D`ECO`SS fXPtltlWELS - Cercle Richard Wagner
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D`ECO`SS fXPtltlWELS - Cercle Richard Wagner
HENRI PERRIER McH^ •D'ECO'SS fXPtltlWELS Réalisation typographique: Chantai et Eva Perrier Cercle Richard Wagner - Lyon TABLE DES MATIERES Avant propos PaSe 1 Le Hollandais Volant PaSe 3 Tannhâuser PaSe 17 Lohengrin Paêe 29 Tristan et Isolde Paêe 41 Les Maîtres Chanteurs PaSe 55 L'Anneau du Nibelung Paêe 69 Le temps et l'espace pour écrire le Ring page 71 Le temps et l'espace pour jouer le Ring Paêe 81 Parsifal page 103 AVANT-PROPOS Dans les Rendez-vous wagnériens, parus en1981, jeprésentais une géobiographie où chaque chapitre relatait la vie de Richard Wagner dans une ville ou dans une région en décrivant les lieux où il avait séjourné pour proposer au lecteur une sorte d'itinéraire de pèlerinage. Reprenant la même idée, j'aiprésenté aux séminaires du Cercle Richard Wagner de Lyon, entre 1982 et1992, une série de causeries ayant comme sujet chaque fois une oeuvre. Outre un rappel biographique de la genèse de l'oeuvre, j'y mentionnais les demeures où Wagner l'avait écrite; mais jesignalais en outre des paysages ou des monuments correspon dant àundécornaturel ouévoquant tel épisode ou tel personnage. Certains deces décors sont historiquement véridiques mais parfois décevants, d'autres sont seulement plausibles pour une mise en scène fictive, à la fois chimérique et concrète. Ces textes, rassemblés dans leprésentopuscule etclassés du Hollandais àParsifal, ont été revus, corrigés et complétés. Délibérément, j'aichoisi de m'adresser aux wagnériens avertis etpassionnés. Délibé rément aussi,jen* ai pas voulu fléchertrop précisémentles itinéraires pourleurlaisserun peu des tracas de la recherche et beaucoup du plaisirde la découverte. Je leur souhaite unbon voyage, non seulement dans leur fauteuil, mais aussi «insitu» aux quatre coins de l'Europe, pour essayer de reconstituer dans le magasin de leur théâtre imaginaire ce «Wagnerland» que Louis II de Bavière aurait sans doute rêvé d'édifier en collaborant avec Walt Disney etpourquoi pas avec la participation du Maître lui-même qui se serait peut-être laissé fléchir par les perspectives d'un contrat mirobolant! Henri PERRIER 1995 LE HOLLANDAIS VOLANT Parmi bien des spécificités qui donnent au Hollandais Volant une place à part dans la suite ininterrompue des dix chefs-d'oeuvre de Richard Wagner, l'une d'elles est en rapport direct avec l'objet de notre étude: un événement extérieur inattendu, survenant dans un lieu précis, à savoir la tempête qui poussa Wagnersur les côtes norvégiennes pendant son voyage en mer de l'été 1839, a exercé un influence déterminantesurle choix du sujet, sur la conception et la réalisation del'oeuvre. Certes, Wagner, danssesautres ouvrages, a toujours plusou moins établides relations avec sa vie personnelle, l'exemple le plusévident étant bien sûr Tristanet l'amourpourMathilde Wesendonck; cependant, dans lesdeuxcasduHollandais et deTristan, l'élément de coïncidencen'a pas la mêmesignification. Sansvouloiren rien ternir l'image de Mathilde Wesendonck, on peut estimerque,mêmes'il ne l'avait pas connue, Wagner aurait quand même écritun Tristan ou uneautre oeuvre de la même essence dans laquelle il aurait déverséle flot d'amour et de passionqui était en lui. Alors que,n'ayant guère l'expérience du monde de la mer,il ne se seraitpeut-être jamais décidé à donner uneforme dramatique aupetit récit de Heine s'il n'avait vécu son aventure maritimependantlaquelle la Nature,si importante dans l'ensemble de son oeuvre, lui donna,ainsiqu'il le dit lui-même, une des plus admirables et grandioses impressions de sa vie. LA GENESE DE L'OEUVRE Une relationsommaire de la biographie de Wagnerdonne à penser que de toutes ses oeuvres, le Hollandais Volantest celle dont la genèse a été la plus brève puisquesix mois seulement séparent la rédaction du poème de l'achèvement de la partition (mai-novembre 1841). Maisun examenplusapprofondi montre unepériodedegestationbeaucouppluslongue, marquée pardeshésitations et des modifications dans laconception, jalonnée parla composi tion de fragments isolés, toutes choses dontWagner n'est guèrecoutumier et qui offrent un contraste frappant avec l'oeuvre définitive d'unefulgurante simplicité, chosequin'est pasnon plus une caractéristique des autres ouvrages wagnériens. Une étude chronologique détaillée se révèleassezdélicatecar,choseinhabituelle également, les diversrécits autobiographiques de Wagner ne sont pas en parfaite concordance. Dest nécessaire d'en faire une interprétation sélective si l'on veutprésenter lesévénements dans unesuite logique. C'esten 1838 à Riga où il était chefd'orchestredu théâtre que Richard lut un texte de Henri Heine «Les mémoires de M.deSchnabelewopski»faisant partie d'un recueil denouvelles, desouvenirs devoyage etde poèmes intitulé «Le salon» publié en 1834 (àsignaler qu'une partie des textes fut parla suite reprise enfrançais et publiée sous le titre de Reisebilder, images de voyage). Le bon Henri raconte sur le mode ironique l'intrigue d'une pièce de théâtre «Le Hollandais Volant» qu'il aurait vue à Amsterdam. Malgré son tonbadin, ce récit renferme toute la substance du futur opéra notamment la rédemption du navigateur maudit par une femme fidèle jusqu'à la mort. Wagner relatera plus tard dans «Une Communication à mes amis»: «Ce sujet m'excita etse grava ineffaçablement en moi; mais sans avoir encore laforce d'y renaître comme ilfallait» Un anplus tard, Wagner, safemme etson chien s'embarquaient clandestinement surun modeste voilier, la Thétis (nom d'une divinité marine, la mère d'Achille qui plongea son fils dans leStyx enletenant par les talons), à destination deLondres envue derejoindre Paris, la capitale mondiale des arts. Ilestpréférable pour un auteur dema catégorie derenoncer à raconter ce voyage car il faudrait reprendre, modifier etnécessairement amoindrir lerécit si vivant et siémouvant qui compte parmi lespages les plus réussies de«Mein Leben». Delamême façon, jem'abstiendrai ultérieurement de détailler les conditions de détresse matérielleet morale qui furent celles de Wagneraumomentoùilcomposa lamusique de son Hollandais. Dles arelatées lui-même avec tant depoignantesincéritéqu'elles doiventêtregravéesdans lamémoireetdans lecoeurde tout wagnérien. Nous reviendrons sur certains épisodes de ce fameux voyage dans l'évocation des décors naturels ennous contentant pour l'instant decerésumé: «Cette traversée resterapour moitoujours inoubliable; elledura troissemaines etdemie etfutfertile en accidents. Troisfois nous subîmes laplusfurieuse tempête, et le capitaine se vit unjourdans la nécessité défaire relMhedansunponnorvégien.Lanavigationàtraverslesrécifsdescôtesnorvégiennesfitsur mon imagination une impression merveilleuse; la légendedu Hollandais Volant, tellequej'en reçus la confirmationde la bouchedesmatelots,pritenmoiune couleurprécise, originale, que seulespouvaient leur donner les aventures maritimes quej'avais vécues. » n semble que Wagner ait rédigé assez vite (fin 1839- début 1840) un scénario en trois actesdeson Hollandais. Audébutde 1840, il fitlaconnaissance deHenri Heine; il luiparlade son projet d'adaptation etobtint son accord. Bien des années plus tard, le Maître se souvenait d'avoir présenté à Heine un texte en français où pour parler du jeune homme amoureux de l'héroïne, ill'appelait son «amateur»! Un scénario écrit en un français plutôt abominable aété retrouvé joint à une lettre adressée à Eugène Scribe, en date du 6 mai 1840. Richard avait condensé le sujet en un acte pensantavoir ainsi plus de chances de placersapièce comme lever derideau. C'estsans doute cette esquisse que Wagner, emmené parson protecteur Giacomo Meyerbeer, remit peu après au directeur de l'Opéra de Paris. Il s'était également mis à la composition de plusieurs morceaux: la ballade, le chant des matelots et celui de l'équipage du Hollandais. Cependant, les tractations avec l'Opéra traînèrent près d'un an. Wagner finit par apprendre que le sujet avait plu au directeur mais qu'il n'était absolument pas question que ce soit lui qui le mît en musique. N'y tenant plus, il écrivit le texte de son poème en allemand en l'accompagnant d'annotations musicales, entre le 18et le 28 mai 1841. Dhabitait depuis la fin du mois d'avril à Meudon ayant dûquitter son appartement parisien trop coûteux. Le 2juillet, il accepta la transaction qu'on lui proposait: moyennant l'abandon du sujet, Foucher, le librettiste chargé d'écrire le Vaisseau Fantôme, lui cédait 500 francs payables immédiatement. Ayant louéun pianodontilétaitprivédepuis plusieurs mois, il vouluts'assurer qu'D savaitencore composer: ainsi naquirent le chantdu pilote et le choeurdes fileuses. Etpuis tout marcha admirablement: le 1eracte futécrit entre le 11 et le23juillet; le 2ème entre le 31 juilletet le 13 aoûtet le Sème futfini le22 août. Maisle dernierécu s'étant envolé,Wagnerfut empêchéde se mettre à la composition de l'ouverture. «Au milieu de privationsindicibles»,il entreprit la mise au net et l'orchestration de sa partition,terminée à Meudon le 21 octobre. Une avance de son ami Kietz lui permit de trouverun modeste logis à Paris, au 14 de la rue Jacob, et d'y travailler à son ouverture. L'esquisse en fut terminée le 5 novembre et la partition définitive achevée le 19 novembre avec l'annotation: «Per aspera ad astra». Un détail extrêmement curieuxest que c'est seulement après avoir terminé la partition que Wagnerprocédaàdiverses corrections dutextedefaçpnàsituerl'actionnonplus en Ecosse, ainsi qu'il l'avait fait en suivant l'histoire de Heine, mais en Norvège. Ce déplacement s'expliquebiensûr fort logiquement compte tenu de son aventure norvégienne. En revanche, cequiestdifficilementcompréhensible, c'est qu'il aitattendu d'avoir terminerla partitionpour lefaire. Peut-être a-t-il voulu ainsi sedémarquerdavantage du sujetqu'ilavait abandonné àun autre librettiste;ou bien,toutsimplement,ayantreconnul'influence exercéeparles impressions qu'il avaitressenties a-t-il voulu enquelque sorte rendre hommage auxlieuxquien avaient été le théâtre. Dans la partition originale, Sandwike s'appelait Hollystrand, Daland s'appelait Donald et Erik, Georg. Cela nous amène à parler des diverses modifications qui ont été ensuite opérées sur la partition. Dèslacréation, tout d'abord, qui eutlieu à Dresde le2janvier 1843, ilfallut procéder à la séparation destrois actes pardeux entractes de façon à occuper unesoirée entière, ce qui fut fait simplement en redoublant une partie des deux interludes pour constituerles introduc tions des 2ème et 3ème actes. Il fallut aussi transposerun ton plus bas la ballade de Senta vu les possibilitésde l'interprète, Wilhelmine Schroder-Devrient Par la suite, pour des représentations qu'il dirigea à Zurich en 1852, Wagner révisa l'instrumentation de plusieurs passages. Une autre transformation importante est celle à laquelle il procéda, à l'occasionde concerts à Paris en 1860, sur la conclusion de l'ouverture et qu'il repritensuiteégalement pourle final du 3èmeacte; c'est une fin «à la Tristan»sur le motif de la Rédemption. Ainsi en tenant compte de toutes ces modifications et éventuellement de certaines coupures (notammentdes reprisesdans le duo entreDalandet le Hollandaisau 1er acte et dans le finale du 2ème acte), les représentations du Hollânder auxquelles on assiste présentent toujours de petites différences puisqu'il n'y apas de version définitive. Dans les dernières années de sa vie, le Maître parlait de remanier sa partition en vue de futures représentations bayreuthiennes, mais il ne lefit pas. ABayreuth, l'ouvrageestlaplupartdutemps exécutésans entracte. SANDWIKE IST'S ! GENAU KENN ICH DIE BUCHT. Le premier acte du Hollandais Volant se passe sur un rivage rocheux de la côte norvégienne que ce vieux loup de mer de Daland reconnaît comme étant la baie de Sandwike àsept milles du port oùse trouve sa maison. Orc'estprécisémentdansun petit hameau portant ce même nom sur les rives d'un fjord de la côte sud-est de la Norvège que Wagner et la Thétis échappantàunviolentouragantrouvèrentrefuge, le29jufflet 1839.C'estleseulexempledans toute son oeuvre où Wagnerprend un lieu ayant été le décor d'un moment important de sa vie pour y situer l'action d'undrame. La localisationexacte de ce Sandwike posabien des problèmes aux biographes. En effet, Richard se souvenait que le hameau était àquelques milles de la ville d'Arendal, mais surune cartede la région on retrouve ce nom orthographié SandvikaouSandviga (quisignifie baie de sable) aumoinssixfois.Laquestionfutrésolueaprèsune minutieuseenquêtemenéeparleténor norvégien Gunnar Graarud (qui fut de 1927 à1931, l'interprète àBayreuth de Siegmund, Siegfried, Tristan et Parsifal). Graarud finit pardécouvrir dans un journal local d*Arendal du 9août 1839que plusieurs bateauxdont laThétis avaienttrouvé refuge dans leseauxde l'îlede Borôya, le 29juillet. Or, il yabienausuddecetteîle unlieu-ditSandvika: voilàqui levaittous lesdoutesd'autantquel'îlevoisinedeTverrdalsôyaquidélimitelefjordprésentebienuneparoi de granit renvoyant un écho comme l'avait signalé Wagner qui entendant les appels des matelots, yavait trouvé le rythme très marqué de son Matrosenlied. Sur ce dernier point, des commentateurs pensent parfois qu'il s'agit des appels que l'on entend au début du 1er acte et dontjustementl'orchestrerenvoiel'écho.MartinGregor-Dellin,damsagrandebiographie,fait référence au chant de travail des marins de Pillau (port d'attache de la Thétis) qui en bas- aUemanddit:«Schuneiseil-rietemdaal!»(cequisigrûfie:lesvoilesdelagoélette-larguez-les). Le rythmeestbien celui de «Steuermann, lass die Wacht!»etl'auteurpensequesi Wagnern'a pas reproduit les paroles, c'estparce qu'il ne les avaient pas comprises enbas-allemand. De toute façon, pour mettre toutle monde d'accord, on peutbien penser que Wagner, pendantletempsque durasonodyssée, eutl'occasiond'entendreplusieurs chansons. Denavait faitd'ailleurs laconfidence àsonpremier biographe, Glasenapp: ilsesouvenait des'être rendu avecles matelots dansun moulin où le brave meunier prépara du punch avecune bouteille de rhum que lacompagnie butgaiement enchantant des chansons. Graarud acherché à retrouver cemoulin enseposant cette pertinente question: que peuvent bien allerfaire des matelots dans unmoulin ?Laréponse logique estqu'ils étaientvenus chercherdel'eaufraîche, tâche toujours urgente pourun équipage désireux de renouveler une provision croupissante. Le moulin aurait doncété à eau et non à ventcomme l'avait cruGlasenapp. Il existait en effetun moulinà eau dans le petit hameau de Nés à trois kilomètres aunord de Sandvika. ASandvika, Richard etMinna logèrentpendantdeuxjoursdanslamaisond'uncapitaine parti envoyage. Dest tout à fait exagéré de prétendre que Wagner ait pu trouver dans cette demeure une représentation du décor du 2ème acte. Dans ceminuscule hameau isolé, iln'est guère vraisemblable de trouver une maison de vastes proportions comme doit l'être celle du riche Daland. Mais àpropos, oùcette maison peut-elle biensesituer? D'après les indications quedonne lepèrede Senta, c'estàsept milles de Sandwikedirectementsurlameretnonaufondd'un fjord. Comme d'autre part à lafin du 1er acte, ilsemet àsouffler un vent favorable venant dusud, onendéduit que Daland habite plus au nord. Sil'onveut àtout prix fixer unendroitsurlacarte, le port de Risôr à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Sandvika, semble tout désigné. Sandwike est situé au sud de l'île Boroya. On y parvient facilement par la route secondaire qui part de la route 411 à environ 3 kilomètres à l'est de Tvedestrand. C'estun hameau fait demaisonnettes dispersées, certainement beaucoup plus nombreuses qu'en1839, et qui sont autant de résidences secondaires; il n'y a aucun commerce et encore moins de magasin de souvenirs wagnériens ou non. Le port minuscule n'est pas à même de recevoir un bateau tel que laThétis que devait mesurer dans les 25 mètres. La Thétis avait dû faire relâche àune certaine distance delarive ouprès delaparoi degranit del'îled'enface, etWagner avait donc dû gagner le rivage en barque. Dans les indications scéniques du 1er acte, l'espace est considérablementélargi: lerivage de Sandwike n'estpas dans un fjord; c'estune baiequi donne 10 directement sur le large. Les deux bateaux qui y accostent sont certainement d'un tonnage beaucoupplus importantque celui de la Thétis. Onpeutl'affirmeren dénombrant les choristes qui forment les équipages, alors que l'on sait que la Thétis comptait seulement sept matelots. On peut même ajouter que, ces sept matelots n'étant probablementpas des choristes, il afallu une bonne dose d'imagination au compositeur pour s'inspirer de leurs chants! Donnant directement sur leport de Sandvika, iln'yaque deux maisons dont l'une est présentée dans certaines biographies illustrées du Maître comme étant celle où il séjourna. Cependantlapropriétaire,toutenconfirmantquesamaisonétaittrèsancienne, m'aaffirmésans paraître le regretter le moins du monde que ce n'était pas celle où habita Wagner. Celle-ci se trouvait juste àcôté, mais elle n'existe plus aujourd'hui. Plus que sur le hameau de Sandvika en lui-même, c'est surtout sur l'environnement que le pèlerin jette ses regards émus: laparoi degranitsurmontéed'uneforêt ettombantàpicdansles eauxtranquillesdufjord, laperspective vers la merdans laquelle les récifs rapprochés formentcomme unebarrière: ce paysageestresté immuable tel que Wagner le contempla.J'ai aussi pu retrouver, dans le hameaude Nés surune presqu'île au nord-ouest de Sandvika, le moulin signalé par Graarud, malheureusement complètementen ruine; il ne chante plus, mais le frais ruisseau qui coule encascade, lui, chante toujours. PER ASPERA AD ASTRA Enjouantau petitjeuquiconsisteàcaractériserparnoscinqsensl'impressionqueproduit sur nous leVaisseau Fantôme, iln'est pas difficile d'y retrouver àchaque fois l'évocation de la mer. Le génie juvénile du Maître fait déferler sur nos tympans des flots tumultueux de musique etde poésie. On yvoit s'agiter les vagues de l'espace infini; on yrespire le parfum pur etvivifiantdes embruns; notre boucheest imprégnéede l'âpreté del'eausalée. Enfin, on touche aux profondeurs d'un océan de détresse. Cette détresse immense qu'exprime le personnage principal aété aussi celle de l'artiste quicomposa cette oeuvre.J'ai déjàditqu'il n'étaitguèredécentderésumerenquelques phrases plus ou moins anecdotiques les vicissitudes misérables du séjour de Wagner à Paris et de il s'émerveillerbéatement qu'une évolution aussi extraordinaire deson génie aitpu s'accomplir dans des conditions aussi pénibles ou, pour reprendre notre évocation aquatique, dans des eaux aussi bourbeuses. Seule une lecture détaillée des diversrécits autobiographiques est à même d'en permettre une compréhension convenable. Et la visite des lieux où se produisit cette transformation en est un complément nullement superflu. L'ordre chronologique nous conduit enpremier lieu au 31, rue duPont Neuf devant la présumée maison natale de Molière oùJean-Baptiste Poquelin en buste jette un regard distrait sur le Forum des Halles, gigantesque monument que notre monde aconstruit àlacélébration desavanité. Wagneravécu ici, dommantlegrouHlementducommercedes victuailles.au4ème étage dece quiétaitalors un modestehôtel, deseptembre 1839àavril 1840. C'estlà qu'ilécrivit les premiers plans descénario de son Vaisseau Fantôme. Nousbrûlons la stationsuivante, 25 rue du Helder, près du Boulevard des Italiens, où Wagnerséjournapendantunan; l'immeubleaété raséquand Haussmannrestructurale paysage urbain de notre capitale. Et nous entreprenons une excursion jusqu'à Meudon en nous souvenant que Richard, complètementdésargenté,fitsouventàpiedcelongparcours.Surunebiendiscrète maisonnette au 27 avenue du Château, une plaque signale que «Richard Wagner a habité en 1841 cette maison où il a composé le Vaisseau Fantôme». Cette plaque a été posée en 1936 après des recherches sur lecadastre pour localiser