître. Le sang de tant
de victimes innocentes
crie vengeance, et le
nombre des morts pèsera pour beaucoup lorsque
l'heure de la victoire aura enfin sonné et qu'il
conviendra de refaire une humanité affranchie
du militarisme outrecuidant et délivrée à jamais
du cauchemar turc.
LES
JEUNES-TURCS
ET
L'ARMENIE
(UN POINTACQUIS)
Bin turk, bir tcurp
ail lurku, tour tourpa
guiné iaiek lourpa.
« MilleTurc*,uo radia;
«.Prenezle Turc, heurtez-lecontre
[le radié :)
« C'est encore dommagepour le
1
(radis».)
(Proverbetare.)
En 1908, les Jeunes-Turcs
ont renversé
Abdul-IIamid II et constitué une sorte de république. Ils ont promis de donner à tous les
citoyens de l'Empire des droits électoraux, et
on a pu croire un instant que Turcs, Arabes,
Grecs, Arméniens, Juifs auraient la liberté dans
un empire ottoman régénéré.
L'illusion ne fut pas de longue durée. Dès le
mois d'avril 1909, les massacres d'Arméniens
à Adana montrèrent
ce qu'on pouvait attendre
des Jeunes-Turcs.
Ceux-ci essayèrent de donner le change en présentant cette nouvelle hou-
KT L'ARMÊXIK
LESJEUNES-TURCS
287
chérie comme un dernier soubresaut du régime
Personne ne fut dupe. Môme- les
hamidien.
amis du régime oltoman durent reconnaître
que les victimes de Cilicie avaient été massacrées sur l'ordre du gouvernement
jeune-turc.
Les années se suivirent; aucune amélioration
n'était apportée au sort des populations arméarméUne Délégation
niennes de Turquie.
nienne fut alors nommée par le Catholicos (chef
suprême religieux) de tous les Arméniens.
Celte Délégation
Arménienne,
présidée
par
Boghos Nubar Pacha, avait reçu comme mission
de mettre' un
aux Puissances
de demander
terme aux agissements
turcs à l'endroit des
chrétiens ottomans et d'exécuter enfin les engagements pris dans l'article 61 du Traité de
Berlin. •
La Délégation se mit à l'oeuvre ot rédigea une
première n6te ou elle exposait les revendiet Où elle rappelait, ou
cations arméniennes
termes très modérés, la situation intenable dos
Arméniens de Turquie, priant les Puissances
d'obtenir enfin de la Sublime Porle qu'elle fit
lettre
exécuter les réformes, restéesjusqu'alors
morte. Voici la teneur de ce document :
27 Février i913. L'article 01 du Traité de /ferlin
et les Iteoendications Arméniennes.
A l'occasion des négociations actuellement cnqa>
a88
AUTOUR
DEL'ARMÉMK
gées $i4r la question d'Orient, tme Délégation
Arménienne a été nommée par S. S. le Catholicos
Kévork V, Patriarche et Chef suprême de tous les
Arméniens, avec mission de demander aux Puissances la mise à exécution des engagements pris
dans Cari. 61 du Traité de Berlin. Cet article qui
remplaça l'art. 16 du Traité de San Stefano est
ainsi conçu :
« La Sublime Porte s'engage à réaliser sans plus
« de refard les améliorations et les réformes
« qu'exigent les besoins, locaux dans les Provinces
« habitées par les Arméniens, et à garantir leur
« sécurité contre les Circassiens et les Kurdes. Elfe
« donnera connaissance périodiquement des me« sures prises à cet effet aux Puissances, qui en
« surveilleront l'application. »
Il existe' entre cet article 61 et ? article 16 du
Traité de San Stc/ano une différence, qu'il rsl bon
de rappeler pojtr donner d l'art. 61 toute sa signification. Les deux articles ont exigé des Réformes,
mais tandis que l'art. 16 déclarait que les territoires arméniens, occupés alors par l'armée russe,
ne seraient pas évacués tant.que les Réformes ne
seraient pas accomplies, fart. 61 substitua à cette
pression effective la surveillance des Puissances.
Il ne pouvait en être autrement, car Févacuation
devaitimmêdiatement suivre la signature du Traité
de lier lin.
L'article 61.est raté lettre morte depuis trente-
tfeSJEUNES-TURCS
KTl/ARMfcNIE
289
quatre an* ; les Puissances n'ont pas eu à surveiller
l'exécution de Réformes en faveur des Arméniens,
car la Sublime Porte n'en a réalisé aucune. Le
11 mai 1895, après les premiers massacres du
Sassoun, les Ambassadeurs d'Angleterre, de France
et de Russie élaborèrent, à Conslantinople, un
Mémorandum avec un Projet complet de Réformes,
qui fut approuvé par tes trois autres Puissances
signataires du Traité de Berlin, ?Allemagne, l'Autriche-Hongrie et tItalie (1) et qui fut accepté,
avec quelques modifications, par la Sublime Porte.
Malgré cette acceptation 'et bien qu'elle ait été
suivie d'un Iradé du Sidtan (2), le Projet de 1895
ne fut point appliqué. Il ne fut plus question de
Réformes et les persécutions continuèrent. Des
hécatombes inoubliables firent jusqu'en 1896 plus
de 300.000 yictimes.
A l'avènement du Gouvernement Conslilutionel,
en 1908, les Arméniens virent dans son programme
libéral une porte de salut et ils prêtèrent au nouveau régime leur concours le plus dévoué. En
réponse à leur loyalisme, 30*000 Arméniens furent
massacrés dans ta Province d'Adana.
La situation actuelle des Arméniens de Turquie
n'est plus soutenable. Si, depuis quelques mois, ils
ont échappé aux massacres en masse, ils ont été
(1)Voir Livrejaune, Alfaires Arméniennes
(18931891).
(2) Ira.tédu 20octobre1895.
17
DE L'ARUÊMK
AUTOUR
agp'
constamment exposés, aux brigandages des tribus
nomades et ils ont subi sans relâche des persécutions de toutes sortes et des spoliations et usurpations
méthodiques de leurs biens, qui ont été la cause de
ruines sans nombre. Les Arméniens se trouvent
aujourd'hui menacés d tout instant de perdre leur
patrimoine et cette éventualité est, pour eux, d'autant plus douloureuse, qu'elle s'ajoute d l'insécurité
de leur vie et de leur honneur. Nous n'avons pas
besoin d'insister sur cette situation périlleuse aussi
bien pour les Puissances et pour la Turquie que
pour les Arméniens; dous nous permettrons de
rappeler seulement que la guerre des Balkans a,été
déchaînée par ^inexécution des Réformes stipulées
dans Fart. 23 de ce même Traité de Berlin, dont
l'Arménie n'a cessé d'invoquer vainement farticle 61.
La Délégation Arménienne espère donc que les
Puissances voudront bien reprendre leur Projet de
Réformes du 11 mai 1895 et le faire entrer en
application, tel qu'il a été conçu par Elles, mais
avec des modifications et des remaniements indispensables. Il y a des articles qui, depuis dix-sept
ans, sont devenus caducs et d'autres qui doivent
être nécessairement adaptés aux circonstances
nouvelles. La délégation a rédigé un Projet
dans lequel elle s'est imposé de suivre l'esprit
et même le texte du Mémorandum de 1895,
mais dans lequel aussi elle a introduit les quelques
LESJEUNES-TURCS
ET'I/AHMÊME
aQI
modifications dont il vient d'être parlé et qui lut
étaient inspirées surtout par les règlements dont
l'utilité avait été reconnue par les Puissances et
par la Porte, lors de {établissement des Réformes
en Macédoine, de 1904 à 1908. Du reste, en
Décembre dernier, le Gouvernement Ottoman comprenant l'importance des Réformes Arméniennes
pour assurer le maintien de ^intégrité territoriale
de son Empire Asiatique, a préparé un nouveau
Projet de Réformes, dans lequel il supprime le
contrôle des Puissances et par cela même toute
garantie de durée et d'efficacité. IM Délégation ne
peut, sur ce point, que s'en remettre aux Puissances, persuadée qu'une vive pression diplomatique ferait reconnaître à la Sublime Porte, plus
efficacement qu'en 1895, la nécessité, devenue de
jour en jour plus impérieuse, du contrôle prévu
par Part. 61 du Traité de Rerlin.
