« CETTE EXÉCUTION MÉMORABLE » : LES REPRÉSENTATIONS
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« CETTE EXÉCUTION MÉMORABLE » : LES REPRÉSENTATIONS
« CETTE EXÉCUTION MÉMORABLE » : LES REPRÉSENTATIONS VISUELLES DE L’EXÉCUTION DE CHARLES Ier DE MILTON À LA GLORIEUSE RÉVOLUTION Anne-Laure de MEYER ENS-LSH Le récit de l'exécution de Charles Ier, relaté par les chroniqueurs officiels Gilbert Mabbott et Walker et repris par des historiens du XXe siècle, est parcouru de symboles christiques, de signes mystiques et de légendes, sans doute largement dus à la mise en scène de soi dont le roi fit preuve lors de ses derniers jours et qui fut fidèlement relayé par ses partisans1. Ainsi, nous rappelle-t-on dans ces récits, le roi brillait par son courage et sa sérénité quand il revêtit deux chemises en cette froide journée du 30 janvier 1649 afin que l'on ne crût pas qu'il tremblait de crainte. Sa croyance mystique lui fit apporter un soin tout particulier à sa tenue car c'était le jour de son « second mariage ». Il fut frappé d'entendre l'évangile du jour qui portait sur la crucifixion du Christ et y vit un signe providentiel. Il mangea du pain et but du vin peu avant d'être conduit à l'échafaud. Lors de son dernier discours, à l'instar du Crucifié, il pria pour que ses bourreaux soient pardonnés. Charles Ier est ainsi présenté comme un second Christ, un martyr constant, placide et ferme face à l'épreuve de la mort. Le récit des derniers moments mêle histoire et mythe, deux faces d'une réalité qui contribua fortement à figer la légende de martyr royal et donna naissance à un culte qui ne perdit sa vitalité qu'à la fin du XIXe siècle2. La même lecture semble avoir été faite des images représentant l'exécution de Charles Ier. Si aucune étude systématique de cette iconographie n'a encore été publiée, certains spécialistes du XVIIe siècle y font tout de même référence ; l'une note qu'il n'y a aucune image anglaise de l'exécution avant la Restauration, un autre que le roi n'est jamais représenté divisé sur le plan physique, et une troisième 1 Voir C.V. Wedgwood, A Coffin for King Charles, the Trial and Execution of Charles I (1964), Pleasantville, The Akadine Press, 2001, p.188. 2 Voir Andrew Lacey, The Cult of King Charles the Martyr, Woodbridge, The Boydell Press, 2003, p.236-251. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation. 118 Anne-Laure de Meyer s'étonne qu'il ne soit pas représenté souffrant3. Jusqu'à présent, les images de l'événement étaient perçues comme subordonnées à la légende du martyr royal, toujours respectueuses du corps du roi et de son unité. On a même imaginé que l'Angleterre se refusait à représenter l'infâme événement. Milton lui-même s'en prit à l'imagerie développée par le culte du roi martyr et la fustigea dans son célèbre Eikonoklastes. Or, si beaucoup d'images du roi défunt arborent un réel parti pris royaliste, toutes ne suivent pas cet usage. La présente étude vise à analyser les partis pris des images de l'exécution de 1649 jusqu'à la Glorieuse Révolution. Les images de l'exécution sont-elles une composante de la légende qui entoure le défunt roi ou au contraire ont-elles une existence séparée qui communique une interprétation différente de l'événement ? Figure 1 : The Princely Pellican, Londres, 1649 3 Voir Jane Roberts, The King's Head, London, The Royal Collection, 1999, p.22: « No such records were published in London, and none appears to have been made there; until the Restoration views of the King's execution were engraved, printed and published on the Continent ». Voir aussi Kevin Sharpe, “The Royal Image: An Afterword”, in Thomas N. Corns (ed.), The Royal Image: Representations of Charles I, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p.294, p.306 et Laura Lunger Knoppers, Historicizing Milton: Spectacle, Power and Poetry in Restoration England, Athens, University of Georgia Press, 1994, 19-20. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 119 « ‘Cette exécution mémorable’… » Une royauté christique La représentation d'un roi déchu et privé de sa tête ne va pas sans poser de problèmes aux royalistes qui s'empressent d'user de symboles et de raccourcis significatifs pour dire l'événement traumatisant du 30 janvier 1649. Ainsi, bon nombre des publications royalistes n'offraient pas d'image de l'exécution proprement dite, mais l'évoquaient par le moyen de symboles aisément accessibles. Ainsi, le pamphlet anonyme intitulé « the Princely Pellican » (fig. 1) montre-t-il un pélican qui, toutes ailes déployées, se donne à ses avides petits. Signe éminemment christique, le pélican s'offre en nourriture sur un piédestal qui s'apparente fort à un autel. Autour du nid, couronne, sceptre et ruban de Saint Georges Figure 2 : An Elogie and Epitaph, gisent, reliques abandonnées d'un [Londres?], 1649 passé glorieux. En ronde-bosse sur l'autel de pierre est sculpté un ange placide qui témoigne peut-être de la paix avec laquelle la mort humiliante de Charles Ier est perçue par ceux qui soutenaient ses prérogatives. Les mots du pélican, « Quois pario, pareo » reflètent idéalement la situation du roi grâce au jeu de mots sur pario et pareo qui signifient engendrer, donner la vie et obéir, être soumis. Le pronom relatif quois correspondrait au latin classique quibus, ce qui permet de traduire par « j'obéis à ceux que j'engendre » ou « je me soumets à ceux à qui je donne la vie ». Le pélican dit ainsi à la fois sa suprématie paternelle et son humilité christique ; il se présente comme la victime d'un parricide, offense à laquelle le régicide est souvent comparé, comme c’est le cas chez Saumaise. Il est probant ici que le roi ne soit pas représenté avec son corps humain mais par le biais d'un symbole de sa royauté mystique. Le pélican marque le caractère spirituel du roi qui, rendu comparable au Christ par son onction, s'abaisse jusqu'à la mort pour ses sujets. La symbolique évidente de l'image permet de dépasser l'échec de l'exécution de Charles Ier et de lire l'événement selon des lignes sanctifiantes. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 120 Anne-Laure de Meyer Dans la même veine, de nombreuses publications royalistes illustrèrent la mort du roi au travers de symboles qui, en d'artistiques circonvolutions, permettaient de dire tout le sacrilège de la mort du roi tout en occultant l'infamie de sa fin. Ainsi, An Elogie and Epitaph (fig. 2) montre le roi allongé sur son lit de mort, la main tendue vers le Golgotha où rayonne la croix du Christ. C'est précisément ce geste qui inscrit le roi entre la vie et la mort et donne l'impression qu'il se meurt non sur un échafaud mais dans un lit. Il est paré de tous les attributs de la royauté et enveloppé d'un manteau d'hermine. Seul signe de sa mort violente, la couronne est représentée à l'envers, indiquant là la souveraineté renversée. Cependant, le roi esquisse un geste vers la croix sur le monticule, surplombée de la couronne glorieuse portée par des angelots et mise en valeur par l'arche qui rappelle les arcs de triomphe romains. Le point de fuite ainsi créé fait de la couronne céleste le pendant ou le double inversé de la croix terrestre. La croix est représentée sans corps souffrant, évoquant ainsi à la fois le retour glorieux du Christ après sa victoire sur la mort et établissant un parallèle entre le corps du roi et la croix du Christ. Enfin, le rideau en haut à droite de l'image place le lecteur en position de spectateur : il assiste à la mort royale et à la résurrection glorieuse de Charles Ier et participe implicitement à sa divinisation en étant témoin de sa sainteté. Figure 3 : Tiré de John Quarles, Regale Lectum Miseriae, [Londres], 1649 © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). Un autre auteur, John Quarles, fit illustrer son ouvrage d'une gravure qui présente non pas un roi accédant à la gloire divine mais souffrant une agonie semblable à celle de Gethsemanie. On retrouve ici encore les deux couronnes ainsi que le rideau : nous sommes bien dans une variation de l'image précédente. Le roi, bien qu'allongé, est représenté presque à la verticale, dans un entredeux qui permet de dire à la fois sa mort proche et sa capacité à tendre toujours vers le ciel. Les épines qui enserrent sa couronne terrestre et semblent menacer le roi par leur prolifération rappellent la couronne d'épines du Christ, signe d'humiliation et de souffrance. Des deux compagnons du roi, l'un est voilée : sans doute s'agit-il de la reine Henriette-Marie en habit de deuil, figurant les femmes de Jérusalem au 121 « ‘Cette exécution mémorable’… » pied de la croix. La scène rappelait très certainement au public du XVIIe siècle l'agonie de Jésus sur le Mont des Oliviers avec ses disciples qui veillent et la crucifixion. Fatiguée, la tête du roi repose sur sa main, signe discret de la décollation où tout contrôle sur la tête est perdu, tant pour le sujet que pour le bourreau4. Ainsi, l'iconographie religieuse est employée au service de la justification religieuse du martyre de Charles Ier. Immédiatement après l'exécution de Charles Ier se développa le culte du martyr royal. Il fut inscrit à la Restauration dans le Livre des Prières Publiques et un jour de jeûne et de commémoration fut alors fixé pour le 30 janvier. Une des composantes majeures de ce culte est la proximité entre Charles Ier dans ses derniers moments, depuis son injuste procès jusqu'à sa mise à mort infamante, avec le Christ5. De nombreuses images et élégies se font les relais de cette pensée6. D'autres images mettent davantage l'accent sur la continuité dynastique, taisant ainsi avantageusement l'épisode cromwellien. Ainsi, la gravure de The Kingly Myrrour représente les adieux de Charles Ier à son fils. Plutôt que de représenter le roi mourant ou souffrant, le Figure 4 : Frontispice anonyme de The Kingly graveur choisit de le montrer Myrrour, Londres, 1649 transmettant ses mémoires et conseils à son fils. Charles Ier porte dans la main droite le crâne qui préfigure sa mort prochaine. Il porte sur sa tête une grande couronne dont un modèle plus petit flotte au-dessus de la tête du jeune prince héritier, futur Charles II. Cette dernière n'est pas encore posée sur la tête du jeune prince pour signifier que sa royauté est à venir. Le roi tend à son fils un écrit – celui-là même que le lecteur tient entre ses mains – que ce dernier reçoit révérencieusement, la main sur le cœur. Par un effet de mise en abîme, l'image met 4 Voir Regina Janes, Losing our Heads: Beheadings in Literature and Culture, New York University Press, New York, 2005, p.59. 5 Voir Andrew Lacey, op.cit., p.29-32. 6 Voir entre autres R. Brown (attr.) The Subjects Sorrow : or, lamentations upon the death of Britaines Josiah, King Charles, Londres, 1649 ; Henry Leslie, The martyrdome of King Charles, or his conformity with Christ in his sufferings, Londres, 1649/1662. Andrew Lacey, “Elegies and Commemorative Verse in Honour of Charles the Martyr, 1649-1660”, In The Regicides and the Execution of Charles I, ed. Jason Peacey, Basingstoke, 2001, pp. 225-247. