Frédéric Macler. Autour de l`Arménie. 1917.
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Frédéric Macler. Autour de l`Arménie. 1917.
Macler, Frédéric (1869-1938). Frédéric Macler. Autour de l'Arménie. 1917. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. 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Turcs et l'Ar- une esquisse à des destinées du peuple ar/ INDICATION^'lElft)jRAPHIQUES On n'a d'aulrç but, ici, queftlè donner au lecteur français le moyenÂO^se renseigner rapidement sur le passé du peuple arménien. Il ne s'agit, dès lors, pas de dresser une liste complète de tous les ouvrages relatifs à l'Arménie, qui ont paru jusqu'à ce jour, mais seulement d'orienter le public sur les ressources dont il dispose en français pour étudierla Question arménienne. Orientation générale. Outre les articles Arménie, publiés dans Encyclo» pédiemoderne... (Paris, Firmin-Didot, 1861) ; — Grand dictionnaire universel du XIX* siècle (Paris, Larousse — on Grande s. [1876]);— Encyclopédie; (Paris, d.); signalera particulièrement l'article Arménie, donné AamEncyclopédie de l'Isldm... (Leyde-Paris 1,1913), très important, par suite de l'utilisation des sources musulmanes et des derniers travaux de la critique moderne. On parcourra avec profit L'Arménie, journal politique et littéraire, paraissant le 16 de chaque mois. n° 1,15 noRédacteur en chef: Minasse (tic) TCIIKHAZ, vembre 1889. Dernier numéro à la Bibliothèque nationale, 1" décembre 1898 (coté : f«0* b 190). Histoire. Livres généraux. Mémoires historiques et géographiques sur l*Arménie, Imprimerie royale), 1818, par J.SAINT'MAIITIN(Paris, in-8% t. I, p. 279-448 [d'après les sources armé* IV DEl/AMléX!!! AUTOL'ft niennes, a beaucoup utilisé l'histoire d'Arménie de Tchamitch publié en arménien, à Venise, 1785.] Esquisse de l'histoire de l'Arménie. Coup d'&il sur l'Arménie ancienne et surson état actuel, par G. v. CHAUNAZARIAN (Paris, Ch. Aleyrueis), 1856, in 8*, 123 p. L'Arménie et les Arméniens, par J.-A. GATTEYRÎAS... (Paris, L. Cerf), 1882, in-16, 144 p. [petit livre d'orientation, bref et sensiblement vieilli.] et Histoire des anciens Arméniens, par Noël DOLBNS A. KUATCEI... (Genève, publié par l'Union des étudiants arméniens de l'Europe), 1907, in-8°, 226 p. [Excellente tenlalived'écrire l'histoire de l'Arménie d'après les travaux delà critique moderne. L'oeuvre entreprise est malheureusement restée inachevée.] Eludes historiques sur le peuple armé' Kévork ASLAN. nien. (Paris, G. Dujarric), 1909, in-8', 339 p. Histoire politique et religieuse de l'Arménie, par Fr. Tome I, depuis les origines des ArméTOURNEBIZB. nieiis jusqu'à la mortdeleurderniérroi(ranl393)... (Paris, Firmin-Didot et O) [1910], in-8°, 872 p. Histoire moderne des Arméniens, deK. J. BASMADJIAN. puis la chute du royaume jusqu'à nos jours (13751916)... (Paris, J. Gamber), 1917, in-8<\VIII +165 p. .. (ParisEssai sur les tationatités, par J. DE MORGAN Nancy, Berger-Levrault), 1917, in-8°, XI -f-136 p. [1" partie : Le, problème des nationalités ; 2*partie : dans et H. HAUSBR, Les Arméniens]. (Cf. A. MEILLBT Revue critique d'histoire et de littérature, n° du 28 avril 1917.) Il fauUigualer de plus, en anglais, un ouvrage de description, richement illustré, Armenia, travels and sludies, by H. F. B. LYNCH... (London, Longmans, Green and O), 2 vol. in-8». Histoire et organisation de l'église arménienne. Histoire, dogmes, traditions et liturgie de l'Église ar- INDICATIONS illlir.IOUHXI'IIIQUKS V ménienneorientale, avec des notions additionnelles... 2*éd... (Paris, A. Franck), par Edouard DULAUIUER, . 1857. in-12, 186 p. Le Vatican et les Arméniens, par M. ORMANIAN (Home, C. Bartoli), 1873, in-8\307 p. Malachia "ORMANIAN... L'Église arménienne. Son histoire. Sa doctrine. Son régime. Sa discipline. Sa liturgie. Sa littérature. Son présent. (Paris, E. Leroux), 1910, in-8% X + 192 p. Ethnographie. Mm*B. CHANTRE. A travers l'Arménie russe.:. (Paris, Hachette et C"), 1893, in-8°, 368 p. Ernest CHANTRE. Les Arméniens. Esquisse historique et ethnographique (Communication faite à la Société d'anthropologie de Lyon, séance du 1" février 1896, p. 49-101). Livres particuliers. MÛLLBR-SIMONIS. Relation des missions scientifiques de MM. II. Hyvernat et P. Muller-Simonis (1888-1889). Du Caucase au Golfe persique à travers l'Arménie, le Kurdistan et la Mésopotamie..., suivie de notices sur la géographie et l'histoire ancienne de l'Arménie, et les inscriptions cunéiformes du bassin de Van, par H. HYVKRNAT (Paris-Lyon. Delhomme et Briguet), 1892, gr. in-8*, VIII -f-628 p. (nombreuses illustrations). Milhridate Eupator. roi de Pont, par Théodore REINACH...(Paris, Firmin-Didot et G"). 1890, in-8», XVI -f- 494 p. [histoire d'une partie de l'Arménie à l'époque romaine], Recherchessur la chronologie arménienne technique et historique, ouvrage formant les prolégomènes de la collection intitulée Bibliothèque historique arménienne, par Edouard DuLAunirK...T. I. Chronologie technique (Paris, Imprimerie impériale), 1859, in-4% XXIV -}-427 p. VI DEL'.VUMÊNIE AUTOUR Sources. Collection des historiens anciens et modernes de l'Armer nie, publiée en français sous les auspices de S. E. Nubar-Pacha... et avec le concours des membres de l'Académie arménienne de Saint-Lazare de Venise et des principaux arménistes français et étrangers, Tome l : Première période. — par Victor LANGLOIS. Historiens grecs et syriens traduits anciennement en arménien (Paris, Firmin-Didot frères), 1867, in-8% XXXI + 421 p. Idem. Tome II : Première période. — Historiens arméniens du v*siècle, (ibidem), 1869, in-8°, XVI -f 405 p. Collectiond'historiens arméniens. Th. Ardzrouni, x*siècle, Histoire des Ardzrouni ; Arakel, de Tau riz, xvu* siècle, Livre d'histoires ; Iohannès de Dzar, xvti*siècle, Histoire de l'Aghovanie ; traduits par' M. BROSSET... t. 1 (S.-Pélersbourg, impr. de l'Aca-i demie impériale des sciences), 1874, in-8°, XXXII + 618 p. Idem. Tome II (ibidem), 1876, in-8°, IV -f 696 p. [Zakaria. Hassan Dchalalianls. Davith-Beg. Abraham de Crète.tSamouel d'Ani Souvenirs d'un officier russe]. Soulèvement national de l'Arménie chrétienne au V*siècle, contre ta toi de Zoroastre, sous le commande* ment du prince Vartan le Mamigonien, ouvrage écrit par ELISÉEvartabed, contemporain, sur la demande de David le Mamigonien, son collègue; traduit en français par M. l'abbé Grégoire KABARAOY Garabed de l'Académie arménienne de Venise... Dédié à la Société Orientale de Paris. (Paris, au comptoir des imprimeurs-unis), 1844, iu 8*, XIX-f* 358 p. Histoire d'Héraclius, par l'évêque SEBÊOS,traduit de l'arménien et annotée par Frédéric MACLER (Paris, Impr. nationale. E. Leroux, éditeur), 1904, in*8% XV + 167 p. (vu' siècle]. t INDICATIONS BillMOGnU'HIQUES Tll Histoire des guerres et des conquêtes des Arabes en Arménie, par Péminent GIIÉVOND...,écrivain du vin' siècle, traduite par Garabed v. CHAUNAZARIAN, et enrichie de notes nombreuses. (Paris, Ch. Meyrueis et G1'),1856, in-8», XV -f- 164 p. Histoire d'Arménie, par le patriarche Jean VI, dit J BANCATHOLICOS, traduite de l'arménien en français Ouvrage posthume publié sous par J. SAINT-MARTIN. les auspices du Ministère de l'Instruction publique. (Paris, Imprimerie royale), 1841, in 8°, XLVIII -f462 p. [x* siècle]. Deux historiens arméniens, Kiracos de Gantzac, xiu«siècle, Histoire d'Arménie; Oukhlanès d'Ourha, x*siècle, histoire en trois parties; traduits par M. BROS. SET... '(Saint-Pétersbourg, commissionnaires de l'Académie impériale des sciences), 1870, in-4°, LX1I -f- 351 p. Histoire universelle, par ETIENNE DE DARON, AÇOGU'IO traduite de l'arménien et annotée par E. DULAURIER...Première partie (Paris, E. Leroux), 1883, in8*, 204 p. [xe-xi»siècle]. IDEM.Deuxième partie, traduite par Frédéric MACLER (sous presse). Histoire d'Arménie, comprenant la fin du royaume d'Ani et le commencement des invasions des SeldDE LASDIVERO; traduite joukides, par ARISDAGUÊS pour la première fois de l'arménien et accompagnée de notes, par Ev. PHUD'UOMME ; dans la Revue de l'Orient, de l'Algérie et des colonies. 1864[xi*siècle]. Recueil des historiens des Croisades, publié par les soins de l'Académie des inscriptions et belleslettres. Documents arméniens. Tonie I. (Paris, Imprimerie impériale), 1869, in-fol., CXXIV-f- 855 p. Contient les [La préface est signée : Ed. DULAURIKR. oeuvres de : Matthieu d'Edesse. Grégoire le prêtre. Le docteur Basile. Nersès Chnorhali. GrégoireDgh'a. Michel le Syrien. Guiragos de Kantzac. Vartan le VIII DE I. ARMENIE AUTOUR Grand. Samuel d'Ani. Héthoum l'historien. Vahram d'Edesse. Chant populaire sur la captivité de Léon. Le roi Héthoum 11. Nersès de Lampron.-'Le connétable Sempad. Mardiros de Crimée. Mekhilhar de Daschir. Appendice], Idem. Tome II. Documentslatins et français relatifs rf l'Arménie (Paris, Imprimerie nationale) 1906, infoI. CCLX1V+ 1038 p. [L'introduction est signée : Ch KOIILKR. Contient : Jean Dardel. Ilayton. Brocard us. Guillelmus Adae. Daniel de Thaurisio. Les Gestes des Chiprois]. Exposé des guerres de Tamerlàn et de Schah-Rokhdans CAsie occidentale d'après la chronique arménienne inédile de THOMAS DE MKDZOPH, par Félix NÊVB... (Bruxelles, M. Hayez), 1860, in-8% 158 p. [Extrait du t. XI des Mémoirescouronnés et autres, publiés ' de l'Académie par royale Belgique.] i Grammaires. Esquisse d'une grammaire comparée de l'arménien classique, par A. MEILLBT (Vienne, impr. des PP. Mékhilharistes), 1903, in-8% XX + 116 p. (situe l'arménien parmi les langues indo-européennes). Du même auteur, consulter les importants travaux relatifs à la grammaire arménienne, publiés dans les Mémoiresde la Société de Linguistique de' Paris, à partir du volume Vil (1889). Grammaire arménienne, par M. LAUBR, traduite, revue et augmentée d'une chrestomathieet d'un glossaire, par A. CARRIÈRE (Paris, Maisonneuve et #•), 1883, in-16, XIV -f- 220 p. (arménien ancien, classique). ' dialectes arméniens, des Classification par H. ADJARIAN...(Paris, H. Champion), 11*09,in-8% 88 p. [173* fascicule de la Bibliothèque de l'Ecole des hautes études. Sciences historiques et philologiques.] (Arménien moderne). INDICATIONS llini.IOGnAUIIIQUES ix > Dictionnaires. Dictionnaire arménien'français, par G. A. NARBEYde Lusignan. 4e édition (Paris, l'auteur, L. Hachette et C", Maisonneuve et C,<), 1893, in-12, VI -f1033 p. . [Les premières éditions portent, comme nom d'auteur, celui de Ambroise CALFA.] Dictionnaire français-arménien d'après les dictionnaires d'E. Litlré et de l'Académie française, par DB BYZANCE NÉANDRE (Conslantinople, A. (NORAYR) H. Boyajian), 1884, gr. in-8», 1298 p., -f- 5 pages non paginées. GUYDELUSIGNAN. Nouveau dictionnaire illustré françaisarménien (Paris, typographie Morris père et fils), 1.1, 1900; 1.11,1903; gr. in-8». Littérature. La littérature arménienne, dans Archag TCHOBANIAN. Revue encyclopédique Larousse, 27 août 1898, p. 756760 ; 3 septembre 1898, p. 771-775; 8 juillet 1899, p. 521-526. IDEM.L'Arménie. Son histoire, sa littérature, son rôle en Orient. Conférence... (Paris, Mercure de France), 1897, in-8%90 p. IDKII.Le peuple arménien. Son passé, sa culture, son avenir. Conférence... (Paris, P. Geuthner), 1913, in-8», VI + 62 p. IDBM.Chants populaires arméniens, traduction française avec une introduction... Préface de Paul ADAM. , (Paris, OlIendorlT),1903, in-16, LXXXII 4- 268 p. IDEM.Les trouvères arméniens... traduction française avec une introduction ..'(Paris, Mercurede France), 1906, in-16, 297 p. IDEM.Poèmes... Préface de Pierre QUILLARD. (Paris, Mercurede France), 1908, in-16, XII -f- 263 p. IDEM,/M Vie et le rêve... Lettre-Préface de Emile VERHABRBN (Paris, Mercure de France), 1913, in-16, Vil + 218 p. X AUTOUR DE I, AHMKNIB IDEM.Offrande poétique à la France... (Paris-Nancy, Berger-Levraull), 1917, in-8% 31 p. * / *• Petite^Bibliothèque arménienne publiée sous la direction de M. F. Maclcr (Paris, E. Leroux, éditeur) : Tome I. /M Possédée, par CUIRVANZADÊ; traduction 1910. d'Archag TCUOBANIAN, Tome II. Nouvellesorientales, par Minas Tchôraz, 1911. Tome III. Contes et légendes de l'Arménie, traduits et recueillis par F. MACLER. Préface do Henô BASSET, 1911 (honoré d'une souscription du Ministère do l'instruction publique). Tome IV. Avétis AHAHONIAN. Vers la liberté. L'ab\me. etElias-Sarkis Traduction par le Dr Missak&iAMLiAN ALTIAR.Préface de A.-Perdinand HÉROLD.1912 (Ouvrage couronné par l'Académie française). ( Tome V. H. ZARTARIAN. Clarté nocturne. Traduction cl ESSAYAN. Préface COLANQIAN par A. TCUOBANIAN, de Gaston BONET-MAURY, 1913. Tome VI. H. BARON/AN. MaUre Ralthasar. Comédie en trois actes. Introduction et traduction par SILNITZKY. 1913. lome VIL ARAKELIAN (Hambartzoum). Contes et Nouvelles. Scènes delà vie arméiio-persanc. Traduction 1916. par Aram EKNAYAN. Nouvelles et Contes. Tome VIII. M01*Iskouï MINASSE. 1917. Préface do M"*Bcrthc-Georges GAULIS. Tome IX. Vrlhanès PAPAZIAN. Santo. Traduction par SERGEO'HERMINY (en préparation). » Marie SEVADJIAN. Nouvelles, traduites de l'arménien moderne par Frédéric MACLER (Paris, Société nouvelle de librairie et d'édition), 1904, in-16,155 p. Contes arméniens, traduits de l'arménien moderne par Frédéric MACLBR (Paris, E. Leroux), 1905, in-16, 194 p. ituaiormu'iiini KS INMCATIONS il CUIRVANZADÊ. L'artiste. Traduit de l'arménien par SERGED'HERMINY (Paris, chez le traducteur et chez tous les libraires), 1909, in-8°, 147 p. Minas TCIIÉRAZ. L'Orient inédit. Légendes et traditions arméniennes, grecques et turques... (Paris, E. Leroux), 1912, in-16, 328 p. Minas TCIIÉRAZ. Poètes arméniens... (Paris, E. Leroux), 1913, in-16, XI + 155 p. M"*Iskouï MINASSE. Heures intenses. Poèmes en prose (Conslanlinoplc, impr. do la Palr\e) [1942], in-12, 167 p. LAMÊME. Sanglots. Poèmes en prose. Préface do Frédéric MACLER (ibidem). 1913, in-12, 162 p. LAMÊME.Pertes vénitiennes. Poèmes en prose... (ibidem), 1914, in-12, 150 p. P. S. ERÉMIAN. Tableaux. Poèmes en prose. (Venise, impr. do Saint-Lazare), 1914, in-12, XIII -f- 126 p. Contes transcrits par Maurice BOUCIIOR d'après la tradition orientale et africaine (Paris, A. Colin), 1913, in-16, XXIV -+ 272 p. [« Dans tout ce que j'ai lu en fait de folk-lore de l'Asie-Mineure, rien ne m'a paru aussi intéressant que les contes arméuicns », p. XII]. SIAMANTUO traduction do M"eMar(Adom YARDJANIAN), : Le Chant du Chevalier, dans Les guerite BAOAÏAN fleurs de mai, Paris, 1913, nf 3, p, 161-169; Le rêve d'une mère, ibidem, 1914, nt 4, p. 121-123; Soif, ibidem, 1912, n° 1, p. 30; Enterrement, ibidem, 1912, n» 1, p. 31 [Siamantho est < le plus grand poète arménien moderne. Ses chants (quatre volumes publiés) sont presque tous patriotiques, inspirés par les massacres des Arméniens. Instruit à Paris, il a vécu un temps aux Elals-Unis d'Amérique, avec tant d'émigrés do sa race... » Note de do la rédaction]. Les murmures Haig-Àram KUJARIAN-D'ARTCIIOUGUENTZ. du coeur.Poésies arméniennes accompagnées d'une XII AtTOl'RDE I.'AHMÈME traduction de l'auteur (Paris, G. H. Nercôs), 1915, in-16, 93 p. Art. Gabriel MOURKY. La poésie et l'art arméniens, dans Poèmes arméniens anciens et modernas, traduits par Archag TCUOBANIAN... (Paris, A. Charles), 1902, in16, p. 943. Gabriel MILLET. L'art byzantin, dans Histoire de l'art... publiée sous la direction de André MICHEL... (Paris, A. Colin), 1905, gr. in-8*. I, passim, à partir de la p. 127. IDEM.Recherches sur Ciconographie de l'Evangile aux X/V\ XV* et XVh siècles, d'après les monuments de Mislra, de la Macédoine et du Mont-Alhos... Dessins de Sophie Millet. 070gravurcs dans le texte et hors texte (Paris, FonlemoingetC'*)i 1916, in-,8», LX1V-f- 809 p. [fait la place très large à là documentation arménienne]. L'Ecole grecque dans l'architecture byzantine... IDEMP (Paris, E. Leroux), 1916. io-8«. xxvnt f 329 p. [relève l'importance de l'architecture arménienne. Nombreuses illustrations.] ', Charles DIIIIL.Manuel d'art byzantin (Paris, A. Picard et fils), 1910, in-8* [art de l'Arménie au vu» siècle, p. 315-318 ; ses rapports avec Byzance, 315, 318319; son art au x* et xi« siècle, 441-444; ses rapports avec l'art byzantin, 444-447]. II. P..Séraphin ABDULLAU et Frédéric MACLER. Etudes sur la miniature arménienne... (Paris, P. Geulhner), 1909, in-8», 46 p. Frédéric MACLER. Miniatures arméniennes. Vies dû Christ. Peintures ornementales (x*au xvn» siècle), 68 planches en phototypie et 8 figures dans le texte... (Paris, P. Geuthner),1913, in-4% 44 p. Muslquf. Pierre AUBRY. Souvenirs d'une mission d'études musi* INDICATIONS mnLIOGRAI'IIIQUKS Xtlt ! cales en Arménie (Paris, éd. de la « Schola canto. rum »J, 1902, in-8', 4i p., musique et fac-similés [le système musical de l'église arménienne]. IDEM,tissais de musicologie comparée. Le rythme tonique dans la poésie liturgique et dans le chant des églises chrétiennes au moyen Age (Paris, H. Welter), 1903, gr. in-8% 84 p. IDEM.Le peuple arménien et son art musical [Conférence faite à la salle Pleyel, le2juin 1899. Inédite]. IDEM.La musique arménienne liturgique et popufaire. [Conférence faite h la soirée d'art arménien organisée au profil des orphelins d'Arménie, le 15 février 1903. Inédite]. Chants liturgiques arméniens exécutés a la soirée du 15 février 1903 par M. Agopian et les chanteurs de Saint Gervais (Paris, 1903), in-8°, 8 p. PROFF-KALFAÏAN (K.). Directeur-rédacteur du Groung, revue artistique arménienne (publication trimestrielle) n° 1, décembre 1904. N*2 et dernier, mars 1905. (Paris, 3 bis, place de la Sorbonne), iu-8*. [Bibliothèque nationale, coté : 4* V. 6849]. EGUIASARIAN. Recueil de chants populaires arméniens. 1" livraison (Paris, Costallat etC"), 1900. ïn-fol, 31 p. BOYADJIAN (G.). Chants populaires arméniens, recueillis et transcrits... Avec accompagnement de piano par A. SÉRIEYX; adaptation française des paroles, par A. TCUOBANIAN. Introduction par Pierre AUBRY (Paris, E. Démets), 1904, in-fol., 32 p. KoMITASwardapet. La lyre arménienne. Recueil de chansons rustiques... (Paris, E. Démets) [1907], infol., 45 p. IDEM.La musique rustique arménienne, dans Mercure musical..., n* du 15 mai 1907, p. 472-490. AveMaria pour mezzo-soprano DikCan TCUOUHADJIAN. ou baryton, avec accompagnement de piano. 1883 (Paris, Léon Hainpartzoumian), 2« éd. 1914, in-fol. 7 P- XIV DE L'ARMÊME AUTOUR Laura. Romance pour raezzo-soprano ou baryton. Paroles de Victor HUGO. Musique de D.TCUOUUADJIAN(Paris, Léon Hamparlzoumian) 1914, in-fol. 4 p. La musique en Arménie (Paris, Frédéric MACLER. E. Nourry), 1947, in-16, 40 p. M11* Marguerite BABATAN publie, en collaboration avec : Mes exercices, tirés des chansons poJean PBRIBR pulaires de France (Paris, Maurice Senarl et C")> 1917,in-4%83p. Le»Massacres. Pro Armenia. Rédacteur en chef : Pierre Quillard. N* 1, 25 novembre 1900. Huitième année, n* 190, 20 septembre 1908; le dernier cahier présent à la Bibliothèque nationale (coté : f» 0» b 211). Continué sous le titre : Pour les peuples d'Orient. Organe des revendications arméniennes. Directeurs : F. de Pressensô et Victor Bérard. N*il, 10 décembre 1912. N« 24 et dernier, 25 novembre 1913. — Continué sous le titre: Pro Armenia. Directeurs ; F. de Pressensé et Victor Bérard. N# 1, 10 décembre 1913. N# 14-15 et dernier, 25 juîn10 juillet 1914. Pour l'Arménie, mémoire et dossier. Pierre QUILLARD. (Paris, 8, rue de la Sorbonne), 1902, in-18,167 p. [Cahiers de la quinzaine, 19* cahier de la 3* série]. A la mémoire de Pierre Quillard (Paris, Mercure de •France), 1912, in-16, 247 p. [Discours prononcés à Paris le 16 février 1912. Compte-rendu de la cérémonie deConslantinople. Quelques articles. Traduction des articles publiés dans le journal arménien « Azatamart ». Notes biographique et bibliograi phique], Le livre jaune, publié sous le titre : Ministère des affaires étrangères. Documents diplomatiques : Affaires arméniennes. .Projets de réformes dans l'Empire ottoman 1893-1897. (Paris, Imprimerie INDICATIONS tl|lt|.IO<;tlVI>IIIQUES XV nationale), 1897, in-fol., 371 p., plus un Supplément de 124 p. Us massacres d'Arménie. Témoignages des victimes. Préfacede G. CLEMENCEAU (Paris, Mercurede France), 1896, in-12, 264 p. Arménienset Jeunes-Turcs. Les massacres A. ADOSSIDÈS. de Cilicie (Paris, P.-V. Stock), 1910, in-16,143 p. Georges GAULIS.La ruine d'un empire. Abd-ul-Hamid, ses amis et ses peuples. Prérace de Victor BÉRARD (Paris, A. Colin), 1913, in-16, XI + 357 p. Francis de PR&SSENSB. L'Arménie, dans Foi et Vie, n° du \" août 1915, cahier B, n«13. [Conférence donnée en décembre 1913 sur l'Arménie, dans la série : le nouvel empire turc et l'avenir de la Méditerranée], L'extermination des Arméniens, dans Bulletin de l'Ai' liance française, 1" novembre 1915, p. 109-111. Cf. lw juillet 1916, p. 171. Les massacres d'Arménie, ibidem, 1»' mars 1916, p. 4748. [Excellents articles, dus à la plume autorisée de M. A. Meillet]. Rapport du Comité américain de New-York sur les atrocités commises en Arménie Traduit de l'anglais. Octobre 1915. In-16,63 p. Quelques documentssur le sort des Arméniens en 19iô. Publié par leComitô de l'OEuvrede secours 1915aux Arméniens. Imprimé comme manuscrit (Genève, Société générale d'imprimerie), in-8% 72 p. A. TCUOBANIAN. L'Arménie sous le joug turc... (Paris, Plon-Nourrit et &•), 1915, in-8% 39 p. Emile DOUMERGUB. L'Arménie, les massacres et la question d'Orient. Conférence. Éludes et documents... 2« édition revue et augmentée. (Paris, librairie de Foi ct Vie) [1916], in-8°, 205 p. Pour les Arméniens. Discours prononcé par S. Gr. Mf'TOUCHBT... en l'EglisedelaMadeleinole dimanche 13révrierl9l6 (Paris, BloudetGay), 1916, in-8,18p. Herbert Adams GIBBONS. Les derniers massacres d'Ar- XVI DF.L'ARMÉNIE AUTOUR ménit. Los responsabilités. Traduit do l'anglais. (Paris-Nancy, Berger-Levrault) [1910), in-16, 47 p. René PINON.IAXsuppression des Arméniens. Méthode allomande. Travail turc, 2* édition (Paris, Perrin et G"), 1916, in-16, 76 p. Les massacres arméniens. Préface Arnold J. TOYNBBB. (Lausanne-Paris, Payot et Cu), inpar Lord BRYCB 16, 158 p. Comment un dr'apeau sauva quatre mille Arméniens (Paris. Fischbachor) [1916], in-8% 15 p. [signé : Dikran ANDRBASIAN). Les massacres et ta lutte de Mousch-Sassoun ARAMAÎS. (Arménie), 1915. Traduit du journal arménien « Arev »»de Bakou (Genève, édition de la revue « Droschak »), 1916, in-8% 63 p. /AI défense héroïque de Van (Arménie). Traduit dedif* fôrenls journaux arméniens par M. G. (Genève, édition de la revue « Droschak »),1916, in-8°, 10| p. Le livre bleu anglais, sur les massacres arméniens, publié sous ce titre : The Treatment ofArmeniansin the Ottoman-empire, 1915-16. Documents presenled to viscount Grey of Fallodon,.. by viscount BRYCB. With a préface by viscount Bryce (London.fJoseph Causlon and Sons), 1916, in-8», XLII +684* p. Idem, partiellement traduit sous le litre : Extraits du < Livre Bleu » du gouvernement britannique, mélanges n* 31 (1016)... Le traitement des Arméniens... (sous presse). correspondant de guerre du «Journal ». Henry BARBY, Au pays de l'épouvante. L'Arménie martyre. Préface de M. Paul Deschanel, de l'Académie Française, président de la Chambre des Députés. (Paris, Albin Michel), 1917, in-16, V + 260 p. [Nombreuses illustrations, permettant de se faire une idée des horreurs qu'a vues l'auteur, dans son voyage à travers les ruines de l'Arménie], Pari»,12mai 1917. j AUTOUR DE LA CHAIRE A L'ÉCOLE L'ARMÉNIE D'ARMÉNIEN NATIONALE ET SPÉCIALE DRS LANGUESORIENTALES VIVANTES<«> MESDAMES,MESSIEURS, en 1798. Dès les premiers moi? ^ l'année, le général Bonaparte avait ordonné à Venture de Paradis, professeur do turc à l'École des langues orientales, de le rejoindre à Toulon pour faire partie d'une expédition secrète. Il no s'agissait de rien moins quo de l'expédiavec tion d'Egypte. Venture obéit, emmenant trois élèves de lui, en qualité d'interprètes, Aniédée Jaul'École des langues orientales, C'était (t) Leçond'ouverturedu cours d'arraéoiea ù l'Écolenationale et spécialede»languesorientalesTiranteslue le 14novembre 1911.— Extrait de la Revueinternationalede t'enseigne' ment,publiéepar la Sociétéde l'Enseignementsupérieur,u*du ISjaoTier1912. t a AtT0Vll DEI.'AHVJÉMK bert(l). Raige et Belleteste (2); et le journal Gabarit vante les services d'Abd»er-Rahman éminenta rendus à l'armée d'Orient par Venture de Paradis et ses élèves. Et Yjici que, dans l'automne de la même année, l'affiche de l'École annonçait qu'un Arménien, Jacques Chahan de Cirbied « donnera des leçons de sa langue naturelle ». — Mats Cirbied no possédait pas assez bien le français pour enseigner avec fruit sa langue maternelle; le cours provisoire d'arménien fut supprimé le 16 octobre 1801 (3). « Dix ans après, Chahan de Cirbied demanda à le rouvrir, alléguant ses « études continuelles dans la langue et la littérature françaises ». de l'École des langues Langlès (l'administrateur orientales, 1796-1824) pensa également qu'il devait avoir acquis « la iacilité d'exprimer et de communiquer ses idées à ses auditeurs », et donna un préavis favorable. Le Ministre, de son côté, estimant qu'il y avait lieu de tenter encoro un essai, autorisa de nouveau un cours provisoire le 8 décembre 1810, et promit en cas de succès de prendre des mesures pour créer en Arménieet en Perse, précédéd'une (1) Voirson Voyage' noli.esur l'auteurpar Sédillot(Paris,1821).ln~S«,et l'éditionde «860. (t) Cf. Noticehistorique sur f École spéciale des langues orientalesvivantes{parA. (UanitM](Paris,1883}, p. 17. (WNoticehistorique...,p. 18. LA.CHAIRE D'ARMÊMES $ une chaire d'arménien. Cette définitivement fois, Cirbied réussit, forma rapidement plusieurs élèves dont deux (1) publièrent des travaux, et montra un zèle qui lui valut d'être nommé professeur titulaire par décret impérial du 27 février 1812 (2) ». • Il y a donc cent ans, éaison pour saison, qu'un enseignement officiel de l'arménien est donné dans notre École. La création de *ette chaire en Orient, et vous eut un grand retentissement me permettrez de vous citer un document, qui est peut-être inédit, adressé à Napoléon !' par un savant arménien, pour le remercier d'avoir établi en France une chaire d'arménien. Ce document est contenu dans le numéro 279 des manuscrits arméniens'de la Bibliothèque nationale de Paris. En voici la teneur : « Grammaire arabe expliquée en arménien. . « Dédiée à Sa Majesté, au premier Napoléon le « Grand, Empereur des Français et Hoi d'ila« lie : à l'usage des élèves du cours d'arménien « nouvellement établi dans la ville Impériale de « Paris, Traduite et rédigée d'après les meilleurs « auteurs originaux, par Mcircar Zacarie de « Gelam Kogenlzdc la ville d'Ërivan. L'an 1811 « mois de septembre, à Saint-Pétersbourg. (I) Je peusequ'il s'agit ici du docteur Bellaud,anteur d'un Estai sur ta tanguearminienne(Paris,1812),et de LeVaillant de HoriTal. (t) notice historique.,.,p. 23-2*. 4 AUTOUR DE L'ARVIÉXIB « Auguste César Majesté, « La merveille des merveilles se voit opérer « dans notre siècle. Le soleil qui, depuis le corn« mencement du monde, envoyait ses rayons « de lumière d'Orient en Occident, aujourt d'hui, il répand son éclat brillant du couchant « en Orient, et nous en sommes des témoins « oculaires. « La Munificence de Sa Majesté Impériale et « Royale, qui a bien voulu établir une École de « notre Langue orientale dans votre ville céleste « et Impériale, a tellement ému votre Serviteur, « Sire, que je prend la respectueuse liberté « d'offrir à la dite École ce petit fruit de mes c veilles, et de La supplier, sans garder à la « médiocrité dé l'objet et de la personne, de « recevoir seulement ses voeux et son dévoueif ment le plus sincère en reconnaissance de « Ses Bienfaits pour notre nation. <r Cette petite grammaire, Sire, traduite de « l'arabe, ef réduite en méthode selon le système « des grammairiens européens et arméniens, c ne fut dédiée à Sa Majesté que pour servir a de monument éternel des Protections particua Hères qu'Blle veut bien étendre s ir notre « nation comme èur celles de toute la terre. « Daignez, Sire, jetter un regard favorable -- f.'ir le dévouement et le zèle qui m'anime. a Je suis, avec le plus profond respect, Sire, D'ARMÉNIEN 5 hk CHAIRE « de Votre Majesté Impériale et Royale, le très c humble et très obéissant serviteur. « Marrar Zacarie de Gelam Kogentz à Saint« Pétersbourg, 13/2 décembre 1811. » L'enseignement de l'arménien, venant s'ajouter à ceux, déjà existants, du persan, de l'arabe et du turc, fut une preuve nouvelle de l'intérêt que la France portait aux peuples orientaux,' et ceux-c», de leur côté, se firent sans peine, et pendant de longues années, à la douce habitude de tourner leurs regards vers notre pays, dans leurs moments de péril et d'angoisse. Cent ans d'arménisme une représentent somme de travail et un effort scientifique dont il faut tenir compte. Aussi voudrais-je, avant de vous exposer le programme de nés études futures, vous retracer, d'une façon aussi sobre et aussi brève que possible, l'oeuvre des arménistes français, et plus particulièrement de ceux qui occupèrent cette chaire avant moi. J'aimerais ensuite vous peindre, à grands trait8, les destinées du peuple arménien, dans le temps et dans l'espace; vous dire en peu de mots ce qu'il en faut savoir, avant d'entreprendre l'étude de sa langue, de son histoire, de sa littérature; rechercher avec vous les raisons psychologiques, les conditions de race et de milieu qui ont permis à ce peuple, vieux de G DE l/ARMESIB AUTOUR près de trente siècles, de vivre, d'agir, de braver les invasions, de subir le martyre, d'être intédécimé par les guerres extérieures/et rieures, et de jouer néanmoins et malgré toutes les vicissitudes morales et physiques, un rôle prépondérant au milieu des peuples oit il est condamné à vivre; — vous rappeler quelquesuns des personnages Importants de cette nation qui, en dehors de la sphère d'activité quelque peu restreinte que leur offrait l'Arménie, présidèrent souvent aux destinées d'autres peuples, en tant qu'empereurs, impératrices, généraux, hommes d'État, riches banquiers et généreux t commerçants. Je terminerai en vous exposant ce que je crois devoir vous enseigner. Nous sommes à un tournant de l'arménisme en France. Pendant un siècle, l'arménien ici enseigné fut l'arménien ancien ou classique (grabar). Les travaux de mes devanciers, comme ceux des autres arménistes, portèrent toujours sur la langue et la littérature 'arméniennes anciennes. Rompant avec cette tradition, considérant que, depuis une cinquantaine d'années, une jeune littérature arménienne a vu le jour, a crû et s'est développée, qu'elle est suffisamment riche, et variée et intéressante, nous enseignerons ici la grammaire de l'arménien vivant, nous expliquerons les oeuvres des écrivains contemporains, IA CII\IRKU'ARMKMKN 7, * nous prendrons avant tout en considération les manifestations actuelles d'une nation qui exerce une influence très grande sur les pnuples parmi lesquels ello vit. Non que nous fassions fi de l'arménien ancien. Bien au contraire. Son importance est capitale pour l'étude de la grammaire comparée indoeuropéenne, pour l'histoire générale au moyen fige, pour ses contributions à l'histoire ecclésiastique, pour les renseignements précieux 4 qu'il peut fournir sur de vieux cultes païens, pour le folklore oriental, pour les don m'es Sa place relatives à. l'art et a l'architecluro. reste parmi nous, et nous l'enseignerons toutes les foi s que l'occasion s'en présentera. Et si l'on peut souhaiter, dans une certaine mesure, qu'un enseignement fût créé ailleurs, qui complétât par des leçons d'un ordre plus scientU fique et plus technique les notions forcément sommaires d'arménisme que trois années de scolarité dans cette École sont à peine suffisantes à vous inculquer, il n'en subsiste pas moins la très grande influence de l'arménien ancien sur le moderne : celui-ci est, selon l'expression grecque, une langue puriste, qu'il ne faut pas prendre pour la langue de la rue; n'est celleci, fortement modifiée sous l'influence delà langue ancienne. 8 AtTOIR I»BI/ARUÉME 1 Je serai bref dans Toxposô des promiersarménisants européens. Ce furent d'abord des missionnaires, dominicains pour la plupart, que les papes envoyèrent au pays du Levant, Barthélémy de Bologne partit pour l'Orient en 1316, sur Tordre du râpe Jean XXII. Cet évoque latin dut apprendro le persan et l'arménien pour pouvoir exercer une influence sur les populations au milieu desquelles il allait passer une partie de son existence. Nous possédons à la Bibliothèque nationale un manuscrit arménien (lo n° 105), contenant le bréviaire romain, traduit en arménien en 1330 par les soins de Barthélémy de Bologne. Ses oeuvres, traduites par Jacques Thargman, constituent le n° 149 de la môme collection. François Bivola de Milan (xvu* siècle) publia une grammaire de la langue arménienne, dont une copie, exécutée par Pétis de La Croix, se trouve à nblre Bibliothèque nationale (n° 272), et un dictionnairo arménien-latin. — On cito encore le nom du missionnaire calabrais Paolo Firomalli, qui étudia l'arménien pour se rendre en Orient. — Epfin, le P. Clément Gala nus, napolitain, qui fut longtemps missionnaire en Orient et possédait fort bien, dit-on, le géorlaissa quelques gien, le turc et l'arménien, 9 « ouvrages indigestes, qui firent époque, et dont il faut donner les noms : !• Grammatical et logicw institttlhnes linguoe literalis armenicoe, Arménie traditio a D. Clemento GALAKO...Addito vocabulario armono-latino omnium scholasticarum dictionum. Romeo, 1645. 4». 2° llistoria armena, ecclesiastica et politiôa, nunc primum in Germania excusa et ad exemplar romanum diligonter expressa. Coloniao, 1686. ln-8'. 3* Concilialio ecclesioe armenoe cum Romana, ex ipsis Armenorum patrum et doctorum tostimoniis in duas partes hislorialem et controvorsialem divisa. Romeo, typ. Sacr. Congr. de Propag. Fido, 1658, 1661 et 1690, 3 vol. in-fol. (en arménien et on latin). LACHAIRE n'ARMÊME* J'ai hâte d'arriver aux Français. M. Omont a publié dans la Bibliothèque de l'École des Chartes (1882, p. 563-564) un ancien glossaire latin-arménien, placé à la fin d'un manuscrit des Lettres de Saint-Jérôme, de la bibliothèque du grand séminaire d'Autun. Carrière a repris l'étude de ce glossaire dans un mémoire offert à Eraine (1) ,ct ces deux savants arrivent à la Un ancien glossairelatin-aanénien... (I) Cf. A. CAHRIÈRI, Paris,1886.Iu-8*. 1. 1Q AUTOUR l)E l/AnMBMB conclusion que la composition de ce glossaire est antérieure au commencement du x* siècle. En 1322, l'arménien était enseigné à la cour des papes d'Avignon par les envoyés du roi Léon V (1). Guillaume POSTEL, célèbre Orientaliste du xvi 9 siècle, qui fut interné en 1562 à cause de ses écrits et surtout de son livre sur la venue d'un Messie féminin, intitulé : les Merveilleuses victoires des femmes (1553), fut un grand voyaIl parcourut à geur et un habile observateur. plusieurs reprises l'Europe et l'Asie et publia de nombreux livres. J'en citerai un seul, qui nous intéresse directement : Linguarum duodecim characteribus differenlium afphabetum introduclio ac legendi modus longe facillimus.*, Paris, 1538. ln-4e de 75 pages non paginées. Les douze langues, dont il est question dans cette plaquette, sont : l'hébreu, le syriaque, le chaldéen ancien, le samaritain, l'arabe ou punique, l'éthiopien (appelé lingua indica), le grec, lo géorgien, le bosnien, l'illyrien, l'arménien et le latin. L'auteur consacre cinq pages à la langue arménienne; il donne, à la quatrième, l'oraison dominicale, qui se termine, à la en quième page, par quelques remarques gr mmaticales que je recommande à la méditatif \ des '. linguistes. t. I, p. ,i, (t)M. fitcciM,la librairiedespapes d^Âvlgnon, LACIIVIHK D'AIOIKMKX II* Postel arrête là ses observations, estimant en avoir assez dit sur l'arménien, cette langue orientale si difficile à prononcer, a Illa satis sunt Interomnes linguas quas iinquam atidiui, prolatione difficiliorem hâc non noui. » Guillaume Postel, qui fit ainsi le premier essai de grammaire polyglotte, est surtout connu comme hébraïsaitt. Le P. Jacques VILLOTTE, jésuite, séjourna A longtemps en Orient comme missionnaire. son retour en France, il publia différents ouvrages en français et en arménien. Le célèbre hébraïsant Richard SIMONpubliait, sous le pseudonyme de DE MONI, d'intéressants détails sur les Arméniens, dans son Histoire critique de la créance et des coutumes des nations du Levant (Francfort, 1684), p. 137-146et 217-229. Le Français Maturin VBYSSIKHKLA CROZK, bibliothéancien professeur en philosophie, caire et antiquaire du roi de Prusse, donnait à La Haie, en 1739, uno Histoire du christianisme d'Ethiopie et dArménie ; il avait composé précédemment un dictionnaire arménien en deux volumes. né à Paris en L'abbé Guillaume de VILLKFIIOY, 1690, dressa le catalogue des manuscrits arméniens de la mission Sevin(l); il mourut en 1777, Cataloguedis manuscritsarminiens et (t). Cf. F. MACLCR, nationale(Paris, 1908),p. iv, D.3. géorgiensde ta Bibliothèque 12 AUTOlïlDE I/VHSIKME professeur d'hébreu au Collège de France. Son LOUIIDET/ comme élève, l'abbé Pierre-Simon lui professeur d'hébreu au Collège de France, mort en 1791, étudia l'arménien avec ardeur et se rendit, en 1785, à Venise, où il passa près de deux ans chez les PP. Mekhitharistes (1). 11 avait, paraît-il, composé un dictionnaire arméfort volumineux, nieh-latin, qui ne fut pas imprimé. Signalons enfin, que l'abbé GARNIER,supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, élève de l'abbé Lourdet, et l'illustre orientaliste Etienne membre de l'Académie des InsQuATREMfcRE, une criptions et Belles-Lettres, possédaient connaissance approfondie de l'arménien. L'enseignement et les publications de CHAHAN effort DE CIRBIED dénotent un consciencieux scientifique. S'il ne donna pas des ouvrages immortels, il publia néanmoins quelques livres qui lui font honneur. En 1806, il faisait paraître avec F. Martin ses Recherches curieuses sur l'histoire ancienne de l'Asie. En 1811, il publiait un fragment de Mathieu d'ifdesse, relatif à la première croisade ; en se bornant au texte conservé à notre Bibliothèque nationale, Cirbied se condamnait à faire une oeuvre incomi Calatogut...,p. xiiu, a. 1. (I) Cf. MACLER, D'ARMÉMEX LA CHAIRE i3 plus tard par plète, qui devait être reprise celui-ci procéda scientifiquement, Dulaurier; en collationnant le texte de Paris avec ceux de Venise. — Quelques années plus tard, Cirbied publiait, avec Mir-Davoud Zadour de Melik Schahnazar, les Détails sur la situation actuelle du royaume de Perse (1816), en français, en arménien et en persan ; et deux ans plus tard, en 1818, s'étant assuré la collaboration de son administrateur, Langlès, il faisait paraître ses Notices sur l'état actuel de Ifi Perse, en persan, en arménien et en français. — L'ouvrage vraiment original et personnel de Cirbied est sa Grammaire de la langue arménienne (1823). C'est un livre épais, touffu, où il y a beaucoup à glaner, mais que l'on ne saurait mettre entre les mains d'un débutant ; l'introduction a xxxn pages et le corps de l'ouvrage en compte 820. Je ne vous ai cité que les principales oeuvres de Cirbied. Bien que datant de cent ans, on y peut encore trouver, de-ci de-Ià, quelques bonnes notes, quelques renseignements utiles, que l'on chercherait en vain ailleurs. En 1826, Chahan de Cirbied s'était rendu à Tiflis où l'appelait l'archevêque Nersès, pour organiser une École spéciale de langues occidentales (1); il avait obtenu à cet effet un congé (I) Notice historiquesur l'École des languesorientales..., p. 27. > ALTOLH l)K L'AIIMKME l/| de trois ans et avait désigné/ pour le suppléer pendant son absence, un de ses élèves, Le Vaillant de Florival, qui fit partie de la première promotion de l'École des Chartes, section des archives, 1821. Comme Cirbied ne revenait pas à l'expiration de son congé, on le considéra comme démissionnaire, et son suppléant fut titularisé le 4 septembre 1830. Il resta professeur d'arménien sa mort, 20 janvier jusqu'à 1862 (1), de LE Je ne sais ce que fut l'enseignement VAILLANTDE FLOBIVAL.Il publia fort peu et s'attaqua à deux des principaux écrivains arméniens pour en donner une traduction, Moïse de Khoren (1841) et E/nik (1852). L'entreprise était manquée et l'oeuvre était à.refaire. L'ouvrier n'avait pas été à la hauteur de sa tAche. Edouard DULAUIHBR ouvre l'ère des professeurs d'arménien qui se préoccupèrent d'appliquer une méthode scientifique. de Dès 1850, alors qu'il était professeur malais et de javanais à l'École des langues orientales vivantes, il publiait le Bécit de la première croisade, extrait de la Chronique de Matthieu d'Edesse et traduit de l'arménien, d'après quatre manuscrits de la Bibliothèque du couvent de Saint-Lazare, à Venise, et un (2)Solice historique...,p. 28. .. . . LACHAIRE I/ARMÉME* t I5! manuscrit de la Bibliothèque nationale, à Paris. Il estimait que « de toutes les littératures qui « se développèrent en Orient sous l'influence celle de l'Arménie est, <• du christianisme, la plus remarquable « sans contredit, par sa Placés dans le « richesse et son originalité... <c voisinage des grands empires qui s'élevèrent «• dans l'Asie occidentale, et mêlés aux vicissil'existence et la « tudes qui en marquèrent a chute, les Arméniens nous ont conservé le « souvenir de faits ignorés des historiens grecs « et romains, ou que ceux-ci n'apprirent que des <• d'une manière imparfaite. Limitrophes o peuples de race scythe ou tartare, ils ont « connu et retracé avec soin et exactitude les « origines et les migrations de ces peuples... « C'estainsi que, pour les invasions des Arabes, « des Turcs seldjoukides et des Mongols, et « pour les croisades, le patriarche Jean VI, « Assolig, le prêtre Léonce, Ariataguès, Gui« ragos de Kantzag, le moine Malachie, le doc« teur Vartan et plusieurs autres écrivains c arméniens, qui son' restés jusqu'à présent « inconnus à nos érudîts, nous offrent dans « leurs ouvrages une mine nouvelle et féconde « de renseignements sur ces grands mouve« ments de peuples qui exercèrent une influence » profonde sur les destinées des nations de « l'Asie et de l'Europe » (Préface, v-vi). iG AUTOUR UE I/ARMÉ.ME Et voilà comment Dulaurier, abandonnant le malais et le javanais à l'abbé Fabre,-s'adonna entièrement à l'arménisme et fut nommé professeur de la chaire d'arménien, par décret impérial du 19 février 1862. Les publications de Dulaurier sont nombreuses et variées. Elles se rapportent presquo exclusivement à l'histoire et peuvent être rangées sous trois chefs principaux : a) Les historiens arméniens, en général, traduits et annotés ; b) Les historiens arméniens relatifs aux croi' traduits et annotés sades, ; c) Les historiens arméniens relatifs aux Mongols, traduits et annotés. Dulaurier d'une commença la publication Bibliothèque historique arménienne, ou Choix des principaux historiens arméniens traduits en français et accompagnés de notes historiques et géographiques, collection destinée à servir de complément aux Chroniqueurs byzantins et slavons. Le premier volume, qui comprend Matthieu d'Edesse (926-1136) avec la continuation de Grégoire le prêtre jusqu'en 1162, parut en 1858. Il donna ensuite une traduction annotée do VHistoire universelle d'Etienne Asolikdo Taron, 1" partie, qui fut publiée en 1883, après sa mort. LACHAIRE D'ARMÉMEN 17 La collection qui était réservée aux documents relatifs aux Mongols d'après les historiens arméniens ne comprend que deux fragments, de Guiragos et de Vartan, donnés dans le Journal asiatique en 1858 et en 1860. C'est là, Messieurs, qu'il y a un effort à porter et que je voudrais voir l'un de vous s'occuper de cette question importante pour l'histoire de la haute Asie. Un volume de Recherches sur la Chronologie arménienne technique et historique, ouvrage formant les prolégomènes de la collection intitulée « Bibliothèque historique arménienne » (Paris 1859, t. I) est capital et renferme, sauf quelques erreurs de détails, tout ce qu'il faut savoir pour étudier et comparer les ères de l'ancien monde, au point de vue arménien. L'oeuvre vraiment durable de Dulaurier est constituée par ses travaux sur les documents arméniens relatifs aux croisades. 11 donnait, en 1861, dans le Journal Asiatique, une Étude sur l'organisation politique, religieuse et administrative du royaume de la Petite-Arménie à l'époque des croisades. 11 reprenait cette étude et la remaniait pour en faire l'Introduction au tome I des Documents arméniens, Recueil des historiens des croisades, publié par les soins de l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres (Paris, 1869). Ce volume in-folio renferme, outre l8 DEL'ARMÉMF. AUTOUR le texte et la traduction française des historiens arméniens des croisades, une quantité de notes et de renseignements des plus précieux pour de celte période. l'historiographe Si Dulaurier fij avant tout oeuvre d'historien, un critique. CARRIÈRE (1) fut essentiellement Son esprit y avait été formé par l'enseignement de Reuss et de Colani à Strasbourg, d'Ewald en fatal des choses 4 et, revirement Allemagne; d'ici-bas, Carrière fut à son tour violemment critiqué. Il inaugure une ère nouvelle en s'émancipant entièrement du travail des Arméniens, et en particulier des Mekhitharisles de Venise, j Les études de Carrière ne concernent pas exclusivement Movsès Khorénatsi (Moïse de Khoren) ; mais ce sont ses travaux relatifs à cet écrivain arménien qui ont fait sa célébrité. Voici, en deux mots, la thèse de Carrière, relative à Moïse de Khoren, historien arménien au v° siècle de que l'on place généralement l'ère chrétienne. La vie de saint Silvestre a été traduite du grec en arménien au vn° ou au vut* siècle. Carrière relève des citations de Khorenatsi qui corres(I) CLA. MeicLtr,AugusteCarrière,rfaosÉcolepratiquedes HautesÉludes,Section«lesscieuceshistoriqueset philologiques. Annuaire19o3U'ari«, Moitede 1«02),p. 22-29.— Et F. MACLER, Khorenet tes travaux a'AugksteCarrière,dans Rtvuearchio* logique(Paris,191)2). LACHAIRE D'ARMKXIEX IQ pondent mot pour mot au texte de saint Silvestre; donc Khorenatsi ne vivait pas au ve siècle, mais était du vu 8 ou du vin 6 siècle, puisque cette traduction de la vie de saint Silvestre a été exécutée par Philon Tirakatsi, vers 696 (cf. Garegin ZARMIANALIAN, Anciennes traductions, p. 694), et que le texte arménien de ce'te vie se trouve toujours en tôte des manuscrits qui renferment YHistoire ecclésiastique d'e Socrate. Puisque la traduction arménienne de Socrate doit être considérée comme une source de Moïse de Khoren, la date de cette traduction avec elle, celle de la emporte nécessairement composition de l'Histoire d'Arménie, qui ne peut être antérieure au vm« siècle (1). Plusieurs savants arméniens tentèrent de réfuter les conclusions de Carrière. Quelquesuns y mirent même une apreté qui sortait des limites de la pure science. C'est ainsi que feu le P. Baronian refusa de prendre place à coté de Carrière, à un banquet d'orientalistes. Des réponses qui furent faites aux critiques de Carrière, j'en retiendrai deux, que je citerai brièvement, car la discussion n'est pas close, et les solutions proposées ne sont pas définitives. do Venise, LeP.Sarkisian.desMckhitharistes a publié, en 1893, le texte grec et la traduction Nouvellessourcesde Moïsede Khoren... (I) Cf.A. CARMÈRS, (Vi.nne,1893),p. VI-VII. 20 AUTOUR DEL.ARMÉ.XIE arménienne de la vie de saint Silvestre, le tout précédé d'une introduction où il examine l'hypothèse de Carrière.. Pour le savant de Venise, la question se pose et se résout ainsi : la vie de saint Silvestre a été écrite en grec, peu aprèf* sa mort, au iy« siècle. On en a fait un abrégé et c'est cet abrégé qui a été traduit en arménien, au xe-xi* siècle. Khorenatsi devait connaître sur cet l'original et c'est vraisemblablement original qu'il a exécuté sa traduction au v' siècle*. Le P. Sarkisian trouve encore d'autres arguments en faveur de sa thèse dans les ménologes latins et grecs, et dans quelques fragments ' latins publiés récemment. M. GaloustTêrMkrttchian, d'Etchmiadzin, a, lui aussi, formulé son avis sur cette question si délicate, dans un article publié par la revue arménienne Ararat, en 1898. Voici, pour ce savant, comment il faut traiter l'hypothèse de Carrière et résoudre le problème : Carrière a voulu démontrer que Khorenatsi a utilisé YHistoire ecclésiastique de Socrale le Scolaslique; entre Khopuis il a montré des ressemblances renatsi d'une part, Malalas et la Chronique pascale d'autre part. Puisque ces deux oeuvres sont des compilations, on ne sait pas s'il n'y a pas des morceaux plus anciens, qu'auraient utilisés Malalas et Khorenatsi. Le point important est la ressemblance entre Socrate et Khore- i D'ARMENIEN . LACHAIRE il! natsi. Or, on savait par tradition que Socrate avait été traduit en arménien au vu® siècle, et on a démontré qu'il y avait deux Socrate, le Grand et le Petit. Pour résoudre le problème, il fallait avoir l'édition de Socrate. Elle fut donnée en 1897, à Etchmiadzin, par Mesrop vardapet Ter Movsésian. Cette édition a montré que, au vu* siècle, le grand Socrate, correspondant au grec, avait été traduit en 696. La ressemblance avec Khorenatsi est presque nulle. Le petit Socrate, au contraire, est une compilation arménienne, faite sur des sources arméniennes et étrangères, qui a gardé la mention de Nersès Kamsarakan, et a abrégé la vie de saint Silvestre. C'est une rédaction postérieure à Khorenatsi. M. Galoust Ter Mkrttchian a relevé une page entière dans la vie de saint Silvestre, l'éloge du saint, qui est identique à l'éloge de saint Mesrop dans Khorenatsi (Khoren. III, 67= p. 669 de Socrate, édition Mesrop vard. Ter Movsôsian), et il conclut : puisque nous connaissons la date de la traduction du Grand Socrate, qui est 696, et que nous savons par le traducteur de Socrate qu'il possédait la traduction de la vie de Silvestre, exécutée 18 ans auparavant, c'est-à-dire en 678, nous posons en fait que l'histoire de Khorenatsi n'existait pas avant 678. Carrière avait appliqué aux historiens armé' S2 DEL'ARMÊSIE AUTOUR nieus les méthodes de critique qu'il avait vu employer pour les écrits bibliques. Il a fait oeuvre véritable de savant et son nom restera indissolublement attaché à la révolution opérée sur la valeur historique de Moïse de Khoren. Carrière, qui avait succédé à Dulaurier en 1881, mourut en janvier 1902. Il eut pour successeur M. MEILLBT,aujourd'hui professeur au Collège de France. L'enseignement de M. Meillet à l'École des langues orientales marque |o ancien à l'arménien passage de l'arménien moderne. Ayant hérité de Carrière* d'élèves qui avaient débuté dans l'arménien ancien, il jui fallait continuer cet enseignement en vue des examens qu'ils avaient à subir. En mémetU-uips, M. Meillet consacrait d'abord une heure par semaine à l'explication de la grammaire de l'arménien moderuo et d'auteurs écrits dans cette langue, pour les nouveaux élèves qui n'avaient pas suivi les cours de Carrière. Progressivement l'arménien ancien fut remplace parle moderne, qui occupa la plus grande parti» des heures. De la sorte, M. Meillet ouvrait lu voie à son successeur qui, dans son enseignement, donnerait le pas à l'arménien moderne. De son court passage aux Langues orientales (1902-1906), datent trois études importantes do M. Meillet : sa belle et' limpide Esquisse dJunc LACHAIRE D'ARMÉSIES a3 grammaire comparée de l'arménien classique (Vienne 1903), ses Observations sur la graphie de quelques anciens manuscrits de l'Évangile arménien {Journal asiatique, 1903, II, p. 487arméniens 507), de quelques Êvangéliaires accentués (Paris, 1905. Extrait des Mémoires orientaux. Congrès de 1905) et ses Recherches sur la syntaxe comparée de l'arménien (Paris, 1904. Extrait des Mémoires de la Société de linguistique de Paris, t. XII). *'* L'arménisme français, au xix« siècle, ne fut pas l'apanage exclusif des professeurs d'arménien à l'École des langues orientales vivantes. Des savants et des érudits de réel mérite lui consa. crèrent de notables travaux, et mention doit en être faite ici. Antoine Jean Sainl-Mârtin naquit le 17 janvier 1791 à Paris, dans le voisinage de l'Hôtel de ville (1). Quoique destiné au commerce, il devint l'un des élèves les plus brillants du collège des Quatre-Nations; à vingt ans, il savait l'arabe et l'arménien. Il avait préparé la trajeune, Sol'uehistoriquesur U. A.-I. Saint' (1)Cf.BBOSSCT Martin(en tétadu tomeXIIIde l'Histoiredu Bas-Empire, par Paris,1832, Lebeau,éditionrctue et corrigéeparSaint-Martio). !o-8\ a\ ÀlTOlft DE L'\RMKME duction de plusieurs écrivains arméniens, tels que Lazare de Pharpi, Moïse de Khoren, Elisée, etc. Il (ut élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres le 2 septembre 1820, à l'âge de 29 ans. Saint-Martin espérait la création d'une chaire d'arménien au Collège de France» comme il en avait été créé une de chinois pour son ami Aboi Rémusat. Mais ses opinions politiques, qu'il ne dissimulait pas, l'empêchèrent d'arriver à de hautes fonctions officielles. Son biographe et élève, Brosset jeune, rapporte avec un peu d'exagération que Saint-Martin également au courant des choses arabes composa divers mémoires à l'époque de l'expédition d'Alger (1830) et si la France possède Alger, dit-il, c'est à lui qu'elle le doit, en partie du moins. SaintMartin mourut le 15 juillet 1832, du choléra asiatique. L'ouvrage do Saint-Martin, qui consacra sa réputation de savant, comprend les deux volumes de Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie (Paris, 1818 et 1819). In-8<\ Le tome I, le plus personnel et le plus important, renferme le mémoire sur la géographie de l'Arménie, le piécis de l'histoire d'Arménie et les tables chronologiques de ladite histoire. L'ouvrage a'vieilli, on a découvert et publié des manuscrits depuis snn impression; il n'en reste LACHAIRE D'ARMÊSIBX a5 pas moins que ce volume défraya pendant près de 80 ans les snvants et les spécialistes qui avaient quelque recherche à faire relative à l'Arménie. Le tome II comprend l'histoire des Orpélians, et différents documents d'un intérêt de second ordre. Saint-Martin mourut trop jeune, pour avoir pu fournir une longue carrière scientifique; parmi les nombreux papiers recueillis après sa! mort, on publia une traduction de Y-Histoire d'Arménie de Jean VI (1841), ouvrage qui se ressent forcément de n'avoir pas été édité par l'auteur lui-môme, et des études sur l'histoire des Arsacides de Perse et d'Arménie. Je citerai, pour terminer, les noms de Victor Langlois (1), d'Eugène Bore (2), d'Évarista Prud'homme (3), de Gatteyrias (4), de P. P. dans sa Collec(t) Voirla noticeque lui a consacréeDR»SJET tion d'historiensarméniens(St-Péterabourg, 1874),I, p. XXITXXTIII. (2)Néle 15ao&t1809i Augen,mort le 3 mai 1818à Pari*, de la Missionet de la supérieurgéaéralde la Cougrég&tiuc Compagniedes fillesde la Cbaritd(cf. EugèneBori..., par LéonceOBM RALIATI, Pari»,1894).Les publicationsde Bore à Venise, relativesà l'Arméniesont: LecouventdeSaint-Lazare ou Histoiresuccinctede tordre desAtekhitharUtes arminiens, subiede renseignements sur la langue,la littérature,l'histoire religieuseet la géographiede l'Arménie...