La croyance au Père Noël-2009

Transcription

La croyance au Père Noël-2009
La croyance au Père Noël a une date de
péremption
Serge LARIVÉE* et Carole SÉNÉCHAL**
RÉSUMÉ
La plupart des enfants en Occident sont en contact avec le Père Noël
au cours de leur enfance. Pour la plupart des parents, il s’agit d’une
croyance anodine destinée à conférer à la fête de Noël un certain
mystère. Certains parents considèrent toutefois que promouvoir la
croyance au Père Noël, c’est valoriser le mensonge. L’objectif de ce
texte est de passer en revue les arguments des uns et des autres.
Nous mettons d’abord en évidence quelques variables susceptibles
de favoriser ou non cette croyance. Par la suite, nous présentons les
travaux qui se sont intéressés à l’impact de la croyance au Père Noël
et de la découverte de la vérité. Nous considérerons alors le point de
vue des enfants et celui des parents. Nous évoquons enfin le caractère
adaptatif du mensonge dans une perspective évolutionniste.
MOTS CLÉS : PÈRE NOËL, ENFANCE, DÉVELOPPEMENT COGNITIF, MENSONGE
ABSTRACT
Belief in Santa Claus has an expiry date
Most Western children are exposed to Santa Claus during their childhood.
For most parents, this is an innocent belief intended to lend Christmas a
certain sense of mystery. Some parents, however, feel that encouraging
belief in Santa, in fact, promotes lying. This text will provide an overview
of the arguments. We will first bring up several variables likely to favour
or discourage belief in Santa. We will go on to present studies that have
examined the impact of believing in Santa and discovering the truth. We
will then consider both children’s and parents’ points of view. We will
finish by discussing the adaptive character of lying in an evolutionary
perspective.
KEY-WORDS: SANTA CLAUS, CHILDHOOD, COGNITIVE DEVELOPMENT, LYING
*Serge Larivée, École de psychoéducation, Université de Montréal Casier postal 6128,
Succursale Centre-ville Montréal (Québec), Canada H3C 3J7, E-mail : [email protected]
**Carole Sénéchal, Faculté d’éducation, Université d’Ottawa, 145 Jean-Jacques-Lussier,
Ottawa, Ontario, Canada K1N 6N5, E-mail : [email protected]
Nous remercions C. Barrette, D. Baril, J. Deneault, F. Filiatrault, D. Paquette et A. Quiviger
dont les commentaires judicieux ont permis d’améliorer sensiblement le texte.
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Serge LARIVÉE, Carole SÉNÉCHAL
Chaque année, au mois de décembre, le Père Noël occupe une place importante
dans la vie des familles en Occident. Si la majorité des parents se rendent
complices du mythe, un certain nombre se montre réfractaire et refuse de
mentir à leurs enfants. L’objectif de ce texte est d’évaluer la pertinence des
arguments des uns et des autres à l’aune des recherches sur le sujet. Pour ce
faire, nous présenterons d’abord quelques variables susceptibles de favoriser
ou non la croyance au Père Noël et à d’autres personnages fictifs, puis les
données empiriques découlant des recherches sur l’impact de la croyance au
Père Noël et de la découverte de la vérité. Cela permettra de constater comment
cette dernière s’opère et quels souvenirs en gardent les enfants et leurs parents.
Nous conclurons sur le caractère adaptatif du mensonge dans une perspective
évolutionniste.
QUELQUES VARIABLES SUSCEPTIBLES DE FAVORISER OU NON LA
CROYANCE AU P ÈRE N OËL
Malgré l’intérêt de la question, ne serait-ce que du point de vue du développement
cognitif, affectif et social, peu d’études portent sur les variables qui favorisent
ou non la croyance au Père Noël. On invoque le plus souvent le niveau du
développement cognitif, le genre et la propension à la fantaisie.
Les études qui abordent le phénomène de la croyance au Père Noël sous
l’angle du développement cognitif au sens piagétien sont rares et relativement
anciennes (Blair, McKee, & Jernigan, 1980 ; Dixon & Horn Jr., 1984 ; Fehr, 1976 ;
Prentice, Manosevitz, & Hubbs, 1978 ; Prentice, Schmechel, & Monosevitz,
1979 ; Schmechel, 1975). La première étude est, sauf erreur, celle de Schmechel
(1975 ; Prentice et al., 1979). Les auteurs ont soumis trente-six garçons et
trente-six filles du niveau préscolaire (âge moyen : 4,9 ans), de première année
(6,9 ans) et de troisième année du primaire (9,0 ans), dont le score moyen de QI
au Peabody Picture Vocabulary Test était de 110,7, à trois tests qui permettent
d’obtenir à chaque fois un score de 1 à 12 : une entrevue sur le père Noël, une
mesure du raisonnement causal évalué entre autres par deux épreuves inspirées de
Laurendeau et Pinard (1962), le mouvement des nuages et le rêve, et enfin une mesure
de prédisposition à la fantaisie.
Les résultats montrent que la croyance au père Noël diminue avec l’âge au
fur et à mesure que la maîtrise du raisonnement causal augmente : les scores
de croyance au Père Noël passent de 11,1 (E.T. : 1,6) à 7,3 (E.T. : 4,7), puis à
4,3 (E.T. : 3,7), alors que les scores de raisonnement causal augmentent de 7,2
(E.T. : 1,0) à 9,8 (E.T. : 1,2) et à 10,1 (E.T. : 1,2) en fonction du niveau scolaire.