Le Président de la Délégation Nationale
Arménienne,
BOGIIOS NUBAR.
Le gouvernement
jeune-turc fit la sourde
oreille. Aussi la Délégation arménienne rédigeat-elle une deuxième note, dans laquelle elle rappelait que le conflit turco-balkanique touchait à i
sa fin et qu'il allait de l'intégrité même de l'empire ottoman d'accorder et de faire exécuter les
PÉ L'ARVÉME
AUTOUR
agi
réformes promises' pour les provinces armé*
niennes. L'avertissement était accompagné d'un
conseil de haute sagesse à l'endroit des Puissances, leur rappelant que le moment était plus
opportun que jamais d'exiger l'application des
réformes arméniennes.
Cette deuxième note, portant la date du
22 mars 1913, était rédigée en ces termes :
Les Réformes Arminiennes et L'Intégrité
de la Turquie (TAsie.
Le sort de la Turquie d'Europe étant sur le point
d'être réglé, la Question d'Orient va se trouver
transportée en Turquie d'Asie. Les puissances
paraissent être daccord sur une politique de main*
tien de l'intégrité de t Empire Ottoman en Asie ;
or, pour que le maintien de cette intégrité soit
possible, il faut écarter de la Turquie d'Asie toute
cause de trouble et permettre au pays de se développer et de prospérer sous une bonne administration, — ce qui ne peut être obtenu que par Capplication de Réformes correspondant aux besoins locaux.
Ije Gouvernement Ottoman i\? compris : il étudie
actuellement (Mars 1913) vn Projet de Réformes
qui ne s'étendrait plus seuU ml comme celui de
Décembre 1912 (/) aux Provinces Arméniennes,
dela Délégation
da 21février1913:
(1)Voirla Noteprécédente!
« l'Art.61duTraitédeBerlinet lesreveudieatious
arméniennes»,
$uprà, p. 287.
LESJEUNES-TURCS
KTI/ARMÉXIE
ao/l
mais encore à la Turquie a*Asie tout entière. Cest
un plan qui parait trop vaste pour être du domaine
d'une réalité prochaine. La Porte, décrétant les
Réformes de sa propre initiative, cherche dans sa
décision spontanée, une possibilité de se soustraire
au Contrôle européen qui, seul, cependant, assurera
une réalisation efficace des Réformes. On ne voit
pas, en effet, par quels moyens on pourrait imposer à la Porte un Contrôle de Réformes embrassant
tout FEmpire. Mais, quels que soient ses projets,
la Porte ne peut pas faire table rase de Fart. 61 du
Traité de Berlin ; elle ne peut pas empêcher que
FEurope ne soit en droit d'exiger le Contrôle pour
une partie de FEmpire: les provinces Arméniennes,
où elle s'est engagée envers les Puissances, à exê'
cuter des Réformes sous leur surveillance.
Il est dans.Fintérét de l'Europe de réclamer de
la Turquie la mise en application immédiate de
ces Réformes'. Les Provinces Arméniennes n'ont
pas cessé d'être en proie à un désordre anarchique
qui pèse, depuis trop longtemps, sur la population
et qui l'exaspère aujourd'hui à un tel point qu'il
est impossible, sans péril, de le laisser persister.
Les Réformes auraient, de ce côté, pour résultat
de rétablir l'ordre, d'assurer la sécurité des personnes et des biens et de provoquer un développement de prospérité économique dont la Porte, la
première, ressentirait les effets bienfaisants, ce qui
la pousserait, sans doute, 4 étendre, l'expérience
PE L'ARMÉNIE
AUTOUR
aij^
dans d'autres provittces de son Empire. Au point
de vue de l'Europe, Feffet serait double. Par
Famélioration de Fêtât économique de la Turquie
d'Asie, les intérèti financiers de l'Europe, créancière de l'Empire Ottoman, se trouveraient entourés de pats de garanties; par le rétablissement de
l'ordre et par la suppression de toutes chances de
mécontentement et de troubles, le maintien de Finc'est-à-dire le principe sur
tégritê territoriale,
lequel s'appuie la politique des Puissances, se trouverait assuré tout aussi bien du dedans que du
dehors.
Les Réformes s'imposent donc à FEurope 'tant
au point de vue politique qu'au point de vue économique et financier. Elles s'imposent pour les
Provinces Arméniennes, puisque Fart. 61 du Traité'
de Berlin donne aux Puissances le droit •de les
exiger, et parce que cette partie de F Empire est à
bout, et qu'il est très sérieusement à craindre que
l'inexécution des promesses depuis si longtemps
éludées, n'entraîne quelque événement qui mettrait
en question Fintégrité de la Turquie d'Asie. C'est
là un danger permanent que, seule, parviendra à
éliminer la mise à exécution des Réformes. La Délégation supplie les Puissances de considérer que tout
relard ne pourrait q\Caggraver le péril et que nulle
autre occasion plus favorable ne se présentera
pour l'Europe^ d'exigée l'application, des Réformes
Arméniennes,
LESJEUNES-TURCS
ET L'ARMBNIK
an5
Nous touchons a la fin du conflit turco-balkanique ; la signature de la paixt qui ne pourra être
conclue qu'avec le concours des Puissances, devra
être immédiatement suivie du règlement des questions politiques, économiques et financières intéressant le régime futur de la Turquie d'Asie. Pour ce
règlement, pas,plus que pour la conclusion de la
paix, la Porte ne pourra se passer des Puissances,
et celles-ci auront alors toute faculté, d'imposer,
pour la sauvegarde de leurs intérêts, des garanties,
c'est-à-dire des Réformes, et, parmi ces Réformes,
celles des Provinces Arméniennes, qui sont les plus
urgentes, les plus immédiatement réalisables et
celles dont les Puissances, ainsi qu'il est montré
dans cet exposé, ont le droit incontestable d'exiger
et de contrôler f application.
Le Président de la Délégation Nationale
Arménienne,
BOGHOS NUBAfi.
La Délégation poussait le scrupule jusqu'à
rappeler que les Réformes enfin obtenues no
devaient pas profiter aux seuls Arméniens. Ces
réformes étaient destinées à tous les sujets
Il
ottomans, musulmans,
juifs et chrétiens.
s'agissait de mettre les populations sédentaires
à l'abri des coups de main des nomades, et
d'éviter les froissements qui ne tarderaient pas
I»KL'ARMÉNIE
AUTOUR
3(jG
à se produire du fait des émigrants musulmans,
fuyant devant los Balkaniques victorieux. C'est
ce que fait ressortir la troisième note, libellée
comme suit :
5 mai 19/3. les Réformes Arméniennes elles Populations Musulmanes. Les Emigrants (Vohadjirs)
dans les Provinces Arménie nés.
