D`ECO`SS fXPtltlWELS - Cercle Richard Wagner

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D`ECO`SS fXPtltlWELS - Cercle Richard Wagner
HENRI PERRIER
McH^
•D'ECO'SS fXPtltlWELS
Réalisation typographique: Chantai et Eva Perrier
Cercle Richard Wagner - Lyon
TABLE DES MATIERES
Avant propos
PaSe 1
Le Hollandais Volant
PaSe 3
Tannhâuser
PaSe 17
Lohengrin
Paêe 29
Tristan et Isolde
Paêe 41
Les Maîtres Chanteurs
PaSe 55
L'Anneau du Nibelung
Paêe 69
Le temps et l'espace pour écrire le Ring
page 71
Le temps et l'espace pour jouer le Ring
Paêe 81
Parsifal
page 103
AVANT-PROPOS
Dans les Rendez-vous wagnériens, parus en1981, jeprésentais une géobiographie où
chaque chapitre relatait la vie de Richard Wagner dans une ville ou dans une région en
décrivant les lieux où il avait séjourné pour proposer au lecteur une sorte d'itinéraire de
pèlerinage.
Reprenant la même idée, j'aiprésenté aux séminaires du Cercle Richard Wagner de
Lyon, entre 1982 et1992, une série de causeries ayant comme sujet chaque fois une oeuvre.
Outre un rappel biographique de la genèse de l'oeuvre, j'y mentionnais les demeures où
Wagner l'avait écrite; mais jesignalais en outre des paysages ou des monuments correspon
dant àundécornaturel ouévoquant tel épisode ou tel personnage. Certains deces décors sont
historiquement véridiques mais parfois décevants, d'autres sont seulement plausibles pour
une mise en scène fictive, à la fois chimérique et concrète.
Ces textes, rassemblés dans leprésentopuscule etclassés du Hollandais àParsifal, ont
été revus, corrigés et complétés.
Délibérément, j'aichoisi de m'adresser aux wagnériens avertis etpassionnés. Délibé
rément aussi,jen* ai pas voulu fléchertrop précisémentles itinéraires pourleurlaisserun peu
des tracas de la recherche et beaucoup du plaisirde la découverte.
Je leur souhaite unbon voyage, non seulement dans leur fauteuil, mais aussi «insitu»
aux quatre coins de l'Europe, pour essayer de reconstituer dans le magasin de leur théâtre
imaginaire ce «Wagnerland» que Louis II de Bavière aurait sans doute rêvé d'édifier en
collaborant avec Walt Disney etpourquoi pas avec la participation du Maître lui-même qui
se serait peut-être laissé fléchir par les perspectives d'un contrat mirobolant!
Henri PERRIER 1995
LE HOLLANDAIS VOLANT
Parmi bien des spécificités qui donnent au Hollandais Volant une place à part dans la
suite ininterrompue des dix chefs-d'oeuvre de Richard Wagner, l'une d'elles est en rapport
direct avec l'objet de notre étude: un événement extérieur inattendu, survenant dans un lieu
précis, à savoir la tempête qui poussa Wagnersur les côtes norvégiennes pendant son voyage
en mer de l'été 1839, a exercé un influence déterminantesurle choix du sujet, sur la conception
et la réalisation del'oeuvre. Certes, Wagner, danssesautres ouvrages, a toujours plusou moins
établides relations avec sa vie personnelle, l'exemple le plusévident étant bien sûr Tristanet
l'amourpourMathilde Wesendonck; cependant, dans lesdeuxcasduHollandais et deTristan,
l'élément de coïncidencen'a pas la mêmesignification. Sansvouloiren rien ternir l'image de
Mathilde Wesendonck, on peut estimerque,mêmes'il ne l'avait pas connue, Wagner aurait
quand même écritun Tristan ou uneautre oeuvre de la même essence dans laquelle il aurait
déverséle flot d'amour et de passionqui était en lui. Alors que,n'ayant guère l'expérience du
monde de la mer,il ne se seraitpeut-être jamais décidé à donner uneforme dramatique aupetit
récit de Heine s'il n'avait vécu son aventure maritimependantlaquelle la Nature,si importante
dans l'ensemble de son oeuvre, lui donna,ainsiqu'il le dit lui-même, une des plus admirables
et grandioses impressions de sa vie.
LA GENESE DE L'OEUVRE
Une relationsommaire de la biographie de Wagnerdonne à penser que de toutes ses
oeuvres, le Hollandais Volantest celle dont la genèse a été la plus brève puisquesix mois
seulement séparent la rédaction du poème de l'achèvement de la partition (mai-novembre
1841). Maisun examenplusapprofondi montre unepériodedegestationbeaucouppluslongue,
marquée pardeshésitations et des modifications dans laconception, jalonnée parla composi
tion de fragments isolés, toutes choses dontWagner n'est guèrecoutumier et qui offrent un
contraste frappant avec l'oeuvre définitive d'unefulgurante simplicité, chosequin'est pasnon
plus une caractéristique des autres ouvrages wagnériens. Une étude chronologique détaillée se
révèleassezdélicatecar,choseinhabituelle également, les diversrécits autobiographiques de
Wagner ne sont pas en parfaite concordance. Dest nécessaire d'en faire une interprétation
sélective si l'on veutprésenter lesévénements dans unesuite logique. C'esten 1838 à Riga où
il était chefd'orchestredu théâtre que Richard lut un texte de Henri Heine «Les mémoires de
M.deSchnabelewopski»faisant partie d'un recueil denouvelles, desouvenirs devoyage etde
poèmes intitulé «Le salon» publié en 1834 (àsignaler qu'une partie des textes fut parla suite
reprise enfrançais et publiée sous le titre de Reisebilder, images de voyage). Le bon Henri
raconte sur le mode ironique l'intrigue d'une pièce de théâtre «Le Hollandais Volant» qu'il
aurait vue à Amsterdam. Malgré son tonbadin, ce récit renferme toute la substance du futur
opéra notamment la rédemption du navigateur maudit par une femme fidèle jusqu'à la mort.
Wagner relatera plus tard dans «Une Communication à mes amis»: «Ce sujet m'excita etse
grava ineffaçablement en moi; mais sans avoir encore laforce d'y renaître comme ilfallait»
Un anplus tard, Wagner, safemme etson chien s'embarquaient clandestinement surun
modeste voilier, la Thétis (nom d'une divinité marine, la mère d'Achille qui plongea son fils
dans leStyx enletenant par les talons), à destination deLondres envue derejoindre Paris, la
capitale mondiale des arts.
Ilestpréférable pour un auteur dema catégorie derenoncer à raconter ce voyage car il
faudrait reprendre, modifier etnécessairement amoindrir lerécit si vivant et siémouvant qui
compte parmi lespages les plus réussies de«Mein Leben». Delamême façon, jem'abstiendrai
ultérieurement de détailler les conditions de détresse matérielleet morale qui furent celles de
Wagneraumomentoùilcomposa lamusique de son Hollandais. Dles arelatées lui-même avec
tant depoignantesincéritéqu'elles doiventêtregravéesdans lamémoireetdans lecoeurde tout
wagnérien. Nous reviendrons sur certains épisodes de ce fameux voyage dans l'évocation des
décors naturels ennous contentant pour l'instant decerésumé: «Cette traversée resterapour
moitoujours inoubliable; elledura troissemaines etdemie etfutfertile en accidents. Troisfois
nous subîmes laplusfurieuse tempête, et le capitaine se vit unjourdans la nécessité défaire
relMhedansunponnorvégien.Lanavigationàtraverslesrécifsdescôtesnorvégiennesfitsur
mon imagination une impression merveilleuse; la légendedu Hollandais Volant, tellequej'en
reçus la confirmationde la bouchedesmatelots,pritenmoiune couleurprécise, originale, que
seulespouvaient leur donner les aventures maritimes quej'avais vécues. »
n semble que Wagner ait rédigé assez vite (fin 1839- début 1840) un scénario en trois
actesdeson Hollandais. Audébutde 1840, il fitlaconnaissance deHenri Heine; il luiparlade
son projet d'adaptation etobtint son accord. Bien des années plus tard, le Maître se souvenait
d'avoir présenté à Heine un texte en français où pour parler du jeune homme amoureux de
l'héroïne, ill'appelait son «amateur»! Un scénario écrit en un français plutôt abominable aété
retrouvé joint à une lettre adressée à Eugène Scribe, en date du 6 mai 1840. Richard avait
condensé le sujet en un acte pensantavoir ainsi plus de chances de placersapièce comme lever
derideau. C'estsans doute cette esquisse que Wagner, emmené parson protecteur Giacomo
Meyerbeer, remit peu après au directeur de l'Opéra de Paris. Il s'était également mis à la
composition de plusieurs morceaux: la ballade, le chant des matelots et celui de l'équipage du
Hollandais. Cependant, les tractations avec l'Opéra traînèrent près d'un an. Wagner finit par
apprendre que le sujet avait plu au directeur mais qu'il n'était absolument pas question que ce
soit lui qui le mît en musique. N'y tenant plus, il écrivit le texte de son poème en allemand en
l'accompagnant d'annotations musicales, entre le 18et le 28 mai 1841. Dhabitait depuis la fin
du mois d'avril à Meudon ayant dûquitter son appartement parisien trop coûteux.
Le 2juillet, il accepta la transaction qu'on lui proposait: moyennant l'abandon du sujet,
Foucher, le librettiste chargé d'écrire le Vaisseau Fantôme, lui cédait 500 francs payables
immédiatement. Ayant louéun pianodontilétaitprivédepuis plusieurs mois, il vouluts'assurer
qu'D savaitencore composer: ainsi naquirent le chantdu pilote et le choeurdes fileuses. Etpuis
tout marcha admirablement: le 1eracte futécrit entre le 11 et le23juillet; le 2ème entre le 31
juilletet le 13 aoûtet le Sème futfini le22 août. Maisle dernierécu s'étant envolé,Wagnerfut
empêchéde se mettre à la composition de l'ouverture. «Au milieu de privationsindicibles»,il
entreprit la mise au net et l'orchestration de sa partition,terminée à Meudon le 21 octobre. Une
avance de son ami Kietz lui permit de trouverun modeste logis à Paris, au 14 de la rue Jacob,
et d'y travailler à son ouverture. L'esquisse en fut terminée le 5 novembre et la partition
définitive achevée le 19 novembre avec l'annotation: «Per aspera ad astra».
Un détail extrêmement curieuxest que c'est seulement après avoir terminé la partition
que Wagnerprocédaàdiverses corrections dutextedefaçpnàsituerl'actionnonplus en Ecosse,
ainsi qu'il l'avait fait en suivant l'histoire de Heine, mais en Norvège. Ce déplacement
s'expliquebiensûr fort logiquement compte tenu de son aventure norvégienne. En revanche,
cequiestdifficilementcompréhensible, c'est qu'il aitattendu d'avoir terminerla partitionpour
lefaire. Peut-être a-t-il voulu ainsi sedémarquerdavantage du sujetqu'ilavait abandonné àun
autre librettiste;ou bien,toutsimplement,ayantreconnul'influence exercéeparles impressions
qu'il avaitressenties a-t-il voulu enquelque sorte rendre hommage auxlieuxquien avaient été
le théâtre. Dans la partition originale, Sandwike s'appelait Hollystrand, Daland s'appelait
Donald et Erik, Georg.
Cela nous amène à parler des diverses modifications qui ont été ensuite opérées sur la
partition. Dèslacréation, tout d'abord, qui eutlieu à Dresde le2janvier 1843, ilfallut procéder
à la séparation destrois actes pardeux entractes de façon à occuper unesoirée entière, ce qui
fut fait simplement en redoublant une partie des deux interludes pour constituerles introduc
tions des 2ème et 3ème actes. Il fallut aussi transposerun ton plus bas la ballade de Senta vu
les possibilitésde l'interprète, Wilhelmine Schroder-Devrient
Par la suite, pour des représentations qu'il dirigea à Zurich en 1852, Wagner révisa
l'instrumentation de plusieurs passages. Une autre transformation importante est celle à
laquelle il procéda, à l'occasionde concerts à Paris en 1860, sur la conclusion de l'ouverture
et qu'il repritensuiteégalement pourle final du 3èmeacte; c'est une fin «à la Tristan»sur le
motif de la Rédemption.
Ainsi en tenant compte de toutes ces modifications et éventuellement de certaines
coupures (notammentdes reprisesdans le duo entreDalandet le Hollandaisau 1er acte et dans
le finale du 2ème acte), les représentations du Hollânder auxquelles on assiste présentent
toujours de petites différences puisqu'il n'y apas de version définitive. Dans les dernières
années de sa vie, le Maître parlait de remanier sa partition en vue de futures représentations
bayreuthiennes, mais il ne lefit pas. ABayreuth, l'ouvrageestlaplupartdutemps exécutésans
entracte.
SANDWIKE IST'S ! GENAU KENN ICH DIE BUCHT.
Le premier acte du Hollandais Volant se passe sur un rivage rocheux de la côte
norvégienne que ce vieux loup de mer de Daland reconnaît comme étant la baie de Sandwike
àsept milles du port oùse trouve sa maison. Orc'estprécisémentdansun petit hameau portant
ce même nom sur les rives d'un fjord de la côte sud-est de la Norvège que Wagner et la Thétis
échappantàunviolentouragantrouvèrentrefuge, le29jufflet 1839.C'estleseulexempledans
toute son oeuvre où Wagnerprend un lieu ayant été le décor d'un moment important de sa vie
pour y situer l'action d'undrame.
La localisationexacte de ce Sandwike posabien des problèmes aux biographes. En effet,
Richard se souvenait que le hameau était àquelques milles de la ville d'Arendal, mais surune
cartede la région on retrouve ce nom orthographié SandvikaouSandviga (quisignifie baie de
sable) aumoinssixfois.Laquestionfutrésolueaprèsune minutieuseenquêtemenéeparleténor
norvégien Gunnar Graarud (qui fut de 1927 à1931, l'interprète àBayreuth de Siegmund,
Siegfried, Tristan et Parsifal). Graarud finit pardécouvrir dans un journal local d*Arendal du
9août 1839que plusieurs bateauxdont laThétis avaienttrouvé refuge dans leseauxde l'îlede
Borôya, le 29juillet. Or, il yabienausuddecetteîle unlieu-ditSandvika: voilàqui levaittous
lesdoutesd'autantquel'îlevoisinedeTverrdalsôyaquidélimitelefjordprésentebienuneparoi
de granit renvoyant un écho comme l'avait signalé Wagner qui entendant les appels des
matelots, yavait trouvé le rythme très marqué de son Matrosenlied. Sur ce dernier point, des
commentateurs pensent parfois qu'il s'agit des appels que l'on entend au début du 1er acte et
dontjustementl'orchestrerenvoiel'écho.MartinGregor-Dellin,damsagrandebiographie,fait
référence au chant de travail des marins de Pillau (port d'attache de la Thétis) qui en bas-
aUemanddit:«Schuneiseil-rietemdaal!»(cequisigrûfie:lesvoilesdelagoélette-larguez-les).
Le rythmeestbien celui de «Steuermann, lass die Wacht!»etl'auteurpensequesi Wagnern'a
pas reproduit les paroles, c'estparce qu'il ne les avaient pas comprises enbas-allemand.
De toute façon, pour mettre toutle monde d'accord, on peutbien penser que Wagner,
pendantletempsque durasonodyssée, eutl'occasiond'entendreplusieurs chansons. Denavait
faitd'ailleurs laconfidence àsonpremier biographe, Glasenapp: ilsesouvenait des'être rendu
avecles matelots dansun moulin où le brave meunier prépara du punch avecune bouteille de
rhum que lacompagnie butgaiement enchantant des chansons. Graarud acherché à retrouver
cemoulin enseposant cette pertinente question: que peuvent bien allerfaire des matelots dans
unmoulin ?Laréponse logique estqu'ils étaientvenus chercherdel'eaufraîche, tâche toujours
urgente pourun équipage désireux de renouveler une provision croupissante. Le moulin aurait
doncété à eau et non à ventcomme l'avait cruGlasenapp. Il existait en effetun moulinà eau
dans le petit hameau de Nés à trois kilomètres aunord de Sandvika.
ASandvika, Richard etMinna logèrentpendantdeuxjoursdanslamaisond'uncapitaine
parti envoyage. Dest tout à fait exagéré de prétendre que Wagner ait pu trouver dans cette
demeure une représentation du décor du 2ème acte. Dans ceminuscule hameau isolé, iln'est
guère vraisemblable de trouver une maison de vastes proportions comme doit l'être celle du
riche Daland.
Mais àpropos, oùcette maison peut-elle biensesituer? D'après les indications quedonne
lepèrede Senta, c'estàsept milles de Sandwikedirectementsurlameretnonaufondd'un fjord.
Comme d'autre part à lafin du 1er acte, ilsemet àsouffler un vent favorable venant dusud,
onendéduit que Daland habite plus au nord. Sil'onveut àtout prix fixer unendroitsurlacarte,
le port de Risôr à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Sandvika, semble tout désigné.
Sandwike est situé au sud de l'île Boroya. On y parvient facilement par la route
secondaire qui part de la route 411 à environ 3 kilomètres à l'est de Tvedestrand. C'estun
hameau fait demaisonnettes dispersées, certainement beaucoup plus nombreuses qu'en1839,
et qui sont autant de résidences secondaires; il n'y a aucun commerce et encore moins de
magasin de souvenirs wagnériens ou non. Le port minuscule n'est pas à même de recevoir un
bateau tel que laThétis que devait mesurer dans les 25 mètres. La Thétis avait dû faire relâche
àune certaine distance delarive ouprès delaparoi degranit del'îled'enface, etWagner avait
donc dû gagner le rivage en barque. Dans les indications scéniques du 1er acte, l'espace est
considérablementélargi: lerivage de Sandwike n'estpas dans un fjord; c'estune baiequi donne
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directement sur le large. Les deux bateaux qui y accostent sont certainement d'un tonnage
beaucoupplus importantque celui de la Thétis. Onpeutl'affirmeren dénombrant les choristes
qui forment les équipages, alors que l'on sait que la Thétis comptait seulement sept matelots.
On peut même ajouter que, ces sept matelots n'étant probablementpas des choristes, il afallu
une bonne dose d'imagination au compositeur pour s'inspirer de leurs chants!
Donnant directement sur leport de Sandvika, iln'yaque deux maisons dont l'une est
présentée dans certaines biographies illustrées du Maître comme étant celle où il séjourna.
Cependantlapropriétaire,toutenconfirmantquesamaisonétaittrèsancienne, m'aaffirmésans
paraître le regretter le moins du monde que ce n'était pas celle où habita Wagner. Celle-ci se
trouvait juste àcôté, mais elle n'existe plus aujourd'hui. Plus que sur le hameau de Sandvika
en lui-même, c'est surtout sur l'environnement que le pèlerin jette ses regards émus: laparoi
degranitsurmontéed'uneforêt ettombantàpicdansles eauxtranquillesdufjord, laperspective
vers la merdans laquelle les récifs rapprochés formentcomme unebarrière: ce paysageestresté
immuable tel que Wagner le contempla.J'ai aussi pu retrouver, dans le hameaude Nés surune
presqu'île au nord-ouest de Sandvika, le moulin signalé par Graarud, malheureusement
complètementen ruine; il ne chante plus, mais le frais ruisseau qui coule encascade, lui, chante
toujours.
PER ASPERA AD ASTRA
Enjouantau petitjeuquiconsisteàcaractériserparnoscinqsensl'impressionqueproduit
sur nous leVaisseau Fantôme, iln'est pas difficile d'y retrouver àchaque fois l'évocation de
la mer. Le génie juvénile du Maître fait déferler sur nos tympans des flots tumultueux de
musique etde poésie. On yvoit s'agiter les vagues de l'espace infini; on yrespire le parfum pur
etvivifiantdes embruns; notre boucheest imprégnéede l'âpreté del'eausalée. Enfin, on touche
aux profondeurs d'un océan de détresse.
Cette détresse immense qu'exprime le personnage principal aété aussi celle de l'artiste
quicomposa cette oeuvre.J'ai déjàditqu'il n'étaitguèredécentderésumerenquelques phrases
plus ou moins anecdotiques les vicissitudes misérables du séjour de Wagner à Paris et de
il
s'émerveillerbéatement qu'une évolution aussi extraordinaire deson génie aitpu s'accomplir
dans des conditions aussi pénibles ou, pour reprendre notre évocation aquatique, dans des eaux
aussi bourbeuses. Seule une lecture détaillée des diversrécits autobiographiques est à même
d'en permettre une compréhension convenable. Et la visite des lieux où se produisit cette
transformation en est un complément nullement superflu.
L'ordre chronologique nous conduit enpremier lieu au 31, rue duPont Neuf devant la
présumée maison natale de Molière oùJean-Baptiste Poquelin en buste jette un regard distrait
sur le Forum des Halles, gigantesque monument que notre monde aconstruit àlacélébration
desavanité. Wagneravécu ici, dommantlegrouHlementducommercedes victuailles.au4ème
étage dece quiétaitalors un modestehôtel, deseptembre 1839àavril 1840. C'estlà qu'ilécrivit
les premiers plans descénario de son Vaisseau Fantôme.
Nousbrûlons la stationsuivante, 25 rue du Helder, près du Boulevard des Italiens, où
Wagnerséjournapendantunan; l'immeubleaété raséquand Haussmannrestructurale paysage
urbain de notre capitale.
