Vers la fin des high sides?

Transcription

Vers la fin des high sides?
Vers la fin
des high
sides?
TEXTe PERE CASAS
PHOTOS FRANCESC MONTERO
PILOTE NANI ROMA
Qui a dit que les high sides
ne pouvaient être évités? En
innovant, des designers se
sont mis en tête de solutionner de vieux problèmes. Le
Tracklever redéfinit le
concept de la transmission
par chaîne d’une moto. Et
les résultats sont plus
qu’intéressants…
48 | Moto 80 747 | février 2013
Yamaha YZF 450 «Tracklever» I ESSAI EXCLUSIF
O
n pourrait aisément croire que
tout a déjà été inventé en matière
de design moto, y compris en offroad. Toutefois, après un siècle
de développement, la plupart des
machines off-road utilisent encore et toujours les mêmes bases. On observe bien entendu quelques variantes plus ou moins importantes suivant qu’il s’agit de moteurs à
deux ou quatre temps ou de mono ou bicylindres… Mais si vous regardez plus en
détail les systèmes de transmission secondaire, vous remarquerez que toutes les motos off-road utilisent un pignon unique placé sur le côté gauche du moteur, à l’avant de
l’axe du bras oscillant arrière, avec un système de suspension arrière à la course limitée par un monoamortisseur relié, dans la
plupart des cas, à un système progressif de
biellettes. Comme cela arrive souvent lors
des phases de recherche, pour développer
certains paramètres, il faut parfois renoncer
à l’une ou l’autre fonctionnalité. En réalité, tous les paramètres d’une conception de
base sont dépendants les uns des autres. Par
exemple, si vous déplacez le centre de gravité vers l’arrière, vous obtenez davantage
de motricité… mais la moto se cabrera plus
facilement. Si vous choisissez un long bras
oscillant, la moto se révèlera plus stable à
haute vitesse… mais vous risquez de perdre
en motricité et en maniabilité dans les virages. Voilà pourquoi certains concepteurs
pensent que les machines d’off-road sont
loin d’avoir atteint la perfection.
Tracklever
L’interaction entre la chaîne et la performance du bras oscillant – affectant par
conséquent aussi la suspension arrière –
est l’un des facteurs clés du comportement
naturel d’une moto off-road. Lorsque vous
perdez l’adhérence de la roue arrière au
cours d’une accélération, la partie arrière de
la moto glisse et cela peut se terminer par
un side crash. José Luis Belil, l’architecte à
l’origine du système Tracklever, est l’héritier
d’une longue dynastie d’ingénieurs barcelonais. Au travers du projet Tracklever, il
a trouvé une excuse parfaite pour revenir
vers sa première passion: la moto. En 1987,
le système Bilever de Belil a aidé un coureur Supermoto à devenir champion de la
très disputée Série SM catalane de l’époque.
Jové roulait alors sur une Kawasaki deux
temps 500cc équipée d’un système de
transmission alternatif utilisant une chaîne
plus longue et une paire supplémentaire de
pignons positionnés au niveau de l’axe arrière du bras oscillant. Même le génial Antonio Cobas, metteur au point en sports
moteurs, a également exploré l’idée de base
du Bilever afin de l’appliquer en Grand
Prix, notamment via un prototype destiné
aux Honda RS 250. Le Bilever a également
été récompensé par l’University of Engineering de Barcelone. D’autres conceptions
de Belil ont marché dans la trace du Bilever, à l’instar du système VOR pour Kenny Noyes et d’une Gas Gas SM 300 qui s’est
avérée beaucoup plus rapide que n’importe
quelle autre moto lors du championnat national espagnol SM. Aujourd’hui, Belil s’attaque à une toute nouvelle création basée
sur une Yamaha off-road. «Quand Yamaha
a dévoilé son tout nouveau moteur inversé YZF 450, j’ai trouvé la meilleure conception de base pour appliquer mes idées particulières des transmissions», explique Belil.
«Sur cette Yamaha, le système d’échappement sort à l’arrière du cylindre et le système d’admission est ainsi situé à l’avant. Il
y a donc beaucoup d’espace pour placer un
système complet avec deux pignons et trouver une nouvelle orientation du système
d’échappement afin d’éviter la surchauffe
de l’amortisseur arrière, qui constitue un
problème sur le modèle original.»
