l`intime beauté de l`enfance
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l`intime beauté de l`enfance
L’INTIME BEAUTÉ DE L’ENFANCE Louis « Je suis né à Toulouse en 1958. Ma scolarité fut déplorable, mais très tôt est née une véritable passion pour le dessin et plus tard pour la peinture. Réfractaire à toute forme d’autorité, j’ai appris seul les diverses facettes du métier de peintre, et je poursuis cette découverte sans fin. Aujourd’hui, Berit et moi croisons nos univers artistiques pour le meilleur et pour le pire, mais comment pourrait-il en être autrement ? » Par Isabelle Kersimon Photos : Sylvie Durand Berit « Née en Norvège en 1964, j’ai suivi des études d’anthropologie puis je suis partie en voyage avec des copines, sac au dos, sans but précis ni limite de temps. J’avais 21 ans. J’ai rencontré Louis en Crète. Nous avons voyagé de nombreuses années ensemble, puis avons ressenti le besoin de nous fixer quelque part. Ce fut l’Ardèche, où nous sommes installés depuis une quinzaine d’années. Je suis venue à la sculpture grâce à Louis. Il dessinait et peignait depuis toujours, et il s’amusait parfois à faire du modelage. J’ai essayé l’argile, j’ai aimé, j’ai continué. Je n’ai jamais suivi de cours, jamais rien appris autrement que par mes tâtonnements et mes erreurs. Aujourd’hui, la sculpture occupe toute ma vie ; j’envisage d’arrêter l’enseignement pour pouvoir me consacrer entièrement à ce travail. » 30 Berit Hildre et Louis Treserras, respectivement sculpteur et peintre, œuvrent au cœur de l’Ardèche dans un écrin paradisiaque et silencieux. Leur fougue joliment rebelle s’accorde à leur inspiration partagée pour la douceur et l’insouciance de l’enfance au féminin, mise en scène dans des attitudes rêveuses. La petite Claire Bronze, 49 cm Pratique des Arts n°80 / Juin-Juillet 2008 « Mon travail sur les camaïeux se concentre sur la transparence et la carnation, pour donner à mes personnages ce côté nacré, où se fondent douceur de la vie et indifférence de la pierre » Pratique Des Arts : Couple d’artistes en fusion depuis plus de vingt ans, vous semblez œuvrer tout à la fois en parallèle et en croisement l’un de l’autre. Louis : Ces deux aspects coexistent en effet. Par exemple, sur le fond, l’un de nous deux va travailler un thème et l’autre le reprendre quelques mois plus tard et le traiter différemment, pas nécessairement de manière immédiatement visible. A prendre en considération aussi, le fait que nous nous corrigeons beaucoup mutuellement. C’est d’ailleurs souvent redoutable. L’œil extérieur que nous posons sur le travail de l’autre est pourtant un moteur puissant dans nos recherches respectives, car nous sommes très exigeants l’un envers l’autre. La confiance réciproque que nous prouvons nous autorise une critique sans concession, mais sans souffrance. « Bien que je travaille une forme extrêmement classique qui se réfère aux grands maîtres de la peinture académique, mon goût pour les coulures et les parties non finies me rapprochent plus de Soulages, par exemple. Si je souhaite mettre en valeur un personnage, je ne veux ni paysage ni objet autour de lui, rien qui soit anecdotique. Il m’aura fallu du temps pour trouver le courage d’abandonner ce qui me semblait bavard, superflu. » Berit : Lorsque nous émettons un avis sur le travail de l’autre, précisons qu’il concerne l’anatomie d’un corps ou les proportions d’un visage. Jamais nous ne critiquons le fond du travail, qui est d’ordre intime et dont nous connaissons la résonance profonde, pour laquelle nous avons infiniment de respect. m’assurer d’une tranquillité parfaite, j’écoute de la musique au casque. B : Lorsque Louis est au travail, il n’est là pour personne. Pour moi, c’est