lire pour apprendre, rire pour apprendre

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lire pour apprendre, rire pour apprendre
MARDIF / Université de Rouen
Myriam BAUD
LIRE POUR APPRENDRE,
RIRE POUR APPRENDRE ?
Place et fonctions de l'humour dans les pratiques de vulgarisation pour la jeunesse
L'exemple du documentaire jeunesse
Mémoire de Master II en Sciences de l'éducation
Sous la direction de A. KERLAN
Octobre 2010
1
En souvenir de J. P. ASTOLFI, à l'origine de ce travail.
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION ......................................................................................................... p.4
I- HUMOUR, ENFANCE ET APPRENTISSAGE ….................................................
A- De l'humour : approche théorique ..................................................................
B- Humour et apprentissage ................................................................................
C- Humour et éducation …..................................................................................
p.6
p.6
p.16
p.23
II- LE DOCUMENTAIRE, TERRAIN D'OBSERVATION PRIVILEGIE DES
PRATIQUES HUMORISTIQUES ...............................................................................
A- La nature du projet documentaire ...................................................................
B- Un message plurigraphique .............................................................................
C- Le documentaire, un genre en évolution .........................................................
D- L'humour documentaire, un champ de recherche peu exploré …...................
p.23
p.29
p.30
p.36
p.36
PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES DE TRAVAIL ........................................... p.41
III- LE DISPOSITIF DE RECHERCHE PROPOSE ................................................
A- Enquête exploratoire au fil des sélections RLE ..............................................
B- L'analyse quantitative .....................................................................................
C- L'analyse qualitative .......................................................................................
p.43
p.43
p.49
p.51
IV- RESULTATS DE L'ANALYSE QUALITATIVE ET VALIDATION DES
HYPOTHESES DE RECHERCHE ..............................................................................
A- Place et formes de l'humour dans le documentaire jeunesse ..........................
B- Les fonctions de l'humour (résultats de l'analyse) ...........................................
C- Rendre le savoir accessible : les fonctions affectives de l'humour …..............
D- Les fonctions cognitives de l'humour ..............................................................
E- L'humour, une fonction éducative au sens large ..............................................
p.72
p.72
p.83
p.84
p.94
p.105
CONCLUSION .............................................................................................................. p.117
ANNEXES ...................................................................................................................... p.120
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ p.137
3
INTRODUCTION
Les relations entre humour et apprentissage sont un objet d'intérêt récurrent chez les
pédagogues. On trouve ainsi déjà dans le Talmud le conseil suivant, prodigué aux
professeurs : « Au début de la leçon, commence par une blague ; après, va vers les choses plus
sérieuses »1. Cette approche, qui fait de l'humour un outil au service des apprentissages,
s'inscrit dans une tradition pédagogique remontant à l'Antiquité, où le plaisir et les facteurs
affectifs liés aux apprentissages sont reconnus et valorisés. Cependant, si certaines des
positions soutenues par les précurseurs d'alors sont aujourd'hui communément admises – à
l'exemple du rôle de la motivation, ou de l'intérêt du jeu en pédagogie, l'humour reste
finalement peu exploré dans le champ des sciences de l'éducation, notamment en ce qui
concerne ses applications concrètes au niveau pédagogique. Il demeure, qui plus est, marginal
dans les pratiques pédagogiques. Or, dans le même temps, on constate que l'humour se diffuse
dans le secteur de l'éducation non formelle, c'est-à-dire dans l'ensemble des activités ou
programmes organisés en dehors du système scolaire, mais qui sont dirigés vers des objectifs
précis d'éducation, comme en témoignent les professionnels. Ce décalage a donc été à la
source de notre intérêt pour la question de l'humour dans le cadre des apprentissages.
Dans cette optique, il nous a semblé intéressant de nous concentrer sur le champ du
documentaire jeunesse, du fait de la nature du projet éditorial inhérent à ce type d'ouvrages :
vulgariser la science c'est en effet nécessairement s'interroger sur la manière dont les
connaissances peuvent être transmises. Qui plus est, les documentaires semblent être
particulièrement enclins à recourir à l'humour, sous des formes diverses. Les professionnels de
l'édition s'accordent en effet pour le considérer comme une tendance de fond à l'heure
actuelle. Ils nous semblent par conséquent offrir un cadre privilégié pour observer de plus près
ce phénomène.
A travers l'exemple de la vulgarisation scientifique à destination de la jeunesse, il s'agit donc
d'interroger les potentialités didactiques et éducatives de l'humour. Ce questionnement
s'inscrit dans une réflexion plus générale sur la relation au savoir et à l'apprentissage, ainsi que
1 Talmud, Shabat, 30, 25 in Ziv, Le sens de l'humour, Paris, Dunod, 1987, p.75
4
sur la prise en considération des besoins de l'enfant et de ses spécificités en matière
d'apprentissage et d'éducation.
L'objet de ce travail de recherche est donc d'analyser un corpus d'ouvrages documentaires
humoristiques à travers la grille de lecture particulière que constitue l'humour, afin d'observer
comment ce dernier y est utilisé en tant qu'outil éducatif au service de la vulgarisation
scientifique.
Nous chercherons dans un premier temps à recenser ces pratiques humoristiques, en nous
appuyant sur les sélections proposées par la Revue des Livres pour Enfants (RLE). Cette préenquête, portant sur plus d'une quarantaine d'années, nous permettra d'estimer le
développement de l'humour dans le contexte documentaire.
Mais c'est ensuite à travers l'observation détaillée d'un corpus documentaire actuel (une
sélection de documentaires publiés en 2008, et présentés par la RLE comme humoristiques)
que nous pourrons véritablement décrire ce processus, en observant la place et les fonctions
qui sont alors assignées à l'humour par l'analyse des productions elles-mêmes. Cette analyse
sera basée sur une grille d'observation élaborée à partir d'un ensemble de travaux de recherche
portant sur l'humour. Elle sera complétée par l'observation des discours des éditeurs.
5
I- HUMOUR, ENFANCE ET APPRENTISSAGE
A- De l'humour : approche théorique
1- En guise de définition
a- De l'humeur à l'humour
Le terme français « humour » est la traduction du mot anglais humour, dérivé lui même du
français «humeur», dont il est au départ l'exact équivalent, c'est-à-dire un liquide sécrété par le
corps, qui influe sur le tempérament humain. C'est dans la pièce de Ben Jonson, Every Man
out of His Humour (1599), que ce terme est pour la première fois utilisé non plus dans ce sens
physique, mais au sens figuré : humour ne désigne plus seulement l'humeur médicale, mais,
par métaphorisation, tout caractère excessif. En effet, dans cette pièce, le public rit de
personnages monomaniaques dont l'humeur - le humour - est en perpétuel décalage avec les
situations de la vie. Si ce sens initial (avoir un humour, c'est-à-dire des bizarreries qui font
rire) n'est plus d'actualité aujourd'hui, le sens figuré va, lui, progressivement se répandre,
comme en atteste l'expression toujours en vigueur « avoir de l'humour ».
Cependant, le terme « humour » désigne des réalités parfois très diverses, qui vont du simple
procédé comique à une philosophie de vie. Gendrel et Moran dans leur article sur la question2
distinguent deux définitions essentielles de l'humour :
Le premier [usage], que nous nommons « forme de vie », en référence à Wittgenstein, tend à
présenter l'humour comme une position existentielle, une manière de vivre, aux limites parfois
de l'éthique et du religieux.
Le deuxième usage utilise le terme « humour » d'une manière plus linguistique que
philosophique. Cet usage met l'accent sur le fait que l'acte de production de l'humour est
conscient (c'est la position par exemple de Cazamian), mais il n'est ni seulement mécaniste
(étude des procédés) ni seulement affectiviste (étude des sentiments qui provoquent l'humour
et que provoque l'humour). Il est l'un et l'autre, tenant à la fois de la rhétorique et de la
pragmatique, et à ce titre le terme wittgensteinien de « jeu de langage » nous a paru le plus
opportun, puisqu'il évoque non seulement des combinaisons de mots (comme il y a des
combinaisons de coups aux échecs) mais aussi la présence indispensable d'un partenaire
(notons que « langage » a ici un sens large et fait référence à l'image et au son tout autant
qu'aux mots). S'il fallait choisir dans les termes dérivés d'« humour » le plus caractéristique de
cet usage, ce serait l'adjectif « humoristique », qui s'applique à une production consciente
reconnue comme telle par un tiers.
Ces deux tendances se retrouvent, nous le verrons, dans les discours associés à l'humour.
2 GENDREL B., MORAN A., Atelier de théorie littéraire : humour : panorama de la notion, site Fabula
(http://www.fabula.org/atelier.php?Humour%3A_panorama_de_la_notion)
6
b- Humour et comique
Par ailleurs, le terme d'humour a subi depuis son introduction en français un affaiblissement
de sens tendant à l'assimiler au concept plus général de « comique », si bien qu'on qualifie
souvent d'humoristique n'importe quelle chose qui fait rire. D. Grojnowski, dans l'article
« Humour » du Dictionnaire du littéraire, résume cette évolution : « L'humour est ainsi
devenu synonyme de comique, au sens commun du terme, révélant un état d'esprit, un « sens
(de l'humour) » qui existe en dehors de ses manifestations littéraires »3.
Pourtant, si l'humour relève du comique, il ne le constitue pas dans son intégralité.
Contrairement au comique, l'humour implique en effet la perception ou la production d'une
incongruité, c'est-à-dire « le non-respect des rapports habituels entre les choses (qu'il s'agisse
de mots, d'idées, de représentations, d'évènements) »4. Ce mécanisme, sur lequel nous
reviendrons plus en détail, provoque chez le récepteur un conflit de cognition, qui appelle en
réponse le rire ou le sourire. La présence d'un cadre ludique est cependant nécessaire pour que
l'incongruité puisse être identifiée comme humoristique, et se distinguer ainsi du comique
involontaire ou de la simple étrangeté. Ces indices de climat 5 permettent de distinguer
l'humour du comique involontaire, qui ne sera pas évoqué ici.
c- La question de l'intentionnalité
La notion d'intentionnalité nous apparaît essentielle pour définir l'humour 6. Celui-ci naît en
effet de l'échange entre deux individus, et du plaisir partagé qui en découle. « Le comique [à
l'exception du comique involontaire], l'humour, sont des phénomènes sociaux, des
phénomènes de communication », écrit Bariaud, « et l'on ne peut comprendre comment ils
s'édifient sans tenir compte de cette essence »7. Elle propose, partant de ce postulat, une
définition des phénomènes humoristiques que nous retiendrons pour la suite de notre
recherche :
Dès lors, on dira d'une création ou d'une réaction qu'elle est sous-tendue par le
sentiment de comique ou d'humour seulement s'il est clair qu'à la perception du
message incongru s'associe chez l'enfant la conscience de son objectif, de sa raison
d'être : provoquer le rire (op. cité, p.52).
Cette dimension nous sera utile pour définir, les éléments humoristiques qui serviront de base
à notre travail d'analyse.
3
4
5
6
7
ARON P., ST JACQUES D., VIALA A. dir, Dictionnaire du littéraire, article «Humour», (Paris, PUF, 2002).
BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 24
Nous les détaillerons dans un paragraphe consacré au rôle du contexte, voir I-3-c
Il en va de même pour certaines formes du comique,
BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 52.
7
d- Une approche psychologique de l'humour
Enfin, la multiplication des approches théoriques possibles sur l'humour – qu'elles soient
philosophiques, littéraires ou psychologiques - contribue elle-même à complexifier la notion,
au point qu'il semble y avoir presque « autant de sens du mot « humour » qu'il y a de
commentateurs », comme le soulignent Gendrel et Moran 8. André Breton cite d'ailleurs cette
remarque de Valéry, dans la préface de l'Anthologie de l'humour noir :
Le mot humour est intraduisible. S'il ne l'était pas, les Français ne l'emploieraient pas. Mais ils
l'emploient précisément à cause de l'indéterminé qu'ils y mettent, et qui en fait un mot très
convenable à la dispute des goûts et des couleurs. Chaque proposition qui le contient en
modifie le sens; tellement que ce sens lui-même n'est rigoureusement que l'ensemble
statistique de toutes les phrases qui le contiennent, et qui viendront à le contenir.9
L'objet général de ce travail – les relations entre humour et apprentissage-, nous a cependant
conduit à nous limiter à une perspective psychologique, en lien direct avec les théories du
développement de l'enfant, et dont les implications dans le domaine des apprentissages sont
importantes. A l'intérieur de ce cadre, nous nous intéresserons de préférence à deux approches
complémentaires : la théorie psychanalytique d'une part, et la perspective cognitiviste d'autre
part.
2- La perspective psychanalytique
a- La théorie freudienne
Freud10 envisage l'humour comme une tentative de réponse face à des situations difficiles. Il
s'intéresse essentiellement aux motivations de l'humoriste. Il considère en effet l'humour
comme un moyen d'expression des émotions, particulièrement dans le cas de sujets sexuels ou
agressifs, mais aussi de l'anxiété provoquée par ces pulsions ou par des angoisses
fondamentales (peur de l'abandon...).
Il distingue trois stades du développement de l'humour chez les individus : le jeu (2-3 ans),
puis la plaisanterie (4-6 ans), concomitant avec la découverte de l'absurde et du non-sens ;
enfin, à partir de 7 ans, le stade des blagues proprement dites, qui s'intensifie avec l'âge, et où
l'on trouve largement illustrée la fonction libératrice de l'humour. Ce dernier fonctionne alors
8 GENDREL B., MORAN A., Atelier de théorie littéraire : humour : panorama de la notion, site Fabula
(http://www.fabula.org/atelier.php?Humour%3A_panorama_de_la_notion)
9 Cité par André Breton, Anthologie de l'humour noir, Paris, Le Livre de Poche, 1966, p. 11.
10 FREUD S., Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten (Leipzig, Denticke, 1905), trad. française Le
mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (Paris, Gallimard, 1930)
8
comme un habillage socialement acceptable, - Wolfenstein parle de « masque de l'humour »11à l'expression de sentiments habituellement inhibés :
Ce masque permet l'expression de significations chargées d'émotions normalement
réprimées, le rire qui s'ensuit libère des sentiments sexuels, hostiles, ou d'autres émotions
jugées inacceptables.12
Ce que résume à sa manière A. Spiegelman 13 lorsqu'il définit l'humour :
Le goût du scatologique, qui se développe de manière intense chez l'enfant à partir de 3 ans, et
qui renvoie aux angoisses liées à l'acquisition du contrôle des fonctions corporelles, en est une
autre illustration.
L'énergie psychique utilisée jusqu'alors pour inhiber les pulsions sexuelles ou agressives, se
libère momentanément et s'extériorise par le rire. Cette forme d'humour, que Freud qualifie de
« tendancieuse », constitue selon lui l'essentiel du processus humoristique, d'autant plus que
« le plaisir procuré par l'esprit tendancieux permet de donner satisfaction à une tendance qui,
sans lui, demeurerait insatisfaite »14. Il reconnait cependant parallèlement l'existence de
formes d'esprit « non-tendancieuses », où le plaisir est lié à une dimension intellectuelle (jeux
de mots...).
Cette distinction entre humour tendancieux (qui associe au rire la notion de dégradation, de
rupture, et se traduit par la désacralisation de sujets difficiles ou graves) et humour neutre (qui
ne transgresse pas les tabous, et dont l'intention est « de divertir, de libérer des contraintes de
la pensée rationnelle » en offrant un plaisir intellectuel) a été largement reprise par la suite 15.
11 WOLFENSTEIN M, « Children's humor : A psychological analysis » (Glencoe, IL, Free Press, 1954), cité
par Bergen p. 22
12 BERGEN Doris, « Le développement de l'humour chez les enfants normaux et surdoués : synthèses des
connaissances actuelles » (Revue québecoise de psychologie, 2004, 21-41), p.22.
13 SPIEGELMAN Art, Breakdowns (Ed française Casterman, 2008)
14 FREUD, Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (Paris, Gallimard, 1930), p. 177
15 Voir par exemple le chapitre 2 (« Humour et discours comique ») du livre de F. EVRARD, L'humour (Paris,
Hachette, 1996).
9
b- Wolfenstein : l'angoisse modérée, moteur de l'humour
Parmi les représentations intégrées par l'enfant, il en est qui sont donc fortement investies de
valeurs symboliques. Il en va par exemple ainsi de la construction de l'identité sexuelle : faire
de l'humour sur la question exige de l'enfant qu'il ait constitué un concept stable et solide de
sa propre identité sexuelle. Wolfenstein16 (1954) considère que l'angoisse constitue le coeur du
processus de création d'humour. Les thèmes des plaisanteries les plus appréciées des enfants
aux différents âges de leur développement, renvoient en effet en réalité à des sujets de
profonde inquiétude pour eux. Cependant, l'intensité de cette angoisse ne doit pas être trop
forte, la réaction d'humour étant impossible dans une situation trop fortement émotionnelle. Il
faut donc que « le degré d'implication de soi (en eux) se réduise dans une certaine mesure »17,
c'est-à-dire que ces thèmes puissent être considérés comme suffisamment « sûrs », pour
devenir objets de plaisanterie. L'angoisse est alors réduite, mais non pas éliminée totalement,
parce qu'elle est justement la source de l'humour, son « moteur » qui, comme l'écrit Bariaud,
« retourne en plaisant les sentiments pénibles »18. Les plaisanteries des enfants offrent donc le
reflet de leurs craintes et de leurs souffrances : angoisse de séparation, frustration... Cette
approche, déjà développée par Eastman19 (1936), nous semble complémentaire de la notion de
« maîtrise cognitive » sur laquelle insistent les cognitivistes, et que nous développerons par la
suite.
3- Humour et intelligence : l'approche cognitiviste
a- Le rôle des incongruités
Le second axe, d'influence constructiviste, considère l'humour dans sa dimension d'activité
cognitive, basée sur la perception ou la production d'incongruités, c'est-à-dire de tout ce qui
relève du « non-respect du rapport habituel entre les choses, qu'il s'agisse de mots, d'idées, de
représentation d'évènements ou d'objets »20. Dans cette perspective, l'humour naît de la prise
de conscience d'un décalage existant avec ce qui était prévisible, attendu, et qui provoque
donc de la surprise. Dans sa « Critique de la raison pure », Kant notait déjà en 1781 que « le
16
17
18
19
WOLFENSTEIN M., Children's humor : a psychological analysis (Glencoe, Free Press, 1954)
Cité par Bariaud dans La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 58
BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 29
EASTMAN M., Enjoyment of laugher (New York, Simon and Shuster, 1936), traduction française P.
GINESTIER, Plaisir du rire (Paris, Sedes, 1958)
20 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 24
10
rire est né de la transformation soudaine d'une attente en rien du tout »21. Cette idée de
« l'attente frustrée » est justement au coeur de la théorie cognitiviste. Elle est illustrée
notamment par Koestler22, qui y voit le principe central de l'humour : le début d'une histoire
crée une tension dramatique, qui est désamorcée par une chute inattendue, quoique offrant une
certaine logique. C'est ce passage soudain d'un plan logique à un autre, mouvement que
Koestler appelle « bissociation », qui provoque le rire. Parce qu'il élabore volontairement de
nouvelles connections entre des éléments jusqu'alors indépendants, ce phénomène peut être
considéré comme une forme de créativité, en lien avec la pensée divergente. Koestler l'illustre
par une histoire, citée par Schopenhauer avant lui 23 :
Un détenu joue aux cartes avec ses geôliers. Lorsque ceux-ci découvrent qu'il a triché, ils le
jettent dehors.
Deux logiques sont ici à l'oeuvre : celle qui veut que les malfaiteurs soient emprisonnés, et
celle qui veut que les tricheurs soient exclus.
Par la suite, Suls (1972)24 a proposé un modèle psychologique en deux étapes : l'incongruité
est d'abord détectée (non-conformité de la chute au regard de ce qui est attendu), puis résolue
de manière quasi instantanée. Le rire découle là encore de la découverte d'un sens inattendu,
qui rétablit une certaine cohérence, une « rectification de processus cognitifs »25. Cependant,
si la difficulté doit être surmontable (c'est-à-dire que l'incongruité doit pouvoir être identifiée
et résolue), elle doit malgré tout offrir un degré suffisant pour être appréciée pleinement. Car
le plaisir qui découle de sa résolution est augmenté par la dimension de défi intellectuel
qu'elle représente. Mac Ghee évoque à ce propos la nécessité d'une « difficulté suffisante mais
pas excessive »26 … En somme, la résolution de l'incongruité ne doit être ni trop simple, ni
trop complexe.
Remarquons à ce propos que pour être identifiée en tant que telle - une violation des règles -,
une incongruité nécessite donc au préalable la connaissance des règles ou des schémas
attendus. Cela explique pourquoi l'analyse de l'humour chez les enfants doit nécessairement
prendre en compte le niveau de développement de leurs compétences cognitives et sociales.
21
22
23
24
Cité par N. et Z. ZIV dans Humour et créativité en éducation (Creaxion, Paris, 2002), p. 23
KOESTLER A., The act of creation (Hutchinson, Londres, 1964)
Cité par ZIV, p.24
SULS J.M., « A two-stage model for the appreciation of jokes and cartoons : an informating-processing
analysis », in GOLDSTEIN J. H., Mc GHEE P., The psychology of humor (New- York, Academic Press,
1972), p. 81-100
25 LEFORT B., « Dans une histoire drôle, où est le sujet ? », Semen 14, Textes, Discours, Sujet, 2002
26 MAC GHEE Paul, « Children's appreciation of humor : a test of the cognitive congruency principe » (Child
devlopment, 1976, 420-426)
11
b- Incongruités principales et secondaires
Le modèle proposé par Suls insiste sur l'importance du processus de résolution de
l'incongruité dans l'appréciation d'une histoire drôle. Cette dimension a cependant été
critiquée, notamment par Nerhardt (1976), qui considère que l'incongruité peut faire rire en
elle-même, sans qu'il y ait nécessairement résolution... C'est par exemple le cas dans certaines
formes d'humour du type non-sens, ou absurdité :
- Ne vous ai-je pas rencontré à New York ?
- Non, je n'ai jamais été à New York.
- Ni moi non plus. C'est sans doute deux autres personnes qui se sont rencontrées à New York.
Les travaux de Schultz et Horibe (1974)27 ont d'ailleurs démontré que les jeunes enfants ont
tendance à apprécier l'incongruité pour elle-même. Dans une étude de 1992 28 concernant la
compréhension des blagues par les élèves entre le CP et le CM2, B. Lefort, en reprenant une
méthode inspirée par celle proposée par ces deux chercheurs, a montré combien la centration
sur l'incongruité principale et l'intérêt pour la chute, ne se réalisent que progressivement chez
les enfants. Au départ, ceux-ci accordent même une importance supérieure aux incongruités
secondaires, c'est-à-dire à des éléments qu'ils jugent incongrus, mais qui ne correspondent pas
au « coeur » de l'histoire drôle. Il s'agit en réalité de tout ce qui, au regard de leur construction
cognitive et affective, mais aussi de leur connaissance du monde, leur apparaît étonnant :
comportements non compréhensibles pour eux, incongruités renvoyant à des schémas qu'ils
ne maîtrisent pas, mais aussi expressions figurées qu'ils prennent au sens littéral (« être cloué
au lit »...). Ces résultats confirment les analyses de Bariaud (1983) concernant la perception
de dessins humoristiques, où des éléments annexes sont fréquemment évoqués par les enfants
pour expliquer le caractère comique selon eux de certaines images. La hiérarchisation entre
ces éléments secondaires et l'incongruité finale, à laquelle renvoie la chute, ne se réalise donc
que progressivement. Bariaud remarque d'ailleurs que l'adoption d'une forme d'humour
semblable à celle des adultes ne se généralise que vers la fin de l'école primaire.
c- Importance du contexte
Au-delà de sa dimension sociale, sur laquelle nous reviendrons, cet aspect renvoie à une
réalité cognitive précise : l'évaluation de la situation. Bariaud insiste sur l'importance de la
27 SCHULTZ T. R., HORIBE F., « Development of the appreciation of verbal jokes », in Developmental
Psychology, 10, 1, p.13-20
28 LEFORT Bernard, « Structure textuelle de l'histoire drôle et compréhension », cahiers du CRELEF n°33
(Université de Franche-Comté, 1992), p.98.
12
surprise générée par la détection d'une incongruité29. Celle-ci provoque un conflit de cognition
auquel le rire ou le sourire, comportements émotionnels, répondent dans certains cas... Mais
pas systématiquement, car si l'inattendu et l'absurde sont des dimensions constitutives de
l'humour que l'enfant apprécie, lorsqu'ils atteignent un niveau trop élevé, au lieu de provoquer
le rire, ils laissent alors place à de l'angoisse. Mac Ghee écrit à ce propos :
« L'enfant ne peut trouver drôle la violation de ses attentes que s'il a acquis une maîtrise
conceptuelle du monde réel suffisante pour lui permettre de les considérer comme relevant
seulement d'un jeu sur la réalité »30
Il en va d'ailleurs de même pour les adultes. Citons là encore Spiegelman dans son strip
« Cracking jokes, brève enquête sur les différentes variétés d'humour » :
Freud parlerait à ce propos d'humour « inapproprié », c'est-à-dire facteur d'angoisse ou de
souffrance, par opposition à l'humour « approprié », qui lui, est opérant.
Mais il vrai que la frontière est étroite entre la surprise et l'étrangeté, ce dont témoigne
d'ailleurs la polysémie du mot drôle, à l'intersection du champ sémantique du comique et de
l'étrangeté. Bariaud rappelle à ce propos la théorie d'Ambrose, qui considère le rire comme un
comportement d'ambivalence, entre le plaisir et la peur31. D'où l'importance des circonstances
de production de l'humour : il nécessite un climat de sécurité, et dans certains cas, la présence
de signaux indicateurs (sourire, marques linguistiques...). Bon nombre de psychologues, à la
suite des travaux de Berlyne (1960)32, ont donc considéré que le rire d'humour était une
29 Voir BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 25.
30 « The child perceives expectancy violations as being funny only when he has acquired a stable enough
conceptual grasp of the real world that he can assimilate the disconfirmed expectancy as being only a play on
reality ».(traduction personnelle). MAC GHEE Paul, « Development of the humor response : a review of the
litterature » (Bull, 1971), p.333
31 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 29
32 BERLYNE D.E., Conflict, arousal and curiosity (McGraw-Hill, New York, 1960)
13
réaction à une incongruité produite dans des circonstances particulières. Dans son étude,
Bariaud signale que l'appréciation ou la production d'humour nécessité une double maîtrise, à
la fois cognitive (concept établi) et affective (trouble surmonté)33, lorsque le sujet abordé
renvoie à des thématiques tendancieuses au sens freudien.
Cette approche nous semble intéressante parce qu'elle permet d'envisager le -complexephénomène humoristique de manière plurielle, ce dont Ziv 34 rappelle la nécessité :
Notre intention n'est pas de critiquer les théories existantes sur l'humour, mais d'admettre
qu'elles peuvent toutes apporter quelque chose qui pourrait contribuer à une meilleure
compréhension du phénomène humoristique. Nous pensons que l'humour est un phénomène
beaucoup trop complexe pour qu'on puisse englober toutes ses manifestations en une seule
théorie.
4- L'humour chez les enfants
a- Les stades de développement de l'humour
En s'inspirant des stades du développement de Piaget (1962), Mac Ghee 35 a identifié
différentes étapes dans le développement de l'humour chez les enfants : la première, de 6 mois
à 12-15 mois, consiste d'abord en une réaction de joie (sourire) en présence de visages
familiers (parents), puis dans les premiers rires en réponse aux comportements inattendus des
parents (imitation du bruit des animaux, gestuelle grotesque, jeux d'apparition et de
disparition...).
De 12-15 mois à 3-5 ans, lui succède le stade des « actions absurdes », où l'enfant s'amuse à
détourner les objets en les considérant autrement que dans leur fonction réelle (une banane
devient un téléphone...).
A partir de 2-3 ans, et jusqu'à 4 ans, se développe le « langage absurde », c'est-à-dire
notamment le fait de nommer volontairement de manière impropre les objets ou les personnes.
Entre 3 et 5 ans, apparaissent les premiers jeux basés sur les sonorités de la langue, hors de
toute dimension sémantique. C'est l'âge des comptines et des expérimentations langagières,
souvent basées sur la déclinaison. ( type « am, stram, gram, pique et pique et colegram »...).
Parallèlement, l'enfant se met progressivement à créer des combinaisons absurdes de mots
33 BARIAUD F., op. Cité, p. 58
34 ZIV A., p.26
35 MAC GHEE Paul, « Understanding and promoting the development of children's humor » (Kendall/Hull,
2002)
14
réels (du jus de pomme... de terre / de guitare / de souris...), et à modifier les caractéristiques
des objets, animaux ou personnes qu'il connaît. Ayant établi ses premières règles de
classifications opérantes (par exemple le concept de chien, avec ce qui lui est normalement
associé en termes de forme, couleur, attitude, régime...), il s'amuse à les violer volontairement
en dessinant des ailes au chien ou en lui ajoutant des pattes. Cela marque le début d'une forme
d'humour que l'ont pourrait qualifier d' « absurdité conceptuelle », et qui renvoie selon
Helmers (1965), à une volonté de « reconfirmer l'ordre inaliénable du monde ».
Entre 5 et 7 ans, s'opère une période de transition, que Mac Ghee qualifie de « stade des prédevinettes », où l'enfant commence à manifester son intérêt pour l'humour verbal proprement
dit. Il est alors capable de rire aux devinettes, parce qu'il considère alors comme drôle tout ce
qui est pour lui insensé, au sens propre, mais sans en comprendre dans un premier temps les
ressorts (il reste dans la pensée littérale et le sens premier). Ce n'est qu'autour de 7 ans, en lien
avec son développement cognitif, linguistique et émotionnel, qu'il découvre la dimension
sémantique de l'humour et qu'il en comprend les formes complexes basées sur les doublesens, les jeux de mots...
Ainsi, le « drôle » chez le jeune enfant ne correspond pas nécessairement à ce qu'un adulte
entend par là, et n'obéit pas à la même hiérarchisation. Dans son travail sur l'humour enfantin,
Bariaud situe le moment de l'accession à un humour adulte (c'est-à-dire centré sur la détection
de l'incongruité principale) entre 7 et 9 ans 36.
b- Thèmes de l'humour enfantin
A partir des résultats de sa recherche, Bariaud a établi neuf catégories d'éléments qui amusent
particulièrement les enfants37. Les trois thèmes principaux en sont les bizarreries physiques,
les anomalies de comportement, et les mésaventures, qui prévalent largement, notamment
chez les plus jeunes (filles et garçons de 7 ans). Ces derniers sont également attirés par les
manifestations du ludique, de la joie (à l'exemple des scènes de cirque), ainsi que par la mise
en scène de l'aventure, ou d'une scène de supériorité ou de victoire. C'est seulement chez les
enfants plus âgés (de 9 à 11 ans) que se développe le goût de l'illogique, et l'attirance pour la
représentation d'inconvenances sociales, certainement en lien avec leur niveau d'intégration
des règles de vie et des comportement sociaux.
36 Elle remarque de plus qu'ensuite (à partir de 9 ans), les enfants se focalisent exclusivement sur l'incongruité
pertinente (p.98).
37 BARIAUD F., op. cité, p.102.
15
B- Humour et apprentissage
L’apprentissage est l'acquisition de savoir-faire, c'est-à-dire le processus d’acquisition de
pratiques, de connaissances, compétences, d'attitudes ou de valeurs culturelles, par
l'observation, l'imitation, l'essai, la répétition, la présentation.
Nous cherchons à travers l'exemple des documentaires à interroger les rapports existants entre
humour et apprentissage, en observant dans quelle mesure l'humour peut constituer un outil de
vulgarisation. Nous verrons qu'il peut opérer à différents niveaux : en créant un climat affectif
propice pour l'apprenant, mais également en agissant comme un outil de développement
cognitif. Nous observerons enfin comment il peut avoir, au-delà de ce rapport particulier au
savoir, une fonction éducative au sens large, en favorisant une manière d'être et d'appréhender
le monde. Il devient alors un filtre pour le regard, qui structure à la fois la perception, le
langage et l'imagination, retrouvant le sens de Weltanschauung que lui donne Wittgenstein38.
1- Un outil au service des apprentissages
L'humour peut être considéré comme un « lubrifiant didactique » (Gentilhomme, 1988), qui
agit sur plusieurs plans.
a- Un climat propice aux apprentissages
Utilisé dans le cadre scolaire, particulièrement anxiogène pour certains enfants, il permet de
développer chez les élèves des dispositions propices aux apprentissages : il diminue en effet
leur anxiété (Bariaud, 1983, thèse du soulagement), facilitant par-là même les apprentissages
(Ulloth, 1998). Les travaux de N. et A. Ziv 39 ont largement développé cette question,
reprenant notamment dans un chapitre de leur ouvrage (« Effets de l'humour sur les
apprentissages ») les résultats d'études menées par ailleurs. Il en ressort également que
l'humour favorise l'attention, et joue un rôle sur la motivation des élèves (Ulloth 1998).
b- Une aide à la mémorisation
De plus, l'humour, en associant une expérience positive à un énoncé, facilite sa mémorisation
(Gentilhomme, 1988, Ulloth, 1998).