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 122 Anne-Laure de Meyer aussi en valeur l'héritage que le roi lègue à ses sujets : un écrit édifiant qui doit aider tout un chacun à respecter Dieu et à révérer son lieutenant sur terre. Le roi est donc présenté dans sa fonction de « père nourricier » pour son fils héritier et pour son peuple7. Le frontispice de l'Eikon Basilike, massivement reproduit, incarne à merveille ce parti pris favorable au roi défunt. On y retrouve à la fois un programme politique de justification dynastique et une légitimation divine, grâce aux attributs de la royauté et du martyre qui sont associés à Charles Ier8. L'image est divisée en deux : sur la gauche, la force est représentée par des éléments naturels. Le rocher assiégé par la mer évoque à la fois le déluge et l'arche de Noé et invoque l'image biblique du « roc », qui est la traduction littérale du mot hébreu pour « force » ; tandis que le palmier qui pousse malgré les poids dont il est chargé démontre la puissance qu'a la nature à se régénérer. L'ambivalence d'une nature destructrice et créatrice se fait jour dans un affrontement et une complémentarité éloquents, alors que sur la droite, dans une loggia italienne, le temps est à la prière et à la supplication ; un espace d'intimité s'ouvre sur une révélation intime et personnelle. L'élément qui frappe d'abord le regard est la couronne céleste qui darde son rayon sur Charles Ier agenouillé, malgré une perspective encore mal maîtrisée. Trois couronnes sont présentes dans l'image : la couronne de gloire qui promet béatitude éternelle (« Beatam et Aeternam / Gloria »), la couronne d'épines qui rappelle l'humiliation de Jésus sur la croix (« Asperam at Levem / Gratia ») et la couronne temporelle qui gît à terre, signe de la vanité humaine (« Splendidam at Gravem / Vanitas »). Au-delà de son apparente lisibilité, ce motif renvoie à la complexe théologie des couronnes décrite par Kantorowicz. Inspirée de l'Empire Romain, cette croyance postule que l'empereur détient deux couronnes, l'une matérielle et visible, l'autre invisible et décernée par Dieu lui-même. Cette dernière comprend tous les droits et privilèges royaux indispensables pour le gouvernement du corps politique. Ainsi, un roi qui meurt et son successeur sur le trône ne font plus qu'un du point de vue de la couronne indivisible et perpétuelle qui incarne en substance l'héritage royal9. La couronne abandonnée au sol est fermée par deux ponts, signes du pouvoir impérial auquel le roi renonce10. L'idéologie de l'empereur 7 Sur l'importance de l'image du père nourricier, voir Nombres XI, 12, ainsi que Isaïe XLIX, 22-23. L'ouvrage de Benjamin Lewis Price fournit un aperçu intéressant de la conception paternelle de la royauté à la fin du XVIIe siècle : Nursing fathers American colonist's conception of English Protestant Kingship, 1688-1716, Lanham, Lexington Books, 1999. 8 Elizabeth Skerpan Wheeler rappelle le succès que connut Eikon Basilike dès sa parution : il y eut 35 éditions anglaises pour la seule année 1649 (in Elizabeth Skerpan Wheeler, “Eikon Basilike and the Rhetoric of Self-Representation”, in Thomas N. Corns [ed.], The Royal Image: Representations of Charles I, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p.122). 9 Voir Ernst Hartwig Kantorowicz, The King's Two Bodies, A Study in Medieval Political Theology, Princeton, Princeton University Press, 1957, p.341-342. 10 Voir John Peacock, “The Visual Image of Charles I”, in Thomas N. Corns (ed.), The Royal Image: Representations of Charles I, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p.180. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 123 « ‘Cette exécution mémorable’… » chrétien qui vaincra l'Antéchrist – très répandue aux XVIe et XVIIe siècles – est sous-jacente à cette image11. Roi et couronne étaient distincts, mais inséparables : sans le roi, la couronne était incomplète et frappée d'incapacité12. Dès lors, la présence des deux couronnes terrestre et céleste revêt un supplément de sens : ces dernières complètent la présence corporelle du roi et font de son image la représentation complète de sa personne, tout en l'inscrivant dans une lignée dynastique. On ne pourra trop insister sur l'importance des représentations de couronne dans les images étudiées jusqu'à présent. La présence de la troisième couronne, faite d'épines, vient encore compliquer le motif de la couronne en inscrivant l'imagerie royale dans la tradition de la Passion du Christ. D'une certaine façon, elle sert à christianiser l'imagerie païenne de la couronne en insistant sur la divinité de « l'oint du Seigneur ». Le parallèle paraissait très clairement à un public tout pétri de textes bibliques. La couronne d'épines tourna en dérision celui dont on ne prit pas au sérieux les prétentions à la royauté. De même, dans cette image, Charles Ier la saisit volontairement, lui dont on nie désormais la légitimité royale. Un divin échange rétablit la justice et le roi reçoit la couronne de gloire et son « éternité de délices ». Le frontispice allie de la sorte une imagerie religieuse avec une tradition de représentation politique et fait de l'image un puissant instrument de propagande. Milton et les images du régicide John Milton perçut bien les implications de l'image de William Marshall – et s'aperçut peut-être aussi du consensus visuel qui semblait se faire autour de la christologie royale. Il en fit l'objet de sa vindicte dans la préface d’Eikonoklastes : « Je ne peux que louer la franchise de celui qui a composé le titre du son livre, Eikon Basilike, c'est à dire l'Image du Roi, et qui lui dresse ainsi une châsse afin que le peuple vienne l'adorer»13. L'image du roi devient le lieu univoque de l'adoration idolâtre – voilà bien le fer de lance de la critique miltonienne. Les royalistes cherchent à gagner les cœurs par le biais de l'émotion et de la représentation, et l'émotion débordante représentée dans l'eau-forte de Charles Ier devant le Palais des Banquets confirme bien cette intuition : Que l'intention de ceux qui publièrent ces apologies et méditations tardives ait été d'émouvoir le peuple et de susciter pour le corps du défunt l'honneur, l'affection, et par conséquent, la revanche que, de son vivant, il n'avait pu obtenir pour lui-même, apparaît dans la peinture affectée mise en frontispice 11 Voir Kantorowicz, op.cit., p.292. Voir Kantorowicz, ibid., p.372-385. 