Quatre informations supplémentaires se dégagent de cette étude. Premièrement,
les auteurs montrent que la croyance au père Noël est corrélée négativement
avec l’âge chronologique (−0,61), l’âge mental (−0,49) et le raisonnement causal
(−0,50). Deuxièmement, la croyance au Père Noël baisse plus rapidement chez
les garçons que chez les filles, mais cette différence n’est pas statistiquement
significative. Troisièmement, l’écart le plus marqué entre les groupes d’âge, tant
en ce qui concerne la croyance au père Noël que le raisonnement causal, se situe
La croyance au Père Noël a une date de péremption
entre 5 et 7 ans, ce qui confirme les progrès cognitifs habituellement observés
à l’âge dit de raison. Toutefois, alors que les scores de raisonnement causal se
regroupent autour du score moyen de chaque groupe d’âge, comme en font foi
les faibles écarts types, la croyance au père Noël fait exception chez les 7 et 9 ans,
ce qui indique une plus grande variabilité. Cela signifie que la maturité cognitive
ne suffit pas pour cesser de croire au Père Noël, ce que des études ultérieures
confirmeront. Quatrièmement, les auteurs n’observent aucune relation entre la
prédisposition à la fantaisie et la croyance au Père Noël. Autrement dit, les enfants
les plus imaginatifs ne croient pas nécessairement plus longtemps au Père Noël.
Les auteurs qui ont vérifié l’âge auquel les enfants cessent de croire au Père
Noël ont quelquefois vérifié aussi le niveau de croyance en d’autres personnages
fictifs, tels le Lapin de Pâques et la Fée des dents. Ainsi, après avoir soumis des
enfants (n = 147) de 4 à 10 ans à trois épreuves opératoires de conservation
(matière, liquide et nombre), Blair et al. (1980) ont mesuré leur croyance au Père
Noël, au Lapin de Pâques et à la Fée des dents. Ils concluent que le niveau
opératoire (préopératoire, transition, opératoire concret) est bel et bien relié à
l’âge (0,73, p < 0,001), mais que la croyance à ces trois figures légendaires est
davantage reliée à l’âge qu’au niveau du développement cognitif. Ainsi, au niveau
préopératoire, la proportion des « croyants » varie entre deux sur trois et trois sur
quatre ; au niveau de transition, la moitié des sujets croient encore fermement,
alors que 30 % des sujets de niveau opératoire concret affichent toujours des
croyances partielles. Si, de fait, les travaux de Blair et al. (1980) et de Prentice
et al. (1978) montrent qu’à partir de sept ans la croyance au Père Noël diminue
sensiblement, il y aurait tout de même 47 % des enfants de sept ans, 25 %
des enfants de huit ans et 17 % des enfants de neuf ans qui y croient encore
fermement (tableau 1). Par ailleurs si 50 % des enfants de neuf ans et 67 % de
ceux de 10 ans affirment clairement ne plus croire au Père Noël, le tiers d’entre
eux entretiennent encore une croyance partielle. Par ailleurs, si la croyance ferme
au Lapin de Pâques passe aussi sous la barre du 50 % à 7 ans, il faut attendre 8
ans pour ce qui est de la Fée des dents.
À la limite, il n’est guère étonnant qu’un enfant au raisonnement préopératoire
accepte le fait qu’un seul homme, vieillard de surcroît, puisse distribuer en
quelques heures nocturnes des cadeaux à tous les enfants de la terre, et ce,
d’autant plus qu’ils n’ont probablement pas idée du nombre d’enfants qui
peuplent la planète ni de la dimension de celle-ci. Au cours de ce stade de
développement, les capacités symboliques fonctionnent en effet à plein régime.
Or, quand la pensée magique règne en maître, la frontière entre le fantastique et le
réel demeure pour le moins floue. Fascinés par les contes de fées et le merveilleux,
les enfants recourent volontiers à la magie pour expliquer une situation ou un
événement dont le niveau de complexité dépasse leur niveau de compréhension
des lois physiques (Phelps & Woolley, 1994 ; Taylor, 1997 ; Woolley, 1997, 1999).
Bien qu’elle permette de mieux raisonner, la mise en place des invariants de
la connaissance et des instruments logico-mathématiques que représentent les
schèmes de classification, de sériation et du nombre ne parvient pas toujours à
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Nb
47
23
53
17
43
18
6
Âge
4
5
6
7
8
9
10
Sujets
33
33
−
40,5
29
23,0
13
8,5
Partielle
17
23,5
47
64,5
83
89,0
Ferme
Au Père Noël
67
50
36,0
24
12,5
4
2,5
Nulle
−
22
28,5
35
57,5
83
84,0
Ferme
17
17
13,5
41
25
13
7,0
Partielle
83
61
58
4
17,5
4
9,0
Nulle
Au Lapin de Pâques
croyance
−
17
49,5
53
60,5
68
37,5
Ferme
17
22
8,5
12
14,5
9
10
Partielle
83
61
39,5
35
17,5
9
2,5
Nulle
À la Fée des dents
−
−
2,5
−
7,5
14
50
Ne connaît pas
Tableau 1.