exactement la même chose. La création correspond à un long cheminement personnel, même si nous partageons énormément ensemble. Ce qui se produit lorsque nous nous isolons dans nos ateliers étant, pour l’un comme pour l’autre, de l’ordre d’un instant de grâce, il nous est impossible d’ouvrir le moindre espace sur le monde extérieur à ce moment là, cet espace fut-il l’univers intérieur de l’autre avec toutes ses richesses. L : Berit a raison de préciser que nous travaillons sur l’intime et que dans cette sphère précise, nous sommes mutuellement intouchables. D’ailleurs, nous avons chacun besoin de solitude. Pour travailler, je me barricade, je tire les rideaux. Je ne profite jamais de ma terrasse sur l’Ardèche. Et pour UNE PATINE DELICATE « J’ai appris la patine parce que j’avais envie d’avoir la dernière touche, un peu comme le short cut des cinéastes dont la maitrise les assure de la cohérence formelle de l’histoire qu’ils ont mise en scène. J’ai ainsi constaté que certaines patines sont plus faciles à passer que d’autres. Mes couleurs sont difficiles car elles contiennent du blanc de titane très capricieux ; si le bronze n’est pas assez chauffé, le blanc n’adhère pas du tout et l’on découvre cela uniquement au moment où l’on cire ; si le mélange est trop fort, il peut virer au bleu. Mais ce blanc m’est indispensable pour obtenir mes tons. N’ayant pas assez d’expérience pour obtenir ce que je veux, je laisse ce soin à Mohamed Kchiouch, qui exerce ce métier à la fonderie Barthélémy depuis trente ans. PDA : Vous travaillez l’un et l’autre dans un processus de maturation très lent. Ce choix de solitude à l’atelier est-il lié à ce rythme ? L : Oui, car une vraie relation s’instaure entre les personnages que nous créons et nousmêmes. Nous vivons tous deux notre travail dans un retrait méditatif qui implique des mois de solitude. B : Pour peindre comme pour sculpter, il faut pouvoir s’enfermer dans une bulle. Le plus difficile n’est pas de le faire, mais être en état de le faire. Je recherche des plages de temps où je peux m’immerger totalement. L’idéal est d’avoir des semaines et des mois sans aucune obligation extérieure pour garder en soi l’histoire dans laquelle on est entré, l’entretenir, s’y plonger, la retenir, jusqu’à ce que ce soit terminé. PDA : Vos œuvres semblent détenir, voire protéger, une part qui vous est commune. Quelle est-elle ? 32 Pratique des Arts n°80 / Juin-Juillet 2008 Amandine Technique mixte sur toile, 115 x 95 cm LE MATÉRIEL DE BERIT • L’argile que je travaille est en fait un grès qui provient de l’Allemagne. Il est très chamotté (40%), les grains ont un diamètre allant jusqu’à 2 mm. Je l’ai choisie pour sa solidité, elle tient très bien dans les gros volumes, ne fissure pas au séchage et supporte de grosses épaisseurs à la cuisson (jusqu’à 15 cm pour les cuisses ou les jambes) • Ébauchoirs et burinoirs • Cire, bougies, chiffons, plastique ne baissait pas la tête et ne tortillait pas sa robe, mais comme pour chacune d’ente elles, si je travaille proportions puis laisse une alchimie particulière s’opérer, me projetant en elle, la pièce raconte une histoire et devient alors quelqu’un. Elles ont toutes un prénom ; Lucie, Manon, Claire, Pauline la boudeuse… PDA : Sont-elles, d’une certaine manière, archétypales de vos point de vue, de vos rêves intimes ? B : Issues de mon imaginaire, elles ont également beaucoup. Elles sont assez rêveuses, vivent dans leur monde, collectionnent des cailloux, des choses bizarres, conversent avec des chats… Tout est possible et tout est vrai. Dans mon esprit, c’est un état d’ouverture totale et une grande curiosité, un état d’émerveillement permanent. Détente Technique mixte sur toile, 115 x 135 cm L : Les