lapropriété de Monsieur Jadin qui en avait loué le premier étage au gentil ménage d'un musicien allemand dont la gloire était encore à venir. Wagner avécu ici de la fin avril àla fin octobre. Le texte du poème, la musique des trois actes et leur instrumentation sont nés dans cette minuscule retraite; si exiguë d'ailleurs que le problèmereste posédesavoircommentRichardparvintàyfaire rentrerlepianoqu'ilavaitloué. On peut regretter que cette maison n'ait pas été aménagée en heu de souvenirouvert au public tant l'événement qui s'y passa est riche de signification. Récemment, un nouveau propriétaire l'a entièrement transformée pour s'en faire un logement très confortable dont la décoration moderne s'inspire largement de l'opéra de Wagner, mais c'est une demeure privée qui naturellement ne se visite pas. Signalons qu'on peut voir quelques souvenirs wagnériens dans le musée municipal de Meudon. La dernière étape nous conduit dans le Quartier Latin, au 14 de la rue Jacob. Une petite 13 plaque au dessus de la porte d'entrée rappelle que «Richard Wagner 1813-1883 avécu ici du 30 octobre 1841 au 7 avril 1842». Aprésent ilest assez délicat d'accéder àlaseconde couroù donne l'appartementoccupé par Wagner au 2ème étage, car la porte de l'immeubleestéquipée d'un dispositif d'ouverture avec code et interphone. C'est dans cette maison qu'il composa l'Ouverture duHollandais Volant avec une telle assiduité àsatable detravail qu'il y contracta l'affection hémorroïdaire qui le gêna toute sa vie et qui acertainement contribué au mauvais souvenirqu'il garda de sonséjourparisien. Pourne pas terminersurces basses considérations, jevousinviteàrejoindreleshautessphèresparcetteprièrequipastichelesproductionslittéraires de Wagner datant de cette époque et que jevous propose en conclusion: «Détresse aux multiples visages, compagnefidèle de l'artiste, c'est toi queje veux célébrer en terminant cette pieuse évocation. Toi qui suivis inlassablement lejeune Maître encore inconscient de sa maîtrise, le préservant de la fortune décevante d'une gloire prématurée. Toi, austèredéesse, quienl'enveloppantdanslenuageépaisetsombredessoucis, de lapauvreté et de l'humiliation, aabrité ses regards des rayons enivrants de lafolle vanité du monde. Dans ta maternelle sollicitude, tu protégeas le germefragile de son génie en lui laissantpourseulrefuge leprécieuxberceau tressé desfibres de lapoésie etde la musique, en même temps que dans unefarouche étreinte, tupressais voluptueusementson âme nuesurton sein brûlant. Ainsiput naître ets'épanouirune oeuvre commejamais il n'en avait été conçue, cartu avaisdonnéaugénie lesensdesondevoir:faireprofiterlesmortelsquiavancentà tâtons dans les ténèbresde la vie de la lumièrebienfaisantede l'amour, de lagrandeuretde la beauté. Daigne aussi, mère éternelle, accorderuneparcelle de tagrâce àceux quisedisent les fidèlesduMaître, maisquiserepaissentparfoisunpeufrivolementdutrésorqu'ilnousalégué. Amen!» P.S. Après une représentation àBayreuth, allez vous restaurer au Hollander Stuben, près du Festspielhaus, Nibelungenstrasse. Le décor est très évocateur. La cuisine n'est ni hollandaise ni norvégienne, mais elle n'en est pas moins excellente. 15 TANNHÀUSER Tannhâuser estl'ouvrage que Wagner asitué avec leplus de précision dans l'espace géographique. La Wartburg est un château historique qui se dresse sur une colline boisée dominant laville d'Eisenach en Thuringe. Le Hôrselberg où lalégende place leroyaume de Vénus est une montagne des environs. Bien sûr, ce paradis de tous les plaisirs sensuels personne ne l'a visité; c'est un séjour de fiction onirique. Et dans la réalité de la pratique théâtrale,c'estmêmesemble-t-iluncauchemarpourles metteursenscène.Ainsicurieusement, à notre époque où la pornographie est devenue une des mamelles du théâtre lyrique, Tannhâuser est un ouvrage relativement délaissé. Maintes relectures décapantes ou mus clées, pour employer le jargon pitoyable des critiques, ne sont pas parvenues àémerger du salmigondis de laprovocation puérile etde la vulgarité poisseuse. Loin de cela, nous pouvons retrouver Wagneretson Tannhâuser au cours d'un voyage qui, s'il reste imaginaire, est un mode de tourismequi al'avantage d'économiser les devises, en n'en gardant qu'une seule, celle que Lavignac areprise de Goethe: «Qui veutcomprendre le poète doit aller dans le pays du poète». 17 LES ETAPES DE LA GENESE DE TANNHÂUSER La fantaisie du destin a vouluque Parissoit le lieu où Richard Wagnerse sentit attiré irrésistiblement et définitivement par le monde des légendes et des mythes de la vieille Allemagne qui sont comme le fin vêtement simple et somptueux dont se pare la forme humaine véridique et éternelle. C'était pendant l'hiver de 1842; Wagner avait terminé la composition de son FliegenderHollânderets'apprêtait àretourner dans son pays. Dans ses lectures del'époque, ildécouvrit lessujets deTannhâuseretde Lohengrin, mais c'est lafigure deTannhâuser qui s'imposa immédiatement à lui. Ason retour en Allemagne, aumois d'avril, le parcours de ladiligence lui présenta laWartburg comme un augure favorable. «L'aspect de cechâteau, qui assez longtemps seprésente trèsfavorablement aux voyageurs venant 'de Fulda, me réchauffa extraordinairement lecoeur. Non loin de là,j'aperçus une crête de montagneque je baptisai sur-le-champ de Hôrselberg et, tout en roulant dans la vallée, je montais en imagination la scène du troisième acte de mon Tannhâuser. J'en conservai une mémoire si précisequeplus tardlepeintreDesplêchins enputexécuterlesdécorsàParisd'aprèsleplan queje lui enfournis. » Peu après son installation à Dresde, Richard se rendit en villégiature àTeplitz, ville d'eaudeBohême. De là, ilpartit àpied enexcursion ets'arrêta plusieurs jours dans lapetite auberge du château de Schreckenstein. C'estlàqu'il nota leplandétaillédeson opéra en trois actes dontletitre étaitleVenusberg. Un jouraucours d'unepromenade dans les montagnes tchèques, ilrencontra un pâtre étendu dans l'herbe, sifflant un air de danse champêtre. Une autre fois, dans l'église d'Aussig, il admira une peinture représentant une Vierge Marie si belle qu'il souhaita que Tannhâuser l'ait vue: comme cela, ons'expliquerait clairement que lehéros puisse s'arracher de Vénus sans être pourtant transporté de dévotion. Revenu à Dresde, Wagner fut pris dans une suite d'événements très importants: la création deRienzi enoctobre, puis celle du Hollandais Volantenjanvier 1843, sanomination demaîtredechapelle etaussi lacomposition de sa cantate, Le Repas des Apôtres. Cependant, il parvint à terminer le poème du Venusberg pour son trentième anniversaire. En été, de nouveau àTeplitz, ilentama lacompositionde sonouvrage dont les principauxmotifs étaient 18 bien sûr déjà dans son esprit. Mais il fut détourné de son travail par des circonstances extérieures, en particulier l'étude de la mythologie germanique. Le premier acte ne fut terminé qu'enjanvier 1844. Wagner écrivit ensuite la musique du 2ème acte pendant les congés qu'ilprit enseptembre etoctobre dans les vignobles de Loschwitz, dans lavallée de l'Elbe près de Dresde. Puis sans interruption, il se mit au 3ème acte qui fut achevé à lafin de l'année, mais il travailla à l'orchestration jusqu'enavril 1845. Ce travail fut délicat et difficile car, ayant décidé de faire lithographiersapartition, Richard devaitécrire avec leplus grand soinsur un papier spécial. Les répétitions commencèrent en septembre et la première représentation eut lieu le 19octobre 1845. Letitreprimitif, le Montde Vénus, avaitété changéàcausedesplaisanteries desétudiants enmédecine etétaitdevenu: Tannhâuseretlaguerre deschanteurs à Wartburg. L'accueil fut d'abord mitigé, cequi amena Wagner àmodifier plusieurs fois lascène finale, dès 1845 puis en 1847 (dans la version primitive, Vénus n'apparaissait pas etseul le glas annonçait la mort d'Elisabeth). Le succès s'affirma au fil des représentations et des reprises etleTannhâuserdevintmême un ouvrage populairejouésurdenombreuses scènes. C'estune des raisons qui fit que biendes années plus tard, quand il chercha às'imposerdevant le public parisien, Wagner choisit son Tannhâuser. Ce fut l'occasion d'un remaniement et d'un importantdéveloppement de la scène du Venusberg: la Bacchanale et la deuxième partie du duo. Il est ànoter que Wagner composa alors sa musique sur des vers en français traduits à partir d'une esquisse en prose; ultérieurement, il plaqua un texte en allemand sur cette musique dont le style «tristanesque» apporte un contraste pas spécialement heureux avec le reste de l'oeuvre. Même sile Maître donnait sa préférence àla version parisienne, ildisait, à la fin de sa vie, devoirencore Tannhâuser au monde. Les représentations parisiennes furent l'occasion d'une fameuse bataille, en réalité d'une minableetodieusecabale dont malgré tout leswagnériensfrançais nedoiventpas avoir honte, tant il estvrai que s'il yaquelque chose au monde qui soit mieux partagé que le génie, c'est heureusement la bêtise. 19 DES LIEUX POUR EVOQUER WAGNER A PARIS Le jeune maître qui venait de terminerson Hollandais Volant et qui découvrait dans ses lectures le sujet de Tannhâuser habitait un très modeste logis au 14 de la rue Jacob. Une plaque commémorativeorne aujourd'huil'entrée de l'immeuble. On peut voir également la demeure de Wagner en 1860-61 au moment du Tannhâuserau Grand Opéra. C'est 3, rue d'Aumale, un appartement au 2eme étage avec cinq fenêtres donnant sur la rue; ici, il n'y a pas de plaque. A DRESDE Dresde a été assassinée en février 1945 et il n'y a plus de traces des maisons que Wagner habita à l'époque de Tannhâuser. En maints endroits de la ville actuelle, flotte un tenace parfum de nostalgie. Il n'est guère de paysage culturel plus poignant que le Theater Platz ressuscité mais presque irréel, la Frauenkircheréduite à un monstrueux amas de pierres, ou encore les terrasses du Briihl dont l'animation élégante s'est à jamais enfuie. LeSemperoper, aujourd'hui magnifiquement restauré, n'est pasle théâtre(détruit par un incendie au XLXe siècle) où fut créé Tannhâuser. On visitera aussi la Hofkirche où le maître de chapelle RichardWagnerdirigeait de la musiqued'église, l'esprit parfois absorbé par les harmonies voluptueuses du Venusberg. EN BOHEME Teplitz, jadis station thermale brillante et mondaine, n'est plus maintenant qu'une crasseusebourgadetchèqued'hydrothérapie prolétarienne, à déconseillerformellementaux nostalgiques sensibles. En revanche, ceux-ci peuvent se rendre au SchlossSchreckenstein, en tchèque Hrad Strekov, en français le château du Rocher de la Peur, sur la rive droite de l'Elbe près d'Usti nad Labem (anciennement Aussig). Dans le couloircouvert qui conduit à laforteresse, unetrès belleplaque,avecsonprofilen bas-relief,rappellelesouvenir de notre cherMaître:«HierentwarfRichard WagnerinSommer1842denPlanzuseinemTannhauseD>. On peut voir aussi l'unique salle exiguë de l'auberge; c'est là que chaque soir on arrangeait 20 une pauvre litière pour le poète musicien. Une nuit, enveloppé de son drap de lit, il grimpa surles ruines pourse donnerl'illusion d'être un revenant, aveclapensée délicieuse que peutêtre quelqu'un leverrait ettremblerait d'épouvante! AEISENACH Si Wagner ressentit une impression exaltante àla vue de la Wartburg àson retour en Allemagne en 1842, il ne jugea pourtant pas utile de venir s'imprégner de l'ambiance des lieux quand il écrivit Tannhâuser. Ene visita le château que le 15 mai 1849, au moment où il devait fuir sa patrie pour échapper àune arrestation certaine àla suite de la révolution manquée de Dresde. Cette visite avait la signification symbolique d'un dernier regard sur l'Allemagne qu'il quittait en proscrit. Douze ans plus tard, enfin amnistié, il put se rendre à Weimaretenprofitapourcontemplerune nouvellefois la Wartburgqui entretemps avaitété restaurée; mais il ne ressentitqu'une impressionde grandefroideur, flyfit une dernièrevisite en famille avec Cosima en 1877. Les liens entre Wagneret la Wartburgétaientdoncplutôtdu domaine de l'idéalisation d'une certaine idée de la patrie allemande. Mais il s'estétabli pour la postérité des liens plus immédiats puisqu'à Eisenach se trouve un important musée Richard Wagner. Dabrite une très intéressantecollection constituéeparun amateurviennois àlafin du 19esiècle. Mais ces objetsetdocumentsprésentésfroidementdansunemaisonétrangère (cellede l'écrivainFritz Reuter) font plutôt l'effet d'une exposition. Bmanque àce musée la chaleurd'une présence. Al'attention des assoiffés, il faut signalerque le café du théâtre d'Eisenach s'appelle Tannhâuser. DES LIEUX POUR EVOQUER TANNHÂUSER Vactionsedérouledans troisdécorsdifférents: lagrottede Vénus, puisunevalléeprès de la Wartburg au 1er acte; la salle des chanteurs àla Wartburg pour le 2ème acte; et de nouveau la vallée parée des couleurs de l'automne au troisième acte. LamontagneoùestsituéelagrottedeFrauHoldas'appelleHôrselberg.Ucrêteboisée 23 qui portece nomse dresseà l'est d'EisenachdanslavalléedelaHôrsel endirection de Gotha. Donc, poursuivrestrictement lesindications scéniques (Wartburg à droiteet Hôrselberg au loinàgauche),ilfaudraitseplacerquelquepartaunord-ouestduchâteau.J'avouenepasavoir cherché un très problématique pointde vuesusceptible de convenir. Lecheminqui mène à lagrotte estcertainement très,trèsdifficileà trouver; car la belle déesse ne veut certainement pas être éternellement importunée par un défilé d'auteurs- compositeurs galants quiviendraient tenter leurchancecomme auradio-crochet. Cependant, cesdifficultés n'empêchent paslestéméraires membres du Cercle Wagner d'Eisenach dese promenerdans leHôrselberg etdes'aventurerdans une grotte baptisée «TannhâuserHôhle». Qu'en est-ilexactement, je nesaispas; mais dèsquej'ai un moment, je prends contactavec eux à ce sujet et je vous tiens au courant. D est beaucoup plus facile de trouver le chemin de la grotte artificielle que se fit fabriquer Louis EdeBavièredans leparcde sonchâteaudeLinderhof. Pauvre roi des ombres, amant fanatique de lasolitude, s'il voit ceflot incessant detouristes indiscrets qui profanent son univers intime. Peut-être a-t-il quelque indulgence pourceux qui s'émerveillent de sa féerie de pacotille etqui l'aiment. Bien sûr, à Linderhof, il y a seulement, entoile de fond à l'arrière du petit lac, une peinture représentant Vénus, Tannhâuser et les autres. Tant pis pour les visiteurs qui s'attendaient peut-être à voir évoluer dans ce décor souterrain des naïades, des sirènes, des nymphes et des bacchantes, languissantes ou effrénées, moites et parfumées, comme au ClubMéditerranée. C'est le moment de rappeler les visions érotico-mythologiques que Wagner a mentionnées dans lesindications scéniques du Venusberg: l'Enlèvement d'Europeet Léda etleCygne. Ces épisodes ont inspiré de nombreux peintres, enparticulier Paolo Veronèse. Pourévoquer ledécor du deuxième acte, ilyabien dans lechâteau delaWartburg une salledesChanteurs oùse trouve une peinture murale deMoritz vonSchwind représentant le tournoi des Chanteurs et où Wolfram von Eschenbach ressemble beaucoup à Franz Liszt. Mais cette salle simple et sévère, au plafond assez bas supporté pardes piliers, ne saurait convenirau cortège etau rassemblement des gentesdames etnobles chevaliers. La vaste salle des fêtes delaWartburg, réaménagée au 19è siècle, estbeaucoup mieux adaptée àcetype de réunion. Dans cettesalle, Liszt dirigea sonoratorio, «Lalégende de Sainte- Elisabeth», en 24 1867. C'est dans ce même lieu, qu'une assemblée d'étudiants lança en 1817 son appel à l'unité de la patrie allemande, contribuant à faire de la Wartburg, avec le souvenir de Luther et la touche wagnérienne, un symbole monumental de la nation. Bien évidemment, Louis E a voulu avoir sa salle des chanteurs au château de Neuschwanstein. Elle est très imitée de la salle des fêtes de la Wartburg et sert à l'occasion de cadre à des concerts wagnériens. De plus, à Neuschwanstein,dans le cabinet de travail du roi (qui avait de bien drôles de façons de travailler, diront certains), on peut admirer les gracieuses peintures deJosephAigner représentant Tannhâuser chezVénus, Tannhâuser au tournoi de chant, Tannhâuser implorant le pardon du Pape. Pour terminer, nous prenons garde de ne pas oublier de mentionner des lieux qui évoquent des personnages de l'opéra ayant eu une existence historique: - Wolfram von Eschenbach a son village natal qui porte son nom, au sud-est d'Ansbach. Leminnesânger, auteurdeParzifal,asastatuesurlaplaceduvillage, pittoresque et romantique à souhait. - Walther von der Vogelweide repose depuis 1230 dans un petit jardin près du Neumûnster de Wurtzbourg. E a aussi sa statue sur la place de la Résidence de la ville. - Sainte-Elisabeth a sontombeau dans unegrande église gothique qui lui a été dédiée àMarbourg, laville oùelle est morte en 1231. D'autre part, Schwind apeintdans une galerie de laWartburg des fresques représentant les principaux épisodes de savie ou desalégende. Quant à Vénus, on peut l'admirer qui brille dans le ciel des beaux soirs d'été. Les larmes qu'elle verse ensesouvenant d'avoir vu passer l'âme d'Elisabeth forment une rosée qui féconde de ses sortilèges la nostalgie de bien des poètes. Quand même, avec cette Romance à l'Etoile d'apparence anodine, Wagner a réussi une de ses plus prodigieuses performancesdans sondomaine privilégié, àsavoirl'ambiguïté. Libre àquiconque de penser qu'il s'estplanté lamentablement, parce qu'il était nul en astronomie; libre à moi aussi de voir, dans l'adresse de Wolfram à la Vénus du ciel,une merveille de syncrétisme dualiste. 