13 Ma traduction. « In one thing I must commend his openness who gave the Title to his Book, Eikon Basilike, that is to say, The King's Image; and by Shrine he dresses out for him, certainly, would have the people come and worship him » (John Milton, Eikon Basilike with selections from Eikonoklastes, Jim Daems & Holly Faith Nelson [eds.], Peterborough, ON: Broadview, 2006, p.224.) 12 © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 124 Anne-Laure de Meyer de son livre, contrefaite au point de représenter une scène de masque, et mise là afin d'attraper les spectateurs sots et malavisés. 14 Il poursuit sa diatribe contre l'image-même du frontispice : On peut remarquer ici la curieuse négligence et légèreté de ceux qui entreprirent d'orner le frontispice de ce livre, car bien que l'image mise audevant veuille le faire passer pour martyr ou saint afin de tromper le peuple [...], ces emblèmes et devises désuets empruntés de quelque fastueux spectacle donné à Whitehall pour la fête des Rois sont bien peu propres à en faire un saint ou un martyr.15 Ainsi, Milton attaque l'image posthume du roi sur trois aspects : elle engendre l'idolâtrie – péché majeur dans une religion réformée qui cherche à se purifier de toute fausse image de Dieu, elle pose faussement Charles Ier comme martyr et trompe ainsi ses lecteurs, et enfin elle suscite une réaction affective et non raisonnable. Fallacieuse et mensongère, l'image du roi est à décoder et à rejeter. 14 Ma traduction. « And how much their intent, who published these overlate Apologies and Meditations of the dead King, drives to the same end of stirring up the people to bring him that honour, that affection, and by consequence, that revenge to his dead Corpse, which he himself living could never gain to his Person, it appears both by his conceited portraiture before his Book, drawn out to the full measure of a Masking Scene, and set there to catch fools and silly gazers » (Milton, Eikon Basilike, ibid., p. 223-224). 15 Ma traduction. « And here may be well observed the loose and negligent curiosity of those who took upon them to adorn the setting out of this Book ; for though the Picture set in Front would Martyr him and Saint him to befool the people (...). But quaint Emblems and devices begged from the old Pageantry of some Twelfth-night's entertainment at Whitehall, will do but ill to make a Saint or Martyr» (Milton, Eikon Basilike, ibid., p.224). © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 125 « ‘Cette exécution mémorable’… » Figure 5 : William Marshall, frontispice de Eikon Basilike, 1649. Il existe donc tout un corpus d'images qui présentent la mort de Charles Ier en termes de continuité dynastique ou de ressemblance christique et qui se gardent de traiter de la question de la décollation, autrement que par des raccourcis symboliques. Cependant, il convient de s'interroger sur l'univocité que semble présenter une telle lecture des images de l'exécution du roi. S'il est indéniable que Charles Ier est montré davantage comme roi que comme un condamné dans les images étudiées jusqu'à présent et que son aura de martyr y est un thème récurrent, la lecture royaliste de l'événement du 30 janvier 1649 est loin d'être univoque – et loin de faire l'unanimité picturale. L'exécution devant le Palais des Banquets D'autres images ambitionnent de rendre compte des événements du 30 janvier de façon historique. Celles-ci laissent une grande part au cadre – on y © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 126 Anne-Laure de Meyer distingue toujours Whitehall, même largement imaginé – au public varié, et aux personnages sur l'échafaud. La célèbre peinture de l'exécution, maintenant à la Scotland National Portrait Gallery, a justement été attribuée à l'artiste Weesop, parce qu'il se trouvait à Londres au moment des événements. Or, il est fort possible que la peinture ait été faite à partir des gravures qui circulaient largement (fig. 6), tant en Angleterre que sur le continent16. L'importante présence du Palais des Banquets est en soi assez ambigüe ; lieu de faste royal et exemple architectural de la grandeur monarchique et du triomphe des arts, cet édifice dissone avec la déchéance du corps du roi. Loin de contribuer à la désacralisation de la monarchie, Figure 6 : Enthauptung des Konigs Engelandt, Allemagne, 1649 il rappelle plutôt sa grandeur passée et accentue le tragique de la scène. Les gravures de Charles Ier exécuté devant le Palais des Banquets sont les représentations les plus courantes et servent encore bien souvent à illustrer des manuels scolaires ou des articles d'encyclopédie. Il convient ici d'en parler au pluriel dans la mesure où l'image a été reprise par de nombreux graveurs un peu 16 Voir Jonathan Brown & John Huxtable Elliott, The Sale of the Century, Artistic Relations Between Spain and Great-Britain, 1604-1655, New Haven, Yale University Press, 2002, p.222. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 127 « ‘Cette exécution mémorable’… » partout en Europe et où ses détails ont été adaptés, nous livrant ainsi des interprétations diverses d'un même événement. Si le parti pris royaliste y est moins visible, l'eau-forte allemande reproduite ci-dessus nous révèle un certain nombre de symboles qui montre un préjugé favorable au roi défunt. La première chose qui frappe le spectateur attentif est l'émotion qui envahit l'ensemble de l'image. Une femme évanouie dans l'angle inférieur gauche de l'image montre l'ampleur de la tragédie qui se déroule sur la place. Elle rappelle les femmes de Jérusalem qui se lamentent lors de la Passion, ainsi que la « Madonna Vulnerata », l'allégorie féminine de l'Angleterre qui pleure ses enfants17. Le vieillard qui se retourne pour pleurer incarne l'expérience qui s'indigne et s'effraie d'un présent si cruel. Tous pointent le roi défunt du