La sensibilisation des publics à Banlieues Bleues
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La sensibilisation des publics à Banlieues Bleues
Université Paris X – UFR de sociologie Master 2 : Conduite de projets culturels – connaissance des publics Politique de la culture Cours dirigés par Emmanuel WALLON Note de synthèse présentée par : Aïda BELHAMD Banlieues Bleues, un festival militant Janvier 2006 1 Sommaire I Implantation sur le territoire et constitution d’un réseau A) Un projet associatif mis en œuvre par plusieurs communes a) Un contexte politique et économique particulier b) Une initiative des villes c) Objet et principes de l’association B) Un projet d’une plus grande ampleur a) Une manifestation à l’échelle d’un département b) Une manifestation soutenue par de nombreux partenaires publics c) Un large réseau : Sociétés civiles et partenaires privés II Un projet culturel cohérent basé sur deux principes A) Une foi immense dans les musiques vivantes a) Le jazz comme le reflet d’une société, d’une utopie b) La programmation B) Des actions musicales en lien avec le projet artistique global a) Le concept b) Comment les actions musicales se déclinent c) Les facteurs de réussite Annexes 1) Une géopolitique culturelle impressionnante 2) Ressources 2 Introduction Du 25 février au 7avril de cette année, Banlieues Bleues (BB), festival de jazz périphérico-parisien inaugurera sa 23 ème édition. Reconnu comme étant « la » référence hexagonale en matière de programmation jazz, BB connaît un rayonnement européen et international. Au printemps, étalé sur une période d’une durée exceptionnelle de 4 à 6 semaines, le festival propose en moyenne une vingtaine de soirées (avec 2 concerts à l’affiche) éclatées dans une douzaine de villes et avec une palette d’au minimum 30 groupes invités et près de 500 musiciens. Comment se fait-il que BB continue à jouir d’une telle notoriété alors que pour certains le jazz est mort, qu’il n’intéresse qu’un public de seniors et qu’au mieux c’est une musique élitiste ? Comment peut-on expliquer un tel succès et une telle longévité alors que de surcroît, le festival est implanté dans un tissu social lui aussi en crise? L’enjeu pour un festival détenteur d’un projet original c’est bien de résister au temps en mobilisant les énergies pour fidéliser son public, séduire les tutelles et se constituer un réseau de partenaires. A travers une analyse de l’ancrage du festival sur le territoire et du réseau qu’il s’est constitué, de sa programmation et des objectifs « pédagogiques » qu’il s’est fixés, nous aurons peut-être repéré là quelques pistes pour que s’opère l’alchimie entre les musiques de jazz et le public. I Implantation sur le territoire et constitution d’un réseau A) Un projet associatif mis en œuvre par plusieurs communes a) Un contexte politique et économique particulier Historiquement, les villes porteuses du festival sont des municipalités communistes de la « ceinture rouge » de Paris qui ont toujours eu une démarche militante et volontariste pour démocratiser la culture. Le souhait des élus à travers BB était de pouvoir faire une proposition artistique exigeante et de la présenter à un public populaire vivant sur un territoire « difficile ». En effet, au cours des années 80 la politique de désindustrialisation a provoqué l’accroissement du chômage et un appauvrissement de ces mêmes municipalités. Ils s’adressaient donc à des publics vivant dans un espace urbain sans âme, plutôt jeunes et en échec scolaire et la plupart du temps d’origine étrangère. Ce contexte perdure d’ailleurs et s’aggrave comme le prouvent les émeutes qui sont parties du « neuf cube » cet hiver. Ces événements très récents confirment encore l’appauvrissement des villes de Seine Saint-Denis qui affichent un taux de chômage record, un urbanisme dégradé, une multiplication des cités, une immigration clandestine massive et une économie souterraine qui gangrène les cités et pousse les mineurs à la délinquance… Ainsi, au commencement de l’aventure de BB, ces élus pour lesquels le jazz est une musique de révolte, souhaitaient favoriser