(Paris,1837).In-12, V—259 p. — L'Arménie,dans l'Universpittoresque.Europe,' t. VIII(Paris,1838),—Correspondance et mi.noiresd'un vogigeuren Orient(Paris,18*0)2 tomesea 1»ol.in-S». Collectiond hit trientarminiens(St-Pél^r*(3) Cf BROSSBT, bourg,*874).I, p. xxvm. (4)Néen 1853,morten 1883;publia?Arménieet Ut ArmiX a6 .VUTOUH DEL'ARUÉME Martin (l), de Pierre Aubry (2), qui, chacun sciendans sa sphère, et par des publications tifiques ou des récits de voyages, contribuèrent à enrichir la littérature arménienne et les travaux d'érudition, dus à des plumes françaises. II un peuple 11 existe, épars dans l'univers, dont le lointain passé permet de faire remonter les origines au x8 siècle avant notre ère. Ce peuple, qui connut la gloire des conquêtes et compta des royaumes importants, qui força de grands empires à composer avec lui, qui connut niens (Paris, 1882);cf. Les étudesarméniennesen Europe... '(Venise,1893)(en arménien],p. 237-238. (1) Cf. F. Màcujt, Cataloguedes manuscritsarminienset nationale(Paris, 1908),p. XXIT, géorgiensde la Bibliothèque o. 2. (2)Néà Paris, 1874,mort à Dieppe,d'un accidentd'escrime, en septembre1910.Publicationsrelatives&l'arménisme: Le systèmemusicalde rÊgtise arménienne,dans la Tribunede tiré à part sous te litre : Souvenirs Saint-Gervais,1901-1903; dune missiond'étudesmusicalesen Arménie(Paris,1902),42p., — Chantsliturgiquesarméniensexécutésà mus. et fac-similés. la soiréeda 15février1903(Paris,1903).In-fol.—Introduction à « Chantépopulairesarméniens recueillispar G. Bojadjian (Paris, 1901).Iri-fol.— La musiquearménienneliturgiqueet populaire(Conférenceà la soirée d'art arménien organisée an profit des orphelins d'Arménie.le 15 février 1903).— Le peuple arménienet son art musical. (Conférencefaite & la salle Plejel, le 3 juin 1899).Voir la notice nécrologiques PierreAubry,1874-1910, cotée & la Bibliothèquenationalede Paris: 4*LnP 54739, LA CHAIRED'.\fUj£siÊS 2"J également la ruine, la destruction et les pires malheurs qui peuvent fondre sur une nation, ce on voulut peuple, qu'en maintes circonstances, anéantir, persiste à vouloir vivre et à jouer un rôle dans les divers milieux oit sa destinée l'a placé. Le peuple arménien, dont l'histoire est insuffisamment faite, dont les origines sont entourées de tant d'obscurité, dont le rôle mondial est souvent fort méconnu, mérite qu'on le considère un instant et, qu'après l'avoir étudié plus on lui accorde plus d'intérêt, attentivement, plus de sympathie, plus d'estime. Les Arméniens, chez qui les récents massacres hamidiens ont fait tant de victimes, ont obtenu, grâce à ces cruautés mêmes, un triste regain d'actualité ; mais c'est surtout par philanthropie, par pitié, que plusieurs chrétiens d'Europe et d'Amérique vinrent au secours de leurs frères d'Arménie. Ils ne connaissaient du lui-même que fort peu de peuple arménien chose ; peut-être s'en tenaient-ils, au point de vue documentation, à la mauvaise opinion, tout à fait erronée, qui ne voit dans cette nation qu'un groupe de changeurs, d'usuriers et d'inIls ignoraient termédiaires peu scrupuleux. que le peuple arménien, à toutes les périodes de l'histoire où nous le voyons agir, fut un de premier ordre, qu'il agent de civilisation joua un rôle décisif au temps de Mithridatç 38 DE L'AHMÉME AUTOUR Eupator et de sa lutte contre Rome, qu'il fut un* des premiers peuples de l'Orient à embrasser le christianisme, qu'il exerça une large influence sur l'Orient tout entier par les règnes de douze empereurs byzantins et de neuf impératrices d'origine arménienne, qu'il facilita aux croisés la conquête des lieux saints, et que presque toutes les reines du royaume de Jérusalem étaient de sang arménien (1), que depuis lors ils furent les intermédiaires naturels entre l'Orient et l'Occident, et que, dans les temps leur royaume n'existant modernes, plus, ils portèrent la même maîtrise, le même génie, dans le commerce, dans l'industrie, dans la dans la guerre, se rendant ainsi, diplomatie, non seulement à utiles, mais indispensables leurs patries d'adoption. Par les idées qu'il éveilla au cours des âges, incontestée par l'influence qu'il exerça sur l'Occident et sur l'Orient, par les problèmes politiques qu'il posa et qu'il pose encore, le peuple arménien est un sujet d'étude qui intéresse à la fois les hommes d'État, les savants, les artistes, les historiens, les archéologues. Ce des titres, suffisants pour sont, semble-t-il, recommander à notre attention, à notre curioles choses sité, à notre estime sympathique i Sissouanou l'Armino-Cilicie...(Venise,1899), (I) Cf. ALISUAK, p. 43, n. 2 et p. 4tÇ. LA.CHAIRSD'ARMENIEN 3Q d'Arménie. C'est ce qu'en peu de mots ju voudrais vous exposer aujourd'hui. Dans la célèbre inscription de Bissoutoun ou Behistoun, Darius I", fils d'Hystaspe (522-486), énumère les 23 pays qui lui échurent en partage et dont il devint le roi, par la volonté d'Ahuramazda ; c'étaient les Èlamites, les Babyloniens, les Assyriens, les Mèdes, les Parthes, les Arméniens, et d'autres encore; et de tous ces peuples, il ne subsiste guère aujourd'hui que le souvenir et les monuments que les fouilles mettent chaque année au jour. L'un d'eux cependant, comme une épave à travers ces flots de peuples, malgré les révolutions et les ruines l'Arad'empires, continue à vivre, s'agrippantà rat, telle une nouvelle arche du patriarche Noé, à qui, du reste, la légende prétend le faire remonter. Et vous pouvez maintenant, à Paris comme à Calcutta, à Pétrograd comme à NewYork, coudoyer un descendant de cette antique nation. Laissant de côté les origines légendaires consignées par Moïse de Khoren, je voudrais, en quelques mots, faire passer devant vos esprits le processus historique de ce peuple. Les Arméniens, d'après les plus récents ira- 3o AlTOl'R1»E1/ARVIÉ.ME et de la vaux de l'histoire, de l'anthropologie seraient des colons phrygiens, linguistique, qui, é migra ni vers l'est, seraient venus, par étapes successives, de Thrace dans le pays où ils s'arrêtèrent définitivement. Cette migration aurait eu lieu entre le x* et le vu* siècle avant notre ère. Us passèrent successivement de la Phrygie aux sources du fleuve llalys, occupèrenl le territoire situé à l'est de l'Euphrate et à l'ouest de l'Arsanias; ils gagnèrent ensuite le massif montagneux qui s'étend entre l'Asie Mineure et la mer Caspienne, puis se répan' dirent dans les plaines de l'Araxe. i Le grand voyageur grec que fut Hérodote (484-406) parle, comme d'un pays bien connu, de l'Arménie, où prennent leurs sources l'Euphrate et le Halys : il dépeint avec complaisance le mode de navigation employé par les mariniers arméniens pour descendre l'Euphrate jusqu'à Babylone ; les barques sont rondes et en cuir; lès mariniers façonnent les côtes en taillant des saules qui croissent en Arménie, au-dessus de l'Assyrie ; puis ils appliquent, tout autour, des peaux apprêtées. Chacune de ces barques porte un âne; à Babylone, lorsque les mariniers ont déposé leurs marchandises, ils vendent lés roseaux et la carcasse, chargent les pèâUx sur les àncjs el retournent à pied en car iî leur est impossible Je reArménie, LACHAIREH'ARUÊME.X 3I monter en barque le cours rapide du fleuve. Les Arméniens, nous dit encore Hérodote, .constituent avec leurs voisins le 13* nome de l'empire de Darius et lui payent un tribut de 400 talents ; ils ont une multitude de troupeaux à l'élevage du et s'entendent particulièrement cheval. Les Arméniens, équipés comme les Phrygiens, étaient commandés par Artochme, gendre de Darius. Parmi les généraux illustres qui contribuèrent à affermir l'autorité des Achéménides, Darius Ier choisit l'Arménien Dadarâiâ, qu'il envoya en Arménie combattre les rebelles. Une première rencontre eut lieu à Zouzou, et Dadarsis remporta la victoire, le 21 mai 521. Une deuxième rencontre eut lieu à Tigra en Arménie, et les armées de Darius, sous les ordres de Dadarsiâ, lurent victorieuses, le 31 mai 521. Une troisième fois, l'ennemi offrit la bataille ; près de la forteresse d'Uiama, en Arménie, Dadarsis lui infligea, le 21 juin 521, une sanglante défaite; puis le général arménien attendit, dans son propre pays, l'arrivée de Darius der WEISSBACFI, Die Keilinschriflen (F.'H. Achâmenideh, Leipzig, 1911, passim). L'Arménie joue un rôle de premier ordre avec son roi fîgrarië, gendre dé Milhridate Eûpalor; Une armée arménienne envahit le territoire parthe ël pénètre" jusqu'à Aréoles et 3a DE L'ARMÉSIB AUTOUR Ninive; les Parthes signèreut un traité désastreux et rendirent à l'Arménie les 70 vallées conquises en 95; ils lui cédèrent en outre la Mygdonie et l'Osroène. Les Arméniens poussèrent ensuite jusqu'à Ecbatane et brûlèrent le palais du Satrape de la Grande-Médie. Les rois d'Albanie, d'ibérie, d'Atropatène, de Gordyène et d'Adiabène devinrent les vassaux de Tigrane. Il s'empara ensuite de la Syrie, ravit aux Séleucides impuissants la Cilicie plane et conquit, pour la troisième fois, la Cappadoce, dont la population fut emmenée à Tigranokert, la nouvelle capitale du Roi des Roi* (77 avant J.-C). Et Rome assistait, indifférente, à la chute des vieilles monarchies orientales, tandis qu'en surgissaient de nouvelles, dont l'Arménie, qui devaient Mre fatalement hostiles à sa politique mondiale (Théodore REINACH,Mithridale Eupator, Paris, 1890, p. 311-312). Si nous quittons le monde païen, vous consn'atténua ni les taterez que le christianisme qualités ni les défauts dés Arméniens. Laissezmoi vous citer une page de M. Ch. Diehl, qui vous exposera, beaucoup mieux que je ne saurais le faire, le rôle capital que joua dans l'empire byzantin le rival de Bélisaire. <rEn face de Bélisaire, il faut faire place à son rival Narsès. Celui-là était un homme d'une autre trempe et bien supérieur, à mon gré, au LA CHAIRE D'ARMfrqBX 33 vainqueur de Gélimer et de Viligès. Arménien d'origine et eunuque, il avait commencé sa carrière au palais, comme cubiculaire et spalhaùc de l'empereur, et rapidement, il s'était élevé au poste de grand chambellan. Là, ce petit homme, d'apparence grêle et fragile, d'allure délicate, de façons élégantes, avait révélé bien vito do hautes et fortes qualités. Au moment de la sédition Nika, pendant que Bélisaire se battait, il avait, par de savantes intrigues et d'opportunes distributions d'argent, réussi à détacher les Bleus de la révolte et acquis des titres sérieux à la reconnaissance du basileus... Aussi, loi t bien vu à la cour, familier de Justinien, grand favori de Théodora, voyait-il chaque jour s'accroître sa faveur; il préludait parla à de plus hautes destinées... A ces qualités d'esprit érainenles, Narsès joignait une âme ambitieuse et dure. Intrigant et avide, il pesa lourdement sur et si son l'Italie qu'il fut chargé de réorganiser; habileté sut triompherdes difficultés de la tâcho et remettre de l'ordre dans la province, sa cupidité laissa dans la péninsule un long et don loureux souvenir... Et si l'on peut enfin faire des réserves sur la valeur morale de ce personnage, trop expert aux intrigues do cour et qui nier tout cas en saurait fut on ne mêlé, y trop les éminenles qualités d'esprit du diplomate, les hautes vertus militaires du grand général 34 Al'TOL'R DE I.'ARMÉNIE ». (Ch. DIEIIL, queNarsès fut incontestablement et la civilisation Jttstinien au byzantine 17*siècle , Paris 1901, p. 167 et suiv.). Vous connaissez aussi l'histoire d'isaac l'Arménien, qui fut exarque de Ravenne (625-643), tint dans sa main la destinée de l'Italie et contint pendant plusieurs années le flot débordant des Lombards. Son tombeau est un des plus beaux monuments de l'art byzantin en Italie, avec sa représentation des rois mages et de la résurrection de Lazare (1). Vous parlerai-je des empereurs byzantins d'origine arménienne, qui rendirent à jamais illustre le nom même de Byzance? d'un Maurice qui, par. ses campagnes contre les Perses en Asie, contre les Maures en Afrique, contre les Lombards en Italie, contre les Avars et les Slavons sur le Danube, fit retomber sur l'empire une partie de la gloire dont il s'était couvert? — d'un Basile Jtx, qui descendait, dit la légende, de la maison royale d'Arménie par son père, et d'Alexandre le Grand par sa mère, mais qui était tout humblement le fils de pauvres colons (I) Voirla reproduction qui ea estdonnéedansGelouni,Illustrationarminienne(Venise,Saint-Lazare,1909), u*6, p. 31 et 32.—UnArménien,Jean,ducde Tigisl,construitune chapelle ATimgaJ,vers 645,sonsle règne de l'empereurConstantinet le patriciatde Grégoire;cf. Mosctux,dansAnnuairede ticote deshautesétudes(sectionreligieuse),1911,p. 23. LACHAIRE l/ARUÊ-MtX 33 arméniens des environs d'Andrinople? (Ch. DIKHL,Figures byzantines. Paris, 190G, p. 159). 11fonda la dynastie macédonienne, résista aux Sarrasins, affermit en Italie l'autorité impériale, mit de l'ordre dans les finances et provoqua la rédaction des Basiliques. Vous citerai-je Constantin Vif Porphyrogé* nète, dont le règne fut un des plus glorieux de l'empire et qui fit de Byzance le centre de la civilisation et le foyer des lettres au xe siècle? -—Jean Tzimiscès, cet empereur « si charmant, avec ses yeux bleus, son si élégant et si no',! •*< aevelure blonde tirant sur t vif et bon, regard le roux, sa barbe d'un rouge fauve, son teint si clair, son nez fin délicatement arqué, son corps si bien pris dans sa très petite taillo, d'une vigueur, d'une agilité, d'une adresse prole meilleur cavalier, le meilleur digieuses, tireur de flèches, le meilleur lanceur de javelots ». (G. SCULUMBERGBR, de l'empire L'épopée — Basile II le Paris, 1896,1, 3)? p. byzantine, Bulgaroctone qui, par la conversion au christianisme 'de Vladimir I,r, prince de Kiev, en 988, mit fin aux invasions russes qui menaçaient l'empire, qui fortifia l'Italie contre les prétentions allemandes de l'empereur 0thon II et se fit des Vénitiens de sûrs alliés contre les Sarrasins? Vous relire/., à ce propos, les pages que leur a consacrées M. G. Schlum- 30 DEl/ARMÊXlB AUTOUR berger dans sa belle Epopée byzantine (t). Tontes tus choses vous sont connues, fl notait pas inopportun de vous les rappeler ici. Co que l'on sait peut-être moins, c'est que plude Byzance étaient des sieurs impératrices Arméniennes. . Charleraagne, dit la chronique, avait l'intention d'épouser Irène; celle-ci,tutrice de son fils Constantin VI, ne s'en souciait guère et eût préféré voir son fils épouser Rotrude, la fille de Charlemagne. Aucun des deux mariages projetés ne se réalisa. Et le jeune Constantin VI Marianê, dont la épousa uno Arménienne, beauté et la grâce lui tinrent lieu de fortune et de titres (788-795). L'impératrice Théodosia (813-820), fille cJ'Archavir Kamsarakan, était la femme de Léon V, dit Halkazn. Ce dernier fut assassiné et Théodosia fuyant le palais avec ses quatre fils et le cadavre de son auguste époux, se retira à l'Ile de Prinkipo où elle entra dans les ordres. — Euphrosyne, fille de Marianê, vivait avec sa mère dans un couvent. L'empereur Michel le Uogue la vit et s'éprit d'elle. Le patriarche et les princes forcèrent la jeune religieuse à épouoer l'empereur. Mais à sa mort, après quatre ans de règne, elle préféra retourner au couvent, Lesempereursarmi(1)VoirégalementP. K. T«aSAHAKUN, niensdt Byianee...(Venise,1905),2 vol. in-16(en arménien). i\ CHAIRE l)'\ RM KMEX 3^ d'où elle n'aurait jamais voulu sortir. — Théodora (830-867) était la soeur de Yard llalkazn et la petite-fille de Manuel Mamigonien. Voici dans quelles circonstances, bien connues par les publications et les éludes de Krumbacher et do MM Diehl et Psichari, elle parvint au troue. Euphrosyne avait hâte, avant de rentrer au couvent, de marier le jeuno empereur. « Pour trouver une femme au basileus, on envoya, selon l'usage traditionnel du palais byzantin, des messagers à travers les provinces, avec mission de découvrir et d'amener à Conslantinople les plus jolies filles de la monarchie, et dans le grand salon de la Perle, on rassembla les élues, afin qu'entre elles Théophile désiguàt la future souveraine... Il s'arrêta d'abord devant une fort jolie femme, de haute naissance, qui s'appelait Kasia, et un peu troublé sans doute et ne sachant trop comment engager l'entretien, il lui débita ce compliment sentencieusement assez discourtois : « C'est par la femme que nous est venu tout le mal. » Kasia avait de l'es: a Oui, déconcerter se sans elle riposta prit, mais c'est par la femme aussi que nous vient tout le bien. » Celte réponse ruina sa fortune (l). • d e et cette ihêologique allégorique Sur l'interprétation (1) École dans la Pomme et d'or, Cassia pracf. PSICHARI, légende, et tiquedes HautesÉludes. Sectioniles scieuceshistoriques 17 et suit. 1910-1911 1910), p. Auuuaire (Paris, pbilologiqaes. 3 38 AUToinDKI/.MWIKME Fort effrayé par celte belle personne, si prompte à la répartie et d'humeur aussi féministe, Théophile tourna le dos à Kasia et il alla porter ses hommages et sa pomme à une autre candidate, également fort jolie et qui se nommait Théodora. (DIEHL, Figures byzantines, p. 134). Théodora était pieuse et respectait à l'excès les saintes icônes. Elle prit une part très active aux querelles des iconoclastes et des iconolâtres. Pour combattre l'hérésie, elle se montra d'une cruauté révoltante en faisant persécuter et martyriser les Pauliciens; plus de cent mille périrent dans les supplices. Et ceux qui préféraient se convertir à l'islamisme devinrent un grand danger pour l'avenir de l'empire. D'autre part, « ce fut elle qui préluda à la grande oeuvre désunissions qui devaient, quelques années plus tard, porter l'Evangile chez les Khazars, les Moraves, les Bulgares. Elle eut la gloire aussi de remporter sur les Arabes quelques succès durables, et de des l'insurrection réprimer vigoureusement Slaves de l'Hellade ». (DIEHL, Figures byzantines, p. 146). Héliné (919-961), femme de Constantin Porphyrogénète, appartenait à la famille Kapelian ; sa conduite lui valut le surnom de Simiramis arménienne. — Sa fille, Théodora (971-976), vivait retirée dans un couvent quand Jean Tzimiscès, parvenu au trône, l'épousa et congédia ' LA.CHAIRE II'AKMÉMEV f 3y. Théophano. —Une autre Théodora (1042-1056), fille de Constantin VIII et soeur de l'impératrice Zoé, gouverna avec une telle sagesse, fit si bien régner la paix dans tout l'empire, que son siècle fut nommé, à cause d'elle, « le siècle d'or», le « siècle d'Auguste ». — Je vous citerai, pour terminer, YAmazone arménienne, dénomination qui fut donnée à Ritha (1296-1333), fille de Léon III, soeur de Héthoum II, femme de Michel. A la mort de son mari, l'empereur pour ne pas être envoyée en exil, elle se retira dans une église àThessalonique. Son beau-frère pénétra dans le sanctuaire pour la faire sortir. Ils en vinrent aux mains et Ritha eu le dessus. Il fallut envoyer des soldats pour s'emparer d'elle et l'obliger à quiter sa retraite (1). La royauté arsacide d'Arménie s'éteignit vers 430 après J.-C. et alors s'ouvre une ère de déchirements, de luttes, qui dura des siècles. Pendant cette période ce qui avait été l'Arménie fut administré par des curopalates pour le compte de Byzance, par des marzpans pour le compte de la Perse, et enfin, lorsque les Arabes eurent établi leur conquête jusqu'au pied de l'Ararat, ils firent gouverner ces nou(1)Surles impératricesbyzantinesd'originearménienne,voir Les empereursarminiens de Byzance... P. K. TKRSAHAKIAS, (Venise,1905),t. Il, p. 337-411 («Darménien). 4o AUTOUR DE L'ARÛÉMIË velles provinces de leur empire par des ostikans. La politique arabe à l'égard de l'Arménie diffère de la, persane. Tandis que les Persans tâchaient de convertir les Arméniens au culte du feu et de fusionner les deux nations, tout l'effort des Arabes consiste à maintenir l'Arménie dans la soumission la plus absolue et à e.n tirer le plus de profit. De petits royaumes tributaires prirent ainsi naissance, parmi lesquels je vous mentionnerai ceux des Bagratides et des Arcrounis. Les Bagratides rendirent même de si grands services aux Khalifes 'de Bagdad, que ceux-ci décidèrent d'offrir la couronne à Achot, et ainsi fut rétabli, en 885, un Les- fouilles d'Arménie. nouveau royaume méthodiques que dirige M. Marr à Ani montrent quelle grande ville fut cette capitale bagratide qui était surnommée la ville aux 1000 églises. Le petit royaume arménien ne put résister aux coups que lui portèrent les Grecs et les Seldjoukides, et il succomba, vers 1070, après avoir lutté vaillamment. Poussant de plus en plus vers le Taurus et la un nouCilicie, les Arméniens constituèrent veau royaume (1080-1393) qui fut en relation directe avec l'Occident. C'était l'époque des Croisades. Les Houpéniens, les llcthoiimiens, les Lusignan rivalisèrent de zèle pour se cou- LACHAIRED'ARUÉMEX 4l Fr'é-* cilier l'amitié des empereurs allemands déric Barberousse et Henri IV, de Richard h», roi d'Angleterre, de Jean, roi de Castille, de Charles VI, roi de France. Léon do Lusignan, le dernier roi d'Arménie, ne put protéger son des réitérées royaume contre les invasions Mamelouks, et il vint finir ses jours à Paris, e'n 1393. Dans un des fréquents entretiens qu'il avait avec Charles VI, Léon lui dit un jour : le salut des chrétiens d'Orient dépend de l'alliance de la France et de l'Angleterre. Et c'en fut fait, à jamais, du royaume d'Arménie. Les Arméniens se dispersèrent dans le monde et fondèrent des colonies très florissantes. L'Italie est sans conteste le pays de l'Europe occidentale où les Arméniens sont établis depuis le plus longtemps. Feu le P. Alishan (Haï-Venel, Venise, 1896, p. 12) prétend que la crypte de Saint-Marc à Venise, placée sous l'invocation de saint Théodore, fut construite par un Arménien du nom de Nersès, et que son frère fut évoque de cette église. Il y avait, à Ravenne, entre le via et le vin» siècle, des vice-rois byzantins, qui étaient alliés aux Vénitiens. étaien Quelques-uns Arméniens, comme Narsès, Grigor, Isaac ; il y avait, en outre, une garnison arménienne, nommée Numerus Armenornm, qui résidait dans 4'* AlTOIII DE I/VHMÉME le quartier de la ville portant le nom de classis (ALISIIAN,HaJ-Venel, p. 12). servaient Au ixe siècle, plusieurs-Arméniens de mandataires entre Venise et Constantinople. L'amiral arménien Cespherano vint de la part de Pépin (809-810) pour protéger les Vénitiens. Arsaphius ou Archak fut envoyé par l'empereur à Aquisgrana Nicéphore comme ambassadeur (810) ; il était venu à Venise pour juger le duc d'Obelerio (ALISIIAN,Haï-Venet, p. 14). Les Vénitiens s'emparèrent en 1124 de la ville de Tyr. Comme le siège traînait en longueur, un prêtre arménien Avédik (Ventura) inventa une machine pour battre les murs et facilita, de la sorte, la prise de la ville (ALISIIAN, Haï-Venet, p. 22). Au xiii* et au xiv° siècle, les Arméniens étaient répandus dans plus de trente villes d'Italie; ils y avaient leurs hôtelleries et leurs églises; ils s'établirent à Rome, à Florence, à Ancona, à Rimini, au xuie siècle; à Bologne, à Ferrare, à Gênes, à Padoue au commencement du xiv* (ALISIIAN, Haï-Venet, p. 142-149). Les traités passés entre les Vénitiens et les Génois d'une part, et les Arméniens de Cilicie d'autre part, « nous offrent le modèle des plus anciennes capitulations qui régissent les Européens dans le Levant et dé l'institution des agents consulaires » (DuLAUHiKii, Documents arméniens, Il'AltMÉMEV LVCHAUVE 4<* des croisades, Recueil des historiens Paris, 1869, t. I, p. xevi). , Feu le P. Alishan, que je vous ai déjà cité, rapporte qu'en 1561, un Arménien originaire de Mésopotamie', Anton Sourian (=Souriani était ouvrier à l'Arsenal de Venise. =Syrien), Il obtint l'autorisation d'essayer de retirer une galée qui avait coulé dans le Canal, avec ses canons et toute son artillerie. La permission lui fut d'autant plus facilement accordée, qu'un capitaine, du nom de Barthélémy, avait complètement échoué dans cette tentative. Les efforts de Sourian furent couronnés de succès; il ramena la galée et son artillerie, et le Sénat lui accorda une récompense de 1000 ducats. Une autre fois, Sourian retira, à ses frais, une galée qui avait encore coulé dans le Canal. Il demanda au Sénat que, pendant 30 ans, personne autre que lui ne fût autorisé à rendre ce service à la Sérénissime République (ALISIIAN, Haï-Venet, p. 234 sqq). En 1570, un an avant la bataille de Lépante, Sourian avait obtenu du Sénat vénitien l'autorisation de construire des canons d'un plus gros calibre. 11 n'eut pas le temps de réaliser ce projet; la guerre survint, où Don Juan d'Autriche s'illustra en coulant la flotte ottomane. C'est Sourian qui disposa les galéesen rang de bataille : 50 à droite, 50 à gauche, 60 au milieu, 44 AUTOUR DEL'ARMÉME 26 par derrière ; le tout flanqué de 6 galères de fortes dimensions, munies de canons de gros calibre. Si nous passons en France, nous constatons que dès le vi« siècle les Arméniens venaient dans notre pays(l). Saint Grégoire de Tours mentionne un évêque Simon, à Tours, en 591. Dans l'ambassade arabe chargée d'offrir des cadeaux à Charlemagne, il y avait des Arméniens (ALISIIAN,Sisakan, Venise, 1893, p. 456, n. 5). En 1295, un commerçant parisien obtenait de grandes facilités pour porter en Cilicie des articles français, tels que des miroirs, des couteaux, dus cierges. Quelques années plus lard, en 1321 (2), le roi d'Arméno-Cilicie, Léon IV, promulguait un édit destiné à faciliter l'accès de l'Arménie aux Montpelleriens. Lès Arméniens étaient si estimés des Français que Vais.(I; Auparavant,an iv»siècle,l'empereurConstanceavaitfait veniren Gaulel'ArménienBarouirou Proeresios,professeur A Rome,on lui éleva,de son vivant, d'éloquenceAAthènes». une ftalue, avec celte dédicace: Begina rerum,Borna,Begi eioquenliae.Baronircomptaparmi ses élèvesles plus illna'res Julieni'Apn»tat,saint Basile,saint Grégoirede Nsiianie; ce' dernierse plaisaitAdire qu'il devnitA son maîtrearménien" touteson éruditionet'tonte son éloquence. (3)C'est4 la mêmeépoque,au début do xiv*fiècle,qu'une riche Arméniennelit construirea srs frais, en Chine, à KanVersuch ton, une grande et belle église. Voir C. V. NRCMAN.I, einer Gtschichleder armenischenLileralur (Leipzig,183*), p. vu et les référencesy indiquées. LACHAINE II'ARMÉ.MEX /|5 selle, dans l'histoire du Languedoc, rapporte qu'en 1335, Philippe de Valois projeta une croisade en faveur de ce peuple (1). Au xv* siècle, Jacques Coeur, voulant ranimer le commerce,, fit appel à des Orientaux, et en particulier à des Arméniens. Je me demande même si les graffittes arméniens gravés sur un pilier de la nef gauche de la cathédrale de Bourges ne doivent pas être reportés à cette époque (F. MACLER, Mosaïque orientale, Paris, 1907rp. 27 et suiv.). Richelieu et Mazarin augmentèrent le commerce de Marseille en faisant appel à des bonnes volonté? arméniennes; il suffit de rappeler que Oskan avait établi une imprimerie arménienne à Marseille (ALISIIAN,Sisakan [Venise, 1893), p. 456-457 et F. MACLER,Mosaïque orientale, p. 39-75) (2). Lorsque vous vous promenez, le soir, sur les boulevards et que vous voyez les terrasses des cafés bondées de consommateurs, vous ne vous doutez sans doute pas que le premier café établi à Paris le fut en 1672, par un Arménien du nom de Pascal ou Harouthioun, dans le marché de et du quai de l'Ecole, Saint-Germain-l'Auxerrois à deux pas de la Mère Moreaux ; et le second (1) Voirsurtout, A ce sujet, N. JOROA, Phil:ppede liitiires 13tT-N0Set la croisadeau XIVsiècle(Paris,1896). Histoirecritiquedts tenions du Nou(2)Cf. RichardSIMO.H, veauTestament... (Rotterdam,1690),in-4*,p. 196et suiv. 3. /|G AITOIR DEI/VIUIKME caTc parisien fut ouvert peu après par,un autre Arménien nommé Stéphan (ALISIIAN,Houchikq hnyreneats Hayols, Venise, 1869, I, p. 73). . Dois-je vous rappeler que la culture de la garance, qui fit la fortune du Comtat Venaissin, était due a un agronome arménien, né en Perse en 1709, mort en France en 1774 ? Althen fut esclave en Anatolie et pendant longtemps devint un habile ouvrier dans l'exploitation de la garance et du coton. 11 réussit à s évader et se réfugia en France où Louis XV lui accorda une audience. Je pense que la statue érigée à Althen, en 1846, sur le rocher de Notre-Damedes-Doms est une des premières élevées à un Arménien sur terre française. Je pourrais multiplier ces exemples et vous montrer par le détail lé rôle que jouèrent les Arméniens en Europe dans des pays autres que la France et l'Italie. J'ai hâte, pour ne pas abuser de vos instants, d'arriver à des moments plus rapprochés de nous. En Turquie, depuis deux siècles, plusieurs membres de la famille arménienne des Balian sont architectes des sultans; ce sont eux qui ont construit le palais de Tcheragan, devenu, il y a trois ans, le siège du parlement ottoman, et dont le récent incendie fut universellement déploré, comme la perte de l'un des chefs- i f\~{ d'oeuvre de l'architecture orientale. Ce sont encore des membres de cette famille Balian qui édifièrent le palais de Dolma Bagtché, sur le Bosphore, résidence du sultan actuel. Ce sont les Balian, également, qui firent bâtir le magnifique palais de Bélier bey, sur la rive asiatique du Bosphore, ainsi que la jolie mosquée d'Orta Keuy, et tant d'autres monuments que je ne saurais énumérer ici. Ce n'est que dans ces dernières années qu'Abd ul Hamid enleva ce privilège à la famille Balian. Une autre famille arménienne, celle des Dadian, administre, depuis un siècle, la poudrerie impériale; ils ont fait venir d'Europe Les Dadian dides machines perfectionnées. rigent eux-mêmes la poudrerie impériale de Zeïtoun Bournou. Notre Bibliothèque nationale possède, sous le numéro 239 du fonds arménien, une série de renseignements sur l'origine de cette famille princière. La Monnaie impériale fut, pendant de longues années, administrée par la famille arménienne des Duz; elle le fut ensuite par l'Arménien Kazaz Artin. Uimprimerie fut établie à Constantinople par les Arméniens, quelquo temps après la découverte de Gutenberg, alors que le sultan venait d'interdire à ses sujets ottomans, sous peine de mort, de fonder une imprimerie, craignant LVCHAIRE l/VRMKMEX /J8 DE LARMÉNIE AUTOUR xque le Coran ne fût édité. Plus tard, les ateliers arméniens imprimèrent des livres et des journaux turcs. De nos jours, une bonne partie des sortent des turc en imprimés qui paraissent Le de arméniennes Constantinople. presses journal Sabah a'pour éditeurs et imprimeurs des Arméniens. — Un célèbre typographe arménien, Muhendissian, a fondu des caractères turcs et leur a donné une forme tellement artistique que les Turcs eux-mêmes adoptèrent sa réforme (1). Ses caractères sont les plus beaux parmi les caractères turcs et sont en Orient ce que Turent les elzévirs dans notre Occident. Ainsi ce sont des Arméniens qui établirent l'art et publièrent de l'imprimerie à Constantinople les premiers journaux parus dans cette capitale. Ce sont eux aussi qui fondèrent le théâtre turc. Vous savez qu'il est strictement défendu à une femme musulmane de paraître sur la scène; de sorte que les dramaturges turcs sont obligés de recourir à des actrices arméniennes pour tenir les rôles de femme. Chez les hommes, les meilleurs acteurs sont arméniens. — Tigrane Tchouhadjian, célèbre compositeur arménien, composa, le premier, des opérettes turques (langue turque et musique orientale) ; i (I) Il y a cinquanteans, environ. D'ARMÉNIEN LACHAIRE %$ tels sont : Arif, Leblébidji, Keussé. Ces pièces eurent un immense succès, non seulement dans les grandes villes de la Turquie d'Europe et d'Asie, et en Egypte; mais, il y a quelques mois à peine, à l'Hippodrome de Londres, la troupe arménienne de Mlle Ohannian joua leblébidji avec un succès qu'enregistra la presse anglaise. La bijouterie et l'orfèvrerie sont entre les mains des Arméniens, que les Turcs euxmêmes tiennent pour d'excellents artisans. Ces mêmes Arméniens sont également réputés comme médecins, avocats, ingénieurs, instituteurs. Dans toutes ces branches de l'activité humaine, ils furent constamment les devanciers et,les maîtres des Turcs. Dans les finances et le commerce, où l'esprit d'initiative entre pour une grande part, les Arméniens l'emportent toujours sur les Turcs, qui se tournent de préférence vers les fonctions gouvernementales. Bien que le parlement ottoman compte seulement une dizaine de députés arméniens, chacun des cabinets formés depuis la révolution a toujours compris un ministre arménien. Au premier parlement ottoman, 1876, inauguré par Midhat pacha, il y avait des membres arméniens. C'est un Arménien, Grigor Odian, qui conseilla à Midhat pacha d'octroyer une constitution au peuple ottoman, et qui l'aida dans la f>0 DELARMENIE ACTOI.-R réalisation de ce projet. Odian, persécuté par Abd ul Hamid, mourut à Paris et fut enterré au cimetière du Père-Lachaise. Au lendemain de la proclamation de la nouvelle constitution (1908), le prince Sabbah ed Dine et quelques Jeunes-Turcs, de passage à Paris, organisèrent une manifestation sympathique sur la tombe d'Ôdian. En Russie, où une statistique, fonctionnant régulièrement, permet de se rendre compte des faits, il y a un million et demi d'Arméniens; sur ce nombre, 80 p. 100 s'adonnent à l'agriet à l'élevage des troupeaux. Si' la culture même sécurité régnait en Turquie et en Perse, et que le laboureur voie sa récolte assurée pour lui et non pour le Kurde, il en serait dans ces pays comme en Russie. Au Caucase, de l'aveu même des Russes, le commerce, l'industrie, les finances sont entre les mains des Arméniens. 1 Au point de vue intellectuel, plusieurs écrivains arméniens ont fait leurs études en Russie, en Allemagne, en France, en Suisse, dans les universités les plus célèbres de ces différents pays. Dans la carrière militaire, les Arméniens ont produit des hommes de la plus haute valeur. Loris Melikof, à l'instar de Dàdarsis, non seulement gagna des batailles et mérita le titre de LA CIIMREII ARMENIEN 51 a héros de Kars », mais il gouverna/'éellement l'empire russe, en sa qualité de vice-empereur; c'est lui qui conseilla à Alexandre II d'octroyer la première constitution à la nation russe, pour mettre un terme à l'agitation des nihilistes. — Malgré le temps qui s'avance, je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler une des belles pages où le vicomte E. M. de Vogué, dans ses Spectacles contemporains (Paris, 1891), essaie de fixer pour la postérité la figure de Loris Mélikof qui « appartenait à une famille noble du Causuivant les uns, case, de souche géorgienne arménienne suivant les autres, rattachée en tout cas à cette dernière communauté par la religion et les affinités. Ce petit peuple arménien, dispersé sur toute l'Asie, a.,donné ou opposé à ses divers maîtres quelques politiques de premier ordre; j'en ai connu deux à l'oeuvre: ils m'ont l'évoque Azarian et Nubar-Pacha; aux hommes paru égaux, sinon supérieurs d'Etat que j'ai vus jouer sur de plus grands théâtres; Toute la personne de Loris criait son origine; du premier coup d'oeil on reconnaissait en lui le montagnard du Caucase, croisé de Géorgien et d'Arménien » (p. 226-227). Et quelques pages plus loin, l'illustre académicien français raconte comment Alexandre II mourut le jour même où, sur les instances de Loris Mélikof, il avait signé la constitution. 5a DEL'ARMÉNIE AUTOUR « Alexandre II, après une dernière lutte intérieure, signa le 28 février l'acte limitatif de son autocratie; en posant la plume, il fit le signe do croix qui accompagne chez les Russes touto détermination grave. Le papier, ajoute-t-on, serait resté'sur son bureau, pour être transmis le lendemain au Sénat, qui devait, selon l'usage, pourvoir à la promulgation de l'ukase. Le lendemain, c'était le 1" mars 18811 L'infortuné souverain sortait le matin pour se rendre à la parade de la garde montante ; une heure après, on le rapportait baignant dans son sang, mutilé par la bombe de Ryssakof. Avant la chute du jour, le drapeau qui s'abaissait sur le Palais d'Hiver annonçait à la foule anxieuse, avec la fin de son empereur, la fin des rêves libéraux et de la « constitution » mort-née. Loris devait être la victime expiatoire de cette tragédie et du déchaînement de colères qui la suivit»(p. 263). D'autres Arméniens se distinguèrent dans la carrière des armes, tels les Béboutof, les Madatof, les Lazarev, lesTer>Ghoukassof, les-Chelkovnikov, les Alkhazof ; et si ces noms défilentainsi à vos oreilles, d'une façon beaucoup trop sèche, c'est pour qu'à tout le moins vous constatiez que l'esprit militaire" n'est pas éteint chez les Arméniens, malgré les persécutions auxquelles ils étaient en butte dans les pays musulmans où la carrière militaire leur était fermée. LA CHAIRE D'ARMÉNIEN 53 La Perse est le troisième état qui se partagea, avec la Turquie et la Russie, l'ancien'royaume d'Arménie; comme Odian en Turquie et Loris Mélikof en Russie, c'est encore un Arménien, le prince Malkbm Khan, ancien ambassadeur de Perse à Londres, etqui mourut ambassadeur de Perse à Rome, qui travailla à doter la Perse d'une constitution. 11 publia à Paris un journal persan, le Kanoun (loi), qui demandait la ré— forme radicale de l'administration [persane. En Perse, où, vous le savez, les Arméniens sont peu nombreux, le rôle qu'ils jouent est forcément moins grand qu'en Russie et en Turquie. Là aussi, ils ont été les pionniers de la civilisation occidentale, en fondant des des écoles, des comptoirs, des imprimeries, journaux, un théâtre à Téhéran et un à Tauris. Lors des derniers événements, les Arméniens ont beaucoup contribué à l'établissement du régime parlementaire en Perse, et le soldat qui a, jusqu'à présent, refoulé victorieusementtoutes les attaques des réactionnaires, en un mot, le champion de la révolution est un Arménien, Ephreni Khan; il réussit, grâce à son énergie et à celle de ses volontaires arméniens, à refouler du sol de la patrie, l'ex-shah, Mehemed Ali, qui allait s'emparer de Téhéran. Si le captif d'Odessa avait eu une avance de quelques jours, c'en était fait de la constitution persane. 5.'| ALTOIRDEL'ARMÉNIE La prospérité de VEgypte actuelle date de la bonne organisation de Nubar pacha, et vous venez d'entendre ce que le vicomte de Vogué pensait de sa valeur. Nubar pacha organisa les tribunaux, en établissant la justice sur la base des institutions de l'Europe. Grâce à lui, le fellah devint un citoyen comme les autres Égyptiens. Nubar pacha s'est créé un titre de reconnaissance scientifique, en palronant la Collection des historiens arméniens anciens et modernes, publiée par Victor Langlois (1). Les Arméniens ont joué un très grand rôle aux Indes, en facilitant aux Anglais la pénétration du pays et en servant d'intermédiaires entre ceux-ci et les princes indigènes. Le premier journal arménien fut fondé à Calcutta par un prêtre arménien, il y a plus d'un siècle; Depuis plus de 50 ans, les premiers colons partis de Turquie pour YAmérique étaient des Arméniens* Les uns sont devenus de riches et Habiles négociants, d'autres, après avoir fréquenté les universités du nouveau Continent, s'illustrèrent dans les arts et les sciences. Un des premiers Arméniens établis en Amérique était le docteur Séropian, qui inventa l'encre (I) C'estégalement« souslesauspicesde S. E.NoabarPacha, ancienministredesaffairesiétrangèresde S. A.le Khédive» que fui publiéela traductionfrançaisede Sissouan,par le P. Alichan(Venise,Saint-Lazare, IS99), LACHAIRE II ARMENIEN 55 verte des billets de banque américains, encre ' ne qui peut pas être imitée par les faux monnayeurs. Le docteur Mihran Kassabian, qui mourut l'année dernière à New-York, mérita, par son dévouement à la science, ce jugement que lui portait la revue North-American : « La science est entrée dans une nouvelle phase par l'usage des rayons X, surtout par leur usage inoffensif. Et personne ne contribua autant à obtenir ce résultat que Kassabian, lui qui tomba victime de la science, mais après avoir découvert le moyen de rendre inoffensifs les rayons X. » A Londres, à Manchester, à Liverpool, des servent centaines de négociants arméniens d'intermédiaires entre YAngleterre et les pays d'Orient. Ils sont à ce point habiles que les Financial News, après avoir parlé des négociants de Manchester, ajoutent cette phrase : « Le commerce de l'avenir caractéristique appartiendra aux Ecossais, aux Allemands et aux Arméniens. » J'arrêterai là cette énumération, ne voulant pas abuser de votre patience. Trois facteurs essentiels me paraissent avoir conditionné la durée et la persistance de la race arménienne, à savoir : sa résistance physique; sa vie de famille; sa religion. > 56 AUTO! R DE I/ARMÉNIE L'Arménien a une résistance physique extraordinaire; le pays est excessivement montucux; l'altitude du haut plateau arménien est grande et le climat en est rigoureux. Les hommes de santé délicate ne peuvent résister et meurent de bonne heure; c'est donc une sélection naturelle qui s'opère, et seules les robustes constitutions subsistent. Au lendemain des massacres, les docteurs européens en service dans les hôpitaux de Constantinople étaient surpris que les Arméniens, qu'on leur amenait, aient pu survivre à leurs atroces blessures, alors qu'un Européen, dans les mêmes conditions, serait mort depuis longtemps. A la résistance physique correspond la résistance morale, sous les formes de la vie de famille et de la religion. Ce sont les deux facteurs qui ont le plus contribué à conserver la race. La langue aussi entre pour une part dans celte conservation. Oh observera toutefois, à cet égard, que les Arméniens d'Adana, de Césarée, d'Angora, de Brousse, parlent turc. Ils n'en restent pas moins d'excellents Arméniens. La famille arménienne est beaucoup plus unie que chez les autres peuples; il arrive fréquemment que l'on fiance, dès le bas âge, les enfants de familles déjà unies par l'amitié. Lorsqu'un un Arménien doit émigrcr gagner pour jeune * I» LACHAIREDARMÉNIEN Of peu d'argent afin de payer les impôts, la famille se hâte de le marier dans le pays cl'd'attendre qu'il soit devenu père, avant de le laisser partir. De la sorte, on est assuré qu'il reviendra auprès des siens; c'est ce qu'on nomme : lui lier le pied, (otqe kapel). Si un cadet rencontre une belle occasion de se marier, il n'en profite pas avant que son aine ne le soit lui-même. Cet état de famille tout à fait patriarcal existait déjà et l'on voit souvent une avant le christianisme dizaine de familles vivre ensemble dans la même maison. L'église arménienne étant une église-nationale avec le génie s'est identifiée complètement de la race. Les Arméniens doivent à ce fait non seulement qu'ils ne sauraient fusionner, avec les musulmans, mais même avec les chrétiens de rites différents. La fusion ne s'est • jamais opérée, malgré les tentatives faites soit du côté grec, soit du côté latin. L'Eglise est tout pour les Arméniens : elle est le centre morale et religieuse; de leur indépendance Etchmiadzin comme la peut être considérée vraie capitale du monde arménien, gouverné par le Catholicos, comme chef suprême, et les vardapets qui l'assistent. C'est une théocratie monacale. Ceux des Arméniens qui se considèrent comme très éclairés, les Jibres-pensctirs eux- 58 DEL'ARMÉNIE AUTOUR mêmes, tiennent à ce que l'Église reste debout. C'est l'église arménienne qui a gardé les chefsd'oeuvre de la littérature classique, les monuments d'art et d'architecture. Si elle constitue la seule épave de leur passé national, elle est aussi leur seule espérance pour l'avenir. Si nous passons à la langue et à la littérature, nous avons tout d'abord à distinguer une langue ancienne classique représentée par les oeuvres d'Eznik, d'Elisée, de Moïse de Khoren, de Sébcos, et d'autres encore. Cette littérature classique a fleuri du v*au xie siècle. Son importance dépasse le cadre de l'ancien royaume d'Arménie, peut-être par le fait même que ce dernier avait cessé d'exister. Les traducteurs.arméniens,-qui sont à l'origine de la littérature classique, nous ont conservé des oeuvres grecques et syriaques ; puis vient une pléiade d'historiens, de chronographes; la littérature religieuse est largement représentée par des oeuvres dont beaucoup sont anonymes. La poésie, religieuse et mystique, à l'époque classique, prend un ton plus libre avec le temps, notamment avec les achoughs (trouvères arméniens) dont voici un exemple : LACHAIRE D'ARMÉNIEN 5O LE TROUVÈRE , Le trouvère est un oiseau sans ailes, Aujourd'hui par ci, demain par là; Le trouvère est un rouet qui tourne, Aujourd'huipar ci, demain par là. Tantôt dévoré de faim et de soif, Tantôt favorisé par la fortune, Il erre, il erre sans cesse, Aujourd'hui par ci, demainpar là. H est une sorte de ver-luisant, Il est un héraut qui propage des nouvelles, Il est un pelit nuage chassé par le vent. Aujourd'huipar ci, demainpar là. Il erre en quête de vains espoirs. Il traverse villeset villages, Il frappe parfois commela foudre, Aujourd'hui par ci, demainpar là. Djivani ne s'arrête nulle part, 11voltige toujours commeune abeille; •, Jusqu'à sa mort, il vivra ainsi, Aujourd'huipar ci, demain par là (1). Ainsi s'exprime, dans sa langue alerte et imagée, le dernier en date des trouvères armécette niens, Djivani. Et c'est précisément langue des trouvères, l'arménien vulgaire qui fut la langue à parlée en Arméno-Cilicie l'époque des Roupéniens, qui, s'élevant au rang de langue littéraire, devint ce que nous dénommons l'arménien moderne (2). Let trouvèresarminiens (Paris, (1) Cf. ArcliagTÏ.HOBAÎIU:», 1906;,p. 291. (2)Cf. IbK*,ibidem,p. 13-16. • 6o AUTOUR DEL'ARMÉNIE Tandis que l'arménien classique représenté la langue des savants, des littérateurs, de la chancellerie royale, des gens d'église, de la noblesse', il y avait un parler populaire, dont l'existence est attestée par des passages de Fauste de Byzance, de Moïse de Khoren, de Lazare de Pharpi. Les écrits de Ohann Manta0 siècle, ont des réminiscences de au vu gouni, la langue vulgaire. Au x* siècle; les hymnes de Grégoire de Narek contiennent beaucoup de vulgarismes. Au commencement du xne siècle, plusieurs auteurs écrivirent indifféremment en classique et en vulgaire; tels sont : Nerses Chnorhali, Nerscs Lampronatsi; Ohann Erzengatsi et Yartan Areveltsi (xm« siècle) ; un autre Vartan ou Vahram, au xine siècle^ Grigor Anavarzetsi (xui* siècle); Malakhia Abegha (XIVe siècle) et les décrets de la chancellerie royale. D'autres écrivirent exclusivement en langue vulgaire, comme Mathieu d'Edesse, Mekhithar Heratsi (xn# siècle), Smbat(xm« siècle), les traducteurs des Geoponica, et tous les livres de médecine jusqu'au xvi' siècle (1). « Au xiv* siècle, l'arménien vulgaire commence à devenir la langue prédominante, non seulement en Cilicie, mais encore dans les principaux foyers intellectuels de l'Arménie. IA langue vulgairedes anciens, (Il Cf.V.Léon HovxA.MAS, Vienne,18)1,2.toi. iu-8»,passim. LACHAIRE D'ARMÉNIEN fji L'arménien classique est toujours pmployé, notamment dans la littérature ecclésiastique et en partie dans les chroniques historiques, mais de plus en plus envahi et déformé par des éléments d'arménien vulgaire. Même dans des ouvrages composés au xm° siècle, tels que l'Histoire Universelle du vardapet Yartan le Grand et YHistoire des Tartares de l'abbé Malachia, on trouve un arménien classique très fortement influencé par la langue populaire. Le plus grand poète arménien du xtv* siècle, le moine Constantin d'Erzenga, se sert de la langue populaire dans tous sesr écrits. Et la plupart des poètes apparus après lui suivent commencement son exemple, jusqu'au du xviue siècle, où la langue classique reprend le dessus, pour s'effacer déiinitivement, au xix«siècle, devant l'arménien moderne » (1). C'est cette langue, connue sous le nom de et qu'il faut nettement achkharhabar diset tinguer de l'ancien vulgaire ou r^nkôrén la littérature écrite dans ce dialecte, que nous étudierons ici. Et vous ne tarderez pas à vous apercevoir que ce nouveau champ d'études est suffisamment vaste et riche ut intéressant pour des heures de travail que vous récompenser vous y consacrerez. Lestrouvèresarminiens,p. 16. (1) A. TcHOB.iîtrAx, 4 6a At TOI? Il DE L'ARMÉNIE La renaissance de la littérature arménienne, ou, si vous le préférez, la naissance de là littérature arméniennemoderne, résulte des travaux des Mekhitharistes de Venise et de Vienne, au XVIII'et au XIXe siècles; il faut toutefois descendre jusqu'à Abovian, Raffi et Prochiantz pour rencontrer des romanciers dignes de ce nom ; leur exemple fut suivi, en Russie, ,par Dzerentz (1), Chirvanzadé, Mouratzan, Léo, Verthanès Papazian. Les oeuvres des poètes KamarKatiba, Ohannisiantz, Dzadourian, Issahakian, Toumanian, Chanth, sont très populaires au Caucase; le théâtre s'honore des noms de Sanet de doukiantz, Aharonîan, Chirvanzadé, l'acteur Adamian qui dépassa, dit-on, Rossi et Salvini dans le rôle d'IIamlpt (2). La littérature arménienne de Turquie compte également des écrivains de talent : Béchiklachlian, Hékimian, Tersian, Baronian, Berberian, Minas Tchéraz, Démirdjibachian, Arpiar Arpiarian, Archag Tchobanian, et tant d'autres que je ne saurais citer ici. Il faut distinguer deux périodes bien nettes dans la littérature arménienne de Turquie, celle qui (1)Dierenlz,pseudonymelittérairedu D' Chichmanlan, et a vécutet écrivit&TiOis,mais qui était de Constantinople écrit dansl'idiomedes Arméniensde Turquie. (2)Cf. A.TCHOBANIA», \A LittératurearméniennecontempoLarousse,n*305(8juillet 1899), raine,dansBtvutencyclopédique p. 523et suiv. Il'VRMÉNIEN LVCHAIRE G.'î qui précède les massacres hamidiens; et celle qui en est contemporaine. Sous le régime hamidien, avant les massacres qui commencèrent en 1894, la littérature'arménienne est fine, discrète, remplie de sous-entendus, par crainte et à cause de la censure; le style devient très affiné, très symbolique. Il s'agit pour l'auteur arménien d'alors de se faire comprendre, tout en voilant sa pensée. La nouvelle, la chronique, la poésie, la satire ont reçu de ce chef un grand développement. Par contre, et philosophiques, la les études religieuses étaient interdites ; même critique historique ostracisme à l'égard de la littérature politique et de tout ce qui a trait soit au passé, soit au présent de l'histoire arménienne. — A'près les grands massacres de 1895, la plupart des protagonistes de ce mouvement littéraire ont fui Constantinople et se sont réfugiés à Paris, à Londres, à Genève, en Amérique et en Egypte. Ils ont produit une littérature libre, sans entraves, en faisant connaître au monde européen les horreurs perpétrées en Orient, cl en encourageant les Arméniens à persévérer dans la lutte et à espérer contre toute espérance. Depuis les massacres, de nouveaux écrivains ont surgi, tels Adom Yardjanian et Daniel Varoujnn, qui ont produit une poésie lyrique et épique, chantant la lutte et le martyre des Arméniens. G$ ENIE AUTOUR DEL'ARM De l'esquisse qui précède, vous avez pu juger que le rôle joué par les Arméniens, au cours des siècles, n'est comparable ni à celui de la Grèce et dé Rome en Occident, ni à celui de Ninive, de Babylone, de Bagdad, en Orient. L'Arménie a joué un rôle secondaire, mais qui ne manque ni d'intérêt ni d'utilité; c'est le rôle d'un petit peuple qui a porté à l'Asie antérieure le flambeau de la civilisation occidentale, et qui aurait pu faire mieux si les persécutions incessantes et les luttes séculaires ne l'avaient pas forcé à pourvoir avant tout à sa propre défense, et à ne s'occuper de science, d'art et de littérature que dans les rares loisirs que lui laissaient les massacres et les attaques perpétuelles de ses voisins. Vous le voyez, Messieurs, le champ est vaste, qui s'offre à vos investigations et à vos travaux. Vous triompherez sans peine des premières difficultés de la grammaire et du vocabulaire; vous arriverez sans grands efforts à comprendre les plus belles pages des écrivains dont je ne vous ai cité que quelques noms, et vous ne tarderez pas à goûter un réel plaisir au contact d'une littérature déjà fort riche bien qu'encore fort jeune. Imitant l'exemple de Markar Zacharie Gelam Khodjents, remerciant Napoléon de I*r LACHAIRE D'ARMÉNIEN 65 d'avoir établi une chaire d'arménien à Paris, vous vous joindrez à moi pour adresser un message de reconnaissance à M. le Ministre de l'Instruction publique et à tous les amis des choses arméniennes, qui ont pourvu au maintien de cette chaire. — Nous nous efforcerons de répondre à la confiance que l'on a placée en nous. LA. QUESTION ARMENIENNE KT LA CONSTITUTIONNATIONALKRN TUUQUIB (18O0-1010)(i) Si la nation arménienne écrit maintenant, en caractères do sang, une des pages les plus glorieuses do son histoire, il ne faut pas oublier est que le spectacle auquel nous assistons l'aboutissement normal des longs efforts qu'elle fait, depuis dos siècles, pour s'affranchir de la tyrannio turque. Les jours que nous vivons sont un moment dans l'enchaînement des faits grandioses qui s'accomplissent actuellement, et ce sera l'oeuvre de l'historien de domain de tracer le tableau véridique, autant que faire se pourra, de ces mois do luttes héroïques, d'une ère nouvelle. On aurait pu précurseurs croire, au lendemain do la révolution ottomane do 1908, que l'aurore attendue allait enfin se lever; il n'en fût rien, et le régime sous lequel i de Tonvragede M.ArakelSaroukhansur ce (1)Compte-rendu sujet, et publiédans leJournal asiatique,1915,1.p. 161-169. i.v orisn<>\ vuMÉMi.wr. U7 se débat, jusqu'à co jour, dans les affres do l'agonio, co qui fut lo grand Empiro ottoman, montre jusqu'à i'évidonce que lo gouvernomont jouno-turc so montra le digno émule et successeur do l'autocratie hamidienne qu'il prétendait renverser pour la mioux remplacer. Notre confrèro, M. Arakôl Saroukhan, a ou l'excellente idée do noter les moments historiques qui, dopuis 1860, on; préparé lo mouvement qui devait aboutir fatalement, tùt ou tard, aux événements dont nous sommes les témoins oculaires. Son livre est important; il a sa place toute marquée dans les bibliothèques des diplomates, dos historiens et des orientalistes qui suivent, avec un intérêt toujours croissant, le développement dos idées et la suite des faits dans cotte Asie antérieure qui nous intéresso et nous captive, à des titres, du reste, fort divers. L'ouvrago, si important soit-il, a l'inconvénient, pour la plupart des européon», d'être écrit en arménien, et cette langue n'étant pas encore très « véhiculaire », il nous a paru bon, en attendant qu'une traduction en soit donnéo, de l'analyser d'une façon suffisamment détaillée, pour faire voir l'importanco que l'on attache à ectto publication. M. Saroukhan a divisé son livre en deux parties, d'inégalo longueur, dont la première comprend 20 chapitres, et la deuxième 11 cha- 68 AITOIRDE L'ARMÉNIE 11 serait peut-être fastidieux, pour on une idée, de l'analyser chapitre par chapitre; ce serait, au demeurant, fort long. Le mieux sera, sans doute, de dégager la Irame historique, et de ranger la matière sous quelques rubriques principales. pitres. donner I. — C'est d'abord la période des Amira (1). Dans la première moitié du xix« siècle, la classe des Amira, tous Arméniens, avait la haute main sur les affaires nationales, publiques, laïques et spirituelles, ayant trait aux Arméniens de Constantinople. Cette sorte de caste se composait de banquiers, de grands négociants, de hauts fonctionnaires arméniens au service de la Sublime Porte. Ces Amira décidaient, non seulement du sort du peuple arménien, mais de celui du patriarche lui-même; et le peuple, docile et pas* s if, exécutait leurs volontés et s'inclinait devant et leur puissance leur autorité personnelle financière. Durant toute la période de l'omnipotence des Amira — et ce, jusque vers 1846, — le plus influent d'entre eux centralisait en sa personne des affaires de la nation : les l'administration autres Amira n'étaient que des satellites gravitant autour do ce Chef delà Nation. Le patriarcat (I) Cemot, d'originearabe,signifie: celuiqui ordonne,celui qui commande,chef, maître,seigneur,grand seigneur. LA QUESTION ARMÉNIENNE fil) de cet Amira, dont les dépendait entièrement dispositions prises à l'endroit dos affaires laïques avaient leur répercussion dans la gestion des affaires religieuses, bien que la direction en fut, nominalement, subordonnée à l'autorité patriarcale. Cependant, de temps à autre, cette règle, devenue générale, fléchissait lorsque des dissentiments ou des rivalités surgissaient parmi les gros bonnets nationaux, et l'on a enregistré lescas où les Amira banquiers, en désaccord avec las Amira architectes d'État ou les Amira directeurs de la Poudrerie impériale, rompirent, de propos délibéré, la bonne entente qui les unissait à l'ordinaire. La rivalité des Amira contribua grandement naisà favoriser un mouvement d'émancipation sant, dû à la classo des esnaf (i). Des luttes s'ensuivirent qui donnèrent naissance au Règledes ment de 1847, qui confiait l'administration affaires nationales, laïques et spirituelles, à deux conseils: le Conseil religieux et le Conseil supérieur (séculier), lesquels étaient renouvelés tous les deux ans. Lesilttiir<3 conservaient néanmoins leur situation prépondérante dans les premiers Conseils (i)Mol turc, d'originearabe(plurielde l'arabesenti) et signifiant : les classes et, par extension,les artisans, ceux qui s'occupentd'un métier manuel,tous ceuxqui gsgnentleur vie è la sueur de leur front. 