Brand Storytelling : entre doute et croyance
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Brand Storytelling : entre doute et croyance
AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 1/10 Brand Storytelllng : entre doute et croyance Une étude des récits de la marque Moleskine Fatim-Zohra Benmoussa* et Boris Maynadier* *IAE de l'Université Toulouse I Capitale - CRM ** ISERAM / ISEG Toulouse Résumé Mot à la mode dans la littérature managénale, le braud storytellmg fait réference à la gestion de la communication et des marques comme des histoires La diversité des rapports des individus face à ce type de discours amène à s'interroger sur les enjeux de la vraisemblance de l'histoire narrée A travers une approche sémiotique et le cas de la marque Moleskine, cet article étudie ces rapports dans une perspective de co-construction de sens II en ressort que la position du consommateur évolue par la suspension de sa crédulité face au brand storytellmg Des voies d'action sont proposées aux managers pour renforcer la vraisemblance de leur discours Mots-clés : Storytellmg, communication de marque, sémiotique Abstract Brand Storytellmg between doubt and belle/ A study of Moleskine storytellmg The brand storytellmg is the new buzzword in eur field We use it loosely to refer to communication and brand management as narratives Drawing on the multiplicity of relationships that customers may carry on with brand stones, wc examine the frame of vensimilitude in semiotic théories The case of Moleskine illustrâtes these issues from the perspective of "co-production of meanmg" The results show that the position of consumers towards brand stones is hkely to evolve as they suspend their own creduhty face to the story We offer lines of action for managers aimed to reinforce the plausibility of ils narrative Key words: Storytellmg, brand communication, semiotics Pour contacter les auteurs fatim-zohra benmoussa@ut-capitole fr et b_maynadier@yahoo fr DO! 107193/DM070119128-URL http //dxdoiorg/107193/DM070 119 128 Benmoussa F-Z et Maynadier B (2013), Brand Storytellmg entre doute et croyance Une étude des récits de la marque Moleskine, Decisions Marketing, 70, 119-128 TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 2/10 Le storytelhng suscite l'intérêt des praticiens en communication, en marketing et, plus largement, en management Une littérature managénale et critique se développe fortement depuis la fin des années 1990 La vivacité des débats entre défenseurs et critiques ne rencontre cependant que peu d'écho dans l'univers de la recherche académique Le présent article s'intéresse spécifiquement au braud storytelhng (Encadré I) en ce qu'il constitue une technique de gestion du sens des marques Cette recherche porte sur les rapports de sens entre le consommateur et le braud storytelhng l'histoire est celle de la marque, qui se propose, toute prête aux consommateurs Cet article s'interroge sur la question de la construction de sens autour du récit d'une marque et de sa nature ambivalente Nous proposons l'analyse sémiotique d'un cas de braud storytelhng celui de la marque Moleskine Le choix de la methode d'analyse se justifie par la volonté de mettre en évidence les modalités sémiotiques selon lesquelles se déploie un récit de marque dans le champ social Celui d'une étude de cas trouve sa légitimité dans la volonté d'étudier le phénomène dans une situation concrète et réelle offrant une analyse de la signification du récit de la Encadre I marque, dans une perspective sémiotique Enfin, la sélection de la marque Moleskine trouve sa pertinence dans le problème de recherche qu'elle pose la diversité des réactions récoltées face à son braud storytelhng sont diverses et se structurent manifestement autour de la question de la croyance dans le récit Face à la controverse des discours, il est nécessaire de proposer une description des effets de sens générés par le récit, qui se structurent autour de la croyance ou du doute Nous choisissons d'étudier comment le récit, une fois produit par les managers (ses destmateurs), est lu, interprété et discuté par le public (constitué de ses destinataires) Nous nous focalisons par la suite sur l'analyse de ce récit et sa cohérence interne Cette approche a vocation à favoriser