la création de liens sociaux à travers une manifestation artistique accompagnée d’un travail de médiation. b) Une initiative des villes Né en 1984 sur les fondations d’un festival « Jazz en Aulnay » organisé par 4 villes de la région d’Aulnay dès 1979, BB est l’association qu’elles créent pour poursuivre cette idée d’organiser des concerts de jazz en mutualisant les moyens. Elles en confient la gestion à Jacques PORNON (Directeur de BB jusqu’en 2001) car la charge de travail commençait à dépasser leurs estimations. Pendant longtemps, il gère tout seul la mise en œuvre de l’événement puis l’équipe s’étoffe au fur et à mesure que les villes adhérent au projet (1). Aujourd’hui l’équipe est constituée de dix permanents avec un directeur artistique Xavier Lemettre et 4 départements répartis entre : Administration – Communication et relations publiques – Actions Musicales – Technique et régie. c) Objet et principes de l’association BB est une association de la loi 1901 dont le but est « la programmation, l’organisation et la réalisation de festivals et de manifestations culturelles ainsi que [d’] activités de sensibilisation et de promotion qui s’y rattachent ». (Article 3 des statuts déposés en 1990) et les membres du Conseil d’Administration sont les villes qui adhèrent au projet. Il s’agit d’un conventionnement original qui implique pour les villes une responsabilisation importante dans le pilotage du festival. En effet, « Le CA se réunit chaque fois qu’il est convoqué par son président et au moins trois fois par an, ou sur la demande de la moitié des membres » (article 7). Le « CA est composé des maires-adjoints chargés des affaires culturelles, assisté d’un représentant par ville des services culturels municipaux [conservatoires, salles de spectacles…]. Le CA choisit son président chaque année parmi un membre des villes concernées. Chaque membre pouvant postuler aux fonctions de responsabilités » (article 5). Jusqu’à cette année la convention passée avec chaque commune engageait celles-ci à accueillir deux concerts avec une participation d’environ 15000 euros plus 15 centimes d’euros par habitant. Une seconde contribution était due pour accueillir spécifiquement les actions musicales prises en charge à 50% par les villes, les 50% restant provenant de BB. A partir de cette année, la convention change ; désormais l’adhésion se fera à hauteur de 18 000 euros pour l’accueil des concerts. Quant aux actions musicales la contribution se fera sous forme forfaitaire. Les villes verseront autant de 3 « part » d’actions musicales qu’elles le souhaitent. (Une part d’action musicale correspond à une cotisation de 3000 euros) et BB mettra en place des actions en fonction du nombre de part versées. Cette « expérimentation » est due au fait que la DIV (Délégation Interministérielle à la Ville) ne finance plus BB depuis 2001 car elle préfère soutenir des projets d’aménagements urbains plutôt que soutenir les projets associatifs. Parfois les villes sortent du CA pour mener d’autres projets (car de plus en plus d’acteurs culturels interviennent dans le département) parfois c’est pour des raisons politiques ou budgétaires. Néanmoins elles réintègrent souvent le projet, c’est le cas d’Epinay-sur-Seine et de Bondy, qui n’ont pas participé au projet l’année dernière et qui renouvellent leur adhésion cette année. BB s’est avéré être une association pionnière en matière d’intercommunalité puisqu’elle a vu le jour en 1979 d’abord sous la forme de « Jazz en Aulnay » avant même les lois de décentralisation de 1982. Chaque année 12 à 17 villes y participent, fixant ainsi l’identité de BB comme un événement porté par les communes de Seine-Saint-Denis. En tout 26 communes du département ont participé à un moment ou à un autre à BB (annexe 1). De part son implantation dans plusieurs communes, BB se déplace vers son public et investit des lieux urbains enclavés. B Un projet d’une plus grande ampleur a) Une manifestation à l’échelle d’un département Dès le début le festival reçoit le soutien du Conseil Général pour qui il est devenu au fil des ans un outil incontournable