Pourcentage de croyance ferme, partielle ou nulle au Père Noël, au Lapin de Pâques et la Fée des dents chez des enfants
de 4 à 10 ans selon Blair et al. (1980) et Prentice et al. (1978).
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Serge LARIVÉE, Carole SÉNÉCHAL
La croyance au Père Noël a une date de péremption
déloger le Père Noël. En fait, ces études montrent plutôt que la mise en place
des opérations concrètes est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour
déloger le mythe.
À première vue, on pourrait penser que la persistance du mythe puisse
s’expliquer au moins partiellement par une propension à la fantaisie. La capacité
de croire des enfants est en effet plus grande que celle des adultes. Vers 4-5 ans,
les enfants peuvent certes faire la distinction entre la réalité et la fantaisie, mais la
frontière entre les deux n’est pas toujours étanche (Rosengren, Kalish, Hickling,
& Gelman 1994 ; Subbotsky, 1994). Par ailleurs, si l’émergence des opérations
concrètes (vers 6 – 7 ans) permet aux enfants de préciser la frontière, cela
ne les empêche pas d’entretenir un monde imaginaire (Harris, Brown, Marriot,
Whittal, & Hermer, 1991). En fait, Harris (2002, 2007) a bien montré que les
enfants naviguent adroitement de l’imaginaire au réel sans les confondre, ce
qui lui fait conclure que le développement cognitif des enfants n’est pas aussi
unidirectionnel et unilatéral que le prétend Piaget. Enfin, Anderson et Prentice
(1994) ont montré que les enfants dont le QI verbal est plus élevé découvrent
plus tôt la vérité à propos du Père Noël (r = −0,39, p = 0,005).
Même si la croyance au Père Noël diminue en fonction de l’âge et de la
maturité cognitive, d’autres variables individuelles et socioculturelles peuvent
jouer sur la baisse plus ou moins rapide de la croyance, dont la pression des pairs,
l’encouragement des parents et la culture ambiante (Blair et al., 1980 ; Prentice
et al., 1978 ; Rosengren et al., 1994).
DOIT-ON OU NON FAVORISER LA CROYANCE AU PÈRE NOËL ?
Ceux qui refusent de promouvoir la croyance au Père Noël recourent à deux
ordres d’arguments plus ou moins liés : l’argument moral et l’argument éducatif
(Barbery, 1999, 2004 ; Boss, 1991, 1992 ; Gobert, 1992 ; McGowan, 2007 ;
Nelms, 1996 ; Sereno, 1951). Ces arguments sont essentiellement basés sur des
témoignages ou relèvent de l’opinion, ce qui bien sûr ne préjuge en rien de leur
pertinence.
L’argument moral : croire au Père Noël, c’est croire à un mensonge
Même si beaucoup l’ignorent en Occident, la base de la morale s’inspire
abondamment de l’impératif kantien : « Agis toujours d’après une maxime telle
que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » (Kant,
1785). Or, promouvoir la croyance au Père Noël reviendrait ni plus ni moins à
protéger un mensonge organisé, structuré et systématique. Non seulement les
parents et les adultes mentiraient-ils, mais la société elle-même, on le voit par la
quantité d’images que la publicité propose, cautionnerait ce mensonge.
Une telle caution du mensonge aurait de graves conséquences sur le plan
éducatif. Elle charrie l’acceptation implicite que le dupé dupe à son tour les
menteurs, ce qui équivaut à saper les fondements de la communication. Pour
les opposants au Père Noël, le jugement est sans appel : mentir aux enfants
encourage le mensonge. Bernés depuis leur toute petite enfance, les enfants
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370
Serge LARIVÉE, Carole SÉNÉCHAL
pourraient conclure que si les adultes ont menti à propos du Père Noël, ils
peuvent mentir encore sur d’autres sujets. Comment alors savoir qu’ils disent la
vérité ? Et puisqu’ils se permettent de mentir, pourquoi n’en ferais-je pas autant ?
L’argument éducatif
L’argument éducatif touche à la fois des valeurs, la possibilité d’un chantage
affectif de la part des parents et certaines conséquences psychologiques lors de
la découverte de la vérité. Comme la période de Noël promeut abondamment
la consommation, les opposants au mythe du Père Noël pensent que celui-ci
personnalise l’acceptation de l’injustice sociale, puisqu’il est loin d’équilibrer
la valeur des cadeaux qu’il laisse sous l’arbre des riches et celui des pauvres.
Quelle réponse les parents de milieu défavorisé doivent-ils fournir à leurs enfants
lorsque ceux-ci constatent que le Père Noël a apporté à certains de leurs
camarades des cadeaux en plus grand nombre et de plus grande valeur alors
qu’eux doivent se contenter de cadeaux à la limite symbolique ? Comme, du
même coup, le mythe prétend que les choix du Père Noël tiennent compte du
« bon » comportement des enfants, comment les enfants de familles démunies
comprendront-ils cette inégalité s’ils ont été relativement sages (Barbery, 1999,
2004) ? Des statistiques datant de la fin des années soixante-dix indiquent que
68 % des parents américains utilisaient la croyance au Père Noël comme moyen
de contrôle du comportement de leurs enfants (Prentice et al., 1978).
