lire pour apprendre, rire pour apprendre
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MARDIF / Université de Rouen Myriam BAUD LIRE POUR APPRENDRE, RIRE POUR APPRENDRE ? Place et fonctions de l'humour dans les pratiques de vulgarisation pour la jeunesse L'exemple du documentaire jeunesse Mémoire de Master II en Sciences de l'éducation Sous la direction de A. KERLAN Octobre 2010 1 En souvenir de J. P. ASTOLFI, à l'origine de ce travail. 2 SOMMAIRE INTRODUCTION ......................................................................................................... p.4 I- HUMOUR, ENFANCE ET APPRENTISSAGE …................................................. A- De l'humour : approche théorique .................................................................. B- Humour et apprentissage ................................................................................ C- Humour et éducation ….................................................................................. p.6 p.6 p.16 p.23 II- LE DOCUMENTAIRE, TERRAIN D'OBSERVATION PRIVILEGIE DES PRATIQUES HUMORISTIQUES ............................................................................... A- La nature du projet documentaire ................................................................... B- Un message plurigraphique ............................................................................. C- Le documentaire, un genre en évolution ......................................................... D- L'humour documentaire, un champ de recherche peu exploré …................... p.23 p.29 p.30 p.36 p.36 PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES DE TRAVAIL ........................................... p.41 III- LE DISPOSITIF DE RECHERCHE PROPOSE ................................................ A- Enquête exploratoire au fil des sélections RLE .............................................. B- L'analyse quantitative ..................................................................................... C- L'analyse qualitative ....................................................................................... p.43 p.43 p.49 p.51 IV- RESULTATS DE L'ANALYSE QUALITATIVE ET VALIDATION DES HYPOTHESES DE RECHERCHE .............................................................................. A- Place et formes de l'humour dans le documentaire jeunesse .......................... B- Les fonctions de l'humour (résultats de l'analyse) ........................................... C- Rendre le savoir accessible : les fonctions affectives de l'humour ….............. D- Les fonctions cognitives de l'humour .............................................................. E- L'humour, une fonction éducative au sens large .............................................. p.72 p.72 p.83 p.84 p.94 p.105 CONCLUSION .............................................................................................................. p.117 ANNEXES ...................................................................................................................... p.120 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ p.137 3 INTRODUCTION Les relations entre humour et apprentissage sont un objet d'intérêt récurrent chez les pédagogues. On trouve ainsi déjà dans le Talmud le conseil suivant, prodigué aux professeurs : « Au début de la leçon, commence par une blague ; après, va vers les choses plus sérieuses »1. Cette approche, qui fait de l'humour un outil au service des apprentissages, s'inscrit dans une tradition pédagogique remontant à l'Antiquité, où le plaisir et les facteurs affectifs liés aux apprentissages sont reconnus et valorisés. Cependant, si certaines des positions soutenues par les précurseurs d'alors sont aujourd'hui communément admises – à l'exemple du rôle de la motivation, ou de l'intérêt du jeu en pédagogie, l'humour reste finalement peu exploré dans le champ des sciences de l'éducation, notamment en ce qui concerne ses applications concrètes au niveau pédagogique. Il demeure, qui plus est, marginal dans les pratiques pédagogiques. Or, dans le même temps, on constate que l'humour se diffuse dans le secteur de l'éducation non formelle, c'est-à-dire dans l'ensemble des activités ou programmes organisés en dehors du système scolaire, mais qui sont dirigés vers des objectifs précis d'éducation, comme en témoignent les professionnels. Ce décalage a donc été à la source de notre intérêt pour la question de l'humour dans le cadre des apprentissages. Dans cette optique, il nous a semblé intéressant de nous concentrer sur le champ du documentaire jeunesse, du fait de la nature du projet éditorial inhérent à ce type d'ouvrages : vulgariser la science c'est en effet nécessairement s'interroger sur la manière dont les connaissances peuvent être transmises. Qui plus est, les documentaires semblent être particulièrement enclins à recourir à l'humour, sous des formes diverses. Les professionnels de l'édition s'accordent en effet pour le considérer comme une tendance de fond à l'heure actuelle. Ils nous semblent par conséquent offrir un cadre privilégié pour observer de plus près ce phénomène. A travers l'exemple de la vulgarisation scientifique à destination de la jeunesse, il s'agit donc d'interroger les potentialités didactiques et éducatives de l'humour. Ce questionnement s'inscrit dans une réflexion plus générale sur la relation au savoir et à l'apprentissage, ainsi que 1 Talmud, Shabat, 30, 25 in Ziv, Le sens de l'humour, Paris, Dunod, 1987, p.75 4 sur la prise en considération des besoins de l'enfant et de ses spécificités en matière d'apprentissage et d'éducation. L'objet de ce travail de recherche est donc d'analyser un corpus d'ouvrages documentaires humoristiques à travers la grille de lecture particulière que constitue l'humour, afin d'observer comment ce dernier y est utilisé en tant qu'outil éducatif au service de la vulgarisation scientifique. Nous chercherons dans un premier temps à recenser ces pratiques humoristiques, en nous appuyant sur les sélections proposées par la Revue des Livres pour Enfants (RLE). Cette préenquête, portant sur plus d'une quarantaine d'années, nous permettra d'estimer le développement de l'humour dans le contexte documentaire. Mais c'est ensuite à travers l'observation détaillée d'un corpus documentaire actuel (une sélection de documentaires publiés en 2008, et présentés par la RLE comme humoristiques) que nous pourrons véritablement décrire ce processus, en observant la place et les fonctions qui sont alors assignées à l'humour par l'analyse des productions elles-mêmes. Cette analyse sera basée sur une grille d'observation élaborée à partir d'un ensemble de travaux de recherche portant sur l'humour. Elle sera complétée par l'observation des discours des éditeurs. 5 I- HUMOUR, ENFANCE ET APPRENTISSAGE A- De l'humour : approche théorique 1- En guise de définition a- De l'humeur à l'humour Le terme français « humour » est la traduction du mot anglais humour, dérivé lui même du français «humeur», dont il est au départ l'exact équivalent, c'est-à-dire un liquide sécrété par le corps, qui influe sur le tempérament humain. C'est dans la pièce de Ben Jonson, Every Man out of His Humour (1599), que ce terme est pour la première fois utilisé non plus dans ce sens physique, mais au sens figuré : humour ne désigne plus seulement l'humeur médicale, mais, par métaphorisation, tout caractère excessif. En effet, dans cette pièce, le public rit de personnages monomaniaques dont l'humeur - le humour - est en perpétuel décalage avec les situations de la vie. Si ce sens initial (avoir un humour, c'est-à-dire des bizarreries qui font rire) n'est plus d'actualité aujourd'hui, le sens figuré va, lui, progressivement se répandre, comme en atteste l'expression toujours en vigueur « avoir de l'humour ». Cependant, le terme « humour » désigne des réalités parfois très diverses, qui vont du simple procédé comique à une philosophie de vie. Gendrel et Moran dans leur article sur la question2 distinguent deux définitions essentielles de l'humour : Le premier [usage], que nous nommons « forme de vie », en référence à Wittgenstein, tend à présenter l'humour comme une position existentielle, une manière de vivre, aux limites parfois de l'éthique et du religieux. Le deuxième usage utilise le terme « humour » d'une manière plus linguistique que philosophique. Cet usage met l'accent sur le fait que l'acte de production de l'humour est conscient (c'est la position par exemple de Cazamian), mais il n'est ni seulement mécaniste (étude des procédés) ni seulement affectiviste (étude des sentiments qui provoquent l'humour et que provoque l'humour). Il est l'un et l'autre, tenant à la fois de la rhétorique et de la pragmatique, et à ce titre le terme wittgensteinien de « jeu de langage » nous a paru le plus opportun, puisqu'il évoque non seulement des combinaisons de mots (comme il y a des combinaisons de coups aux échecs) mais aussi la présence indispensable d'un partenaire (notons que « langage » a ici un sens large et fait référence à l'image et au son tout autant qu'aux mots). S'il fallait choisir dans les termes dérivés d'« humour » le plus caractéristique de cet usage, ce serait l'adjectif « humoristique », qui s'applique à une production consciente reconnue comme telle par un tiers. Ces deux tendances se retrouvent, nous le verrons, dans les discours associés à l'humour. 2 GENDREL B., MORAN A., Atelier de théorie littéraire : humour : panorama de la notion, site Fabula (http://www.fabula.org/atelier.php?Humour%3A_panorama_de_la_notion) 6 b- Humour et comique Par ailleurs, le terme d'humour a subi depuis son introduction en français un affaiblissement de sens tendant à l'assimiler au concept plus général de « comique », si bien qu'on qualifie souvent d'humoristique n'importe quelle chose qui fait rire. D. Grojnowski, dans l'article « Humour » du Dictionnaire du littéraire, résume cette évolution : « L'humour est ainsi devenu synonyme de comique, au sens commun du terme, révélant un état d'esprit, un « sens (de l'humour) » qui existe en dehors de ses manifestations littéraires »3. Pourtant, si l'humour relève du comique, il ne le constitue pas dans son intégralité. Contrairement au comique, l'humour implique en effet la perception ou la production d'une incongruité, c'est-à-dire « le non-respect des rapports habituels entre les choses (qu'il s'agisse de mots, d'idées, de représentations, d'évènements) »4. Ce mécanisme, sur lequel nous reviendrons plus en détail, provoque chez le récepteur un conflit de cognition, qui appelle en réponse le rire ou le sourire. La présence d'un cadre ludique est cependant nécessaire pour que l'incongruité puisse être identifiée comme humoristique, et se distinguer ainsi du comique involontaire ou de la simple étrangeté. Ces indices de climat 5 permettent de distinguer l'humour du comique involontaire, qui ne sera pas évoqué ici. c- La question de l'intentionnalité La notion d'intentionnalité nous apparaît essentielle pour définir l'humour 6. Celui-ci naît en effet de l'échange entre deux individus, et du plaisir partagé qui en découle. « Le comique [à l'exception du comique involontaire], l'humour, sont des phénomènes sociaux, des phénomènes de communication », écrit Bariaud, « et l'on ne peut comprendre comment ils s'édifient sans tenir compte de cette essence »7. Elle propose, partant de ce postulat, une définition des phénomènes humoristiques que nous retiendrons pour la suite de notre recherche : Dès lors, on dira d'une création ou d'une réaction qu'elle est sous-tendue par le sentiment de comique ou d'humour seulement s'il est clair qu'à la perception du message incongru s'associe chez l'enfant la conscience de son objectif, de sa raison d'être : provoquer le rire (op. cité, p.52). Cette dimension nous sera utile pour définir, les éléments humoristiques qui serviront de base à notre travail d'analyse. 