Chaussure chinoise, Blois - Musées de la région Centre

Transcription

Chaussure chinoise, Blois - Musées de la région Centre
Chaussure de tissu de soie pour femme chinoise à pieds
atrophiés
Chaussures de tissu
de soie damassée
brodée de motifs
floraux
(dominante
verte) pour femme
chinoise
à
pied
atrophié.
Chine, XIXe siècle
Musée de Blois
Des chaussures à Blois ! La présence de cet accessoire du costume peut surprendre. En fait
dès le XIXe siècle, la ville fut un centre important dans la production de chaussures. L'usine
Rousset fut la plus importante de France à la fin du XIXe. Au début du XXe, la ville possédait
6 manufactures de chaussures.
Contexte historique : Le pied atrophié : A l’origine, cette mode était une coutume des
courtisanes de la cour impériale apparue vers 950, elle s’est répandue progressivement dans
toutes les classes sociales. Cette pratique semble s’être généralisée à la fin du XIe siècle. Il
semble que de cette atrophie dépendait le prestige de la famille et une jeune fille qui n’a pas
de petits pieds ne pourra pas faire un « bon mariage ».
En effet, la taille du pied est un élément essentiel de la beauté. Les petits souliers deviennent
un véritable critère standard de beauté. C’était peut-être aussi un moyen de restreindre la
liberté des jeunes filles car une fois adultes, elles marchaient difficilement et lentement.
Il est évident que cette mode a infligé pendant 1 000 ans aux fillettes des douleurs
difficilement tolérables. D’ailleurs des édits impériaux de 1902 qui en avaient conscience
interdirent la déformation des pieds. Mais, il faudra attendre 1911 et la naissance de la
République pour que des mesures efficaces soient prises. Elle ne fut sérieusement interdite
qu’en 1912, sous la République de Sun Yat-sen, et ne disparut définitivement qu’aux
alentours de la seconde guerre mondiale. Cf Kunwu Li et Philippe Otié, Une vie chinoise, t1
page 57, 2009.
Il est impératif de commencer avant l’âge de 8 ans et de porter le bandage jour et nuit. On
peut même commencer dès l'âge de 4 ans. La déformation la plus courante consiste à replier
progressivement les derniers quatre doigts de pied sous le gros orteil. Puis, il faut le raccourcir
en accentuant la courbure de la voûte plantaire avec un objet cylindrique qui la comprime.
L’origine de la pratique du bandage des pieds était attribuée à la passion du prince Li Yu, qui
régnait au dixième siècle sur un des Dix Royaumes du Sud, pour sa favorite, la concubine
Chose Précieuse, et notamment pour ses pieds, qu’elle avait fort petits. Elle dansait sur la
pointe de ses chaussons, sur un piédestal en or et pierres précieuses, en forme de fleur de
lotus. Les autres concubines, délaissées et jalouses, tentèrent de l’imiter en bandant leurs
pieds pour les faire paraître plus petits. Le pied ainsi remodelé, objet de poésie, fut appelé «
lotus d’or ». Un roi fit carreler son palais de motifs de lotus, pour que sa favorite paraisse
faire éclore des fleurs à chaque pas. Dans la culture bouddhiste, le lotus émerge d’une eau
souillée mais reste pur. Il est symbole de sérénité et de noblesse.
http://jeanlau.canalblog.com/archives/2008/06/29/9747516.html
Analyse :
- Paire de chaussures de femmes chinoises pour pieds atrophiés
- Matière technique, support : tissus de soie damassée, brodé de motifs floraux
Talon en tissu rapporté.
- Dimensions : 14cm X 9cm X 3cm h
-Ancienne appartenance : Paul Rousset
Interprétation :
-Ces pieds déformés ont longtemps symbolisé pour l'Occident la barbarie et l'exotisme
chinois. Cf les aventures de Tintin, Le lotus bleu, 1946
- Le pied est en Chine la partie du corps la plus érotique. Le petit pied ou « pied mignon »
faisait donc l’objet d’une vénération. L’idéal était que le pied mesure 15cm.
- C’est l’image d’une société patriarcale traditionnelle pure et dure. La femme n’existe pas en
tant qu’individu autonome. Elle n’a pas de statut propre. Elle est destinée au marché
matrimonial, où se jouera son destin de compagne et de reproductrice et son statut social :
celui de son mari.
« Un marieur cherchant un époux (pour une jeune fille) présentait à la mère du jeune homme,
non pas un portrait de la jeune fille, mais une de ses paires de pantoufles. Plus le chausson
était petit et plus la prétendante avait de chance de séduire, la belle-mère pouvant ainsi juger
tout à la fois de son aptitude à souffrir et de ses talents de brodeuse, deux qualités
indispensables à une future épouse »(1). « Les filles aux grands pieds, en plus des difficultés à
trouver un mari, subissaient la moquerie de tous » (2). « Les Chinois sont persuadés que de
cette atrophie dépend le prestige de la famille. À leurs yeux, une jeune fille qui n’a pas de
petits pieds ne pourra jamais trouver un mari qui fasse honneur à sa famille.
1 - Michel Biehn , Cruelle coquetterie ou les artifices de la contrainte, Editions La
Martinière.
2 - Fei Free, Pieds bandés chinois, Trois Cun Lotus d’Or.
La chaussure ou le soulier ; multiples aspects du sujet :
-
La mode
− Le commerce
− L'histoire de l'art : la chaussure peut être belle dans sa forme ou se couvrir d'un
somptueux décor
-
L'histoire dans la mesure où elle évoque une époque, des traditions
-
La sociologie car elle signale des rapports de classe, souligne des rangs hiérarchiques
− La psychiatrie : le fétichisme amoureux
− Le folklore : la chaussure tient une place dans maints contes, maintes traditions orales
Mules Chine ou Vietnam XIXe siècle.
Françoise Beauger-Cornu