27 LOHENGRIN Bien que le lieu et l'époque où se passe l'action aient été précisés par l'auteur, Lohengrin n'est pas du tout un opéra historique, mais bien plutôt un conte merveilleux et allégorique pour lequel la recherche de décors naturels peut paraître superflue. En effet, l'atmosphèrede rêvequi enveloppecettelégende nostalgique n'appelle pas particulièrement la rigueur historique et géographique, mais au contraire s'accommode fort bien d'une stylisation desdécorspoussée parfois jusqu'àl'abstraction. PourtantWagnerinsista dansses indicationsscéniquespour que lescoutumes et lescostumes de l'époque, la premièremoitié du Xème siècle, soient restitués avec fidélité. Mais par contre, les indications qu'il donna en matière de décorssont assezéloignées de la réalité: situerle burgd'Anvers ausommetd'une montagne, c'est presque un gag ou une histoire belge. D'ailleurs le Maître lui-même s'en rendit compte quand, enmars 1860, il profita d'un séjour à Bruxelles oùil étaitvenudiriger desconcerts pourfaire uneexcursion à Anvers. Voilà cequ'il raconte dans son autobiogra phie: «Je mecontentais de voir la ville quin'arien du cachet antique auqueljem'attendais. La célèbre citadelle me désappointa absolument. Pour les décors du premier acte de mon Lohengrin, je m'étais imaginé qu 'elle avait l'aspect d'un vieux burg se dressant surune colline quelconque de l'autre côté de l'Escaut: au lieu de cela, je n'aperçus que des 29 fortifications à ras de terre, dansuneplaine sans bornes. Quandplus tardj'assistais aux représentations de Lohengrin, je nepouvaisjamaism'empêcher de sourire duchâteaufort que le décorateurplace d'ordinaire sur une montagne aufond de la scène.» Dansladernière phrasedecettecitation, Richard necraintpasd'avouer qu'il se laissait parfois distraire par des idées vagabondes en assistant à une représentation d'un de ses drames. Voilà peut-êtrede quoi réconforter les wagnériens à l'attention parfois capricieuse. Pour moi, c'est en plus commeunejustificationde mesrecherchesde topographie. En effet, quand vous êtes obligés de supporterune Eisa dont la voix est animée de vibrations aussi pénibles à entendre que sont à voir celles de son monstreux abdomen, ou bien quand vous avez la certitude dès le début du Récit du Graal que le ténor, qui s'est déjà égosillé dans le duo, va coincer sur le premier la de la phrase finale et se planter sur le second; dans ces circonstances difficiles dis-je, il est bien agréable de pouvoir brancherson esprit sur d'autres images: par exemple celles de l'époque et des lieux dans lesquels Wagner écrivit son ouvrage ou encore celles de paysages capables de nous mettre par la pensée en contact avec le monde légendaire de Lohengrin. LA GENESE DE L'OEUVRE C'est pendant l'hiver de 1842que Wagnereut la révélation du sujet de Lohengrin en lisant dans les comptes-rendus d'une société savante, les «Mémoires de la Société allemande de Kônigsberg», l'article d'un certain Lucas parlant en détail du poème moyenâgeux du Tournoi de la Wartburg et de l'épopée qui lui fait suite racontant la légende de Lohengrin. E s'agissait d'un récit du Xllème siècle à l'inspiration religieuse et cléricale très prononcée. Dans son autobiographie, Richard dit qu'il conservade Lohengrin «une image ineffaçable», ce qui signifie que la conception du sujet a mûrilentement dans son esprit au cours des trois années qui séparent cette première rencontre de la rédaction de l'esquisse en prose, écrite à Marienbad pendant l'été de 1845. C'est l'époque pendant laquelle, en même temps qu'il écrivait Tannhâuser, Wagner se plongeait dans l'étude de la mythologie et des coutumes allemandes en lisant lessavants ouvragesdeJacob Grimmsur les traditions germaniques du haut moyen-âge. 30 Pendant sa cure à Marienbad en juillet 1845, il lut le Parzifal de Wolfram von Eschenbach et l'épopée anonyme deLohengrin dans des adaptations d'auteurs contempo rains. L'image du chevalier au cygne obsédait tellement son imagination qu'il résolut pour s'en défaire d'écrire le scénario de sesMaîtres Chanteurs conçuà lasuitede la lecture d'une histoire de la littérature allemande. Maisle remède n'eut pas d'effet et dès que Hans Sachs eut prononcé sa harangue finale, la figure nostalgique et passionnée de Lohengrin parut à nouveau. Imaginons un instant notre jeune kapellmeister qui se livre de bonne grâce aux bienfaits de l'hydrothérapieetqui tout àcoupsaute desabaignoire, s'habille àlahâte etcourt comme unfou àson logis pourjetersurlepapierleplanscénique de son futur opéra. Ilacheva ce texte en prose extrêmement détaillée le 3 août 1845 etquelques jours après, il regagna Dresde pour préparer la première représentation de Tannhâuser qui eut lieu le 19 octobre. Quelques semainesplus tard, 1'infatigableRichard qui avaittrouvé letemps de rédiger son poème versifié, endonna lecture à un cercle d'amis parmi lesquels figuraient Robert Schumann. Lenébuleux Robert trouva lesujetàsongoûtmais ildéclara sedemander quelle forme musicale onpourrait bien lui donner. (Quand on connaît la forme qu'il donna à sa Genovevaqui le turlupinait àce moment-là, on comprend lesens deson interrogation). Bfaut savoirque même après avoir terminé son poème, Wagner n'avait qu'une idée assez floue du drame de Lohengrin. C'est en particulier le dénouement qui posait problème à lui et à plusieurs deses amis qui trouvaientinjustequele départde Lohengrinsoit aussi une punition pour Eisa. Plus tard, il fut heureux de reconnaître la justesse de son intuition quand des éléments de sa vie-même lui donnèrent le véritable sens de son poème. En effet, Wagner connut alors une grave crise morale ce qui explique qu'il ne commença la composition musicale de Lohengrin qu'à l'été suivant. L'hiver 1845-46 semble être un passage vide et pénible de sa vie où, après le succès très mitigé de Tannhâuser, il a l'impression d'être incompristantdu public que de l'élite intellectueDeetartistique, en même temps qu'il ressent l'inanité desa carrière de chef d'orchestre. Cette difficile question de l'orientation de sa vie d'artiste se pose sur le fond de la morosité de sa vie conjugale, aggravée par de très vives inquiétudes concernant sa situation financière: il avait dû s'endetter fortement pour faire publier ses trois premiers opéras dont les ventes étaient restées à peu près nulles. Son désespoirputse changeren enthousiasme grâce àl'étude de la DCè Symphonie de Beethoven 31 dont il put présenterpour le dimanche des Rameaux uneexécutionexemplaire qui connut un immense succès. Pour se remettre définitivement de ses soucis, il demanda alors un congé de trois mois qu'il passaà la campagne, dans lesenvirons de Dresde, à Gross-Graupa où il séjourna dans une modestemaisondu villagedu 15maiaudébutdu moisd'août 1846. C'est là qu'il écrivit l'esquisse de composition des trois actes de Lohengrin. A ce propos, il faut rappeler l'anecdotesuivante: lorsqu'il voulutsemettre àlamusique deLohengrin, Richardfuttroublé jusqu'audésespoir parles mélodies de Guillaume Tell de Rossini qu'il venait de diriger et qui le poursuivaient constamment. Tout à fait malheureux, il trouva un antidote à cette obsessionen chantanténergiquement le premier thème de la Neuvième Symphonie. E y a là peut-être un germe d'explication à la forme musicale de Lohengrin que l'on peut trouver parfois composite ethétérogène et à son style par endroit untantinet rétrograde et pompier. En septembre, Wagner reprit son travail de composition en commençant par le troisième acte qui ne fut terminé qu'au mois de mars de l'année suivante, à cause d'une interruption assez longue pendant l'hiver pour seconsacrer à un important remaniement de l'Iphigénie en Aulide de Gluck. En mai etjuin47, ils'attaqua à la composition dupremier acte, puis à celle dudeuxième, avant definir parleprélude dupremier acte dans lesderniers jours dumois d'août. Cet été-là, Richard qui avait déménagé pourhabiter unappartement de l'ancien palais Marcolini, entouré d'un parc très agréable dans unquartier périphérique de Dresde, n'avait pas senti lebesoin departirenvillégiature. Blui restait àétablir l'orchestra tiondéfinitive et à mettre aunetsa partition qui fut définitivement achevée le 28 avril 1848. C'est alors que sa situation se dégrada gravement, tant à cause de son agitation politiqueque de sabrouilleavec l'intendancedu théâtre royal. Les préparatifs pourfaire jouer Lohengrin furent décommandés par suite del'attitude rebelle du maître dechapelle, cequi bien sûrne fitqu'accroître l'amertume, lemépris etl'indifférence decedernier. L'exécution dufinal dupremier acte dans un concert de gala qui célébrait letricentenaire de laChapelle royale de Dresde au mois de septembre, n'avait été qu'une maigre consolation. L'année suivante, Wagnerquittasapatrie pourun exil qui devaitdureronze ans. Etilluifallut attendre une année deplus avant depouvoir assister àune représentation deson Lohengrin à l'Opéra de Vienne en mai 1861. Mais dès 1850, il avait confié le sort de son ouvrage à Franz Liszt qui en présenta la première exécution à Weimar, le 28 aoûtde la même année. 32 LES LIEUX OU LOHENGRIN APPARUT A WAGNER *Le14delarueJacob àParis, oùWagners'intéressa aux légendes allemandes comme sujet de ses opéras àvenir, et la maison «A la feuille de trèfle» àMarienbad, où Hans Sachs et Lohengrin se disputaient les faveurs du cerveau hyper-actif du jeune maître, sont, ou du moins devraientêtre, des hauts lieux du pèlerinage wagnérien neserait-il qu'imaginaire. Ces deux maisons existent toujours et sont ornées de plaques rappelant les séjours qu'y fit Wagner. On avu ou on reverra ces maisons en parlant du Hollandais, de Tannhâuser, des Maîtres Chanteurs et de Parsifal. * ADresde, la maison ayant vue sur le Zwinger au 6 Ostraallee, que Wagner habita jusqu'en avril 1847, aété détruite dans les bombardements de 1945. C'est là qu'il écrivit le poème et composa la musique du troisième acte. En revanche, on peuttoujours voirle palais Marcolini,41 Friedrichstrasse où il eutun appartementd'avrill847àmai 1849. C'estlàqu'il composa les actes Iet nainsi que le préludeetqu'il mena àbonnefin letravailsurla partition définitive. Ce palais est aujourd'hui un hôpital de la ville de Dresde. Une plaque de pierre placée au-dessus d'un portail indique que Wagner avécu ici en 1847-49; une deuxième plaque en bronze avec portrait du Maître en médaillon rappelle que Richard Wagner, compositeur et maître de chapelle au théâtre de la Cour de Dresde travailla ici, entre autres, àla partition de Lohengrin. Bhabitait au premierétage de ce qui est maintenantle service de radiologie; en pénétrant dans l'hôpital, on peut repérer son logement dont l'entrée donnant sur le parcest décorée d'une lyre. *Plusspécifiquementconsacrée au souvenirde Wagneretde Lohengrindans larégion de Dresde, est la maison où il passa l'été 1846 et où il écrivit l'esquisse de composition de son ouvrage dans le village de Gross-Graupa à une dizaine de kilomètres au sud-est de Dresde. C'est aujourd'hui un musée Richard Wagner, modeste mais sympathique et intéressant (Richard WagnerStrasse).Toutprèsdecette maisonLohengrin,on adisposédans un minusculejardin public une belle tête de Wagner sur un socle et comble de délicatesse un couple decygnes évolue dans un petit bassin. Et puis cette région renferme un autre sanctuaire du culte wagnérien, c'est un énorme et extraordinaire monument, perdu comme abandonné en pleine forêt, adossée àune paroi 33 rocheuse aubordd'un torrent. Bse trouve non loindeGraupa, sur lacommune de Liebestal dans le hameau de Mûhlsdorf au lieu-dit Lochmûhle. Réalisé dans les années trentepar le sculpteur Richard Guhr, ce monument étrange et impressionnant exhale ostensiblement les effluves délétères des chimères del'Allemagne d'alors. LeMaître, statufié dans le bronze, revêtud'une ample robe, paraîtfigé dans unesortede majesté divinequi n'estpas du meilleur goût. Sur le socle de la statue est inscrit ce vers du Récit du Graal: «DesRitters drum sollt Zweifel ihr nicht hegen» Vous ne devez pas nourrir de doute envers le chevalier. *Ilnous reste àévoquerlacréationde l'ouvrage le28 août 1850. Le théâtre de Weimar où Liszt dirigea la première représentation de Lohengrin aété remplacé par un édifice plus moderne. C'est aussi ce qui estarrivé àl'hôtel du Cygne àLuceme, oùRichard étaitdescendu ce jour-là et d'où il suivit en pensée le déroulement de la première représentation. L'établissement actuel, qui est un restaurant, aconservé le souvenir de Wagner en donnant son nom àun salon de réception joliment décoré: on ne peut rêver de meilleur cadre pour un banquet de wagnériens en pèlerinage dans la région. DES LIEUX OU LOHENGRIN PEUT APPARAITRE AUX WAGNERIENS Biensûr, je ne peux faire aucune propositionsérieuse de décornaturel pour le premier acte etledeuxième tableau du troisième acte: une prairie aubordde l'Escaut, avec àl'arrière- plan la citadelle d' Anvers sur une hauteur, ça n'existe pas; et Wagner lui-même l'avait constaté sur place. De plus, il serait illusoire de chercher dans la ville actuelle d'Anvers une quelconque réminiscence de la venue de Lohengrin, pas plus que la moindre babiole représentant le chevalier et son cygne dans les magasins de souvenirs. D'ailleurs, en raison de l'énorme trafic du port, la remontée du cours de l'Escaut est strictement interdite aux petites embarcations tirées par des cygnes. Lavieille citadelle d'Anvers, la forteresse du Steen, ne peut pas non plus prétendre valablement servir de décor pour ledeuxième acte. L'édifice dont les origines remontent au LXèsiècle aétéplusieursfois restauréet remanié, etde nosjours, il abrite un musée demarine. 35 Avec ses dimensions modestes, sa minuscule cour intérieure ne saurait convenir aux évolutions de masses chorales, même dans un petit théâtre en proie à de gros problèmes budgétaires. Par contre, lacathédrale d'Anvers, laplus belle de Belgique, est majestueuse à souhait; eton pourrait imaginer lecortège d'Eisa s'y rendant depuis lechâteau qui n'estpas trop loin. Mais elleestdu plus beaugothiqueduXEIèsiècle, soitde troiscents ans postérieure à l'époque où se situeLohengrin. ( Je vous signale simplement entre parenthèses le Château du Cygne, ancienne résidence des comtes de Clèves. Une autre versionde la légende médiévale place l'action dans la région de Clèves qui se trouve en Allemagne non loin de Nimègue, à lafrontière néerlandaise; dans ce cas, Lohengrin etson cygne auraient donc voyagé sur leRhin.) Une image satisfaisante du décor du deuxième acte nous est offerte par lagrande cour supérieure du château de Neuschwanstein édifié parle roi Louis Ede Bavière. C'est presque «du sur mesure» puisque Louis II, qui s'ilajamais été fou était surtout fou de Wagneretde Lohengrin, fit édifier ce château d'après les esquisses d'un décorateurde théâtre. D'un côté, la demeure des femmes, la Kemenate; aufond, lademeure deschevaliers, le Palas:c'est tout àfait ce qui convient; ilmanque seulementl'église surlecôté droit, elle étaitpourtantprévue sur les plans, au pied du donjon, mais elle n'a pas été construite. Le style architectural de Neuschwanstein est du roman tardif bâtard plus ou moins byzantinisant et mâtiné de gothique, c'est-à-dire qu'il ne diffère pas tellement de celui de la basilique lyonnaise de Fourvière qui a d'ailleurs été construite à peu près à lamême époque. A l'intérieur du château, dans les appartements du roi, le grand salon est omé de plusieurs peintures murales consacrées àla légende de Lohengrin. Quant àla chambre à coucherde Louis E,elle ne peuten aucune façon être proposée comme décorpourla chambre nuptiale du troisième acte; pas tellement àcause de son style gothique qui serait anachroni que, mais pour un motif absolument rédhibitoire: le lit est un lit àune place! Aproximité de Neuschwanstein qui se trouve comme vous savez dans les Alpes bavaroises prèsde Fûssen, un autre château où LouisEpassason enfance, Hohenschwangau, offre également de nombreuses évocations de Lohengrin tant par les fresques de la salle du chevalieraucygne que parla représentationdu gracieux palmipèdequi décoretoutlechâteau. Bfaut se rappeler que Wagner, répondant à l'invitation du roi. y séjourna pendant une 37 semaine en novembre 1865. Et que pour faire plaisir à son souverain bien-aimé, il fit exécuter lesfanfaresde Lohengrin par la musique militaire localepostéeen hautdes toursdu château. Près de Hohenschwangau se trouvent deux beaux lacs, l'Alpsee et le Schwansee. C'est sur le premier que Louis II s'était fait préparer une petite fête nocturne pour son vingtième anniversaire: un cygne mécanique tirait une nacelle sur laquelle se tenait un aide de camp costumé enLohengrin etéclairé par une lumière électrique. Le modeste touriste wagnérien devra se contenter de suivre sur ces eaux calmes les évolutions de quelques gracieux palmipèdes. C'est surcette image noble et mystérieuse, fascinante et gracieuse de l'oiseaublanc que nous pouvons clore cette évocation des décors naturels de Lohengrin: un cygne qui s'avancesurunlac,ousurunétangoumême dans unmodeste bassin, noussuffitànous,pour nous transporter dans un autre monde: c'estun peu cela, être wagnérien. 39 TRISTAN ET ISOLDE Compte tenu de latendance immuable de Wagner au grandiose pour ne pas dire à la démesure, Tristan et Isolde apparaît comme son oeuvre la plus intimiste. Bestcurieux de noter qu'il ait dénommé «Handlung» (action) ce drame qui est plutôt un immense poème musical. L'attention du spectateur, qui est avant tout un auditeur, seconcentre surles deux héros; les autres personnages se trouvent réduits, malgré l'importance etlabeauté musicale de leurs interventions, àjouerdes rôles finalement secondaires. D'une manière analogue, les éléments de décor de la pièce s'effacent devant le drame intérieur vécu par les deux protagonistes. Par contre, quand on veut replacer Tristan dans l'ensemble des ouvrages de Wagner, ilest absolument impossible de faire abstraction du contexte biographique dans lequel il a été conçu. Une sorte de nécessité s'impose au profane comme au wagnérien le plus endurci: pour écrire ce chef-d'oeuvre éblouissant du romantisme musical, il fallait que le génie de l'artiste soit sublimé par l'amour de sa muse. Aussi dans cette évocation des décors naturels, ce sont surtoutles décors biographi ques que je vous inviterai àvisiter, me contentant d'indiquer quelques sites servant de cadre à la légende moyenâgeuse. 41 NOTES SUR LA GENESE DE L'OEUVRE PourTristan,commetoujourschezWagner, ils'écoule une assez longuepériodeentre lapremièreintention, c'est-à-direlechoixd'unsujetdramatique,etla réalisation proprement dite. La première conception remonte à l'automne 1854, faisant suite à la lecture de Schopenhauer. Richard s'en ouvre à Franz Liszt dans une lettre célèbre en date du 16 décembre; toutefois, son intentionn'est pas assez forte pour le détourner de son travail de composition de la Walkyrie. C'est seulement un an plus tard qu'il conçoit son esquisse dramatiqueavecplus de précisionaprèsavoirprisconnaissance d'un projet de sonjeune ami Karl Ritter ayant lui aussi pour sujet la légende de Tristan et Iseut Puis dix-huit mois s'écoulent encore: le temps pour Wagner de composer les esquisses des deux premiers actes de Siegfried et d'enflammer sa force créatrice dans son amour passionné pour Mathilde Wesendonck. Dès lors tout va aller très vite: le scénario détaillé en prose est commencé le 18 août 1857 et le poème définitif est achevé un mois plus tard. La composition du 1er acte est entamée au début du mois d'octobre. Wagnertravaillesuivant la méthode à trois niveaux qui lui est habituelle: ébauche de composition, puis esquisse orchestrale et enfin partition définitive; les trois étant intriqués avecuncertain décalage. Pour la mise au net de la partition, il n'attend pas d'avoir terminé un acte, car il envoie immédiatement son travail, scène par scène, à la maison d'édition Breitkopf et Hartel qui en réalise l'impression. Vucescirconstances particulières, ilseraitnécessaire d'énumérer une bonnevingtaine de dates pour établir un calendrier précis des étapes successives de la composition, en y intercalantd'ailleurs les cinq liederdont deux (Trâume et Im Treibhaus) sont des prémices pour Tristan. B est préférable de s'en tenir à des repères plus généraux: - octobre 57 - avril 58:1er acte (à Zurich) - mai 58 - mars 59:2ème acte (à Zurich puis à Venise) - avril 59 - août 59: 3ème acte (à Luceme) La partitionimprimée, revueet corrigée seraprêteautoutdébutde l'année 1860.Mais ce n'est que cinq ans plus tard, aprèsbiendes vicissitudes, que l'oeuvre sera créée à l'Opéra Royal de Munich. 42 En dehors de certaines considérations extérieures (un certain découragement en face de l'immense travail de la Tétralogie et la perspective des difficultés d'une éventuelle représentation; mais aussi une proposition fantaisiste en provenance du Brésil pour yfaire jouerunopéranouveau... enitalien!), l'élémentdéterminantqui apousséWagneràécrireson Tristan estsans nul doute son amour pour Mathilde Wesendonck. Etlefait que cette passion n'aiteud'autre issue qu'en un douloureux renoncement acertainement accentué le caractère exalté et désespéré de l'oeuvre. Si je renonce àm'étendre sur ce sujet intime, cela signifie nullement que je le néglige. Beaucoup de biographes en ont parlé longuement et beaucoup mieux que je ne saurais le faire. Le mystère pudique dont les deux protagonistes ont voulu entourer cetépisode de leur vie, les longues plaintes de Wagner dans sonJournal et dans ses lettres à Mathilde, le«non-dit» que l'artiste aexprimé dans samusique, tout cela confère à cette histoire un charme sibyllin qu'il ne faut pas trop chercher à éclaircir. C'est le voile diaphane que je souhaite disposer devant les décors naturels que je vais décrire. LES DECORS BIOGRAPHIQUES Après ces brefs éléments chronologiques qui ont fait office de prélude, nous pouvons leverle rideausur les décors naturels du Tristan vécu par Richard Wagner. Ce qu'il y a de particulièrement intéressant dans ces décors, outre leur qualité intrinsèque puisqu'il s'agit toujours d'édifices somptueux, c'est qu'ils s'adaptent remarquablement àchacun des trois actes du drame. Best même possible d'imaginer qu'ils servent de base à une mise en scène: Au premier acte, le grand bateau serait représenté àl'avant par la villa Wesendonck oùsetiendrait Isolde etàl'arrière parl'Asilede Richard où setiendraitTristan. Le grand parc et ses beaux arbres remplaceraient la mer. Le deuxième acte se passerait dans la cour intérieure duPalais Giustiniani à Venise etletroisième dans ledécor surchargé demarbre, de stucs et de dorures de l'hôtel Schweizerhof à Luceme. Avec au fond pour fermer le cadre de lascène, tout au long de ces trois actes, une immense projection du visage deMathilde Wesendonck. 