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UTILISATION DU SCHEMA DE L’ORGANISATION DU MILIEU HUMAIN (1), ET PLUS PARTICULIEREMENT DU NIVEAU DE L’AMBIANCE, EN THERAPIE. Nicole Lernout Psychologue Résumé: Dans cet article, je décris l’effet que l’utilisation du cycle de l’ambiance ou la boucle inaugurale peut avoir dans la réorganisation d’un milieu humain, que ce soit en thérapie individuelle, de couple ou familiale. L’intervention au niveau de l’ambiance sera donc accentuée dans cet article mais il reste néanmoins inséparable des niveaux de l’éthique et des croyances. La façon particulière dont un client parcourt son cycle de l’ambiance se fait également sentir dans la relation client-thérapeute et peut donc être utilisée comme outil dans l’exploration de sa vie relationnelle. Dans les formations à la psychothérapie, on aborde très souvent le niveau des croyances dans le système qui consulte, en élaborant par ex. les représentations que les membres se font l’un de l’autre, en abordant leurs mythes et leurs discours sur eux-mêmes. D’autres approches accentuent le niveau éthique par ex. en négociant des conventions ou des règles. Le niveau de l’ambiance est rarement exploré à fond, bien que des techniques comme le skulpting mettent aussi en scène la proximité et la distance dans le système. Pourtant, un travail direct à ce niveau se vérifie parfois intéressant, comme le démontreront les cas cliniques décrits ci-dessous. Avant de les aborder, je rappelle brièvement le schéma de l’organisation du milieu humain d’E.Dessoy sur lequel je me suis basé, qui distingue 3 niveaux qui sont liés : l’ambiance, l’éthique, et les croyances. Je cite sa description 1. L’ambiance et le contact. « L’ambiance est semblable à l’humeur, toutes deux sont une première manière d’exister avec le monde qui nous environne et une première manière de communiquer, puisqu’il s’agit avant tout d’éprouver une qualité de contact liant, sans les objectiver encore et sans les distinguer, un sujet - que ce soit une personne ou une famille - avec son environnement. (E. Dessoy, 1988) DESSOY E. (1991): “Ambiance, éthique, et croyances: les trois foyers organisateurs d’un milieu humain.” (1) Une approche psycho-socio génétique préparatoire à l’abord de l’autisme”, édit. la “Ferme du soleil”, rue C. Joset, 51, Soumagne, 600 p. -1- L’ambiance d’un milieu dynamique ne cesse de se mouvoir en modifiant en même temps la manière de prendre contact. Le cycle perpétuel qu’elle crée traverse quatre régions où s’éprouvent quatre manières différentes de prendre contact en donnant existence à l’espace vécu de la communauté. Ce mouvement signe la bonne santé, le dynamisme de la communauté qui va bien. Inversement, l’incapacité d’encore circuler, le stationnement obstiné dans l’une ou l’autre région, signe la maladie, le dysfonctionnement ou encore la rigidité de la communauté » Voici pour rappel ces quatre régions. Le cycle de l’ambiance La tendance unitaire. « A une courbe du cycle, se forme une ambiance dans laquelle les personnes éprouvent la convivialité, la proximité et, à l'extrême, la fusion; chaque personne est en harmonie à son environnement humain. (...) » La tendance vers le désaccordement. « Cependant, exister ainsi dans une “ambiance d’amour” qui se fait de plus en plus enveloppante présente pour la personne le risque d’étouffer et peut-être de perdre son identité dans la fusion. Une telle intimité suscite le désir de briser l’étreinte et de se distancer d’un environnement humain trop enveloppant. En diminuant progressivement sa prégnance, la tendance unitaire laisse agir le désir de distance avec de plus en plus d’acuité, au point que la tendance unitaire devient résiduelle (…) » La tendance d’écart. « Cette tendance est l’aboutissement de la précédente: le point de rupture est atteint. Là règne une ambiance froide qui contraint les personnes à vivre la rupture du contact et à se sentir étrangères à un environnement humain devenu indifférent ou hostile. Tant qu’ils demeurent ensemble, les membres nourrissent ce contact et ils éprouvent leur propre solitude jusqu’au moment où ils pourront reprendre contact et susciter la tendance “vers le réaccordement”. (...) » -2- La tendance vers le réaccordement. « Exister en rupture avec son environnement humain appelle et suscite, dans la famille, le désir d’une remise en contact. Après avoir éprouvé la région froide de l’isolement et avoir vécu une certaine mort de la famille, le désir d’un nouvel accord réintroduit peu à peu la tendance unitaire, qui reprend de l’importance au détriment de la tendance d’écart, laquelle finalement devient résiduelle. Ce mouvement crée l’espace-temps vécu. (…) » 2.Le niveau de l’éthique « Le niveau de l’éthique “d’une communauté se définit généralement par son code normatif et sa morale: il s’agit d’un ensemble de valeurs, de règles, de normes, de lois et de rites auxquels les membres se soumettent en principe et qui ordonne le milieu communautaire. Ce deuxième foyer organisateur du milieu est le lieu par excellence de la mise en scène: tout y est négocié, joué, montré, observé, objectivé, à l’inverse de l’ambiance où tout est éprouvé et ressenti. Cette mise en scène concrète du code est l’oeuvre de la communication propre à ce foyer : les interactions analogique et digitale. Le code éthique peut se subdiviser en code normatif et en code iconique selon que la norme est reconnue explicitement par les membres et, le cas échéant, peut être exprimée verbalement ou, plus primitivement, selon qu’elle se joue et se met simplement en scène comme dans la majorité des situations de la vie. » 3. Le niveau des croyances. « Le troisième foyer organisateur du milieu humain implique les croyances, les mythes, l’idéologie et la connaissance que la communauté a d’elle-même, bref, à parler comme J. Ladrière, il s’agit ici du système de représentation de la communauté. Le mode de communication propre à ce foyer est le discours en tant qu’énonciateur des éléments de culture liés à ce foyer. Ce discours n’appelle pas nécessairement l’interaction, il informe des personnes extérieures à la communauté ou bien il rappelle à l’ordre les membres de la communauté sur ce qu’il y a à croire et à ne pas croire, à connaître et à ne pas connaître à propos de la communauté. Comme l’ambiance et l’éthique, les croyances associent un élément de culture les croyances - et un mode de communication spécifique: le discours. » M’étant intéressée à cette approche du milieu humain, l’idée de me servir du cycle de l’ambiance m’est venue un jour où un client me parlait de la relation avec sa mère. Il disait qu’il « éprouvait sa présence » aussi longtemps que la proximité physique entre eux existait, mais qu’elle ne l’avait jamais encouragé à entreprendre quelque chose de façon autonome. Je lui ai dessiné la boucle qui représente le cycle de l’ambiance en l’expliquant et il a compris tout de suite qu’il recherchait perpétuellement à regagner le côté fusion, alors qu’il était perdu et sans repère du côté distant. En plus, il s’est rendu compte du fait que les passages d’un côté à l’autre se faisaient péniblement. Par après, j’ai constaté que cette représentation simple du contact a provoqué chez lui un questionnement concernant la vie quotidienne de son couple (voir le couple R. dont je parlerai ci-dessous) et que travailler avec un outil aussi simple que la boucle du contact donnait une base très concrète et stimulante dans le travail thérapeutique. -3- Néanmoins, en écrivant cet article, j’ai constaté qu’un glissement s’est opéré dans ma façon d’expliquer la boucle. Je la présente de la façon suivante : Proximité Fusion Rupture Autonomie pour la simple raison que l’écart peut être vécu positivement comme un espace personnel et créatif pour autant qu’il soit lié à l’anticipation d’un retour vers une proximité éprouvée. Ainsi, on peut éprouver des sentiments positifs du côté d’écart rupture, se sentir épanoui en précisant que l’autonomie est définie comme “savoir bien gérer ses relations” et pas comme “ne pas avoir besoin des autres”. Par ailleurs, dans mon travail comme psychologue dans une maison familiale avec une population d’enfants en bas âge, j’avais déjà constaté que l’observation de l’enfant sur base du cycle de l’ambiance fournit à l’équipe éducative des indices concrets sur ce qu’ils peuvent développer dans le contact avec l’enfant. Cette observation simple pendant différent moments de la journée, a révélé que certains enfants cherchent toujours à se “coller” à quelqu’un, d’autres stagnent la plupart du temps du coté autonomie-rupture, etc. Jusqu’à ce jour, j’ai travaillé dans plusieurs familles et couples avec cette représentation, et je relaterai dans cet article quelques situations où ce schéma a été utilisé. Mademoiselle Chantal Cette jeune femme est envoyée par son médecin traitant. Au premier entretien, elle m’explique qu’elle est envahie d’angoisses depuis que la date de son mariage a été fixée, et qu’évidemment, elle aimerait comprendre ce qui se passe .Depuis un an, elle vit avec son futur mari, à quelques mètres de la maison de ses parents “J’ai besoin de bases sûres”. Ils se connaissent depuis 6 ans. Elle dit qu’elle attend de son copain qu’il la rassure et qu’il l’aide, ce qu’il ne fait pas assez. Au début de leur relation, ses parents à elle avaient des doutes concernant Christian et ils avaient utilisé comme argument que sa famille