de sa politique culturelle. En effet, l’événement musical constitue « la » vitrine culturelle du département : « La turbulente et créative Seine-Saint-Denis affirme sa différence à travers ses très jazz Banlieues Bleues » (2). Aujourd’hui BB est beaucoup plus subventionné par le Conseil Général et par l’Etat que par les villes. En effet, en 1984 le Conseil Général participait à hauteur de : 11%, la DRAC : 5%, les villes : 59% du budget, en 2003 ils participent respectivement au budget à hauteur de 30%, 19% et 19%. BB va donc être obligé de revoir ses statuts administratifs pour que les financeurs principaux aient voix au chapitre au même titre que les villes qui financent moins aujourd’hui. C’est une situation délicate pour BB car s’il n’y avait pas les villes pour accueillir les concerts, le festival ne pourrait pas exister d’autant plus que pour elles il s’agit d’un budget assez conséquent. b) Une manifestation soutenue par de nombreux partenaires publics BB est donc de plus en plus financé par le ministère de la culture. En effet, à mi parcours (en 1994) BB a reçu la subvention la plus importante des pouvoirs publics soit 1/20ème de la totalité des subventions du ministère de la culture destinées aux 46 festivals de jazz dans lesquels intervient la participation financière de l’Etat. (3). En 1998 BB occupe la 8ème position au « box office » des festivals (à égalité avec Montpellier Danse), les plus soutenus par le ministère avec une aide de 335 000 euros correspondant à 19% du budget global de BB (4). D’autres crédits déconcentrés apportent leur soutien au festival comme ceux du ministère de L’Education et de Jeunesse et Sport qui participe à hauteur de 1% du budget en 2003 ou, suivant les éditions, les Ministères de la Justice, de la Coopération et DOM-TOM. En 1993 en dehors du Ministère de la Culture le festival est financé à 5% par d’autres ministères. En raison de son ouverture internationale, BB a aussi reçu le soutien des services culturels des ambassades du Canada, des Pays Bas, du British Council et du Goethe Institut entre autres… Enfin, le Conseil Régional est devenu partenaire du festival depuis deux ans seulement mais sa participation au budget reste minime : 1.5% du budget en 2003. A cet égard BB s’étend encore plus puisque depuis la dernière édition il organise un concert dans le Val d’Oise à Gonesse et reçoit à ce titre le soutien de l’ADIAM 95. BB perçoit également une aide régulière d’établissements publics tels que le FASILD ou l’AFAA : En 2005 BB a été bénéficiaire de « Brésil, Brésils », une subvention liée à l’année du Brésil en France ou encore l’ONDA. c) Un large réseau : Sociétés civiles et partenaires privés La SPEDIDAM, la SACEM, l’ADAMI, le CNV sont des sociétés civiles partenaires. BB participe à un réseau pour œuvrer spécifiquement au développement des musiques que défend le festival. Il est membre d’un réseau d’associations françaises et européennes telles que l’Association des festivals innovants en jazz et musique actuelles (l’Afijma) qui oeuvre à la valorisation du jazz français et européen, et travaille au développement d’échanges internationaux dans le but de favoriser la programmation de musiciens étrangers en France et celle des musiciens français en Europe. ________________________ (1) En 1984, lors de la première édition de BB 12 villes sont partenaires (Sevran, Clichy-sous-bois, Villepinte, le Blanc-Ménil, Drancy, Aulnay sous bois, Pantin, Tremblay, Montreuil, Bondy, Saint-Denis, Bobigny), en 1994 elles sont au nombre de 14, en 2001 : 17, en 2004 : 12 et pour la prochaine édition elles sont 15. (2) « Le chant du département », Télérama N°325, 10 mars 1999 – Agnès Fernandez. (3) Chiffres clés 1993 : Statistique de la culture. (4) « L’Etat et les festivals : les chiffres », La Scène, Décembre-Février 2003/2004. 