43 Mais dans ma mise en scène, ce seraient les véritables héros de la légende immortelle qui évolueraient dans ces décors anachroniques et non pas une bourgeoise en crinoline, flanquée d'un officierde la marine suisse, près d'un piano à queue sur lequelest posé une partition de Tristan. La villa Wesendoncksurplombe le lac de Zurich sur une colline à l'ouest de la viUe dansle quartierde Enge. Devenue propriété municipale, elleestconnue aujourd'huicomme muséeRietberg et abrite unecollection d'art d'Extrême-Orient très réputée. Le magnifique parc est maintenant un jardin public. La construction elle-même a conservé son aspect d'origine, mais elleaétévidée detoute sadécoration intérieure. (Asignaler qu'unepartie du mobilier des Wesendonck se trouve maintenant dans la propriété de la famille WiUe à Mariafeld et que des toiles de l'importante collection de peintures d'Otto Wesendonck, notamment un très beau portrait deMathilde, sont exposées au musée de la ville de Bonn). Le visiteur peut néanmoins admirer l'extérieur de la villa et le majestueux escalier intérieur où Wagner disposait un orchestre lors de concerts privés. Un rapide coup d'oeil suffira à rassurer les bons bourgeois qui sont ébahis par les libéralités d'Otto Wesendonck envers Wagner: cela n'apas dû trop entamersa fortune. D'ailleurs, il est probable que du haut du ciel, l'avisé Otto considère ces prêts à fonds perdus comme le meilleur de tous ses investissements. B doit aussi regretter que la ville de Zurich ne soit guère pressée de reconstituer, ne serait-ce que dans quelques pièces, l'aménagement d'origine. Quant au visiteur wagnérien, il doit se contenter d'une plaque émaillée à l'entrée de la maison et d'une stèle dans le parc (peu séduisante et difficile à trouver) sur laquelle une inscription (difficile à déchiffrer!) rappelle le séjour de l'illustre Maître en ces lieux. Le souvenir des Wesendonck est aussi présent par le monument funéraire de leur petit Guido qui a été transféré du vieux cimetière et installé près de l'entrée de la villa. Cetransferta été effectué grâce aux efforts deJûrg Wille qui a fait également don du buste de Richard Wagner qui se trouve à présent dans le parc de la villa Schônberg de l'autre côté de la Gablerstrasse. Aujourd'hui dépendance du musée, la villa Schônberg a été bâtie vers 1890 autour de l'Asile de telle sorte que celui-ci n'est plus reconnaissable bien qu'il n'ait pas été démoli (plaque explicative à l'entrée). Le balcon métallique à l'arrière de la maison est celui sur 44 lequel donnait le cabinet de travail de Wagner. En 1983, une exposition riche de précieux documents avait été réalisée dans cette pièce dupremier étage, mais leshelvètes n'ont pas jugéutile de lui donnerle caractère définitif d'une salle commémorative. Onestpourtant ici dans unhautlieuwagnérien: c'estici que Wagneraécrit le poèmede Tristan, qu'il acomposé tout le premier acte, l'esquisse du deuxième acte, les lieder sur les poèmes de Mathilde; et au début de son séjour, ily avait travaillé àlacomposition du deuxième acte de Siegfried. C'est également ici qu'il a vécu une des périodes les plus exaltantes de sa vie personnelle, qu'il a aimé etsouffert d'une passion peut-être banale mais que son génie a transmutée pour l'éternité. Auprès detels témoins depierre, lerecueillement peut emporter très loinoutrèshaut notre imagination. Ces petits exercices derêverie méditative apportent une intimité particulière avec les oeuvres etleur auteur, intimité qui, sielle ne remplace pas les connaissances venant de l'étude et de l'expérience, constitue cependant un petit«plus» permettant à l'admiration de devenir plus chaleureuse, c'est-à-dire affectueuse. AVenise, lepalais Giustiniani où Wagner, après avoir quitté Zurich, vécut jusqu'au printemps 1859, est situé sur le Grand Canal àla hauteur de sagrande boucle. C'est ici qu'il termina le deuxième actede Tristan. Onpeut contempler à loisir ce palais depuis le Campo San Samuele sur l'autre rive. C'est donc dans la direction de Saint-Marc, le deuxième bâtiment après le palais Foscari (qui abrite l'Université): lepalais Giustiniani-Brandolini. Wagner y occupait un appartement au 1er étage composé d'ungrand salon dont les fenêtres donnent surlaloggia, d'unechambre etd'uncabinet attenant auxquels correspondent deux petits balcons surle côté gauche enregardant le palais. L'entrée porte le N° 3228 dans la minuscule calle Giustiniani qui part du Campo dei Squelini. Bn'estpas facile d'y pénétrer. Une première fois, j'ai euleconcierge parsurprise: j'ai puainsi observer rapidement lacour intérieure, bien classique des palais vénitiens, avec son puits traditionnel, legrand couloir traversant le bâtiment pour aller donner surlecanal et, à l'arrière, un petit jardin surélevé. Ladeuxième fois, j'ai eudroit à une visite en règle après avoir obtenu l'autorisation de la comtesse Brandolini. Nous avons donc pu pénétrer dans l'appartement de Wagner. J'ai pris letemps decontempler lecanal enposant les mains sur la balustrade, refaisant le geste de Wagner enpensant à cesoirtragique où,se cramponnant à cette balustrade, il pensa mettre fin à son désespoir ense précipitant dans leseaux noires 47 du Grand Canal. B hésita, renonça et put ainsi terminer la composition et l'instrumentation du deuxième acte de Tristan. Lors d'un autre passage à Venise, j'ai essayé de visiter encore une fois le palais. Mais comme je n'avais pas adressé de demande préalable, je me suis fait tout bonnement éconduire par le conciergeau moyende son interphone; c'est d'ailleurs ce qui risque fort de vous arriver. Enfin, lorsdu congrès des Cercles Wagner, nous avons été quelques centaines à arpenter, le verre à la main, ce lieu de recueillement! Dorénavant, Venise honorera dignementle Maître au Palais Vendramin, où il mourut, le 13 février 1883. Une partie des appartements qu'il occupa est et sera progressivement aménagée en musée grâce à la ténacité du président du CercleRichard Wagner de Venise. Depuis longtemps déjà, uneplaque apposée surlafaçade duPalais etuneautreprèsdel'entrée dans la Calle larga Vendramin, rappellent le souvenir de Wagner. Une visite s'impose également au café Lavena, il Caffè di Riccardo Wagner, place Saint-Marc, avant d'aller contempler le buste du Maîtredans les Giardini Pubblici. Mais revenons à Tristan et au décor du troisième acte: le meilleur accueil vous sera réservé dans le très confortable et luxueux hôtel Schweizerhof à Luceme. Si vous êtes près de vos sous, il est vrai que les chambres ne sont pas spécialement bon marché, mais le restaurant est abordable et leservicedu barn'est paspluscherquedansun quelconque buffet degare. Wagner qui, lui, neregardait guère à ladépense, séjourna ici dela fin mars audébut septembre 1859. Bneperdit passontemps dans l'oisiveté puisqu'ilcomposa la musique du troisième acte de Tristan entre le 9 avril et le 6 août. L'hôtelayantsubidepuis plusieurs transformations, il n'est pluspossible deconnaître exactement l'emplacementdes appartements occupés successivement parleMaître. Mais on peut goûter entoute nostalgie lecharme très viscontinien des salons etdugrand hall durezde-chaussée.Jemerappelle mes tractations difficiles avec ledirecteurdel'hôtelqui,pourune raison qui me resta inconnue, ne désirait pas que lesouvenirdeWagnersoitsignalé dans son établissement. Cependant mon insistance finit parvaincre sonindifférence. A bout d'argu ments, mais contrôlant très helvétiquement son exaspération, il me déclara: «Après tout, peut-être un portrait là-bas dans le couloir du fond; si vous voulez vous en charger, vous n'avez qu'à amener quelque chose etonverra bien». Mon embarras nedura pas longtemps. Je pilotais ma somptueuse deux-chevaux jusqu'au musée de Tribschen et j'exposai la 48 situation à la gardienne qui était une ardentewagnérienne. Elle descendit à la cave et revint avecdans un grandcadre unportraitgravéde notrecher Richard.Peu après,je me représentai fièrement au Schweizerhof, allaiau fond du couloir, déposai le cadre d'une quelconquevue des Alpes et accrochaile dit portrait.Byestrestédepuis; je nesais passi beaucoupdevisiteurs l'on remarqué, mais ça me fait plaisir de savoir qu'il y est. LES DECORS DE LA LEGENDE Au cours du Moyen-Age, la légende de Tristan et Iseut a fait l'objet de nombreux poèmes et romans où la touchante simplicité des sentiments se noie dans la fastidieuse prolixité du récit. Ce mythe, qui nous paraît étemel et dont on trouve des correspondances dans des légendes orientales, est peut-être néd'un fait divers très banal. Tellement banal qu'il a pu se produire en différents endroits et à différentes époques. Transmis oralement de génération en génération et de lieux en lieux, le récit original s'est enrichi de l'imagination des auteurs qui l'ont coloré de poésie et de fantastique. On se doute quel a été le fait divers initial: un roi sur le retour qui épouse une jouvencelle. Celle-ci, un beau jour, se trouve en présence du neveu ou du fils du roi. L'âge les rapproche, ils rient et boiventun peu trop. Grisés par la cervoise et par leur jeunesse, ils s'enflamment et font l'amour ensemble; le roi lessurprend.Des savants spécialistesdu haut Moyen-Age ont pu identifierdes personnages et localiserdes sites qui auraient été les acteurs et le théâtred'un telévénement. Sansentrerdansdes détailsd'argumentation archéologique, il faut citer les noms de Marcus dit Conomorus, un chef celte du Vie siècle et de son fils Drustanus. Dansle sud de la Comouailles, à un kilomètre environ au nord-ouest de Fowey, une colonne monolithique sedresse enborduredelaroute B3269. Surcettepierre, lesspécialistes ont pu déchiffrer une inscription disant: «Ici repose Drustanus, fils de Cunomorus». A deux kilomètresplus au nord, prèsde la mêmeroute,se trouventles vestiges de constructionstrès anciennes qui pourraient correspondre à la résidence du roi Marcus: c'est le domaine de Casteldore. Dans un champ, uneélévationdu terrainrecouvertede buissons forme un double 50 cercled'environ80mètres dediamètre correspondantauxfortifications etfossés dudomaine. Les fouilles qui y ontété opérées ont montré qu'ils'agissait delarésidence d'un chef celte, mais le château de ce roi Marke se réduisait à des constructions en bois. D'autres noms de villages ou de lieux-dits de cette région se retrouvent dans les textes médiévaux (Lantien, Golant, Morrois etc..) Plusieurs récits situent la résidence du roi Marke à Tintagel sur la côte nord-ouest de la Comouailles,dans le châteauoù latradition ditqueseraitné le roi Arthur.C'est sansdoute pour donner à leur récit un cadre plus prestigieux que le très rustique Casteldore que les auteursont choiside faire résiderMarkeàTintagel. Aujourd'hui ne restent,sur la presqu'île rocheuse de Tintagel, que les ruines d'une forteresse du Xllè siècle emportée par un écroulement de la falaise. Ces ruines dominant les vagues de l'océan, forment un décor magnifique et impressionnant. Bn'existe pasde lieu qui pourrait correspondre avec quelque certitude à Kareol, la patriedeTristanetdécordu 3ème acte. Dans lesuddupays de Galles, plusieurs noms delieux commencent par Car (ce qui doit signifier château). B y a aussi Carliste au nord de l'Angleterre et Carhaix ou Concameau en Armorique. Dans la tradition armoricaine, le château de Marc se serait élevé à Douarnenez et Tristanseraitmortdansl'île quiportesonnometquisetrouvejustedevantla ville.Une autre version fait mourirTristan à la pointe de Penmarch, au sud-ouest de Quimper. Onterminera parl'évocation d'un décor théâtral quifit couler beaucoup de salive et d'encre dans le monde wagnérien des années 60: le fameux phallus du décor du 2ème acte dans la mise en scène de Wieland Wagner. Il s'agissait en fait d'un gigantesquemenhir, le menhir étant comme nul ne l'ignore un symbole phallique. On pourrait rétorquer que tout objet oblong et rigide est un symbole phallique et, sans s'attarder au rayon des fruits et légumes, on pourrait citer pêle-mêle: le saucisson de Lyon, la baguette de pain, la flûte enchantée, le cor anglais, la vis sans fin, le couteausuisse gonflable ou le modeste crayon. Cependant, lemenhir étant breton, onpeut considérerquelechoix de Wieland étaitsubtil et judicieux, car d'autres spécialités bretonnes qui auraient pu convenir comme le biniou ou l'andouille de Guéméné, auraient sans douteprêté à des plaisanteries douteuses. Làoùjeveuxenvenir, c'estàvous indiqueroùvous pouvez voirunmenhird'unetaille 52 presque aussi imposante que celui fabriqué pourla scène de Bayreuth. Le plus grand menhir debout est celui de Kerloas. Il se dresse dans un champ entre Saint-Renan et Plouarzel au nord-ouest deBrest (le site estsignalé surlacarte Michelin N°58). Surune desesfaces, il présente près de son sommet une dépression ronde qui donne naissance à une empreinte descendante comme dans le décor de Wieland. Cette histoire de symbole est tout de même assez troublante, car rappelez-vous: la pierre tumulaire de Drusdanus en Comouailles est aussi un monolithe vertical; comme la stèle dédiée à Richard Wagner dans leparc dela villa Wesendonck. Etc'est peut-être pour dissimuler ce symbole impudique que ladite stèle a été entourée de bosquets! 53 LES MAÎTRES CHANTEURS Ala question de savoir par quelle qualité plus qu'une autre, un être humain se rend immédiatement sympathique, jerepondrais sans hésitation que cette qualité est lasincérité. Bestcertes difficile dedonner unedéfinition brève etprécise decequ'estlasincérité.Je dirais que c'est lafaculté d'exprimer ses sentiments etses idées de la manière laplus naturelle et lamoins conventionnelle possible, sans ledésir deparaître autrement, sans lesouci detrahir ce que l'on sait être la vérité. La sincérité peut cependant être pénible quand elle s'exprime avec brutalité, grossièreté ou sottise; ce qui la rend agréable, c'est le tact, la subtilité, la discrétion. A laquestion desavoir pour quelle raison Richard Wagner est l'artiste que je révère plus etbeaucoup plus que d'autres grands artistes, jecrois que jerépondrais que c'estpeutêtreen premier lieu à cause de sa sincérité. Enfin à la troisième question desavoir dans quel ouvrage deWagner, cette sincérité apparaîtde lamanière laplus simple etla plus éclatante,jerépondrais que c'estprobablement dans ses Maîtres Chanteurs. Lasincérité dansl'art, celapeuts'appelerle naturel (àne pasconfondre biensûr avec lenaturalisme) ;Wagnerqui s'y connaissait, appelaitcela «le purement humain libéré detoute convention». Les Maîtres Chanteurs sont une oeuvre où le sens du naturel de Wagner se 55 manifeste de façon concrète presque palpable. Quand on aime les Maîtres Chanteurs, on ale sentiment d'avoir vécu à Nuremberg au XVIe siècle, on croit presque avoir fait son apprentissage de cordonnier et quand on assiste àune représentation, on al'impression d'avoir revêtu ses plus beaux atours pour assister àla grande fête du chant, de la musique et de la poésie. C'estdire si le décorade l'importancedans les Maîtres Chanteurs, le décorqui n'estpas seulementl'élémentvisuel du spectacle, mais aussi etsurtoutl'ambiance créée par le texte et par la musique. Pourtant, assez paradoxalement, l'évocation de décors réellement naturels revêt un caractère assez précaire. Ainsi Wagner connaissait bien la ville de Nuremberg et les traditions de la vieille Allemagne; cependant, pour écrire son poème, il ne s'est pas déplacé sur les bords de la Pegnitz mais àParis où il s'enferma dans une chambre d'hôtel ayant vue surle Louvre et les quais de laSeine. Quantàmoi, pourécrire mamodesteprose,jene mesuis pasrendu aucoeur de l'Allemagne, mais j'ai simplement profité d'un week-end passé au bord de la mer pour taquiner mes souvenirs et consulter mes notes de voyages, assis dans le sable, le soleil bien fixé au-dessus de mon chapeau; et mes yeux se levaient souvent de ma table à écrire improvisée pour se perdre dans l'infini bleuté de l'horizon, pour suivre le vol des mouettes ou pour contempler les formes avantageuses des belles baigneuses bronzées. Après un rappel de biographie couvrant la longue période de genèse de l'oeuvre, je vous emmènerai àtravers l'Europe surles lieux fréquentés parWagner aux diverses époques où il travailla aux Maîtres Chanteurs, puis nous irons à Nuremberg visiter des endroits susceptibles d'évoquer de manière concrète les diverses scènes des Maîtres Chanteurs. LA GENESE DE L'OEUVRE C'estenjuillet 1845, au cours de cefameux séjouràMarienbadoù il conçutégalement son Lohengrin, que Wagner écrivit un premierplan scénique des Maîtres Chanteurs. Bavait lu une histoire de la littérature allemande et avait pris un grand intérêt pour le personnage de Hans Sachs. Al'époque, il pensait suivre le conseil deses amis qui souhaitaient le voirécrire un opéra léger et gai qui pourrait lui apporter le succès et la fortune. Les Maîtres Chanteurs auraient été un pendant comique àTannhâusersuivant la tradition de la Grèce antique. Mais 56 finalement le projet de Lohengrin s'imposa avec plus de force et l'esquisse des Maîtres Chanteursfut rangéedans lescartons.Bn'en futplusquestionjusqu'en 1851,date à laquelle Richard raconte son projet dans la publicationautobiographique intitulée: «Une Communi cation à mes amis». Puis ce fut de nouveau un long sommeil de dix ans. C'est probablement au cours d'un voyage à Nuremberg en août 1861 que Wagner repensa à son sujet. Il y fit une joyeuse visite en compagniede Blandine (lasoeur de Cosima) et de son mari Emile Ollivier. Cela lui rappelasûrementla scène burlesque qu'il avait vécu dans cette même ville de Nuremberg en 1835: unescène de pugilatnocturnerapportéedans l'autobiographie «MaVie».Dansunelettre datéedu 30octobre 1861,Wagnerfait partà son éditeur Schottde l'existence de ce projet sur les Maîtres Chanteurs et de son souhait d'y travailler à nouveau. Maisilneprend ladécision desemettre à l'oeuvrequ'unesemaine plus tard en quittantVenise où il fait un brefséjouren compagnie des Wesendonck. B y a revu Mathilde apparemment trèsheureuse etquiattend unenfant. Richard se résigne, et triomphe de son amertume en choisissant le renoncement. B contemple l'Assomption de la Vierge peinte par le Titien: il a l'impression de voir mourir Isolde, comme si la Vierge figurait Mathilde quidisparaît àsesyeux. Wagner devient Hans Sachs ouplus exactementc'est Hans Sachs quidevient Wagner. Dès sonretour à Vienne, pendant le long voyage en chemin de fer, Richard a la première évocation musicalede l'Ouverture. Il demande à son ami Cornélius de lui procurer une vieille chronique du XVEe siècletraitant «De l'art ravissant des Maîtres Chanteurs». C'estdans celivre qu'il trouve les noms desespersonnages ainsi que les règles de la Tablature et les pittoresques dénominations des chants de maître. E écrit alors un deuxième scénario en prose, bientôt suivi d'un troisième dont il va faire lecture à Franz Schott. En même temps il se metd'accordavec cedernier pourobtenir une avance de fonds lui permettant de réaliser son oeuvre. A la fin du moisde décembre, il se rend à Pariset descend à l'hôtel du Quai Voltaire où il commence la rédaction de son poème. A la fin janvier, ce travail est terminé, et le 5 février Wagner fait une première lecture publique deson livret chez les Schott à Mayence. Bs'installe alors à Biebrich de l'autre côté duRhin ety restera jusqu'au mois de novembre. C'est à Biebrich que Richard se met à la composition musicale en commençant par l'Ouverture, puis le début du premier acte; lejourde sonquarante-neuvième anniversaire, il a l'idée de ce que sera le prélude du troisième acte. A la fin de l'été, des circonstances 57 diverses vont l'obliger à interrompre son travail, mais il est clair qu'à ce moment là, une grosse part de la substance musicale des Maîtres Chanteurs a déjà été élaborée. Le 1er novembre 1862, Wagner dirige la première exécution de l'Ouverture au Gewandhaus de Leipzig devant une assistance clairsemée, mais enthousiaste puisque composée à peu près exclusivement de ses parents et amis. Cette date marque aussi un arrêt qui se prolongera pendant plus de trois ans, letravail de composition n'étant repris que très épisodiquement à Vienne puis à Munich. Ce n'est qu'au début de l'année 1866 que Wagner s'y remet activement pour terminer le premier acte à Genève à la fin du mois de mars. Peu après, il s'installe très solidement à Tribschen près de Luceme. Pendant le printemps et l'été, il y compose lamusique dudeuxième acte etilentame toutdesuite letroisième acte dont lelivret asubi d'importantes modifications (songedeWalteretchantdeBeckmesser, harangue finale deSachs). Lapartition sera achevé le24octobre 1867. Bfaut remarquer quede gros soucis personnels dans sesrelations avec Cosima, Hans deBûlow et leroi deBavière n'ontpas eu de répercussion sur son activité créatrice et n'ont pas troublé la sérénité et la gaîté dont est imprégnée la musique des Maîtres Chanteurs. Misen répétition au début de l'année 1868, authéâtre de Munich, l'ouvrage verrasa première représentation le 21juin.Monté dans des conditions artistiques de perfection très exceptionnelle sous la direction musicale de Hans de Bûlow, alorsque Wagners'occupait personnellement de la mise en scène, ce futun grand succès de prestige pour le Maître qui répondit à l'ovationd'une foule decélébrités, d'amiset dejournalistes depuisla logeroyale où Louis H, en un signe suprême de faveur, l'avait fait appeler. On peut penser qu'à ce moment précis, Richard avupasserenundéfilé infiniment accéléré lesvingt-trois années qui s'étaient écoulées depuis sa première conception des Maîtres Chanteurs à Marienbad. LES LIEUX DE LA CREATION MARIENBAD En tchèque Marienzké Lazné, est situé en Tchécoslovaquie à une centaine de kilomètres à l'est de Bayreuth. La maisonoù Wagner séjourna en 1845 existe toujours au numéro 1 de la rue Karlowska; une plaque commémorative y a été apposée. 