38 WITTGENSTEIN L., Remarques mêlées, Paris, Flammarion, «GF», 2002, p. 150 [78].
39 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002)
16
2- Un outil de développement cognitif
a- L'humour, facteur d'inattendu
L'humour, parce qu'il crée une rupture de sens, interpelle le récepteur, le « sidère »40
littéralement, avant que ce dernier n'opère un réajustement de perspective, permettant la
compréhension (résolution de l'incongruité). Cette sidération crée une dynamique, une
motivation basée sur le besoin de « donner une cohérence à ce qui n'en n'a pas »41. Cette
volonté de trouver de la cohérence dans ce qui lui est proposé, est pour le récepteur (ici, le
lecteur de documentaire), un puissant aiguillon. Elle provoque en effet sa curiosité et favorise
une attitude active de construction de sens.
Cette fonction, que l'on peut qualifier d' « accroche » a notamment été mise en avant par
Corten-Gualtieri et Huynen (1995) dans le cadre d'une expérience sur le rôle des dessins
humoristiques dans un cours de génétique42.
On peut donc considérer que le recours à l'humour favorise la mise en questionnement et
l'éveil de la curiosité face à une situation nouvelle.
b- Un outil d'intégration des concepts et d'entraînement cognitif
L'humour joue également un rôle d'entraînement au niveau cognitif. En nécessitant la
« réactivation du réseau conceptuel de l'apprenant »43 dans un domaine particulier, il favorise
en effet l'intégration des concepts qu'il convoque. Pour comprendre une blague, il est en effet
nécessaire de connaître les concepts auxquels elle se réfère, et de les maîtriser suffisamment
pour pouvoir apprécier de quelle manière la situation humoristique y fait référence, en joue et
-parfois - les détourne (Bariaud, 1983, reprenant Mac Ghee). Lorsqu'il renvoie à ce type de
connaissances, l'humour fonctionne comme une illustration du propos, et permet une
réappropriation du discours vulgarisateur.
40 Dans Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (1905), Freud utilise le terme de verbluffen, c'est-àdire « frapper de sidération », mais avec l'idée d'une mystification.
41 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 44
42 CORTEN-GUALTIERI P. et HUYNEN A.-M. (1992). "Où le dessin se rit de la génétique", Humoresques,
tome 3 ("L'image humoristique"), Nice, Z'éditions et CORHUM, p. 89-96.
43 CORTEN-GUALTIERI P., HUYNEN AM. « Le dessin d'humour, catalyseur de la réactivation du réseau
conceptuel de l'apprenant ». Aster, 1995, n° 20. Représentations et obstacles en géologie. p. 165-191.
17
Cette intégration peut également se faire par le développement d'images mentales, c'est-à-dire
de représentations imagées des tropes du discours, a fortiori dans le cas de représentations
iconiques. Les images de ce type relèvent de ce que Jacobi définit comme les « procédures de
visualisation »44 dans la typologie des « grammaire d'images » qu'il propose, et sur lesquelles
nous reviendrons plus en détail.
A ce titre, l'humour peut donc être considéré comme un outil d'entraînement cognitif (Mac
Ghee, 2002).
c- Développement de la pensée divergente et de la créativité
Comprendre une blague nécessite d'abandonner ses habitudes cognitives (inférences
attendues), et par conséquent d'être capable de modifier son approche spontanée. Ce
changement de point de vue se traduit par exemple par la focalisation sur un élément resté
d'abord en arrière-plan, ou une réévaluation des rapports entre les éléments, comme l'illustre
le phénomène de bissociation de Koestler. En cela, l'humour apparaît comme un outil de
développement de la flexibilité mentale (Baterson et Fry, 1963).
Par ailleurs, Ziv (1979) a réalisé une expérience qui consistait à proposer à des lycéens un
stimulus humoristique avant de les soumettre à un test de créativité. Il a ainsi démontré que
l'humour pouvait fonctionner comme une « ouverture à la pensée divergente » permettant de
stimuler la créativité (Ziv, 1979, Powell et Anderson, 1985, Corten-Gualtieri et Huynen,
1995), même dans sa dimension verbale (Tessier, 1994). C'est en somme une fonction
libératrice, de désinhibition que peut jouer l'humour à ce niveau, dimension déjà mentionnée
par Koestler auparavant (1964).
d- Rôle dans le développement métacognitif
L'humour fait appel aux compétences de contrôle de la compréhension, et notamment à la
fonction de supervision (correction des erreurs). Le mécanisme du rire peut en effet être
analysé comme une « rectification de processus cognitifs », où celle-ci joue un rôle
fondamental. Les capacités de traitement contrôlé étant extrêmement limitées, les individus
44 Jacobi les définit ainsi les « ressources iconiques mobilisées par un vulgarisateur afin de rendre figurables des
notions ou des concepts par essence abstraits », qu'il relie à la notion de « traduction intersémiotique »
développée par Jackobson et reprise à sa suite par Tardy (1975).
18
développent des automatismes cognitifs qui permettent de soulager leur contrôle attentionnel,
et ce, au bénéfice des activités de supervision. Ces dernières peuvent être rétroactives,
permettant ainsi de rectifier les erreurs d'appréciation et de compréhension. B. Lefort insiste
sur l'importance de ces mécanismes dans le traitement de l'humour :
Cette caractéristique est particulièrement importante lorsqu’on s’intéresse à la
compréhension des histoires drôles. Bon nombre d’auteurs (linguistes ou psychologues)
ont, en effet, souligné, avec des termes parfois différents, que les histoires drôles
comportent souvent une incongruité, une ambiguïté ou une rupture sémantique qui oblige
l’auditeur ou le lecteur à revenir sur l’interprétation première du texte pour rectifier une
représentation trop vite élaborée45 .
En cela, l'humour peut donc être considéré comme favorisant le développement métacognitif
(Lefort, 2002).
3- Un outil éducatif dépassant la transmission de connaissances
Mais au-delà de son intérêt dans une perspective d'apprentissage, l'humour est aussi
appréhendé par un certain nombre de chercheurs et d'éducateurs comme le lieu d'autres
apprentissages, notamment sociaux, voire un objet de développement individuel. L'humour
s'inscrit alors dans un projet éducatif dépassant la simple transmission de connaissances
(instruction).
a- Fonction d'appartenance : connivence et complicité
Bariaud46 souligne l'importance de la dimension communicationnelle dans le phénomène
humour : « Le comique, l'humour, sont des phénomènes de communication. Et l'on ne peut
comprendre comment ils s'édifient sans tenir compte de cette essence ». Cela renvoie à la
nature même de l'humour, dont le but est de provoquer le rire, à la différence du comique, qui
peut lui être involontaire. Cette communauté de rires, à laquelle accède celui qui comprend
une blague, crée un sentiment de connivence, une complicité entre l'émetteur et le récepteur,
qui renforce le sentiment d'appartenance de chacun à un groupe et une culture particulière
(Tessier, 1994)... Ce dont les humours nationaux sont une illustration flagrante.
45 LEFORT Bernard, « Dans une histoire drôle, où est le sujet ? », (Semen, 14, Textes, Dicours, Sujet, 2002 ) p.4
46 BARIAUD F., op cité, p.52
19
b- Une forme d'intelligence sociale
L'humour, qui relève donc de la communication, permet justement de développer les
compétences communicationnelles de chaque individu (Tessier, 1994), en y introduisant une
dimension réflexive de type métacognitif. L'humour, à l'oral comme à l'écrit, focalise en effet
l'attention du récepteur sur les éléments qui constituent le contexte du discours : cadre de
parole, forme du discours, mais aussi indices non-verbaux (gestes, intonations, typographie...).
Il est donc multiréférentiel. En cela, il attire l'attention sur la complexité du discours, composé
non seulement de ce qui est dit, mais également de la manière dont il est formulé et du cadre
dans lequel il se déroule, c'est-à-dire du paratexte (Jacobi, 1987).
En offrant cette mise en perspective du discours, il exerce de plus une fonction critique
d'élucidation des malentendus inhérents à toute situation de communication. Il constitue
donc, selon Guillot, « un instrument préventif de la paradoxalité, [qui] facilite la
communication en prévenant incompréhensions ou conflits » 47.
Parce qu'il attire le lecteur sur l'importance du contexte du discours, c'est-à-dire de la manière
d'énoncer un contenu, l'humour relève donc de la métacommunication. En apprenant à
décoder les indicateurs du mode humoristique (attitude de quelqu'un qui s'est comporté de
manière incongrue, indices graphiques dans le cas du dessin), l'enfant développe ce que
Wallon appelle une « intelligence sociale », ou intelligence des situations et des intentions.
c- Un outil de régulation sociale
Les approches cognitivistes, elles-mêmes, insistent sur cette dimension communicationnelle.
L'humour y est en effet considéré comme un moyen de réguler les tensions au sein du groupe
(Ulloth, 2003), qui permet à chacun d'y prendre sa place symboliquement. Cette fonction
régulatrice du rire a déjà été soulignée par Bergson48 , qui y voyait un « geste social » - le rire
« est toujours le rire d'un groupe » (p.389)-, à la fonction essentiellement éducative : en riant
du comportement inadéquat d'un de ses membres, le groupe ou la société à laquelle il
appartient le poussent par là-même à modifier cette attitude afin de mieux s'adapter. Le rire est
donc « une espèce de brimade sociale » (p.103), une punition dirigée envers quelqu'un,
agissant comme un correcteur social.
47 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002), p.
208
48 BERGSON H., Le rire, essai sur la signification du comique (Alcan, Paris, 1924). Le texte a été
originalement publié en trois article dans la Revue de Paris, 1er février, 15 février et 1er mars 1900.
20
Il s'agit certes d'une vision mécaniste, qui néglige notamment les processus inconscients, mais
qui insiste cependant sur la dimension sociale de l'humour.
d- Un outil de construction identitaire
L'humour permet de travailler sur l'égocentrisme (tel que l'entend Piaget, c'est-à-dire en tant
que stade normal du développement de l'enfant qui perçoit le monde à partir de son propre
point de vue), et favorise le développement affectif (Shade, 1996). Il permet en effet de mettre
à distance les émotions et favorise le recul vis à vis de soi-même. Bien plus qu'un simple
mécanisme de défense, il peut donc être considéré comme un outil de construction identitaire
(Lethierry, 1997). Il fonctionne en effet comme une compensation positive, qui permet, en
mettant à distance des affects douloureux, le développement de l'estime de soi, au sens de
Winnicott49. Agissant comme un miroir, il permet donc à chacun de renforcer son sentiment
d'acceptabilité, d' « amabilité », à travers la diversité des situations vécues. G. Guillot
l'analyse comme ce qui « facilite un regard et un échange au sein desquels la reconnaissance
du possible estompe le jugement de l'impuissance. L'humour, c'est l'esprit de finesse qui danse
dans l'espace des possibles »50.
Il devient alors un mode de rapport au monde, une manière d'être, que Lethierry, dans un
chapitre intitulé « l'humour pour grandir », résume ainsi :
L'humour serait en fait plutôt de l'ordre de la manière que de la matière, « il n'est pas une
méthode mais une tournure, c'est pourquoi son exercice ne se limite pas à des motifs
ponctuels et malicieux ». Elever un enfant, c'est étymologiquement, le rendre « léger »,
c 'est à dire lui permettre de vaincre les pesanteurs de ses conditionnements, le mettre en
« posture d'humanité »51 . En ce sens, l'humour est une « école de légèreté »52 .
On retrouve ici un des enjeux évoqués précédemment, et que posait la définition même du
terme « humour » : à une conception qui le limitait à des manifestations « techniques » bien
définies, répondait une approche existentielle, où l'humour symbolisait une forme de rapport
au monde, dans la tradition de Wittgenstein. Dans cette perspective, bien plus qu'un outil, il
devient une position existentielle.
49 WINNICOTT D.W., Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et environnement (Payot,
1970)
50 GUILLOT G., « L'école de l'humour » dans Savoir(s) en rire (T.1, Perspectives en Education, De Boeck
Université, Paris, 1997), p. 210
51 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002), p.
212.
52 LETHIERRY, H : « Savoir(s) en rire 1 : un gai savoir (vérité et sévérité) »,( Bruxelles : De Boeck Université,
1997), P. 34.
21
4- Les limites de l'humour en situation d'apprentissage
Malgré tout, le recours à l'humour dans un objectif pédagogique présente certaines limites
qu'il importe de signaler. Ainsi, il ne peut véritablement jouer une fonction dans la
compréhension et l'assimilation des concepts que s'il est directement lié aux concepts
enseignés (Ziv, 1988). Si ce n'est pas le cas, il risque en revanche d'entraver leur intégration en
détournant l'attention du lecteur (Unger, 1996) 53.
D'autre part, pour remplir les fonctions pédagogiques ou éducatives que nous avons détaillées
ci-dessus, l'humour nécessite d'avoir été identifié par le lecteur en tant que tel. Cette
reconnaissance du type de discours proposé est en effet nécessaire pour permettre la
hiérarchisation des différents discours au sein du documentaire. Car, si l'humour n'est pas
perçu en tant que tel, il risque d'entraver la compréhension générale de ce qui est présenté. Le
cas échéant l'humour court alors le risque de brouiller le discours, au détriment des
apprentissages.
On retrouve ici une réflexion proposée par F. Ballanger 54 à propos de l'humour dans les
documentaires sur la préhistoire : si elle reconnait l'intérêt des approches qui, notamment à
travers l'humour, rendent le savoir historique moins intimidant pour le lecteur, elle pointe
cependant un risque inhérent à cette position : celui de dérouter le lecteur et de brouiller le
discours. Elle prend à ce propos l'exemple de la préhistoire, « (qui) comporte en elle-même
tellement d'éléments étonnants (à commencer par le nombre de zéros qu'il faut ajouter pour
obtenir les datations les plus reculées) que n'importe quelle affabulation devient vite crédible
auprès d'un public ingénu et imaginatif ».
Cette identification de l'humour implique la présence d'indices de contexte humoristique 55
suffisamment explicites pour que l'apprenant puisse évaluer la nature des informations qui lui
sont alors transmises : gestes et intonations de l'enseignant, ou indices de mise en page dans le
cas des supports écrits...
53 UNGER L. S., The potential for using humor in international advertising. Humor: International Journal
of Humor Research 9 (2), 1996, 143-68.
54 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la
jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002). [En ligne],
URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm
55 Nous avons souligné précédemment l'importance du contexte dans la perception de l'humour (Bariaud, 1983).
22
C- Humour et éducation
S'interroger sur l'humour dans un cadre éducatif amène nécessairement à questionner la
dimension symbolique associée au savoir et à l'apprentissage. Le rire et l'humour apparaissent
en effet comme emblématiques d'une approche particulière de ces phénomènes, où le plaisir,
loin d'être suspecté, est considéré comme un moteur puissant pour l'apprenant. Aussi, si la
réflexion sur l'humour reste marginale dans le cadre des sciences de l'éducation, elle retrouve
cependant des questionnements et des préoccupations communs à d'autres pratiques
pédagogiques, fondées notamment sur le jeu.
Après avoir évoqué la tradition de l'apprentissage ludique dans laquelle s'inscrivent ces
pratiques humoristiques actuelles, nous verrons en quoi elles témoignent d'une conception de
l'apprentissage qui réserve une place centrale à l'enfant. Nous observerons enfin la place qui
leur est dévolue dans le contexte scolaire français, mais aussi dans l'ensemble des pratiques
d'éducation non formelles de manière plus générale.
1- La tradition de l'apprentissage ludique
Le recours à l'humour en contexte d'apprentissage constitue un « nouvel avatar » du docere
cum delectatione de la tradition aristotélicienne 56. Il renvoie à une tradition pédagogique
longtemps marginale, mais dont l'influence est sensible dans les pratiques pédagogiques
actuelles.
a- Le jeu, le plaisir et les apprentissages
Le jeu, parce qu'il permet d'attirer l’attention des élèves et de susciter un intérêt immédiat,
offre des potentialités pédagogiques évidentes qui n'ont pas échappé aux éducateurs. Ainsi
Quintilien, vers la fin du premier siècle, défend déjà une approche de ce type, aspirant à ce
que « l'étude soit pour [l'enfant] un jeu. Posons-lui des questions, donnons-lui des louanges...
afin de ne pas rebuter l'enfant ». Pour ce faire, il préconise l'usage d'un matériel pédagogique
adapté (lettres en ivoire ou en gâteau...).
56 CHOUINARD D., « La science est-elle soluble dans l'humour ? Le cas de la collection « Savais-tu ? ».
Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, vol.11, n°2, 2008, p.171
23
Au début du seizième siècle, Erasme préconise aux précepteurs de « bailler à l’étude une
couleur et déguisement de jeu »57. Le jeu n’est selon lui pas tant un outil pédagogique qu’un
moyen de relâcher « l’ardeur des études, après que l’on est parvenu jusque là, que les enfants se
peuvent appeler à plus grandes choses lesquelles se puissent apprendre sans soin ni labeur.
Comme […] tourner le latin en grec ou le grec en latin […] ».
Le jeu et la manipulation ludique sont donc envisagés comme des remèdes à l'ennui, et des
aiguillons pour la curiosité de l'enfant.
Mais ils peuvent parfois même être considérés comme des stratégies pédagogiques à part
entière, s'inscrivant alors dans une approche de l'apprentissage qui valorise la notion de plaisir.
Ainsi, dans son Traité de l'éducation des filles (1687), Fénelon défend l'éducation « attrayante »
en rappelant l'importance de la dimension du plaisir lorsqu'il est question d'apprentissage.. Il
souligne également la nécessité d'entretenir la curiosité de l'élève. Selon lui, le jeu permet en
effet à la fois d’éviter la lassitude, c’est-à-dire de ne pas rebuter l’enfant en lui imposant un
rythme qui ne conviendrait pas à son âge, mais aussi de servir à l’étude elle-même :
Remarquez un grand défaut des éducations ordinaires : on met tout le plaisir d’un côté, et
tout l’ennui de l’autre ; tout l’ennui dans l’étude, tout le plaisir dans les divertissements :
que peut faire un enfant, sinon supporter impatiemment cette règle, et courir ardemment
après les jeux ? Tâchons donc de changer cet ordre, rendons l’étude agréable, cachons-la
sous l’apparence de la liberté et du plaisir ; souffrons que les enfants interrompent
quelquefois l’étude par de petites saillies de divertissements, ils ont besoin de ces
distractions pour délasser leur esprit.58
De même, Locke59, à la fin du 17ème siècle préconise de « s'instruire en s'amusant », une
formule qui sera reprise quasiment à l'identique par le journal Astrapi (Bayard), qui adopte dès
sa création en 1978, le slogan : « aprendre en s'amusant ». Cet hebdomadaire proposera de fait
une approche nouvelle, ludique, (il comporte des jeux, des expériences à réaliser, et intègre
même des bandes dessinées humoristiques), qui servira de modèle pour toute une série de
publications par la suite.
b- Des pratiques marginales
Mais d'une manière générale, jusqu'à la fin du 19ème siècle, l'école demeure très
conservatrice (pratiques magistrales, importance de l'apprentissage par coeur et perception de
57 ERASME, De Pueris, trad. Pierre Saliat, Paris, Klincksieck, 1990, p. 84.
58 FENELON, Traité de l’éducation des filles, Paris, Klincksieck, 1994, chap. V.
59 LOCKE J., Quelques pensées sur l'éducation, Paris, Vrin, 1966 (1693)
24
l'école comme lieu d'acquisition de connaissances). Citons Kant : « […] L’école est une culture
par contrainte. Il est extrêmement mauvais d’habituer l’enfant à tout regarder comme un jeu. Il
doit avoir du temps pour ses récréations, mais il doit aussi y avoir pour lui un temps où il
travaille. Et si l’enfant ne voit pas d’abord à quoi sert cette contrainte, il s’avisera plus tard de sa
grande utilité »60.
L'opposition demeure donc entre ludique et pédagogique, et l'on observe un rejet du ludique et
de l'expérimentation. Ce phénomène se retrouve dans la perception du jeu à cette époque, dont
Madame de Staël écrit par exemple qu'il « sert à mettre l'ennui dans le plaisir et la frivolité
dans l'étude »61. Dès lors, il n'est admis que s'il offre une dimension pédagogique : on
privilégie ainsi son utilisation pour le développement de la mémoire sous toutes ses formes.
De plus, en matière d'apprentissage tout au moins, on constate une méfiance à l'égard du
plaisir. Cette réticence est liée à sa nature même : le plaisir vient en effet du latin placere, qui
signifie plaire, ce qui plaît… mais aussi ce qui est sans raison, le bon plaisir, ce dernier sens
renforçant encore l’opposition entre les exigences de la rationalité et ce qui fait plaisir.
2- L'enfant et les apprentissages
a- Apprendre dans le plaisir
Au début du 20ème siècle, un certain nombre de pédagogues – citons entre autres Dewey,
Montessori, Decroly, ou Ferrière- ont renouvelé la manière d'aborder l’apprentissage, en
développant ce qui avait déjà été entrevu par Rousseau, Pestalozzi et d’autres, à savoir qu’un
sujet apprenant ne peut faire des acquisitions, développer des capacités et des savoirs que dans
le plaisir, et dans un contexte de libre choix et d’autonomie. Cela contredisait à angle droit la
pratique installée depuis des millénaires dans les familles et dans les écoles 62, une pratique
fondée sur la contrainte et la menace de sanctions. Cette idée révolutionnaire a donné
naissance à des méthodes nouvelles, comme les méthodes actives, la pédagogie Freinet, la
pédagogie institutionnelle, etc.
60 KANT E., Réflexions sur l’éducation, trad. Alexis Philonenko, (Paris, Vrin, 2000), p.146.
61 Op. cité, p.15
62 Voir à ce propos H.I. MARROU - Histoire de l’éducation dans l’antiquité. (Ed. du seuil. Paris, 1948).
25
b- De l'importance d'être motivé
Au 16ème siècle déjà, Montaigne écrivait que « le jeu devrait être considéré comme l’activité
la plus sérieuse des enfants ». La psychologie moderne allait lui donner raison, en
reconnaissant à l’enfant son besoin d’expérimenter pour apprendre 63, de refaire pour son
propre compte toutes sortes de découvertes... Mais aussi parce qu'il est un facteur essentiel de
motivation. A l'heure actuelle, de nombreux travaux de recherche 64 sont en effet venus éclairer
la place spécifique et le rôle original du jeu dans le processus d'apprentissage, notamment en
jouant sur ce facteur. Sauvé (2007) considère qu'il constitue « un élément motivationnel des
plus intéressant, »65 qui contribue à maintenir l'intérêt chez les étudiants et augmente le plaisir
d'apprendre chez ceux-ci (Wlodkowski 1985, Hourst et Thiagi, 2001; Reuss et Garaulski,
2001). Il constitue en outre une forme d'apprentissage très efficace puisqu'il favorise une
implication émotionnelle positive. En effet, du fait de la nature même du jeu, l'apprenant
réagit non seulement de façon intellectuelle mais aussi émotionnelle.
Motivation, implication affective positive, plaisir... Autant de facteurs qui se retrouvent
également dans la pratique de l'humour en contexte d'apprentissage, comme nous l'avons
développé précédemment. Notre sujet d'étude s'inscrit donc dans une réflexion plus large sur
les représentations de l'enfance et les conceptions du savoir qui y sont associées.
c- Prise en compte des spécificités de l'enfance
Cette attention portée à la dimension du plaisir et de la motivation témoigne d'une prise en
compte progressive des besoins des enfants, en lien avec leur développement cognitif, mais
aussi affectif. Si l'école est encore agitée aujourd'hui par les débats opposant des approches
pédagogiques contradictoires – notamment entre les garants de la «pensée héritée» et les
adeptes du «constructivisme», abusivement résumés à l'opposition entre les tenants de la
transmission du savoir et les défenseurs des méthodes actives 66-, la figure de l'enfant apparaît
63 Citons notamment à ce propos les travaux de Piaget sur le rôle du jeu dans le développement cognitif de
l'enfant. Selon lui, le jeu permet en effet à l'enfant de s'informer sur les objets et sur les évènements, et ainsi
de renforcer et et d'étendre ses connaissances et ses savoir-faire. Le jeu constitue enfin un moyen d'intégrer la
pensée à l'action. Piaget distingue de plus différents styles de jeu qui correspondent au stade de
développement cognitif de l'enfant.
64 Voir à ce propos BROUGERE G., Jeu et éducation (Paris, L'Harmattan, 1re éd. 1995)
65 SAUVE L., RENAUD L., GAUVIN M., « Une analyse des écrits sur les impacts du jeu sur
l'apprentissage ». Revue des sciences de l'éducation, vol. 33, n° 1 (2007), p. 89-107.
66 Nous renvoyons ici à l'analyse de V. MONETTI, qui démontre comment ces deux courants interrogent,
chacun à leur manière, le rapport entre instruction et éducation. (MONETTI V, De l'élève à l'enfant
26
désormais comme incontournable quand il est question de pédagogie. Les modes de
transmission des connaissances, mais aussi le rapport symbolique au savoir s'en trouvent par
conséquent profondément modifiés :
Bien entendu, la situation a beaucoup changé, notamment parce que
l'enseignement a laissé la place à l'apprentissage : depuis les années 1970 c'est
l'apprenant qui occupe le devant de la scène, les psychologues et les didacticiens
se concentrant sur ses besoins, ses motivations, attitudes et processus
d'apprentissage. En effet, l'ambiance dans la classe s'est détendue et les pratiques
se sont assouplies, ouvrant la voie à une pédagogie de découverte, à la
participation active de l'élève et, pourquoi pas vu le fait que l'apprentissage peut
maintenant rimer avec plaisir, à l'exploitation « moderne » de l'humour comme
véritable outil pédagogique67.
L'humour apparaît donc bien comme un outil possible au service de l'apprentissage.
3- On ne peut pas rire partout (humour, école et éducation)
Malgré les travaux de certains chercheurs (Bariaud, Tessier, Lethierry, Chenouf), l'humour
demeure un sujet d'étude relativement confidentiel dans le cadre des sciences de l'éducation en
France : l'essentiel des recherches disponibles sur la question relève du champ de la
psychologie, notamment cognitive, et /ou est issu de la recherche nord-américaine.
Il semble cependant que l'humour pénètre progressivement l'institution scolaire, en tout cas en
ce qui concerne les outils proposés. Un rapport de la Documentation Française (IGEN) de
1998 sur les manuels scolaires relève en effet que « les manuels de l’école primaire comme
ceux du collège sont parfois envahis par des images à visée humoristique. Les personnages de
bande dessinée multiplient les clins d’oeil au lecteur. »68 Ces pratiques humoristiques n'en
demeurent pas moins marginales.
Par ailleurs, on constate dans le même temps que le recours à l'humour se développe de
manière remarquable dans les produits éducatifs et culturels à destination du jeune public
(littérature69, albums70, documentaires mais aussi émissions de télévision, CD-roms, presse...).
, Ecole de la République contre Education nouvelle (INRP, Paris, 2006)
67 TEE ANDERSON P., « L'humour dans la didactique des langues vivantes : hier, aujourd'hui et demain »,
Deux mille ans de rire (ss dir. de M. Madini), Presses univ. de Franche-Comté, 2002, p.323.
68 BORNE Borne, Dominique. Le manuel scolaire. (Paris : Documentation française, juin 1998), p.11.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/994000490/0000.pdf
69 Voir PERRIN R., Un siècle de fiction pour les 8 à 15 ans (1901-2001), L'Harmattan, 2008.
70 CHENOUF Y., Lectures expertes : de l'humour. Paris : Association française pour la lecture, 2008.
27
Il s'agit d'un phénomène massif, qui dépasse les frontières de genre ou d'âge, et qui caractérise
le champ de l'éducation informelle. Nous y reviendrons à travers l'exemple des
documentaires.
Si les besoins de l'enfant et les spécificités de son développement affectif et cognitif
sont désormais mieux connus, et ont permis une évolution à la fois dans les pratiques
pédagogiques et dans la manière dont est envisagé l'apprentissage, l'humour, lui, ne semble
pas encore véritablement reconnu... Dans le cadre scolaire institutionnel tout au moins. En
revanche, en ce qui concerne le champ plus large de l'éducation, les propositions (qu'il s'agisse
de documentaires, de périodiques, ou encore du multimédia) sont plus innovantes. Et même si
F. Ballanger71 rappelle que l'on ne saurait opposer « une technique rigide d'acquisition des
connaissances » (qui serait incarnée par le manuel scolaire), à un « espace ludique des
connaissances du monde du dehors », dont le documentaire serait une image, l'observation des
productions relevant de ce second champ nous offrira cependant un terrain d'analyse plus
riche en ce qui concerne l'humour.
71 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la
jeunesse
:
applications
à
la
préhistoire
(journée
d'étude
du
PIP,
2002) . [En
ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm
28
II- LE DOCUMENTAIRE, TERRAIN D'OBSERVATION PRIVILEGIE DES
PRATIQUES HUMORISTIQUES
Une réflexion sur le documentaire renvoie nécessairement à la question de la vulgarisation
scientifique, et à la manière dont elle est envisagée, en fonction du projet éditorial de chaque
ouvrage. Par ailleurs, le documentaire, de par sa nature plurigraphique (texte, image...) permet
de s'interroger sur la place de l'image dans le discours de vulgarisation, et d'en observer les
illustrations concrètes dans les productions actuelles.
A- La nature du projet documentaire
La question de la vulgarisation est au coeur même des projets éditoriaux des documentaires.
Elle renvoie aux théories implicites de l'apprentissage et à la perception par les éditeurs des
besoins de l'enfant.
Or, dans les documentaires pour la jeunesse, la vulgarisation a aujourd'hui une double
dimension (Jacobi, 2005) : elle est la reformulation d'un discours scientifique (ce qui pose des
questions en terme de véracité, de traduction du vocabulaire technique et de simplification des
concepts...) ; mais elle est également une tentative d'éducation non formelle 72.
L'observation des pratiques humoristiques s'articule donc nécessairement avec une réflexion
sur les choix de vulgarisation qui ont été opérés dans les ouvrages, d'autant plus que ces
pratiques se développent largement depuis 30 ans. Jacobi écrit à ce propos : « La préférence
qu'on observe assez souvent pour des illustrations du type « figurabilité de la science » dans la
v.s. [vulgarisation scientifique] (à la courbe est substitué un dessin humoristique) est une
indication précieuse et qu'il faudra prendre en compte pour construire une sémiotique du
discours de v.s. »73.
On pourrait certes distinguer ici la vulgarisation pédagogique et la vulgarisation médiatique,
dont relève le documentaire jeunesse, puisque leurs objectifs sont par essence différents : s'il
s'agit de transmettre des connaissances, et de participer à une certaine forme d'éducation dans
72 Cette expression recouvre l'ensemble des activités ou programmes organisés en dehors du système scolaire,
mais dirigés vers des objectifs précis d'éducation.
73 JACOBI D. « Sémiotique du discours de vulgarisation scientifique », Semen, 02, De Saussure aux média,
1985, [En ligne], mis en ligne le 21 août 2007. URL : http://semen.revues.org/document4291.html.
29
les deux cas, l'influence de la dimension marchande, inhérente à la vulgarisation médiatique
n'est cependant pas à négliger. Il n'empêche que les procédés mis en oeuvre dans ces deux
formes de vulgarisation ne diffèrent pas fondamentalement, et que cette question, si elle ne
saurait être occultée, ne nous semble pas nécessiter pour le sujet qui nous occupe, une
distinction particulière.
B- Un message plurigraphique (Jacobi)
1- Le rôle du paratexte dans le discours
Le document de vulgarisation scientifique est un message plurigraphique : aux mots du texte
sont ajoutés des éléments visuels d'accroche, de mise en page et de mise en scène, le
« cotexte » (Jacobi, 1987), ainsi qu'une iconographie généralement abondante. L'articulation
de tous ces éléments qui constituent le « paratexte » avec le discours textuel, favorise, comme
nous allons le voir, la construction du sens.
a- Place des images au sein du discours de vulgarisation
Dans les documents de vulgarisation scientifique, les images tiennent un rôle particulier au
sein du paratexte. Les documentaires se présentent en effet presque toujours comme des
documents scripto-visuels, où elles occupent une place centrale. Certains documentaires,
notamment pour les plus jeunes, s'apparentent même plutôt à des albums ou à des imagiers
légendés : la lecture est alors organisée autour et à partir des illustrations. De même,
l'apparition depuis quelques années de documentaires réalisés sous forme de bandes dessinées
constitue un exemple remarquable de cette imbrication des éléments textuels et iconiques dans
le discours. Les figures du discours de vulgarisation scientifique sont donc à la fois
rhétoriques et figurales, et se combinent pour permettre la construction du sens. « Aux tropes
qui parcourent le texte, écrit Jacobi, répondent des images qui s'articulent avec le discours »74.
Cette articulation avait déjà été perçue par Johann Amos Comenius au début du 17ème siècle,
auteur du célèbre Orbis sensualium pictus, publié pour la première fois à Nuremberg en 1658.
Ce livre, qui constitue peut-être le premier documentaire à destination de la jeunesse visait à
présenter l'univers et tous ses éléments aux jeunes lecteurs, afin de les sensibiliser à l'action du
74 JACOBI Daniel, « Sémiotique du discours de vulgarisation scientifique », Semen, 02, De Saussure aux
média, 1985, [En ligne], mis en ligne le 21 août 2007. URL : http://semen.revues.org/document4291.html.
30
Créateur. Pour cela, il proposait de nombreuses reproductions de gravures sur bois. De plus, le
texte s'articulait autour d'une trame narrative, composée à la manière d'une promenade dans la
Création, qui renvoyait aux illustrations représentant des animaux, numérotées et légendées.