La Délégation Nationale Arménienne a précédemment exposé (1) la question des Réformes, dont.
elle sollicite la mise à exécution dans les Provinces
Arméniennes en invoquant rarticle 61 du Traité de
Berlin et le Mémorandum (11 mai 1895) des Puissances signataires de ce Traité. Elle a indiqué,
d'autre part (2), Félroite corrélation qui existe
entre tes Léformes Arméniennes et le maintien de
Fintégrité territoriale de la Turquie d'Asie, et Finfinance heureuse qu'elles auraient sur la situation
financière et,sur le crédit de f Empire.
Il reste maintenant à préciser, — car il importe
de ne pas laisser se propager des idées inexactes sur
Fesprit même des Réformes, — deux points impor• tants de leur
application, en ce qui concerne Fêlé*
i
du27février1913«l'Article61
(1)Voirla Notede la Délégation
du Traité de Berlin et les RevendicationsArméniennes»,tuprà, p. 287.
(2) Voir la Note de la Délégationdu 22 mars 1913« les
DéformesArménienneset l'intégritéde la Turquie d'Asie••
suprà, p. 292.
LESJEUNES-TURCS
ET L'ARMÉNIE
397
ment musulman des vilayets et les émigrants
(mohadjirs) roumélioies et macédoniens.
Il ne faudrait pas que les Réformes, du fait
qu'elles sont demandées par les Arméniens pour
mettre fin à leurs souffrances, pussent être considérées comme ne devant profiter qu'à eux seuls. Il
ne faudrait pas,surtout, qu'elles pussent être interprétées comme un acte d'hostilité contre les populations musulmanes.
Une équivoque a pu naître, qu'il est nécessaire
de dissiper. Cette équivoque a pu provenir, d'abord
de l'appellation,
couramment adoptée, de Réformes Arméniennes, ensuite du fait^que ce sont
les Arméniens qui les réclament. En réalité, les
itêformes, dites arméniennes, doivent servir Fintêrèt de tous, des musulmans et des chrétiens; elles
ont pour dut, en plaçant les vilayets sous une sage
administration, de protéger les musulmans sédentaires, aussi 'bien que tes chrétiens, contre les brigandages, les désordres et' les meurtres des nomades. Elles répartiront à tous, avec une égale
justice, la sécurité qui leur permettra de vivre et
de prospérer.
Ce serait donc ne pas-comprendre les Réformes
que de croire qu'elles sont dirigées contre tes populations musulmanes ; celles-ci en bénéficieront, au
contraire, et le Gouvernement ottoman n'a, par
. cela même, aucun motif de les repousser. Son intérêt est/sans conteste, de tes adopter, tant pour
17.
ao8
PE L'AR\IUNIE
AUTOUR
maintenir Fintègrité du territoire, que pour apaiser toute une région troublée et favoriser son entier
développement économique.
L'intérêt de la Porte est aussi d'écarter tout
obstacle qui pourrait compromettre l'application
des Réformes et, à ce titre, de renoncer à l'envoi
des mohadjirs dans les Provinces Arméniennes. Il
est question, en effet, de diriger vers les vilayets
les mohadjirs rouméliotes et macédoniens, chassés
d'Europe par la guerre balkanique. Cette multitude d'émigrants musulmans, arrivant parmi des
populations, en grande partie chrétiennes, créerait
un très grave danger. Ils ont eu à subir la victoire
des chrétiens, qui ont envahi leur pays, et devant
lesquels ils ont préféré abandonner leurs foyers, et
de
avides
de
dénués
de
accablés
misère,
tout,
fuir,
représailles. Cet état desprit, la profonde différence qui existe entre les deux races, les souvenirs
des massacres passés, donneraient lieu infailliblement à des conflits dont on ne peut que trop prévoir les. conséquences. Il est donc indispensable
d'empêcher l'installation des mohadjirs dans tes
limites du territoire habité par les Arméniens.
La Déléga(ion espère que les Puissances agiront
auprès de ta Sublime Porte pour écarter ce péril
redoutable et qu'Elles obtiendront tfElle que les
mohadjirs soient dirigés vers des régions musulmanes, où ils trouveront une communauté d'existence et de moeurs.
LESJEUNES-TI
ROSET L'ARMÉNIE
3f)f)
L'expérience du passé démontre que, chaque fois
que des mohadjirs ont été transplantés parmi des
chrétiens, il en est advenu une catastrophe. En
1814-1815, les mohadjirs tcherkesses, émigrés du
Caucase, furent installés dans les, vilayets du
Danube; il en'résulta de tels désordres que la
guerre russo-turque éclata. Elle valut à la Turquie
la perte de ses provinces danubiennes. En 1878,
après Connexion par FAutriche de la Bosnie-Herzégovine, tes mohadjirs bosniaques furent installés
en Macédoine; il suffit de quelques mois pour que
leur présence y rallumât ta guerre civile et religieuse. La coiiséquence a été la guerre turco-balkanique actuelle et la perte, pour la Turquie, de
toutes ses provinces dFEurope.
Les Puissances ne voudront pas que de pareils
enseignements demeurent stériles et que les mêmes
causes puissent produire, en Arménie, de nouveaux
événements capables de bouleverser la politique
européenne et de provoquer de nouveaux risques
de conflagration générale'.
Le Président de la Délégation Nationale
Arménienne,
BOGHOS NUBAR.
La Délégation arménienne rappelle que les
ne sauraient être
réformes dites arméniennes
exécutées sans le contrôle effectif de l'Europe.
300
AUTOUR
PE l.'ARMÉNIE
Ce contrôle a du reste été prévu par l'article 61
du Traité de Berlin, et ce qu'on demande, ce
n'est pas de l'instituer en principe, mais de le
faire fonctionner et de nommer les contrôleurs,
choisis dans les petits Etats neutres, qui auront
pour mission fie se rendre sur les lieux et de
vérifier si les réformes sont exécutées comme
olles doivent l'être, de se rendre compte si les
fonctionnaires turcs ne cherchent pas à éluder
les instructions qu'ils ont reçues. Do fait, on ne
demandait aucune concession nouvelle au gouvernement jeune-turc; on le priait simplement
détenir les engagements pris par ses prédécesseurs, en favorisant par tous les moyens
possibles la tâche qui allait incomber aux deux
contrôleurs européens.
Ce desideratum est formulé clairement dans
la quatrième note :
Paris, 14 Ju\n 1913. Les Réformes Arméniennes
| et le Contrôle Européen.
L'Article 61 du Traité de Berlin, qui contient
Fengagement de la Sublime Porte de réaliser des
réformes dans les Provinces Arméniennes, stipule,
en même temps, que les Puissances, signataires de
ce Traité, en surveilleront Fapplication (1). Cette
(!) Voirla Notede la Délégation,du 27 Terrier1913: « L'article61da Traitéde Berlinet les rerendieationsarméniennes»,
iuprà, p. 237.
LESJEUNES-TURCS
ET I.'ARMÉNIE
' 3oi
surveillance ou contrôle est la seule garantie de ta
viabilité des réformes et de leur fonctionnement
régulier et fécond.
Nombreux sont, en effet, les Projets de Réformes
que le Gouvernement ottoman a eu Fintent'on
d'appliquer depuis 1861, plusieurs de ces Projets
furent inspirés par tes conseils de Puissances Européennes et reçurent même un commencement d'exécution : mais ils furent tous abandonnés, précisément parce qu'aucun contrôlé n'en assurait le
maintien et la continuité. L'exemple te plus frappant, à cet égard, est celui du Projet de Réformes
de 1895, qui ne fut jamais appliqué, parce que ta
Porte ne Favait accepté qu'en le modifiant et en
supprimant le contrôle européen. On ne pourrait
invoquer en Turquie qu'une exception :' c'est dans
le domaine des réformes financières, te Conseil de
ta Dette Publique, qui a réorganisé les finances de
F Empire. Mais cette exception même confirme ta
règle ; car, s'il est vrai qu'un contrôle n'est pas
attaché au Conseil de la Dette, le mode de nomination de ses membres européens, désignés directement par les Syndicats des Détenteurs de litres et,
par cela même, placés à'l'abri des changements
politiques, n'en constitue pas moins une garantie
équivalente.