3 4 5 6 7 ARON P., ST JACQUES D., VIALA A. dir, Dictionnaire du littéraire, article «Humour», (Paris, PUF, 2002). BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 24 Nous les détaillerons dans un paragraphe consacré au rôle du contexte, voir I-3-c Il en va de même pour certaines formes du comique, BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 52. 7 d- Une approche psychologique de l'humour Enfin, la multiplication des approches théoriques possibles sur l'humour – qu'elles soient philosophiques, littéraires ou psychologiques - contribue elle-même à complexifier la notion, au point qu'il semble y avoir presque « autant de sens du mot « humour » qu'il y a de commentateurs », comme le soulignent Gendrel et Moran 8. André Breton cite d'ailleurs cette remarque de Valéry, dans la préface de l'Anthologie de l'humour noir : Le mot humour est intraduisible. S'il ne l'était pas, les Français ne l'emploieraient pas. Mais ils l'emploient précisément à cause de l'indéterminé qu'ils y mettent, et qui en fait un mot très convenable à la dispute des goûts et des couleurs. Chaque proposition qui le contient en modifie le sens; tellement que ce sens lui-même n'est rigoureusement que l'ensemble statistique de toutes les phrases qui le contiennent, et qui viendront à le contenir.9 L'objet général de ce travail – les relations entre humour et apprentissage-, nous a cependant conduit à nous limiter à une perspective psychologique, en lien direct avec les théories du développement de l'enfant, et dont les implications dans le domaine des apprentissages sont importantes. A l'intérieur de ce cadre, nous nous intéresserons de préférence à deux approches complémentaires : la théorie psychanalytique d'une part, et la perspective cognitiviste d'autre part. 2- La perspective psychanalytique a- La théorie freudienne Freud10 envisage l'humour comme une tentative de réponse face à des situations difficiles. Il s'intéresse essentiellement aux motivations de l'humoriste. Il considère en effet l'humour comme un moyen d'expression des émotions, particulièrement dans le cas de sujets sexuels ou agressifs, mais aussi de l'anxiété provoquée par ces pulsions ou par des angoisses fondamentales (peur de l'abandon...). Il distingue trois stades du développement de l'humour chez les individus : le jeu (2-3 ans), puis la plaisanterie (4-6 ans), concomitant avec la découverte de l'absurde et du non-sens ; enfin, à partir de 7 ans, le stade des blagues proprement dites, qui s'intensifie avec l'âge, et où l'on trouve largement illustrée la fonction libératrice de l'humour. Ce dernier fonctionne alors 8 GENDREL B., MORAN A., Atelier de théorie littéraire : humour : panorama de la notion, site Fabula (http://www.fabula.org/atelier.php?Humour%3A_panorama_de_la_notion) 9 Cité par André Breton, Anthologie de l'humour noir, Paris, Le Livre de Poche, 1966, p. 11. 10 FREUD S., Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten (Leipzig, Denticke, 1905), trad. française Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (Paris, Gallimard, 1930) 8 comme un habillage socialement acceptable, - Wolfenstein parle de « masque de l'humour »11à l'expression de sentiments habituellement inhibés : Ce masque permet l'expression de significations chargées d'émotions normalement réprimées, le rire qui s'ensuit libère des sentiments sexuels, hostiles, ou d'autres émotions jugées inacceptables.12 Ce que résume à sa manière A. Spiegelman 13 lorsqu'il définit l'humour : Le goût du scatologique, qui se développe de manière intense chez l'enfant à partir de 3 ans, et qui renvoie aux angoisses liées à l'acquisition du contrôle des fonctions corporelles, en est une autre illustration. L'énergie psychique utilisée jusqu'alors pour inhiber les pulsions sexuelles ou agressives, se libère momentanément et s'extériorise par le rire. Cette forme d'humour, que Freud qualifie de « tendancieuse », constitue selon lui l'essentiel du processus humoristique, d'autant plus que « le plaisir procuré par l'esprit tendancieux permet de donner satisfaction à une tendance qui, sans lui, demeurerait insatisfaite »14. Il reconnait cependant parallèlement l'existence de formes d'esprit « non-tendancieuses », où le plaisir est lié à une dimension intellectuelle (jeux de mots...). Cette distinction entre humour tendancieux (qui associe au rire la notion de dégradation, de rupture, et se traduit par la désacralisation de sujets difficiles ou graves) et humour neutre (qui ne transgresse pas les tabous, et dont l'intention est « de divertir, de libérer des contraintes de la pensée rationnelle » en offrant un plaisir intellectuel) a été largement reprise par la suite 15. 11 WOLFENSTEIN M, « Children's humor : A psychological analysis » (Glencoe, IL, Free Press, 1954), cité par Bergen p. 22 12 BERGEN Doris, « Le développement de l'humour chez les enfants normaux et surdoués : synthèses des connaissances actuelles » (Revue québecoise de psychologie, 2004, 21-41), p.22. 13 SPIEGELMAN Art, Breakdowns (Ed française Casterman, 2008) 14 FREUD, Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (Paris, Gallimard, 1930), p. 177 15 Voir par exemple le chapitre 2 (« Humour et discours comique ») du livre de F. EVRARD, L'humour (Paris, Hachette, 1996). 9 b- Wolfenstein : l'angoisse modérée, moteur de l'humour Parmi les représentations intégrées par l'enfant, il en est qui sont donc fortement investies de valeurs symboliques. Il en va par exemple ainsi de la construction de l'identité sexuelle : faire de l'humour sur la question exige de l'enfant qu'il ait constitué un concept stable et solide de sa propre identité sexuelle. Wolfenstein16 (1954) considère que l'angoisse constitue le coeur du processus de création d'humour. Les thèmes des plaisanteries les plus appréciées des enfants aux différents âges de leur développement, renvoient en effet en réalité à des sujets de profonde inquiétude pour eux. Cependant, l'intensité de cette angoisse ne doit pas être trop forte, la réaction d'humour étant impossible dans une situation trop fortement émotionnelle. Il faut donc que « le degré d'implication de soi (en eux) se réduise dans une certaine mesure »17, c'est-à-dire que ces thèmes puissent être considérés comme suffisamment « sûrs », pour devenir objets de plaisanterie. L'angoisse est alors réduite, mais non pas éliminée totalement, parce qu'elle est justement la source de l'humour, son « moteur » qui, comme l'écrit Bariaud, « retourne en plaisant les sentiments pénibles »18. Les plaisanteries des enfants offrent donc le reflet de leurs craintes et de leurs souffrances : angoisse de séparation, frustration... Cette approche, déjà développée par Eastman19 (1936), nous semble complémentaire de la notion de « maîtrise cognitive » sur laquelle insistent les cognitivistes, et que nous développerons par la suite. 3- Humour et intelligence : l'approche cognitiviste a- Le rôle des incongruités Le second axe, d'influence constructiviste, considère l'humour dans sa dimension d'activité cognitive, basée sur la perception ou la production d'incongruités, c'est-à-dire de tout ce qui relève du « non-respect du rapport habituel entre les choses, qu'il s'agisse de mots, d'idées, de représentation d'évènements ou d'objets »20. Dans cette perspective, l'humour naît de la prise de conscience d'un décalage existant avec ce qui était prévisible, attendu, et qui provoque donc de la surprise. Dans sa « Critique de la raison pure », Kant notait déjà en 1781 que « le 16 17 18 19 WOLFENSTEIN M., Children's humor : a psychological analysis (Glencoe, Free Press, 1954) Cité par Bariaud dans La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 58 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 29 EASTMAN M., Enjoyment of laugher (New York, Simon and Shuster, 1936), traduction française P. GINESTIER, Plaisir du rire (Paris, Sedes, 1958) 20 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 24 10 rire est né de la transformation soudaine d'une attente en rien du tout »21. Cette idée de « l'attente frustrée » est justement au coeur de la théorie cognitiviste. Elle est illustrée notamment par Koestler22, qui y voit le principe central de l'humour : le début d'une histoire crée une tension dramatique, qui est désamorcée par une chute inattendue, quoique offrant une certaine logique. C'est ce passage soudain d'un plan logique à un autre, mouvement que Koestler appelle « bissociation », qui provoque le rire. Parce qu'il élabore volontairement de nouvelles connections entre des éléments jusqu'alors indépendants, ce phénomène peut être considéré comme une forme de créativité, en lien avec la pensée divergente. Koestler l'illustre par une histoire, citée par Schopenhauer avant lui 23 : Un détenu joue aux cartes avec ses geôliers. Lorsque ceux-ci découvrent qu'il a triché, ils le jettent dehors. Deux logiques sont ici à l'oeuvre : celle qui veut que les malfaiteurs soient emprisonnés, et celle qui veut que les tricheurs soient exclus. Par la suite, Suls (1972)24 a proposé un modèle psychologique en deux étapes : l'incongruité est d'abord détectée (non-conformité de la chute au regard de ce qui est attendu), puis résolue de manière quasi instantanée. Le rire découle là encore de la découverte d'un sens inattendu, qui rétablit une certaine cohérence, une « rectification de processus cognitifs »25. Cependant, si la difficulté doit être surmontable (c'est-à-dire que l'incongruité doit pouvoir être identifiée et résolue), elle doit malgré tout offrir un degré suffisant pour être appréciée pleinement. Car le plaisir qui découle de sa résolution est augmenté par la dimension de défi intellectuel qu'elle représente. Mac Ghee évoque à ce propos la nécessité d'une « difficulté suffisante mais pas excessive »26 … En somme, la résolution de l'incongruité ne doit être ni trop simple, ni trop complexe. Remarquons à ce propos que pour être identifiée en tant que telle - une violation des règles -, une incongruité nécessite donc au préalable la connaissance des règles ou des schémas attendus. Cela explique pourquoi l'analyse de l'humour chez les enfants doit nécessairement prendre en compte le niveau de développement de leurs compétences cognitives et sociales. 