est instable au niveau relationnel. Christian n’avait d’ailleurs pas l’intention de se marier au vu de tous les problèmes relationnels dans sa famille, mais ma cliente l’a convaincu du bien-fondé du mariage (Sa mère lui avait dit: “Christian ne t’aime pas puisqu’il ne veut pas te marier.”). Une fois le 4 mariage décidé, elle a commencé à douter. Par ailleurs, sa mère est déprimée depuis quelques temps, et Chantal pense que cela est lié à son départ. Elle décrit sa mère comme quelqu’un qui ne sait pas prendre de décisions, et aimerait que son père soit plus souvent à la maison le soir à côté de sa mère. Sa mère dit aussi : “Quand on a un enfant, c’est tout pour l’enfant.” Chantal a très peur de perdre ses parents, de se retrouver toute seule. A la fin de l’entretien, et vu la proximité vécue par rapport à ses parents (surtout avec sa mère), je lui propose de venir avec eux à l’entretien suivant. Je redoute que les parents aient leur raison d’appréhender le mariage, même si actuellement ils trouvent que Christian est un “bon garçon courageux”, et qu’ils ont peut-être un vécu concernant leur propre mariage qui bloque le passage de leur fille. Au deuxième entretien, toute la famille est là : le père, la mère et Chantal (fille unique). J’explique aux parents que Chantal m’a parlé de leur importance dans sa vie et je leur demande ce qu’ils pensent du mariage de leur fille, pour entamer le contact avec eux. Ils disent (évidemment) être d’accord avec ce mariage. Après, nous abordons l’enfance de ChantaI, par ce que « j’ai besoin de comprendre son style relationnel ». Je dessine et explique la boucle et les commentaires fusent: le père dit que Chantal a eu avec ses grands-parents maternels une “relation terrible”. Il veut dire avec cela qu’elle était tout pour eux. En fait il a eu un cancer quand Chantal avait un an, on pensait qu’il allait mourir. Pendant son hospitalisation, Chantal a vécu chez ses grands-parents maternels. Après, à son retour à la maison, il a repris Chantal, et il décrit leur relation comme “terrible” : “Elle était tout le temps là pour moi.” Quand je lui demande où il se situait dans la boucle, il dit: du côté proximité/fusion. Chantal ne pouvait pas s’aventurer de l’autre côté. Après la guérison, Chantal a de nouveau passé beaucoup de temps chez ses grands-parents maternels, en occupant le même côté de la boucle. Au fur et à mesure que le tableau (une grande feuille blanche) se remplit, Chantal devient plus sombre, puis s’exclame soudainement « je n’ai jamais été seule à lutter ». Période grands-parents maternels Période père-ChantaI Période grands-parents maternels Zone vide, inexpérimenté Passage vers l’autonomie pas souhaité par les grands-parents (et le père) 5 En parlant du mariage du couple parental, monsieur dit qu’il a voulu habiter assez loin des beaux-parents pour que sa belle-mère ne les envahisse pas. Il se décrit lui-même comme quelqu’un “d’autonome” qui a besoin de se protéger contre l’envahissement (j’apprends à la 3ème séance que sa propre mère habitait en face de leur maison), ce qui ne colle pas avec ce qu’il a mis en scène avec Chantal lors de sa maladie. Quand on parle de cela, Chantal dit : “Tiens, Christian a aussi souvent besoin de prendre l’air.” A la fin de la séance, Chantai dit «: Mais à quoi cela me mènera? Je ne sais toujours pas si j’aime Christian? ». Elle me fait penser à une petite fille qui s’attendait à recevoir un bonbon et qui ne le reçoit pas immédiatement. Je lui réponds que je ne suis pas comme sa Mamy qui court pour satisfaire son moindre besoin, qu’il faudra encore du temps, et qu’en plus je ne sais pas faire le travail toute seule. Il est clair qu’à ce moment donné, Chantal a essayé de me mettre dans la même position que sa Mamy et sa mère, faisant face aux difficultés à sa place. Sa remarque m’avait surprise, j’avais le sentiment d’être poussée par une urgence de satisfaire ses besoins. Au troisième entretien, Chantal rentre toute souriante, à mon grand étonnement. (Je m’attendais à la revoir en boudant). Elle m’explique qu’elle n’a plus d’angoisse, qu’elle a compris qu’elle ne devait pas attendre de Christian la même chose que de sa Mamy et ses parents. En plus, après le deuxième entretien, elle a échangé avec ses parents et les choses suivantes ont été dites: - les parents lui ont dit que le mariage n’empêcherait pas que Chantal vienne régulièrement chez eux. (Cfr. ce que le père avait essayé d’éviter entre sa femme et sa mère). - ils ont assuré un soutien en cas de problèmes. - sa mère lui a expliqué que le début de son mariage a été très difficile, son mari étant distant, “comme s’il n’avait pas besoin d’elle pour vivre”, mais qu’actuellement son mari met régulièrement