Et nous entreprenons une excursion jusqu'à Meudon en nous souvenant que Richard,
complètementdésargenté,fitsouventàpiedcelongparcours.Surunebiendiscrète maisonnette
au 27 avenue du Château, une plaque signale que «Richard Wagner a habité en 1841 cette
maison où il a composé le Vaisseau Fantôme». Cette plaque a été posée en 1936 après des
recherches sur lecadastre pour localiser lapropriété de Monsieur Jadin qui en avait loué le
premier étage au gentil ménage d'un musicien allemand dont la gloire était encore à venir.
Wagner avécu ici de la fin avril àla fin octobre. Le texte du poème, la musique des trois actes
et leur instrumentation sont nés dans cette minuscule retraite; si exiguë d'ailleurs que le
problèmereste posédesavoircommentRichardparvintàyfaire rentrerlepianoqu'ilavaitloué.
On peut regretter que cette maison n'ait pas été aménagée en heu de souvenirouvert au
public tant l'événement qui s'y passa est riche de signification. Récemment, un nouveau
propriétaire l'a entièrement transformée pour s'en faire un logement très confortable dont la
décoration moderne s'inspire largement de l'opéra de Wagner, mais c'est une demeure privée
qui naturellement ne se visite pas. Signalons qu'on peut voir quelques souvenirs wagnériens
dans le musée municipal de Meudon.
La dernière étape nous conduit dans le Quartier Latin, au 14 de la rue Jacob. Une petite
13
plaque au dessus de la porte d'entrée rappelle que «Richard Wagner 1813-1883 avécu ici du
30 octobre 1841 au 7 avril 1842». Aprésent ilest assez délicat d'accéder àlaseconde couroù
donne l'appartementoccupé par Wagner au 2ème étage, car la porte de l'immeubleestéquipée
d'un dispositif d'ouverture avec code et interphone. C'est dans cette maison qu'il composa
l'Ouverture duHollandais Volant avec une telle assiduité àsatable detravail qu'il y contracta
l'affection hémorroïdaire qui le gêna toute sa vie et qui acertainement contribué au mauvais
souvenirqu'il garda de sonséjourparisien. Pourne pas terminersurces basses considérations,
jevousinviteàrejoindreleshautessphèresparcetteprièrequipastichelesproductionslittéraires
de Wagner datant de cette époque et que jevous propose en conclusion:
«Détresse aux multiples visages, compagnefidèle de l'artiste, c'est toi queje veux
célébrer en terminant cette pieuse évocation. Toi qui suivis inlassablement lejeune Maître
encore inconscient de sa maîtrise, le préservant de la fortune décevante d'une gloire
prématurée. Toi, austèredéesse, quienl'enveloppantdanslenuageépaisetsombredessoucis,
de lapauvreté et de l'humiliation, aabrité ses regards des rayons enivrants de lafolle vanité
du monde. Dans ta maternelle sollicitude, tu protégeas le germefragile de son génie en lui
laissantpourseulrefuge leprécieuxberceau tressé desfibres de lapoésie etde la musique, en
même temps que dans unefarouche étreinte, tupressais voluptueusementson âme nuesurton
sein brûlant. Ainsiput naître ets'épanouirune oeuvre commejamais il n'en avait été conçue,
cartu avaisdonnéaugénie lesensdesondevoir:faireprofiterlesmortelsquiavancentà tâtons
dans les ténèbresde la vie de la lumièrebienfaisantede l'amour, de lagrandeuretde la beauté.
Daigne aussi, mère éternelle, accorderuneparcelle de tagrâce àceux quisedisent les
fidèlesduMaître, maisquiserepaissentparfoisunpeufrivolementdutrésorqu'ilnousalégué.
Amen!»
P.S.
Après une représentation àBayreuth, allez vous restaurer au Hollander Stuben, près du
Festspielhaus, Nibelungenstrasse. Le décor est très évocateur. La cuisine n'est ni hollandaise
ni norvégienne, mais elle n'en est pas moins excellente.
15
TANNHÀUSER
Tannhâuser estl'ouvrage que Wagner asitué avec leplus de précision dans l'espace
géographique. La Wartburg est un château historique qui se dresse sur une colline boisée
dominant laville d'Eisenach en Thuringe. Le Hôrselberg où lalégende place leroyaume de
Vénus est une montagne des environs. Bien sûr, ce paradis de tous les plaisirs sensuels
personne ne l'a visité; c'est un séjour de fiction onirique. Et dans la réalité de la pratique
théâtrale,c'estmêmesemble-t-iluncauchemarpourles metteursenscène.Ainsicurieusement,
à notre époque où la pornographie est devenue une des mamelles du théâtre lyrique,
Tannhâuser est un ouvrage relativement délaissé. Maintes relectures décapantes ou mus
clées, pour employer le jargon pitoyable des critiques, ne sont pas parvenues àémerger du
salmigondis de laprovocation puérile etde la vulgarité poisseuse.
Loin de cela, nous pouvons retrouver Wagneretson Tannhâuser au cours d'un voyage
qui, s'il reste imaginaire, est un mode de tourismequi al'avantage d'économiser les devises,
en n'en gardant qu'une seule, celle que Lavignac areprise de Goethe: «Qui veutcomprendre
le poète doit aller dans le pays du poète».
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LES ETAPES DE LA GENESE DE TANNHÂUSER
La fantaisie du destin a vouluque Parissoit le lieu où Richard Wagnerse sentit attiré
irrésistiblement et définitivement par le monde des légendes et des mythes de la vieille
Allemagne qui sont comme le fin vêtement simple et somptueux dont se pare la forme
humaine véridique et éternelle.
C'était pendant l'hiver de 1842; Wagner avait terminé la composition de son
FliegenderHollânderets'apprêtait àretourner dans son pays. Dans ses lectures del'époque,
ildécouvrit lessujets deTannhâuseretde Lohengrin, mais c'est lafigure deTannhâuser qui
s'imposa immédiatement à lui. Ason retour en Allemagne, aumois d'avril, le parcours de
ladiligence lui présenta laWartburg comme un augure favorable. «L'aspect de cechâteau,
qui assez longtemps seprésente trèsfavorablement aux voyageurs venant 'de Fulda, me
réchauffa extraordinairement lecoeur. Non loin de là,j'aperçus une crête de montagneque
je baptisai sur-le-champ de Hôrselberg et, tout en roulant dans la vallée, je montais en
imagination la scène du troisième acte de mon Tannhâuser. J'en conservai une mémoire si
précisequeplus tardlepeintreDesplêchins enputexécuterlesdécorsàParisd'aprèsleplan
queje lui enfournis. »
Peu après son installation à Dresde, Richard se rendit en villégiature àTeplitz, ville
d'eaudeBohême. De là, ilpartit àpied enexcursion ets'arrêta plusieurs jours dans lapetite
auberge du château de Schreckenstein. C'estlàqu'il nota leplandétaillédeson opéra en trois
actes dontletitre étaitleVenusberg. Un jouraucours d'unepromenade dans les montagnes
tchèques, ilrencontra un pâtre étendu dans l'herbe, sifflant un air de danse champêtre. Une
autre fois, dans l'église d'Aussig, il admira une peinture représentant une Vierge Marie si
belle qu'il souhaita que Tannhâuser l'ait vue: comme cela, ons'expliquerait clairement que
lehéros puisse s'arracher de Vénus sans être pourtant transporté de dévotion.
Revenu à Dresde, Wagner fut pris dans une suite d'événements très importants: la
création deRienzi enoctobre, puis celle du Hollandais Volantenjanvier 1843, sanomination
demaîtredechapelle etaussi lacomposition de sa cantate, Le Repas des Apôtres. Cependant,
il parvint à terminer le poème du Venusberg pour son trentième anniversaire. En été, de
nouveau àTeplitz, ilentama lacompositionde sonouvrage dont les principauxmotifs étaient
18
bien sûr déjà dans son esprit. Mais il fut détourné de son travail par des circonstances
extérieures, en particulier l'étude de la mythologie germanique. Le premier acte ne fut
terminé qu'enjanvier 1844. Wagner écrivit ensuite la musique du 2ème acte pendant les
congés qu'ilprit enseptembre etoctobre dans les vignobles de Loschwitz, dans lavallée de
l'Elbe près de Dresde. Puis sans interruption, il se mit au 3ème acte qui fut achevé à lafin
de l'année, mais il travailla à l'orchestration jusqu'enavril 1845. Ce travail fut délicat et
difficile car, ayant décidé de faire lithographiersapartition, Richard devaitécrire avec leplus
grand soinsur un papier spécial.
Les répétitions commencèrent en septembre et la première représentation eut lieu le
19octobre 1845. Letitreprimitif, le Montde Vénus, avaitété changéàcausedesplaisanteries
desétudiants enmédecine etétaitdevenu: Tannhâuseretlaguerre deschanteurs à Wartburg.
L'accueil fut d'abord mitigé, cequi amena Wagner àmodifier plusieurs fois lascène finale,
dès 1845 puis en 1847 (dans la version primitive, Vénus n'apparaissait pas etseul le glas
annonçait la mort d'Elisabeth). Le succès s'affirma au fil des représentations et des reprises
etleTannhâuserdevintmême un ouvrage populairejouésurdenombreuses scènes. C'estune
des raisons qui fit que biendes années plus tard, quand il chercha às'imposerdevant le public
parisien, Wagner choisit son Tannhâuser. Ce fut l'occasion d'un remaniement et d'un
importantdéveloppement de la scène du Venusberg: la Bacchanale et la deuxième partie du
duo. Il est ànoter que Wagner composa alors sa musique sur des vers en français traduits à
partir d'une esquisse en prose; ultérieurement, il plaqua un texte en allemand sur cette
musique dont le style «tristanesque» apporte un contraste pas spécialement heureux avec le
reste de l'oeuvre. Même sile Maître donnait sa préférence àla version parisienne, ildisait,
à la fin de sa vie, devoirencore Tannhâuser au monde.
Les représentations parisiennes furent l'occasion d'une fameuse bataille, en réalité
d'une minableetodieusecabale dont malgré tout leswagnériensfrançais nedoiventpas avoir
honte, tant il estvrai que s'il yaquelque chose au monde qui soit mieux partagé que le génie,
c'est heureusement la bêtise.
19
DES LIEUX POUR EVOQUER WAGNER
A PARIS
Le jeune maître qui venait de terminerson Hollandais Volant et qui découvrait dans
ses lectures le sujet de Tannhâuser habitait un très modeste logis au 14 de la rue Jacob. Une
plaque commémorativeorne aujourd'huil'entrée de l'immeuble. On peut voir également la
demeure de Wagner en 1860-61 au moment du Tannhâuserau Grand Opéra. C'est 3, rue
d'Aumale, un appartement au 2eme étage avec cinq fenêtres donnant sur la rue; ici, il n'y a
pas de plaque.
A DRESDE
Dresde a été assassinée en février 1945 et il n'y a plus de traces des maisons que
Wagner habita à l'époque de Tannhâuser. En maints endroits de la ville actuelle, flotte un
tenace parfum de nostalgie. Il n'est guère de paysage culturel plus poignant que le Theater
Platz ressuscité mais presque irréel, la Frauenkircheréduite à un monstrueux amas de pierres,
ou encore les terrasses du Briihl dont l'animation élégante s'est à jamais enfuie.
LeSemperoper, aujourd'hui magnifiquement restauré, n'est pasle théâtre(détruit par
un incendie au XLXe siècle) où fut créé Tannhâuser. On visitera aussi la Hofkirche où le
maître de chapelle RichardWagnerdirigeait de la musiqued'église, l'esprit parfois absorbé
par les harmonies voluptueuses du Venusberg.
EN BOHEME
Teplitz, jadis station thermale brillante et mondaine, n'est plus maintenant qu'une
crasseusebourgadetchèqued'hydrothérapie prolétarienne, à déconseillerformellementaux
nostalgiques sensibles. En revanche, ceux-ci peuvent se rendre au SchlossSchreckenstein,
en tchèque Hrad Strekov, en français le château du Rocher de la Peur, sur la rive droite de
l'Elbe près d'Usti nad Labem (anciennement Aussig). Dans le couloircouvert qui conduit
à laforteresse, unetrès belleplaque,avecsonprofilen bas-relief,rappellelesouvenir de notre
cherMaître:«HierentwarfRichard WagnerinSommer1842denPlanzuseinemTannhauseD>.
On peut voir aussi l'unique salle exiguë de l'auberge; c'est là que chaque soir on arrangeait
20
une pauvre litière pour le poète musicien. Une nuit, enveloppé de son drap de lit, il grimpa
surles ruines pourse donnerl'illusion d'être un revenant, aveclapensée délicieuse que peutêtre quelqu'un leverrait ettremblerait d'épouvante!
AEISENACH
Si Wagner ressentit une impression exaltante àla vue de la Wartburg àson retour en
Allemagne en 1842, il ne jugea pourtant pas utile de venir s'imprégner de l'ambiance des
lieux quand il écrivit Tannhâuser. Ene visita le château que le 15 mai 1849, au moment où
il devait fuir sa patrie pour échapper àune arrestation certaine àla suite de la révolution
manquée de Dresde. Cette visite avait la signification symbolique d'un dernier regard sur
l'Allemagne qu'il quittait en proscrit. Douze ans plus tard, enfin amnistié, il put se rendre à
Weimaretenprofitapourcontemplerune nouvellefois la Wartburgqui entretemps avaitété
restaurée; mais il ne ressentitqu'une impressionde grandefroideur, flyfit une dernièrevisite
en famille avec Cosima en 1877.
Les liens entre Wagneret la Wartburgétaientdoncplutôtdu domaine de l'idéalisation
d'une certaine idée de la patrie allemande. Mais il s'estétabli pour la postérité des liens plus
immédiats puisqu'à Eisenach se trouve un important musée Richard Wagner. Dabrite une
très intéressantecollection constituéeparun amateurviennois àlafin du 19esiècle. Mais ces
objetsetdocumentsprésentésfroidementdansunemaisonétrangère (cellede l'écrivainFritz
Reuter) font plutôt l'effet d'une exposition. Bmanque àce musée la chaleurd'une présence.
Al'attention des assoiffés, il faut signalerque le café du théâtre d'Eisenach s'appelle
Tannhâuser.
DES LIEUX POUR EVOQUER TANNHÂUSER
Vactionsedérouledans troisdécorsdifférents: lagrottede Vénus, puisunevalléeprès
de la Wartburg au 1er acte; la salle des chanteurs àla Wartburg pour le 2ème acte; et de
nouveau la vallée parée des couleurs de l'automne au troisième acte.
LamontagneoùestsituéelagrottedeFrauHoldas'appelleHôrselberg.Ucrêteboisée
23
qui portece nomse dresseà l'est d'EisenachdanslavalléedelaHôrsel endirection de Gotha.
Donc, poursuivrestrictement lesindications scéniques (Wartburg à droiteet Hôrselberg au
loinàgauche),ilfaudraitseplacerquelquepartaunord-ouestduchâteau.J'avouenepasavoir
cherché un très problématique pointde vuesusceptible de convenir.
Lecheminqui mène à lagrotte estcertainement très,trèsdifficileà trouver; car la belle
déesse ne veut certainement pas être éternellement importunée par un défilé d'auteurs-
compositeurs galants quiviendraient tenter leurchancecomme auradio-crochet. Cependant,
cesdifficultés n'empêchent paslestéméraires membres du Cercle Wagner d'Eisenach dese
promenerdans leHôrselberg etdes'aventurerdans une grotte baptisée «TannhâuserHôhle».
Qu'en est-ilexactement, je nesaispas; mais dèsquej'ai un moment, je prends contactavec
eux à ce sujet et je vous tiens au courant.
D est beaucoup plus facile de trouver le chemin de la grotte artificielle que se fit
fabriquer Louis EdeBavièredans leparcde sonchâteaudeLinderhof. Pauvre roi des ombres,
amant fanatique de lasolitude, s'il voit ceflot incessant detouristes indiscrets qui profanent
son univers intime. Peut-être a-t-il quelque indulgence pourceux qui s'émerveillent de sa
féerie de pacotille etqui l'aiment. Bien sûr, à Linderhof, il y a seulement, entoile de fond
à l'arrière du petit lac, une peinture représentant Vénus, Tannhâuser et les autres. Tant pis
pour les visiteurs qui s'attendaient peut-être à voir évoluer dans ce décor souterrain des
naïades, des sirènes, des nymphes et des bacchantes, languissantes ou effrénées, moites et
parfumées, comme au ClubMéditerranée.
C'est le moment de rappeler les visions érotico-mythologiques que Wagner a
mentionnées dans lesindications scéniques du Venusberg: l'Enlèvement d'Europeet Léda
etleCygne. Ces épisodes ont inspiré de nombreux peintres, enparticulier Paolo Veronèse.
Pourévoquer ledécor du deuxième acte, ilyabien dans lechâteau delaWartburg une
salledesChanteurs oùse trouve une peinture murale deMoritz vonSchwind représentant le
tournoi des Chanteurs et où Wolfram von Eschenbach ressemble beaucoup à Franz Liszt.
Mais cette salle simple et sévère, au plafond assez bas supporté pardes piliers, ne saurait
convenirau cortège etau rassemblement des gentesdames etnobles chevaliers. La vaste salle
des fêtes delaWartburg, réaménagée au 19è siècle, estbeaucoup mieux adaptée àcetype de
réunion. Dans cettesalle, Liszt dirigea sonoratorio, «Lalégende de Sainte- Elisabeth», en
24
1867. C'est dans ce même lieu, qu'une assemblée d'étudiants lança en 1817 son appel à
l'unité de la patrie allemande, contribuant à faire de la Wartburg, avec le souvenir de Luther
et la touche wagnérienne, un symbole monumental de la nation.
Bien évidemment, Louis E a voulu avoir sa salle des chanteurs au château de
Neuschwanstein. Elle est très imitée de la salle des fêtes de la Wartburg et sert à l'occasion
de cadre à des concerts wagnériens. De plus, à Neuschwanstein,dans le cabinet de travail du
roi (qui avait de bien drôles de façons de travailler, diront certains), on peut admirer les
gracieuses peintures deJosephAigner représentant Tannhâuser chezVénus, Tannhâuser au
tournoi de chant, Tannhâuser implorant le pardon du Pape.
Pour terminer, nous prenons garde de ne pas oublier de mentionner des lieux qui
évoquent des personnages de l'opéra ayant eu une existence historique:
- Wolfram von Eschenbach a son village natal qui porte son nom, au sud-est
d'Ansbach. Leminnesânger, auteurdeParzifal,asastatuesurlaplaceduvillage, pittoresque
et romantique à souhait.
- Walther von der Vogelweide repose depuis 1230 dans un petit jardin près du
Neumûnster de Wurtzbourg. E a aussi sa statue sur la place de la Résidence de la ville.
- Sainte-Elisabeth a sontombeau dans unegrande église gothique qui lui a été dédiée
àMarbourg, laville oùelle est morte en 1231. D'autre part, Schwind apeintdans une galerie
de laWartburg des fresques représentant les principaux épisodes de savie ou desalégende.
Quant à Vénus, on peut l'admirer qui brille dans le ciel des beaux soirs d'été. Les
larmes qu'elle verse ensesouvenant d'avoir vu passer l'âme d'Elisabeth forment une rosée
qui féconde de ses sortilèges la nostalgie de bien des poètes. Quand même, avec cette
Romance à l'Etoile d'apparence anodine, Wagner a réussi une de ses plus prodigieuses
performancesdans sondomaine privilégié, àsavoirl'ambiguïté. Libre àquiconque de penser
qu'il s'estplanté lamentablement, parce qu'il était nul en astronomie; libre à moi aussi de
voir, dans l'adresse de Wolfram à la Vénus du ciel,une merveille de syncrétisme dualiste.
27
LOHENGRIN
Bien que le lieu et l'époque où se passe l'action aient été précisés par l'auteur,
Lohengrin n'est pas du tout un opéra historique, mais bien plutôt un conte merveilleux et
allégorique pour lequel la recherche de décors naturels peut paraître superflue. En effet,
l'atmosphèrede rêvequi enveloppecettelégende nostalgique n'appelle pas particulièrement
la rigueur historique et géographique, mais au contraire s'accommode fort bien d'une
stylisation desdécorspoussée parfois jusqu'àl'abstraction. PourtantWagnerinsista dansses
indicationsscéniquespour que lescoutumes et lescostumes de l'époque, la premièremoitié
du Xème siècle, soient restitués avec fidélité. Mais par contre, les indications qu'il donna en
matière de décorssont assezéloignées de la réalité: situerle burgd'Anvers ausommetd'une
montagne, c'est presque un gag ou une histoire belge. D'ailleurs le Maître lui-même s'en
rendit compte quand, enmars 1860, il profita d'un séjour à Bruxelles oùil étaitvenudiriger
desconcerts pourfaire uneexcursion à Anvers. Voilà cequ'il raconte dans son autobiogra
phie:
«Je mecontentais de voir la ville quin'arien du cachet antique auqueljem'attendais.
La célèbre citadelle me désappointa absolument. Pour les décors du premier acte de mon
Lohengrin, je m'étais imaginé qu 'elle avait l'aspect d'un vieux burg se dressant surune
colline quelconque de l'autre côté de l'Escaut: au lieu de cela, je n'aperçus que des
29
fortifications à ras de terre, dansuneplaine sans bornes. Quandplus tardj'assistais aux
représentations de Lohengrin, je nepouvaisjamaism'empêcher de sourire duchâteaufort
que le décorateurplace d'ordinaire sur une montagne aufond de la scène.»
Dansladernière phrasedecettecitation, Richard necraintpasd'avouer qu'il se laissait
parfois distraire par des idées vagabondes en assistant à une représentation d'un de ses
drames. Voilà peut-êtrede quoi réconforter les wagnériens à l'attention parfois capricieuse.