L'expérience a donc montré que les réformes en
Turquie, lorsqu'elles ne sont pas appuyées d'un
contrôle, restent fatalement à l'état de promesse et
3oa .
AUTOUR
I WEL'ARMÉNIE
que si même elles sont parfois mises d exécution,
elles cessent peu après n'être appliquées. Cette
constatation ne doit pas étonner ceux qui savent
qu'en Turquie l'observation des règlements administratifs est souvent indépendante de la volonté
du Gouvernement, dont les instructions ne sont pas
suivies ou sont mal interprétées. L'incurie, l'incapacité et tes excès de pouvoir, chez tes fonctionnaires des provinces, sont traditionnels et poussés à
tin tel point que le Gouvernement central ne peut
souvent en avoir raison. La situation actuelle des
Provinces Arméniennes en est une preuve convaincante. Le Gouvernement voit te danger et il\ ne
peut certes pas être soupçonné d'encourager, en ce
moment, l'état anarchique qui règne dans les
vilayets ; i7 a été cependant impuissant à y mettre
un terme. Il n'a pu obtenir des autorités locales la
répression des crimes et des abus tes plus divers; et
ces crimes et ves abus se commettent journellement,
plus mendçants que jamais. En conséquence, le
contrôle prévu par FArticle 61 est non seulement
indispensable, mais encore il'faut, pour qu'il soit
effectif, qu'il s'exerce sur les lieux mêmes et que
les Puissances aient, à cet effet, des intermédiaires
pouvant veiller à ce que les fonctionnaires locaux,
chargés de ta réalisation des réformes, les exécutent
réellement, sans défaillances, sans partialité et
sans chercher à éluder Fapplication de la loi.
Tel est le but à atteindre. Plusieurs solutions
LESJEUNES-TURCS
ET L'ARMÉNIE
3O3
peuvent y conduire. Il appartient aux Puissances
de choisir, d'accord avec ta Sublime Porte, cette
qui répondra te mieux aux conditions requises,
d'être efficace et de ne rien présenter, dans sa
forme, qui touche au prestige du trône.
Nous avons montré, dans une précédente note (1),
que tintégritê territoriale de la Turquie d'Asie ne
pourrait être maintenue sans les réformes ; les considérations que nous venons de développer auront
établi, d leur tour, que ces réformes elles-mêmes
ne pourront exister et, partant, n'empêcheront
cette.intégrité d'être compromise, que si elfes sont
contrôlées. On conçoit donc que nous insistions sur
'
ta nécessité du contrôle, qui est la seule question
importante séparant encore les projets du Gouvernement ottoman de celui de la Délégation. Cette
nécessité à d'ailleurs été proclamée par d'êminents
hommes d'filât et publicisles européens. Nous citerons Lord Gtanville qui, étant Ministre des Affaires
•
a
déclaré
«
Sans
un
contrôle
:
euroÉtrangères,
pèen, il est fort d craindre que toute tentative de
réformes en Turquie n'aboutisse à un avortement ».
Plus tard, c'est Lord Salisbury qui assurait que
« non seulement une surveillance était nécessaire,
mais encore qu'elle devait être organisée sur les
(1) Voir la Note de la Délégationdu 22 mars 1913: « Les
RéformesArménienneset l'Intégritéde la Turquie d'Asie»,
suprà, p. 292.
3o4
AUTOUR
DEL'ARMÉNIE
lieux et, qu'exercée de Conslanlinople, elle serait
illusoire ». Récemment, le Times disait dans un
leading article : « Qu'aucune réforme ne saurait
réussir en Turquie sans un contrôle européen ».
En France, M. Clemenceau a écrit : « Les
réformes promises et non. réalisées conduiront,
comme en Macédoine, d la guerre... il faut un
contrôle efficace ». M. Victor Bérard a déclaré :
« Réforme ottomane, contrôle européen, réformes
efficaces, contrôle effectif; en dehors de celte formule, il n'est d'avenir assuré ni pour la nation
arménienne, ni pour la souveraineté turque ;en
Asie ». Un èditorial du Temps a été enfin tput
aussi catégorique : a 11 serait, dit-il, superflu aujourd'hui de parler des réformes sans contrôle, nul
n'y croirait; la Turquie doit s'en rendre compte ».
Ces opinions ont trouvé un écho même en
Turquie, où, nous sommes heureux de le constater,
le contrôle compte aujourd'hui de nombreux partisans. Déjà, certains organes de la presse turque de
Constantinople lui ont franchement donné leur
adhésion ; déjà, des hommes politiques turcs, instruits par les derniers événements, n'attendant le
salut de leur patrie que de l'application des
réformes, ont eu la clairvoyance de reconnaître
qu'elles ne pourront être rendues efficaces que par
un contrôle. Et nous avons des raisons de croire
que, parmi les membres du parti au pouvoir, il s'en
trouve plusieurs, et non des moindres, qui pensent
ET L'ARMÉNIE
LESJEUNES-TURCS
3O5
de même et ne sont plus arrêtés que par une question de forme, qu'il serait facile de résoudre de
manière à donner satisfaction à de justes susceptibilités.
En fait, le Gouvernement actuel, en admettant
le contrôle, n'accorderait pas une concession nouvelle ; il ne ferait que tenir un engagement, pris
par ses prédécesseurs, par lequel il se trouve lié.
Nous ne doutons pas que lés hommes d'Élal
ottomans, reconnaissant que ta Turquie ne pourra
être régénérée que par des mesures énergiques et
non par des décrets qui restent lettre morte, voudront que l'oeuvre de relèvement de la Turquie soit
durable et placée d Fabri des reviremejits des partis
politiques.
La Délégation espère donc que, pour assurer à
cette oeuvre une stabilité et une permanence qui en
feront la force, le Gouvernement consentira d
inscrire dansfson programme, un contrôle, permet, tant aux réformes d'atteindre leur but et de transformer des régions aujourd'hui improductives en
un pays prospère, où règne raient t pour tous, musulmans et chrétiens (/), ta sécurité et la iustice.
Le Président de la Délégation Nationale
Arménienne,
BOGIIOS NUBAB.
(t) Voirla Notede la Délégation«lu 5 mai 1913: • Les
Réformes Arméniefcoeiet les PopulatioqsMusulmanes»,
tuyrà, p. 296.
3o6
PE L'ARMANIB
AUTOUR
Le gouvernement jeune-turc persistait dans
son parti-pri* de refuser les réformes demandées, de refuser môme l'entrée en fonction des
contrôleurs européens dont la nomination avait
été décidée de longue date.
Au projet des Puissances d'établir des contrôleurs européens surveillant les agissements des
fonctionnaires turcs, le gouvernement ottoman
opposa un contre-projet,
qui était, en réalité,
une fin de non-recevoir; il s'agissait de nommer
des inspecteurs généraux ottomans, auxquels
on adjoindrait de simples conseillers européens,
'
n'auraient
d'attributions
qui
pas
précises.
La duplicité turque apparaît nettement exposée dans la cinquième et dernière note de la
Délégation arménienne, et qui porte la date du
22 novembre 1913. Voici en effet en quoi consistait le contre-projet des Jeunes-Turcs, décidés plus que jamais à ne pas obtempérer aux
désirs des Puissances :
*
Les Réformes Arméniennes. Le contre-projet de la
Sublime-Porte el les Conseillers Européens.