L'Orbis constituait donc un outil pédagogique offrant une démarche culturelle qui nous est
encore familière.
b- Une mise en espace productrice de sens
L'articulation du discours textuel et iconique, qu'évoque Jacobi, est sensible dans
l'organisation structurelle des pages documentaires : souvent conçues autour d'une double
page, avec des allers-retours constants entre le texte (généralement sérieux), et tout ce qui
constitue le paratexte : les titres, les phrases en marge, le lexique... ainsi que, bien entendu, les
illustrations. L'organisation du document scripto-visuel, sa spatialisation, résulte d'une mise en
espace productrice de sens ; citons ici encore Jacobi : « La continuité du texte, son
cloisonnement entre des masses illustrées, les renvois du discours à l'image, tout vise à
accrocher l'attention du lecteur, à baliser le cheminement de l'oeil »75. A la notion de "direction
artistique" appliquée au document de vulgarisation scientifique, Jacobi préfère celle de
"grammaire de géométrie", qui illustre mieux le croisement harmonieux du texte et de
l’image, au service de la mémoire implicite du lecteur.
2- Fonction des images et procédures de visualisation de la vulgarisation
Du fait de leur nature faiblement structurée, les images sont un support polysémique et souple,
un « bric-à-brac sémiotique » (Tardy, 1975). Elles offrent par conséquent une grande diversité
d'emploi. L'image, employée dans un cadre de vulgarisation scientifique, recouvre ainsi un
certain nombre de fonctions qui ont été recensées par Jacobi. Il distingue ainsi des fonctions
principales : information, visualisation, transposition ; mais aussi des fonctions secondaires :
accroche, ornement, onirisme. Si nous ne reviendrons pas pour le moment sur ces dernières, il
nous semble cependant pertinent, du fait du caractère souvent graphique de l'humour dans les
documentaires, de revenir plus en détail sur les fonctions principales de ces images, qui
participent de la compréhension du discours scientifique.
75 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll.
"Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.113.
31
a- Fonction d'information
Dans le documentaire, le dessin fournit une grande part de l'information, apportant tout un
ensemble de détails qui ne sont pas nécessairement en phase avec la chronologie de l'exposé.
Ainsi, certains éléments du dessin ne trouveront leur explication par le texte que plus tard
dans la lecture, voire même, resteront sans explication. L'image peut donc apporter un
complément d'information, ajoutant par l'illustration du texte, des informations nouvelles,
notamment d'ordre visuel. Ainsi, la représentation graphique réaliste, d'un animal par
exemple, sera généralement plus exhaustive que sa description par les mots.
Les illustrations de type photographiques, ou relevant du dessin naturaliste, où la
ressemblance avec la réalité est recherchée, comme dans l'exemple ci-dessus 76, incarnent
préférentiellement cette fonction.
b- Fonction de transposition
De nombreuses images de vulgarisation scientifique sont basées sur le mécanisme de la
transposition, et fonctionnent donc par analogie. Ce phénomène renvoie à une idée centrale de
la vulgarisation : pour faire se faire comprendre du plus grand nombre, le vulgarisateur doit
rechercher des références accessibles à tous, et se tourne donc vers le vécu sensible,
« l'expérience commune la mieux partagée, et donc la plus connue, c'est-à-dire la sienne
propre »77.
76 Illustration tirée du documentaire « Fermes et campagnes », p.134.
77 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll.
32
Annie Pissard dans un article de la RLE consacré à L'histoire d'une bouchée de pain, livre de
vulgarisation scientifique de Jean Macé de 1861, qui avait déjà recours à cette stratégie pour
faciliter la compréhension, résume ainsi la fonction de la métaphore :
Transmettre un savoir n'est pas une chose facile ! Il faut souvent s'appuyer sur le
déjà connu. Peut-on s'appuyer sur le déjà connu scientifique ? C'est parfait. Hélas, la
plupart du temps, il faut raccrocher le scientifique à la vie quotidienne : c'est le
travail de la métaphore.78
Elle pointe cependant les limites de cette démarche, qui risque de conduire à des
simplifications excessives, ou à propager des représentations erronées... Une préoccupation
que partageait Colline Poirée, éditrice jeunesse chez Hachette à la même époque. Dans un
autre article de la même revue, elle témoigne de son expérience : « rien n'est plus difficile
dans le domaine de la vulgarisation, écrit-elle, que de trouver la métaphore juste. Celle qui ne
va pas donner une idée fausse ou se retourner contre vous et votre pensée deux chapitres plus
loin »79.
Le recours à l'analogie avec l'expérience individuelle aboutit à la mise en scène d'une nature
« animée », qui se traduit par la réification des objets ou des choses, l'animisation des
animaux. L'anthropocentrisme et le finalisme y prennent une valeur explicative essentielle.
Giordan et Martinaud, dans leur ouvrage sur la vulgarisation scientifique, soulignent
l'omniprésence dans les documentaires jeunesses du recours à l'anthropomorphisme. Ils en
distinguent deux manifestations : la représentation des organismes vivants en fonction des
besoins de l'homme, et la représentation de leurs comportements de manière analogique aux
comportements humains80, comme dans l'exemple ci-dessous81.
"Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.129.
78 PISSARD A., « Pain, chocolat... et aventure scientifique », supplément Science/technique/jeunesse n°17,
décembre 1985, (RLE n°105-106, Paris, 1985), p.83.
79 POIREE C., « Naissance d'un documentaire », (RLE n°105-106, Paris, 1985), p.49.
80 GIORDAN A. et MARTINAUD JL., Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation
scientifiques, Paris, Giordan et Martinand (éditeurs), 1986, p.28.
81 Illustration tirée de « Des bêtes qui crachent, qui collent, qui croquent à la mer », p.39.
33
Cet anthropomorphisme s'accompagne bien souvent d'une « gulliverisation » de l'univers
(Durand, 1976)82 : la vulgarisation à destination des enfants met en effet généralement en
scène un monde extraordinaire, du fait de l'animisation/ l'humanisation des éléments du réel
(microbes, animaux, végétaux...). Ceux-ci sont incarnés sous forme de petits personnages,
souvent informes, qui renvoient au folklore ou à l'imagerie populaire. Cette transformation
introduit du merveilleux, de la magie et de l'irrationnel dans le projet de vulgarisation
scientifique... au risque parfois de brouiller le message scientifique.
Illustration extraite de Les secrets de la cuisine (Youpi, Bayard Jeunesse,
2008)
Cet artifice permet cependant de provoquer l'intérêt et de motiver le récepteur, en lui
proposant des images dans lesquelles il peut se reconnaître et s'identifier. La gullivérisation,
en favorisant l'identification anthropomorphique, permet en effet de rapprocher l'univers
abstrait (notions, concepts) de la réalité sensible et perceptible. Giordan et Martinaud y voient
un « revêtement »83 derrière lequel est dissimulé le contenu scientifique, au même titre que le
82 DURAND G., Les structures anthropologiques de l'imaginaire, (Paris, Bordas, 6ème édition, 1979).
83 GIORDAN A. et MARTINAUD JL., Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation scientifiques,
Paris, Giordan et Martinand (éditeurs), 1986, p.31.
34
recours fréquent au schéma narratif dans ces ouvrages.
c-Fonction de visualisation
Certaines images des ouvrages de vulgarisation scientifique relèvent d'un système de pensée
strictement visuel (et donc une communication non-verbale), et court-circuitent l'étape du
détour langagier. La traduction d'une notion ou d'un concept se fait alors par le truchement
d'une image, intuitive ou empruntée à une série, issue du potentiel d'images mentales. Ce type
d'images permet de figurabiliser un concept abstrait 84.
Afin d'analyser le travail du vulgarisateur à ce niveau, Jacobi s'appuie sur la théorie du rêve
proposée par Freud pour tenter de décrire la transformation d'une idée en images :
De la même façon que le rêveur qui travestit une pensée latente en image (pour
qu'elle franchisse la barrière de la censure), le vulgarisateur tente parfois de
transposer le concept en une image, en une pensée visuelle, en un signifié
figurabilisé.85
Par analogie avec le travail du rêve, il considère que la traduction de la pensée (abstraite) en
une image (visuelle) repose sur un triple mécanisme : la condensation, le déplacement et la
prise en compte de la figuration.
Jacobi souligne par ailleurs le rôle des images réalistes-grotesques86 dans ce cadre. Ces
84 « La prise en considération de la figurabilité » est d'ailleurs une expression employée par Freud pour décrire
le travail du rêve, et renvoie à la manière dont « une pensée qui existait sous la forme optative est remplacée
par une image actuelle » (Jacobi, op. cité, p. 138)
85 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll.
"Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.138.
86 Il ici reprend une notion empruntée à Bakhine, à laquelle se réfèrent également Giordan et Martinand dans
Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation scientifique (p.24)
35
images, « à la fois réalistes et absurdes, surprenantes et grotesques, ressemblantes et
invraisemblables »87 jouent en effet rôle dans la figurabilisation des concepts : « l'image
réaliste-grotesque mime les notions abstraites. Elle les installe dans le plan du familier, du
quotidien connu »88. Elle est en outre spontanément déchiffrable, et agit sur l'affectivité... ».
Or, il existe un lien possible entre l'humour et les images réalistes grotesques. Le grotesque,
qui renvoie au comique de figures et de situation, est en effet propice à des représentations
humoristiques. Jacobi rappelle en outre que ces images ont souvent une dimension triviale très
affirmée89.
Dans une perspective de vulgarisation, cette fonction de l'image, que Tardy (1975) qualifiait
de « médiateur intersémiotique »90 est donc centrale. Elle est donc un procédé essentiel de la
vulgarisation, et interroge l'articulation texte-image au sein de ces documents.
C- Le documentaire, un genre en évolution
Nous reprendrons ici la définition du genre documentaire telle que la propose N. Robine dans
son analyse des documentaires pour la jeunesse :
On pourrait définir les publications documentaires comme celles qui sont susceptibles de
fournir un apport informationnel, issu de la réalité et intégrable à des connaissances déjà
acquises, en vue soit de former avec elles un savoir culturel, soit de susciter ou d'assouvir
une curiosité de type scientifique.91
Elle souligne par ailleurs la double difficulté de classification que pose ce type d'ouvrages du
fait d'une part du « découpage de la réalité » qu'opèrent les ouvrages documentaires, qui ne
correspond pas toujours à des disciplines d'enseignement scolaire ou professionnel. Elle
invoque d'autre part la difficulté à démêler, dans certains cas, les fils du documentaire de ceux
de la fiction.
87
88
89
90
Op. cité, p.138
Op. cité, p.141
Op. cité, p.139
Cette médiation par l'image fait référence à la fonction de « transmutation » (traduction intersémiotique, avec
changement de système) définie par Jackobson (1963) dans sa typologie des traductions .
91 ROBINE N., « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse », BBF, 1982, n° 9-10, p. 545-551 [en
ligne] <http://bbf.enssib.fr/>
36
1- Explosion du genre documentaire dans les années 1980
a- Le développement de l'édition jeunesse
Le secteur du livre jeunesse a connu en France une progression remarquable au cours de ces
vingt dernières années, supérieure à la moyenne de l'activité éditoriale. Il représentait ainsi en
2007 11,3% du chiffre d'affaires global de l 'édition française92, se classant en cinquième
position des catégories éditoriales. Les ventes d'exemplaires, quant à elles, représentent pour
la même année 17,2% des ventes globales de l'édition française, « soit 80,8 millions
d'ouvrages sur les 496,7 millions produits » (Inhas et Defourny93 ).
Ce développement a favorisé l'émergence de nouveaux éditeurs (Etre, T. Magnier, Mouck...).
Cependant, une quinzaine d'entre eux (qui représentent neuf entités) assurent aujourd'hui à
eux seuls 72% des ventes94 (chiffres 2006), dont plus de la moitié est assurée par les quatre
premiers groupes : Hachette, Editis (Nathan, Pocket, Hemma), Bayard (Milan) et Gallimard.
On constate donc une concentration importante depuis une quinzaine d'année dans le secteur
du livre d'enfance et de jeunesse. Malgré cela, le paysage de l'édition jeunesse ne s'inscrit que
dans une situation « d'oligopole partielle », notamment du fait de l'importance symbolique (et
de la position novatrice) de petits éditeurs tels Etre, Rue du monde, l'Atelier du poisson
soluble95... »
b- Le secteur documentaire
Les années 1980 constituent un âge d'or pour le documentaire jeunesse. Elles voient en effet la
naissance de collections qui font encore souvent référence à l'heure actuelle. De nombreux
éditeurs jeunesse développent alors des collections de documentaires, dont certaines sont
innovantes de part leurs sujets ou leur format (Carnets de sagesse, chez Albin Michel ; Regard
d'aujourd'hui, chez Mango ; Oxygène et Hydrogène, chez De La Martinière jeunesse ;
J'accuse !, chez Syros ; les Essentiels junior ou les Goûters philo, chez Milan ; Castor doc,
chez Castor poche Flammarion …).
Citons à ce propos l'exemple du travail initié par Pierre Marchand au sein des éditions
92 Source Enquêtes statistiques de branche, menées annuellement par le SNE (syndicat national de l'Edition)
93 INHAS L., DEFOURNY M., Situation de l'édition francophone d'enfance et de jeunesse (L'Harmattan, Paris,
2008), p. 11.
94 Cf C. COMBET, « Salon de Montreuil : la jeunesse à l'heure 'internet », Livres Hebdo n° 711, 23 novembre
2007, pp. 70-82.
95 INHAS L., DEFOURNY M., Situation de l'édition francophone d'enfance et de jeunesse (L'Harmattan, Paris,
2008), p. 11.
37
Gallimard d'abord puis chez Hachette :
Lorsque Pierre Marchand crée en 1972 le secteur jeunesse de Gallimard, il lance aussitôt de
nombreux chantiers, tant dans le domaine de la fiction que celui du documentaire :
Découverte Cadet en 1983, Découverte Benjamin en 1984, et surtout la fameuse collection
encyclopédique de poche, destinée tout d'abord à la jeunesse : Découvertes, traduite en 19
langues et vendue à plus de 15 millions d'exemplaires, puis adoptée par les grands
adolescents et les adultes. Suivent d'autres collections « historiques », attrayantes et ludiques
grâce à une iconographie très soignée : Mes premières découvertes (1989) : les petits livres
carrés à spirale, dotés de feuillets transparents illustrés recto verso, puis Découverte junior, en
1990. En 1999, Pierre Marchand part chez Hachette où il continue de défendre le secteur
documentaire, avec notamment la collection Phare, très largement illustrée et accessible grâce
à son prix bas.96
Les facteurs qui expliquent cette explosion sont d'abord liés au développement de la coédition et de la traduction, qui réduit les frais de conception et limite les risques éditoriaux.
Soulignons à ce propos l'importance de l'ouverture aux auteurs japonais, qui, selon C.
Hervouët97, ont renouvelé l'approche du documentaire, notamment en biologie, en utilisant un
langage direct, et en s'intéressant à des aspects jusqu'ici négligés par les auteurs de
documentaires (la putréfaction, l'invisible ou le microscopique...). La collection « les yeux de
la découverte », emblématique de cette période, est ainsi le fruit de la collaboration de P.
Marchand et de l'éditeur anglais Dorling Kimberley.
Elle est par ailleurs liée aux évolutions techniques de l'édition, qui permettent d'éditer à des
coûts raisonnables des livres en couleur à la production soignée, et de multiplier les
possibilités ludiques de ces ouvrages : livres animés, livres à toucher ou livres boites à outils
(Découvertes Gallimard, Tes questions sur..., Bayard, collections RMN...). Comme le résume
Robine, « Les livres scolaires sont devenus jolis ; pour plaire, les documentaires doivent être
plus beaux encore »98. Leur qualité esthétique devient donc l'objet d'une attention particulière,
et l'on constate le développement d'un marketing de plus en plus élaboré.
Ce développement est enfin lié à l'émergence de nouveaux thèmes, en phase avec les modes
de vie (développement du voyage, accès privilégié à l'information, place de l'image) et les
questionnement sociétaux actuels : collections traitant de psychologie (Max et Lili, collection
PhiloZenfants chez Nathan,...), d'ethnologie et de cultures étrangères (Enfants du monde,
Mango), d'histoire des sciences (Mouck)...
96 GENTILE C., GODART P., « La disparition programmée du documentaire jeunesse, ou le triomphe de la
gratuité '' culturelle '' », 2008, Ricochet, [En ligne], mis en ligne le 05/11/08. URL :http://www.ricochetjeunes.org/articles-critiques/article/1-la-disparition-programmee-du-documentaire-jeu. Consulté le 25 novembre
2009.
97 HERVOUET C., « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse : un genre, une offre éditoriale », (compterendu de la journée professionnelle des professeurs-documentalistes, 20 mai 2009), p.4.
98 ROBINE N., op. cité, p.7
38
c- Les caractéristiques du documentaire jeunesse
Les documentaires adoptent des formes nouvelles, plus attrayantes, qui sont proches de celles
des albums. C'est également à cette période que se développe de manière spectaculaire une
mise en page qui utilise systématiquement la double-page, procédé encore omniprésent
aujourd'hui. Au-delà d'une simple convenance de forme, c'est bien une modification
essentielle, liée à la structure de l'information, qui s'opère alors. La multiplication des entrées
et l'éclatement du discours
(avec une hétérogénéité importante des éléments de texte)
nécessite en effet du lecteur un travail de hiérarchisation et de mise en lien des informations
proposées... et par là-même, une nouvelle manière d'appréhender le savoir. Ainsi, F. Ballanger,
insiste sur la nécessité d'une éducation à la lecture documentaire, qui incite les jeunes lecteurs
à apprendre à identifier les éléments répétitifs qui structurent ces doubles pages 99.
Cette mutation s'accompagne d'une évolution de la relation texte-image, cette dernière prenant
une importance croissante dans les documentaires, notamment avec l'introduction de photos et
d'images détourées. Ce développement de la dimension visuelle du documentaire modifie
également la manière dont les connaissances scientifiques sont présentées au lecteur.
2- Le déclin actuel
« En 2007 le secteur de la jeunesse a vu sa production augmenter de 10,4 % 100 : 7713
nouveautés et nouvelles éditions de titres anciens ont été publiées. Cependant, les disparités
sont grandes : la fiction représente 63,8 % du total des titres tandis que le documentaire et le
livre d'éveil occupent une place de plus en plus réduite. Ainsi, le nombre de nouveaux
documentaires publiés en jeunesse a baissé de 13 % entre janvier 2007 et janvier 2008 :
Depuis une dizaine d'années, la fiction est devenue le secteur phare
de l'édition jeunesse, avec 41 % du marché, alors que le secteur du
documentaire ne représente plus que 9 % des ouvrages édités. La
grande vague dynamique et novatrice des années 80 sur le
documentaire, initiée notamment par Gallimard et Pierre
Marchand, Nathan, Milan ou Casterman, est en nette régression
aujourd'hui. Le livre documentaire pose des problèmes très
particuliers de qualité de l'information, de coédition internationale,
de coût et il est aujourd'hui très fortement concurrencé par
l'Internet.»
(…) Très peu d'innovations voient le jour, de nombreuses
collections stagnent ou disparaissent. L'offre et la diversité se
raréfient, même si certains sujets de société émergent : l'écologie ;
la citoyenneté ; l'éducation à la sexualité et au vivre ensemble... 101
99 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la
jeunesse
:
applications
à
la
préhistoire
(journée
d'étude
du
PIP,
2002) . [En
ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm
100 Sources : Livres Hebdo, le dossier Le marché du livre, 11/04/2008
101 GENTILE C., GODART P., « La disparition programmée du documentaire jeunesse, ou le triomphe de la
gratuité '' culturelle '' », 2008, Ricochet, [En ligne], mis en ligne le 05/11/08. URL :http://www.ricochet-
39
Parallèlement, on constate une concentration sensible : cinq maisons (Nathan, Fleurus,
Gallimard, Milan et Larousse) assurent à elles seules 65% de la production documentaire en
2006.
D- Le documentaire, un champ de recherche peu exploré
D'une manière générale, le documentaire reste un champ d'étude peu exploré. En 1982, N.
Robine102 déplorait déjà la rareté des publications critiques sur la question, et le retard de la
recherche dans ce domaine, concluant de cet était de fait qu'il « n'(était) pas étonnant que la
bibliographie sur le documentaire soit si pauvre ». Si la situation (notamment en ce qui
concerne la recherche) a évolué depuis, les publications critiques demeurent rares, et le
documentaire reste souvent secondaire dans le travail d'analyse.
Par ailleurs, la critique de ce type d'ouvrages est généralement laissée aux scientifiques. Or
s'ils constituent des garants en termes de véracité du discours proposé, leur approche critique
scientifique peut ignorer certaines dimensions d'analyse (pédagogiques, psychologiques...) des
ouvrages proposés. D'où l'intérêt, comme le défend Jacobi 103, de promouvoir une recherche
pluridisciplinaire en matière d'éveil à la science pour les enfants.
Enfin, comme nous l'avons évoqué précédemment, les travaux sur l'humour sont
essentiellement le fait de la recherche anglo-saxonne (et notamment nord américaine), et
relèvent généralement plutôt de la psychologie cognitive, que des sciences de l'éducation.
Quant à la question particulière de l'humour, si elle a été abondamment traitée dans certains
champs de la littérature jeunesse (Chenouf, 2008, Bariaud, 1995), elle reste peu développée en
ce qui concerne le documentaire. Les recherches l'abordent d'une manière générale, et
uniquement pour en faire le constat de ce qui apparaît aujourd'hui comme « tendance de
fond»104.
jeunes.org/articles-critiques/article/1-la-disparition-programmee-du-documentaire-jeu. Consulté le 25 novembre
2009.
102 ROBINE N., « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse », BBF, 1982, n° 9-10, p. 545-551 [en ligne]
<http://bbf.enssib.fr/>
103 Id, p. 40
104 HERVOUET C., « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse : un genre, une offre éditoriale », CR des
Journées Professionnelles des professeurs documentalistes, mai 2009, p.3
40
PROBLEMATIQUE
En tant qu'objet de vulgarisation, le documentaire apparaît donc comme un terrain
privilégié pour observer les rapports entre humour et apprentissage. Tout en apportant un
éclairage complémentaire sur une question encore trop peu explorée, il nous informe au-delà
sur les conceptions et les pratiques actuelles de la vulgarisation scientifique.
L'objet de ce travail de recherche est donc d'analyser un corpus d'ouvrages documentaires
humoristiques à travers la grille de lecture particulière que constitue l'humour, afin d'observer
comment il y est utilisé en tant qu'outil éducatif au service de la vulgarisation scientifique.
Pour aborder cette problématique, nous nous sommes intéressés à trois questions : quelle
place et quelles formes lui sont-il assignées ? Quelles fonctions remplit-il, en articulation avec
les objectifs de transmission des connaissance, d'éveil et de développement de la pensée
réflexive, qui sont aujourd'hui ceux du documentaire jeunesse ? Enfin, de quelle manière
contribue-t-il à modifier le regard porté sur la science et sur la relation au savoir de manière
plus générale ?
HYPOTHESE 1 (rôle du contrat de lecture)
Nous faisons l'hypothèse qu'au sein de ces documentaires, l'emploi de l'humour relève d'un
contrat de lecture implicite, sensible à travers les règles qui régissent son utilisation. Cela se
traduirait par la présence d'éléments qui facilitent son identification : d'une part une relative
homogénéité des formes humoristiques employées au sein de chaque documentaire (formes et
places récurrentes), et d'autre part la présence d'indices formels qui souligneraient la présence
de l'humour.
HYPOTHESE 2 (fonctions de l'humour)
Nous faisons l'hypothèse que dans les documentaires à destination de la jeunesse que nous
observerons, l'humour participe au projet de vulgarisation. Dans ce cas, ses manifestations
doivent témoigner des mêmes objectifs que celui-ci, tels que les a définis Jacobi (2005), soit à
la fois la présentation d'un discours scientifique et un outil d'éducation non formelle.
– Cela implique d'une part que l'humour soit utilisé en tant qu'outil pédagogique,
41
agissant à la fois sur les dimensions cognitives de l'apprentissage et sur ses
composantes affectives (H2-a). Nous supposons donc la présence d'éléments
humoristiques qui portent sur les connaissances elles-mêmes, et qui jouent un rôle
au niveau cognitif (fonctions d'apprentissage de l'humour), mais aussi de formes
qui remplissent indirectement cette fonction en agissant sur les facteurs affectifs
(fonctions climatiques de l'humour). Cela témoignerait de la prise en compte des
facteurs affectifs inhérents aux apprentissages.
– Cela suppose d'autre part que l'humour joue également un rôle éducatif, au-delà de
la simple transmission de connaissances. Nous faisons par conséquent l'hypothèse
que l'humour, parce qu'il est un outil de décentration et qu'il favorise le recul
critique, remplit des fonctions de type métacognitif (H2-b). Il deviendrait alors
un outil de construction identitaire.
HYPOTHESE 3 (repenser le rapport au savoir et à la science )
Nous supposons enfin que cette intégration de l'humour dans le projet de vulgarisation
scientifique témoigne d'une volonté d'adapter le discours au jeune lecteur à qui il s'adresse.
L'humour favoriserait alors une relation de proximité avec le savoir et la science (H3).
42
III- LE DISPOSITIF DE RECHERCHE PROPOSE
A- Enquête exploratoire au fil des sélections de la RLE
1- Les « sélections annuelles » de la Revue des Livres pour Enfants (RLE)
La Joie par les Livres, centre national de littérature pour la jeunesse, publie chaque année 105
une sélection d'ouvrages pour la jeunesse, choisis parmi l'ensemble des nouveautés éditées.
Elle est établie par des professionnels du livre (bibliothécaires, documentalistes) mais aussi de
l'éducation et de l'enfance (chercheurs, enseignants). Reposant sur l'activité de lecture et
d'analyse critique menée par la bibliothèque Nationale de France et le Centre National du
Livre Jeunesse dans le cadre de « La Joie par les Livres » en collaboration avec des
partenaires extérieurs (professionnels du livre, éditeurs, chercheurs...), elle constitue donc un
outil de référence pour tous ces acteurs. Elle est élaborée à partir de l'ensemble de la
production d'une année. Ainsi, sur l'ensemble de la production 2009, qui rassemble presque 10
000 ouvrages, tous genres confondus, c'est tout de même plus de 800 livres qui sont présentés
(dans les notices qui reprennent les critiques proposées dans chaque numéro de la Revue des
Livres pour Enfants), dont plus de 150 pour le documentaire. Ces sélections annuelles de
documentaires constituent donc un échantillon transversal, intégrant un certain nombre de
variables (éditeurs, thèmes abordés, âges visés).
Ces sélections ne retiennent cependant que les titres considérés comme les plus intéressants
ou les plus novateurs dans tous les domaines. La présentation de la sélection 1999 affiche
ainsi explicitement ses ambitions en la matière :
Il s'agit de proposer quelques repères au sein d'une production éditoriale caractérisée
par son importance quantitative mais aussi par sa diversité et sa qualité très inégale,
pour permettre d'offrir aux jeunes lecteurs les titres les mieux à même de leur faire
découvrir les multiples plaisirs de la lecture : nous nous sommes donc efforcés de
retenir les ouvrages où s'expriment au mieux la liberté et l'originalité des créateurs et
qui s'adressent avec justesse à la curiosité et à la sensibilité des enfants ou des
adolescents.106
… Car la RLE revendique la subjectivité de ses choix. Dans l'entretien qu'elles nous ont
accordé, C. Rosenbaum et C. Hervouët, responsables éditoriales à la RLE, ont largement
105 « Sélection annuelle » publiée dans la Revue des Livres pour Enfants (BNF, Paris) depuis 1976, et
auparavant dans le Bulletin d'analyses de livres pour enfants (sélections de 1965 à 1975).
106 « Sélection 1999, Présentation », RLE n° 190, p.3
43
insisté sur ce point : « ces sélections ne prétendent pas proposer un reflet exact de la
production éditoriale, [...] mais elles sont une occasion de présenter des ouvrages qui
correspondent aux valeurs qui sont attachées [à cette revue] ». Chaque sélection est donc le
fruit d'un engagement militant. Ce parti-pris est clairement affiché dans chacun des Éditos.
Celui de la sélection 2009 témoigne ainsi des mêmes ambitions que celles affichées vingt ans
plus tôt (p.2) :
Il s'agit ainsi de faire émerger les nouveautés les plus intéressantes, celles qui reflètent
la diversité et la richesse de la création et qui, loin d'être de simples produits de
consommation, savent éveiller la curiosité, l'esprit critique, susciter le rire ou l'émotion,
enrichir l'imaginaire...
Néanmoins, cet engagement constitue un atout pour notre travail puisque l'humour est
justement une dimension à laquelle les rédacteurs de la RLE sont sensibles : il fait en effet
l'objet d'une réflexion approfondie107 et constitue un de ses centres d'intérêt, comme en
témoignent les éditos.
Par conséquent, ces sélections nous semblent fournir un indicateur précieux pour repérer et
analyser les nouvelles tendances considérées comme intéressantes par les professionnels de
l'éducation. Elles forment donc un corpus particulièrement adapté aux objectifs de notre
recherche, tant en ce qui concerne l'enquête exploratoire, que pour les analyses quantitatives
et qualitatives.
2- Objectifs de l'enquête exploratoire
Comme nous l'avons déjà évoqué, les frontières de l'humour et du comique sont mal
déterminées, et il est possible que ce flou se retrouve également dans la manière dont chacun
des rédacteurs des notices RLE appréhendent ces phénomènes. Comique et humoristique
peuvent en effet être parfois entendus comme synonymes.
C'est pourquoi nous avons retenu dans le cadre de ce travail une définition élargie de
l'humour, c'est-à-dire une entrée qui considère l'intention du producteur - auteur ou illustrateur
- comme critère de détermination fondamental de l'humour 108. Est ainsi considérée comme
humoristique toute production qui témoigne d'une volonté de faire rire ou sourire le lecteur.
Nous reprenons en cela la position adoptée par Bariaud dans son étude sur l'humour chez les
enfants, qui ne le limite pas à la résolution d'une incongruité 109, mais le définit plus largement
107 la Joie par les Livres organise d'ailleurs une rencontre à l'automne 2010 sur la question
108 Voir le paragraphe sur le rôle de l'intentionnalité dans la définition de l'humour et du comique (p.3)
109 « (…) nous ne considérons pas que la qualité de drôlerie s'attache intrinsèquement aux incongruités, même si
44
par le fait qu'il ait été proposé dans le but de faire rire. Cette approche nous a poussé à
associer aux formes humoristiques proprement dites110, certaines manifestations du comique,
qui présentent ce caractère volontaire, et poursuivent donc le même objectif : comique de
figure, de situation, mise en scène du scatologique ou des pulsions agressives
(mésaventures...), qui constituent les formes essentielles de l'humour enfantin 111.
En amont du travail d'analyse proprement dit, cette enquête a donc pour premier objectif de
définir les critères de constitution du corpus de recherche en déterminant les occurrences
significatives (c'est-à-dire qui renvoient à des documentaires humoristiques) – en plus de
« humour » ou « humoristique » - dans les notices de la RLE, support de notre recherche.
Elle a également pour but de vérifier la pertinence de la méthode retenue pour repérer les
occurrences humoristiques.
Cette dernière renvoie à la définition élargie de l'humour que nous avons présentée ci-dessus,
et constitue une démarche valable pour l'ensemble de notre recherche.
Nous avons défini deux conditions nécessaires pour qu'une situation puisse être considérée
comme humoristique :
– à la fois la présence d'une incongruité (visuelle ou textuelle), qui provoque de la
surprise chez le lecteur, ou la mise en scène de thèmes du « comique enfantin » tel
que Bariaud les a définis, et que nous avons rappelés précédemment.
– et dans le même temps la présence d'indicateurs humoristiques dans le contexte
d'énonciation. Ces indices de l'humour témoignent d'une intention explicite de
faire rire ou sourire, et permettent d'exclure les cas où est mis en scène du bizarre,
de l'étrange, et non pas de l'humour. Ils peuvent être textuels (changement de
registre de langue, recours au mode exclamatif...) ou graphiques (dessins de type
bande dessinée et non plus naturalistes, phylactères qui témoignent d'une
animisation des animaux ou d'une réification des choses...). Ils s'accompagnent
souvent d'indicateurs extra-discursifs (police d'écriture différente, trame de
fond...).
celles-ci ont très précocement le pouvoir, en certaines conditions, de susciter le rire ou le sourire » (La genèse
de l'humour chez l'enfant, p. 52)
110 c'est-à-dire, comme nous l'avons évoqué précédemment, celles qui nécessitent la découverte d'un secondsens sous-jacent, et la résolution de l'incongruité.
111 Voir à ce propos le paragraphe sur les thèmes de l'humour enfantin (I-A-4-b)
45
De la même manière, cette enquête exploratoire nous permettra d'expérimenter les outils qui
nous serviront pour la suite de notre travail, et notamment la grille des fonctions de l'humour
(correspondance entre les hypothèses liées à la revue de littérature et les pratiques réelles), et
de les adapter si besoin. Nous reviendrons sur cette dimension dans la partie consacrée à
l'élaboration des outils d'analyse de l'humour au sein des documentaires.
3- Dispositif retenu
Afin de répertorier les expressions des notices susceptibles de renvoyer à des pratiques
humoristiques, nous avons procédé à l'analyse de notices renvoyant à des ouvrages reconnus
comme humoristiques par des professionnels. Pour cela, nous avons demandé à deux
bibliothécaires spécialisées dans le livre de jeunesse de réaliser une sélection de
documentaires qu'elles considéraient comme « humoristiques » - dans le sens de cette
définition élargie - , parmi la liste complète, sans notices, des documentaires proposés par la
RLE depuis 10 ans... Ce qui correspond approximativement à l'âge des documentaires les plus
anciens de leur fond. Les documentaires qu'ils ont retenus – 25 au total- sont présentés dans
le document proposé en annexe 3.
