Bambi blues - Agglopole Provence

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Bambi blues - Agglopole Provence
Edition 2011
Bambi blues
d'Isabelle Combelles
Présidente du jury :
> Mireille Disdero, auteure
Membres du jury :
> Roselyne Elbel, bibliothécaire à Saint-Chamas
> Lilla Fromont, présidente de l’association Salon
Culture
> Frédérique Relu, bibliothécaire à Mallemort
> Arlette Rousset, participante aux réunions lecture
de la librairie Actes Sud
> Catherine Scherer, bibliothécaire à Berre-l’Etang
> Régine Schir, libraire au « Grenier d’Abondance »
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Concours de nouvelles Lire Ensemble 2011
Bambi blues
d'Isabelle Combelles
« Bambi Blues » a reçu le prix
spécial Agglopole Provence
pour le concours de nouvelles
adultes de Lire Ensemble 2011
sur le thème « Bleu(s) à l’âme »
Bambi blues d'Isabelle Combelles
préface
Les membres du jury ont été particulièrement
sensibles au rythme et à l’énergie vibratoire qui
circulent dans cette nouvelle. Le style de l’auteur y est à la fois maîtrisé, vibrant et entrainant… Voire musical. Certains membres du jury
n’ont pas hésité à le qualifier de « Rock’ Roll ».
Le thème « Bleu à l’âme » est ici omniprésent.
De plus, l’auteur donne l’impression d’avoir pris
un grand plaisir à écrire Bambi Blues. Enfin,
la richesse de son propos, essentiellement en
matière de cinéma et de musique, apparaît
comme un partage et un don supplémentaires.
Bravo !
Mireille Disdero
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Concours de nouvelles Lire Ensemble 2011
Bambi blues
Il plongea. Il percuta l’onde bleue dans un
fracas de fin du monde quand l’eau claque le
corps pour le mieux submerger. Tel un cachet
effervescent en dissolution instantanée, le
chagrin comprimé remonta en bulles bruyantes
tandis que les tristesses contenues s’écoulaient enfin dans cette chaleur liquide proche
des larmes. Fi des bleus à l’âme où le corps
fluidifié reconquiert la béatitude de la flottaison
originelle, enfin libéré de cette terre qui vous
calcifie. Un crawl désespéré acheva d’épuiser
ses tourments. Ses pieds battaient l’eau frénétiquement et sa tête émergeait toujours du même
côté avec surgissement régulier d’une bouche
grotesque de gargouille en manque d’air. D’ordinaire, lorsqu’il noyait son chagrin dans une
piscine, il visualisait, en nageant, les films où les
héros se baignent infiniment dans des bassins
bleus chlorés. C’était une façon économique
de s’offrir plusieurs divertissements à la fois :
une sorte de combiné ciné-piscine, avec un
seul ticket, multipliant les évasions. Ainsi retrouvait-il Juliette Binoche, l’héroïne du « Bleu »
de Kieslowsky, faire son deuil en longueurs
de brasses et de planches silencieuses ;
« La Piscine » de Jacques Deray où le couple
Delon-Schneider multiplie les poses lascives
dans un bleu-soleil-cigale qui finit par virer au
glauque ou encore Ludivine Sagnier offrant
voluptueusement l’ondulation de son corps
de sirène aux regards bleu-gris de Charlotte
Bambi blues d'Isabelle Combelles
Rampling dans la « Swimming pool » de François Ozon. Mort bleue !
Immersion dans le silence des profondeurs,
remontée en surface dans le vacarme assourdi
des sons de piscine répercutés par les dalles et
les baies embuées. Pourtant, ce jour-là, dans
la surdité aquatique, son cœur qui battait puissamment lui envoyait les basses et les percussions des chansons de Mickaël Jackson. Des
ondes étranges, venues d’on ne sait où, lui
balançaient l’intro légendaire de Van Halen
dans « Beat It ». L’eau saturée de guitare électrique vibrait follement et il réalisa qu’il crawlait,
à son insu, au rythme de ce tube planétaire :
« Beat It ! Beat It ! ». Il résolut aussitôt de s’en
sortir par une brasse mais aussitôt il brassa «
Billy Jean ». Son corps entier ressemblait à une
éponge gorgée des chansons du roi de la pop
qu’au moindre mouvement il exsudait. L’omniprésence médiatique de la musique de « Wako
Jacko » avait opéré en lui comme une sorte de
transfusion : ses globules chantaient Jackson,
ses cellules en portaient les notes, les orchestrations, les bribes de texte : son foie filtrait du
« Bad » ; ses poumons inspiraient « Heal the
world » ; son estomac broyait « black or white ».