70 AlTOIIVDEL ARMENIE ils no perdirent du lorrain quo supérieurs; petit à petit, devant la pousséo des petits commerçants ot des artisans, si bien que, dos vingt membres qui composaient lo dornier Conseil supérieur, on 1858, six seulement étaient dos Amira ; quatre banquiers, un directeur do la Poudrerie impériale, et un dernier, architecte d'État; les quatorze membres restants étaient des élus du peuple, se répartissant ainsi : sept artisans, un médecin, doux orfèvres, et quatre petits commerçants. Ces deux conseils, Religieux ot Supérieur, n'avaient pas de règlement intérieur, précisant leurs attributions respectives; aussi so heurtaient-ils, de ce chef, à de grosses difficultés dans la gestion des affaires confiées à leurs soins. A cetto époque, les affaires en question se rattachaient ou au patriarcat, ou à l'hôpital national, ou encore à la caisse des indigents ot aux écoles. Et lorsque l'on voulut serrer les choses de près et appliquer lo règlement nouvellement élaboré, on se heurta dès lo début à une extrême divergence do points de vue, les uns étant pour, l'ancien état de choses, les autres, la jeunesse imbue d'idées européennes nouvelles, étant pour co que l'on convient d'appeler le progrès; la scission ne tarda pas à so produire et le clan dos khavarial (rétrogrades) se trouva en opposition flagrante avec celui des ARMENIENNE |.V QIT.STION 71 lousavortal (éclairés). Ces deux partis entrèrent ouvertement on lutte et, tols dos frères ennomis on vit, dans los familles, lo frère lutter contre lo frèro, lo fils contre son propre" père. Les ménages les plus unis jusqu'alors, les familles homogènes auparavant, los églises elles-mêmes, devinrent lo théâtre de querelles, de rixes, do d'insultes fort regrettables. Les discussions, Amira faisaient naturellement partie du promiur groupement, tandis que lo second compronait avant tout la classo instruite do la nation, à laquelle s'étaient joints les artisans ot les négociants. Ce fut co dernier parti qui remporta la victoire. II. Le premier Règlement national arménien. — L'honneur de mettre fin à la gestion arbitraire et ploutocraliquo des Amira et do la administration légale, démoromplacerparune cratique et populaire des affaires nationales, revient au parti des Eclairés\ lo triomphe de co clan servit de trait d'union aux partis adverses, et les groupements, naguère ad versa il es irréconciliables, se luiront d'accord pour élaborer un projetfondé sur le principedu suffrage populaire. En vertu de co projet, la direction dos affaires, tant spirituelles quo temporelles, était confiée à un Corps représentatif élu par le peuple. En 1847, lo gouvernement turc sanctionna ce ^a AUTOUR nu L'ARMÉNIË projet, qui fut érigé en Règlement national, Ot qui remettait les rênes des affaires du patriarcat entre los mains de doux Conseils nationaux élus par voie de suffrage. D'après los dispositions de ce Règlement, le Conseil religieux devait so composer do 14 ecclésiastiques, et avait uniquoment pour juridiction l'examen des affaires du domaine religieux et spirituel. Quant au Conseil supérieur (laïque), il avait pour attributions do contrôler les affaires civiles de la nation; il était supérieur en nombre au premier : on effet, il comprenait 20 membres laïques, élus par le peuple arménien de Constantinoplo, sans distinction de classe. C'ost ainsi que, pour la première fois, la partie du peuple arménien vivant en Turquie, fut dotée d'un Règlement régularisant losaflairos de la communauté et y introduisant la laïcisation, c'est-à-dire le principe du contrôle et de l'ingérence du peuple dans le domaine si vaste des affaires nationales. 111. La « Constitution nationale », — Ce premier Règlement national ne tarda pas à aboutir quelque temps après, à la Constitution nationale. Voici dans quelles circonstances î Le Haïtichérif (la charte) de Gulhané, 1839, et le Firman de 1&5, concernant les réformes à introduire en Turquie, contenaient les dispo- LVQUE*riO\ARMENIENNE 7^ sitions invitant les différentes communautés, non musulmanes, constitutives de l'Empire, à turc toutos les soumettre au gouvornomont réformes qu'elles jugoraiont utilos à la gestion de leurs allairos rospectives. Profilant de cos dispositions impériales, los Arméniens furent los premiors à établir, en faveur de lotir nation on Turquie et pour leurs affaires intérieures, un régime représentatif, ou, pour ainsi dire, un régimo miniaturo do celui constituqui fonctionne danslesgouvornoments tionnels d'Europe. A celte fin, on élabora un Règlement do 09 articlos, qui fut sanctionné par iradé (décret) impérial du sultan Abd-ul-Aziz, à la date du 9 chewal 1279 (17 mars. 18G3, v. s.). En Yertu do ce Règlement, que les Arméniens dénomment Constitution nationale, ces mêmes Arménions devinrent on Turquio une Commuen ce qui concorno la nauté constitutionnelle, gestion do leurs affaires nationales, séculières et spirituelles. Us eurent ainsi une Assemblée nationale ou Conseil national des députés, élu directement par le suffrage populaire, et qui représentait lo Pouvoir législatif. Lo Pouvoir exécutif, représenté par l'Administration centrale des affaires nationalos, su compose du Conseil mixte et a pour chef lo Le patriarche arménien de Constantinople. Conseil religieux et le Conseil civil, nommés 7*i Ai roiR HRI.'ARMÉME respectivement par l'assemblée nationale, composent ledit Conseil mixte. En vertu des dispositions de la Constitution est nationale, le patriarche de Constantinople le chef de la nation arménienne en Turquie, et il représente, comme tel, la nation arménienne auprès du sultan et do son gouvernement. Il ne faut pas omettre de relevor que la Constitution nationale arménienne, dont il s'agit ici, doit beaucoup au mouvement d'émancipation qui eut lieu en Europe en 1848. On y rotrouvo ce les éléments essentiels qui caractérisent mouvement : régime représentatif, laïcisation de l'instruction publique et de la gestion des biens ecclésiastiques, compte rendu exigible des corps publics constitués, contrôle exercé par le peuple, en un mot, une administration entièrement démocratique. De la sorte, on avait réussi à apporter une certaine amélioration et une régularisation relative dans la situation des Arméniens de Turquie, surtout en ce qui concernait les affaires intérieures, d'ordre religioux et laïque, de la nation. • 1Y. Le traité de San Stefano, père de la « Question arménienne ». — En dépit de cette amélioration que la Constitution nationale apportait à la vie nationale arménienne, toutes les libertés civiles des Arméniens do Turquie étaient outra- ARMÉNIENNE LAQUESTION 7a geusoinont et cruollemont fouléos aux pieds parles autorités turques et les éléments musulmans, tels que les Kurdes, les Circassiens et autres, qui cohabitaient, par ordre, au milieu des populations arméniennes. Et ce, malgré la réitérée dos iradé, annonçant promulgation chaque fois l'application imminente des reformes... Cela jetait de la poudre aux yeux des grandes puissances, et c'est tout ce que voulait le Grand Turc. Les persécutions et les massacres, sans jamais discontinuer, reprirent do plus belle lors do la guerre russo-turque (1877). Ces événements douloureusement tragiques donnèrent môme lieu à do violentes protestations au sein du Parlement ottoman (séance do la Chambre des députés du 13 avril 1877), par lo fait que soldats irréguliers et Kurdes répandaient la terreur au sein des populations arméniennes, en pillant des villages entiers, et en décimant des milliers de villageois arménions. D'autre part, les autorités religieuses des localités martyrisées adressaient dépêche sur dépêche au patriarcat arménien de Constantinople, avec force détails sur les atrocités commises. A son tour, le patriarcat ne cessait d'adresser des rapports et des protestations à la Sublime Porte, demandant de mettre fin à cet état de choses, do faire punir les coupables et jG AtTOiR I»EL'ARMÉNIE d'appliquer enfin les réformes si souvent promises, Lo patriarche arménien d'alors, M»' Norsôs, surnommé lo « patriote », voyant que toutes ses démarches restaient vaines; considérant, d'autre part, l'avance des armées russos jusqu'à San Stofano, la porte de la capitalo turque, fit, d'accord avec l'assemblée nationale arménienne, une démarche suprême auprès du généralissime russe, le grand-duc Nicolas, pour attirer sa bienveillante attention sur lo sort misérable dos Arméniens. Le grand-duc, cédant à la sollicitation de ces derniers, dont il disait n'avoir eu qu'à se louer pendant la guerre, obtint de son auguste frère, le tsar Alexandre II, qu'une clause spéciale serait consacrée aux Arméniens, dans le traité de San Stefano : « Art. 16. Comme l'évacuation, par les troupes russes, des territoires qu'olles occupent en Arménie et qui doivent être restitués à la Turquie, pourrait y donner lieu à des oonflils et à des complications préjudiciables aux bonnes relations des deux pays, la Sublime Porte s'ongago à réaliser, sans plus tarder, les améliorations et les réformes exigées par les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens et à garantir leur sécurité contre les Kurdes et les Circassiens ». I.\ QIESTION ARMÉNIENNE 77 C'est ainsi que fut créée à San Stofano la Question arménienne qui devint, quelques mois plus à Borlin, lorstard, une question internationale qu'elle fut traitée au Congrès qui se tint dans la capitale de PEmpiro allomand. V. Le Congrès de Berlin et la question arménienne. — Quoique la clause du traité de San Stefano, rolativo au sort des Arméniens do Turaux quie, no correspondit pas intégralement désirs intimes dos Arméniens, ceux-ci commencèrent, néanmoins, à nourrir l'espoir qu'ollo les et des maspourrait libérer des persécutions sacres auxquels ils étaient systématiquement en butte. Puis, lorsque l'on apprit quo le traité do San Stefano serait révisé par les grandes puissances et deviendrait le Congrès do Berlin, les autorités de Constantinople se nationales arméniennes mirent aussitôt à rechercher los moyens convenables pour envoyer une députation audit Congrès; cette députation devait exposer aux congressistes lo sort des Arméniens, demander et tâcher d'obtenir une autonomie administrative, dans le genre de celle accordée aux populations du Mont Liban,c'est-à-dire : des libertés civiles, des institutions la sécurité, les garantissant biens, l'honneur des femmes et des filles des 78 At'TOI'lll>EL'ARMÉNIE Arméniens, soit, en un mot, la garantie de leurs droits à l'existence. La députation, composéo de M*rKhrimian, de M*' Narbey Lusignan, de Stôphan Papazian, membre de l'Assemblée nationale, — auxquels Minas Tchéraz fut attaché comme secrétaire et — se rendit, avant l'ouverture du interprète, Congrès, auprès de chacun dos cabinots des grandes puissances pour soumottre un mémoire destiné à faire connaître le sort et les voeux de la nation arménienne sur terro turque. Puis la députation arrive à Berlin, assiste aux réunions du Congrès, faisant toutes les démarches possibles pour faire accepter aux congressistes l'idée d'une autonomie administrative, qui était, du reste, le minimum de co qu'oxigeait le sort des Arméniens, par rapport aux libertés que le Congrès attribuait aux chrétiens de la Turquie d'Europe. Malgré les efforts déployés parla députation, lo projet soumis par le patriarcal arménien n'eut pas gain de cause, et toutes ces légitimes revendications se résumèrent en l'article 61 du traité de Berlin, ainsi conçu : <<La Sublime Porte s'engage à réaliser, 'sans plus de retard, les améliorations et les réformes qu'exigent les besoinis locaux dans les provinces habitées par les Arméniens, à garantir leur LVQlESriONARMÉNIENNE 7<) sécurité contro les Circassiens et les Kurdes. Ello donnera connaisssanco périodiquement des mesures prises à cet effet aux Puissances qui en surveilleront l'application ». ni la lettre, ni l'esprit de cet Naturellement, article ne pouvaient donner satisfaction aux Arméniens, qui en furent [douloureusement affectés et cruellement désillusionnés. Aussi, sur les instructions reçues du patriarcat de arménienne la députation Constantinople, adressa-t-elle à tous les membres du Congrès —«sauf aux plénipotentiaires turcs — une pro» teslation en français, dont ci-dessous la traduction, faite sur lo texte arménien de M. Saroukhan : « La députation arménienne exprime ses regrets que sos demandes légitimes, et si modérées à la fois, n'aient pas été agréées par le Congrès. « Nous avions cru qu'une nation composée do quelques millions d'âmes comme la nôtro, qui n'a été jusqu'à présent l'instrument d'aucune politique étrangère, qui — bien qu'elle fut beaucoup plus opprimée que les autres populations chrétiennes do la Turquie — n'a causé aucun ennui au gouvernement turc et que, quoiqu'elle n'ait aucun lien do religion ni d'origine avec 80 AUTOUR DE L'ARMÉNIE l'une ou l'autre des grandes puissances, mais que, cependant, étant chrétienne comme tous les autres peuples chrétiens de la Turquie, elle pouvait espérer trouver dans notre siècle la même protection que celle accordée à d'autres; « Nous avions cru qu'une pareille nation, démunie de toute ambition politique, aurait dû • acquérir le droit de vivre sa propre vie et d'être gouvernée sur sa terre àncestrale au moyen de fonctionnaires arméniens. « Les Arméniens viennent de se rendre " compte qu'ils se sont trompés, que leurs droits n'ont pas été reconnus, parce qu'ils ont été paci- ' do Piques et que le maintien de l'indépendance leur vieille Eglise et de leur nationalité ne les a avancés en rien. « La imputation arménienne va rentrer en Orient, en emportant cette leçon. Elle déclare, néanmoins, que le peuple arménien ne cessera jamais de crier jusqu'à ce que l'Europe donne à ses demandes la légitime satisfaction. Berlin, le 13 juillet 1878». Puis, les délégués arméniens prirent congé des congressistes et adressèrent à Biilow une lettre de remerciements pour l'accueil aimable que leuravaient réservé l'impératrice et le kron' prinz. Le volume se termine par un appendice qui LA QUESTION ARMÉNIENNE 8l renferme, en caractères arméniens, la reproduction du texte officiel turc de la Constitution nationale, ainsi que les iradê impériaux et les lettrci officielles qui les accompagnent./ Tel est, dans ses grandes lignes, le livre que nous présente M. Saroukhan. Il possède une réelle valeur historique et devra être consulté par quiconque s'occupera des affaires de l'Arménie, dans ses rapports avec l'Empire ottoman sur son déclin ; la documentation est abondante et habilement utilisée; les données sont précises et les dates citées le sont exactement. Enfin, et c'est par là que je terminerai ce compte rendu, l'auteur fait preuve, au cours de son exposé, historique, d'une parfaite impartialité; son langage est pondéré, son raisonnement est juste; il juge avec équité les personnes et les d'autant choses, et ces qualités apparaîtront plus précieuses que M. Saroukhan est un excellent patriote arménien, qui a su faire abstraction de sa personnalité pour édifier le monument historique dont il vient d'être question, LES ARMÉNIENS EN TURQUIE'" AVERTISSEMENT La liste est déjà fort riche des publications qui ont paru, relatives à la Question arménienne, cl notre bal, en écrivant ces lignes, n'est nullement de vouloir l'augmenter dune unité. Mais il nous a semblé qu'il pourrait être intéressant, au jour où la guerre turcobalkanique prend fin et où un remaniement de la carte de l'empire ottoman s'effectue, non pas de répéter ce que tant d'autres ont dit avant nous sur cette question, www bien plutôt de chercher à en dégager la trame historique. La Question arménienne ne sera pas exposée ici in extenso; elle sera simplement analysée, comme chapitre (tun ensemble. IJCSphases successives par lesquelles elle a passé, s'arrêtent, pour nous, à la Révolution ottomane de juillet 1908. Depuis lors, ce ne sont que soubresauts, évolutions et révolutions, qui se succèdent au jour le jour. On n'écrit pas rhisloire des événementscomlemporains; ilfaut se borner à les enregistrer aujowdhui, pour préparer roenvre historique de demain. i (1)Extraitde la Betuedu mondemusulman,n*de septembre 1913. ENTURQUIE LESARMÉNIENS 83 Indêiwndamment des données puisées dans les publications qui sont à la portée de tout le monde, Vauteiir a consulté oralement quelques personnalités. Il -a des obligations particulières à Fun des politiques les plus fins et les plus instruits de rOrient actuel *qui désire garder l'anonymat et à qui il adresse Vexpression de sa vive gratitude. On ne trouvera que quelques mentions des sources, puisqu'il ne s'agit pas d'une publication de recherches nouvelles, mais d'un groupement-de faits généraux. La bibliographie de la matière est d'ailleurs abondante' En voici quelques éléments : . BIBLIOGRAPHIE Armenia,Travels and Sludies by. H. P. B. LYNCH... (Londoii, 1901),t. II, pp. 408-46;. — Ibidem, la bibliographie donnée pp. 4ç>4-496, sous la rubrique : VI, political. Ajouter à cette bibliographie très complète et très bien faite les ouvrages suivants : Die Leiden des armenischen Volkes und Ed. BERNSTEM, die Pfl'uhlen Europas (Berlin, 1902). Arménienund Ruropa (Genf, 1903), Georg BRANDES, KRAPAM (Use), DiearmenischeFrage (Genf, 1903). — Armenierund Zarismus (Genf, 1906). Ffir Arménien und Macédonien,d'Estournelles de Constant, Denys Cochin, Jean Jaurèfr, Francis de Pressensé, Paul Lerolle, AnatoleLeroy-Beaulieu (Genl, 1903). Marcel LÉART,La question arménienne à ta lumière des documents(Paris, 1913). Pour les peuples d'Orient, 'Organe des revendications SY| Auront DEI/AHUÉNIE arméniennes,paraissant le 10et le 25 de chaque mois (Paris). N° 1, du 10 décembre 1912. La question arménienne et la constitution SAROUKHAN, nationale en Turquie (18601910);t. 1 (Tiflis, 1912) [en arinénieu]. VANDENSTEEN DEJEIIAY, De la situation légale des sujets ottomans non-musulmans(Bruxelles,1906).VARANOIAN (Mikbaycl), Les origines du mouvementarmé' (en arménienllalkakan charjman nien, t. I (Genève,1912) ' nokhapatmoulhiun). ÎAIsituation des Arméniens en Turquie, exposée par des documents, 1908-1912[S. I. n. d.], fascie. I et II. [Recueil de takrirs et mémorandumsadressés au gouvernementimpérial ottoman au cours des quatre années qui ont suivi la remise en vigueur de la Constitution). I Avant les Ottomans Les relations entre les Arméniens et l'Islam sont presqû'aussi anciennes que celui-ci. Elles commencent en l'an 14 de l'Hégire (636 J.-C), dans la avec les incursions musulmanes Grande-Arménie révoltée contre la domination aux Grecs et aux perse. Soumis alternativement Arabes, les Atméniens passent définitivement, arabe (1); mais en 703, sous la domination i de l'Islam, t. I, p. 4(4. (1) Cf. YEncyclopédie ENTURQUIE LESARMENIENS 85 ils conservent une autonomie assez étendue, ot leurs vainqueurs sont obligés de laisser l'administration intérieure aux mains des nakha1 un se contentant d'exiger tribut en rars(i), argent et des contingents armés. L'organisation était toute féodale. Lo prince (ichkhan) et le commandant militaire (zorapel ou zoravar), toujours choisis parmi les plus laissaient à ces derniers notables nakharars, de leurs districts : lo prince, l'administration ou un bagralouni, qui était ordinairement Bagratide, se bornait à percevoir le tribut; lo un Mamikonien, commandant,* généralement réunissait les cavaliers fournis par les nakharars qui, pour tout ce qui était étranger aux finances et à l'armée, étaient libres do leurs actes, mais devaient compter avec le clergé et peut-être plus qui, là comme ailleurs, qu'ailleurs, à cette époque, jouait un rôle actif dans la vie sociale et familiale. Généralement, c'étaient les prêtres qui rendaient la justice ; les évéques avaient, auprès des nakharers, une influence prépondérante, de même que le patriarche suprême « catholicos de tous les Arméniens » à la cour des rois. (1)Ceterme,rendu généralement par « satrapes»,s'applique, non Ades préfets envoyé*par le pouvoircentral,maisà des chefsféodaux,de véritablesclefs detribus. 8C AUTOUR HE I/ARMÉME L'établissement définitif de la domination arabe fut surtout l'oeuvre du patriarche SahakIIIde Tzorapor(l). Voyant sans cesse le pays dévasté par les Grecs dont l'autorité s'affaiblissait tous les jours et qui voulaient contraindre les arméniens à accepter la profession de foi chalcédonienne(2), ou bien parles Arabes alors dans la plénitude de leur force, le catholicos décida d'aller offrir à Mohammed benOkba la soumission complète de son peuple, à la condition que sa foi serait respectée. L'histoire arménienne lui attribue un mode de négociation, inusité et persuasif. Gravement atteint par la maladie en cours de route, et sentant sa fin prochaine, il transcrivit ses propositions dans une lettre qui devait rester-dans sa main. Touché à la vue du cadavre du catholicos tendant cette lettre, Mohammed ben Okba accorda ce qui lui était demandé, et pardonna aux Arméniens leur dernière défection en faveur de Justinien 11(705). Leur soumission étant définitive, le khalife 'Abd El-Malik décida qu'à l'avenir un gouverneur général arabe, auquel les auteurs armé(f) Catholicosou chefsuprême de l'ÉgliseArménienne,élu en 611,morten 103. (2)Les monophjsiles,ou seclalenrs d'Eulychèscondamné, en 451,par le conciledeCh&jcédoi ne, étaientsurtoutdes Arméniens et des Abyssins. LESARMÉNIENS ENTURQUIE 87 niens donnent le titre de ostikan{\), résiderait désormais en Arménie, avec la double mission de percevoir le tribut et de commander les Comme il ne pouvait s'occuper de troupes. l'administration intérieure, on lui adjoignit un nakharar arménien, qui prenait le titre do patrik « patrice », en usage alors dans l'Empire byzantin; mais rien ne fut changé à l'organisation féodale du pays. L'arrangement proposé par le patriarche Sahak fut complété par le catholicos Hovhannes 111d'Otzoun (2), qui, lors d'une visite au khalife Omar II, en 719, obtint l'exonération des impôts pour tous les ecclésiastiques, à partir du rang de diacre (sarkavag), et pour les établissements religieux, la liberté absolue dans l'exercice public du culte et l'interdiction de toute mesure ayant pour objet de contraindre les Arméniens à embrasser l'Islamisme. Cela dura jusqu'en 885, époque à laquelle les khalifes abbasides étendirent les pouvoirs du patrik adjoint à Yoslikan. On lui conféra, avec le titre et les insignes de roi, les attributions financières et militaires réservées jusqu'alors (1)Administrateur,préfet, gouverneurpour le compte des de Ostikanis,arablcisArmtniae khalifes;cf. i. II. PSTIRXAM.I, gubernaloribus(Berlin, 1840);—et II. Ilasscum**,Armenische Grammatik...(Leipzig,1891),pp. 215-216. (2) OuJean luiaslaser,élueu 111,décédéen 128.qui présida les concilesde Dwîn(119)et de Manaikerl(126). 88 AlTOIR DEI/AH\IÉNIE aux résidents arabes; mais il resta sous le contrôle et l'autorité de Voslikan de l'Azérbaïdjan. En apparence, les Arméniens gagnaient de nouveaux privilèges. En fait, leur unité était en train de disparaître, et leur tranquillité était menacée. Les khalifes multiplièrent les princes tributaires coiffés en rois ; si le système administratif resta le môme, en revanche l'Arménie fut partagée entre les rois d'Ani, de Van, de Kars, de Gougarq et d'Antzévatziq ; il s'en suivit des luttes fratricides (1). Ces petits royaumes ne durèrent pas plus d'un siècle et demi. La plupart de lours souverains cédèrent leurs territoires aux Grecs, alors aux prises avec les Tartares qui commençaient Le roi do Van leur exode vers l'Occident. émigra en 1021 à Sébaste; celui d'An! fut dépossédé en 1046, 'e roi de Kars échangea son territoire contre la province d'Amasis en 1064. Le reste de l'Arménie fut également absorbé par l'Empire byzantin. Les hordes tartares qui, sous Toghroul-Heg et ses successeurs, dominèrent l'Arménie, ne pouvaient avoir un système administratif régulier. Vers la fin de leur domination, les Seiavec les djoukides de Konia entretenaient, i (1)Cf.G v.CffArmzAftu*. Esquissedel'histoirede VArménie.,. (Paris,1856),pp. 35,40<t passim. J E^lTURQUIE LESARMÈXIEXS 89* Arméniens, les mêmes rapports que les khalifes, à cette différence près qu'ils ne prirent comme intermédiaires jamais de Chrétiens entre eux et leurs sujets. Ceux-ci avaient toute latitude, en ce qui concernait leurs affaires sociales ou familiales, affaires ecclésiastiques, dans lesquelles on ne pouvait appliquer la loi Comme les contrées musulmane. voisines, l'Azérbaïdjan et la Mésopotamie, l'Arménie, au temps de la puissance seldjoukide, était mor" celée en un assez grand nombre de districts, à la tète desquels étaient placés des émirs, représentant le pouvoir central, mais ayant une autorité plutôt nominale qu'effective. Notons le fait que le souverain du royaume de Khilat ou Akhlat, le plus puissant des États seldjoukides, arménien et celui . où l'élément dominait, prenait le titre de Chah Armen « roi des Arméniens »; il ne possédait, cependant, que le cinquième du territoire de l'ancienne Arménie. Ce titre de Chah Armen fut repris plus tard par les Ayyoubite8(l). de t Islam,i, (I) Cf. StstCK,art. ArménieAmi YEncyclopédie p. 446. OO AUTOUR DEI. ARMÉNIE II Avant Fâtlh (MçbmedII) Les Osmanlis ou Ottomans remplacent les Seldjoukides de Konia; ils gouvernent comme eux. La Chart'a (Chériat), ou loi musulmane, est à la base de tout; le souverain s'en inspire ; mais elle ne suffit pas dans toutes les circonstances de la vie sociale, et il faut, au besoin, la compléter par des règlements. C'est ainsi que toute une féodalité militaire se fonde en Asie Mineure ; de nouvelles conceptions de la propriété foncière apparaissent. Mais, en ce qui concerne les non-Musulmans, il n'y a pas encore de règles bien précises. Parfois tyranniques, les sultans ottomans se montrèrent cependant, d'une manière générale, plus libéraux et plus humains que leurs prédécesseurs. C'est qu'ils avaient compris l'impossibilité d'étendre leur domination sans faire des concessions aux Chrétiens. Se réservant l'exercice de l'autorité et la force militaire, ils abandonnèrent à ces derniers tout le domaine économique. Comme l'a ;fait remarquer naguère un collaborateur de la Ilevue du Monde Musul- LESARMÉNIENS EXTURQUIE Ql man (1), les Turcs ne jugeaient compatibles avec leur dignité que les carrières de soldat et d'administrateur. Le commerce, l'industrie, restèrent donc aux mains des Chrétiens. Bientôt après, on leur vendit les dîmes, mais on ne leur confia les finances de l'État que beaucoup plus tard, de telles fonctions se rattachant à l'industrie très spéciale des banquiers. A ce point de vue, l'élément arménien devait être préféré aux autres. Ennemis des Grecs, ces anciens maîtres de l'Empire, suspectsauxTurcs, ils n'avaient pas d'appuis politiques; traités avec faveur par les conquérants, ils s'avancèrent partout à la suite de leurs armées, colonisant l'Asie Mineure. Se rendant des services réciproques, devenus nécessaires les uns auxautres, ayant des goûts et des coutumes analogues, Turcs et Arméniens furent bientôt tellement unis, que l'on a pu appeler les premiers des Arméniens musulmans, et les seconds, des Turcs chrétiens. (I) T. XXII,mars1913,p. 166. 02 DEI.'ARMÉNIE AUTOUR m Sous le règne de Fâtih (MehmedD). Dès les premiers jours de la conquête, Mehmed H, rejetant les conseils de ceux qui l'engaaccordait geaient à islamiser Constantinople, l'invQstiture solennelle au patriarche grec, Genà sa communauté, nadius (I, et reconnaissait avec le libre exercice du culte, une large autonomie sociale et administrative. Sous le nom de « Grecs », on entendait tous les orthodoxes dépendant du patriarche, y compris les Arméniens, très peu nombreux alors à où cependant ils possédaient Contantinople, une église à Galata, l'église actuelle de Saintet même, depuis 1307, Grégoire-l'Illuminateur, un évoque (1). En revanche, les Arméniens étaient nombreux en Asie Mineure, où ils jouissaient de la plus large tolérance, sans que leurs maîtres leur eussent accordé de garanties précises. On ne pouvait refuser aux anciens sujets la faveur dont STESS DSJIHAT, (I) VASMUI T\ela situationlégaledes sujets oftomansnon-musulmans (Bruxelles,1906),p. 62. LESARMÉNIENS EXTURQUIE O3 bénéficiaient les nouveaux, et il était de bonne la situation faite politique de eonlre-balancer aux Grecs, anciens maîtres du pays, dont la fidélité n'était pas sûre, par des avantages accordés aux Arméniens. On facilita donc la formation d'une forte colonie arménienne à Constande Brousse, tinople. En 1461 l'archevêque Hovakim, recevait l'invitation, ou plutôt l'ordre, de se transporter dans la capitale avec une partie considérable de sa communauté, et un firman, en lui conférant le titre de patriarche, patrik, avec des privilèges analogues à ceux dont jouissait Gennadius, « confondait en un seul groupe, avec les Arméniens, tous les raïas non orthodoxes de l'Empire (1) ». Lo patriarche Hovakim résidait; d'abord à Katahié (Keotahia) ; il était venu à Broussequand le gouvernement ottoman s'y était établi; celuici ayant été transféré à Constantinople, il devait l'y suivre. Ffttih le tenait en grande estime; on assure qu'il lui avait fait bénir son épée avant de tenter l'assaut de la capitale. Les Arméniens dans celle-ci, le qui avaient accompagné, nouveau patriarche, furent répartis dans les uvt Stee*OKJEIIAY, (i) VAM opèrecilato, p. 62. Les Israélites iormèrent bientôt une troisième communauté;les autres groupeschrétiens, sans parler des Nestoriens,soumisd'une manièrepurementnominaleaux Arméniens,ne se «éparêrent de ceux-ciqu'assezlard. —Ibidem'noiedes pp. 6263. DEI/ARMÊXIE AUTOUR $\ quartiers de Koum»Kapou, YénUKapou, Psamet Balatmalhia, Narli-Kapou, Edimô-Kapou Kapou (1). Lo siège du patriarcat, après être resté pendant cent cinquante ans dans le quartier de Psammathia, a été transféré près du château des Sept-Tours, Yédi-Koullé, à Koum Kapou, où il est encore aujourd'hui (2). Les firman8 originaux accordés à Gennadius et à Hovakim n'existent plus; ils ont disparu dans les incendies qui ont ravagé, à tant de reprises, les archives de la Porte et des Patriarcats. Mais leur contenu a été conservé dans des la chancellerie copies postérieures, impériale de Beylikdjl ayant toujours scrupuleusement gardé, dans une intégrité parfaite, les formules des actes officiels. IV ' De Fâtih à 'Âdii Nous allons passer rapidement en revue une période de trois siècles et demi, de Mehmed II (1) Cesuomssont ceuxde plusieursdesprincipalesportesde la ville;en turc kapou= porte.Onnommeaussioda (au pluriel odalar)les ruellesoù s'établirentles premiersArméuieus; cf. l'Orientinédit (Paris,1912),.p.34. il. TcutHAZ, STEJM DXJZBAT, (2) VASDBM opèrecitato, p. 63. EESARMÉNIENS EVTURQUIE y5 à Mahmoud II dit 'Adtl « lo Juste » (1808-1839). Pendant cette période, le gouvernement ottoman n'a porté aucune atteinte aux règles qui la vie intérieure des communautés régissaient chrétiennes : n'ayant en vue que ses propres intérêts, celte vie lui était indifférente. 11légalisait la nomination des nouveaux patriarches, moyennant le payement des droits de chancellerie et de redevances officieuses que les candidats étaient obligés d'offrir aux agents intermédiaires (1). Le gouvernement, pour avoir moins d'occasions de discussions dans les affaires intérieures des communautés chrétiennes, ne reconnaissait que deux chefs seulement pour tous les chrétiens de son empire, et leur laissait la tâche do s'occuper des doctrines, des rites et des langues qui divisaient ces chrétiens entre eux. Ces deux chefs étaient le patriarche grec et le patriarche arménien, l'un reconnu, l'autre institué par Mehmed H. Le patriarche grec était le chef~de tous les orthodoxes professant le diophysisme, n (Arménie,p. 50,note) donnede curieuxdétailssur (1) BOBÉ la moukdta*a, bu droit exigé a la nominationdes patriarches, et qui était devenu un véritabletribut annuel, et dont le montant dans la première moitié du xix« siècle, était de 10.0C0 piastres.« L'électiondu patriarchede Constantinopleest dansl'Églisearménienne,l'occasioud'un grand communément, scandale. La cupidité des viiirs tire babilemeutprofit des ambitionssecrètes du clergé, eu mettantà l'encancelle première dignitéecclésiastique...• AUTOUR DE I.'AHVÉXIE ijG tandis que lo patriarche arménien était lo chef do tous les orthodoxes do profession monophysite (l). Dans lo premier groupe étaient incorporées les communautés bulgare, serbe, valaque, moldave, albanaiso, bosniaque, monténégrine, au fur ot à irïesuro qu'elles tombaient sous la domination ottomane. Les sultans évitaient do multiplier les chefs religioux en relation directo avec eux. Lo patriarcat arménien était considéré comme de tous los orthodoxes le chef représentatif orientaux, quels que fussent leur race, leur rite, leur langue et même leur profession do foi; puisque non seulement los monophysites, mais aussi les Nestoriens et les adoptes du catholicisme romain étaient compris dans cette agglomération dont lo chef reconnu et responsable était le patriarche arménien do Constantinople. les SyriensCependant, les Syriens-Jacobites, Melkhites, les Coptes et les Abyssins avaient leurs chefs spirituels particuliers, lesquels recevaient leur investiture du patriarcat arménien, (1) Cen'est qu'en 1813que le gouvernementottoman,tenant les promessesdu knal't-i humayounde 1856,accordaan patriarche des Jacobites,M«'Bedros,un bérat le reconnaissant commechefde communauté,MilletBachi.— VAM DE»SIBMDS lwkv,opêrecilato, pp. 31-3;).Quantaux Nestoriens,l'autorité du patriarchearméniensur 4ux a été, de tout temps,purement nominale; aucune communautéchrétienne,en Turquie, n'a Joui d'one telle indépendance.— Ibidem,p. 28. E\ TURQUIE I.F.SARMÉNIENS "l»7 etdqvaiont passer par lo mémo canal pour leurs En tout lo reste, relations avec lo gouvernement. autonome visils gardaient une administration à-vis do leurs fidèles ot do leurs clergés. Do même, il y avait, dans la communauté les catholicos do Sis (Cilicie) et arménienne, d'Aghthamar (lac do Yan), ainsi quolo patriarche do Jérusalem, qui avaient une juridiction eccléot qui, hiérarchiquesiastiquo indépendante, ment, occupaient uno place supérieure à celle du patriarche do Constantinople; mais, aux yeux ils so trouvaient sous la du gouvernement, dépendance do co dornior (1). A des époques déterminéos, quand Etchmiadzin tomba au pouvoir dos Ottomans, lo catholicos suprême de tous les Arméniens fut lui-même regardé comme relevantdu patriarcat de Constantinople, et il n'obtint son investiture déco dernier. Il no sera que par l'intermédiaire pas inutile d'ajouter que, avant la domination ottomane, chaque évéque possédait une juridic(1) « Au point de vue religieux, les Catholicosde Sis et d'Àghlamarse considèrentcommesubordonnésau seul Catholicosd'Btchmiadzin.— VASDMSTIMDEJKHAY, opèrecitato, p. 65. L'exercicedes deux Juridictions,civile et religieuse, donnalieu parfois i des conflits; l'un d'eux, en 1900,a failli amener une scission dans la communautéarménienne,et le patriarche,M«rOrmanian,avait offert sa démission pour le conjurer.Unparti,quiparaissaitavoirl'appuidu gouvernement, s'était forméen vuede faire accorderau Catholicosde Sis une Juridictioncivileindépendantedecelledu patriarchedeConstantinople. 6 AUTOUR DE l/ARMENIE 1)8 tion à lui, très large, et qu'il no reconnaissait pour son chef direct quo lo catholicos d'Etchmiadzin ou celui do Sis. C'ept pour cela quo los premiers temps après la création du patriarcat de Constantinople, les évoques diocésains continuèrent à agir de la même manière, sauf qu'ils leur investiture des mains du pareçurent triarche de Constantinople. Car le gouvernement no connaissait quo celui-ci, comme chef unique do tous les chrétiens orientaux, qu'il entre eux. considérait comme coreligionnaires Cependant les relations de dépendance devenaient de jour en jour plus étroites; les inter-. i dans de ventionsdu Constantinople patriarche les affaires des diocèses furent de plus en plus fréquentes, de plus en plus efficaces, et lo siège créé d'abord sous patriarcal de Constantinople, un aspect civil, par la volonté du sultan conquérant, changea peu à peu de caractère et de et presque nature, pour devenir réellement avec complètement une autorité ecclésiastique, sur tous les diocèses des droits hiérarchiques compris dans l'empire ottoman (1). Cette trans(1)Aujourd'huiencore,le patriarchede Constantinople,dont le titre officielest « archevêquede Constantinople,patriarche des Arméoiensdé Turquie», et dont la juridictionéplscopale est limitéeau diocèse,c'est-à-direau vilayet,de Constantinople, a la juridictioncivile sur les 45 diocèsesde sa communauté existanten Turquie,y comprislesanciennesprovinces(Egypte, STEM DBJXBAY, opère Roumanie,Bulgarieet Grèce).— YAKDES tttato, p. 65. K\ T»HQIIE LESAKUËMKXS ()9 formation s'opéra sans changemont brusque et sans délibération positive, mais en suivant naturel des affaires et la nécesl'amendement sité imposée par les circonstances, confirmée par l'action consciente de tout le monde, et par le consentement tacite, mais pratique, de tous les ayants droit et do tous les ayants voix dans ces affaires. Nous ne saurions fixer une date pour préciser l'époque à laquelle le patriarcat plutôt civil, créé en 1461, fut reconnu officielle mont comme une autorité entièrement eccléet où les évéques arméniens des siastique, diocèses en Turquie ont pris le caractère de suffragants vis-à-vis du patriarche de Constan* n'a tinople. Cette période de transformation pas été pourtant très longue, et tout était entré dans une situation normale et légale avant la fin du XVesiècle. En mémo temps que l'autorité du patriarche de Constantinople s'étendait et s'affermissait, on commençait à créer à côté une administration centrale pour la communauté arménienne de Turquie. de l'église L'usage traditionnel arménienne, qui exige toujours la participation des laïques dans l'administration ecclésiastique, et le caractère du siège nouvellement créé d'avoir des attributions civiles, ouvraient naturellement aux notables de la capitale une largo entrée pour exercer leur prépondérance dans lOO AVTOl'RDE I.'\H\IÉME les affaires du patriarcat, autrement dit, de la communauté. Le système électif et représentatif n'était pas encore entré dans les moeurs de celte époque, a plus forte raison dans les moeurs des Orientaux. Les notabilités étaient les représentants nés de la communauté; et comme on ne possédait pas l'aristocratie de sang, l'aristocratie d'argent la remplaçait. Nous avons mentionné plus haiit les banquiers qui tenaient entre leurs mains les finances de l'empire, par l'entremise des hauts fonctionnaires. C'était la classe privilégiée des sarraf (\) arméniens, qui exerçaient un rôle du pacha que important, grâce à J'influence chacun d'eux servait par ses finances. Us portaient le titre d'amira (2), titre spécialement créé pour remplacor ceux que l'on ne pouvait pas donner aux chrétiens, et qui étaient en usage parmi les musulmans. Ces amira agissaient en maîtres, à côté du patriarche. Ils n'avaient pas de séances périodiques et délibôratives ; mais ils envoyaient des ordres, pour (I) Ce mot arménien,empruntéà l'arabe \J\yot signifie, commeenarabe : ehangiur,celui qui trafiquede l'argent; il n'a rien de commun,aveclaracinesémitiquetpty qui indique l'idée de brûler, de consumer. D'autre part, dans les vieux textesarménien*,dans l'Évangile,par exemple(Matthieu,xxi, 12),changeurse dit : hatatadjar. (S)Motd'originearabe{a\*ir ou émir), qui avait païaé en arméniendéjà au vn*siècle (ap. J.-C); cf. II. HÛBICBMAMI, ArmenUche Qrampiatik...(Leipzig,1891),p. 300, ENTl'RQl'IE IÏS AHMFMENS IOI faire ou pour ne pas fairo telle ou toile chose, pour favoriser ou pour déposer telle ou telle personne, et ils pouvaient changer à leur gré le patriarche, sur une simple recommandation auprès d'un pacha influent. Cette autorité leur venait de leur fortuno matérielle; car ils entretenaient de leurs dons le patriarcat, les institutions de bienfaisance et les églises. D'écoles, onne parlait pas beaucoup en ce temps-là. L'administration patriarcale n'était donc ni absolue, ni purement ecclésiastique; elle avait à ra fois un caractère mixte et mais en réalité, elle était conconstitutionnel; fuse et irrégulière, comme le régime qui présidait alors aux destinées des peuples ottomanisés. n'était pas Toutefois, l'élément populaire absolument méconnu. Dans des circonstances les a mira cherchaient à avoir exceptionnelles, le consentement et l'appui des chefs de corporations, appelés esnàf-bachi (1); quelquefois (1}Chaquecorporation(sia/, pluriel arabe etnd/),avait ses loiset ses règlementsparticuliers; des agents nomméspar le gouvernementveillaient&leur exécutionstricte. A lajêle de la corporationétait placéun kiahiaou kéhayaavec un vjll-bachi ou subttitut; tous les deux étalent placéssous le contrôlede Vltlambol'Kadiii.Cf.MOUIUDOXA Tabltaugénéralde D'OBSSO*, l'Empireottoman,éditionin-8, t. IV, p. 223.Le mot etndf a pris divers sens en turc; il désignait,entre autres, ceux qol exerçaientuu commerceou une industriedéterminésen vertu d'un brevetofficiel. t. |OS mémo U TOIUDE I.'ARMÊME on recourait aux convocations populaires, auxquelles prenaient part jusqu'à un millier d'individus ; mais tout cela n'avait aucun caractère régulier et systématique. C'étaient, que des délibéraplutôt des démonstrations tions. . Tel est le résumé succinct de co qui se passa pendant la période qui, depuis la conquête de nous amène aux premières Constantinople, entreprises réformatrices de Mahmoud II 'Adil, vers le milieu du xi.v' siècle. Il faut pourtant avouer que cette période n'a pas été uniformément 6ombre et triste. Il y eut des moments pendant lesquels on travailla consciencieusement au bon ordre des affaires et à du progrès. Les patriarches l'encouragement llovhannès IX Kolot (1715-1741), Hakob II Nalian (1741-1749 et 1752-1764), et Zakharia II Pokouzian (1772-1799), sont dignes d'une mention spéciale pour le zèle et les mérites qu'ils ont déployés & préparer et à inaugurer l'ère du réveil et du progrès de leur communauté. E\ TIRQIIE LESARUEMENS IO.'t V Sou* l'Influencedu Tanxlmat. Reprenant l'oeuvre de son père, Mahmoud 11, le sultan 'Abdul-Medjld (1839-1861) publiait, le lb39, le Khalti ttumayoun 9/21 novembre « Rescrit impérial » que l'on considère comme la charte essentielle des réformes ottomanes désignées, en bloc, sous le nom de Tanzimal, et basées sur l'égalité de tous les sujets de l'Empire aux yeux du gouvernement, qui doit, leurs religions et tenir toutefois, respecter compte de la différence des races. Il devait en résulter de grands changements, à la foi s dans les rapports du gouvernement avec les communautés, et dans la vie intérieure de ces mêmes communautés. Les Chrétiens étant admis à intervenir dans les affaires de l'État, celui-ci devait, à son tour, intervenir dans leurs affaires. En 1853, un firman impérial confirmait de façon formelle à cinq chefs do communautés non-musulmanes, dont le patriarche arménien, les privilèges anciennement accordés à ces lO-t AITOIRUE I.'ARMÉ.ME communautés. Trois ans plus tard, le 18 février 1856, un nouvoau règlement, dit Règlement national des Arméniens, codifiait les règles d'après lesquelles la communauté arménienne devait s'administrer. Adopté par une assemblée denotablesen 1860, ce Règlement reçut l'approbation officielle définitive en 1863. Il fait du patriarche le chef de la nation arménienne, Erment J/We/*, et l'intermédiaire du gouvernement ottoman pour l'exécution de ses ordres. Un conseil religieux et un Conseil civil, réunis en cas de besoin, l'assistent dans l'exercice du pouvoir. Une Assemblée des notables, divers conseils spéciaux, des Ephoriés ou assemblées locales, tous corps élus et dont le Règlement précité fixe la composition et.les conditions de nomination, prennent part aux gouvernement (1). Les patriarcats, jusqu'alors maîtres autodurent se connomes de leurs ressortissants, former aux lois ottomanes, notamment en ce qui concernait l'état civil et la procédure judiciaire. L'autorité de leurs tribunaux fut limitée. ils avaient leurs prisons, pour-*-! Auparavant, vaient infliger des châtiments corporels, comme la falaka (1), condamner à l'exil, à toutes les ©MSTKIN PI JRHAY, cilato, pp. 66et sq. \>pere (1)VAN (S)Ce mot arabe désigne « un Instrument composéd'an morceaude bois, aux deux extrémitésduquel une cordeest EXTIRQUE EESARMÉNIENS IOÔ sortes de punitions, et il suffisait, pour cola, d'un simplo mot d'eux. C'est ainsi du reste que procédaient toutes les autorités du pays. Le Tanzimat venait de proclamer que nulle punition ne serait infligée sans un jugemont préalable; les patriarcats devaient donc suivre la nouvelle loi. 11en advint de même des affaires financières. Les autorités exigeaient auparavant ce que bon leur semblait, et dépensaient à leur gré; le Tanzimat prévoyait le contrôle financier, et les communautés devaient adopter uno forme analogue. C'est en 1840 qu'un conseil judiciaire et un conseil économique furent créés au patriarcat arménien, et que les prisons et les verges, les exactions et les dépenses arbitraires furent abolies. avant cette date et immédiatement un plus grand après le traité d'Andrinoplo, changement avait eu lieu au sein de la commitMais attachée,de manièreà formerun arc ». Ontourne plusieurs folsla cordeautour des jambes du patient,et, celui-ciélant réduità l'immobilité,on lui assènedes coupsde bâtonsur la II, p. 280.Cechâtiment, plantedespieds.Cf.Dozr,Supplément, très répandu dansles diverspays de dominationmusulmane, étaiten usage,non seulementdans les prisons, maisencore dansles écoleset lesateliers.Ou en trouverauns description .circonstanciéedans 11.AtuKiLux,Contesel Nouvelles,Irad. AramEKM»YAH (Paris,1916),p. S5et'sulv. lOii AITOIR|IE |.*AR\IÉ\IE nauté arménienne. Nous avons déjà eu l'occasion do mentionner les adoptes du caiholicismo romain qui se trouvaient mélangés aux communautés orthodoxes. La Cour de Rome et la Royauté française les favorisaient d'une façon toute particulière, et les conversions se faisaient nombreuses, en vue d'avantages matériels faciles à obtenir. C'est la raison principale du succès du prosélytisme Un groupe catholique parmi los Arméniens. considérable avait embrassé le catholicisme romain dès le xyu* siècle, à Constantinôpie, mais il ne pouvait pas avoir de situation au il était obligé de s'adresser autonome; clergé arménien orthodoxe pour l'accomplissement des actes religieux de nature officielle, tels que les baptêmes, les mariages et les tandis que pour les actes de enterrements; nature privée, tels que la confession, la communion, les messes et les prières, il recourait au ministère du clergé latin catholique (1). La Propagande de Rome,* pour renforcer ce prosélytisme, avait multiplié les prêtres catholiques, arméniens de nationalité et de rite; elle avait soutenu la formation de deux congrécelle des Antonins au gations catholiques, mont Liban et celle des Mekhitharistes à DINSTISSDI (I)Yoir,pour l'histoirede la communauté,VA?» JIHAT, opèrectlato, pp. 244-2(5. LESARMÉNIENS EXTIRQllE 107 Venise; elle avait créé un siège patriarcal en Syrie, et adjoint un arméno-catholique évéquo arménien au délégué papal do Constantinople. Les secours en argent ot la protection politique de l'ambassade de France complutaient cette campagne propagandiste. Le xvm' siècle et le début du xixe siècle sont remplis do fréquents témoignages d'aniinosité et de scissions, de troubles et d'hostilités, qui, de part et d'autre, poussaient aux délations, aux Le patriarcat arméexils, aux condamnations. nien s'efforçait d'empêcher cette tendance séparatiste, qui, du reste, ne pouvait être bien vuo par le gouvernement, par suite de l'hostilité de l'Occident contrôla Turquie. Lescatholicisants, au contraire, inspirés par leurs protecteurs, allaient jusqu'au fanatisme, voulaient amoner toute la communauté à leur point de vue, et s'emparer du patriarcat lui-même. Les querelles intestines, avec intervention éventuelle ont été presque continuelles du gouvernement, pendant la période qui nous occupe Les ordres émanés du gouvernement pour disperser les catholicisants, regardés comme dos agents étaient qualifiés de persécutions étrangers, religieuses organisées par le patriarcat, tandis que la coopération do ce dernier n'était qu'un acte de défense légitime. Ce désir du gouvernement, d'éloigner de I08 AUTOUR DE L'AIOIEW. Constantinople les catholiques arméniens nés dans les provinces, avait été surexcité lorsque la France avait accordé sa protection armée à l'insurrection de Morée. L'insurrection réussit et se termina par le traité d'Andrinople, qui devait être profitable aussi aux catholiques arméniens; car le gouvernement ottoman dut leur octroyer le droit déformer des communautés à part et d'avoir un patriarcat autonome, en les séparant définitivement du reste des Arméniens et en les érigeant en une Katolik millet (nation catholique), qui comprenait tous les catholiques-romains, de quelque race qu'ils fussent. Le patriarcat arménien perdait de ses ressortissants, ainsi une partie 40.000âmes environ; mais il y gagnait la tranNaturellequillité et l'uniformité intérieures. ment le groupe dissident ne devait avoir et n'eut aucune part aux possessions publiques de la communauté arménienne, et ce fut le secours de ses coreligionnaires latins qui lui fournit les moyens de fonder des églises et des écoles. Le gouvernement ottoman, tout en érigeant les catholiques en communauté autonome, leur défendait toutes relations directes avec les Européens, et, comme une conséquence de cette règle, il refusa de reconnaître comme chef delà nouvelle communauté l'archevêque Anton LESARMÉNIENS ENTl'RQl'IE ÎCW) Nouridjan, que le pape s'était hâté de nommer à cette charge, dès le 15/27 février 1830. Le exigea l'élection populaire, et, gouvernement sur celte base, il accorda, le 22 décembre 1830 du patriarcat au (3 janvier 1831) l'investiture prêtre llakobos Tchoukotirian. Nouridjan resta cependant un chef spirituel nommé par le Pape, taudis que Tchoukouriah détenait les fonctions comme chef national nommé par le sultan. Celte division du pouvoir continua dans la communauté catholique jusqu'à sa réorganisation en 1882 ; mais, auparavant, elle avait pris fin partiellement, en 1869, lorsque Mgr llassoun fut nommé, en même temps que patriarche, catholicos de Sis, siège du chef suprême religieux des Arméniens catholiques (1). En revenant sur les réformes introduites dans le patriarcat arménien, à la suite du Tanzimat, nous devons remarquer que la plus grande difficulté fut dé passer du régime autoritaire des amira au système du suffrage populaire. Les amira, prêts à payer et a dépenser, ne voulaient le faire qu'à la condition de détenir l'autorité; le peuple qui revendiquait le droit à n'était pas disposé à solder les l'autorité dépenses. Delà, la source de nouvelles compliet de dispositions cations intérieures variant le Vaticanet lesArméniens(Home,18î3j. (I) Cf.M.OnvAMA*, 1 HO AlTOin DE l,'.