Par ailleurs, selon certains opposants à la croyance au Père Noël, la découverte
de la vérité risque de traumatiser les enfants qui se sentent alors trahis. Les
opposants au Père Noël proposent évidemment de dire la vérité aux enfants.
Enfin, il existe des parents qui évoquent un argument terre à terre : ils ne veulent
tout simplement pas faire croire à leur enfant quelque chose qui n’existe pas. On
peut imaginer alors la pression sociale pesant sur les parents qui décideraient de
ne pas jouer le jeu.
LA RÉPONSE AUX OPPOSANTS À LA CROYANCE AU PÈRE NOËL :
DES DONNÉES EMPIRIQUES
Voici deux ensembles de données empiriques à la rescousse du Père Noël.
Le premier présente des données comparatives sur la croyance au Père Noël
provenant d’enfants de 7 à 13 ans (Benjamin, Langley, & Hall, 1979 ; Duncombe,
1896). Le second ensemble porte sur les pratiques et les attitudes parentales à
l’égard de la croyance au Père Noël (Gill & Papatheodorou, 1999 ; Papatheodorou
& Gill, 1999, 2001, 2002 ; Rosengren et al., 1994).
Qu’en pensent les enfants ?
L’étude de Duncombe parue en 1896 est probablement la toute première étude
sur le Père Noël, mais là n’est pas son seul intérêt. D’abord, cette étude aborde
plusieurs thèmes dont certains répondent aux arguments des détracteurs du
mythe ; puis, elle a été menée auprès d’un vaste échantillon dont l’ampleur
n’a jamais été égalée ; enfin, elle a été reproduite en 1979, soit près de trois
La croyance au Père Noël a une date de péremption
générations plus tard (Benjamin et al., 1979) dans le même contexte, c’est-à-dire
les écoles publiques de Lincoln au Nebraska (États-Unis).
En 1896, Duncombe a rencontré 1 500 élèves de 7 à 13 ans et leur a posé
quatre questions dont l’intérêt est encore d’actualité. La première question a trait
aux souvenirs des enfants quant à la nature du Père Noël ; la deuxième question a
pour but de vérifier trois éléments : la manière dont les enfants ont appris la vérité,
à quel âge l’ont-ils appris et quelles ont été leurs réactions ; la troisième question
concerne l’influence de la croyance au Père Noël sur leur comportement ; la
quatrième question était la suivante : « doit-on inciter les enfants à croire au Père
Noël ? ». En vue de colliger des données sur le même sujet dans une perspective
intergénérationnelle, Benjamin et al. (1979) ont posé les mêmes questions à 900
élèves des mêmes écoles huit décennies plus tard.
L’analyse comparative des réponses à la première question montre une
différence importante quant à la conception de la nature du Père Noël (tableau 2).
Alors qu’en 1896, près de 90 % des enfants attribuaient au Père Noël un caractère
surnaturel, ce n’était le cas que de 38,7 % des enfants en 1979. Deux variables
pourraient expliquer la diminution de cet écart. D’une part, les enfants sont
de nos jours en contact avec d’autres figures dotées d’un pouvoir surhumain
(Wonder Woman, Batman, Spiderman, Superman, etc.) ; d’autre part, la présence
simultanée du Père Noël dans plusieurs magasins, dans la rue et dans les écoles
a de quoi laisser les enfants perplexes. L’âge des sujets (8 à 13 ans) pourrait aussi
expliquer partiellement cette diminution : les enfants plus jeunes paraissent en
effet croire davantage au caractère magique du Père Noël.
La deuxième question cherche à vérifier trois aspects : la manière dont les
enfants ont appris la vérité à propos du Père Noël, à quel âge et comment ils
se sont alors sentis. En ce qui concerne la manière d’apprendre la vérité, nous
avons distingué trois catégories : par d’autres enfants, par les parents ou à la
suite d’observations et d’expériences personnelles ; les réponses difficilement
classables entrent également dans cette dernière catégorie. Si le pourcentage varie
peu pour ces derniers cas (46,5 % et 44,1 %), près de deux fois plus (24,6 et 40,0)
d’enfants de l’échantillon de 1979 affirment avoir appris la vérité de leurs parents,
alors que près de deux fois moins de sujets (27,0 % et 16,0 %) affirment la devoir
à d’autres enfants.
En ce qui concerne l’âge, deux constats se dégagent des résultats (tableau 3).
Premièrement, les enfants de 1896 ont découvert la vérité en moyenne six mois
plus tôt que ceux de 1979 (6,35 et 6,89). Deuxièmement, les garçons affirment
avoir cessé de croire au Père Noël environ trois mois et demi plus tôt que
les filles. On doit considérer ce résultat avec prudence pour au moins trois
raisons. D’abord, les résultats présentés au tableau 1 confirment certes que la
croyance ferme au Père Noël passe sous la barre des 50 % à sept ans, mais
un certain pourcentage d’enfants conserve des croyances partielles, ce dont les
deux enquêtes ne tiennent pas compte. Ensuite, Benjamin et al. (1979) soulignent
à juste titre que compte tenu de la manière dont les garçons et les filles sont
socialisés, les premiers pourraient refuser d’admettre qu’ils ont cru au Père Noël
à un âge plus avancé, alors que les filles seraient peut-être encouragées à conserver
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372
Serge LARIVÉE, Carole SÉNÉCHAL
Tableau 2.