21 22 23 24 Cité par N. et Z. ZIV dans Humour et créativité en éducation (Creaxion, Paris, 2002), p. 23 KOESTLER A., The act of creation (Hutchinson, Londres, 1964) Cité par ZIV, p.24 SULS J.M., « A two-stage model for the appreciation of jokes and cartoons : an informating-processing analysis », in GOLDSTEIN J. H., Mc GHEE P., The psychology of humor (New- York, Academic Press, 1972), p. 81-100 25 LEFORT B., « Dans une histoire drôle, où est le sujet ? », Semen 14, Textes, Discours, Sujet, 2002 26 MAC GHEE Paul, « Children's appreciation of humor : a test of the cognitive congruency principe » (Child devlopment, 1976, 420-426) 11 b- Incongruités principales et secondaires Le modèle proposé par Suls insiste sur l'importance du processus de résolution de l'incongruité dans l'appréciation d'une histoire drôle. Cette dimension a cependant été critiquée, notamment par Nerhardt (1976), qui considère que l'incongruité peut faire rire en elle-même, sans qu'il y ait nécessairement résolution... C'est par exemple le cas dans certaines formes d'humour du type non-sens, ou absurdité : - Ne vous ai-je pas rencontré à New York ? - Non, je n'ai jamais été à New York. - Ni moi non plus. C'est sans doute deux autres personnes qui se sont rencontrées à New York. Les travaux de Schultz et Horibe (1974)27 ont d'ailleurs démontré que les jeunes enfants ont tendance à apprécier l'incongruité pour elle-même. Dans une étude de 1992 28 concernant la compréhension des blagues par les élèves entre le CP et le CM2, B. Lefort, en reprenant une méthode inspirée par celle proposée par ces deux chercheurs, a montré combien la centration sur l'incongruité principale et l'intérêt pour la chute, ne se réalisent que progressivement chez les enfants. Au départ, ceux-ci accordent même une importance supérieure aux incongruités secondaires, c'est-à-dire à des éléments qu'ils jugent incongrus, mais qui ne correspondent pas au « coeur » de l'histoire drôle. Il s'agit en réalité de tout ce qui, au regard de leur construction cognitive et affective, mais aussi de leur connaissance du monde, leur apparaît étonnant : comportements non compréhensibles pour eux, incongruités renvoyant à des schémas qu'ils ne maîtrisent pas, mais aussi expressions figurées qu'ils prennent au sens littéral (« être cloué au lit »...). Ces résultats confirment les analyses de Bariaud (1983) concernant la perception de dessins humoristiques, où des éléments annexes sont fréquemment évoqués par les enfants pour expliquer le caractère comique selon eux de certaines images. La hiérarchisation entre ces éléments secondaires et l'incongruité finale, à laquelle renvoie la chute, ne se réalise donc que progressivement. Bariaud remarque d'ailleurs que l'adoption d'une forme d'humour semblable à celle des adultes ne se généralise que vers la fin de l'école primaire. c- Importance du contexte Au-delà de sa dimension sociale, sur laquelle nous reviendrons, cet aspect renvoie à une réalité cognitive précise : l'évaluation de la situation. Bariaud insiste sur l'importance de la 27 SCHULTZ T. R., HORIBE F., « Development of the appreciation of verbal jokes », in Developmental Psychology, 10, 1, p.13-20 28 LEFORT Bernard, « Structure textuelle de l'histoire drôle et compréhension », cahiers du CRELEF n°33 (Université de Franche-Comté, 1992), p.98. 12 surprise générée par la détection d'une incongruité29. Celle-ci provoque un conflit de cognition auquel le rire ou le sourire, comportements émotionnels, répondent dans certains cas... Mais pas systématiquement, car si l'inattendu et l'absurde sont des dimensions constitutives de l'humour que l'enfant apprécie, lorsqu'ils atteignent un niveau trop élevé, au lieu de provoquer le rire, ils laissent alors place à de l'angoisse. Mac Ghee écrit à ce propos : « L'enfant ne peut trouver drôle la violation de ses attentes que s'il a acquis une maîtrise conceptuelle du monde réel suffisante pour lui permettre de les considérer comme relevant seulement d'un jeu sur la réalité »30 Il en va d'ailleurs de même pour les adultes. Citons là encore Spiegelman dans son strip « Cracking jokes, brève enquête sur les différentes variétés d'humour » : Freud parlerait à ce propos d'humour « inapproprié », c'est-à-dire facteur d'angoisse ou de souffrance, par opposition à l'humour « approprié », qui lui, est opérant. Mais il vrai que la frontière est étroite entre la surprise et l'étrangeté, ce dont témoigne d'ailleurs la polysémie du mot drôle, à l'intersection du champ sémantique du comique et de l'étrangeté. Bariaud rappelle à ce propos la théorie d'Ambrose, qui considère le rire comme un comportement d'ambivalence, entre le plaisir et la peur31. D'où l'importance des circonstances de production de l'humour : il nécessite un climat de sécurité, et dans certains cas, la présence de signaux indicateurs (sourire, marques linguistiques...). Bon nombre de psychologues, à la suite des travaux de Berlyne (1960)32, ont donc considéré que le rire d'humour était une 29 Voir BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 25. 30 « The child perceives expectancy violations as being funny only when he has acquired a stable enough conceptual grasp of the real world that he can assimilate the disconfirmed expectancy as being only a play on reality ».(traduction personnelle). MAC GHEE Paul, « Development of the humor response : a review of the litterature » (Bull, 1971), p.333 31 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 29 32 BERLYNE D.E., Conflict, arousal and curiosity (McGraw-Hill, New York, 1960) 13 réaction à une incongruité produite dans des circonstances particulières. Dans son étude, Bariaud signale que l'appréciation ou la production d'humour nécessité une double maîtrise, à la fois cognitive (concept établi) et affective (trouble surmonté)33, lorsque le sujet abordé renvoie à des thématiques tendancieuses au sens freudien. Cette approche nous semble intéressante parce qu'elle permet d'envisager le -complexephénomène humoristique de manière plurielle, ce dont Ziv 34 rappelle la nécessité : Notre intention n'est pas de critiquer les théories existantes sur l'humour, mais d'admettre qu'elles peuvent toutes apporter quelque chose qui pourrait contribuer à une meilleure compréhension du phénomène humoristique. Nous pensons que l'humour est un phénomène beaucoup trop complexe pour qu'on puisse englober toutes ses manifestations en une seule théorie. 4- L'humour chez les enfants a- Les stades de développement de l'humour En s'inspirant des stades du développement de Piaget (1962), Mac Ghee 35 a identifié différentes étapes dans le développement de l'humour chez les enfants : la première, de 6 mois à 12-15 mois, consiste d'abord en une réaction de joie (sourire) en présence de visages familiers (parents), puis dans les premiers rires en réponse aux comportements inattendus des parents (imitation du bruit des animaux, gestuelle grotesque, jeux d'apparition et de disparition...). De 12-15 mois à 3-5 ans, lui succède le stade des « actions absurdes », où l'enfant s'amuse à détourner les objets en les considérant autrement que dans leur fonction réelle (une banane devient un téléphone...). A partir de 2-3 ans, et jusqu'à 4 ans, se développe le « langage absurde », c'est-à-dire notamment le fait de nommer volontairement de manière impropre les objets ou les personnes. Entre 3 et 5 ans, apparaissent les premiers jeux basés sur les sonorités de la langue, hors de toute dimension sémantique. C'est l'âge des comptines et des expérimentations langagières, souvent basées sur la déclinaison. ( type « am, stram, gram, pique et pique et colegram »...). Parallèlement, l'enfant se met progressivement à créer des combinaisons absurdes de mots 33 BARIAUD F., op. Cité, p. 58 34 ZIV A., p.26 35 MAC GHEE Paul, « Understanding and promoting the development of children's humor » (Kendall/Hull, 2002) 14 réels (du jus de pomme... de terre / de guitare / de souris...), et à modifier les caractéristiques des objets, animaux ou personnes qu'il connaît. Ayant établi ses premières règles de classifications opérantes (par exemple le concept de chien, avec ce qui lui est normalement associé en termes de forme, couleur, attitude, régime...), il s'amuse à les violer volontairement en dessinant des ailes au chien ou en lui ajoutant des pattes. Cela marque le début d'une forme d'humour que l'ont pourrait qualifier d' « absurdité conceptuelle », et qui renvoie selon Helmers (1965), à une volonté de « reconfirmer l'ordre inaliénable du monde ». Entre 5 et 7 ans, s'opère une période de transition, que Mac Ghee qualifie de « stade des prédevinettes », où l'enfant commence à manifester son intérêt pour l'humour verbal proprement dit. Il est alors capable de rire aux devinettes, parce qu'il considère alors comme drôle tout ce qui est pour lui insensé, au sens propre, mais sans en comprendre dans un premier temps les ressorts (il reste dans la pensée littérale et le sens premier). Ce n'est qu'autour de 7 ans, en lien avec son développement cognitif, linguistique et émotionnel, qu'il découvre la dimension sémantique de l'humour et qu'il en comprend les formes complexes basées sur les doublesens, les jeux de mots... Ainsi, le « drôle » chez le jeune enfant ne correspond pas nécessairement à ce qu'un adulte entend par là, et n'obéit pas à la même hiérarchisation. Dans son travail sur l'humour enfantin, Bariaud situe le moment de l'accession à un humour adulte (c'est-à-dire centré sur la détection de l'incongruité principale) entre 7 et 9 ans 36. b- Thèmes de l'humour enfantin A partir des résultats de sa recherche, Bariaud a établi neuf catégories d'éléments qui amusent particulièrement les enfants37. Les trois thèmes principaux en sont les bizarreries physiques, les anomalies de comportement, et les mésaventures, qui prévalent largement, notamment chez les plus jeunes (filles et garçons de 7 ans). Ces derniers sont également attirés par les manifestations du ludique, de la joie (à l'exemple des scènes de cirque), ainsi que par la mise en scène de l'aventure, ou d'une scène de supériorité ou de victoire. C'est seulement chez les enfants plus âgés (de 9 à 11 ans) que se développe le goût de l'illogique, et l'attirance pour la représentation d'inconvenances sociales, certainement en lien avec leur niveau d'intégration des règles de vie et des comportement sociaux. 