\H\IKNIK continuellement jusqu'à ce que le temps et l'expérience eussent amené une situation normale. les premiers temps qui suivirent le àe novembre 1839, le gouKliatt-i-Ilumayoïui le vernement avait chargé les patriarches, 1/13 mars 1840, de percevoir les impôts de finanl'État, ce qui facilitait l'administration confiée à un conseil de cière du patriarcat, des membres pris en dehors vingt-quatre amira. Mais avant que cette disposition ne fut révoquée, le conseil des vingt-quatre se trouva face à face avec de grosses difficultés et voulut se retirer en août 1841. On désira alors renouveler l'ancien conseil des dix amira, mais le peuple exigeait le maintien du Conseil des Les discussions durèrent des vingt-quatre. mois, et ne cessèrent que par la création d'un nouveau conseil de vingt-sept membres choisis, également, dans le peuple et confirmés par Yiradé impérial du 12/24 décembre 1841. Peu après, le 11/23 mars 1842, on promulgua la nouvelle disposition, qui enlevait aux patriarcats la perception des impôts de l'État, et le Conseil des vingt-sept, tombé dans l'impossibilité de faire face aux dépenses, se démit spontanément de ses fonctions, lej 13/25 novembre 1842. Une fois de plus, on reconstitua le Conseil des dix Dans LESARMÉNIENS ENTURQUE III amira. Mais cette fois, les amira eux-mêmes en.vinrent à discuter des transactions. Ils portèrent au trône patriarcal l'évéque Matthéos Tchouhadjian, bien vu par le peuple; et ils consentirent à la formation d'un conseil mixte de trente membres, dont seize pris parmi les amira et quatorze dans le parti populaire. elle dura C'était une mesure transitoire; néanmoins pendant trois ans, jusqu'à ce que l'idée d'un conseil administratif central, composé d'éléments ecclésiastiques et laïques, eût été mûrie. La jeune génération des amira, qui comptait des membres instruits en Europe, facilita la cho3é, en combattant pour le principe électoral sans restriction et sans privilège. Ces mêmes jeunes amira interposèrent leur influence du gouvernement pour auprès l'obliger à y consentir, et le 7/19 mai 1847, l'ordre de, procéder à une élection fut promulgué. Celte élection eut lieu deux jours après. Le 20 mai (1erjuin), les deux Conseils, dûment confirmés par la Sublime Porte, furent convoqués, le conseil religieux avec quatorze membres, et le conseil civil avec vingt membres, qui, réunis, devaient former le Haut-Conseil du Patriarcat (1). ORHASMN, l'Eglise,arménienne(Paris 1910), (1)Cf. MALACIUA p. 12. 112 DE U'ARMÉNIE AUTOUR A partir de ce jour, après huit années de fluctuations, de 1839 à 1847, le patriarcat adopta normale un nouveau système d'administration et stable, qui devait contribuer merveilleusedes écoles et des ment au développement éludes, du culte et des institutions de bienfaides sance, comme aussi aux améliorations affaires commerciales et.industrielles. Une jeunesse nombreuse, instruite dans les collèges et les universités d'Europe, et plus spécialement de France, fit de son mieux pour accroître la des Arméniens et réputation et le bien-être préparer une ère meilleure pour la Nation. , En cette même année 1847, le prosélytisme souaméricains, protestant des missionnaires tenu par l'ambassade réussit à d'Angleterre, obtenir, pour ses adeptes, le droit de se constituer en communauté autonome, sous la dénomillet (nation protesmination, de Protestait tante). Là devaient se trouver réunis tous les sujets ottomans, sans distinction protestants, de race et de dénomination professionnelle, mais fa presque totalité était formée d'Arméniens, au nombre de 15.000 âmes environ (1). des comCes deux séparations successives munautés catholique et protestante détachées ut JIHAV, SIEKJI opèrecilato, pp. 218-22'i, (I) Cf.VASOR* LESARMÉNIENS ENTURQUIE II3 lui ont de la communauté-mère arménienne, apporté sans doute des dommages sensibles, en affaiblissant son unité d'action et d'efforts, et en créant une lutte continuelle, tantôt ouverte, tantôt sourde, pour enlever à la communauté-mère des adeptes qui iraient grossir leurs rangs. Le nombre actuel des membres de ces communautés détachées est plus du double de ce qu'il était à leur création (1). D'autre part, ces parties séparées devaient entrer en coi tact immédiat avec les peuples européens qui les soutenaient ; ce qui devait et intellectuellement à profiter matériellement la race arménienne en général, en encourageant parmi les Arméniens les relations, les sentiments et les. tendances civilisés, et en attirant sur l'élément arménien l'attention des peuples d'Occident. Cependant, il ne faut pas oublier que Ions ces avantages n'étaient pas liés au reniement de l'Eglise indispensablement nationale pour l'adoption d'une religion étrangère. (I) Oo compteaujourd'huide 60.000à 70.000le nombreJe» protestantsarménien»,et à peu près autant de catholiques. Il/| AUTOUR DE I/ARMÉNIE VI Verala constitution nationale. Le systèmo inauguré en 1847, par la création du Haut-Conseil administratif composé de deux sections, l'une religieuse et l'autre civile, fut observé pour une période de régulièrement treize ans, avec des élections biennales. Chaque renouvellement y apportait un élément plus instruit et doué de,meilleures intentions, pour donner au système adopté une conformation plus parfaite, et pour le consolider. Deux éléments, pendant cette période, donnèrent plus d'efficacité à ce môme système et lui fournirent une organisation, sinon absolument complète, du moins satisfaisante. Le premier se trouva dans la nécessité qui se faisait sentir de préciser les droits et les devoirs de tous ceux qui, soit comme électeurs, soit comme élus, venaient d'acquérir une particiLe nouveau pation aux affaires nationales. système avait été inauguré sur des normes absolument discrétionnelles. Il pouvait durer quelque temps, tant que durerait l'enthousiasme delà première heure; mais les choses devaient I,ESARMÉNIENS ENTURQUIE Il5 changer dès que les circonstances créeraient des complications, des prétentions et des luttes. Le conseil élu en 1856 s'occupa plus spécialement de cette situation, mais sans résultat, et il laissa à celui qui lui succédait, en 1858, la tâche de régler définitivement la question. Le second point qui contribua à l'accomplissement de cette oeuvre fut' le développement des entreprises réformatrices inaugurées par le gouvernement ottoman. Autant la Sublimé Porte voulut bien apporter des réformes dans la gestion des affaires, autant les communautés voulurent voir se préciser leurs attributions et leurs privilèges. La campagne de Crimée et l'intervention dans les affaires européenne intérieures de la Turquie, les pressions qu'on exerça sur elle pour lui faire adopter un système complet de réformes, tout cela devait induire le gouvernement ottoman à publier un nouveau Khatt-i-Hitmayoun, en date du 6/18 février 1856, Khatt-i-Humayoun dont les puissances prirent acte dans le traité de Paris du 30 mars 1856 (article IX). Ce nouveau fxrman de réorganisation reçut le nom de lslahat ou Réformes. Cet acte, entre- autres dispositions, garantissait le maintien des attributions et des privilèges des communautés non-musulmanes, à condition cependant que ces attributions et ces privilèges fussent spécifiés et formulés par Il(ï AUTOUR l>EI/ARMÉNIK un règlement organique, soumis à l'approbation du gouvernement et sanctionné par un iradé impérial. Cette condition venait légitimer les exigences du parti libéral arménien, qui réclamait un règlement précisant les droits et les devoirs des nationaux. Une première ébauche de règlement avait élé élaborée le 22 mars (3 avril) 1857 ; mais il n'avait point obtenu l'agrément du gouvernement, et on dut recourir à une nouvelle rédaction, laquelle fut confiée à une commission de vingl-quatre membres, et présenta son projet à la communauté convoquée le 25 décembre 1859 (6 janvier 1860). La communauté chargea une nouvelle Commission d'en faire la révision et la rédaction définitive. Comme le patriarche Kévork Kércstedjiân se montrait peu favorable aux visées libérales de la Commission, on dut d'abord remplacer le patriarche. Sarkis Kouyoumdjian fut élu le 2/14 mai 1860 ; le 14/26 mai, il prit possession de son siège, le 24 mai (5 juin) il fut reçu par le sultan, et le même jour, le règlement national était lu, approuvé et promulgué dans une réunion générale et publique. On procéda ensuite à l'élection de l'assemblée générale élective, qui ratifia officiellement le dit taclo ou charte, le 25 août (6 septembre) 1860. LESARMÉNIENS ENTURQUIE I | -} Cet acte fut rédigé en double : en arménien pour la communauté arménienne, et en turc pour le gouvernement. Le titre arménien porle le nom de Sahmanadrouthiun et le turc celui de Nizâmnamé. Le mot arménien correspond à celui de Constitution, dans sa double acception de règlement quelconque, pris selon l'usage ancien, et de délimitation du pouvoir absolu, d'après la technologie moderne ; tandis que le titre turc ne signifie que Règlement, dans le sens pur et simple du mot. . La communauté, tout en présentant cet acte à l'agrément et à l'approbation du gouvernement, commença à régler son administration conformément aux dispositions arrêtées. Les affaires marchèrent plus ou moins régulièrement pendant 17 mois environ ; puis la mort-du patriarche de Jérusalem et l'élection de son successeur motivèrent des discussions et des troubles, par suite des conditions requises pour les candidats. Comme ces discussions se basaient sur les dispositions du règlement de mai 1860, et que les partis dissidents recouraient à des mesures alarmantes, le gouvernement intervint et proclama l'annulalion de la il Constitution qu'il n'avait pas sanctionnée; suspendit le régime constitutionnel, accepta la démission du patriarche Sarkis Kquyoumdjian, confirma l'élection deoètepaii 'Magharian, I|8 DE I.ARMÉXIE AUTOUR évoque d'Armache, comme locum tenens ou et nomma gérant clu patriarcat (téghakal), d'office un conseil mixte pour l'administration, se passaient du patriarcat. Ces événements vers le milieu d'octobre 1861. Quant à la sanction delà constitution, le gouvernement nomma d'abord douze Arméniens " faire la : revision, puis le 12/24 février pour 1862, il demanda à la communauté de renommer sept délégués, pris dans son sein. Les délégués du gouvernement et de la communauté terminèrent très.vite leur travail et présentèrent dès le 16/28 février, la nouvelle Constitution, qui n'était autre que celle de mai 1860, avec quelques modifications de rédaction plutôt que de sens. Pendant cet intervalle, le sultan Abdul-Aziz avait succédé en 1861 à son frère Abdul-Médjid. Le gouvernement retarda la ratification de la Constitution et toutes les insistances réitérées du patriarcat demeurèrent Le infructueuses. peuple, à bout de patience, attaqua le patriarcat, le 1/13 août 1862, en chassa le locum tenens et les conseillers, ferma les portes, et s'en alla déposer les clefs à la Sublime Porte. Le général Sélim pacha vint au patriarcat le 9/21 du môme mois, avec des forces militaires, pour réinstaller le locum tenens et le conseil, et il repartit en laissant une compagnie en garnison. Mais le ENTURQUIE LESARMÉNIENS I 1(J locum tenens et les conseillers se refusèrent à et ils assumer une si lourde responsabilité exposèrent, eux aussi, l'urgence d'une ratification immédiate. Enfin, après maints tiraillements, la sanction désirée fut octroyée avec quelques nouveaux changements opérés par le et elle fut communiquée au gouvernement, locum tenens, par l'office d'Ali-pacha, ministre des Affaires étrangères, le 17/29 mars 1863 (1), On chargea immédiatement un conseil provisoire et une commission spéciale de l'exécuet de l'appel des élection de la constitution tions qui devaient fournir le Conseil général ou Le 25 août (6 septembre), assemblée. il fut procédé à l'élection des deux conseils administratifs, et le 15/27 octobre à celle du patriarche dans la personne de Boghos Taktakian, archevêque de Smyrne. La Constitution nationale était enfin légalement et définitivement entrée en vigueur. (1)> Commeou sentit le besoind'<i-irèglementpour déterminer leur compétence(des Conseilsdu Patriarcat)et régler leurmodedegestion,on élaboraenfinune constitution[sahmanadroulhiun)ou statut arménien(1860).Cet acte importantfut soumisà lasanctiondu gouvernement ottoman;maisson approbationne fat pas obtenue sans difficulté.Carce ne fut qu'an bout de trois ans de négociations,et après maintesdémonstrations populairesque le Divanse décida à accomplircelte formalité (1863).» MALACKIA ORHASIA.N, l'Église arménienne, pp. 72-13. 120 AUTOUR l>EI.'AHMÉNIE VII Résuméde la constitution. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire de présenter une étude comparative de la première, de la seconde et de la troisième rédaction do Étant nationale arménienne. la Constitution de donné le caractère forcément sommaire celle esquisse, nous préférons expliquer brièvement la Constitution qui devait obtenir enfin f l'approbation du gouvernement ottoman, et qui constitue encore aujourd'hui la loi fondamental'; sur laquelle se fonde la communauté arménienne en Turquie. Celle Constitution contient 99 articles, divisés en cinq chapitres, dont le 1" intitulé : Administration centrale comprend .les articles 1-84; le 2'. Règles générales pour les conseils, 85-89; le 3\ Contribution nationale,90-93; le /»•, Administration nationale des diocèses, 94-98; le 5", Révision de la Constitution, 99. Comme on le voit, c'est l'administration du patriarcat qui absorbe la plus grande partie de elle concerne, le patriarche, les l'ensemble; LESARMENIENS ENTUKQITE 131 conseils, les commissions, les éphories et l'as* On y commence, selon semblée elle-même. mais l'ordre hiérarchique, par le patriarche; d'abord l'assemblée, nous examinerons selon l'ordre d'activité. est composée de 140 membres L'assemblée âgés de 30 ans au moins; 20 sont des ecclésiastiques élus par le clergé de la capitale ; 40 laïques sont élus par les assemblées diocésaines, et 80 autres laïques sont élus par les paroisses de la capitale. C'est donc la capitale avec 4/7 do qui y joue un rôle prépondérant ; tandis que les laïques et 1/7 d'ecclésiastiques laïques des provinces n'y figurent que dans les proportions de 2/7, et les ecclésiastiques du des provinces n'y sont pas représentés tout. Mais auparavant les provinces n'avaient aucune participation dans l'administration centrale. Les membres de l'Assemblée recevaient leur mandat pour dix, ans, et étaient renouvelable par cinquième tous les deux ans ; ses sessions s'ouvraient tous les deux ans vers la fin d'avril et duraient deux mois à partir du jour de l'ouverture officielle. Les fonctions ordinaires de l'Assemblée sont : 1* élection des conseils administratifs; 2° vote du budget préventif; 3° contrôle du budget ; 4° délibération sur le compte-rendu général des fit |>EI. ARMENIE AUTOUR conseils sortants; 5° rédaction des règlements particuliers. Ses attributions extraordinaires sont : 1° élection du patriarche de Constantinople ; 2° élection du patriarche de Jérusalem ; 3° participa* tion à l'élection du catholicos d'Etchmiadzin ; 4° questions de conflits entre le patriarche et les conseils ; 5° questions au-dessus de la compétence des conseils ; 6° révision de la Constitution. Pour ces derniers cas, on doit avec convoquer des sessions extraordinaires l'autorisation préalable du gouvernement. Les conseils administratifs sont au nombre ' de deux : l'un religieux, l'autre civil ; siégeant ensemble, ils forment le Conseil mixte. Le conseil religieux comprend quatorze membres ecclésiastiques de tout rang, élus par l'Assemblée générale sur la triple liste formée par le clergé de la capitale. Sa compétence regarde les affaires spirituelles et les personnes des ecclésiastiques. Le conseil civil devait être formé de 20 membres, mais il avait été réduit, ultérieusont élus par rement, à 14. Ces membres l'Assemblée, parmi des personnes môme qui n'en font pas partie. Sa compétence roule spéd'économie et cialement sur des! questions d'enseignement. ENTURQUIE LES \R\IÉNIENS l'j'i Le consoil mixte s'occupe de l'administration nationale en général, des droits et des privilèges du patriarcat, des questions diocésaines, et de tout ce qui exige l'action commune des éléments ecclésiastique et laïque. Les conseils administratifs sont assistés par des commissions spéciales, chargées des études préparatoires dans chaque branche, de la surveillance et des enquêtes sur les corps inférieurs. Telles sont : formée do La commission de l'instruction, sept membres laïques, élus par le conseil civil ; La commission dés finances formée également de sept membres laïques, élus par le conseil civil • . , La commission des monastères, formée de et laïques, élus sept membres ecclésiastiques par le conseil civil; La commission des testaments, formée de trois ecclésiastiques et de quatre laïques, élus par le conseil mixte ; La commission d'économie, formée de sept membres laïques, élus par le conseil civil, pour la gestion intérieure du patriarcat ; La commission de l'hôpital, formée de neuf membres laïques, dont doux médecins diplômés, élus par le conseil civil pour administrer l'Institut central de bienfaisance, comprenant 124 l»E l.'VRMÛME AUTOUR l'hôpital des malados, l'hospice des pauvres, l'hôpital des aliénés, et l'hospice des orphelins, le tout pour les deux sexes. Les jugements relevant du patriarcat re'les affaires matrimogardent spécialement niales. Un tribunal de première instance est institué, comprenant quatre membres ecclésiastiques et quatre laïques, tous mariés et âgés de 40 ans au moins, élus par le conseil mixte et siégeant sous la présidence du vicaire " . .* patriarcal. Les conseils religieux et civil, siégeant séparément, fonctionnent comme tribunal d'appel, d'après la nature du point contesté, et le conseil mixte figure comme tribunal de troisième instance. Les paroisses sont administrées par des éphories entièrement composées de laïques, au nombre de trois à douze, d'après l'importance de la paroisse, élus par les paroissiens au vote direct. Leur compétence embrasse les intérêts matériels des églises, les écoles, les pauvres, les petits litiges domestiques, les rovenus journaliers, les biens immeubles, et les actes de et de statistique. chancellerie se trouve à Le patriarche de Constantinople comme la tête de tout ce rouage administratif, président suprême et comme autorité exécu- EXTURQUIE LEStRUÉNIENS 11*1 tive. Il doit être évoque et appartenir au nombre de ceux qui relèvent directement d'Etchmiadzin ; il doit être sujet ottoman depuis sa naissance ; se trouver sur le territoire ottoman au moment de son élection, et être Agé de 35 ans au moins. Le clergé de Constantinople vote la liste des éligibles. L'Assemblée élit, d'après cetto liste, à la simple majorité de voix, et elle présento l'élu au gouvernement, avec la signature do tous les électeurs. Le gouvernement se réserve le droit de no pas ratifier cette élection, mais jusqu'ici, il n'y a pas eu d'exemple de refus. Le cntholicos d'Etchmiadzin le fait reconnaît accompli. Tout Arménien de sexe masculin et sujet ottoman, domicilié à Constantinople, Agé de 25 ans et payant une contribution annuelle de 75 piastres (15 fr. 75) est électeur pour les délégués à l'Assemblée. Pour les élections des éphories paroissiales, la contribution annuelle de 25 piastres (5 fr. 25) suffit. La contribution annuelle est obligatoire pour, tout Arménien, a l'Age de majorité, qui possède une occupation lucrative. La somme à payer est 25,50 et 75 piastres, d'après les conditions respectives de chacun. Les sommes supérieures sont volontaires et non imposées. Le titre d'électeur est acquis de droit aux laG AUTOUR I»EI/ARVIÉXIE aux fonctionnaires de l'État, aux médecins, et aux auteurs. membres de l'enseignement L'âge d'éligibilité pour les charges nationales est fixé à 30 ans, et à 25 ans pour les charges paroissiales. Sont privés de ces droits les condamnés pour'crimes, les condamnés par auto* rite patriarcale, les condamnés en correctionnelle jusqu'à l'accomplissement de la peine, et les aliénés. La Constitution contient plusieurs articles concernant le» formes d'élections, les modes de convocation et de délibération; les formalités de chancellerie, lès particularités des compétences, qui sont conformes aux règles généralement admises en ces matières, et qu'il serait superflu do reproduire ici. Les administrations diocésaines sont calcenquées sur le modèle de l'administration trale; elles tiennent compte de l'importance des diocèses, et en réduisent proportionnellement le nombre des membres. Les élections des gérants, des assemblées et des conseils administratifs des diocèses sont assujetties à la de l'administration confirmation centrale du au On, admet aussi le recours patriarcat. diocépatriarcat contre les administrations saines. i La revision des articles de la Constitution LESARMÉNIEN» ENTURQUE II7 est autorisée après cinq ans d'exercice. Les revisions doivent être étudiées par une commission de 20 membres, pris 3 dans chacun des conseils religieux et civil, 2 dans chacune des commissions d'instruction, des finances, des monastères et des jugements et 6 au sein ou en dehors de l'assemblée, tous confirmés par le gouvernement. L'administration qui régit le pays de 1872 à 1873 a élaboré des instructions spéciales pour les diocèses, les paroisses, les monastères, les testaments, les écoles, et les relations avec le ces instructions se trouvent tougouvernement; jours en vigueur comme règlements intérieurs. Pour le patriarcat de Jérusalem, l'Assemblée générale de Constantinople possède le droit d'élire le patriarche sur une liste de cinq candidats présontés par la congrégation, de voter le budget, de contrôler les comptes, et de juger et de décider dans les contestations survenant entre le patriarche et ses administrés. La manière dont l'Assemblée doit participer à l'élection du catholicos d'Etchmiadzin n'est et pas précisée, et dépend des circonstances des exigences de la législation de Russie. La Constitution ne fait pas mention spéciale Leurs des catholicos de Sis et d'Aghthamar. diocèses sont compris dans le nombre de ceux qui relèvent directement de Constantinople, et ia8 I* L'ARUÉNIE AUTOUR les catholicos sont élus par les assemblées localos et confirmés par l'Assemblée générale. L'exposé que nous venons de fairo suffit, claire de idée une donner pour croyons-nous, de la communauté arménienne, l'organisation telle qu'elle a été formulée, en conformité avec ses usages traditionnels. de la comLe règlement ou la constitution munauté grecque, dont la confirmation impériale est antérieure à celle de la Constitution arménienne, est plus restreint pour l'élément laïque. Il n'y a qu'une assemblée transitoire et dans l'élection du paélectorale; purement est décitriarche, la voix des métropolitains sive ; pas de conseil civil, mais seulement un conseil mixte, avec l'addition d'une minorité laïque an conseil religieux ou synode des métropolitains. C'est ainsi <;ue le synode et le conseil mixte ne sont pas assujettis au contrôle de l'Assemblée. Le budget et les finances appartiennent exclusivement au conseil mixte. Le droit d'élection est circonscrit à une classe restreinte ; la majorité des électeurs est comdu posée des ayants-droit, indépendamment Il y a seulement, en devoir de contribution. du gouvernement plus, l'assistance pour le _ ce qui manque payement des contributions, dans le règlement arménien, et ce qui est, pour lui, une cause de faiblesse intérieure, ENTURQUIE LE*AHMÊNIENS IÙQ vin Apres U constitution nationale. et complète du La jouissance pacifique régime constitutionnel, accordé par le gouvernement, ne fut pas de longue durée. Des divergences, occasionnées par des conflits do pouvoir, surgirent en 1866 entre les conseils religieux et civil à propos de l'accusation portée contre un prêtre d'Erzeroum. La Sublime Porte, informée du litige, voulut intervenir, et, par la missive du 20 mars (l,r avril) 1866, prenant motif de certaines circonstances réglementaires, suspendit les deux conseils administratifs en y substituant un conseil mixte de sa nomination ; elle ne permettait à l'Assemblée que la question de revision, que l'Assemblée, à son tour, confia à une commission spéciale. Le projet de celte commission fut communiqué au patriarche le 7/19 mars 1868, et les discussions qui s'en suivirent obligèrent le patriarche Taktakian à présenter sa démission, et le conseil mixte à se retirer également. La situation étant redevenue plus calme, le i3o AITOURDEL'AR«I:NIE gouvernement, à la suite do l'intervention de tels que S. Scrvicen, notables arméniens, K. Odian, A. Dadian, P. Féronkhan, N. Roussinian, S. Aslanian et autres, accorda l'autorisaet de tion d'élire un nouveau patriarche reprendre le système administratif d'après los Mkrlich Khrimian formes constitutionnelles. fut élu le 4/16 septembre 1869, et la reprise de la Constitution fut inaugurée le 4/16 décembre de la mémo année. Tout marcha régulièrement sous le patriarcat de Khrimian, et sous celui de Nersès Yarjabôdian, élu le 24 avril (6 mai) 1874, décédé lo 1884. Ces deux 26 octobre (7 novembre) vraiment animés de sentiments patriarches, patriotiques, jetèrent les yeux sur l'état lamentable des provinces, et voulurent apporter aux vexations dont quelques soulagements étaient victimes les Arméniens des provinces intérieures. Non seulement ils furent secondés par les conseils administratifs, mais ils reçurent aussi l'assistance de l'Assemblée générale qui,depuis avait commencé à tenir des sa réouverture, séances régulières chaque quinzaine. Un premier rapport sur les maux dont souffraient les provinces fut rédigé par une commission spéciale et présenté à l'assemblée le 8/20 octobre 1871 ; après délihération, il fut soumis à l'atlcn- LESARMlSlLNS ENTURQUIE |3| (ion du gouvornoment. Ces démarches furent ronouvoléos,mais elles domcurèrent sans grand résultat. Le patriarche Yarjabôdian réitéra à son tour les démarches, pour faire cesser les vexations dans les provinces, au moment où les et des Rulgaros querelles des Rosniaquos étaient prises en considération, et où l'onospérail voir s'ouvrir une ère do réformes. La Constitution ottomane du 23 décembre 1876 (4 janvier 1877) fut accueillie comme le prélude de ce nouvel état do choses. Malheureusement, non seulement elle devait être uno mesure stérile, mais encore, elle fut vito retirée, et le Coup d'État de 1878 mit un terme à la Constitution ot aux espérances qu'elle avait légitimement fait naître. Le patriarche Varjabédian ne renonça pas copendant â ses efforts. H avait présenté au gouvernement ottoman un projet do réformes sur la base dans les provinces arméniennes, d'une administration locale, ce qui avait été mal interprété dans les hautes sphères turques. de San* Il voulut .profiter des conférences Stefano pour plaider la cause des réformes arméniennes des auprès plénipotentiaires russes, et il obtint l'insertion de l'article 16 dans le traité de San-Slefano. Quand les puissances imposèrent aux belligérants le Congrès doRerlin et la révision du traite de San-Slefano, i'S'J AUTOUR l>EL'ARMÉNIE la Sublime Porte conseilla au Patriarche d'envoyer des délégués au Congrès. La Porte cherchait ainsi à faire avorter l'autonomie de la Bulgarie par la multiplicité des quémandeurs, tandis que lo Patriarche espérait obtenir enfin un résultat tangible. L'article 16 de San-Stefano devint l'article 61 de Rerlin.Mais l'interversion des chiffres produisit l'interversion des affaires. Les destinées de l'Arménie des réformes passèrent de l'action énergique d'une puissance victorieuse aux mains de six puissances ayant entre elles de nombreuses divergences de vues et d'intérêts. L'article fut considéré comme • lettre morte et la Porte eut la grande habileté do saisir au passage l'occasion favorable qui lui était offerte et qu'elle avait en quelque sorte provoquée (1). Pendant ces négociations, le patriarche Yarjabédian avait recours, non seulement au conseil des hommes experts en politique, mais aussi à l'assistance de l'Assemblée générale, qui discutait en pleine séance les questions de et de vexations, de plaintes, de réformes démarches, concernant, toutes, la situation des (t) « Lesréformesstipuléesau Congrèsde Berliaen fareur «Jel'Arménietarque n'ont pas eu pour leschrétiensde ce paja le moindrerésultat; la situationdevintsaut cessepins intolérable jusqu'à l'aunée 1894où le feu qui courait éclata...• art. 'Arméniedans VEncyclopédie de Chlam, t. 1, STRBCK, p. 449. EXTURQUIE LESARMÉNIENS |33 ou, mieux, des terriprovinces arméniennes, toires habités de préférence par des Arméniens. On avait aussi retracé les limités de ces terrides habitants toires et fait le recensement arméniens qui, à cette époque, formaient la majorité de la population. Telle fut l'origine de la question arménienne. ottoman venait de voir Le gouvernement l'élément bulgare, la dernière des races chrétiennes de la Roumélie, échapper à sa domination, après la Roumanie, la Serbie et la Grèce. H s'était habitué à regarder d'un mauvais oeil l'élément prépondérant parmi les chrétiens, à le poursuivre et à le persécuter dans la crainte de le perdre. Quand les races européennes se furent libérées du joug, ce fut le tour des éléments asiatiques, et l'arménien en était sans contredit le plus important. C'était donc à son tour de devenir l'objet des persécutions traditionnelles. Cor.:me motif, il y avait la démarche du patriarche en vue des réformes, démarche qui avait été l'objet de discussions dans l'Assemblée arménienne ; ces faits avaient provoqué la mention officielle des Arméniens dans les traités internationaux, attiré l'attention des puissances et la sympathie de la presse européenne universellement exprimée.Si l'on ajoute II à à tout cela un sultan comme*Abdul-llamid I3.'I AITOIR ne L'ARVIÉNIE la tête du gouvernement ottoman, on conçoit bien quo cela suffit pour expliquer les perse' cutions habiles et cruelles qui allaient éclater contre les Arméniens. Kt elles ont commencé, en réalité, bien avant que les Arméniens, exaspérés par les souffrances, aient pensé à l'action en vue de préserver leurs vies, défensive, leurs biens, leur sécurité et leur honneur. II, les ArméJusqu'au règne d'Abdul-llamid niens fournissaient tout le fonctionnariat techottoman (1). C'est le nique dans, l'empire régime hamidien qui a brisé cet état de choses : 1° en éliminant la bourgeoisie arménienne des postes qu'elle occupait auparavant ; 2° en rcm-J plaçant dans les pays kurdes les propriétaires arméniens par des propriétaires kurdes. Ces mesures vexatoires conduisirent les Arméniens à organiser la révolte (vers 1891); à cette révolte, Hainic* répondit par les massacres. Ce sont, à nos yeux, les deux points principaux qui marquent le règne du sultan Abdul-Hamid. les ArméEt, une fois la tempête déchaînée, (I)« Ona leurrél'Europeavec l'idéede l'égalitéet del'admission des chrétiens aux emploisquand on sarait que de tout temps il y en eut dansles fonctions,sinon élevées,du moins lucratives.Les populationsappartenantà la religion du Christ en ont-elles été plus heureuses? On devait songer plutôtà améliorer l'administrationen général et faire que les musulmanset les chrétienspussent vivre en paixsous un gouvernementhonuêteet bien orgauisé», dit IIAULGASEM [LesSultans ottoman*,t. Il, p. 33S). E\ TURQUIE LESARMÉNIENS l35 niens, sujets ottomans, ne furent soutenus ni par les Allemands, qui tenaient à lour clientèle turquo, ni par les Russes, qui ne pouvaient pas encourager en Turquie un mouvement nationaliste arménien, qui aurait eu de trop fortes répercussions au Caucase. Or, après les massacres, il no fut fait aucune démarche, ni pour en prévenir le retour, ni pour donner une sanction quelconque. La nécessité s'imposait dès lors aux Arméniens d'essayer de se défendre eux-mêmes. Un premier symptôme d'action se manifesta à Erzeroum en 1892, et, deux ans plus tard, en 1894, le même mouvement se produisit à Sassoun. Or, bien avant ces dates, les Arméniens étaient devenus l'objet de délations, de poursuites et de persécutions de la part des autorités ottomanes et à l'instigation du sultan. On leur prêtait gratuitement des idées séditieuses et séparatistes, quand ils ne demandaient que le droit de jouir d'une existence sûre et tranquille. l3fi AUTOUR DE L'ARMÉNIE IX Diverses phases de la question. Les relations traditionnelles et séculaires, qui unissaient les Turcs et les Arméniens, venaient de subir une transformation radicale. Jadis, comme nous l'avons déjà dit, on pouvait qualifier les Arméniens de Turcs chrétiens, et les Turcs d'Arméniens musulmans. C'est précisément par l'abolition de cet état de choses que Abdul-IIamid a commencé sa politique, en créant et en cultivant des dissensions intestines et des antagonismes de races. C'est le Kurde qui forme la presque totalité de l'élément musulman en Arménie ; c'est lui que l'on désigne surtout sous le nom général de Turc. Or le Kurde se considérait autrefois bien plus près de l'Arménien que du Turc proprement dit. Et cela, avec raison. L'Arménien elle Kurde étaient les autochtones, tandis que les Turcs n'étaient que les débris des hordes ta tares. Les troupes kurdes formées pendant la dernière guerre avaient montré clairement qu'elles n'étaient guère disposées à faire cas LESARMÉNIENS EXTURQUIE des vrais |37 Môme les intérêts de la Turquie. exigences de l'islamisme n'étaient pas respectées par eux; les mosquées étaient rares dans les districts qu'ils habitaient. On risquait do voir le rapprochement des Arméniens et des Kurdes se changer en coalition, au cas d'un mouvement libéral dans les provinces asiaLes troubles causés par le Chaikh tiques. Oubéidullah avaient éveillé l'attention. Un des premiers moyens employés pour éviter la réalisation d'une telle perspective fut la création des troupes hamidiennes. Cette institution conservait aux Kurdes leur vie à exclusivement adonnée au bridemi-sauvage, et loin de toute initiative de vie gandage, industrielle et civile. Ensuite, en militarisant ces tribus, on leur conférait amplement ledroft d'exercer librement et sans aucune entrave leurs moyens d'existence illégaux. En outre, on commençait à les'« turquifier », pour ainsi dire, en les soumettant aux conditions musulmanes et en les familiarisant avec les usages turcs. C'est dans ce but que l'on construisit des mosleur expédia quées dans leurs montagnes,qu'on des fonctionnaires civils pris parmi les religieux musulmans, et qu'on créa à Constantinople une école spéciale pour la jeunesse de la noblesse Kurde (1), à l'effet de lui imprimer le [i) 'AchtretM'kMi Écolede la Iri'hu•. 3. |38 R DEL'ARMÉNIE AUTOl caractère voulu. Toutes ces mesures étaient d'insinuations et d'instructions renforcées secrètes et habiles, pour créer et pour cultiver un esprit hostile aux Arméniens. les vexations devaient acNaturellement croître chez'ceux-ci l'exaspération des esprits ; les tortures devenues insupportables devaient produire des mouvements, qui allaient servir et impide prétexte pour sévir rigoureusement toyablement contre eux. Voilà le cercle vicieux que la politique hamidienne a créé autour de la question arménienne, et dont elle a usé pour justifier ses cruautés, aux yeux des puissances européennes. Bien que l'opinion publique et la presse libre aient élevé la voix contre les actes inqualifiables du Sultan Rouge, les cabinets ont cru bon de demeurer inactifs, semblant donner raison à la politique hamidienne, qui leur représentait ses actions brutales comme des répressions légitimes. A côté de cette action indirecte, on inaugura une action directe contre l'élément arménien, action fondée sur des privations systématiques cl des difficultés gratuites, exercées spécialement dans le but d'ôter aux Arméniens les ressources qui rendent la vie aisée et paisible. Il suffira de mentionner les obstacles qu'on mettait aux voyages à l'étranger, les difficultés EXTURQUIE LESARMÉNIENS l3c) de circulation dans les provinces, la défense pour les provinciaux d'habiter dans la capitale, et celle qui empêchait l'exercice de professions qui auraient occasionné ou nécessité des relations suivies avec les pays ou les navires de ordre donné aux établissements l'étranger, de ne pas employer d'Arméniens, étrangers sur les bâtiobligation de voyager seulement ments battant pavillon ottoman, arrestations arbitraires sur toute délation, emprisonnements prolongés sans motifs et sans interrogatoires, le traitement des criminels appliqué à tout Arménien arrivant dans la capitale, fût-il muni de toutes les pièces, eût-il rempli toutes les formalités requises. Nous ne voulons pas parler des massacres qui, commencés à Sassoun en 1894, étendus aux provinces pendant 1895, perpétrés dans la capitale elle-même en 1896, ont continué sourles années noisement suivantes, pendant comme un vaste incendie qui consume lentement mais sûrement. Les relations officielles entre le gouvernement et la communauté n'étaient pas dans une situation Pour être conséquente meilleure. avec elle-même, la politique hamidienne tîevait affaiblir le pouvoir du patriarcat et la gestion administrative de la communauté, car c'était de là que cette dernière puisait le peu de soutien l/|0 AUTOUR DE Î.'ARMÉXIE et de force qui lui restait. Le patriarche Varjalu.nian acheva les dernières années de sa charge les fji»squ'en 1884), au milieu des tracasseries dont il cherchait toujours à plus tatillonnes, sortir par l'habileté. Abdul-Hamid ne pouvait oublier le rôle, que ce prélat avait joué pendant les traités de San-Stefano et de Berlin, et les propositions qu'il avait avancées soit devant le ottoman, soit devant les puisgouvernement Mais il connaissait égalesances européennes. ment l'influence qu'exerçait le patriarche en dehors aussi bien qu'au sein de sa communauté ; de sorte qu'au lieu de le contrecarrer il cherchait à le gagner par de ouvertement, fausses avances et dés largesses. Varjabédian, sur ce qu'il pouvait à son tour, désillusionné attendre des puissances européennes, obligé de ménager le gouvernement hamidien, dut se montrer conciliant, sans, toutefois, rien sacrifier de ses demandes de réformes, en vue du soulagement de l'élément arménien. commenD'un autre côté, les Arméniens <-t çaient à prendre conscience d'eux-mêmes, ils arrivaient à la conviction que rien ne serait possible tant qu'ils n'auraient pas recours à une action défensive. La première tentative de défense nationale eut lieu à Erzeroum en 1882. On pensait alors que la Russie, fidèle à la poli- LES.ARMÉNIENS EXTURQUIE l/|! de Pierre le Grand, renoutique traditionnelle vellerait à brève échéance ses efforts agressifs contre la Turquie, et que, celte fois-ci, ce serait du côté de l'Asie qu'elle organiserait l'attaque principale. En outre, on pouvait espérer que, pour empêcher, tout au moins pour diminuer l'effet des brigandages et des vexations conune serait tinuelles, énergique opposition exercée et pourrait imposer aux Kurdes, encouragés par le gouvernement, plus de modération. 1On chercha donc à former des comités d'action, on se mit à armer chacun, et à s'associer en groupes de coopération. Ce premier pas ne pouvait demeurer ignoré, et les arrestations et les poursuites commencèrent en 1882 même ; les procès furent suivis des condamnations de 1883, les premières dans la série interminable des procès politiques. Malachia Ormanian,évoque d'Erzeroum, accusé de connivence avec les rebelles,Tut rappelé à Constantinople ; il put échapper à la condamnation et le patriarcat réussit à obtenir une amnistie, l'année suivante, pour tous les condamnés, ainsi que le retour d'Ormanian à son siège épiscopal. Le patriarche Varjabédian, accablé de maladies et de chagrins, terminait sa vie peu do jours après, à l'âge de 47 ans, sans avoir eu la satisfaction de voir ses efforts patriotiques couronnés du moindre succès.. Ir|2 AUTOUR DEI.'ARMÉXIE X Événements ultérieurs. Après la mort de Varjabédian, la communauté chercha à ménager les susceptibilités hamidiennes en appelant à lui succéder un prélatavancé en âge et notoirement connu pour ses tendances turcophiles, mais en même temps fidèle et attaché aux droits et privilèges acquis à la communauté depuis des siècles. Tel était Harouthioun ancien archevêque Véhabédian, et ensuite vicaire patriarcal de d'Erzeroum, Jérusalem. Elu le 25 janvier (6 février) 1885, il prit possession de son siège le 17/29 avril, et devait l'occuper jusqu'en juin 1888. Le pénible état de choses, dont le patriarche Varjabédian avait vu le début, ne fit que s'aggraver sous le patriarcat de Véhabédian. Une nouveauté cependant, durant cette période, fut à la formation des comités révolutionnaires l'étranger, avec les débris du premier mouvement libéral d'Erzeroum. Ceux qui avaient été compromis dan? des affaires analogues ou qui étaient impatients d'améliorer les conditions du pays, avaient pris déjà la route de l'Europe EXTURQUIE LESARMÉNIENS lft3 et de l'Amérique, et, plus facilement encore, celle du Caucase. Les Arméniens de Russie avaient commencé à s'intéresser vivement au sort de leurs compatriotes de Turquie, à les aider et à les soutenir dans leurs tendances ces Toutes circonstances facid'émancipation. litèrent la création de groupes et de comités hors de la Turquie, dans le révolutionnaires double but de procurer des moyens d'action et de résistance aux Arméniens de l'intérieur, de et soulever l'opinion publique européenne d'attirer l'attention des puissances en faveur des persécutés. Le résultat de ces efforts ne fut pas entièrement conforme à ces prévisions. L'opinion publique européenne témoigna un sentiment tout platonique. Les puissances s'abstinrent de toute démarche énergique, craignant de causer une conflagration générale au détriment de leur accord précaire. Et, tandis que les efforts des Arméniens de l'étranger ne répondaient point aux espérances qu'on en avait conçues, le gouvernement hamidien en prenait motif pour aggraver plus que jamais ses mesures vexatoires contrôles Arméniens demeurés dans son empire, pour augmenter les privations et les tortures, pour prévenir la soi-disant insurrection arménienne qu'il ne croyait du reste pas même réalisable, mais dont il se servait comme l44 AUTOUR DEL'ARMEXIE d'un prétexte pour écraser l'élément arménien. Il pensait que cet élément, à lui seul, pouvait être une- raison de transporter la question d'Orient en Asie, et d'y créer des émancipations analogues à celles qu'il avait déjà vues dans son domaine européen. Plus d'une fois Abdul-Hamid, appelant en sa présence le patriarche Véhabédian, le menaça'ouvertement de ne laisser pas un seul Arménien en vie dans son empire, et il se réjouissait sans doute des larmes versées par l'infortuné vieillard sur son peuple abandonné de tous. Malgré cette douloureuse situation, et malgré le peu de force et de ressources dont pouvait disposer Véhabédian, il put, pendant les trois ans de son patriarcat, tenir ferme la position traditionnelle du siège patriarcal et de sa communauté; il ne sacrifia rien des droits acquis; il continua l'administration patriarcale conformément au régime constitutionnel, créé par la à charte de 18G3, et il résista énergiquement toute tentative du gouvernement pour en abolir ou en restreindre les prérogatives. Mais, à la fin de ses trois années, il quitta le siège de Constantinople pour passer a celui de Jérusalem, auquel il avait été promu, et qu'il devait occuper depuis 1888 jusqu'à ces dernières années, puisqu'il,ne mourut que le 5/18octobre 1910, à l'âge de 91 ans. LESARM&tlEXS EXTURQUIE I^Ô La succession de Véhabédian fut confiée à Khorène Achekian, abbé d'Armache, qui n'était point du tout rompu aux affaires administra* tives, et dont le tempérament paisible, j'allais dire débonnaire, devait se plier facilement aux Élu le 29 sepexigences des circonstances. tembre (11 octobre) 1888, entré en exercice le 19/31 octobre, il resta au patriarcat jusqu'au 14/26 juin 1894. Les vexations contre les Arméniens, durant ce temps, ne firent qu'augmenter de jour en jour. Les actes officiels du patriarcat furent paralysés, les séances périodiques de l'Assemblée générale interdites en 1891; les démarches du patriarche considérées comme nulles. Ce furent autant de causes qui motivèrent une recrudescence des agissements révolution* naires. Des comités s'étaient formés dans la capitale même, et opéraient clandestinement. Le patriarche Achekian, pressé entre les exigences arbitraires du gouvernement hamidien des comités et les propositions énergiques secrets, chercha de son mieux à trouver un modus vivendi tant soit peu conforme aux circonstances ; mais il lui fut impossible de réussir v dans cette tâche vraiment difficile et surhumaine, on le conçoit sans peine. il faut attribuer la cause de son échec, en partie à la force des pressions contradictoires, 9 l4Ô DE L'ARMÉXIE AUTOUR et en partie à son peu d'habileté personnelle. des coIl eut à subir même les persécutions la mités, sans parvenir à attirer entièrement bienveillance du sultan, et il se relira enfin d'une charge qui lui avait valu beaucoup de soucis et de peines. Pendant ce temps, la politique hamidienne avait entrepris, comme dernier moyen et le plus énergique, la politique des massacres.' Elle commença par celui de Sa'ssoun, durant l'été de 1894.' L'élection patriarcale se fit sous l'impression de ce triste événement, et sous, l'inspiralion produite par les protestations des puissances. Le nouvel élu était Matthéos Ismirlian (1), ancien évoque d'Egypte, qui avait la réputation L'élection d'un caractère ferme et énergique. eut lieu le 7/19 décembre 1894, et la prise de possession le 26 du même mois (7 janvier 1895). Le gouvernement hamidien s'était vu, pour un moment, obligé de transiger. 11avait dû agréer l'élection d'ismirlian, bien que celui-ci ne fût nullement persona grala; il avait dû en outre entrer en négociations avec les représentants des trois grandes puissances : Angleterre, Rapportsur unemission (1)Voirsa biographiedansF. MACLSR, scientifiqueen Arménierusse el en Arménieturque.v (Paris, 1911),pp. 88-92. EX TURQUIE LESARMÉNIENS 1^7 France et Russie, sur un projet de réformes pour les six provinces, pour ne pas dire les enprovinces arméniennes. Ces circonstances Ismirlian à exagérer ses condicouragèrent tions, quand un délégué du Palais fut envoyé auprès de lui pour s'entendre directement sur ce que l'on devait faire. Mais la ruse hamidienne ne cherchait qu'à gagner du temps; les désarmées par une puissances se trouvèrent espèce de projet de réformes, composé de lieux communs, et dont l'exécution avait été laissée au bon plaisir du gouvernement, sans la participation et sans le contrôle des puissances négociatrices. avait irrité le L'attitude décidée d'ismirlian sultan qui allait maintenant jusqu'à voir en lui un ennemi personnel, qu'il allait chercher' à abattre par tous les moyens. De nouveaux massacres «généraux et des pillages organisés suivirent le projet des réformes et les propositions d'ismirlian. Commencés à Trébizonde en octobre 1895, ils allaient faire le tour des six en provinces, pour aboutir à Constantinople août 1890. La presse contemporaine et les livres bleus et jaunes ont donné les récits navrants de ces cruautés indescriptibles. On évalue à 300.000 le nombre des Arméniens tués, Liesses, arrêtés, condamnés, exilés et émigrés en ces tristes jours. L'évaluation des fortunes, des l48 DE L'ARMÉNIE AUTOUR possessions, des biens perdus est impossible. Ismirlian, devant une opposition systématique et une volonté impérieuse, dut démissionner le 23 juillet (4 août) 1896, après 19 mois de patriarcat, et le 23 août (4 septembre), il parlait en exil pour Jérusalem. En même temps que le patriarche Ismirlian, les conseils s'étaient administratifs retirés aussi, et le gouvernement profita de cette circonstance poifr imposer un conseil mixte de son choix, et un locum tenens ou gérant, de sa confiance. Parthoghiméos (Barthélémy) Tchamtchian, ancien évéque de Brousse, fut le locum tenens, et Ohannès Nourian effendi, conseiller d'État, fut l'àme et le chef du conseil mixte. Ils entrèrent en fonctions le 27 juillet (8 août) 1896. Us se soumirent aux vues du gouvernement pour réviser la Constitution ou règlement de 1863, en ôter toutes les dispositions favorables au peuple arménien, et lui donner un caractère essentiellement gouvernemental et clérical. On incriminait celte constitution comme ayant été la cause des idées libérales et soi-disant subversives et révolutionnaires, introduites dans la communauté arménienne. On voulait aussi prolonger indéfiniment la durée de l'administration provisoire, afin d'affaiblir l'influence du LESARMÉNIENS EXTURQUIE iflO, patriarcat et de changer la conformation interne de la communauté. Un sourd mouvement commença à agiter la communauté, à ce sujet, dans le but d'éviter la que l'on pressentait catastrophe prochaine. Artine Dadian pacha, sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères, se mit à la tâche, et il parvint à induire le sultan à permettre les élections régulières du patriarche et des Conseils, en le convainquant que c'était une condition nécessaire pour arriver à la révision de la Constitution. L'autorisation désirée fut accordée ; les Conseils furent élus le 31 octobre (12 novembre) 1896, et le patriarche le fut le 6/18 novembre, pour entrer en fonctions le 20 du même mois (2 décembre). XI L* dernière période. Le nouvel élu fut Malachia Ormanian, ancien abbé d'Annache, recteur évoque d'Erzeroum, du grand séminaire patriarcal qu'il avait luimôme organisé en 1889, tandis qu'Artine Dadian pacha devenait du Conseil président civil. Le patriarche Ormanian occupa le siège patriarcal pendant 12 ans, jusqu'au 16/29 juillet I0O AUTOUR DE I.'ARMÉXIE de la 1908, au lendemain de la promulgation Constitution turque. Le président Dadian devait mourir en octobre 1901. Cette période fut inaugurée par une amnistie générale, sollicitée par le patriarche. Plus de douze cents Arméniens, accusés de délits politiques ou condamnés pour ce motif, en profitèrent. Après cette amnistie, on dut recourir, de part et d'autre, à des efforts étudiés, afin de relalivcment parvenir à établir des rapports satisfaisants. Tputefois, des massacres furent de nouveau organisés à Tokat, en février 1897; mais les protestations énergiques du patriarcat montrèrent quelque efficacité; des tribunaux extraordinaires sévirent, celte fois, contre les massacreurs turcs, et non contre les Arméniens qui survivaient aux tueries, comme cela avait été le cas en 1895 et 1896. Soixante individus furent condamnés à des peines variées, et le public turc comprit, sans doute, que le sultan ne permettait plus les massacres officiels; après cette date, en effet, il n'y eut plus que quelques tueries localisées à Sassoun et à Van, et motivées en partie par les agissements des comités bien malgré lui, arméniens. Le gouvernement, ne put profiter de la circonstance pour les étendre, et il dut, au contraire, les circonscrire et les réduire à des Conflits de bandes montagnardes, LESARMÉXIEXS EXTUIIQUIE l5l Les massacres généraux avaient pris fin, mais leurs effets se faisaient encore sentir. Aussi, à un diplomate qui déclarait avec satisfaction que les massacres avaient cessé, le patriarche Ormanian répliquait qu'ils étaient plutôt civilisés et plus raffinés. En effet, c'était le système du feu lent qu'on avait adopté vis-àvis des Arméniens, Toutes les actions, tous les moyens, qui pouvaient les aidera se reconstituer, voyages, entreprises, commerce, commissions, fonctions, métiers, tout était entravé et prohibé par des mesures arbitraires et draconiennes. L'instruction même de la jeunesse, le traitement des malades devaient en supporter les tristes conséquences. Le sultan abondait en déclarations de sympathie, mais les instructions secrètes étaient diamétralement opposées à sej paroles. Les fonctionnaires se pressaient d'émulation pour maltraiter le plus possible les* Arméniens, et ceux qui, d'aventure, agissaient avec humanité, étaient révoqués ou déplacés. Comme il était impossible de transformer les idées du sultan, le patriarche était réduit à chercher à diminuer les tristes suites de ce système, en recourant aux expédients momentanés ou individuels, et en multipliant le plus possible ces cas isolés. Il ne cachait à personne le véritable aspect du système gouvernemental, déclarant même au sultan, qu'il était reconnais- l5a AUTOUR DEL'ARMÉNIE sant des ordres donnés, mais qu'il le serait davantage si ces ordres étaient exécutés. Les difficultés perpétuelles que l'on soulevait contre l'organisation constitutionnelle de la communauté arménienne étaient toujours en vigueur. Outré la prohibition des séances de on exigeait impérieusement la l'Assemblée, revision et le changement de la Constitution elle-même, en se basant sur l'engagement pris par Dadian et confirmé par le corps électoral de 1896. Le patriarche Ormanian ne voulut jamais s'assujettir à cette condition, et prévoyant qu'on allait mettre tout en danger, si l'on proposait même un projet partiel, il se refusa, d'accord avec les conseils, à présenter le plus inoflensif projet de revision. Il dut, par conséquent, recourir à toutes les manoeuvres possibles pour éviter le coup fatal. Le gouvernement, à son tour, maintint ferme sa décision d'empêcher même les séances de l'Assemblée, indispensables pour le renouvellement biennal des Conseils administratifs. Le patriarche Ormanian, toujours avec l'assentiment des conseils et le consentement tacite delà communauté, préféra gérer les affaires dix ans de suite avec les mêmes conseils, plutôt que de mettre en danger l'existence de cette si chèrement achetée déjà. La Constitution, suspension forcée de l'exécution de quelques LESARMÉXIEXS EXTURQUIE 153 clauses ne pouvait produire la conséquence fatale que l'on redoutait de la revision imposée. Au bout de dix ans, le nombre des conseillers étant sensiblement diminué par les décès et fut obligé par les absences, le gouvernement d'accepter l'élection faîte le 25 juillet (7 août) 1906 sans son consentement officiel, et de la valider malgré ses observations. La Constitution de 1863 resta ainsi en pleine vigueur, au milieu des plus mauvaises volontés. Quant à l'exécution des clauses, elle avait été observée dans toutes celles qui n'impliquaient pas l'intervention du gouvernement. Cette tactique observée par le patriarche Ormanian pourrait être qualifiée de campagne défensive, pour ainsi dire : une action conciliante sans faiblesse, une action ferme sans agression, conformément à la maxime fortiter in re, suaviter in modo. Le patriarcat n'avait entre les mains d'autre arme que la justice de sa cause, et cette justice ne pouvait évidemment prévaloir contre une force brutalement tyrannique. D'autre part, les cabinets européens, signataires du Traité de Berlin, et promoteurs du à réduits de étaient réformes de 1895, projet une inaction complète, dont nous croyons inutile de rechercher ici mémo les motifs. Que ce », l.V| AUTOUR DE l/ARMÉXIE fût la crainte d'une conflagration générale ou le désaccord qui se cachait au fond de l'accord apparent, que ce fût l'indifiércnce sur le sort d'un peuple martyr ou l'indice de la réprobation sur; la conduite de certains Arméniens, que ce fût peut-être la conséquence des intérêts matériels que chacun d'eux cherchait à tirer du gouvernement ottoman, aucun de ces motifs ne pourrait éliminer le fait pur et simple, qui nous intéresse et que nous voulons constater, pour fixer,la situation du patriarcat arménien, privé de toute assistance, malgré les engagements pris. Les ambassadeurs ne réponaux demandes et daient que platoniqucment du patriarche, de sorte aux communications du qu'il fallait tout attendre, exclusivement, sultan lui-même, et ne compter que sur le bon plaisir du maître. Il était donc indispensable d'user de moyens pacifiques, sans rien sacrifier de ses aspirations, pour atténuer les fureurs du tyran ; il fallait quelquefois se passer même de satisfaction sur quelque point secondaire, pour ne pas compromettre l'essentiel. C'est par cette politique qu'on a pu, du moins, obtenir des amnisties partielles, procurer à la population, surtout à celle des provinces, sinon la cessation, au moins la diminution des prohibitions perfides, préparer les, mesures indispensables pour leur subsistance, leur faciliter les affaires, EXTURQUIE LESARMÉXIEXS 55 conserver, enfin, l'élément national, dans l'ai* tente de jours meilleurs. avait reçu l'apCe système d'administration probation de la communauté demeurant dans le pays, surtout de celles des provinces. Mais il n'était point du goût des émigrés et des comités d'action formés en Europe et en Amérique, au Caucase et en Perse. Ceux-ci auraient désiré voir suivre une politique agressive, anticonciliatrice et révolutionnaire ; ils cherchaient même à forcer la main au patriarcat, en provoquant des incidents dans les provinces limitrophes du Caucase et de la Perse, en faisant des irruptions avec de petites bandes, ou bien en organisant à l'étranger des manifestations menaçantes. 