4 Ainsi lors de la dernière édition, BB et l’Afijma ont co-produit deux concerts. BB est également membre de l’Europe Jazz Network (EJN) qui était porteur entre 2002 et 2005 de l'Europe Jazz Odyssey (EJO). Ensemble, les structures ont monté deux concerts de coopération culturelle au titre du programme «Culture 2000» impliquant onze partenaires. Dans cette optique BB collabore également avec d’autres festivals comme le Pannonica de Nantes et le festival Sons d’Hiver pour le concert anniversaire de l’AACM de Chicago par exemple en 2004. En matière de mécénat, les contributions revêtent plusieurs formes : elles peuvent prendre la forme d’une subvention (en 1993 le mécénat représentait 5 % du budget), d’une prestation de service ou d’un espace publicitaire. Pour n’en citer que quelques uns : Air France, carrefour, Radio-France, FR3, jazz-Magazine, Vibrations, Télérama ; Arte, Fip, Mezzo, La Fnac, France Telecom, EDF… BB a donc su mobiliser des Institutions essentielles qui cautionnent de plus en plus le projet et tisser un réseau de partenariats en fonction des multiples projets qu’il développe. Depuis les années 80 BB s’autofinance régulièrement à hauteur de 15%. On observe une tendance générale car avec ce budget, il peut hiérarchiser ses objectifs. BB attribue le premier poste de ses dépenses au festival (frais liés à l’artistique) 45% du budget en 1994, 38% du budget en 2003, en second plan ce sont les frais de structure (salaires du personnel) et en troisième ligne les actions musicales avec, en 2003, 17% du budget global. Enfin le dernier poste va aux frais de communication. Bien évidement les chiffres changent d’année en année suivant l’appréhension du budget qui peut changer de périmètre suivant les comptables. Mais cette classification par ordre d’importance constitue une tendance lourde qui comporte déjà en elle quelques éléments de réponses liées à la pérennité du festival. II Un projet culturel cohérent basé sur 2 principes A) Une foi immense dans les musiques vivantes a) Le jazz comme le reflet d’une société, d’une utopie La programmation du festival est fondée sur le jazz comme musique de référence : « Notre programmation englobe tous les courants du jazz, qu’il soit modal, expérimental, bop, free, ou electro (…) à côté de cela nous mettons en avant des coups de cœurs qui se font trop rares en France » (5) Banlieues bleues « part du principe que le jazz est une musique universelle. Si ses repères géographiques et historiques sont assez précisément déterminés (Afrique, Amérique, Europe), il n’en va pas de même pour ce qui est de la traduction artistique et/ou musicale de son discours. Le jazz n’est pas qu’une musique, en réalité : ce sont au moins des musiques et au plus un mode de vie et donc de pensée, c'est-à-dire susceptible d’évoluer » (6). En effet comme le démontre, l’ethnologue Alexandre Pierrepont, les musiques du « champ jazzistique » (7) s’enracinent dans l’expérience historique des Noirs d’Afrique déportés et contraints à l’esclavage. La musique est ce qui leur a permis de ne pas être réduits à néant par l’entreprise de déshumanisation mise en œuvre par la société américaine et de se construire en tant que communauté. Ils ont surinvesti de sens la musique et l’ont assimilée non seulement à une pratique de vie (grâce à laquelle il était socialement possible de réussir) mais surtout à un art de vivre qui relève d’un processus dynamique d’invention et de réinvention. Aussi, des work-songs jusqu’au rap en passant par le blues, le gospel, le be-bop, la soul, le funk, le free-jazz, l’électrojazz, toutes ces musiques s’imprègnent les unes des autres et procèdent d’un continuum créateur, d’une force combinatoire où tout s’élabore à l’infini. Le caractère improvisé ou aléatoire (irruption du hasard dans les compositions) de ces musiques faîtes de bruits, de sons et de notes relève de la notion de liberté. Liberté rythmique, liberté vocale où le son singularise et rassemble en même temps. Ainsi le dénominateur commun entre toutes les musiques sélectionnées pour la programmation de BB est qu’elles cherchent à abolir les frontières (entre les « genres », entre tradition et modernité) : tous les musiciens invités sont des créateurs singuliers en quête de nouvelles expérimentations et ce qui les rassemble c’est une vision humaniste du monde...La plupart conçoivent la pratique de leur musique comme un acte