les implications managénales de la recherche. Le brand storytelling dè la marque Moleskine La marque Moleskine couvre une large gamme de carnets, d'agendas et de guides de voyages, tous agences autour du « symbole du nomadisme contemporain » et décrits par la marque comme étant « un simple rectangle noir aux angles arrondis, un élastique qui retient les pages, une pochette interne » Maîs Entre brand storytelhng et consumer storytelhng L'étude des récits des marques renvoie a deux champs de litterature en marketing un champ qui porte sur les marques et un autre sur les récits Les relations entre les consommateurs et les marques ont souvent ete étudiées dans une conception transactionnelle Cependant, au-delà du rapport marchand, la litterature a également porte sur les relations de sens entre les consommateurs et les marques A l'instar des travaux de Mc Cracken (1986), Mick et Buhl (1992) ou de Fournier (1998), nous envisageons ici les marques et leur communication comme des objets culturels ancres dans une société de consommation Cette recherche se positionne clairement dans le courant de la CGT (Arnould et Thompson, 2005) Dans la même lignée, les relations consommateurs/marques ont souvent ete envisagées comme des histoires (Escalas, 2004 , Stern, 1995) La litterature qui s'intéresse a ces récits et au storytelling est vague En effet, dans l'ensemble éclectique des narrations, se retrouvent a la fois des histoires racontées par les marques et des histoires narrées par les consommateurs eux-mêmes Les premieres sont le fait des managers et sont qualifiées de brand storytelhng (récit de marque) Les secondes relèvent davantage des methodes d'étude du consommateur les individus penseraient selon une logique narrative et rendraient compte de leurs expériences de consommation sous forme d'histoires Ces récits de soi sont qualifiées de consumer storytelhng (narration du consommateur) (Woodside, 2010) TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 3/10 derrière cet objet « anonyme », la marque se raconte à travers son histoire : « Fidèle et pratique compagnon de voyage, ce carnet a recueilli les esquisses, les notes, les histoires et les idées avant qu'elles ne deviennent les images célèbres ou les pages de livres aimés ». Ce braud storytelling (annexe) se retrouve aussi bien dans les produits, sous forme de petite brochure, que sur le site de la marque. Le récit de marque est présent dans d'autres espaces que les seuls supports de communication de la marque - et qui échappent à la volonté de la marque. Ainsi, il est repris dans les réseaux sociaux et les blogs, où il est discuté par les internautes. Le braud storytelling de Moleskine est en effet critique par des journalistes : le récit laissait sous-entendre que la marque commercialise les carnets utilisés par des personnalités du XIXe et XXe siècle, alors que sa création date seulement de 1997. Les discussions engendrées par cette révélation entraînent le récit de la marque dans un champ de relations socio-sémiotiques. Un public divers, échappant probablement à la définition d'une cible de communication restreinte, s'empare du récit marketing pour s'exprimer par rapport à celui-ci. Cette divulgation crée alors une polémique qui transparait dans les discours des publics et suscite des réactions des plus naïves aux plus virulentes, les uns répondant aux propos des autres. Les discours présents sur ces multiples supports permettent de constituer un corpus riche en vue de l'analyse (Encadré 2). Entre croyance et doute Le premier élément de notre analyse est constitué par le corpus de réactions des internautes à une critique de l'histoire marketing de Moleskine. Ce corpus nous conduit à étudier la relation intersubjective entre la marque et ses publics. Pour l'aborder, nous proposons de nous intéresser en particulier au processus de réception et d'interprétation. Nous observons que les consommateurs se positionnent, par leur discours, non seulement par rapport au récit de la marque, mais aussi les uns par rapport aux autres. En effet, la réaction de certains publics, face au récit de la marque, invite les autres à revisiter leur position initiale : comme une prise de conscience, la question de la crédibilité de la Encadré 2 : Stratégie de recherche, le