58 VENISE L'hôtel Danieli où Wagner résida en novembre 1861 et le tableau de l'Assomption peintpar le Titien(maintenant dans l'églisedei Frari) sont lestémoins toujours présents de la décision subite du Maître de composer son ouvrage. VIENNE L'hôtel de l'Impératrice Elisabethoù Wagnerécrivit la version définitive du scénario est un établissementassezcossuducentredelaville,3 Weihburggasse. Le séjour de Wagner y est signalé sur une plaque placée dans le hall d'entrée. A Vienne encore, on peut voir la maison habitée par Wagneren 1863-64 dans le quartierde Penzing, 72 Hadikgasse, près de Schônbrunn. Là aussi, il y a une plaque commémorative avecun portraitdu Maîtreet une inscription rappelantquec'est danslesheures lespluspénibles de sa vie qu'il travaillaà son ouvrage le plus ensoleillé avec cette citation du chant de Walter von Stolzing: «Der Noth entwachsen Flûgel»:Les ailes (dugénie) ontgrandidans la détresse. PARIS L'hôtel du Quai Voltaire, où Wagner rédigea son poèmeen vers, existe toujours au numéro 19duquai. Sonnom figure parmi d'autres clients illustres suruneplaqueetquelques pauvres documents wagnériens sontexposés dansle petitsalon. De l'autre côté de la Seine quand onpasse sous les arcades duPalais Royal, ilfaut sesouvenirquec'est iciquele Maître eut l'inspiration soudaine de la mélodie du choral de Hans Sachs: «Wach auf!» MAYENCE La maison d'édition Schott qui se trouve au 5 Weihergarten honore avec éclat la mémoire de Wagner, un grandbuste est placé dans l'entrée, et le salon où le Maître lut son poèmeestunvéritable petit musée présentantde nombreux documents autographes. Deplus, la maison Schott s'est montrée reconnaissante envers Richard Wagner en faisant édifier un monument dédié àson génie (évidemment, ils'agitd'une sculpture abstraite!) qui setrouve sur la promenade au borddu Rhin auniveau de la salle de concert «Rheingoldhalle». Surl'autre rivedu Rhin, à Biebrich, ontrouve, au 137 Rheingaustrasse, la maison à 60 l'architecture très curieuse que Wagner habita en 1862. C'est là qu'il commença la composition de la musique des Maîtres Chanteurs et bien sûr, il yaune plaque sur te mur d'enceintede la propriété qui rappelle cet événement. LEffZIG Bn'y a pas de plaque commémorative de la première audition de l'Ouverture car l'ancienGewandhaus aétédétruit. Mais aumusée historique delaville, onpeutvoirlepupitre des chefs d'orchestre duGewandhaus, celui dont Wagnerseservit pourconduire l'exécution de cette ouverture. MUNICH Au bord dulac deStamberg, à Kempfenhausen, setrouve l'ancienne Villa Pellet où Wagner habita pendant l'été 1864. Une inscription sur la façade dit qu'il y travaiBa à ses Maîtres Chanteurs. Enfait, ilytravaillacertainementtrès peucarilavaitbiend'autreschoses à faire avecla très chère Cosima. Dans la ville même de Munich, te monument qui est le témoin te plus sérieux de l'époque des Maîtres Chanteurs est naturellement le National Theateroù l'oeuvre fut créée. Le bâtiment bombardé et incendié en 1945 a été reconstruit; il est bien connu des amateurs d'art lyrique et une représentation des Maîtres Chanteurs y revêtun peu te caractère d'une célébration. GENEVE Lapropriété «Les Artichauts» où Wagnertermina lacompositiondupremieracte aété démoUe àlafin des années cinquante; àsaplace setrouve maintenant l'église catholique de Saint Nicolas deFlue. Mais les genevois n'ont pas oublié et une rue donnant surla route de Montbrillantetsituée àproximité del'emplacementdes Artichauts porte maintenant lenom de Richard Wagner. Voir également lesalon Wagner à l'hôtel Métropole. LUCERNE J'ai gardé pour lafin lelieu qui semble leplus chargé desouvenirs relatifs aux Maîtres Chanteurs, c'est la bellevilladeTribschen, devenue un muséeRichardWagner.Entre autres 62 souvenirs, pournous rappeler letemps où Wagneryécrivait la musique des Maîtres, on peut voirdes manuscritsde fragments de la partition, le piano Erardsurlequel leMaître travaillait, une veste et un béret de velours, une robe de chambre et même le fauteuil où Richard s'asseyait etsur lequel ils'est fait photographier tenant dans ses bras sa fille Eva, née à Tribschen en 1867. LES LIEUX DE L'ACTION Plusieurs petites villes d'Allemagneontadmirablementconservé leurcaractèreancien de lafin du Moyen-Age etde la Renaissance, mais c'est à Nuremberg etnon ailleurs qu'U fautchercherdes endroits suffisamment évocateurs pourqu'une imagination moyennement fertile puisse les admettrecommedécors naturels des Maîtres Chanteurs. Autrefois, dutemps de Lavignac, c'était encore relativement facile. Malheureusement, ily aeu le désastre de la deuxième guerre mondiale: la vieille ville de Nuremberg aété très gravement endommagée par les bombardements. Bexiste une photographie qui illustre de manière terrible les dernières paroles de Hans Sachs àla fin du troisième acte: «Si le Saint Empire disparaissait en fumée, il nous resterait toujours le saint artallemand». Surcette photographie prise au lendemain des bombardements, on voit la statue de Hans Sachs demeurée intacte sur son socle avec à l'arrière-plan un chaos immense de maisons etd'édifices enruines. La reconstruction a cherché à conserver à la cité sa physionomie originale. Menée hâtivement, elle n'y a pas toujours réussi; cequi fait que levisiteur doit solliciter fortement son imagination pourreconstituer des décors naturels. L'église où se passe le premier acte, conformément àla vérité historique, est l'église Sainte-Catherine, lieu oùles Maîtres Chanteurs deNuremberg tenaient leurs réunions. EBe setrouve ausud-est delaville. Enfait, ilnesubsiste que lesruines de cette église quin' apas été reconstruite après la guerre: seuls les murs ont été consolidés, il n'y a pas de voûte. L'endroit estutilisé enétécomme théâtre deplein airetonyjouedespièces de Hans Sachs. B faut signaler à proximité immédiate un café-restaurant dont la décoration (peintures murales, vitraux des fenêtres) rappelle les Maîtres Chanteurs. Souvent les décorateurs de 64 théâtre ont pris comme modèle des églises de Nuremberg au gothique beaucoup plus somptueux que la modeste Katharinenkirche: la Lorenzkirche ou la Sebaldkirche; dans sa première esquisse en prose, Wagner situait le premier actedans l'église Saint-Sebald. Pour ledécor du deuxièmeacte,on peutparcourirles rues de Nuremberg à la recherche d'un endroit adéquat. Personnellement, j'ai trouvé que la petite place sur laquelle donne la maison d'Albrecht Durer pourrait assez bien convenir. Bien sûr, c'est plutôt la maison de Hans Sachs qu'il fallait trouver mais, elle aussi a été détruite. Une plaque en indique l'emplacement dansla Hans Sachs Gasse. Devant la maison moderne qui l'a remplacée, un arbre a poussé:maisc'est un érableet nonun sureau.Nonloin de là sur la place Hans Sachs, le cordonnier-poète a sa statue en bronze datant du XLXe siècle. Un autre monument grandiose a été récemment élevé à sa gloire. C'est une fontaine, la Hans-Sachs Brunnen, oeuvre du sculpteur Jûrgen Weber, érigée près de la Weisserturm au bout de la rue Breite Gasse. Plusieurs groupes en bronze illustrentde manière réaliste et humoristique diverses scènes de la vie en ménage, inspirées de la poésie de Hans Sachs: «Douceur et amertume de la vie conjugale». Le poète cordonnier domine la fontaine du haut d'un socle où il semble exécuter un pas de danse. Par ailleurs, je me souviens d'avoir vu au musée du château de Rudolstadt, dans une salle consacrée à l'artisanat ancien, une table de travail de cordonnier avec tous les accessoires, y compris le globe de verre rempli d'eau pour focaliser la lumière d'une lampe dont Sachs se sert pour empêcher la fuite d'Eva et Walter. Comme la maison de Hans Sachs n'existe plus, je ne peux pas vous proposer de décor naturel authentique pour le premier tableau du troisième acte, bien que des fragments ou des débris de la décoration intérieure soient exposés au Musée National Germanique de Nuremberg.En revanche,je peuxvousproposerde visiterla maisonde Durerdont les pièces sont meublées dans le style de l'époque avec la sobriété que l'on imagine bien pour représenter l'intérieur de la demeure de Hans Sachs. Breste à trouver la prairie du concours,la Festwiese du deuxième tableau du troisième acte. Déjà, au début du siècle, ce cher Albert Lavignac y avait renoncé. Mais était-ce une raison suffisante pour décourager un explorateur wagnérien aussi téméraire que votre serviteur. Eh bien, non!J'y suis alléetj'ai cherché.D'après des documents anciens, il existait 66 bien à Nuremberg au XVIe siècle une prairie, une sorte de parc public servant aux rassemblements et auxfêtespopulaires: c'était laHallerwiese. Lenomsubsistetoujoursmais l'endroit, à l'ouest de la vieille viUe, est aujourd'huiconstruitet il n'y a plus guère de trace de prairie. Cependant, il existe dans la ville actuelle un lieuun peu plus crédible: c'est la Wôhrderwiesequel'on trouve encontinuantàl'est,pastrès loindel'égliseSainte-Catherine. Elle estentourée d'arbreset délimitée pardeux bras delaPegnitz. Ellese trouve à l'extérieur des remparts delavieilleville mais, comme Nuremberg agrandi, elleestmaintenantenpleine agglomération. Evidemment une prairie n'est qu'une prairie; or l'élément déterminant du décor de la scène finale, ce n'est pas la prairiemais la fête qui s'y passe. Et cela, seule une belle représentation théâtrale des Maîtres Chanteurs peut le faire éprouver. A propos, si te hasardvous mène pour celaàl'opéra deNuremberg (Richard WagnerPlatz), nemanquez pas d'y admirer une amusante peinture représentant Wagner en compagnie d'autres composi teurs d'opérasquisouhaitent labienvenue aux spectateurs et,dans lefoyer, un beaubuste du Maître près d'un immense etcélèbre tableau dupeintre Max Slevogt quireprésente nonpas une scène des Maîtres Chanteurs mais Tannhâuser et Vénus au Hôrselberg. 67 L'ANNEAU DU NIBELUNG Suivantl'exemplede Wagnerqui adonné àsonoeuvrelaforme d'unetétralogie, ilm'a paru adéquat de fragmenter mon étude sur l'Anneau du Nibelung en décors naturels. Je m'en tiendrais modestement à deux épisodes: - Le temps et l'espace pour écrire le Ring. C'est-à-direl'analyse chronologiquedelagenèse del'oeuvre ensituantlesdifférentes résidences de Wagner aux diverses époques où il conçut, écrivit et composa sa Tétralogie. - Le temps et l'espace pour jouer le Ring. C'est-à-dire ladescription chronologique ettopographique des scènes successives de l'action, suivie de la recherche de lieux réels pouvant convenir de décors. 69 LE TEMPS ET L'ESPACE POUR ECRIRE LE RING HISTOBŒ Quelques moisaprèsavoirachevé Lohengrin, à la finde l'été 1848,Wagnerrédigeun essai dont le titre est «Les Wibelungen. Histoire universelle dérivée de la légende». Sans grande rigueur, cettehistoire est plutôt unraccourci d'impressions personnelles d'un artiste qui depuis plusieurs années se gorgede lectures historiques et mythologiques. Un deuxième texte vient à la suite, intitulé: «Le mythe des Nibelungen. Essai pour un drame».C'est le premier projet de ce qui, aprèsde multiples développements et transforma tions,deviendrala Tétralogie.Peuaprès,Wagnerécritlescénariocompletdesondrame:«La Mort de Siegfried» qu'il met en vers allitérés, c'est-à-dire une forme de versificationdans laquellelerythmene vientpasdelarimeetdunombredepiedsmaisdela répétitionde mêmes lettres ou de mêmes syllabes. L'année 1849 apporte une première interruption à ce travail: c'est la révolution à Dresdepuisl'exB enSuisseetl'annéesuivantel'épisodecritiqueavecJessie Laussot.Enaoût 1850, Wagner commence à mettre en musique deux scènes de la Mort de Siegfried, mais s'arrête bientôt pour se lancer dans la rédactiond' «Opéra et Drame», volumineux ouvrage dans lequel il établit les fondements théoriques du drame musical. Au printemps suivant, la nécessitélui apparaîtde donner une forme plus vaste à son drame des Nibelungen et il rédige des esquisses d'une autre pièce précédant la Mort de Siegfried:«LeJeune Siegfried», dont il écrittoutdesuite le texte completdu poème, terminé au début de l'été de 1851. Ce nouveau travail lui fait sentir que son sujet doit encore prendre 71 plus d'ampleur et dans sa «Communication à mes amis», qu'il écrit en août 1851, Wagner annonce la présentation de son mythe en trois journées précédées d'un grand prologue. C'est pendant une cure hydrothérapique, à l'automne, qu'il conçoit les premiè res esquisses en prose de l'Or du Rhin et de la Walkyrie.Au printemps suivant, il établit des scénarios développés de ces deuxouvrages.Lepoèmede la Walkyrieest achevé te 1erjuillet, et à l'automne celui de l'Or du Rhinest achevé à son tour. On voit donc que les livrets ont été rédigés dans l'ordre exactementinversede celuidans lequelles oeuvres seront jouées. En décembre 1852, Wagner entreprenddes remaniements touchant leJeune Siegfried et surtout la Mort de Siegfried dont le final est entièrementchangé avec la fin des dieux et l'incendie du Walhalla. Cependant,mis à part les esquisses vite abandonnées mentionnéesplus haut, cela va bientôtfaire cinq ans que Richard n'a pas écritde musique. Alors, avant de s'attaquer à la tâche gigantesquequi l'attend, ils'y remettoutdoucement par une petite polka, suivie d'une sonate pourMathildeWesendonck.Je discelaparplaisanterie, maissi l'on veut êtresérieux, ilfautbiencomprendre et admettre lefaitqueWagner «pensait en musique». Bestà peuprès certain qu'il a déjà en lui à cette époque de nombreux thèmes musicaux à l'état d'idées. Enfin,le 5 septembreà la Spezia, c'est tecélèbreépisodedu rêve aquatiqueet musical, l'accord de mibémolmajeurflottant en arpèges ininterrompus, c'est la révélation du prélude du Rheingold. Et sitôt rentréà Zurich, Wagners'attaque à l'ébauche de composition de l'Or du Rhin qui est achevée à la mi-janvier1854.Btravailleensuite à l'orchestration et à la mise au net de la partition. Le premieractede la Walkyrie est écrit pendant l'été et le deuxième commencé à l'automne. A la fin de l'année, l'esquisse du troisième acte est achevée et Wagner se met à l'orchestration du premier acte. En février 1855, il part à Londres diriger des concertstout en continuantson travail d'orchestration. Ce travail traîneen longueur, car Richard pense déjà à Tristan (et aussi probablement beaucoup à Mathilde). Cependant la partition de la Walkyrie est terminée à la fin de l'hiver 1856. Avant de mettre en chantier la composition du Jeune Siegfried, Wagner remanie certains passages du livretet en change le titre: ce serasimplement Siegfried (tandis que la Mortde Siegfried devient leCrépuscule desDieux). L'esquisse du premieracteestterminée audébutduprintemps 1857. Enmême temps qu'il enréalise l'orchestration, Wagner entame 72 lacomposition du deuxième acte, mais Tristan tetravaille de plusen plus (sans compterLes Vainqueurs, Parsifal et toujours Mathilde, bien sûr). E parvient à terminer l'esquisse de composition, mais abandonne te travail d'orchestration pour écrire le scénario de Tristan. Et ce travail, il va l'abandonner complètementpendant sept ans: le temps d'écrire Tristan, de reprendre Tannhâuser et de commencer les Maîtres Chanteurs. Quand, en 1864, Wagner est appelé par le roi Louis E, il espère trouver les conditions favorables pour l'achèvement de sa Tétralogie,tâchedont le monarquelui a en quelquesorte donné l'ordre. Pendant l'été, Richard ressort les feuillets jaunis de Siegfried et met au net la partitiondu premieracte,puisil reprendledeuxième acte.Maisil estensuitepris pard'autres occupations: la création de Tristan, la composition et la création des Maîtres Chanteurs; pendant ce temps, Mathilde a été oubliée, Minna est morteet Cosima est venue régner sur le coeur du Maître. C'est seulement à la fin de l'hiver 1869 que te deuxième acte de Siegfried est définitivement achevé; il avait été commencé douze ans plus tôt. Le troisième acte est mis en musique au moment de la naissance du fils, prénommé aussi Siegfried. Pendant l'été, Wagnertravaille àl'orchestration tandis quel'OrduRhin estcrééàMunich contresavolonté. L'année suivante, il entame le prologue du Crépuscule et le premier acte, alors que la Walkyrie estjouée pourla première fois à Munich. A l'été 1870, c'est laguerre, c'est aussi le centenaire de la naissance de Beethoven à qui Wagner consacre une étude. Il arrête son travail de composition sur le Crépuscule, mais paslacomposition elle-même: c'est le temps du délicat Siegfried-Idyll, et aussi de la Kaiser-Marsch, légèrement moins délicate. Le Maître revient à sa Tétralogie et met le pointfinal à la partition de Siegfried en février 71,puis il s'interrompt à nouveau pour aller visiter Bayreuth et lancersonopération publicitaire en faveur du Festspielhaus et du premier Festival. A l'été, il reprend le Crépuscule ens'attaquant audeuxième acte, et audébut del'année72 autroisième acte. La progression est lente car il doit sans cesse se déplacer pour faire avancer son affaire bayreuthienne. A cette époque, il quitte Tribschen pour s'installer à Bayreuth où le 22 mai 1872 a lieu la pose de la première pierre du Festspielhaus. Pendant l'été, il se met à l'orchestration du troisième acte vite arrêtéepar de multiples tracas: constructiondu théâtre, construction de sa maison, gros problèmes financiers. La dernière lignedroite, c'est-à-dire 73 letravail surlapartition définitive du Crépuscule, n'enfinit plus; elle ne sera achevée qu'à l'automne de 1874, le 21 novembre très exactement. Il s'est écoulé plus de vingt-six ans depuis l'été 1848 et la rédaction del'essai surle mythe des Nibelungen. L'oeuvre étemelle est achevée, mais deux années d'efforts seront encore nécessaires pour lui donner la vie, pourla faire représentersur le théâtre spécialement conçu etconstruit à cet effet GEOGRAPHIE Bien que l'Allemagne aitconnu les prémices de l'oeuvre avec la Mort de Siegfried écrite àDresde etsonultime accomplissement avec l'orchestration duCrépuscule desDieux àBayreuth, etsurtout avec laréalisation du théâtre idéal nécessaire àsareprésentation, ilfaut remarquer que laTétralogie qui passe pour une grande oeuvre d'art national aBemand, aété écrite pour l'essentiel parunartiste ensituation d'exilé dans un pays étranger, dans unpays neutre. Eneffet, l'espace degestation, lamatrice