Pour moi, c'est en plus commeunejustificationde mesrecherchesde topographie. En effet,
quand vous êtes obligés de supporterune Eisa dont la voix est animée de vibrations aussi
pénibles à entendre que sont à voir celles de son monstreux abdomen, ou bien quand vous
avez la certitude dès le début du Récit du Graal que le ténor, qui s'est déjà égosillé dans le
duo, va coincer sur le premier la de la phrase finale et se planter sur le second; dans ces
circonstances difficiles dis-je, il est bien agréable de pouvoir brancherson esprit sur d'autres
images: par exemple celles de l'époque et des lieux dans lesquels Wagner écrivit son ouvrage
ou encore celles de paysages capables de nous mettre par la pensée en contact avec le monde
légendaire de Lohengrin.
LA GENESE DE L'OEUVRE
C'est pendant l'hiver de 1842que Wagnereut la révélation du sujet de Lohengrin en
lisant dans les comptes-rendus d'une société savante, les «Mémoires de la Société allemande
de Kônigsberg», l'article d'un certain Lucas parlant en détail du poème moyenâgeux du
Tournoi de la Wartburg et de l'épopée qui lui fait suite racontant la légende de Lohengrin.
E s'agissait d'un récit du Xllème siècle à l'inspiration religieuse et cléricale très prononcée.
Dans son autobiographie, Richard dit qu'il conservade Lohengrin «une image ineffaçable»,
ce qui signifie que la conception du sujet a mûrilentement dans son esprit au cours des trois
années qui séparent cette première rencontre de la rédaction de l'esquisse en prose, écrite à
Marienbad pendant l'été de 1845. C'est l'époque pendant laquelle, en même temps qu'il
écrivait Tannhâuser, Wagner se plongeait dans l'étude de la mythologie et des coutumes
allemandes en lisant lessavants ouvragesdeJacob Grimmsur les traditions germaniques du
haut moyen-âge.
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Pendant sa cure à Marienbad en juillet 1845, il lut le Parzifal de Wolfram von
Eschenbach et l'épopée anonyme deLohengrin dans des adaptations d'auteurs contempo
rains. L'image du chevalier au cygne obsédait tellement son imagination qu'il résolut pour
s'en défaire d'écrire le scénario de sesMaîtres Chanteurs conçuà lasuitede la lecture d'une
histoire de la littérature allemande. Maisle remède n'eut pas d'effet et dès que Hans Sachs
eut prononcé sa harangue finale, la figure nostalgique et passionnée de Lohengrin parut à
nouveau. Imaginons un instant notre jeune kapellmeister qui se livre de bonne grâce aux
bienfaits de l'hydrothérapieetqui tout àcoupsaute desabaignoire, s'habille àlahâte etcourt
comme unfou àson logis pourjetersurlepapierleplanscénique de son futur opéra. Ilacheva
ce texte en prose extrêmement détaillée le 3 août 1845 etquelques jours après, il regagna
Dresde pour préparer la première représentation de Tannhâuser qui eut lieu le 19 octobre.
Quelques semainesplus tard, 1'infatigableRichard qui avaittrouvé letemps de rédiger
son poème versifié, endonna lecture à un cercle d'amis parmi lesquels figuraient Robert
Schumann. Lenébuleux Robert trouva lesujetàsongoûtmais ildéclara sedemander quelle
forme musicale onpourrait bien lui donner. (Quand on connaît la forme qu'il donna à sa
Genovevaqui le turlupinait àce moment-là, on comprend lesens deson interrogation). Bfaut
savoirque même après avoir terminé son poème, Wagner n'avait qu'une idée assez floue du
drame de Lohengrin. C'est en particulier le dénouement qui posait problème à lui et à
plusieurs deses amis qui trouvaientinjustequele départde Lohengrinsoit aussi une punition
pour Eisa. Plus tard, il fut heureux de reconnaître la justesse de son intuition quand des
éléments de sa vie-même lui donnèrent le véritable sens de son poème. En effet, Wagner
connut alors une grave crise morale ce qui explique qu'il ne commença la composition
musicale de Lohengrin qu'à l'été suivant. L'hiver 1845-46 semble être un passage vide et
pénible de sa vie où, après le succès très mitigé de Tannhâuser, il a l'impression d'être
incompristantdu public que de l'élite intellectueDeetartistique, en même temps qu'il ressent
l'inanité desa carrière de chef d'orchestre. Cette difficile question de l'orientation de sa vie
d'artiste se pose sur le fond de la morosité de sa vie conjugale, aggravée par de très vives
inquiétudes concernant sa situation financière: il avait dû s'endetter fortement pour faire
publier ses trois premiers opéras dont les ventes étaient restées à peu près nulles. Son
désespoirputse changeren enthousiasme grâce àl'étude de la DCè Symphonie de Beethoven
31
dont il put présenterpour le dimanche des Rameaux uneexécutionexemplaire qui connut un
immense succès.
Pour se remettre définitivement de ses soucis, il demanda alors un congé de trois mois
qu'il passaà la campagne, dans lesenvirons de Dresde, à Gross-Graupa où il séjourna dans
une modestemaisondu villagedu 15maiaudébutdu moisd'août 1846. C'est là qu'il écrivit
l'esquisse de composition des trois actes de Lohengrin. A ce propos, il faut rappeler
l'anecdotesuivante: lorsqu'il voulutsemettre àlamusique deLohengrin, Richardfuttroublé
jusqu'audésespoir parles mélodies de Guillaume Tell de Rossini qu'il venait de diriger et
qui le poursuivaient constamment. Tout à fait malheureux, il trouva un antidote à cette
obsessionen chantanténergiquement le premier thème de la Neuvième Symphonie. E y a là
peut-être un germe d'explication à la forme musicale de Lohengrin que l'on peut trouver
parfois composite ethétérogène et à son style par endroit untantinet rétrograde et pompier.
En septembre, Wagner reprit son travail de composition en commençant par le
troisième acte qui ne fut terminé qu'au mois de mars de l'année suivante, à cause d'une
interruption assez longue pendant l'hiver pour seconsacrer à un important remaniement de
l'Iphigénie en Aulide de Gluck. En mai etjuin47, ils'attaqua à la composition dupremier
acte, puis à celle dudeuxième, avant definir parleprélude dupremier acte dans lesderniers
jours dumois d'août. Cet été-là, Richard qui avait déménagé pourhabiter unappartement de
l'ancien palais Marcolini, entouré d'un parc très agréable dans unquartier périphérique de
Dresde, n'avait pas senti lebesoin departirenvillégiature. Blui restait àétablir l'orchestra
tiondéfinitive et à mettre aunetsa partition qui fut définitivement achevée le 28 avril 1848.
C'est alors que sa situation se dégrada gravement, tant à cause de son agitation
politiqueque de sabrouilleavec l'intendancedu théâtre royal. Les préparatifs pourfaire jouer
Lohengrin furent décommandés par suite del'attitude rebelle du maître dechapelle, cequi
bien sûrne fitqu'accroître l'amertume, lemépris etl'indifférence decedernier. L'exécution
dufinal dupremier acte dans un concert de gala qui célébrait letricentenaire de laChapelle
royale de Dresde au mois de septembre, n'avait été qu'une maigre consolation. L'année
suivante, Wagnerquittasapatrie pourun exil qui devaitdureronze ans. Etilluifallut attendre
une année deplus avant depouvoir assister àune représentation deson Lohengrin à l'Opéra
de Vienne en mai 1861. Mais dès 1850, il avait confié le sort de son ouvrage à Franz Liszt
qui en présenta la première exécution à Weimar, le 28 aoûtde la même année.
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LES LIEUX OU LOHENGRIN APPARUT A WAGNER
*Le14delarueJacob àParis, oùWagners'intéressa aux légendes allemandes comme
sujet de ses opéras àvenir, et la maison «A la feuille de trèfle» àMarienbad, où Hans Sachs
et Lohengrin se disputaient les faveurs du cerveau hyper-actif du jeune maître, sont, ou du
moins devraientêtre, des hauts lieux du pèlerinage wagnérien neserait-il qu'imaginaire. Ces
deux maisons existent toujours et sont ornées de plaques rappelant les séjours qu'y fit
Wagner. On avu ou on reverra ces maisons en parlant du Hollandais, de Tannhâuser, des
Maîtres Chanteurs et de Parsifal.
* ADresde, la maison ayant vue sur le Zwinger au 6 Ostraallee, que Wagner habita
jusqu'en avril 1847, aété détruite dans les bombardements de 1945. C'est là qu'il écrivit le
poème et composa la musique du troisième acte. En revanche, on peuttoujours voirle palais
Marcolini,41 Friedrichstrasse où il eutun appartementd'avrill847àmai 1849. C'estlàqu'il
composa les actes Iet nainsi que le préludeetqu'il mena àbonnefin letravailsurla partition
définitive. Ce palais est aujourd'hui un hôpital de la ville de Dresde. Une plaque de pierre
placée au-dessus d'un portail indique que Wagner avécu ici en 1847-49; une deuxième
plaque en bronze avec portrait du Maître en médaillon rappelle que Richard Wagner,
compositeur et maître de chapelle au théâtre de la Cour de Dresde travailla ici, entre autres,
àla partition de Lohengrin. Bhabitait au premierétage de ce qui est maintenantle service de
radiologie; en pénétrant dans l'hôpital, on peut repérer son logement dont l'entrée donnant
sur le parcest décorée d'une lyre.
*Plusspécifiquementconsacrée au souvenirde Wagneretde Lohengrindans larégion
de Dresde, est la maison où il passa l'été 1846 et où il écrivit l'esquisse de composition de
son ouvrage dans le village de Gross-Graupa à une dizaine de kilomètres au sud-est de
Dresde. C'est aujourd'hui un musée Richard Wagner, modeste mais sympathique et
intéressant (Richard WagnerStrasse).Toutprèsdecette maisonLohengrin,on adisposédans
un minusculejardin public une belle tête de Wagner sur un socle et comble de délicatesse un
couple decygnes évolue dans un petit bassin.
Et puis cette région renferme un autre sanctuaire du culte wagnérien, c'est un énorme
et extraordinaire monument, perdu comme abandonné en pleine forêt, adossée àune paroi
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rocheuse aubordd'un torrent. Bse trouve non loindeGraupa, sur lacommune de Liebestal
dans le hameau de Mûhlsdorf au lieu-dit Lochmûhle. Réalisé dans les années trentepar le
sculpteur Richard Guhr, ce monument étrange et impressionnant exhale ostensiblement les
effluves délétères des chimères del'Allemagne d'alors. LeMaître, statufié dans le bronze,
revêtud'une ample robe, paraîtfigé dans unesortede majesté divinequi n'estpas du meilleur
goût. Sur le socle de la statue est inscrit ce vers du Récit du Graal:
«DesRitters drum sollt Zweifel ihr nicht hegen»
Vous ne devez pas nourrir de doute envers le chevalier.
*Ilnous reste àévoquerlacréationde l'ouvrage le28 août 1850. Le théâtre de Weimar
où Liszt dirigea la première représentation de Lohengrin aété remplacé par un édifice plus
moderne. C'est aussi ce qui estarrivé àl'hôtel du Cygne àLuceme, oùRichard étaitdescendu
ce jour-là et d'où il suivit en pensée le déroulement de la première représentation.
L'établissement actuel, qui est un restaurant, aconservé le souvenir de Wagner en donnant
son nom àun salon de réception joliment décoré: on ne peut rêver de meilleur cadre pour un
banquet de wagnériens en pèlerinage dans la région.
DES LIEUX OU LOHENGRIN PEUT APPARAITRE AUX WAGNERIENS
Biensûr, je ne peux faire aucune propositionsérieuse de décornaturel pour le premier
acte etledeuxième tableau du troisième acte: une prairie aubordde l'Escaut, avec àl'arrière-
plan la citadelle d' Anvers sur une hauteur, ça n'existe pas; et Wagner lui-même l'avait
constaté sur place. De plus, il serait illusoire de chercher dans la ville actuelle d'Anvers une
quelconque réminiscence de la venue de Lohengrin, pas plus que la moindre babiole
représentant le chevalier et son cygne dans les magasins de souvenirs. D'ailleurs, en raison
de l'énorme trafic du port, la remontée du cours de l'Escaut est strictement interdite aux
petites embarcations tirées par des cygnes.
Lavieille citadelle d'Anvers, la forteresse du Steen, ne peut pas non plus prétendre
valablement servir de décor pour ledeuxième acte. L'édifice dont les origines remontent au
LXèsiècle aétéplusieursfois restauréet remanié, etde nosjours, il abrite un musée demarine.
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Avec ses dimensions modestes, sa minuscule cour intérieure ne saurait convenir aux
évolutions de masses chorales, même dans un petit théâtre en proie à de gros problèmes
budgétaires. Par contre, lacathédrale d'Anvers, laplus belle de Belgique, est majestueuse à
souhait; eton pourrait imaginer lecortège d'Eisa s'y rendant depuis lechâteau qui n'estpas
trop loin. Mais elleestdu plus beaugothiqueduXEIèsiècle, soitde troiscents ans postérieure
à l'époque où se situeLohengrin.
( Je vous signale simplement entre parenthèses le Château du Cygne, ancienne
résidence des comtes de Clèves. Une autre versionde la légende médiévale place l'action
dans la région de Clèves qui se trouve en Allemagne non loin de Nimègue, à lafrontière
néerlandaise; dans ce cas, Lohengrin etson cygne auraient donc voyagé sur leRhin.)
Une image satisfaisante du décor du deuxième acte nous est offerte par lagrande cour
supérieure du château de Neuschwanstein édifié parle roi Louis Ede Bavière. C'est presque
«du sur mesure» puisque Louis II, qui s'ilajamais été fou était surtout fou de Wagneretde
Lohengrin, fit édifier ce château d'après les esquisses d'un décorateurde théâtre. D'un côté,
la demeure des femmes, la Kemenate; aufond, lademeure deschevaliers, le Palas:c'est tout
àfait ce qui convient; ilmanque seulementl'église surlecôté droit, elle étaitpourtantprévue
sur les plans, au pied du donjon, mais elle n'a pas été construite. Le style architectural de
Neuschwanstein est du roman tardif bâtard plus ou moins byzantinisant et mâtiné de
gothique, c'est-à-dire qu'il ne diffère pas tellement de celui de la basilique lyonnaise de
Fourvière qui a d'ailleurs été construite à peu près à lamême époque.
A l'intérieur du château, dans les appartements du roi, le grand salon est omé de
plusieurs peintures murales consacrées àla légende de Lohengrin. Quant àla chambre à
coucherde Louis E,elle ne peuten aucune façon être proposée comme décorpourla chambre
nuptiale du troisième acte; pas tellement àcause de son style gothique qui serait anachroni
que, mais pour un motif absolument rédhibitoire: le lit est un lit àune place!
Aproximité de Neuschwanstein qui se trouve comme vous savez dans les Alpes
bavaroises prèsde Fûssen, un autre château où LouisEpassason enfance, Hohenschwangau,
offre également de nombreuses évocations de Lohengrin tant par les fresques de la salle du
chevalieraucygne que parla représentationdu gracieux palmipèdequi décoretoutlechâteau.
Bfaut se rappeler que Wagner, répondant à l'invitation du roi. y séjourna pendant une
37
semaine en novembre 1865. Et que pour faire plaisir à son souverain bien-aimé, il fit exécuter
lesfanfaresde Lohengrin par la musique militaire localepostéeen hautdes toursdu château.
Près de Hohenschwangau se trouvent deux beaux lacs, l'Alpsee et le Schwansee. C'est sur
le premier que Louis II s'était fait préparer une petite fête nocturne pour son vingtième
anniversaire: un cygne mécanique tirait une nacelle sur laquelle se tenait un aide de camp
costumé enLohengrin etéclairé par une lumière électrique. Le modeste touriste wagnérien
devra se contenter de suivre sur ces eaux calmes les évolutions de quelques gracieux
palmipèdes.
C'est surcette image noble et mystérieuse, fascinante et gracieuse de l'oiseaublanc
que nous pouvons clore cette évocation des décors naturels de Lohengrin: un cygne qui
s'avancesurunlac,ousurunétangoumême dans unmodeste bassin, noussuffitànous,pour
nous transporter dans un autre monde: c'estun peu cela, être wagnérien.
39
TRISTAN ET ISOLDE
Compte tenu de latendance immuable de Wagner au grandiose pour ne pas dire à la
démesure, Tristan et Isolde apparaît comme son oeuvre la plus intimiste. Bestcurieux de
noter qu'il ait dénommé «Handlung» (action) ce drame qui est plutôt un immense poème
musical. L'attention du spectateur, qui est avant tout un auditeur, seconcentre surles deux
héros; les autres personnages se trouvent réduits, malgré l'importance etlabeauté musicale
de leurs interventions, àjouerdes rôles finalement secondaires. D'une manière analogue, les
éléments de décor de la pièce s'effacent devant le drame intérieur vécu par les deux
protagonistes.
Par contre, quand on veut replacer Tristan dans l'ensemble des ouvrages de Wagner,
ilest absolument impossible de faire abstraction du contexte biographique dans lequel il a
été conçu. Une sorte de nécessité s'impose au profane comme au wagnérien le plus endurci:
pour écrire ce chef-d'oeuvre éblouissant du romantisme musical, il fallait que le génie de
l'artiste soit sublimé par l'amour de sa muse.
Aussi dans cette évocation des décors naturels, ce sont surtoutles décors biographi
ques que je vous inviterai àvisiter, me contentant d'indiquer quelques sites servant de cadre
à la légende moyenâgeuse.
41
NOTES SUR LA GENESE DE L'OEUVRE
PourTristan,commetoujourschezWagner, ils'écoule une assez longuepériodeentre
lapremièreintention, c'est-à-direlechoixd'unsujetdramatique,etla réalisation proprement
dite. La première conception remonte à l'automne 1854, faisant suite à la lecture de
Schopenhauer. Richard s'en ouvre à Franz Liszt dans une lettre célèbre en date du 16
décembre; toutefois, son intentionn'est pas assez forte pour le détourner de son travail de
composition de la Walkyrie. C'est seulement un an plus tard qu'il conçoit son esquisse
dramatiqueavecplus de précisionaprèsavoirprisconnaissance d'un projet de sonjeune ami
Karl Ritter ayant lui aussi pour sujet la légende de Tristan et Iseut Puis dix-huit mois
s'écoulent encore: le temps pour Wagner de composer les esquisses des deux premiers actes
de Siegfried et d'enflammer sa force créatrice dans son amour passionné pour Mathilde
Wesendonck.
Dès lors tout va aller très vite: le scénario détaillé en prose est commencé le 18 août
1857 et le poème définitif est achevé un mois plus tard. La composition du 1er acte est
entamée au début du mois d'octobre. Wagnertravaillesuivant la méthode à trois niveaux qui
lui est habituelle: ébauche de composition, puis esquisse orchestrale et enfin partition
définitive; les trois étant intriqués avecuncertain décalage. Pour la mise au net de la partition,
il n'attend pas d'avoir terminé un acte, car il envoie immédiatement son travail, scène par
scène, à la maison d'édition Breitkopf et Hartel qui en réalise l'impression.
Vucescirconstances particulières, ilseraitnécessaire d'énumérer une bonnevingtaine
de dates pour établir un calendrier précis des étapes successives de la composition, en y
intercalantd'ailleurs les cinq liederdont deux (Trâume et Im Treibhaus) sont des prémices
pour Tristan. B est préférable de s'en tenir à des repères plus généraux:
- octobre 57 - avril 58:1er acte (à Zurich)
- mai 58 - mars 59:2ème acte (à Zurich puis à Venise)
- avril 59 - août 59: 3ème acte (à Luceme)
La partitionimprimée, revueet corrigée seraprêteautoutdébutde l'année 1860.Mais
ce n'est que cinq ans plus tard, aprèsbiendes vicissitudes, que l'oeuvre sera créée à l'Opéra
Royal de Munich.
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En dehors de certaines considérations extérieures (un certain découragement en face
de l'immense travail de la Tétralogie et la perspective des difficultés d'une éventuelle
représentation; mais aussi une proposition fantaisiste en provenance du Brésil pour yfaire
jouerunopéranouveau... enitalien!), l'élémentdéterminantqui apousséWagneràécrireson
Tristan estsans nul doute son amour pour Mathilde Wesendonck. Etlefait que cette passion
n'aiteud'autre issue qu'en un douloureux renoncement acertainement accentué le caractère
exalté et désespéré de l'oeuvre. Si je renonce àm'étendre sur ce sujet intime, cela signifie
nullement que je le néglige. Beaucoup de biographes en ont parlé longuement et beaucoup
mieux que je ne saurais le faire. Le mystère pudique dont les deux protagonistes ont voulu
entourer cetépisode de leur vie, les longues plaintes de Wagner dans sonJournal et dans ses
lettres à Mathilde, le«non-dit» que l'artiste aexprimé dans samusique, tout cela confère à
cette histoire un charme sibyllin qu'il ne faut pas trop chercher à éclaircir. C'est le voile
diaphane que je souhaite disposer devant les décors naturels que je vais décrire.
LES DECORS BIOGRAPHIQUES
Après ces brefs éléments chronologiques qui ont fait office de prélude, nous pouvons
leverle rideausur les décors naturels du Tristan vécu par Richard Wagner.
Ce qu'il y a de particulièrement intéressant dans ces décors, outre leur qualité
intrinsèque puisqu'il s'agit toujours d'édifices somptueux, c'est qu'ils s'adaptent
remarquablement àchacun des trois actes du drame. Best même possible d'imaginer qu'ils
servent de base à une mise en scène:
Au premier acte, le grand bateau serait représenté àl'avant par la villa Wesendonck
oùsetiendrait Isolde etàl'arrière parl'Asilede Richard où setiendraitTristan. Le grand parc
et ses beaux arbres remplaceraient la mer. Le deuxième acte se passerait dans la cour
intérieure duPalais Giustiniani à Venise etletroisième dans ledécor surchargé demarbre,
de stucs et de dorures de l'hôtel Schweizerhof à Luceme.