Révolution
Un système de transmission classique avec
un pignon unique à l’avant de l’axe du bras
oscillant se comporte correctement jusqu’à
ce que l’on commence à rouler. «Mais
lorsque vous perdez de la motricité, la
chaîne tendra la suspension arrière, la moto
se mettra à glisser et le pilote devra couper
le gaz. Quand vous retrouverez du grip, la
suspension va se comprimer, l’arrière va ralentir et l’inertie va tirer la moto en avant et
vers le bas. Ce phénomène est souvent plus
problématique en off-road où les pertes de
motricité sont fréquentes et discontinues.
Il en résulte un effet ‘marteau’ ou de ‘pompage’, qui fait travailler la suspension arrière
encore davantage. Quand on roule dans le
sable, la roue arrière s’enfonce alors qu’un
terrain plus dur fait glisser la moto de manière excessive. Enfin, en roulant sur du
macadam, le manque de motricité peut entraîner un side crash», souligne Belil.
En roulant sur son tout premier prototype de Supermoto, Belil découvre que le
système aide effectivement à éviter les side
crashes. Le système annule en grande partie le phénomène évoqué plus haut et la maniabilité générale se révèle bien meilleure
que les standards. «Ainsi, vous pouvez
même doubler d’autres pilotes par l’extérieur. Le Tracklever présente aussi d’autres
grands avantages sur de grosses dénivellations. Le système ‘lit’ littéralement la surface du sol, plutôt que de sauter par-dessus.
Une fois en plein vol, l’amortisseur arrière
se détend moins. Donc, il garde la moto
plus stable et évite également les glissades,
permettant au pilote de garder la poignée
des gaz ouverte plus longtemps... Bien que
les connexions aient été complètement repensées, l’amortisseur arrière en tant que
MOto 80 747 | févrIER 2013 | 49
Le système
Tracklever aide à
éviter les side crash.
L’avis dE ROMA
Nani Roma, entre autres vainqueur du Dakar, a essayé la Yamaha ZF
450 Tracklever. La meilleure application pour le Tracklever, dans le futur,
pourrait se concevoir dans les courses traversant les étendues
désertiques. L’avis d’un cador comme Roma, en tant que «testeur d’un
jour», était pertinent. «Même si je suis encore un pilote KTM, après avoir
testé ce système de transmission alternative, je peux dire qu’il fonctionne
plutôt bien et qu’il présente un grand potentiel. Il s’agit d’une technologie
que d’autres fabricants, comme BMW, ont envisagée dans le passé mais
avec un succès plutôt incertain, à cause d’une perte de maniabilité des
motos. À mon avis, le principal avantage du Tracklever réside dans le fait de
pouvoir réaliser de longs travers très prévisibles et, surtout, qui ne se
terminent pas par un high side. Ce qui est idéal pour les courses de
Supermotard et à travers le désert où il est primordial de conserver une
bonne adhérence à grande vitesse, surtout avec une moto plus lourde. Un
empattement allongé vous apporte tout cela sans aucune perte en termes
de maniabilité à basse vitesse. Je suis plus grand et plus lourd que les
pilotes qui ont participé au développement et aux réglages des suspensions.
La transmission des masses se révèle donc certainement un peu plus rude
avec mon style de conduite par rapport à leur pilotage. Pour les courses
dans le désert, la principale préoccupation restera de loger les lourds
réservoirs complémentaires d’essence, afin d’obtenir le meilleur équilibre.
La clé du succès du Tracklever sera de prouver ses avantages par rapport à
n’importe quel désavantage. Après avoir testé ce prototype, j’encourage les
concepteurs à continuer son développement et à obtenir des résultats
encore meilleurs.»
50 | Moto 80 747 | février 2013
Yamaha YZF 450 «Tracklever» I ESSAI EXCLUSIF
tel reste identique. Il recourt simplement à
un ressort légèrement plus souple pour l’enduro.» Quand il s’agit de freiner dans les virages, la géométrie révisée du bras oscillant
et l’effet de traction de la chaîne de transmission offrent une adhérence bien supérieure. Toutefois, le système de freinage arrière est un peu délicat. Il impose une paire
de plus petits disques situés sur le même
axe que la paire de pignons supplémentaire.
Pourquoi deux disques plus petits? Le diamètre extérieur du disque a été limité pour
des raisons d’encombrement et un double
disque était nécessaire pour garantir des
performances raisonnables.