tétralogique, c'est la Suisse, à Zurich puis à Luceme. Malgré tout, Wagner rentrera au pays pour donner naissance à son oeuvre, à Bayreuth. Acôtédecestrois centres principaux, ilfaut toutdemême faire étatdequelques autres lieux d'importance moindre. ZURICH La maison «Zum Abenstern» où Wagner habita d'avril 1850 à septembre 1851 a été démolie depuis bien des années; c'est là qu'il écrivit le poème du Jeune Siegfried et qu'il définit saconception del'oeuvre en quatre parties. Cette maison setrouvait dans lequartier deEnge oùest située lavilla Wesendonck; tout près passe une rue Richard Wagner. Acette exception près, on peut encore voir àZurich etdans les environs tous les témoins de pierre de la genèse tétralogique. Les maisons Escherdu Zeltweg d'abord, avecsurtoutle N°13 qui porte une plaque rappelant que Wagner yvécut de 1853 à 1857. C'est dans l'appartement du 2ème étage que 74 leMaître composa lamusique del'OrduRhin, delaWalkyrie etdupremieractedeSiegfried. B est occupé maintenant par la fondation Johanna Spyri et abrite une bibliothèque pour enfants. C'est dans un autre appartement du Zeltweg, au N°ll, au rez-de-chaussée que Wagner rédigea les scénarios de l'Or du Rhin et de la Walkyrie ainsi que le poème de l'Or du Rhin. B écrivit le poème de la Walkyrie au cours d'un séjour d'été à la pension Rinderknecht; la maison modeste et même délabrée existe encore 56-58 Hochstrasse, sur les hauteurs du Zûrichberg. En 1857,Richard alla habiterson asileprèsde la villaWesendoncket y commença la compositiondu deuxième acte de Siegfriedavantde l'abandonner pour Tristan. Vous savez que la villa et l'Asile sont occupés maintenant par un musée d'art oriental mais que le souvenirwagnérien y demeure (buste duMaître, stèle commémorative, enattendant mieux). A Zurich, il faut citer encore l'hôtel Baur au Lac dont le grand salon fut le théâtre de la lecturepublique du Ring, par Wagner lui-même, en février 1853 (sonportraitest dans le haB). Mais c'est dans la propriété de la famille Wille,Mariafeldà Meilen, qu'eut lieu en privé la première lecture du poème en décembre 1852. Enfin dans les environs de Zurich, on peut encore voir, à Albisbrunn, sur la route du col de l'Albis, les bâtiments de l'établissement d'hydrothérapie où Wagner conçut les premières esquisses de l'Or du Rhin et de la Walkyrie; c'est maintenant une maison d'éducation. LUCERNE Je ne m'étendrais pas sur ce chapitre: tout le monde connaît, d'une façon ou d'une autre, la belle maison de Tribschen aménagée en musée Richard Wagner. Il faut seulement rappeler que c'est le lieu où le Maître repritet achevaSiegfriedet où ilcomposa le Crépuscule des Dieux. Tout wagnérien se doit de faire le pèlerinage à Tribschen et nombreux sont ceux qui le font plusieurs fois. Dans la région, il faut signaler le Seelisberg, une villégiature haut perchée au-dessus du lac des Quatre-Cantons. Wagner y vint plusieurs fois, notamment à l'été 1855 pendant qu'il travaillait à l'orchestration de la Walkyrie. Bséjournait dans le grand hôtel Sonnenberg qui est devenu aujourd'hui le fief d'une secte vouée à la méditation transcendentale. 75 BAYREUTH Ce qui estvrai pour lepèlerinage àTribschen l'estencore bien plus pour Bayreuth: alors pasun mot, nisur Wahnfried, nisurle Festspielhaus. Mais je veuxquand même dire quelque chose surla maison que Wagner habita del'automne 1872 auprintemps 1874 et où iltravaiBa àrorchestratiôndu Crépuscule. Elleestsituéesurune petiteplace, Dammwàldchen N°4et porteune inscription surla façade avec en plusune grande plaquecommémorative à l'intérieur. Lebâtiment actuel n'a quepeu derapport avec la maison d'origineplusieurs fois agrandie et rebâtie. Nousne quitterons pas Bayreuth sans un petit détour à l'hôtel Fantaisie situé à quelques kilomètres de là, à Donndorf. Le Maîtrey a logé d'avril à septembre 1872. L'hôtel, très simple et tranquille, donne sur le beau parc d'un château; il offre même une Wagner Zimmer pour les wagnérolâtres impénitents. AUTRES LIEUX Si vous passez par La Spezia, vous pourrez toujours imaginer Wagner, malade et étendu sur son canapé, submergé par les flots du Rhin; mais vous chercherez vainement la moindre trace de son passage. De même à Londres, la maison où il travailla à l'instrumentation delà Walkyrieen 1855,au 22 PortlandTerrace en bordurede Regent'sPark, a complètement disparu. A Munich où Wagnertravaillaépisodiquement au deuxième acte de Siegfried, une plaque sur la Briennerstrasse situe l'emplacement de sa maison détruite par les bombarde ments. On peut voir aussi une plaque commémorative sur l'ancienne villa Pellet à Kempfenhausen en bordure du lac de Starnbergoù il séjourna pendant l'été 1864; la maison se trouve maintenant dans le périmètre d'un établissement scolaire. Pour finir, nous revenons au commencement avec le domicile de Wagner à Dresde pendant les années 1847-49, où il passa de longs moments plongé dans l'étude des mythes et des légendes germaniques et où il écrivit la Mort de Siegfried. B se trouve dans l'ancien palais Marcolini, aujourd'hui hôpital,au 41 Friedrichstrasse; j'en ai déjà parlé en détail dans te précédent chapitre sur Lohengrin. Certains vont peut-être s'étonner que ne figure pas dans cette liste des résidences tétralogiques, Momex en Haute-Savoie, au pieddu MontSalève. En effet, dans ce charmant village, les curieux peuvent admirer un non moins charmant pavillon dit «PaviUon de 78 Ruskin» où une plaque rappelle le séjour qu'y fit Wagner et où on peut lire sous un petit balconcettefière inscription: «La Walkyrie fut composée ici». L'ennui, c'est que le Maître n'a vécu dans cette maison qu'une dizaine dejours, ce qui est peut-être un peucourtpour écrireune oeuvre de l'importance de la Walkyrie, sans compter qu'il n'avait pas la même facilité queDonizetti. Etily aplusennuyeux encore: c'est quelaWalkyrie étaitdéjàterminée aumomentoù il arriva ici en juin 1856.Nousnoustrouvons doncdevantun très remarquable exemple de galéjade dans son expression savoyarde. Mais la légende est tenace et un lotissemnttout proche a pris pournom «leswalkynes».En réalité,Wagnerse reposapendant deux mois à Mornex, la plus grande partiedu tempsdansl'établissementd'hydrothérapie du Dr.Vaillant qui soigna et guérit son érésypèle. La Walkyrie a été composée surtout ici à Zurich Zeltweg 13 79 LE TEMPS ET L'ESPACE POUR JOUER LE RING Une caractéristiquedel'apportdelamusique etduchant dans lethéâtre, qu'il s'agisse d'opéra oudedrame lyrique, estlarelativisation de lanotion detemps réel et rationnel. En reprenant lacélèbre phrase de Gurnemanz: «Ici, le temps devient espace», on peut dire que la musique devenant espace sonore crée un cadre temporel qui lui est propre. Wagner aexploité àfond cette relativisation parson système de mélodie continue où les leitmotivs agissant sans cesse comme pressentiment oucomme souvenir produisent une véritable dissolution dutemps. Dès leprélude deses drames, ilcherche àabolir laconscience temporelle des auditeurs. Les préludes de Lohengrin et de Parsifal en sont des exemples frappants. Mais le plus extraordinaire dans ce sens est certainement le prélude de l'Ordu Rhin. ABayreuth, où l'orchestre etson chefsontinvisibles, c'est àpeinesion peut localiser le moment où commence ce prélude que le Maître appelait lui-même «la berceuse de l'univers». Ilnous évoque en quelques minutes leprocessus créatif qui atransformé un état primordial étemel en y faisant naître le mouvement et en organisant ce chaos. Avec une habileté merveilleuse, Wagnerpasse progressivementde cette évocation de laforce vitale de l'univers dans sa gestation infinie àla description du Rhin dont le cours immuable est fait d'eaux toujours changeantes. Ainsi ce prélude de l'Ordu Rhin qui ramasse en lui des milliards d'années se termine par une évocation du décor que l'on verra apparaître au moment où le rideau se lèvera. Après ce qui vient d'être dit, si on veut essayerde replacer la Tétralogiedans un cadre temporel mesurable, mieux vaut donc laisserde côté le problème du prélude de l'Ordu Rhin 81 et commencer à prendre date à l'arrivée d'Alberich. La représentation de la Tétralogie, en une durée globale de 14 heures environ, relate des événements dont on peut fixer le déroulement à l'échelle humaine sur une période d'environ 50 ans, bien qu'une grande incertitude pèse sur le temps qui a pu s'écouler entre la fin du prologue et la premièrejournée.B est certainque Wotann'a guère tardé pour aller rendrevisiteàErdaquidonnera naissance à Briinnhilde, maison peutpenserqu'il a rencontré beaucoup plus tard la mortelle qui sera la mère des jumeaux. L'âge que peut paraître Briinnhildedans la Walkyriene peutservir de base à l'échelle humaine, la meiUeure preuve étant qu'après avoir dormi une vingtaine d'années, elle ne semble pas du tout avoir vieilli. L'âge que paraissent avoir Siegmund et Sieglinde, entre 20 et 25 ans, nous donne une première indication. Le deuxième repère chronologique estl'âge queparaîtSiegfried, 18ou 20 ansauxquels, pourêtreprécis, il nefautpasoublierderajouter les neufmoisde grossesse de Sieglinde. Avantde reprendre plusen détail l'analysechronologique dela Tétralogie, il nousfaut survolerles lieuxdans lesquels les faits vontse dérouler. Une remarque préalable est que l'espace tétralogique, comme letempstétralogique, a un caractère mythique et fabuleux. Par exemple, teRhin tétralogique n'a pasgrand-chose àvoiravecleRhingéographique oùjamais le touristene trouvera, prèsde ses rives, les hautes montagnes dignesde servir de cadre à la demeure des dieux. Faisons cependant le recensement des divers lieuxoù se passel'action. E y a dans la Tétralogie 17 tableaux correspondant à 12 lieux de scénographie: 1- Le fond du Rhin (1ère scène de l'Or du Rhin) 2- Libre étendue sur des sommets montagneux (2e et 4e scènes de l'Or du Rhin) 3- Le gouffre souterrain de Nibelheim (3e scène de l'Or du Rhin) 4- L'intérieur de l'habitation de Hunding (1er acte de la Walkyrie) 5- Site sauvagede montagnes rocheuses (2e acte de la Walkyrie) 6- Le sommet d'une montagne rocheuse, le rocher de Briinnhilde (3e acte de la Walkyrie, 2e tableaudu 3e actede Siegfried, prologue du Crépuscule, 2e tableau du 1er acte du Crépuscule) 82 7- La caverne de Mime donnantsur la forêt (1er acte de Siegfried) 8- Une forêtprofonde (2eacte de Siegfried) 9- Sitesauvage aupied durocher de Briinnhilde (1er tableau du 3eacte deSiegfried) 10-Grande salledupalais desGibichungen aubord duRhin (1eractedu Crépuscule, 1er tableauet 3e acte du Crépuscule, 2e tableau) 11-Aubord du Rhin devant te palais des Gibichungen (2e acte du Crépuscule) 12-Sitesauvage deforêt et de rochers situé aubord duRhin (3e acte du Crépuscule, 1er tableau). Nous pouvons maintenant envisager une analyse de l'Anneau du Nibelung, non pas basée surlesmotivations et lesactes des personnages, mais consistantseulement àexaminer les lieux où se passent l'action etladurée de cette action en se référant au texte du livret, poème et indications scéniques. La première scène du Prologue représente le fond du Rhin, d'une manière assez particulière et peu en rapport avec les lois physiques. Bien sûr, la partie supérieure est constituée par l'élément liquide etle fond proprement dit est fait de rochers assemblés en un chaos escarpé entrecoupé de failles profondes. La particularité est, qu'entre ces deux zones, se place, sur une hauteurde la taille d'un homme, une région de brumes humides où l'eau ne pénètre pas: c'estdans cet espace qu'évolue Alberich alors que les fiUes du Rhin se tiennent dans la phase aqueuse supérieure. Dans lapremière partie de cette scène, ilfait sombre, puis lalumière du soleil paraît etvient faire brillerl'éclatdel'Or.Iln'estpascertainque cephénomène corresponde aulever du soleU, celui-ci étant peut-être caché par une épaisse couche de nuages dans leciel. Dès qu'Alberich aenlevé l'or, une nuit épaisse envahit l'espace. Celapeut s'expliquer par le fait que l'or jouait un rôle de source lumineuse secondaire focalisant et renvoyant la lumière solaire. L'interlude orchestral préparant ladeuxième scène représente un intervalle detemps imprécis mais d'une durée minimale de plusieurs jours: c'est le temps nécessaire àAlberich pour le travail de métallurgie consistant àfabriquer l'anneau àpartirde la pépite volée dans le Rhin. Pendant ce temps, ilaégalement organisé l'asservissement des Nibelungen etfait 83 confectionner le Tamhelm par son frère Mime. Audébutde la deuxième scène, l'aubese dégage de l'obscuritéet tejour naissantfait étinceler les créneaux du Burg auquel nous donnons dès maintenant son nom de Walhall, mêmesi c'est seulement à lafindelaquatrièmescènequeWotan ledésigneainsi.LeWalhall donc, se dresse au sommet d'un pic rocheux situé à l'arrière-plan; alors qu'au premier plan s'étale une région de libre espace sur des hauteurs montagneuses. Entre les deux se trouve la vallée profonde dans laquelle coule le Rhin. Quand les géants s'en vont avec Freia, ils dévalent la pente et pataugent dans un gué du Rhinpour rejoindre leur fief de Riesenheim qui doitdonclogiquementse trouverdansunerégion decollines(ledosde la terre,ErdeRucken) pas très éloignée de la hauteur escarpée du Walhall. Le Nibelheim lui, se trouve certainement sous le cours du Rhin. En effet, Alberich en est sorti directement pour venir lutiner les trois ondines. Loge et Wotan, pour y accéder, pourraientprendrecette voie, mais afind'éviter de rencontrerles filles du Rhin, ils préfèrent descendre par descrevassessulfureuses. L'interlude entre lesscènes 2 et 3décrit leur voyage. Le Nibelheim est un univers souterrain où s'entremêlent les crevasses naturelles, les puits de mines et les galeries creusées par les nains. La scène 3 est un premier exemple de scène synchronique,ce qui signifiequ'il y a conformité entrela duréede la représentation théâtrale et la durée logique des événements qui sont représentés. Le voyage-retour de Loge et Wotan ramenantAlberich se passe pendant l'interlude orchestral et la scène 4 ramène au décor de la scène 2. La grande variété de l'action et des sentiments dans cette scène finale est illustrée par des conditions météorologiques très diverses.Tant qu'Alberich est là, le cielest lourd,nuageux, l'ambiance sombre et brumeuse. Le temps s'éclaire ensuite, mais le Walhall restecachépar les nuages. La scène s'assombrit de nouveau au moment de l'apparition d'Erda. Après le meurtre de Fasolt par Fafner, Donner va s'employer à nettoyer le ciel. B appelleà luilesvapeurs,lesbrumesetlesnuages quisedissipentinstantanémentdansl'éclair qu'il fait jaillir d'un coup de marteau. La vive lumièredu soleil couchant fait briller un arcen-ciel qui par-dessus la vallée forme un pont rejoignant le Walhall. Ces indications nous permettentune déductionintéressante: lesoleilse couchantà l'ouest formeun arc-en-cielqui est donc orienté sud-nord. Commel'orientation généraledu cours du Rhin est égalementsudnord, il faut en conclure que l'on se trouve sur une courbure du Rhin qui, à proximité du 84 Walhall, coule d'est en ouest ou inversement (en fait, quand on veut établir une carte géographique situantd'une manière cohérente lesdivers épisodes duRing, ons'aperçoitque seule la première éventualité est possible). Avantde rejoindresa demeurequ'il baptiseWalhall, Wotannous précise que tous les événements correspondantsaux scènes 2,3 et 4 ont eu lieu dans une même journée entre le matin et le soir. Nous avons déjà évoqué la difficulté qu'il y a à préciserte temps écoulé entre la fin de l'Or du Rhin et le début de la Walkyrie. L'intervalle ne peut pas être inférieur à vingt ans d'après l'âge de Siegmund et Sieglinde, mais savaleurmaximale ne peut guèreêtre définie puisqu'elle aurait pour argument l'existence d'êtres supra-humains (dieux, nains, géants, walkyries) dont la durée de vie est inconnue. Quand le rideau se lève sur le premier acte de la Walkyrie,c'est le soir. Hunding, à son retour,demandequ'onlui serve lerepaset puisaprèsquelacausetteà laveillée ait maltourné, il demande sa tisane et va au lit. Entre ce moment et l'instant où Sieglinde réapparaît, il doit s'écouler une petite heure: le temps que le somnifère produise son effetsur Hunding et le temps que Sieglinde fasse un brin de toilette; or chacun sait que la toilette des dames a tendance à se prolonger. Ensuite, ce premier actese termine par une scène synchronique n'appelant pasde commentaires particuliers, mais qui peut nous donner matière à réflexion surlapériode exacte de l'année pendant laquelle sepasse l'action puisqu'il estfaitréférence de manière insistante au printemps. Dupoint de vue d'une stricte définition astronomique et sans entrerdans des considérations très arides et complexes, le printempsest la périodede l'année comprise entre l'équinoxe demars etlesolstice dejuin. L'ouverture soudaine dela porte delacabane deHunding sous l'effet d'une force invisible peut donner à penser que le printemps astronomique fait ainsi une entrée solennelle. En réalité, celui qui fait sonentrée, c'est le printemps climatique qui a en règle générale dans le climat continental un certain retardsursondébutofficiel.D'ailleurs,letexte dupoèmelève touteambiguïté: «Wintersturme wichen dem Wonnemond» (les orages de l'hivercèdent aumois desdélices); Wonnemond est un subtantif poétique qui désigne le mois de mai. Le2eacte a pourcadre unsitesauvage demontagnes rocheuses quin'est pasle même que celui des scènes 2et4duRheingold comme des mises enscènes plus oumoins abstraites 85 peuvent le laisser penser. L'action se passe te lendemainde l'acte premier, vraisemblable ment dans l'après-midi. Le rideau est tombé à la fin du 1er acte pour éviter aux spectateurs des chosesqui auraientpu heurterleurpudeur. Onne sait pas exactementsi le frère et la soeur ont choisi de faire l'amour tout de suite, sous le toit de Hunding, ou s'ils ont préféré s'enfuir d'abord. E existe cependant la référence à la musique du prélude du 2e acte qui indique clairement la succession: fuite, volupté,fuite. Pendantce temps, Hunding dormait et il s'est réveillé probablementassez tard à cause du somnifère; ensuite il a pris te temps de constater le délit, de faire sa réclamation à Fricka et celle-ci a eu le temps de l'enregistrer. Ceci dit, le 2e acte de la Walkyrie se déroule de manière parfaitement synchronique. L'entracte entre le 2e et te 3e acte a un caractère tout à fait exceptionnel: il sert seulement au repos du spectateur mais ne correspondà aucune rupture chronologique dans le déroulement de l'action. La scène de la chevauchée des walkyries s'enchaîne immédiate ment avec le combat et la mort de Siegmund et Hunding. On pourrait même dire que ces deux scènes se passent simultanément dans des endroits différents. Le 3e acte se passe sur le sommet d'une montagne rocheuse qui n'est évidemment pas la même qu'au 2e acte. La montagne du 2e acte est au sud de celle du 3e, puisque Briinnhilde qui redoute le courroux de son père demande à ses soeurs de regarder vers le nord pour guetter l'arrivée de Wotan. Sieglinde dans sa fuite se dirigera vers l'est pour gagner la vaste forêt où Fafner veille sur son trésor. Ce 3e acte lui aussi se déroulede manièresynchronique.Quand Brunnhilde et Wotan restent seuls, le soir commence à descendre et la scène se termine à la nuit tombée. Donc, l'action de la Walkyrie depuis l'entrée de Siegmundjusqu'aux adieux de Wotan s'étend sur une période de 24 heures ou un peu plus. Quand le rideau se lève sur le premieracte de Siegfried, le délai qui s'est écoulé est d'environ 20 ans; en additionnant à l'âge de Siegfried qui ne doit pas être inférieur à 18 ans, la durée de la grossesse de Sieglinde. On peut s'interroger sur l'emploi du temps de la malheureuse femme. En effet, la distance entre le rocher de Brunnhilde et la caverne de Mime ne doit pas être très considérable, comme nous le verrons bientôt en examinant les périgrinationsde Siegfried;on peutendéduire queSieglindea vécuseule dans la forêt peutêtre jusqu'à proximité de la caverne de Fafner comme les walkyries le lui avait conseillé (à propos, celles-ci disent que Wotanévite de s'y rendre, pourtant