en scène son amour pour elle (par des fleurs, etc.). Chantal fait le lien, Christian étant comme son père quelqu’un de distant. Mais ses parents ont évolué vers quelque chose de mieux, et cela lui permet de lever ses craintes à entrer dans le mariage. Cela revient à dire, en d’autres mots, qu’elle veut bien tenter de quitter son statut confortable d’enfant, si d’une certaine façon il y a une perspective de “bon” contact avec son futur mari. L’image de la boucle l’a aidée à visualiser ce qui posait problème. Conclusion: le tableau a aidé la famille à visualiser leur particularité relationnelle et d’en prendre conscience. Probablement, la mère de Chantal a revécu son entrée difficile dans son mariage à travers les projets de mariage de Chantal, par des messages multiples, ce qui a bloqué Chantal dans son passage. La thérapie s’est arrêtée là, puisque Chantal allait mieux. Quelques mois plus tard, elle est revenue avec Christian pour échanger concernant leur mode relationnel. Quelques séances ont suffi pour terminer le travail. 6 Le couple R (Pol et Monique) Pol a été envoyé par le médecin traitant par ce qu’il se sent mal dans sa peau, stressé. Au premier entretien, il est seul, puis c’est le couple qui vient aux consultations suivantes. Je ne relaterai pas les 10 séances que nous avons eues, mais ce que l’utilisation de la boucle a pu provoquer. A partir de la 7ème séance, monsieur vient seul, d’abord en prétextant la maladie de son enfant, puis en demandant de continuer la thérapie seul. En fait, il a développé dans la relation thérapeutique un désir que je m’occupe de lui tout seul, et il essaie continuellement de transgresser les limites du cadre thérapeutique (lettres, coups de téléphones, il supporte mal la fin des séances, etc.). Je me sens étouffé et quand je veux utiliser mon ressenti pour aborder son style relationnel dans sa vie de couple, il dit ne pas comprendre. Finalement, j’ai fait appel au dessin de la boucle en expliquant de quelle façon un enfant s’inscrit dans le monde relationnel. Ce dessin a stimulé Pol à parler de son vécu avec sa mère. Il dit les choses suivantes: En parlant de l’ambiance familiale (famille d’origine et également son couple) il utilise les mots “lourds”, “chape en béton”, “morose”. Le plaisir de sa mère est d’élever des enfants, mais elle laisse tomber ceux qui grandissent pour les nouveaux nés qu’elle cajole comme des nounours. Ceux qui deviennent grands quittent la maison avant l’âge adulte, par ce qu’ils n’y trouvent plus rien. (Pol dit à la deuxième séance, que son épouse s’occupe 24 h sur 24 de leur fils.) Pol a le sentiment que sa mère le gardait constamment dans la zone de proximité/fusion et qu’elle ne l’encourageait pas pour aller de l’autre côté. Son père était souvent absent. Dans la zone d’écart il hésite, ne sait jamais s’il fait bien ou mal. Après cette description, j’essaie de faire le rapprochement entre ce qu’il recherche dans la relation thérapeutique et ce qu’il vient de décrire. II comprend qu’il espère trouver une relation exclusive, sans limite et qu’il ne supporte pas que je termine la séance pour qu’il retourne dans son monde à lui. Je lui propose de voir avec son épouse comment ça se passe chez eux, et je lui dis aussi que je n’accepterai plus qu’il vienne seul de façon “frauduleuse” (la première fois, il disait que leur fils était malade, la deuxième fois il a dit que son épouse allait venir mais elle n’est jamais venue). Il “râle” mais il comprend. La séance d’après, j’ai utilisé la boucle de l’ambiance dans le couple : je leur ai demandé de parcourir une journée (mise en scène, niveau éthique) et de décrire de quel côté ils se trouvaient à différents moments. 7 Lever Matinée Midi etc. Le résultat était clair: le couple se trouvait en rupture de contact sur toute la ligne. Par contre, avant la naissance de leur fils, ils étaient perpétuellement du côté proximité/fusion. Monique remplit actuellement cette case avec son fils, Pol a dû déménager contraint et forcé vers le côté autonomie/rupture et a essayé de recréer avec moi une relation basée sur le contact/fusion. La visualisation aussi claire de leur relation a laissé le couple assez perplexe. Par la suite, quand j’ai abordé le transfert de Pol sur ma personne, en disant que l’effet risquait d’aller en contre sens du but de la thérapie (remobiliser le contact dans le couple), madame était visiblement soulagée, mais Pol me “boudait”. J’ai donc affirmé que chez moi, je recevais le couple mais que si Pol voulait une thérapie individuelle je pouvais l’aider à trouver un autre thérapeute.