cas Moleskine Méthode de récolte de données L'étude du cas Moleskine est conduite grâce à un recueil de données diverses - Les discours des consommateurs sur Internet suite à un article intitulé « Le 'Moleskine d'Hemingway' ou la magie du marketing » sur le site rue89 com (par Pascal Riche), paru le 28/03/2009, il y a eu 117 réactions/commentaires de consommateurs ; - La communication de la marque (livret fourni avec les produits, site Internet de la marque, présence de la marque sur les réseaux sociaux). Méthode d'analyse Nous proposons une analyse sémiotique du corpus. La mobilisation de la sémiotique semble pertinente en ce qu'elle s'intéresse à la structure des récits humains L'étude de ces narrations montre que d'une part, il n'existe pas de groupe humain sans récits et, d'autre part, ces récits reposent sur des structures communes et récurrentes que l'on peut repérer et comparer (Propp, 1970) Ce cadre s'applique aisément à l'étude des récits des marques qui se structure en deux temps, mobilisant ainsi deux outils sémiotiques - Le carré sémiotique dont l'objet est d'identifier les rapports de sens construits entre les consommateurs et l'histoire de la marque Moleskine , - Le schéma narratif dont l'objet est de comprendre la structure narrative du récit de la marque Moleskine, éclairant par là la diversité des modalités d'interprétation d'un même récit TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 4/10 marque est posée et la vraisemblance du récit est alors mise en jeu. Il s'agit d'abord d'identifier l'axe sémantique majeur qui structure les discussions. Celui-ci se construit autour de la catégorie sémantique de la croyance et du doute. Pour analyser ces discours, nous mobilisons un carré sémiotique, outil qui permet de dégager une structure dans un corpus qualitatif. Le carré sémiotique suivant (Figure I) rend compte des quatre positions relatives à la croyance et au doute par lesquelles les publics, destinataires du récit, peuvent passer. Chacune des positions du carré est illustrée par un Verbatim, de manière à montrer leur pluralité et leur articulation à un niveau de surface, entre doute et croyance. ce qui est cru comme vrai. Cette adhésion et cette conviction dans la véracité du récit rend possible une jouissance de la marque (et son partage) sans arrière-pensée. Le consommateur trouve ainsi un bénéfice dans cette croyance. La non-crédulité Lorsqu'un individu met en cause sa croyance dans le récit de la marque, il prend conscience de sa crédulité et récuse le récit, comme le montre le Verbatim suivant émis par le même individu que dans la position précédente : « Ça m'a énervé car j'avais acheté un carnet, moi aussi, il y a 2 ans. J'avoue que j'ai complètement gobé le marketing ! Je suis tombê dedans comme un bleu ! (...) Le vrai gogo. En écoutant l'émission, j'ai bien dégringolé, mais aussi bien repris mes esprits » Bilbo (pseudo) La crédulité Le consommateur crédule s'apparente à un sujet naïf. Le récit est considéré comme vrai sans qu'un regard critique ne soit porté dessus. Il s'agit ici d'une croyance de premier degré, comme en rend compte le Verbatim : « Ce carnet, ça me donnait un peu l'impression d'avoir un bout de l'âme de Hemingway dans ma poche, et dès que j'y inscrivais quèlques mots, j'étais pas loin de me prendre pour le grand écrivain qui griffonne ses fulgurances littéraires ! J'en ai même fait plusieurs fois cadeau à des gens » Bilbo (pseudo). La nature partisane du brand storytelling, en tant que discours marketing, n'apparaît pas au destinataire qui adhère pleinement à Ce passage montre paradoxalement l'efficacité potentielle du brand storytelling comme technique de faire-croire à une histoire construite, mais aussi sa limite. Négation de la crédulité, la non-crédulité fait quitter le régime de la croyance pour entrer dans celui du doute. Le sentiment d'être trompé rompt le plaisir que le consommateur avait pu tirer d'une croyance dans le récit. L'incrédulité Cette position reflète l'idée d'une mise en doute a priori du discours marketing. Ne pas croire à l'histoire de Moleskine apparaît ici comme la manifestation d'une mise en doute Figure I : Carré sémiotique de la croyance et du doute Axe de la croyance Crédulité t Non incrédulité " ' V ^^ Incrédulité