on le trouvera là au 2e acte 86 de Siegfried). Ce serait seulement quand elle s'est sentie sur le point d'accoucher que Sieglinde aurait quitté son asBe pour chercher du secours. Le décor du 1er acte représente une caverne avec deux entrées natureUes donnant sur la forêt, plus une cheminée, eUe aussi naturelle, qui troue le sommet de la caverne: la forêt sesitue donc dans une zone rocheuse etdéclive. Ce premier acte débute enfin de matinée ou au commencement de l'après-midi. Siegfried acouru tout te matin dans la forêt et quand Mime lui offre du rôti etde lasoupe, illes rejette endisant qu'il adéjà mangé seul. Une autre indicationestqu'àla fin de lascène 2, au moment du départdu Voyageur, le soleil brilled'un viféclat. Dans lascène suivante qui estlascène de laforge, ily aune contraction dutemps: c'est-à-direque, relativement au temps nécessaireàtoutletravail métallurgiquede Siegfried, cette scène est trop courte (ce n'est certainement pas l'avis des ténors qui chantent lerôle). Logiquement, on peut estimer que l'acte setermine assez tard dans lasoirée. Le2e actea lieule lendemain, dans la forêt profonde près de lacaverne de Fafner qui est située à l'est de la caverne de Mime.Au début,il fait nuit et la lune apparaît pour éclairer l'arrivéede Wotan. Quand cedernier quitte leslieux, lejourse lève. Arrivent alorsMime et Siegfried qui ontmarché toute lanuit dans laforêt; leproblème étant desavoir comment ils ont pu trouver leurchemin dans l'obscurité! Le temps passe très vite pendantcetacte puisque lorsque Siegfried atraîné les cadavres deFafneretdeMime dans lacaverne, ilestdéjà midi. Au premier tableau du 3e acte, on est dans unecontrée sauvage au pied du rocherde Brunnhilde; Ufait nuit. Pendantl'entracte, Siegfried, sous la conduitede l'oiseau, a fait une longue marche d'est en ouest partant deNeidhôhle pour rejoindre te rocher de la Walkyrie. Wotan éveilleErda qui sort de la grottequi luisertde résidence à perpétuité: cette grottese situedonc à proximité du rocher de Brunnhilde, ce dont nous aurons confirmation dans le prologue du Crépuscule où les Nomes se tiennent sur te rocher en question. QuandSiegfriedarrive, la nuitest éclairéeparl'apparitionde la lune.Si on admetque cette nuit vient à la suite du jour où s'est passé le 2e acte, il faut admettreque notre héros a marché tout l'après-midi, tout le soir et une partie de la nuit (puisqu'il a parcouru nécessairement unedistance plus grande quelors de sa précédente sortie nocturne). Après deux nuitssans sommeil et uneactivité physique intense (forge de l'épée, longues marches en forêt, combatcontreledragon et transport decelui-ci), ilesttoujours frais et dispos avant 87 de casser la lance de Wotan, de traverser le feu et de faire la cour à Brunnhilde: on ne peut que s'étonner d'unetelle endurance! Cependant rien n'empêche depenser que Siegfried ait pris une journée complète de repos en cours de route, et dans cette hypothèse on doit reconnaître quePatrice Chéreau avait euune bonne idée en mettant le petitoiseau dans une cage! L'interlude entre la 2e et la 3escène décrit la traversée des flammes pendant une durée supérieure aux exigences de la logique qui devrait nous valoir l'apparition d'un Siegfried complètement carbonisé. Puis dans ladissipation desbrumes et desfumées, l'aurore paraît, le cielpasse durose aubleu, unbrillant soleil illumine Brunnhilde endormie: lajournée qui commence va être magnifique et riched'émotions sublimeset ardentes pournotrevaleureux héros qui ne connaîtra pas le repos avant d'avoir honoré dignement son épouse qui elle, à l'inverse de son partenaire, n'est certes pas en retard de sommeil! Une incertitudepèse sur le tempsqui s'écoule entre la fin de Siegfried et le début du Crépuscule; auminimum quelques jours et aumaximum quelques semaines. C'est le temps nécessairepourque Wotanfasseabattre et débiterle frênedu mondetandisque Siegfriedet Briinnhilde épuisent les charmes de la vie à deux. Nous retrouvons le rocher de la Walkyrie dans le prologue du Gôtterdâmmerung. La scène des Nornes qui se passe pendant la nuit est suivie d'un interlude orchestral pendant lequel apparaissent successivement l'aurore, le lever du soleil et la pleine clarté du jour. Siegfried fait ses adieux à Brunnhilde et prend le chemin de la descente pourgagnerla rive duRhin (nous apprenons ainsi quelerocherdeBrunnhildesurplombe directement lefleuve). Le voyage de Siegfriedsur le Rhin, illustrépar un interludeorchestral, a une durée difficile à préciser mais que l'on peut estimer à quelquesjours voire à quelques semaines. Outre le fait que Siegfried a dû se procurer une embarcation, il est certain, d'après ce qu'explique Hagen au début de l'acte, que le hérosn'a pas gagnédirectementle palais des Gibichungen. Nous aurons la preuve bientôt que la distance entre ce palais et le rocherde Brunnhilde est relativement courte. Mais, à son départ, Siegfried ne semble pas s'être tracé un itinéraire précis et c'est seulement après avoirentenduquelquepart vanter la gloire de Guntherqu'il décide de lui rendre visite. En conséquence, quand Hagen au premier acte dit que Siegfried rame contre te courant du fleuve, on ne peut pas en déduire que le palais de Gunther se situe en amontsur le coursdu Rhin par rapport au rocher de Brunnhilde (la preuve de cela, nous 88 l'aurons au 2e acte quand Siegfried explique que Gunther et Brunnhilde remontent le cours du fleuve). Au premier tableau du premier acte, les événements se présentent de manière synchronique avec toutefois un épisode fort énigmatiquequiestle momentoù Siegfriedboit le philtre d'oubli. Dans un drame aussi chargé de sens que l'Anneau du Nibelung, ce philtre ne saurait être une simple potion magique comme dans les contes pour enfants: il a nécessairement une signification symbolique. Or, par essence, l'oubli ne saurait être instantané. La fonction symbolique de ce philtre serait donc de fixer un laps de temps vague mais assez long pendant lequel Siegfried, résidant chez Gunther etséduit par Gutrune, se serait peu à peu détaché complètement du souvenir de Brunnhilde. Mais ceci est en contradiction avec lerécit de Waltraute àlascène suivante, disant que, récemment, Wotan est rentré au Walhall en tenant à la main les morceaux de sa lancebrisée. L'interlude orchestral entre lesscènes 2et 3,ainsi que la rencontre entre Brunnhilde etWaltraute, condense te temps nécessaire au voyage de SiegfriedetGunther. (A ce propos, on peut se demander comment Siegfried, qui ne garde plus aucun souvenir de sa rencontre avec Brunnhilde, fait pour laretrouver sans difficulté). La distance peut être appréciée par ce que l'on sait de la durée du retour. Non pas celui de Siegfried qui est instantané grâce au Tarnhelm, mais celui de Gunther qui emmène Brunnhilde. On sait que Siegfried, sous l'aspect de Gunther, apassé la nuit près de Brunnhilde, séparé d'elle par son épée; puis, au petit matin, il l'a conduite jusqu'au rivage où le vrai Gunther apris sa place. Or, à peine Siegfried a-t-il terminé le récit de ces événements àGutrune et àHagen que celui-ci s'écrie: «J'aperçois au loin unevoile»; et il atoutjusteletempsde convoquerles hommes pourqu'ils fêtent leretour de leur souverain. Apartir de ce moment, lereste du 2e acte sedéroule dans une parfaite vraisemblance chronologique. Le 3e acte se passe le lendemain, conformément au plan exposé par Hagen àla fin du 2e acte. Pendant l'entracte, ont eu lieu successivement les cérémonies et les festivités de mariage, la nuit de noces et la partie de chasse. La scène avec les filles du Rhin se passe en fin d'après-midi. Les ondines ne se sont guère déplacées sur le cours du fleuve: àla fin du Rheingold, on entendait leurs plaintes monter de la vallée en bas du Walhall etmaintenant elles nagent près d'une forêt dans les environs de la résidence des Gibichungen. Ceci est 89 logiquement cohérent: ces différents lieux doivent être nécessairement assez proches puisqu'à l'épilogue onvoit que les fiUes du Rhin sontprésentes pourrécupérer l'anneaujuste avantd'apercevoirle Walhall en flammes. Lerepas que Hagen demande aux chasseurs depréparerestunrepas defindejournée. Le crépuscule commence au moment dumeurtre de Siegfried; quand le cortège funèbre se met en marche, la nuit est déjàtombée et la scènefinalea lieu en pleine nuit, au clair de lune et àla lumière des torches. L'actiondes trois actesdu Gôtterdâmmerung s'étend donc surtrois journéessuccessives. Lesdeuxpremières nuits se passent pendant les entractes et le rideau tombe définitivement au cours de la troisième nuit. La dernière image que Wagner propose dans ses indications scéniques n'est généra lement pas réalisée au théâtre: c'est la vision des dieux et des héros rassemblés dans te Walhall, tels que Waltraute les a décrits dans son récit du 1er acte, et qui disparaissent finalement dans les flammes. Dans la partie du poème que Wagner supprima de la scène finale, il est dit que le Walhall se trouve au nord par rapport au palais des Gibichungen. A l'aide de ce dernier renseignement, il est possiblede représentersur un schéma les empla cements respectifsde tous les lieuxde l'action de laTétralogie. On peut mêmesupposer que le Maîtres'en était dessinéun du mêmegenrepourne pas se brouillerinutilementles pistes! QUELQUES SITES DE TOURISME TETRALOGIQUE Best peu de dire que la Nature est omniprésente dans le Ring. Une Naturegrandiose et sauvage que Wagner connaissait bien pour l'avoir abondamment fréquentée au cours d'innombrables promenades, randonnées et courses de montagne. Pour le wagnérien, la Nature symbolise la Tétralogie au même titre que le cygne symbolise Lohengrin. Une promenade dans une forêt profonde et silencieuse et le voilà transporté dans le 2e acte de Siegfried; un vaste paysage de hautemontagne le remplit du «sentiment d'auguste sainteté de la solitude» et il se plaîtà imaginer l'arrivéede Siegfried auprès de Brunnhilde; et le jour où notre wagnérien emmène sa famille aux grottes de la Balme ou à l'aven d'Orgnac, il est fort improbable qu'il n'en vienne pas à évoquer les profondeurs du Nibelheim. 90 Ceci dit, il n'existe, dans le texte du Ring, aucune indication permettant de situer exactement un lieu sur une carte de géographie. Malgré cela de nombreuses excursions peuvent offrirà l'amateurdiverses possibilités d'imprégnation tétralogique. LA VALLEE DU RHIN Ce haut lieu touristique est plus riche de perspectives romantiques que de visions réeBementtétralogiques. Lesburgsperchéssur leshauteursn'évoquentpas convenablement le Walhall et il est bien difficile de s'imaginer les filles du Rhin évoluant dans les parages du rocher de la Lorelei tant la navigation y est intense. Cependant, divers endroits relativement dispersés, relativement peu connus, peuvent suggérer d'une manière plus ou moins efficace tel ou tel épisode ou décor de l'univers merveilleux du Ring. B faut signaler tout d'abord un passage où, comme le veut la logique de l'histoire du Rheingold, le cours du fleuvefait un angle brusque et couled'est en ouest sur environ trois kilomètres. C'est à la sortie du villagede Gemsheim, à une vingtainede kilomètres au nordest de Worms. Dans un paysage plat et morne, un petit café-restaurant baptisé Rheinglod est le bien modeste et unique repère de ce qui fut dans les temps anciens un lieu d'orpaillage. A Worms, on ira contempler la statue de Hagen sur la promenade longeant la rive gauche du fleuve, même si elle représente le héros du Nibelungenlied en train de jeterle trésor dans les eaux du Rhin et non le triste fils d'Alberich. Nous rappelons à ce sujet que le texte de Wagner ne fait pas mention de Worms, alors que la légende en fait la capitale du royaume de Gunther. La ville ne néglige pas ce titre de gloire et se présente comme «la ville des Nibelungen». Siegfried tuant le dragonn'est représentéque par une minuscule statue sur la place du marché mais, fort spirituellement, les allemands ont baptisé «Nibelungen Ring» le boulevard qui va dans la direction de Mayence. On peut admirer dans le musée de Worms, ainsi que dans celui de Bonn, des pièces de fouilles du Haut Moyen-Age (armeset bijoux). De Worms, part la route touristique dite Nibelungenstrasse avec son annexe la Siegfriedstrasse. Passant par les pentes boisées de l'Odenwald et traversant des petites villes anciennes pleines de charme, un parcours extrêmement agréable offre la possibilité d'inté ressantes excursions aux fontainesde Siegfried (Siegfried Brunnen) qui, vu leur abondance (en nombreplus qu'en débit!) méritent un paragraphe particulier. 92 Toujours dans la région rhénane, le touriste curieux peut monter sur le sommet du massif montagneux duTaunus aunord-ouest de Francfort, le Grosser Feldberg. Onpeut y voir un petit espace rocheux en plan incliné qui a reçu des autochtones lenom derocher de Brunnhilde. Comme les citadins fréquentent ce lieu à la belle saison poury allumer leurs barbecues, onaaussi lapossibilitéd'y voirdufeu; etmême, àl'extrêmerigueur, lesbâtiments d'architecture très massive de l'émetteurde télévision qui est tout prochepeuventêtre pris pour teWalhall parceux dont l'imagination selimite aux conceptions des metteurs enscène modernes les moins doués. En revanche, les traditionnalistes et autres primaires ne doivent absolument pas manquerl'excursion auDrachenfels(la montagne du dragon) audépart deKônigswinter, sur la rive droite duRhin, justeausuddeBonn. C'estlàqu'unedesnombreuses variantes dela légende place l'épisode aucours duquel Siegfried estvenu àbout dumonstre. On peut y voir unchâteau de style néo-gothique-fin duXDCe dont l'intérieur estdécoré de fresques sur la légende des Nibelungen. Mais surtout, il faut absolument visiter la Nibelungenhalle, un bâtiment de dimension relativement modeste édifié en 1913, pour le centenaire de la naissance du Maître, avecdes fonds recueillis par la société Richard Wagnerde BerUn. B s'agit ni plus ni moins d'un temple édifié au dieu Richard Wagner dans un style néohyperboréen que mes très modestes connaissances enarchitecture ne me permettent pas de vous décrire avec précision. Après avoir acquitté ledroit d'entrée dece qui est maintenant une propriété privée, onpénètre dans une salle unique circulaire surmontée d'unecoupole et dont lepavement estfait depierres polychromes qui dessinent le grand serpent mythologi que. Au fond, sedresse une sorte d'autel orné du profil de Wagner etde l'inscription: «Ehrt Eure Deutchen Meisteo> reprenant les paroles deHans Sachs à lafin des Maîtres Chanteurs. La salle est décorée par de grandes peintures dues à Hermann Hendrich représentant des scènes del'Anneau duNibelung. L'ensemble, dont l'abord estaussi monstreux quedésuet, peut finir par être extrêmement émouvant pour levisiteur baigné dans une ambiance sonore wagnérienne, pour peu que ce visiteursoit un dévot au coeurtendre etqu'il n'aitpas peurdu mauvais goût, ce qui est mon cas. Enfait,lesvisiteurs dansleurimmense majorité nesontpaswagnériens et ne fontque passer rapidement dans ce lieu, avec un regard rempli d'étonnement etd'incompréhension, 94 pourcontinuerlesens delavisite endirection d'untrès riche vivarium présentant une grande variété de reptiles avecou sanspattes. Leparcours permet entretemps d'admirerun énorme dragonen cimentdans une fausse grottedu même métal. LES FONTAINES DE SIEGFRIED Ondésigne ainsilessources pouvant êtrecelles où,se penchant pour boireà l'ombre des tilleuls, Siegfried fut frappé dans le dos par l'épieu de Hagen comme te raconte te Nibelungenlied. La raison pour laquelle on doit employer le pluriel est que les maîtres d'école, lesecclésiastiques et autres érudits locaux ont interprété lesdivers manuscrits de la chanson des Nibelungen de façon différente et cherché à situer sur leur propre territoire l'emplacementdelafameusesource. Evidemment les renseignements trèsvagues fournis par lesmanuscits permettent demultiples hypothèses. Bn'est pas de notre ressort d'en juger, ni denous plaindre devisiter quatre sources aulieu d'uneseule, sans d'ailleurs êtrele moins dumonde assurés qu'uned'ellessoitla bonne puisqu'aussi bienl'existence historique d'un modèle de Siegfried est égalementcontroversée. Les récits concordent pour situer le lieu de la mort de Siegfried quelque part dans l'Odenwald, région depetite montagne à l'estdeWorms oùsetrouvait lepalais de Gunther. Un premier lieuse trouve près du viBage d'Odenheim, entre Heidelberg et Karlsruhe, au nord-est de Bruchsal. Sur la façade du Rathausd'Odenheim, on peut voir un petit bas-relief qui représente Siegfried ayant abattu le dragon. Pour trouver la fontaine, il faut prendre la route conduisant aux installations sportives duvillage (Siegfried Stadion!). Le monument encadrant lasource représente Hagen brandissantsa lance derrière Siegfried quiesten train deboire, avec une inscription reproduisant unpassage dumanuscrit CduNibelungenlied qui mentionne le site d'Otenhaim. Cependant, nous sommes un peu trop loin de Worms pour penser que ce soit le lieuidéal: il convient de chercher plus au nord. Unsitetout à faitplausible topographiquement estcelui de la Fontaine desTilleuls à Heppenheim, à environ 20kilomètres à l'est de Worms. Lafontaine en question se trouve en plein environnement urbain, juste en face de l'entrée de la grande fabrique de glaces Langnese-Iglo. Bs'agit d'unesorte de puits plus ou moins à sec avec, gravé sur unepierre voisine, untableau expliquant qu'onsetrouve bien aubonendroit. Mais, si l'on souhaite un 96 coin plus romantique, mieux vaut se rendre à la station suivante, la Lindenbrunnen près d'Hiltersklingen. La sourcejaillit dans la forêt,à environ100mètresde la route. Sur un terre- plein bordé de tilleuls, l'eau coule dans unpetitbassin entouré de blocsde pierredont l'un porte une plaque explicative. Dans la solitude et te silence, dans la lumière ombreuse d'un soleildéclinant, onpeuts'y croire. Pourtant, c'estune quatrième source, laSiegfriedbrunnen de Gras-Ellenbach qui est lapluscélèbre. Il fautreconnaître que lesgensde la localité n'ont pas ménagéleurseffortspourpersuaderlestouristes que c'était bienchez eux que se trouvait la véritable fontaine. E parait même que, la source ayant tari dans les années 50 à la suite d'opérations de déboisement, ils n'ont pas hésité poursauver le site à l'alimenter par une conduite d'eau communale! De la fontaine d'Hiltersklingen, on rejoint facilement Gras-Ellenbach. C'est un important centre de villégiature qui serait relativementbanalsi les noms des rues etdes hôtels n'étaient pas tous ou presque empruntés au Nibelungenlied. La fontaine de Siegfried est le but d'une beUe et assez longue promenade en forêt, facilitée par les nombreux panneaux indicateurs.Une majestueuse alléede sapinsconduitjusqu'à la source qui coule timidement entre des blocs de pierre. Un peu en arrière, se dresse un petit monument de pierre rose surmonté d'une croix et où est gravé le passagedu Nibelungenliedrelatant les circonstances de la mortde Siegfried. La présence d'une croix est icibienétrange. Mêmesi elle rappelle seulement le signe cousu sur le vêtement du héros, elle a peut-être une signification symbolique plus générale: tout commeJésus fils de Dieu est mort par la Croix, Siegfried petit-fils de Wotan est aussi mort par une croix. Pour poursuivre cette méditation, il vous restera à faire une étape à l'hôtel Siegfriedbrunnen, le meilleur de Gras-Ellenbach, décoré abondamment à l'extérieur et à l'intérieur de personnageset de scènes de la légende. DES PAYSAGES DE MONTAGNE Un centre d'intérêt attirera les wagnériens épris de hauteur et ne rechignant pas à l'effort physique:ce sont les montagnes de laSuisse. Onsait que Wagnerétait un redoutable alpiniste qui trouvait dans ses longues courseset randonnées, non seulement un dérivatif et un calmant de son intense activité intellectuelle, mais aussi certainement une source d'inspiration dans la majesté et le silence des paysages de haute montagne. Il en parle luimême dans son autobiographie,à propos notammentdu col de Julier et du glacier de Roseg 98 dans la région de Saint-Moritz. Les amateurs intéressés doivent