Les écueils de la deuxième maison

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Les écueils de la deuxième maison
IMMOBILIER
Les écueils de la
CHRISTIAN BENOIT-LAPOINTE
LA
Le petit shack se fait damner le
L’ acquisition ou le transfert d’un
CAMPAGNE EST VASTE
,
mais presque tous les urbains qui veulent une résidence
secondaire recherchent la même chose : un accès à un
plan d’eau à moins d’une heure du centre-ville. Il y a donc
embouteillage sur les routes le vendredi soir et souvent
chez les vendeurs, qui sont bien placés pour réaliser de
très bonnes affaires.
Même s’il n’existe pas de données précises pour suivre
l’évolution du marché des résidences secondaires – les statistiques ne distinguent pas les usages qu’on fait des propriétés –, «il est certain que ce type d’habitations ne reste
pas longtemps sur le marché, souvent moins d’un mois
pour un chalet de qualité, mais le marché n’a tout de même
pas évolué de façon aussi significative qu’à Montréal»,
explique Pierre Denault, courtier du bureau RE/MAX de
Sainte-Adèle. Il estime que les prix dans sa région ont augmenté de 5 % à 10 % l’an dernier. Même son de cloche du
côté de l’Estrie : Albert Brandt, de la succursale RE/MAX
D’ABORD de Magog, évalue que le prix moyen des transactions dans sa région a cru de 50 % depuis cinq ans.
Parmi les facteurs cités, le pouvoir d’achat des babyboomers vient souvent en tête de liste, puisque nombre
d’entre eux disposent de liquidités pour s’acheter un petit
havre de paix bucolique. Si ce n’est déjà fait, plusieurs en
auraient l’intention : selon un sondage réalisé par le Groupe
Investors, 28 % des membres de cette génération prévoient
acquérir une résidence secondaire, une maison motorisée
ou un bateau pour leur retraite. C’est presque le double
des intentions des retraités actuels (15 %). «D’ailleurs, les
maisons secondaires deviennent de plus en plus la résidence principale des clients, qui conservent un pied-à-terre
en ville», fait remarquer M. Brandt.
Comme les taux d’intérêt demeurent bas, le marché
des résidences secondaires semble avoir de beaux jours
devant lui avant l’arrivée des nuages. «Si je me fie à mon
expérience, le creux de la vague arrive habituellement
après celui des maisons en ville», ajoute M. Denault. L’été
s’annonce chaud.
Même analyse budgétaire
Qu’on achète une résidence principale ou secondaire, la
grille d’analyse et l’exercice budgétaire sont les mêmes. «Le
chalet sera un générateur de dépenses : paiements hypothécaires, taxes, assurances, entretien, etc. Seule la partie
“capital” de l’hypothèque ne doit pas être considérée
comme un coût, mais on doit y ajouter le coût de renonciation», souligne Éric Brassard, comptable agréé, planificateur financier et auteur du livre Un chez-moi à mon coût.
Il va de soi que la capacité de payer doit être évaluée
scrupuleusement. «On voit souvent les acheteurs réhypothéquer leur résidence principale pour acheter une
maison en campagne, fait observer M. Denault. De cette
façon, ils connaissent leur marge de manœuvre pour
l’achat, et cela ajoute du poids lors de la négociation.»
Les acquéreurs qui préfèrent contracter un second
prêt hypothécaire seront ravis d’apprendre que, depuis le
mois de janvier, la Société canadienne d’hypothèques et
de logement (SCHL) a étendu aux résidences secondaires l’exigibilité à l’assurance prêt hypothécaire. «Auparavant, un emprunteur ne pouvait être désigné propriétaire occupant que d’une seule propriété, donc n’avoir
qu’une hypothèque assurée au même moment, alors
qu’aujourd’hui la SCHL accepte d’assurer deux prêts
hypothécaires en même temps», explique Lyne Leduc,
OBJECTIF CONSEILLER
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2 maison
pion par la maison de campagne cossue… et la seconde hypothèque.
chalet ne doit toutefois pas assombrir la santé financière de vos clients.
représentante principale au développement des affaires
pour les produits d’assurance hypothécaire de la
société d’État. L’expression «propriétaire occupant»
réfère au fait que cette résidence devra être habitée par
l’emprunteur ou un membre de sa famille qui ne paie
pas de loyer. Un chalet voué à la location ne serait donc
pas admissible, pas plus que les chalets saisonniers, car la
maison doit être habitable et accessible toute l’année.
Exonération du gain de capital
Chaque famille bénéficie d’une exemption du gain de
capital sur une résidence. Le client qui est locataire en
ville pourra élire sa maison en campagne comme résidence principale et bénéficier d’une exemption de 100 %
du gain de capital. «Mais dès que le client détient deux
résidences, il faut qu’il en désigne une comme résidence
principale pour chaque année de détention. Heureusement, cette réflexion n’a pas à être faite avant une première disposition», soutient Yves Chartrand, fiscaliste au
Centre québécois de formation en fiscalité.
D’entrée de jeu, le gouvernement permet au propriétaire d’ajouter une année au nombre d’années durant lesquelles il a détenu une résidence. Cette règle du «Un plus»
a été instaurée pour préserver l’exemption dans l’année
où le particulier achète ou vend sa résidence. «Cette règle
s’applique bien par bien, c’est donc dire qu’un client qui
possède une résidence principale (+1) et une secondaire
(+1) pourra généralement exonérer la totalité du gain de
l’une et deux ans sur l’autre», explique M. Chartrand.
(Pour en savoir plus sur cette règle, consultez en ligne la
chronique «Maximiser l’exemption pour la résidence principale» au www.conseiller.ca/pdf/exemption.pdf.)