Les nouvelles de Constantinople tious font connaître que ta S. Porte a rejeté le projet transactionnel présenté par les Ambassadeurs et qu'elle
leur oppose une contre-proposition où il n'est plus
question ni de contrôle, ni d'Inspecteurs Généraux
ET L'ARMÉNIE
LESJEUNES-TURCS
30/
européens nommés sur la présentation des Candidats par les Puissances, mais d'Inspecteurs Généraux ottomans, auxquels on adjoindrait de simples
Conseillers européens, sdns même donner à ceux-ci
des attributions executives.
Dans une entrevue antérieure, le Grand Vizir
avait déclaré à FAmbassadeur de Russie que les
Conseillers européens qu'il se proposait d'adjoindre
aux Inspecteurs Généraux, « seraient tout, et que
les Inspecteurs Généraux Ottomans ne feraient
rien sans leur assentiment. »
Or, rien de semblable n'apparaît dans le contreprojet de ta S. Porte, qui, au contraire, réduit les
dttributions des Conseillers à seconder les Inspecteurs Généraux et, tout en leur conférant la Présidence d'un Conseil composé de fonctionnaires
locaux, ne éeur donne aucun pouvoir d exécution.
Nous pensons que F idée de ces Conseillers Européens est venjue au Grand Vizir S. A. le prince
Satd Pacha Ualim, de ce qu'il a vu fonctionner
avec succès en Egypte, où dans chaque Ministère
nous avons, à côté du Ministre, un Conseiller
qui effectivement a des attributions executives des
plus étendues et nous sommes convaincus qiéil est
de bonne foi en disant que de même, dans sa
pensée, les Conseillers en Arménie seraient tout;
mais il y a entre les deux cas une différence essentielle, c'est qu'en Egypte tous tes Couoeillers sont
des Anglais, et qu*ils ont l'appui d'une seule Puis-
3o8
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
sance, l'Angleterre. Derrière le Conseiller, il y a
un Lord Cromer ou un Lord Kitch'ener, de sorte
qu'il ne donne pas un ordre qui ne soit aussitôt
mis à exécution sans heurt et sans possibilité de
'conflits. Il en serait tout autrement en Arménie/
avec le contre-projet de la S. Porte, où les Conseillers, ayant des attributions mal définies, sans responsabilité, auraient derrière eux, au leu d'une
seule, six Puissances, en're lesquelles oti ne peut
espérer maintenir un accord constant.
La combinaison Savoir des Conseillers Européens
au lieu d'Inspecteurs Généraux ne serait donc
admissible que si Fon pouvait trouver une formule
pour que, tout en étant une doublure en apparence
des Inspecteurs Généraux Ottomans, ils aient des
pouvoirs exécutifs en fait. Si la S. Porte consentait
à s'y prêter, par un artifice de rédaction facile à
imaginer qui mette sa susceptibilité à couvert, nous
serions les premiers à accepter le système de Conseillers, — étante bien entendu que Fon maintiendrait les autres articles du projet des Ambassadeurs, — tels que le contrôle, la représentation des
Arméniens par moitié, dans les Assemblées provinciales et dans les fonctions administratives.
Comme seul correctif, le contre-projet turc stipule que les conflits entre leu Inspecteurs Généraux
et leurs Conseillers seraient tranchés par le Conseil
des Ministres; mais étant donné les atermoiements
et les fins de non recevoir habituels de la diplo-
LESJÉUNES-TURCS
Et L'ARM&NIB
3Û<J
Ynnlîeollomnn*, on peut affirmer que les conflits
seraient résolus en faveur des Inspecteurs Généraux
ou s'éterniseraient et paralyseraient Faction des
Conseillers.
En Vautres termes, la Turquie, après avoir
admis en partie les vues des Puissances, revient
aujourd'hui à son premier système d'opposition
par des contre-projets. Il serait très dangereux de
la suivre dans cette voie. Nous ne devons pas
perdre de vue, en effet, que les réformes ont pour
but a'écarter tout danger de démembrement de la
Turquie d'Asie et que ce but ne pourra être atteint
que par la mise à exécution des réformes efficaces
solidement établies, et non par des demi-mesures ou
des réformes incomplètes, qu'on se proposerait de
compléter progressivement dans la suite, ainsi
qu'on t'a si malheureusement tenté en Macédoine,
où Finsuccès, et les terribles conséquences qui en
sont résultées, provenaient précisément de ce qu'on
s'était borné tout d'abord d des ré formes partielles
et insuffisantes et qu'on les avait même abolies,
ensuite, à l'avènement du Gouvernement ConstitutionneL
Des réformes établies dans ces conditions dêfec*
tueuses n'auraient aucun résultat et laisseraient
subsister tous les dangers d'interventions étrans
gères,
Il n'y a donc de solution logique vl pratique que
dans te maintien du projet transactionnel des
3lO
DEL'ARMÉNIE
AUTOUR
Ambassadeurs qui implique des pouvoirs effectif s
donnés d des fonctionnaires européens responsables,
chargés d'appliquer les réformes avec Fappui et le
contrôle des Puissances. On pourrait modifier la
forme du projet transactionnel pour ménager lés
apparences, mais le principe doit être maintenu
dans son inlègriiê.
Nous sommes persuadés que si les négociateurs
européens montraient comme inébranlable la décision des Puissances de refuser tout concours financier, tant que la question des réformes n'aurait
pas reçu une solution raisonnable, la S. Porte, qui
ne peut se passer de l'emprunt, ne tarderait pas à
accepter les réformes sur tes bases au sujet desquelles l'accord s'est établi entre les Puissances.
Dirigées dans ce sens, les négociations ne porteraient d'ailleurs nulle atteinte aux relations des
Gouvernements d'Europe avec la, S. Porte, car ta
Turquie devra enfin comprendre que son opposition
actuelle est contraire à ses propres intérêts; nous
tenons, en effet, à établir qu'en préconisant une
pression financière, il n'est nullement dans notre
petisée que l'on doive empêcher l'émission de l'emprunt, qui est indispensable à la consolidation de
l'Empire. Nous voulons, au contraire, qu'il soit
conclu, afin d'éviter des embarras, qui pourraient
compromettre l'intégrité territoriale, que les Arméniens ont intérêt à maintenir, comme tous tes
'
sujets de FEmpire.
i,ESJEUNES-TURCS
ET L'ARMENIE
3ll
Les Puissances pourraient donc exercer celte
pression, qui n'a aucun caractère d'hostilité, sans
se départir de leur politique amicale envers la
Turquie ; elles n'auraient même pas à refuser
l'emprunt, Il leur suffirait de déclarer qu'elles
seront prêtes à en faciliter la conclusion, si la
S. Porte s'engage, de son côté, à réaliser les réformes. La solution dépendrait donc de la S. Porte
qui n'aurait, en somme, qu'à accepter une condition, dont l'Empire serait te premier d bénéficier et
qui écarterait en même temps toutes craintes de
complications pouvant menacer la paix de l'Europe.
Le Président de la Délégation Nationale
Arménienne,
•
BOGHOS NUBAR.
Mais le gouvernement jeune-turc ne voulait
à aucun prix d'immixtion européenne effective
dans les affaires de l'Empire ottoman; il ne
voulait pas que des contrôleurs européens pusles Puissances sur les agissesent renseigner
ments que l'on pratiquait à l'égard des chrétiens
de l'Empire. Peut-être aussi les Jeunes-Turcs
étaient-ils déjà, à la fin de 1913, au courant des
projets allemands, et ils ne voulaient pas que
l'on connût à l'avance les crimes qu'ils méditaient et qui ne tarderaient pas à être perpétrés.