jeunes filles, mon sujet de prédilection, représentent une part de moi-même, ma part féminine. Et bien qu’aujourd’hui je me rapproche beaucoup plus des modèles, mes tableaux ne sont pas exactement des portraits. Ils reflètent tous les personnages qui vivent en moi et avec lesquels je suis en accord intérieur. Je ne désire pas que mes modèles soient considérés comme réelles, malgré le soin que je mets à faire palpiter leur peau. Elles sont des émanations de ces beautés parfaites peintes ou sculptés tout au long des siècles, de ces femmes aux formes sublimés par l’art, dans la grande tradition classique. B : Les petites filles que je sculpte sont tout à la fois mes enfants et mon enfance, toujours présente en moi. Elles sont issues de mon imaginaire. Pourtant, magiquement, elles deviennent quelqu’un lorsque je suis en train de les sculpter. La petite Lucie, par exemple, 34 L : Je pense aussi qu’une forme d’éternité les habille. L’innocence des figures de Berit, qui sont rarement nues, nimbe celles de mes toiles où la nudité correspond à une pureté originelle et marque leur atemporalité. DU DESSIN AU MODELÉ EN 4 GESTES CLÉS 1 Le dessin À ce stade, si le dessin ne me parle pas, ou pas suffisamment, ou pas comme je le souhaiterais, il est inutile d’aller plus loi, car aucune mise en couleur ne rattraperait le manque de sens d’un dessin. Ce premier travail me renseigne donc sur la qualité du tableau à naître. En ce sens, il s’agit à la fois d’un travail préparatoire et d’un travail relativement poussé, car la suite correspond pour moi à une mise en couleur. J’utilise la technique du poncif pour reproduire ensuite ces dessins sur la toile préalablement préparé (enduit, collages, préparation, fonds) . 2. Les fonds J’aime peindre sur des collages de papier déchiré et marouflé sur la toile. Cela permet d’obtenir des structures particulières et aléatoires qui donnent de la vie à la couleur, et confère également à mes personnages un côté atemporel sans lequel je ne saurais les aborder. Les déchirures témoignent de la fragilité de leu existence ou de leur imagerie fantasmatique. Je travaille mes fonds avec des encres et des acryliques très dilués. Pratique des Arts n°80 / Juin-Juillet 2008 3. Les coulures, les traces Les traces et coulures participent du même constat. Elles rappellent le fer et la rouille, ou toute chose laissée à l’abandon… Il m’arrive de multiplier ces opérations et de recouvrir mes fonds par d’autres couches de couleurs travaillées spontanément afin de créer une sorte de chaos duquel émergera, en s’organisant peu à peu, un personnage lunaire, pur et silencieux… 4. Le modelé Il est travaillé à l’huile, seule technique permettant un rendu proche e la peau, par la superposition de glacis aux nuances contradictoires. Je souhaite arriver à maîtriser les transparences ou l’opacité de la peau, ainsi que ses délicates nuances qui rendent plus pâles la fine peau d’un sein ou les marbrures d’une cuisse, et qui rougissent les pommettes ou la transparence d’une oreille. Les glacis permettent ce travail, même si leur maîtrise est particulièrement difficile. Lucie Bronze 85 cm Le bout du chemin LE MATÉRIEL DE LOUIS Technique mixte sur toile 160 x 120 cm • Toiles de lin brut tendues sur châssis que je confectionne moi-même. • Encollage des papiers au Caparol • Huiles ; je travaille principalement avec les couleurs à l’huile Pebeo et Winsor & Newton pour leur transparence dans les glacis. • Les acryliques que j’emploie sont de toutes marques. • Encres Colorex • Les pinceaux sont exclusivement des brosses plates synthétiques Da Vinci. • Je fabrique mes médiums à peindre au fur et à mesure de l’avancement de mes tableaux. « Les petites filles que je sculpte