La croyance au Père Noël chez les enfants de 8 à 13 ans en 1896
(n = 1 500) et en 1979 (n = 900) : quelques données comparatives
en pourcentage d’après Duncombe (1896) et Benjamin et al. (1979).
1896
Variables
Garçons Filles
Total
Empan
1979
Nature du Père Noël
• Un homme ordinaire
5,2
3,6
4,4
0-6
34,4
87,0
92,6
89,8
73-96
38,7
3,8
7,6
5,7
0-7
26,9
• Des enfants
26,4
27,6
27,0
17-34
16,0
• Les parents
20,0
29,2
24,6
13-42
40,0
• Expérience/observation ou
réponse vague
50,8
42,2
46,5
38-55
44,1
• Un être surnaturel
• Réponse vague/pas de réponse
Qui a vendu la mèche ?
Comment vous êtes-vous senti quand vous avez appris la vérité
à propos du Père Noël ?
• Déçu
18,8
25,8
22,3
16-36
39,4
• Heureux
6,2
7,4
6,8
0-16
9,7
• Trompé
2,0
1,4
1,7
0-3
5,9
72,8
65,2
69,0
60-80
45,0
• Réponse vague
Comment évaluez-vous l’influence du Père Noël ?
• Induit un bon comportement
9,0
8,7
8,9
3-20
−
• Détruit le sentiment de confiance
1,0
1,0
1,0
0-2
−
• Rend heureux
3,0
3,5
3,2
0-6
−
• Réponse vague
31,0
45,3
38,2
15-75
−
• Pas de réponse
55,0
41,3
48,2
11-80
−
plus longtemps leurs fantaisies. Enfin, cet écart entre les sexes coïncide avec
d’autres données à propos d’autres types de croyances en fonction du genre :
les femmes sont généralement plus crédules que les hommes quelle que soit par
ailleurs la nature des croyances (religieuses, paranormales, etc.) (Baril, 2006 ; Boy
& Michelat, 1986).
373
La croyance au Père Noël a une date de péremption
Tableau 3.
Âge auquel les enfants découvrent la vérité à propos du Père Noël,
d’après Anderson et Prentice (1994).
1896a
(n = 1 500)
1953b
(n = 620)
1979c
(n = 900)
1987d
(n = 52)
Filles
6,50
7,80 (1,44)
7,00
6,81 (1,35)
Garçons
6,20
8,75 (2,00)
6,70
7,22 (1,63)
Total
6,35
8,28 (1,81)
6,89
7,01 (148)
a Duncombe (1896)
b Doll (1953)
c Benjamin et al. (1979 — données colligées en 1977)
d Anderson (1988).
Les réponses concernant la manière dont les enfants se sont sentis en
apprenant la vérité sont regroupées sous quatre rubriques : déçu, heureux, trompé
et sans objet (tableau 2). Les enfants de l’échantillon de 1979 ont été plus déçus
que ceux de 1896 (39,4 % et 22,3 %) mais peu se sont sentis trompés : 5,9 % en
1979 et 1,7 % en 1896. Par ailleurs, 6,8 % des enfants de 1896 et 9,7 % des enfants
de 1979 se sont dits heureux d’apprendre la vérité à propos du Père Noël. Enfin,
69,0 % des enfants de l’échantillon de 1896 et 45 % de ceux de 1979 n’expriment
aucun sentiment spécifique. Ces résultats vont à l’encontre de la position des
opposants à la croyance au Père Noël selon laquelle les enfants se sentiraient
nécessairement trahis ou trompés.
Les réponses à la troisième question, « Comment évaluez-vous l’influence du
Père Noël ? », sont, aux dires même de Duncombe (1896), inutilisables. En effet,
86,4 % des répondants ne donnent pas de réponse ou produisent une réponse
vague. Benjamin et al. (1979) n’ont d’ailleurs pas utilisé cette question.
À la question « doit-on inciter les enfants à croire au Père Noël ? », non
seulement les enfants de 1979 répondent « oui » dans une plus grande proportion
que ceux de 1896 (69,5 % et 56,7 %), mais leurs raisons diffèrent. Alors que
seuls 4,2 % des enfants de 1979 pensent que la croyance au Père Noël permet un
meilleur comportement, 17,2 % des enfants de 1896 invoquent cette raison. Ce
résultat pourrait indiquer que les parents d’aujourd’hui utilisent moins le chantage
du Père Noël pour se faire obéir. Par ailleurs, les répondants des deux échantillons
qui incitent les enfants à croire au Père Noël justifient leur position par le bonheur
qu’on en retire : 54,3 % en 1896 et de 72,6 % en 1979 (tableau 4).
Chez les participants qui pensent qu’on ne devrait pas inciter les enfants
à croire au Père Noël, l’importance de ne pas mentir est la principale raison
invoquée : 53,8 % en 1896 et 42,5 % en 1979. Ce résultat correspond
respectivement à 20,1 % et à 9,6 % de l’ensemble des répondants des échantillons
de 1896 et 1979. Un certain nombre de répondants invoquent aussi une
éventuelle déception lors de la découverte de la vérité pour ne pas inciter les
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374
Serge LARIVÉE, Carole SÉNÉCHAL
Tableau 4.