3 12
AUTOUR
PE L'AÏIMENI11
Cependant, les Arméniens et les arméno*
philes ne se décourageaient pas; la Porte accepta
et promulgua le 8 février 1914 1' « Acte de réformes » à appliquer en Arménie; et enfin, en
mai 1914, on apprenait que les inspecteurs généraux avaient été désignés, avec mission de surveiller l'exécution des réformes dans les vilayets
arméniens. Ces inspecteurs étaient un Hollandais,- M. Westenenk, et un Norvégien, le colonel Nicolas Hoff.
C'était, dans l'état d'alors de la Turquie,
l'idéal pour les Arméniens. Ces inspecteurs,
délégués par l'Europe, munis de pleins pouvoirs auraient établi la sécurité pour les Arméniens, comme pour le reste de la population.
Les esprits semblaient satisfaits et calmés,
lorsque le président de la Délégation arménienne apprit que le texte relatif aux inspecteurs avait été tronqué. Le texte proposé par
les puissances portait en effet: « les inspecteurs
seront proposés par l'Europe et acceptés par
le sultan ». On sut à temps à Paris que la phrase
avait été retournée par les Turcs et ainsi libellée : « Les inspecteurs seront nommés par le
sultan et agréés par l'Europe ». C'était une
dernière manoeuvre. Malgré son état de souffrance, Itoghos Nubar Pacha, partit immédiatement pour Pétrograd, arrangea l'affaire et fit
rétablir le texte dans sa teneur première.
LfeSJÊUNES-TURCS
ET L'ARMÉNIE
3l3
Enfin le numéro du 25 juin-10 juillet 1914 de
Pro Armenia annonçait que « les deux inspecteurs partiront dans une dizaine de jours pour
les provinces arméniennes.
Chacun d'eux sera
et de
accompagné de son secrétaire-adjoint
quelques spécialistes dans les affaires administratives ».
Les inspecteurs ne partirent pas... Le 3 août
1914, les Allemands déclaraient la guerro à la
Russie et à la France. Les Turcs ne tardèrent
pas à se ranger aux côtés des puissances centrales et, en 1915, le gouvernement
jeuneturc faisait exterminer
les populations arméniennes d'Asie Mineure sans que les Alliés
allemands et austro-hongrois aient fait entendre
une protestation.
Le drame une fois accompli, la marche victorieuse des Russes dans la haute Arménie fut
de Trébimarquée par la prise d'Erzeroum,
zondé, d'Erzenka (Erzindjian).
Nous avons signalé ci-dessus les principaux
récits des massacres de 1915; nous nous bornerons à reproduire ici un passage du Rapport
du prince Argoutian Yurgatnapazouk,
représentant de » VUnion des villes » do Russie, sur
les massacres de Trébizondé :
« Trébizondé
comptait
avant
la
guerre
3l4
OE L'ARMENIE
AUTOUR
55000 habitants, dont 25000 Turcs, 15000 Grecs
et 15000 Arméniens.
.« Nous avons occupé la ville sans coup férir
et nous avons trouvé intacts les isomptueux
palais, les magasins pleins de marchandises,
les ponts, les routes, les casernes, le canal, les
points stratégiques ainsi que d'énormes provisions.
« Les Grecs nous expliquèrent que les Turcs
en évacuant Trébizondé n'avaient rien détruit
car ils étaient fermement convaincus qu'ils la
bientôt.
réoccuperaient
. « Quand les Russes entrèrent à Trébizènde,
il n'y avait plus que 15000 habitants, presque
tous des Grecs. Les Turcs s'étaient enfuis avec
ils avaient
l'armée. Quant aux Arméniens,
presque tous été massacrés ou noyés par les
Turcs. Les seuls survivants de cette effroyable
boucherie sont : quelques centaines d'enfants
et cent ou cent-vingt francs-tireurs
qui, pour
se soustraire au massacre, firent une guerre de
partisans.
« Les Arméniens des villages environnants
ont eu le môme sort. Les atrocités dont furent
victimes les Arméniens de cette région dépassent en horreur toutes celles qui ont été commises ailleurs. Les déclarations des Grecs, du
missionnaire américain, d'une Suissesse,
propriétaire d'un hôtel de la ville, de quelques
LESJKUNKS-TURCS
ET L'ARMÉNIE
3l5
sujets russes, de deux Arméniens catholiques...
nous présentent de la façon suivante l'horrible
tableau de ces massacres. C'est en juillet 1915
qu'a commencé à Trébizondé la déportation des
Arméniens.
« D'après les uns, les Turcs ont accordé cinq
à six jours pour-se préparer au départ. Dès le
premier jour, ils ont arrêté quelques centaines
de jeunes gens et des notables en vue, sons
aux succès russes.
prétexte qu'ils contribuaient
Ils les ont embarqués dans des mahonnes et
conduits du côté d'Eros et du cap Rladeau.
des victimes qui purent se sauQuelques-unes
ver racontèrent qu'ils furent tous noyés.
« Le délai expiré, des gendarmes ont séparé
les hommes des femmes; parmi ces dernières,
ils ont choisi les plus jeunes et les plus jolies,
ils les ont enfermées dans une maison où elles
furent mises/à la disposition des officiers. Ces
femmes etecs jeunes filles, quelque temps après,
furent égorgées et jetées à la mer.
« Les autres,hommes
et femmes, ont été séparément déportés à Djcvizlik qui esta 25 versles
de Trébizondé;
les femmes furent violées par
les gendarmes. A Djcvizlik, tous furent massaà la baïonnette.
crés, des enfants embrochés
Un officier imagina un abominable divertissement : il fit aligner des enfants, puis il s'amusa
à les abattre à coups de revolver en les visant
3l6
PE L'ARMENIE
AUTOUR
au front. Ceux qui rostèrent encore après ces
carnages, hommes, femmes et enfants furent
poussés en avant vers Erzeroum. Des paysans
turcs racontèrent aux Grecs que la route était
jonchée de cadavres d'enfants et d'adultes.
« Au moment de quitter Trébizondé, les Aravaient reçu,. paraît-il,
l'assurance
méniens
qu'il ne leur serait fait aucun mal. Mais, quand
les premiers groupes quittèrent la ville, ils (les
à enlever de force les
Turcs) commencèrent
enfants mâles, et les plus vigoureux furent
distribués aux Turcs pour profiter gratuitement
de leurs bras après les avoir convertis àjl'isla-'
misme. Quant aux autres, les uns furent tués,
les autres furent, selon le témoignage des Grecs,
mis dans des corbeilles et jetés à la mer.
a Le commandant d'un navire de guerre m'a
raconté que la mer a rejeté sur la côte onze
cadavres d'enfants. Beaucoup de cadavres se
trouvent sur le rivage non loin d'Arkhavé. Les.
Turcs, en quittant la ville, ont laissé aux Grecs
quelques-uns des enfants arméniens.
« Des membres d'une société de bienfaisance
de Ratoum sonten train de recueillir ces orphelins à Trébizondé et aux environs. Jusqu'à présent, ils en ont recueilli cinquante; mais, selon
le dire des Grecs, on pourrait atteindre le chiffre de mille. La plupart de ces petits malheureux ont été hébergés par les familles grecques
LESJEUNES-TURCS
ET L'ARMÉNIE
$17
ont
circonstance,
qui, en cette douloureuse
rendu de signalés services aux Arméniens et
fait preuve d'une grande humanité.