représentent tout à la fois mes enfants et mon enfance. Issues de mon imaginaire, elles deviennent magiquement quelqu’un lorsque je suis en train de les sculpter. » monde et que l’on a tendance à absorber tant cela nous accable. L : Elles sont précieuses, oui. On dit toujours volontiers que je « beritise » tous mes modèles. Adolescentes, elles ont laissé l’enfance derrière elles, mais on la lit encore sur leur visages et sur les extrémités encore un peu potelés de leur corps, leurs mains, leurs pieds. B : Si aujourd’hui toutes mes pièces sont en bronze, je préfère toujours, malgré tout, la matière de l’argile au final, son aspect mat et sa chaleur. Au toucher, d’ailleurs, une terre cuite est plus chaude. Ainsi, pour les patines des bronzes, je recherche cette douceur et je demande à mon patineur de se rapprocher des tons de la terre cuite – sable, beige un peu rosé, pastel, - toutes ces couleurs qui conviennent le mieux aux petites filles. L : Dans mon travail sur les camaïeux où ne surgissent que des lumières, je me concentre sur la transparence et la carnation, jouant avec des ombres très douces pour tenter de donner à la peau de mes personnages ce côté nacré, opalin, marbré, veineux. Dans lequel se fondent la douceur de la vie et l’indifférence de la pierre. LES INSTRUMENTS DE LA SCULPTURE En modelage, on n’a pas besoin de grand-chose : d’abord les mains, puis l’ébauchoir, enfin le burinoir, et c’est tout ! Début d’amitié Bronze 35 cm 36 PDA : Chez l’un comme chez l’autre, l’aspect diaphane et fragile des êtres est contrebalancé par ce que l’on ressent de force, un côté presque imperturbable. regard tient à distance. Leur corps est certes beau, mais n’est en aucun cas un objet de désir. Dans l’univers du tableau lui-même, elles sont des sculptures. B : Fragiles, les petites filles le sont par essence, mais elles l’ignorent. Leur innocence, leur inconscience deviennent une force norme parce qu’elles ont une grande confiance en la vie. PDA : De même, chez l’un comme chez l’autre, cette fragilité apparente dénote une forme de préciosité, au sens d’un trésor. L : Un peu plus âgées, les jeunes filles que je peins ont une conscience aigue des choses. Or, dans ce monde rempli de dangers et de souffrances, elles ont la force d’accepter leur nudité. Bien que celle ci leur donne un aspect vulnérable, sans protection – le vêtement est une protection, un barrage sur l’extérieur -, elles sont effectivement imperturbables. Ce d’autant plus que leur B : Vous avez tout à fait raison. En tant qu’adultes, on retrouve, à côtoyer ces personnages, beaucoup de fraicheur et beaucoup d’enthousiasme, on redevient positif, on peut créer des tas d’histoires et on vit l’instant, ce que l’on a tendance à ne plus faire en grandissant. Elles sont aussi des anges gardiens : discuter avec elles et les voir vivre nous protège du cynisme, de la dureté, de tout ce qui est laid dans ce Pratique des Arts n°80 / Juin-Juillet 2008 Entre les séances de travail , je protège ma pièce avec des chiffons légèrement humidifiés et du plastique. Ainsi, je conserve l’argile molle et malléable pendant le temps nécessaire, parfois des mois. Pour les détails, j’utilise un burinoir. Cet outil métallique est, à l’origine, destiné à travailler la cire, mais je n’ai jamais rien trouvé de pieux pour la précision des petits détails. Comme son nom l’indique, l’ébauchoir s’emploie pour l’ébauche. Avec cet outil, je déplace des petites masses d’argile, corrige des lignes. La pièce trouve sa forme. La cire est l’étape intermédiaire qui suit le moulage et précède la fonte. Pour retoucher les petits défauts, je me sers encore d’un burinoir. La cire étant plus dure que l’argile, je chauffe l’outil sur une bougie.