Avec au fond pour fermer le cadre de lascène, tout au long de ces trois actes, une
immense projection du visage deMathilde Wesendonck.
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Mais dans ma mise en scène, ce seraient les véritables héros de la légende immortelle
qui évolueraient dans ces décors anachroniques et non pas une bourgeoise en crinoline,
flanquée d'un officierde la marine suisse, près d'un piano à queue sur lequelest posé une
partition de Tristan.
La villa Wesendoncksurplombe le lac de Zurich sur une colline à l'ouest de la viUe
dansle quartierde Enge. Devenue propriété municipale, elleestconnue aujourd'huicomme
muséeRietberg et abrite unecollection d'art d'Extrême-Orient très réputée. Le magnifique
parc est maintenant un jardin public. La construction elle-même a conservé son aspect
d'origine, mais elleaétévidée detoute sadécoration intérieure. (Asignaler qu'unepartie du
mobilier des Wesendonck se trouve maintenant dans la propriété de la famille WiUe à
Mariafeld et que des toiles de l'importante collection de peintures d'Otto Wesendonck,
notamment un très beau portrait deMathilde, sont exposées au musée de la ville de Bonn).
Le visiteur peut néanmoins admirer l'extérieur de la villa et le majestueux escalier
intérieur où Wagner disposait un orchestre lors de concerts privés. Un rapide coup d'oeil
suffira à rassurer les bons bourgeois qui sont ébahis par les libéralités d'Otto Wesendonck
envers Wagner: cela n'apas dû trop entamersa fortune. D'ailleurs, il est probable que du haut
du ciel, l'avisé Otto considère ces prêts à fonds perdus comme le meilleur de tous ses
investissements.
B doit aussi regretter que la ville de Zurich ne soit guère pressée de reconstituer, ne
serait-ce que dans quelques pièces, l'aménagement d'origine. Quant au visiteur wagnérien,
il doit se contenter d'une plaque émaillée à l'entrée de la maison et d'une stèle dans le parc
(peu séduisante et difficile à trouver) sur laquelle une inscription (difficile à déchiffrer!)
rappelle le séjour de l'illustre Maître en ces lieux. Le souvenir des Wesendonck est aussi
présent par le monument funéraire de leur petit Guido qui a été transféré du vieux cimetière
et installé près de l'entrée de la villa. Cetransferta été effectué grâce aux efforts deJûrg Wille
qui a fait également don du buste de Richard Wagner qui se trouve à présent dans le parc de
la villa Schônberg de l'autre côté de la Gablerstrasse.
Aujourd'hui dépendance du musée, la villa Schônberg a été bâtie vers 1890 autour de
l'Asile de telle sorte que celui-ci n'est plus reconnaissable bien qu'il n'ait pas été démoli
(plaque explicative à l'entrée). Le balcon métallique à l'arrière de la maison est celui sur
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lequel donnait le cabinet de travail de Wagner. En 1983, une exposition riche de précieux
documents avait été réalisée dans cette pièce dupremier étage, mais leshelvètes n'ont pas
jugéutile de lui donnerle caractère définitif d'une salle commémorative. Onestpourtant ici
dans unhautlieuwagnérien: c'estici que Wagneraécrit le poèmede Tristan, qu'il acomposé
tout le premier acte, l'esquisse du deuxième acte, les lieder sur les poèmes de Mathilde; et
au début de son séjour, ily avait travaillé àlacomposition du deuxième acte de Siegfried.
C'est également ici qu'il a vécu une des périodes les plus exaltantes de sa vie
personnelle, qu'il a aimé etsouffert d'une passion peut-être banale mais que son génie a
transmutée pour l'éternité. Auprès detels témoins depierre, lerecueillement peut emporter
très loinoutrèshaut notre imagination. Ces petits exercices derêverie méditative apportent
une intimité particulière avec les oeuvres etleur auteur, intimité qui, sielle ne remplace pas
les connaissances venant de l'étude et de l'expérience, constitue cependant un petit«plus»
permettant à l'admiration de devenir plus chaleureuse, c'est-à-dire affectueuse.
AVenise, lepalais Giustiniani où Wagner, après avoir quitté Zurich, vécut jusqu'au
printemps 1859, est situé sur le Grand Canal àla hauteur de sagrande boucle. C'est ici qu'il
termina le deuxième actede Tristan. Onpeut contempler à loisir ce palais depuis le Campo
San Samuele sur l'autre rive. C'est donc dans la direction de Saint-Marc, le deuxième
bâtiment après le palais Foscari (qui abrite l'Université): lepalais Giustiniani-Brandolini.
Wagner y occupait un appartement au 1er étage composé d'ungrand salon dont les fenêtres
donnent surlaloggia, d'unechambre etd'uncabinet attenant auxquels correspondent deux
petits balcons surle côté gauche enregardant le palais. L'entrée porte le N° 3228 dans la
minuscule calle Giustiniani qui part du Campo dei Squelini.
Bn'estpas facile d'y pénétrer. Une première fois, j'ai euleconcierge parsurprise: j'ai
puainsi observer rapidement lacour intérieure, bien classique des palais vénitiens, avec son
puits traditionnel, legrand couloir traversant le bâtiment pour aller donner surlecanal et, à
l'arrière, un petit jardin surélevé. Ladeuxième fois, j'ai eudroit à une visite en règle après
avoir obtenu l'autorisation de la comtesse Brandolini. Nous avons donc pu pénétrer dans
l'appartement de Wagner. J'ai pris letemps decontempler lecanal enposant les mains sur
la balustrade, refaisant le geste de Wagner enpensant à cesoirtragique où,se cramponnant
à cette balustrade, il pensa mettre fin à son désespoir ense précipitant dans leseaux noires
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du Grand Canal. B hésita, renonça et put ainsi terminer la composition et l'instrumentation
du deuxième acte de Tristan. Lors d'un autre passage à Venise, j'ai essayé de visiter encore
une fois le palais. Mais comme je n'avais pas adressé de demande préalable, je me suis fait
tout bonnement éconduire par le conciergeau moyende son interphone; c'est d'ailleurs ce
qui risque fort de vous arriver. Enfin, lorsdu congrès des Cercles Wagner, nous avons été
quelques centaines à arpenter, le verre à la main, ce lieu de recueillement!
Dorénavant, Venise honorera dignementle Maître au Palais Vendramin, où il mourut,
le 13 février 1883. Une partie des appartements qu'il occupa est et sera progressivement
aménagée en musée grâce à la ténacité du président du CercleRichard Wagner de Venise.
Depuis longtemps déjà, uneplaque apposée surlafaçade duPalais etuneautreprèsdel'entrée
dans la Calle larga Vendramin, rappellent le souvenir de Wagner. Une visite s'impose
également au café Lavena, il Caffè di Riccardo Wagner, place Saint-Marc, avant d'aller
contempler le buste du Maîtredans les Giardini Pubblici.
Mais revenons à Tristan et au décor du troisième acte: le meilleur accueil vous sera
réservé dans le très confortable et luxueux hôtel Schweizerhof à Luceme. Si vous êtes près
de vos sous, il est vrai que les chambres ne sont pas spécialement bon marché, mais le
restaurant est abordable et leservicedu barn'est paspluscherquedansun quelconque buffet
degare. Wagner qui, lui, neregardait guère à ladépense, séjourna ici dela fin mars audébut
septembre 1859. Bneperdit passontemps dans l'oisiveté puisqu'ilcomposa la musique du
troisième acte de Tristan entre le 9 avril et le 6 août.
L'hôtelayantsubidepuis plusieurs transformations, il n'est pluspossible deconnaître
exactement l'emplacementdes appartements occupés successivement parleMaître. Mais on
peut goûter entoute nostalgie lecharme très viscontinien des salons etdugrand hall durezde-chaussée.Jemerappelle mes tractations difficiles avec ledirecteurdel'hôtelqui,pourune
raison qui me resta inconnue, ne désirait pas que lesouvenirdeWagnersoitsignalé dans son
établissement. Cependant mon insistance finit parvaincre sonindifférence. A bout d'argu
ments, mais contrôlant très helvétiquement son exaspération, il me déclara: «Après tout,
peut-être un portrait là-bas dans le couloir du fond; si vous voulez vous en charger, vous
n'avez qu'à amener quelque chose etonverra bien». Mon embarras nedura pas longtemps.
Je pilotais ma somptueuse deux-chevaux jusqu'au musée de Tribschen et j'exposai la
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situation à la gardienne qui était une ardentewagnérienne. Elle descendit à la cave et revint
avecdans un grandcadre unportraitgravéde notrecher Richard.Peu après,je me représentai
fièrement au Schweizerhof, allaiau fond du couloir, déposai le cadre d'une quelconquevue
des Alpes et accrochaile dit portrait.Byestrestédepuis; je nesais passi beaucoupdevisiteurs
l'on remarqué, mais ça me fait plaisir de savoir qu'il y est.
LES DECORS DE LA LEGENDE
Au cours du Moyen-Age, la légende de Tristan et Iseut a fait l'objet de nombreux
poèmes et romans où la touchante simplicité des sentiments se noie dans la fastidieuse
prolixité du récit. Ce mythe, qui nous paraît étemel et dont on trouve des correspondances
dans des légendes orientales, est peut-être néd'un fait divers très banal. Tellement banal qu'il
a pu se produire en différents endroits et à différentes époques. Transmis oralement de
génération en génération et de lieux en lieux, le récit original s'est enrichi de l'imagination
des auteurs qui l'ont coloré de poésie et de fantastique.
On se doute quel a été le fait divers initial: un roi sur le retour qui épouse une
jouvencelle. Celle-ci, un beau jour, se trouve en présence du neveu ou du fils du roi. L'âge
les rapproche, ils rient et boiventun peu trop. Grisés par la cervoise et par leur jeunesse, ils
s'enflamment et font l'amour ensemble; le roi lessurprend.Des savants spécialistesdu haut
Moyen-Age ont pu identifierdes personnages et localiserdes sites qui auraient été les acteurs
et le théâtred'un telévénement. Sansentrerdansdes détailsd'argumentation archéologique,
il faut citer les noms de Marcus dit Conomorus, un chef celte du Vie siècle et de son fils
Drustanus.
Dansle sud de la Comouailles, à un kilomètre environ au nord-ouest de Fowey, une
colonne monolithique sedresse enborduredelaroute B3269. Surcettepierre, lesspécialistes
ont pu déchiffrer une inscription disant: «Ici repose Drustanus, fils de Cunomorus». A deux
kilomètresplus au nord, prèsde la mêmeroute,se trouventles vestiges de constructionstrès
anciennes qui pourraient correspondre à la résidence du roi Marcus: c'est le domaine de
Casteldore. Dans un champ, uneélévationdu terrainrecouvertede buissons forme un double
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cercled'environ80mètres dediamètre correspondantauxfortifications etfossés dudomaine.
Les fouilles qui y ontété opérées ont montré qu'ils'agissait delarésidence d'un chef celte,
mais le château de ce roi Marke se réduisait à des constructions en bois. D'autres noms de
villages ou de lieux-dits de cette région se retrouvent dans les textes médiévaux (Lantien,
Golant, Morrois etc..)
Plusieurs récits situent la résidence du roi Marke à Tintagel sur la côte nord-ouest de
la Comouailles,dans le châteauoù latradition ditqueseraitné le roi Arthur.C'est sansdoute
pour donner à leur récit un cadre plus prestigieux que le très rustique Casteldore que les
auteursont choiside faire résiderMarkeàTintagel. Aujourd'hui ne restent,sur la presqu'île
rocheuse de Tintagel, que les ruines d'une forteresse du Xllè siècle emportée par un
écroulement de la falaise. Ces ruines dominant les vagues de l'océan, forment un décor
magnifique et impressionnant.
Bn'existe pasde lieu qui pourrait correspondre avec quelque certitude à Kareol, la
patriedeTristanetdécordu 3ème acte. Dans lesuddupays de Galles, plusieurs noms delieux
commencent par Car (ce qui doit signifier château). B y a aussi Carliste au nord de
l'Angleterre et Carhaix ou Concameau en Armorique.
Dans la tradition armoricaine, le château de Marc se serait élevé à Douarnenez et
Tristanseraitmortdansl'île quiportesonnometquisetrouvejustedevantla ville.Une autre
version fait mourirTristan à la pointe de Penmarch, au sud-ouest de Quimper.
Onterminera parl'évocation d'un décor théâtral quifit couler beaucoup de salive et
d'encre dans le monde wagnérien des années 60: le fameux phallus du décor du 2ème acte
dans la mise en scène de Wieland Wagner. Il s'agissait en fait d'un gigantesquemenhir, le
menhir étant comme nul ne l'ignore un symbole phallique. On pourrait rétorquer que tout
objet oblong et rigide est un symbole phallique et, sans s'attarder au rayon des fruits et
légumes, on pourrait citer pêle-mêle: le saucisson de Lyon, la baguette de pain, la flûte
enchantée, le cor anglais, la vis sans fin, le couteausuisse gonflable ou le modeste crayon.
Cependant, lemenhir étant breton, onpeut considérerquelechoix de Wieland étaitsubtil et
judicieux, car d'autres spécialités bretonnes qui auraient pu convenir comme le biniou ou
l'andouille de Guéméné, auraient sans douteprêté à des plaisanteries douteuses.
Làoùjeveuxenvenir, c'estàvous indiqueroùvous pouvez voirunmenhird'unetaille
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presque aussi imposante que celui fabriqué pourla scène de Bayreuth. Le plus grand menhir
debout est celui de Kerloas. Il se dresse dans un champ entre Saint-Renan et Plouarzel au
nord-ouest deBrest (le site estsignalé surlacarte Michelin N°58). Surune desesfaces, il
présente près de son sommet une dépression ronde qui donne naissance à une empreinte
descendante comme dans le décor de Wieland.
Cette histoire de symbole est tout de même assez troublante, car rappelez-vous: la
pierre tumulaire de Drusdanus en Comouailles est aussi un monolithe vertical; comme la
stèle dédiée à Richard Wagner dans leparc dela villa Wesendonck. Etc'est peut-être pour
dissimuler ce symbole impudique que ladite stèle a été entourée de bosquets!
53
LES MAÎTRES CHANTEURS
Ala question de savoir par quelle qualité plus qu'une autre, un être humain se rend
immédiatement sympathique, jerepondrais sans hésitation que cette qualité est lasincérité.
Bestcertes difficile dedonner unedéfinition brève etprécise decequ'estlasincérité.Je dirais
que c'est lafaculté d'exprimer ses sentiments etses idées de la manière laplus naturelle et
lamoins conventionnelle possible, sans ledésir deparaître autrement, sans lesouci detrahir
ce que l'on sait être la vérité. La sincérité peut cependant être pénible quand elle s'exprime
avec brutalité, grossièreté ou sottise; ce qui la rend agréable, c'est le tact, la subtilité, la
discrétion.
A laquestion desavoir pour quelle raison Richard Wagner est l'artiste que je révère
plus etbeaucoup plus que d'autres grands artistes, jecrois que jerépondrais que c'estpeutêtreen premier lieu à cause de sa sincérité.
Enfin à la troisième question desavoir dans quel ouvrage deWagner, cette sincérité
apparaîtde lamanière laplus simple etla plus éclatante,jerépondrais que c'estprobablement
dans ses Maîtres Chanteurs.
Lasincérité dansl'art, celapeuts'appelerle naturel (àne pasconfondre biensûr avec
lenaturalisme) ;Wagnerqui s'y connaissait, appelaitcela «le purement humain libéré detoute
convention». Les Maîtres Chanteurs sont une oeuvre où le sens du naturel de Wagner se
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manifeste de façon concrète presque palpable. Quand on aime les Maîtres Chanteurs, on ale
sentiment d'avoir vécu à Nuremberg au XVIe siècle, on croit presque avoir fait son
apprentissage de cordonnier et quand on assiste àune représentation, on al'impression
d'avoir revêtu ses plus beaux atours pour assister àla grande fête du chant, de la musique et
de la poésie. C'estdire si le décorade l'importancedans les Maîtres Chanteurs, le décorqui
n'estpas seulementl'élémentvisuel du spectacle, mais aussi etsurtoutl'ambiance créée par
le texte et par la musique. Pourtant, assez paradoxalement, l'évocation de décors réellement
naturels revêt un caractère assez précaire.
Ainsi Wagner connaissait bien la ville de Nuremberg et les traditions de la vieille
Allemagne; cependant, pour écrire son poème, il ne s'est pas déplacé sur les bords de la
Pegnitz mais àParis où il s'enferma dans une chambre d'hôtel ayant vue surle Louvre et les
quais de laSeine. Quantàmoi, pourécrire mamodesteprose,jene mesuis pasrendu aucoeur
de l'Allemagne, mais j'ai simplement profité d'un week-end passé au bord de la mer pour
taquiner mes souvenirs et consulter mes notes de voyages, assis dans le sable, le soleil bien
fixé au-dessus de mon chapeau; et mes yeux se levaient souvent de ma table à écrire
improvisée pour se perdre dans l'infini bleuté de l'horizon, pour suivre le vol des mouettes
ou pour contempler les formes avantageuses des belles baigneuses bronzées.
Après un rappel de biographie couvrant la longue période de genèse de l'oeuvre, je
vous emmènerai àtravers l'Europe surles lieux fréquentés parWagner aux diverses époques
où il travailla aux Maîtres Chanteurs, puis nous irons à Nuremberg visiter des endroits
susceptibles d'évoquer de manière concrète les diverses scènes des Maîtres Chanteurs.
LA GENESE DE L'OEUVRE
C'estenjuillet 1845, au cours de cefameux séjouràMarienbadoù il conçutégalement
son Lohengrin, que Wagner écrivit un premierplan scénique des Maîtres Chanteurs. Bavait
lu une histoire de la littérature allemande et avait pris un grand intérêt pour le personnage de
Hans Sachs. Al'époque, il pensait suivre le conseil deses amis qui souhaitaient le voirécrire
un opéra léger et gai qui pourrait lui apporter le succès et la fortune. Les Maîtres Chanteurs
auraient été un pendant comique àTannhâusersuivant la tradition de la Grèce antique. Mais
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finalement le projet de Lohengrin s'imposa avec plus de force et l'esquisse des Maîtres
Chanteursfut rangéedans lescartons.Bn'en futplusquestionjusqu'en 1851,date à laquelle
Richard raconte son projet dans la publicationautobiographique intitulée: «Une Communi
cation à mes amis». Puis ce fut de nouveau un long sommeil de dix ans.
C'est probablement au cours d'un voyage à Nuremberg en août 1861 que Wagner
repensa à son sujet. Il y fit une joyeuse visite en compagniede Blandine (lasoeur de Cosima)
et de son mari Emile Ollivier. Cela lui rappelasûrementla scène burlesque qu'il avait vécu
dans cette même ville de Nuremberg en 1835: unescène de pugilatnocturnerapportéedans
l'autobiographie «MaVie».Dansunelettre datéedu 30octobre 1861,Wagnerfait partà son
éditeur Schottde l'existence de ce projet sur les Maîtres Chanteurs et de son souhait d'y
travailler à nouveau. Maisilneprend ladécision desemettre à l'oeuvrequ'unesemaine plus
tard en quittantVenise où il fait un brefséjouren compagnie des Wesendonck. B y a revu
Mathilde apparemment trèsheureuse etquiattend unenfant. Richard se résigne, et triomphe
de son amertume en choisissant le renoncement. B contemple l'Assomption de la Vierge
peinte par le Titien: il a l'impression de voir mourir Isolde, comme si la Vierge figurait
Mathilde quidisparaît àsesyeux. Wagner devient Hans Sachs ouplus exactementc'est Hans
Sachs quidevient Wagner. Dès sonretour à Vienne, pendant le long voyage en chemin de
fer, Richard a la première évocation musicalede l'Ouverture. Il demande à son ami Cornélius
de lui procurer une vieille chronique du XVEe siècletraitant «De l'art ravissant des Maîtres
Chanteurs». C'estdans celivre qu'il trouve les noms desespersonnages ainsi que les règles
de la Tablature et les pittoresques dénominations des chants de maître. E écrit alors un
deuxième scénario en prose, bientôt suivi d'un troisième dont il va faire lecture à Franz
Schott. En même temps il se metd'accordavec cedernier pourobtenir une avance de fonds
lui permettant de réaliser son oeuvre.
A la fin du moisde décembre, il se rend à Pariset descend à l'hôtel du Quai Voltaire
où il commence la rédaction de son poème. A la fin janvier, ce travail est terminé, et le 5
février Wagner fait une première lecture publique deson livret chez les Schott à Mayence.
Bs'installe alors à Biebrich de l'autre côté duRhin ety restera jusqu'au mois de novembre.