«c Beaucoup de ces enfants se sont sauvés
dans les forêts voisines; ils ont dû se cacher
dans les cavernes, se nourrissant de racines, de
fruits et quelquefois
de la charité des rares
passants à travers la forêt.
(( A la vue de ces orphelins hospitalisés en ce
moment à Trébizondé, on est saisi d'une douloureuse impression : ils sont encore couverts
de haillons, ils sont d'une débilité extrême, ils
tous ceux qui s'approchent
d'eux
regardent
avec des yeux pleins d'épouvante. Ils demandent
même à ceux qui les soignent s'ils ne vont pas
les tuer. .J'ai vu un jeune garçon, fils de parents
aisés, -iyant eu précepteur, aujourd'hui à demi
vêtu, malade, le .corps couvert de plaies. J'ai
vu, chose horrible, une malheureuse fillette de
douze ans enceinte. J'ai vu une jeune fille d'une
riche famille, élevée à l'européenne,
parlant
plusieurs langues, que des officiers ont violée
à tour do rôle après qu'ils curent massacré ses
parents- Ces deux jeunes filles, quand nous les
vîmes, manifestaient tous les signes de la folie. 11
m'est impossible d'oublier la tragique situation
de cette pauvre fillette qui répétait sans cesse
qu'elle aurait un enfant de celui qui a assassiné
ses patents et qui a à jamais brisé sa vif».
u.
3i8
PE L'ARMÉVIE
AUTOUR
« Les Arméniens catholiques n'eurent d'abord
pas à se plaindre; mais plus tard, ils eurent le
mémo sort que les Arméniens
grégoriens;
Mekhitharistes* furent égormême les'soeurs
gées.
a Le métropolite grec avait recueilli 200 enfants; le consul américain, 300. Au début, le
laissa faire, à condition que les
gouvernement
enfants aient moins de dix ans. Mais, au moment
le plus actif des massacres, il exigea que les
enfants soient confiés à l'orphelinat de la ville,
où ils lurent pendant un certain temps assez
bien traités; mais bientôt l'orphelinat se vida :
les fillettes de dix à onze ans furent distribuées
aux Turcs comme odalisques; quant aux autres,
il est probable qu'ils furent ou noyés ou empoisonnés.
« Quelques enfants furent aussi sauvés par
des familles pers nés habitant Trébizondé.
u C'est l'opinion uhartlftje des Grecs que le
promoteur de ces massacres fut le gouvernement turc, qui les fit exécuter selon un plan
prémédité et dûment préparé. L'autorité locale
punissait sévèrement tous ceux qui essayaient
de cacher les Arméniens. Un fonctionnaire supérieur turc a avoué à un notable grec qu'on avait
noyé environ 800 enfants.
« Quelques Arméniens se sont suicidés ait
moment où les gendarmes
venaient chercher
LE-*JEUNES-TURCS
ET I.'ARMÊME
3|C)
les membres do leur famille; on cite entre
autres: Minas Toutountchian et Khatchik Aslanian, qui se sont brûlé la cervelle après avoir
tué leurs filles.
« Les quelques survivants de celle effroyable
tragédie expriment leurs sentiments de vivo
reconnaissance envers tous ceux qui essayèrent
avec courage do sauver quelques-uns de ces
malheureux. Ils citent les noms suivants : le
consul d'Amérique; le missionnaire américain
M. Grafforte; une Suissesse, propriétaire d'un
hôtel; un Turc Chelketbey Chatir Zaddé, dont
le fils fut tué par les gendarmes pour avoir
en faveur des
commis le crime... d'intervenir
massacués.
« Par contre, nous avons appris de source
autorisée, le fait suivant : le consul allemand
avait depuis longtemps à son service une cuisinière arménienne; malgré toutes les facilités
dont il disposait pour la cacher, il l'a remise
aux bourreaux qui l'ont égorgée.
« On nous a aussi raconté la conduite inhumaine de la femme du consul allemand, qui
eut l'occasion de sauver quelques-unes
de ces
victimes et qui n'en a rien fait.
« Les Turcs ont agi de la façon suivante avec
Les maisons, au
les biens des Arméniens.
notflhre d'environ 1000, ont été confisquées au
profit du trésor impérial, les objets précieux
3ao
AUTOLR
PE L'ARVIL.ME
- ,
ont été réunis dans une maison et les meubles
dans l'église. Après le massacre des Arméniens,
tous ces butins ont été transportés chez les
Turcs; puis, quand ces derniers abandonnèrent la ville, ces meubles et ces objets, ainsi
que ceux des Turcs, furent pillés par une partie
des habitants de la ville.
« Les Turcs abandonnèrent
volontairement
Trébizondé après la chute d'Erzeroum, mais ils
furent contraints à l'évacuer après la prise de
Rizzé.
« Us propageaient la nouvelle que l'armée
russe était précédée de volontaires arméniens
tous les Turcs sur leur
qui massacreraient
passage; que les Russes enverraient les femmes
dans des maisons publiques; quant aux jeunes
gens, ils les incorporeraient dans l'armée.
« Quant aux secours que doit fournir l'Union
des Villes, le prince Argoutian juge indispensable l'envoi d'un représentant muni de pleins
pouvoirs pour : 1° ouvrir un orphelinat pour
300,... 500 enfants; 2* organiser des stations
3° former Un comité pour la
d'alimentation;
protection des biens des orphelins et de ceux
qui rentreront dans leur toyer; 4° créer un
comité spécial pour la recherche des enfants et
des jeunes filles qui sont gardés arbitrairement
chez les quelques familles turques des environs
de Trébizondé ».
ET L'ARVÊMB
LESJEUNES-TURCS
, 3^1
La preuve des assassinats en masse ou isolés
n'est plus à faire. L'indifférence avec laquelle
lis agents allemands, sur territoire turc, laissèrent faire leurs amis et alliés n'est pas moins
connue.
Voici un extrait du numéro du 20 juin 1916
du Times, communiqué à ce journal par son
correspondant dans les Balkans : (1)
« Talaat bey, le ministre turc de l'Intérieur,
a fait quelques aveux intéressants
à un journaliste allemand, à Constanlinople.
En Russie
Bukarcst
(t)
TalaatBey,the Turkuh Minuterof tbe luterlor, has inade
tome inleréstiugconfessionsto a Germasjourualist at COQStaatiaople.TlteArmeulansla Rus«iaanJ Turkey,he says,eultivate a polilicalidéalwhichcan ouly be realizedby the destruelioQof tbe OttomanEmpire.At tbe beginningoftbe wara
conferencejofdelegalesfrombothsectionsof tbe race wasbeld
in AfiaMinor,at whichit wa>decidedtint the Armeniaosof
theCaucaseshouldtake up aruiswitli Russia,whitethosein
Turkeyshouldinaiutaioan expectaittattitudefor Ihc présent.
Oa learningLoi»décisionTalaat made inquiriesamongsoroe
leadiogArmeuians,whodid not deny thelr treasonableplans
and excusedthetnon thegroiiodof Turkisbmaladminutration.
Howtbe avowalswere extortedwe are not told, but domiciliary vùits followedwhichrevealedthe existenceof armaand
bombsin Armeoituhouies.The« removal» of the Armenians
from lhe ea*ternvilayetsof Turkeybecamein conséquencea
« military, national,and h'storical necessity ». Tbeir déportationfromthe western districts vra»decidedon when,after
the transferoftbe seat ofgovernthe altackon the Dardanelles,
mentfromConslantinopletoEskishehrcameto be considered.
