le bonheur

Transcription

le bonheur
1
LE BONHEUR
INTRODUCTION
On entend souvent des personnes dire : « Je veux mener une vie heureuse », « je suis
heureux en sa compagnie », « ils forment un couple heureux ». Mais au fond, qu’est-ce
qu’être heureux ? La notion de bonheur désigne un état de contentement, dans lequel un
individu possède ce qu’il veut et se désire comme il est. On est heureux lorsqu’on est
apaisé dans notre corps et dans notre âme, en un mot, lorsqu’on se bien dans notre Être. Si
on considère l’idée de bonheur dans toute la force du mot, force est d’admettre que le vrai
bonheur est de l’ordre de la plénitude et donc quelque chose qui relève de l’infini. La
question qui se pose dès lors est la suivante : comment l’homme, qui est un être fini, limité
et soumis à des conditions spatio-temporelles pas toujours exemptes de difficultés et de
vicissitudes, peut-il accéder au bonheur qui est un état de plénitude ? De même, cet état de
plénitude totale, de vie agréable, de « tranquillité de l’âme » comme disent les Anciens
peut se réaliser de diverses manières. On peut être heureux dans la jouissance des plaisirs
de la vie, à travers l’exercice d’une activité particulière ; on peut même être heureux à
travers la croyance religieuse (le bonheur du moine, de la religieuse, etc.). Existe-il des
conditions déterminées pour être heureux, ou alors, se donne-t-on ses propres moyens et
ses états de bonheur ? Autrement dit, l’homme, conquiert-il son bonheur ou alors le
bonheur se réalise-t-il grâce à la société ? Si le bonheur est une expérience personnelle,
intérieure, l’organisation de la société n’influe-t-elle pas d’une manière ou d’une autre sur
les conditions de sa réalisation ?
I. LA RECHERCHE DU VRAI BONHEUR
1. Le vrai bonheur est en Dieu
L’homme n’est pleinement heureux qu’en Dieu. En tant que Souverain bien et source des
valeurs et des vertus, seul Dieu est en mesure de permettre à l’homme de se réaliser et
d’être comblé. Cette position est soutenue par certaines philosophes tels que Saint
Augustin, Saint Thomas d’Aquin ou encore Pascal. Homme de Dieu et philosophe, Saint
Thomas écrit que « rien ne peut apaiser la volonté de l’homme si ce n’est le bien universel.
Or ce bien ne se rencontre en rien de créé, mais seulement en Dieu ». C’est donc en Dieu
seul que réside le bonheur. Mais cette position est difficile à admettre, dans la mesure où le
caractère universel et infini de la bonté divine contraste avec le malheur de certains
hommes. Si Dieu est le bien universel, et si de par sa nature il est supposé partager son
bonheur avec l’homme, n’est-ce pas plus logique que tout être humaine soit heureux ?
Comment faut-il comprendre la souffrance et la misère qui constituent le lot quotidien de
certaines personnes ? Dieu, serait-il impartial ? Ces questions montrent bien que rapporter
la question du bonheur à Dieu semble compliqué. Un tel rapprochement soulève des débats
inextricables d’autant plus qu’on doit tenir compte de la croyance.
2
2. Les trois voies du bonheur chez Aristote
Aspirer et tendre vers le bonheur est, selon le philosophe Aristote, la vocation ultime de
l’homme. Mais comment l’homme qui est par nature un être fini, peut-il atteindre le
bonheur qui est un état infini ? Comme pour répondre, Aristote propose trois voies, à
savoir, la contemplation, la vie en société et l’amitié.
Chez Aristote, l’homme n’est ni Dieu ni bête mais il se rapproche davantage de Dieu que
de la bête, grâce à l’esprit qui est lui. Ainsi, à travers l’activité théorétique ou la
contemplation, l’homme réalise le vœu le plus cher de son esprit qui est justement de
tendre vers la plénitude en vue de goûter au bonheur dont jouit l’être divin : « Si le bonheur
est une activité conforme à la vertu, il est rationnel qu’il soit activité conforme à la plus
haute vertu, et celle-ci sera la vertu de la partie la plus noble de nous-mêmes. Or que cette
activité soit l’activité théorétique, c’est ce que nous avons dit ». (Aristote, Ethique à
Nicomaque, Livre X).