36 Elle remarque de plus qu'ensuite (à partir de 9 ans), les enfants se focalisent exclusivement sur l'incongruité pertinente (p.98). 37 BARIAUD F., op. cité, p.102. 15 B- Humour et apprentissage L’apprentissage est l'acquisition de savoir-faire, c'est-à-dire le processus d’acquisition de pratiques, de connaissances, compétences, d'attitudes ou de valeurs culturelles, par l'observation, l'imitation, l'essai, la répétition, la présentation. Nous cherchons à travers l'exemple des documentaires à interroger les rapports existants entre humour et apprentissage, en observant dans quelle mesure l'humour peut constituer un outil de vulgarisation. Nous verrons qu'il peut opérer à différents niveaux : en créant un climat affectif propice pour l'apprenant, mais également en agissant comme un outil de développement cognitif. Nous observerons enfin comment il peut avoir, au-delà de ce rapport particulier au savoir, une fonction éducative au sens large, en favorisant une manière d'être et d'appréhender le monde. Il devient alors un filtre pour le regard, qui structure à la fois la perception, le langage et l'imagination, retrouvant le sens de Weltanschauung que lui donne Wittgenstein38. 1- Un outil au service des apprentissages L'humour peut être considéré comme un « lubrifiant didactique » (Gentilhomme, 1988), qui agit sur plusieurs plans. a- Un climat propice aux apprentissages Utilisé dans le cadre scolaire, particulièrement anxiogène pour certains enfants, il permet de développer chez les élèves des dispositions propices aux apprentissages : il diminue en effet leur anxiété (Bariaud, 1983, thèse du soulagement), facilitant par-là même les apprentissages (Ulloth, 1998). Les travaux de N. et A. Ziv 39 ont largement développé cette question, reprenant notamment dans un chapitre de leur ouvrage (« Effets de l'humour sur les apprentissages ») les résultats d'études menées par ailleurs. Il en ressort également que l'humour favorise l'attention, et joue un rôle sur la motivation des élèves (Ulloth 1998). b- Une aide à la mémorisation De plus, l'humour, en associant une expérience positive à un énoncé, facilite sa mémorisation (Gentilhomme, 1988, Ulloth, 1998). 38 WITTGENSTEIN L., Remarques mêlées, Paris, Flammarion, «GF», 2002, p. 150 [78]. 39 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002) 16 2- Un outil de développement cognitif a- L'humour, facteur d'inattendu L'humour, parce qu'il crée une rupture de sens, interpelle le récepteur, le « sidère »40 littéralement, avant que ce dernier n'opère un réajustement de perspective, permettant la compréhension (résolution de l'incongruité). Cette sidération crée une dynamique, une motivation basée sur le besoin de « donner une cohérence à ce qui n'en n'a pas »41. Cette volonté de trouver de la cohérence dans ce qui lui est proposé, est pour le récepteur (ici, le lecteur de documentaire), un puissant aiguillon. Elle provoque en effet sa curiosité et favorise une attitude active de construction de sens. Cette fonction, que l'on peut qualifier d' « accroche » a notamment été mise en avant par Corten-Gualtieri et Huynen (1995) dans le cadre d'une expérience sur le rôle des dessins humoristiques dans un cours de génétique42. On peut donc considérer que le recours à l'humour favorise la mise en questionnement et l'éveil de la curiosité face à une situation nouvelle. b- Un outil d'intégration des concepts et d'entraînement cognitif L'humour joue également un rôle d'entraînement au niveau cognitif. En nécessitant la « réactivation du réseau conceptuel de l'apprenant »43 dans un domaine particulier, il favorise en effet l'intégration des concepts qu'il convoque. Pour comprendre une blague, il est en effet nécessaire de connaître les concepts auxquels elle se réfère, et de les maîtriser suffisamment pour pouvoir apprécier de quelle manière la situation humoristique y fait référence, en joue et -parfois - les détourne (Bariaud, 1983, reprenant Mac Ghee). Lorsqu'il renvoie à ce type de connaissances, l'humour fonctionne comme une illustration du propos, et permet une réappropriation du discours vulgarisateur. 40 Dans Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (1905), Freud utilise le terme de verbluffen, c'est-àdire « frapper de sidération », mais avec l'idée d'une mystification. 41 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 44 42 CORTEN-GUALTIERI P. et HUYNEN A.-M. (1992). "Où le dessin se rit de la génétique", Humoresques, tome 3 ("L'image humoristique"), Nice, Z'éditions et CORHUM, p. 89-96. 43 CORTEN-GUALTIERI P., HUYNEN AM. « Le dessin d'humour, catalyseur de la réactivation du réseau conceptuel de l'apprenant ». Aster, 1995, n° 20. Représentations et obstacles en géologie. p. 165-191. 17 Cette intégration peut également se faire par le développement d'images mentales, c'est-à-dire de représentations imagées des tropes du discours, a fortiori dans le cas de représentations iconiques. Les images de ce type relèvent de ce que Jacobi définit comme les « procédures de visualisation »44 dans la typologie des « grammaire d'images » qu'il propose, et sur lesquelles nous reviendrons plus en détail. A ce titre, l'humour peut donc être considéré comme un outil d'entraînement cognitif (Mac Ghee, 2002). c- Développement de la pensée divergente et de la créativité Comprendre une blague nécessite d'abandonner ses habitudes cognitives (inférences attendues), et par conséquent d'être capable de modifier son approche spontanée. Ce changement de point de vue se traduit par exemple par la focalisation sur un élément resté d'abord en arrière-plan, ou une réévaluation des rapports entre les éléments, comme l'illustre le phénomène de bissociation de Koestler. En cela, l'humour apparaît comme un outil de développement de la flexibilité mentale (Baterson et Fry, 1963). Par ailleurs, Ziv (1979) a réalisé une expérience qui consistait à proposer à des lycéens un stimulus humoristique avant de les soumettre à un test de créativité. Il a ainsi démontré que l'humour pouvait fonctionner comme une « ouverture à la pensée divergente » permettant de stimuler la créativité (Ziv, 1979, Powell et Anderson, 1985, Corten-Gualtieri et Huynen, 1995), même dans sa dimension verbale (Tessier, 1994). C'est en somme une fonction libératrice, de désinhibition que peut jouer l'humour à ce niveau, dimension déjà mentionnée par Koestler auparavant (1964). d- Rôle dans le développement métacognitif L'humour fait appel aux compétences de contrôle de la compréhension, et notamment à la fonction de supervision (correction des erreurs). Le mécanisme du rire peut en effet être analysé comme une « rectification de processus cognitifs », où celle-ci joue un rôle fondamental. Les capacités de traitement contrôlé étant extrêmement limitées, les individus 44 Jacobi les définit ainsi les « ressources iconiques mobilisées par un vulgarisateur afin de rendre figurables des notions ou des concepts par essence abstraits », qu'il relie à la notion de « traduction intersémiotique » développée par Jackobson et reprise à sa suite par Tardy (1975). 18 développent des automatismes cognitifs qui permettent de soulager leur contrôle attentionnel, et ce, au bénéfice des activités de supervision. Ces dernières peuvent être rétroactives, permettant ainsi de rectifier les erreurs d'appréciation et de compréhension. B. Lefort insiste sur l'importance de ces mécanismes dans le traitement de l'humour : Cette caractéristique est particulièrement importante lorsqu’on s’intéresse à la compréhension des histoires drôles. Bon nombre d’auteurs (linguistes ou psychologues) ont, en effet, souligné, avec des termes parfois différents, que les histoires drôles comportent souvent une incongruité, une ambiguïté ou une rupture sémantique qui oblige l’auditeur ou le lecteur à revenir sur l’interprétation première du texte pour rectifier une représentation trop vite élaborée45 . En cela, l'humour peut donc être considéré comme favorisant le développement métacognitif (Lefort, 2002). 3- Un outil éducatif dépassant la transmission de connaissances Mais au-delà de son intérêt dans une perspective d'apprentissage, l'humour est aussi appréhendé par un certain nombre de chercheurs et d'éducateurs comme le lieu d'autres apprentissages, notamment sociaux, voire un objet de développement individuel. L'humour s'inscrit alors dans un projet éducatif dépassant la simple transmission de connaissances (instruction). a- Fonction d'appartenance : connivence et complicité Bariaud46 souligne l'importance de la dimension communicationnelle dans le phénomène humour : « Le comique, l'humour, sont des phénomènes de communication. Et l'on ne peut comprendre comment ils s'édifient sans tenir compte de cette essence ». Cela renvoie à la nature même de l'humour, dont le but est de provoquer le rire, à la différence du comique, qui peut lui être involontaire. Cette communauté de rires, à laquelle accède celui qui comprend une blague, crée un sentiment de connivence, une complicité entre l'émetteur et le récepteur, qui renforce le sentiment d'appartenance de chacun à un groupe et une culture particulière (Tessier, 1994)... Ce dont les humours nationaux sont une illustration flagrante. 