C'est à Biebrich que Richard se met à la composition musicale en commençant par
l'Ouverture, puis le début du premier acte; lejourde sonquarante-neuvième anniversaire,
il a l'idée de ce que sera le prélude du troisième acte. A la fin de l'été, des circonstances
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diverses vont l'obliger à interrompre son travail, mais il est clair qu'à ce moment là, une
grosse part de la substance musicale des Maîtres Chanteurs a déjà été élaborée. Le 1er
novembre 1862, Wagner dirige la première exécution de l'Ouverture au Gewandhaus de
Leipzig devant une assistance clairsemée, mais enthousiaste puisque composée à peu près
exclusivement de ses parents et amis. Cette date marque aussi un arrêt qui se prolongera
pendant plus de trois ans, letravail de composition n'étant repris que très épisodiquement à
Vienne puis à Munich. Ce n'est qu'au début de l'année 1866 que Wagner s'y remet
activement pour terminer le premier acte à Genève à la fin du mois de mars. Peu après, il
s'installe très solidement à Tribschen près de Luceme. Pendant le printemps et l'été, il y
compose lamusique dudeuxième acte etilentame toutdesuite letroisième acte dont lelivret
asubi d'importantes modifications (songedeWalteretchantdeBeckmesser, harangue finale
deSachs). Lapartition sera achevé le24octobre 1867. Bfaut remarquer quede gros soucis
personnels dans sesrelations avec Cosima, Hans deBûlow et leroi deBavière n'ontpas eu
de répercussion sur son activité créatrice et n'ont pas troublé la sérénité et la gaîté dont est
imprégnée la musique des Maîtres Chanteurs.
Misen répétition au début de l'année 1868, authéâtre de Munich, l'ouvrage verrasa
première représentation le 21juin.Monté dans des conditions artistiques de perfection très
exceptionnelle sous la direction musicale de Hans de Bûlow, alorsque Wagners'occupait
personnellement de la mise en scène, ce futun grand succès de prestige pour le Maître qui
répondit à l'ovationd'une foule decélébrités, d'amiset dejournalistes depuisla logeroyale
où Louis H, en un signe suprême de faveur, l'avait fait appeler. On peut penser qu'à ce
moment précis, Richard avupasserenundéfilé infiniment accéléré lesvingt-trois années qui
s'étaient écoulées depuis sa première conception des Maîtres Chanteurs à Marienbad.
LES LIEUX DE LA CREATION
MARIENBAD
En tchèque Marienzké Lazné, est situé en Tchécoslovaquie à une centaine de
kilomètres à l'est de Bayreuth. La maisonoù Wagner séjourna en 1845 existe toujours au
numéro 1 de la rue Karlowska; une plaque commémorative y a été apposée.
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VENISE
L'hôtel Danieli où Wagner résida en novembre 1861 et le tableau de l'Assomption
peintpar le Titien(maintenant dans l'églisedei Frari) sont lestémoins toujours présents de
la décision subite du Maître de composer son ouvrage.
VIENNE
L'hôtel de l'Impératrice Elisabethoù Wagnerécrivit la version définitive du scénario
est un établissementassezcossuducentredelaville,3 Weihburggasse. Le séjour de Wagner
y est signalé sur une plaque placée dans le hall d'entrée. A Vienne encore, on peut voir la
maison habitée par Wagneren 1863-64 dans le quartierde Penzing, 72 Hadikgasse, près de
Schônbrunn. Là aussi, il y a une plaque commémorative avecun portraitdu Maîtreet une
inscription rappelantquec'est danslesheures lespluspénibles de sa vie qu'il travaillaà son
ouvrage le plus ensoleillé avec cette citation du chant de Walter von Stolzing: «Der Noth
entwachsen Flûgel»:Les ailes (dugénie) ontgrandidans la détresse.
PARIS
L'hôtel du Quai Voltaire, où Wagner rédigea son poèmeen vers, existe toujours au
numéro 19duquai. Sonnom figure parmi d'autres clients illustres suruneplaqueetquelques
pauvres documents wagnériens sontexposés dansle petitsalon. De l'autre côté de la Seine
quand onpasse sous les arcades duPalais Royal, ilfaut sesouvenirquec'est iciquele Maître
eut l'inspiration soudaine de la mélodie du choral de Hans Sachs: «Wach auf!»
MAYENCE
La maison d'édition Schott qui se trouve au 5 Weihergarten honore avec éclat la
mémoire de Wagner, un grandbuste est placé dans l'entrée, et le salon où le Maître lut son
poèmeestunvéritable petit musée présentantde nombreux documents autographes. Deplus,
la maison Schott s'est montrée reconnaissante envers Richard Wagner en faisant édifier un
monument dédié àson génie (évidemment, ils'agitd'une sculpture abstraite!) qui setrouve
sur la promenade au borddu Rhin auniveau de la salle de concert «Rheingoldhalle».
Surl'autre rivedu Rhin, à Biebrich, ontrouve, au 137 Rheingaustrasse, la maison à
60
l'architecture très curieuse que Wagner habita en 1862. C'est là qu'il commença la
composition de la musique des Maîtres Chanteurs et bien sûr, il yaune plaque sur te mur
d'enceintede la propriété qui rappelle cet événement.
LEffZIG
Bn'y a pas de plaque commémorative de la première audition de l'Ouverture car
l'ancienGewandhaus aétédétruit. Mais aumusée historique delaville, onpeutvoirlepupitre
des chefs d'orchestre duGewandhaus, celui dont Wagnerseservit pourconduire l'exécution
de cette ouverture.
MUNICH
Au bord dulac deStamberg, à Kempfenhausen, setrouve l'ancienne Villa Pellet où
Wagner habita pendant l'été 1864. Une inscription sur la façade dit qu'il y travaiBa à ses
Maîtres Chanteurs. Enfait, ilytravaillacertainementtrès peucarilavaitbiend'autreschoses
à faire avecla très chère Cosima. Dans la ville même de Munich, te monument qui est le
témoin te plus sérieux de l'époque des Maîtres Chanteurs est naturellement le National
Theateroù l'oeuvre fut créée. Le bâtiment bombardé et incendié en 1945 a été reconstruit;
il est bien connu des amateurs d'art lyrique et une représentation des Maîtres Chanteurs y
revêtun peu te caractère d'une célébration.
GENEVE
Lapropriété «Les Artichauts» où Wagnertermina lacompositiondupremieracte aété
démoUe àlafin des années cinquante; àsaplace setrouve maintenant l'église catholique de
Saint Nicolas deFlue. Mais les genevois n'ont pas oublié et une rue donnant surla route de
Montbrillantetsituée àproximité del'emplacementdes Artichauts porte maintenant lenom
de Richard Wagner. Voir également lesalon Wagner à l'hôtel Métropole.
LUCERNE
J'ai gardé pour lafin lelieu qui semble leplus chargé desouvenirs relatifs aux Maîtres
Chanteurs, c'est la bellevilladeTribschen, devenue un muséeRichardWagner.Entre autres
62
souvenirs, pournous rappeler letemps où Wagneryécrivait la musique des Maîtres, on peut
voirdes manuscritsde fragments de la partition, le piano Erardsurlequel leMaître travaillait,
une veste et un béret de velours, une robe de chambre et même le fauteuil où Richard
s'asseyait etsur lequel ils'est fait photographier tenant dans ses bras sa fille Eva, née à
Tribschen en 1867.
LES LIEUX DE L'ACTION
Plusieurs petites villes d'Allemagneontadmirablementconservé leurcaractèreancien
de lafin du Moyen-Age etde la Renaissance, mais c'est à Nuremberg etnon ailleurs qu'U
fautchercherdes endroits suffisamment évocateurs pourqu'une imagination moyennement
fertile puisse les admettrecommedécors naturels des Maîtres Chanteurs. Autrefois, dutemps
de Lavignac, c'était encore relativement facile. Malheureusement, ily aeu le désastre de la
deuxième guerre mondiale: la vieille ville de Nuremberg aété très gravement endommagée
par les bombardements. Bexiste une photographie qui illustre de manière terrible les
dernières paroles de Hans Sachs àla fin du troisième acte: «Si le Saint Empire disparaissait
en fumée, il nous resterait toujours le saint artallemand». Surcette photographie prise au
lendemain des bombardements, on voit la statue de Hans Sachs demeurée intacte sur son
socle avec à l'arrière-plan un chaos immense de maisons etd'édifices enruines.
La reconstruction a cherché à conserver à la cité sa physionomie originale. Menée
hâtivement, elle n'y a pas toujours réussi; cequi fait que levisiteur doit solliciter fortement
son imagination pourreconstituer des décors naturels.
L'église où se passe le premier acte, conformément àla vérité historique, est l'église
Sainte-Catherine, lieu oùles Maîtres Chanteurs deNuremberg tenaient leurs réunions. EBe
setrouve ausud-est delaville. Enfait, ilnesubsiste que lesruines de cette église quin' apas
été reconstruite après la guerre: seuls les murs ont été consolidés, il n'y a pas de voûte.
L'endroit estutilisé enétécomme théâtre deplein airetonyjouedespièces de Hans Sachs.
B faut signaler à proximité immédiate un café-restaurant dont la décoration (peintures
murales, vitraux des fenêtres) rappelle les Maîtres Chanteurs. Souvent les décorateurs de
64
théâtre ont pris comme modèle des églises de Nuremberg au gothique beaucoup plus
somptueux que la modeste Katharinenkirche: la Lorenzkirche ou la Sebaldkirche; dans sa
première esquisse en prose, Wagner situait le premier actedans l'église Saint-Sebald.
Pour ledécor du deuxièmeacte,on peutparcourirles rues de Nuremberg à la recherche
d'un endroit adéquat. Personnellement, j'ai trouvé que la petite place sur laquelle donne la
maison d'Albrecht Durer pourrait assez bien convenir. Bien sûr, c'est plutôt la maison de
Hans Sachs qu'il fallait trouver mais, elle aussi a été détruite. Une plaque en indique
l'emplacement dansla Hans Sachs Gasse. Devant la maison moderne qui l'a remplacée, un
arbre a poussé:maisc'est un érableet nonun sureau.Nonloin de là sur la place Hans Sachs,
le cordonnier-poète a sa statue en bronze datant du XLXe siècle. Un autre monument
grandiose a été récemment élevé à sa gloire. C'est une fontaine, la Hans-Sachs Brunnen,
oeuvre du sculpteur Jûrgen Weber, érigée près de la Weisserturm au bout de la rue Breite
Gasse. Plusieurs groupes en bronze illustrentde manière réaliste et humoristique diverses
scènes de la vie en ménage, inspirées de la poésie de Hans Sachs: «Douceur et amertume de
la vie conjugale». Le poète cordonnier domine la fontaine du haut d'un socle où il semble
exécuter un pas de danse.
Par ailleurs, je me souviens d'avoir vu au musée du château de Rudolstadt, dans une
salle consacrée à l'artisanat ancien, une table de travail de cordonnier avec tous les
accessoires, y compris le globe de verre rempli d'eau pour focaliser la lumière d'une lampe
dont Sachs se sert pour empêcher la fuite d'Eva et Walter.
Comme la maison de Hans Sachs n'existe plus, je ne peux pas vous proposer de décor
naturel authentique pour le premier tableau du troisième acte, bien que des fragments ou des
débris de la décoration intérieure soient exposés au Musée National Germanique de
Nuremberg.En revanche,je peuxvousproposerde visiterla maisonde Durerdont les pièces
sont meublées dans le style de l'époque avec la sobriété que l'on imagine bien pour
représenter l'intérieur de la demeure de Hans Sachs.
Breste à trouver la prairie du concours,la Festwiese du deuxième tableau du troisième
acte. Déjà, au début du siècle, ce cher Albert Lavignac y avait renoncé. Mais était-ce une
raison suffisante pour décourager un explorateur wagnérien aussi téméraire que votre
serviteur. Eh bien, non!J'y suis alléetj'ai cherché.D'après des documents anciens, il existait
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bien à Nuremberg au XVIe siècle une prairie, une sorte de parc public servant aux
rassemblements et auxfêtespopulaires: c'était laHallerwiese. Lenomsubsistetoujoursmais
l'endroit, à l'ouest de la vieille viUe, est aujourd'huiconstruitet il n'y a plus guère de trace
de prairie. Cependant, il existe dans la ville actuelle un lieuun peu plus crédible: c'est la
Wôhrderwiesequel'on trouve encontinuantàl'est,pastrès loindel'égliseSainte-Catherine.
Elle estentourée d'arbreset délimitée pardeux bras delaPegnitz. Ellese trouve à l'extérieur
des remparts delavieilleville mais, comme Nuremberg agrandi, elleestmaintenantenpleine
agglomération. Evidemment une prairie n'est qu'une prairie; or l'élément déterminant du
décor de la scène finale, ce n'est pas la prairiemais la fête qui s'y passe. Et cela, seule une
belle représentation théâtrale des Maîtres Chanteurs peut le faire éprouver. A propos, si te
hasardvous mène pour celaàl'opéra deNuremberg (Richard WagnerPlatz), nemanquez pas
d'y admirer une amusante peinture représentant Wagner en compagnie d'autres composi
teurs d'opérasquisouhaitent labienvenue aux spectateurs et,dans lefoyer, un beaubuste du
Maître près d'un immense etcélèbre tableau dupeintre Max Slevogt quireprésente nonpas
une scène des Maîtres Chanteurs mais Tannhâuser et Vénus au Hôrselberg.
67
L'ANNEAU DU NIBELUNG
Suivantl'exemplede Wagnerqui adonné àsonoeuvrelaforme d'unetétralogie, ilm'a
paru adéquat de fragmenter mon étude sur l'Anneau du Nibelung en décors naturels.
Je m'en tiendrais modestement à deux épisodes:
- Le temps et l'espace pour écrire le Ring.
C'est-à-direl'analyse chronologiquedelagenèse del'oeuvre ensituantlesdifférentes
résidences de Wagner aux diverses époques où il conçut, écrivit et composa sa Tétralogie.
- Le temps et l'espace pour jouer le Ring.
C'est-à-dire ladescription chronologique ettopographique des scènes successives de
l'action, suivie de la recherche de lieux réels pouvant convenir de décors.
69
LE TEMPS ET L'ESPACE POUR ECRIRE LE RING
HISTOBŒ
Quelques moisaprèsavoirachevé Lohengrin, à la finde l'été 1848,Wagnerrédigeun
essai dont le titre est «Les Wibelungen. Histoire universelle dérivée de la légende». Sans
grande rigueur, cettehistoire est plutôt unraccourci d'impressions personnelles d'un artiste
qui depuis plusieurs années se gorgede lectures historiques et mythologiques.
Un deuxième texte vient à la suite, intitulé: «Le mythe des Nibelungen. Essai pour un
drame».C'est le premier projet de ce qui, aprèsde multiples développements et transforma
tions,deviendrala Tétralogie.Peuaprès,Wagnerécritlescénariocompletdesondrame:«La
Mort de Siegfried» qu'il met en vers allitérés, c'est-à-dire une forme de versificationdans
laquellelerythmene vientpasdelarimeetdunombredepiedsmaisdela répétitionde mêmes
lettres ou de mêmes syllabes.
L'année 1849 apporte une première interruption à ce travail: c'est la révolution à
Dresdepuisl'exB enSuisseetl'annéesuivantel'épisodecritiqueavecJessie Laussot.Enaoût
1850, Wagner commence à mettre en musique deux scènes de la Mort de Siegfried, mais
s'arrête bientôt pour se lancer dans la rédactiond' «Opéra et Drame», volumineux ouvrage
dans lequel il établit les fondements théoriques du drame musical.
Au printemps suivant, la nécessitélui apparaîtde donner une forme plus vaste à son
drame des Nibelungen et il rédige des esquisses d'une autre pièce précédant la Mort de
Siegfried:«LeJeune Siegfried», dont il écrittoutdesuite le texte completdu poème, terminé
au début de l'été de 1851. Ce nouveau travail lui fait sentir que son sujet doit encore prendre
71
plus d'ampleur et dans sa «Communication à mes amis», qu'il écrit en août 1851, Wagner
annonce la présentation de son mythe en trois journées précédées d'un grand prologue.
C'est pendant une cure hydrothérapique, à l'automne, qu'il conçoit les premiè
res esquisses en prose de l'Or du Rhin et de la Walkyrie.Au printemps suivant, il établit des
scénarios développés de ces deuxouvrages.Lepoèmede la Walkyrieest achevé te 1erjuillet,
et à l'automne celui de l'Or du Rhinest achevé à son tour. On voit donc que les livrets ont
été rédigés dans l'ordre exactementinversede celuidans lequelles oeuvres seront jouées. En
décembre 1852, Wagner entreprenddes remaniements touchant leJeune Siegfried et surtout
la Mort de Siegfried dont le final est entièrementchangé avec la fin des dieux et l'incendie
du Walhalla.
Cependant,mis à part les esquisses vite abandonnées mentionnéesplus haut, cela va
bientôtfaire cinq ans que Richard n'a pas écritde musique. Alors, avant de s'attaquer à la
tâche gigantesquequi l'attend, ils'y remettoutdoucement par une petite polka, suivie d'une
sonate pourMathildeWesendonck.Je discelaparplaisanterie, maissi l'on veut êtresérieux,
ilfautbiencomprendre et admettre lefaitqueWagner «pensait en musique». Bestà peuprès
certain qu'il a déjà en lui à cette époque de nombreux thèmes musicaux à l'état d'idées.
Enfin,le 5 septembreà la Spezia, c'est tecélèbreépisodedu rêve aquatiqueet musical,
l'accord de mibémolmajeurflottant en arpèges ininterrompus, c'est la révélation du prélude
du Rheingold. Et sitôt rentréà Zurich, Wagners'attaque à l'ébauche de composition de l'Or
du Rhin qui est achevée à la mi-janvier1854.Btravailleensuite à l'orchestration et à la mise
au net de la partition. Le premieractede la Walkyrie est écrit pendant l'été et le deuxième
commencé à l'automne. A la fin de l'année, l'esquisse du troisième acte est achevée et
Wagner se met à l'orchestration du premier acte. En février 1855, il part à Londres diriger
des concertstout en continuantson travail d'orchestration. Ce travail traîneen longueur, car
Richard pense déjà à Tristan (et aussi probablement beaucoup à Mathilde). Cependant la
partition de la Walkyrie est terminée à la fin de l'hiver 1856.
Avant de mettre en chantier la composition du Jeune Siegfried, Wagner remanie
certains passages du livretet en change le titre: ce serasimplement Siegfried (tandis que la
Mortde Siegfried devient leCrépuscule desDieux). L'esquisse du premieracteestterminée
audébutduprintemps 1857. Enmême temps qu'il enréalise l'orchestration, Wagner entame
72
lacomposition du deuxième acte, mais Tristan tetravaille de plusen plus (sans compterLes
Vainqueurs, Parsifal et toujours Mathilde, bien sûr). E parvient à terminer l'esquisse de
composition, mais abandonne te travail d'orchestration pour écrire le scénario de Tristan. Et
ce travail, il va l'abandonner complètementpendant sept ans: le temps d'écrire Tristan, de
reprendre Tannhâuser et de commencer les Maîtres Chanteurs.
Quand, en 1864, Wagner est appelé par le roi Louis E, il espère trouver les conditions
favorables pour l'achèvement de sa Tétralogie,tâchedont le monarquelui a en quelquesorte
donné l'ordre. Pendant l'été, Richard ressort les feuillets jaunis de Siegfried et met au net la
partitiondu premieracte,puisil reprendledeuxième acte.Maisil estensuitepris pard'autres
occupations: la création de Tristan, la composition et la création des Maîtres Chanteurs;
pendant ce temps, Mathilde a été oubliée, Minna est morteet Cosima est venue régner sur
le coeur du Maître.
C'est seulement à la fin de l'hiver 1869 que te deuxième acte de Siegfried est
définitivement achevé; il avait été commencé douze ans plus tôt. Le troisième acte est mis
en musique au moment de la naissance du fils, prénommé aussi Siegfried. Pendant l'été,
Wagnertravaille àl'orchestration tandis quel'OrduRhin estcrééàMunich contresavolonté.
L'année suivante, il entame le prologue du Crépuscule et le premier acte, alors que la
Walkyrie estjouée pourla première fois à Munich. A l'été 1870, c'est laguerre, c'est aussi
le centenaire de la naissance de Beethoven à qui Wagner consacre une étude. Il arrête son
travail de composition sur le Crépuscule, mais paslacomposition elle-même: c'est le temps
du délicat Siegfried-Idyll, et aussi de la Kaiser-Marsch, légèrement moins délicate.
Le Maître revient à sa Tétralogie et met le pointfinal à la partition de Siegfried en
février 71,puis il s'interrompt à nouveau pour aller visiter Bayreuth et lancersonopération
publicitaire en faveur du Festspielhaus et du premier Festival. A l'été, il reprend le
Crépuscule ens'attaquant audeuxième acte, et audébut del'année72 autroisième acte. La
progression est lente car il doit sans cesse se déplacer pour faire avancer son affaire
bayreuthienne. A cette époque, il quitte Tribschen pour s'installer à Bayreuth où le 22 mai
1872 a lieu la pose de la première pierre du Festspielhaus. Pendant l'été, il se met à
l'orchestration du troisième acte vite arrêtéepar de multiples tracas: constructiondu théâtre,
construction de sa maison, gros problèmes financiers. La dernière lignedroite, c'est-à-dire
73
letravail surlapartition définitive du Crépuscule, n'enfinit plus; elle ne sera achevée qu'à
l'automne de 1874, le 21 novembre très exactement. Il s'est écoulé plus de vingt-six ans
depuis l'été 1848 et la rédaction del'essai surle mythe des Nibelungen.
L'oeuvre étemelle est achevée, mais deux années d'efforts seront encore nécessaires
pour lui donner la vie, pourla faire représentersur le théâtre spécialement conçu etconstruit
à cet effet
GEOGRAPHIE
Bien que l'Allemagne aitconnu les prémices de l'oeuvre avec la Mort de Siegfried
écrite àDresde etsonultime accomplissement avec l'orchestration duCrépuscule desDieux
àBayreuth, etsurtout avec laréalisation du théâtre idéal nécessaire àsareprésentation, ilfaut
remarquer que laTétralogie qui passe pour une grande oeuvre d'art national aBemand, aété
écrite pour l'essentiel parunartiste ensituation d'exilé dans un pays étranger, dans unpays
neutre. Eneffet, l'espace degestation, lamatrice tétralogique, c'est la Suisse, à Zurich puis
à Luceme. Malgré tout, Wagner rentrera au pays pour donner naissance à son oeuvre, à
Bayreuth.