k x rc G. CL O Non crédulité e rt Pour les modalités de construction d'un carré sémiotique, voir les travaux de Floch (1990) TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 5/10 plus générale et radicale des discours du marketing, modalité idéologique identifiée dans d'autres travaux en marketing (Holt, 2002). « Encore un triomphe du marketing basé sur l'identification (« deviens ce que tu achètes », comme si le pékin moyen se transformait en Hemingway, pouffff, une fois le carnet acheté, ou madame en Charlize Theron une f ois aspergée de « J'adore » de Dior, mais si bien sûr). S'ajoute, dans le cas Moleskine (je me coucherai moins sotte de connaître l'origine du mot en tout cas !) une dose de « storytelling » assez copieuse, même s'il faut tout de même ne pas être très futé pour penser que tant d'artistes d'horizons si divers ont acheté leurs carnets auprès du même fournisseur ! » Jack Sullivan (pseudo) La relation à la marque fonctionne ici sur le mode du rejet et permet à l'incrédule d'exprimer sa résistance vis-à-vis de la démarche du braud storytelling. L'incrédulité semble valorisante pour le sujet : il met en doute l'ensemble des discours marketing par une prise de conscience face à un discours jugé inauthentique. La non-incrédulité La position de non-incrédulité se présente comme un dépassement de l'incrédulité. L'individu prend le discours marketing avec distance et recul, d'une manière qui peut paraître « éclairée », sans pour autant le rejeter. Le discours est accepté, voire apprécié. « Pour une fois que le pire marketing fabrique une belle histoire qui ravit au lieu d'humilier... je prends. » In girum (pseudo) Le bon fonctionnement du récit de marque repose sur une croyance de second degré : le destinataire produit un travail de réflexivité par lequel il adopte une position de croyance consentie par rapport au récit. La croyance dans un récit marketing et son acceptation TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 semble alors plus complexe qu'une crédulité naïve. L'interprétation active : les suspensions de la crédulité et de l'incrédulité Les axes de la croyance et du doute, structurant le carré sémiotique, ne sont pas uniquement définis à travers leur rapport au récit de la marque. En effet, si les quatre positions identifiées se veulent une interprétation de ce braud storytelling, ces réactions entrent également en résonance les unes avec les autres. Elles entretiennent alors des rapports actifs et évolutifs entre eux et face au récit. La construction de sens du récit n'est donc pas figée ; sa signification manifeste une coproduction entre destinateurs (managers) et destinataires (consommateurs). Si la production de sens relève d'une construction active, il est alors possible d'identifier les processus qui la structurent. L'analyse montre que le changement de positionnement entre l'axe de la croyance et celui du doute, se réalise par un processus de suspension consentie de l'incrédulité ou de la crédulité. La suspension consentie de l'incrédulité, d'abord développée dans le cadre d'analyses littéraires (Coleridge, 1817 ; Compagnon, 2000), suppose que l'individu accepte l'histoire qui lui est narrée pour la fiction qu'elle représente, en sachant explicitement qu'elle n'est pas réelle ; l'incrédulité est alors mise en attente, pour croire le temps d'une narration, à l'histoire. Dans le cas du storytelling de Moleskine, il apparaît que l'adoption d'une position (croyance) suppose la suspension de l'autre (doute). Lobjectif des managers est alors de favoriser la suspension de l'incrédulité des récepteurs et ainsi inciter à la croyance dans le récit de marque. Du point de vue du consommateur, la suspension de la crédulité revient à mettre en cause le récit marketing. Une question se pose alors : ces positionnements se constituant à partir d'un objet, le récit de marque lui-même, comment Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 6/10 l'étudier pour mieux comprendre les rapports de doute et de croyance ? La vraisemblance du brand storytelling Les destinataires se positionnent sur l'axe de la croyance et du doute à partir du récit de marque. Quel rôle ce récit joue-t-il, en tant qu'objet de l'interprétation, dans la production de sens ? Pour répondre à