militant. Ici « le jazz est une musique qui porte en elle le principe d’une autre société » (7). ________________________ (5) Interview de Xavier Lemettre par Adrien Cadorel, quotidien Métro, 11/03/2005 (6) Mémoire de DESS « Banlieues Bleues, un festival en Seine-Saint-Denis », Boubacar Miriko (1994) Chercheurs ou artistes ayant participé aux Actions musicale de BB, cf II, B (7) « Champ jazzistique », Alexandre Pierrepont, éditions Parenthèse, 2003 5 b) La programmation Historiquement, BB a toujours accordé une grande place aux artistes nord-américains, c’est d’ailleurs pour avoir programmé des vedettes comme Miles Davis, Dizzy Gillespie, Randy Weston, Nina Simone, que le festival a acquis une grande reconnaissance vis-à-vis des publics et des médias. Dans ce cas de figure il n’y a certes pas de réelle prise de risque mais ce sont quand même des artistes qui se produisent rarement en France. Lors de la dernière édition c’est le multisaxophoniste et compositeur Anthony Braxton, Steave Coleman et l’emblématique pianiste de John Coltrane, McCoy Tyner, qui se sont partagé l’affiche au titre des légendes incontournables du jazz. Mais il y a toujours un équilibre entre valeurs sûres et découvertes comme l’illustre l’invitation faite au jeune bluesman Corey Harris (usa) et au collectif « Afro-beat » new-yorkais de Brooklyn. En 2005 BB a célébré le Brésil en réunissant des artistes comme : Hamilton de Hollanda : « jeune caïd du bandolim et grand représentant du néo-choro brésilien » (libé), Tom Zé, L'enfant prodige, avant-gardiste et fantasque de la musique brésilienne qui a passé à la moulinette toutes les musiques de son pays (Programme), Nana Vasconcelos et ses deux complices italiens, le choro endiablé de Yamandou costa, jeune guitariste de Rio, ou encore le plus NewYorkais des brésiliens Venicius Cantuaria maître de la bossa nova et enfin pour ne pas perdre de vue la tradition la Vehla Garda Da Portela une école de samba de la vieille garde. En 2005 BB a aussi consacré deux soirées au son et à l’esprit des musiques de la Guyane et fait une place au Japon avec la « noise music » expérimentale du bidouilleur-manipulateur virtuose de machines Otomo Yoshihide. BB a aussi lancé un appel à l’Afrique ancestrale, avec le groupe Tartit ("l'union") qui chante le "blues du désert" et qui aspire à faire connaître les traditions et les luttes du peuple Tamashek. Le festival a soutenu également la scène hexagonale et européenne avec Les frères Belmondo accompagnés du saxophoniste américain Yussef Lateef (spécialiste des flûtes, du hautbois et du basson et passionné par les musiques moyen-orientales) pour une création intitulée « Hymne au soleil », Louis Sclavis, Jaques Bonnaffé, Bernard Lubat pour la génération pionnière des musiques improvisées en France, John Mayall, « le Père du British Blues », Sylvain kassap (France) clarinettiste éclectique et le duo des DJ-compositeurs londonien Rita Ray et Max Reinhardt, pour la découverte et l’inédit. A travers une programmation internationale, BB entreprend des croisements d’artistes d’origines géographiques et de lignes esthétiques diverses. Il soutient des découvertes, présente des créations ; BB est : « Un festival qui rompt avec la morosité des tournées toutes prêtes à programmer » (8) qui nous fait découvrir un jazz en pleine effervescence, en plein renouvellement. Il veut être un moment d’expérimentation musicale. « D’ailleurs peu de festivals peuvent se targuer de rendre un vibrant hommage au grand littérateur russe Pouchkine, auteur d’Eugène Onéguine » (9). En ouverture de la dernière édition, le compositeur et saxophoniste David Murray a ainsi rendu hommage à la puissance rythmique et aux qualités musicales de la langue de Pouchkine, grand poète russe descendant d’esclave avec un quartet et cinq voix fleuretant avec le théâtre. Ainsi « Des racines du jazz à ses formes les plus contemporaines où il côtoie les musiques du monde : le plus grand festival de France joue le métissage à l’image de son public de proximité » (10). Une programmation qui accueille « quelques spécimens de la fine fleur du jazz, expression