doigt, dans une reprise du thème pictural de l'Ecce Homo, la monstration du souffrant qui le sépare, l'incrimine, l'isole, mais met aussi en valeur sa qualité d'exemple. Ces doigts pointés soulignent la compassion qui habite la foule et font de Charles mort un sujet digne de pitié. Le geste frappe par son unanimité et semble rassembler la foule dans un sentiment commun. Figure 7 : la monstration, détail. Un détail spécifique à cette gravure a été dessiné sous la femme évanouie ; il s'agit d'un petit chien, tourné en direction du spectateur, tapi sous le bras de la femme évanouie, les oreilles pendantes. La légende royaliste veut que le chien favori de Charles Ier ait assisté à l'exécution de celui-ci18. Au-delà de l'anecdote, le chien est symbole de fidélité et sa discrète présence dans la scène témoigne du parti pris du graveur. Tourné vers le lecteur, son regard va en sens inverse de tous, comme si la vision de la scène lui était insupportable. Est-ce à dire que les véritables royalistes se refusaient à contempler l'exécution ? Sa modeste participation contribue à renforcer le thème de la fidélité au roi défunt. Figure 8 : le petit chien, détail. Certains détails atténuent la violence de l'image et soulignent un certain préjugé royaliste. Ainsi, le visage de Charles Ier est présenté de trois-quarts ou presque de face, comme les médaillons de l'époque. Le visage ne paraît ni vieilli, ni fatigué, ni souffrant, mais il a simplement les yeux fermés, paisiblement. Cet angle 17 18 Voir Brown, ibid., p.175. Voir Geoffrey Robertson, The Tyrannicide Brief, London, Chatto & Windus, 2005, p.27. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 128 Anne-Laure de Meyer de vue correspond aux médailles de souvenir de Charles Ier réalisées par Heinrich Reitz le jeune ou les médailles commémoratives de la bataille de Edgehill attribuées à Thomas Rawlins19. Il est surprenant que le sang jaillisse d'une façon aussi grossière du cou du roi décapité. Ce motif quelque peu cru, voire irrévérencieux, est lié à la tradition qui veut qu'après une exécution, le bourreau brandisse la tête coupée comme un trophée et s'exclame « Voici la tête d'un traître ! »20. Comment alors expliquer ce qu'affirment certains spécialistes qui prétendent que « contrairement aux œuvres de la Révolution Française, les gravures proroyalistes ne représentaient pas le corps du roi mort »21? Un corps sanglant est la preuve irréfutable d'une mort violente, alors pourquoi le représenter ? Charles Ier avait été accusé de « l'offense du sang », une Figure 9 : Fairfax tenant la tête de imputation qui ne se réduisait pas à une Charles Ier, médaillon de la figure de style, comme l'a si bien montré peinture de Weesop. Patricia Crawford22. Ce crime, selon l'interprétation biblique qu'on en faisait au XVIIe siècle, anéantissait la sacralité du roi et annulait toute prétention à une charge sacrée. Le pays tout entier était souillé par l'offense, ce qui nécessitait une réparation de taille. Cependant, la gravure présente non le sang que Charles Ier avait fait verser, mais bien le sien propre. L'ambivalence du motif se révèle ici car sitôt le roi exécuté, les royalistes s'emparèrent du concept et l'appliquèrent aux régicides : puisqu'ils avaient versé du sang et – qui plus est – le sang d'un roi, ces derniers s'étaient rendus coupables de cette même offense du sang. Ceci explique pourquoi il est si important de montrer le sang en abondance ; loin de signifier la simple mort du roi, il désigne soit le sang versé pour le rachat des fautes du roi, soit la culpabilité des parlementaires. La question de la tête sanglante arborée en trophée n'en demeure pas moins 19 Voir Peacock, op.cit., p.196. Voir Knoppers, op.cit., p.15. 21 Voir Janes, op.cit, ch. 2. 22 Voir Patricia Crawford, « Charles Stuart, That Man of Blood » in The Journal of British Studies, vol. 16, n°2, printemps 1977, p.41. 20 © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 129 « ‘Cette exécution mémorable’… » déroutante et oblige à reconsidérer la question du parti pris royaliste de cette représentation du régicide. De fait, cette image devait paraître sacrilège aux partisans de Charles Ier, tout comme le médaillon de Fairfax affichant la tête du roi dans une main et la hache sanglante dans l'autre placé dans le coin supérieur droit de la peinture de Weesop et reproduit ci-contre (fig. 9). Cette image montre de façon directe et crue la séparation physique, et il convient de ne pas surestimer les obstacles à une telle représentation. Il ne faut pas oublier que les gravures visaient plusieurs objectifs et tout laisse à penser que celles-ci en particulier servaient de témoignage pour ceux qui n'avaient pas assisté à la scène. Leur diffusion à l'étranger reflète bien cette prétention à l'information. Dès lors, si certaines de ces gravures ont été utilisées dans des publications royalistes comme celle de Peter Du Moulin, étant donnée la vaste circulation des gravures, on peut supposer que celles de Charles devant Whitehall ont aussi illustré des périodiques de tous bords. Un autre détail moins évident souligne aussi la perte du roi. Deux personnages sur l'échafaud – peut-être le Colonel Thomlinson et un officier – portent les vêtements du roi. De fait, la journée du 30 janvier 1649 était extrêmement froide et le roi avait revêtu une chemise de plus pour que l'on ne croie pas que c'était de peur qu'il tremblerait. Dans une narration contemporaine de l'exécution, le chroniqueur rapporte que « Sa Majesté s'agenouilla sur l'échafaud et se mit à prier avec l'évêque ; s'étant préparé à la mort, il retira son manteau, donna sa décoration de Saint Georges et son ruban au Dr. Juxon et ôta sa doublure »23. Ceci explique que, loin d'être une invention, les deux vêtements correspondent à ce que les gens lurent à propos de l'exécution. En