cette question, nous proposons d'approfondir l'analyse sémiotique en nous tournant vers le récit luimême. L'enjeu de la vraisemblance est alors posé : comment le récit peut-il créer cet effet de vérité ? Deux niveaux de lecture invitent à l'analyse de la vraisemblance du récit de la marque : un niveau discursif, structural et un niveau référentiel, descriptif. La vraisemblance discursive Nous proposons d'aborder la vraisemblance du récit d'abord sous l'angle de la cohérence discursive qui correspond à l'enchainement narratif de la construction du récit. Le sché- ma narratif (Floch, 1990) permet de rendre compte de cette structure. La cohérence du récit repose, dans cette perspective, sur le contrat qui le fonde (dont la marque est l'initiatrice et ses publics, les destinataires) et sur la sanction qui le clôture. Lanalyse du brand storytelling de la marque Moleskine en montre la vraisemblance discursive (Tableau I). La vraisemblance référentielle La vraisemblance référentielle pose la question du réalisme de la proposition narrative. En effet, la croyance d'un récit repose sur sa capacité à produire un « effet de réel » chez son destinataire, défini par Barthes comme une « collusion directe du réfèrent et du signifiant » (Barthes, 1968). Le récit apparaît vrai dans la mesure où il est très proche de la réalité à laquelle il se rapporte. Cet effet de réel se révèle dans la précision de descriptions qui se veulent proches de la réalité. Dans le cas du brand storytelling de Moleskine, les rédacteurs mobilisent des descriptions de lieu ou de situations (e.g. nom de la Tableau I : Organisation du récit de marque de Moleskine Les 4 étapes Contrat Compétence Performance Sanction Définition Définition par le destrnateurd'un programme à résoudre Acquisition et/ou mise en évidence de l'aptitude requise pour mener à bien ce programme Réalisation du programme Comparaison du programme réalisé avec le contrat à remplir Eléments du récit de la marque « Le carnet Moleskine est l'héritier et Ie successeur du carnet légendaire des artistes et des intellectuels des deux siècles derniers ». « un petit éditeur milanais ramène à la vie Ie carnet légendaire, choisissant ce nom littéraire pour renouveler une tradition extraordinaire ». « Sur les traces de Chatwin, le carnet Moleskine® reprend son voyage, se proposant comme le complément indispensable aux nouvelles technologies portables » « Aujourd'hui, les carnets Moleskine accompagnent les métiers créatifs et l'imaginaire de notre temps » Sources • www moleskine.com (décembre 2010), plaquette Moleskine (2007 et 2010) TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 7/10 rue de la papeterie ancienne, caractère théâtral du dialogue avec Chatwin) qui, si elles ne font pas avancer le récit sur le plan narratif, multiplient les détails descriptifs qui le rendent plus vraisemblable. Il s'agit là d'une technique rhétorique connue en littérature et qui peut être mobilisée dans le cadre des récits marketing. La vraisemblance et ses enjeux La vraisemblance d'un récit de marque repose d'une part sur un passé avec son destinataire (vraisemblance discursive) et sur un effet de réel (vraisemblance référentielle). Elle n'est donc pas vérité en soi, objective, mais relève plutôt d'une construction entre le destinataire et le récit interprété. L'hypothèse de la co-production de sens formulée plus haut se trouve à nouveau au centre de l'étude. L'enjeu de la vraisemblance discursive consiste, pour les managers de la marque, à remplir le contrat proposé, de manière à ce que la sanction puisse se réaliser. La cohérence structurelle de l'histoire dont rend compte le schéma narratif est l'enjeu majeur de cette dimension de la vraisemblance. La vraisemblance référentielle répond à un besoin d'authenticité du récit de marque qui s'exprime notamment dans la position de crédulité. Certains consommateurs attendent en effet du braud storytelling qu'il produise sur eux un effet de vérité. Cette position n'est pas universelle. Les destinataires non-incrédules s'accommodent quant à eux d'une vraisem- blance discutable en prenant de la distance avec le discours marketing. L'enjeu est donc celui de la suspension de l'incrédulité du consommateur. Dans le cas de Moleskine, la stratégie narrative