Theconvoyaof exilesfrom the castern provinceswereattacked
on tbeir way to Mesopotamiaand partly massacredby tbe
Kurds,who,Talaat Beysays,were severelypnuisbedfor tbU
3a3
DE L'\RMÛMK
AUTOUR
et en Turquie, dit-il, les Arméniens poursuivent un idéal politique qui no peut ètro
atteint que par la destruction de l'Empire ottoman. Au commencement de la guerre, des délégués des deux fractions de la race [arménienne)
eurent une conférence en Asie Mineure; on y
décida que les Arméniens du Caucase prendraient les armes avec la Russie, tandis que
une attitude
ceux de Turquie observeraient
offence;the removalof tbe westerngroup to Deyri-Zorwas
unfortunatelyintrusted to an iucapableofficiaiand-serious
• excesses» followed.
Aftermakingthèse révélationsTalaat bey passedbis band
overhis eyesas though to banUhan nnpteasantvision.<*j\Ve
are not savages», be said; « thèse sad occurenceshâvecost
me raany sleeplessuighls. We hâve been blamed for not
makinga distinctionbetweenthe inuocentand the guilty. It
was impossible;the innocent of to-day might beeometbe
guilly of to-morrow». We mnst be tbankfulfor thèse tardy
admissionson the part of theTurkishMinisterof the Inlerior.
Tbemainfeaturesof the terriblesériesof massacresarealready known,but the gbastlydétailsof the great tragedybave,
lu manycases, not yet reachedthe outerworld.
ThepréventiveSystemofjusticewhichTalaatBeyhasadopted
is basedon the précédentsestablisbedby Abdulllamid; tbcre
is nolhingnew exceptthe franlnesswithwhichhe Justifiesbis
acls. Wholesalemetbodshâve atways'beenfamiliarto Turkish
administrationin dealing witb discontentedChristianpopulations;tbey dispensewilh the tedioùs procès*of discrimination betweentbe innoceutand the guiltyandat leastensure
the punishmentof the latter. EveryArmenianis a revolationaryin posse,if not in esse,and shouldthereforebe put out
of the wayof teraptation.Talaathasgoneoneslepfarlherthan
the famousD' Keate,who QoggedEton boyslest tbey should
be naughty; witb the suppressionof ail possibleoffenders
oflencescanno longerexist.
LESJEUNES-TURCS
ET I.'ARUËNIE
3a3
d'expectative quant à présont. En apprenant
cette décision, Talaat ordonna des enquêtes
ohez quelques dirigeants arméniens, qui no
nièrent pas la traîtrise de leurs plans et s'excusèrent en prétextant la mauvaise administration turque. On ne nous dit pas comment ces
aveux furent obtenus, mais des visites domiciliaires révélèrent la présence d'armes et de
Le
bombes dans des maisons arméniennes.
a déplacement » des Arméniens des vilayets
orientaux do Turquie devint en conséquence une
« nécessité militaire, nationale et historique ».
Leur déportation des cantons occidentaux fut
décidée quand, après l'attaque des Dardanelles,
on envisagea la possibilité de transporter le
siège du gouvernement de Constantinople à
Eskishehr.
« Les convois d'exilés des provinces orientales
furent attaqués dans leur marche vers la Mésopotamie et'en partie massacrés par les Kurdes,
qui, au dire de Talaat bey, furent sévèrement
punis pour celle faute. Le déplacement du
groupe occidental vers Dcyri Zor fut malheureusement confié à un officier incapable et
'
»
«
excès
suivi d*
graves.
« Après avoir fait ces révélations, Talaat bey
se passa la main sur les yeux comme pour
« Nous ne
chasser une vision désagréable.
sommes pas des sauvages », dit-ii; a ces tristes
3a4
DEi'^\i.»i£*h
AUTOUR
événements m'ont coûté f>luisi»nirs nuits d'in*
somnie. On nous a blâmée poiiT n'avoir pas fait
de différence entre l'innocent et le coupable;
c'était impossible; l'innocent d'aujourd'hui peut
devenir le coupable de de>t))»ia ». Nous devons
être reconnaissants au mftnXre turc de l'Intérieur de ces concessions tardives. Les traits
principaux des terribles séries de massacres
sont déjà connus, mais h& détails horribles
de la grande tragédie n'cnt pas encore, dans
bien des cas, atteint le motije extérieur.
« Le système préventif die justice, adopté par
Talaat bey, repose sur le^ précédents établis
de nouveau,
par Abdul-ilamid. Il n'y «làrien
si ce n'est la franchise avçç laquelle il justifie
ses actes. Des méthodes d'action en masse ont
toujours été familières à l'^drniiustration turque
dans sa conduite à VégUfâ des populations
chrétiennes mécontentes* el-le dispense du procédé ennuyeux de discerner entre l'innocent et
le coupable, et assure du inclus le châtiment de
ce dernier. Chaque Armâtpieu est un révolutionnaire en puissance, s*i&soaen acte, et doit,
en conséquence, être m is hors d'état de se
'laisser tenter. Talaat a fatigua pas de plus que
le fameux Dr Keate, qui fiJstigeait les élèves
d'Iiton de peur qu'ils ne? soient méchants. En
supprimant tous les criminels possible, on
»
lès
du
même
crimes.
tous
coup
supprime
Er L'ARMÉNIK
LESJEUNES-TURCS
,3a5
* *
Si la chose n'était pas aussi tragique, on aimerait pouvoir sourire, à la pensée do Talaat faisant sévèrement punir les Kurdes pour avoir
assassiné des Arméniens. Et surtout, s'il n'était
pas une bête fauve avec qui l'on ne discute pas,
comme on prendrait plaisir à lui demander si
les bombes découvertes
dans des maisons
arméniennes n'y avaient pas été déposées sur
son ordre. Depuis près de quarante ans, les
Arméniens du Caucase sont sujets russes;
c'était leur plus élémentaire
devoir de combattre dans les rangs de l'armée russe. Ce faien aucune façon
sant, ils ne complotaient
contre le gouvernement
turc. Les Arméniens
enrôlés dans les armées ottomanes, lors des
récentes guerres balkaniques, se sont conduits
en héros et ont mérité les éloges des officiers
turcs. Quelques-uns, il est vrai, désertèrent;
mais c'est qu'il leur répugnait de se plier
aux caprices inavouables des soldats et des
officiers turcs, qui prétendaient
pratiquer à
l'égard de ces chrétiens des moeurs que l'on ne
nomme pas.
Ainsi la tactique de Talaat, se résume, à
19
3aC
AUTOUR
OE L'ARVENIB
l'égard dos Arméniens, en un mot : « l'innocent
d'aujourd'hui peut devonir lo criminel (lo coupable) do demain ».
Un point est acquis ; uno conclusion s'impose :
le peuple arménien ne peut plus vivre sous le
joug turc. Il faut que la France, d'accord avec
ses alliés, sauve co qui reste du peuple arménien en Turquie et affranchisse les Arméniens
do la tyrannie ottomane.
TABLK
DKS
MATIRRKS
t'»ge».
AvAXT-rnoros
IftDlCATlO.XS
BIBLIOGRAPHIQUES
La chaire d'arménienà l'École Nationaleet spéciale
des langues orientalesvirantes ......
La question arménienneet la Constitutionnationale
en Turquie (1860-1910)
Les Arméniensen Turquie
Arménieet Turquie
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L,esoriginesdu mouvementarménien.I. .. ;
Les origines du mouvementarménien,' !!.' ... \ . .
L'exterminationd'un peuple. ,.->. . . . ;. '..
Les Jeunes-Turcset l'Arménie(un poj'n| acquis). .
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