(ce qu’il n’a pas fait) Après cette séance, ils ne sont plus revenus. J’ai téléphoné moi-même pour prendre des nouvelles en disant que je n’aimais pas terminer une thérapie de cette façon là. Pol m’a dit qu’ils avaient compris ce qu’ils avaient à faire et que l’inquiétude de madame par rapport à son “transfert” avait été bénéfique. Conclusion: avant d’utiliser la boucle, j’avais travaillé avec les génogrammmes dans ce couple. Cela avait certes amené à une compréhension concernant leur place et la nature de leurs liens, mais l’effet était moins “tangible”. Ici, le nœud du problème est apparu clairement, mais aussi les remèdes nécessaires : mettre en place dans l’espace et le temps, des moments dans les deux zones afin de mobiliser le contact. 8 Le couple T La première séance, madame T est venue seule, envoyée par son médecin. Elle m’explique qu’en fait, elle a des problèmes graves dans son couple, mais que son mari ne veut plus se rendre chez un psychologue. Le couple a déjà connu deux fois une séparation, mais ils se remettent ensemble après. Madame veut arrêter cette souffrance, elle veut trouver une solution. Elle décrit le contact dans le couple comme une répétition de courts moments (+/- une semaine) de proximité presque fusionnelle et de longs moments de distance/rupture émotionnelle. Son mari lui reproche son caractère autoritaire, elle a déjà été en thérapie pendant une dizaine de séances, mais sans résultat. La façon dont madame T décrit à travers le temps, le contact dans le couple me fait penser à la boucle et je la dessine sur le tableau. Elle ajoute: d’un côté il me dit « je t’aime » de l’autre côté, « je te déteste ». Je t’aime je te déteste Je commence avec elle son génogramme. Madame et son mari sont des aînés. Ils ont tendance à avoir des problèmes d’asthme. Vers l’âge de 14 ans, madame a dû prendre le ménage en main, sa mère étant régulièrement à l’hôpital pour des problèmes d’asthme. (liés, selon madame T, à la relation distante entre ses parents). La relation entre madame T et son père était vécue par elle comme distante, sans soutien, et disqualifiante. Elle se rappelle son silence quand il était mécontent. A chaque départ de sa mère à l’hôpital, madame T vivait très mal la séparation, et quand elle revenait à la maison, c’était la fusion, la grande complicité. J’attire l’attention de madame sur la similitude entre la relation entre elle et sa mère et celle qu’elle a décrit dans son couple : moments de fusion et séparation pénible et distance mal vécue. Elle est étonnée. Je lui donne les deux grandes feuilles sur lesquelles se trouvent d’une part la boucle et ce qu’on a écrit et d’autre part le génogramme et quelques écrits. Je lui demande d’expliquer à son mari ce qu’on a fait et d’essayer de remplir le côté de son génogramme, puisque j’ai besoin de savoir ce qu’il en pense. 9 - - - A la deuxième séance, monsieur vient avec. Les deux feuilles ont attiré sa curiosité, mais surtout la boucle l’a intrigué, il trouve que c’est “parlant”. Je lui demande donc s’il veut y ajouter quelque chose, et il dit que la zone de contact/fusion est pénible pour lui : “mon entourage me pèse”. En parlant de l’ambiance dans sa famille d’origine, il décrit un manque d’espace, une obligation de rester “enfermé” à la maison, et un “non” à toute initiative de sa part (“Fais pas ça.”). Le seul espace où il savait respirer était sa chambre, dans laquelle il restait pendant des heures, ce qui se passe d’ailleurs aussi dans son foyer actuel. Nous consacrons plusieurs séances à la description des ambiances dans les familles mutuelles. Monsieur dit de sa mère : « Je ne la connais pas. J’avais le sentiment d’être adopté. Elle est comme de la glace ». Le couple constate plusieurs choses : dans l’espace commun, monsieur ne sait pas prendre sa place. Quand madame arrive à la maison, il sent qu’elle envahit tout l’espace, et il s’immobilise ou va dans son bureau. D’ailleurs, quand madame reçoit sa mère et sa sœur, monsieur va dormir, il se sent mal, envahi. dans les moments de fusion, monsieur se sent étouffé, ce qui le pousse à partir. quand madame est à la maison, elle gère tout, comme elle a eu l’habitude de faire depuis l’âge de 14 ans. Ainsi, sans vraiment le vouloir, elle disqualifie son mari, qui vit ses initiatives comme « elle fait de toute façon mieux que moi ». de cette façon, ils perpétuent inlassablement leurs habitudes prises pendant leur enfance : une fois dans l’espace commun, monsieur part pour sauver son espace et elle se sent délaissée. Leurs styles relationnels sont donc très complémentaires à un niveau, mais installent forcément une distance émotionnelle. Sur base de ces constatations, nous avons mis en place dans le quotidien un aménagement différent des tâches à la maison : par ex. madame arrive parfois plus tard que monsieur à la maison. Quand