consiste à ancrer la marque dans une culture, de sorte qu'elle n'apparaisse plus comme un objet marchand mais s'intègre dans la vie du consommateur. Le produit n'apparaît donc plus seulement comme un produit marchand, mais comme un objet culturel authentique. Discussion et conclusion L'analyse du cas de Moleskine souligne clairement l'effet de co-production de sens qui se construit autour du récit d'une marque, entre les axes du doute et de la croyance. Il faut également signaler le caractère actif et évolutif des interprétations des publics, à travers les processus de suspension de la crédulité ou de l'incrédulité (encadré 3). Les managers peuvent se demander comment limiter le phénomène de suspension de la crédulité, et donc favoriser la croyance dans un récit de marque. Il nous semble important de discuter ici plusieurs éléments. Un premier réflexe peut être de suggérer un pré-test du braud storytelling, de manière à observer les positions que prennent des consommateurs vis-à-vis de l'histoire, par exemple dans une réunion de groupe. Les pré-tests trouvent une limite forte : ils sont faits dans des contextes Encadré 3 : Contributions académiques de la recherche Cette recherche a permis la prise de recul sur une stratégie de communication des marques, celle de la technique du Storytelling. L'analyse du cas de la marque Moleskine a montré ici que l'enjeu du Brand Storytelling porte, non plus sur la véracité de l'histoire racontée, telle que débattue dans une littérature managériale, mais plutôt sur la vraisemblance du récit partage avec le public. En effet, les consommateurs, face à un Brand Storytelling, peuvent croire ou non au discours de la marque, tout en sachant que l'histoire peut être fictive. Cette idée met l'accent sur le principe de co-construction de sens. Le récepteur d'un récit de marque se positionne de manière active par rapport au récit, entre doute et croyance. Ce principe guide la relation entre la marque, source du discours et les consommateurs, destinataires de ce discours. TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 8/10 sociaux limites ou artificiels. Or, l'étude a bien montré que les positions de croyance et de doute sont des constructions sociales, des prises de position des individus les uns par rapport aux autres, actives et évolutives. Il est difficile de tester cela en dehors du contexte réel du marché. Il nous apparaît plus intéressant de considérer le récit de marque comme une œuvre ouverte. Par œuvre ouverte, nous entendons non seulement ouverte à l'interprétation (Eco, 1962), mais aussi évolutive. En effet, une stratégie judicieuse peut être de favoriser l'ajustement du récit pour renforcer sa vraisemblance. Les managers n'ont en effet pas à leur disposition de levier direct pour faire adhérer leurs destinataires. Ils peuvent cependant jouer sur le levier indirect de la vraisemblance (discursive ou référentielle) de l'histoire. Les responsables de la marque Moleskine ont ainsi fait évoluer subtilement le récit de leur marque face aux discours critiques qui se sont élevés contre elle : si le produit de la marque se présentait au début comme le carnet des artistes et des intellectuels, il est devenu, après évolution du discours, « l'héritier et le successeur » du produit originel. Ces ajustements ont permis à la marque de résoudre ses ambiguïtés et au braud storytelling de gagner en vraisemblance. Le récit se conçoit alors comme un objet qui s'ajuste au contexte social qui définit les modalités de croyance et de doute des individus. Il peut être révisé régulièrement (en évitant les contradictions narratives) de manière à constituer une œuvre ouverte. Cette idée prend tout son sens face à la spécificité d'un support comme Internet favorisant la co-construction de sens avec le public. En effet, comme nous l'avons précisé lors de l'étude, les récits de marque sont présents sur le web. Internet constitue une part importante de la gestion des récits de marque, que ces récits aient été créés spécifiquement pour ce support ou pas. Les managers de nombreuses marques développent leurs récits sur Internet. On peut parler de e-storytelling. La question TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 qui se pose est alors la suivante : quel effet le support