outre, le manteau était un symbole avéré de protection et de pouvoir. L'iconographie de Notre-Dame la représente parfois avec un manteau de miséricorde, ouvert pour que tous puissent voir les fidèles qui se placent sous son manteau et recueillent ainsi sa bénédiction. Ce motif médiéval a non seulement une valeur religieuse, mais aussi une valeur juridique, tirée de la seconde épître aux Corinthiens : « Aussi gémissons-nous dans cet état, ardemment désireux de revêtir par-dessus l'autre notre habitation céleste, si toutefois nous devons être trouvés vêtus, et non pas nus » (2 Co 5, 2). Dans la théorie de l'État, le manteau protecteur fut réinterprété comme le vêtement royal et conserva toute sa symbolique de défense et d'abri. Nous évoquions plus tôt les représentations de Charles Ier agonisant, vêtu de son manteau d'hermine : celui-ci symbolise son pouvoir terrestre d'accorder protection et asile à son peuple. S'il est représenté couché et ainsi vêtu, c'est bien pour signifier qu'il ne s'est pas départi de cette prérogative. Or ici, le manteau n'est pas flanqué à terre mais un autre personnage le tient – sans le revêtir – signe du respect que l'on porte encore à sa valeur symbolique. Charles Ier est ainsi représenté privé non seulement de son chef, 23 Voir R. W., His Majesties speech on the scaffold at White-Hall on Tuesday last Jan. 30 ..., London, 1649, p.6. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 130 Anne-Laure de Meyer mais surtout de son pouvoir de protection. Au premier plan, précisément en dessous du corps décapité, un homme montre la scène du doigt, son manteau posé sur une épaule, comme s'il glissait de son corps et ne pouvait plus l'abriter. S'agit-il d'un effet de mode, ou est-ce une transposition du geste de la perte du manteau ? On pourrait en effet voir là une transposition visuelle : l'attribut que le roi vient de perdre, le spectateur central le perd aussi, mais de manière plus visible, afin que tout un chacun prenne conscience du manque que provoque la mort du roi. En outre, le symbole évoque les vêtements du Christ que les Romains se partagèrent en tirant au sort. La perte du vêtement marque le moment du dénuement final – et permet utilement de comparer le défunt roi au Christ. Le roi est ainsi représenté dénué, vulnérable et divisé. La violence de l'image – bien qu'atténuée par de nombreux signes d'émotion et de fidélité – est bien réelle et met en cause le parti pris royaliste de la représentation. L'image se veut une lecture fidèle des événements, non un panégyrique royaliste. Des représentations ambigües Kevin Sharpe s'étonne que le roi ne soit jamais représenté divisé sur le plan physique dans les gravures contemporaines à l'événement24. Cette affirmation excessive venant de l'un des grands spécialistes de l'imagerie du XVIIe siècle montre combien est nécessaire une étude plus approfondie des images visuelles du régicide. Le corps du défunt roi n'est pas universellement respecté au XVIIe siècle, et sa division physique trouve des échos dans certains symboles. La théorie des deux corps du roi, bien connue depuis qu'Ernst H. Kantorowicz a publié son œuvre-phare, prend un sens particulier dans l'Angleterre de 1649. Les théoriciens du Moyen-Âge faisaient une distinction entre le corps naturel du roi, avec les fonctions, les droits et les besoins de tout être humain, et le corps politique. Ce dernier, plus complexe, faisait l'unité de la communauté du royaume, ce qu'on appellerait aujourd'hui la société civile. L'articulation entre ces deux corps est semblable aux deux natures du Christ : de même que Jésus est vrai Dieu et vrai homme et que ces deux natures ne Figure 10 : Peeter Huybrechts, Projiis s'opposent pas mais s'unissent en un seul inventum caput Angla Ecclesia, détail 24 Voir Sharpe, op.cit., p.294. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 131 « ‘Cette exécution mémorable’… » être, de même le roi est corps naturel et politique et unit en son être une nature humaine et une nature mystique. Dans son premier chapitre, Kantorowicz évoque les problèmes que cette théorie politique pouvait provoquer dans les années 164025. Quand le Parlement refusa de se dissoudre en 1642 et en vint aux armes, pour la première fois un organe d'État se souleva contre son monarque, ce qui requérait une justification théorique. La théorie officielle de résistance au roi, adoptée par les parlementaires, avançait que le roi n'était tel que dans la mesure où il siégeait au sein de son Parlement, idée que résume la formule King-in-Parliament. Or, à partir du moment où le roi ne siège plus – comme lors des « onze années de tyrannie » – il ne pouvait légitimement plus incarner le corps politique. A l'inverse, le Parlement perdait toute signification si le roi n'y siégeait pas. A cela s'ajoutait l'idée de « lutter contre le roi pour défendre le roi ». De fait, le roi était perçu comme infaillible, mais potentiellement mal conseillé ; ceci explique les affrontements entre le Parlement et Thomas Wentworth, comte de Strafford, puis l'archevêque de Cantorbéry William Laud, qui furent tous deux décapités après les procédures d'empêchement judiciaire en 1641 et 1645. Le roi ne pouvant avoir tort, ce sont ses conseillers qui portent la responsabilité du mauvais état du pays. Au cœur de la résistance au roi se trouve donc la métaphore du corps politique ; le roi, tête du corps, demeure intouchable tandis que l'on soigne le corps par amputation. La métaphore du corps politique était donc bien présente dans la première moitié du XVIIe siècle, depuis Jacques Ier qui proclamait en 1603 dans le pur esprit de Henri VIII : « Je suis le mari et l'île toute entière est ma femme légitime ; je suis la tête et elle est mon corps »26, jusqu'aux parlementaires qui cherchaient un mode de résistance au roi. Cependant, la métaphore du corps politique allait petit à petit prendre un sens nouveau. Si la métaphore était souvent employée, elle ne l'était que brièvement et sans Figure 11 : Le l'éclat, ni l'originalité que l'on trouvait discours de Charles, auparavant. Lors du Court Parlement détail de To the en avril et mai 1640, John Pym qui prit sacred memorie..., la tête de l'opposition parlementaire Londres, 1649 refusa de voter les subsides demandés par le roi tant que les abus royaux ne seraient pas débattus, car le 25 Voir Kantorowicz, op.cit., p.20-23. 