Nous avons ensuite vérifié le contenu humoristique de ces documents en les soumettant à une
brève analyse (repérage des occurrences humoristiques graphiques ou textuelles en nombre
suffisant), qui s'est révélée concluante à chaque fois.
Le recoupement avec les notices RLE qui accompagnent ces documents nous a permis dans
un troisième temps de réaliser une liste de « mots-clefs » se référant à l'humour, et de
déterminer les champs lexicaux qui étaient associés à l'humour.
4- Les occurrences significatives
Comme l'on pouvait s'y attendre, la sélection des bibliothécaires renvoie essentiellement à des
documentaires définis dans les notices RLE par des termes qui relèvent des champs lexicaux
de l'humour et du comique112 .
Elle a cependant également fait apparaître d'autres ouvrages, effectivement humoristiques,
mais qui sont présentés dans les notices de manière moins explicite 113. La recherche et
112 Voir détail de l'analyse en annexe 1
113 Certains y sont en effet définis comme « farfelus », « fantaisistes », « saugrenus » (sélection 2004)
46
l'observation d'autres documents présentés en ces termes dans les notices a confirmé la
validité de ces entrées pour repérer les documentaires humoristiques 114.
Cela nous a amené d'une part à adopter une stratégie de recherche plus ouverte que le simple
repérage de mots-clefs préétablis, en élargissant les critères de sélection 115, et d'autre part à
nous intéresser, au-delà du strict champ lexical de l'humour, à celui du rire (« amusant »,
« loufoque »)... Car tous ces termes semblent en effet synonymes d'humour sous la plume des
rédacteurs.
Lors de notre entretien, C. Rosenbaum a détaillé le processus de rédaction des notices :
Les livres sont présentés de manière orale, lors d'échanges dans les comités de
lecture, puis les notices sont rédigées puis lues et re-relues. Même si ce n'est pas
formalisé, il y a toujours de fait une cooptation. Il existe une « culture maison »
qui amène à un consensus subjectif. Ce qu'on produit est forcément le reflet de
choix culturels, idéologiques. C'est le cas de tout travail critique.
... D'où, comme nous l'avions supposé, la possibilité d'un certain flou conceptuel dans les
définition de l'humour, puisque chaque rédacteur écrit librement, sans se référer à une grille
d'analyse (« les grilles ce n'est pas chez nous que vous les trouverez ») ou à un répertoire de
mots-clefs.
La question est plus complexe pour les mots relevant du champ lexical du plaisir. Les
bibliothécaires
ont
proposé
deux
documentaires116
qu'elles
considéraient
comme
humoristiques -ce qui a été validé par notre observation- mais dont les notices ne mentionnent
que le caractère agréable, et non pas humoristique. Cependant, l'analyse d'autres
documentaires présentés de la sorte117 dans les sélections RLE n'a pas véritablement validé
cette entrée. Les documents « agréables » ne se sont en effet révélés humoristiques, d'après
notre analyse, que dans quelques cas (6, sur un total de 34 documents).
C'est pourquoi nous ne les avons pas pris en compte pour notre recherche quantitative, au
risque de minorer en partie l'importance du phénomène humoristique. Malgré tout, pour la
composition du corpus 2009 et l'analyse qualitative, les documentaires qui relèveraient de ces
qualificatifs seront observés pour vérifier s'il convient ou non de les considérer comme nonsignificatifs pour notre étude.
114 Une rapide analyse nous a permis de vérifier que toutes les notices mentionnant le rire jusque dans sa
dimension d'étrangeté amusante (« farfelu ») renvoyaient effectivement à des documentaires humoristiques.
Cela nous a également permis d'ajouter dans le même ordre d'idée les occurrences « fantaisiste » et
« saugrenu », renvoyant à deux documentaires humoristiques de 2004.
115 Nous avons opté pour la prise en compte de tous les mots relevant explicitement d'un champ lexical donné.
116 L'Art en Bazar (Milan jeunesse, 2004) et Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ?, (Le
Pommier, 2009).
117 Voir annexe 2.
47
Enfin, le champ lexical du jeu (« ludique », « interactif »)118 a été exclu de la recherche, les
documents (19 au total) auxquels faisaient référence ces mots-clefs ne se révélant pas
humoristiques d'après notre analyse. Ils ont donc été considérés comme non-significatifs.
Les thématiques de l'humour et du rire se déclinent donc à travers un certain nombre
d'occurrences significatives, de mots-clefs, qui sont récapitulés dans la liste ci-dessous, et
auxquelles pourront éventuellement s'ajouter de nouvelles expressions qui relèvent des mêmes
champs lexicaux.
Liste récapitulative des occurrences indicatrices de l'humour (en gris, les champs
lexicaux pris en compte seulement pour la recherche qualitative):
Champ lexical
Occurrences rencontrées
Humour
« humour »
« humoristique »
Rire
« amusant »
« drôle »
« loufoque »
« farfelu »
« fantaisiste »
« saugrenu »
Plaisir
« agréable »
« attrayant »
« plaisant »
« séduisant »
5- Validation de la démarche de repérage de l'humour
L'enquête exploratoire a par ailleurs permis de vérifier la validité de notre méthode de
repérage des occurrences humoristiques. Pour cela, nous avons testé notre outil d'analyse sur
les documentaires dont le caractère humoristique faisait l'unanimité, c'est-à-dire sur ceux qui
étaient à la fois considérés comme humoristiques par les bibliothécaires et explicitement
118 Voir annexe 2.
48
présentés comme tels dans leur notice (23 ouvrages). Or, les résultats de cette analyse ont
concordé avec cette appréciation dans tous les cas. Cela nous a donc permis de considérer que
cette méthode était opérante.
B- L'analyse quantitative
1- Objectif et méthode de la recherche
Il s'agit d'esquisser un portrait évolutif du documentaire et de la place de l'humour en son sein
en comparant les sélections documentaires de la RLE depuis leur création.
Pour chacune des « sélections annuelles » qui constituent notre corpus, nous avons analysé
chacune des notices pour repérer les occurrences relatives à l'humour telles qu'elles ont été
répertoriées lors de l'enquête exploratoire. Cette étude longitudinale a pour objectif de
témoigner de la place occupée par les documentaires humoristiques dans les sélections, et
donc de la visibilité que la RLE leur offre.
2- Corpus RLE retenu
Cette entreprise bibliographique ayant débuté en 1967 – date de parution de la première
sélection du Bulletin d'analyse de livres pour enfants, ancêtre de la Revue des livres pour
enfants-, elle fournit naturellement un terrain d'observation de premier ordre pour analyser les
évolutions du genre documentaire, et s'inscrire ainsi dans une perspective historique.
Pour ce faire, nous avons extrait des sélections tous les cinq ans, en fonction des données
disponibles. A la sélection 2009, nouvellement parue (novembre 2009), nous avons donc
ajouté les sélections suivantes : 2004, 1999, 1994, 1989, 1984, 1978 (1979 inexistante), 1974
et 1967 (première sélection), soit un corpus regroupant au total neuf sélections annuelles.
49
3- Résultats et analyse
L'analyse de ces sélections de la RLE à intervalles réguliers permet d'observer la
multiplication des mentions relatives à l'humour au sein des notices RLE accompagnant les
documentaires. On constate en effet la multiplication des occurrences liées au rire (terme sous
lequel nous regroupons les mentions de l'humour et du comique), comme l'indique le
graphique ci-dessous.
Graphique 1: mention du rire (humour et comique) dans les notices RLE
Nombre total de
documentaires
dans la sélection
Occurrences liées
au rire
Mention du rire
(en pourcentage)
18%
16%
200
14%
12%
150
10%
8%
100
6%
4%
50
2%
0
0%
1967
1974
Année de sélection
1978
1984
1989
1994
1999
2004
Pourcentage d'occurrences
Nombre de documentaires
250
2009
1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Nombre total de documentaires dans 140
la sélection
119
47
115
108
210
122
226
154
Occurrences liées au rire
2
3
1
4
4
10
11
21
25
Mention du rire (en pourcentage)
1,4
2,5
2,1
3,5
3,7
4,8
9
9,3
16,2
En dépit des variations annuelles, le nombre de notices comportant ces mots-clefs progresse
donc régulièrement, passant de moins de 2% en 1967 à plus de 16% en 2009 (voir tableau en
annexe 3).
Aux mots-clefs recensés lors de l'enquête exploratoire, nous avons ajouté certaines
expressions qui relèvent du champ de l'humour ou du comique, mais qui n'étaient pas
apparues lors de ce premier travail. Il s'agit des occurrences suivantes : « une comédie »,
« avec ironie » (qui sont des registres de l'humour), ainsi que « cocasse», « irrésistible119 », et
« rigolo » (qui sont des synonymes de comique).
119 Dans l'expression « des dessins irrésistibles », qui sous-entend une dimension comique
50
Détail des occurrences liées au rire dans les notices des sélections RLE
1967
1974
1978
1984
1989
1994
1999
2004
2009
Humoristique 0
/ humour
1
0
2
2
5
6
10
18
amusant
0
2
1
apprendre en
s'amusant
1
2
2
1
4
4
drôle
1
0
0
1
0
1
1
0
2
Autres
occurrences
liées à
l'humour ou
au comique
1
0
comédie
0
0
0
1 ironie
1
saugrenu
1
fantaisist
e
1
cocasse
1 pour
rire
2 farfelu 1 irrésis1
tible
loufoque
1 rigolo
L'ambition de cette analyse reste modeste, puisqu'il s'agit d'un relevé portant sur une sélection
de documentaires et non sur l'ensemble de la production dans le domaine. Il ne s'agit donc pas
de tirer des conclusions sur l'ensemble de la production uniquement à partir de ces données.
Cependant, le constat de la mention de plus en plus fréquente de l'humour dans la présentation
des documentaires rejoint les analyses des acteurs de l'édition jeunesse qui font état de ce
phénomène... Citons ainsi Claudine Hervouët, de la Joie par les Livres qui lors d'une
intervention professionnelle120 au printemps 2009, soulignait cette tendance au recours à
l'humour dans l'offre éditoriale actuelle.
C- L'analyse qualitative
1- Objectif
Si l'analyse quantitative permet de dégager des tendances, elle ne rend cependant pas compte
des divers usages du phénomène qu'elle constate. C'est pourquoi suite à cette première
approche, nous avons procédé à une analyse qualitative de l'humour dans les documentaires
jeunesse.
Pour cela, nous nous sommes focalisés sur les documents présentés comme humoristiques ou
120 Journée professionnelle des professeurs-documentalistes (20 mai 2009), « Les documentaires pour la
jeunesse : un genre, une offre éditoriale » , en ligne. http://blog.crdp-versailles.fr/actudoc/index.php/
post/08/01/2010/Les-ouvrages-documentaires-pour-la-jeunesse-:-un-genre,-une-offre-éditoriale
51
comiques dans la dernière sélection proposée par la RLE (2009), et avons procédé à leur
analyse à l'aide de différents outils d'observation. Notre objectif était ici triple : il s'agissait
dans un premier temps d'observer les formes d'humour et de comique privilégiées (humour
graphique /textuel), puis de repérer leur place au sein du discours (intégration ou non au
discours principal). Pour cela, nous avons répertorié toutes les occurrences comiques et
humoristiques rencontrées au fil de la lecture de chaque documentaire grâce à la démarche
présentée précédemment (III-A-2), et validée par notre étude exploratoire. Enfin, l'analyse de
ces occurrences à l'aide d'une grille d'observation constituée pour l'occasion nous a permis de
dégager les fonctions assignées à l'humour dans les ouvrages du corpus.
Cet ensemble de données cherche ainsi à esquisser un état des lieux de ces pratiques, luimême mis en regard avec les discours de leurs éditeurs.
2- Corpus : la sélection RLE 2009
a- Une analyse des pratiques actuelles
Le choix de la sélection 2009 est lié à différentes raisons.
Il est d'abord lié à l'attention particulière dont témoigne la RLE pour les pratiques
documentaires innovantes. D'une manière générale, les ouvrages présentés dans ces
sélections, de par leur richesse et leur intérêt, nous ont donc semblé susceptibles de témoigner
des pratiques actuelles les plus novatrices en matière de vulgarisation scientifique, et de
fournir des informations précieuses sur la manière dont est utilisé l'humour dans ce cadre.
Quant au choix de l'année de sélection, il est d'abord la conséquence logique de l'objet de ce
travail, puisqu'il s'agit de proposer un état des lieux des pratiques contemporaines en matière
de vulgarisation humoristique. La sélection 2009, dernière en date, reflète donc l'actualité de
l'édition.
Il s'agit de plus de la sélection où les mentions de l'humour sont les plus nombreuses dans les
notices. Il semble donc probable que la variété des formes humoristiques proposées soit la
plus grande... D'autant plus que cette sélection apparaît dans un contexte de profonde
mutation du genre documentaire, liée à la concurrence d'Internet, qui lui impose un
renouvellement des ses pratiques121.
Là encore, il va de soi qu'une étude de la sorte, réalisée sur un nombre limité de
121 Voir GODARD PH, et GENTILE C., « La disparition programmée du documentaire jeunesse, ou le
triomphe de la gratuité culturelle », article paru sur le site Ricochet, 2008
52
documentaires, et sur une courte période, ne saurait prétendre à l'exhaustivité. Mais rappelons
que notre objectif est de proposer un instantané à un moment donné, en mettant cependant en
oeuvre des outils et des démarches qui puissent être généralisés à d'autres corpus par la suite.
b- Le corpus humoristique extrait de la sélection 2009 : Résultats
de la sélection par mots-clefs issus de l'enquête exploratoire
Dans cette seconde partie de notre recherche nous nous sommes donc concentrés sur les
ouvrages issus de la sélection 2009 de la RLE, et parmi eux, sur ceux dont la notice
mentionne le rire (humour et comique), en utilisant les champs et les mots-clefs sélectionnés
lors de la recherche exploratoire. Ont également été répertoriés les ouvrages dont la notice
évoque le plaisir, dont l'enquête exploratoire a indiqué qu'ils recouvraient possiblement des
formes humoristiques. Le tableau ci-dessous reprend les mots-clefs issus des notices de
chacun des documentaires sélectionnés, ainsi que les résultats de l'analyse de leur caractère
humoristique.
c- Les documentaires écartés de la sélection
Revenons dans un premier temps sur le cas du documentaire Dauphins et baleines (Kididoc,
Nathan) sélectionné a priori, puisque une page « amusante » est signalée dans la notice. Elle
propose un jeu de reconnaissance (type de mammifère, en fonction de la direction et du
nombre de ses jets) ludique mais non humoristique. L'analyse de ce document dans son
intégralité ne nous a pas confrontés à d'autres éventuelles formes humoristiques, ce qui ne
semble guère surprenant au vu de son projet éditorial (constituer une véritable « encyclopédie
de poche » comme l'indique la couverture), et de sa forme très classique. Nous ne l'avons
donc pas retenu dans notre sélection.
Abordons maintenant la question des documentaires présentés dans leur notice à l'aide de
termes relevant du champ lexical du plaisir (documentaires indiqués en jaune dans le tableau
de synthèse). Nous avons vu dans l'enquête exploratoire que ce type de qualificatif pouvait
parfois renvoyer à des documents de type humoristique. Trois documentaires de la sélection
2009 mentionnaient le plaisir, mais après une observation à l'aide des outils présentés cidessus, nous n'en avons retenu qu'un. Il s'agit de Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de
lunettes ? (Les albums du Pommier, Le Pommier) qui relève incontestablement du genre
53
humoristique... comme le laisse supposer son titre. L'humour y apparaît en effet dès la page de
couverture, où l'on voit une taupe qui se cogne contre les lettres constituant le titre.
En revanche les deux livres de la collection La petite galerie... de Calder/ de la Joconde (La
petite Galerie, Palette) présentés comme « séduisants » n'ont pas été retenus, leur attrait
consistant dans leur dimension ludique (rabats, caches...), soulignée par ailleurs dans leurs
notices, plutôt que dans la présence de comique ou d'humour (une seule occurrence notée pour
La Joconde).
Enfin, suite à l'analyse des ouvrages de M. Sasek (Casterman, réédition de 1960), dont toute la
série (6 documentaires) était évoquée dans une notice générale, nous avons fait le choix de
n'en retenir qu'un seul (New York), qui nous est apparu significatif de la démarche de Sasek
dans les formes d'humour proposées
Le corpus final comprend donc au total 21 ouvrages.
3- Les outils d'analyse
Un travail d'analyse de ce type se heurte immédiatement à une double difficulté : liée d'une
part à la variété extrême des formes documentaires (de l'album à l'encyclopédie) et des
thématiques (sciences humaines, physique, arts...), qui rend délicate la constitution de grilles
d'observation ; et d'autre part à la variété même des manifestations possibles de l'humour, du
fait de sa polysémie, comme nous l'avons déjà évoqué dans un paragraphe précédent.
C'est pourquoi nous avons choisi d'adopter une approche pragmatique, sans prétention à
l'exhaustivité mais qui permette l'observation des manifestations principales de l'humour et du
comique dans le contexte de la vulgarisation. Pour cela, il nous semblait nécessaire de
proposer un dispositif souple, c'est-à-dire un cadre d'analyse suffisamment ouvert pour
pouvoir prendre en compte l'essentiel des éléments humoristiques ou associés que nous étions
susceptibles de rencontrer au fil de l'analyse.
Remarquons enfin que cette enquête exploratoire a été l'occasion d'expérimenter les outils
d'analyse que nous avons utilisés par la suite. Elle nous a conduit d'une part à distinguer dans
les formes d'humour textuel que nous avons observé, l'humour relevant des textes de celui
présent spécifiquement dans les titres. Elle a d'autre part été l'occasion d'affiner la grille
54
d'analyse des fonctions. Celle-ci, qui a été réalisée à partir de l'ensemble des recherches
réalisées sur le rôle de l'humour dans les apprentissages 122, ne comportait en effet initialement
qu'une fonction métacognitive générale123. L'observation des documentaires réalisée lors de
cette enquête nous a amené à y distinguer les formes humoristiques qui relevaient de la
distanciation vis à vis des émotions et des sentiments, de celles qui renvoyaient à la réflexion
sur les savoirs présentés et sur la science en général.
Nous verrons par la suite comment ces outils ont été validés.
a- Modalités d'expression de l'humour
Il s'agit de définir les formes d'humour employées préférentiellement dans les ouvrages de
vulgarisation. Pour cela, nous avons observé les modalités d'expression de l'humour dans les
documentaires, afin de distinguer l'humour graphique (comique de figures, de situation...), de
l'humour textuel.
L'humour textuel englobe donc les titres humoristiques, ainsi que les éléments humoristiques
présents au sein du texte, qu'il s'agisse de formes présentes dans le discours principal, ou dans
des encadrés (exemples, cas particuliers).
Remarquons que, dans certains cas, l'humour, mis en scène dans un dessin, s'apparente à de
l'humour textuel parce que l'élément comique se situe uniquement dans ce qui est dit
(réflexion d'un personnage, dialogue...), comme dans l'exemple suivant, illustrant une doublepage sur le rôle des phéromones :
Illustration extraite de Pourquoi les taupes... (p36-37)
122 Voir la partie « Humour et apprentissage (I-B)
123 L'humour jouant un rôle de distanciation par rapport à ce qu'il traite.
55
L'humour graphique correspond quant à lui aux éléments humoristiques constitués par les
illustrations proprement dites. Au sein de cette catégorie, nous avons distingué d'abord les
images simples, c'est-à-dire qui se limitent à des représentations humoristiques strictement
graphiques, et relèvent par conséquent de l'humour visuel. Celles-ci fonctionnent souvent sur
le comique de situation ou de figures, et la mise en scène du grotesque (avec souvent le
recours à l'animisation ou la réification), ou de la caricature.
Détail de la couverture de Des bêtes qui collent, qui piquent, qui crachent à la mer (Gulf Stream)
Nous avons distingué cet humour « graphique », d'un second type d'images, correspondant
aux exemples où l'humour est mixte, c'est-à-dire lorsqu'une illustration (souvent comique en
elle-même), prend une dimension réellement humoristique par sa mise en relation avec un
élément textuel (légende, phylactères...).
56
Ainsi dans l'exemple ci-dessus, extrait de Des petits mots qui font les grands (documentaire
sur le rôle des préfixes et suffixes en français), la légende « trimestre » éclaire la situation
représentée graphiquement ; cependant l'illustration proprement dite ajoute une dimension qui
constitue le ressort humoristique central.
Enfin, nous avons regroupé sous l'appellation d'humour « de l'entre deux » les formes qui
relèvent d'un genre particulier, ni totalement textuel, ni véritablement graphique, mais où
l'humour naît de la mise en parallèle (souvent contradictoire) des deux discours. Ces formes
d'humour apparaissent dans le cadre d'un « récit interactif » (Agosto, 1999)124, c'est-à-dire
lorsque le lecteur doit tenir compte des deux formes de discours (le linguistique et le visuel)
pour accéder au sens. L'image peut alors amplifier le texte, ou le contredire... offrant alors des
possibilités riches, notamment en ce qui concerne l 'humour. La bande dessinée, du fait de sa
double nature, à la fois graphique et textuelle, se prête particulièrement à ce genre de récit. Un
exemple classique d'humour de ce type, est le suivant :
Vignette extraite des cigares du Pharaon, (Hergé, 1934 NB, 1955 couleurs)
124 Ce modèle théorique est repris par F. Lesage dans La littérature pour la jeunesse, 1970-2000, collection
« Archives des lettres canadiennes » (Fides, Montréal, 2003), p.36
57
C. Rosenbaum et C. Hervouët ont d'ailleurs largement insisté sur la richesse de cette forme
d'humour lors de notre entretien : « l'humour passe fondamentalement par le rapport texteimage […] On peut parler d'un ton particulier pour cet humour de l'entre-deux. [Ce ton] lie le
texte et l'image et enrichit la relation au réel ». Elles citent en exemple la collection Regards
d'aujourd'hui chez Mango, ou Le Journal de l'histoire chez Gallimard.
b- Articulation avec le discours de vulgarisation
Nous nous sommes intéressés ici à la position occupée par les formes humoristiques, qu'elles
soient textuelles ou graphiques, dans l'architecture de chaque documentaire humoristique de la
sélection 2009 : relèvent-elles du discours principal, ou se retrouvent-elles dans les éléments
annexes (et notamment le paratexte), proposés en complément ou en illustration de celui-ci ?
Nous entendons par « discours principal », celui qui structure la lecture, qui en constitue le
fil conducteur, dans le cadre du documentaire entier (s'il est présenté sous forme de récit), de
celui du chapitre... voire de la double page seulement quand le documentaire est structuré de
la sorte. Ce discours est généralement textuel, et aisément identifiable visuellement (taille de
la typographie, fond de couleur...). Dans certains cas cependant, il peut être de nature
graphique, et passer par les images, exclusivement (imagier) ou en alternance avec le texte.
Les images de ce type seront donc considérées comme relevant du discours principal.
Tomber d'en haut, un documentaire sur la gravité (Ohé la science, Ricochet), présente une
alternance de ce type dans le discours principal, puisque le fil de lecture passe du texte à
l'illustration (phylactère). Ainsi page 4, peut-on lire :
Ce texte est accompagné des images suivantes, qui poursuivent le discours dans le cadre de
l'illustration, avant de retrouver sa forme strictement textuelle plus loin :
58
L'humour peut être présent dans le discours principal. Dans ce cas, les éléments humoristiques
y sont intégrés visuellement (pas de séparation dans la mise en page). Comme ils constituent
un élément nécessaire à sa compréhension, ils ne peuvent par conséquent être supprimés.
L'élément textuel ou l'image humoristique peut également se situer dans un élément annexe au
discours principal, relevant du paradiscours125, c'est-à-dire dans un titre, un encart (lexique,
anecdotes...) ou une illustration. Même si ces éléments renvoient généralement aux
informations proposées dans le discours principal, et s'articulent avec lui, ils ne constituent
pas la matière première du discours (généralement constituée par un texte) et ne lui sont pas
nécessaires. Dans ce cas, leur différence de nature avec le discours principal est soulignée par
des jeux de typographie et de mise en page.
Cette observation nous permettra d'identifier de quelle manière l'humour est intégré à la
démarche de vulgarisation.
c- Fonctions de l'humour dans une optique de vulgarisation
Enfin, nous avons observé comment l'humour opère en tant qu'outil de vulgarisation, en
procédant à l'analyse des fonctions de chaque élément humoristique repéré dans ces
documentaires. Ces fonctions, définies à partir des recherches mentionnées dans la revue de
littérature, sont liées à la double nature du phénomène humoristique, à la fois affective et
cognitive (Bariaud, 1983). Nous rappellerons brièvement ces éléments issus de la revue de
125 Nous élargissons la notion de paratexte telle que l'a défini Jacobi pour la forme canonique du documentaire
(où le discours principal est textuel), aux éléments annexes de tout discours principal, qu'il passe par l'image
ou le texte.
59
littérature en introduction de chaque fonction.
Comme nous l'avons indiqué précédemment, l'enquête exploratoire nous a permis d'affiner les
items proposés, en distinguant deux fonctions de type métacognitif, en fonction du sujet sur
lequel elles portaient (réflexion sur soi à travers la mise en scène des sentiments, ou sur le
savoir présenté et la science en général).
Rappelons enfin que notre question n'est pas ici de savoir si les éléments humoristiques
rencontrés dans les documents ont été conçus en vue de remplir le rôle que nous leur
attribuons dans notre grille d'observation, une intentionnalité que nous nous garderons bien
d'attribuer à leurs auteurs, faute d'éléments disponibles sur le sujet. Il s'agit plutôt d'observer
comment ces propositions humoristiques contribuent, dans les faits, à enrichir et à agrémenter
le discours de vulgarisation. Ainsi, toute référence humoristique à la culture populaire
(slogans publicitaires, dictons, expressions familières...) contribue-t-elle, de manière
consciente ou non, à ancrer le propos qu'elle agrémente dans un univers familier (et comique)
pour le lecteur.
d- La grille d'observation des fonctions de l'humour
Nous avons opéré une distinction entre les éléments humoristiques aux fonctions affectives,
qui créent un climat propice et ceux que nous avons regroupés sous le terme d'humour
« d'apprentissage », qui renvoient aux fonctions cognitives de l'humour. Pour cela, nous
avons retenu un critère simple, à savoir ce sur quoi portait l'humour. Pour chaque forme
humoristique rencontrée, qu'elle soit graphique ou textuelle, nous avons observé si elle mettait
en scène des éléments du discours de vulgarisation : soit par exemple qu'elle illustre, de
manière décalée ou absurde, ce qui a été ou sera expliqué dans le texte, soit qu'elle ne soit
compréhensible qu'en fonction d'informations du texte auxquelles elle fait référence. Lorsque
c'était le cas, nous l'avons considérée comme remplissant une fonction directe d'apprentissage,
renvoyant à des fonctions cognitives de l'humour ; dans le cas contraire, elle s'apparente donc
à de l'humour « de climat », c'est-à-dire sans objectif direct d'apprentissage ou de
transmission des connaissances, mais remplissant certaines fonctions affectives détaillées cidessous.
60
Exemple d'humour « d'apprentissage » : une scène qui fait référence aux
propriétés urticantes des oeufs de l'anémone, qui constituent pour eux une
protection contre les prédateurs éventuels (Des bêtes qui crachent, qui
collent, qui piquent, à la mer, p.43)
Cependant, l'enquête exploratoire nous a conduit à observer dans quelques cas, la présence
d'éléments humoristiques d'une nature particulière, qui ne répondent pas directement à des
objectifs d'apprentissage, mais dont la fonction essentielle n'est pas non plus l'instauration
d'un climat positif.
Il s'agit plutôt alors d'exemples où, par l'humour, le lecteur est invité à se questionner, que ce
soit sur lui même (soi en tant qu'individu ou en tant qu'apprenant), ou sur le savoir qui lui est
présenté d'une manière générale (notamment dans sa dimension symbolique). Dans ce cas,
l'humour fonctionne comme une invitation à la réflexion et à la prise de recul sur ce qui est
proposé au lecteur. Cette fonction de mise à distance et de réflexion critique dépasse donc le
simple objectif d'apprentissage, et relève du domaine de l'éducation.
Cela nous a conduit à établir une troisième catégorie, qui regroupe les fonctions
« éducatives » de l'humour, c'est-à-dire celles qui ne s'adressent non plus à l'enfant, ni à
l'apprenant, mais à l'individu en construction. Cette catégorie regroupe les éléments
humoristiques qui mettent en perspective le discours principal de vulgarisation scientifique, en
l'ouvrant à une dimension supplémentaire, qu'il s'agisse de l'image de soi, du rapport
symbolique au savoir et à la science, ou même dans certains cas, d'une ouverture sur
l'imaginaire et la poésie...
Bien entendu, les éléments humoristiques jouent parfois sur plusieurs tableaux. C'est
notamment le cas pour les formes d'humour d'apprentissage, qui remplissent souvent des
fonctions affectives parallèlement aux cognitives. Ainsi, le titre « Le prêtre Jean, réalité ou
intox ? » dans le documentaire Le Moyen Age (Milan, p.39) propose t-il à la fois une référence
humoristique aux journaux à sensation dont il parodie les formes langagières, tout en jouant
61
un rôle d'accroche qui vise à mettre en questionnement le lecteur, et le pousse à chercher une
explication à ce titre énigmatique dans sa lecture.
Nous avons par conséquent été particulièrement attentifs dans notre analyse aux
complémentarités entre les fonctions qui sont apparues au fil de notre observation.
Les fonctions affectives de l'humour (CLI)
Les éléments humoristiques qui y sont répertoriés n'ont pas de fonction directe
d'apprentissage, mais participent à l'établissement d'un climat général favorable à
l'apprentissage, en jouant sur des variables particulières. L'humour peut en effet avoir pour
fonction d'instaurer un contexte émotionnel favorable (CLI-1), de renforcer le sentiment
d'appartenance du lecteur (CLI-2), ou de favoriser l'implication affective du lecteur (CLI-3).
L'instauration d'un contexte émotionnel favorable (CLI-1)
Dans certaines de ses manifestations, l'humour a pour fonction essentielle de favoriser un
climat propice aux apprentissages (Ulloth, 1998), en présentant le savoir de manière plaisante.
Cette fonction renvoie au rôle de lubrifiant didactique de l'humour tel que l'a défini
Gentilhomme (1988)126. Si cette fonction est potentiellement commune à toutes les formes
d'humour proposées dans le discours de vulgarisation (puisque toute manifestation d'humour
participe à ce climat positif), nous n'avons recensé ici que les éléments humoristiques
répondant uniquement à cet objectif.
Cette fonction renvoie donc à tous les éléments humoristiques ou comiques-humoristiques qui
illustrent le discours, sans pour autant lui être nécessaires. Il s'agit entre autres des dessins
agrémentant les pages du documentaires (souvent réalisés dans un style proche de celui de la
bande-dessinée). Ces illustrations peuvent renvoyer au sujet traité, mais d'une manière très
générale, car celui-ci n'est que l'occasion, le prétexte pour la situation comique... comme dans
l'exemple ci-dessous, tiré d'une page concernant les méduses :
126 Voir partie I-B-1-a
62
Illustration extraite de Des bêtes qui collent, qui piquent, qui crachent à la mer (Gulf
Stream)
Cette forme d'humour est souvent le fait de détails comiques :
Détail d'une illustration extraite de Comment c'était avant les vacances ?
Dans le cas de l'humour textuel, on y incluera les jeux de mots, les onomatopées ou les
formules à l'effet comique (liées à l'emploi d'un vocabulaire scatologique notamment).
Cette fonction d'instauration d'un climat émotionnel favorable regroupe également les
éléments qui contribuent à désamorcer des situations potentiellement anxiogènes (du fait de
thématiques douloureuses : mort, injustice...). L'humour permet en effet d'aborder des thèmes
graves en les dédramatisant, car il favorise la prise de recul par rapport à ses émotions (Ziv,
2002).
63
Dans Chère Traudi (Les 400 Coups), un paragraphe consacré à la disparition
des Juifs et à leur inquiétant cimetière est illustré par cette image (p.12), où l'on
observe la petite Traudi en pleine action.
De favoriser l'implication affective du lecteur (CLI-2).
L'humour, en reliant le discours vulgarisateur au vécu et aux centres d'intérêt du jeune lecteur,
renforce son sentiment d'appartenance (Tessier, 1994) et crée un sentiment de connivence, une
complicité avec l'auteur. C'est le cas notamment des allusions culturelles (qui renvoient
souvent à la culture populaire : télévision, publicité...) ou de la mise en scène des habitudes et
normes sociales.
Scène humoristique extraite de Des bêtes... (p.32), parodiant le slogan
publicitaire « un Mars, et ça repart ! »
En ce qui concerne l'humour textuel, citons par exemple Des molécules plein l'assiette (Milan
Jeunesse), documentaire sur l'alimentation qui multiplie les titres humoristiques : « Va te faire
cuire un oeuf ! », « Le soufflé, c'est gonflé ! » (référence à la publicité « Vahiné, c'est
64
gonflé! »), «C'est moi qui l'ai fait! » (slogan de la marque « Marie »)...
Dans certains cas, le champ de référence convoqué par l'humour n'est pas directement
culturel, mais renvoie le lecteur à son expérience personnelle et à son vécu. L'humour met
alors en scène l'univers quotidien de l'enfant, en faisant appel à l'expérience commune, et
favorise ainsi son implication affective.