45 LEFORT Bernard, « Dans une histoire drôle, où est le sujet ? », (Semen, 14, Textes, Dicours, Sujet, 2002 ) p.4 46 BARIAUD F., op cité, p.52 19 b- Une forme d'intelligence sociale L'humour, qui relève donc de la communication, permet justement de développer les compétences communicationnelles de chaque individu (Tessier, 1994), en y introduisant une dimension réflexive de type métacognitif. L'humour, à l'oral comme à l'écrit, focalise en effet l'attention du récepteur sur les éléments qui constituent le contexte du discours : cadre de parole, forme du discours, mais aussi indices non-verbaux (gestes, intonations, typographie...). Il est donc multiréférentiel. En cela, il attire l'attention sur la complexité du discours, composé non seulement de ce qui est dit, mais également de la manière dont il est formulé et du cadre dans lequel il se déroule, c'est-à-dire du paratexte (Jacobi, 1987). En offrant cette mise en perspective du discours, il exerce de plus une fonction critique d'élucidation des malentendus inhérents à toute situation de communication. Il constitue donc, selon Guillot, « un instrument préventif de la paradoxalité, [qui] facilite la communication en prévenant incompréhensions ou conflits » 47. Parce qu'il attire le lecteur sur l'importance du contexte du discours, c'est-à-dire de la manière d'énoncer un contenu, l'humour relève donc de la métacommunication. En apprenant à décoder les indicateurs du mode humoristique (attitude de quelqu'un qui s'est comporté de manière incongrue, indices graphiques dans le cas du dessin), l'enfant développe ce que Wallon appelle une « intelligence sociale », ou intelligence des situations et des intentions. c- Un outil de régulation sociale Les approches cognitivistes, elles-mêmes, insistent sur cette dimension communicationnelle. L'humour y est en effet considéré comme un moyen de réguler les tensions au sein du groupe (Ulloth, 2003), qui permet à chacun d'y prendre sa place symboliquement. Cette fonction régulatrice du rire a déjà été soulignée par Bergson48 , qui y voyait un « geste social » - le rire « est toujours le rire d'un groupe » (p.389)-, à la fonction essentiellement éducative : en riant du comportement inadéquat d'un de ses membres, le groupe ou la société à laquelle il appartient le poussent par là-même à modifier cette attitude afin de mieux s'adapter. Le rire est donc « une espèce de brimade sociale » (p.103), une punition dirigée envers quelqu'un, agissant comme un correcteur social. 47 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002), p. 208 48 BERGSON H., Le rire, essai sur la signification du comique (Alcan, Paris, 1924). Le texte a été originalement publié en trois article dans la Revue de Paris, 1er février, 15 février et 1er mars 1900. 20 Il s'agit certes d'une vision mécaniste, qui néglige notamment les processus inconscients, mais qui insiste cependant sur la dimension sociale de l'humour. d- Un outil de construction identitaire L'humour permet de travailler sur l'égocentrisme (tel que l'entend Piaget, c'est-à-dire en tant que stade normal du développement de l'enfant qui perçoit le monde à partir de son propre point de vue), et favorise le développement affectif (Shade, 1996). Il permet en effet de mettre à distance les émotions et favorise le recul vis à vis de soi-même. Bien plus qu'un simple mécanisme de défense, il peut donc être considéré comme un outil de construction identitaire (Lethierry, 1997). Il fonctionne en effet comme une compensation positive, qui permet, en mettant à distance des affects douloureux, le développement de l'estime de soi, au sens de Winnicott49. Agissant comme un miroir, il permet donc à chacun de renforcer son sentiment d'acceptabilité, d' « amabilité », à travers la diversité des situations vécues. G. Guillot l'analyse comme ce qui « facilite un regard et un échange au sein desquels la reconnaissance du possible estompe le jugement de l'impuissance. L'humour, c'est l'esprit de finesse qui danse dans l'espace des possibles »50. Il devient alors un mode de rapport au monde, une manière d'être, que Lethierry, dans un chapitre intitulé « l'humour pour grandir », résume ainsi : L'humour serait en fait plutôt de l'ordre de la manière que de la matière, « il n'est pas une méthode mais une tournure, c'est pourquoi son exercice ne se limite pas à des motifs ponctuels et malicieux ». Elever un enfant, c'est étymologiquement, le rendre « léger », c 'est à dire lui permettre de vaincre les pesanteurs de ses conditionnements, le mettre en « posture d'humanité »51 . En ce sens, l'humour est une « école de légèreté »52 . On retrouve ici un des enjeux évoqués précédemment, et que posait la définition même du terme « humour » : à une conception qui le limitait à des manifestations « techniques » bien définies, répondait une approche existentielle, où l'humour symbolisait une forme de rapport au monde, dans la tradition de Wittgenstein. Dans cette perspective, bien plus qu'un outil, il devient une position existentielle. 49 WINNICOTT D.W., Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et environnement (Payot, 1970) 50 GUILLOT G., « L'école de l'humour » dans Savoir(s) en rire (T.1, Perspectives en Education, De Boeck Université, Paris, 1997), p. 210 51 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002), p. 212. 52 LETHIERRY, H : « Savoir(s) en rire 1 : un gai savoir (vérité et sévérité) »,( Bruxelles : De Boeck Université, 1997), P. 34. 21 4- Les limites de l'humour en situation d'apprentissage Malgré tout, le recours à l'humour dans un objectif pédagogique présente certaines limites qu'il importe de signaler. Ainsi, il ne peut véritablement jouer une fonction dans la compréhension et l'assimilation des concepts que s'il est directement lié aux concepts enseignés (Ziv, 1988). Si ce n'est pas le cas, il risque en revanche d'entraver leur intégration en détournant l'attention du lecteur (Unger, 1996) 53. D'autre part, pour remplir les fonctions pédagogiques ou éducatives que nous avons détaillées ci-dessus, l'humour nécessite d'avoir été identifié par le lecteur en tant que tel. Cette reconnaissance du type de discours proposé est en effet nécessaire pour permettre la hiérarchisation des différents discours au sein du documentaire. Car, si l'humour n'est pas perçu en tant que tel, il risque d'entraver la compréhension générale de ce qui est présenté. Le cas échéant l'humour court alors le risque de brouiller le discours, au détriment des apprentissages. On retrouve ici une réflexion proposée par F. Ballanger 54 à propos de l'humour dans les documentaires sur la préhistoire : si elle reconnait l'intérêt des approches qui, notamment à travers l'humour, rendent le savoir historique moins intimidant pour le lecteur, elle pointe cependant un risque inhérent à cette position : celui de dérouter le lecteur et de brouiller le discours. Elle prend à ce propos l'exemple de la préhistoire, « (qui) comporte en elle-même tellement d'éléments étonnants (à commencer par le nombre de zéros qu'il faut ajouter pour obtenir les datations les plus reculées) que n'importe quelle affabulation devient vite crédible auprès d'un public ingénu et imaginatif ». Cette identification de l'humour implique la présence d'indices de contexte humoristique 55 suffisamment explicites pour que l'apprenant puisse évaluer la nature des informations qui lui sont alors transmises : gestes et intonations de l'enseignant, ou indices de mise en page dans le cas des supports écrits... 53 UNGER L. S., The potential for using humor in international advertising. Humor: International Journal of Humor Research 9 (2), 1996, 143-68. 54 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002). [En ligne], URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm 55 Nous avons souligné précédemment l'importance du contexte dans la perception de l'humour (Bariaud, 1983). 22 C- Humour et éducation S'interroger sur l'humour dans un cadre éducatif amène nécessairement à questionner la dimension symbolique associée au savoir et à l'apprentissage. Le rire et l'humour apparaissent en effet comme emblématiques d'une approche particulière de ces phénomènes, où le plaisir, loin d'être suspecté, est considéré comme un moteur puissant pour l'apprenant. Aussi, si la réflexion sur l'humour reste marginale dans le cadre des sciences de l'éducation, elle retrouve cependant des questionnements et des préoccupations communs à d'autres pratiques pédagogiques, fondées notamment sur le jeu. Après avoir évoqué la tradition de l'apprentissage ludique dans laquelle s'inscrivent ces pratiques humoristiques actuelles, nous verrons en quoi elles témoignent d'une conception de l'apprentissage qui réserve une place centrale à l'enfant. Nous observerons enfin la place qui leur est dévolue dans le contexte scolaire français, mais aussi dans l'ensemble des pratiques d'éducation non formelles de manière plus générale. 1- La tradition de l'apprentissage ludique Le recours à l'humour en contexte d'apprentissage constitue un « nouvel avatar » du docere cum delectatione de la tradition aristotélicienne 56. Il renvoie à une tradition pédagogique longtemps marginale, mais dont l'influence est sensible dans les pratiques pédagogiques actuelles. a- Le jeu, le plaisir et les apprentissages Le jeu, parce qu'il permet d'attirer l’attention des élèves et de susciter un intérêt immédiat, offre des potentialités pédagogiques évidentes qui n'ont pas échappé aux éducateurs. Ainsi Quintilien, vers la fin du premier siècle, défend déjà une approche de ce type, aspirant à ce que « l'étude soit pour [l'enfant] un jeu. Posons-lui des questions, donnons-lui des louanges... afin de ne pas rebuter l'enfant ». Pour ce faire, il préconise l'usage d'un matériel pédagogique adapté (lettres en ivoire ou en gâteau...). 56 CHOUINARD D., « La science est-elle soluble dans l'humour ? Le cas de la collection « Savais-tu ? ». Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, vol.11, n°2, 2008, p.171 23 Au début du seizième siècle, Erasme préconise aux précepteurs de « bailler à l’étude une couleur et déguisement de jeu »57. Le jeu n’est selon lui pas tant un outil pédagogique qu’un moyen de relâcher « l’ardeur des études, après que l’on est parvenu jusque là, que les enfants se peuvent appeler à plus grandes choses lesquelles se puissent apprendre sans soin ni labeur. Comme […] tourner le latin en grec ou le grec en latin […] ». Le jeu et la manipulation ludique sont donc envisagés comme des remèdes à l'ennui, et des aiguillons pour la curiosité de l'enfant. Mais ils peuvent parfois même être considérés comme des stratégies pédagogiques à part entière, s'inscrivant alors dans une approche de l'apprentissage qui valorise la notion de plaisir. Ainsi, dans son Traité de l'éducation des filles (1687), Fénelon défend l'éducation « attrayante » en rappelant l'importance de la dimension du plaisir lorsqu'il est question d'apprentissage.. Il souligne également la nécessité d'entretenir la curiosité de l'élève. Selon lui, le jeu permet en effet à la fois d’éviter la lassitude, c’est-à-dire de ne pas rebuter l’enfant en lui imposant un rythme qui ne conviendrait pas à son âge, mais aussi de servir à l’étude elle-même : Remarquez un grand défaut des éducations ordinaires : on met tout le plaisir d’un côté, et tout l’ennui de l’autre ; tout l’ennui dans l’étude, tout le plaisir dans les divertissements : que peut faire un enfant, sinon supporter impatiemment cette règle, et courir ardemment après les jeux ? Tâchons donc de changer cet ordre, rendons l’étude agréable, cachons-la sous l’apparence de la liberté et du plaisir ; souffrons que les enfants interrompent quelquefois l’étude par de petites saillies de divertissements, ils ont besoin de ces distractions pour délasser leur esprit.58 De même, Locke59, à la fin du 17ème siècle préconise de « s'instruire en s'amusant », une formule qui sera reprise quasiment à l'identique par le journal Astrapi (Bayard), qui adopte dès sa création en 1978, le slogan : « aprendre en s'amusant ». Cet hebdomadaire proposera de fait une approche nouvelle, ludique, (il comporte des jeux, des expériences à réaliser, et intègre même des bandes dessinées humoristiques), qui servira de modèle pour toute une série de publications par la suite. b- Des pratiques marginales Mais d'une manière générale, jusqu'à la fin du 19ème siècle, l'école demeure très conservatrice (pratiques magistrales, importance de l'apprentissage par coeur et perception de 57 ERASME, De Pueris, trad. Pierre Saliat, Paris, Klincksieck, 1990, p. 84. 