Internet a-t-il sur les rapports de vraisemblance et de crédulité ? Un effet est relatif aux modes de diffusion du récit de la marque. Le e-storytelling peut, en effet, s'appuyer sur les interactions créées entre les internautes pour sa diffusion. Outre la promotion publicitaire en ligne, les réseaux sociaux constituent un système de diffusion efficace pour un récit de marque s'il réussit à intéresser les internautes. Cette participation à la discussion d'un récit de marque peut générer un autre effet sur la gestion de la communication. Il semble ainsi envisageable pour la marque d'intervenir dans cette conversation, par la prise de parole d'un manager. Cette prise de parole doit se faire avec transparence, puisqu'elle sera, elle aussi, soumise à la croyance ou au doute des internautes. Par ailleurs, comme nous l'avons déjà suggéré, un récit de marque peut évoluer pour renforcer sa vraisemblance. Il est alors possible de faire participer les internautes à divers niveaux de conception ou d'évolution du récit de marque pour en favoriser la vraisemblance. Le principe de co-construction du braud storytelling permet de dépasser les critiques qui ont été formulées à rencontre du storytelling comme technique de communication. Par exemple, Christian Salmon (2007) décrypte le storytelling en tant que nouvelle technique, pouvant être appliquée aussi bien dans le cadre de la communication des marques que dans les campagnes présidentielles ou dans la propagande des nouvelles guerres ; le point commun étant à chaque fois « l'art de raconter des histoires ». La technique du storytelling serait capable, selon certains de ses détracteurs, de devenir un « instrument de contrôle », une « arme aux mains des gourous de la communication » (Salmon, 2007) et serait capable d'assurer le succès de marques ou d'hommes politiques en manipulant les esprits grâce à des «mensonges» (Godin, 2006). Une telle analyse du storytelling nous semble omettre les processus de co-construction du sens mis au jour dans la présente Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 9/10 étude Nous avons, en effet, montré que les récepteurs du storytelhng construisent une position de croyance ou de doute vis-à-vis de celui-ci. Les managers ou autres acteurs peuvent avoir l'intention de manipuler un public grâce à un récit, il appartient toujours à ce public d'y croire ou pas La vraisemblance est co-construite car l'interprétation est un processus sémiotique actif Cette étude sur la croyance et le doute dans les récits des marques permet de formuler des remarques quant à la société de consommation Le développement de ce type de récit semble manifester une caractéristique des consommateurs contemporains leur propension à suspendre leur incrédulité pour croire dans un récit marketing Cette suspension peut être parfaitement consentie, le consommateur n'étant pas dupe du discours marketing La croyance est alors le fruit d'un vouloir-croire Ce point permet de relever un paradoxe de nos sociétés de consommation . entre la recherche de marques authentiques («vraies») et le plaisir de croire dans des imaginaires vraisemblables (Cayla et Eckhardt, 2008), les positions des consommateurs semblent plus complexes qu'il n'apparaît en première lecture ColendgeS T (1817), Biographia Literaria, Michigan, The Clarendon Press, 1907 Compagnon A (2000), Bnsacier, ou la suspension de l'incrédulité, Colloque Fabula Les Frontieres de la fiction, 1999-2000 Eco U (1962), L œuvre ouverte, Pans, Seuil, 1979 Escalas E J (2004), Narrative processing Building consumer connection to brands, Journal of Consumer Psychology, 14, I 2, 105-114 Floch J-M (1990), Sémiotique, marketing et communication sous les signes, les strategies, Paris, Presses Universitaires de France Fournier S (1998), Consumer and their brands developmg relationship theory in consumer research, Journal of Consumer Research, 24, 4, 343-373 Godin S (2006), Tous les marketeurs sont des menteurs tant mieux car les consommateurs adorent qu 'on leur raconte des histoires, Pans, Editeur Maxima Laurent du Mesnil Huit D B (2002), Why do brands cause trouble'' A dialectic theory of consumer culture and branding, Journal of Consumer Research, 29, 1, 7090 Mc Cracken G (1986), Culture and consumption A theoretical