générique pour une formidable diversité de musiques et de rythmes (…) un déferlement de musiques qui font exploser le jazz de ce que quelques uns croient être des frontières » (11). B) Des actions musicales en lien avec le projet artistique global a) Le concept A travers les activités de sensibilisation et de formation du public pour élargir le cercle des amateurs, le festival mène un projet culturel plus global. Les actions musicales sont reliées au cœur de la programmation artistique du festival et font partie intégrante du projet de Banlieues Bleues. « Actions musicales (AM) est une formule inventée par Jacques Pornon (actuellement directeur de la Scène Nationale de Saint-Quentin en Yvelines) dans l’idée que BB allait organiser des projets où les publics potentiels seraient acteurs et pas uniquement consommateurs de venues d’artistes » (12). L’idée existe depuis le début du projet mais les AM apparaissent dans l’organigramme qu’en 1990. « Ce sont pleins de micro événements complètement impromptus et anecdotiques qui ont concouru à déclencher le processus de mise en place d’un véritable dispositif » (12). ________________________ (8) Jean Michel Proust, Nouvel Observateur, 10/03/2005 (9) Dominique Parravano, Paru vendu, 2005 (10) Michèle Larue, Nouvel Observateur, 4/3/2005 (11) Jacques Moran, L’Humanité, 19/02/2005 (12) Entretien avec Stéphanie Touré, Responsable des Actions musicales à BB depuis 2001. 6 A partir de suggestions d’artistes, par exemple, celle d’Eddy Louiss qui propose à BB d’élargir son orchestre le Multicolor avec des musiciens amateurs pour travailler un répertoire original et se produire dans le cadre du festival : c’est ainsi qu’est née la fanfare de BB qui rassemble aujourd’hui une cinquantaine d’amateurs de Seine-Saint-Denis qui travaillent sous la direction artistique de Jean-Marc Bouchez. «Historiquement ce sont donc des actions qui se sont enchaînées de façon empirique, sans que ce soit un dispositif structuré et, au fur et à mesure, à la fois les responsables de Banlieues Bleues et les politiques ont eu envie de développer ce type de projet et de l’augmenter » (12). Aujourd’hui, les AM forment sur une durée de plusieurs mois de janvier à juin, un véritable réseau de sensibilisation à la musique, où un public de proximité rencontre les artistes invités à BB pour vivre de véritables aventures artistiques et humaines. Ces actions n’ont pas de cible en particulier, elles s’adressent à tout le monde sans discrimination d’âge, de sexe, de lieux d’habitation. Le public des actions est en conséquence très varié mais elles touchent majoritairement des jeunes : écoliers, collégiens, lycéens des filières classiques, technologiques et professionnelles, les élèves des conservatoires, les universitaires, les jeunes des quartiers… Les AM se montent en collaboration avec les services (culturels, enseignement, jeunesse, vie associative) des villes partenaires et les structures accueillant les projets (centres de loisirs, établissements scolaires, maisons de quartiers, conservatoires, chorales, associations, studios de répétition, médiathèques, hôpitaux), « on travaille avec qui a envie de nous accueillir et on fonce ! » (12). b) Comment les actions musicales se déclinent Les actions se divisent en 2 types de projets : 1- Les projets de longue durée : ils réunissent souvent des groupes hétérogènes relevant de communes différentes et nécessitent des moyens financiers, logistiques et humains plus importants. Ils permettent de créer des liens nouveaux entre des publics qui ne se fréquentent pas habituellement. « Les décloisonnements des pratiques et des territoires restent l’apanage de projets longs, complexes et certes coûteux, mais aussi ambitieux et gratifiants » (13) : - « les résidences » : Elles ont pour ambition d'inviter plusieurs groupes amateurs à répéter et jouer le répertoire d'un artiste invité. Au cours d'ateliers de travail inscrits dans la durée, des musiciens professionnels préparent les amateurs aux répétitions finales. En fin de parcours, musiciens amateurs et professionnels présentent ensemble et en