Scarlatti – la musique qui parle
Transcription
Scarlatti – la musique qui parle
OLIVIER CAVÉ Scarlatti – la musique qui parle C’est lors d’une de mes innombrables promenades dans Naples, où je passe tous les étés de mon enfance en digne fils d’immigrée napolitaine, que je découvre Domenico Scarlatti. J’ai huit ans, un détour chez Ricordi, Galleria Umberto, s’impose. Affiché fièrement, le disque des dix-huit sonates par Maria Tipo chez EMI fait la une. Mon père me l’offre et l’histoire d’amour débute, un réel coup de foudre. Domenico Scarlatti entre dans ma vie, pour ne plus jamais en sortir. Je me revois encore enfant écoutant en boucle cet enregistrement magistral, me nourrissant littéralement de chacune de ses notes colorées, comme si cette musique est la plus naturelle du monde. Quelques années plus tard, je rencontre Maria Tipo. Elle devient mon professeur. Je lui dois tout. L’unique leçon scarlattienne que je reçois de cette grande dame, c’est: «Tu es napolitain, écoute ce que tu as en toi... et joue!» Loin de moi l’idée de faire le travail du musicologue et avec tout le sérieux du monde vous expliquer ce que représente Scarlatti pour l’Histoire de la musique. Permettez-moi toutefois quelques remarques… Comment un compositeur alors jeune, des plus conventionnels, sans personnalité propre, a réussi dès l’âge de 50 ans, à composer une œuvre de plus de 555 sonates, qui bouleversera l’histoire de la musique pour clavier, pour piano? Car c’est bien tard qu’il se mettra sérieusement à la composition de sonates, avec une inspiration inégalée. Domenico Scarlatti a toujours été un grand virtuose de clavecin. Cet instrument était-il sa vraie nature, son univers? Il a inventé ses propres règles, son propre langage, avec un génie immense. Domenico Scarlatti est le premier improvisateur. Il s’amusait à l’instrument, il imitait, avec des effets propres au style baroque. Il faisait chanter, pleurer, rire, parler l’instrument. Sa musique raconte chaque fois une histoire. Ses inspirations hispaniques, italiennes, françaises parfois, étaient des moyens pour raconter la Vie au travers de son instrument, avec humour, désinvolture, panache et classe. Domenico Scarlatti était un aristocrate de la musique. Cette liberté, cette folie, je les retrouve encore aujourd’hui en me promenant dans Naples, cette ville colorée et bruyante, avec ses ruelles féroces et grouillantes de vie. Comment ne pas imaginer une grande fête populaire napolitaine dans la Sonate K. 124, ou le souvenir d’une chanson de la rue dans la Sonate K. 547, que Domenico entendait enfant chez lui? En voulant raconter des histoires, faire rêver, inspirer l’imagination et donner du bonheur, Domenico Scarlatti a marqué la musique pour clavier, a inventé la virtuosité pianistique. C’est peut-être cela que j’appellerais génie. Hélas, Domenico Scarlatti n’a pas sa juste place dans les livres d’histoire de la musique mais peu importe, il voulait juste nous amuser, nous faire rêver et nous rendre heureux. Il a réussi. «Lecteur, que tu sois Dilettante ou professeur, ne t’attends pas à trouver dans ces Compositions une intention profonde, mais le jeu ingénieux de l’Art (autre traduction : une manière ingénieuse de badiner avec l’Art) afin de t’exercer à la pratique du clavecin. Je n’ai recherché dans leur publication, ni l’intérêt , ni l’ambition, mais l’utilité. Peut-être te seront-elles agréables, dans ce cas j’exécuterai d’autres commandes dans un style plus facile et varié pour te plaire: montre-toi donc plus humain que critique; et ainsi tes plaisirs en seront plus grands. Pour t’indiquer la position des mains, je t’avise que par le D j’indique la droite et que par le M la gauche: sois heureux.» (Domenico Scarlatti, préface des 30 Essercizi, parus en 1738) ! !
Documents pareils
Scarlatti: 18 sonates pour clavecin
illustres collègues, car son activité en tant que maître de musique de la reine d'Espagne, si prestigieuse qu'elle fut, n'a pas obtenu auprès du public
du XVIIIe siècle le retentissement qu'elle co...