Acôtédecestrois centres principaux, ilfaut toutdemême faire étatdequelques autres
lieux d'importance moindre.
ZURICH
La maison «Zum Abenstern» où Wagner habita d'avril 1850 à septembre 1851 a été
démolie depuis bien des années; c'est là qu'il écrivit le poème du Jeune Siegfried et qu'il
définit saconception del'oeuvre en quatre parties. Cette maison setrouvait dans lequartier
deEnge oùest située lavilla Wesendonck; tout près passe une rue Richard Wagner. Acette
exception près, on peut encore voir àZurich etdans les environs tous les témoins de pierre
de la genèse tétralogique.
Les maisons Escherdu Zeltweg d'abord, avecsurtoutle N°13 qui porte une plaque
rappelant que Wagner yvécut de 1853 à 1857. C'est dans l'appartement du 2ème étage que
74
leMaître composa lamusique del'OrduRhin, delaWalkyrie etdupremieractedeSiegfried.
B est occupé maintenant par la fondation Johanna Spyri et abrite une bibliothèque pour
enfants. C'est dans un autre appartement du Zeltweg, au N°ll, au rez-de-chaussée que
Wagner rédigea les scénarios de l'Or du Rhin et de la Walkyrie ainsi que le poème de l'Or
du Rhin. B écrivit le poème de la Walkyrie au cours d'un séjour d'été à la pension
Rinderknecht; la maison modeste et même délabrée existe encore 56-58 Hochstrasse, sur les
hauteurs du Zûrichberg.
En 1857,Richard alla habiterson asileprèsde la villaWesendoncket y commença la
compositiondu deuxième acte de Siegfriedavantde l'abandonner pour Tristan. Vous savez
que la villa et l'Asile sont occupés maintenant par un musée d'art oriental mais que le
souvenirwagnérien y demeure (buste duMaître, stèle commémorative, enattendant mieux).
A Zurich, il faut citer encore l'hôtel Baur au Lac dont le grand salon fut le théâtre de
la lecturepublique du Ring, par Wagner lui-même, en février 1853 (sonportraitest dans le
haB). Mais c'est dans la propriété de la famille Wille,Mariafeldà Meilen, qu'eut lieu en privé
la première lecture du poème en décembre 1852.
Enfin dans les environs de Zurich, on peut encore voir, à Albisbrunn, sur la route du
col de l'Albis, les bâtiments de l'établissement d'hydrothérapie où Wagner conçut les
premières esquisses de l'Or du Rhin et de la Walkyrie; c'est maintenant une maison
d'éducation.
LUCERNE
Je ne m'étendrais pas sur ce chapitre: tout le monde connaît, d'une façon ou d'une
autre, la belle maison de Tribschen aménagée en musée Richard Wagner. Il faut seulement
rappeler que c'est le lieu où le Maître repritet achevaSiegfriedet où ilcomposa le Crépuscule
des Dieux. Tout wagnérien se doit de faire le pèlerinage à Tribschen et nombreux sont ceux
qui le font plusieurs fois.
Dans la région, il faut signaler le Seelisberg, une villégiature haut perchée au-dessus
du lac des Quatre-Cantons. Wagner y vint plusieurs fois, notamment à l'été 1855 pendant
qu'il travaillait à l'orchestration de la Walkyrie. Bséjournait dans le grand hôtel Sonnenberg
qui est devenu aujourd'hui le fief d'une secte vouée à la méditation transcendentale.
75
BAYREUTH
Ce qui estvrai pour lepèlerinage àTribschen l'estencore bien plus pour Bayreuth:
alors pasun mot, nisur Wahnfried, nisurle Festspielhaus. Mais je veuxquand même dire
quelque chose surla maison que Wagner habita del'automne 1872 auprintemps 1874 et où
iltravaiBa àrorchestratiôndu Crépuscule. Elleestsituéesurune petiteplace, Dammwàldchen
N°4et porteune inscription surla façade avec en plusune grande plaquecommémorative à
l'intérieur. Lebâtiment actuel n'a quepeu derapport avec la maison d'origineplusieurs fois
agrandie et rebâtie. Nousne quitterons pas Bayreuth sans un petit détour à l'hôtel Fantaisie
situé à quelques kilomètres de là, à Donndorf. Le Maîtrey a logé d'avril à septembre 1872.
L'hôtel, très simple et tranquille, donne sur le beau parc d'un château; il offre même une
Wagner Zimmer pour les wagnérolâtres impénitents.
AUTRES LIEUX
Si vous passez par La Spezia, vous pourrez toujours imaginer Wagner, malade et
étendu sur son canapé, submergé par les flots du Rhin; mais vous chercherez vainement la
moindre trace de son passage. De même à Londres, la maison où il travailla à l'instrumentation
delà Walkyrieen 1855,au 22 PortlandTerrace en bordurede Regent'sPark, a complètement
disparu. A Munich où Wagnertravaillaépisodiquement au deuxième acte de Siegfried, une
plaque sur la Briennerstrasse situe l'emplacement de sa maison détruite par les bombarde
ments. On peut voir aussi une plaque commémorative sur l'ancienne villa Pellet à
Kempfenhausen en bordure du lac de Starnbergoù il séjourna pendant l'été 1864; la maison
se trouve maintenant dans le périmètre d'un établissement scolaire.
Pour finir, nous revenons au commencement avec le domicile de Wagner à Dresde
pendant les années 1847-49, où il passa de longs moments plongé dans l'étude des mythes
et des légendes germaniques et où il écrivit la Mort de Siegfried. B se trouve dans l'ancien
palais Marcolini, aujourd'hui hôpital,au 41 Friedrichstrasse; j'en ai déjà parlé en détail dans
te précédent chapitre sur Lohengrin.
Certains vont peut-être s'étonner que ne figure pas dans cette liste des résidences
tétralogiques, Momex en Haute-Savoie, au pieddu MontSalève. En effet, dans ce charmant
village, les curieux peuvent admirer un non moins charmant pavillon dit «PaviUon de
78
Ruskin» où une plaque rappelle le séjour qu'y fit Wagner et où on peut lire sous un petit
balconcettefière inscription: «La Walkyrie fut composée ici». L'ennui, c'est que le Maître
n'a vécu dans cette maison qu'une dizaine dejours, ce qui est peut-être un peucourtpour
écrireune oeuvre de l'importance de la Walkyrie, sans compter qu'il n'avait pas la même
facilité queDonizetti. Etily aplusennuyeux encore: c'est quelaWalkyrie étaitdéjàterminée
aumomentoù il arriva ici en juin 1856.Nousnoustrouvons doncdevantun très remarquable
exemple de galéjade dans son expression savoyarde. Mais la légende est tenace et un
lotissemnttout proche a pris pournom «leswalkynes».En réalité,Wagnerse reposapendant
deux mois à Mornex, la plus grande partiedu tempsdansl'établissementd'hydrothérapie du
Dr.Vaillant qui soigna et guérit son érésypèle.
La Walkyrie a été composée surtout ici
à Zurich Zeltweg 13
79
LE TEMPS ET L'ESPACE POUR JOUER LE RING
Une caractéristiquedel'apportdelamusique etduchant dans lethéâtre, qu'il s'agisse
d'opéra oudedrame lyrique, estlarelativisation de lanotion detemps réel et rationnel. En
reprenant lacélèbre phrase de Gurnemanz: «Ici, le temps devient espace», on peut dire que
la musique devenant espace sonore crée un cadre temporel qui lui est propre.
Wagner aexploité àfond cette relativisation parson système de mélodie continue où
les leitmotivs agissant sans cesse comme pressentiment oucomme souvenir produisent une
véritable dissolution dutemps. Dès leprélude deses drames, ilcherche àabolir laconscience
temporelle des auditeurs. Les préludes de Lohengrin et de Parsifal en sont des exemples
frappants. Mais le plus extraordinaire dans ce sens est certainement le prélude de l'Ordu
Rhin.
ABayreuth, où l'orchestre etson chefsontinvisibles, c'est àpeinesion peut localiser
le moment où commence ce prélude que le Maître appelait lui-même «la berceuse de
l'univers». Ilnous évoque en quelques minutes leprocessus créatif qui atransformé un état
primordial étemel en y faisant naître le mouvement et en organisant ce chaos. Avec une
habileté merveilleuse, Wagnerpasse progressivementde cette évocation de laforce vitale de
l'univers dans sa gestation infinie àla description du Rhin dont le cours immuable est fait
d'eaux toujours changeantes.
Ainsi ce prélude de l'Ordu Rhin qui ramasse en lui des milliards d'années se termine
par une évocation du décor que l'on verra apparaître au moment où le rideau se lèvera.
Après ce qui vient d'être dit, si on veut essayerde replacer la Tétralogiedans un cadre
temporel mesurable, mieux vaut donc laisserde côté le problème du prélude de l'Ordu Rhin
81
et commencer à prendre date à l'arrivée d'Alberich.
La représentation de la Tétralogie, en une durée globale de 14 heures environ, relate
des événements dont on peut fixer le déroulement à l'échelle humaine sur une période
d'environ 50 ans, bien qu'une grande incertitude pèse sur le temps qui a pu s'écouler entre
la fin du prologue et la premièrejournée.B est certainque Wotann'a guère tardé pour aller
rendrevisiteàErdaquidonnera naissance à Briinnhilde, maison peutpenserqu'il a rencontré
beaucoup plus tard la mortelle qui sera la mère des jumeaux. L'âge que peut paraître
Briinnhildedans la Walkyriene peutservir de base à l'échelle humaine, la meiUeure preuve
étant qu'après avoir dormi une vingtaine d'années, elle ne semble pas du tout avoir vieilli.
L'âge que paraissent avoir Siegmund et Sieglinde, entre 20 et 25 ans, nous donne une
première indication. Le deuxième repère chronologique estl'âge queparaîtSiegfried, 18ou
20 ansauxquels, pourêtreprécis, il nefautpasoublierderajouter les neufmoisde grossesse
de Sieglinde.
Avantde reprendre plusen détail l'analysechronologique dela Tétralogie, il nousfaut
survolerles lieuxdans lesquels les faits vontse dérouler. Une remarque préalable est que
l'espace tétralogique, comme letempstétralogique, a un caractère mythique et fabuleux. Par
exemple, teRhin tétralogique n'a pasgrand-chose àvoiravecleRhingéographique oùjamais
le touristene trouvera, prèsde ses rives, les hautes montagnes dignesde servir de cadre à la
demeure des dieux.
Faisons cependant le recensement des divers lieuxoù se passel'action. E y a dans la
Tétralogie 17 tableaux correspondant à 12 lieux de scénographie:
1- Le fond du Rhin (1ère scène de l'Or du Rhin)
2- Libre étendue sur des sommets montagneux (2e et 4e scènes de l'Or du Rhin)
3- Le gouffre souterrain de Nibelheim (3e scène de l'Or du Rhin)
4- L'intérieur de l'habitation de Hunding (1er acte de la Walkyrie)
5- Site sauvagede montagnes rocheuses (2e acte de la Walkyrie)
6- Le sommet d'une montagne rocheuse, le rocher de Briinnhilde (3e acte de la
Walkyrie, 2e tableaudu 3e actede Siegfried, prologue du Crépuscule, 2e tableau du 1er acte
du Crépuscule)
82
7- La caverne de Mime donnantsur la forêt (1er acte de Siegfried)
8- Une forêtprofonde (2eacte de Siegfried)
9- Sitesauvage aupied durocher de Briinnhilde (1er tableau du 3eacte deSiegfried)
10-Grande salledupalais desGibichungen aubord duRhin (1eractedu Crépuscule,
1er tableauet 3e acte du Crépuscule, 2e tableau)
11-Aubord du Rhin devant te palais des Gibichungen (2e acte du Crépuscule)
12-Sitesauvage deforêt et de rochers situé aubord duRhin (3e acte du Crépuscule,
1er tableau).
Nous pouvons maintenant envisager une analyse de l'Anneau du Nibelung, non pas
basée surlesmotivations et lesactes des personnages, mais consistantseulement àexaminer
les lieux où se passent l'action etladurée de cette action en se référant au texte du livret,
poème et indications scéniques.
La première scène du Prologue représente le fond du Rhin, d'une manière assez
particulière et peu en rapport avec les lois physiques. Bien sûr, la partie supérieure est
constituée par l'élément liquide etle fond proprement dit est fait de rochers assemblés en un
chaos escarpé entrecoupé de failles profondes. La particularité est, qu'entre ces deux zones,
se place, sur une hauteurde la taille d'un homme, une région de brumes humides où l'eau ne
pénètre pas: c'estdans cet espace qu'évolue Alberich alors que les fiUes du Rhin se tiennent
dans la phase aqueuse supérieure.
Dans lapremière partie de cette scène, ilfait sombre, puis lalumière du soleil paraît
etvient faire brillerl'éclatdel'Or.Iln'estpascertainque cephénomène corresponde aulever
du soleU, celui-ci étant peut-être caché par une épaisse couche de nuages dans leciel. Dès
qu'Alberich aenlevé l'or, une nuit épaisse envahit l'espace. Celapeut s'expliquer par le fait
que l'or jouait un rôle de source lumineuse secondaire focalisant et renvoyant la lumière
solaire.
L'interlude orchestral préparant ladeuxième scène représente un intervalle detemps
imprécis mais d'une durée minimale de plusieurs jours: c'est le temps nécessaire àAlberich
pour le travail de métallurgie consistant àfabriquer l'anneau àpartirde la pépite volée dans
le Rhin. Pendant ce temps, ilaégalement organisé l'asservissement des Nibelungen etfait
83
confectionner le Tamhelm par son frère Mime.
Audébutde la deuxième scène, l'aubese dégage de l'obscuritéet tejour naissantfait
étinceler les créneaux du Burg auquel nous donnons dès maintenant son nom de Walhall,
mêmesi c'est seulement à lafindelaquatrièmescènequeWotan ledésigneainsi.LeWalhall
donc, se dresse au sommet d'un pic rocheux situé à l'arrière-plan; alors qu'au premier plan
s'étale une région de libre espace sur des hauteurs montagneuses. Entre les deux se trouve
la vallée profonde dans laquelle coule le Rhin. Quand les géants s'en vont avec Freia, ils
dévalent la pente et pataugent dans un gué du Rhinpour rejoindre leur fief de Riesenheim qui
doitdonclogiquementse trouverdansunerégion decollines(ledosde la terre,ErdeRucken)
pas très éloignée de la hauteur escarpée du Walhall.
Le Nibelheim lui, se trouve certainement sous le cours du Rhin. En effet, Alberich en
est sorti directement pour venir lutiner les trois ondines. Loge et Wotan, pour y accéder,
pourraientprendrecette voie, mais afind'éviter de rencontrerles filles du Rhin, ils préfèrent
descendre par descrevassessulfureuses. L'interlude entre lesscènes 2 et 3décrit leur voyage.
Le Nibelheim est un univers souterrain où s'entremêlent les crevasses naturelles, les puits de
mines et les galeries creusées par les nains. La scène 3 est un premier exemple de scène
synchronique,ce qui signifiequ'il y a conformité entrela duréede la représentation théâtrale
et la durée logique des événements qui sont représentés.
Le voyage-retour de Loge et Wotan ramenantAlberich se passe pendant l'interlude
orchestral et la scène 4 ramène au décor de la scène 2. La grande variété de l'action et des
sentiments dans cette scène finale est illustrée par des conditions météorologiques très
diverses.Tant qu'Alberich est là, le cielest lourd,nuageux, l'ambiance sombre et brumeuse.
Le temps s'éclaire ensuite, mais le Walhall restecachépar les nuages. La scène s'assombrit
de nouveau au moment de l'apparition d'Erda.
Après le meurtre de Fasolt par Fafner, Donner va s'employer à nettoyer le ciel. B
appelleà luilesvapeurs,lesbrumesetlesnuages quisedissipentinstantanémentdansl'éclair
qu'il fait jaillir d'un coup de marteau. La vive lumièredu soleil couchant fait briller un arcen-ciel qui par-dessus la vallée forme un pont rejoignant le Walhall. Ces indications nous
permettentune déductionintéressante: lesoleilse couchantà l'ouest formeun arc-en-cielqui
est donc orienté sud-nord. Commel'orientation généraledu cours du Rhin est égalementsudnord, il faut en conclure que l'on se trouve sur une courbure du Rhin qui, à proximité du
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Walhall, coule d'est en ouest ou inversement (en fait, quand on veut établir une carte
géographique situantd'une manière cohérente lesdivers épisodes duRing, ons'aperçoitque
seule la première éventualité est possible).
Avantde rejoindresa demeurequ'il baptiseWalhall, Wotannous précise que tous les
événements correspondantsaux scènes 2,3 et 4 ont eu lieu dans une même journée entre le
matin et le soir.
Nous avons déjà évoqué la difficulté qu'il y a à préciserte temps écoulé entre la fin
de l'Or du Rhin et le début de la Walkyrie. L'intervalle ne peut pas être inférieur à vingt ans
d'après l'âge de Siegmund et Sieglinde, mais savaleurmaximale ne peut guèreêtre définie
puisqu'elle aurait pour argument l'existence d'êtres supra-humains (dieux, nains, géants,
walkyries) dont la durée de vie est inconnue.
Quand le rideau se lève sur le premier acte de la Walkyrie,c'est le soir. Hunding, à son
retour,demandequ'onlui serve lerepaset puisaprèsquelacausetteà laveillée ait maltourné,
il demande sa tisane et va au lit. Entre ce moment et l'instant où Sieglinde réapparaît, il doit
s'écouler une petite heure: le temps que le somnifère produise son effetsur Hunding et le
temps que Sieglinde fasse un brin de toilette; or chacun sait que la toilette des dames a
tendance à se prolonger. Ensuite, ce premier actese termine par une scène synchronique
n'appelant pasde commentaires particuliers, mais qui peut nous donner matière à réflexion
surlapériode exacte de l'année pendant laquelle sepasse l'action puisqu'il estfaitréférence
de manière insistante au printemps. Dupoint de vue d'une stricte définition astronomique
et sans entrerdans des considérations très arides et complexes, le printempsest la périodede
l'année comprise entre l'équinoxe demars etlesolstice dejuin. L'ouverture soudaine dela
porte delacabane deHunding sous l'effet d'une force invisible peut donner à penser que le
printemps astronomique fait ainsi une entrée solennelle. En réalité, celui qui fait sonentrée,
c'est le printemps climatique qui a en règle générale dans le climat continental un certain
retardsursondébutofficiel.D'ailleurs,letexte dupoèmelève touteambiguïté: «Wintersturme
wichen dem Wonnemond» (les orages de l'hivercèdent aumois desdélices); Wonnemond
est un subtantif poétique qui désigne le mois de mai.
Le2eacte a pourcadre unsitesauvage demontagnes rocheuses quin'est pasle même
que celui des scènes 2et4duRheingold comme des mises enscènes plus oumoins abstraites
85
peuvent le laisser penser. L'action se passe te lendemainde l'acte premier, vraisemblable
ment dans l'après-midi. Le rideau est tombé à la fin du 1er acte pour éviter aux spectateurs
des chosesqui auraientpu heurterleurpudeur. Onne sait pas exactementsi le frère et la soeur
ont choisi de faire l'amour tout de suite, sous le toit de Hunding, ou s'ils ont préféré s'enfuir
d'abord. E existe cependant la référence à la musique du prélude du 2e acte qui indique
clairement la succession: fuite, volupté,fuite. Pendantce temps, Hunding dormait et il s'est
réveillé probablementassez tard à cause du somnifère; ensuite il a pris te temps de constater
le délit, de faire sa réclamation à Fricka et celle-ci a eu le temps de l'enregistrer. Ceci dit, le
2e acte de la Walkyrie se déroule de manière parfaitement synchronique.
L'entracte entre le 2e et te 3e acte a un caractère tout à fait exceptionnel: il sert
seulement au repos du spectateur mais ne correspondà aucune rupture chronologique dans
le déroulement de l'action. La scène de la chevauchée des walkyries s'enchaîne immédiate
ment avec le combat et la mort de Siegmund et Hunding. On pourrait même dire que ces deux
scènes se passent simultanément dans des endroits différents. Le 3e acte se passe sur le
sommet d'une montagne rocheuse qui n'est évidemment pas la même qu'au 2e acte. La
montagne du 2e acte est au sud de celle du 3e, puisque Briinnhilde qui redoute le courroux
de son père demande à ses soeurs de regarder vers le nord pour guetter l'arrivée de Wotan.
Sieglinde dans sa fuite se dirigera vers l'est pour gagner la vaste forêt où Fafner veille sur son
trésor.
Ce 3e acte lui aussi se déroulede manièresynchronique.Quand Brunnhilde et Wotan
restent seuls, le soir commence à descendre et la scène se termine à la nuit tombée. Donc,
l'action de la Walkyrie depuis l'entrée de Siegmundjusqu'aux adieux de Wotan s'étend sur
une période de 24 heures ou un peu plus.
Quand le rideau se lève sur le premieracte de Siegfried, le délai qui s'est écoulé est
d'environ 20 ans; en additionnant à l'âge de Siegfried qui ne doit pas être inférieur à 18 ans,
la durée de la grossesse de Sieglinde. On peut s'interroger sur l'emploi du temps de la
malheureuse femme. En effet, la distance entre le rocher de Brunnhilde et la caverne de Mime
ne doit pas être très considérable, comme nous le verrons bientôt en examinant les
périgrinationsde Siegfried;on peutendéduire queSieglindea vécuseule dans la forêt peutêtre jusqu'à proximité de la caverne de Fafner comme les walkyries le lui avait conseillé (à
propos, celles-ci disent que Wotanévite de s'y rendre, pourtant on le trouvera là au 2e acte
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de Siegfried). Ce serait seulement quand elle s'est sentie sur le point d'accoucher que
Sieglinde aurait quitté son asBe pour chercher du secours.