11 aurait été facile de leu laisser une libre action, et de ne pas même s'il téresser à leurs agissements, si ceux-ci n'avaient pas dû provoquer des répressions vindicatives sur les populations indigènes, et fourni des prétextes aux vexations et aux mesures exceptionnelles du gouvernement hamidien. # Cette différence de vues entre l'action du et celle des comités a valu au patriarcat des pamphlets et des patriarche Ormanian attaques dans les organes des comités révolutionnaires, des lettres de menace, provenant de l'intérieur du pays et de l'extérieur, et même un attentat contre sa vje et une balle à l'épaule. l56 DE L'ARMÉNIE AUTOUR Le patriarche ne se relira pas cependant, convaincu qu'il était qu'on ne pouvait déserter pendant la guerre ni abandonner son peuple devant le danger. Il menaça, il est vrai, le gouvernement de se retirer, mais seulement dans un cas, où il avait à défendre un droit traditionnel du ne patriarcat, contre lequel le gouvernement pouvait se prévaloir d'aucune raison plausible : c'était lorsqu'on voulut séparer la Cilicie du patriarcat de Constantinople, et quand on imagina de donner un caractère légal et normal Devant cette attiaux mesures exceptionnelles. tude énergique et quasi menaçante, le gouvernement dut opérer un mouvement de recul et se contenter des soi-disant mesures de sûreté générale «t policière (1). Tel est le caractère général de cette période, que nous dénommons la dernière, parce qu'elle a précédé immédiatement la proclamation de la liberté. Pendant celte période, et malgré toute e%pèc* de difficulté, on a pu encourager les et de bienfaisance, doter oeuvres d'instruction au* dernietsjomnd'Abdul(t)CJ. pAVLttscMtConstdntimopU l\amU{Vàx\9t WT), p. âSI et H|. Cet «image,reproduitla plus gtw4* partie 4e la LelUt **x Arménien*daoa Uqualle le prfeeeSabftfced-Dfeeiftorteceux-cià renoncer4 l'actionré?otatteeaaire;quf,touten efeetebtft4 provoquer«M intervention M ïEuf»»e,•* fclaâit que eon>frowett/é t'ireatr, et c*u»ait ttttafit é» »•* *W Armiekai e«i-«éut«squ'euxTurc», EXTURQUIE LESARMÉSIEXS l5} les institutions de nouvelles ressources et de constructions récentes, régler les affaires des administrations diocésaines, diriger régulièrement l'administration centrale, et arriver à recueillir par des souscriptions particulières, et malgré le refus de l'autorisation gouvernementale, la somme de 82.500 livres turques, soit 1.896.000 francs, somme qui fut employée à soulager les éprouvés, à entretenir une trentaine et environ quatre-vingts écoles d'orphelinats rurales, créées dans les pays dévastés par les massacres. XII Apres le liberté. • Au strict point de vue historique, nous devrions ici même mettre un terme à celte esquisse déjà fort longue. Les événements qui se sont déroulés depuis le mois de juillet £908 ne sont pas encore arrivés au point qui permette de les juger, et l'on n'écrit pas l'histoire de faits inachevés et dont les conséquences inattendues se placent en dehors de toute prévision humaine. Nous croyons cependant nécessaire, avant de conclure, de donner quelques indications qui l58 AUTOUR DEI/ARMÉXIE éclaireront la situation actuelle, au moment où la Turquie, refoulée de l'Afrique, sur le point de l'être de l'Europe, sera plus que jamais appelée à vivre en bonne intelligence avec ses sujets asiatiques. La proclamation de la liberté le 10/23 juillet 1908 à Monastir, et sa confirmation le 11/24 juillet à Constantinople vinrent bouleverser inopinément la situation. En un moment où tout ce qui datait de l'ancien régime était voué à l'ostracisme populaire, un groupe d'Arméniens, inspirés des vues et des idées des comités révolutionnaires, voulut également s'en prendre au patriarche, qui, tant bien que mal, avait eu le courage de défendre les intérêts de la communauté contre les fureurs hamidiennes. Le patriarche Ormanian n'hésita pas à se retirer, et il démissionna le 16/29 juillet, cinq jours après la proclamation de la liberté. La situation nouvelle qui devait en résulter pour les Arméniens doit être considérée, en quelques lignes seulement, au double point de vue de la communauté en elle-même, et dans ses relations avec lé nouveau régime ottoman. Le nombre est restreint des années qui se sont écoulées depuis l'ère nouvelle, et déjà plusieurs titulaires se sont succédé sur le trône patriarcal. Elisée Tourian, évéque de Smyrne, prit l'intérim après la démission d'Ormanian, EXTURQUIE LESARMÉNIENS lÔQ puis il laissa la place à Ismirlian, de retour de l'exil et unanimement fêlé comme une victime de l'ancien régime. Ismirlian, réélu patriarche le 22 octobre (4 novembre) 1908, prit possession de son siège le 31 octobre (13 novembre). Le jour suivant, il était élu catholicos d'Etchmiadzin, cl le °/22 février, il se retirait du patriarcat. Ohannès Archarouni, évoque de Brousse, appelé à l'intérim, le garda jusqu'au 5/18 juin 1909, date de la prise de possession du patriarche Tourian, élu le 22 mai (4 juin). Celui-ci se relira à son tour le 2/15 février 1911, après 20 mois de patriarcat, dont une bonne partie avait été passée en démissions et en absences provisoires. L'archevêque Vahram Mangouni fut ensuite appelé, le 23 février/8 mars 1911, à la tête des affaires comme patriarche intérimairei El il en fut ainsi jusqu'à ce jour, où nous enregistrons une série de nominations et de démissions des patriarches arméniens de Constantinople, tous actes provenant de la situation difficile qui était faite au chef de la communauté par les événements intérieurs et extérieurs. Le même spectacle nous est offert par les conseils religieux et civil qui, tour à tour, foncet gérèrent les tionnèrent, démissionnèrent affaires par intérim, en attendant un état de choses meilleur et définitif. Ce n'était certes pas l'effet que l'on aurait pu lOo DEï/ARMÉNIE AUTOUR attendre du nouveau régime de liberté, qui, en dotant le pays de la Constitution ottomane, autorisait la communauté arménienne à jouir sans contrainte de sa propre constitution. Celte Constitution, qui avait pu être gardée intacte pendant la longue période du régime lyranniquc, et en faveur de laquelle le patriarche Ormanian avait déployé tous ses efforts afin que son existence ne fût en rien atteinte, aurait dû, à cette heure, être l'ancre de salut de la communauté, et non point une raison d'envenimer les passions et de réduire la communauté à une situa' tion fort critique. A notre point de vue, — et ici que l'on nous — nous nous notre si erreur pardonne trompons, à notre point de vue, l'origine réelle de cette pénible situation réside dans l'altitude des membres des comités révolutionnaires qui, de tous les côtés, se donnèrent rendez-vous à accueillis et Favorablement Constantinople. frénétiquement fêtés durant les premiers jours de la proclamation de la liberté, comme des victimes de l'ancien régime et des facteurs du nouveau, ils se sentirent, pour un moment, flattés dans leur amour-propre et conçurent la velléité de faire main-basse sur tout ce qui datait d'avant la révolution, pour organiser à eux seuls un nouvel état de choses et un nouveau système d'administration nationale* * LESARMÉNIENS iGl ENTURQUIE De là, une source de difficultés et de conflits. Les comités étaient plus d'un, et leurs tenLes principaux, dances assez dissemblables. ceux dont les noms sont le plus connus chez nous sont : Hentchak (la clochette), Dachnaktzouthiun (Fédération), Vérakazmial (Le Réformé) (1) et Ramkavar (démocratique), et chacun de ces comités voulut être à la tête des affaires, ce qui ne pouvait produire que des dissensions. Les Dachnakistes furent les plus habiles à gagner une certaine prépondérance; de ce chef, ils provoquèrent i'animosité et l'hostilité des autres. En même temps, ils voulaient combattre et exclure l'élément dominant, qu'ils se plaisaient à dénommer bourgeoisie dans le sens péjoratif d'aristocratie. C'est l'élément paisible, conservateur et tant soit peu dise, qui n'aime pas les transformations brusques et les tendances poussées à l'extrême, mais qui renferme suffisamment d'expérience, de prudence et de moyens matériels, toutes qualités indispensables pour mener à bonne fin une entreprise. Ajoutez à cela le mouvement intellectuel, que les membres des comités, rentrés de leur émigration, avaient provoqué et qu'ils voulaient inculquer de force aux populations de la (I) Ou: le Reconstitué, iGa DE L'ARMÉNIE AUTOUR à peine réTurquie, aux paysans ignorants, veillés de leur longue torpeur. La doctrine les les Revendications ouvrières, socialiste, mouvements grévistes, la libre pensée, l'enseignement antireligieux, jusqu'aux principes du tout cela comcommunisme et de l'anarchisme, mençait à bouillonner dans les jeunes cerveaux des membres des comités, mais ne pouvait que troubler la situation, créer des difficultés administratives et fort médiocrement intéresser le lui le paysan arménien qui n'a pas derrière passé historique des populations européennes. Depuis que la liberté est proclamée, l'élément arménien qui a réellement contribué à ce succès, et qui avait tous les droits à en recueillir les fruits, non seulement n'en a nullement intéprofité, mais encore son organisation rieure n'est pas meilleure qu'auparavant, et ses affaires ne sont pas plus brillantes que par le passé. Nous arrivons à une dernière considération relative aux rapports de la communauté arménienne avec le nouveau régime. Peut-être celuici n'a-1-il pas vu d'un mauvais oeil le tour que les Arméniens venaient de donner à leurs affaires, à leur propre détriment. On a voulu attribuer une arriére-pensée au soutien que les Jeunes? LESARMÉNIENS ENTURQUIE lG3 Turcs ont donné aux comités dachnakistes (1), plutôt qu'aux autres comités, plutôt qu'au patriarcat môme, afin de coopérer et de prendre part d'une manière plus intime aux discussions et aux dissensions qui étaient nées de ce chef. C'est un bruit qui eut une certaine consistance, mais dont on ne saurait, à l'heure actuelle, établir le bien-fondé. se basant sur le Le nouveau gouvernement, grand principe de l'égalité, et considérant que tout privilège et toute immunité est incompatible avec l'égalité, veut établir comme point de départ l'abolition des immunités ecclésiastiques et des privilèges des patriarcats, comme un hommage à l'égalité constitutionnelle. Voyons en quoi peut consister cette égalité. Dans les pays où l'élément est homogène, et où la question religieuse se trouve placée hors de l'ingérence gouvernementale, on peut, dans une certaine mesure, se faire l'idée d'une égalité générale et idéale; tel serait le cas en Italie et en France, actuellement. Mais dans les pays où les races sont différentes et où les variétés religieuses contribuent à la formation de corps distincts, on ne saurait arrivera un état (I) Les Dichnakistesétaient, pendant ces dernierstemps, atec l:s Israélites,les seuls non-Musulmans nui ne se fussent pas séparés du ComitéUnionet Progrès.Cf. la lievuedu I. XXI,décembre1912,p. 211. MondeMusulman, it)^ DEL'ARMÉNIE AUTOUR normal qu'en fusionnant les différents éléments, ou bion en traitant les diverses parties sur un une est fusion La relative. hypod'égalité pied thèse difficile à réaliser; c'est bien plutôt une utopie L'Angleterre, qui passo pour être à l'avant-gardo des pays de liberté, n'a jamais pu fusionner los Irlandais, L'Autriche, le prototype des pays à races différentes, a dû multiplier ses diètos et ses ministères. La Turquie, où les différences des races sont ancréos et plus accentuées, plus solidement plus anciennes, et où elles sont doublées de différences religieuses poussées jusqu'au fanatisme, doit concevoir un système d'égalité qui lui soit spécial; elle no saurait en aucun cas copier l'Italie ou la Franco. Les Jeunes-Turcs ont des prétentions à être un régime de type européen, avec égalité civile ot égalité politique, la religion devant y être une affaire privée qui n'interviendrait pas dans les affaires publiques. Mais les principes de l'Islam sont exactement en contradiction avec ce postulat; et il faut do toute nécessité la notion des privilèges pour contre-balancer le droit de veto du cheikh-ulislam. Je m'expliquo : le gouvernement actuel de la Turquie a mis en avant le principe ù'ottomanisation générale, sans pouvoir préciser le sens LESARMÉNIENS |65 ENTURQUIE pratiquo do ce mot, ou l'étendue de l'action impliquée par ce vocablo. Co quo l'on conslato on réalité, à bien observer les hommes et les choses, c'est plutôt la turquification, puisque l'on so propose d'abolir le nom et l'individualité dos races et do consacror l'existence de la race turque musulmane (1), avec la simple tolôrance*pour les individus des autres croyances. Dans tous les projets de lois nouvelles, on considère à part le Turc musulman comme lo lypo de l'Ottoman et oh lui gat mlit toutes ses exitandis qu'on imposo aux gences religieuses, une laïcisation et aux israélitos chrétiens forcée. Dans le conseil des ministres, le cheikhul-islam, le pontifo des musulmans, a son siège et sa voix prépondérante, jusqu'à poii»oiroppo; ser son veto, toutes les fois qu'un projot loucherait aux lois musulmanes. Le respect do la loi sacrée do l'islam nommée ckériat est proclamé dans tous Us actes officiels et dans tous les discours du trône. Au Parlement ot au Sénat, les religieux musulmans en turbans sont (1) Cf. Panislamismeet Panturquisme,étude publiée récemment dans la Revuedu MondeMusulman(t. XXII,mars 1913, pp. 119-220}.La politique d'ottomanismeproprementdite, dont les protagonistesles plus célèbresont été 'AitPachaet MidbatPacha,faisaità chaque uatioualiléde l'Empirela part qui lui revenait; voir les Courantspolitiquesdans ta Turquie (llevuedu MondeMusulman,t. XXI,décembre contemporaine 1912,pp. 163169). ititî AUTOUR DEL'ARMÉNIE en prépondérance, et ils élèvent la voix tottlos les fois qu'ils croient voir une attaque lointaine à la Cher t'a t. Ou les principes religieux sont valables, et il faut qu'ils aient leur force pour les chrétiens et les Israélites; ou ils ne le sont pas, et ils no doivent pas plus être pris en considération pour les musulmans que pour les adeptes d'autres religions. C'est ici que le gouvernement actuel, fait fausse routo, quand il veut constitutionnel, respecter la cheriat et abolir les privilèges des patriarcats et des rabbinats. Les clauses et les usages, qu'on a pris l'habitude de dénommer des privilèges, ne sont pas, dans le sens strict du mol, des faveurs exceptionnelles qui puissent blesser le principe de l'égalité : ils sont des clauses de compensation pour sauvegarder, jusqu'à un certain point, la jouissance de l'égalité. Los patriarcats existants dans l'empire en général, et le patriarcat arménien en particulier, sont aujourd'hui en conflit avec le gouvernement sur les nouveaux projets de loi et sur les mesures administratives prises pour l'étatcivil, le mariage, l'instruction primaire, les institutions de bienfaisance, les successions, les testaments, les personnalités morales, et autres actuel points similaires, que le gouvernement LESARMÉNIENS ENTURQUIE 1G7 veut prendre sous sa juridiction, en éliminant l'action des patriarcats et des autorités ecclésiastiques subalternes. Dans le régime ancien, il y avait tyrannie politique complète, mais liberté religieuse et indépendance civile. Le nouveau régime inlro» duit une certaine liberté politiquo; ce ne sera pas un bénéfice pour les différentes nations, si elles y perdent l'indépendance qu'elles avaient par ailleurs. Des privilèges importants, accordés à chaque nation, seront la rançon nécessaire de ce changement, pour faire le pendant de la situation de la religion privilégiée particulièrement musulmane. La Turquie comporte des nations très diverses et, môme parmi les musulmans, des tentatives des résistances. La d'unification rencontrent crise actuelle, où se débat la Turquie, a commencé par une révolte des Albanais, et les Arabes sont trop fiers de leur passé pour se soumettre aux Turcs, dont ils jugent la culture inférieure. Les Grecs et les Arméniens soront encore beaucoup moins disposés à se laisser assimiler par les Turcs. Ce n'est pas en appliquant la centralisation des nations occidentales de l'Europe, mais en pratiquant un régime tout à fait original, où chaque nation pourrait garder une autonomie, lG8 DEh'ARHPMIv AUTOUR que les Turcs maintiendront leur empire. Et los Arméniens ne demanderont qu'à devenir et à pester les loyaux sujets d'un gouvernement tolérant et impartial (1). (t) Voirnotre articleArménieet Turquie,dam leSiècle,Q*du 15janvier 1913. AltMÉNIE ET TURQUIE(,) A cette heure qui semble devoir enfin être décisive, où les nombreux éléments ethniques qui constituent le colossal empire ottoman, du sud de l'Arabie aux rives de la mer Noiro, sont tous animés d'un véritable soufflo séparatiste, il ne sera pas inutile peut-être d'indiquer certaines précisions qui auraient pour but d'éviter un de ces conflits dangereux et pour ceux qui laissent opprimer et pour ceux qui sont opprimés. Ce n'est pas un discours dogmatique que l'on voudrait ici même livrer aux méditations, mais quelques consoils d'un ordre tout à fait un do préparer pratique, qui permettraient terrain d'entente, à l'issue de la guerre turcobalkanique. A considérer les Arméniens à travers les âges, on les voit toujours doués des mêmes qualités de travail, d'activité, d'ambition, do des affaires, d'intelligence compréhension diplomatique et militaire, qui les faisaient estimer et rechercher, en dehors de leur royaume, (1)Extraitdu journal le Siècle,n*du 15janvier1913. 10 AUTOUR HEL'ARMKNIE 170 aussi bion à Uyzancequ'à Dagdad ; plus tard, ils furent les plus précieux auxiliaires dos croisés; ils permirent à ces derniers do traverser l'AsieMineure sans avoir trop à souffrir des privations do tout genre qui les guettaient et des ennemis qui les harcelaient sans cesse. Mais, de si belles et de si précieuses qualités ne sautaient aller sans une contrepartie et les Arméniens ont eu beaucoup à souffrir, ils souffrertt encore beaucoup do certaines particularités do leur caractère, qui, par suite d'un individualisme poussé à l'excès, ne sont pas chez uno nation toujours opportunes,,surtout appelée à vivre sous le joug étranger; un entêtement que souvent rien ne justifie et qui devrait plus fréquemment céder le pas devant une saine compréhension des choses. De, plus, et c'est ici le côté le plus néfaste du tempérade Ilaïk, l'Arménien ment des descendants indiscipliné, apparaît comme essentiellement no voulant pas so plier aux besoins du moment, silence à son moi no sachant pas imposer lorsque l'intérêt commun l'exigerait impérieusement. Il est vrai d'ajouter que ces défauts, atténués et adoucis, ne manqueraient pas, avec un peu de bonne volonté, de se transformer en qualités. Lorsque l'Arménien veut bien se laisser discipliner, lorsqu'il consent à assurer sa collabo- ET TURQUIE ARMÉNIE 17! do tutelle, celto ration, voiro à tolérerunosorto collaboration mémo produit les plus beaux résultats. Lo voyageur qui visito do grands centres commo Hakou, Tillis, Erivan, Hatoum, est frappé do l'aisance, du bien-être qui régnent dans ces villes; c'est quo l'Arménien, essentiellement actif et industrieux, produit librement, sous lo conlrôlo de l'Etat et avec une vio régulière, son maximum do rendement. Il sait qu'uno fois les impôts payés, le surplus de la recette sera pour lui et il s'efforco do réaliser une fortune qui no lui sera pas enlevée arbitrairement. Presque toutes les maisons de commerce, presque toute l'industrie du naphte, dans les villes précitées, se trouvent concentrées en des mains arméniennes. Les Arméniens ont également un goût très prononcé pour l'instruction : leurs écoles primaires nationales sont très florissantes dans la région caucasique, et il suffit de mentionner l'Institut Nerscssian à Tifiis et l'Institut La/areff des langues orientales à Moscou, pour montrer en quelle estime ils tiennent le haut enseignement. En Turquie d'Asio, il n'en va pas encore de mémo, mais rien n'empêche d'entrevoir lo jour où lo gouvernement ottoman, favorisant et laissant s'épanouir librement l'élément arménien, en fera un des facteurs les plus actifs de sa 17» AUTOUR OEL'ARMÉNIE régénération. Un autre facteur entre ici en J«HÎ, c'est l'influence française. L'activité quo développe l'Alliance françaiso, dans ses nombreuses branches et ramifications, l'instruction et l'éducation que reçurent chez nous nombre de médecins, d'avocats, d'ingé* nieurs, de commerçants arméniens sortis de nos principales écoles, contribuent puissamment à répandre en Turquie, par lo canal arménien, la mentalité française. Qu'on nous permette un exemple. D'après la Revue commerciale du Levant, organe de la Chambre do commerce françaiso do Constantià nople, celle-ci a comme correspondants, à CasAngora, un Arménien, M,,Toumaïan; tamboul, un Arménien, M. Cavoukdjian ; à Diarbékir, un Arménien, M. Cassapian, qui est aussi drogman du vice-consulat de France; à Erzeroum, un Arménien, M. Elfasian, drogman du vice-consulat de France ; à Koniah, un Arménien, M. Chiknagour, à Mamouret-ul-Aziz, un correspondant, M. Aharonian, qui est Arménien et drogman du vice-consulat de France; à Maarménien, M. Kherrache, un correspondant lakian ; à Si vas, un Arménien, M. Ansourian, qui est drogman du vice-consulat do Franco; à Tokat, un Arménien, M. Derderian ; à Van, M. W. Sarabey, qui estj Arménien et drogman du vice-consulat de France, ET TURQUIE ARMÉNIE 173 Ces noms pris au hasard indiquent suffisamment quel rôlo les Arméniens jouent dans un rouago aussi important qu'une Chambre de commerce; et l'on ontrevoil l'intérêt tout particulier qu'a la France à s'occuper du sort des Arméniens en Turquie, à s'en faire une clientèle sûre et fidèloet à s'efforcer d'obtenir qu'ils no soient plus molestés comme par le passé. Un exemple typique nous revient en mémoire : malgré tous les efforts déjà faits, maigre les nombreuses faveurs accordées surtout sous . le r^ègno d'Abd-ul-IIamid, le commerce allemand n'a pas réussi à s'implanter en Anatolie; et lorsque des négociants allemands parvenaient ou parviennent à placer leurs produits, c'était aux conditions suivantes : les prix courants doivent être imprimé*- en français, les factures doivent être libellées en français; en un mot, le peuple anatoliote est tellement .attaché à la France que, pour avoir quelque chance d'accès auprès de lui, il faut lui présenter les choses en français. Il semble donc que France et Turquie aient un intérêt primordial, ne serait-ce qu'au seul point de vue commercial à protéger les Arméniens, sujets ottomans, qui sont lo principe actif du négoce sous toutes ses formes en AsieMineure. Dans les grands centres de commerco ana10. !>El/ARMÉNIE AUTOUR 17*• tolioles, mais do préférence dans ceux des régions maritimes, toul lo trafic se trouve enlro Jus mains dos Arméniens. A Adabazar, huit banquiers sur neuf sont Arméniens; les bois do construction sont aux Arméniens, ainsi que le commerce des céréalos, des confections, des cotons, de h droguerie, des vers'à soie, des pelUleries, des tanneries, des filatures do soio, etc., etc. Parmi les artisans, les chaudronniers sont Arméniens dans la proportion de 6 à 8, les ferblantiers dans celle de 3 à \, les horlogors dans celle do 4 à 5, les orfèvres dans celle de 2 à 3. Les médecins, les pharmaciens, les photographes, les confiseurs sont Arméniens. Si nous considérons une autre ville, plus en contact avec l'Occident, Adana en Cilicie, nous ferons les mêmes constatations : chez les banquiers, deux sur qualro sont Arméniens; les négociants en bas de coton sont Arméniens; les égréneurs do coton le sont dans la proportion de 4 à G}'les négociants en peaux, les fabricants de sacs et articles de jute, les propriétaires de soieries sont Arméniens dans la proportion do 5 à 5. Ce sont eux qui détiennent le commerce des denrées coloniales, du fer, des métaux, des fonderies, des machines et fournitures industrielles, de la sériciculture. Les médecins, les pharmaciens, les tailleurs sont presque tous Arméniens, ET TURQUIE ARMÉNIE 17a Esl:il nécessaire d'ajouter, après ces chiffres suffisamment éloquents par eux-mêmes, que l'intérêt bien entendu de la Turquie, au point do vue industriel, commerci.il ot surtout agriavec cole, est do vivre en bonne intelligence les Arméniens, de les favoriser, do les encourager autant que possible, et do chercher à fairo oublier par tous les moyens en leur pouvoir un passé qui doit être sans lendemain? Ce serait, en toul cas, de la bonne politique. Et que demandent, en éehango, les Arméniens? Pas grand'chose, à nos youx d'Occiden— taux; beaucoup, pour leur mentalité d'Asiatiques. Les Arméniens la sécurité de demandent d'une justice équitable, l'existence,l'application le respect de la propriété, do la famille et do leur culte; et, de grand coeur, lorsqu'ils auront obtenu ces desiderata, ils deviendront les meilleurs et les plus utiles collaborateurs des Turcs. Les Arméniens, en Turquie, n'ont aucune visée politique; ils ne cherchent nullement à constituer une principauté indépendante : ils sont, en Asie-Mineure, chez eux depuis plus do et ils ne demandentqu'à vingtsièclcs, y restée; ils n'émigrent qu'à leur corps défendant. Le paysan arménien n'est pas utopiste au point de désirer quitter ses champs do Van ou do Bitlis pour venir mener une Vie de fortune AUTOUR PE l/ARMÈNIE I76 dans la plaine d'Adana, si fertile soit-elle, Que son existence et celle de ses troupeaux soient assurées à Erzeroum, et il ne viendra pas s'installer de bon coeur à Tarso ou à Zéythoun. Le négociant qui fait de bonnes affaires à Samsoun n'a nulle envio de s'expatrier et de chercher fortuno ailleurs. Ce qu'il demando, ce qu'il espère, c'est de vivre une vie sauve là où sa destinée l'a placé. Il est- désirable, dans l'intérêt même de la Turquie, que les réformes ci-dessus mentionnées soient appliquées le plus promptement possible. Le Turc est assez fin et suffisamment diplomate pour comprendre ce qu'a de grave la situation actuelle. Qu'il prenne les devants, qu'il agisse par lui-même, s'il veut éviter qu'un voisin, sous un prétexte plus ou moins habile, ne vienne supplanter la Turquie. Que le gouvernement ottoman ait enfin la sagesse et l'opportunisme d'accorder de plein gré et sans les réformes qu'il a si longtemps arrière-pensée promises. Il fera faire.de la sorte, un grand pas à la civilisation dans l'Asie antérieure. Et il n'aura que des raisons de s'en louer. LES ORIGINES DU MOUVEMENT ARMÉNIENl,) I L'histoire, à l'heure présente, ost poussée par des forces si tumultueuses, l'ouragan que l'on redoutait se déchaîne avec une telle rage sur le monde, que l'on est contraint de noter en hâte quelques points, en attendant de connaître la vérité dans la plénitude de sa force lumineuse. Varandian, en écrivant le premier volume d'une oeuvre qui voulait établir les débuts et lo processus historique du mouvement arménien, pensait bien avoir le temps de parachever cette oeuvre avant qu'éclatât l'orage des qui devait enfin provoquer l'intervention grandes puissances combattant pour la liberté et l'affranchissement des peuples opprimés. (1)Miqavël\xnkxt>\\H,llaykakancharj'man nakhapalmouthiun (Lesoriginesdu mouvementarménieu),tome I, Genève,1912, ln-16,320p. — Extraitde Foi et Vie,les questionsdu temps présent, revuedé quinzaine.CahierB,n« 19. ^décembre 1915. AUTOUR DEL'ARMÉME 178 Les événements se sont précipités, et la collaboration" effective des peuples civilisés aux côlés des nations persécutées de l'Orient s'est produite avec une telle soudaineté que l'on no doit qu'enregistrer au passage les faits, quant à présent; l'histoire s'en écrira plus tard. C'est dire que si jamais le tome II des Origines du mouvement arménien paraît après la guerre, il ne seça pas, à coup J-ùr, ce qu'il aurait été s'il avait vu le jour avant le mois d'août 19Ki. Le tome I, que nous annonçons aujourd'hui, fait désormais partie du domaine du passé, il est entré dans la collection des ouvrages historiques qui ont provoqué l'intervention européenne contre le despotisme turco-germain; il est intéressant à lire, et nous tenons à en signaler l'esprit et la lettre au public auquel rien de ce qui est oriental et humain ne saurait demeurer étranger. ' :* #'* Poète autant qu'historien, patriote avant tout, Varandian a écrit quelques pages animées d'un tel amour de sa patrie que l'on voudrait pouvoir traduire l'ouvrage dans son intégralité. A défaut d'une telle publication, une analysedétaillée permettra de juger au moins l'importance des questions traitées. Le lecteur voudra bien reméd'un bref exposé que dier à l'insuffisance DUMOUVEMENT ARMÉMEV 17g LESOIUGINES n'anime pas le souffle patriotique de l'auteur, en lisant à travers nos lignes ce que l'écrivain arménien a mis de passion et de dévouement dans sa grande oeuvre. Vers la grande souffrance. — Une manière d'un accent lyrique très émoud'avant-propos vant et d'un slyle hautement philosophique se propose de pénétrer les arcanes de cette force, de cette énergie, de cette persévérance qui ont permis à la nation arménienne de vivre quand môme dans le tourbillon deslrucicur des invasions barbares, des conversions forcées, de l'extermination toujours poursuivie de celle race, en un mot dans les terreurs sans cesso accrues d'une tyrannie toujours grandissante, Comment ce peuple a-t-il pu se relever de ses martyres incessants, flotter perpétuellement et sans sombrer tout entier dans l'Océan infini de ses tortures et maintenir malgré tout le drapeau de sa nationalité, de sa civilisation, bien que modeste et précaire? Comment le peuple et paralysé, a-l-il pu se arménien, déchiqueté relever de ses tourments sans nombre et vivre, surtout pendant ces vingt dernières années, les affres d'une crise si terrible qu'elle semble surpasser même les plus effroyables conceptions de la « Divine comédie » du divin Dante? Ces considérations semblent acculer la pensée au paradoxe, et c'estpour/expliquer quelques l8o DÉ L'ARMEXIÈJ AUTOUR coins au moins de cet apparent Yarandian écrit. paradoxe que * l RELIGIEUX ANTAGONISME A. sur . Voici les bases solides et irréfragables lesquelles s'établit l'édifice historique de l'Arménie. Les guerres de religion, les guerres pour obtenir la liberté de conscience ont précédé, dans le monde occidental, les guerres qui ont assuré à leur suite les autres délivrances. L'humanité a, tout d'abord, brisé les liens qui entraet ce n'est vaient sa liberté de conscience, qu'après ce triomphe moral qu'elle a brisé les chaînes du despotisme politique, qu'elle a pu, enfin, aborder le plus grave et le plus inextricable des problèmes, celui de la liberté et de l'égalité économiques. Et la nation arménienne, cette petite nation perchée sur le haut plateau asiatique, n'a pas elle fait exception à la règle, en participant, aussi, à toutes les luttes de l'humanité auxquelles il vient d'être fait allusion; elle a lutté, DUMOUVEMENT ARMÉNIEN l8l LESORIGINES des siècles durant, au nom de sa foi et de son église, au nom de ses traditions sacrées. Sous la domination turque, la vie des Arméniens, surtout de ceux de l'Arménie turque, devient un véritable martyre. La preuve n'en est pas dans les seuls historiens arméniens; il y a aussi le témoignage d'illustres voyageurs européens, français et anglais pour la plupart, tels que Tavernier, Tournefort, Ricaut, Curzon, etc., et le texte de différents Rluc Book du Cabinet anglais, qui exposent et résument les relations officielles des consuls anglais en Arménie. Tous ces témoignages montrent, à l'évidence, la barbarie et le fanatisme religieux dont les Turcs font preuve à l'égard des Arméniens. Mais comment concilier la tolérance turque et, en général, musulmane, avec tous les crimes commis par les Turcs au nom de l'Islam sur leurs sujets, notamment sur les Arméniens, tolérance souvent signalée et mainte fois proclamée par quelques voyageurs et écrivains européens? Ce simulacre de tolérance islamique aurait son origine dans le fait que tous les éléments hétérogènes de l'Empire ont pu conserver chacun, au cours des siècles, sa couleur nationale el son culte, sa langue et sa croyance religieuse, et que ces éléments n'uni pas été fusionnés par les Turcs,alors que c'était cljosc aisée pour eux. n l8a " AUTOUR DE I.'ARMÉNIE Pour ceux qui connaissent les idées de derrière la tête des gouvernants musulmans, cette tolérance est apparente, fictive et motivée par d'ordre politique et éconodes considérations mique. En effet, dès, sa constitution, le système poliou de tique ottoman a, au lieu d'exterminer contraindre officiellement à l'Islam les peuples chrétiens soumis à sa domination, décidé de de chacun d'eux, de maintenir la,personnalité leurs traditions leur respectives, ménager langue, leurs religions distinctes, leurs particularités nationales; il a résolu de ménager ces éléments travailleurs et producteurs, — comme une sorte de vache à traire perpétuellement —, et ces éléments, grâce à leur esprit entreprenant, à leur capacité de travail, à leurs mulpour tiples aptitudes, étaient tout désignés faire prospérer le l'agriculture, développer et nourrir l'élément commerce et l'industrie, dominant. Celui-ci, à la vérité, se présentait plutôt comme un type réfractàiro à toute civilisation, familiarisé depuis des siècles avec i'art de la guerre, habitué au pillage, au meurtre, aux invasions dévaètatrices; qui n'avait pas encore su se dépouiller de la vie et des moeurs du nomade et du berger; qui ne s'était pas encore fait, malgré les siècles, à l'idée d'un état et LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMINIEN 183 d'un travail plus nobles, plus élevés et plus productifs; en un mot, le type par excellence du parasite, bien décidé à vivre aux dépens de ses sujets non musulmans. Vivre aux dépens des populations chrétiennes, les astreindre à la capitation, maintenir intacte leur entité raciale — quo ne redoudominant militaire — les tait pas l'élément réprimer, de temps à autre pour ne.pas leur «outre mesure », permettre un développement ne pas tolérer qu'en leur sein germent des ferments de révolte ou de mutinerie, si redoutables à la domination de l'Islam, — telle est l'arrièrc-penséo qu'abritait l'apparence de libéralisme tolérant du pouvoir turc. II, Souléiman, Osman, Mahomet Ahmed, Mahmoud, Abdul-Medjid, Abdul-Azizpnt, tous, dans une mesure déterminée, suivi cette politique; ils ont même, dans une certaine proportion, encouragé leurs sujets chrétiens, en accordant à leurs communautés respectives des prérogatives et des immunités, et en conférant aux membres de leurs clergés et à plusieurs de leurs notabilités des situations brillantes, honorifiques et rémunératrices. Varandian estime que ces faits ont certes leur côté utile; que la distinction religieuse, malgré ses défauts et ses méfaits, a contribué, dans une bonne mesure, à la conservation natio- DE'L'ARMÉNIE AUTOUR I8/I nalo de chacun au joug turc. des éléments chrétiens soumis II ANTAGONISME RELIGIEUX B. Varandian examine ici la religion islamique; il en marque, en connaisseur, les traits les plus saillants et les plus caractéristiques. Pour ceux qui ont quelque culture générale et, en particulier, pour ceux qui ont pratiqué la science comparée des religions, le Coran est et d'oracles positifs un mélange d'instructions et négatifs, de lumières et de ténèbres; c'est, en un mot, le livre par excellence des contradictions, surtout lorsqu'il s'agit des Infidèles, des giaours, pour employer le terme consacré. En effet, Mahomet ordonne expressément à ses adeptes de massacrer tous les Infidèles, sans pitié. Ce serait un ordre céleste. H réserve l'enfer aux Infidèles et le paradis aux Musulmans, aux vrais croyants. Mais, alors, comment expliquer certaines instructions de tolérance, en faveur des Infidèles, qui figurent dans l'étrange mélange de dualisme, de duplicité qu'est le Coran? Se réfé- DUMOUVEMENT ARMENIEN 185 LESORIGINES rant à l'autorité des principaux historiens et philologues européens qui ont pratiqué à fond l'islam, Varandian propose l'explication suivante : Tant que la domination de Mahomet n'était pas encore consolidée, le prophète affectait certains égards pour les peuples chrétiens, leur promettant qu'il ne les persécuterait pas et leur adressant la proclamation que voici : « O Infidèles, si vous n'adorez pas ce que j'adore, gardez pour vous votre religion, et moi, je garderai pour moi la mienne ». Mais, dès qu'il eut affermi sa situation et renforcé son pouvoir, il changea totalement et de ton et de tactique. Et c'est alors qu'il dicta les deux fameux chapitres du Coran, intitulé? « Epée » et « Guerre », dans lesquels il ordonne impitoyablement de couper la tête, d'assassiner, de réduire en esclavage chaque fois et partout où les Fidèles rencontreront des Infidèles. De ces principes coraniques, de ces préceptes absurdes et équivoques, il est aisé de déduire le traitement qui fut infligé aux non-musulmans, et surtout aux chrétiens, dans tous les temps et dans tous les lieux soumis à l'Islam. D'ailleurs, en quoi consiste le suprême commandement de la religion musulmane? N'est-ce pas en la foi et en la guerre sainte (djikad)? Et le fanatisme et le fatalisme ne sont-il pas les l86 DE L'ARMÉNIE AUTOUR deux puissants leviers de la doctrine do Mahomet? Ainsi, différence de religion, distinction entre seigneur et vassaux, antagonisme profond entre musulmans et raya (troupeau), tel est le principe directeur de la politique turque à l'égard des diverses races constitutives de l'Empire, aucun auxquelles les Turcs ne reconnaissent caractère de nationalité^ se contentant de les considérer comme des communautés. Et la nation chrétienne arménienne n'a pas échappé, et encore moins qu'aucune autre, à ce traitement des maîtres musulmans et barbares. 111 L\ RACEDOMINANTE. \ Varandian retrace ensuite la préhistoire, ou mieux la protohistoire de la race turque, surgissant des sleppes infinies de l'Asie centrale et envahissant l'Arménie dans sa course impétueuse. Il brosse un magnifique tableau de cette peuplade vagabonde et nomade, type du parasitisme social, guerrier, destructeur et pillard. Il décrit la marche en avant, dans les immenses plateaux de l'Asie, des hordes turques, forte- ARMÉNIEN 187 LESORIGINES DUMOUVEMENT ment exercées à la course de chevaux et à l'art de la guerre, habituées dès l'enfance à manier l'épée, l'arc et la lance, avides d'élans fougueux et d'aventures, d'incursions et de pillages, toutes audacieuses et téméraires, sobres et robustes, douées, en un mot, de toutes les qualités propres et indispensables aux races conquérantes. Au fur et à mesure qu'elles avançaient, elles s'emparaient de nouvelles terres et occupaient de nouvelles contrées, sous le commandement de chefs dont le prestige fut toujours très grand, comme dans les temps reculés et primitifs de l'humanité, surtout chez les peuplades errantes et nomades. Ainsi guidée, cette caravane immense se dirige par la voie du Turkeslan et de l'Iran vers l'Arménie et l'Anatolie. Et toutes ceé contrées se courbent l'une après l'autre devant ces forces fraîches, vigoureuses et guerrières; et l'on voit successivement sombrer, dans ces régions déjà anémiées et sensiblement épuisées, lo Khalifat arabe, la Perse jadis florissante et civilisée, l'empire de Byzance désagrégé par d'interminables luttes intestines. Les intrépides cavaliers turcs arrivent en piétinant tout dans leur marche triomphale; dès leurs premiers pas, ils trahissent l'empreinte fatale de leur caractère et de leur nature : ils dominent les races qu'ils jont domptées, sans l88 DE L'ARMÉNIE AUTOUR être à même de les gouverner; ils soumettent les Persans, civilisés, et qui leur sont supérieurs; mais ils se voient obligés de recourir au concours des vaincus pour rétablir l'ordre et la police dans les pays conquis. Cette vérité de toute leur constitue le trait caractéristique histoire': les Turcs n'ont jamais su, ils n'ont leurs sujets, nouer des jamais pu gouverner liens intimes avec eux; ils sont, au contraire, restés indéfiniment des étrangers dans les pays qu'ils ont occupés. Au cours de leurs mouvements progressifs, alors qu'elles allaient toujours de l'avant, une force nouvelle vint imprimer un essor et tun élan extraordinaires à ces hordes cnv; hissantes et conquérantes : elles embrassent l'islamisme. Et c'est alors que, suivant le mot célèbre de Lavisse, l'alliance des Turcs avec CIslam enfanta un monde. Un monde nouveau, en effet, naquit de l'alliance de deux puissants facteurs, la race et la religion, le Turc et l'Islam. Et c'était, dans l'état chaotique de l'Europe et de l'Asie d'alors, dans l'anarchie sans nom qui y régnait, une force nouvelle, torrible et imposante qui montait à l'horizon. Ces deux forcés, race et religion, étaient animées des mêmes appétits agressifs, du même désir d'opprimer et de dominer. Elles s'aidaient et se fortifiaient l'une l'autre. L'Islam passait DUMOUVEMENT LESOniGINES ARMÉNIEN l8y par une phase critique; il était sur le point de s'éteindre. Les races qui l'avaient subi, les Arabes les premiers, étaient politiquement épuisés. La nouvelle race vint rajeunir la religion vieillie, lui inspira un souffle et un esprit nouveaux, et fit de son credo la foi d'un Empire jeune, immense et puissant. I/lslam, à son tour, stimula encore le zèle dominateur des Turcs; il eut un chef nouveau, un guide terrible et vengeur en la personne d'Othman ou Osman, le père delà dynastie turque actuelle, le fondateur de l'Empire ottoman. El voici qu'en s'avançant progressivement, les Turcs parviennent jusqu'à Brousse; ils s'emparent de Byzance, occupent les Balkans et poussent jusqu'aux portes de Vienne. Ainsi s'établit le puissant Empire ottoman, dressant son front, d'un côté vers l'Asie, de l'autre vers l'Europe. Cet État ottoman est bien l'image de la race, a forme la plus parfaite et la plus concrète du despotisme asiatique, reposant uniquement sur la force des armes. Ainsi s'établit la monarchie absolue des sultans de Turquie, fondée sur le militarisme, ne possédant pas une classe de nobles et de feudataircs qui pût la contrebalancer, à l'instar de ce qui se passait dans les monarchies les plus absolues de l'Europe. Varandian arrive à cclto conclusion que, dans u. DEL'ARMÉNIE AUTOUH IQO cet Empire ottoman, il n'y avait que des esclaves et qu'il faudrait crier au miracle si l'on y rencontrait un seul individu épris de liberté; dans ce régime de tyrannie orientale, une seule perle sultan-khalife. sonne était libre;'c'était du pays, En outre, toutes les ressources toutes ses richesses étaient concentrées entre les mains du sultan; il héritait naturellement de tous les biens; il possédait tout. Il fallait avant tout ne pas permettre aux grands du pays et aux autres éléments de la population de so développer et de devenir puissants; il fallait prévenir tout esprit de révolte, toute velléité do rébellion. Un tel état de choses ne devait pas favoriser l'activité économique du pays. D'autre part, pour des raisons d'atavisme, les arts et les métiers, ne furent jamais le commerce et l'agriculture en faveur auprès des Turcs; ceux-ci détestent ces occupations, ainsi que les sciences et les lettres. Seul, le régime militaire est en honneur chez eux. Une des meilleures preuves en est que la langue turque est excessivement pauvre pour tout ce qui concerne les termes d'arts, de métiers, de sciences, etc. Suivant l'exemple de leurs ancêtres, les Turcs ils ne s'adonnent pas volontiers à l'agriculture; lui préfèrent le métier des armes, et le dolce far niente, qui en est la suite naturelle. Dans LESOIUGINES DU MOUVEMENT ARMÉNIEN 14)| toute l'étendue do l'Empire, la meilleure partie des terres est en friche; et ce sont les Arméniens, les Grecs et d'autres populations qui s'occupent de l'agriculture. D'origine tatare, les Turcs ont conservé jusqu'à présent les caractères de leur ancienne existence dans les steppes, caractères qu'un séjour de cinq siècles au contact do peuples civilisés n'a pas pu faire disparaître. La nature leur a accordé de l'intelligence, mais elle s'est refusée à leur donner du goût et des aptitudes pour les différentes branches de l'activité humaine. De l'aveu même des Européens qui ont étudié sur place le peuple turc, celui-ci n'est qu'un élément paresseux, indolent, armé seulement de qualités guerrières. Les Turcs ne sont ni commerçants avisés, ni cultivateurs capables; Us sont ou propriétaires d'immeubles ou fonctionnaires de l'État. En un mot, le Turc est un être humain qui consomme inutilement, négligemment et sans profit pour personne. Il vit aux dépens des éléments non-musulmans, avec lesquels il cohabite. On peut en dire autant de leur conception économique et de leurs aptitudes destructives. Dans tout système politique et social, leur manière de procéder a nom : arbitraire, pillage et ruine. iga C'est DÉ {.'ARMÉNIE AUTOUR ce système qui, joint à l'intolérance religieuse, provoqua, au xix* siècle, la série des des élélongues et sanglantes insurrections ments chrétiens» sujets de la Turquie. IV L'AnwÉNiE ET LES ARMÉNIENS Les considérations historico-philosophiquos dans lesquelles feraient s'engage Varandian conclure à une sorte d'antinomie dans l'évolution et la destinée du peuplo arménien. Malgré les persécutions sans nombre, malgré les nomà breux moyens de destruction employés fait preuve la nation arménienne l'anéantir, d'une vitalité extraordinaire, qui constitue un vrai paradoxe. Un peuple, numériquement inférieur, soumis à de fréquents torrents dévastateurs, vivant dans un pays où les conditions climatériques ne sont pas favorables à un grand développement, sans moyens de communications rapides et faciles avec l'Occident civilisé, un tel peuple, le peuple arménien, a su, au travers des siècles et malgré des conditions si défavorables, vivre, progresser, se développer et pousser ces bour- DUMOUVEMENT LESORIGINES ARMÉNIEN lo3 do geons de civilisation qui lui permettent prendre conscience de sa valeur, de son droit à une vie libre, et lui donnent imprescriptible moral et matél'espoir d'un affranchissement riel. Poursuivant l'énumôration de ces antinomies plus apparentes que réelles, Varandian ajoute que ce peuple arménien, bien que confiné dans l'horizon limité do l'Asie, fut de tout temps un partisan et un admirateur de la pensée européenne; il fut, il est encore un peuple d'asia" suivant l'expression do tiques européanisés, Victor Bôrard, un peuple qui, au prix do son a donné la preuve sang versé généreusement, indiscutable do son instinctif attachement à la dès avant les Croicivilisation européenne, x sades et jusqu'à aujourd'hui, Et cependant ce peuple, durant les périodes les plus sombres de son long martyrologe, dans l'enfer perpétuel que lui créait la cruauté musulmane, ce peuple n'a jamais joui, d'une façon complète et franche, du concours de l'Europe civilisée ; jamais il n'a obtenu de celle-ci cette assistance effective qui permet d'escompter un avenir meilleur au travers des affres du présent cruel ; et cela, malgré les plaintes maintes fois renouvelées, malgré les supplications les plus ardentes,... malgré, aussi, les promesses formelles émanant des chefs 'des cabinets euro* IÇ)T ' AUTOUR DE l/ARMÉME péens. Cet état do choses a duré depuis la mission patriotique d'Israël Ory on Europe jusqu'à la date do 1908. Quelle était donc la raison puissante de co rapprochement moral entre le peuple arménien et les États européens? Quel était le lien intime qui l'attachait si fortement à la pensée européenne? Varandian ne nie pas, sans doute, le rôle que le christianisme joua dans cette oeuvre de rapprochement intellectuel et moral, sans toutefois en exagérer la portée. Il observe, cependant, que ce peuple asiatique, humble et lointain, s'était européanisé par le fait que, dès les premiers siècles de son existence historique, il s'était enrôlé sous les plis du drapeau de la véritable civilisation, de celle qui crée et qui produit et que, malgré des voisins barbares et sauvages, .il avait cultivé toutes les branches de la civilisation : l'agriculture, le commerce, les arts, les divers métiers, les lettres, etc., surtout l'agriculture et le commerce, éléments premiers de toute civilisation. Et .Varandian trace un parallèle saisissant entre deux types bien distincts, celui des peuplades nomades et errantes, tels les Turcs et les Kurdes, et celui des cultivateurs tels les Armésédentaires, niens, ces paisibles e,t féconds laboureurs. La charrue et la caravane furent les deux puissants LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMÉNIEN l{)5 leviers de la civilisation arménienne, les deux traits caractéristiques de l'instinct opiniâtre, créateur et indomptable do la raco. Les Arméniens, do l'aveu même des historiens les plus autorisés et les plus anciens (Hérodote, Strabon), réalisent d'incossants prodans lo commerce grès dans l'agriculture, d'exportation et d'importation, dans l'art do la navigation, au point d'avoir su habilement tirer parti du Tigro et de l'Euphrate pour leurs transactions commerciales avec la Perse. D'ailleuis, par sa position géographique, placée sur la grande voie de communication entre l'Orient et l'Occident, l'Arménie fut toujours un centre très actif do transactions pour les produits provenant de l'Assyrie, do la Perse que l'on dirigeait sur l'Occident on passant par la mer Noire. C'est une des raisons pour lesentre d'intermédiaire quelles la dénomination l'Asie et l'Europe fut appliquée, à juste titre, à l'Arménie. Varandian poursuit le développement do son idée en relevant les qualités innées du peuple arménien, comme travailleur, comme commerçant, et surtout sa merveilleuse faculté d'adaptation. Cette dernière qualité valut aux Arméniens de pouvoir se développer malgré les obstacles qu'ils rencontraient partout et en que leur dépit de la haine, des persécutions DE L'ARMÉNIE AUTOUR — essor qui voisins leurs puissants inlligeaiont dès le xvii* siècle fut magnifique. Il était réservé à cette classe d'Arméniens et polyglottes, de commerçants, cosmopolites faire connaître à l'étranger les trésors que receDeux lait en .son sein le peuple arménien. — des hommes énergiques et entreprenants, surhommes, comme on dirait en Occident — surgirent au sein de cette race persécutée, et se firent une grande réputation en Europe à la fin du xvnd et au début du xvnr» siècle. L'un fut le pionnier de la renaissance intellectuelle; t l'autre, celui de la renaissance politique. Le premier alla planter dans les lagunes do l'Adriatique le drapeau des lettres, de la civilisation arméniennes, en faisant participer l'Europe aux bienfaits de la culture d'une nation antique et en l'affinant au contact d'une civilisation plus jeune. Le second alla frapper à la porte des cabinets informant que, là-bas, au pied et européens,les à l'entour de l'Ara rat, le peuple d'asiatiques européanisés, soumis au joug musulman, gémissait lamentablement sous ce despotisme, alors qu'il méritait au contraire de mener une existence plus humaine. 11partit pour faire connaître aux nations civilisées que la question arménienne était posée de [fait, dès le jour où ce petit peuple, ami de la civilisation, entouré do ICjO DUMOUVEMENT ARMÉNIEN I07 LESORIGINES hordes sanguinaires, avait embrassé lo christianisme, acceptant, du coup, toutes les conséquences de la civilisation occidentale. Le premier de ces pionniers était l'abbé Mekhilhar; le second, Israôl Ory. V ORIGINEDE I.