Devrait-on inciter les enfants à croire au Père Noël ? D’après Duncombe
(1896) et Benjamin et al. (1979). a
1896
OUI :
• Ça les rend heureux
• Ça les rend bons
• Raisons vagues ou
pas de raisons
NON :
• C’est un mensonge
• Ça peut les décevoir
• Raisons vagues ou
pas de raisons
PAS DE RÉPONSE ou OUI
et NON
Garçons
Filles
Total
Empan
1979
51,2
62,2
56,7
46-66
69,5
43,6
65,0
54,3
15-77
72,6
(22,3)
(40,4)
(30,7)
(6,9-50,8)
(50,5)
28,2
6,2
17,2
2-70
4,2
(14,4)
(3,9)
(9,8)
(1,9-46,2)
(2,9)
27,6
28,4
28,0
3-30
23,1
(14,1)
(17,7)
(15,9)
(1,4-19,8)
(16,1)
42,2
32,6
37,4
28-47
22,6
48,2
59,4
53,8
30-73
45,5
(20,3)
(19,4)
(20,1)
(8,4-34,3)
(9,6)
12,7
15,1
13,9
3-23
38,5
(5,4)
(4,9)
(5,2)
(0,8-10,8)
(8,7)
38,7
25,5
32,1
0-61
19,0
(16,3)
(8,3)
(12,0)
(0-28,7)
(4,3)
7,6
4,8
6,2
(4-12)
7,9
a Les chiffres entre parenthèses correspondent aux pourcentages de réponses, quelle qu’en soit la
nature (« oui »,
« non », « pas de réponse », « oui et non »).
enfants à croire au Père Noël : 13,9 % des répondants de 1896 et 38,5 % de
ceux de 1979, soit 5,2 % et 8,7 % de l’ensemble des répondants. Certains enfants
plus empathiques se mettraient-ils à la place de l’autre ? On sait que vers 9-10
ans, les enfants sont particulièrement sensibles à la notion de justice (Damon,
1988). Dans tous les cas, on est loin du traumatisme évoqué par les opposants à
la croyance au Père Noël.
Qu’en pensent les parents ?
Rosengren et al. (1994) ont questionné 70 parents sur leur propre croyance
antérieure au Père Noël, au Lapin de Pâques, à la Fée des dents et à d’autres
375
La croyance au Père Noël a une date de péremption
personnages surnaturels (dragons, sorcières, fantômes, monstres. . .) et, d’autre
part, sur les croyances de leurs enfants et leurs attitudes parentales à cet
égard. En ce qui concerne leurs souvenirs, le pourcentage des parents qui se
souviennent avoir cru au Père Noël, au Lapin de Pâques et à la Fée des dents est
respectivement de 87 %, 80 % et 84 %. Par ailleurs, ces mêmes parents constatent
que 81 % de leurs enfants de 4-5 ans croient au Père Noël, 74 % au Lapin de
Pâques et 54 % à la Fée des dents ; ils encouragent ces croyances dans 65 %,
57 % et 49 % respectivement.
Dans leur enquête, Rosengren et al. (1994) ont aussi demandé aux parents
quelles réponses ils donneraient à leurs enfants s’ils les interrogeaient sur la
réalité du Père Noël, du Lapin de Pâques et de la Fée des dents. La majorité
des parents répondraient qu’il existe vraiment (tableau 5). Cette affirmation est
cependant modulée en fonction de l’âge des enfants. Si les parents n’hésitent
guère à encourager la croyance au Père Noël, ils fournissent des réponses plus
ou moins évasives au fur et à mesure que l’enfant grandit (par exemple : qu’en
penses-tu ? Tu as raison de t’interroger comment fait le Père Noël pour distribuer
autant de cadeaux en si peu de temps).
Tableau 5.
Pourcentage des réponses des parents (n = 70) concernant le statut
du Père Noël, du Lapin de Pâques et de la Fée des dents d’après
Rosengren et al. (1994).
Personnage réel ?
Statut certain ?
Selon l’âge ?
Personnage
Oui
Catégorique Évasif Autre
Oui
Non
Père Noël
56,7 22,4 20,9
68,2
16,7
15,1
77,8
22,2
Lapin de Pâques 56,6 37,7 5,7
72,7
18,2
9,1
74,5
25,5
Fée des dents
76,7
20
3,3
72,9
27,1
Non
Évasif
67,9 30,2 1,9
Gill et Papathéodorou (1999 ; Papatheodorou et Gill, 1999, 2001, 2002) se
sont aussi intéressées aux pratiques et aux attitudes parentales eu égard à la
croyance au Père Noël et à la répercussion de celle-ci sur le développement
des enfants. Ils ont en outre questionné les parents sur leurs propres souvenirs
particulièrement en ce qui a trait à la découverte de la vérité à propos du Père
Noël.
Ainsi, 95,3 % des parents (n = 161) se souviennent qu’on célébrait la fête de
Noël dans leur famille et 98,1 % d’entre eux, d’avoir été incités à croire au Père
Noël. En ce qui concerne la découverte de la vérité (tableau 6), près de 50 % des
parents se souviennent de l’avoir découverte graduellement et 55,3 % d’entre eux
souhaitent qu’il en soit ainsi pour leurs enfants. Par ailleurs, les parents ont appris
la vérité de leurs parents (25 %), d’amis (11,8 %), de leurs frères et sœurs (9,3 %)
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376
Serge LARIVÉE, Carole SÉNÉCHAL
Tableau 6.