monsieur est en train de faire à manger, il ne lui cède plus la place quand elle rentre. S’il est occupé avec les devoirs des enfants, elle ne vient plus pour « faire mieux », etc. On délimite des territoires pour monsieur, avec l’accord de chacun, c’est-à-dire qu’on réaménage l’espace commun (niveau éthique). A la 10ème séance, un changement s’est produit. Chacun dit prudemment « que ça ne va pas trop mal ». Ils expliquent leur prudence par le fait qu’ils ont besoin de consolider le changement à travers le temps, mais ça va bien depuis un mois. Contrairement à leurs bonnes périodes d’avant, leur bien-être est moins exalté mais plus durable. Monsieur ne sent plus le besoin de fuir dans son bureau, les visites de la belle-mère et de sa belle-sœur ne le dérangent plus. Il est content de prendre certaines choses en charge, se sent un « homme » à côté de son épouse. Elle explique que la veille, elle a été au resto avec ses collègues et que cette certitude que monsieur prendrait tout en charge à la maison lui a permis de profiter pleinement de cette soirée. Elle avait même bu un verre de trop. Le contact affectif est satisfaisant pour tous les deux. Malgré le fait que le but a été atteint, le couple a demandé de revenir encore quelques fois à raison d’une fois par mois, pour « consolider ». Conclusion : le « rééquilibrage » entre les deux zones de la boucle a amené dans ce couple un changement structurel : monsieur s’est placé à côté de son épouse, il a une place à part entière. Il est probable que le changement se maintiendra puisqu’il est bien vécu par les deux. 10 Le couple P : Ce couple est venu me consulter, par ce qu’ils s’épuisaient mutuellement en jouant des scénarios: “je te quitte, je t’aime”. Je parlerai ici uniquement d’un aspect de la thérapie qui cadre dans cet article. Le couple vit ensemble depuis quelques années, après avoir été amant-maîtresse pendant plusieurs années. Les récits de leur relation font état d’une succession de conflits depuis qu’ils vivent ensemble, mais dans cette instabilité une constante me paraît claire: la mise à distance pose problème. Vu la problématique, l’utilisation de la boucle paraissait un bon outil, et voilà ce qu’il en est sorti. En analysant une journée ordinaire du couple, voilà leur occupation des zones. Lever :“bisous, câlins” Matinée : déjeuner ensemble conduire les enfants à l’école boire café Midi : manger ensemble Après-midi: ensemble à l’atelier psychothérapie chercher les enfants Madame va coudre à l’atelier 1/2 h après monsieur la rejoint Pour eux, aimer égale tout faire ensemble. A travers le temps, ils constatent que la façon dont ils vivaient la boucle lors de la période “amant-maîtresse” était la même : forcément, quand ils se voyaient, c’était pour être ensemble, et le contexte organisait la distance. Quand ils ont décidé de vivre ensemble, ils ont omis d’adapter leur style relationnel à ce nouveau contexte. Madame dit qu’elle étouffe, et son agressivité sert à mettre monsieur à distance. Mais quand il se décide à faire ses valises, elle lui dit qu’elle l’aime. En plus, lors de l’élaboration, monsieur dit: “Ca, c’est tout à fait comme le couple de mes parents”. A la fin de cette séance, on a convenu de travailler à ce que j’appelle un “rééquilibrage” des 2 zones de la boucle. Conclusion : ici, la boucle a permis de visualiser clairement qui est en jeu dans ce couple, et ce qui les a amenés à me consulter: l’étouffement et l’agressivité qui s’en suit. Les pistes à suivre sont claires. 11 Le couple D Monsieur D est envoyé par son médecin traitant. Au premier entretien, monsieur vient seul. Il explique son parcours, se plaint d’être mal dans sa peau et dit que son épouse est dépressive. Le couple vit une situation particulière : aucun des deux travaille, monsieur est pensionné depuis l’âge de 23 ans et madame a un revenu de la mutuelle. Monsieur a déjà suivi une psychothérapie pendant 5 ans: “Ca meublait mon temps”. Il aimerait être plus énergique et savoir prendre des initiatives. Pendant cet entretien, je sens dans la relation quelque chose de monotone. Monsieur parle sans cesse, me regarde à peine, j’éprouve peu de proximité et peu de dynamisme dans la relation. L’ambiance est pesante, collante, et je me dis que cela indique quelque chose concernant sa vie de couple. Je lui propose donc de venir avec son épouse. Au deuxième entretien, madame exprime son mal être : elle a beaucoup de problèmes psychosomatiques. Elle parait épuisée. Pendant cette séance, monsieur me peint une image de sa mère (niveau représentation). Il la décrit assise sur une chaise, les yeux vers le ciel, les bras reposés, les jambes croisées. Elle est vêtue d’une robe simple, a des mules à