Chaque situation est un cas d’espèce. La décision
d’exonérer l’une ou l’autre des résidences dépend de
l’ampleur du gain sur chacune de celles-ci et de la
période de possession. Une calculatrice et un peu d’huile
de coude suffiraient à déterminer la situation optimale
pour le client. «Généralement, plus la période de déten-
YVES CHARTRAND,fiscaliste
au Centre québécois de
formation en fiscalité (CQFF)
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tion du chalet est courte, plus cela peut valoir la peine de
le désigner comme résidence principale durant quelques
années si le gain est important», explique M. Chartrand.
Par exemple, si le client détient sa résidence en ville
depuis 25 ans et son chalet depuis 5 ans, la fraction de
AURÈLE COURCELLES,
directeur de la planification
fiscale et financière
du Groupe Investors
cipale ou secondaire n’est généralement pas déductible
parce qu’il s’agit d’un bien à usage personnel.»
Le calcul du gain de capital est un aspect parfois oublié
pour amoindrir la facture fiscale. On sait qu’on obtient le
montant du gain en soustrayant le prix de base rajusté
(PBR) de la juste valeur marchande. Or le PBR n’est pas
nécessairement le prix d’achat, fait remarquer Aurèle
Courcelles, directeur de la planification fiscale et financière du Groupe Investors. «On peut ajouter au prix
d’achat toute dépense (matériaux et main-d’œuvre
embauchée) qui a servi à améliorer la résidence, comme
l’ajout d’une chambre ou d’un solarium. Les dépenses
courantes d’entretien ne peuvent cependant pas être
ajoutées au PBR.»
Une succession sans accrocs
Une maison de campagne est souvent un lieu riche en souvenirs, et son propriétaire souhaite le plus souvent qu’elle
chaque année désignée pour le chalet est beaucoup plus
reste dans la famille. Si cette intention est noble, elle peut
importante : 3 ans (auxquels on ajoute l’année de la règle
néanmoins devenir une source de discorde entre les
du «Un plus») permettraient d’exonérer 80 % du gain de
enfants si certaines mesures ne sont pas prises, soutient
capital pour la résidence secondaire en ne renonçant
M. Brassard. «Avant de léguer le chalet à parts égales, il
qu’à 12 % pour la maison en ville (3 années sur 25).
faut s’assurer que les enfants s’entendent bien, qu’ils sont
Si cette méthode de calcul ne permet pas de réduire
égaux du point de vue financier et qu’ils ont tous envie
suffisamment la facture fiscale, le client peut utiliser des
d’avoir une propriété.» Un petit bas de laine pourrait aussi
pertes en capital provenant de placements boursiers,
éviter des disputes lorsque des réparations seraient nécesconseille M. Chartrand. Mais l’inverse est impossible,
saires. «Le testateur devrait mettre de l’argent en fiducie
précise-t-il. «Une perte en capital sur une résidence prinpour pourvoir aux frais d’entretien et de réparation. Cette
somme étant réservée à cela, les héritiers n’hésiteront
pas à l’utiliser pour réparer le toit qui coule.»
Une autre façon de voir à ce que les héritiers ne manquent pas de ressources est que les propriétaires qui souhaitent léguer leur chalet souscrivent à une police d’assurance vie dont les prestations régleront la facture
fiscale, en plus de combler les besoins de la succession.
Les propriétaires d’un chalet familial pourraient
ACHETER UNE RÉSIDENCE SECONDAIRE n’est pas à la portée de toutes les
être tentés de le céder à leurs enfants pour éviter le
bourses et ne figure pas nécessairement au sommet des priorités budgain de capital lors de la succession. Cela est hélas!
gétaires. «Le coût à l’heure d’une résidence secondaire est très élevé
inutile. «Que l’on donne le chalet ou qu’on le vende à
un prix réduit, ça ne change rien sur le plan fiscal, car
parce qu’on y passe moins de temps, explique Éric Brassard, comptable
il y a une disposition présumée à la juste valeur maragréé et planificateur financier. Il est donc moins dispendieux de louer
chande», confirme M. Courcelles. Donc, si le chalet
un chalet que de l’acheter, mais les gens ont de la misère avec la locavaut 200 000 $, le gain de capital sera calculé en fonction:ils s’imaginent que c’est de l’argent jeté par les fenêtres,alors que
tion de ce montant, peu importe le prix de vente.
tout plaisir a un coût, que tu en sois locataire ou propriétaire.»
Il n’y a donc aucun avantage à vendre le chalet à un
On peut louer un chalet pour l’été sur un site de qualité pour 4000$ et prix inférieur à sa valeur marchande, poursuit M. Courcelles, il y a même un risque de double imposition. «Si
plus. Là s’arrête l’engagement financier, alors que la famille propriétaire
un client cède pour 50 000 $ un chalet dont la juste
d’une résidence secondaire devra généralement renoncer à d’autres
valeur marchande s’établit à 200 000 $, il sera présumé
vacances.Toute la famille doit être d’accord avant de passer à l’acte. Des
l’avoir vendu à 200 000 $, et le gain de capital sera calsites Internet comme Chalets branchés du Québec (www.chalets.qc.ca)
culé sur ce montant. L’enfant, lui, aura un PBR de seuet Chalets à louer.ca (www.chaletsalouer.ca) regorgent d’annonces de
lement 50 000 $... Bref, il faut ou le vendre à sa juste
location dans toutes les régions du Québec.
OC
valeur marchande ou le donner.»
Pourquoi ne pas
LOUER ?
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