C’était un empoisonnement musical définitif
comme, pour tout un chacun, avec la marche
turque de Mozart, la neuvième de Beethoven
ou l’album rouge des Beatles. Il semblait
condamné, comme Sisyphe, à rouler « Rock
with you » jusqu’à la fin des temps pour avoir
osé fredonner les mélodies d’un mortel aspirant
à se hisser au rang des dieux.
Il avait appris la mort de l’idole la veille,
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comme des millions de gens. Abasourdis.
Meurtris. Lui, se trouvait au volant de sa voiture,
coincé dans un embouteillage sur le port de
la Joliette à Marseille. Entre deux passages
en première pour progresser de vingt mètres,
il observait à loisir le Daniele Casanova en
partance vers la Corse tandis qu’à quai, une
longue file de voitures aux galeries encombrées
d’objets hétéroclites se préparaient à franchir la
méditerranée pour retrouver les leurs. Et puis,
d’un coup, dans ce va et vient rassurant sur la
Grande Bleue, ce mouvement pendulaire du
voyage de la vie avec ses appels au large, la
voix d’un journaliste à la radio envoie l’irrémédiable. La mer se fige alors en un bleu d’encre,
les flux s’arrêtent, le monde stoppe un instant
préludant la vague. Elle ne tarde pas, quelques
secondes encore et le raz de marée engloutit
tout sur son passage dans les flots du blues,
ou plutôt du rock, ou de la soul, on ne sait plus.
D’aucuns ont prétendu que la mort de Mickaël
Jackson avait été « le 11 septembre de la
musique pop » mais ce serait plutôt un tsunami
musical : un chanteur charismatique envoie, par
sa mort, un déluge biblique lui permettant d’entrer dans la légende.
« Beat It, beat It » : par quels moyens quand
le cœur s’arrête de battre, justement, quand la
pulsation intérieure s’éteint ? Il n’avait plus rien
entendu, ni les pleurs des fans, ni Kenny Ortega
préparant son film « This is it », ni les chansons
diffusées en boucle, ni les hommages hypocrites ou sordides des proches et des moins
proches dont certains avaient passé leur temps
à transformer en enfer la vie de l’homme qu’ils
regrettaient bruyamment.
Bambi blues d'Isabelle Combelles
Rentré chez lui, rue Sylvabelle, il ne résista
pas à la fascination de la télévision, grande
prêtresse des oraisons et shows mortuaires.
Toutes les chaînes faisaient leur une du décès
de la star avec overdose d’images : le petit
Mickaël si attendrissant avec son « big nose »
et sa superbe voix d’enfant, les concerts mégalomanes avec luxe de costumes et avalanche
d’effets spéciaux, les clips à la créativité provocante, des photos, des bouts d’interview. Et puis,
une ambulance, la façade d’un hôpital, le désespoir des proches. Des fans étaient interviewés
également. Les plus allumés ne croyaient pas
une minute à la mort de Mickaël Jackson :
carrément foutaise ! Encore un coup monté par
le producteur Sony pour palper du pognon ;
ou alors, une volonté bien compréhensible de
« Bambi » de se volatiliser pour échapper définitivement aux pressions et aux diffamations de
cette presse-people, tant de fois épinglée dans
ses chansons, en vain. « Leave me alone ! »
leur chantait l’artiste en s’ingéniant, dans un
même temps, à les attirer : jeu mortel qu’il avait
probablement fini par perdre.
Il coupa la télé. Il en avait assez entendu. Il
accorda sa Takamine et joua « Billy Jean » dans
une version blues récemment travaillée avec
ses acolytes. Laissant peu à peu évoluer l’inspiration vers quelques ballades des Beatles, il
improvisa sur la « gamme blues », cette gamme
pentatonique mineure avec sa quinte diminuée :
la fameuse note bleue. Cela finissait toujours par
le morceau « Roll over Beethoven » de Chuck
Berry dans la version Beatles avec Lennon à la
guitare (Mac Cartney à la basse). La fin de ce
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blues d’anthologie sonnait l’heure de la prière.