ses pieds. Ses cheveux colorés sont à refaire. Elle attend. A côté d’elle, son chien la regarde. Il attend aussi, pour voir ce qu’elle va faire. Mon client est derrière elle, pas trop loin. Il s’est appuyé sur un manche de brosse, debout. Il observe, a besoin de distance. En élaborant l’image, il dit que le chien est bien traité, mais qu’il lui manque de l’espace. Il a le devoir de rester avec sa maîtresse. En plus, on ne l’a pas habitué à aller vers l’extérieur et il est méchant quand il a peur. Sa maîtresse aurait dû sortir plus avec lui. Si le chien se baladait seul, elle aurait peur qu’il ne revienne pas. Pendant la séance, nous avons élaboré les différentes relations possibles entre un chien et son maître. Ayant moi-même un chien qui se ballade souvent seul dans les bois qui se trouvent près de mon cabinet de consultations, et qui gratte à la porte quand il a envie de rentrer, nous avions en même temps l’illustration concrète d’un mode relationnel différent. L’élaboration de cette image était très parlante, mais son épouse restait assez apathique pendant la séance. Au troisième entretien, nous avons abordé la mise en scène quotidienne de leur cycle de l’ambiance avec la boucle. A ce moment, madame s’est impliquée. Cette élaboration lui a permis d’exprimer son étouffement et à monsieur son angoisse de la perdre. Depuis, le couple s’est accordé plus d’espace personnel et ils éprouvent un soulagement qui va sans doute permettre le maintien de leurs acquis. Conclusion : dans ce couple, le travail sur la représentation de monsieur (niveau croyances) a permis de préparer un dialogue plus direct concernant la mise en scène et les conventions (niveau éthique) en relation avec le niveau de l’ambiance. Le projet thérapeutique s’est développé à partir de ce que j’avais ressenti dans le contact avec monsieur lors du premier entretien. 12 Conclusion générale L’utilisation de la boucle dans une thérapie de couple, mais également dans des liens enfantsparents, donne un outil simple mais apparemment très performant pour restructurer des systèmes relationnels à partir de la base. Dans beaucoup de cas de personnes qui se sentent mal dans leur peau, l’analyse révèle d’un déséquilibre évident à ce niveau. Une fois que le travail est fait, d’autres divergences se résolvent plus facilement. On peut se poser la question à quoi le changement doit être attribué. En questionnant les clients à la fin de la thérapie, les commentaires suivants ont été faits: - Dans le couple T, au moment de l’évaluation de la thérapie, monsieur a dit que le dessin du cycle de l’ambiance l’a marqué le plus. Le couple se serait souvent servi du modèle pour communiquer hors du cadre thérapeutique. Par ex. pour évaluer la façon dont ils avaient passé une journée. Apparemment, la boucle leur a servi d’intermédiaire, quelque chose de régulateur dans le chaos et l’angoisse qui existait entre eux. Comme un tiers ou un outil commun qui permet de méta communiquer. L’information qui est venue du système y retourne, structurée par la boucle qui permet de poursuivre le travail sans le thérapeute. Une autre cliente, qui vit dans une famille élargie très enchevêtrée, et qui consulte pour des symptômes de dépression, a dit que la boucle lui a fait prendre conscience du fait qu’on peut aimer quelqu’un tout en gardant un espace personnel. Pour elle, c’était une découverte mais aussi une permission, comme quelque chose de normatif. Chez elle, la séance où on a abordé la boucle a provoqué un changement radical dans son état dépressif pendant deux semaines, changement qu’il faut évidemment consolider, puisque les rétroactions de la famille ne se sont pas fait attendre. - Voici un résumé de ce qu’une cliente a écrit elle-même concernant l’utilisation de la boucle qu’elle appelle son “8” : “Ah cette boucle ! Elle est avec moi chaque jour depuis qu’elle est entrée dans ma vie. Jamais, je ne me suis imaginée que FUSION et AUTONOMIE étaient si intimement unis dans mes rapports aux autres. Jamais, je n’avais perçu combien mes relations se vivaient dans la fusion et m’interdisaient de me permettre et de permettre à l’autre de voyager dans son jardin. L’autonomie, voilà mon angoisse, ma peur, ma culpabilité, ma souffrance, mon incertitude. J’ai été confrontée à vivre l’autonomie de l’Autre et je n’ai pas compris tant je me suis sentie malheureuse, dépendante, culpabilisée, perdue. Etre en fusion procure sécurité, union. Etre en fusion, c’est refuser la solitude, c’est tout partager, c’est être excessif, c’est en fait ne pas être... Et mon 8 m’a suivi, il m’a protégée, il m’a aidée à mettre de l’ordre dans mes “tripes” • • Tout d’abord, il m’a fait découvrir que le mot autonomie était synonyme