26 Cité dans David G. Hale, The Body Politic, La Haye, Mouton, 1971, p.111. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). Figure 12 : Le geste du roi, détail de A list of the names... Londres, 1649 132 Anne-Laure de Meyer Parlement était « au bien public ce que l'âme était au corps »27. Ainsi, insensiblement, le Parlement passe-til du rôle de corps politique à celui d'âme puis à celui de tête avec la mort du roi. Avec la mort du roi, note David Hale, la métaphore politique des deux corps du roi s'éteint, subsumée dans les théories de contrat, notamment celle de Hobbes où le corps devient politique et artificiel28. Dans The Tenure of Kings and Magistrates, Milton n'hésita pas à fustiger l'hypocrisie de que cachait la théorie de deux corps. De fait, si les Presbytériens « jurèrent de protéger le roi ainsi que sa couronne et sa dignité », ils n'hésitèrent pas à « s'en prendre à lui et à mettre sa vie en danger par leurs méfaits »29. Le corps juridique du roi, loin d'être protégé contre les abus perpétrés par le corps Figure 13 : Peter Huybrechts, Projis naturel, souffre et meurt avec lui inventum caput..., 1649 selon Milton. Le terme « roi » ne doit faire référence qu'à la seule fonction et non à la personne qui l'occupe, ou tout au moins, n'est roi que celui qui en occupe l'emploi, un roi démis n'est donc plus un roi. Dès lors, pour tuer un roi, il faut s'en prendre à lui tant qu'il occupe le trône, au risque de perpétrer un homicide30. Dans la perspective de Milton, il n'y a qu'un seul corps, celui de la royauté, ne serait-ce parce qu'il est impossible pour une seule personne de se trouver doublée : « L'hostilité et la soumission à un seul et même roi ne peuvent pas plus coexister qu'une personne ne peut être en deux lieux différents en même temps »31. Milton considère le roi en termes de fonction plus qu'en termes de 27 28 Hale, op.cit, p.118. Hale, op.cit., p.116. 29 Ma traduction. « Yet, while they thus assaulted and endangered it with hostile deeds, they swore to defend it, with crown and dignity » (John Milton, The Major Works, Stephen Orgel & Jonathan Goldberg (eds.), Oxford, Oxford University Press, 2003, p.292) 30 Ma traduction. « Who knows not that the king is the name of dignity and office, not of person? Who therefore kills a king, must kill him while he is a king » (Milton, ibid., p.294). 31 Ma traduction. « Hostility and subjection [...] can no more in one subject stand together in respect of the same king than one person at the same time can be in two remote places » (Milton, op.cit., p.292). © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 133 « ‘Cette exécution mémorable’… » personne, et refuse ainsi la fiction légale qui faisait du roi une personne sacrée. La notion de corps politique est donc en pleine transition sur le plan idéologique, ce qui a des incidences sur ses représentations visuelles. De fait, la décollation de Charles Ier met elle aussi la théorie des deux corps à mal. L'acte de la décapitation est en lui-même problématique : fortement symbolique, celle-ci consiste à séparer un corps de son chef, au sens propre et figuré. Un tel choix ne pouvait laisser indifférent, car ce symbolisme diffère de celui d'autres exécutions. Par exemple, la pendaison ou l'étranglement ne suppriment pas l'unité du corps supplicié ; quant à l'empoisonnement, il préserve le corps dans son unité à défaut de respecter son intégrité. La décapitation offre un symbole fort sous plusieurs aspects : elle prive le condamné de la source de ses actes mais, selon la métaphore de la société comme corps, elle prive le peuple de son dirigeant. Si le roi est, comme l'affirmait Jacques Ier, la tête du corps que forme le pays, lui couper la tête revient à rendre la nation inopérante. Un tel symbole ne pouvait laisser indifférent un peuple habitué à la théorie des deux corps du roi et sensible à la symbolique. De toutes les gravures des années 1649-1653 retrouvées, beaucoup – à l'exception de celles de Charles devant Whitehall – ne présentent pas l'exécution proprement dite mais le discours final ou la dernière prière de Charles Ier. Ce choix a des incidences avantageuses : il permet de ne pas représenter le roi mort ou divisé mais d'un seul tenant, debout ou à genoux. Ainsi, deux gravures de Londres de 1649 le montrent-elles très digne, le bras tendu. Dans l'une, il nie avoir peur en montrant au bourreau le billot. De l'autre main, il tient un parchemin – son discours – signe non seulement de sa dernière volonté mais aussi de sa royauté puisqu'il est l'origine des lois, la source des écrits légaux (fig. 11). Dans l'autre gravure, il désigne le billot d'un geste magnanime, comme pour dire son auguste pardon aux responsables de sa mort prochaine (fig. 12). La fenêtre à l'arrière-plan encadre favorablement sa silhouette, il reste le centre de toute l'attention, comme du temps de sa royauté resplendissante. Le corps politique ne témoigne d'aucune vulnérabilité : la division qui l'attend est évoquée mais non montrée. Figure 14 : frontispice de The confession of Richard Brandon... détail © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). Une gravure qui illustre les confessions de Richard Brandon, bourreau de son état, attire tout particulièrement l'attention (fig. 14). En sus de son absence de cadre