Comment les parents ont découvert la vérité à propos du Père Noël et
comment ils s’attendent à ce que leurs enfants la découvrent d’après
Papatheodorou et Gill (1999, 2001).a
Parents
Enfants
Découverte
Nb
%
Nb
%
Graduellement
80
49,7
89
55,3
Parents
41
25,5
212
13,0
Amis
19
11,8
61
41,6
Fratrie
15
9,3
21
13,0
École
15
9,3
37
23,0
T. V.
2
1,2
5
3,1
Autre
2
1,2
−
−
10,5
−
−
Pas de souvenir
17
a Les parents pouvaient donner plus d’une réponse.
ou à l’école (9,3 %) ; ils souhaitent la même chose pour leurs enfants dans 13 %,
41,6 %, 13 % et 23 % des cas. Autrement dit, si leurs enfants ne découvrent pas
la vérité par eux-mêmes, ils souhaiteraient prioritairement que ce soient les amis
(41,6 %) ou l’école (23 %) qui la leur fasse découvrir.
À l’instar de Duncome (1896) et de Benjamin et al. (1979), Papatheodorou et
Gill (1999) ont demandé aux parents la manière dont ils se souviennent d’avoir
réagi lorsqu’ils ont découvert la vérité à propos du Père Noël (tableau 7). Les
données peuvent se regrouper sous deux catégories. La première, pour ainsi dire
plus neutre, comprend les réponses de 72 % des parents qui déclarent soit ne
pas s’en souvenir (30,4 %), soit ne pas avoir été embêté (23 %), soit qu’ils s’en
doutaient (19,2 %). La seconde catégorie, plus négative, comprend les réponses
de 26 % des parents qui déclarent avoir été déçus (13 %), contrariés (5,6 %),
désenchantés (3,7 %), atterrés (3,1 %) ou trompés (0,6 %). Ces résultats montrent
que, contrairement aux détracteurs du Père Noël, peu de parents ont gardé de
mauvais souvenirs de leur croyance au Père Noël, ce qui explique probablement
pourquoi la majorité opte pour le maintien de la croyance chez leurs enfants.
Si 92,5 % des parents de l’échantillon de Papatheodorou et Gill (1999)
rapportent que leur enfant croit au Père Noël, ce pourcentage varie en fonction
de l’âge de l’enfant : 52,3 % entre zéro et trois ans, 77,6 % entre quatre et six ans,
36,6 % entre sept et neuf ans et 2,5 % à 10 ans et plus. Ces résultats confirment la
diminution de la croyance vers sept ans et le fait qu’à partir de cet âge, les enfants
font de mieux en mieux la distinction entre la réalité et la fantaisie. D’ailleurs,
377
La croyance au Père Noël a une date de péremption
Tableau 7.
Comment les parents (n = 161) ont réagi lorsqu’ils ont appris la vérité
à propos du Père Noël d’après Papatheodorou et Gill (1999).
Réaction
Nombre
%
Aucun souvenir
49
30,4
Pas embêté
37
23,0
Confirmé dans ses soupçons
31
19,2
21
13,0
Contrarié
6
3,7
Désenchanté
5
3,1
Atterré
9
5,6
Trompé
1
0,6
Autre
2
1,2
Réaction neutre
Réaction négative
Déçu
lorsque les auteurs demandent aux parents à quel âge ils s’attendent à ce que leurs
enfants découvrent la vérité à propos du Père Noël, 9,3 % répondent à 6 ans,
24,2 % répondent à sept ans et 39,7 % à huit ans ; 26,0 %, à 9 ans et 21,7 %, à 10
ans et plus.
Papatheodorou et Gill (2001, 2002) ont analysé aussi la perception des parents
(n = 167) et de jeunes professionnels (n = 50) en regard de la nature de
l’expérience que la croyance au Père Noël offre aux enfants de huit ans et moins
en ce qui concerne leur développement spirituel au sens large. Ainsi les parents
constatent certes que leurs enfants sont surexcités (90,7 %) mais ils sont d’avis
que la croyance au Père Noël leur permet de vivre une expérience magique
(80,1 %), de développer le sens de la tradition (62,1 %) ainsi que leur imagination
(47,8 %), le sens du merveilleux et du mystère (47,8 %). Les parents sont aussi
d’avis que le Père Noël représente la bonté et le souci de l’autre (33,5 %) ainsi que
l’esprit de générosité (24,2 %). Tout en abondant dans ce sens, les professionnels
sont moins catégoriques et leur avis est moins homogène. Par ailleurs, les parents
et les professionnels partagent sensiblement le même point de vue en ce qui
concerne ce que les opposants à la croyance au Père Noël considèrent comme
des effets négatifs. Selon eux, la croyance au Père Noël n’encourage pas les
enfants à toujours en vouloir plus et à faire naïvement confiance aux étrangers ; la
croyance au Père Noël ne mine pas la confiance dans les adultes, ne sous-estime
pas l’intelligence des enfants et ne les encourage pas au mensonge.
nfance n◦ 4/2009
378
Serge LARIVÉE, Carole SÉNÉCHAL
Nonobstant leur niveau socio-économique, culturel et religieux, les parents
considèrent que l’aspect magique de Noël constitue un facteur important pour
encourager la croyance au Père Noël. De plus, les parents reconnaissent le
caractère commercial de la fête de Noël tout en considérant qu’il leur appartient
de poser des limites et de faire comprendre aux enfants que les cadeaux
proviennent des membres de la famille et des amis.