account of the structure and movement of the cultural meaning of consumer goods, Journal of Consumer Research, 13, 1,71 84 Mick DG et Buhl C (1992), A meamng-based model of advertismg expériences, Journal of Consumer Research, 19, 3, 317-338 Références Propp V (1970), Morphologie du conte, Pans, Points Essais Arnould E J et Thompson C (2005), Consumer Culture Theory (CGT) Twenty Years of Re search, Journal of Consumer Research, 31,4, 868-882 Salmon C (2007), Storytelhng la machine a fabriquer des historiés et a formater les esprits, Pans, La Decouverte Barthes R (1968), L'effet de reel, Communications, ll, 84-89, dans Litterature et Réalité, Pans, Seuil, 1982 Stern B (1995), Consumer myths Frye's taxonomy and the structural analysis of consumption text, Journal of Consumer Research, 22, 2, 165 185 Cayla J et Eckhardt G (2008), Asians Brands and the Shapmg of a Transnational Imagmed Community, Journal of Consumer Research, 35, 2, 216-230 Woodside A G (2010), Brand-consumer story telling theory and research Introduction to a Psychology & Marketing special issue, Psychology & Marketing, 27, 6, 531-540 TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations AVRIL/JUIN 13 triAnnuel Surface approx. (cm²) : 3030 MARKETING 75543 PARIS CEDEX 11 - 01 49 23 22 47 Page 10/10 Annexe . Le brand storytellmg de la marque Moleskine L'histoire du carnet Moleskine Le carnet Moleskine® est l'héritier et le successeur du carnet légendaire des artistes et des intellectuels des deux siècles derniers de Vincent van Gogh à Pablo Picasso, de Ernest Hemingway à Bruce Chatwm Un simple rectangle noir aux angles arrondis, un élastique qui retient les pages, une pochette interne un objet anonyme et parfait au caractère essentiel, produit pendant plus d'un siecle par un petit relieur français qui fournissait les papeteries de Pans, fréquentées par les avant-gardes artistiques et littéraires internationales Fidèle et pratique compagnon de voyage, ce carnet a recueilli les esquisses, les notes, les histoires et les idées avant qu'elles ne deviennent les images célèbres ou les pages de livres aimés Ce carnet était le préféré de Bruce Chatwm, et c'est lm qui lui donna le nom de « moleskine » Au milieu des années 1980, ces carnets deviennent extraordmairement rares puis disparaissent complètement Dans son livre le chant cles pistes, Chatwm raconte l'histoire du petit carnet noir en 1986, le fabricant, une petite entreprise familiale de Tours, ferme ses portes « Le vrai moleskine n'est plus » lui aurait annonce de manière théâtrale la proprietaire de la papeterie de la Rue de l'Ancienne Comédie où il avait l'habitude de s'approvisionner Chatwm acheta tous les carnets qu'il put trouver avant de partir pour l'Australie, maîs il n'en avait pas encore assez En 1997, un petit éditeur milanais a fait renaître ce carnet légendaire et a choisi ce nom littéraire pour renouveler une tradition extraordinaire Sur les traces de Chatwm, le carnet Moleskine reprend son voyage, se proposant comme complément indispensable à la nouvelle technologie portable Cueillir la réalité en mouvement, capturer des détails, noter sur du papier la nature unique de l'expérience le carnet Moleskine est un accumulateur d'idées et d'émotions, délivrant son énergie dans le temps Aujourd'hui, Moleskine est synonyme de culture, de voyage, de mémoire, d'imagination et d'identité personnelle - que ce soit dans le monde réel ou virtuel. C'est une marque qui identifier toute une famille de carnets, cahiers, d'agenda et de guides de voyage innovants, adaptés à des fonctions diverses Avec ses différents formats de pages, les carnets Moleskine sont des partenaires pour les professions créatives et accompagnent l'imaginaire de notre époque Ils représentent, dans le monde entier, un symbole du nomadisme contemporain, en lien étroit avec l'univers digital a travers un réseau de sites web, de blogs, de groupes en ligne et d'archives virtuelles Avec Moleskine, la gestuelle ancestrale de prendre des notes et de faire des esquisses - activités typiquement analogiques - ont trouvé des espaces inattendus sur le web et dans les communautés TOULOUSE5 3455456300506/GAD/OTO/3 Eléments de recherche : IAE TOULOUSE ou Institut d'Administration des Entreprises de Toulouse, toutes citations