En route
Le système Tracklever ralentit légèrement
la réponse à l’accélérateur de la Yamaha
et il ne permet plus de partir en wheeling
aussi facilement. Cependant, sur les surfaces glissantes, il devient plus efficace et le
manque de motricité ne se traduit pas nécessairement par une réaction incontrôlée
de la roue arrière. En fait, le système répond
avec davantage de sensibilité aux réels besoins du pilote. Bien sûr, ce matériel rend la
moto un peu plus lourde et ajoute 5kg supplémentaires (de 107kg à 112kg). Au banc
de puissance, les pignons et la chaîne supplémentaires amènent aussi une perte du
potentiel du moteur un peu plus élevée que
les habituels 5%. En outre, le pilote pourra
également ressentir un effet gyroscopique
sous la selle. Les concepteurs du Tracklever travaillent à le minimiser, notamment
via des composants plus légers pour les pignons, les disques de freins et les chaînes.
Néanmoins, cet effet gyroscopique procure
quelques bénéfices. D’une certaine manière, maintenir une trajectoire idéale dans
les virages se révèlera plus aisé et les réactions de la moto seront toujours plus prévisibles. Le système permet également d’améliorer la maniabilité quand on attaque une
montée au sol glissant ou lorsque l’on souhaite suivre une ornière étroite. Autre avantage: la durée de vie d’un pneu arrière et
de son bibmousse se voit multipliée par
deux. Un point d’une extrême importance
lorsqu’il s’agit de participer à une course
dans le désert.
Vers le Graal
En termes de géométrie, la conception du
bras oscillant Tracklever procure aussi un
empattement plus court, offrant ainsi un
net avantage pour virer «à la corde». En revanche, en raison des impacts, des forces
centrifuges et de leur influence sur le débattement de la suspension, la roue arrière se
déplace vers le haut et l’arrière à vitesse plus
élevée, correspondant de la sorte à l’empattement d’origine de la Yamaha 450 offroad. Ainsi, dans les virages, malgré l’em-
Le Tracklever
L’idée de base derrière le système Tracklever est également d’apporter une
réponse pour éviter les high sides. Sur une moto conventionnelle, lors d’une accélération, la suspension arrière se tend sous l’effet des forces induites par la chaîne. Ces
forces affectent également la réaction du bras oscillant dans des conditions d’adhérence changeantes. Lorsque le pneu arrière récupère de l’adhérence, le débattement
de la suspension se compresse brusquement… au grand dam du pilote bien
souvent éjecté au-dessus de son guidon.
Avec le système de Tracklever, l’angle du
bras oscillant importe peu et la force
«antisquat» travaille également à améliorer l’adhérence entre la roue et le sol. De
par l’utilisation de pignons d’une taille
similaire aux deux extrémités du bras
oscillant, les forces qui influent sur celui-ci
sont neutralisées.
L’amortisseur arrière reste identique mais recourt à
un ressort légèrement plus souple pour l’enduro.
MOto 80 747 | févrIER 2013 | 51
ESSAI EXCLUSIF I Yamaha YZF 450 «Tracklever»
pattement court et en raison de la vitesse
relativement basse, le pilote ne ressent aucune instabilité. Le système vous fait oublier les vieux dilemmes tels qu’échanger
une meilleure maniabilité au profit d’une
bonne stabilité à haute vitesse! Essayez
d’imaginer un instant un monde où toutes
les motos utiliseraient des systèmes alternatifs de suspensions avant – comme le Telelever de BMW, par exemple – offrant seulement un débattement vertical, sans aucun effet sur l’empattement. Si tel était le
cas, on considérerait comme un génie l’inventeur d’un nouveau système – appelé
par exemple SSTT (Système télescopique
de suspension avant) – semblable aux
fourches avant actuelles. On bénéficierait du chargement de la roue avant
lors d’un freinage pour obtenir une
meilleure stabilité avec un empattement plus court pour une meilleure prise de virages négociés à
basse vitesse mais qui allongerait
l’empattement en phase d’accélération pour une meilleure stabilité
à haute vitesse... C’est ce que nous
connaissons actuellement avec une
simple fourche. Quelque chose de très
similaire à ce que le concept Tracklever représente... mais sur la roue arrière!
D’une certaine façon, le système Tracklever
modifie la géométrie de l’extrémité arrière,
tout comme les fourches avant travaillent
sur une moto conventionnelle. Les motos
off-road de l’avenir se sont, peut-être, un
peu rapprochées de nous…
n
52 | Moto 80 747 | février 2013
La maniabilité est
améliorée quand on
attaque une montée
glissante.