Posant sa guitare sur le canapé, il attrapa une
statuette de la vierge qu’il avait dérobée sans
honte dans la niche d’angle d’un immeuble
du Panier. C’était une figurine de plâtre très
kitsch dont la peinture avait beaucoup pâli : les
prunelles de la madone semblaient délavées
par une pluie de larmes, la robe rouge avait viré
au rose tendre tandis que son manteau, jadis
bleu nuit, s’était retourné du côté de l’azur. Glissant ses doigts à l’intérieur de la statuette, il en
sortit une enveloppe pliée en quatre. Les vrais
toxicos affectionnaient ce genre de planque pour
l’héroïne ou la coke mais lui ne mangeait pas de
ce pain là. Il se contentait de fleurs et de feuilles
séchées de chanvre, c'est-à-dire de cannabis,
qui ressemblaient à des feuilles de thé vert et
qu’il se roulait avec du tabac. Un bâton d’encens, en somme, dont il aspirait goulûment les
volutes en les accompagnant d’un verre de gin
Saphire et de la voix bluesy, chaude et planante
de Madeleine Peyroux. Ces trois composants
réunis le transportaient illico au fin fond d’une
boîte de jazz new-yorkaise.
« There’s perfume burning in the air
Bits of beauty everywhere… »
La guitare “Martin” égrenait ses sonorités
élégiaques depuis les enceintes sur lesquelles
s’amoncelait un fouillis de paperasses. Sur
le dessus, une enveloppe en papier kraft qui
contenait son contrat de travail pour le centre
culturel de St Henri dans le 16e arrondissement,
sembla émettre de légers froissements, comme
les froissements de son propre cœur ému :
« This is it ! ». Il ne serait plus l’intermittent du
spectacle qu’il avait toujours été, adieu l’arBambi blues d'Isabelle Combelles
tiste réussi-raté vivotant de notes infortunes. Il
allait devenir, avant tout, un professeur, avec
un vrai salaire régulier, pour un travail diurne,
à heures fixes. Il enseignerait la gratte à tous
ces marmousets qui rêvaient de devenir René
Bartoli, Django Reinhardt ou Eddy Van Halen. Il
se reverrait à travers leur fougue, leurs illusions
désespérées rivées aux cordes. Lui aussi y avait
cru, lui aussi s’était coiffé à la John Lennon de
l’album bleu, lui aussi avait été un maigroulet en
jean étroit qui taquinait la pédale d’ampli pour le
solo qui tue. N’avait-il pas connu l’euphorie des
scènes dont l’addiction reste la pire de toutes, la
seule qu’on ne puisse remplacer ?
« But I’m all right, I’m all right, I’v been lonely
before » chantait toujours Madeleine dans son
verre de gin comme dans les verres à liqueur
coquins des restaurants asiatiques au fond
desquels surgissent des femmes dévêtues dans
des poses suggestives. Si seulement le diable
pouvait lui apparaître comme il avait daigné le
faire pour Faust, armé d’un solide contrat : six
mois de tournée internationale avec Madeleine
Peyroux contre le reste de sa vie. Il n’eût pas
hésité une seule seconde. Mais il se faisait tard,
le diable devait traîner à Bercy ou au Zénith
dans le sillage de quelque grosse pointure.
Les temps s’avéraient prospères, le démon
n’avait cure des artistes ratés, des maudits
sans scène ni notoriété. Quant au bon dieu, il
devait à présent réaliser son rêve de toujours :
se faire enseigner le « Moonwalk » par Mickaël
en personne.
Trop tard. Décidément. Un fond de gin dans
le verre, la bouteille de Saphire vide et le C.D
qui repartait :
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« There’s perfume burning in the air
Bits of beauty everywhere
Blue alert! Blue alert…»
Sur l’étagère de la salle de bain, le contenu
du tube turquoise de Domorphol lui offrirait l’occasion de déguster ses dernières gorgées avant
de se laisser sombrer dans de douces vagues
de quintes diminuées, l’infini fabuleux des notes
bleues…
Ses muscles réclamèrent un temps d’arrêt.
Il s’agrippa à la barre du plongeoir numéro
trois pour reprendre son souffle. Dans les
couloirs voisins, marqués par des chaînes de
flotteurs rouges, les autres nageurs semblaient
poursuivre inlassablement leurs longueurs ou
langueurs à la queue leu leu : braves petits
soldats aquatiques, si disciplinés dans l’effort.
Mais quels secrets cherchaient-ils à diluer ?