58 FENELON, Traité de l’éducation des filles, Paris, Klincksieck, 1994, chap. V. 59 LOCKE J., Quelques pensées sur l'éducation, Paris, Vrin, 1966 (1693) 24 l'école comme lieu d'acquisition de connaissances). Citons Kant : « […] L’école est une culture par contrainte. Il est extrêmement mauvais d’habituer l’enfant à tout regarder comme un jeu. Il doit avoir du temps pour ses récréations, mais il doit aussi y avoir pour lui un temps où il travaille. Et si l’enfant ne voit pas d’abord à quoi sert cette contrainte, il s’avisera plus tard de sa grande utilité »60. L'opposition demeure donc entre ludique et pédagogique, et l'on observe un rejet du ludique et de l'expérimentation. Ce phénomène se retrouve dans la perception du jeu à cette époque, dont Madame de Staël écrit par exemple qu'il « sert à mettre l'ennui dans le plaisir et la frivolité dans l'étude »61. Dès lors, il n'est admis que s'il offre une dimension pédagogique : on privilégie ainsi son utilisation pour le développement de la mémoire sous toutes ses formes. De plus, en matière d'apprentissage tout au moins, on constate une méfiance à l'égard du plaisir. Cette réticence est liée à sa nature même : le plaisir vient en effet du latin placere, qui signifie plaire, ce qui plaît… mais aussi ce qui est sans raison, le bon plaisir, ce dernier sens renforçant encore l’opposition entre les exigences de la rationalité et ce qui fait plaisir. 2- L'enfant et les apprentissages a- Apprendre dans le plaisir Au début du 20ème siècle, un certain nombre de pédagogues – citons entre autres Dewey, Montessori, Decroly, ou Ferrière- ont renouvelé la manière d'aborder l’apprentissage, en développant ce qui avait déjà été entrevu par Rousseau, Pestalozzi et d’autres, à savoir qu’un sujet apprenant ne peut faire des acquisitions, développer des capacités et des savoirs que dans le plaisir, et dans un contexte de libre choix et d’autonomie. Cela contredisait à angle droit la pratique installée depuis des millénaires dans les familles et dans les écoles 62, une pratique fondée sur la contrainte et la menace de sanctions. Cette idée révolutionnaire a donné naissance à des méthodes nouvelles, comme les méthodes actives, la pédagogie Freinet, la pédagogie institutionnelle, etc. 60 KANT E., Réflexions sur l’éducation, trad. Alexis Philonenko, (Paris, Vrin, 2000), p.146. 61 Op. cité, p.15 62 Voir à ce propos H.I. MARROU - Histoire de l’éducation dans l’antiquité. (Ed. du seuil. Paris, 1948). 25 b- De l'importance d'être motivé Au 16ème siècle déjà, Montaigne écrivait que « le jeu devrait être considéré comme l’activité la plus sérieuse des enfants ». La psychologie moderne allait lui donner raison, en reconnaissant à l’enfant son besoin d’expérimenter pour apprendre 63, de refaire pour son propre compte toutes sortes de découvertes... Mais aussi parce qu'il est un facteur essentiel de motivation. A l'heure actuelle, de nombreux travaux de recherche 64 sont en effet venus éclairer la place spécifique et le rôle original du jeu dans le processus d'apprentissage, notamment en jouant sur ce facteur. Sauvé (2007) considère qu'il constitue « un élément motivationnel des plus intéressant, »65 qui contribue à maintenir l'intérêt chez les étudiants et augmente le plaisir d'apprendre chez ceux-ci (Wlodkowski 1985, Hourst et Thiagi, 2001; Reuss et Garaulski, 2001). Il constitue en outre une forme d'apprentissage très efficace puisqu'il favorise une implication émotionnelle positive. En effet, du fait de la nature même du jeu, l'apprenant réagit non seulement de façon intellectuelle mais aussi émotionnelle. Motivation, implication affective positive, plaisir... Autant de facteurs qui se retrouvent également dans la pratique de l'humour en contexte d'apprentissage, comme nous l'avons développé précédemment. Notre sujet d'étude s'inscrit donc dans une réflexion plus large sur les représentations de l'enfance et les conceptions du savoir qui y sont associées. c- Prise en compte des spécificités de l'enfance Cette attention portée à la dimension du plaisir et de la motivation témoigne d'une prise en compte progressive des besoins des enfants, en lien avec leur développement cognitif, mais aussi affectif. Si l'école est encore agitée aujourd'hui par les débats opposant des approches pédagogiques contradictoires – notamment entre les garants de la «pensée héritée» et les adeptes du «constructivisme», abusivement résumés à l'opposition entre les tenants de la transmission du savoir et les défenseurs des méthodes actives 66-, la figure de l'enfant apparaît 63 Citons notamment à ce propos les travaux de Piaget sur le rôle du jeu dans le développement cognitif de l'enfant. Selon lui, le jeu permet en effet à l'enfant de s'informer sur les objets et sur les évènements, et ainsi de renforcer et et d'étendre ses connaissances et ses savoir-faire. Le jeu constitue enfin un moyen d'intégrer la pensée à l'action. Piaget distingue de plus différents styles de jeu qui correspondent au stade de développement cognitif de l'enfant. 64 Voir à ce propos BROUGERE G., Jeu et éducation (Paris, L'Harmattan, 1re éd. 1995) 65 SAUVE L., RENAUD L., GAUVIN M., « Une analyse des écrits sur les impacts du jeu sur l'apprentissage ». Revue des sciences de l'éducation, vol. 33, n° 1 (2007), p. 89-107. 66 Nous renvoyons ici à l'analyse de V. MONETTI, qui démontre comment ces deux courants interrogent, chacun à leur manière, le rapport entre instruction et éducation. (MONETTI V, De l'élève à l'enfant 26 désormais comme incontournable quand il est question de pédagogie. Les modes de transmission des connaissances, mais aussi le rapport symbolique au savoir s'en trouvent par conséquent profondément modifiés : Bien entendu, la situation a beaucoup changé, notamment parce que l'enseignement a laissé la place à l'apprentissage : depuis les années 1970 c'est l'apprenant qui occupe le devant de la scène, les psychologues et les didacticiens se concentrant sur ses besoins, ses motivations, attitudes et processus d'apprentissage. En effet, l'ambiance dans la classe s'est détendue et les pratiques se sont assouplies, ouvrant la voie à une pédagogie de découverte, à la participation active de l'élève et, pourquoi pas vu le fait que l'apprentissage peut maintenant rimer avec plaisir, à l'exploitation « moderne » de l'humour comme véritable outil pédagogique67. L'humour apparaît donc bien comme un outil possible au service de l'apprentissage. 3- On ne peut pas rire partout (humour, école et éducation) Malgré les travaux de certains chercheurs (Bariaud, Tessier, Lethierry, Chenouf), l'humour demeure un sujet d'étude relativement confidentiel dans le cadre des sciences de l'éducation en France : l'essentiel des recherches disponibles sur la question relève du champ de la psychologie, notamment cognitive, et /ou est issu de la recherche nord-américaine. Il semble cependant que l'humour pénètre progressivement l'institution scolaire, en tout cas en ce qui concerne les outils proposés. Un rapport de la Documentation Française (IGEN) de 1998 sur les manuels scolaires relève en effet que « les manuels de l’école primaire comme ceux du collège sont parfois envahis par des images à visée humoristique. Les personnages de bande dessinée multiplient les clins d’oeil au lecteur. »68 Ces pratiques humoristiques n'en demeurent pas moins marginales. Par ailleurs, on constate dans le même temps que le recours à l'humour se développe de manière remarquable dans les produits éducatifs et culturels à destination du jeune public (littérature69, albums70, documentaires mais aussi émissions de télévision, CD-roms, presse...). , Ecole de la République contre Education nouvelle (INRP, Paris, 2006) 67 TEE ANDERSON P., « L'humour dans la didactique des langues vivantes : hier, aujourd'hui et demain », Deux mille ans de rire (ss dir. de M. Madini), Presses univ. de Franche-Comté, 2002, p.323. 68 BORNE Borne, Dominique. Le manuel scolaire. (Paris : Documentation française, juin 1998), p.11. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/994000490/0000.pdf 69 Voir PERRIN R., Un siècle de fiction pour les 8 à 15 ans (1901-2001), L'Harmattan, 2008. 70 CHENOUF Y., Lectures expertes : de l'humour. Paris : Association française pour la lecture, 2008. 27 Il s'agit d'un phénomène massif, qui dépasse les frontières de genre ou d'âge, et qui caractérise le champ de l'éducation informelle. Nous y reviendrons à travers l'exemple des documentaires. Si les besoins de l'enfant et les spécificités de son développement affectif et cognitif sont désormais mieux connus, et ont permis une évolution à la fois dans les pratiques pédagogiques et dans la manière dont est envisagé l'apprentissage, l'humour, lui, ne semble pas encore véritablement reconnu... Dans le cadre scolaire institutionnel tout au moins. En revanche, en ce qui concerne le champ plus large de l'éducation, les propositions (qu'il s'agisse de documentaires, de périodiques, ou encore du multimédia) sont plus innovantes. Et même si F. Ballanger71 rappelle que l'on ne saurait opposer « une technique rigide d'acquisition des connaissances » (qui serait incarnée par le manuel scolaire), à un « espace ludique des connaissances du monde du dehors », dont le documentaire serait une image, l'observation des productions relevant de ce second champ nous offrira cependant un terrain d'analyse plus riche en ce qui concerne l'humour. 