savoir que le catalogue des excursions de Wagnerdans les montagnes suisses aété établi scrupuleusement par plusieurs biographesetqu'ilsontdonclapossibilitédesuivrelestracesduMaîtreenutilisantaubesoin, s'ils sont moins courageux que lui, divers moyens de locomotion mécaniques. Une autre région que Wagnerasouventparcourue, dont les paysages ontcertainement marqué son imagination et dont il s'est probablement souvenu notamment pour le décor du 2e acte de laWalkyrie, est laSuisse Saxonne près de Dresde, particulièrement lesite dit de la Bastei, un paysage impressionnant de rochers, d'immenses falaises, de pitons et de gouffres sauvages. SUR LA ROUTE DE BAYREUTH On peut regrouper divers lieux assez dispersés mais qui peuvent être visités par le touriste wagnérien en route pour Bayreuth ou en ballade pendant les deux jours où Bn' ya pas de représentation dans un cycle de Ring. Une curiosité tout à fait remarquable est l'amas de rochers dans un site de forêt à Luisenburg dans le Fichtelgebirge, àune quarantaine de kilomètres àl'est de Bayreuth: on nesauraitrêverde meilleurdécorpourle 2e actede Siegfried. LaSuisse Franconienneausud- ouestde Bayreuthoffre aussi de bellesperspectivesde rochers au profil toumentéetplusieurs grottes naturellesdontlaTeufelshôhle,lagrottedudiable,bienàmêmed'évoquerleroyaume souterrain d'Alberich. Parcontre, levastetemplenéo-grecquiportelenomdeWalhaU.enbordureduDanube près de Ratisbonne, ne convient guère pour représenter la demeure des dieux germaniques même si l'intérieur est décoré de scènes de la mythologie nordique. C'est une sorte de Panthéon renfermantunecollectionde bustesdes grands hommesde l'AllemagneoùWagner , figure en bonne place. t, u, ^ Dans le domaine de la représentation picturale, il faut mentionner les fresques sur la ^ légendedes Nibelungenquidécorent l'hôteldevilledePassauetcellestraitantdumêmesujet ^ au palais de la Résidence àMunich dues àJulius Schnorrvon Carolsfeld, le père du célèbre ^ ténorcréateurde Tristan. Des représentations plus spécifiquementwagnériennessont àvctfr ^ àWeimar dans le grand hôtel de l'Eléphant, sans oublier celles qui ornent le hall de la villaWahnfried. ABayreuth également, en bordure du Hohenzollemring, ont été places deux 99 fragments d'un monument resté inachevé à Leipzig dont l'un représente Hagen tuant Siegfried (et l'autre Senta et les fileuses). Quantauxchâteauxde Louis II, ils n'offrentguèred'évocations tétralogiques, même si la perspective de Neuschwanstein peut paraître adéquate pour évoquer la demeure de Wotan. Uneexception toutefois:c'est lacabanede Hundingque Louis E avait fait construire dans le parc du château de Linderhof; l'original, détruit à la fin de la deuxième guerre mondiale, a été reconstitué. Après une longuepromenadedans les bois, le wagnérien sera ravi par la visite de cette Hundingshutte entièrement fidèle à la description des indications scéniques du 1er acte de la Walkyrie. Enfin, il ne faudrait pas terminer cette liste de sites touristiques sans mentionner Brunnen au bord du lac des Quatre-Cantons. A uneépoque,Wagneravait sérieusement pensé à utiliser comme décor pour sa Tétralogie la magnifique perspective qu'offre le paysage depuis la rive de Brunnen avecunescène lacustre qui auraitété aménagée sur des pontons. Mais l'affaire est tombée dans le lac, une fortetempêtede fôhn lui ayant fait comprendre que son beau projet était susceptible de se terminer par un dramatique naufrage. Ainsi, comme le pBote dans te Vaisseau Fantôme, leswagnériens peuvent chanterles louanges du ventdu sud: sans lui le Festspielhaus de Bayreuth n'aurait peut-être jamais existé! 100 PARSIFAL Denosjours, lepersonnage important del'expression del'artwagnérien estlemetteur enscène. Alors que lesvoyages nesontpour levulgaire qu'un moyen d'éveiller sa maigre imagination, ilsapparaissent pour lemetteur enscène comme une nécessité providentielle. Ainsi, lorsqu'au retour d'un voyage d'agrément du côté d'Hiroshima, on lui propose de mettre en scène Parsifal, son imagination prodigieuse et son sens pratique lui montrent immédiatementoùsituerl'action. Pourparfaire saconception, lecherhommevoyageencore et visite tour à tour, un centre d'études nucléaires, la cathédrale de Chartres et les Folies Bergère. Voilà qui confirme bien que tous les chemins mènent à Parsifal. Mais enfin, ce chemin-là n'est pas le seul. Benestd'autres, plus... naturels. Un premier qui suit Richard Wagner pendant latrès longue période qui s'étend entre la conception imprécise du sujet etlaréalisation complète del'oeuvre. Unsecond quimène à ladécouverte delieux oùl'imagination peut trouver une concrétisation du monde de Parsifal. C'estàMarienbad oùilétait venu goûter les bienfaits duthermalisme, enjuillet 1845, que Wagner lut le Parzifal de Wolfram von Eschenbach: «Un livre sous le bras, je m'enfonçais dans laforêt, puis allongéprès d'un ruisseau, je me distrayais en compagnie de Titurel et de Parsifal.» 103 Pourtantce n'est pas Parsifal qui retintalors son attention, mais Lohengrin. Wagner établit le planscénique complet de sonLohengrin pendant ce séjourà Marienbad, en même temps d'ailleurs qu'il esquissait le scénario de ses Maîtres Chanteurs. Dix ans plus tard, le personnage de Parsifal revint à son esprit au moment où il concevait son projet de Tristan, à Zurich: audernier acte, l'image de Tristan blessé à mort se confondait avec celle d'Amfortas, et Tristan surson lit de souffrance recevait la visite d'un Parsifal errant à la recherche du Graal, comme si la passion mystique se portait au secours de la passion amoureuse. Dans cette période de gestation de Tristan, Wagner conçut également te projet d'un drame mystique d'influence bouddhique «Les Vainqueurs» qui neverra jamais lejour, mais qui plus tard marquera deson influence le message philosophique de Parsifal. • Le premierprojetspécifiqued'undramesurParsifaldate duprintemps 1857.AZurich, Richard venait de s'instaUer dans une joliemaison qu'il appelait l'Asile et quise trouvait à côté de la villa de ses amis Wesendonck. «Le VendrediSaint, je meréveillaipar unbrillant soleil qui se montraitpour lapremièrefoisdepuis que nous habitions cette maison; notre jardinet verdissait, les oiseaux chantaient; enfin, jepouvais m'asseoir sur notre balcon et jouir du calme tant désiré. Pénétré dejoie, je me souvins tout à coup que c'était Vendredi Saint etje me rappelai qu'une fois déjà j'avais été frappé d'un avertissement solennel semblable dans leParsifalde Wolfram, Depuis mon séjour à Marienbad, oùj'avais conçu lesMaures ChanteursetLohengrin,jenem'étaisplusoccupédecepoème, mais aujourd'hui l'idéalisme de son projet me dominait. Partant de l'idée du Vendredi Saint, je construisis rapidement tout un drame en trois actes, et l'esquissai sur le champ en quelques traits». Enserappelantcettejournée, biendes années plus tard, ilavouera àCosima: «En vérité tout cela était bien tiréparles cheveux, comme mes amourettes, car cen'étaitpasdu tout un Vendredi Saint, il n'y avait qu 'une atmosphère agréable dans lanature dontje me suis dit: ça devait être comme ça le Vendredi Saint. » Les amourettes dont ils'agit, c'estenfaitlagrandepassionpourMathildeWesendonck, d'où naîtra Tristan. Dans les années qui suivirent de 1858 à 1860, Wagner qui avait quitté Zurich et Mathilde, mais qui continuaitàlui écrire, lui parlaitsouventdusujetde Parsifalqui lentement 104 mûrissait en lui, de l'importance du personnage d'Amfortas, de l'identification entre la sauvage messagère du Graal et la séductrice démoniaque. Mais cen'estqu'en1865, à lafin du mois d'août àMunich qu'ilécrivit une esquisse en prose très détaiBée de son drame sacré. A la fin du texte, il ajouta ces mots: «C'était un secours dans ma détresse». Btraversait alors une grave crise dedépression engendrée parles difficultés desasituation munichoise, desaliaison avec Cosima, etaggravées parlechagrin quelui avaitcausé la mort de son Tristan, le ténor Schnorr. Notons que Nietzsche aura connaissance de cette esquisse à la fin de l'année 1869, c'est-à-dire bien avant qu'il ne déchaîneses sarcasmes contre la religiosité du sujet. Dixansaprèsavoirécritl'esquisse,Wagnerprit larésolution decomposersonParsifal. Bvivaitmaintenant à Bayreuth, confortablement installé dans sa bellevillaWahnfried.Mais il était à ce moment-là trop absorbé par la construction de son théâtre et la réalisation du premier festival. Il dut donc attendre le débutde l'année 1877 pour commencer à écrire un texte en prose d'aprèslesesquisses de 1857 et 1865; il termina laversification dupoème le 19avrilde la mêmeannée.Début août,il commença la composition avecautantd'ardeurque s'il faisaitde la musique pour la première fois; l'esquisse de composition du troisième acte futterminée enavril1879.Maisauparavant, Wagneravaitdéjà orchestré lePrélude eten avait dirigé l'exécution à Wahnfried le jour de Noël 1878. Ensuite, las, malade ou désabusé,en un motvieilli,cherchantle repos et le soleil dans de longs séjours en Italie du Sud, il fit traîner pendant près de trois ans le travail sur la partition. Elle fut achevée le13janvier 1882 àPalerme. Les représentations deParsifal eurent lieul'été suivant au Festspielhaus et remportèrent un succès triomphal. DES VILLES ETAPES MARIENBAD La maison «Zum Kleeblatt» où Richard logeaen 1845existe toujours au début de la rue Karlovska, signalée paruneplaque commémorative. C'est làqu'il pritconnaissance du sujet de Parsifal. 105 ZURICH L'Asile de Wagneroù il vécuten 1857-58, où il ressentitl'Enchantement du Vendredi Saint et où il commença la composition de Tristan, se trouve dans le quartier de Enge. La maisonaété très modifiée etsert aujourd'huid'annexe àun muséedescivilisationsorientales (MuséeRietberg)dont la villa Wesendonck voisineabritela plusgrande partie. Le wagnérien sera bien sûr déçu des transformations subies par les lieux, mais il pourra quand même se recueillirprès d'une stèle commémorative dans le grand parc de la villa Wesendonck et devant le buste du Maître qui ome le petitjardin de l'Asile. MUNICH La maison où Wagner écrivit l'esquisse en prose de son drame a disparu sous les bombardements. Près desPropylées, surlemurd'une école(37Briennerstrasse), uneplaque commémorative enrappelle l'emplacementet leséjourqu'y fit Wagner en 1864-65. D'autre part,unmonument représentant teMaître livré àsoninspirationsetrouve danslejardinpublic près du Prinzregententheater. PALERME Wagner y termina lapartition deParsifal pendantsonséjourà l'HôteldesPalmes, via Roma. L'hôtel gardeprécieusement lesouvenirdesonhôteillustre: plaquecommémorative sur l'arrière du bâtiment,via Riccardo Wagneret grandbuste dans le hall d'entrée. On peut même s'offrir le luxe de demander à dormir dans la chambre du Maître: deux chambres meublées à l'ancienne (n° 122 et 124) entourent le grand «salone Wagner». BAYREUTH C'est évidemment la ville de Parsifal par excellence. Wagner écrivit le poème et composa toute la musique à Wahnfried. Le Festspielhaus fut le théâtre des premières représentations et engarda leprivilège exclusif pendant trente ans. De nos jours, l'émotion ette recueillement des participants imprègnent toujours une représentation deParsifal. Ilest inutile, je pense, d'insister surladescription deces lieux chers entre tous aux wagnériens. 106 DES LIEUX EVOCATEURS Personne ne doit trouver le cheminde Montsalvat, s'il n'est pas digne de servir le Graal. Byadonc quelque présomption àvouloir le chercher, mais qui n'est rien àcôté de la présomption de croire qu'on peut le trouver sans le chercher. En route, donc. Wagnersitue le Montsalvat dans une région qui ales caractères du nord de l'Espagne gothique. Lorsque Gumemanz conduit Parsifal au Gralsburg, ils traversent un passage entre des grands rochers. Cette description sommaire s'accorde assez bien avec l'aspect de la Sierra de Montserrat qui se trouve àune trentaine de kilomètres au nord-ouest de Barcelone. Dressée dans un environnement de terres basses, la Sierra qui atteint 1235 mètres d'altitude est un massifd'origine sédimentaire dont les rochers sont formés de conglomérats de galets liés par un ciment naturel. Le vent etlapluie ont façonné et poli ces roches, leur donnant les formes lesplusétrangesoùsesuccèdentblocs ruiniformes etfalaises abruptes. Montserraten catalan signifie montagne sciée, car sa silhouette évoque la lame dentée d'une scie. Bmanque cependantàce paysage la forêt ombreuse etle lac où se baignent les cygnes que Wagner mentionnedans ledécordupremieracte. Bvaudraitmieuxchercherun tel décor dans les Alpes bavaroises, du côté de Hohenschwangau où Wagner fit d'ailleurs un séjour encompagnie duroi Louis E, à l'automne de 1865. A Montserrat, setrouve une abbaye bénédictine dont l'origine remonte autemps où les Maures avaientétenduleurdominationsurl'Espagneetconfiné les Chrétiens dans lenord du pays. (Notons qu'il n'a jamais été question àl'époque d'un ordre àla fois religieux et militaire voué àla garde du Saint Graal). Les bâtiments actuels de Montserrat qui datent du XDCe siècle ont un caractère très religieux etclérical de centre de pèlerinage etn'évoquent en rien l'austère splendeur du Gralsburg. Onlitsouventdanslesguidesdevoyageque lesite impressionnantetlasauvagebeauté deMontserratontinspiréWagnerpourlacréation deParsifal. Enfait, rienn'estmoins certain et on n'en trouve pas mention dans les témoignages écrits laissés par le Maître qui de toute manière n'est jamais allé en Espagne. Finalement il semble qu'une des raisons essentielles 107 de l'assimilation de Montserrat à Montsalvat soit la consonance de ces deux mots ayant chacun dix lettreset commençant et finissant par le même son. Une évocation plus proche du siège de la confrérie du Graal serait le château de Montségurdans l'Ariège àune trentaine de kilomètres au sud-estde Foix. Les ruines de cette forteresse dressée surunpic rocailleux,théâtre de l'ultime holocaustedel'églisecathare,sont unhaut lieu du romantisme ésotérique. Le 16 mars 1244, lesderniers résistants aunombre de deux cents furent parqués au pied de la montagne et moururent pour leur foi dans un gigantesque bûcher. La légende court toujours d'un trésor des Cathares, caché sous le château ou ailleurs, etdontfaisait partie la coupe sacrée du Graal. C estdonc avant tout de l'évocationlégendaire etde laméditation que relève le rapprochement entre Montségur etMontsalvat. En effet, si nous revenons sur le plan du décor, ilfaut convenir que la forteresse, avec ses dimensions modestes, ne sauraitcorrespondre àun burg fabuleux pouvantcontenir un temple grandiose. Ce temple, Wagner lui-même en avu la représentation dans la cathédrale de Sienne. La coupole s'appuyant sur des colonnes rayées de marbre clair et sombre, hexagonale àsa base puis dodécagonale avec des galeries àcolonnettes, aété fidèlement reproduite dans les décors de la création àBayreuth en 1882. Pendant le séjour qu'il fit àSienne àla fin de l'été 1880, Wagnervisita plusieurs fois lacathédrale. Cosima anoté dans sonJournal: «R. estému, c'est la plus grande émotion que lui aitjamais donnée un édifice. »Bdemanda au peintre Joukowsky qui l'accompagnait de faire de l'intérieur de la cathédrale des dessins qui servirent de modèle pourtesdécors de Bayreuth. Puisque nous sommes à Bayreuth, il faut signaler, dans la Suisse Franconienne, le charmant petit château de Gôssweinstein perché sur une hauteur. Les gens du lieu se flattent en disant que Wagner, en excursion dans le coin, yaurait vu la figuration du Gralsburg, mais cette fable folklorique n'impressionne plus personne. Undécor dont il a réellement ressenti l'évocation, c'est celui duJardin Enchanté de Klingsor. Séjournant àNaples, il partit te 26 mai 1880en excursion àRavellosurles hauteurs de lacôte Amalfitaine. Bvisita les jardins de lavilla Rufolo dont lafantastique, féerique et étourdissante beauté s'harmonise avec l'architecture mauresque et le panorama de la mer dans une magie de lumière etde couleur. Surle livredes touristes, Wagnerécrivit: «Ilmagico 109 giardino di Klingsor e trovato». Cette phrase est maintenant reproduite sur une plaque commémorative. Des concerts wagnériens ont lieu chaque année dans les jardins de lavilla Rufolo. Richard Strauss, qui chérissait Parsifal et dont on connaît par ailleurs le côté pragmatique, a trouvé l'évocation de deux décors en un seul lieu, à Sintra à l'ouest de Lisbonne, dans le palaisde Pena: le châteaudestyle néoxyzdu XIXesiècle pourle Gralsburg et le parc pour le jardin de Klingsor. Amon tour, j'yvais de ma petite suggestion pour le temple avec la Sacra di San Michèle, très ancienne abbaye bénédictine perchée au dessus de la vallée près d'Avigliana sur la route de Turin. Je connais même un lieu qui s'appelle Mont Salvadans un paysage sylvestre sur la commune du Brusc entre Sanary et Toulon, mais rien n'y rappelle l'univers du Graal. Quant àl'intérieur du château du sorcier Klingsor, j'avoue ne pas avoir su où en chercher un modèle; il n'y a là rien d'étonnant, car le propre de roccultisme, surtout s'il est maléfique, est de restercaché. Brestedanslesdécors de Parsifal àsituerlaprairie enfleurs montant en pentedouce, illuminéeparla clarté du matin oùseproduitl'Enchantementdu Vendredi Saint. Le roi Louis ndeBavière, quis'yentendaitcommepersonnepourfabriquerdesdécorswagnériens, s'était fait aménager une prairie, avec sacabane d'ermite etl'indispensable source, dans le parc de sonchâteau de Linderhof. Le passage des troupes américaines qui séjournèrentdans les lieux à lafin dela deuxième guerre mondiale, l'a renvoyée au magasin duthéâtre imaginaire. C'estdans cemême magasin que doit figurer lacoupe sacrée, symbole mystérieux et envoûtantdel'inaccessible,le SaintGraal. Pourtant dansses innombrables reliques, l'Eglise catholique romaine en présente deux exemplaires: le Sacro Catino de Gênes etle Santo Caliz de Valence. Dans le trésor de la cathédrale Saint-Laurentà Gênes, on admire une large coupe d'une belle,couleur verte. Les Génois qui la ramenèrent des Croisades la croyaient d'émeraude, cadeau de laReine deSabaàSalomon et utilisée parle Christ lorsdela dernière cène. Mais lorqu'elle sebrisa quand Napoléon lafit transporter àParis, ilfallut bien convenir qu'elle était seulement en verre. Dans lacathédraledeValence enEspagne, dans lachapelle duSaintGraal, onconserve dans une niche vitrée unpetit calice enagate cornaline qui appartint autrefois au monastère pyrénéen de San Juan de la Pena après yavoir été transporté de Rome où ilservait de calice pontifical. 113 Aujourd'hui, les ecclésiastiques génois et valenciens semblent avoir aplani les difficultés concernant l'authenticité de leurs deux reliques. Le Santo Caliz serait le calice dans lequel le Christ consacra le vin en son sang; alors que le Sacro Catino serait la coupe de 1' agneau pascal servi lors de ladernièrecène.Maison ne dit pas lequel des deux vases reçut les gouttes de sang du Christ recueillies par Joseph d'Arimathie. B existe de par le monde d'autres Graals (je me permets ce pluriel audacieux!) dont l'authenticité est encore beaucoup plus douteuse: entre autres, le calice d'Antioche conservé au Musée des Arts de New-York et une immensecoupe d'agate qu'on peut voir dans le trésor de la Hofburg à Vienne. Ce même trésor renferme également une antique lance qui passait pour celle qui aurait transpercé le corps du Christ. De nos jours en parlant de reliques, on se place invariablement au conditionnel et au passé: c'est que les reliques ont fait leur temps. Mais la quête du Graal, symbole de l'aspiration à la transcendance, reste attachéeaucoeurde l'homme qui sait lever les yeux pour regarderla lumière.Et quandla lumièreaccentue sa force, les décors s'estompent et lesyeux se ferment pour écouter le charme transfigurateur de l'art. Un jour que la musique de Parsifal vous aura entraîné dans cette béatitude, je vous demande d'avoirune pensée pour un décorqui a certainement inspiré Wagner et fit battre son coeurvieillissant. C'est un décor vivant, c'est l'image deJudith Gautier, belle fleur parfumée dont le charme capiteux tourmenta la sérénité douce amère du vieux Maître. 114