\ QUESTIOND'ORIENT Premier essai d'indépendance Arméniens, tenté par les C'est une des pages les plus intéressantes de l'histoire que celle qui retrace l'évolution de cette Question d'Orient, d'où devait sortir et se développer la Question Arménienne. Après la par les Turcs, le prise de Constantinople monde chrétien et le monde musulman, la Croix et le Croissant restèrent à part l'un de l'autre, chacun se ramassant sur soi dans une sorte d'isolement majestueux, dédaigneux à l'égard de son 'ennemi religieux. L'abîme paraissait infranchissable, et l'antagonisme qui séparait les représentants des deux religions, en Orient comme en Occident, semblait devoir être aussi éternel qu'implacable. Les papes ne cessaient de prêcher de nouvelles croisades, exhortant à DE L'ARMÉNIE AUTOUR icfi refouler les hordes ottomanes, « cetto effroyable poussière vivante », suivant l'expression de Michelet, hors des territoires qu'elles avaient ' indûment conquis et à leur faire réintégrer leur pays d'origine, l'Asie centrale. Supplications vaines, exhortations inutiles! L'esprit chevaleresque du moyen-âge n'existait plus; l'enthousiasme et l'esprit de solidarité avaient à jamais déserté le coeur des rois et des puissants, et les masses populaires ne se sentaient plus appelées à renouveler la triste expérience des Croisades lointaines et désastreuses. , Par contre, le capitalisme avait fait son apparition dans le monde; le commerce, le négoce sous toutes ses formes commençaient à jouer un rôle prépondérant dans la vie des collectivités de l'Occident. L'Europe était devenue plus réaliste, plus a vériste », plus matérielle. Certes, la religion maintenait encore très haut son étendard; mais les plus grandes préoccupations étaient désormais d'ordre économique ; et les nécessités courantes delà vie poussèrent les dirigeants de l'Europe à trouver un compromis, à intenter un modus vivendi avec l'Infidèle. Ainsi l'Occident abandonna petit à petit son attitude d'adversaire juré et implacable du musulman; il combla les brèches et, le sourire ARMÉNIE* I99 DU MOUVEMENT LESORIGINES diplomatique aux lèvres, il s'approcha de l'orKhalife du 'Bosphore, gagna sos gueilleux faveurs, conclut avec lui des pactes, afin de pouvoir pousser librement son commerce, sos entreprises économiques dans les mers orientales. Ainsi naquirent les fameuses capitulations, qui devaient régler les relations de chaque Etat européen avec la Sublime Porto. L'Europe, divisée mais toujours hostile, ne se montrait pas trop exigeante vis-à-vis des ennemis du christianisme; son plus grand désir était d'assurer la sécurité et la liberté de son commerce levantin. Opiniâtre et résolue, ce but suelle poursuivit méthodiquement nouvellement éclos, prême du capitalisme sans toutefois perdre de vuo son autre désir, secret et inavoué, bien que réel : punir sévèles barbares rement, au moment*opportun, » et leur infidèles, les battre a copieusement infliger la plus énergique des proscriptions. Ici, Varandian présente, dans toute leur nudité répugnante, les procédés aussi barbares qu'humiliants avec lesquels le sultan recevait il relève, les ambassadeurs des Puissances; en outre, en parfaite connaissance de cause, les rivalités entre ces mêmes Puissances européennes qui avaient commencé à s'infiltrer auprès du maître de Constantinople. Néanmoins, tous les États européens ne se 200 AUTOUR DE LARMENIE soumettaient dédaigneux pas au traitement des Turcs; tous les ambassadeurs, chrétiens n'étaient pas reçus avec le mémo cérémonial ' dégradant. Une puissance put, de très bonne au Khalife en exigeant un heure, s'imposer traitement plus respectueux pour son représentant officiel, l'Etat chrétien limitrophe, la Russie. En effet, vers la fin du xv' siècle, sous ' Ivan III, cet Etat entra en relations avec le sultan et envoya une ambassade spéciale à (1499), sous les ordres de Constantinople Michail Plechtchôieff. Et l'étonnement/fut grand lorsquo co dernier, aussitôt débarxjué dans la capitale ottomane, déclara tout net - qu'il ne se soumettrait pas au cérémonial humiliant dont on usait, à la Porte, à l'égard des ambassadeurs étrangers, qu'il ne se prosternerait nullement devant le sultan, mais debout ; c'était Tordre qu'il lui parlerait Maître, le qu'il avait reçu de son auguste grand prince de Moscovie... et le sultan dut * céder. Telle fut l'entrée en scène de la Russie dans la formidable question d'Orient; et sous le geste fier et hardi de Plechtchéieff, on pouvait déjà entrevoir le tonnerre lointain, mais terrible, qui allait éclater du côté de l'ennemi et faisant trembler lé moscovite, ébranlant DUMOUVEMENT LESORIGINES ARMÉMEX 301 trôno majestueux dos Mahomet et des Souléiman. / Dès ce moment, lo despotisme turco-musulman pressentit tout le péril russe. Le padichah no redoutait guère les puissances européennes, divisées et rivales. Tout. autro apparaissait l'Etat moscovite, petit encore et à peine naissant, mais dont le souverain portait, entre autres titres, celui de « Prince de Bulgario », ol qui avait déjà manifesté un vif intérêt aux peuples, ses coreligionnaires, soumis au joug turc. Il cherchait, avec persévérance et opiniâtreté, à se rapprocher des raya chrétiens, à se les attacher el à s'assurer leur sympathie, à la fois raciale et religieuse. Cet état de choses dura jusqu'au règne de Pierre lo Grand, qui érigea en système poli» tique ce qui n'avait été jusqu'alors que velléités. Son programme politique fut d'étendre la domination russe dans toutes les directions, mais surtout vers le sud et vers l'est, au détrila ment des Etats musulmans limitrophes, Turquie et la Perse. Pour réaliser ce projet, la Russie résolut de s'appuyer sur les Slaves et sur les Grecs, contre la Turquie, tandis qu'elle s'appuyerait sur les Arméniens dans son effort contre la Perse. 203 DEL ARMENIE AUTOUR * •» L'ôro dos Croisades était passée. Et cependant, en Occident comme on Russio, des prc* avoués ou secrets, jets, des programmes, étaient .élaborés contre l'ennemi commun, le musulman; on.y discutait tantôt les moyens de pénétration pacifique, par des concessions — et des tantôt les économiques capitulations, futures, au prix de conquêtes territoriales luttes sanglantes. Un pareil état de choses ne pouvait rester sous le ignoré des peuples qui gémissaient joug de l'Islam; ils étaient, à juste titre, émus et encouragés par ces bruits menaçants qui venaient du nord et de l'ouest, et dans lesquels ils se plaisaient à voir l'aurore de jours nouveaux et libérateurs. Le peuple arménien, divisé entre deux Etats musulmans lyranniquos, la Perse et la Turquie, opprimé et asservi par l'un comme par l'autre, forcément condamné à la décadence morale et matérielle, manifesta, dès ce t^mpsdà, une disposition guerrière si forte qu'on n'en retrouve pas de pareille, durant deux siècles, avant les derniers mouvements d'émancipation au Caucase. Ce fut dans l'Arménie persane, dans l'héroïque Karabagh, que sd produisit la promicro ARMÉNIEN 3o3 DUMOUVEMENT LESORIGINES effervescence en faveur de la liberté. Co fut là quo l'élément avancé de la nation pressentit et s'em» les temps nouvoaux et libérateurs, pressa d'y entrer. L'initiative de ce mouvement arménion reviont à la noblosse révolutionnaire arménienne locale, les méliks ou princes arméniens du Karabagh. Ce réveil de la conscionco nationale aboutit à l'envoi, on Europe, vers la fin du xvii* siècle, Israël Ory, lui-mémo descende l'Arménien dant de cos méliks, pour aller solliciter l'aide et la protection des puissances; il partit comme d'un des principaux territoires mandataire arméniens révolté, décidé à frayer lui-même sa voie, fut-ce au prix do son sang, si l'indépendance de la patrio en était la conséquence certaine. à travers Après vingt ans de pérégrinations l'Europe, après des démarches pénibles et laborieuses occidenauprès des souverains taux, l'envoyé spécial des Arméniens réussit, grâce à la ténacité qui caractérise sa race, à gagner à sa cause, avec promesse formelle d'intervention armée, de grands personnages, tels que l'empereur Léopold et le tsar Pierre le Grand. Au moment où le plan, admirablement conçu, allait avoir un commencement d'exécution, de terribles événements, tels que la guerre russo- 30-T AUTOUR DE L'ARMÉNIE de guerre suédoise, et d'autres complications en Europe, vinrent en empêcher la réalisation. Et lo tsar promit de s'occuper de la question arménienne... après la conclusion de la paix. VI LA QUESTIONARMÉNIENNEET LE8 MOUVEMENTS ARMÉNIENSAU XV1I1*SIÈCLE ET DANSLA PREMIÈREMOITIÉDUXIX*. La Russie et les Arméniens , Varandian remémore les vieilles.batailles, les actes de vaillance et de dévouement qu'accomplirent, deux siècles auparavant, les héros arméniens dans les vallées profondes, de la Siounie (Suniq), dans les forêts impénétrables de Khatchen et de Varand. A la servitude séculaire avait succédé un réveil prqdigieux. Une grande partie de la patrie était devenue le théâtre d'expéditions héroïques, de luttes incessantes et sanglantes, et l'on citait les noms de David-Beg, du généralissime Mekhithar, de Bayindour, du prince Thoros, do Tér-Avétik, et de tant d'autres héros populaires, tel que Tuli-Arzouman et Dali-Mahrassa. La légende s'est emparée de LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMÉNIEN 20J ces noms; elle vole de bouche en bouche chez los peuplades héroïques du Karabagh et de la Siounio. Grâce à leur position naturelle très favorable, observe Varandian, grâco à leur osprit d'indépendance, grâco aussi au régime russe relativement doux, les peuplades arméniennes du Caucase s'habituèrent relativement vite et facilement à ces nouvelles exigences guerrières, tandis que les Arméniens de Turquie so vouèrent presque exclusivement à la littérature, à l'histoire nationale et à la philologie. Celte différence continua d'exister entro cos deux grandes fractions du peuple arménien ; elle semble même s'être accentuée au cours des dernières années. L'Arménie ottomane, tout en présentant de nombreux jlypes do héros, n'a presque jamais produit un mouvement dç révolte en masse, embrassant tout le pays ou une fraction importante de celui-ci, à l'instar de ce qui se passa dans l'Arménie caucasienne, en 1903, et surfout en 1905-1906. •a *- * Les longues révoltes arméniennes au Cau» 0 du xvui dans le courant case, siècle, sont intimement liées au programme de progression vers l'Orient conçu par la Russie; elles se 12 2o6 DEL'ARMENIE AUTOUR rattachent toutes à cette espérance enthousiaste qu'Arméniens du Caucase, Arméniens de Perse avaient mise dans le grand Etat libérateur chrétien du Nord. Varandian prouve qu'à cette époque, la Russie ne répondit pas aux. espérances du peuple arménien qui subit de ce chef une profonde déception, alors qu'il était en droit d'attendre mieux et plus comme réponse à son attitude loyale et aux services réels qu'il avait rendus à la Russie. Car, il ne faut pas l'oublier, le peuple arménien avait, dès le début, pris fait et cause pour le drapeau russe; il avait suivi, ~ ' au prix de sacrifices immenses, la marche de la vers cet Russie au-delà de la Transcaucasie, Orient inconnu et islamique; le peuple arménien fut, deux longs siècles durant, le pionnier du commerce, de la culture et de l'influence ' politique russes; ce peuple fit preuve, en toute circonstance, de la plus grande obéissance et de la fidélité la plus absolue à l'égard du trône moscovite. Lorsque, en 1722, la guerre russo-suédoise se termina par la victoire de la Russie, on rappela à Pierre le Grand sa promesse de marcher vers l'Orient pour sauver les chrétiens. Le tsar s'exécuta de bonne grâce, l'heure étant plus que propice :1a Perse était sur le point d'échapper aux Musses, par suite des visées LESORIGINES ARMENIEN 207 DUMOUVEMENT que les Afghans et les Ottomans avaient sur elle. Sur l'ordre du tsar, se forme une armée de plus de 50.000 hommes, composée d'Arméniens et de Géorgiens, en attendant l'arrivée des troupes russes pour commencer l'insurrection. Le commandant en chef était DavidBeg, assisté de deux généraux capables et valeureux, Mélik-Yégan et Avan-Uzbachi. Et voici qu'en cours de route, le tsar change d'idée; arrivé avec ses armées jusqu'à Derbend, il rebrousse chemin, et retourne à Aschemin trakhan, puis en Russie, s'emparant, faisant, d'une série de villes riveraines de la côte septentrionale de la mer Caspienne. Celte altitude étonne d'abord les Arméniens et les Géorgiens; mais, revenus de celle première surprise, ils décident de s'entre-aider et de lutter quand même. David-Beg se retire dans \& Siounie et fortifie ses positions pour se battre et résister. La situation devenait terrible, car les Ottomans s'étaient rués sur le territoire persan et étaient arrivés jusqu'au Karabagh. C'était un adversaire plus fort et plus redoutable quëles Persans déjà sensiblementaffaiblis. Les Arméniens, à leurs propres réduits moyens, font des prodiges de valeur. L'insurrection éclate simultanément, en 1722, dans le Karabagh et en Siounie. Les combats qui s'y livrent deviennent des luttes véritablement 2o8 DE L'ARMÉNIE AUTOUR épiques. Les exploits de David-Beg et de son état-major sont des faits d'armes admirables? et les batailles de Kafan et de Halilzor constitituent des actes d'héroïsme arménien que l'on peut sans crainte comparer aux plus épiques dans l'histoire de tous les âges. Les Arméniens étaient parvenus à dégager le pays de l'étreinte barbare qui menaçait de les Ottomans avec l'étouffer; ils massacrent un tel entrain et en si grand nombre que leur chef Sari-Moustafa Pacha réussit à grand'peine à se sauver et à se réfugier à Erivan. Et, fort de son prestige militaire et de son excellent état-major, le héros de Siounie, DayidBeg, maintient le pays, quatre ans durant, dans l'indépendance; répandant la terreur parmi les populations musulmanes avoisinantes. Après la mort de David-Beg et de son bras l'Arménie retomba droit, Mélik-Pharsadan, Elle fut plus que jamais dans la servitude. domptée par l'ennemi musulman, qu'il fût persan, tatar ou turc. A cette époque, comme pendant ces trente dernières années, la phalange des Arméniens luttant pour l'émancipation du pays avait mis son espoir dans une intervention extérieure. La foi en la Russie, malgré tous les déboires et toutes les déceptions, continuait à animer le courage des héros de Siounie, Les démarches ARMÉNIEN 20Q DUMOUVEMENT LESORIGINES des Arméniens se multipliaient auprès du tsar. Vains efforts 1 Celui-ci ne répondait plus; ses lèvres ne prononçaient plus 1' « attendez » de jadis. La préoccupalion de l'autocrate de toutes les Russies n'était plus l'autonomie des Arméniens... 11se proposait de les faire émigrer sur les rives nouvellement russifiées* de la mer Caspienne, où les Arméniens, commerçants et donneraient une forte impulsion travailleurs, et procureraient une grande prospérité à ces pays récemment acquis à la couronne de Russie. Et, au lieu de la liberté, les Arméniens eurent en partage l'émigration. Cette aventure ne tua pas, chez les Arméniens, l'espoir de la liberté. Trente-cinq ans après, l'avènement au trône de Catherine II raviva les espérances arméniennes. Car c'était toujours, chez les Arméniens, le môme optimisme' et à la cour impériale, la même attitude bienveillante. Les négociations, longues et laborieuses, leur cours un moment interrompu reprennent entre les méliks et le gouvernement russe. Les délégués de la nation arménienne s'engagent, vis-à-vis du tsar, à frayer la voie aux armées impériales, à fournir tous les ravitaillements nécessaires aux troupes russes et à joindre à ces dernières plusieurs bataillons de volontaires arméniens. La guerre est alors décidée 12. 2IO AUTOUR Ï)E L'ARMÉNIE pour l'été de 1784; les forces réunies des Arméniens et-des Russes devront rejeter les Perde sans et supprimer le Khanal (principauté) Chouchi. Tel était le programme élaboré par la Cour impériale russe. Et ce programme, une fois encore, n'est pas rempli. Les Russes ne viennent pas. Leurs préinterminables paratifs et leurs pourparlers avec les Arméniens ne servent qu'à exaspérer davantage le fanatisme et la soif de vengeance des bourreaux des Arméniens. f . En 1791, les doléances des Arméniens et des Géorgiens parviennent à nouveau à Pélrograd, au moment où l'un des derniers rejetons de Timour-Lang, dans ses incursions incessantes, menaçait d'envahir l'Ara rat arménien interet la Géorgie. Celte fois, l'impératrice vient. Les Russes arrivent et, sans coup férir, grâce au concours très actif des Arméniens, ils s'emparent de Derbend, de Ghouba, de Chamakhi, marphent sur Gantzag et pénètrent dans le Karabagh. Mais, une fois encore, la fortune L'impératrice conspire contre les Arméniens, meurt et les troupes russes reçoivent l'ordre de rentrer en Russie (1797), laissant les Arméniens à leur cruelle désillusion et à la merci de leur ennemi. Enfin, en 1805, grâce au concours de généraux et de volontaires la Russie arméniens, LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMÉNIEN :>I 1 occupe, sans effusion de sang, les forteresses de Gantzag et de Chouchi, et le drapeau russe flotle dès lors sur ces régions arméniennes, * * * A là suite des événements qui viennent d'être relatés, les Arméniens s'aperçurent qu'il avait été puéril et chimérique de leur part de compter sur l'autocrate chrétien. Varandian formule, à ce propos, quelques réflexions sur la politique russe, qui étaient peut-être vraies en 1912, qui ne le sont plus aujourd'hui. Il raconte du tsar que, non seulement le gouvernement ne restaura pas le mélikal arménien, mais qu'il porta le coup de grâce aux vestiges d'indépendance et d'autonomie qui avaient pu subsister en Arménie malgré le despotisme des tyrans orientaux. Cette attitude russe à l'égard des Arméniens ne devait du reste avoir rien de mystérieux ni d'énigmatique. Un des principes du système politique russe est celui de la monarchie absolue et homogène. 11ne pouvait donc pas y avoir non de place pour les éléments étrangers, russes, si avancés fussent-ils. Telle fut la ligne russe à l'égard de conduite du gouvernement des sollicitations arméniennes jusqu'à ces dernières années. Depuis lors, un revirement 212 DEL'ARMÉNIE AUTOUR heureux s'est produit dans les relations russoarméniennes. Et cependant, bien qu'au début la domination russe ne fût pas toute de douceur et de tolérance, les Arméniens se félicitèrent du changement de régime et ne regrettèrent pas d'avoir passé sous de nouveaux maîtres. Ils avaient tant souffert sous la tyrannie musulmane que les coups de knout leur semblaient presque des caresses au prix des tortures sans nom que leur avaient infligée? les Persans et les Turcs. Les Arméniens, au cours des siècles, avaient déjà tant souffert que le régime russe leur apparaissait comme une véritable libéra* : tion. Bien que la satisfaction relative que le peuple arménien éprouvait pour son maître russe ne fit qu'accroître ses sentiments de fidélité et de loyalisme pour son souverain chrétien, il semble cependant que les choses ne marchaient pas aussi vite qu'il eût pu le souhaiter. La date de 1826-1828 marque, en effet, l'une des phases les plus orageuses et les plus caractéristiques de l'histoire arménienne. L'Arménien de l'Ararat se soulève et combat aux côtés du soldat russe contre la tyrannie persane. Il massacre et il est massacré. Le catholicos Nersôs dlAchtarak, d'illustre mémoire, est l'âme de celte noble insurrection, Il DUMOUVEMENT LESOHIfîlNES ARMÉNIEN 21.3 préside en personne à l'appel arménien el à toutes les péripéties de la lutte. Il s'élance luimême sur le champ de balaiMe, tenant d'une main la croix, et de l'autre un drapeau. L'en thousiasme est général dans le Caucase arménien. La guerre nationale arménienne a électrisé tout le monde. La nation entière se soulève pour assurer le triomphe de la Russie sur le despotisme musulman. La guerre, après une série de batailles sanglantes où les Arméniens n'épargnèrent ni leur sang ni leurs biens, prend fin, assurant la victoire définitive de la Russie qui devint, du coup, maltresse des grands khanals (prinei pautés) d'Erivan et de Nakhilchévan. Et l'empe reur Nicolas I donna à ces nouvelles province russes le nom de « Arminskaya-Oblaça », c'est à-dire « pays des Arméniens ». La nouvelle de la collaboration et des imÉ menses sacrifices des Arméniens se répan» partout et parvient même jusqu'à la Cour imptriale. La personnalité du catholicos Nersè t nimbée de la double auréole de l'apôtre et d, héros, devient l'objet des plus chaleureuse attentions de la part du souverain russe, c môme temps, il est vrai, qu'elle excite la jalousi» el la suspicion de quelques envieux. Et voici qu'à titre de première faveur accordée aux Arméniens pour prix de leur précieuse ai4 AUTOUR DELARMÉNIE' participation à la guerre, le gouverneur général du Caucase propose à Nersès de constituer un corps permanent de 2.000 Arméniens destinés à surveiller et à garder les forteresses du pays conquis, pour que Jes soldats russes ne soient pas astreints à passer la chaude saison de l'été dans les plaines araratiennes. Un autre geste de la Russie d'alors, et qui ne fut pas à son honneur, est le traitement que les autorités caucasiennes infligèrent aux Arméniens réfugiés. Au nombre de 40.000, pendant le gros de l'hiver, ils avaient' suivi hors de Perse les troupes russes, quittant leurs terres cultivées, leurs foyers, leurs biens, meubles et 'mmeubles; ils s'étaient empressés de franchir l'Araxe, espérant trouver sur le territoire russe un accueil cordial et, du reste, mérité. 11n'en fut rien. Les autorités russes reçurent avec la plus froide indifférence ces malheureux, soumis aux plus grandes privations, souffrant de la faim et exposés aux humiliations les plus dures. Le gouvernement russe de cette époque ne comprit pas le parti qu'il pourrait tirer de ce peuple arménien, prêt encore à verser son sang s'il en était besoin, et qui ne demandait qu'à faire prospérerle commerce, les arts, à développer la culture du coton, le commerce du sel de Golb el d'autres entreprises d'utilité publique. DU MOUVEMENT LESORIGINES ARMÉNIEN 2lÔ Bien plus, on ne tarda pas à voir, dans certains milieux gouvernementaux russes, scdéve. lopper un engouement exagéré en faveur de l'élément musulman, au détriment de l'arménien. Et, la paix une fois rétablie, c'est à des du musulmans que l'on confia l'administration a Pays des Arméniens »; ces ««M, chargés d'organiser les villages arméniens, ne se firent aux populations chrépas faute d'appliquer tiennes leurs usages de féodalisme musulman, avec toutes les conséquences d'injustice qui s'ensuivaient. Les hautes personnalités arméniennes qui participaient au gouvernement de& affaires nationales ne tardèrent pas à être soupçonnées et accusées d'intriguer contre la Russie. Le gouverneur général du Caucase, Paskévitch, dirigeait en personne ces perfides machinations. Les premiers coups furent portés contre la personne du catholicos Nersès lui-même. Paskévitch n'eut de cesse qu'il n'eût renversé l'Arménien le plus éclairé, le plus autorisé, le plus digne, celui qui s'était dévoué à la cause de son malheureux peuple avec un patriotisme admirable et sublime. Peut-être le vieux pontife gênait-il beaucoup le gouverneur général, en lui rappelant, trop souvent au gré de ce dernier, les promesses qui avaient élé faites et qui n'avaient pas été tenues, les engagements que àlC AUTOUR DEL'ARMENIE le gouvernement russe avait pris à l'égard des Arméniens, et qu'il n'exécutait pas. Paskévitch réussit à faire « détrôner » Nersès et à le faire exiler en Bessarabie, en août 1828, à un moment où les exploits de ce Garibaldi en soutane étaient encore si vivants dans le coeur et dans la mémoire de,tous les Arméniens. VII LE MOUVEMENT DE RENAISSANCE CHEZLES ARMÉNIENSOCCIDENTAUX I A Période des Amira Mais Varandian laisse là les Arméniens de Russie et passe à ceux de Turquie. II fait ressortir, en un tableau d'un coloris très vivant, la grande différence qui sépare ces deux principales fractions du peuple arménien. Tandis que l'Arménie caucasienne, à partir de David-Beg jusqu'au pontificat de Nersès d'Achtarak, s'était accoutumée au fracas de la guerre et qu'elle allait de révolte en révolte pour obtenir la liberté si désirée, à l'autre extrémité de la mer Noire, l'Arménie turque dormait le profond et de l'abrutissesommeil de l'asservissement ARMÉNIEN 217 LÉSORIGINES DU MOUVEMENT c'était la torpeur, presque le silence du ment; sépulcre. dès 1830, un mouvement à Et cependant, peine esquissé commençait à prendre corps ; le semblait vouloir pouls de la vie arménienne revenir à ses anciennes pulsations, et ce renouau début ne tarda veau presque imperceptible pas à s'accélérer, à se fortifier, à prendre une telle consistance que le moment vint où les Arméniens de Turquie dépassèrent en hardiesse leurs compatriotes du Caucase. Il est vrai que les Arméniens de Russie, et à leur grâce à leur situation géographique assez aisément pouvaient passé historique, tenir tête à la domination de l'Islam ; mais la culture intellectuelle de la nation, l'étude de la langue, de l'histoire et de la littérature armé» niennes étaient, chez eux, moins avancées que chez leurs frères de Turquie; et la conscience nationale était, aussi, bien moins intense que chez les Arméniens soumis au joug ottoman. Ceux-ci, profilant de la facilité relative des tournantplus volonmoyens decommunication, tiers leurs regards vers l'Occident, avaient pris contact avec quelques grands foyers de la civilisation européenne; ils concentrèrent tous leurs efforts sur la renaissance intellectuelle de l'amour de la langue et la nation, rallumèrent de da littérature de leurs pères, et, ravivant 13 2l8 DE L'ARMÉNIE AUTOUR l'idée de patrie, devinrent les facteurs essende la nationalité (azkaytiels et indispensables nouthiun). Et ces deux fractions principales du monde arménien,- loin de se combattre en un antagonisme fatal, se complétèrent l'une l'autre, chacune se soumettant à la loi propre de son évolution. *. «» Au début du xix* siècle, malgré l'activité des d'ailleurs, scientifique, fort respectable Pères Mekhitharistes, en dépit des témoignages et des Joubert, le élogieux des Tournefort peuple arménien était à peine connu du monde européen, surtout en tant que corps de nation. L'Europe ne connaissait les Arméniens que par et les tenait, au dire d'un Constantinople, italien de l'époque, ecclésiastique pour une communauté de type juif, composée exclusivement de négociants çà et là, de dispersés de gains commerçants occupés uniquement matériels, composant une. nation proscrite et vagabonde, sans patrie et sans asile. La nation arménienne n'existait pas aux yeux du monde européen; pour celui-ci, l'Arménie tenait tout entière dans Constantinople, dans Smyrne et dans quelques autres villes cométait le cerveau, le merçantes. Constantinople ARMÉNIEN 210 DUMOUVEMENT LESORIGINES centre, le point de ralliement des Arméniens de Turquie; et ce point de vue a prédominé jusqu'à aujourd'hui. Quant à la province, elle ne comptait pas. C'était la grande silencieuse, obscure, sans vio et dont on ignore même l'existence. au contraire, débordait de Constantinople, vie, d'activité, d'ardeur au travail et de pensée. L'essor commercial s'y donnait libre carrière et l'élément arménien, de concert avec le grec, constituait le levier le plus important de toute l'activité qui se déployait dans celte grande Echelle levantine. En des hôtels particuliers et « le sel de la nation », la somptueux,'vivait classe des gros bonnets nationaux, la caste des Amira. Ces Amira étaient une épave, sans éclat arménienne. aucun, de l'antique aristocratie Ils étaient, avant tout, des financiers habiles et aux affaires. Très des banquiers rompus des pachas turcs, ils humides mandataires avaient eu l'habileté de réaliser d'immenses fortunes qui leur permettaient de jouer un rôle fort important, même au palais des sultans. Humbles serviteurs des grands seigneurs turcs, les Amira étaient d'une rare arrogance à l'égard de leurs coreligionnaires et jouaient aux tyranneaux dans les milieux arméniens. Le patriarche arménien de Constantinople était un jouet dans leurs mains; ils.pouvaient le choisir, le nom- aao AUTOUR DEL'ARMÉNIE mer, le détrôner comme bon leur semblait. Ils no se croyaient tenus à aucun égard vis-à-visdu peuple et des autres classes do la société arménienne ; lo peuple du reste ne comptait pas en ces jours sombres de despotisme oriental. Toutefois, malgré leur caractère insupportable et despotique, il se rencontra des Amira aux de leur des laissèrent traces passage qui affaires, qui prirent une part utile à l'oeuvre (h: D'aude la nation arménienne. régénération cuns fondèrent des écoles, des églises, des établissements publics; certains favorisèrent les le'ltres et l'instruction publique; d'autres enfin rendirent de signalés services à leurs compatriotes, grâce à la situation tout à fait exceptionnelle et à l'influence dont ils disposaient auprès du gouvernement turc. Du reste, en ce temps-là, les écoles et les autres établissements d'instruction constituaient uue nécessité économique; l'utilisation de la machine, nouvellement inventée et importée d'Europe, avait donné une impulsion bienfaisante et vigoureuse au commerce avec l'Orient proche; et l'Arménien était la cheville ouvrière, toute indiquée, dans ce genre nouveau de transactions. Il importait donc de répandre, avec la connaissance des langues européennes et turque, celle de la langue arménienne elle-même. i ARMÉNIEN 231 LESORIGINES DUMOUVEMENT la fondation do Il s'ensuivit naturellement nombreuses écoles, l'installation d'imprimeries, l'établissement de bibliothèques bien pourvues et la publication de livres, de quotidiens et de ne s'arrêta pas là. Les revues. L'enthousiasme pères envoyèrent leurs fils se former dans les universités d'Europe, afin de développer leurs et d'être plus connaissances professionnelles aptes à diriger, à leur retour, les affaires de la nation. Dans tous ces efforts, le sentiment patriotique jouait un rôle considérable. Les Amira n'étaient pas hommes à méconnaître quelle arriérée était la race dominànto par rapport à la culture générale des Arméniens; aussi le zèle patriotique des Amira était-il surtout stimulé par la pensôo de la décomposition-fatale qui guettait la Turquie. La classe instruite, habile et circonspecte des Arméniens ne pouvait pas ne pas être frappée par les progrès de cette nation au moment même où la domination musulmane, tant dans le monde turc que dans le persan, marchait à grands pas vers la ruine, à une époque où l'élément arménien du Caucase luttait héroïquement contre la tyrannie persane, sous la conduite du dans une période pontife Nersès d'Àchtarak; où de puissants États chrétiens du Nord et de l'Ouest adressaient des menaces et frappaient 292 DEL'ARMÉNIE AUTOUR des coups redoutables sur la tête de l'« homme malade »; à une époquo, enfin, où le Grec, par mâlos et énergiques, setsuite d'insurrections le joug du despolismo couait définitivement turc. Ce même souffle patriotique allait inspirer, à son tour, le clergé arménien. Ce clergé est représenté en première ligne par la congrégation de l'abbé Mekhilhar. Né en Europe, étendant ses ramifications dans les différentes parties de la patrie arménienne, le mouvement mekhithariste est venu, à son heure, secouer la torpeur du clergé arméno-grégorien; il exerça sur lui une profonde et bienfaisante à l'activité, l'incitant réaction, l'encourageant au réveil national. Le clergé arménien grégorien avait, durant des siècles, lutté contre les hordes barbares; il avait vécu et fait vivre son troupeau dans une résistance passive; il s'était efforcé de conserver toujours vivantes la langue et les lettres il s'était évertué à dissiper, dans arméniennes; la mesure du possible, les ténèbres épaisses et à détrujre à jamais l'état qui l'environnaient chaotique dans lequel croupissait la nation arménienne; mais, à la longue, ce clergé s'était anémié; il s'était épuisé sous lès coups destructeurs des barbares, il était moralement déchu, plongé dans un vil et répugnant matérialisme, LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMÉNIEN, 2a3 trop heureux de végéter dans lo marasme si cher aux égoïstes et aux épicuriens. Tout autre est le tableau que nous offrent la du clergé vie, la conduite et les aspirations mekhithariste. L'immortel abbé qui, en 1717, après mille péripéties, alla planter son drapeau dans la lagune vénitienne, ne s'était rendu en Europe qu'avec la ferme résolution de servir son peuple abandonné et souffrant. Et le drapeau de Saint-Lazare était éminemment national. Mekhithar avait fondé une association littéraire et religieuse. A côté des prières et des offices, une activité purement scientifique, un labeur incessant dans les études et les recherches des manuscrits, telle devait être la vie dans la solitude quiète et sereine du nouveau monastère. Par ses propres publications, par la traduction de presque tous les chefs-d'oeuvre de l'esprit humain, par l'édition de presque tous des les classiques arméniens, la congrégation Mekhitharistes a ressuscité dans les nouvelles générations arméniennes l'amour de la langue nationale, le goût de l'histoire et de la littérature des ancêtres, préparant de la sorte la régénération de la nation entière. En 1839, un événement politique de la plus haute importance vint donner une vigoureuse impulsion au mouvement arménien : la proclamation du Tanzimat octroyait enfin la liberté 33$ • AUTOLH I»El/AHMÊXlE aux difTérentes communautés sujettes de l'Empire turc. La Turquie, sur la pente de l'abîme, n'avait que ce moyen de salut : accorder la réforme. Caries populations chrétiennes se détachaient peu à peu de son organismo a demi mort; la désagrégation se faisait rapide, et le seul moyen de retenir encore ces différentes chrétientés dans la sphère d'influence turque était de proclamer la tolérance, d'établir l'égalité réelle entre le musulman et le chrétien. De la sorte, on pouvait espérer élever un rempart contre les invasions du dehors, invasions qui devenaient de plus en plus dangereuses pour la sécurité des sultans et de leur Empire. A ce moment critique de son histoire, la Turquie avait besoin d'un souverain de l'enverguro de Pierre le Grand, capable d'assumer la lourde tâche de rompre avec les traditions vieillottes qui arrêtaient tout essor vers le progrès, et de diriger l'État menacé vers la renaissance, vers la civilisation occidentale. Le sultan d'alors, Mahmoud II, résolut de deyenirce réformateur et ce libérateur. Animé d'un esprit libéral, il introduisit la Turquie dans la voie des réformes, par un geste terrible, il est vrai : le massacre des Janissaires, en 1826. Et cependant, Mahmoud II ne fut pas un Pierre le Grand. S'il reconnaissait excellemment la DUMOUVEMENT AHMKMEX 2l5 LESORIGINES supériorité de l'Europe, il ne saisissait pas le secret de cette supériorité. 11 voulait devenir européen, tout en restant Turc dans son essence mémo, souverain absolu et maître despotique do la destinée de ses sujets et do son Empire. D'ailleurs, l'Europe était plutôt sceptique à l'endroit de cette renaissance turque. Le massacre des Janissaires ne fut-il pas le premier et le dernier geste qu'entreprit le sultan Mahmoud dans un esprit de réforme? Il mourut avant d'avoir poussé plus avant dans la voie des améliorations qu'il espérait réaliser. Son fils, Abdul-Medjid, continua l'oeuvre de son père et proclama enfin, en 1839, le fameux Tanzimal, le grand Hatl-i-Chérif, annonçant que a les institutions nalionales devaient désormais garantir à nos sujets une sécurité parfaite de leur vie, de leur honneur et de leurs biens. 'Tous jouiront de ces privilèges, à quelque con» fession qu'ils appartiennent ». Le manifeste impérial, tel quel, était déjà, en soi, une révolution. Il renversait radicalement la doctrine traditionnelle de l'Islam, ébranlait le sacro-saint Chéri; (ou la Chérial) ce livre de lois pétrifiées en vertu duquel le chrétien est impur, constitue une race inférieure et ne peut pas jouir, conjointement avec un musulman, de droits et de privilèges égaux. Donc, dès sa conception, dès son élaboration U. «fi AIroui ns I.'ARMIMK la réforme était condamnée à l'avortonicnt. Et l'avenir se chargea de prouver combien étaient, chancelantes les bases de cet édifice réformateur que l'on voulait élever quand môme. Les idées d'égalité se brisèrent au contact du roc granitique do l'Islam. Toutefois, ces tentatives de réforme do la part du gouvernement laissèrent une impression heureuse sur les sujets chrétiens do la Turquie ; elles donnèrent quelques encouragements aux éléments conscients de ces populations, faisant naître chez eux l'espoir et le revo. Elles permirent surtout, aux Arméniens,de continuer la lutte des classes. La classe des Esnaf&e dressa énergiquement contre celle des Amira, qui avaient en quelque sorte monopolisé la gestion des affaires nationales arméniennes. C'était, sans vouloir pous. séria comparaison, le tiers-état qui apparaissaitpour la première fois dans l'arène, conscient 'de sa situation, de sa force et de ses droits, afin de secouer la surveillance et l'ingérence des Amira, et assumer à son tour la direction des aflaires nationales. Le clergé arménien qui, lui aussi, souffrait des vexations des « gros bonnets », lia partie avec les Esnaf et défendit la cause du peuple en soutenant le principe de la représentation popu' laire. i.r.s ORir.iNEsin- \ior\t.m.Nr UIWÊMKX 317 Le patriarche Mathéos, d'accord avec le peuple, mena la lutte et réussit à introduire dans le Conseil national 14 délégués des Esnaf contre 16 des Amira. Ces 14 délégués n'étaient pas élus, mais désignés seulement par le patriarche. C'était un commencement qui permettait d'espérer plus et mieux. Dès 1844, on voit se constituer au patriarcat deux grands Conseils nationaux, l'un religieux, et l'autre laïque, dont les 20 membres étaient fournis par la classe des Esnaf. Ce n'était pas le triomphe final et intégral du principe populaire, vu que les Amira pouvaient encore favoriser l'élection du candidat qui leur plaisait, grâce à l'influence et amx moyens de corruption dont ils disposaient. En 1848, un événement extraordinaire se produit. La classe des ' gros bonnets » n'avait pas pardoniyâ au patriarche Mathéos d'avoir introduit des Esnaf dan^ les Conseils nationaux. D'où intrigues et machinations contre le pasteur et ses ouailles. Le pair*;*rche, las de la lutte et dégoûté de ces intrigues* donne sa démission : c'est tout ce que dema,nd »:ent les Amira. Une surprise ne devait £is tarder à leur être réservée. Le peuple se soulève, le peuple arménien organise des démonel étions collectives. C'était en 1848. L'écho de 'a Révolution de février, ébranlant toute l'Europe, parvint-il aî8 I>EL'ARMKXIF. AUTOUR jusqu'aux rives placides du Bosphore? On ne saurait l'affirmer avec certitude. Mais, depuis des siècles, c'était la première fois que le peuple arménien de Turquie so livrait à un geste de révolte, d'un caractère collectif. La basilique arménienne de Koum-Kapou Le servit de théâtro à ces démonstrations. patriarche était présent, avec les membres des deux Conseils. U y avait là, frémissante, une foule immense, émue, enthousiaste, comme élcctrisée. Et dès que, du haut de la chaire, le patriarche eut lancé sa démission, des cris de colère, de véhémentes protestations s'élevèrent comme un long bruit de tonnerre, sommant le patriarche de retirer cette démission et de persévérer dans la lutte. A la fin, comme la décision du prélat était irrévocable, quelqu'un, parmi les manifestants, désigne au choix du peuple, comme successeur tout à fait digne de Mathéos, J'ex-patriarche Agop. Cette proposition est accueillie à l'unanimité, frénétiquement. Agop estéfu, et il suit, dans ses nouvelles fonctions, la ligne de conduite de son éminent pré. décesseur.v La situation Revient embarrassante pour les Amira. Us décident de céder devant cette première démonstration, si inopinée, du peuple. La voie était ouverte. La lutte bat son pleiq et aboutit à la o Constitution Nationale 9 de 1860. DUMOUVEMEXT ARMEXIR* 320, EESORIGINES Ces mots séduisants volent de bouche en bouche. Us signifient à la fois un symbole et un appel. Us provenaient de la patrie de la grande les immenses Révolution pour bouleverser « marais » asiatiques, pour préciser les tenLa« («ons» dance8duself-governmentarménien. titution » n'était encore qu'un principe, qu'un projet; son application devaitencore demandor de longues années. Tandis qu'en 1840, les mouvements dont il vient d'être question prenaient naissance dans une atmosphère toute imprégnée de liberté; alors que, là-bas, sur les bords orageux de la Seine, quelques intellectuels arméniens prenaient place sur les bancs de l'Université, ces mêmes aspirations à la liberté hantaient les cerveaux de tous les Arméniens. Et ces intellectuels, prêtant l'oreille aux événements grandioses qui se déroulaient en France, se faisaient écoliers à l'étranger, tout en songeant aux horizons lointains de leur patrie, pour acquérir des principes, pour concevoir un système de gouvernement et devenir à leur tour des meneurs d'hommes, en devenant les fondateurs de la Constitution nationale arménienne. Mais, quels étaient donc ces intellectuels arménien? ? a3o AITOIRDEI/ARMKME VIII CHEZ,LES DE RENAISSANCE LE MOUVEMENT ARMÉNIENSOCCIDENTAUX B Balian. Roussinian. Alichan. A partir de 1840, les étudiants arméniens arrivent nombreux dans les universités d'Europe. Très bien doués, avides de savoir, ils s'assimilent avec une rare facilité les produits de l'esprit occidental, pour aller ensuite les greffer sur le sol encore aride de leur patrie. Ces premières hirondelles de la Renaissance animées sont généralement arméno-turque elles d'idées radicales, de foi démocratique; sont éprises d'un égal amour pour la liberté et pour la patrie. Paris était le centre et le rendez-vous préféré de celte jeunesse désireuse de s'instruire. On Samuelmekhithariste « le avait établi collège y Mourat », et c'est à Paris que se réunit la pléiade de ces futurs directeurs spirituels de l'Arménie : Nicolas Balian, Kh. Bardizban, Kh. Missakian, Nahabed Roussinian, Grégoire Âgathon, LESORIGINE* DUMOUVEMENT ARMENIEN a3l Garabed Uludjian, Gabriel Ayva/.owski, Ambroiso Calfayan, Khorène Calfayan, Joseph Cbichmanian (Dzorentz), et d'autres encore. La période que l'on traversait était des plus importantes. Un souffle de révolte passait sur toute l'Europe occidentale, souffle précurseur qui devait aboutir àla Révolution de févrierl848. C'est dans une telle atmosphère que l'essaim des premiers universitaires arméniens venait butiner dans les jardins du savoir humain. Ces étudiants étaient les spectateurs involontaires et émerveillés du drame qui se jouait dans la Paris était le précepteur, Ville-Lumière. la source vivifiante à laquelle ils allaient puiser les principes directeurs de leur vie et de leur les action. C'est là qu'ils allaient acquérir maximes de la Révolution et apprendre à connaître et à pratiquer le culte de la patrie et du peuple. Involontairement, ces jeunes intelleurs regards vers lectuels d'élite reportaient l'Asie et se rappelaient l'épaisse brume de servitude qui obscurcissait encore leur patrie. Et tout en faisant leurs études, ils rêvaient à des projets de renaissance nationale, morale et intellectuelle; ils élaboraient aussi des plans de renouveau politique. C'est à Paris même que deux des plus illustres Arméniens, Nicolas tracèrent les Balian et Nahabed Roussinian, premières lignes de la Constitution de 1863. a3a I>EL'ARMÉME AUTOUR le plus grand, lo plus désinL'enthousiasme téressé exaltait ces jeunes coeurs et le Ministre des Affaires étrangères de la République Française, Lamartine lui môme, dans son discours du collège « Samuel-Mou rat » à d'inauguration Paris, donnait solennellement un témoignage de la maturité politique de la nation arménienne; lorsqu'il déterminait, dans les termes suivants, le rôle qu'elle était appelée à jouer : « La République française envisage la question de la de la Les germes orientale... régénération nationalité orientale, dont vous êtes l'un des _ en . plus puissants rameaux, se développent... France... L'étude de votre belle langue "armé- j nienno est utile aux Français et réciproquement », * » Après avoir esquissé, en termes généraux, les événements auxquels il vient d'être fait allusion,; Varandian retrace les traits caractéristiques {le quelques-uns de ces pionniers de l'oeuvre de revendication du peuple arménien de Turquie, tels que Nicolas Balian, le promoteur dô la Constitution nationale, Nahabed Roussinian, lé plus grand orateur dans les Conseils nationaux, Grégoire Agathon, etc. la période qui date de 1840, Reprenant Varandian s'occupe des conditions de la presse I-ESORIGINES DUMOUVEME-XT ARMEX1EX a33 arménienne à celte époque, Uconstato qu'ello avait peu à peu commencé à s'animer, à parler le langage qui convient à l'homme préoccupé de ses justes revendications. Le fouet du despotisme ne les menaçait pas encore; la presse arménienne, à la vérité, n'était pas libre, mais elle n'était pas prise non plus dans les griffes de la censure. De ce fait, les premiers journalistes arméniens osaient aborder, dans leurs modestes certaines publications, questions d'ordre national et public, adresser des enlancer des appels et donner couragements, des instructions. De temps à autre, les expressions de nation et de patrie apparaissaient; on osait en parler sur un ton ardent et élevé, peut-être en raison même de ce que cet état de choses serait éphémère et que la période des ténèbres et du silence forcé ne tarderait pas à refaire son apparition. La voix qui domina toutes les autres, l'appel le plus patriotique qui électrisaltous les coeurs, la lyre merveilleuse qui conquit les suffrages ce furent les poésies de la nation entière, vibrantes du jeune .cénobite de Venise, où l'écho de la révolution européenne était YCIHI agiter la quiétude de l'ilôt de Saint-Lazare. Le père Alichan, le plus sensible des poètes, inquiet, anxieux, prétait l'oreille aux bruits qui lui parvenaient du Nord et de l'Ouest,' Dans un DEl/ARMKME AUTOUR 23.'| élan sublime de poésie et de souffle belliqueux, il porte au loin ses regards ardents, vers soufl'Orient, vers sa patrie perpétuellement frante cl continuellement martyre; et dans des vers qui infusèrent à la nation une nouvelle et vigoureuse sève de patriotisme, et qui le firent « le bien-aimé Nahabed » (1) des surnommer Arméniens, il inspira à son peuple l'amour de la liberté, et le culte de la patrie. Aucun, peut-être, des poètes arméniens n'a décrit avec des accents aussi émouvants les ruines de son pays, ses gloires passées; et aucun, peut-être, n'a exalté avec plus de force, avec une verve plus pure et plus sincère, la Ses poésies gloire de la révolte arménienne. tant qu'il resteront éternellement admirées, restera, sur terre, un Arménien pour les comprendre. IX DE RENAISSANCE LE MOUVEMENT CHEZLES ' ARMÉNIENSOCCIDENTAUX C Khrimian et « Archive Vasbouragani » Chez les Arméniens de Turquie, la presse manquait do souffle. Imposante au dehors, elle (I) Oa Nahaptt,* patriarche », • chefde famille», « prince», fie. I I.ESORIGINES l»UMOUVEMEXT ARMEMEX 335 était superficielle au dedans; et cette médiocrité de la presse arménienne n'était pas la conséquence du régime d'alors, du manque de la liberté de penser et d'écrire; elle était imputable aux seuls journalistes. La vie du peuple arménien n'avait pas sa place dans la presse nationale, tant à Constanlinople qu'à Smyrne, Rien, ou presque rien de ce qui touchait à l'océan de douleurs dans les Arméniens des se débattaient lesquelles dans les colonnes de provinces n'apparaissait ces quotidiens. Cette presse débordait de discours pathétiques sur le patriotisme, d'articles émouvants sur le nationalisme. Mais il eût vraiment fallu la lanterne de Diogènc pour y découvrir des études sérieuses, des données raisonnables sur la vie du peuple et les souffrances qu'il endurait. Celte presse, terne et insipide, est même après restée identique à elle-même, nationale. l'avènement de la Constitution Aucun esprit scrutateur, désireux d'étudier et d'élucider les questions si obscures de l'histoire, de, la psychologie de ce peuple, ne se fit jour. Et cette lacune était surtout visible chez les intellectuels arméniens de Conslantinople euroqui avaient passé par les universités munis de nombreux et étaient péennes diplômes. 