Le décor du 1er acte représente une caverne avec deux entrées natureUes donnant sur
la forêt, plus une cheminée, eUe aussi naturelle, qui troue le sommet de la caverne: la forêt
sesitue donc dans une zone rocheuse etdéclive. Ce premier acte débute enfin de matinée ou
au commencement de l'après-midi. Siegfried acouru tout te matin dans la forêt et quand
Mime lui offre du rôti etde lasoupe, illes rejette endisant qu'il adéjà mangé seul. Une autre
indicationestqu'àla fin de lascène 2, au moment du départdu Voyageur, le soleil brilled'un
viféclat. Dans lascène suivante qui estlascène de laforge, ily aune contraction dutemps:
c'est-à-direque, relativement au temps nécessaireàtoutletravail métallurgiquede Siegfried,
cette scène est trop courte (ce n'est certainement pas l'avis des ténors qui chantent lerôle).
Logiquement, on peut estimer que l'acte setermine assez tard dans lasoirée.
Le2e actea lieule lendemain, dans la forêt profonde près de lacaverne de Fafner qui
est située à l'est de la caverne de Mime.Au début,il fait nuit et la lune apparaît pour éclairer
l'arrivéede Wotan. Quand cedernier quitte leslieux, lejourse lève. Arrivent alorsMime et
Siegfried qui ontmarché toute lanuit dans laforêt; leproblème étant desavoir comment ils
ont pu trouver leurchemin dans l'obscurité! Le temps passe très vite pendantcetacte puisque
lorsque Siegfried atraîné les cadavres deFafneretdeMime dans lacaverne, ilestdéjà midi.
Au premier tableau du 3e acte, on est dans unecontrée sauvage au pied du rocherde
Brunnhilde; Ufait nuit. Pendantl'entracte, Siegfried, sous la conduitede l'oiseau, a fait une
longue marche d'est en ouest partant deNeidhôhle pour rejoindre te rocher de la Walkyrie.
Wotan éveilleErda qui sort de la grottequi luisertde résidence à perpétuité: cette grottese
situedonc à proximité du rocher de Brunnhilde, ce dont nous aurons confirmation dans le
prologue du Crépuscule où les Nomes se tiennent sur te rocher en question.
QuandSiegfriedarrive, la nuitest éclairéeparl'apparitionde la lune.Si on admetque
cette nuit vient à la suite du jour où s'est passé le 2e acte, il faut admettreque notre héros a
marché tout l'après-midi, tout le soir et une partie de la nuit (puisqu'il a parcouru
nécessairement unedistance plus grande quelors de sa précédente sortie nocturne). Après
deux nuitssans sommeil et uneactivité physique intense (forge de l'épée, longues marches
en forêt, combatcontreledragon et transport decelui-ci), ilesttoujours frais et dispos avant
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de casser la lance de Wotan, de traverser le feu et de faire la cour à Brunnhilde: on ne peut
que s'étonner d'unetelle endurance! Cependant rien n'empêche depenser que Siegfried ait
pris une journée complète de repos en cours de route, et dans cette hypothèse on doit
reconnaître quePatrice Chéreau avait euune bonne idée en mettant le petitoiseau dans une
cage!
L'interlude entre la 2e et la 3escène décrit la traversée des flammes pendant une durée
supérieure aux exigences de la logique qui devrait nous valoir l'apparition d'un Siegfried
complètement carbonisé. Puis dans ladissipation desbrumes et desfumées, l'aurore paraît,
le cielpasse durose aubleu, unbrillant soleil illumine Brunnhilde endormie: lajournée qui
commence va être magnifique et riched'émotions sublimeset ardentes pournotrevaleureux
héros qui ne connaîtra pas le repos avant d'avoir honoré dignement son épouse qui elle, à
l'inverse de son partenaire, n'est certes pas en retard de sommeil!
Une incertitudepèse sur le tempsqui s'écoule entre la fin de Siegfried et le début du
Crépuscule; auminimum quelques jours et aumaximum quelques semaines. C'est le temps
nécessairepourque Wotanfasseabattre et débiterle frênedu mondetandisque Siegfriedet
Briinnhilde épuisent les charmes de la vie à deux.
Nous retrouvons le rocher de la Walkyrie dans le prologue du Gôtterdâmmerung. La
scène des Nornes qui se passe pendant la nuit est suivie d'un interlude orchestral pendant
lequel apparaissent successivement l'aurore, le lever du soleil et la pleine clarté du jour.
Siegfried fait ses adieux à Brunnhilde et prend le chemin de la descente pourgagnerla rive
duRhin (nous apprenons ainsi quelerocherdeBrunnhildesurplombe directement lefleuve).
Le voyage de Siegfriedsur le Rhin, illustrépar un interludeorchestral, a une durée difficile
à préciser mais que l'on peut estimer à quelquesjours voire à quelques semaines. Outre le
fait que Siegfried a dû se procurer une embarcation, il est certain, d'après ce qu'explique
Hagen au début de l'acte, que le hérosn'a pas gagnédirectementle palais des Gibichungen.
Nous aurons la preuve bientôt que la distance entre ce palais et le rocherde Brunnhilde est
relativement courte. Mais, à son départ, Siegfried ne semble pas s'être tracé un itinéraire
précis et c'est seulement après avoirentenduquelquepart vanter la gloire de Guntherqu'il
décide de lui rendre visite. En conséquence, quand Hagen au premier acte dit que Siegfried
rame contre te courant du fleuve, on ne peut pas en déduire que le palais de Gunther se situe
en amontsur le coursdu Rhin par rapport au rocher de Brunnhilde (la preuve de cela, nous
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l'aurons au 2e acte quand Siegfried explique que Gunther et Brunnhilde remontent le cours
du fleuve).
Au premier tableau du premier acte, les événements se présentent de manière
synchronique avec toutefois un épisode fort énigmatiquequiestle momentoù Siegfriedboit
le philtre d'oubli. Dans un drame aussi chargé de sens que l'Anneau du Nibelung, ce philtre
ne saurait être une simple potion magique comme dans les contes pour enfants: il a
nécessairement une signification symbolique. Or, par essence, l'oubli ne saurait être
instantané. La fonction symbolique de ce philtre serait donc de fixer un laps de temps vague
mais assez long pendant lequel Siegfried, résidant chez Gunther etséduit par Gutrune, se
serait peu à peu détaché complètement du souvenir de Brunnhilde. Mais ceci est en
contradiction avec lerécit de Waltraute àlascène suivante, disant que, récemment, Wotan
est rentré au Walhall en tenant à la main les morceaux de sa lancebrisée.
L'interlude orchestral entre lesscènes 2et 3,ainsi que la rencontre entre Brunnhilde
etWaltraute, condense te temps nécessaire au voyage de SiegfriedetGunther. (A ce propos,
on peut se demander comment Siegfried, qui ne garde plus aucun souvenir de sa rencontre
avec Brunnhilde, fait pour laretrouver sans difficulté). La distance peut être appréciée par
ce que l'on sait de la durée du retour. Non pas celui de Siegfried qui est instantané grâce au
Tarnhelm, mais celui de Gunther qui emmène Brunnhilde. On sait que Siegfried, sous
l'aspect de Gunther, apassé la nuit près de Brunnhilde, séparé d'elle par son épée; puis, au
petit matin, il l'a conduite jusqu'au rivage où le vrai Gunther apris sa place. Or, à peine
Siegfried a-t-il terminé le récit de ces événements àGutrune et àHagen que celui-ci s'écrie:
«J'aperçois au loin unevoile»; et il atoutjusteletempsde convoquerles hommes pourqu'ils
fêtent leretour de leur souverain. Apartir de ce moment, lereste du 2e acte sedéroule dans
une parfaite vraisemblance chronologique.
Le 3e acte se passe le lendemain, conformément au plan exposé par Hagen àla fin du
2e acte. Pendant l'entracte, ont eu lieu successivement les cérémonies et les festivités de
mariage, la nuit de noces et la partie de chasse. La scène avec les filles du Rhin se passe en
fin d'après-midi. Les ondines ne se sont guère déplacées sur le cours du fleuve: àla fin du
Rheingold, on entendait leurs plaintes monter de la vallée en bas du Walhall etmaintenant
elles nagent près d'une forêt dans les environs de la résidence des Gibichungen. Ceci est
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logiquement cohérent: ces différents lieux doivent être nécessairement assez proches
puisqu'à l'épilogue onvoit que les fiUes du Rhin sontprésentes pourrécupérer l'anneaujuste
avantd'apercevoirle Walhall en flammes.
Lerepas que Hagen demande aux chasseurs depréparerestunrepas defindejournée.
Le crépuscule commence au moment dumeurtre de Siegfried; quand le cortège funèbre se
met en marche, la nuit est déjàtombée et la scènefinalea lieu en pleine nuit, au clair de lune
et àla lumière des torches. L'actiondes trois actesdu Gôtterdâmmerung s'étend donc surtrois
journéessuccessives. Lesdeuxpremières nuits se passent pendant les entractes et le rideau
tombe définitivement au cours de la troisième nuit.
La dernière image que Wagner propose dans ses indications scéniques n'est généra
lement pas réalisée au théâtre: c'est la vision des dieux et des héros rassemblés dans te
Walhall, tels que Waltraute les a décrits dans son récit du 1er acte, et qui disparaissent
finalement dans les flammes. Dans la partie du poème que Wagner supprima de la scène
finale, il est dit que le Walhall se trouve au nord par rapport au palais des Gibichungen. A
l'aide de ce dernier renseignement, il est possiblede représentersur un schéma les empla
cements respectifsde tous les lieuxde l'action de laTétralogie. On peut mêmesupposer que
le Maîtres'en était dessinéun du mêmegenrepourne pas se brouillerinutilementles pistes!
QUELQUES SITES DE TOURISME TETRALOGIQUE
Best peu de dire que la Nature est omniprésente dans le Ring. Une Naturegrandiose
et sauvage que Wagner connaissait bien pour l'avoir abondamment fréquentée au cours
d'innombrables promenades, randonnées et courses de montagne.
Pour le wagnérien, la Nature symbolise la Tétralogie au même titre que le cygne
symbolise Lohengrin. Une promenade dans une forêt profonde et silencieuse et le voilà
transporté dans le 2e acte de Siegfried; un vaste paysage de hautemontagne le remplit du
«sentiment d'auguste sainteté de la solitude» et il se plaîtà imaginer l'arrivéede Siegfried
auprès de Brunnhilde; et le jour où notre wagnérien emmène sa famille aux grottes de la
Balme ou à l'aven d'Orgnac, il est fort improbable qu'il n'en vienne pas à évoquer les
profondeurs du Nibelheim.
90
Ceci dit, il n'existe, dans le texte du Ring, aucune indication permettant de situer
exactement un lieu sur une carte de géographie. Malgré cela de nombreuses excursions
peuvent offrirà l'amateurdiverses possibilités d'imprégnation tétralogique.
LA VALLEE DU RHIN
Ce haut lieu touristique est plus riche de perspectives romantiques que de visions
réeBementtétralogiques. Lesburgsperchéssur leshauteursn'évoquentpas convenablement
le Walhall et il est bien difficile de s'imaginer les filles du Rhin évoluant dans les parages
du rocher de la Lorelei tant la navigation y est intense. Cependant, divers endroits
relativement dispersés, relativement peu connus, peuvent suggérer d'une manière plus ou
moins efficace tel ou tel épisode ou décor de l'univers merveilleux du Ring.
B faut signaler tout d'abord un passage où, comme le veut la logique de l'histoire du
Rheingold, le cours du fleuvefait un angle brusque et couled'est en ouest sur environ trois
kilomètres. C'est à la sortie du villagede Gemsheim, à une vingtainede kilomètres au nordest de Worms. Dans un paysage plat et morne, un petit café-restaurant baptisé Rheinglod est
le bien modeste et unique repère de ce qui fut dans les temps anciens un lieu d'orpaillage.
A Worms, on ira contempler la statue de Hagen sur la promenade longeant la rive
gauche du fleuve, même si elle représente le héros du Nibelungenlied en train de jeterle trésor
dans les eaux du Rhin et non le triste fils d'Alberich. Nous rappelons à ce sujet que le texte
de Wagner ne fait pas mention de Worms, alors que la légende en fait la capitale du royaume
de Gunther. La ville ne néglige pas ce titre de gloire et se présente comme «la ville des
Nibelungen». Siegfried tuant le dragonn'est représentéque par une minuscule statue sur la
place du marché mais, fort spirituellement, les allemands ont baptisé «Nibelungen Ring» le
boulevard qui va dans la direction de Mayence. On peut admirer dans le musée de Worms,
ainsi que dans celui de Bonn, des pièces de fouilles du Haut Moyen-Age (armeset bijoux).
De Worms, part la route touristique dite Nibelungenstrasse avec son annexe la
Siegfriedstrasse. Passant par les pentes boisées de l'Odenwald et traversant des petites villes
anciennes pleines de charme, un parcours extrêmement agréable offre la possibilité d'inté
ressantes excursions aux fontainesde Siegfried (Siegfried Brunnen) qui, vu leur abondance
(en nombreplus qu'en débit!) méritent un paragraphe particulier.
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Toujours dans la région rhénane, le touriste curieux peut monter sur le sommet du
massif montagneux duTaunus aunord-ouest de Francfort, le Grosser Feldberg. Onpeut y
voir un petit espace rocheux en plan incliné qui a reçu des autochtones lenom derocher de
Brunnhilde. Comme les citadins fréquentent ce lieu à la belle saison poury allumer leurs
barbecues, onaaussi lapossibilitéd'y voirdufeu; etmême, àl'extrêmerigueur, lesbâtiments
d'architecture très massive de l'émetteurde télévision qui est tout prochepeuventêtre pris
pour teWalhall parceux dont l'imagination selimite aux conceptions des metteurs enscène
modernes les moins doués.
En revanche, les traditionnalistes et autres primaires ne doivent absolument pas
manquerl'excursion auDrachenfels(la montagne du dragon) audépart deKônigswinter, sur
la rive droite duRhin, justeausuddeBonn. C'estlàqu'unedesnombreuses variantes dela
légende place l'épisode aucours duquel Siegfried estvenu àbout dumonstre. On peut y voir
unchâteau de style néo-gothique-fin duXDCe dont l'intérieur estdécoré de fresques sur la
légende des Nibelungen. Mais surtout, il faut absolument visiter la Nibelungenhalle, un
bâtiment de dimension relativement modeste édifié en 1913, pour le centenaire de la
naissance du Maître, avecdes fonds recueillis par la société Richard Wagnerde BerUn. B
s'agit ni plus ni moins d'un temple édifié au dieu Richard Wagner dans un style néohyperboréen que mes très modestes connaissances enarchitecture ne me permettent pas de
vous décrire avec précision. Après avoir acquitté ledroit d'entrée dece qui est maintenant
une propriété privée, onpénètre dans une salle unique circulaire surmontée d'unecoupole et
dont lepavement estfait depierres polychromes qui dessinent le grand serpent mythologi
que. Au fond, sedresse une sorte d'autel orné du profil de Wagner etde l'inscription: «Ehrt
Eure Deutchen Meisteo> reprenant les paroles deHans Sachs à lafin des Maîtres Chanteurs.
La salle est décorée par de grandes peintures dues à Hermann Hendrich représentant des
scènes del'Anneau duNibelung. L'ensemble, dont l'abord estaussi monstreux quedésuet,
peut finir par être extrêmement émouvant pour levisiteur baigné dans une ambiance sonore
wagnérienne, pour peu que ce visiteursoit un dévot au coeurtendre etqu'il n'aitpas peurdu
mauvais goût, ce qui est mon cas.
Enfait,lesvisiteurs dansleurimmense majorité nesontpaswagnériens et ne fontque
passer rapidement dans ce lieu, avec un regard rempli d'étonnement etd'incompréhension,
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pourcontinuerlesens delavisite endirection d'untrès riche vivarium présentant une grande
variété de reptiles avecou sanspattes. Leparcours permet entretemps d'admirerun énorme
dragonen cimentdans une fausse grottedu même métal.
LES FONTAINES DE SIEGFRIED
Ondésigne ainsilessources pouvant êtrecelles où,se penchant pour boireà l'ombre
des tilleuls, Siegfried fut frappé dans le dos par l'épieu de Hagen comme te raconte te
Nibelungenlied. La raison pour laquelle on doit employer le pluriel est que les maîtres
d'école, lesecclésiastiques et autres érudits locaux ont interprété lesdivers manuscrits de la
chanson des Nibelungen de façon différente et cherché à situer sur leur propre territoire
l'emplacementdelafameusesource. Evidemment les renseignements trèsvagues fournis par
lesmanuscits permettent demultiples hypothèses. Bn'est pas de notre ressort d'en juger, ni
denous plaindre devisiter quatre sources aulieu d'uneseule, sans d'ailleurs êtrele moins
dumonde assurés qu'uned'ellessoitla bonne puisqu'aussi bienl'existence historique d'un
modèle de Siegfried est égalementcontroversée.
Les récits concordent pour situer le lieu de la mort de Siegfried quelque part dans
l'Odenwald, région depetite montagne à l'estdeWorms oùsetrouvait lepalais de Gunther.
Un premier lieuse trouve près du viBage d'Odenheim, entre Heidelberg et Karlsruhe, au
nord-est de Bruchsal. Sur la façade du Rathausd'Odenheim, on peut voir un petit bas-relief
qui représente Siegfried ayant abattu le dragon. Pour trouver la fontaine, il faut prendre la
route conduisant aux installations sportives duvillage (Siegfried Stadion!). Le monument
encadrant lasource représente Hagen brandissantsa lance derrière Siegfried quiesten train
deboire, avec une inscription reproduisant unpassage dumanuscrit CduNibelungenlied qui
mentionne le site d'Otenhaim. Cependant, nous sommes un peu trop loin de Worms pour
penser que ce soit le lieuidéal: il convient de chercher plus au nord.
Unsitetout à faitplausible topographiquement estcelui de la Fontaine desTilleuls à
Heppenheim, à environ 20kilomètres à l'est de Worms. Lafontaine en question se trouve
en plein environnement urbain, juste en face de l'entrée de la grande fabrique de glaces
Langnese-Iglo. Bs'agit d'unesorte de puits plus ou moins à sec avec, gravé sur unepierre
voisine, untableau expliquant qu'onsetrouve bien aubonendroit. Mais, si l'on souhaite un
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coin plus romantique, mieux vaut se rendre à la station suivante, la Lindenbrunnen près
d'Hiltersklingen. La sourcejaillit dans la forêt,à environ100mètresde la route. Sur un terre-
plein bordé de tilleuls, l'eau coule dans unpetitbassin entouré de blocsde pierredont l'un
porte une plaque explicative. Dans la solitude et te silence, dans la lumière ombreuse d'un
soleildéclinant, onpeuts'y croire. Pourtant, c'estune quatrième source, laSiegfriedbrunnen
de Gras-Ellenbach qui est lapluscélèbre. Il fautreconnaître que lesgensde la localité n'ont
pas ménagéleurseffortspourpersuaderlestouristes que c'était bienchez eux que se trouvait
la véritable fontaine. E parait même que, la source ayant tari dans les années 50 à la suite
d'opérations de déboisement, ils n'ont pas hésité poursauver le site à l'alimenter par une
conduite d'eau communale!
De la fontaine d'Hiltersklingen, on rejoint facilement Gras-Ellenbach. C'est un
important centre de villégiature qui serait relativementbanalsi les noms des rues etdes hôtels
n'étaient pas tous ou presque empruntés au Nibelungenlied. La fontaine de Siegfried est le
but d'une beUe et assez longue promenade en forêt, facilitée par les nombreux panneaux
indicateurs.Une majestueuse alléede sapinsconduitjusqu'à la source qui coule timidement
entre des blocs de pierre. Un peu en arrière, se dresse un petit monument de pierre rose
surmonté d'une croix et où est gravé le passagedu Nibelungenliedrelatant les circonstances
de la mortde Siegfried. La présence d'une croix est icibienétrange. Mêmesi elle rappelle
seulement le signe cousu sur le vêtement du héros, elle a peut-être une signification
symbolique plus générale: tout commeJésus fils de Dieu est mort par la Croix, Siegfried
petit-fils de Wotan est aussi mort par une croix. Pour poursuivre cette méditation, il vous
restera à faire une étape à l'hôtel Siegfriedbrunnen, le meilleur de Gras-Ellenbach, décoré
abondamment à l'extérieur et à l'intérieur de personnageset de scènes de la légende.
DES PAYSAGES DE MONTAGNE
Un centre d'intérêt attirera les wagnériens épris de hauteur et ne rechignant pas à
l'effort physique:ce sont les montagnes de laSuisse. Onsait que Wagnerétait un redoutable
alpiniste qui trouvait dans ses longues courseset randonnées, non seulement un dérivatif et
un calmant de son intense activité intellectuelle, mais aussi certainement une source
d'inspiration dans la majesté et le silence des paysages de haute montagne. Il en parle luimême dans son autobiographie,à propos notammentdu col de Julier et du glacier de Roseg
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dans la région de Saint-Moritz. Les amateurs intéressés doivent savoir que le catalogue des
excursions de Wagnerdans les montagnes suisses aété établi scrupuleusement par plusieurs
biographesetqu'ilsontdonclapossibilitédesuivrelestracesduMaîtreenutilisantaubesoin,
s'ils sont moins courageux que lui, divers moyens de locomotion mécaniques.