LA PERSPECTIVE ÉVOLUTIONNISTE
La découverte de la vérité à propos du Père Noël peut être analysée dans
une perspective évolutionniste. Produit de la sélection naturelle, le cerveau de
l’enfant a une tendance naturelle à croire tout ce que ses parents lui disent. Cette
obéissance aveugle est précieuse pour la survie et constitue en outre un atout
important pour apprendre moult aptitudes sociales et autres caractéristiques de
l’espèce humaine. Le revers de cette obéissance aveugle est la crédulité aveugle.
Il est dès lors nécessaire que, pour se prémunir contre la manipulation et
l’exploitation par ses congénères, l’enfant développe une certaine méfiance envers
sa propre crédulité. La plupart des parents s’inscrivent effectivement dans ce
processus lorsque le doute à propos du Père Noël s’installe chez leurs enfants.
En fait, les parents passent d’une période d’encouragement à la croyance à
une période de louvoiement à l’occasion des questions posées par l’enfant au
sujet de ses doutes, pour finir par la confirmation du caractère fictif du Père
Noël (Rosengren et al., 1994). Dès l’apparition du doute chez l’enfant, la plupart
des parents ajustent graduellement leur comportement en fonction du niveau de
doute ou de croyance de l’enfant. Ils valident alors les questions de leur enfant,
laissant celui-ci tirer progressivement ses propres conclusions.
Comme la découverte de la vérité à propos du Père Noël est inévitable, cet
événement constitue en quelque sorte un rite de passage du monde de la naïveté
à celui du scepticisme (Lévi-Strauss, 1993). En fait, avec l’abandon de la croyance
au Père Noël, les enfants épousent en quelque sorte la perspective et l’attitude
des adultes (Breen, 2004). Il n’est donc guère surprenant que les enfants qui
découvrent le pot aux roses protègent habituellement la croyance chez les plus
jeunes, se faisant ainsi complices du secret (Benjamin et al., 1979 ; Clark, 1995 ;
Gill et Papatheodorou, 1999 ; Gobert, 1992, 2004). À cette occasion, les enfants
expérimentent aussi l’utilité du mensonge dans les rapports sociaux. L’enfant
constate pour ainsi dire que tromper et détecter la tromperie constituent des
apprentissages importants. En fait, la détection des menteurs et des tricheurs
devient possible au fur et à mesure que l’enfant développe sa théorie de l’esprit,
c’est-à-dire sa capacité de se mettre à la place des autres, à se représenter
les états mentaux comme les croyances, les désirs et les intentions et à les
relier aux comportements d’autrui (Deneault & Morin, 2007). Parallèlement à
ce développement complexe, les enfants apprennent très tôt que mentir à ses
grands-parents à propos d’un cadeau qu’on n’aime pas convient mieux que de
dire la vérité. Ces pieux mensonges – que les Anglais appellent « mensonges
blancs » – ne constituent pas un mensonge au sens strict c’est-à-dire qui vise
La croyance au Père Noël a une date de péremption
délibérément à tromper afin d’en tirer du profit. Il s’agirait plutôt d’un choix entre
deux valeurs, dire la vérité à tout prix ou faire de la peine à un être cher. Dans cet
exemple, mentir ne cause aucun tort et peut contribuer à maintenir un lien social
important.
Enfin, les légendes, les balivernes et les petits mensonges sans conséquence
grave comme le Père Noël, le Lapin de Pâques ou la Fée des dents, enseignent
petit à petit à l’enfant que certaines croyances ne renvoient pas à la réalité et qu’il
convient parfois de douter et de remettre en question ce qui nous est raconté,
même par nos parents. De cette façon, l’enfant peut commencer à développer un
esprit critique de plus en plus utile à mesure qu’il avancera dans la vie adulte,
dans le cadre de ses relations avec ses congénères et dans ses tentatives de
compréhension du monde.
À cet égard, on pourrait considérer que la perte de la croyance au Père Noël
dans la vie d’un enfant fait en quelque sorte office d’une initiation au critère de
réfutabilité considéré par Popper (1973) comme essentiel pour la validation d’une
théorie scientifique. D’ailleurs, les enfants qui conservent un bon souvenir de
leur croyance au Père Noël sont habituellement ceux qui en ont déconstruit euxmêmes la possibilité logique (Barbery, 2004). Le processus de la découverte de la
vérité à propos du Père Noël pourrait ainsi contribuer à développer chez certains
enfants un début de pensée critique. Comme les enfants attribuent au Père Noël
les mêmes pouvoirs surnaturels qu’à Dieu (McGowan, 2007 ; Verba, 1996), peutêtre pourront-ils alors, si la situation se présente, appliquer à la croyance en Dieu
les mêmes raisonnements qui les ont conduits à ne plus croire au Père Noël
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