236 AUTOUR DEL'ARMÉ.XIE On notait bien, au passage, un Zorayan, un Missakian, un A. Osgan, qui, s'occupant de dés articles moderne, critique publiaient sérieux sur l'économie politique, la civilisation l'évolution de la pensée libre; universelle, c'étaient, au demeurant, des travaux abstraits et àcadémiqifes, incapables de réchauffer la vie intellectuelle du peuple arménien, incapables surtout de fournir à la jeunesse scolaire la nourriture spirituelle dont elle était si avide. Toutefois, dès que l'on approche du grand mouvement de 1860, on constate que la presse de la mentalité s'anime, que le radicalisme arménienne, tant dans les questions politiques que sociales et religieuses, a fait plus de progrès qu'on ne serait tenté de le croire au premier abord. Il importe de relever ici que le radicalisme déreligieux était modéré et complètement pourvu de cet athéisme qui, à l'époque, battait son plein en Europe, grâce aux théories et aux systèmes des Focht, des Buchner, des Darwin. Cependant ce libéralisme modéré en matière de religion et professé par la jeunesse arménienne instruite avait soulevé des tempêtes au sein du clergé et dans la masse ignorante de la nation. Les libéraux étaient persécutés comme dus areligieuXf d'où deux camps bien distincts ; DUMOUVEMÊXT LÉSORIGINES ARMEXIEX 2^7 celui des éclairés et celui des rétrogrades. La lutte devenait de plus en plus âpre dans les deux camps. L'un, la minorité avancée, tout en pratiquant le culte de la nature et celui de la Patrie, s'était résolument mis à se conformer aux exigences de la science et du temps, à briser avec la routine et l'esprit de traditionalisme et de superstition. L'autre, la majorité tendait à maintenir intacts les conservatrice, et à conprivilèges des classes dominantes, server l'hégémonie de la religion et du clergé. La lutte des partis ne tarda pas à dégénérer en trahisons et en calomnies insidieuses. Les ennemis de la lumière répandirent de faux bruits dans le genre de ceux-ci : la jeunesse est non seulement athée, libérale arménienne mais déloyale; elle ne mérite aucune confiance elle n'a d'autres visées en matière politique; que la restauration du royaume d'Arménie. Les jeunes gens, ainsi attaqués, se défendes explications et menadirent, demandèrent cèrent de livrer au régime de la terreur les traîtres qui osaient ainsi les bafouer. Car l'antique fléau de la trahison, écrit Varandian, se redressait devant les pionniers de la régénération nationale. De lâches éléments agissaient ils voulaient, par tlans l'ombre, traîtreusement; de vils moyens, ravaler la Constitution nationale à peine éclose, en la taxant de foyer a38 DE L'ARMÉMB AUTOUR d'athéisme, de démocratique et de révolutionnaire. Foyer révolutionnaire, une institution qui n'était pas encore organisée et dont l'unique but était de réformer les écoles, les hôpitaux, les couvents 1 Les ennemis intérieurs de la Nation poussèrent l'infamie jusqu'à ses dernières limites. Se répandant dans le monde officiel et dans certains milieux turcs, ils ne se firent aucun scrupule de s'ériger en véritables agents de provocation, d'inventer des nouvelles calomniatrices et sensationnelles au sujet de préparatifs militaires et insurrectionnels des Arméniens. Ils choisissaient précisément le moment où la crainte d'un massacre général menaçait plus que jamais le peuple arménien. Seule, l'intervention énergique du patriarche auprès de la Sublime Porte mit fin à ce courant malveillantes et perfides. Le d'insinuations des Armésultan, comprenant la susceptibilité niens, manifesta sa confiance dans l'élément arménien de Turquie, en proclamant la fidélité séculaire de ce petit peuple,envers le trône et ottomans. Et le patriarche, le gouvernement dans une Lettre pastorale, fit part à la nation de en ordonnant des cet heureux événement, prières pour la conservation des précieux jours de Sa Majesté. C'est qu'en effet les' bruits relatifs à un péril DUMOUVEMENT ARMENIE* a3g LESORIGINES de révolte arménienne étaient sans fondement aucun. La fidélité, le caractère paisible de l'élément arménien à l'égard du souverain et des incontestables dans toute autorités étaient l'Arménie turque. Au "moment où le groupe des populations balkaniques était animé de l'esprit de liberté le plus authentique, et d'insurrection alors que quelques-unes étaient déjà libérées, tandis que d'autres préparaient leur émancipation; à l'heure où les coups tombaient dru sur » l'homme malade » et où, malgré l'optimisme éphémère résultant de la guerre de Crimée, le a malade » était condamné à subir un démembrement fatal et graduel, à celte heure les Arméniens de Turquie, représentés par les éléments influents de la communauté de Constantinople, faisaient dire des prières pour le Souverain, Jui faisant parvenir des adresses de fidélité, reconnaissant hautement la sollicitude paternelle du gouvernement à leur égard et la du peuple arménien en situation heureuse Turquie. Quanta la presse de Constantinople, qui ne cessait de tisser des louanges à l'adresse du sultan, elle faisait preuve d'un mutisme absolu au sujet des tortures inouïes que subissaient les Arméniens des provinces. Les journaux arméniens semblaient entièremen ignorer 2/|0 l'Arménie AUTOUR DÉI/ARMÉNIÉ et son peuple, se contentant d'appels d'un style acapatriotiques, de considérations démique, sec et sans charme, et de discussions interminables au sujet du caractère apostolique de la sainte Eglise d'Arménie. * * fière et altière, Seule, une voix résonnait, dans ce silence timide et volontaire; elle résonnait avec toute la conscience de la dignité sans s'insinuer, sans flatter, sans humaine, du c grand cacher les plaies ensanglantées muet qu'est le peuple », de l'exécrable enfer des souffrances arméniennes, enfer pavé de sang et d'ignominio. Cette voix s'élevait du Vasbouragan (1), des hauteurs du Varak (2), où était allé percher l'aigle, et d'où il lançait ses cris aigus vers les horizons brumeux du pays arménien, pleurant avec son peuple, vivant ses tortures et partageant son martyre, faisant connaître les plaintes de ce peuple., contre les forces désespérées aveugles de la barbarie. C'était Khrimian, la noble conscience, l'inter(1)Ou Yaspourakan,nomanciende la régionde Van. (2)Célèbre couvent fondé sur le mont du mêmenom, et cher«mêmes arméniennespartes traditionsreligieuses;situé au «u-l-estdu Van. ARMENIEN -j. t LESORIGINES DUMOUVEMENT • voeux endeuillés di des des douleurs et prête peuple arménien d'alors. « L'aigle du Vasbouragano(l) apparaissait comme un phénomène dans l'horizon révolutionnaire extrêmement arménien. C'était le seul organe dé la patrie, qui, tout en pleurant les ruines, adressait à la nouvelle génération des appels de lutte et de révolte. Les pleurs et les plaintes ne formaient de s'élevant qu'un môme cri de douleur, l'obscure imprimerie de Varak, parvenant au loin, à Constantinople, au Caucase, en Perse, racontant les souffrances du peuple, apportant partout le parfum des monts et des vallons de la patrie, remplissant les coeurs de l'enthousiasme le plus patriotique, le plus pur, le plus chaleureux. Khrimian était un autre Alichan, établi sur le sol môme de la patrie, au sein de sa propre race, en contact immédiat et journalier avec le formidable drame qui se déroulait, en communion directe avec les plaintes douloureuses qui émanaient des milliers d'âmes environnantes. Khrimian était un autre Alichan, peut-être moins poète que le chantre d'Avarayr, mais plus original et plus profond, doué d'une mentalité plus forte et d'une verve plus vigoureuse, un maître (I) l,o journal fondé el publié à Varak par MgrKhrimian », « l'aigleâj Vasbou* portaitle nomd*» ArdzireVasbouragani ragan ». U 2^2 DEL*ARMENIE 4UT0UR à la fois de la plume et de la parole, en un mot un écrivain, un orateur el un conducteur. C'était un maître, de naissance, original, singulier, ne possédant pas une instruction normale et complète, mais surprenant son interlocuteur par sa parole instructive- et sa sagesse profonde. C'était un métal brut qui rendait un son merveilleux, le type véritable de l'apôtre dont le regard sublime reflétait les immenses douleurs de son peuple, dont le visage simple et titanique personnifiait les hautes montagnes de l'Arménie, ses horizons immenses, ainsi que ses eaux claires et limpides. Khrimian fut le premier abbé qui devint publiciste et prononça des harangues. Il fut le premier religieux qui renonça à la vie stérile du couvent et s'adonna, de toutes les forces de son être, au peuple des travailleurs. La démocratie n'a, sans aucun doule, pas eu de représentant plus illustre et plus pur, de pionnier plus puissant et plus convaincu que cet abbé « égaré ». Les livres de prières furent exclus de ses préocles chaires des églises cupations journalières; retentissaient de ses sermons patriotiques, chaleureux et encourageants, évoquant les noms vénérés et légendaires d'Aram et de Haïg. De ces mêmes tribunes sacrées, le Docteur, épris de liberté, lançait, en même temps que ses prières, ses foudres contré les usuriers, les LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMÉNIEN 2/|3 et toutes les prévaricateurs ecclésiastiques classes du peuple ouvrier. De ces mêmes tribunes, il cinglait de son verbe mordant la dissimulation, faisant, par contre, l'ignorance; l'apologie de l'élude, de la civilisation, de l'école populaire, de la science, du progrès sous toutes ses formes. Ce type rare et admirable d'autodidacte eut très vite rempli son arsenal intellectuel. Il fit les progrès les plus rapides, grâce à son extraordinaire faculté d'observation et de compréhension, grâce surtout à ses longues et lointaines en Turquie, au Caucase, en pérégrinations Perse. Partout et toujours, il observait attentivement et étudiait minutieusement la vie arménienne, et les antiques ruines de la patrie. Partout il rallumait le feu patriotique par ses sermons entraînants, par son langage simple et biblique. Il relevait les courages abattus, les coeurs accablés, invitant tout le monde'à l'action, à l'oeuvre inlassable de la reconstitution de la Patrie. Sa plume ne fut pas moins forte que son verbe. Que de puissance, que de beauté, que de flamme dans ces appels, dans ces pleurs, dans et suppliants, dans ces ces cris désespérés mâles et belliç énergiques, encouragements queux qui abondent dans les écrits de Khrilieramian, à dater dosa première publication^ AUTOUR DEL'ARMÉNIE virag Araratian », où la lyre du poète commence à chanter, jusqu'aux pages sublimes de 1*« Ardzive Vasbouragani», dans lequel il expose, aux yeux du lecteur, l'immense Arménie avec ses spectacles les plus grandioses et les plus touchants, avec ses ruines tristes et glorieuses, avec l'ombre encore parlante des Mesrob, des Varlan et des Sahag... Et. le lecteur émerveillé, au milieu de cette entrevoit, galerie immense jnais délaissée, dressé sur les ruines, le géant, — le patriote pleurant, exhortant, encourageant sans cesse, appelant les enfants errants de l'Arménie :~ « Vers la patrie! Vers la patrieI Réveillez vous,' fils de Haïg, réveillez-vous! Car le soleil de la civilisation a point à l'horizon des cieux, il n'y a plus de despotisme barbare! » Quel spectacle ravissant que celui de ce soleil levant I Khrimian avait pressenti déjà son rayonnement libérateur. Aussi, ne se contcnte-t-il » de, plus, dans 1' « Ardzive Vasbouragani simples mélodies plaintives, de lamentations inutiles et démoralisantes; il sait y faire vibrer l'accent de la révolte; il sait y prêcher la résistance en vue de la liberté. Ses hautes qualités morales et intellectuelles, son patriotisme des plus ardents et des plus sincères, ses efforts inlassablement tendus vers la libération rie son peuple valurent à Khrimian l(\\ LESORIGINES DU MOUVEMENT ARMÉNIEN 2/|5 le titre de'premier révolutionnaire des Arméniens de Turquie. Varandian ramène son lecteur, à Varak, ce nid de YAigle du Vasbouragan : L' « Ardzivc Vasbouragani » a sa place d'honneur dans la presse arménienne comme dans l'histoire de la renaissance nationale. Il fait partic de l'existence volcanique de Khrimian; il constitue le superbe monument de son immense et si féconde activité. Un groupe d'élèves de l'internat fondé par Khrimian à Varak collaboraient à son périodique. C'étaient les aiglons intellectuels qu'il avait amenés des quatre coins de l'Arménie; ils sous le souffle vivilivivaient et grandissaient cateur du maître adoré; ils s'instruisaient, s'ennoblissaient dans son atmosphère pure, idéale, en sa compagnie charmante et captivante. C'étaienl'Servantzdianlz.Tokhmakliian,d'autres encore, tous futurs conducteurs du peuple arécrivains. ménien, instituteurs, prédicateurs, Et Raffi lui-même, l'éminenl romancier national arménien, le plus fort inspirateur, le plus grand promoteur des récenl3 mouvements arméniens, apportait, quoique encore débutant, sa collaboration à P « Ardzive Vasbouragani », durant son court séjour à Varak. Ces patriotes convaincus constataient personnellement, sur place, en pleine Arménie turque, 2^6 DEL'ARMÉNIE AUTOUR les horreurs du régime ottoman; ils assistaient au drame le plus effrayant et le plus monstrueux; ils voyaient, de leurs yeux,'la torture la plus cruelle et la plus satanique appliquée à ce petit peuple de quelques millions d'âmes. Les affres de cet enfer s'intensifiaient d'année en année, par l'incursion des Circassienset d'autres réfugiés musulmans, par le contre-coup des mouvements libérateurs des Balkans, par l'épuisement progressif de la Turquie amenant à sa suite l'augmentation effrénée des impôts. En présence des malheurs séculaires et sans cesse croissants de la patrie, l'Aigle du Vasbouragan et ses aiglons frappaient énergiquement à la porte de là déesse Liberté, voulant à tout prix, d'un effort héroïque, jeter à bas l'hydre du despotisme. Et c'était la Muse de Khrimian qui, éplorée, inconsolable, mais fière et intrépide, était venue se fixer dans la patrie même pour proclamer une idée sublime sur ces hauteurs endeuillées: l'idéede l'insurrection arménienne, qui. devait désormais grandir, se développer 'sous la double poussée de progressivement l'esprit subjectif et de la réalité objective, et qui s'en irait gagner peu à peu les coeurs et enflammer les esprits. La lutte héroïque, lugubre, singulière, devait éclater en un temps confus et sous un ciel oraéclatât, selon l'exgeux. Mais il fallait'qu'elle LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMENIEN 2/17 pression prophétique de l'Aigle du Vasbouragan, pour régénérer un peuple insulté et foulé aux pieds; il fallait qu'elle éclatât, pour essuyer de son front la honte de la servitude et faire pousser à nouveau les nobles rejetons d'une Nouvelle Arménie, sur le sol trempé de larmes et de sang de l'ancienne... * * * C'est sur cette envolée patriotique et lyrique que Miqayêl Varandian termine la première partie de son histoire. Son oeuvre se distingue par une documentation riche et variée, par le ton correct et modéré des critiques, par les considérations historiques et philosophiques de bon aloi qui l'émaillent en maints endroits. de l'auteur ne l'empêche pas L'impartialité d'être un ardent patriote, son esprit poétique ne l'égaré pas lorsqu'il écrit une page d'histoire. Sans doute, la fin de l'histoire devait venir d'assez près. Les événements se sont tellement précipités, l'heure de la délivrance, si longuement préparée et si passionnément désirée, a sonné si inopinément que le- rêve sera, espérons-le, devenu réalité lorsque le poète-historien reprendra la plume pour chanter l'affranchissement définitif de sa patrie, la pauvre, la noble Armé* nie. LES ORIGINES DU MOUVEHEiïï ARMENIEN (1> ii Je ne croyais pas, en annonçant l'apparition du premier volume de l'oeuvre de M. Afarandian (2) que le second suivrait de si près. Mais la publication se faisait en Suisse, où les imprimeurs et les fabricants de papier souffraient moins qu'ailleurs du fait de la guerre. Il convient dès lors de compléter l'information en signalant le tome II qui, joint au premier, forme un ensemble homogène et constitue une des pages les, plus instructives de l'histoire de l'Arménie moderne. Ce deuxième volume est divisé en onze cha(t) MiqayëlVARAXDiAN.f/aj/*a£an charjmannakhapatmoulhiun, t. II. Genève,1913,io-16,281p. (Publicationde la Fédération] La couvertureimpriméeporte Révolutionnaire]A[rrnéniennr}. la date de 1914).— Le présent article est eitrail de L'Asie française,»• de Janvier-mar»1917, (2)Ci-deaaos,p. 117, DUMOUVEMENT ARMÉNIEN 2.'|{) LESORIGINES d'inégale longueur et d'inégale impor- pitres tance. Dans le premier chapitré, l'auteur traite de la période qui s'étend de 18G0 à 1870, et qu'il considère comme la plus fébrile et la plus significative de la régénération nationale. En effet, dans l'intervalle de ces années, les vagues de l'émancipation intellectuelle et spirituelle, parties de l'Occident, atteignent l'Orient et créent un mouvement intense au sein de tous les sujets du tsar. Même phénomène dans la vieille cité de Byzance où la ronflante proclamation du llatti-Iloumayoun réclame la réorganisation de l'empire ottoman. C'est également à la date de 1860 que les intellectuels arméniens de Turquie, s'inspirant des principes par le Hatli-Houproclamés mayoun, formulent les desiderata de la Nation, dans l'institution connue sous le nom de « Constitution nationale ». C'est aussi à la même époque que les douleurs, les griefs et les plaintes de l'Arménie enfin à se faire entendre dans la réussissent presse nationale de la capitale ottomane, et que, par l'accession au trône patriarcal de Constantinople du plus pur enfant de l'Arménie persécutée, le « Ilayrik » (petit père) du peuple des souffrances et arménien, personnification la question des protestations ariiuMiicnncs, a5o DE L'ARMÉNIE AUTOUR arménienne s'achemine de l'Enfer d'Arménie vers le Bosphore, pour s'en aller de là vers les Cabinets des grandes puissances européennes. Enfin, c'est vers la même époque (1862) que s'allume la mémorable insurrection deZêythoun, grâce à laquelle une poignée d'ardents guerriers sut imprimer à l'immense majomontagnards rité de la Nation arménienne un peu d'espoir et d'encouragement. différents Après quoi, l'auteur reproduit textes de correspondances puisés aux Archives du patriarcat arménien deConstantinopIe même, concernant les meurtres, les vols, les viols commis par les Kurdes et les Circassiens dans différentes localités des provinces habitées par les • Arméniens. Il reprend la révolte de Zéylhoun et en retrace la cause, une cause des plus futiles d'ailleurs : une contestation s'élève entre deux Turcs de familles hostiles. L'une de ces familles veut soumettre le cas a l'arbitrage du chef du village arménien d'Alabache, le personnage le plus autorisé et le plus influent de l'endroit. Cependant, les hommes d'une des familles en cause tuent en route l'un des Arméniens appelés à l'arbitrage en même temps que le chef du Cet assassinat produit la village arménien, plus fâcheuse impression sur les braves fils arméniens de Zéyltioun; il blesse leur amour- LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMENIEN a5l propre et leur fierté belliqueuse, et occasionne ainsi une insurrection qui cause d'immenses pertes à l'armée ottomane et donne du fil à turc de Constantiretordre au gouvernement nople. Vainqueurs, les vaillants Zèythouniotes veulent imposer leur volojité au gouvernement turc, en réclamant pour leur pays uneautonomie du genre de celle accordée au administrative Liban. Et, dans ce but, on tourne naturellement les regards vers la France, toujours libérale, toujours prête à soutenir les peuples opprimés. On présente une supplique à l'empereur Napoléon III qui lui fait un bon accueil et use aussitôt de son influente pour arrêter l'expédition ottomane dirigée contre les Zèythouniotes dans le but d'anéantir cette population. Mais de, basses manoeuvres de quelques nationaux stipendiés par les Turcs coupent court aux nobles élans de ces montagnards et les réduisentàse soumettre sans réserve au sultan. Les réflexions éloquentes auxquelles l'auteur se livre à cet égard .dénotent un patriotisme ardent et profondément sincère. *• » Le chapitre II traite de Yorigine delà question arménienne; il est consacré à rénumération JÔ2 AUTOUR DEL*ARMÉNIE consciencieuse de toutes les concussions et exactions commises sur les Arméniens d'Arbasée sur dés documents ménie, énumératipn communiqués au Patriarcat arménien de Constantinople. mis sur le tapis de Ces faits déplorables l'Assemblée nationale arménienne donnent lieu à des discussions vives, mais la plupart du et souvent entachées de temps infructueuses d'alors, partialité, si bien que le patriarche Ilayrik, désespéré de voir, d'un côté, l'impuissance où se trouve la nation de remédier â ses maux et, de l'autre, l'aggravation croissante des' souffrances des Arméniens, se voit dans la nécessité de donner sa démission. Celte démission met fin à un des épisodes les plus tristes et les plus émouvants de l'histoire moderne de l'Arménie. C'est ainsi que prend naissance la question arménienne qui, dès ses premiers pas, se heurte à des obstacles très graves, pour ne pas dire insurmontables. # » Dans le chapitre 111, M. Varandian étudie l'ennemi intérieur, les éléments vexateurs de la Nation. L'auteur se montre cruel, implacable même à l'égard de certains éléments de la Nation arménienne qui, de tout temps, ont pré* LESORIGINES DU MOUVEMENT ARMÉNIEN 253 féré leurs intérêts personnels à ceux de la Nation. Il faut reconnaître que ce jugement sévère procède du plus pur patriotisme de l'auteur. Aussi, n'est-il que juste de souscrire au bien-fondé des critiques acerbes dont il use à l'égard de ces agha (chefs), sarraf (banquiers), espions, traîtres, classes aisées, clergé, usuriers, etc., qui n'ont cessé d'exploiter leurs compatriotes, en leur causant parfois plus de torique ne leur en ont causé peut-être les turcs eux-mêmes. Aussi, après une analyse des plus consciencieuses et des plus complètes de ce triste phénomène national, l'auteur arrive à bon droit à la conclusion que le mouvement de l'émancipation arménienne n'a pas été un mouvement national dans le sens où il a été conçu et appliqué dans d'autres pays de l'Europe. Le mouvement de l'émancipation arménienne a été uniquement populaire, car ce fut le peuple, le peuple arménien vexé, torturé et opprimé, l'ensemble de.ce peuple travailleur et souffrant, qui s'en est chargé et qui l'a mis à exécution. •* Avec le chapitre IV, nous arrivons au Fléau kurde. « 11y a lâ-bas une bande de tyrans, c'est le Kurde qui n'est pas un sujet au même titre n 25/i AUTOUR DE L'ARMÉNIE que nous, qui ne paie pas d'impôt, mais qui exploite l'Arménien et qui ravage le pays, les armes à la main... » C'est en ces termes que, dans la séance du 21 novembre 1870, présidée par le patriarche Khrimian, un des députés de nationale arménienne l'Assemblée précisait, caractérisait le terrible fléau kurde. <(... Il est armé, il ne paie pas d'impôt et il exploite, vexe et vole l'Arménien et ravage le pays... » Combien de temps a duré cet état plus — ? Des siècles entiers. Aussi, peutqu'infernal on dire avec raison que la question arménienne était une question de relations arméno-kurdes. Aucun autre élément, dans les limites de l'Arménie historique, n'a autant nui au peuplé arménien, tant sous le rapport matériel qu'au point de vue de la culture générale, et ne lui a causé de préjudice aussi sensible que le Kurde. 11 n'est pas de peuple, qu'il s'agisse des Turcs, des Tartares ou des Perses, il n'y a pas de gouvernement, si despotique qu'il ait été, dont l'Arménien n'ait éprouvé autant de souffrances, n'ait subi autant d'exactions, de persécutions que de la part du Kurde. Enfin, fait observer M. Varandian avec infiniment de justice, le. Kurde forme un État dans l'Etat; de sorte que l'Arménien a à supporter un double joug et il ne sait si l'histoire de l'humanité présente l'exemple d'un autre peuple LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMÉNIEN a55 plongé depuis des siècles dans un état aussi épouvantable que celui sous lequel gémit le peuple arménien. Puis, dans un exposé magistral, l'auteur étudie parallèlement et fait passer sous nos yeux les deux jougs, celui du Turc et celui du Kurde; comparaison de laquelle ressort nettement la psychologie de ces deux peuples, issus d'une race nomade commune, et qui ont beaucoup de ressemblance et d'affinité entre eux. Le Kurde, dit-il, est un triste résidu d'un monde antique, une épave de l'humanité primitive. En parlant des moeurs de ce peuple, il cite les paroles du célèbre romancier national Raffi : a Le Kurde est hospitalier sous sa tente, comme le patriarche Abraham; mais il ne se fait pas de scrupule de voler son hôte même, à une lieue de sa s'il vient à le rencontrer tente... ». Enfin, c'est un peuple dont le métier de berger, avec le brigandage et le pillage, constitue ses seules et « honorables » occupations. Et c'est avec une telle race, extraordinaire, et dont les traits sont absolument négatifs, que l'histoire cruelle a lié le sort des Arméniens I Après les considérations qui précèdent, l'auteur parle de la puissance que les Kurdes ont acquise à la longue, comme Dèrébeyi, c'est-àdire pouvoir féodal, puissance qui, à un moment 256 DEL'ARMÉNIE AUTOUR donnée finit par s'imposer même au gOuVerhé> ment lurc, lequel ne s'en préoccupa pas grandement, soit par faiblesse, soit par égard à la de religion, souvent même par communauté pure tolérance, au grand détriment de l'élément arménien. A la veille du Congrès de Berlin, tel est le contenu du chapitre V. A Mgr Khrimian succède le patriarche Varjabédian. Le « Rapport des oppressions et exactions... », après avoir béatement somnolé dans les Archives, revient sur le tapis en 1876, durant le patriarcat de M»' Nersès Varjabédian. L'année était riche en surprises politiques et en événements orageux. La Turquie vivait de nouveau un de ce? moments de l'agonie de son avait éclaté dans les existence. L'insurrection Balkans et le spectre russe s'était dressé, menaçant, en face du Croissant agonisant. Le sultëtn Abdul-Hamid, pressentant de terribles complications, s'était empressé de jeter de la poudre aux yeux des grandes puissances, en proclamant « la Constitution ottomane » (décembre 1876). Celle initiative du perfide sultan put non seulement arrêter tous^projets de démembrement de l'Empire'de la part des grandes puissances, DU MOUVEMENT ARMÉNIEN a57 LESORIGINES mais elle inspira même dans les milieux des une certaine confiance dirigeants arméniens par rapport aux réformes dont avaient si grandement besoin les provinces arméniennes de l'Empire. L'un des phénomènes qui ont le plus fortement contribué à affermir celte confiance, c'étaient les sentiments russophobes dont les Arméniens étaient animés à l'égard de la Russie, laquelle, malgré tous ses avantages, se présentait aux yeux des Arméniens de Turquie comme une force, tendant essentiellement à absorber la nationalité arménienne; ils pensaient, en outre, que leurs frères du Caucase étaient condamnés à perdre tôt ou tard leur individualité nationale et à fusionner avec les Russes dans le giron de l'Église orthodoxe. Mais, quel changement magique 1 Dès que l'armée russe, dans sa marche triomphante, arrive à San-Stéfano et que les détonations du canon moscovite ébranlent les fondements du gouvernement constantinopolitain, aussitôt les dispositions des Arméniens de Turquie se transforment; aussitôt le russophilisme devient un mot d'ordre et le patriarche Nersès, obéissant à ce mot d'ordre général et collectif, prend une attitude diamétralement opposée; il prend le chemin de Canossa et se rend au quartier général russe à San-Stéfano, afin d'implorer 258 DE L'ARMÉNIE AUTOUR la protection du grand duc généralissime tsar. / C'était la seconde période de la politique du ar- ménienne,, Lé résultat en fut l'article 16 du Traité de San-Stéfano.' Le peuple arménien en attendait davantage; les souffrances qu'il avait endurées jusque-là et le concours très appréciable qu'il avait fourni aux armées russes lors de l'envahissement de l'Arménie leur donnaient droit d'espérer et d'exiger davantage. Aussi, déçus du côté russe, ils se réfugièrent auprès du rival de la Russie, l'Angleterre. Ainsi, nouveau changement de situation, nouvelle volte-face... C'est la troisième période de la politique arménienne qui devait se terminer, hélas I par une douloureuse désillusion. A ce moment, il y eut, de la part des Armé-, merveilleux d'efforts niens, undéclanchement et de mouvements dans toute l'Europe, surtout dans les grands centres d'Angleterre, en vue de soulever la question arménienne et d'obtenir du Congrès de Berlin plus que ce qui avait été obtenu par le traité de San-Stéfano. * * * Le chapitre tement». VI e^t intitulé Vijoume « l'avor- LESORIGINES ARMÉNIEN 2Ô0, DUMOUVEMENT Lorsque, malgré toutes les espérances de la Nation, la Russie victorieuse accordait aux Arméniens, au lieu de l'autonomie de l'Arménie, l'article vague et restreint du traité de San-Stéfano; lorsque ledit article se transforma en l'article 61 du traité de Berlin élaboré par un grand aréopage et qui, par cette origine, rappelle la montagne accouchant d'une souris, la désillusion et la déception de la Nation furent aussi vives que poignantes et douloureuses. Et aussitôt, les .critiques tombèrent drues sur les agents qui avaient fait tout leur possible en vue d'obtenir et d'assurer le bien-être et la sécurité dans les provinces habitées par les Arméniens. Les diatribes les plus vives et les plus acerbes ne furent pas ménagées à la députation arménienne qui s'était rendue au congrès de Berlin, el notamment à Mgr Nersès, le patriarche 'd'alors. Néanmoins, d'après notre auteur, l'avortemenl de toutes les démarches effectuées ne provenait pas de la forme ou des erreurs de la diplomatie arménienne : il attribue cet insuccès au manque de préparation du peuple, à l'insuffisance de la force de résistance de ce dernier. Il y manquait la a grande cuiller en fer » dont Mgr Khrimian, à son retour de Berlin, pleurait amèrement l'absence... Et la Nation qui dédaignait le fer n'a ramassé 2C0 AUTOUR DEL'ARMÉNIE que l'outrage diplomatique. En effet, LordBea-consfield n'avait même pas voulu-recevoir la députation arménienne. continue M. Varandian, si Et, justement, l'Arménien n'avait pas été une lettre morte en 1878 et après, s'il avait mis fin à sa docilité et à sa passivité cadavérique en présence des violences infinies des Kurdes et des Turcs; si, par contre, il avait été quelque peu initié à l'esprit révolutionnaire et avait euavec ses inriombrables écoles et couvents quelques organisations dans ce but, ;— organisations qui avaient poussé comme des champignons en Grèce, au commencement du xixe siècle, au sein des établissements scolaires purement nationaux, — l'Angleterre ne se serait pas comportée avec le peuple arménien comme elle l'a fait, et, par conséquent, la puissante propagande menée à Londres au nom de l'autonomie de l'Arménie n'aurait pas eu une fin aussi triste que déplorable. * * * Le chapitre VII s'occupe des répercussions de la guerre et expose le premier essai de réforme. L'année 1877 est une date considérable pour l'histoire arménienne moderne, tellement la guerre russo-turque est riche en conséquences, MOUVEMENT ARMÉNIEN 2<il LESORIGINES.DU et tant elle a profondément remué la situation et les dispositions du peuple arménien en Turquie... En effet, la déclaration de la guerre fut comme la sonnerie de la liberté pour le pays tanttorturé. Les espérances battirent leur plein et l'enthoule peuple s'anima, s'encouragea siasme décupla lorsque l'on apprit surtout que c'étaient des généraux d'origine arménienne qui commandaient les armées russes sur le front asiatique, sur le théâtre de ta guerre qu'était l'Arménie! Les noms des Loris-Mélikoff, des toute Ter-Ghoukasoff, des Lazaref électrisaient la nation. on ne sait que trop en Malheureusement, en quelles déceptions se quelles désillusions, changèrent peu après toutes ces attentes effrénées, toutes ces espérances dorées de la nation arménienne. En même temps que la retraite de l'armée russe, même avant, la haine musulmane se ralluma avec beaucoup plus de violence que jamais. Ce fut le règne des brigands et des tels que Chéikh-Djelaleddine; le assassins, crime se déchaîna comme un ouragan et alla s'abattre sur les parties de l'Arménie qui étaient et qui avaient le » restées jusque là prospères moins subi l'influence de la guerre et du fléau des concussions et des exactions kurdes et turques. 45. 26a DE I.'ARMÉME AUTOUR Ici, l'auteur s'arrôlo pour jeter un coup d'oeil sur la situation économique du pays, immédiatement après la guorro, et il s'écrie : quello économie et quel trafic au milieu de cet extraordinaire tourbillon des barbaries kurdes I Tout était arrêté net. Le villageois arménien avait mis à la disposition du Turc non seuloment son bétail pour les besoins de la guerre, mais il s'était attolô lui-même à la charruo gouvernementale à la place du boeuf pour transporter des canons et des munitions. Ainsi, la vie économique s'était éteinte; avec les travailleurs de la campagne s'était ruinée ' ' aussi la classo des commerçants. Seuls, do rares aventuriers avaient réussi à profiter de ces terribles événements, à brasser des affaires lucratives, à faire leur fortune. A la famine pour ainsi dire naturelle, conséquence inhérente à toute guerre, n'avait pas tardé à succéder la famine artificielle (1880). Lo d'Abdul-Ilamid, gouvernement qui avait pour des Arméniens, tenobjectif l'anéantissement dait à compléter l'oeuvre de ruine et de dévastation accomplie par les bandits kurdes, en restreignant le libre échange des marchandises, en interdisant l'exportation des céréales dans les localités où elles étaient relativement aboni dantes... El que faisait donc l'Europe en ce moment-là? 1>UMOUVEMENT ARMÉNIEN at>3 LESORIGINES Nous avons connu déjà la famouso et solènnollo déclaration de Lord Salisbury qui a faille arménien : au tort peuple grand peut-être plus « La Turquio ne pourra pas fairo les réformes, tant que ses finances no seront pas réformées ». Néanmoins, l'opinion publiquo se révoltait da temps on temps et exigeait la mise à exécuticn des engagements assumés. Quant à l'Arménie, la situation y devenait do plus on plus déplorable et tragique. Sur quoi, le gouvernement britannique prit le parti— pour sauver les apparences — do faire un pas actif, A la suite do sos amicales, la Porto fit en 1870 le suggestions premier essai de réformes en Arménie. On expédia dans les vilayels arméniens doux commissaires anglais, auxquels étaient adjoints deux autres commissaires indigènes choisis par central. le gouvernement Inutilo'd'ajouter que ces commissaires, nommés déjà pour la forme, ne serviront à rien, puisqu'ils n'étaient munis d'aucun pouvoir exécutif et que tout était subordonné au bon plaisir do la Porte. Ainsi donc AbduMiamid trompait cyniquement l'opinion publique; et l'Angleterre, au conservateur nom du gouvernement qui dirigeait, continuait à prodiguer sa protection à la Porte. Ce qui est plus fort encore, conformément à l'exemple dos Tures, le Livre bleu anglais a64 AUTOUR DBL'ARMÉNIK ui aussi commença à appolor les provinces arméniennes du nom de « Kurdistan ». Ce fut un comble pour les Arméniens. Et ce fut le résultat le plus tangible du traité do Chypre et des engagements solennels pris par la GrandeBretagne. En réduisant l'Arménie au Kurdistan, de Beaconsfield donnait la le gouvernement consécration aux vieilles tendances de la Sublimo Porte : bouter hors de sa patrie l'élément arménien en y implantant des éléments musulmans tels que Turcs, Circassions, Turkomans, d'alors La/es, otc. En un mot, l'Angleterre sacrifia à sa politique do haino contre la Russie et à la possession de l'Ile de Chypre, tout l'avenir et tout le bien-être du peuple arménien I * * Dans le chapitre VIII, l'auteur expose le développement de la question d'Orient et traite A cet effet, do l'Antagonisme anglo-russe. M. Varandian interrompt un instant le fil de l'histoire du drame arménien et retourne aux évolutions de la grande question d'Orient à le de lié sort si intimement se trouve laquelle !a question arménienne. des circonstances Après une récapitulation déjà relatées dans le, tomo I (p. 153-166) qui avaient donné naissance à cette fameuse ques- LESORIGINES DUMOUVEMENT ARMÉNIEN aG5 lion, il reparle do la rivalité entre doux grandes puissances, l'Angleterro et la Russie, et reproduit, enfin, le toxto du Programme Politique de Piorro le Grand, qui a servi, deux siècles durant, do Crodo politique à la diplomatie russe. Pour contrecarrer les projets do conquéto et do domination de la Russie on conformité des clauses du testament de Pierre le Grand, la Grando Bretagno maintiont le plus fortoment possible le dogmo de l'intégrité do l'Empire de la ottoman (et, par extension, l'intégrité Perse). Après avoir mis ainsi on évidence los dogmes opposés des deux grands Etats rivaux, M. Varandian expose les idées de différentes personnalités politiques do tous les pays sur l'opportunité et la non-opportunité de l'intégrité de la ' Turquie. Il passe en revue, avec nombre d'appréciations de la plus hauto valeur, la guerre de Crimée et le Congrès do Paris, ainsi que la thèse da « l'homme malade » à propos du partage de la Turquie, préconisé et soutenu par la Russie. Ainsi la Russie, fidèle à son programme traditionnel, reprend ses visées sur la Turquie et» fait la guerre de 1877. Malheureusement, à cette époque, los rênes iCtï lUTOUK DE L'ARMÉME du gouvernement anglais n'étaiont plus entro los mains do Gladstono qui no cossait do prêcher l'expulsion des Turcs ot leur rejet au fond de l'Asie; le parti opposé, c'est à-diro le parti tenait le pouvoir, dont le chef, conservateur, Disraeli devenu Lord Beaconsfield, partisan convaincu do l'impérialisme britannique et non moins partisan fervent do l'intégrité de la Turquie, observait d'un oeil inquiet le nouveau progrès réalisé par la Russie sur le théâtre des il fit événements orientaux. En conséquence, stationner la flotte anglaise devant Conslantinople, réviser le traité de San-Stéfano par lo Congrès de Berlin et conclure, en faveur de la Turquie ot do l'Angleterre», le traité de Chypro qui devint le tombeau de tou*? les droits et do toutes les espérances du peuple arménien. * • * Chapitro IX. L'auteur y envisage la « JeuneTurquie » et le spectre du Panislamisme. Avec une connaissance approfondie de la psychologie et de la mentalité turco-musulmanes, M. Varandian prouve magistralement que ce que l'on » est fait de la môme appelle « Jeune-Turquie pâte, inspiré des mêmes idées qui constituent l'essence de la Turquie vieille et décrépite. Cette « Jeune-Turquie », qui avait pris naissance DU MOUVEMENT LESORIGINES ARMÉNIEN :jt»7 au sièclo dernier, vors 1860, s'était donné comme mission do sauver la patrie, en intro* dans le concert do la civilisation duisantcollcci elle était entrée on scène avec les européenne; symboles do la liberté et de l'égalité; mais en réalité, elle déclarait la guerro à l'Europo, on opposant l'islamisme au christianisme, lo Coran à l'Evangile; ce qu'elle réclamait hautoment, c'était do ne plus faire do concessions aux « giaours », d'éloigner les Européens du serdu pays, d'abolir lo vice des administrations Tanzimat et toutes autres institutions similaires. Toute pénétréo du patriotisme turc orgueilleux et exclusif, elle exigeait quo la Turquie se réorganisât d'elle-même, avec ses propres forces, sans le concours de l'Europo. En empruntant les formules politiques occile texte do la Consdontalos, en s'appropriant titution des nations européennes, les <(JeunesTurcs »>ne songeaientqu'à forger des instruments de guerro contro cette même Europe et faire persister l'hégémonie de l'élément turc sur le « raya », sujet et dépossédé... Enfin, le nouveau* courant paraissait sur la scèno avec l'emblème belliqueux du Panislamisme, animé de la même haine instinctive envers le « giaour», décidé à rassembler sous un mémo drapeau toutes les races islamiques, diriger une lutte impitoyable et faire rentrer contre le monde chrétien aC8 DRL'ARMÉNIF. AUTOUR dans le giron do l'Islam ses territoires perdus. Tel est, proclame très justement M. Varandian, le vrai portrait, dans le passé, dans lo présent et dans l'avenir, de la « Jeune-Turquie ». L'autour parle ensuite du Coran, prétendue « source do tout savoir humain », et se livre à une critique sévère de la « Constitution ottomane », attribuée à Midhat pacha, qu'il trouve, tant celle de 1876 que colle proclaméo en 1908, dénuée de toute sincérité et de tout principo d'égalité. Néanmoins, malgré toutes ses tares et tous ses défauts, la « Jeune-Turquie » constituait en son temps une heureuse nouveauté pour les races opprimées et dépossédées, sujettes de la Turquie, et tout particulièrement pour la raco arménienne, au point que, dans sa période do formation encore clandestine et extra légale, le avait déjà réussi à gagner parti jeune-turc même des membres chrétiens, entre autres — — l'Arménien et le plus important Odian Effendi. Le rôle de ce grand Arménien, haut fonctionnaire du gouvernement ottoman, avait été tellement considérable dans le mouvement et son influence si puissante constitutionnel, dans les milieux jeunes-turcs et sur Midhat pacha lui-même, que c'est à lui que d'aucuns attribuent la conception de la Constitution de Midhat pacha. LESORIGINES PU MOUVEMENT ARMENIEN aGf) Phénomène significatif et coïncidence digne de toute attention : presque simultanément, dans trois Etats différents, en Russie, en Turquie et en Egypte, ce sont trois Arméniens, autorisés et influents, qui s'érigent en partisans et convaincus des institutions européennes jouent un rôle de premier ordre dans l'oeuvre de la régénération de ces pays arriérés : LorisMélikof, Grégoire Odian ot Nubar pacha. Sur ces entrelaites, l'insurrection de l'Herzégovine et la perspective d'une nouvelle invasion russo vinrent hâter les choses, et on 1876 Stamboul devenait le théâtre d'une formidable Le manifeste des « Patriotes conspiration. Turcs », qu'on attribue à Midhat pacha et à Odian Effendi, distribué entre tous les hommes d'Etat de l'Europe, rassure les cabinets eurode péens et permet ainsi aux conspirateurs détrôner Abd-ul-Aziz et de le remplacer par le sultan Moura,t. Ce dernier, détrôné à son tour, sous prétexte d'une maladie incurable, est remplacé avec force pompe et solennité par « cet homme qui ferait perdre à.jamais la Turquie et dont les actions infernales ébranleraient le monde entier ». :»;o DE I. ARMENIE AUTOUR — On na intitulé Abdul-Hamid. : Chapitre X, le titro dont ce sur chapitre, s'appesantira pas est assez éloquent par lui-même. Qui ne connaît le « grand assassin » le « sultan rougo », dont le nom est déjà voué à l'exécration par l'humanité en général et par les Arméniens en particulier qui, pendant toute la durée do son règne néfaste et despotique, n'ont été que ses « boucs émissaires »? M. Varandian^avec sa plume autoriséo et sa science au-dessui de toute contestation, dépeint de main de maître le génie malfaisant qu'est l'ex-sultan de Turquie. Il trace admirablement le caractère de ce maniaquo, continuellement obsédé parle doute, la peur, la persécution. Il note chez ce tyran original les sentiments do haino et de vengeance; il en relève la volonté de vivre,,à quolquo prix que ce soit. Il fait un exposé magistral de ce régime de persécution et de terreur. Pour lui, Abdul-Ilamid est le type du tyran classique, et son règne celui de la centralisation absolue et du régime personnel. Il en relève, néanmoins, la puissance de travail presque phénoménale. Avec une connaissance approfondie de son sujet, l'autour résume en deux mots tout le LESORIGINES DUMOIVEMFNT ARMÉNIEN 271 symbole d'Abdul-llamid : Panislamisme otPaiiturquismo. Il relève ensuite les traits maladifs do l'intolligonco d'Abdul-llamid et souligno son attitude vis-à-vis do la « Jeune-Turquie », altitude toute de perfidie et d'hypocrisie dont la prouve la plus manifeste fut la disgrâce et l'assassinat de celui à qui il devait son trône, Midhat pacha. Avant de cloro ce chapitro, l'auteur rappelle les atrocités bulgares do 1875.ot l'émancipation du peuple bulgare qui s'ensuivit, sous les auspices de la Russie. Chapitre XI. Mais voici que los bouches arméniennes elles aussi commencent à parler d'émancipation. On sont enfin apparaître les premiers souffles de révolte. La crise permanento que traversait le pays, le moment historique orageux, l'invasion victorieuse de la Russie, que comme le vont de la beaucoup considéraient libération appelé à mettre une fois pour toutes fin à la domination du Croissant, enfin la conscience de l'inutilité des suppliques et des plaintes formulées depuis dos années et des années, tout cela ne pouvait pas passer saiVs exercer une influence, au moins sur quelquesuns des représentants de la classe intellectuelle DR I.'ARMÉNIR AUTOUR 37a des Arméniens do Turquie. Aussi, depuis los journées désastreuses de 1877-1878, los accents de protestation contre la tyrannie des sultans se faisaient-ils entendre, de temps en tomps, plus fréquents, plus précis, plus forts. Et, en effet, cette époquo marque l'ouverture d'uno nouvelle période dans les annales du de Turquie : l'Assemblée peuple arménien Nationale arménienne de Koum-Kapou devient une tribune où les représentants de la Nation exposent hautement et crânement les douleurs, les tortures endurées par la Nation, et dessillent los yeux de cotte dernière sur la réalité do sa situation. Déjà, dès 1870, un groupe de jeunes agents s'était formé à Constantinoplo, avec ChahnazaMinas Tchêraz, Arpiarian, rian, Portoukalian, etc., etc. Animés de tenDémirdjibachian, dances réformatrices, et visant à la régénération de la nation arménienne, ils stimulaient avec un zèle inlassable l'Idée nationale, soit dans la presse et la littérature, soit dans le domaine de l'enseignement. Pourtant, dès 1873, au nombre do cette jeunesse d'élite et patriote, une figure attira tout l'attention particulièrement publique, tant à cause de son caractère intègre et intrépide, que : de son tempérament ardjpnt et révolutionnaire c'était Meguerditch Portoukalian, à qui il était LESORIGINES DU MOUVEMENT ARMÉNIEN W]ï& réservé do fonder plus tard lo promier parti révolutionnaire arménion et de dovenir le du nouveau mouvemont armépromoteur nien. Bientôt l'activité nationale prenant do grandes on fonda tour à tour différentes proportions, sociétés de bienfaisance et d'instruction, qui jouèrent toujours un rôle prépondérant au point de vue de la préparation do la conscience natiodestinale. Telle la Société Antznanouvère, née à apprendre à lire et à écrire à des milliers d'Arméniens émigrés des provinces à Gonstantinoplo, Une autre société plus considérable encore fut la Parékordzagan (do bienfaisance), do la qui avait pour but le développement Cilicie. En outre, avec la coopération de la jeunesse appartenant aux autres fractions religieuses de la nation, trois autres associations vinrent à se former : YAraradianth Tcbrolzasser-Arévélian, et la Kilikian. Tous les membres de ces diverses nationales étaient des hommes associations révoltés contre la situation dominante ; et, tout en poursuivant des buts d'instruction et d'éduau fond do leur coeur cation, ils caressaient l'idée de l'émancipation de l'Arménie. Conjointement avec les agents nommés pliiB haut, lo romancier D/crcnlx (Chichmaniaii) faisait paraître ses oeuvres qui, avec celles d'Abo- DE L'ARMÉNIE VUTOUR 17-r| viuu et do Ha fli, venaient enrichir la liltératuro do romans héroïques. Et l'on dirait que ce fut comme une réponse à ces appels et à ces sourdes exhortations à la révolte que l'on apprit vers la fin de 1878 la nouvelle que les Zèythouniotes s'étaient insurges. commence à Mais le vent do l'insurrection souffler plus fort ; toutes les voix qui s'élèvent, é/eillent des échos de plus en plus forts, qui so traduisent en actos et en gestes pratiques. En 1887, on inaugure à Erzeroum le premier ot le premier grand comité de conspiration ' de munitions. dépôt En 1885, Portoukalian fonde à Marseille son journal Arménia; pou après, il crée l'associa». tion dite « Société patriotiquo arménienne Un pou plus tard, on fonde le Hentchak ou le « Parti hentchakisto ». En 1890, éclate à Erzeroum même la première et sanglante démonstration arménienne contre le despotisme du jour; elle est suivie de la démonstration de Koum-Kapou, et dans lo cours de cette môme année 1890 se fonde la « Fédération Révolutionnaire arménienne ». Telle est, dans ses grandes lignes, l'économio de l'oeuvre de M. Varnndian. Les analyses que DUMOUVEMENT LESORIGINES ARMENIEN 3"]5 * no une données Iraai remplaceront pas j'en duction intégrale do l'original arménien ; elles à tout le moins, à signaler un contribueront, qui sont plus que ouvrage et une question jamais à l'ordro du jour. Lo deuxième volume de M. Varandian s'arrête au moment où los divers partis arméniens se sont résolument mis à l'oeuvre pour procurer enfin à la grande nation infortunée le repos ot la sécurité. Les événements tragiques de ces dernières années sembleraient vouloir donner un démenti formol aux aspirations arméniennes. sort Mais, de même que l'auroro printannière des ténèbres obscures do l'hiver, de même un peuple rajeuni, puissant et robuste, sortira du creuset où le plongea la tyrannie turco-germaine. La résolution que prirent le i Arméniens de se ranger, dès le début, aux côtés des Alliés, leur est un sûr garant que leurs justes revendications seront entendues, et qu'il sera fait droit à leurs demandes les plus légitimes. L'arménie revivra, comme revivront la Belgique et la Serbie. L'EXTERMINATION D'UN PEUPLE( 1) Sous cette rubrique, quelques périodiques(2) des ont signalé la destruction systématique Arméniens de Turquie. L'appel à la pitié et à l'intervention des nations qui auraient pu et dû protéger d'innocentes victimes contre des brutes déchaînées n'a pas produit l'effet qu'on aurait été en droit d'attendre. Depuis si longtemps que l'on parle de massacres d'Arméniens, depuis que l'ex-sultan Abdul-Hamid a, pour son propre compte, fait tuer un demi-million do ses sujets arméniens, il semble que les nations européennes se soient accoutumées à ces appels déchirants qui nous viennent d'Orient et que ces tueries humaines (1)Kxlraitde Poi et Vie,les qaeition*du teatp»prêtent, revuede quinzaine.CahierB, n« 19.16décembre1915. (2)Araral, asearchllghton Armenia(LondooJn**d'août1914 et suiv.—Armenia,eeodélie rivendlgailonlarmene(Torino), 15oct.et 15nor. 1915.—VIllustration(Paria),nMda 9 octobre et da 20 novembre1915.— Bulletin de (Alliancefrançaise — Et de nom(Paris),n*25',!•' novembre,1915,p. 109-111. breux article*ou enlreGIeladans lea quotidiensde Franceet de l'étranger. L'EXTEHMIMATIO* D'UNPEUPLE 277 constituent pour ainsi dire un état quasi normal dont on a presque pris son parti. Et puis, les États alliés ont actuellement une tâche suffisamment lourde à accomplir pour qu'ils n'aient même pas le loisir d'intervenir en faveur des victimes de la barbarie ottomane. Il est d'autres peuples européens qui n'auraient qu'un mot à dire pour que ce cruel état de choses prenne fin immédiatement; ce mot, non seulement ils ne .le diront pas; mais, par la plume d'un comte Reventlow, ils proclament le droit et le devoir des autorités turques de « prendre des mesures vigoureuses contre des éléments arméniens de confiance, indignes avides de sang et rebelles » I Et dans ce drame gigantesque qui se déroule à nos yeux, il nous est particulièrement agréable de relever que, parmi les victimes arméniennes destinées aux tortures et vouées à la mort certaine, 4.200 ont pu échapper aux a tires des supplices et vivent maintenant tranquilles en Egypte, grâce â la générosité et au dévouement de trois bâtiments français. Dans ses heures d'angoisse les plus poignantes, la France sait encore porter secours aux faibles et aux opprimés. Dans cette ruée des peuples les uns contre les autres, où la soif de la mort, le besoin de la sont destruction, la passion de l'anéantissement 10 x AUTOUR DE L'ARMÉXIB 378 devenus une règle, on est frappé de remarquer une recrudescence de massacres, d assassinats, de meurtres, comme si la mort n'accomplissait pas suffisamment son oeuvre par la disparition de ceux à qui incombent le devoir de lutter, l'honneur de vaincre ou de mourir. Et l'on se demande quelle peut bien être la cause de cette recrudescence du fanatisme turc à l'égard des Arméniens. La raison en est facile à trouver. Elle s'explique par l'attitude même des Arméniens. Elle est également à chercher dans le caractère j . propre du Turc. Dès que la guerre éclata, en août 1914, les Arméniens, n'écoutant que leur conscience, se rangèrent résolument du côté des Alliés; des volontaires s'enrôlèrent sous le drapeau français, tandis que d'autres gagnaient les rangs russes. C'était plus qu'il n'en fallait pour s'attirer la haine duTurc. Si les Arméniens avaient, résisté à la Russie, s'ils avaient embrassé la cause des Austro-Allemand?, les événements, à coup sûr, n'auraient pas pris la tournure que l'on sait. Parce qu'ils ont sympathisé avec les soldats du droit et de la liberté, parce qu'ils n'ont pas même cherché à dissimuler leurs sympathies, les Arméniens ont payé et paient durement encore leur geste de noblesse et de générosité. Et c'est pourquoi lo Turc redouble D'UXPEUPLE L'EXTERMISATIOX 279 de cruauté et raffine les supplices à leur égard. Quel est donc le tréfonds de la mentalité turque ? Les Turcs no peuvent rien faire par eux-mêmes; ils sont restés un peuple nomade, malgré leur séjour plusieurs fois séculaire dans les villes. On chercherait vainement à nommer une seule cité importante qui ait été construite par eux. Ils font travailler les autres; ils leur laissent même,au début, une certaine latitude; puis, lorsque la prospérité commence à couronner l'effort du travailleur, lorsque le Turc estime que le giaour risque de devenir un danger pour lui, il fomente une révolte et le massacre des révoltés s'ensuit fatalement. C'est en vertu de ce principe, de cet esprit d'organisation, que les massacres n'ont jamais eu lieu aux mêmes endroits; on procède par coupes réglées, on n'abat pas en une fois tous les arbres de la forêt ; on y met de la méthode; mais au bout d'un temps fixé, les arbres auront tous été sûrement abattus. Cette façon de procéder est d'une application plutôt difficile dans des centres Smyrnc; importants comme Constantinopleou c'est la tactique courante à l'intérieur du pays. A aucun moment de son existence, le peuple arménien n'a été à la charge du conquérant ; il a toujours subvenu aux besoins de son culte, de ses écoles, de ses hôpitaux et de ses autres institutions de bienfaisance; et ceci, malgré les DE I/ARMÊNIE v AUTOUR impôts réguliers et surtout irréguliors qu'il payait ponctuellement et qui l'accablaient progressivement. Lo gouvernement turc n'a jamais dépensé un seul para pour les Arméniens. Lo contraire a fréquemment lieu, et il n'est pas rare de constater dans les grands centres où il y a des hôpitaux arméniens, israéliteset turcs, que les Turcs vont se faire soigner gratuitement dans les hôpitaux arméniens qui sont exclusivement entretenus par les deniers arméniens' Une autre preuve palpable de l'incapacité turque est que, dans les centres turcs, il n'y a pas un seul exportateur turc, qui traite directement des affaires avec l'Europe. Les Turcs se contentent de trafiquer avec les commerçants de l'intérieur, lis sont littéralement incapables do faire le grand commerce, à telle enseigne que les négociants turcs de l'intérieur envoient leurs marchandises en commission chez des Arméniens' ou des Grecs. On a répété h satiété que les Turcs, étant fatalistes et ne possédant aucune éducation, il leur était impossible do s'européaniser; il n'y aurait là que demi-mal, s'ils rachetaient par d'autres qualités leur incapacité radicale, leur impuissance complète de conception. Ce n'est pas le cas. Leur cerveau est engourdi par ces deux facteurs : lé fatalisme et le manque d'éducation, Ils ont la mentalité de leurs ancêtres, et a8o D'UNPEUPLE L'EXTERMINATION 281 depuis six siècles qu'ils infestent l'Europe et l'Asie antérieure, ils n'ont fait aucun effort pour marcher résolument dans la voie do la civilisation et du progrès. Ils pillent, ils tuent, ils massacrent, ils violent comme l'ont fait leurs pères ; ils se trouvent bien de cet état de choses, ils s'y maintiennont. Ils croient avoir d'autant plus de raisons de s'y maintenir qu'ils sont ouvertement approuvés par leurs alliés ; et ils no voient pas, les malheureux, que leur incapacité même est un des motifs pour lesquels leurs amis allemands les encouragent à faire disparaître les Arméniens.. Ceux-ci sont, avec les Grecs et d'autres populations autochtones, l'élément travailleur, nourde l'empire ottoman. Une ricier, producteur, fois cet élément anéanti, une fois le commerce, la banque, l'jndustrio entre les seules mains des Turcs, ceux-ci mêmes, en raison do leur — si l'on feront impuissance radicale, appel — ainsi à leurs amis qui entrepeut s'exprimer voient déjà la prise de possession de ce qui aura été une fois l'empire ottoman. Si peu renseignés que nous puissions être sur les événements qui se déroulent en Anatolic, nous savons que des consuls allemands ne se cachent pas pour inciter les Kurdes et les leurs Turcs aux massacres des Arméniens; noms onl été publiés. (6. 282 DE I/ARMÉME AUTOUR Nous savons, pour ne citer qu'un exemple typique entre mille, qu'à Trébizondé, dont la population se composait de 15.000 Arméniens, de 20 000 Grecs, de 35.000 Turcs, en chiffres ronds, il ne reste plus un seul Arménien vivant. Ils ont tous été massacrés. Et nous savons comment les choses se passèrent : d'abord Les autorités turques rassemblèrent tous les Arméniens, sujets russes ; sous le prétexte de les expulser, on les fit monter dans des la embarcations, qui prirent immédiatement mer ; quelques heures après, ces mêmes embarcations rentraient au port, délestées de leurs passagers arméniens; Ces mêmes autorités turques ordonnèrent à tous les Arméniens habitant les villages environnants, de se rendre à Trébizonde, faute de quoi, ils seraient mis à mort sur-le-champ. Une fois réunis en ville, on sépara les jeunes gens d'avec les femmes et les vieillards ; sous pré> texte à%exputsiont on en embarqua une partie, qui fut coulée en pleine mer, tandis que les du autres étaient acheminés vers l'intérieur pays, et massacrés sans pitié en cours de route. Puis on sépara des femmes les enfants de trois à treize ans, que l'on parqua dans le collège des Les expulsés. français, précédemment religieux Turcs vinrent au collège, choisirent les plus jolis garçons et les plus belles fillettes. Le reste L'EXTERMINATION D'UNPEUPLE 'l83 fut conduit hors de ville et disparut mystérieusement. - Puis vint le tour des femmes; celles qui ne furent pas choisies pour enrichir les harems turcs furent emmenées hors de ville et impitoyablement massacrées ou noyées, après avoir subi les derniers supplices. Au lendemain de cette a expulsion », le consul d'Amérique, faisant une promenade à cheval dans les environs de la ville, vit de ses propres yeux la rivière charrier des cadavres enlacés de femmes et de tout petits enfants, en quantité innombrable. Parmi les jeunes filles parquées dans le collège français, l'une d'elles fut assez heureuse pour se réfugier au grenier. Elle attendit la nuit et, à la faveur de l'obscurité régnante, elle se sauva au consulat d'Italie. Le consul reçut Mlle Karagueusian, l'emmena avec lui à Constantinople, puis au Pirée, l'habilla comme sa bonne, lui fit établir un passe-port italien et la dirigea sur Odessa où l'infortunée jeune fille retrouva sa soeur, Mme Boyadjian. C'est par cette seule rescapée que l'on connut tout d'abord les atrocités du massacre criminel de Trébizondé, perpétré en juin-juillet 1915. Nous savons, par une lettre que nous avons sous les yeux en traçant ces lignes, qu'une seule Arménienne de Trébizondé ne fut pas massacrée : sur le point d'accoucher, Mme Tahmad- 28/1 AUTOUR DE L'AHM£NIE jian était à l'hôpital; elle mit au mondé un enfant et, immédiatement la délivrance opérée, on la fiança d'office à un musulman de la ville. C'est, sur une population de 15000 Arméniens, la seule personne qui soit restée à Trébizondé; mais elle n'est plus arménienne, et elle ne doit la vie qu'à l'abjuration qu'on lui imposa. La tactique des autorités turques, en faisant sortir de la ville les Arméniens pour les massacrer plus à l'aise, était, avant tout, d'éviter que leurs victimes pussent se réfugier chez des musulmans compatissants. En haute mer, ou à l'intérieur des terres, l'assassinat pourrait; se perpétrer plus aisément, sans avoir à redouter la pitié de témoins gênants. les Turcs En exterminant les Arméniens, faisaient une « bonne affaire » et l'on estimé que, pour la seule ville de Trébizondé, les pertes nettes arméniennes peuvent être évaluées à cent millions de' francs, tant en propriétés mobilières qu'immobilières. Tandis qu'en 1896, on se contentait de ruiner les Arméniens et de s'emparer de leur fortune, une fois la faillite déclarée, témoin le cas de M. Aznavorian, dont le commerce de tissus fut détruit, puis revendu pour une bouchée de pain au turc Nemlizadé, en 1915 on les extermine purement et simplement pour s'emparer'de leurs richesses. Un des plus fortunés Arméniens de Trébizondé, D'UNPEUPLE L'EXTERMINATION 285 M. Arabian, se voyant sous le coup d'une expulde la ville et sion, alla trouver le gouverneur lui proposa de donner tous ses biens, meubles et immeubles, à qui de droit, pourvu qu'on lui garantit la vie sauve. Le gouverneur lui rit au nez et lui répondit: « Mais tout cela nous appartient déjà ». Et il le condamna à l'élargissement. .On sait ce que signifie, en turc actuel, une condamnation à l'exil. Ce qui se passa à Trébizondé eut lieu dans .tous les grands centres ottomans, comptant de fortes colonies arméniennes et l'on estime à plus d'un million le nombre des victimes exécutées au nom de l'Union et du Progrès du gouvernement jeune-turc, l'allié des Allemands, des Austro-Hongrois et des Bulgares. Formés aux disciplines du Sultan rouge, les élèves ont de beaucoup dépassé le maître. Le sang de tant de victimes innocentes crie vengeance, et le nombre des morts pèsera pour beaucoup lorsque l'heure de la victoire aura enfin sonné et qu'il conviendra de refaire une humanité affranchie du militarisme outrecuidant et délivrée à jamais du cauchemar turc. LES JEUNES-TURCS ET L'ARMENIE (UN POINTACQUIS) Bin turk, bir tcurp ail lurku, tour tourpa guiné iaiek lourpa. « MilleTurc*,uo radia; «.Prenezle Turc, heurtez-lecontre [le radié :) « C'est encore dommagepour le 1 (radis».) (Proverbetare.) En 1908, les Jeunes-Turcs ont renversé Abdul-IIamid II et constitué une sorte de république. Ils ont promis de donner à tous les citoyens de l'Empire des droits électoraux, et on a pu croire un instant que Turcs, Arabes, Grecs, Arméniens, Juifs auraient la liberté dans un empire ottoman régénéré. L'illusion ne fut pas de longue durée. Dès le mois d'avril 1909, les massacres d'Arméniens à Adana montrèrent ce qu'on pouvait attendre des Jeunes-Turcs. Ceux-ci essayèrent de donner le change en présentant cette nouvelle hou- KT L'ARMÊXIK LESJEUNES-TURCS 287 chérie comme un dernier soubresaut du régime Personne ne fut dupe. Môme- les hamidien. amis du régime oltoman durent reconnaître que les victimes de Cilicie avaient été massacrées sur l'ordre du gouvernement jeune-turc. Les années se suivirent; aucune amélioration n'était apportée au sort des populations arméarméUne Délégation niennes de Turquie. nienne fut alors nommée par le Catholicos (chef suprême religieux) de tous les Arméniens. Celte Délégation Arménienne, présidée par Boghos Nubar Pacha, avait reçu comme mission de mettre' un aux Puissances de demander terme aux agissements turcs à l'endroit des chrétiens ottomans et d'exécuter enfin les engagements pris dans l'article 61 du Traité de Berlin. • La Délégation se mit à l'oeuvre ot rédigea une première n6te ou elle exposait les revendiet Où elle rappelait, ou cations arméniennes termes très modérés, la situation intenable dos Arméniens de Turquie, priant les Puissances d'obtenir enfin de la Sublime Porle qu'elle fit lettre exécuter les réformes, restéesjusqu'alors morte. Voici la teneur de ce document : 27 Février i913. L'article 01 du Traité de /ferlin et les Iteoendications Arméniennes. A l'occasion des négociations actuellement cnqa> a88 AUTOUR DEL'ARMÉMK gées $i4r la question d'Orient, tme Délégation Arménienne a été nommée par S. S. le Catholicos Kévork V, Patriarche et Chef suprême de tous les Arméniens, avec mission de demander aux Puissances la mise à exécution des engagements pris dans Cari. 61 du Traité de Berlin. Cet article qui remplaça l'art. 16 du Traité de San Stefano est ainsi conçu : « La Sublime Porte s'engage à réaliser sans plus « de refard les améliorations et les réformes « qu'exigent les besoins, locaux dans les Provinces « habitées par les Arméniens, et à garantir leur « sécurité contre les Circassiens et les Kurdes. Elfe « donnera connaissance périodiquement des me« sures prises à cet effet aux Puissances, qui en « surveilleront l'application. » Il existe' entre cet article 61 et ? article 16 du Traité de San Stc/ano une différence, qu'il rsl bon de rappeler pojtr donner d l'art. 61 toute sa signification. Les deux articles ont exigé des Réformes, mais tandis que l'art. 16 déclarait que les territoires arméniens, occupés alors par l'armée russe, ne seraient pas évacués tant.que les Réformes ne seraient pas accomplies, fart. 61 substitua à cette pression effective la surveillance des Puissances. Il ne pouvait en être autrement, car Févacuation devaitimmêdiatement suivre la signature du Traité de lier lin. L'article 61.est raté lettre morte depuis trente- tfeSJEUNES-TURCS KTl/ARMfcNIE 289 quatre an* ; les Puissances n'ont pas eu à surveiller l'exécution de Réformes en faveur des Arméniens, car la Sublime Porte n'en a réalisé aucune. Le 11 mai 1895, après les premiers massacres du Sassoun, les Ambassadeurs d'Angleterre, de France et de Russie élaborèrent, à Conslantinople, un Mémorandum avec un Projet complet de Réformes, qui fut approuvé par tes trois autres Puissances signataires du Traité de Berlin, ?Allemagne, l'Autriche-Hongrie et tItalie (1) et qui fut accepté, avec quelques modifications, par la Sublime Porte. Malgré cette acceptation 'et bien qu'elle ait été suivie d'un Iradé du Sidtan (2), le Projet de 1895 ne fut point appliqué. Il ne fut plus question de Réformes et les persécutions continuèrent. Des hécatombes inoubliables firent jusqu'en 1896 plus de 300.000 yictimes. A l'avènement du Gouvernement Conslilutionel, en 1908, les Arméniens virent dans son programme libéral une porte de salut et ils prêtèrent au nouveau régime leur concours le plus dévoué. En réponse à leur loyalisme, 30*000 Arméniens furent massacrés dans ta Province d'Adana. La situation actuelle des Arméniens de Turquie n'est plus soutenable. Si, depuis quelques mois, ils ont échappé aux massacres en masse, ils ont été (1)Voir Livrejaune, Alfaires Arméniennes (18931891). (2) Ira.tédu 20octobre1895. 