public, un concert. Ici, le parti pris est de considérer les pratiques en amateur comme un mode privilégié d’appropriation de l’art. Les plus grands professionnels n’ont-ils pas d’ailleurs souvent débuté leur carrière par une activité de cet ordre ? - « les projets éditoriaux » ont pour ambition de faire découvrir le contexte socio-culturel dans lequel s'inscrivent jazz et musiques improvisées; d’appréhender le sens que les musiciens donnent à leurs musiques à travers des ateliers d'écriture, de radio-journalisme et de photographie. Ils se font en collaboration avec des enseignants dans le cadre de dispositifs tels que les classes à PAC ou APA et se matérialisent par la réalisation du journal distribué pendant le festival. 2- Les projets courts sont de actions plus simples à mettre en œuvre, ce sont : - Les concerts-rencontres : dans un lieu pas spécifiquement dédié à la musique, l’artiste joue 30 minutes et discute avec le public, - Les conférences musicales s’adressent à un public plus averti et le musicien s’exprime sur un thème emblématique de l’histoire du jazz, - Les ateliers de pratique et de découverte sont des coups de projecteurs sur l'univers musical d'un ou plusieurs artistes qui invite à l'échange par la pratique ou la parole, - Les master class permettent à des musiciens d’approfondir leur pratique aux côtés d'un "maître", - L'exposition "Jazz à l'œil " présente 30 portraits photographiques de musiciens invités par Banlieues Bleues réalisés par les apprentis reporters de "Secteur jazz". c) Les facteurs de réussite : - L’engagement des musiciens : « Les actions musicales trouvent l’une de leurs raisons d’être, dans la nécessité exprimée par les musiciens invités à Banlieues Bleues, d’aller au devant des publics, de leur faire partager leur musique et d’échanger sur le sens profond de leur engagement artistique » (13).A la question « Que vous apporte ce type d’action » (13) les artistes ont répondu : « cela m’apporte de la vie, me motive, stimule et me permet d’être responsable en tant qu’adulte et artiste » Khalil El Zabar. « J’ai toujours été concerné et engagé dans ce rapport de transmission, d’encouragement de jeunes musiciens, d’élèves. C’est une façon pour moi de servir la musique », Gary Crosby. La majorité des artistes programmés à BB et associés aux AM participent à plusieurs projets. Le même artiste peut à la fois diriger une résidence, participer à une conférence ou jouer pour un concert-rencontre. Cela permet de fédérer plusieurs partenaires autour de sa personnalité et créer une dynamique d’ensemble favorisant la circulation des publics d’une action à l’autre. ________________________ (13) Bilan des AM 2004, 2005 7 - L’engagement des partenaires : outre les qualités intrinsèques des propositions artistiques et des musiciens qui les formulent, la réussite des projets est étroitement liée à l’engagement des partenaires des AM. La mise en œuvre des projets requiert beaucoup de disponibilité, dans la préparation, la réalisation et l’évaluation. Les enseignants comptent parmi les relais les plus impliqués. « Très volontaires, ils sont peu avares de leur temps, de leur énergie pour assister à des réunions, remplir des dossiers…et lorsque les collaborations se poursuivent d’une année sur l’autre, ils affinent l’articulation entre le contenu pédagogique de leur enseignement et le contenu de l’atelier » (13). Ainsi, depuis 16 ans, BB a mis en place un dispositif unique de rencontres et d’échanges avec les artistes et ses AM se sont « tricotés » en collaboration étroite avec ses partenaires. Les partenariats sont protéiformes : il peut s’agir d’un accueil (répétition, exposition, concert, interview), d’un atelier de longue durée (résidence) ou d’un projet plus court (concert-rencontre), connu et mené en étroite collaboration avec la structure d’accueil. La variété de projets implique donc des types de collaboration qui varient d’une structure partenaire à l’autre, d’une ville à l’autre. - L’importance des moyens mis en œuvre : En 2004, la préparation des projets a été réalisée en amont par une équipe de 4 personnes permanentes : une responsable, une chargée de projets, un assistant d’administration et un assistant de production ainsi que 3 personnes saisonnières : un régisseur général, un régisseur adjoint et une chargée de terrain, avec le concours de la totalité de l’équipe du festival (direction, administration, presse, logistique, comptabilité, communication). En 2004, afin de mettre en œuvre la venue et le séjour d’artistes invités à réaliser des AM au-delà de leur venue pour un simple concert, BB a pris en charge 11 vols internationaux, 59 nuits d’hôtel et 51 transferts locaux (ce qui représente 115 heures de travail pour les chauffeurs du festival). - Les effets de continuité L’inscription dans la continuité présente d’autres avantages. Elle permet d’envisager un travail sur le long terme avec les partenaires qui facilite la compréhension et la communication et elle permet d’associer des groupes de nature différente : ceux qui connaissent les AM et les nouvelles recrues. La moitié des projets sont réalisés avec les mêmes partenaires d’une année sur l’autre (13). Ceux qui ont aimé travailler avec BB, quand ils changent d’établissement redemandent un partenariat et cela permet de toucher un autre public. Ainsi, « Les Actions musicales créent cette proximité et ce lien essentiel entre le festival et son public. Elles impliquent et touchent profondément la population. Elles sont cruciales et elles participent à accompagner l’individu dans la construction de sa personnalité et dans une meilleure compréhension de l’autre, des autres. De ce fait, c’est la communauté, une communauté qui comprend mieux ses différents éléments, bref la collectivité toute entière qui est touchée et renforcée. » Douglas Ewart. (Paroles d’artistes, cf note 13) Conclusion Festival militant Banlieues Bleues a su se construire une identité forte. Bien ancré au niveau du territoire et fédérateur d’énergies multiformes, l’équipe du festival a mené avec savoir-faire et passion un projet culturel original sans cesse innovant basé sur le diptyque : qualité de la programmation et sensibilisation des publics. Il s’agit là d’un projet culturel global où il n’y a pas de séparation entre l’œuvre et sa réception, entre l’acte artistique et son accompagnement. Dotés d’outils artistiques et citoyens pour interroger la programmation, les spectateurs-acteurs (ré)intègrent l’espace public et les musiciens s’en trouvent enrichis humainement et artistiquement car ces rencontres peuvent influencer la création elle-même. 26 ans d’existence si l’on compte les 4 premières années initiatiques de BB, la structure grossit, se ramifie mais garde une grande souplesse dans son fonctionnement. En prenant place au cœur des foyers, BB a permis l’affirmation d’une identité du département de la Seine-Saint-Denis constituée à partir de choix culturels humanistes permettant à la population de s’approprier des éléments d’émancipation en lui apportant des formes de culture habituellement considérées comme élitistes. L’ouverture d’un nouveau local pour BB dans les prochaines semaines à Pantin, pouvant accueillir répétitions et concerts, lui permettra de pérenniser son action au-delà encore de ce qui a été entrepris. C’est un signal fort pour les artistes et les publics qui décidément n’auront plus tout à fait la même idée du jazz… 8 Annexe 1 : Une géopolitique culturelle impressionnante 9 Annexe 2 : Ressources Bibliographies : « Free-jazz black power » Philippe Carles et Jean Louis Comolli (édition champ libre, 1971) « Champ jazzistique », Alexandre Pierrepont (édition parenthèses, 2003) « Institution et vie culturelle », (La documentation Française, 2005) Rapports : - Bilan des rencontres internationales de jazz de Nevers organisées au centre régional du jazz (11 novembre 2005) - Mémoire de DESS « Banlieues Bleues, un festival en Seine-Saint-Denis », Boubacar Miriko (1994) - Revue de presse du festival 2004, 2005 - Bilan d’activité des actions musicales 2004, 2005 Entretiens Stéphanie Touré : Responsable des actions musicales (22 décembre 2005) Hélène Vigny : Chargée des relations avec le public (16 janvier 2006) 10