Mais la condition de l’homme est telle qu’il ne peut se réaliser et s’accomplir pleinement
sans faire partie d’une communauté. L’homme ne devient vraiment homme qu’à condition
de vivre en société. La sociabilité fait partie de sa nature et elle contient les conditions de
son épanouissement. Aussi la vie en société devient-elle une voie qu’empruntent les
humains pour s’assurer communautairement les conditions d’une vie heureuse. Toute
organisation politique aura pour but de créer et de garantir les conditions de réalisation du
bonheur de chaque citoyen et de tous les citoyens.
Enfin, l’homme s’épanouit à travers la relation d’amitié. Le désir d’être comblé se réalise
par l’amour, on est vraiment heureux quand on rencontre sa moitié et qu’on s’unit l’un à
l’autre. Cette idée, déjà présente chez Platon, sera thématisée par Aristote. Aristote insiste
sur l’amitié. Celle-ci, écrit le philosophe grec, est semblable à une vertu (disposition à faire
du bien). Il est ici question de la vraie amitié, celle qui s’établit au-delà des intérêts et des
plaisirs de tous genres et qui se fonde sur la recherche du bien de l’aimé. La présence de
l’ami m’est agréable et elle me rend heureux. Par l’amitié achevée, faite de compensation,
de bienveillance et jouissance réciproque, de mise en commun des biens et des peines,
l’homme contribue à achever en lui ce que la nature et le désir n’ont pu réaliser que de
manière imparfaite. L’amitié est pour Aristote ce que les hommes ont pu imaginer pour
pallier leur propre insuffisance et pour goûter au bonheur dont jouit l’Être divin.
3. Le bonheur et la politique
Le bonheur a indiscutablement une dimension politique. Le bonheur n’est pas simplement
une affaire privée, il a une dimension sociale. Platon et Aristote l’ont montré et l’histoire
des idées et les grandes aspirations des peuples le signifient avec acuité. Le but de toute
institution politique, ou de tout Etat, est de garantir les conditions de possibilité du bonheur
des citoyens. La Déclaration d’indépendance américaine le souligne en ces termes : « Tous
les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits
inaliénables ; parmi lesquels se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les
gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits » (4 juillet 1776).
Non seulement cet extrait investit la recherche du bonheur comme un droit naturel, il
indique aussi que le fondement et la finalité de tout État consiste dans la sûreté et le
bonheur.
3
Cette idée sera reprise dans le Préambule de la Déclaration de l’homme et du citoyen : « Le
peuple français, convaincu que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme, sont les
seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer dans une déclaration solennelle,
ces droits sacrés et inaliénables, (…) afin que le peuple ait toujours devant les yeux les
bases de sa liberté et de son bonheur » (Constitution de 1793).
L’accomplissement du bonheur de l’individu exige une unité et une harmonie entre
« l’homme et le citoyen » (Rousseau), entre les lois et institutions et le peuple. Les lois, en
tant qu’expression de la volonté générale, doivent garantir la dignité et le bonheur des
citoyens. Réciproquement, les citoyens doivent se soumettre aux règles de la République et
saisir toutes les chances qui leur sont offertes pour mener une vie heureuse, dans le travail,
l’initiative et le respect d’autrui.
II. BONHEUR ET SAGESSE
Depuis l’Antiquité grecque, l’idée de bonheur a toujours été mise en lien avec celle de
sagesse. Le bonheur suppose une disposition du cœur ou de la raison, il suppose une
certaine qualité de l’être dans l’exercice de sa raison.