Quels chagrins s’acharnaient-ils ainsi à expier
dans l’écume ? L’un d’eux sortit pourtant de
l’eau en prenant appui sur le bord et en faisant
une traction avec les bras. Il l’observa. L’homme
portait le même maillot bleu marine que lui et le
même bonnet noir sur la tête. Un nageur parmi
tant d’autres…Et pourtant, avec ses petites
lunettes de natation ridiculement ventousées à
ses yeux, il présentait une ressemblance troublante avec John Lennon : la même mâchoire
carrée, la bouche fine, la carrure, l’allure,
même en maillot de bain et, par-dessus tout,
ce regard incertain des myopes dont la faible
acuité semble compensée par une sorte de
clairvoyance intérieure qui leur confère cet air
un peu illuminé. Lennon, ou plutôt le nageur
qui ressemblait à Lennon, prit la direction de la
Bambi blues d'Isabelle Combelles
pataugeoire ou des toilettes à l’autre bout de la
piscine. Cette apparition l’amusa et le divertit un
instant de ses obsessions. Son « Mickaël blues »
la mit en sourdine et il eut envie d’observer de
plus près cette ressemblance peu banale. Ce
n’est pas tous les jours que l’on croise à la
piscine le sosie d’un Beatles ! Certains sont
même prêts à payer cher pour cela !
La curiosité le poussa donc à s’extirper de
l’eau à son tour. Il s’efforça de ne pas gêner
la kyrielle de nageurs en maillot bleu marine
et bonnet noir alors qu’il traversait une partie
de la piscine en largeur. Il reçut le coup de
palme d’un crawleur zélé, le regard noir embué
d’une acharnée du dos crawlé mais parvint
à gagner l’échelle pour s’extraire du Léthé.
Jambes un peu flageolantes d’avoir retrouvé
la verticalité pesante, plantes des pieds
chatouillées par le relief des petits carreaux au
sol, il suivit la direction de l’étrange « Nowhere
man » et finit par l’apercevoir à l’espace
douche, dans un recoin, à gauche de la pataugeoire. Il avait retiré ses lunettes mais conservé
leurs marques autour des yeux comme des
tatouages définitifs de bésicles grotesques. A
ses côtés, les trois autres douches étaient occupées par une blonde de soixante ans, c'est-àdire une blanche colorée, un quadragénaire
sémillant et un grand black musclé plutôt jeune,
s’aspergeant à qui mieux mieux. Tous portaient
l’éternel maillot bleu marine, à deux pièces pour
la femme, comme s’il s’était agi d’un uniforme.
« C’est vraiment incroyable ce que vous ressemblez à John Lennon ! On a déjà dû vous le dire,
non ? » Osa-t’il.
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L’interpellé le toisa, incrédule :
« Ca fait longtemps qu’on ne me l’avait pas faite
celle-là ! Toi, t’es nouveau par ici ! »
Tous, sous leur douche, se mirent à ricaner,
leurs corps gesticulant sous les jets de vapeur
d’eau comme dans la « Danse macabre » d’Holbeïn, si bien qu’un instant, il eut la vision atroce,
insoutenable, des douches mortifères de l’Histoire. Il dut parler pour se ressaisir :
« Je voulais juste vous dire qu’une telle ressemblance est franchement fascinante. J’ai un ami
qui gagne sa vie en faisant le sosie de Johnny,
ça paye. »
Le simili Lennon rétorqua :
« Le problème c’est que je ne suis pas la copie
mais l’original, tête de nœud ! »
- Ah ! La bonne blague ! Je suis peut-être une
tête de nœud mais l’hosto psy pour les givrés
c’est par là ! Enfin, faudrait quand même parler
un peu anglais pour que ce soit plus crédible.
Vous vous rappelez quand même que Lennon
était anglais, non ? »
- Mais qu’est-ce qui m’a foutu un connard pareil !
Nous parlons tous la même langue ici, t’as pas
encore remarqué ? Bon, écoute maintenant,
le mec qui m’a buté a prétendu qu’il voulait
se « libérer de moi », moi, c’est de toi que je
veux être libéré, alors, dégage, trou duc ! »
Le soi-disant Beatles mima un pistolet avec
sa main droite et feignit de lui tirer dessus en
émettant des « Pan pan ! Pan pan ! » puérils.
Cela lui passa définitivement l’envie de prendre
une douche en compagnie de ces morts-vivants
et encore moins de causer à ce type qui avait
visiblement perdu l’esprit. Quelle drôle d’aventure ! Il s’éloigna.
Bambi blues d'Isabelle Combelles
Il croisa des gens qui discutaient au bord
des bassins. Certains d’entre eux lui semblèrent familiers par leur silhouette, un trait de leur
visage, le son pourtant assourdi de leur voix.