Illustration d'un paragraphe sur les molécules volantes,
extraite de Des molécules plein l'assiette, p. 7
De cette manière, l'humour participe alors au sentiment qu'a le lecteur d'une plus grande
proximité avec son quotidien et ses préoccupations. L'humour textuel, quand il découle d'un
jeu sur les registres de langue (emploi de termes familiers...), en est une forme
particulièrement développée. Ainsi, la collection « Dame nature » (Gulf Stream) propose-telle un documentaire intitulé Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent, dont l'un des
ressorts humoristiques principaux est constitué par l'emploi de mots issus du langage familier
dans les textes de présentation.
Fonctions de climat
Cli 1
Objectif
Etablissement d'un contexte émotionnel
favorable
Fonction Plaisir et motivation
Baisse des tensions (si contenu affectif qui
risque de parasiter l'apprentissage)
Cli 2
Implication affective du lecteur
Renforcement du sentiment d'appartenance
(connivence)
Développement d'un sentiment de proximité avec
le lecteur
65
Forme
Pas nécessairement d'inférences (ou internes à la Inférences extra-discursives qui renvoient à des
situation)
références culturelles et des normes sociales
partagées, ou à l'expérience personnelle, au vécu,
du lecteur
Indices
Mise en scène de situations humoristiques
(humour tendancieux ou neutre) dont la
fonction essentielle est de provoquer le rire
Références culturelles et sociales
Mise en scène du quotidien
Recours au langage familier
L'humour d'apprentissage (APP)
Ces manifestations humoristiques jouent, comme nous l'avons vu, un rôle direct dans le
discours de vulgarisation, en aidant à construire des connaissances (visualisation, apport
d'informations complémentaires...) ou en les réemployant dans des contextes variés
(intégration). L'humour prend alors une fonction cognitive.
Nous avons distingué deux fonctions possibles : une fonction d'accroche (APP-1) et une
fonction d'entraînement cognitif et d'intégration des concepts (APP-2).
Une fonction d'accroche (APP-1)
L'humour, favorise la mise en questionnement, et l'éveil de la curiosité face à une situation
nouvelle (Corten-Gualtieri et Huynen, 1995). Les éléments humoristiques qui relèvent de ce
type constituent donc dans un premier temps une énigme pour le lecteur, et le mettent en
questionnement sur des points dont il va être question dans la suite immédiate du discours. Il
s'agit essentiellement de titres humoristiques, dont le caractère a priori énigmatique est une
invitation au questionnement : citons par exemple « Salade de frères et soeurs» (Le grand
livre de la famille, p.34), sur les fratries recomposées, ou Tomber d'en haut, titre général d'un
documentaire sur la gravitation.
Une fonction d'entraînement cognitif et d'intégration des concepts (APP-2)
L'humour permet la « réactivation du réseau conceptuel de l'apprenant » (Corten-Gualtieri et
Huynen, 1995). Pour comprendre une blague, il est en effet nécessaire de maîtriser les
concepts auxquels elle se réfère (Bariaud, 1983). L'humour fonctionne alors en effet sur des
éléments évoqués dans le discours de manière explicite (reprise de concepts,
d'informations...). Il nécessite donc la réalisation d'inférences intra-textuelles pour être
66
compris. Il constitue une forme d'entraînement cognitif car pour comprendre la situation
humoristique proposée, le lecteur doit nécessairement réaliser des inférences et remobiliser
ainsi des connaissances présentées dans le discours. Cette forme d'humour fonctionne souvent
à travers des exemples qui constituent des variations comiques, voire absurdes autour du
discours principal.
Image extraite de Je ne peux pas le sentir (p.21), proposant un raccourci entre
l'approche sexuelle chez le verrat (qui dégage une hormone stimulant la femelle), et
les techniques actuelles utilisées dans l'élevage (utilisation de sprays chimiques dans
le même but).
Mais l'intégration du discours peut également passer par le développement d'images
mentales... a fortiori dans le cas de représentations iconiques. Ces images, qui fonctionnent
par comparaison, analogie ou métaphore (Jacobi, 1987), constituent ce que Jacobi appelle des
« procédures de visualisation », qui permettent de figurer l'abstrait, ou l'invisible comme nous
l'avons vu précédemment. L'humour, quand il se rencontre dans des images de ce type,
participe alors à la compréhension et à la construction du savoir en favorisant l'intégration des
concepts (Mac Ghee, 2002).
67
Image tirée de Je ne peux pas le sentir (p.11) représentant les molécules qui jouent un
rôle dans l'odorat. Elles nécessitent d'être en nombre suffisant pour être perçues par les
hommes, ce que tente de représenter cette illustration.
Fonctions d'apprentissage
App 1
Objectif
Accroche
Fonction Mise en questionnement du lecteur, éveil de la
curiosité sur une question particulière
App 2
Entrainement cognitif et intégration des concepts
Réinvestissement des connaissances dans un
contexte nouveau
Intégration du discours principal
Forme
Inférences intra-discursives (sur la suite du
discours)
Inférences intra-discursives (sur ce qui a déjà été
évoqué dans le discours)
Métaphores, comparaisons ou procédures de
visualisation (rôle de l'image)
Indices
Références à des termes et des notions qui sont
explicitées dans le discours par la suite
Reprise d'éléments évoqués dans le discours
principal (sous un mode absurde, décalé...)
Position introductive
Les fonctions éducatives (ED)
Elles dépassent le cadre strict des apprentissages, et renvoient le lecteur non pas au savoir
présenté, mais à la manière dont il l'appréhende, en relation avec son vécu et ses
représentations symboliques. L'humour prend alors une dimension métacognitive, en jouant
un rôle dans la réflexion sur soi (ED-1), ou en favorisant le développement de l'esprit critique
(ED-2).
Outil de réflexion identitaire (ED-1)
Une situation humoristique peut être l'occasion d'une ouverture à la réflexion sur soi.
68
L'humour permet en effet de mettre à distance les émotions, et favorise ainsi le
développement affectif (Shade, 1996). Bien plus qu'un simple mécanisme de défense, il peut
donc être considéré comme un outil de construction identitaire (Lethierry, 1997). Il renvoie
donc à l'image et à la connaissance de soi. Cela passe par des représentations humoristiques
qui ont pour ressort des sentiments ou des émotions, et qui nécessitent donc que l'enfant
identifie ces facteurs affectifs... et réalise par là-même leur importance. On retrouve
également associées à cette fonction les exemples humoristiques qui mettent en scène des
peurs de l'enfance. Dans ce cas, à la différence des cas où l'humour joue un rôle de baisse des
tensions (fonction de climat positif CLI-1), son rôle n'est pas ici de détourner l'enfant de ses
craintes pour favoriser un contexte émotionnel propice aux apprentissages, mais au contraire
de lui permettre de s'y confronter dans un cadre sécurisant. Ainsi dans Combien y en a t-il ?
(Bayard Jeunesse), documentaire pour les 4-5 ans, une page invite l'enfant à jouer avec sa
peur des monstres qui sont représentés sur une double-page : « Bouh ! Quels horribles
monstres ! Peux-tu les cacher avec ta main ? » (p. 12).
Développement de l'esprit critique (ED-2)
Dans certains cas, lorsqu'il met directement en scène les scientifiques, ou renvoie à la
dimension historique de la science (et notamment à ses erreurs), l'humour peut favoriser le
développement d'un regard critique sur la science et les scientifiques. Il nécessite alors la
réalisation d'inférences extra-discursives, qui renvoient à l'image traditionnelle de la science
et du scientifique.
Illustration extraite de Fermes et Campagnes (p. 221), en regard d'un
texte sur les dangers des conservateurs et des aliments génétiquement
modifiés
Cette fonction est également illustrée par l'expression des erreurs et des hésitations du
discours de vulgarisation lui-même : « revenons à nos moutons, heu... à nos lions », peut on
69
par exemple lire dans une page qui leur est justement consacrée dans Pourquoi les taupes ne
portent-elles pas de lunettes ? (Le Pommier).
Fonctions d'éducation
Ed 1
Objectif
Réflexion identitaire
Fonction Réflexion sur soi et mise à distance des
émotions (Shade, 1996)
Ed 2
Développement de l'esprit critique
Réflexion sur les savoirs présentés et sur la position de la
science
Conscience de soi en tant qu'individu
(favorise la décentration)
Forme
Inférences extra-discursive (renvoie aux
émotions et à l'image de soi)
Inférences extra-discursives sur l'image traditionnelle de
la science et attitude face au savoir
Indices
Mise en scène de situations humoristiques Mise en scène des scientifiques
dont la compréhension implique la prise
en compte des émotions et des sentiments Présence d'éléments qui interrogent le savoir présenté
(effets de mise à distance)
L'ensemble de ces fonctions, ainsi que leurs indices de repérage sont synthétisés dans la grille
d'observation des fonctions de l'humour présentée en annexe 5.
d- Validation de ces outils par double cotation
La démarche et les outils ainsi élaborés ont été soumis à un tiers, à qui il a été demandé
d'analyser quatre documentaires (pris dans la sélection 2009) que j'ai sélectionné pour la
diversité des formes qu'ils présentaient selon moi. Nos analyses ont concordé, sauf dans un
cas, puisqu'une référence culturelle (relevant de la fonction d'appartenance de l'humour) n'a
pas été notée dans son observation. Cependant, la forme humoristique concernée avait été
malgré tout repérée, mais considérée comme relevant simplement du comique de figures.
Nous en avons donc conclu que notre démarche de repérage de l'humour, ainsi que nos outils
d'observation étaient opérants.
4- Analyse des discours éditoriaux afférents
En contrepoint à cette analyse, nous nous sommes intéressés aux discours éditoriaux qui
accompagnent ces publications. Le fait de prendre en compte ces sources directes, en
complément des documentaires du corpus, permet en effet d'enrichir l'analyse de ces pratiques
70
de vulgarisation. Citons ici Jacobi127 :
« Pour s'intéresser au discours de vulgarisation, il me paraît
préférable de ne pas s'en tenir au produit fini (…). Le chercheur ne
peut que gagner à enrichir sa vision : un article imprimé résulte de
tout un processus souterrain, souvent long (plusieurs mois). Il a une
histoire. Il a été imaginé, écrit, rectifié, illustré... par des acteurs
qu'il est possible de rencontrer, d'interviewer.
Je crois que beaucoup de choses, qui ont été dites sur la
vulgarisation, portent la marque d'une ignorance complète de tout
ce qui se passe au pôle de la production ; les conditions et
contraintes de l'émission sont ignorées, et, en définitive,
l'observateur en vient, naïvement, à redécouvrir, par le fruit d'un
travail complexe, des choses élémentaires qu'une enquête directe,
« à la source », lui aurait apportées plus facilement. »
Nous avons donc collecté les éléments de présentation des ouvrages proposés par les éditeurs
(textes présentant les collections, catalogues, quatrièmes de couverture, mais aussi
interventions lors de colloques professionnels) qui étaient accessibles, un certains nombre
d'entre eux (chartes de collection notamment) constituant des documents internes aux maisons
d'éditions, qui ne souhaitaient généralement pas les communiquer. S'y ajoutent trois entretiens
avec des éditeurs128 réalisés pour l'occasion.
127 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll.
"Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.41.
128 Paola Grieco (Gulf Stream), Gérard Pourret (Mouck), et Sandrine Mini (Syros)
71
IV-
RESULTATS
DE
L'ANALYSE
QUALITATIVE
ET VALIDATION
DES
HYPOTHESES DE RECHERCHE
L'analyse quantitative réalisée sur les sélections annuelles de la RLE depuis 40 ans témoigne
du développement du genre humoristique en son sein. Cette visibilité nouvelle nous semble
fournir un indice du développement général du recours à l'humour dans le cadre du
documentaire jeunesse. Cette hypothèse rejoint le sentiment partagé par les professionnels du
livre que nous avons interrogés, ainsi que les écrits professionnels que nous avons
consultés129.
Il nous apparaît dès lors d'autant plus nécessaire de chercher à cerner plus précisément ce qu'il
en est réellement de l'humour dans ces ouvrages. Cela fait donc l'objet de l'analyse qualitative
dont nous présentons ici les résultats. Ainsi, nous observerons d'abord la place et les formes
qu'il adopte, avant de revenir en détail sur les fonctions qui lui sont assignées en relation avec
le discours de vulgarisation.
A- Place et formes de l'humour dans le documentaire jeunesse
Lors de l'enquête exploratoire, nous avons observé séparément la place et les formes de
l'humour dans les documentaires. Cependant, afin d'affiner notre analyse, il nous a semblé
intéressant d'observer conjointement les modalités d'expression de l'humour et leur
articulation avec le discours de vulgarisation. Elles sont en effet naturellement liées.
Nous avons donc croisé les résultats de l'analyse des formes (humour textuel ou image
humoristique, qu'elle soit strictement graphique ou mixte) et des positions de l'humour dans le
discours de vulgarisation (humour intégré ou périphérique).
Les résultats de notre enquête sont détaillés en annexe 6 et 6b.
Remarquons qu'il ne sera guère question ici de moyennes, une approche qui n'aurait guère de
sens dans notre démarche puisqu'il s'agit de proposer un panorama des pratiques
humoristiques existantes dans le documentaire. Nos outils d'observation sont donc conçus
dans le but de révéler des pratiques dans leur richesse et leur variété. D'où la mention, par
129 Voir à ce propos la remarque de C. Hervouët sur l'humour comme « tendance de fond » du documentaire
jeunesse (II-D)
72
exemple, des cas particuliers qui témoignent d'une originalité dans les utilisations possibles de
l'humour, et qui présentent donc un intérêt certain dans notre optique de recherche.
1- L'image humoristique, vecteur principal de l'humour
a- Un support privilégié
L'observation des formes humoristiques proposées nous a permis de recenser 11
documentaires où l'image (purement graphique ou mixte) est le support quasi exclusif de
l'humour130. S'y ajoutent 5 ouvrages supplémentaires qui fonctionnent de la même manière,
même s'ils proposent par ailleurs quelques titres humoristiques. A l'inverse, seul un
documentaire proposé dans notre corpus ne présente aucune forme d'humour de ce type 131.
Ainsi l'humour est synonyme d'image humoristique dans plus de 95% 132 des documents
analysés.
Cette situation est liée en partie à la nature même de l'image, qui permet de représenter
directement les choses, au lieu de les évoquer comme le fait le texte, comme nous l'avons vu
précédemment. De ce fait, l'humour graphique est aisément accessible pour les enfants, même
les plus jeunes. D'autant plus que les thèmes de l'humour enfantin - comique de figures,
anomalies physiques, mésaventures... - sont aisément figurables. Rien de surprenant par
conséquent à constater que tous les documentaires destinés aux moins de 9 ans dans notre
corpus recourent préférentiellement à ce mode d'expression de l'humour.
Remarquons par ailleurs que les images humoristiques sont généralement traitées dans le style
des bandes dessinées et des dessins de presse133 ou dans un style naïf. Ils se distinguent en cela
nettement des autres types d'images potentiellement présents dans les documentaires
(illustrations naturalistes, photographies, schémas...). Nous n'avons relevé dans l'ensemble du
corpus qu'un seul exemple d'humour photographique, dans Fermes et Campagnes (p.146), que
nous reproduisons ici à titre informatif, et néanmoins récréatif.
130 C'est-à-dire que cette forme d'humour concerne plus des deux tiers de celles proposées.
131 Il s'agit de Un tableau peut en cacher un autre, dont les seules illustrations sont des reproductions de
tableaux.
132 Soit 20 documentaires sur 21 observés
133 P. Grieco, responsable éditoriale de la collection « Dame nature » (Gulf Stream) explique par exemple que
« le traitement des illustrations humoristiques a été inspiré à la fois de la bande dessinée et de la presse » pour
Les bêtes...(entretien).
73
b- L'image humoristique se situe essentiellement dans le discours
périphérique
L'observation des positions occupées par l'humour indique que dans plus de la moitié des
documentaires étudiés134, il se cantonne au paradiscours, à côté, et parfois en regard du
discours principal. Or, cet humour périphérique est essentiellement transmis par les images,
voire même exclusivement dans le cas de Des animaux ? et de Fermes et campagnes.
On observe donc souvent une mise en page « parallèle », où le discours scientifique est
clairement séparé des éléments humoristiques... Ce qui n'empêche pas qu'il existe entre eux
des relations. Les illustrations humoristiques fonctionnent en effet souvent en lien avec le
discours principal, notamment en proposant une déclinaison absurde ou grotesque des
informations transmises dans le texte. Nous reviendrons plus loin sur ces liens, lorsque nous
aborderons les fonctions de l'humour.
c- L'image humoristique intégrée au discours principal : le cas le
plus rare
8 documentaires proposent des images humoristiques intégrées dans le discours principal 135. Il
s'agit dans certains cas de bandes dessinées136. Ces images occupent une place spécifique,
puisqu'elles jouent un rôle dans la transmission du discours principal (en articulation avec les
textes), tout en y introduisant de manière récurrente des éléments humoristiques. L'humour est
134 11 documentaires au total
135 Il en va ainsi pour Le phasme, Comment c'était..., Rome (de même que pour les autres ouvrages de la série
de Sasek), La vie à bord de la frégate Hermione, Tomber d'en haut..., De l'origine..., et Combien y en a-t-il ?
136 S'y ajoutent les bandes dessinées présentes dans certains documentaires du corpus (Le Moyen Age, La vie à
bord de la frégate Hermione, et bien entendu De l'origine des maths, intégralement réalisé de la sorte).
74
alors une dimension supplémentaire apportée par l'image.
Cependant, les exemples d'intégration de ce type ne concernent généralement que quelques
images sur la totalité de celles proposées. Et au final, seuls 4 documentaires y ont recours de
manière significative137.
Ainsi, dans Rome (p.10-11), « Voici deux romains célèbres... » (César et Auguste), annonce
l'image présentée ci-dessous :
... et le discours se poursuit sur la page d'après, accompagné de cette seconde illustration :
Il en va de même dans De l'origine..., par exemple dans la manière dont sont présentées les
identités remarquables (p.4) :
137 Rome, Comment c'était..., Tomber d'en haut et De l'origine...
75
2- L'humour textuel : un humour essentiellement périphérique
L'humour textuel est présent - même de manière limitée - dans 15 documentaires du corpus,
sous des formes variées. Les ouvrages où il se présente majoritairement sous cette forme sont
cependant beaucoup plus rares que ceux où il s'appuie de préférence sur l'image. Sur
l'ensemble de notre corpus, seuls 4 documentaires sont concernés 138, tous destinés aux lecteurs
les plus grands139.
a- L'humour se retrouve essentiellement dans les titres
La forme d'humour textuel la plus représentée parmi les documentaires que nous avons
observés est incontestablement le titre humoristique : 8 ouvrages y ont en effet recours de
manière fréquente, et pour la moitié, il constitue même la seule forme d'humour textuel
rencontré. Ajoutons à cela la présence dans près de la moitié des documentaires de titres
généraux humoristiques ; citons ainsi Un tableau peut en cacher un autre, Tomber d'en haut !
(sur la gravitation), Je ne peux pas le sentir (sur l'odorat), Des molécules plein l'assiette (sur la
138 Il s'agit de Prévert : Paris la Belle, Un tableau peut en cacher un autre, le Moyen-Age, et dans une moindre
mesure de Chère Traudi (voir annexe 6).
139 9 ans et plus
76
composition chimique des aliments), Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ?
(sur la vision des animaux)... Dans ces deux derniers cas, on retrouve à chaque fois plus d'une
quinzaine d'exemples de titres humoristiques (titres de chapitres ou de parties).
Mais l'exemple le plus flagrant de cette pratique est Le Moyen-Age, dont le projet éditorial (et
humoristique) repose sur la parodie. Ce documentaire présente en effet des évènements
essentiels de cette époque sous la forme de journaux à scandale. Il multiplie donc les
références parodiques, et ce notamment dans les titres volontairement accrocheurs de ses
articles : « Ma victoire à Tolbiac a tout changé ! » (p.7), « Trucs et astuces pour lutter contre la
peste » (p.53), « Paysans, pour produire plus, adoptez l'assolement triennal ! » (p.27)... mais
aussi de ses rubriques (« mode », « carnet rose », « publicité », « interview »...).
Nous reviendrons sur cette forme humoristique particulière lorsque nous observerons les
fonctions de l'humour, notamment celles d'accroche et d'éveil de la curiosité du lecteur ou à
travers la fonction d'appartenance.
b- … mais très rarement dans les autres éléments annexes
Si les titres humoristiques sont fréquents, les autres formes d'humour périphérique textuels
sont en revanche beaucoup plus rares. Encadrés, lexiques, définitions, notes, remarques... Ces
éléments annexes ne semblent pas propices à l'humour. A l'exception du documentaire sur le
Moyen-Age qui propose de nombreuses rubriques, seuls deux documentaires du corpus 140 en
proposent des exemples. Ceux-ci apparaissent sous la forme d'une note de bas de page dans
un cas (De l'origine des mathématiques, p.13), et dans un encadré sur le lexique dans l'autre
(Les bêtes qui crachent..., p.80). Ces exemples, que nous analyserons en lien avec leur
fonction humoristique141, sont cependant des exceptions, et la place de l'humour est
généralement limitée à certains espaces bien définis du discours de vulgarisation.
c- L'humour des textes : une figure fréquente, mais à petite dose
Mais si l'humour textuel est présent essentiellement dans les titres, il arrive cependant que le
discours principal ait une dimension humoristique. C'est en effet le cas pour 10
140 Nous ne tenons pas compte ici de Prévert : Paris la belle, qui propose de la reproduction d'un télégramme
(document historique) dont le contenu est humoristique (p.44), mais qui constitue un cas limite.
141 Voir en IV-D-1
77
documentaires, à des degrés divers cependant. On y retrouve les trois ouvrages du corpus qui
présentent une trame narrative (Chère Traudi, Rome, De l'origine...), mais également des
livres qui sont structurés thématiquement, et proposent une organisation centrée sur la doublepage. L'humour s'y limite alors généralement à une phrase conclusive ou une remarque à la fin
d'un exposé classique. Ainsi dans Pourquoi les taupes... (où ce procédé est récurrent), on peut
par exemple lire à la fin d'un paragraphe consacré aux rugissements des lions :
« Leur rugissement dure une quarantaine de secondes. Cela doit sembler assez
long quand on est juste à côté sous sa tente, dans la nuit noire (p.57) ».
Revenons enfin sur le cas de Des animaux ?, un documentaire réalisé à partir d'extraits du
texte de Pline, dont voici un extrait, à propos des singes :
Ils ont les tétins en la poitrine comme l'homme, et manient leurs bras et leurs
jambes en dedans et en dehors comme nous faisons ; et ont les doigts faits et
disposés comme l'homme, étant celui du milieu plus long que les autres
(p.16).
Le vocabulaire et les tournures employés par l'auteur nous apparaissent aujourd'hui
remarquables. Ces archaïsmes prennent donc pour le lecteur contemporain une dimension
comique, involontaire bien sûr pour Pline, mais revendiquée par l'éditeur de ce livre,
responsable en outre du choix des textes proposés :
L’objectif est d’abord d’éveiller la curiosité des jeunes lecteurs. Il ne s’agit
pas d’un texte à vocation scientifique (bien que…), mais de jouer sur le
pittoresque des descriptions. C’est donc un travail sur la langue scientifique
qui souvent est assez mystérieuse pour les enfants. Ici nous avons une
traduction du 16ème (langue de Rabelais) qui se prête facilement à la poésie. La
science devient une lecture amusante, absurde même.
Nous avons cependant fait le choix de ne pas considérer ce documentaire comme relevant de
l'humour textuel dans notre synthèse.
3- L'humour de l'entre-deux
Lors de notre observation des formes d'humour présentes dans chaque documentaire, nous
avons observé quelques exemples de cet humour intégré d'un type particulier, que nous avons
qualifié d' « humour de l'entre-deux ». Il s'agit de situations où l'humour ne s'apparente ni à de
l'humour textuel, ni véritablement à de l'humour graphique, mais se situe dans la relation entre
78
ces deux supports142. Il découle alors du décalage entre les discours que chacun d 'eux
proposent. Trois documentaires du corpus proposent des exemples de cette forme d'humour. Il
s'agit de De l'origine...143, Le phasme, et dans une moindre mesure Les bêtes...144
Le phasme débute par exemple de la sorte :
Ayant lu la seconde phrase, le lecteur s'attend à découvrir un phasme sur la deuxième image,
mais la répétition à l'identique de l'image, vient bouleverser cette anticipation en créant un
effet comique.
4- Les indicateurs de contexte humoristique
L'observation des formes d'humour, qu'il soit textuel ou graphique, nous a amené à noter
l'importance de la mise en page et des techniques plastiques utilisées pour distinguer les
éléments humoristiques du reste du discours. Nous avons déjà observé le rôle de ces outils
dans la construction générale des documentaires de vulgarisation145, qui permettent d'organiser
la lecture et de hiérarchiser les informations présentées (Jacobi, 1985) 146.
Cette fonction est encore plus sensible dans le cas des documentaires humoristiques, où la
142 Il n'empêche que ces documentaires proposent parallèlement des formes plus classiques d'humour intégré,
qu'il soit graphique ou textuel.
143 Ce documentaire constitue un cas particulier puisqu'il se présente intégralement sous la forme d'une bande
dessinée. Par conséquent les textes et les images y sont systématiquement combinées pour former le discours
de vulgarisation.
144 Il ne présente en effet qu'un seul exemple de ce type d'humour dans un chapitre consacré à l'homme sur
lequel nous reviendrons plus en détail par la suite.
145 Voir II-A-1-b.
146 Voir à ce propos son analyse de leur rôle dans la distinction d'une double textualité dans le documentaire
Apoustiak, le petit flocon de neige (Les sciences communiquées aux enfants, PUG, 2005, p.127)
79
mise en page et la mise en forme des contenus contribuent à souligner le contexte particulier
d'énonciation du discours. Ils fournissent alors toute une série d'indices de contexte
humoristique, qui permettent au lecteur d'identifier comme tel le discours qui les accompagne.
Ce phénomène est remarquable surtout dans le cas des ouvrages où l'humour est
essentiellement graphique et périphérique (11 documentaires), c'est-à-dire où une image
comique illustre le propos de vulgarisation. Dans plus de la moitié d'entre eux, 147 on remarque
en effet le recours à des techniques plastiques différentes entre les illustrations comiques
(souvent de type bande dessinée) et celles à caractère scientifique (photos ou dessins
naturalistes). Un aperçu sur une double page extraite de Au fil des araignées (p.7) en témoigne
par exemple :
Les images scientifiques se distinguent des illustrations humoristiques à la fois par les
techniques utilisées (photos et dessins naturalistes) et par le recours à encadrement (cercles
de couleur).
En revanche, lorsque l'humour est intégré au discours principal, il n'est que rarement souligné
explicitement. Dans le cas de l'humour textuel, le corpus ne propose que trois documents où
les saillies humoristiques sont identifiées visuellement, par le recours aux majuscules
d'imprimerie ou par l'emploi de points d'exclamation ou de suspension.
147 6 documentaires sont concernés
80
Ces pages extraites de Un tableau peut en cacher un autre (p.51) et de Prévert : Paris la
belle (p.10) soulignent l'humour du texte par le recours aux mêmes procédés
typographiques.
La mise en page et la typographie fonctionnent donc dans ces deux cas comme des indicateurs
de genre du discours.
Mais d'une manière générale, les parties humoristiques ne se distinguent pas du reste du
discours148. Quant aux illustrations humoristiques qui sont intégrées au discours principal 149,
même de façon ponctuelle, elles ne diffèrent en rien des autres images qui le composent. Dans
l'ensemble des documentaires où l'humour est intégré, il semble donc que les auteurs
considèrent que le lecteur sera capable d'évaluer par lui-même la nature du discours présenté,
et ainsi de repérer les formes humoristiques, sans l'aide d'indices formels... Au risque peut-être
parfois de le perdre.
On observe donc une opposition entre les documentaires où l'humour reste périphérique et
ceux où il est pleinement intégré. Les premiers prennent en effet soin de distinguer
visuellement ce qui relève de l'humour du reste du discours. Le contrat de lecture
(Maingueneau, 1990) est alors explicité par la mise en page. En revanche, lorsque l'humour
est présent dans le discours principal, ce marquage s'atténue, voire même disparaît, laissant au
lecteur le soin de remarquer lui-même ce qui relève de l'humour ou non.
148 A l'exception d'un emploi de la ponctuation plus expressif (multiplication des points d'exclamation et de
suspension).
149 Soit 10 documentaires
81
Conclusion
L'observation des documentaires de notre sélection nous amène donc à formuler
certaines remarques quant à la place et aux formes que l'humour y prend.
Il en ressort d'abord que l'image constitue le support privilégié de l'humour, même si le
recours à des titres humoristiques est relativement fréquent. De plus, l'humour y est
majoritairement périphérique, et son intégration au discours principal, quand elle a lieu, reste
généralement ponctuelle. Il apparaît donc bien plutôt comme un « plus » dans le projet
éditorial, que comme une composante structurelle fondamentale de celui-ci.
Cette analyse nous amène par ailleurs à revenir sur la notion de contrat de lecture. Rappelons
que ces documentaires sont généralement destinés à des enfants lecteurs, c'est-à-dire
autonomes dans leur découverte des ouvrages, l'adulte n'intervenant alors pas nécessairement
comme médiateur avec les savoirs présentés. De ce fait, c'est aux ouvrages eux-mêmes
d'assurer un accompagnement de l'enfant dans sa lecture. Comment dès lors s'assurer qu'il sera
en mesure de percevoir l'humour quand il apparaît, et éviter le risque de brouillage du
discours évoqué précédemment ? C'est justement la fonction du contrat de lecture que de
permettre cette identification.
Deux documentaires150 font explicitement mention de leur caractère humoristique en
quatrième de couverture. Cependant, dans la plupart des cas, si ce contrat reste implicite, la
dimension humoristique est soulignée dès la couverture par des titres, ou des illustrations
amusantes... Le ton est donc donné d'emblée, induisant ainsi chez le lecteur une attitude de
lecture particulière. Ce balisage de la lecture est également sensible dans le corps même des
ouvrages, à travers toute une série d'éléments qui ont pour fonction de souligner le passage au
registre humoristique, facilitant de ce fait la hiérarchisation des discours par le lecteur. Cela
passe par des mises en page répétitives, qui cantonnent l'humour à des espaces bien délimités,
généralement au sein du paradiscours, mais aussi par la récurrence des formes proposées,
ainsi que par le recours à des indices typographiques et de mise en page, qui soulignent la
distinction entre l'humour et le discours véritablement scientifique.
Cette observation nous a d'ailleurs permis de dégager une forme documentaire commune à un
certain nombre d'ouvrages de ce corpus 151. Elle regroupe les livres qui proposent un texte de
150 Il s'agit de Le phasme (présenté à travers un extrait de la notice critique... publiée par la RLE justement), et
de Rome
151 Il s'agit des 6 documentaires suivants : Le grand livre de la famille, Au fil des araignées, Les bêtes qui
crachent..., Je ne peux pas le sentir, Des molécules plein l'assiette, Pourquoi les taupes...
82
vulgarisation « sérieux », non narratif, et généralement très structuré (paragraphes, titres...),
auquel répondent une ou plusieurs illustrations humoristiques. Cette distinction est de plus
généralement soulignée par la mise en page.
Ces différentes observations nous amènent donc à valider notre première hypothèse de
travail sur le rôle du contrat de lecture au sein des documentaires humoristiques.
Malgré tout, les résultats de notre analyse nous amènent à nuancer cette conclusion. Cette
sélection réserve en effet une part remarquable – quoique minoritaire - à des documentaires
qui expérimentent des formes où l'humour est véritablement intégré au discours principal. Ces
quelques ouvrages proposent de plus souvent des formes qui renouvellent le genre
documentaire dans sa structure - BD (pour De l'origine...), récit152 (Chère Traudi, Rome)-, ou
dans sa relation à l'image (Comment c'était... qui met en scène un discours essentiellement
imagé, et pour les plus petits, Le phasme, ou encore Combien y en a-t-il ?). On y retrouve
d'ailleurs les deux ouvrages qui proposent de manière récurrente des formes d'humour de
« l'entre-deux ». Ces documentaires, en inscrivant l'humour dans leur projet de vulgarisation
constituent donc des exemples plus aboutis et plus originaux de son utilisation.
B- Les fonctions de l'humour (résultats de l'analyse)
Rappelons que l'objectif de ce travail est de rendre compte d'un phénomène (l'humour) dans la
diversité de ses emplois. Pour cela, plutôt que d'établir des moyennes sur l'ensemble des
documentaires, nous avons cherché à faire ressortir les fonctions humoristiques les plus
fréquentes dans chaque documentaire. Celles-ci peuvent en effet être considérées comme
représentatives, et témoigner du projet éditorial de l'ouvrage. Ce repérage est facilité par le
systématisme humoristique mis en oeuvre dans certains documentaires : l'humour y est en
effet toujours proposé dans le même contexte, par exemple dans une illustration proposé en
regard d'un paragraphe153.
Les résultats de cette observation, qui ont servi de base à notre analyse, sont synthétisés dans
le tableau des « fonctions principales de l'humour » en annexe 7.
152 La dimension fictionnelle reste en effet marginale dans les documentaires, ce que regrette Jacobi. Pour lui,
en effet, il n’est pas incongru de favoriser le rapport entre la fiction et le documentaire de vulgarisation
scientifique « car lorsque ce rapport est clair, il permet aussi d’identifier clairement un auteur et de donner
une âme au propos ». (op. cité, p.33)
153 On peut citer à ce propos Les bêtes qui crachent..., Au fil des araignées, Pourquoi les taupes..., Des
molécules plein l'assiette, Je ne peux pas le sentir, ou encore Le grand livre de la famille.