1. Le bonheur et le plaisir (Analyse du texte d’Épicure, Lettre à Ménécée.
Le bonheur s’accomplit dans la jouissance des plaisirs. Ne dit-on pas souvent, pour
exprimer son bonheur, qu’on s’est fait plaisir ? Mais il ne s’agit pas de n’importe quel
plaisir. Il faut jouir des plaisirs qui ne seront pas, dans un avenir proche ou lointain, la
cause de maux ou de manques, c’est-à-dire des plaisirs ne sont pas la cause potentielle de
malheur. Cette conception se retrouve déjà chez Aristote. Il reconnaît que les plaisirs du
corps, les biens extérieurs et les faveurs de la fortune participent au bonheur. Mais il
précise que ces plaisirs doivent être accompagnés de vertus, plus particulièrement des
vertus de prudence et de tempérance. Cette idée d’Aristote sera reprise et approfondie par
les philosophes épicuriens. Epicure considère que « le plaisir est le principe et la fin de la
vie heureuse » (Epicure, Lettre à Ménécée). Mais il précise que « nous ne choisissons pas
tout plaisir ». Nous devons faire abstraction de plaisirs qui peuvent causer un désagrément
plus grand. Les principes de l’ataraxie (absence de trouble) exigent la maîtrise de soi
devant les passions et les plaisirs pouvant entraîner quelque trouble de l’âme et du corps.
2. le bonheur et l’indépendance du jugement
Les considérations épicuriennes sur la discipline des plaisirs semblent se restreindre à la
sphère purement matérielle. Même si Epicure conseille de soumettre nos choix au
jugement de la raison, les différents choix ou les différents cas de figures qu’il évoque ne
semblent pas transcender le stade de la possession et de l’accomplissement de nos plaisirs
et désirs matériels. Sans doute les Stoïciens ont-ils pressenti cette faille lorsqu’il dénonce le
caractère « matérialiste » de la pensée épicurienne. Le Stoïcisme défend l’apathie, c’est-àdire l’absence de douleurs ou encore la paix, la tranquillité de l’âme. Pour y parvenir,
l’homme peut même s’abstenir des plaisirs et de voluptés. Il considère la discipline du
jugement comme le fondement même de toute action menant au bonheur. Sénèque écrit
que « la vie heureuse a pour fondement immuable la rectitude et la fixité du jugement ».
Pour les Stoïciens, le bonheur se trouve dans l’absolue maîtrise de notre volonté et dans
4
l’indépendance parfaite de notre raison vis-à-vis des plaisirs, désirs et de toutes choses du
monde.
3. Bonheur et vertu
Les propositions précédentes indiquent clairement que le bonheur consiste essentiellement
dans l’accomplissement de soi. L’homme heureux est un être accompli. Le bonheur n’est
pas une question de quantité mais de qualité : la qualité de vie, la qualité du vouloir et de
l’agir. Le bonheur n’est pas donné, il se conquiert, dans la sagesse (savoir faire et savoir
vivre) et la raison. C’est tout le sens de la pensée de Sénèque qui disait qu’il ne suffit pas
de vouloir être heureux, encore est-il nécessaire de savoir faire les choix qui rendent
heureux (texte de Sénèque).
III. L’HOMME ET LES PARADOXES DU BONHEUR
1. La fuite du bonheur
Peut-on vraiment être heureux dans la force du mot ? L’homme peut-il vire pleinement
bonheur, faire l’expérience de cette tranquillité de l’âme, ou alors a-t-il seulement accès à
un certain bonheur ? Ces questions sont intéressantes d’autant plus que, assez souvent, le
bonheur demeure un désir. Le bonheur apparaît comme la réalisation d’un désir profond
qui existe en tout homme : le désir d’être heureux, comblé dans son être le plus profond.
Or, l’homme est un être dont le désir ne s’épuise dans aucune réalisation. Aucune action
concrète, aucun état concret ne semble nous permettre d’expérimenter totalement et
pleinement le bonheur ou l’absence de tout trouble. Ne faudrait-il pas admettre que le
bonheur est le produit de notre imagination, plutôt que le résultat d’une action bien
déterminée, faisant partie de notre vie quotidienne ? Cette question exprime l’idée de ou
l’inquiétude de Kant qui pense finalement que le bonheur est un idéal de l’imagination et
qu’il n’existe pas de principe rationnel absolu pouvant déterminer sa réalisation empirique
dans l’accomplissement de telle ou telle action concrète.