architectural, elle présente le cou du roi grossièrement tranché et remplacé par un blanc, raccourci visuel qui évoque bien la vacance mais occulte tout détail sordide. Ce 134 Anne-Laure de Meyer qui paraît irrévérencieux ici n'est pas l'absence de sang mais plutôt le corps écrasé du roi. Le plan en plongée donne en effet une impression d'humiliation, d'écrasement, de défaite du souverain. Cependant, cette illustration, par le fait même qu'elle faisait sans doute partie des images-type utilisées pour toutes les exécutions, n'est pas nécessairement un cas d'absence de révérence pour le corps du roi. Il est difficile de savoir si elle a d'abord été gravée pour le 30 janvier ou pour une autre exécution, mais l'effet reste le même : en la choisissant pour illustrer sa ballade, l'auteur ne met pas l'accent sur la dignité du roi mais bien plutôt sur l'aspect spectaculaire de la mort d'un exécuté. De nombreuses gravures étrangères ne reculent pas devant la description de l'horreur de la scène. Ainsi, la gravure allemande de Peeter Huybrechts figure un public indifférent (fig. 13). Le bourreau qui tient la tête se penche pour la regarder avec un peu de curiosité. Le sang jaillit à flots, le corps décapité semble effondré et le roi a les yeux mi-ouverts. Les autres individus présents sur l'échafaud ne s'intéressent pas beaucoup à la scène : l'un regarde les vêtements et la décoration de Saint Georges qu'il porte dans ses bras, l'autre n'est guère plus attentif. Seul le personnage de droite regarde la tête coupée avec un certain sérieux. Une autre gravure néerlandaise présente aussi l'exécution de façon fort crue : au second plan se trouve l'échafaud Figure 15 : Het Tooneel Der Engelsche sanglant, strié de biffures qui Ellenden. Thomason Tracts. Amsterdam, jaillissent de la bouche de l'hydre au 1649 premier plan (fig 15). Dans l'angle inférieur droit de l'image, l'hydre écrase de sa patte la tête tranchée de Charles Ier. Ainsi, les graveurs du continent avaient-ils peu d'inhibitions à représenter le roi séparé de sa tête. Peut-être les gravures hollandaises ont-elles bénéficié d'un contexte politique favorable avec le rejet de la monarchie espagnole. Certaines images anglaises n'hésitent pas non plus à dénigrer le corps du roi. Ainsi, le jeu de cartes « the Knavery of the Rump » présente en dix de trèfle Olivier Cromwell en train d'implorer la grâce de Dieu avec ses compagnons tandis que Charles Ier est exécuté au second plan (fig. 16). Les illustrations satiriques de © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 135 « ‘Cette exécution mémorable’… » ce jeu de cartes furent tirées des gravures de Francis Barlow et publiées par Randal Taylor en 1679. Les éléments architecturaux permettent de séparer clairement les deux plans et confèrent à l'image une portée symbolique : Cromwell, à l'intérieur, est dessiné en-dessous d'une fenêtre et s'inscrit dans une diagonale dynamique qui suit les mains tendues en prière et monte vers l'angle supérieur gauche. À l'inverse, une autre diagonale marquée par les tons plus foncés des ombres dans les vêtements attire l'œil vers la scène extérieure et se trouve renforcée par le corps allongé de Charles Ier. Cette grande croix visuelle rend la lecture de l'image difficile : au lieu de créer un point de convergence vers lequel le regard irait se reposer ou de créer une circularité qui serait attendue dans un sujet narratif, l'illustrateur choisit Figure 16 : le dix de d'éclater le regard par cette grande croix de lignes de trèfle, carte à jouer force dans un hiatus visuel. Une impression gravée par Francis d'éparpillement, de dissémination, voire même de Barlow dislocation en ressort. Cependant, si le jeu de cartes est résolument en faveur du roi, Francis Barlow n'hésite pas à montrer le roi allongé et menacé. Doit-on y voir une contradiction ? Au contraire, il s'agit peutêtre d'un signe de la limite de la théorie des deux corps du roi. La division et l'humiliation du corps du roi ne sont plus l'infamie qu'on a cru, elle reflètent un événement historique dont la portée symbolique n'a pu être surévaluée. En fin de compte, les images prouvent combien le spectacle du 30 janvier 1649 échappa à la maîtrise de ses instigateurs et ne fut pas sujet à une lecture univoque. Les représentations n'illustrent pas le triomphe de l'idéologie républicaine, pas plus que la résistance du corps du roi à la mort. Elles montrent le roi dans tous ses états : tantôt saint et martyr, tantôt en pleine déclamation, parfois privé de sa tête, parfois menacé par la hache, ou encore imperturbable malgré la menace de sa mort. Si beaucoup arborent un parti pris royaliste, ce n’est pas le cas de toutes. La plupart visent à dresser un tableau de la scène du 30 janvier 1649, de façon plus ou moins historique. Loin d'être des instruments d'une propagande royaliste hypothétique, les représentations sont davantage des chroniques d'un événement qui fit sensation. © Études Épistémè, n°15 (juin 2009). 136 Anne-Laure de Meyer BIBLIOGRAPHIE ANON., The princely Pellican, Royal resolves presented in sundry choices observations, extracted from His Majesties divine meditations: with satisfactory reasons to the whole kingdome, that his sacred person was the onely author of them, London, 1649. ANON., Het tooneel des Engelsche ellende..., Amsterdam, 1649. BREDEKAMP, Horst, Stratégies visuelle de Thomas Hobbes, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2003. BROWN, Jonathan & ELLIOTT, John Huxtable, The Sale of the Century, Artistic Relations Between Spain and Great-Britain, 1604-1655, New Haven: Yale University Press, 2002. CORNS, Thomas N., “Duke, Prince and King”, in Thomas N. Corns (ed.), The Royal Image: Representations of Charles I, Cambridge: Cambridge University Press, 1999: 1-25. 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