17 DE L'ARUÊMK AUTOUR agp' constamment exposés, aux brigandages des tribus nomades et ils ont subi sans relâche des persécutions de toutes sortes et des spoliations et usurpations méthodiques de leurs biens, qui ont été la cause de ruines sans nombre. Les Arméniens se trouvent aujourd'hui menacés d tout instant de perdre leur patrimoine et cette éventualité est, pour eux, d'autant plus douloureuse, qu'elle s'ajoute d l'insécurité de leur vie et de leur honneur. Nous n'avons pas besoin d'insister sur cette situation périlleuse aussi bien pour les Puissances et pour la Turquie que pour les Arméniens; dous nous permettrons de rappeler seulement que la guerre des Balkans a,été déchaînée par ^inexécution des Réformes stipulées dans Fart. 23 de ce même Traité de Berlin, dont l'Arménie n'a cessé d'invoquer vainement farticle 61. La Délégation Arménienne espère donc que les Puissances voudront bien reprendre leur Projet de Réformes du 11 mai 1895 et le faire entrer en application, tel qu'il a été conçu par Elles, mais avec des modifications et des remaniements indispensables. Il y a des articles qui, depuis dix-sept ans, sont devenus caducs et d'autres qui doivent être nécessairement adaptés aux circonstances nouvelles. La délégation a rédigé un Projet dans lequel elle s'est imposé de suivre l'esprit et même le texte du Mémorandum de 1895, mais dans lequel aussi elle a introduit les quelques LESJEUNES-TURCS ET'I/AHMÊME aQI modifications dont il vient d'être parlé et qui lut étaient inspirées surtout par les règlements dont l'utilité avait été reconnue par les Puissances et par la Porte, lors de {établissement des Réformes en Macédoine, de 1904 à 1908. Du reste, en Décembre dernier, le Gouvernement Ottoman comprenant l'importance des Réformes Arméniennes pour assurer le maintien de ^intégrité territoriale de son Empire Asiatique, a préparé un nouveau Projet de Réformes, dans lequel il supprime le contrôle des Puissances et par cela même toute garantie de durée et d'efficacité. IM Délégation ne peut, sur ce point, que s'en remettre aux Puissances, persuadée qu'une vive pression diplomatique ferait reconnaître à la Sublime Porte, plus efficacement qu'en 1895, la nécessité, devenue de jour en jour plus impérieuse, du contrôle prévu par Part. 61 du Traité de Rerlin. Le Président de la Délégation Nationale Arménienne, BOGIIOS NUBAR. Le gouvernement jeune-turc fit la sourde oreille. Aussi la Délégation arménienne rédigeat-elle une deuxième note, dans laquelle elle rappelait que le conflit turco-balkanique touchait à i sa fin et qu'il allait de l'intégrité même de l'empire ottoman d'accorder et de faire exécuter les PÉ L'ARVÉME AUTOUR agi réformes promises' pour les provinces armé* niennes. L'avertissement était accompagné d'un conseil de haute sagesse à l'endroit des Puissances, leur rappelant que le moment était plus opportun que jamais d'exiger l'application des réformes arméniennes. Cette deuxième note, portant la date du 22 mars 1913, était rédigée en ces termes : Les Réformes Arminiennes et L'Intégrité de la Turquie (TAsie. Le sort de la Turquie d'Europe étant sur le point d'être réglé, la Question d'Orient va se trouver transportée en Turquie d'Asie. Les puissances paraissent être daccord sur une politique de main* tien de l'intégrité de t Empire Ottoman en Asie ; or, pour que le maintien de cette intégrité soit possible, il faut écarter de la Turquie d'Asie toute cause de trouble et permettre au pays de se développer et de prospérer sous une bonne administration, — ce qui ne peut être obtenu que par Capplication de Réformes correspondant aux besoins locaux. Ije Gouvernement Ottoman i\? compris : il étudie actuellement (Mars 1913) vn Projet de Réformes qui ne s'étendrait plus seuU ml comme celui de Décembre 1912 (/) aux Provinces Arméniennes, dela Délégation da 21février1913: (1)Voirla Noteprécédente! « l'Art.61duTraitédeBerlinet lesreveudieatious arméniennes», $uprà, p. 287. LESJEUNES-TURCS KTI/ARMÉXIE ao/l mais encore à la Turquie a*Asie tout entière. Cest un plan qui parait trop vaste pour être du domaine d'une réalité prochaine. La Porte, décrétant les Réformes de sa propre initiative, cherche dans sa décision spontanée, une possibilité de se soustraire au Contrôle européen qui, seul, cependant, assurera une réalisation efficace des Réformes. On ne voit pas, en effet, par quels moyens on pourrait imposer à la Porte un Contrôle de Réformes embrassant tout FEmpire. Mais, quels que soient ses projets, la Porte ne peut pas faire table rase de Fart. 61 du Traité de Berlin ; elle ne peut pas empêcher que FEurope ne soit en droit d'exiger le Contrôle pour une partie de FEmpire: les provinces Arméniennes, où elle s'est engagée envers les Puissances, à exê' cuter des Réformes sous leur surveillance. Il est dans.Fintérét de l'Europe de réclamer de la Turquie la mise en application immédiate de ces Réformes'. Les Provinces Arméniennes n'ont pas cessé d'être en proie à un désordre anarchique qui pèse, depuis trop longtemps, sur la population et qui l'exaspère aujourd'hui à un tel point qu'il est impossible, sans péril, de le laisser persister. Les Réformes auraient, de ce côté, pour résultat de rétablir l'ordre, d'assurer la sécurité des personnes et des biens et de provoquer un développement de prospérité économique dont la Porte, la première, ressentirait les effets bienfaisants, ce qui la pousserait, sans doute, 4 étendre, l'expérience PE L'ARMÉNIE AUTOUR aij^ dans d'autres provittces de son Empire. Au point de vue de l'Europe, Feffet serait double. Par Famélioration de Fêtât économique de la Turquie d'Asie, les intérèti financiers de l'Europe, créancière de l'Empire Ottoman, se trouveraient entourés de pats de garanties; par le rétablissement de l'ordre et par la suppression de toutes chances de mécontentement et de troubles, le maintien de Finc'est-à-dire le principe sur tégritê territoriale, lequel s'appuie la politique des Puissances, se trouverait assuré tout aussi bien du dedans que du dehors. Les Réformes s'imposent donc à FEurope 'tant au point de vue politique qu'au point de vue économique et financier. Elles s'imposent pour les Provinces Arméniennes, puisque Fart. 61 du Traité' de Berlin donne aux Puissances le droit •de les exiger, et parce que cette partie de F Empire est à bout, et qu'il est très sérieusement à craindre que l'inexécution des promesses depuis si longtemps éludées, n'entraîne quelque événement qui mettrait en question Fintégrité de la Turquie d'Asie. C'est là un danger permanent que, seule, parviendra à éliminer la mise à exécution des Réformes. La Délégation supplie les Puissances de considérer que tout relard ne pourrait q\Caggraver le péril et que nulle autre occasion plus favorable ne se présentera pour l'Europe^ d'exigée l'application, des Réformes Arméniennes, LESJEUNES-TURCS ET L'ARMBNIK an5 Nous touchons a la fin du conflit turco-balkanique ; la signature de la paixt qui ne pourra être conclue qu'avec le concours des Puissances, devra être immédiatement suivie du règlement des questions politiques, économiques et financières intéressant le régime futur de la Turquie d'Asie. Pour ce règlement, pas,plus que pour la conclusion de la paix, la Porte ne pourra se passer des Puissances, et celles-ci auront alors toute faculté, d'imposer, pour la sauvegarde de leurs intérêts, des garanties, c'est-à-dire des Réformes, et, parmi ces Réformes, celles des Provinces Arméniennes, qui sont les plus urgentes, les plus immédiatement réalisables et celles dont les Puissances, ainsi qu'il est montré dans cet exposé, ont le droit incontestable d'exiger et de contrôler f application. Le Président de la Délégation Nationale Arménienne, BOGHOS NUBAfi. La Délégation poussait le scrupule jusqu'à rappeler que les Réformes enfin obtenues no devaient pas profiter aux seuls Arméniens. Ces réformes étaient destinées à tous les sujets Il ottomans, musulmans, juifs et chrétiens. s'agissait de mettre les populations sédentaires à l'abri des coups de main des nomades, et d'éviter les froissements qui ne tarderaient pas I»KL'ARMÉNIE AUTOUR 3(jG à se produire du fait des émigrants musulmans, fuyant devant los Balkaniques victorieux. C'est ce que fait ressortir la troisième note, libellée comme suit : 5 mai 19/3. les Réformes Arméniennes elles Populations Musulmanes. Les Emigrants (Vohadjirs) dans les Provinces Arménie nés. La Délégation Nationale Arménienne a précédemment exposé (1) la question des Réformes, dont. elle sollicite la mise à exécution dans les Provinces Arméniennes en invoquant rarticle 61 du Traité de Berlin et le Mémorandum (11 mai 1895) des Puissances signataires de ce Traité. Elle a indiqué, d'autre part (2), Félroite corrélation qui existe entre tes Léformes Arméniennes et le maintien de Fintégrité territoriale de la Turquie d'Asie, et Finfinance heureuse qu'elles auraient sur la situation financière et,sur le crédit de f Empire. Il reste maintenant à préciser, — car il importe de ne pas laisser se propager des idées inexactes sur Fesprit même des Réformes, — deux points impor• tants de leur application, en ce qui concerne Fêlé* i du27février1913«l'Article61 (1)Voirla Notede la Délégation du Traité de Berlin et les RevendicationsArméniennes»,tuprà, p. 287. (2) Voir la Note de la Délégationdu 22 mars 1913« les DéformesArménienneset l'intégritéde la Turquie d'Asie•• suprà, p. 292. LESJEUNES-TURCS ET L'ARMÉNIE 397 ment musulman des vilayets et les émigrants (mohadjirs) roumélioies et macédoniens. Il ne faudrait pas que les Réformes, du fait qu'elles sont demandées par les Arméniens pour mettre fin à leurs souffrances, pussent être considérées comme ne devant profiter qu'à eux seuls. Il ne faudrait pas,surtout, qu'elles pussent être interprétées comme un acte d'hostilité contre les populations musulmanes. Une équivoque a pu naître, qu'il est nécessaire de dissiper. Cette équivoque a pu provenir, d'abord de l'appellation, couramment adoptée, de Réformes Arméniennes, ensuite du fait^que ce sont les Arméniens qui les réclament. En réalité, les itêformes, dites arméniennes, doivent servir Fintêrèt de tous, des musulmans et des chrétiens; elles ont pour dut, en plaçant les vilayets sous une sage administration, de protéger les musulmans sédentaires, aussi 'bien que tes chrétiens, contre les brigandages, les désordres et' les meurtres des nomades. Elles répartiront à tous, avec une égale justice, la sécurité qui leur permettra de vivre et de prospérer. Ce serait donc ne pas-comprendre les Réformes que de croire qu'elles sont dirigées contre tes populations musulmanes ; celles-ci en bénéficieront, au contraire, et le Gouvernement ottoman n'a, par . cela même, aucun motif de les repousser. Son intérêt est/sans conteste, de tes adopter, tant pour 17. ao8 PE L'AR\IUNIE AUTOUR maintenir Fintègrité du territoire, que pour apaiser toute une région troublée et favoriser son entier développement économique. L'intérêt de la Porte est aussi d'écarter tout obstacle qui pourrait compromettre l'application des Réformes et, à ce titre, de renoncer à l'envoi des mohadjirs dans les Provinces Arméniennes. Il est question, en effet, de diriger vers les vilayets les mohadjirs rouméliotes et macédoniens, chassés d'Europe par la guerre balkanique. Cette multitude d'émigrants musulmans, arrivant parmi des populations, en grande partie chrétiennes, créerait un très grave danger. Ils ont eu à subir la victoire des chrétiens, qui ont envahi leur pays, et devant lesquels ils ont préféré abandonner leurs foyers, et de avides de dénués de accablés misère, tout, fuir, représailles. Cet état desprit, la profonde différence qui existe entre les deux races, les souvenirs des massacres passés, donneraient lieu infailliblement à des conflits dont on ne peut que trop prévoir les. conséquences. Il est donc indispensable d'empêcher l'installation des mohadjirs dans tes limites du territoire habité par les Arméniens. La Déléga(ion espère que les Puissances agiront auprès de ta Sublime Porte pour écarter ce péril redoutable et qu'Elles obtiendront tfElle que les mohadjirs soient dirigés vers des régions musulmanes, où ils trouveront une communauté d'existence et de moeurs. LESJEUNES-TI ROSET L'ARMÉNIE 3f)f) L'expérience du passé démontre que, chaque fois que des mohadjirs ont été transplantés parmi des chrétiens, il en est advenu une catastrophe. En 1814-1815, les mohadjirs tcherkesses, émigrés du Caucase, furent installés dans les, vilayets du Danube; il en'résulta de tels désordres que la guerre russo-turque éclata. Elle valut à la Turquie la perte de ses provinces danubiennes. En 1878, après Connexion par FAutriche de la Bosnie-Herzégovine, tes mohadjirs bosniaques furent installés en Macédoine; il suffit de quelques mois pour que leur présence y rallumât ta guerre civile et religieuse. La coiiséquence a été la guerre turco-balkanique actuelle et la perte, pour la Turquie, de toutes ses provinces dFEurope. Les Puissances ne voudront pas que de pareils enseignements demeurent stériles et que les mêmes causes puissent produire, en Arménie, de nouveaux événements capables de bouleverser la politique européenne et de provoquer de nouveaux risques de conflagration générale'. Le Président de la Délégation Nationale Arménienne, BOGHOS NUBAR. La Délégation arménienne rappelle que les ne sauraient être réformes dites arméniennes exécutées sans le contrôle effectif de l'Europe. 300 AUTOUR PE l.'ARMÉNIE Ce contrôle a du reste été prévu par l'article 61 du Traité de Berlin, et ce qu'on demande, ce n'est pas de l'instituer en principe, mais de le faire fonctionner et de nommer les contrôleurs, choisis dans les petits Etats neutres, qui auront pour mission fie se rendre sur les lieux et de vérifier si les réformes sont exécutées comme olles doivent l'être, de se rendre compte si les fonctionnaires turcs ne cherchent pas à éluder les instructions qu'ils ont reçues. Do fait, on ne demandait aucune concession nouvelle au gouvernement jeune-turc; on le priait simplement détenir les engagements pris par ses prédécesseurs, en favorisant par tous les moyens possibles la tâche qui allait incomber aux deux contrôleurs européens. Ce desideratum est formulé clairement dans la quatrième note : Paris, 14 Ju\n 1913. Les Réformes Arméniennes | et le Contrôle Européen. L'Article 61 du Traité de Berlin, qui contient Fengagement de la Sublime Porte de réaliser des réformes dans les Provinces Arméniennes, stipule, en même temps, que les Puissances, signataires de ce Traité, en surveilleront Fapplication (1). Cette (!) Voirla Notede la Délégation,du 27 Terrier1913: « L'article61da Traitéde Berlinet les rerendieationsarméniennes», iuprà, p. 237. LESJEUNES-TURCS ET I.'ARMÉNIE ' 3oi surveillance ou contrôle est la seule garantie de ta viabilité des réformes et de leur fonctionnement régulier et fécond. Nombreux sont, en effet, les Projets de Réformes que le Gouvernement ottoman a eu Fintent'on d'appliquer depuis 1861, plusieurs de ces Projets furent inspirés par tes conseils de Puissances Européennes et reçurent même un commencement d'exécution : mais ils furent tous abandonnés, précisément parce qu'aucun contrôlé n'en assurait le maintien et la continuité. L'exemple te plus frappant, à cet égard, est celui du Projet de Réformes de 1895, qui ne fut jamais appliqué, parce que ta Porte ne Favait accepté qu'en le modifiant et en supprimant le contrôle européen. On ne pourrait invoquer en Turquie qu'une exception :' c'est dans le domaine des réformes financières, te Conseil de ta Dette Publique, qui a réorganisé les finances de F Empire. Mais cette exception même confirme ta règle ; car, s'il est vrai qu'un contrôle n'est pas attaché au Conseil de la Dette, le mode de nomination de ses membres européens, désignés directement par les Syndicats des Détenteurs de litres et, par cela même, placés à'l'abri des changements politiques, n'en constitue pas moins une garantie équivalente. L'expérience a donc montré que les réformes en Turquie, lorsqu'elles ne sont pas appuyées d'un contrôle, restent fatalement à l'état de promesse et 3oa . AUTOUR I WEL'ARMÉNIE que si même elles sont parfois mises d exécution, elles cessent peu après n'être appliquées. Cette constatation ne doit pas étonner ceux qui savent qu'en Turquie l'observation des règlements administratifs est souvent indépendante de la volonté du Gouvernement, dont les instructions ne sont pas suivies ou sont mal interprétées. L'incurie, l'incapacité et tes excès de pouvoir, chez tes fonctionnaires des provinces, sont traditionnels et poussés à tin tel point que le Gouvernement central ne peut souvent en avoir raison. La situation actuelle des Provinces Arméniennes en est une preuve convaincante. Le Gouvernement voit te danger et il\ ne peut certes pas être soupçonné d'encourager, en ce moment, l'état anarchique qui règne dans les vilayets ; i7 a été cependant impuissant à y mettre un terme. Il n'a pu obtenir des autorités locales la répression des crimes et des abus tes plus divers; et ces crimes et ves abus se commettent journellement, plus mendçants que jamais. En conséquence, le contrôle prévu par FArticle 61 est non seulement indispensable, mais encore il'faut, pour qu'il soit effectif, qu'il s'exerce sur les lieux mêmes et que les Puissances aient, à cet effet, des intermédiaires pouvant veiller à ce que les fonctionnaires locaux, chargés de ta réalisation des réformes, les exécutent réellement, sans défaillances, sans partialité et sans chercher à éluder Fapplication de la loi. Tel est le but à atteindre. Plusieurs solutions LESJEUNES-TURCS ET L'ARMÉNIE 3O3 peuvent y conduire. Il appartient aux Puissances de choisir, d'accord avec ta Sublime Porte, cette qui répondra te mieux aux conditions requises, d'être efficace et de ne rien présenter, dans sa forme, qui touche au prestige du trône. Nous avons montré, dans une précédente note (1), que tintégritê territoriale de la Turquie d'Asie ne pourrait être maintenue sans les réformes ; les considérations que nous venons de développer auront établi, d leur tour, que ces réformes elles-mêmes ne pourront exister et, partant, n'empêcheront cette.intégrité d'être compromise, que si elfes sont contrôlées. On conçoit donc que nous insistions sur ' ta nécessité du contrôle, qui est la seule question importante séparant encore les projets du Gouvernement ottoman de celui de la Délégation. Cette nécessité à d'ailleurs été proclamée par d'êminents hommes d'filât et publicisles européens. Nous citerons Lord Gtanville qui, étant Ministre des Affaires • a déclaré « Sans un contrôle : euroÉtrangères, pèen, il est fort d craindre que toute tentative de réformes en Turquie n'aboutisse à un avortement ». Plus tard, c'est Lord Salisbury qui assurait que « non seulement une surveillance était nécessaire, mais encore qu'elle devait être organisée sur les (1) Voir la Note de la Délégationdu 22 mars 1913: « Les RéformesArménienneset l'Intégritéde la Turquie d'Asie», suprà, p. 292. 3o4 AUTOUR DEL'ARMÉNIE lieux et, qu'exercée de Conslanlinople, elle serait illusoire ». Récemment, le Times disait dans un leading article : « Qu'aucune réforme ne saurait réussir en Turquie sans un contrôle européen ». En France, M. Clemenceau a écrit : « Les réformes promises et non. réalisées conduiront, comme en Macédoine, d la guerre... il faut un contrôle efficace ». M. Victor Bérard a déclaré : « Réforme ottomane, contrôle européen, réformes efficaces, contrôle effectif; en dehors de celte formule, il n'est d'avenir assuré ni pour la nation arménienne, ni pour la souveraineté turque ;en Asie ». Un èditorial du Temps a été enfin tput aussi catégorique : a 11 serait, dit-il, superflu aujourd'hui de parler des réformes sans contrôle, nul n'y croirait; la Turquie doit s'en rendre compte ». Ces opinions ont trouvé un écho même en Turquie, où, nous sommes heureux de le constater, le contrôle compte aujourd'hui de nombreux partisans. Déjà, certains organes de la presse turque de Constantinople lui ont franchement donné leur adhésion ; déjà, des hommes politiques turcs, instruits par les derniers événements, n'attendant le salut de leur patrie que de l'application des réformes, ont eu la clairvoyance de reconnaître qu'elles ne pourront être rendues efficaces que par un contrôle. Et nous avons des raisons de croire que, parmi les membres du parti au pouvoir, il s'en trouve plusieurs, et non des moindres, qui pensent ET L'ARMÉNIE LESJEUNES-TURCS 3O5 de même et ne sont plus arrêtés que par une question de forme, qu'il serait facile de résoudre de manière à donner satisfaction à de justes susceptibilités. En fait, le Gouvernement actuel, en admettant le contrôle, n'accorderait pas une concession nouvelle ; il ne ferait que tenir un engagement, pris par ses prédécesseurs, par lequel il se trouve lié. Nous ne doutons pas que lés hommes d'Élal ottomans, reconnaissant que ta Turquie ne pourra être régénérée que par des mesures énergiques et non par des décrets qui restent lettre morte, voudront que l'oeuvre de relèvement de la Turquie soit durable et placée d Fabri des reviremejits des partis politiques. La Délégation espère donc que, pour assurer à cette oeuvre une stabilité et une permanence qui en feront la force, le Gouvernement consentira d inscrire dansfson programme, un contrôle, permet, tant aux réformes d'atteindre leur but et de transformer des régions aujourd'hui improductives en un pays prospère, où règne raient t pour tous, musulmans et chrétiens (/), ta sécurité et la iustice. Le Président de la Délégation Nationale Arménienne, BOGIIOS NUBAB. (t) Voirla Notede la Délégation«lu 5 mai 1913: • Les Réformes Arméniefcoeiet les PopulatioqsMusulmanes», tuyrà, p. 296. 3o6 PE L'ARMANIB AUTOUR Le gouvernement jeune-turc persistait dans son parti-pri* de refuser les réformes demandées, de refuser môme l'entrée en fonction des contrôleurs européens dont la nomination avait été décidée de longue date. Au projet des Puissances d'établir des contrôleurs européens surveillant les agissements des fonctionnaires turcs, le gouvernement ottoman opposa un contre-projet, qui était, en réalité, une fin de non-recevoir; il s'agissait de nommer des inspecteurs généraux ottomans, auxquels on adjoindrait de simples conseillers européens, ' n'auraient d'attributions qui pas précises. La duplicité turque apparaît nettement exposée dans la cinquième et dernière note de la Délégation arménienne, et qui porte la date du 22 novembre 1913. Voici en effet en quoi consistait le contre-projet des Jeunes-Turcs, décidés plus que jamais à ne pas obtempérer aux désirs des Puissances : * Les Réformes Arméniennes. Le contre-projet de la Sublime-Porte el les Conseillers Européens. Les nouvelles de Constantinople tious font connaître que ta S. Porte a rejeté le projet transactionnel présenté par les Ambassadeurs et qu'elle leur oppose une contre-proposition où il n'est plus question ni de contrôle, ni d'Inspecteurs Généraux ET L'ARMÉNIE LESJEUNES-TURCS 30/ européens nommés sur la présentation des Candidats par les Puissances, mais d'Inspecteurs Généraux ottomans, auxquels on adjoindrait de simples Conseillers européens, sdns même donner à ceux-ci des attributions executives. Dans une entrevue antérieure, le Grand Vizir avait déclaré à FAmbassadeur de Russie que les Conseillers européens qu'il se proposait d'adjoindre aux Inspecteurs Généraux, « seraient tout, et que les Inspecteurs Généraux Ottomans ne feraient rien sans leur assentiment. » Or, rien de semblable n'apparaît dans le contreprojet de ta S. Porte, qui, au contraire, réduit les dttributions des Conseillers à seconder les Inspecteurs Généraux et, tout en leur conférant la Présidence d'un Conseil composé de fonctionnaires locaux, ne éeur donne aucun pouvoir d exécution. Nous pensons que F idée de ces Conseillers Européens est venjue au Grand Vizir S. A. le prince Satd Pacha Ualim, de ce qu'il a vu fonctionner avec succès en Egypte, où dans chaque Ministère nous avons, à côté du Ministre, un Conseiller qui effectivement a des attributions executives des plus étendues et nous sommes convaincus qiéil est de bonne foi en disant que de même, dans sa pensée, les Conseillers en Arménie seraient tout; mais il y a entre les deux cas une différence essentielle, c'est qu'en Egypte tous tes Couoeillers sont des Anglais, et qu*ils ont l'appui d'une seule Puis- 3o8 DEL'ARMÉNIE AUTOUR sance, l'Angleterre. Derrière le Conseiller, il y a un Lord Cromer ou un Lord Kitch'ener, de sorte qu'il ne donne pas un ordre qui ne soit aussitôt mis à exécution sans heurt et sans possibilité de 'conflits. Il en serait tout autrement en Arménie/ avec le contre-projet de la S. Porte, où les Conseillers, ayant des attributions mal définies, sans responsabilité, auraient derrière eux, au leu d'une seule, six Puissances, en're lesquelles oti ne peut espérer maintenir un accord constant. La combinaison Savoir des Conseillers Européens au lieu d'Inspecteurs Généraux ne serait donc admissible que si Fon pouvait trouver une formule pour que, tout en étant une doublure en apparence des Inspecteurs Généraux Ottomans, ils aient des pouvoirs exécutifs en fait. Si la S. Porte consentait à s'y prêter, par un artifice de rédaction facile à imaginer qui mette sa susceptibilité à couvert, nous serions les premiers à accepter le système de Conseillers, — étante bien entendu que Fon maintiendrait les autres articles du projet des Ambassadeurs, — tels que le contrôle, la représentation des Arméniens par moitié, dans les Assemblées provinciales et dans les fonctions administratives. Comme seul correctif, le contre-projet turc stipule que les conflits entre leu Inspecteurs Généraux et leurs Conseillers seraient tranchés par le Conseil des Ministres; mais étant donné les atermoiements et les fins de non recevoir habituels de la diplo- LESJÉUNES-TURCS Et L'ARM&NIB 3Û<J Ynnlîeollomnn*, on peut affirmer que les conflits seraient résolus en faveur des Inspecteurs Généraux ou s'éterniseraient et paralyseraient Faction des Conseillers. En Vautres termes, la Turquie, après avoir admis en partie les vues des Puissances, revient aujourd'hui à son premier système d'opposition par des contre-projets. Il serait très dangereux de la suivre dans cette voie. Nous ne devons pas perdre de vue, en effet, que les réformes ont pour but a'écarter tout danger de démembrement de la Turquie d'Asie et que ce but ne pourra être atteint que par la mise à exécution des réformes efficaces solidement établies, et non par des demi-mesures ou des réformes incomplètes, qu'on se proposerait de compléter progressivement dans la suite, ainsi qu'on t'a si malheureusement tenté en Macédoine, où Finsuccès, et les terribles conséquences qui en sont résultées, provenaient précisément de ce qu'on s'était borné tout d'abord d des ré formes partielles et insuffisantes et qu'on les avait même abolies, ensuite, à l'avènement du Gouvernement ConstitutionneL Des réformes établies dans ces conditions dêfec* tueuses n'auraient aucun résultat et laisseraient subsister tous les dangers d'interventions étrans gères, Il n'y a donc de solution logique vl pratique que dans te maintien du projet transactionnel des 3lO DEL'ARMÉNIE AUTOUR Ambassadeurs qui implique des pouvoirs effectif s donnés d des fonctionnaires européens responsables, chargés d'appliquer les réformes avec Fappui et le contrôle des Puissances. On pourrait modifier la forme du projet transactionnel pour ménager lés apparences, mais le principe doit être maintenu dans son inlègriiê. Nous sommes persuadés que si les négociateurs européens montraient comme inébranlable la décision des Puissances de refuser tout concours financier, tant que la question des réformes n'aurait pas reçu une solution raisonnable, la S. Porte, qui ne peut se passer de l'emprunt, ne tarderait pas à accepter les réformes sur tes bases au sujet desquelles l'accord s'est établi entre les Puissances. Dirigées dans ce sens, les négociations ne porteraient d'ailleurs nulle atteinte aux relations des Gouvernements d'Europe avec la, S. Porte, car ta Turquie devra enfin comprendre que son opposition actuelle est contraire à ses propres intérêts; nous tenons, en effet, à établir qu'en préconisant une pression financière, il n'est nullement dans notre petisée que l'on doive empêcher l'émission de l'emprunt, qui est indispensable à la consolidation de l'Empire. Nous voulons, au contraire, qu'il soit conclu, afin d'éviter des embarras, qui pourraient compromettre l'intégrité territoriale, que les Arméniens ont intérêt à maintenir, comme tous tes ' sujets de FEmpire. i,ESJEUNES-TURCS ET L'ARMENIE 3ll Les Puissances pourraient donc exercer celte pression, qui n'a aucun caractère d'hostilité, sans se départir de leur politique amicale envers la Turquie ; elles n'auraient même pas à refuser l'emprunt, Il leur suffirait de déclarer qu'elles seront prêtes à en faciliter la conclusion, si la S. Porte s'engage, de son côté, à réaliser les réformes. La solution dépendrait donc de la S. Porte qui n'aurait, en somme, qu'à accepter une condition, dont l'Empire serait te premier d bénéficier et qui écarterait en même temps toutes craintes de complications pouvant menacer la paix de l'Europe. Le Président de la Délégation Nationale Arménienne, • BOGHOS NUBAR. Mais le gouvernement jeune-turc ne voulait à aucun prix d'immixtion européenne effective dans les affaires de l'Empire ottoman; il ne voulait pas que des contrôleurs européens pusles Puissances sur les agissesent renseigner ments que l'on pratiquait à l'égard des chrétiens de l'Empire. Peut-être aussi les Jeunes-Turcs étaient-ils déjà, à la fin de 1913, au courant des projets allemands, et ils ne voulaient pas que l'on connût à l'avance les crimes qu'ils méditaient et qui ne tarderaient pas à être perpétrés. 3 12 AUTOUR PE L'AÏIMENI11 Cependant, les Arméniens et les arméno* philes ne se décourageaient pas; la Porte accepta et promulgua le 8 février 1914 1' « Acte de réformes » à appliquer en Arménie; et enfin, en mai 1914, on apprenait que les inspecteurs généraux avaient été désignés, avec mission de surveiller l'exécution des réformes dans les vilayets arméniens. Ces inspecteurs étaient un Hollandais,- M. Westenenk, et un Norvégien, le colonel Nicolas Hoff. C'était, dans l'état d'alors de la Turquie, l'idéal pour les Arméniens. Ces inspecteurs, délégués par l'Europe, munis de pleins pouvoirs auraient établi la sécurité pour les Arméniens, comme pour le reste de la population. Les esprits semblaient satisfaits et calmés, lorsque le président de la Délégation arménienne apprit que le texte relatif aux inspecteurs avait été tronqué. Le texte proposé par les puissances portait en effet: « les inspecteurs seront proposés par l'Europe et acceptés par le sultan ». On sut à temps à Paris que la phrase avait été retournée par les Turcs et ainsi libellée : « Les inspecteurs seront nommés par le sultan et agréés par l'Europe ». C'était une dernière manoeuvre. Malgré son état de souffrance, Itoghos Nubar Pacha, partit immédiatement pour Pétrograd, arrangea l'affaire et fit rétablir le texte dans sa teneur première. LfeSJÊUNES-TURCS ET L'ARMÉNIE 3l3 Enfin le numéro du 25 juin-10 juillet 1914 de Pro Armenia annonçait que « les deux inspecteurs partiront dans une dizaine de jours pour les provinces arméniennes. Chacun d'eux sera et de accompagné de son secrétaire-adjoint quelques spécialistes dans les affaires administratives ». Les inspecteurs ne partirent pas... Le 3 août 1914, les Allemands déclaraient la guerro à la Russie et à la France. Les Turcs ne tardèrent pas à se ranger aux côtés des puissances centrales et, en 1915, le gouvernement jeuneturc faisait exterminer les populations arméniennes d'Asie Mineure sans que les Alliés allemands et austro-hongrois aient fait entendre une protestation. Le drame une fois accompli, la marche victorieuse des Russes dans la haute Arménie fut de Trébimarquée par la prise d'Erzeroum, zondé, d'Erzenka (Erzindjian). Nous avons signalé ci-dessus les principaux récits des massacres de 1915; nous nous bornerons à reproduire ici un passage du Rapport du prince Argoutian Yurgatnapazouk, représentant de » VUnion des villes » do Russie, sur les massacres de Trébizondé : « Trébizondé comptait avant la guerre 3l4 OE L'ARMENIE AUTOUR 55000 habitants, dont 25000 Turcs, 15000 Grecs et 15000 Arméniens. .« Nous avons occupé la ville sans coup férir et nous avons trouvé intacts les isomptueux palais, les magasins pleins de marchandises, les ponts, les routes, les casernes, le canal, les points stratégiques ainsi que d'énormes provisions. « Les Grecs nous expliquèrent que les Turcs en évacuant Trébizondé n'avaient rien détruit car ils étaient fermement convaincus qu'ils la bientôt. réoccuperaient . « Quand les Russes entrèrent à Trébizènde, il n'y avait plus que 15000 habitants, presque tous des Grecs. Les Turcs s'étaient enfuis avec ils avaient l'armée. Quant aux Arméniens, presque tous été massacrés ou noyés par les Turcs. Les seuls survivants de cette effroyable boucherie sont : quelques centaines d'enfants et cent ou cent-vingt francs-tireurs qui, pour se soustraire au massacre, firent une guerre de partisans. « Les Arméniens des villages environnants ont eu le môme sort. Les atrocités dont furent victimes les Arméniens de cette région dépassent en horreur toutes celles qui ont été commises ailleurs. Les déclarations des Grecs, du missionnaire américain, d'une Suissesse, propriétaire d'un hôtel de la ville, de quelques LESJKUNKS-TURCS ET L'ARMÉNIE 3l5 sujets russes, de deux Arméniens catholiques... nous présentent de la façon suivante l'horrible tableau de ces massacres. C'est en juillet 1915 qu'a commencé à Trébizondé la déportation des Arméniens. « D'après les uns, les Turcs ont accordé cinq à six jours pour-se préparer au départ. Dès le premier jour, ils ont arrêté quelques centaines de jeunes gens et des notables en vue, sons aux succès russes. prétexte qu'ils contribuaient Ils les ont embarqués dans des mahonnes et conduits du côté d'Eros et du cap Rladeau. des victimes qui purent se sauQuelques-unes ver racontèrent qu'ils furent tous noyés. « Le délai expiré, des gendarmes ont séparé les hommes des femmes; parmi ces dernières, ils ont choisi les plus jeunes et les plus jolies, ils les ont enfermées dans une maison où elles furent mises/à la disposition des officiers. Ces femmes etecs jeunes filles, quelque temps après, furent égorgées et jetées à la mer. « Les autres,hommes et femmes, ont été séparément déportés à Djcvizlik qui esta 25 versles de Trébizondé; les femmes furent violées par les gendarmes. A Djcvizlik, tous furent massaà la baïonnette. crés, des enfants embrochés Un officier imagina un abominable divertissement : il fit aligner des enfants, puis il s'amusa à les abattre à coups de revolver en les visant 3l6 PE L'ARMENIE AUTOUR au front. Ceux qui rostèrent encore après ces carnages, hommes, femmes et enfants furent poussés en avant vers Erzeroum. Des paysans turcs racontèrent aux Grecs que la route était jonchée de cadavres d'enfants et d'adultes. « Au moment de quitter Trébizondé, les Aravaient reçu,. paraît-il, l'assurance méniens qu'il ne leur serait fait aucun mal. Mais, quand les premiers groupes quittèrent la ville, ils (les à enlever de force les Turcs) commencèrent enfants mâles, et les plus vigoureux furent distribués aux Turcs pour profiter gratuitement de leurs bras après les avoir convertis àjl'isla-' misme. Quant aux autres, les uns furent tués, les autres furent, selon le témoignage des Grecs, mis dans des corbeilles et jetés à la mer. a Le commandant d'un navire de guerre m'a raconté que la mer a rejeté sur la côte onze cadavres d'enfants. Beaucoup de cadavres se trouvent sur le rivage non loin d'Arkhavé. Les. Turcs, en quittant la ville, ont laissé aux Grecs quelques-uns des enfants arméniens. « Des membres d'une société de bienfaisance de Ratoum sonten train de recueillir ces orphelins à Trébizondé et aux environs. Jusqu'à présent, ils en ont recueilli cinquante; mais, selon le dire des Grecs, on pourrait atteindre le chiffre de mille. La plupart de ces petits malheureux ont été hébergés par les familles grecques LESJEUNES-TURCS ET L'ARMÉNIE $17 ont circonstance, qui, en cette douloureuse rendu de signalés services aux Arméniens et fait preuve d'une grande humanité. «c Beaucoup de ces enfants se sont sauvés dans les forêts voisines; ils ont dû se cacher dans les cavernes, se nourrissant de racines, de fruits et quelquefois de la charité des rares passants à travers la forêt. (( A la vue de ces orphelins hospitalisés en ce moment à Trébizondé, on est saisi d'une douloureuse impression : ils sont encore couverts de haillons, ils sont d'une débilité extrême, ils tous ceux qui s'approchent d'eux regardent avec des yeux pleins d'épouvante. Ils demandent même à ceux qui les soignent s'ils ne vont pas les tuer. .J'ai vu un jeune garçon, fils de parents aisés, -iyant eu précepteur, aujourd'hui à demi vêtu, malade, le .corps couvert de plaies. J'ai vu, chose horrible, une malheureuse fillette de douze ans enceinte. J'ai vu une jeune fille d'une riche famille, élevée à l'européenne, parlant plusieurs langues, que des officiers ont violée à tour do rôle après qu'ils curent massacré ses parents- Ces deux jeunes filles, quand nous les vîmes, manifestaient tous les signes de la folie. 11 m'est impossible d'oublier la tragique situation de cette pauvre fillette qui répétait sans cesse qu'elle aurait un enfant de celui qui a assassiné ses patents et qui a à jamais brisé sa vif». u. 3i8 PE L'ARMÉVIE AUTOUR « Les Arméniens catholiques n'eurent d'abord pas à se plaindre; mais plus tard, ils eurent le mémo sort que les Arméniens grégoriens; Mekhitharistes* furent égormême les'soeurs gées. a Le métropolite grec avait recueilli 200 enfants; le consul américain, 300. Au début, le laissa faire, à condition que les gouvernement enfants aient moins de dix ans. Mais, au moment le plus actif des massacres, il exigea que les enfants soient confiés à l'orphelinat de la ville, où ils lurent pendant un certain temps assez bien traités; mais bientôt l'orphelinat se vida : les fillettes de dix à onze ans furent distribuées aux Turcs comme odalisques; quant aux autres, il est probable qu'ils furent ou noyés ou empoisonnés. « Quelques enfants furent aussi sauvés par des familles pers nés habitant Trébizondé. u C'est l'opinion uhartlftje des Grecs que le promoteur de ces massacres fut le gouvernement turc, qui les fit exécuter selon un plan prémédité et dûment préparé. L'autorité locale punissait sévèrement tous ceux qui essayaient de cacher les Arméniens. Un fonctionnaire supérieur turc a avoué à un notable grec qu'on avait noyé environ 800 enfants. « Quelques Arméniens se sont suicidés ait moment où les gendarmes venaient chercher LE-*JEUNES-TURCS ET I.'ARMÊME 3|C) les membres do leur famille; on cite entre autres: Minas Toutountchian et Khatchik Aslanian, qui se sont brûlé la cervelle après avoir tué leurs filles. « Les quelques survivants de celle effroyable tragédie expriment leurs sentiments de vivo reconnaissance envers tous ceux qui essayèrent avec courage do sauver quelques-uns de ces malheureux. Ils citent les noms suivants : le consul d'Amérique; le missionnaire américain M. Grafforte; une Suissesse, propriétaire d'un hôtel; un Turc Chelketbey Chatir Zaddé, dont le fils fut tué par les gendarmes pour avoir en faveur des commis le crime... d'intervenir massacués. « Par contre, nous avons appris de source autorisée, le fait suivant : le consul allemand avait depuis longtemps à son service une cuisinière arménienne; malgré toutes les facilités dont il disposait pour la cacher, il l'a remise aux bourreaux qui l'ont égorgée. « On nous a aussi raconté la conduite inhumaine de la femme du consul allemand, qui eut l'occasion de sauver quelques-unes de ces victimes et qui n'en a rien fait. « Les Turcs ont agi de la façon suivante avec Les maisons, au les biens des Arméniens. notflhre d'environ 1000, ont été confisquées au profit du trésor impérial, les objets précieux 3ao AUTOLR PE L'ARVIL.ME - , ont été réunis dans une maison et les meubles dans l'église. Après le massacre des Arméniens, tous ces butins ont été transportés chez les Turcs; puis, quand ces derniers abandonnèrent la ville, ces meubles et ces objets, ainsi que ceux des Turcs, furent pillés par une partie des habitants de la ville. « Les Turcs abandonnèrent volontairement Trébizondé après la chute d'Erzeroum, mais ils furent contraints à l'évacuer après la prise de Rizzé. « Us propageaient la nouvelle que l'armée russe était précédée de volontaires arméniens tous les Turcs sur leur qui massacreraient passage; que les Russes enverraient les femmes dans des maisons publiques; quant aux jeunes gens, ils les incorporeraient dans l'armée. « Quant aux secours que doit fournir l'Union des Villes, le prince Argoutian juge indispensable l'envoi d'un représentant muni de pleins pouvoirs pour : 1° ouvrir un orphelinat pour 300,... 500 enfants; 2* organiser des stations 3° former Un comité pour la d'alimentation; protection des biens des orphelins et de ceux qui rentreront dans leur toyer; 4° créer un comité spécial pour la recherche des enfants et des jeunes filles qui sont gardés arbitrairement chez les quelques familles turques des environs de Trébizondé ». ET L'ARVÊMB LESJEUNES-TURCS , 3^1 La preuve des assassinats en masse ou isolés n'est plus à faire. L'indifférence avec laquelle lis agents allemands, sur territoire turc, laissèrent faire leurs amis et alliés n'est pas moins connue. Voici un extrait du numéro du 20 juin 1916 du Times, communiqué à ce journal par son correspondant dans les Balkans : (1) « Talaat bey, le ministre turc de l'Intérieur, a fait quelques aveux intéressants à un journaliste allemand, à Constanlinople. En Russie Bukarcst (t) TalaatBey,the Turkuh Minuterof tbe luterlor, has inade tome inleréstiugconfessionsto a Germasjourualist at COQStaatiaople.TlteArmeulansla Rus«iaanJ Turkey,he says,eultivate a polilicalidéalwhichcan ouly be realizedby the destruelioQof tbe OttomanEmpire.At tbe beginningoftbe wara conferencejofdelegalesfrombothsectionsof tbe race wasbeld in AfiaMinor,at whichit wa>decidedtint the Armeniaosof theCaucaseshouldtake up aruiswitli Russia,whitethosein Turkeyshouldinaiutaioan expectaittattitudefor Ihc présent. Oa learningLoi»décisionTalaat made inquiriesamongsoroe leadiogArmeuians,whodid not deny thelr treasonableplans and excusedthetnon thegroiiodof Turkisbmaladminutration. Howtbe avowalswere extortedwe are not told, but domiciliary vùits followedwhichrevealedthe existenceof armaand bombsin Armeoituhouies.The« removal» of the Armenians from lhe ea*ternvilayetsof Turkeybecamein conséquencea « military, national,and h'storical necessity ». Tbeir déportationfromthe western districts vra»decidedon when,after the transferoftbe seat ofgovernthe altackon the Dardanelles, mentfromConslantinopletoEskishehrcameto be considered. Theconvoyaof exilesfrom the castern provinceswereattacked on tbeir way to Mesopotamiaand partly massacredby tbe Kurds,who,Talaat Beysays,were severelypnuisbedfor tbU 3a3 DE L'\RMÛMK AUTOUR et en Turquie, dit-il, les Arméniens poursuivent un idéal politique qui no peut ètro atteint que par la destruction de l'Empire ottoman. Au commencement de la guerre, des délégués des deux fractions de la race [arménienne) eurent une conférence en Asie Mineure; on y décida que les Arméniens du Caucase prendraient les armes avec la Russie, tandis que une attitude ceux de Turquie observeraient offence;the removalof tbe westerngroup to Deyri-Zorwas unfortunatelyintrusted to an iucapableofficiaiand-serious • excesses» followed. Aftermakingthèse révélationsTalaat bey passedbis band overhis eyesas though to banUhan nnpteasantvision.<*j\Ve are not savages», be said; « thèse sad occurenceshâvecost me raany sleeplessuighls. We hâve been blamed for not makinga distinctionbetweenthe inuocentand the guilty. It was impossible;the innocent of to-day might beeometbe guilly of to-morrow». We mnst be tbankfulfor thèse tardy admissionson the part of theTurkishMinisterof the Inlerior. Tbemainfeaturesof the terriblesériesof massacresarealready known,but the gbastlydétailsof the great tragedybave, lu manycases, not yet reachedthe outerworld. ThepréventiveSystemofjusticewhichTalaatBeyhasadopted is basedon the précédentsestablisbedby Abdulllamid; tbcre is nolhingnew exceptthe franlnesswithwhichhe Justifiesbis acls. Wholesalemetbodshâve atways'beenfamiliarto Turkish administrationin dealing witb discontentedChristianpopulations;tbey dispensewilh the tedioùs procès*of discrimination betweentbe innoceutand the guiltyandat leastensure the punishmentof the latter. EveryArmenianis a revolationaryin posse,if not in esse,and shouldthereforebe put out of the wayof teraptation.Talaathasgoneoneslepfarlherthan the famousD' Keate,who QoggedEton boyslest tbey should be naughty; witb the suppressionof ail possibleoffenders oflencescanno longerexist. LESJEUNES-TURCS ET I.'ARUËNIE 3a3 d'expectative quant à présont. En apprenant cette décision, Talaat ordonna des enquêtes ohez quelques dirigeants arméniens, qui no nièrent pas la traîtrise de leurs plans et s'excusèrent en prétextant la mauvaise administration turque. On ne nous dit pas comment ces aveux furent obtenus, mais des visites domiciliaires révélèrent la présence d'armes et de Le bombes dans des maisons arméniennes. a déplacement » des Arméniens des vilayets orientaux do Turquie devint en conséquence une « nécessité militaire, nationale et historique ». Leur déportation des cantons occidentaux fut décidée quand, après l'attaque des Dardanelles, on envisagea la possibilité de transporter le siège du gouvernement de Constantinople à Eskishehr. « Les convois d'exilés des provinces orientales furent attaqués dans leur marche vers la Mésopotamie et'en partie massacrés par les Kurdes, qui, au dire de Talaat bey, furent sévèrement punis pour celle faute. Le déplacement du groupe occidental vers Dcyri Zor fut malheureusement confié à un officier incapable et ' » « excès suivi d* graves. « Après avoir fait ces révélations, Talaat bey se passa la main sur les yeux comme pour « Nous ne chasser une vision désagréable. sommes pas des sauvages », dit-ii; a ces tristes 3a4 DEi'^\i.»i£*h AUTOUR événements m'ont coûté f>luisi»nirs nuits d'in* somnie. On nous a blâmée poiiT n'avoir pas fait de différence entre l'innocent et le coupable; c'était impossible; l'innocent d'aujourd'hui peut devenir le coupable de de>t))»ia ». Nous devons être reconnaissants au mftnXre turc de l'Intérieur de ces concessions tardives. Les traits principaux des terribles séries de massacres sont déjà connus, mais h& détails horribles de la grande tragédie n'cnt pas encore, dans bien des cas, atteint le motije extérieur. « Le système préventif die justice, adopté par Talaat bey, repose sur le^ précédents établis de nouveau, par Abdul-ilamid. Il n'y «làrien si ce n'est la franchise avçç laquelle il justifie ses actes. Des méthodes d'action en masse ont toujours été familières à l'^drniiustration turque dans sa conduite à VégUfâ des populations chrétiennes mécontentes* el-le dispense du procédé ennuyeux de discerner entre l'innocent et le coupable, et assure du inclus le châtiment de ce dernier. Chaque Armâtpieu est un révolutionnaire en puissance, s*i&soaen acte, et doit, en conséquence, être m is hors d'état de se 'laisser tenter. Talaat a fatigua pas de plus que le fameux Dr Keate, qui fiJstigeait les élèves d'Iiton de peur qu'ils ne? soient méchants. En supprimant tous les criminels possible, on » lès du même crimes. tous coup supprime Er L'ARMÉNIK LESJEUNES-TURCS ,3a5 * * Si la chose n'était pas aussi tragique, on aimerait pouvoir sourire, à la pensée do Talaat faisant sévèrement punir les Kurdes pour avoir assassiné des Arméniens. Et surtout, s'il n'était pas une bête fauve avec qui l'on ne discute pas, comme on prendrait plaisir à lui demander si les bombes découvertes dans des maisons arméniennes n'y avaient pas été déposées sur son ordre. Depuis près de quarante ans, les Arméniens du Caucase sont sujets russes; c'était leur plus élémentaire devoir de combattre dans les rangs de l'armée russe. Ce faien aucune façon sant, ils ne complotaient contre le gouvernement turc. Les Arméniens enrôlés dans les armées ottomanes, lors des récentes guerres balkaniques, se sont conduits en héros et ont mérité les éloges des officiers turcs. Quelques-uns, il est vrai, désertèrent; mais c'est qu'il leur répugnait de se plier aux caprices inavouables des soldats et des officiers turcs, qui prétendaient pratiquer à l'égard de ces chrétiens des moeurs que l'on ne nomme pas. Ainsi la tactique de Talaat, se résume, à 19 3aC AUTOUR OE L'ARVENIB l'égard dos Arméniens, en un mot : « l'innocent d'aujourd'hui peut devonir lo criminel (lo coupable) do demain ». Un point est acquis ; uno conclusion s'impose : le peuple arménien ne peut plus vivre sous le joug turc. Il faut que la France, d'accord avec ses alliés, sauve co qui reste du peuple arménien en Turquie et affranchisse les Arméniens do la tyrannie ottomane. TABLK DKS MATIRRKS t'»ge». AvAXT-rnoros IftDlCATlO.XS BIBLIOGRAPHIQUES La chaire d'arménienà l'École Nationaleet spéciale des langues orientalesvirantes ...... La question arménienneet la Constitutionnationale en Turquie (1860-1910) Les Arméniensen Turquie Arménieet Turquie . L,esoriginesdu mouvementarménien.I. .. ; Les origines du mouvementarménien,' !!.' ... \ . . L'exterminationd'un peuple. ,.->. . . . ;. '.. Les Jeunes-Turcset l'Arménie(un poj'n| acquis). . VU 1 66 82 169 177 248 276 286 —F.OAILTIEK 8i:0:RS$ElK$ RTA.IIIKBEftT, I*P.A.BChblJ». AKGEBS.