83
Cependant, afin de rendre compte de la variété des pratiques humoristiques, nous avons
également porté une attention particulière aux emplois originaux ou novateurs de l'humour,
même s'ils apparaissaient plus rarement dans les ouvrages, et, de ce fait, ne constituent
généralement pas des formes représentatives. Ces identités remarquables de l'humour
permettront alors d'enrichir notre réflexion sur ses fonctions potentielles. Nous y reviendrons
également au fil de notre propos.
C- Rendre le savoir accessible : les fonctions affectives de l'humour
La fonction de ces éléments humoristiques est de générer un climat positif, favorable aux
apprentissages.
1- Un climat rassurant et stimulant (CLI-1)
L'humour participe de l'établissement d'un contexte émotionnel favorable aux apprentissages
(Ulloth, 1998). Cette fonction potentiellement commune à toutes les formes humoristiques
rencontrées, prend cependant dans certains cas une dimension particulière, puisqu'elle
constitue la seule raison d'être de ces exemples 154.
Ces éléments humoristiques (qui ne présentent qu'un lien superficiel avec le sujet traité dans
les documentaires) est alors de renforcer ce contexte humoristique. Cette fonction de
« lubrifiant pédagogique » de l'humour (Gentilhomme, 1988) est très largement représentée
dans les documentaires que nous avons observés155.
Illustration extraite d'une page du Grand Livre de la famille (p.14) consacrée aux
mariage. Même si le thème général est respecté, il est simplement ici l'occasion d'une
parenthèse humoristique.
154 Il s'agit des cas où l'humour ne porte pas sur des éléments du discours de vulgarisation, et ne remplit par
conséquent aucune fonction d'apprentissage direct.
155 Elle est en effet présente dans 18 ouvrages du corpus, et constitue même dans la moitié des cas une fonction
essentielle des formes humoristiques proposées.
84
a- Les thèmes liés à l 'humour de climat
Les éléments humoristiques qui renvoient à cette fonction 156 relèvent essentiellement de
l'humour tendancieux157, avec pour corollaire une dimension agressive. On y retrouve par
exemple la mise en scène de mésaventures158, ou du comique de situation (comportements
incongrus) ou de figures (bizarreries physiques)159.
Détail d'une illustration de Au coin du fourneau (p.5)
On y retrouve également, quoique dans une moindre mesure160, des formes d'humour
transgressif ou scatologique. Dans l 'entretien qu'elle nous a accordé, Paola Grieco (Gulf
Stream) revient sur la dimension scatologique et transgressive présente dans le documentaire
Les bêtes qui crachent... :
le parti pris est surtout celui de l’humour, et le biais scatologique peut
permettre à un livre d’entrer dans les conversations d’une cour de récréation !
De plus, l’enfant doit sans doute être accroché par l’aspect « transgression »
qu’il doit confusément sentir dans ce type de titre. Ne lui répète-t-on pas à
longueur de journée qu’il doit bien se tenir, être poli, ne pas dire de gros mots ?
Et là, il découvre finalement que la « transgression » qu’est ce déplacement de
langage dans un ouvrage traitant à priori d’un thème scientifique et
sérieux lui permet d’apprendre des choses drôles et intéressantes.
Les formes d'humour neutres (absurde, jeux de mots, accumulation visuelle...) sont également
présentes, mais de manière beaucoup plus rare. En effet, si 6 documentaires en proposent des
occurrences, celles-ci restent en nombre très limité (une ou deux par documentaire), à
l'exception cependant de Des animaux ?, où les collages comportent de nombreux éléments
secondaires incongrus161 qui relèvent de cette forme d'humour. On trouve par exemple ce
156 Nous présentons une synthèse de ces éléments en annexe 7.
157 Voir la définition de cette forme d'humour en I-A-2-a
158 C'est le cas pour 11 documentaires
159 Pour 16 documentaires
160 8 documentaires sont concernés
161 24 occurrences comptabilisées.
85
détail (parmi d'autres) dans une page concernant l'autruche (p.28) :
b- Les formes principales de ce type d'humour
Cette fonction se retrouve essentiellement dans les éléments graphiques des documentaires et
généralement dans le paradiscours (voir analyse précédente). Lorsque l'humour est textuel, le
cas le plus rare, on y retrouve les jeux de mots (à l'image du titre Au fil des araignées) et
d'assonances.
Les mascottes162 y jouent un rôle particulier. Présentes dans trois documentaires 163, elles sont
en effet à chaque fois un support préférentiel pour ce type d'humour. Dans Pourquoi les
taupes... on peut par exemple observer sur une même page consacrée aux escargots (p. 85)
deux apparitions comiques de la mascotte du livre :
c- Les scènes
Dans certains documentaires, les images occupent une place spécifique, puisqu'elles jouent un
rôle dans la transmission du discours principal, comme nous l'avons vu. La représentation
162 Nous entendons par là des personnages récurrents qui accompagnent le lecteur au fil du livre (dont ils
commentent souvent le propos de manière humoristique), et qui composent un type particulier d'images,
distinct du reste des illustrations.
163 Au fil des araignées, Pourquoi les taupes... et Le grand livre de la famille
86
iconique des sujets complète alors leur évocation : une image peut apporter des informations
visuelles supplémentaires, par exemple sur des objets ou des animaux, non (ou partiellement)
décrits dans le texte. On retrouve ici la fonction informative de l'image que Jacobi (1987)
propose dans sa typologie des images de vulgarisation scientifique. Dans l'exemple présenté
ci-dessous (extrait d'une grand illustration mettant en scène l'équipage des frégates au 18ème
siècle), l'image donne ainsi des informations sur la vie à bord (p.38) :
Cela est d'autant plus vrai dans le cas des « scènes. » Nous entendons par là une catégorie
particulière d'images, généralement de très grande taille, qui propose la représentation d'un
sujet en situation, et avec de multiples détails 164. C'est par exemple dans ce même
documentaire (La vie à bord de la frégate Hermione, p.28) une scène de bataille navale, qui
complète un court texte sur le même sujet. Cette mise en scène visuelle du sujet constitue
même le principe central de l'un des documentaires du corpus, Comment c'était avant les
vacances, qui propose la représentation d'un même milieu (mer, montagne) à des époques
données.
Mais que vient faire l'humour là dedans ? Nous avons remarqué que les scènes présentées
fourmillent de détails comiques : représentation ou posture des personnages, mésaventures...
Or, une fois l'un de ces détails repérés, le réflexe naturel du lecteur est de rechercher d'autres
exemples du même type en explorant visuellement l'ensemble de la scène. L'humour joue
alors un rôle de focalisation, en attirant l'attention du lecteur sur l'image et en le poussant à
l'étudier plus précisément (Tessier, 1994).
d- Le rôle de l'humanisation
L'humanisation joue un rôle non négligeable dans les formes d'humour présentes dans le
164 4 documentaires sont concernés : Comment c'était..., La vie à bord de la frégate Hermione, Au coin du
fourneau et Combien y en a t-il ?
87
corpus. En établissant un parallèle entre les pratiques humaines et le monde animal, elle offre
la mise en scène de situations décalées, et par conséquent humoristiques. Elle constitue par
conséquent une forme de prédilection pour l'humour dans sa fonction de climat.
Le corpus propose ainsi cinq documentaires portant sur des sujets animaliers, qui ont recours
de manière systématique à ce procédé. L'image ci-dessous illustre une phrase expliquant que
le phasme « est très actif la nuit » (Le phasme, p.17), dont elle offre une interprétation aussi
fantaisiste qu'anthropocentrée...
L'humour participe donc à l'instauration d'un climat positif et motivant pour le lecteur. P.
Grieco souligne l'attention portée à cette dimension du livre documentaire :
Nous proposions déjà, avant cette série, une collection assez pointue sur la
biodiversité. Cette collection a contribué à bâtir l’image d’une maison sérieuse
publiant des documentaires de référence. Mais en terme de cible et de vente, le
« problème » venait justement de ce sérieux qui attirait essentiellement les
documentalistes et les bibliothécaires, plus que les enfants eux-mêmes. La
collection « Dame nature » a été conçue dans le but de toucher directement
notre cible, les enfants, autant que les prescripteurs, et le rôle de l'humour en
cela est essentiel.
e- Une fonction de dédramatisation
Lorsque le sujet abordé est grave, l'humour peut contribuer à dédramatiser la situation en y
introduisant une distance. Il agit alors comme un filtre qui permet à l'enfant de se confronter à
des thématiques potentiellement douloureuses (mort, séparation...). Il permet alors d'éviter que
88
des émotions viennent parasiter, voire empêcher, l'apprentissage. Les exemples de cette forme
particulière de fonction climatique de l'humour sont rares. Nous en avons observé trois
manifestations dans l'ensemble du corpus165.
On trouve ainsi dans Le grand livre de la famille (p.28) l'évocation de disputes entre les
parents, une situation douloureuse que vient adoucir la manière dont le sujet est abordé
puisque le lecteur est invité à fermer une porte (matérialisée par un rabat), qui permet de
mettre à distance de manière physique la scène : « allez, hop ! On ferme la porte ! »... et on le
fait réellement (rabat). On trouve également dans le même ouvrage un « jeu des 7 parents »
(p.23), où les faiblesses des parents sont mises en scène dans contexte humoristique et ludique
(jeu de cartes). L'exemple ci-dessous présente ainsi un parent distrait, un parent absent et un
parent sévère :
Dans Chère Traudi (qui évoque la situation des Juifs pendant la seconde guerre mondiale),
cette fonction de dédramatisation constitue même le rôle central de l'humour, puisque les
occurrences humoristiques166 permettent de soulager la tension née de cette évocation.
L'humour offre alors une respiration légère dans un contexte douloureux.
2- Si loin si proche : l'humour « réducteur de distance » entre le lecteur
et le savoir présenté (fonction d'implication affective)
L'humour peut permettre de réduire la distance symbolique entre l'enfant et le savoir qui lui
165 Cela concerne les documentaires suivants : Le grand livre de la famille, Chère Traudi et Tomber d'en haut !
166 Qui mettent en scène notamment les bêtises de la petite fille
89
est présenté. Cela passe d'abord par l'établissement d'une complicité avec lui, à travers les
références culturelles partagées qui sont présentées dans les ouvrages. Mais l'humour permet
également, par la référence au quotidien, de relier le savoir présenté au vécu et à l'univers du
jeune lecteur. Il favorise en cela son implication affective et favorise son engagement dans les
apprentissages.
a- La connivence avec le lecteur
L'observation des documentaires du corpus nous a permis de constater la fréquence des
formes humoristiques qui fonctionnent -tout ou partie- sur l'allusion (souvent de type
parodique) ou la référence à des pratiques sociales et culturelles. Elles constituent une
caractéristique centrale de l'humour pour 5 documentaires167, mais au total, c'est plus de la
moitié des ouvrages analysés qui proposent de manière plus ou moins fréquente, des citations
de ce type.
Ces exemples d'humour impliquent, pour être compris, des connaissances culturelles et
sociales, et nécessitent par conséquent la réalisation d'inférences extra-discursives. Ces
références, quand elles sont comprises par le lecteur168, jouent un rôle affectif particulier en
favorisant l'établissement d'un sentiment de connivence avec l'auteur du documentaire...
d'autant plus fort qu'il apparaît en contexte humoristique (Tessier, 1994) 169. La référence
partagée favorise donc le sentiment pour l'enfant d'appartenir à une communauté.
b- Les références culturelles convoquées
Dans les exemples que nous avons observés, ces références sont essentiellement d'ordre
culturel. Il s'agit essentiellement d'allusions à la culture populaire au sens large (slogans
publicitaires, titres, dictons et expressions populaires...). On y retrouve également des
références plus spécifiques au monde des enfants (superhéros, personnages de bande
dessinée...) : « L'oursin se bat avec ses pieds : plus fort que Naruto ! » peut-on par exemple
lire dans Des bêtes... (p.13)... ou encore cette illustration de Au fil des araignées (p.25) :
167 Elles concernent alors plus de la moitié des formes humoristiques recensées.
168 Si la référence n'est pas comprise, un énoncé de ce type peut malgré tout être perçu comme une incongruité
simple, drôle parce que bizarre, notamment chez les lecteurs les plus jeunes (Bariaud).
169 Voir son analyse sur le rire partagé (I-B-3-b)
90
… Des références qui ne parleront peut-être pas aux lecteurs de plus de 15 ans. En revanche,
certains exemples font appel à un bagage culturel qui n'est peut-être pas celui de la majorité
des enfants170.
Illustration extraite de Pourquoi les taupes... (p.22).
Ces allusions culturelles se retrouvent essentiellement dans les titres 171. Dans ce cas, l'humour
repose généralement sur le détournement de la référence initiale. Quelques exemples
proposent cependant des formes humoristiques basées sur une citation directe. Ainsi peut-on
lire dans le documentaire Rome que « Rome n'a pas été bâtie en un jour, mais le Colisée fut
construit en huit ans », (p.20).
170 Les références de ce type posent la question du destinataire de l'humour. Il existe en effet une dérive,
soulignée par Ballanger : « certaines facéties semblent parfois tourner à la « private joke » en ne faisant rire
que les adultes initiés » (« Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire
pour la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002). Elle cite l'exemple du travail de
P.Picq. Cet auteur de la collection « Regards d'aujourd'hui » (Mango), après avoir rédigé trois premiers
ouvrages au ton très humoristique, est en effet revenu à une écriture plus classique, conscient qu'il était de ce
risque.
171 7 documentaires concernés. Voir le tableau de synthèse sur l''humour d'appartenance (annexe 9)
91
Les références culturelles sont également présentes dans les illustrations172. Citons à ce propos
le cas de Au coin du fourneau, un documentaire proposant des recettes à réaliser sous forme
imagé. Au-delà de cet objectif culinaire, ce livre propose à travers chaque recette, la référence
à un conte populaire, dont l'illustration fournit des indices. Nous laissons le soin au lecteur de
retrouver à quel conte l'illustration présentée ci-dessous (p.3) fait référence...
Attardons nous enfin sur le documentaire Le Moyen Age (journal de l'histoire), construit dans
son intégralité sur le principe de la parodie. Il se compose en effet d'une série de pages
reproduisant des fac-similés de journaux qui présentent les évènements essentiels de cette
période en reprenant la forme et le ton des journaux actuels, et notamment de la presse à
scandale. L'exemple ci-dessous (p.15) illustre bien cette dimension parodique, à la fois dans le
titre, le ton général du texte (phrases nominales, exclamations...) et dans l'illustration qui
recourt un procédé (avant/après) relevant de l'univers publicitaire :
172 Pour 7 documentaires, qu'il s'agisse des scènes principales, ou de détails humoristiques au second plan.
92
c- Un climat évocateur, qui renvoie à l'expérience personnelle du
lecteur et aux pratiques sociales de référence
L'humour peut également être une occasion d'inscrire les savoirs présentés dans l'univers
proche du lecteur, les rendant de ce fait plus accessibles. Dans les exemples que nous avons
observé, cela se traduit par la mise en scène du quotidien et de l'expérience commune,
essentiellement dans les illustrations proposées. On trouve par exemple dans Les bêtes... la
scène suivante (p.65) :
La fréquence de la mise en scène de la figure de l'enfant dans les exemples humoristiques
proposés173, ainsi que la fréquence des allusions à son environnement culturel, témoignent de
cette adaptation du discours au public visé.
L'adaptation du discours passe d'ailleurs dans certains cas 174 par par le recours au langage
familier dans les textes. Ce changement de registre, qui offre un décalage comique avec le
reste du discours, participe à l'établissement d'une complicité avec le lecteur 175. Une araignée
prête à muer est ainsi qualifiée de « vieille peau » dans Au fil des araignées... Ces formes
humoristiques s'inscrivent alors dans une perspective plus générale d'implication du lecteur
dont témoigne l'importance des fonctions conatives et phatiques dans le discours ( tutoiement,
interpellation directe...) 176.
On observe enfin parfois177 l'allusion à des pratiques sociales de référence (habitudes et
normes), qui nécessitent la maitrise de codes sociaux implicites. Celles-ci sont généralement
173 6 documentaires y ont en effet recours sous une forme ou sous une autre, et dans la moitié des cas, il incarne
une figure centrale : personnage principal dans Chère Traudi, ou mascotte, souvent humoristique, qui
apparaît à toutes les pages dans Pourquoi les taupes... et Des molécules...
174 Pour 5 documentaires (voir annexe 9 sur la fonction d'appartenance)
175 A fortiori lorsqu'il prend une dimension transgressive, comme c'est souvent le cas !
176 Cette implication du lecteur comme élément essentiel de la stratégie d'apprentissage est également soulignée
par Chouinard dans son étude sur la collection « Savais-tu ? » (« La science est-elle soluble dans l'humour ?
Le cas de la collection « Savais-tu ? ». Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, vol.11, n°2, 2008),
p.170.
177 4 documentaires sont concernés (voir annexe 9 sur la fonction d'appartenance)
93
évoquées à l'occasion d'une transgression, qui ajoute alors une dimension comique au propos.
Elles se retrouvent par conséquent plutôt dans les documentaires à destination des plus grands
(9 ans et plus).
Illustration extraite de Je ne peux pas le sentir... (p.30)
Elles interrogent néanmoins parfois sur les stéréotypes qu'elles peuvent véhiculer par ce
biais...
D- Les fonctions cognitives de l'humour
Nous avons vu qu'au-delà de cette dimension affective, l'humour peut également intervenir au
niveau cognitif, et participer directement aux apprentissages. Dans ce cas, il peut jouer un rôle
d'accroche, en favorisant la mise en questionnement, mais également favoriser l'intégration du
discours, en nécessitant chez le lecteur la remobilisation des concepts et des connaissances
abordés.
1- Mettre en questionnement : la fonction d'accroche (APP-1)
a- Une fonction secondaire de l'humour dans le corpus
Certaines formes humoristiques jouent un rôle d'accroche pour le lecteur en introduisant le
discours sous une forme amusante. Elles constituent donc dans un premier temps une énigme
pour le lecteur, puisqu'elles font référence à des connaissances qui ne lui seront délivrées qu'à
94
la lecture effective du texte qui les suit. Lorsque ces informations lui sont finalement données
(ou s'il les a déjà en sa possession), leur dimension humoristique prend tout son sens. En cela,
l'humour d'accroche fonctionne alors dans certains cas comme une intégration a posteriori178.
Néanmoins, ces formes humoristiques présentent dans tous les cas une dimension comique
intrinsèque du fait de leur caractère incongru. Cela nous renvoie ici au lien existant entre
l'humour et le bizarre ou l'étrange179.
Dans notre corpus, dix documentaires ont recours à cette fonction, et trois d'entre eux 180 le
font de manière récurrente.
b- Trois formes d'humour associées à la fonction d'accroche
Cette fonction se retrouve essentiellement dans les titres (humour textuel périphérique), ce
qui n'a rien de surprenant puisque par définition, un titre a pour ambition d'introduire le
propos qu'il précède181. On constate ainsi que 8 documentaires de la sélection proposent des
titres humoristiques, de manière plus ou moins systématique. Ils constituent d'ailleurs
généralement le seul exemple de fonction d'accroche pour l'humour.
Le Moyen-Age en est un exemple très abouti. Comme nous l'avons vu, ce documentaire
parodie le ton et le style des journaux à scandales, dont il reprend sur un mode humoristique
les stratégies d'accroche du lecteur, à la fois par la forme - petites annonces : « Seigneur
cherche guerriers professionnels » (p.29), publicités : « Pour être en forme, mangez des
épinards ! » (p.23), etc - et dans les thématiques mises en avant : mention du sensationnel
(« L'Impératrice était une femme nue ! »), du trivial (« Le roquefort, il adore ! », p. 12), des
divertissements (« Tous aux courses de l'hippodrome ! » dans la rubrique « Sortir », p.9),
mode (« Changez de tête, changez de look ! » p.15)...
Les titres humoristiques ne sont cependant pas la seule forme d'humour d'accroche. Nous en
avons en effet relevé deux autres, qui bien que beaucoup moins fréquentes 182, se doivent d'être
178 La différence avec la fonction d'intégration étant dans ces cas liée à sa position par rapport au discours
principal (avant lui), mais elle la rejoint alors quant à son ressort, puisqu'elle propose une déclinaison
humoristique des éléments du discours principal.
179 Voir la définition de l'humour (I-A-1)
180 Il s'agit de Un tableau peut en cacher un autre (qui propose un certain nombre de titres humoristiques) , Le
Moyen -Age (idem), et Ces petits mots qui font les grands (où une illustration humoristique introduit chaque
mot présenté).
181 Il se définit en effet comme la « désignation du sujet traité […] qui évoque plus ou moins clairement son
contenu » (Le Robert, 1993).
182 Cela concerne trois documentaires : Au fil des araignées, les bêtes..., et Ces petits mots qui font les grands.
95
signalées.
Il s'agit d'une part des textes d'introduction. Les documentaires Des bêtes... et Au fil des
araignées proposent à chaque début de partie un court texte introductif de nature
humoristique183 (accompagné ou non d'une image) introduisant à ce dont il va être question
dans les pages suivantes. On trouve par exemple dans l'introduction du chapitre de Les bêtes...
consacré aux bêtes qui mordent (p. 20) le texte suivant :
Qu'elles soient longues et fines comme des aiguilles ou tranchantes comme
des couteaux, les dents de la mer jouent parfaitement leur rôle : saisir et
découper des proies !
Au lecteur de comprendre quels animaux se cachent derrière ces évocations volontairement
elliptiques !
Le dernier type d'humour d'accroche ne se rencontre que dans le documentaire Ces petits mots
qui font les grands. Dans ce cas, ce sont alors des images humoristiques qui jouent ce rôle, et
donnent des indices pour permettre au lecteur d'échafauder des hypothèses sur le mot
présenté. Ce fonctionnement est d'ailleurs systématique pour l'ensemble des exemples
humoristiques présentés dans ce documentaire 184.
Illustration extraite de Ces petits mots qui font les grands (p. 125)
c- Lien avec autres fonctions
Dans la grande majorité des cas, à cette dimension cognitive de l'humour – qui interpelle le
lecteur et le place en position de recherche de sens- sont associées des fonctions affectives qui
renforcent le caractère humoristique de la situation présentée.
183 De manière systématique pour les Bêtes..., et dans 5 cas sur 12 pour Au fil des araignées.
184 Soit plus de 200 occurrences
96
Dans ce cas, l'humour, qu'il soit textuel ou graphique, s'appuie généralement sur le
détournement, qu'il s'agisse par exemple d'expressions usuelles, de références culturelles, ou
encore de slogans publicitaires... Il rejoint donc la fonction d'appartenance que nous avons
évoquée précédemment.
Illustration extraite de Ces petits mots qui font les grands (p. 47), qui fait
appel aux connaissances générales du lecteur (sur les makis) pour être
comprise. Cependant, même non résolue, cette image demeure
humoristique du fait de l'humanisation qu'elle met en scène (avec une
dimension chauvine affirmée).
De plus, cette fonction d'accroche est souvent renforcée par le recours à des éléments
intrinsèquement comiques, c'est-à-dire qui jouent parallèlement une fonction de « lubrifiant
didactique »185. Dans le cas de l'humour textuel, le plus fréquent, il peut s'agir par exemple de
jeux de mots, de double-sens (Je ne peux pas le sentir), de jeux de sons (assonances, rimes).
Ainsi pour sa seule double-page consacrée à la reproduction chez les araignées (p.8-9), Au fil
des araignées propose-t-il par exemple les titres suivants : « Pour un flirt avec toile » (titre
général de la page, à partir duquel le lecteur doit inférer le thème du chapitre), « Mini mari »
(sur la taille des mâles), « L'amour du risque » (sur les stratégies d'accouplement des mâles),
ou « les petites affaires du mâle » (sur la manière dont se déroule l'accouplement).
2- Aider à la compréhension et à la mémorisation du discours scientifique :
la fonction d'intégration de l'humour (APP-2)
Si l'humour peut jouer un rôle d'accroche pour les savoirs, il peut également y contribuer
directement, en jouant une fonction d'entrainement cognitif (APP-2). Les exemples
185 (fonction CLI-1)
97
humoristiques de ce type nécessitent en effet pour être compris la réactivation par le lecteur de
son réseau conceptuel, puisqu'ils font référence à des connaissances qui sont nécessaires pour
comprendre l'humour mis en scène. Cette fonction de l'humour est centrale puisqu'elle est
présente, sous une forme ou sous une autre, dans 15 documentaires du corpus186, et constitue
d'ailleurs une fonction préférentielle pour 10 d'entre eux 187.
a- Formes principales
Lorsque l'humour revêt cette fonction, il se présente généralement sous la forme d'une
illustration humoristique située en regard du texte principal. Cette figure se retrouve de
manière récurrente dans les 6 documentaires du corpus qui présentent une structure très
proche188 : une double page concernant un aspect particulier du sujet évoqué propose alors un
texte de vulgarisation généralement sérieux accompagné d'une image humoristique qui lui fait
référence de manière explicite.
Les exemples d'humour textuel relevant de cette fonction d'intégration sont en revanche
beaucoup plus rares dans les documentaires du corpus, puisque seuls deux documentaires y
ont recours. L'humour est alors intégré au discours principal, à travers des phrases de
conclusion qui reprennent sous la forme humoristique certains éléments du texte précédent
dans le cas de Un tableau... ; il est en revanche présent tout au long du texte en ce qui
concerne De l'origine..., cas remarquable sur lequel nous reviendrons plus loin.
b- L'humour, outil de visualisation
Représenter l'invisible
Nous avons vu que certaines images jouent un rôle dans la compréhension en donnant à voir
ce qui est évoqué dans le discours principal. Cette fonction de représentation renvoie d'abord à
la dimension informative de l'image, c'est-à-dire quand une illustration traduit graphiquement
les éléments du discours principal. Il s'agit dans ce cas d'éléments concrets (animaux, objets...)
aisément figurables. Cependant, lorsque le discours aborde des éléments non-figurables (car
abstraits ou invisibles), l'image peut également donner à voir, mais en ayant recours à d'autres
stratégies (comparaison, symbolisation, évocation à travers des indices possiblement
figurables...). Or l'humour peut faciliter cette visualisation en focalisant l'attention du lecteur
186 Voir tableau de synthèse des fonctions (annexe 7).
187 Plus de la moitié des occurrences humoristiques rencontrées dans ces documentaires jouent alors cette
fonction.
188 Voir la conclusion de notre observation des formes et places de l'humour (IV)
98
sur les éléments de ce type.
Ainsi dans cet exemple extrait de Le grand livre de la famille (p.26), les oreilles démesurées
offrent un exemple caricatural de la transmission de certaines caractéristiques génétiques chez
les membres d'une même famille. L'humour, basé ici sur l'exagération des caractéristiques
physiques, rend plus lisible le phénomène évoqué à travers ses manifestations visibles.
De même dans l'exemple ci-dessous, les odeurs sont symbolisées graphiquement, et
deviennent l'objet de l'humour :
Illustration extraite de Je ne peux pas le sentir... (p.9)
Figurer les concepts
Cependant, parmi les éléments humoristiques que nous avons observé, les procédés les plus
courants de visualisation sont la comparaison et la métaphore 189. Dans ces images, l'humour
relève alors du choix du champ de référence qui est convoqué, qui renvoie au quotidien,
souvent dans sa dimension prosaïque. Dans l'exemple ci-dessous, la capacité de la raie
torpille à paralyser ses proies en les électrifiant est ainsi symbolisée par une prise électrique
(Les bêtes.., p.45) :
189 6 documents du corpus en font usage, à des degrés divers.
99
Dans Des animaux ?, l'humour fonctionne d'ailleurs de manière systématique sur ce principe.
Par le biais de collages, les organes des animaux sont en effet représentés en lien avec leur
fonction, comme le montre l'exemple ci-dessous :
Le dard de l'abeille est comparé à une seringue, et le rôle de ses peignes et
corbeilles à pollen dans la réalisation du miel, symbolisé par les pots de miel
(Des animaux, p. 8)
L'humour souligne donc la métaphore, et facilite de ce fait la compréhension de l'énoncé.
Dans une étude sur Science et Vie (1982), Pracontal190 a d'ailleurs souligné l'importance de
cette fonction de l'image humoristique.
On y retrouve également quelques exemples qui humanisent les animaux, et proposent de ce
fait un parallèle avec les pratiques humaines.191 Le phénomène de la mue est ainsi évoqué
dans deux documentaires différents (Au fil des araignées et Le phasme), et comparé à chaque
fois à des habits que l'animal revêt :
190 PRACONTAL M. de, L'émetteur en VS (étude du système science et vie), thèse de 3ème cycle, Paris 7,
1982
191 3 documents concernés (voir annexe 10 sur le détail de la fonction d'intégration).
100
Enfin, seul De l'origine... propose des exemples humoristiques où l'image joue pleinement son
rôle de figuration de l'abstrait192. Ce sont en effet les concepts mathématiques qui sont
matérialisés à travers les dessins humoristiques. Ainsi, dans l'exemple ci-dessous (p.12), le
signe « divisé » est représenté comme le résultat du partage d'un point :
Cette rareté des exemples de visualisation des concepts par l 'image s'explique peut-être par
les centres d'intérêt qui sont ceux des documentaires jeunesse. Les sujets traités sont en effet
généralement liés aux animaux193, ou à l'environnement proche du lecteur194, et donc aisément
192 Notons qu'il est le seul documentaire du corpus à proposer des exemple d'images « réalistes grotesques », au
sens strict (voir en II-B-2), du fait certainement de son sujet abstrait
193 6 documentaires au total
194 Les thèmes abordés sont en effet les suivants : histoire et géographie (Comment c'était..., Rome, Le Moyen-
101
figurables195. Dans le corpus observé, seuls Des petits mots... et De l'origine... portent sur des
sujets abstraits : certains mots dans le premier (réincarnation, handicap...), ou des concepts
mathématiques dans le second. Ils sont cependant destinés aux lecteurs les plus grands
(respectivement 10 et 13 ans).
c- L'humour comme déclinaison du thème évoqué (transposition)
Mais, dans les documentaires que nous avons analysés, la fonction intégrative de l'humour se
traduit essentiellement par la déclinaison comique des concepts : l'humour est alors une
illustration directe – quoique fantaisiste - de ce qui est exposé dans le texte. Les incongruités
qui sont mises en scène supposent en effet le recours à des informations présentes dans le
discours principal pour être résolues. Elles nécessitent donc la réalisation d'inférences intradiscursives.
Cette forme d'humour d'intégration est de loin la plus répandue puisque 13 documentaires y
ont recours, et que pour quasiment la moitié d'entre eux, elle constitue même la seule forme
d'humour d'intégration.
Cette illustration, extraite de Pourquoi les taupes... (p.18) renvoie directement au
texte qui l'accompagne, qui porte sur les pratiques du lion en matière de chasse
(attaque des animaux aux points d'eau).
La situation humoristique est alors l'occasion de réactiver des savoirs dans un contexte
ludique.
La complexité des inférences mises en jeu est cependant relativement variable, allant d'une
Age, Chère Traudi, La vie à bord...), ethnologie (Le grand livre de la famille), cuisine (Au coin du fourneau),
art et culture (Prévert..., Un tableau peut en cacher un autre), observation (Combien y en a t-il ?).
195 3 documentaires portent cependant sur des sujets difficilement figurables : la gravité dans Tomber d'en haut,
et les molécules dans Je ne peux pas le sentir et Des molécules plein l'assiette. L'humour met alors en scène
les conséquences observables de ces phénomènes.
102
simple mise en scène humoristique (comme dans l'exemple de la transmission génétique
évoqué ci-dessus), à des formes plus élaborées, nécessitant un traitement cognitif plus
complexe parce que l'implicite y est plus important. Il s'agit alors de documentaires à
destination des plus grands196. C'est le cas par exemple de la bande dessinée ci-dessous
(Pourquoi les taupes..., p.9), qui demande au lecteur un raisonnement en plusieurs étapes :
Dans certains cas enfin, l'humour intégratif renvoie à des éléments qui ne sont pas présentés
dans le discours197. Il nécessite donc, en plus des inférences intra-discursives, le recours à des
inférences extra-discursives. Il peut alors s'agir de références culturelles, ou plus fréquemment
de parallèles avec le fonctionnement humain, qui impliquent alors la prise en compte des
sentiments comme facteurs explicatifs de la situation humoristique 198. Ce type d'humour
intégratif est donc souvent lié aux fonctions d'appartenance et de réflexion métacognitive.
Illustration d'une page consacrée à l'eau (composition chimique, états
successifs), extraite de Des molécules plein l'assiette (p.8) : elle joue sur le
double-sens du verbe « fondre » et nécessite la prise en compte des facteurs
affectifs pour être comprise.
Au final, quelles que soient les procédures de visualisation mises en oeuvre, l'image
196 9 ans et plus
197 8 documents du corpus proposent des exemples de ce type, mais en nombre limité cependant puisque l'on
observe au maximum 5 exemples de ce type dans Pourquoi les taupes...
198 Nous y reviendrons dans la suite de notre analyse (fonction ED-1)
103
humoristique apparaît donc bien comme un outil essentiel dans le projet de vulgarisation des
documentaires étudiés, puisque dans les trois quart d'entre eux, elle revêt une fonction de
compréhension et d'intégration des connaissances. Ces résultats nous permettent de souligner
l'importance parmi les fonctions cognitives de l'humour de cette catégorie d'images
humoristiques, dont la fonction principale est d'aider à la compréhension et l'intégration du
discours scientifique.