71 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002) . [En ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm 28 II- LE DOCUMENTAIRE, TERRAIN D'OBSERVATION PRIVILEGIE DES PRATIQUES HUMORISTIQUES Une réflexion sur le documentaire renvoie nécessairement à la question de la vulgarisation scientifique, et à la manière dont elle est envisagée, en fonction du projet éditorial de chaque ouvrage. Par ailleurs, le documentaire, de par sa nature plurigraphique (texte, image...) permet de s'interroger sur la place de l'image dans le discours de vulgarisation, et d'en observer les illustrations concrètes dans les productions actuelles. A- La nature du projet documentaire La question de la vulgarisation est au coeur même des projets éditoriaux des documentaires. Elle renvoie aux théories implicites de l'apprentissage et à la perception par les éditeurs des besoins de l'enfant. Or, dans les documentaires pour la jeunesse, la vulgarisation a aujourd'hui une double dimension (Jacobi, 2005) : elle est la reformulation d'un discours scientifique (ce qui pose des questions en terme de véracité, de traduction du vocabulaire technique et de simplification des concepts...) ; mais elle est également une tentative d'éducation non formelle 72. L'observation des pratiques humoristiques s'articule donc nécessairement avec une réflexion sur les choix de vulgarisation qui ont été opérés dans les ouvrages, d'autant plus que ces pratiques se développent largement depuis 30 ans. Jacobi écrit à ce propos : « La préférence qu'on observe assez souvent pour des illustrations du type « figurabilité de la science » dans la v.s. [vulgarisation scientifique] (à la courbe est substitué un dessin humoristique) est une indication précieuse et qu'il faudra prendre en compte pour construire une sémiotique du discours de v.s. »73. On pourrait certes distinguer ici la vulgarisation pédagogique et la vulgarisation médiatique, dont relève le documentaire jeunesse, puisque leurs objectifs sont par essence différents : s'il s'agit de transmettre des connaissances, et de participer à une certaine forme d'éducation dans 72 Cette expression recouvre l'ensemble des activités ou programmes organisés en dehors du système scolaire, mais dirigés vers des objectifs précis d'éducation. 73 JACOBI D. « Sémiotique du discours de vulgarisation scientifique », Semen, 02, De Saussure aux média, 1985, [En ligne], mis en ligne le 21 août 2007. URL : http://semen.revues.org/document4291.html. 29 les deux cas, l'influence de la dimension marchande, inhérente à la vulgarisation médiatique n'est cependant pas à négliger. Il n'empêche que les procédés mis en oeuvre dans ces deux formes de vulgarisation ne diffèrent pas fondamentalement, et que cette question, si elle ne saurait être occultée, ne nous semble pas nécessiter pour le sujet qui nous occupe, une distinction particulière. B- Un message plurigraphique (Jacobi) 1- Le rôle du paratexte dans le discours Le document de vulgarisation scientifique est un message plurigraphique : aux mots du texte sont ajoutés des éléments visuels d'accroche, de mise en page et de mise en scène, le « cotexte » (Jacobi, 1987), ainsi qu'une iconographie généralement abondante. L'articulation de tous ces éléments qui constituent le « paratexte » avec le discours textuel, favorise, comme nous allons le voir, la construction du sens. a- Place des images au sein du discours de vulgarisation Dans les documents de vulgarisation scientifique, les images tiennent un rôle particulier au sein du paratexte. Les documentaires se présentent en effet presque toujours comme des documents scripto-visuels, où elles occupent une place centrale. Certains documentaires, notamment pour les plus jeunes, s'apparentent même plutôt à des albums ou à des imagiers légendés : la lecture est alors organisée autour et à partir des illustrations. De même, l'apparition depuis quelques années de documentaires réalisés sous forme de bandes dessinées constitue un exemple remarquable de cette imbrication des éléments textuels et iconiques dans le discours. Les figures du discours de vulgarisation scientifique sont donc à la fois rhétoriques et figurales, et se combinent pour permettre la construction du sens. « Aux tropes qui parcourent le texte, écrit Jacobi, répondent des images qui s'articulent avec le discours »74. Cette articulation avait déjà été perçue par Johann Amos Comenius au début du 17ème siècle, auteur du célèbre Orbis sensualium pictus, publié pour la première fois à Nuremberg en 1658. Ce livre, qui constitue peut-être le premier documentaire à destination de la jeunesse visait à présenter l'univers et tous ses éléments aux jeunes lecteurs, afin de les sensibiliser à l'action du 74 JACOBI Daniel, « Sémiotique du discours de vulgarisation scientifique », Semen, 02, De Saussure aux média, 1985, [En ligne], mis en ligne le 21 août 2007. URL : http://semen.revues.org/document4291.html. 30 Créateur. Pour cela, il proposait de nombreuses reproductions de gravures sur bois. De plus, le texte s'articulait autour d'une trame narrative, composée à la manière d'une promenade dans la Création, qui renvoyait aux illustrations représentant des animaux, numérotées et légendées. L'Orbis constituait donc un outil pédagogique offrant une démarche culturelle qui nous est encore familière. b- Une mise en espace productrice de sens L'articulation du discours textuel et iconique, qu'évoque Jacobi, est sensible dans l'organisation structurelle des pages documentaires : souvent conçues autour d'une double page, avec des allers-retours constants entre le texte (généralement sérieux), et tout ce qui constitue le paratexte : les titres, les phrases en marge, le lexique... ainsi que, bien entendu, les illustrations. L'organisation du document scripto-visuel, sa spatialisation, résulte d'une mise en espace productrice de sens ; citons ici encore Jacobi : « La continuité du texte, son cloisonnement entre des masses illustrées, les renvois du discours à l'image, tout vise à accrocher l'attention du lecteur, à baliser le cheminement de l'oeil »75. A la notion de "direction artistique" appliquée au document de vulgarisation scientifique, Jacobi préfère celle de "grammaire de géométrie", qui illustre mieux le croisement harmonieux du texte et de l’image, au service de la mémoire implicite du lecteur. 2- Fonction des images et procédures de visualisation de la vulgarisation Du fait de leur nature faiblement structurée, les images sont un support polysémique et souple, un « bric-à-brac sémiotique » (Tardy, 1975). Elles offrent par conséquent une grande diversité d'emploi. L'image, employée dans un cadre de vulgarisation scientifique, recouvre ainsi un certain nombre de fonctions qui ont été recensées par Jacobi. Il distingue ainsi des fonctions principales : information, visualisation, transposition ; mais aussi des fonctions secondaires : accroche, ornement, onirisme. Si nous ne reviendrons pas pour le moment sur ces dernières, il nous semble cependant pertinent, du fait du caractère souvent graphique de l'humour dans les documentaires, de revenir plus en détail sur les fonctions principales de ces images, qui participent de la compréhension du discours scientifique. 75 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll. "Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.113. 31 a- Fonction d'information Dans le documentaire, le dessin fournit une grande part de l'information, apportant tout un ensemble de détails qui ne sont pas nécessairement en phase avec la chronologie de l'exposé. Ainsi, certains éléments du dessin ne trouveront leur explication par le texte que plus tard dans la lecture, voire même, resteront sans explication. L'image peut donc apporter un complément d'information, ajoutant par l'illustration du texte, des informations nouvelles, notamment d'ordre visuel. Ainsi, la représentation graphique réaliste, d'un animal par exemple, sera généralement plus exhaustive que sa description par les mots. Les illustrations de type photographiques, ou relevant du dessin naturaliste, où la ressemblance avec la réalité est recherchée, comme dans l'exemple ci-dessus 76, incarnent préférentiellement cette fonction. b- Fonction de transposition De nombreuses images de vulgarisation scientifique sont basées sur le mécanisme de la transposition, et fonctionnent donc par analogie. Ce phénomène renvoie à une idée centrale de la vulgarisation : pour faire se faire comprendre du plus grand nombre, le vulgarisateur doit rechercher des références accessibles à tous, et se tourne donc vers le vécu sensible, « l'expérience commune la mieux partagée, et donc la plus connue, c'est-à-dire la sienne propre »77. 76 Illustration tirée du documentaire « Fermes et campagnes », p.134. 77 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll. 32 Annie Pissard dans un article de la RLE consacré à L'histoire d'une bouchée de pain, livre de vulgarisation scientifique de Jean Macé de 1861, qui avait déjà recours à cette stratégie pour faciliter la compréhension, résume ainsi la fonction de la métaphore : Transmettre un savoir n'est pas une chose facile ! Il faut souvent s'appuyer sur le déjà connu. Peut-on s'appuyer sur le déjà connu scientifique ? C'est parfait. Hélas, la plupart du temps, il faut raccrocher le scientifique à la vie quotidienne : c'est le travail de la métaphore.78 Elle pointe cependant les limites de cette démarche, qui risque de conduire à des simplifications excessives, ou à propager des représentations erronées... Une préoccupation que partageait Colline Poirée, éditrice jeunesse chez Hachette à la même époque. Dans un autre article de la même revue, elle témoigne de son expérience : « rien n'est plus difficile dans le domaine de la vulgarisation, écrit-elle, que de trouver la métaphore juste. Celle qui ne va pas donner une idée fausse ou se retourner contre vous et votre pensée deux chapitres plus loin »79. Le recours à l'analogie avec l'expérience individuelle aboutit à la mise en scène d'une nature « animée », qui se traduit par la réification des objets ou des choses, l'animisation des animaux. L'anthropocentrisme et le finalisme y prennent une valeur explicative essentielle. Giordan et Martinaud, dans leur ouvrage sur la vulgarisation scientifique, soulignent l'omniprésence dans les documentaires jeunesses du recours à l'anthropomorphisme. Ils en distinguent deux manifestations : la représentation des organismes vivants en fonction des besoins de l'homme, et la représentation de leurs comportements de manière analogique aux comportements humains80, comme dans l'exemple ci-dessous81. "Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.129. 78 PISSARD A., « Pain, chocolat... et aventure scientifique », supplément Science/technique/jeunesse n°17, décembre 1985, (RLE n°105-106, Paris, 1985), p.83. 79 POIREE C., « Naissance d'un documentaire », (RLE n°105-106, Paris, 1985), p.49. 80 GIORDAN A. et MARTINAUD JL., Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation scientifiques, Paris, Giordan et Martinand (éditeurs), 1986, p.28. 81 Illustration tirée de « Des bêtes qui crachent, qui collent, qui croquent à la mer », p.39. 