d’angoisse, d’abandon, de culpabilité, de peurs, de crainte à perdre l’Autre. Mon histoire personnelle me revient Il m’a fait découvrir aussi combien je laissais peu d’espace à l’Autre même lorsqu’il se trouve à mes côtés et qu’il ne répond pas à mes attentes… 13 • Il m’a fait découvrir aussi combien en ne prenant pas d’espace pour moi je ne pouvais en donner à l’Autre, que ce soit dans mes relations privées, extra-familiales ou professionnelle… Aujourd’hui, mon 8 régule ma vie de chaque jour. Je ressens physiquement et affectivement son bienfait, mon angoisse s’atténue en même temps que mon cœur reprend un rythme normal et que mes sueurs froides disparaissent J’ai comme l’impression qu’il va me prendre par la main pour aller de l’avant et me permettre de trouver mon équilibre affectif. C’est ce nouvel équilibre affectif qui me permettra de vivre en AUTONOMIE avec moi-même et l’Autre. Je suis seule ce soir, c’est la première fois depuis sept ans que je vis cette expérience : je ne m’en trouve pas trop mal. Etre ou ne pas être ... voilà la question.. » L’utilité d’un travail au niveau de l’ambiance, avec la boucle inaugurale, serait donc dans son effet régulateur de distances, un tiers (normatif) dans la communication entre deux personnes, qui permet de redynamiser le contact ? Effectivement, l’analyse de la mise en scène du contact chez les personnes qui consultent, montre très souvent une stagnation dans une des deux zones du contact. Ce qui confirme la théorie d’E.Dessoy. “L’incapacité d’encore circuler, le stationnement obstiné dans l’une ou l’autre région, signe la maladie, le dysfonctionnement, ou encore la rigidité de la communauté.” (1) Par ailleurs, il est évident que la relation thérapeutique doit refléter elle-même un contact souple dans lequel on voyage entre la proximité et l’espace personnel de chacun. La métacommunication sur cette relation peut-être très révélatrice. Par exemple, à un moment donné du processus thérapeutique, avec une jeune femme très brimée par une mère dominante, j’ai senti un blocage dans le contact. Je lui ai reflété mon ressenti, et elle m’a dit qu’elle avait peur que je ne veuille plus d’elle si elle ne suivait pas un conseil que je le lui avais donné. Elle m’avait mis sur la chaise de sa mère et j’ai pu lui dire que mon conseil n’était nullement obligatoire, que nos croyances pouvaient diverger sans que la relation ne cesse pour autant, en référant au schéma du milieu humain. Après quoi notre contact est redevenu dynamique. Dans l’établissement de la relation thérapeutique, plusieurs messages analogues avec la signification de la boucle peuvent annoncer le droit à la différence et la nécessité de la proximité dans une relation “performante”. Ainsi, j’ai l’habitude de signifier au client l’importance de la proximité dans une relation thérapeutique, mais aussi que cela ne s’impose pas: s’ils ont le sentiment que ça ne “colle” pas au début de la thérapie, il est important d’en parler pour éventuellement orienter vers un autre thérapeute. Si par contre le problème surgit dans la relation une fois que la thérapie est plus avancée, il s’agit d’analyser en quoi les blocages sont liés au transfert, à leur mode relationnel propre. Le droit à la différence est également signifié dès le départ : “on a chacun nos perceptions du monde, nos bonnes raisons d’être comme on est, une carte du monde avec laquelle on essaie de se débrouiller. Il faut simplement voir si cette carte est encore adéquate à ce jour.” Il est évident que seule une bonne proximité permet de confronter et de proposer des 14 perceptions “autres” que celles du client, de la même façon que moi je dois m’ajuster par rapport à ce que lui amène. Seule l’alternance entre “on est proche” et “on est différent” peut amener du changement, mouvement qui serait d’ailleurs à l’origine de tout rite de passage. En ce qui concerne la compréhension clinique, l’utilisation de la boucle inaugurale permet de mesurer le degré de différenciation intériorisé par le client, qu’on peut lier à l’analyse de la proximité-distance dans son génogramme et dans sa vie actuelle, et à son mode d’interaction. Il y a certainement encore d’autres réflexions possibles, comme celles faites par un collègue: si la fonction psychothérapeutique peut être le fait de donner du sens à la souffrance, cette boucle peut peut-être y aider. Et les lecteurs auront certainement envie de compléter cet article par leurs propres interpellations… 15 BIBLIOGRAPHIE DESSOY E. (1991) : “Ambiance, éthique, et croyances : les trois foyers organisateurs d’un milieu humainS” Une approche psycho-socio génétique préparatoire à l’autisme”, édit. la “Ferme du soleil”, rue C. Joset, 51, Soumagne, 600 p. 16