Conclusion
Dans l'entretien qu'elle nous a accordé, P. Grieco justifie le recours à l'humour dans les
documentaires en tant qu'outil pédagogique : « Nous avons remarqué que la découverte et
l’ancrage des connaissances, chez l’enfant comme chez l’adulte, sont encore plus prégnants
lorsque l’humour entre en jeu ». Au vu de notre analyse, il semble bien que cette fonction
pédagogique de l'humour soit présente à l'esprit de la plupart des producteurs 199 de
documentaires. Elle se retrouve en effet dans une large mesure dans les exemples
humoristiques proposés dans les ouvrages de ce corpus.
Nous avons observé que cette fonction était essentiellement indirecte : en agissant sur les
facteurs affectifs liés aux apprentissages200, l'humour contribue en effet à établir un climat
sécurisant et motivant pour l'enfant. Mais dans plus de la moitié des documentaires, il agit
également de manière directe, en intervenant sur les savoirs eux-mêmes. Il propose alors au
lecteur des situations qui l'interpellent et l'invitent à mobiliser les savoirs qui lui ont été
présentés dans un contexte différent201... Une occasion de les intégrer, mais aussi dans certains
cas de les éclairer sous un angle nouveau 202. Les images humoristiques à fonction intégrative y
jouent alors, comme nous l'avons vu, un rôle central.
Ces résultats nous permettent donc de conclure que dans les documentaires que nous avons
observés, l'humour agit généralement sur un double plan, c'est-à-dire à la fois sur les
dimensions cognitives de l'apprentissage et sur ses composantes affectives. Notre hypothèse
sur la question (H2-a) s'en trouve ainsi validée. Cette conclusion ne peut cependant pas être
systématisée puisqu'une minorité de documentaires se limitent à un emploi affectif de
l'humour, ce dernier n'agissant alors qu'indirectement sur les apprentissages.
199 Nous entendons par là les auteurs, les illustrateurs et les éditeurs qui élaborent en amont le projet éditorial de
chaque ouvrage.
200 Il agit en effet sur la motivation (fonction de contexte émotionnel positif), le sentiment de proximité et
l'implication affective du lecteur (fonction d'appartenance).
201 Fonction d'accroche et d'intégration des dessins humoristiques
202 C'est le cas de toutes les formes humoristiques qui ont recours à des procédures de visualisation.
104
E- L'humour, une fonction éducative au sens large
Nous avons vu que l'objectif des documentaires ne se limite pas à la simple transmission de
savoirs, mais qu'ils jouent également un rôle au-delà des apprentissages disciplinaires, et ont
une dimension éducative. Les éditeurs que nous avons rencontrés s'accordent tous sur ce
point, Gérard Pourret, responsable des éditions Mouck (Des Animaux ?), défendant une
position plus radicale encore. Il revendique en effet cette dimension éducative, qui constitue
selon lui l'objectif premier des ouvrages documentaires qu'il édite. Selon lui, « La littérature
jeunesse doit être d’abord un espace de liberté, les connaissances viennent en leur temps et ne
relèvent pas de l’édition jeunesse mais du rôle des parents ou de l’école. »
Or, l'humour peut être un outil au service de ces objectifs éducatifs, parce qu'il favorise la
décentration et le recul critique. Citons ici encore P. Grieco :
En plus de la dimension didactique que nous lui attribuons dans notre réflexion
éditoriale, l’humour place dans une perspective décalée le sujet dont il est
question, il introduit une rupture dans la lecture ; dans un documentaire, ce
n’est pas ce à quoi l’on s’attendrait lorsque l’on vient de lire, par exemple, une
page très sérieuse sur les caractéristiques physiologiques d’un animal ou d’une
plante.
L'humour propose effectivement une rupture avec l 'attendu, et permet de prendre du recul sur
les sujets abordés. Il favorise de ce fait la réflexion de type métacognitif. Nous observerons
donc dans quelle mesure cette fonction de l'humour est sensible dans les documentaires que
nous avons observé. Pour cela, nous nous intéresserons d'abord aux éléments humoristiques
qui mettent en scène les sentiments et les émotions et favorisent la prise de recul sur soi
(fonction de réflexion identitaire, ED-1). Nous étudierons ensuite la prégnance de la fonction
critique de l'humour à travers les exemples humoristiques qui mettent en scène la science ou
qui interrogent le rapport au savoir (fonction de développement de l'esprit critique, ED-2).
1- Apprendre à se penser
L'humour peut favoriser la distanciation vis à vis des émotions (Shade, 1996). En cela, il joue
une fonction de « gestionnaire » (Aimard, 1988), c'est-à-dire qu'il permet de négocier des
situations difficiles en les abordant à travers un filtre d’humour.
Dans le cadre de notre analyse, nous avons donc associé à cette fonction les éléments
105
humoristiques qui mettent en scène les sentiments et les peurs -qu'il s'agisse de celles du
lecteur ou de celles des personnages représentés-, tout en les désamorçant du fait du contexte
d'énonciation particulier qu'elles offrent. Pour être compris, ces exemples nécessitent la prise
en compte de ressorts affectifs implicites (émotions, sentiments, peurs...). Ces situations
humoristiques, donc distanciées, sont alors des occasions pour le lecteur de prendre
conscience de l'importance des facteurs affectifs. Elles constituent ainsi une invitation à la
décentration, et contribuent par conséquent à une réflexion de type métacognitif.
Contrairement aux formes humoristiques qui relèvent de la fonction de climat de l'humour, le
but n'est pas dans ce cas d'impliquer le lecteur mais de le faire réfléchir sur lui.
Nous avons recensé des formes humoristiques qui relèvent de cette fonction dans huit
documents du corpus203. Dans la plupart de ces ouvrages, elle constitue cependant une identité
remarquable de l'humour. Seuls Le grand livre de la famille et dans une moindre mesure Les
bêtes... en proposent des exemples récurrents204.
a- Jouer avec ses peurs (les émotions du lecteur)
Certains éléments humoristiques impliquent directement le lecteur, en mettant en scène des
situations dont les thématiques sont angoissantes, mais qui sont désamorcées par le contexte
comique dans lequel elles sont situées. Nous en avons relevé deux exemples dans deux
documentaires différents lors de notre observation. La première, dans Pourquoi les taupes...,
concerne la peur du noir, et la seconde dans Combien y en a t-il ?, met en scène des monstres
qu'il s'agit de cacher avec les mains. Dans les deux cas, le lecteur est invité à jouer avec des
sujets qui sont traditionnellement angoissants. Or, le fait de rire de ces thèmes, témoigne d'une
capacité à prendre du recul vis-à-vis de ses émotions.
b- Prendre conscience du rôle des sentiments et des émotions
Comme nous l'avons évoqué précédemment, certaines formes humoristiques nécessitent la
prise en compte de ressorts affectifs et émotionnels pour être comprises. Elles offrent donc
une occasion pour le lecteur de prendre conscience de ces facteurs, et impliquent qu'il soit
capable de se décentrer.
Le grand livre de la famille est le seul documentaire du corpus à proposer de manière
récurrente des formes humoristiques de ce type. Cela est certainement lié à son sujet, puisqu'il
203 Soit 63 occurrences au total
204 C'est une fonction principale de l'humour dans le premier cas, et une fonction fréquente dans le second.
106
porte sur des questions qui touchent de près les enfants (filiation, divorce...). Dans l'exemple
ci-dessous (p.33), l'identification aux personnages est d'autant plus forte, qu'il s'agit d'enfants,
et que le texte emploie un « on » généralisateur, auquel répond l'adresse directe de l'escargot
en médaillon :
Cependant, elles se retrouvent également fréquemment dans Les bêtes..., un documentaire
animalier dont le sujet ne porte guère a priori à des réflexions de ce type. Cela est lié au fait
que les animaux qui y sont mis en scène sont humanisés. Ce parallèle avec le monde humain
offre en effet, au-delà de sa dimension intrinsèquement comique, une occasion de réfléchir à
son humanité205. Ainsi, dans l'exemple ci-dessous, peut on observer des animaux qui se
moquent des faibles résultats (en matière de victimes annuelles) du requin (p.25) :
Les émotions mises en scène à travers l'humour sont essentiellement le sentiment amoureux et
205 On retrouve le même procédé, quoique de manière moins systématique dans Pourquoi les taupes...
107
l'affection (17 occurrences), la colère (14 occurrences), et la peur (12 occurrences) 206.
Illustration extraite de Des molécules plein l'assiette (p.42)
Au total, c'est finalement plus de la moitié des documentaires observés qui proposent des
exemples humoristiques où les facteurs émotionnels entrent en jeu.
c- Se décentrer : l'anthropocentrisme en question
Enfin, lors de notre observation, nous avons repéré deux exemples particulièrement aboutis de
cette fonction réflexive de l'humour, où la capacité à se décentrer est au centre même des
situations humoristiques présentées.
Il s'agit d'une part d'un exercice pratique proposé dans De l'origine..., où le lecteur est invité à
imaginer ce qui motive les actions d'un jeune enfant (p.63) :
206 Nous présentons en annexe 8 un tableau récapitulatif de ces données.
108
Remarquons ici que l'identification au personnage mis en scène est facilitée par le fait qu'il
s'agit d'un enfant, et que la situation proposée est évocatrice, puisqu'elle renvoie le jeune
lecteur à son quotidien.
Le second exemple que nous avons relevé est issu du chapitre « le monstre inconnu » dans
Les bêtes qui crachent... Celui-ci propose une réflexion sur l'anthropocentrisme, omniprésent
dans les documentaires jeunesse... y compris d'ailleurs dans celui-ci, puisqu'il propose de
nombreuses formes d'humour basées sur l'humanisation des animaux, comme nous l'avons vu
ci-dessus. Or, dans cette page (la dernière du documentaire), l'homme est décrit depuis le
point de vue de l'animal, ce qui révèle sa dimension nuisible. Il est en effet présenté comme
un monstre « à 5 bras très mobiles, situés à l'extrémité d'une énorme masse bizarre parfois
hérissée de crochets et de filets » (p.80), un texte angoissant qui s'accompagne de l'illustration
ci-dessous, qui désamorce le climat de peur (il ne s'agit que d'un enfant), mais invite à
s'interroger sur la condition humaine :
109
L'humour, qui fonctionne ici sur un effet de zoocentrisme, invite donc le lecteur à opérer une
décentration pour adopter le point de vue de l'animal chassé.
2- Développer l'esprit critique
En 1982, dans un article collectif de la RLE (n°84, 1982) intitulé « Du documentaire à
l'enfant », les rédacteurs soulignaient déjà l'importance de donner l'occasion à l'enfant de
« prendre quelque distance, de démythifier l'information et la documentation qui lui sont
présentées, de nuancer son jugement »207. Or, l'humour est à cet égard un instrument
redoutable. En portant un regard décalé et souvent irrévérencieux sur ce qu'il ce dont il traite,
il favorise en effet la prise de recul et la réflexion critique... A fortiori lorsqu'il porte
directement sur le savoir présenté ou qu'il met en scène la science et les scientifiques. Nous
avons donc recensé dans le corpus les exemples d'humour de ce type.
Cette fonction critique est présente dans un tiers des documentaires que nous avons observé 208.
Elle constitue à chaque fois une identité remarquable de l'humour, puisque elle ne se retrouve
généralement209 que dans un exemple humoristique ou deux sur l'ensemble d'un documentaire.
Bien qu'ils soient peu fréquents en nombre, ces exemples d'humour sont pourtant intéressants
à analyser, parce qu'ils constituent les seules formes de réflexion de ce type dans les ouvrages
de notre corpus210. Nous avons donc choisi de les observer plus en détail.
Nous avons distingué deux types d'exemples parmi ceux que nous avons relevé : ceux qui
207 Ils donnent en exemple les BT
208 Soit 7 au total
209 A l'exception du Phasme, où les occurrences de ce type sont plus nombreuses.
210 L'humour apparaît donc comme un support privilégié de réflexion métacognitive.
110
interrogent directement le savoir présenté, et ceux qui renvoient à la relation symbolique au
savoir et à la science.
a- Quand l'humour interroge le savoir présenté
L'humour invite alors le lecteur à réfléchir sur le savoir exposé dans les pages mêmes du
documentaire qu'il a entre les mains.
Cette réflexion peut porter sur le thème et nature du discours présenté. Deux documentaires
proposent des exemples de réflexion de ce type.
On en retrouve un exemple dans La vie à bord de la frégate Hermione (p.31) : un pansement,
apparemment incongru, est ainsi collé211 sur l'une des pages du documentaire... qui correspond
en fait à la partie du discours où les maladies sont évoquées. Mais, une fois de plus, c'est dans
De l'origine... que cette invitation à la réflexion métacognitive est la plus présente, puisqu'elle
se retrouve tout au long du discours. Elle se présente alors sous forme d'inclusions textuelles,
dans le corps même de la BD (cases titres), qui proposent une qualification de la nature du
discours présenté. On trouve par exemple les mentions suivantes : « exemple », « exercice
d'application » (suivi plus loin de « réponse »), « moralité » (qui s'accompagne parfois d'une
seconde case indiquant : « fin de la moralité »), mais aussi « présentation des personnages »,
ou « ce qu'il faut retenir », parfois abrégé en « C.Q.F.R »... Ces indications offrent au lecteur,
sous une forme humoristique212, des outils pour distinguer les différents niveaux du discours.
Ils jouent donc alors une fonction métacognitive.
b- Une remise en cause du statut du discours savant
La parodie du discours scientifique
L'humour peut également inviter à développer un regard critique sur le discours scientifique
en général. Cela passe alors par la parodie du ton scientifique, une figure qui se retrouve dans
trois documentaires213. On y retrouve d'ailleurs les deux seuls exemples d'humour observés
dans les éléments du paratexte en dehors des titres (un encadré lexical dans Les bêtes... et une
note de bas de page dans De l'origine...). En apparaissant dans des espaces habituellement
réservés au discours « sérieux » (lexique, note...), l'humour questionne le rapport symbolique
au savoir. Ainsi dans De l'origine..., cette note de bas de page porte sur le fait que le résultat
211 Il s'agit d'une photographie réaliste grandeur nature, et non d'un vrai pansement.
212 Ils reprennent en effet sur un mode décalé les étapes des démonstrations mathématiques classiques.
213 De l'origine..., Le Phasme et Les bêtes...(dans le chapitre consacré au « monstre inconnu »).
111
d'une opération (ici en l'occurrence, la naissance d'un enfant !) est encadré. Or cette note
précise qu' « on encadre toujours les résultats, c'est comme ça » (De l'origine..., p.13). Cet
argument d'autorité, associé à l'incongruité de l'exemple choisi (un bébé considéré comme le
résultat d'une opération mathématique) invite donc le lecteur à relativiser ce qui lui est
présenté.
La remise en cause du discours par l'image
Cette critique passe également par des exemples humoristiques où le discours scientifique
classique214 est remis en cause par des illustrations décalées.
Outre l'exemple sur le « monstre marin » que nous avons déjà évoqué précédemment215, on en
trouve deux illustrations dans Le phasme. Une page de ce documentaire débute par exemple
ainsi : « Dans la nature, le phasme doit échapper aux oiseaux »
Cette information est aussitôt complétée par la phrase : « Dans la maison, le phasme ne craint
pas les oiseaux »... Or l'image qui accompagne cette remarque joue avec ce discours, qui omet
de fournir une information capitale, à savoir les autres dangers qui guettent alors le phasme :
On retrouve ici naturellement les exemples d'humour de l'entre-deux que nous avons évoqués
au début de notre analyse. L'humour apparaît donc bien comme un instrument de mise à
distance et de développement du regard critique.
214 Qui passe par le recours au ton descriptif
215 Voir le paragraphe consacré à l'anthropocentrisme dans la partie précédente
112
Qui parle ? La mise en scène du narrateur
L'humour joue également une fonction réflexive quand il interroge la position du locuteur. En
effet, si dans la plupart des documentaires de la sélection, le discours est présenté de manière
désincarnée, absolue, trois ouvrages mettent cependant en scène de manière directe ou
indirecte la figure du narrateur. Ainsi, Pourquoi les taupes... propose, dans un paragraphe du
texte consacré aux lions, une anecdote suivie par cette remarque : « Revenons à nos
moutons... Heu, à nos lions! ». Cette hésitation qui met soudain le narrateur en avant,
humanise donc le discours. Dans le second documentaire concerné (De l'origine...), ce sont les
questionnements et les motivations de la narratrice qui sont exposés dans un chapitre
introductif, qui la met en scène de manière humoristique :
Enfin, dans Le Phasme, cette humanisation est même systématisée puisque le narrateur est un
personnage à part entière du documentaire 216, mis en scène de manière récurrente au fil des
pages217. Qui plus est, il y apparaît totalement humain, et pas seulement comme un savant en
blouse blanche : il plaisante, s'interroge, et entretient même avec l'objet de son observation (le
phasme) une relation affective (puisqu'il le tutoie). Dans l'exemple ci-dessous, le lecteur est
même mis en position de supériorité face à lui, puisque, s'il observe attentivement, il est en
mesure de répondre à une interrogation du savant :
216 Il donne d'ailleurs son titre à toute la série de documentaires dont est issu Le Phasme : « Les sciences
naturelles de Tatsu Nagata ».
217 Il intervient à 4 reprises de manière directe dans ce documentaire.
113
La mise en scène humoristique du narrateur invite par conséquent le lecteur à réévaluer la
nature du discours scientifique en le faisant passer du statut de vérité absolue à celui de parole
incarnée.
Ainsi, à travers l'humour à thème scientifique, « (…) se disent sur la science des choses assez
profondes et parfois beaucoup plus pertinentes, plus aigües que beaucoup d'analyses
théoriques élaborées »218.
3- Une redéfinition du rapport à la science et au savoir
Sur l'ensemble du corpus, c'est au final un tiers des documentaires qui interrogent directement
le savoir et la nature du discours scientifique, en proposant des formes humoristiques qui
relèvent explicitement de cette fonction réflexive. De plus, les fonctions affectives de
l'humour, que nous avons détaillées précédemment, participent également, quoique d'une
manière indirecte, à l'établissement d'un nouveau rapport au savoir. L'humour inscrit en effet
le savoir dans un univers de référence proche des enfants (fonction d'appartenance), en y
introduisant qui plus est une dimension de plaisir et de transgression (fonction de climat). Il
contribue de ce fait à modifier les représentations symboliques que le lecteur en a, à l'image
218 LEVY-LEBLOND J.M. (entretien avec) "Savoir... rire de/dans la science", propos recueillis par O.
Dargouge, La Recherche, n° 244, p.683.
114
des scientifiques, qui sont alors mis en scène de manière humoristique 219. F. Vanesse, dans un
article de 2005 sur le documentaire jeunesse, écrit à ce propos : « Quant à l'humour, qui
envahit certaines pages, il permet au jeune enfant de jouer avec ce savoir »220... Et qu'est ce
que jouer, sinon opérer une première distanciation des choses.
D'une manière générale, l'humour contribue donc à favoriser le développement d'un regard
critique et décomplexé sur le savoir et la science. On retrouve ici une réflexion proposée par
Ballanger221 à propos des documentaires sur la préhistoire :
Afin de casser cette image du scientifique à blouse blanche et au crâne dégarni, afin
aussi d'attirer le lecteur adolescent vers un terrain connu, une autre orientation assez
neuve consiste à « désacraliser » le discours scientifique, sur la forme comme sur le
fond. Pour partir à la conquête d'un public jeune, l'auteur va adopter son style, ses
manies, ses références.
Elle considère que cette approche peut – à certaines conditions- constituer un atout pour le
documentaire jeunesse, la science ayant « trop souvent pris les habits de la respectabilité
distante du haut de son érudition précieuse ou de son latinisme obscur pour bon nombre de
jeunes curieux »... Or, comme nous l'avons vu, l'humour est pour cela un instrument
privilégié. Citons là encore C. Rosenbaum de la RLE :
L'humour modifie la façon d'aborder le sujet. Il s'agit d'une mise à distance du
discours scientifique autant pour le public que pour les scientifiques euxmême. On observe l'abandon de certitudes et d'un ton péremptoire, qui
révèlent peut-être une volonté de se démarquer des manuels scolaires.
Conclusion
Dans ces documentaires, l'humour joue donc un rôle direct dans la transmission des
connaissances, mais il s'inscrit également dans une perspective plus large, dont l'objectif est
de renforcer chez le lecteur des attitudes particulières (introspection, esprit critique...), et qui
relève du champ de l'éducation. Lorsqu'il poursuit ces différents objectifs, l'humour s'inscrit
donc dans une démarche de vulgarisation scientifique telle que la définit Jacobi, c'est à dire à
la fois la présentation d'un discours scientifique et une pratique d'éducation non formelle. Ces
219 3 documentaires en proposent des représentations humoristiques, dont le célèbre Tatsu Nagata
220 VANESSE F., « Mille et une raisons de revisiter le livre documentaire jeunesse », en ligne sur le site de la
FIBBC (association professionnelle des bibliothécaires et des bibliothèques, 2005). En ligne (voir
bibliographie)
221 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour
la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002) . [En
ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm
115
résultats nous permettent donc de valider notre hypothèse selon laquelle dans ces
documentaires, l'humour participe au projet de vulgarisation, puisqu'il en partage les objectifs
(H2).
On retrouve en cela la volonté affichée par les sélections de la RLE, qui pose comme critères
essentiels dans le choix des documentaires qu'elle propose le fait qu'ils « éveillent la
curiosité », « suscitent le rire », et « développent l'imagination »222.
Par ailleurs, on constate à travers ces documentaires que l'humour, de part son importance
toutes formes confondues, tient une place non négligeable dans les discours de vulgarisation
proposés. Or, sa présence témoigne d'une attention particulière accordée aux facteurs affectifs
intervenant dans les apprentissages. Il renvoie donc de manière implicite à une conception de
l'apprentissage qui prend en compte cette dimension, et valorise le plaisir et la motivation. Ces
résultats permettent de considérer comme valide notre hypothèse sur la mise en oeuvre dans
ces documentaires d'un rapport nouveau, car de plus grande proximité, entre le jeune lecteur
et le savoir qui lui est présenté (H3). Le rapport symbolique au savoir en est par conséquent
également modifié.
Qui plus est, on observe dans plus de la moitié des ouvrages étudiés, la présence d'éléments
humoristiques qui comportent une dimension critique et réflexive, liée au fait que l'humour
introduit de la distance avec ce dont il traite. Il en découle que ce dernier est à considérer
comme un outil important de réflexion métacognitive au sein des documentaires. Or, dans la
mesure où cette réflexion porte sur les connaissances présentées, mais aussi sur l'image de la
science et des scientifiques, on peut considérer que l'humour favorise un rapport plus distancié
au savoir et à la science. Cette dimension est d'ailleurs sensible dans les discours éditoriaux
qui accompagnent les collections documentaires que nous avons observées. On trouve ainsi
dans le texte de présentation de la section documentaire de Gallimard Junior ces lignes 223 :
Les livres s’efforcent de rassembler la beauté, l’intelligence du propos, de
développer la sensibilité et la curiosité des lecteurs. A partir des connaissances
de base et du monde environnant, on suscite la réflexion, avec l’objectif de former
des citoyens libres et éclairés ; car la vulgarisation ne doit pas être seulement
techniciste ou ferment de vocation ; elle doit ouvrir aussi au débat citoyen qui
relève d’une éthique et engage l’avenir de la société.
Le documentaire ne se limite donc plus nécessairement à des objectifs de transmission de
connaissances, mais s'inscrit alors dans une démarche éducative et citoyenne.
222 Edito de la sélection RLE pour les documentaires (2004), p. 4
223 Article de présentation des collections Gallimard Jeunesse, consultable sur le site http://eprofsdocs.crdpaix-marseille.fr/Zoom-sur-Gallimard-jeunesse.html
116
CONCLUSION
Nous avons tenté, à travers cette étude, de réaliser un état des lieux de l'humour dans le
contexte pédagogique particulier que constituent les documentaires à destination de la
jeunesse. Le choix de situer cette analyse dans ce champ précis de l'édition jeunesse est lié à
la nature du projet éditorial de ce type d'ouvrages, qui associe l'humour à des objectifs
pédagogiques et éducatifs. Il répond également au désir de rendre compte de pratiques encore
trop peu explorées, quand bien même elles constituent à l'heure actuelle une tendance de fond
dans les pratiques documentaires, ce dont nous semble témoigner notre enquête quantitative
sur les sélections de la RLE.
Les résultats de cette observation nous renseignent par conséquent à la fois sur l'humour luimême, mais aussi à travers lui, sur les problématiques actuelles qui traversent le domaine des
documentaires, et sur la manière dont la vulgarisation scientifique pour la jeunesse est
envisagée.
Cette analyse nous a permis de souligner la dimension pédagogique qui est dévolue à
l'humour dans ces documentaires. Celui-ci joue en effet un rôle dans la transmission des
connaissances, de différentes manières. Il agit d'abord indirectement ; on y observe en effet un
emploi relativement classique de l'humour, qui contribue à établir un climat propice aux
apprentissages en influant sur les facteurs affectifs qui y sont associés : motivation,
implication de l'enfant...
Cependant, il agit également fréquemment de manière directe dans l'apprentissage, devenant
alors un outil de compréhension et d'intégration des connaissances, en proposant alors une
utilisation de l'humour qui nous semble plus remarquable. De nombreux documentaires
mettent en effet à profit ces potentialités cognitives dans une optique pédagogique. Le rôle des
images humoristiques dans ce domaine est à souligner. Elles apparaissent en effet à la fois
comme des procédures de visualisation (au même titre que les images d'une manière
générale), mais se présentent également souvent comme des déclinaisons absurdes ou
grotesques des concepts, nécessitant la réactivation du réseau conceptuel de l'apprenant.
117
De plus, nous avons pu observer que l'humour participe également du projet éducatif des
documentaires, en revêtant des fonctions de type métacognitif. L'existence de formes
d'humour de ce type, si elle demeure minoritaire, témoigne en effet de la prise en compte par
les producteurs de documentaires (éditeurs, auteurs et illustrateurs), de l'intérêt de celui-ci en
tant que posture de recul : moyen de mettre à distance les émotions et de se décentrer, il est
également une occasion de s'interroger sur le savoir présenté et d'adopter une posture critique
sur la science elle-même. Au-delà, parce qu'il constitue un type de discours particulier, qui
nécessite des compétences métacommunicationnelles, l'humour apparaît comme un moyen
privilégié d'entraîner le lecteur à analyser de manière critique les informations qui lui sont
proposées, en introduisant du second degré, de l'implicite... Il constitue donc en cela une
expérience métacognitive. Cette dimension de l'humour renvoie au rôle du contrat de lecture
dans les documentaires. On observe en effet d'une manière générale la volonté de rendre
lisibles les éléments humoristiques du discours au sein des ouvrages, à travers des indices
formels, afin de guider le lecteur, et de l'amener à une lecture plus critique.
De ce fait, l'humour s'inscrit véritablement dans le projet de vulgarisation des documentaires,
puisqu'il en partage les objectifs pédagogiques et éducatifs.
Cette étude nous a enfin permis d'aborder, à travers la question de l'humour, les
problématiques qui traversent le genre documentaire lui-même. Rappelons en effet que le
documentaire est une proposition faite par l'adulte à l'enfant. Il nous renseigne donc sur la
manière dont sont appréciés et estimés les besoins de ce dernier, mais aussi sur les
conceptions de l'apprentissage qui sous-tendent ces ouvrages. Dans cette optique, l'humour
apparaît comme une tentative de prendre en compte les besoins de l'enfant. En témoignent
l'importance accordée aux facteurs affectifs (fonctions de climat de l'humour) et le souci d'être
en adéquation avec l'univers du jeune lecteur (référence au quotidien, familiarité du
langage...). Ces différents éléments, associés à la dimension de recul critique que nous avons
évoquée précédemment, favorisent par conséquent l'instauration d'un rapport décomplexé au
savoir, où la dimension du plaisir est essentielle. En cela, le recours à l'humour est à mettre en
lien avec tous les éléments qui contribuent à rendre les documentaires jeunesse attrayants :
qualité de l'objet livre, soin apporté à la mise en page, recours parallèle à la manipulation à
travers les pop-ups... L'humour nous semble donc emblématique d'une conception de la
vulgarisation aujourd'hui largement répandue, même si elle demeure souvent peu théorisée par
les éditeurs, qui cherche à proposer un discours attrayant et d'autant plus efficace qu'il utilise
118
des outils adaptés à son lectorat, et qu'il prend en compte le potentiel pédagogique du plaisir.
L'objectif de cette recherche était de quantifier et d'éclairer un phénomène mal connu, bien
que constaté de manière unanime. Cette première analyse nous a cependant permis de
souligner le rôle intégratif de l'humour, ainsi que l'importance de sa portée métacognitive.
Elle nous a par ailleurs permis d'élaborer, à partir d'un ensemble de recherches sur la question
de l'humour, des outils d'analyse susceptibles d'êtres employées dans un cadre dépassant celui
des documentaires. Ces outils pourraient ainsi permettre de réaliser des observations du type
de celle réalisée pour la sélection 2009 de la RLE, sur d'autres types de documents à
dimension pédagogique, à l'exemple des manuels scolaires. Cela permettrait de mesurer la
porosité de ce pan de l'édition avec les ouvrages « extra-scolaires » du type documentaires.
Enfin, cette recherche qui s'est intéressée aux propositions humoristiques contenues dans les
ouvrages, se place du côté des producteurs d'humour. Elle conduit cependant naturellement à
se poser la question de la réception de ces éléments : comment ces formes d'humour sont
perçues par les lecteurs ? Quels sont leurs effets, et quelles peuvent être leurs limites,
notamment en ce qui concerne le risque de brouillage de discours que nous avons abordé ?
Une étude comparative, dépassant le spectre de cette recherche mais qui pourrait nous semblet-il lui apporter un complément fructueux, serait à mener pour vérifier l'impact sur les lecteurs
de cette stratégie de vulgarisation.
119
ANNEXES
Liste des documents proposés :
– Annexe 1 : Sélection d'ouvrages humoristiques proposés par deux professionnels
du livre de jeunesse (bibliothécaires) à partir des sélections RLE
– Annexe 2 : tableaux récapitulatifs des occurrences liées au plaisir et au jeu dans les
notices de la sélection RLE
– Annexe 3 : tableau présentant le développement de la place des documentaires
humoristiques proposés dans la sélection RLE depuis 1967 (en nombre de
documents)
– Annexe 4 : Détermination du corpus en fonction des mots-clefs (sélection 2009)
– Annexe 5 : Grille d'observation des fonctions de l'humour
– Annexe 6a : Tableau de synthèse des formes de l'humour dans les documentaires
du corpus
– Annexe 6b : Tableau de synthèse des formes et place de l'humour dans les
documentaires du corpus (analyse croisée)
– Annexe 7 : Tableau de synthèse des fonctions de l'humour dans les documentaires
du corpus
– Annexe 8 : Types de sentiments et d'émotions mis en scène
– Annexe 9 : Détails sur la fonction d'appartenance (formes humoristiques liées)
– Annexe 10 : Détails sur la fonction d'intégration (exemples humoristiques
associés)
– Annexe 11 : Informations complémentaires concernant les documentaires
présentés
– Annexe 12 : exemple de grille d'analyse d'un des ouvrage du corpus (Tomber d'en
haut ! La gravitation)
120
ANNEXE 1:
Les documentaires humoristiques proposés par deux professionnels du livre de jeunesse,
à partir des sélections RLE présentées sans notices.
Documentaires humoristiques : sélection des bibliothécaires
Année de
sélection
RLE
Titre
Auteur/illustrateur
Collection et
éditeur
Notice
1999
Nos amis les
hommes
S. Frattini,
Desailly
Milan
« livre plein d'humour »
« dessins très drôles »
1999
Pourquoi une
maison ?
S. Kako
Archimède
L'Ecole des
Loisirs
« un traitement drôle et
intelligent »
2001
Passez la monnaie !
V. Guidoux, B.
Heitz
Petits Citoyens « avec humour »
Casterman
« l'humour des nombreuses
vignettes de Bruno Heitz »
2001
Cléopâtre et son
temps
V. Nicolaides, E. Regard
Papaefthymiou
d'aujourd'hui
Mango
Jeunesse
2001
Les Cailloux de
Chacha
PY Jacopin, T.
Tirabosco
2002
Le monde des océans R. Le Bloas, P.
Robin
Les
Encyclopes
Milan
« Une langue vivante, facile et
drôle », « des anecdotes
amusantes »
2002
Que devient ce que
je mange ?
A. Smith, M.
Wheatley
Usborne
« l'humour ambiant reste léger et
agréable. »
2004
Ah !
J. Goffrin
Réunion des
Musées
Nationaux
« Amusante », « on s'amuse »
2004
Le grand bestiaire
M. Loyon, P.
Martin
Les ateliers Art « s'amuser », « amusant »
Terre
2004
L'art en bazar
U. Wehrli
Milan Jeunesse « quelques tableaux que l'auteur
bouscule. Un agréable
divertissement »
2004
Pourquoi les zèbres
sont-ils en pyjama ?