2. Le bonheur chez Schopenhauer (Analyse de texte)
Le philosophe Schopenhauer par du postulat selon lequel toutes choses dans la nature, la
vie humaine y compris, est la manifestation d’une volonté universelle. Or, cette volonté qui
est capable de désirs est sans bute si limite déterminés. C’est ce qui explique, tout au moins
en grande partie, l’état d’insatisfaction permanent de l’homme. Cette insatisfaction, qui
habite l’homme et motive sa pensée et son action, conduit le philosophe Schopenhauer à
postuler l’idée de l’impossibilité d’un vrai bonheur. En tant qu’état de repos et de
contentement, le bonheur n’est pas réalisable par le genre humain. Le bonheur n’est pas
quelque chose de concret que l’on peut expérimenter. L’idée de bonheur prend alors chez
Schopenhauer une définition négative : le bonheur est l’absence de douleur. L’homme peut
faire l’expérience de petits moments de bonheurs, lorsque cessent les malheurs et la
douleur. Mais il ne peut jamais goûter à la tranquillité et à un contentement. La conception
que Schopenhauer se fait du bonheur est donc négative : « Tout bonheur est négatif, sans
rien de positif ; nulle satisfaction, nul contentement (…) ne peut être de durée ; au fond ils
ne sont que la cessation d’une douleur ou d’une privation ». (Voir aussi le cours sur la
notion de désir). La souffrance et l’ennui deviennent ainsi les voies étriquées que la vie
5
nous condamne à choisir. Pour Schopenhauer, enfin, la résignation face à la vie est la seule
solution qui peut nous rendre heureux. Celui qui la possède, écrit-il, « est à l’abri des
soucis pour toujours ».
3. Se laisser surprendre par le bonheur
La meilleure manière d’être heureux, c’est de ne pas faire du bonheur un objet effréné de
désir, ne pas le programmer ou l’organiser. Il faut se laisser surprendre par le bonheur. Le
bonheur doit plutôt nous étonner. C’est donc notre propre recherche du bonheur, à travers
les projets et les ambitions, qui risque de faire obstacle au bonheur. Faut-il donc se
résoudre à l’idée que le vrai bonheur consiste dans l’émerveillement devant l’inconnu et le
« non prévu » ? Dans cet ordre de considération, on peut évoquer la pensée de Rousseau,
lorsqu’il oppose l’état de société à l’état de nature. La société encombre l’homme, elle le
dénature et l’éloigne de tout ce qui peut lui procurer le vrai bonheur. Les activités, les
ambitions politiques ou sociales, les agitations de tous genres, font que l’homme s’oublie.
Il multiplie ses besoins et il devient malheureux faute de pouvoir les atteindre tous. En
revanche, le contact direct avec la nature (et parfois dans la solitude), nous permet de faire
l’expérience de la pureté de l’être, de sentir la douceur, le bonheur. Rousseau ajoute aussi
que le bonheur se trouve dans les rêveries. On est heureux quand on rêve d’une chose ou
d’un événement, plutôt que quand on l’a : « on est heureux avant d’être heureux » (Voir le
cours sur le désir).
4. Divers moments de bonheur
Le bonheur ne saurait se limiter à la sphère de l’avoir ou du savoir, ou encore des
programmations. L’homme peut aussi être heureux dans un simple sentiment d’exister, de
respirer, au-delà des plaisirs de la société ou des satisfactions professionnelles. On peut
éprouver du bonheur à travers des promenades, dans la contemplation de la nature ou de la
création, en croisant un regard, un sourire, un petit baiser, etc.
CONCLUSION
Tout homme veut vivre heureux, comme si le bonheur était finalement le but de la vie.
Aristote, Epicure tout comme les Stoïciens avaient fait du bonheur (bien suprême) la
finalité de toutes les actions de l’homme et donc de toute vie humaine. L’importance des
moyens que les hommes investissent pour atteindre le bonheur et la jouissance recherchée
dans certaines activités recommandent que la vertu soit au fondement du bonheur. Mais la
vraie sagesse, celle qui montre le chemin de la vie heureuse, ne consiste-t-elle pas
finalement à se garder de la recherche effrénée du bonheur ? Ne faudrait-il pas mieux
prendre plaisir dans la simplicité du quotidien ?
6
Sujets :
Peut-on être heureux sans être libre ?
Une vie heureuse n’est-elle qu’une succession de plaisirs ?
Le bonheur est-il une affaire privée ?