Une étrange sensation l’avait envahi peu à
peu…Il essaya de se concentrer sur sa pulsation intérieure qu’il n’arrivait plus à percevoir…
A la pataugeoire, des enfants s’agitaient. Eux
aussi portaient ce maillot de bain bleu marine
mais la plupart n’arborait ni bonnet ni lunettes.
Un blondinet assez maigre, pâle, d’environ huit
ans s’en donnait à cœur joie avec un ballon
jaune. C’était probablement un casse-cou car
il avait un œil au beurre noir impressionnant,
mêlant le bleu violacé au jaunâtre. La vue de
cette auréole oculaire lui évoqua aussitôt une
très belle photo de Mickaël Jackson où la star
porte un maquillage circulaire bleu pailleté
autour de l’un de ses yeux. Il se souvenait
bien de ce cliché sur lequel le chanteur avait
l’air d’un joli clown triste et sophistiqué. En le
contemplant, il s’était dit qu’il révélait le personnage à merveille : un bel artiste talentueux à
strass et à paillettes, meurtri par les bleus à
l’âme, lesquels finissaient par percer désespérément sur sa peau comme les stigmates de la
condition qu’il s’était forgée. Ah ! Cet œil bleui
du dandy-danseur blessé, le cerne de nuit de
l’étoile perdue…
Il s’était approché des vitres censées ouvrir
sur l’extérieur mais la buée accumulée obstruait
toute visibilité. On n’aurait su dire s’il faisait jour,
nuit, soleil ou grisaille : la vapeur d’eau faisait
écran, cloisonnant les mondes. Il n’y avait plus
qu’à retourner nager avec les autres, dans le
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grand bassin chaud.
C’est alors qu’il perçut une effervescence
particulière derrière lui : des éclats d’eau et
de voix lui parvenaient avec cette résonance
sourde et démultipliée, caractéristique des
ambiances de piscines couvertes : « Bambi !
Bambi ! » Criaient des enfants. Il se retourna.
Au milieu des éclaboussures joyeuses de la
pataugeoire, à dix mètres de lui à peine, il vit,
tout à fait distinctement … Mickaël Jackson, the
king of pop, himself. C’était bien lui, avec son
terrifiant petit nez en trompette comme redessiné par les studios Walt Disney ; ses cheveux
noirs sortis tout droits d’un manga japonais, sa
fossette de chirurgie, son maquillage permanent et son corps gracile d’éternel adolescent.
Il portait, pour une fois, le même maillot bleu
marine que tout le monde et n’était pas en reste
côté gamineries : riant, s’amusant, éclaboussant
les autres enfants de la pataugeoire au point
qu’il était étonnant qu’aucun maître nageur ne
fût intervenu pour mettre le holà. Mais peut-on
gourmander Mickaël Jackson ?
Fasciné, il observait cette scène incroyable :
l’artiste facétieux entouré d’enfants turbulents,
chahutant à qui mieux -mieux dans ce Neverland aquatique. Plus que jamais, tout son corps
chantait en ondes harmonieuses. Il n’était désormais que son, musique, âme en vibration …
Il allait s’approcher de cet être rayonnant,
descendre vers lui dans l’eau bleue aux notes
sacrées pour recevoir l’autre baptême.
Œuvre certifiée originale, personnelle et inédite.
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Bambi blues d'Isabelle Combelles
Concours de
nouvelles 2011
Fête intercommunale du livre
Bambi blues
d'Isabelle Combelles
Un musicien, intermittent du spectacle inconnu
mais passionné, vient d’apprendre la mort de
Mickael Jackson alias Bambi.
Quand débute le récit, le personnage plonge
et nage dans une grande piscine. Autour de
lui, les autres nageurs lui semblent familiers,
notamment un sosie de John Lennon.
Les surprises ne s’arrêtent pas là, dans cet
étrange Neverland aquatique…
Fête intercommunale du Livre créée en 2006
par la communauté d’agglomération Agglopole
Provence qui propose des spectacles,
des rencontres d’auteurs, des ateliers…
dans les 17 communes du territoire.
www.agglopole-provence.fr
Alleins•Aurons•La Barben•Berre l’Etang
Charleval•Eyguières•La Fare-les-Oliviers
Lamanon•Lançon-Provence•Mallemort
Pélissanne•Rognac•Saint-Chamas
Salon-de-Provence•Sénas•Velaux•Vernègues
Stratis (stratis.fr) • 4/11
Nouvelle primée dans le cadre
de Lire Ensemble 2011