L. Prap, P.
Bonhomme
Couleurs
monde
Circonflexe
« fantaisistes », saugrenues »,
« humour »
2004
Les dessous du
mammouth
S. Philippo, C.
Duferta
Tourbillon
Museum
d'histoire
naturelle
« humoristique »
2004
Graine de bébé
T. Lemain, S.
Bloch
Nathan
« les hypothèses les plus
farfelues »
2004
Le vol : notions de
base
J. Parrondo
L'Ampoule
Mieux vaut le
savoir
« s'amuser », « anecdotes
comiques ou loufoques »
« approche iconoclaste autant que
stimulante, rapprochant les temps
anciens à coup de formules
accrocheuses, de jeux de mots et
de connivences avec les jeunes
lecteurs »
Les ptits
« avec poésie et humour »
Suisses
La Joie de Lire
121
2006
Vous avez dit
justice ?
M. Brossy-Patin, La
« Les illustrations apportent une
X. Lameyre,
Documentation note d'humour bienvenue. »
Muzo
française
Seuil Jeunesse
2006
Petites et grandes
inventions
P. Piettre É. de
Lambilly, ill. L.
Audouin, P.
Beaucousin, A.
Renaux
Regard Junior
Mango
Jeunesse
« L’humour perce à travers les
illustrations et les anecdotes
historiques »
« jubilatoire »
2006
La grenouille
T. Nagata
(Dedieu)
Les Sciences
naturelles de T.
Nagata
Seuil Jeunesse,
« L’univers loufoque de ses
albums conjugue simplicité,
brièveté et humour. »
« première approche amusante »
2006
Les Sales bêtes
G. Bonotaux
Album Nature Le texte est dynamique, clair et
Milan Jeunesse amusant
2006
(réédition)
Le Grand livre
M. Bird, trad. A.
pratique de la
Mélo :
sorcière en 10 leçons
Junior
Gulf Stream
« humour »
« beaucoup de détails drôles »
2008
Les plantes qui
L. Hignard, A.
puent, qui pètent, qui Pontoppidan, Y.
piquent
Le Bris
Dame Nature
Gulf Stream
Humour : « voici un parcours de
lecture instructif et non dénué
d'humour... »
2009
Au fil des araignées
D. Godart (dir. C. Seuil Jeunesse/ Drôle : « Dessins irrésistibles »
Rollard,
muséum
muséum)
national d'hist.
naturelle
2009
Comment c'était
avant les vacances
N. Weil
Albin Michel
Jeunesse
Humoristique : « de nombreuses
double-pages illustrées (…) dont
les dessins proposent des scènes
aussi détaillées qu'humoristiques »
2009
Le phasme (trad)
T. Nagata
(Dedieu)
Rêves
Soc des
explorateurs
français,
Bayard
jeunesse
Drôle : « un texte court, drôle... »
2009
Pourquoi les taupes
ne portent-elles pas
de lunettes ?
F. Moutou
Les albums du « dessins, photos et petits encarts
Pommier
de couleur dynamisent
Le Pommier
agréablement la lecture »
2009
Des petits mots qui
font les grands
V. Gaudin, Robin Les Passe-mots « amusant »
Le Temps
Junior
122
ANNEXE 2
Tableau des occurrences liées au plaisir, à la joie et au jeu dans les notices de la sélection
RLE
(en gras les documentaires présentant un caractère humoristique)
1967
1974
1978
1984
1989
1994
1999
2004
2009
attrayant
0
1
1
1
1
1
1
1
1
agréable
0
0
0
0
0
0
1
10+ 2
1
Autres
occurrences
liées au
plaisir
0
0
0
1
1 forme
séduisan décontra
t
ctée
Occurrences
liées à la joie
3
2
attractif séduisan
1
t
plaisant
1
divertissant
1 joyeux 1 joyeux 1 gai
1 mise
en page
gaie
2
Ludique (ton) 0
3
0
1
1
0
8
4
Interactivité
0
0
0
0
0
0
0
1 plaisir 0
de la
manipulation
Autres
occurrences
liées au jeu
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Place des documentaires dont les notices mentionnent le plaisir dans les sélections RLE
depuis 1967.
Année de sélection
1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Numéro RLE *
Bullet Bullet RLE RLE RLE RLE RLE RLE RLE
in
in
n°63 n°100 n°129 n°160 n°190 n°219 n°249
n°10 n°40 nov19 nov19 nov19 déc
déc
nov
nov
déc19 déc19 78
84
89
1994 1999 2004 2009
67
74
Nombre total de documentaires dans 140
la sélection
119
47
115
108
210
122
226
154
Occurrences liées au plaisir
(attrayant agréable, plaisant...)
1
1
1
2
1
10
10
5
0,8
2,1
0,9
1,9
0,5
8,2
4,4
3,2
0
Mention du plaisir (en pourcentage) 0
* Le Bulletin d'analyse de livres pour enfants dont le premier numéro parut en septembre 1965, devient en 1976
la Revue des livres pour enfants.
123
ANNEXE 3
Développement de la place des documentaires humoristiques proposés dans la sélection
RLE depuis 1967.
Année de sélection
1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Numéro RLE *
Bullet Bullet RLE RLE RLE RLE RLE RLE RLE
in
in
n°63 n°100 n°129 n°160 n°190 n°219 n°249
n°10 n°40 nov19 nov19 nov19 déc
déc
nov
nov
déc19 déc19 78
84
89
1994 1999 2004 2009
67
74
Nombre total de documentaires dans 140
la sélection
119
47
115
108
210
122
226
154
Occurrences liées au rire
(humoristique, comique, drôle,
rigolo)
3
1
4
4
10
11
21
25
2
Mention du rire (en pourcentage)
1,4
2,5
2,1
3,5
3,7
4,8
9
9,3
16,2
* Le Bulletin d'analyse de livres pour enfants dont le premier numéro parut en septembre 1965, devient en 1976
la Revue des livres pour enfants.
124
ANNEXE 4
Détermination du corpus en fonction des mots-clefs
Champ lexical et mot-clef issu de la
notice RLE
Humour : « avec humour »
Humour
/
comique
oui
Titre
Auteur et
illustrateur
Collection et
éditeur
De l'origine des
mathématiques
C. Gandillot
« Le théatre
d'images »
MeMo
Humour : « Avec humour, avec sérieux, oui
ce livre invite à des découvertes
originales... »
Un tableau peut en
cacher un autre
Caroline
Larroche
Palette
Humour : « avec un humour potache... » oui
Le Moyen-Age
D. Casali, C.
Bathia
Coll. « Le
journal de
l'histoire »
Milan
Jeunesse
Humour : « ces albums (…) si oui
marquants par leur poésie, leur humour
et leur recherche formelle... »
Londres
M. Sasek
Casterman
(réédition)
idem
oui
Venise
M. Sasek
Casterman
idem
oui
New-york
M. Sasek
Casterman
idem
oui
Paris
M. Sasek
Casterman
idem
oui
Rome
M. Sasek
Casterman
Humour : « humour décalé et pertinent oui
pour des jeux d'observation... »
Combien y en a-tT. Gomi
il ? : jeux pour les 4-5
ans
Humour : « le ton est juste, et la oui
tendresse, l'humour, éclairent le récit... »
Chère Traudi
Humour : « voici un parcours de lecture oui
instructif et non dénué d'humour... »
Les bêtes qui
JB de
crachent, qui collent, Panafieu
qui croquent à la mer
Humour : « beauté et humour éclatent oui
dans la mise en page colorée... »
Jacques Prévert :
Paris la belle
C. Aurouet, E. Flammarion
Bachelot
Prévert, NT
Binh
Humour : « illustrations pleines oui
d'humour qu'il faut s'amuser à
décrypter »
Au coin du fourneau
A. Barman
La Joie de
Lire
Humour : « Chaque mini-texte est clair oui
et
accompagné
d'un
dessin
humoristique »
Le grand livre de la
famille
S. Ledu, S.
Frattini
Milan
Jeunesse
Humour : « de nombreuses double- oui
pages illustrées (…) dont les dessins
proposent des scènes aussi détaillées
qu'humoristiques »
Comment c'était
avant les vacances
N. Weil
Albin Michel
Jeunesse
Humour : « illustrations
Des molécules plein
J. Maricon
oui
Bayard
jeunesse
A. Villeneuve « Carré
blanc »
Les 400
coups
« Dame
nature »
Gulf Stream
« Graine de
125
humoristiques »
l'assiette : la cuisine
par les sciences
expliquée aux enfants
Humour : « illustrations
humoristiques »
Je ne peux pas le
sentir : le monde
secret des odeurs
expliqué aux enfants
H. Pince, R.
Pince
« Graine de
savant »
Milan
Jeunesse
Humour : « Une lecture instructive (…) oui
amusante et humoristique »
Des animaux ?
Pline
l'Ancien,
textes choisis
par G. Pourret
« Mouckins
»
Editions
Mouck
Comique : « Le jeune lecteur suivra oui
l'aventure amusante d'un petit garçon... »
Tomber d'en haut ! :
la gravitation
KS Kang
(trad)
SH Jeong
« Ohé la
science ! »
Ricochet
Comique :
amusantes »
Des petits mots qui
font les grands
V. Gaudin,
Robin
« Les passemots »
Le Temps
Junior
Dauphins et baleines
S. Baussie, N. « Kididoc »
Choux/ E.
Nathan
Toublanc
illustrations
sont oui
Comique : « une page amusante »
non
Comique
amusantes »
« les
oui
savant »
Milan
Jeunesse
:
«des
illustrations oui
Fermes et campagnes MM Pons, A.
Laprun
Actes Sud
Junior
Au fil des araignées
D. Godart
(dir. C.
Rollard,
muséum)
Seuil
Jeunesse/
muséum
national
d'hist.
naturelle
La vie à bord de la
frégate Hermione
D. Georget
Gulf stream
Le phasme (trad)
T. Nagata
(trad)
Soc.des
explorateurs
français,
Bayard
jeunesse
Plaisir : « agréable », « dessins, photos oui
et petits encarts de couleur dynamisent
agréablement la lecture »,
Pourquoi les taupes
ne portent-elles pas
de lunettes ?
F. Moutou
« Les albums
du
pommier »
Le Pommier
Plaisir : « Séduisant »
non
La petite galerie de la P. Geis
Joconde (trad)
« La petite
galerie »
Palette
Plaisir : « Séduisant »
non
La petite galerie de
Calder (trad)
« La petite
galerie »
Palette
Comique : « Dessins irrésistibles »
Comique
intelligemment
Georget... »
:
« drôlement
dessiné
par
Comique : « un texte court, drôle... »
oui
et oui
D.
oui
P. Geis
126
ANNEXE 5
Grille d'observation des fonctions de l'humour
Fonctions de climat
Cli 1
Cli 2
Obje Etablissement
ctif d'un contexte
émotionnel
favorable
Implication
affective du
lecteur
Fonc Plaisir et
tion motivation
Renforcement
du sentiment
d'appartenance
(connivence)
Fonctions d'apprentissage
App 1
Accroche
Mise en
questionnement
du lecteur, éveil
Baisse des
de la curiosité
tensions (si
sur une question
contenu affectif Développement particulière
qui risque de
d'un sentiment
parasiter
de proximité
l'apprentissage) avec le lecteur
App 2
Fonctions d'éducation
Ed 1
Ed 2
Entrainement
cognitif et
intégration des
concepts
Réflexion
identitaire
Développement
de l'esprit
critique
Réinvestisseme
nt des
connaissances
dans un
contexte
nouveau
Réflexion sur
soi et mise à
distance des
émotions
(Shade, 1996)
Réflexion sur
les savoirs
présentés et sur
la position de la
science
Intégration du
discours
principal
Conscience de
soi en tant
qu'individu
(favorise
décentration)
Form Pas
e
nécessairement
d'inférences (ou
internes à la
situation)
Inférences
extradiscursives qui
renvoient à des
références
culturelles et
des normes
sociales
partagées, ou à
l'expérience
personnelle, au
vécu, du lecteur
Inférences
intradiscursives (sur
la suite du
discours)
Inférences
intradiscursives (sur
ce qui a déjà été
évoqué dans le
discours)
Métaphores,
comparaisons
ou procédures
de visualisation
(rôle de
l'image)
Inférences
extra-discursive
(renvoie aux
émotions et à
l'image de soi)
Inférences
extradiscursives sur
l'image
traditionnelle de
la science et
attitude face au
savoir
Indic Mise en scène
es
de situations
humoristiques
(humour
tendancieux ou
neutre) dont la
seule fonction
est de
provoquer le
rire
Références
culturelles et
sociales
Références à
des termes et
des notions qui
sont explicitées
dans le discours
par la suite
Reprise
d'éléments
évoqués dans le
discours
principal (sous
un mode
absurde,
décalé...)
Mise en scène
de situations
humoristiques
dont la
compréhension
implique la
prise en compte
des émotions et
des sentiments
Mise en scène
des
scientifiques
Mise en scène
du quotidien
Recours au
Position
langage familier introductive
Présence
d'éléments qui
interrogent le
savoir présenté
(effets de mise à
distance)
127
ANNEXE 6a
Formes de l'humour dans les documentaires du corpus
En gris moyen : support privilégié de l'humour dans le documentaire
En gris clair : documentaires mixtes
Titre
Humour textuel
Images
humoristiques
Humour de
l'entre deux
Général
Titres
graphique
mixte
relation texte
image
Jacques Prévert : Paris la belle
5
0
1
0
0
Un tableau peut en cacher un
autre
5
6
0
0
0
Le grand livre de la famille
0
4
7
11
0
Comment c'était avant les
vacances
0
0
17
0
0
Rome
2
0
3
5
0
Le Moyen-Age
45
17
8
4
0
La vie à bord de la frégate
Hermione
1
0
14
10
0
Chère Traudi
3
0
2
0
0
(11) voc arch.
0
32
1
0
Le phasme (trad)
3
0
2
4
2
Au fil des araignées
0
11+ titre gnl
0
21
0
Les bêtes qui crachent, qui
collent... à la mer
8
1 (titre gnl)
27
63
2
Je ne peux pas le sentir ...
0
6+ titre gnl
4
26
0
Tomber d'en haut ! : la gravitation
0
1 (titre gnl)
5
6
0
Des molécules plein l'assiette...
0
16+ titre gnl
4
23
0
De l'origine des mathématiques
9
6
5
3
7
Au coin du fourneau
0
1 (titre gnl)
48
0
0
Combien y en a-t-il ? : jeux pour
les 4-5 ans
1
0
5
0
0
Fermes et campagnes
0
0
4
0
0
Des petits mots qui font les
grands
0
1 (titre gnl)
210
124
0
Pourquoi les taupes ne portentelles pas...
4
16
15
21
0
Des animaux ?
128
ANNEXE 6b
Formes et place de l'humour dans les documentaires du corpus (analyse croisée)
En gris moyen : les positions privilégiées de l'humour au sein de chaque documentaire
En gris clair : les documentaires utilisant l'humour à la fois dans le discours principal et dans les éléments
du annexes.
Titre
Humour intégré
Humour périphérique
Textuel
Image
hum.
relation
texte image
Textuel
Image hum.
Titres
Jacques Prévert : Paris la
belle
5
0
0
1
1
0
Un tableau peut en cacher
un autre
5
0
0
0
0
6
Le grand livre de la famille
0
0
0
1
17
4
Comment c'était avant les
vacances
0
17
0
0
0
0
Rome
2
5
0
0
3
0
Le Moyen-Age
45
3
0
0
9
17
La vie à bord de la frégate
Hermione
1
5
0
0
19
0
Chère Traudi
3
0
0
0
2
0
(11)voc arch.
0
0
0
33
0
Le phasme (trad)
0
1
2
1
7
0
Au fil des araignées
0
0
0
0
21
11+ titre gnl
Les bêtes qui crachent, qui
collent... à la mer
1
0
2
9
89
1 (titre gnl)
Je ne peux pas le sentir ...
0
0
0
0
30
5+ titre gnl
Tomber d'en haut ! : la
gravitation
0
7
0
0
4
1 (titre gnl)
Des molécules plein
l'assiette...
0
0
0
0
27
16
De l'origine des
mathématiques
8
7
7
1
0
6
Au coin du fourneau
0
0
0
0
48
1 (titre gnl)
Combien y en a-t-il ? : jeux
pour les 4-5 ans
1
2
0
0
3
0
Fermes et campagnes
0
0
0
0
4
0
Des petits mots qui font les
grands
0
0
0
0
334
1 (titre gnl)
Pourquoi les taupes ne
portent-elles pas...
4
0
0
0
36
16
Des animaux ?
129
ANNEXE 7
Tableau de synthèse des fonctions de l'humour
En gris moyen, les fonctions majoritairement présentes dans les documentaires (plus de la moitié des
occurrence rencontrées).
En gris clair, les fonctions fréquentes dans les documentaires (plus d'un quart des occurrences
rencontrées).
Total
occ
Fonctions affectives
Fonctions
d'apprentissage
Fonctions
éducatives
CLI-1
Contexte
positif
CLI-2
Implication
affective
APP-1
Accroche
APP-2
Entraînement
cognitif
ED-1
ED-2
Réflexion Développeidentitaire ment esprit
critique
Jacques Prévert : Paris la
belle
6
3
1
0
2
0
0
Un tableau peut en cacher
un autre
11
0
5
6
6
0
0
Le grand livre de la famille 45
16
+ 1 Dédra
+ 1 Masc
2
1
20
12
0
Comment c'était avant les
vacances
17
17
SC
0
0
0
0
Rome
11
7
2
0
1
1
0
Le Moyen-Age
45
12
+ 1 Dédra
PARODIE
120
17
27
0
0
La vie à bord de la frégate
Hermione
35
17
SC
0
0
16
2
1 Savoir
Chère Traudi
5
5
Dédra
0
0
0
0
0
Des animaux ?
75
40
0
0
35
0
0
Le phasme (trad)
21
12
0
0
9
0
1 Narrateur
Au fil des araignées
38
11 Masc
16
17
27
0
0
28
17
9
66
18
3
1 Im Sc
Les bêtes qui crachent, qui 121
collent... à la mer
Je ne peux pas le sentir ...
45
9
5
4
26
0
1 Im Sc
Tomber d'en haut ! : la
gravitation
11
5
0
0
8
1
0
Des molécules plein
l'assiette...
43
16
8
16
22
5
0
De l'origine des
mathématiques
30
0
0
6
17
7
1 Narratrice
130
Total
occ
Au coin du fourneau
186
Combien y en a-t-il ? : jeux 7
pour les 4-5 ans
Fermes et campagnes
6
Des petits mots qui font les 334
grands
Pourquoi les taupes ne
portent-elles pas...
56
Fonctions affectives
Fonctions
d'apprentissage
Fonctions
éducatives
77
SC
41
0
3
6
0
7
SC
0
0
0
1
0
2
0
0
3
0
1 Im Sc
125
165
209
0
0
0
16
24
5
2 Narrateur
Im Sc
10
10
+ 21 Masc
SC : scènes. Masc : mascotte. Dédra : dimension de dédramatisation. Im Sc : mise en scène des
scientifiques
131
ANNEXE 8
Types de sentiments et d'émotions mis en scène
Total des
Amour
Peur
occurrences Attention
Jalousie Colère
10
2
Humiliation
Moquerie
Autre(s)
Jacques Prévert : Paris...
Un tableau ...
Le grand livre ...
2
1
4
1
Comment c'était ...
Rome
Le Moyen-Age
La vie à bord ...
2
1
1
Chère Traudi
Des animaux ?
Le phasme (trad)
1
1
Au fil des araignées
Les bêtes qui crachent... 18
1
4
Je ne peux pas le
sentir ...
2
1
Des molécules ...
5
3
1
De l'origine ...
7
2
1
Au coin du fourneau
6
3
Combien y en a-t-il ? ...
1
6
2
5
1
Tomber d'en haut !...
1
1
3
1
2
1
Fermes et campagnes
Des petits mots ...
8
3
1
2
Pourquoi les taupes ...
5
2
2
1
1
1
132
ANNEXE 9
Détails sur la fonction d'appartenance (formes humoristiques liées)
Total des Références culturelles
occur(détournées ou directes)
rences
Illustration Texte
Titre
Référence au quotidien
Illustration Texte
Jacques Prévert : Paris... 1
Titre
1
Un tableau ...
5
4
Le grand livre ...
2
Comment c'était ...
0
Rome
2
Le Moyen-Age
120 *
La vie à bord ...
0
Chère Traudi
0
Des animaux ?
0
Le phasme (trad)
0
Au fil des araignées
16
4
Les bêtes qui crachent...
17
6
Je ne peux pas le sentir
5
2
Tomber d'en haut !...
0
Des molécules ...
8
De l'origine ...
0
Au coin du fourneau
41
Combien y en a-t-il ? ...
0
Fermes et campagnes
0
Des petits mots ...
165
45
Pourquoi les taupes ...
10
5
1
1
2
2
52
43
2
4
7
1
20
5
1
10
3
1
4
2
40
1
1
1
119
3
2
* Principe général du livre (parodie du style et des formes journalistiques)
133
ANNEXE 10
Détails sur la fonction d'intégration (exemples humoristiques associés)
Total
des
occurrences
Figuration des concepts
Déclinaison
comique des
concepts et des
connaissances
Représentation Métaphores et
Visualisation
de l'invisible
comparaisons (en des concepts
gras : liées à
l'humanisation)
Jacques Prévert : Paris...
2
2
Un tableau ...
6
6
Le grand livre ...
20
Comment c'était ...
0
Rome
1
Le Moyen-Age
27
La vie à bord ...
16
Chère Traudi
0
Des animaux ?
35
35
8
Le phasme (trad)
9
1
16
Au fil des araignées
27
12
58
Les bêtes qui crachent...
66
5+3
24
Je ne peux pas le sentir
26
1
8
Tomber d'en haut !...
8
Des molécules ...
22
De l'origine ...
17
Au coin du fourneau
3
Combien y en a-t-il ?
0
Fermes et campagnes
3
Des petits mots ...
0*
Pourquoi les taupes ...
24
1
15
1
24
1
2
15
3
3
24
* Ce documentaire constitue un cas particulier où l'humour joue une fonction d'accroche sous forme
imagée, qui peut également fonctionner comme une intégration a posteriori. Si nous ne l'avons pas
comptabilisé comme tel, remarquons cependant ici qu'il propose quelques éléments humoristiques qui
relèveraient de la métaphore (12), et de la visualisation de l'abstrait (15), la majorité des exemples proposés
renvoyant à une déclinaison comique (136).
134
ANNEXE 11
Informations complémentaires concernant les documentaires présentés
Age cible (à
partir de...)
Mascottes
Humanisatio Mise en scène
n des
enfants
animaux
Jacques Prévert : Paris la belle
10 ans
Un tableau peut en cacher un autre
9 ans
Le grand livre de la famille
8 ans
Comment c'était avant les vacances
8 ans
Rome
7 ou 8 ans
Le Moyen-Age
10 ans
La vie à bord de la frégate Hermione
9 ans
Chère Traudi
11 ans
Des animaux ?
9 ans
oui
Le phasme (trad)
3 ans
oui
Au fil des araignées
9 ans
Les bêtes qui crachent, qui collent... à la
mer
9 ans
Je ne peux pas le sentir ...
11 ans
Tomber d'en haut ! : la gravitation
7 ans
Des molécules plein l'assiette...
10 ans
De l'origine des mathématiques
13 ans
Au coin du fourneau
9 ans
Combien y en a-t-il ? : jeux pour les 4-5
ans
4 ans
Fermes et campagnes
10 ans
Des petits mots qui font les grands
10 ans
Pourquoi les taupes ne portent-elles pas...
9 ans
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
135
ANNEXE 12 : Exemple de grille d'analyse documentaire
Tomber d'en haut ! La gravitation (Ohé la science ! Ricochet)
Page
Forme d'humour
Position humour
Fonctions affectives
Textuel Graphi Mixte Disc. ParaHum. de CLI-1
que
Princ. discours l'entre 2 Contexte positif
Couv. Titre
3
CLI-2
Implication affective
X
Ill.
4
X
Scatologie (« voilà un
caca d'oiseau qui
tombe »)
Ill.
X
15
Détail
X
Comique situation
(chien en parachute)
15
Ill.
X
Mésaventure (chute)
18
Détail
X
Détails incongrus
(oiseau nichant sur la
tête du garçon)
Ill.
APP-2
Entraînement cognitif
Visualisation par exemple
comique
Humanisation chien
X
Visualisation (trajectoire des
objets)
Jeu avec les
peurs (chute)
Référence au quotidien
(régime)
Illustration des conséquences
de l'apesanteur
21
Détail
Intégration par exemple
comique (oeuf au plat)
22
Détail
23
Ill.
X
Illustration des conséquences
de l'apesanteur (comique
situation : boisson qui flotte)
24
Ill.
X
Illustration des conséquences
de l'apesanteur (comique
postures)
X
ED-1
Réflexion
identitaire
Visualisation par exemple
comique (incongruité
présence éléphant)
6
20
APP-1
Accroche
Fonctions éducatives
Lapalissade (« tomber
d'en haut »)
X
Ill.
Fonctions cognitives
Scatologie (papier WC)
Nombre total d'occurrences humoristiques : 11 + titre principal
Intégration par exemple
comique
(gris moyen : fonction majoritaire, gris clair : fonction fréquente)
ED-2
Développement
esprit critique
BIBLIOGRAPHIE
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enfants n°175-176 (« L'illustration documentaire » p.61-68), 1997.
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TESSIER G., L 'humour à l'école – Développer la créativité verbale chez l'enfant, Paris,
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CORPUS :
Bulletin de la revue des livres pour enfants, sélections annuelles 1967, 1970, 1974
Revue des livres pour enfants, sélections annuelles 1978, 1984, 1989, 1994, 1999, 2004, 2009
138
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ......................................................................................................
p.4
I- HUMOUR, ENFANCE ET APPRENTISSAGE ….............................................
A- De l'humour : approche théorique ..........................................................
1- En guise de définition ......................................................................
a- De l'humeur à l'humour ........................................................
b- Humour et comique .............................................................
c- La question de l'intentionnalité ............................................
d- Une approche psychologique de l'humour ...........................
p.6
2- La perspective psychanalytique .......................................................
a- La théorie freudienne ...........................................................
b- Wolfenstein : l'angoisse modérée, moteur de l'humour.........
p.8
3- Humour et intelligence : l'approche cognitiviste ….........................
a- Le rôle des incongruités ........................................................
b- Incongruités principales et secondaires …............................
c- Importance du contexte.........................................................
p.10
4- L'humour des enfants .......................................................................
a- Stades de développement de l'humour ….............................
b- Thèmes de l'humour enfantin ...............................................
p.14
B- Humour et apprentissage ..........................................................................
1- Un outil au service des apprentissages .............................................
a- Climat propice aux apprentissages........................................
b- Connivence et complicité .....................................................
c- Aide à la mémorisation .........................................................
p.16
2- Un outil de développement cognitif .................................................
a- L'humour, facteur d'inattendu ...............................................
b- Un outil d'intégration des concepts et d'entrainement
cognitif .................................................................................
c- Développement de la pensée divergente et créativité ….......
d- Son rôle dans le développement métacognitif …..................
p.17
p.7
p.8
p.10
p.12
p.15
p.18
3- Un outil éducatif dépassant la transmission de connaissances …..... p.19
a- Fonction d'appartenance : connivence et complicité ….........
b- Une forme d'intelligence sociale ........................................... p.20
c- Un outil de régulation sociale ...............................................
d- Un outil de construction identitaire ...................................... p.21
4- Les limites de l'humour en situation d'apprentissage …...................
p.22
139
C- Humour et éducation …........................................................................................
p.23
1- Tradition de l'apprentissage ludique .................................................
a- Le jeu, le plaisir et les apprentissages …...............................
b-Des pratiques marginales .......................................................
p.24
2- L'enfant et les apprentissages ...........................................................
a- Apprendre dans le plaisir ......................................................
b- De l'importance d'être motivé ..............................................
c- Prise en compte des spécificités de l'enfance …..................
p.25
3- On ne peut pas rire partout (humour, école et éducation) …...........
p.27
II- LE DOCUMENTAIRE, TERRAIN D'OBSERVATION PRIVILEGIE DES
PRATIQUES HUMORISTIQUES ..........................................................................
p.29
p.26
A- La nature du projet documentaire ..........................................................
B- Un message plurigraphique .....................................................................
p.30
1- Le rôle du paratexte dans le discours ..............................................
a- Place des images au sein du discours de vulgarisation …....
b- Une mise en espace productrice de sens …........................
p.31
2- Fonction des images et procédures de visualisation de la
vulgarisation ..................................................................................... p.31
a- Fonction d'information .......................................................... p.32
b- Fonction de transposition ......................................................
c- Fonction de visualisation ..................................................... p.35
C- Le documentaire, un genre en évolution ..................................................
1- Explosion du genre documentaire dans les années 1980..................
a- Le développement de l'édition jeunesse …...........................
b- Le secteur documentaire …..................................................
c- Les caractéristiques du documentaire jeunesse …...............
p.36
p.37
p.39
2- Le déclin actuel ...............................................................................
D- L'humour documentaire, un champ de recherche peu exploré …........
p.40
PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES DE TRAVAIL .......................................
p.41
III- LE DISPOSITIF DE RECHERCHE PROPOSE .............................................
p.43
140
A- Enquête exploratoire au fil des sélections RLE ......................................
p.43
1- Les « sélections annuelles » de la Revue des Livres pour Enfants
(RLE) ...............................................................................................
2- Objectifs de l'enquête exploratoire ..................................................
p.44
3- Dispositif retenu ..............................................................................
p.46
4- Les occurrences significatives .........................................................
5- Validation de la démarche de repérage …........................................
p.48
B- L'analyse quantitative ..............................................................................
p.49
1- Objectif et méthodologie de la recherche ........................................
2- Corpus RLE retenu ..........................................................................
3- Résultats et analyse .........................................................................
p.50
C- L'analyse qualitative ................................................................................
1- Objectif ............................................................................................
p.51
2- Corpus : la sélection RLE 2009 .......................................................
a- Une analyse des pratiques actuelles ….................................
b- Le corpus humoristique extrait de la sélection 2009 :
Résultats de la sélection par mots-clefs issus de l'enquête
exploratoire .........................................................................
c- Les documentaires écartés de la sélection ….......................
p.52
3- Les outils d'analyse .........................................................................
a- Modalités d'expression de l'humour …................................
b- Articulation avec le discours de vulgarisation ….................
c- Fonctions de l'humour dans une optique de vulgarisation....
d- La grille d'observation des fonctions de l'humour …...........
e- Validation de ces outils par double cotation …....................
p.54
p.55
p.58
p.59
p.60
p.70
4- Analyse des discours éditoriaux afférents .......................................
p.70
p.53
IV- RESULTATS DE L'ANALYSE QUALITATIVE ET VALIDATION DES
HYPOTHESES DE RECHERCHE ......................................................................... p.72
A- Place et formes de l'humour dans le documentaire jeunesse ...............
p.72
1- L'image, vecteur principal de l'humour …........................................
a- Un support privilégié ............................................................
b- L'image humoristique se situe essentiellement dans le
p.73
141
discours périphérique ............................................................
c- L'image humoristique intégrée au discours principal : le cas
le plus rare ..............................................................................
p.74
2- L'humour textuel : un humour essentiellement périphérique ….......
a- L'humour textuel se retrouve essentiellement dans les titres
b- … Mais très rarement dans les éléments annexes …............
c- L'humour des textes : une figure fréquente, mais à petite
dose .......................................................................................
p.76
3- L'humour de l'entre-deux .................................................................
p.78
4- Les indicateurs de contexte humoristique …...................................
p.79
p.77
B- Les fonctions de l'humour (résultats de l'analyse) .................................. p.83
C- Rendre le savoir accessible : les fonctions affectives de l'humour.........
1- Un climat humoristique rassurant et stimulant (CLI-1) …...............
a- Les thèmes liés à l 'humour de climat …..............................
b- Les formes principales de ce type d'humour …....................
c- Les scènes ............................................................................
d- Le rôle de l'humanisation ....................................................
e- Une fonction de dédramatisation ….....................................
2- Si loin si proche : l'humour « réducteur de distance » entre le
lecteur et le savoir présenté (CLI-2) …...........................................
a- La connivence avec le lecteur .............................................
b- Les références culturelles convoquées …............................
c- Un climat évocateur, qui renvoie à l'expérience personnelle
du lecteur et aux pratiques sociales de référence ….............
D- Les fonctions cognitives de l'humour .....................................................
p.84
p.85
p.86
p.87
p.88
p.89
p.90
p.91
p.93
p.94
1- Mettre en questionnement : la fonction d'accroche (APP-1) ….......
a- Une fonction secondaire de l'humour dans le corpus ….......
b- Trois formes d'humour associées à la fonction d'accroche... p.95
c- Lien avec autres fonctions .................................................... p.96
2- Aider à la compréhension et à la mémorisation du discours
scientifique : la fonction d'intégration (APP-2) …...........................
a- Formes principales ...............................................................
b- L'humour, outil de visualisation …......................................
c- L'humour comme déclinaison du thème évoqué
p.97
p.98
142
(transposition) ......................................................................
p.102
E- L'humour, une fonction éducative au sens large...................................... p.105
1- Apprendre à se penser (ED-1) ..........................................................
a- Jouer avec ses peurs (les émotions du lecteur) ….................
b- Prendre conscience du rôle des sentiments et des émotions.
c- Se décentrer : l'anthropocentrisme en question …................
p.106
p.108
2- Développer l'esprit critique (ED-2) .................................................
a- Quand l'humour interroge le savoir présenté …...................
b- Une remise en cause du statut du discours savant …...........
p.110
p.111
3- Une redéfinition du rapport à la science et au savoir …...................
p.114
CONCLUSION............................................................................................................. p.117
ANNEXES ...................................................................................................................
p.120
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... p. 137
143