Une autre région que Wagnerasouventparcourue, dont les paysages ontcertainement
marqué son imagination et dont il s'est probablement souvenu notamment pour le décor du
2e acte de laWalkyrie, est laSuisse Saxonne près de Dresde, particulièrement lesite dit de
la Bastei, un paysage impressionnant de rochers, d'immenses falaises, de pitons et de
gouffres sauvages.
SUR LA ROUTE DE BAYREUTH
On peut regrouper divers lieux assez dispersés mais qui peuvent être visités par le
touriste wagnérien en route pour Bayreuth ou en ballade pendant les deux jours où Bn' ya
pas de représentation dans un cycle de Ring.
Une curiosité tout à fait remarquable est l'amas de rochers dans un site de forêt à
Luisenburg dans le Fichtelgebirge, àune quarantaine de kilomètres àl'est de Bayreuth: on
nesauraitrêverde meilleurdécorpourle 2e actede Siegfried. LaSuisse Franconienneausud-
ouestde Bayreuthoffre aussi de bellesperspectivesde rochers au profil toumentéetplusieurs
grottes naturellesdontlaTeufelshôhle,lagrottedudiable,bienàmêmed'évoquerleroyaume
souterrain d'Alberich.
Parcontre, levastetemplenéo-grecquiportelenomdeWalhaU.enbordureduDanube
près de Ratisbonne, ne convient guère pour représenter la demeure des dieux germaniques
même si l'intérieur est décoré de scènes de la mythologie nordique. C'est une sorte de
Panthéon renfermantunecollectionde bustesdes grands hommesde l'AllemagneoùWagner ,
figure en bonne place.
t, u, ^
Dans le domaine de la représentation picturale, il faut mentionner les fresques sur la ^
légendedes Nibelungenquidécorent l'hôteldevilledePassauetcellestraitantdumêmesujet ^
au palais de la Résidence àMunich dues àJulius Schnorrvon Carolsfeld, le père du célèbre ^
ténorcréateurde Tristan. Des représentations plus spécifiquementwagnériennessont àvctfr ^
àWeimar dans le grand hôtel de l'Eléphant, sans oublier celles qui ornent le hall de la villaWahnfried. ABayreuth également, en bordure du Hohenzollemring, ont été places deux
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fragments d'un monument resté inachevé à Leipzig dont l'un représente Hagen tuant
Siegfried (et l'autre Senta et les fileuses).
Quantauxchâteauxde Louis II, ils n'offrentguèred'évocations tétralogiques, même
si la perspective de Neuschwanstein peut paraître adéquate pour évoquer la demeure de
Wotan. Uneexception toutefois:c'est lacabanede Hundingque Louis E avait fait construire
dans le parc du château de Linderhof; l'original, détruit à la fin de la deuxième guerre
mondiale, a été reconstitué. Après une longuepromenadedans les bois, le wagnérien sera ravi
par la visite de cette Hundingshutte entièrement fidèle à la description des indications
scéniques du 1er acte de la Walkyrie.
Enfin, il ne faudrait pas terminer cette liste de sites touristiques sans mentionner
Brunnen au bord du lac des Quatre-Cantons. A uneépoque,Wagneravait sérieusement pensé
à utiliser comme décor pour sa Tétralogie la magnifique perspective qu'offre le paysage
depuis la rive de Brunnen avecunescène lacustre qui auraitété aménagée sur des pontons.
Mais l'affaire est tombée dans le lac, une fortetempêtede fôhn lui ayant fait comprendre que
son beau projet était susceptible de se terminer par un dramatique naufrage. Ainsi, comme
le pBote dans te Vaisseau Fantôme, leswagnériens peuvent chanterles louanges du ventdu
sud: sans lui le Festspielhaus de Bayreuth n'aurait peut-être jamais existé!
100
PARSIFAL
Denosjours, lepersonnage important del'expression del'artwagnérien estlemetteur
enscène. Alors que lesvoyages nesontpour levulgaire qu'un moyen d'éveiller sa maigre
imagination, ilsapparaissent pour lemetteur enscène comme une nécessité providentielle.
Ainsi, lorsqu'au retour d'un voyage d'agrément du côté d'Hiroshima, on lui propose de
mettre en scène Parsifal, son imagination prodigieuse et son sens pratique lui montrent
immédiatementoùsituerl'action. Pourparfaire saconception, lecherhommevoyageencore
et visite tour à tour, un centre d'études nucléaires, la cathédrale de Chartres et les Folies
Bergère. Voilà qui confirme bien que tous les chemins mènent à Parsifal. Mais enfin, ce
chemin-là n'est pas le seul.
Benestd'autres, plus... naturels. Un premier qui suit Richard Wagner pendant latrès
longue période qui s'étend entre la conception imprécise du sujet etlaréalisation complète
del'oeuvre. Unsecond quimène à ladécouverte delieux oùl'imagination peut trouver une
concrétisation du monde de Parsifal.
C'estàMarienbad oùilétait venu goûter les bienfaits duthermalisme, enjuillet 1845,
que Wagner lut le Parzifal de Wolfram von Eschenbach: «Un livre sous le bras, je
m'enfonçais dans laforêt, puis allongéprès d'un ruisseau, je me distrayais en compagnie
de Titurel et de Parsifal.»
103
Pourtantce n'est pas Parsifal qui retintalors son attention, mais Lohengrin. Wagner
établit le planscénique complet de sonLohengrin pendant ce séjourà Marienbad, en même
temps d'ailleurs qu'il esquissait le scénario de ses Maîtres Chanteurs.
Dix ans plus tard, le personnage de Parsifal revint à son esprit au moment où il
concevait son projet de Tristan, à Zurich: audernier acte, l'image de Tristan blessé à mort
se confondait avec celle d'Amfortas, et Tristan surson lit de souffrance recevait la visite d'un
Parsifal errant à la recherche du Graal, comme si la passion mystique se portait au secours
de la passion amoureuse.
Dans cette période de gestation de Tristan, Wagner conçut également te projet d'un
drame mystique d'influence bouddhique «Les Vainqueurs» qui neverra jamais lejour, mais
qui plus tard marquera deson influence le message philosophique de Parsifal. •
Le premierprojetspécifiqued'undramesurParsifaldate duprintemps 1857.AZurich,
Richard venait de s'instaUer dans une joliemaison qu'il appelait l'Asile et quise trouvait à
côté de la villa de ses amis Wesendonck. «Le VendrediSaint, je meréveillaipar unbrillant
soleil qui se montraitpour lapremièrefoisdepuis que nous habitions cette maison; notre
jardinet verdissait, les oiseaux chantaient; enfin, jepouvais m'asseoir sur notre balcon et
jouir du calme tant désiré. Pénétré dejoie, je me souvins tout à coup que c'était Vendredi
Saint etje me rappelai qu'une fois déjà j'avais été frappé d'un avertissement solennel
semblable dans leParsifalde Wolfram, Depuis mon séjour à Marienbad, oùj'avais conçu
lesMaures ChanteursetLohengrin,jenem'étaisplusoccupédecepoème, mais aujourd'hui
l'idéalisme de son projet me dominait. Partant de l'idée du Vendredi Saint, je construisis
rapidement tout un drame en trois actes, et l'esquissai sur le champ en quelques traits».
Enserappelantcettejournée, biendes années plus tard, ilavouera àCosima: «En vérité
tout cela était bien tiréparles cheveux, comme mes amourettes, car cen'étaitpasdu tout
un Vendredi Saint, il n'y avait qu 'une atmosphère agréable dans lanature dontje me suis
dit: ça devait être comme ça le Vendredi Saint. »
Les amourettes dont ils'agit, c'estenfaitlagrandepassionpourMathildeWesendonck,
d'où naîtra Tristan.
Dans les années qui suivirent de 1858 à 1860, Wagner qui avait quitté Zurich et
Mathilde, mais qui continuaitàlui écrire, lui parlaitsouventdusujetde Parsifalqui lentement
104
mûrissait en lui, de l'importance du personnage d'Amfortas, de l'identification entre la
sauvage messagère du Graal et la séductrice démoniaque.
Mais cen'estqu'en1865, à lafin du mois d'août àMunich qu'ilécrivit une esquisse
en prose très détaiBée de son drame sacré. A la fin du texte, il ajouta ces mots: «C'était un
secours dans ma détresse». Btraversait alors une grave crise dedépression engendrée parles
difficultés desasituation munichoise, desaliaison avec Cosima, etaggravées parlechagrin
quelui avaitcausé la mort de son Tristan, le ténor Schnorr.
Notons que Nietzsche aura connaissance de cette esquisse à la fin de l'année 1869,
c'est-à-dire bien avant qu'il ne déchaîneses sarcasmes contre la religiosité du sujet.
Dixansaprèsavoirécritl'esquisse,Wagnerprit larésolution decomposersonParsifal.
Bvivaitmaintenant à Bayreuth, confortablement installé dans sa bellevillaWahnfried.Mais
il était à ce moment-là trop absorbé par la construction de son théâtre et la réalisation du
premier festival. Il dut donc attendre le débutde l'année 1877 pour commencer à écrire un
texte en prose d'aprèslesesquisses de 1857 et 1865; il termina laversification dupoème le
19avrilde la mêmeannée.Début août,il commença la composition avecautantd'ardeurque
s'il faisaitde la musique pour la première fois; l'esquisse de composition du troisième acte
futterminée enavril1879.Maisauparavant, Wagneravaitdéjà orchestré lePrélude eten avait
dirigé l'exécution à Wahnfried le jour de Noël 1878.
Ensuite, las, malade ou désabusé,en un motvieilli,cherchantle repos et le soleil dans
de longs séjours en Italie du Sud, il fit traîner pendant près de trois ans le travail sur la
partition. Elle fut achevée le13janvier 1882 àPalerme. Les représentations deParsifal eurent
lieul'été suivant au Festspielhaus et remportèrent un succès triomphal.
DES VILLES ETAPES
MARIENBAD
La maison «Zum Kleeblatt» où Richard logeaen 1845existe toujours au début de la
rue Karlovska, signalée paruneplaque commémorative. C'est làqu'il pritconnaissance du
sujet de Parsifal.
105
ZURICH
L'Asile de Wagneroù il vécuten 1857-58, où il ressentitl'Enchantement du Vendredi
Saint et où il commença la composition de Tristan, se trouve dans le quartier de Enge. La
maisonaété très modifiée etsert aujourd'huid'annexe àun muséedescivilisationsorientales
(MuséeRietberg)dont la villa Wesendonck voisineabritela plusgrande partie. Le wagnérien
sera bien sûr déçu des transformations subies par les lieux, mais il pourra quand même se
recueillirprès d'une stèle commémorative dans le grand parc de la villa Wesendonck et
devant le buste du Maître qui ome le petitjardin de l'Asile.
MUNICH
La maison où Wagner écrivit l'esquisse en prose de son drame a disparu sous les
bombardements. Près desPropylées, surlemurd'une école(37Briennerstrasse), uneplaque
commémorative enrappelle l'emplacementet leséjourqu'y fit Wagner en 1864-65. D'autre
part,unmonument représentant teMaître livré àsoninspirationsetrouve danslejardinpublic
près du Prinzregententheater.
PALERME
Wagner y termina lapartition deParsifal pendantsonséjourà l'HôteldesPalmes, via
Roma. L'hôtel gardeprécieusement lesouvenirdesonhôteillustre: plaquecommémorative
sur l'arrière du bâtiment,via Riccardo Wagneret grandbuste dans le hall d'entrée. On peut
même s'offrir le luxe de demander à dormir dans la chambre du Maître: deux chambres
meublées à l'ancienne (n° 122 et 124) entourent le grand «salone Wagner».
BAYREUTH
C'est évidemment la ville de Parsifal par excellence. Wagner écrivit le poème et
composa toute la musique à Wahnfried. Le Festspielhaus fut le théâtre des premières
représentations et engarda leprivilège exclusif pendant trente ans. De nos jours, l'émotion
ette recueillement des participants imprègnent toujours une représentation deParsifal. Ilest
inutile, je pense, d'insister surladescription deces lieux chers entre tous aux wagnériens.
106
DES LIEUX EVOCATEURS
Personne ne doit trouver le cheminde Montsalvat, s'il n'est pas digne de servir le
Graal. Byadonc quelque présomption àvouloir le chercher, mais qui n'est rien àcôté de la
présomption de croire qu'on peut le trouver sans le chercher.
En route, donc.
Wagnersitue le Montsalvat dans une région qui ales caractères du nord de l'Espagne
gothique. Lorsque Gumemanz conduit Parsifal au Gralsburg, ils traversent un passage entre
des grands rochers.
Cette description sommaire s'accorde assez bien avec l'aspect de la Sierra de
Montserrat qui se trouve àune trentaine de kilomètres au nord-ouest de Barcelone. Dressée
dans un environnement de terres basses, la Sierra qui atteint 1235 mètres d'altitude est un
massifd'origine sédimentaire dont les rochers sont formés de conglomérats de galets liés par
un ciment naturel. Le vent etlapluie ont façonné et poli ces roches, leur donnant les formes
lesplusétrangesoùsesuccèdentblocs ruiniformes etfalaises abruptes. Montserraten catalan
signifie montagne sciée, car sa silhouette évoque la lame dentée d'une scie.
Bmanque cependantàce paysage la forêt ombreuse etle lac où se baignent les cygnes
que Wagner mentionnedans ledécordupremieracte. Bvaudraitmieuxchercherun tel décor
dans les Alpes bavaroises, du côté de Hohenschwangau où Wagner fit d'ailleurs un séjour
encompagnie duroi Louis E, à l'automne de 1865.
A Montserrat, setrouve une abbaye bénédictine dont l'origine remonte autemps où
les Maures avaientétenduleurdominationsurl'Espagneetconfiné les Chrétiens dans lenord
du pays. (Notons qu'il n'a jamais été question àl'époque d'un ordre àla fois religieux et
militaire voué àla garde du Saint Graal). Les bâtiments actuels de Montserrat qui datent du
XDCe siècle ont un caractère très religieux etclérical de centre de pèlerinage etn'évoquent
en rien l'austère splendeur du Gralsburg.
Onlitsouventdanslesguidesdevoyageque lesite impressionnantetlasauvagebeauté
deMontserratontinspiréWagnerpourlacréation deParsifal. Enfait, rienn'estmoins certain
et on n'en trouve pas mention dans les témoignages écrits laissés par le Maître qui de toute
manière n'est jamais allé en Espagne. Finalement il semble qu'une des raisons essentielles
107
de l'assimilation de Montserrat à Montsalvat soit la consonance de ces deux mots ayant
chacun dix lettreset commençant et finissant par le même son.
Une évocation plus proche du siège de la confrérie du Graal serait le château de
Montségurdans l'Ariège àune trentaine de kilomètres au sud-estde Foix. Les ruines de cette
forteresse dressée surunpic rocailleux,théâtre de l'ultime holocaustedel'églisecathare,sont
unhaut lieu du romantisme ésotérique. Le 16 mars 1244, lesderniers résistants aunombre
de deux cents furent parqués au pied de la montagne et moururent pour leur foi dans un
gigantesque bûcher.
La légende court toujours d'un trésor des Cathares, caché sous le château ou ailleurs,
etdontfaisait partie la coupe sacrée du Graal. C estdonc avant tout de l'évocationlégendaire
etde laméditation que relève le rapprochement entre Montségur etMontsalvat. En effet, si
nous revenons sur le plan du décor, ilfaut convenir que la forteresse, avec ses dimensions
modestes, ne sauraitcorrespondre àun burg fabuleux pouvantcontenir un temple grandiose.
Ce temple, Wagner lui-même en avu la représentation dans la cathédrale de Sienne.
La coupole s'appuyant sur des colonnes rayées de marbre clair et sombre, hexagonale àsa
base puis dodécagonale avec des galeries àcolonnettes, aété fidèlement reproduite dans les
décors de la création àBayreuth en 1882. Pendant le séjour qu'il fit àSienne àla fin de l'été
1880, Wagnervisita plusieurs fois lacathédrale. Cosima anoté dans sonJournal: «R. estému,
c'est la plus grande émotion que lui aitjamais donnée un édifice. »Bdemanda au peintre
Joukowsky qui l'accompagnait de faire de l'intérieur de la cathédrale des dessins qui
servirent de modèle pourtesdécors de Bayreuth.
Puisque nous sommes à Bayreuth, il faut signaler, dans la Suisse Franconienne, le
charmant petit château de Gôssweinstein perché sur une hauteur. Les gens du lieu se flattent
en disant que Wagner, en excursion dans le coin, yaurait vu la figuration du Gralsburg, mais
cette fable folklorique n'impressionne plus personne.
Undécor dont il a réellement ressenti l'évocation, c'est celui duJardin Enchanté de
Klingsor. Séjournant àNaples, il partit te 26 mai 1880en excursion àRavellosurles hauteurs
de lacôte Amalfitaine. Bvisita les jardins de lavilla Rufolo dont lafantastique, féerique et
étourdissante beauté s'harmonise avec l'architecture mauresque et le panorama de la mer
dans une magie de lumière etde couleur. Surle livredes touristes, Wagnerécrivit: «Ilmagico
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giardino di Klingsor e trovato». Cette phrase est maintenant reproduite sur une plaque
commémorative. Des concerts wagnériens ont lieu chaque année dans les jardins de lavilla
Rufolo.
Richard Strauss, qui chérissait Parsifal et dont on connaît par ailleurs le côté
pragmatique, a trouvé l'évocation de deux décors en un seul lieu, à Sintra à l'ouest de
Lisbonne, dans le palaisde Pena: le châteaudestyle néoxyzdu XIXesiècle pourle Gralsburg
et le parc pour le jardin de Klingsor. Amon tour, j'yvais de ma petite suggestion pour le
temple avec la Sacra di San Michèle, très ancienne abbaye bénédictine perchée au dessus de
la vallée près d'Avigliana sur la route de Turin. Je connais même un lieu qui s'appelle Mont
Salvadans un paysage sylvestre sur la commune du Brusc entre Sanary et Toulon, mais rien
n'y rappelle l'univers du Graal. Quant àl'intérieur du château du sorcier Klingsor, j'avoue
ne pas avoir su où en chercher un modèle; il n'y a là rien d'étonnant, car le propre de
roccultisme, surtout s'il est maléfique, est de restercaché.
Brestedanslesdécors de Parsifal àsituerlaprairie enfleurs montant en pentedouce,
illuminéeparla clarté du matin oùseproduitl'Enchantementdu Vendredi Saint. Le roi Louis
ndeBavière, quis'yentendaitcommepersonnepourfabriquerdesdécorswagnériens, s'était
fait aménager une prairie, avec sacabane d'ermite etl'indispensable source, dans le parc de
sonchâteau de Linderhof. Le passage des troupes américaines qui séjournèrentdans les lieux
à lafin dela deuxième guerre mondiale, l'a renvoyée au magasin duthéâtre imaginaire.
C'estdans cemême magasin que doit figurer lacoupe sacrée, symbole mystérieux et
envoûtantdel'inaccessible,le SaintGraal. Pourtant dansses innombrables reliques, l'Eglise
catholique romaine en présente deux exemplaires: le Sacro Catino de Gênes etle Santo Caliz
de Valence. Dans le trésor de la cathédrale Saint-Laurentà Gênes, on admire une large coupe
d'une belle,couleur verte. Les Génois qui la ramenèrent des Croisades la croyaient
d'émeraude, cadeau de laReine deSabaàSalomon et utilisée parle Christ lorsdela dernière
cène. Mais lorqu'elle sebrisa quand Napoléon lafit transporter àParis, ilfallut bien convenir
qu'elle était seulement en verre.
Dans lacathédraledeValence enEspagne, dans lachapelle duSaintGraal, onconserve
dans une niche vitrée unpetit calice enagate cornaline qui appartint autrefois au monastère
pyrénéen de San Juan de la Pena après yavoir été transporté de Rome où ilservait de calice
pontifical.
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Aujourd'hui, les ecclésiastiques génois et valenciens semblent avoir aplani les
difficultés concernant l'authenticité de leurs deux reliques. Le Santo Caliz serait le calice
dans lequel le Christ consacra le vin en son sang; alors que le Sacro Catino serait la coupe
de 1' agneau pascal servi lors de ladernièrecène.Maison ne dit pas lequel des deux vases reçut
les gouttes de sang du Christ recueillies par Joseph d'Arimathie.
B existe de par le monde d'autres Graals (je me permets ce pluriel audacieux!) dont
l'authenticité est encore beaucoup plus douteuse: entre autres, le calice d'Antioche conservé
au Musée des Arts de New-York et une immensecoupe d'agate qu'on peut voir dans le trésor
de la Hofburg à Vienne. Ce même trésor renferme également une antique lance qui passait
pour celle qui aurait transpercé le corps du Christ.
De nos jours en parlant de reliques, on se place invariablement au conditionnel et au
passé: c'est que les reliques ont fait leur temps. Mais la quête du Graal, symbole de
l'aspiration à la transcendance, reste attachéeaucoeurde l'homme qui sait lever les yeux pour
regarderla lumière.Et quandla lumièreaccentue sa force, les décors s'estompent et lesyeux
se ferment pour écouter le charme transfigurateur de l'art.
Un jour que la musique de Parsifal vous aura entraîné dans cette béatitude, je vous
demande d'avoirune pensée pour un décorqui a certainement inspiré Wagner et fit battre son
coeurvieillissant. C'est un décor vivant, c'est l'image deJudith Gautier, belle fleur parfumée
dont le charme capiteux tourmenta la sérénité douce amère du vieux Maître.
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