33 Cet anthropomorphisme s'accompagne bien souvent d'une « gulliverisation » de l'univers (Durand, 1976)82 : la vulgarisation à destination des enfants met en effet généralement en scène un monde extraordinaire, du fait de l'animisation/ l'humanisation des éléments du réel (microbes, animaux, végétaux...). Ceux-ci sont incarnés sous forme de petits personnages, souvent informes, qui renvoient au folklore ou à l'imagerie populaire. Cette transformation introduit du merveilleux, de la magie et de l'irrationnel dans le projet de vulgarisation scientifique... au risque parfois de brouiller le message scientifique. Illustration extraite de Les secrets de la cuisine (Youpi, Bayard Jeunesse, 2008) Cet artifice permet cependant de provoquer l'intérêt et de motiver le récepteur, en lui proposant des images dans lesquelles il peut se reconnaître et s'identifier. La gullivérisation, en favorisant l'identification anthropomorphique, permet en effet de rapprocher l'univers abstrait (notions, concepts) de la réalité sensible et perceptible. Giordan et Martinaud y voient un « revêtement »83 derrière lequel est dissimulé le contenu scientifique, au même titre que le 82 DURAND G., Les structures anthropologiques de l'imaginaire, (Paris, Bordas, 6ème édition, 1979). 83 GIORDAN A. et MARTINAUD JL., Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation scientifiques, Paris, Giordan et Martinand (éditeurs), 1986, p.31. 34 recours fréquent au schéma narratif dans ces ouvrages. c-Fonction de visualisation Certaines images des ouvrages de vulgarisation scientifique relèvent d'un système de pensée strictement visuel (et donc une communication non-verbale), et court-circuitent l'étape du détour langagier. La traduction d'une notion ou d'un concept se fait alors par le truchement d'une image, intuitive ou empruntée à une série, issue du potentiel d'images mentales. Ce type d'images permet de figurabiliser un concept abstrait 84. Afin d'analyser le travail du vulgarisateur à ce niveau, Jacobi s'appuie sur la théorie du rêve proposée par Freud pour tenter de décrire la transformation d'une idée en images : De la même façon que le rêveur qui travestit une pensée latente en image (pour qu'elle franchisse la barrière de la censure), le vulgarisateur tente parfois de transposer le concept en une image, en une pensée visuelle, en un signifié figurabilisé.85 Par analogie avec le travail du rêve, il considère que la traduction de la pensée (abstraite) en une image (visuelle) repose sur un triple mécanisme : la condensation, le déplacement et la prise en compte de la figuration. Jacobi souligne par ailleurs le rôle des images réalistes-grotesques86 dans ce cadre. Ces 84 « La prise en considération de la figurabilité » est d'ailleurs une expression employée par Freud pour décrire le travail du rêve, et renvoie à la manière dont « une pensée qui existait sous la forme optative est remplacée par une image actuelle » (Jacobi, op. cité, p. 138) 85 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll. "Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.138. 86 Il ici reprend une notion empruntée à Bakhine, à laquelle se réfèrent également Giordan et Martinand dans Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation scientifique (p.24) 35 images, « à la fois réalistes et absurdes, surprenantes et grotesques, ressemblantes et invraisemblables »87 jouent en effet rôle dans la figurabilisation des concepts : « l'image réaliste-grotesque mime les notions abstraites. Elle les installe dans le plan du familier, du quotidien connu »88. Elle est en outre spontanément déchiffrable, et agit sur l'affectivité... ». Or, il existe un lien possible entre l'humour et les images réalistes grotesques. Le grotesque, qui renvoie au comique de figures et de situation, est en effet propice à des représentations humoristiques. Jacobi rappelle en outre que ces images ont souvent une dimension triviale très affirmée89. Dans une perspective de vulgarisation, cette fonction de l'image, que Tardy (1975) qualifiait de « médiateur intersémiotique »90 est donc centrale. Elle est donc un procédé essentiel de la vulgarisation, et interroge l'articulation texte-image au sein de ces documents. C- Le documentaire, un genre en évolution Nous reprendrons ici la définition du genre documentaire telle que la propose N. Robine dans son analyse des documentaires pour la jeunesse : On pourrait définir les publications documentaires comme celles qui sont susceptibles de fournir un apport informationnel, issu de la réalité et intégrable à des connaissances déjà acquises, en vue soit de former avec elles un savoir culturel, soit de susciter ou d'assouvir une curiosité de type scientifique.91 Elle souligne par ailleurs la double difficulté de classification que pose ce type d'ouvrages du fait d'une part du « découpage de la réalité » qu'opèrent les ouvrages documentaires, qui ne correspond pas toujours à des disciplines d'enseignement scolaire ou professionnel. Elle invoque d'autre part la difficulté à démêler, dans certains cas, les fils du documentaire de ceux de la fiction. 87 88 89 90 Op. cité, p.138 Op. cité, p.141 Op. cité, p.139 Cette médiation par l'image fait référence à la fonction de « transmutation » (traduction intersémiotique, avec changement de système) définie par Jackobson (1963) dans sa typologie des traductions . 91 ROBINE N., « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse », BBF, 1982, n° 9-10, p. 545-551 [en ligne] <http://bbf.enssib.fr/> 36 1- Explosion du genre documentaire dans les années 1980 a- Le développement de l'édition jeunesse Le secteur du livre jeunesse a connu en France une progression remarquable au cours de ces vingt dernières années, supérieure à la moyenne de l'activité éditoriale. Il représentait ainsi en 2007 11,3% du chiffre d'affaires global de l 'édition française92, se classant en cinquième position des catégories éditoriales. Les ventes d'exemplaires, quant à elles, représentent pour la même année 17,2% des ventes globales de l'édition française, « soit 80,8 millions d'ouvrages sur les 496,7 millions produits » (Inhas et Defourny93 ). Ce développement a favorisé l'émergence de nouveaux éditeurs (Etre, T. Magnier, Mouck...). Cependant, une quinzaine d'entre eux (qui représentent neuf entités) assurent aujourd'hui à eux seuls 72% des ventes94 (chiffres 2006), dont plus de la moitié est assurée par les quatre premiers groupes : Hachette, Editis (Nathan, Pocket, Hemma), Bayard (Milan) et Gallimard. On constate donc une concentration importante depuis une quinzaine d'année dans le secteur du livre d'enfance et de jeunesse. Malgré cela, le paysage de l'édition jeunesse ne s'inscrit que dans une situation « d'oligopole partielle », notamment du fait de l'importance symbolique (et de la position novatrice) de petits éditeurs tels Etre, Rue du monde, l'Atelier du poisson soluble95... » b- Le secteur documentaire Les années 1980 constituent un âge d'or pour le documentaire jeunesse. Elles voient en effet la naissance de collections qui font encore souvent référence à l'heure actuelle. De nombreux éditeurs jeunesse développent alors des collections de documentaires, dont certaines sont innovantes de part leurs sujets ou leur format (Carnets de sagesse, chez Albin Michel ; Regard d'aujourd'hui, chez Mango ; Oxygène et Hydrogène, chez De La Martinière jeunesse ; J'accuse !, chez Syros ; les Essentiels junior ou les Goûters philo, chez Milan ; Castor doc, chez Castor poche Flammarion …). Citons à ce propos l'exemple du travail initié par Pierre Marchand au sein des éditions 92 Source Enquêtes statistiques de branche, menées annuellement par le SNE (syndicat national de l'Edition) 93 INHAS L., DEFOURNY M., Situation de l'édition francophone d'enfance et de jeunesse (L'Harmattan, Paris, 2008), p. 11. 94 Cf C. COMBET, « Salon de Montreuil : la jeunesse à l'heure 'internet », Livres Hebdo n° 711, 23 novembre 2007, pp. 70-82. 95 INHAS L., DEFOURNY M., Situation de l'édition francophone d'enfance et de jeunesse (L'Harmattan, Paris, 2008), p. 11. 37 Gallimard d'abord puis chez Hachette : Lorsque Pierre Marchand crée en 1972 le secteur jeunesse de Gallimard, il lance aussitôt de nombreux chantiers, tant dans le domaine de la fiction que celui du documentaire : Découverte Cadet en 1983, Découverte Benjamin en 1984, et surtout la fameuse collection encyclopédique de poche, destinée tout d'abord à la jeunesse : Découvertes, traduite en 19 langues et vendue à plus de 15 millions d'exemplaires, puis adoptée par les grands adolescents et les adultes. Suivent d'autres collections « historiques », attrayantes et ludiques grâce à une iconographie très soignée : Mes premières découvertes (1989) : les petits livres carrés à spirale, dotés de feuillets transparents illustrés recto verso, puis Découverte junior, en 1990. En 1999, Pierre Marchand part chez Hachette où il continue de défendre le secteur documentaire, avec notamment la collection Phare, très largement illustrée et accessible grâce à son prix bas.96 Les facteurs qui expliquent cette explosion sont d'abord liés au développement de la coédition et de la traduction, qui réduit les frais de conception et limite les risques éditoriaux. Soulignons à ce propos l'importance de l'ouverture aux auteurs japonais, qui, selon C. Hervouët97, ont renouvelé l'approche du documentaire, notamment en biologie, en utilisant un langage direct, et en s'intéressant à des aspects jusqu'ici négligés par les auteurs de documentaires (la putréfaction, l'invisible ou le microscopique...). La collection « les yeux de la découverte », emblématique de cette période, est ainsi le fruit de la collaboration de P. Marchand et de l'éditeur anglais Dorling Kimberley. Elle est par ailleurs liée aux évolutions techniques de l'édition, qui permettent d'éditer à des coûts raisonnables des livres en couleur à la production soignée, et de multiplier les possibilités ludiques de ces ouvrages : livres animés, livres à toucher ou livres boites à outils (Découvertes Gallimard, Tes questions sur..., Bayard, collections RMN...). Comme le résume Robine, « Les livres scolaires sont devenus jolis ; pour plaire, les documentaires doivent être plus beaux encore »98. Leur qualité esthétique devient donc l'objet d'une attention particulière, et l'on constate le développement d'un marketing de plus en plus élaboré. Ce développement est enfin lié à l'émergence de nouveaux thèmes, en phase avec les modes de vie (développement du voyage, accès privilégié à l'information, place de l'image) et les questionnement sociétaux actuels : collections traitant de psychologie (Max et Lili, collection PhiloZenfants chez Nathan,...), d'ethnologie et de cultures étrangères (Enfants du monde, Mango), d'histoire des sciences (Mouck)... 96 GENTILE C., GODART P., « La disparition programmée du documentaire jeunesse, ou le triomphe de la gratuité '' culturelle '' », 2008, Ricochet, [En ligne], mis en ligne le 05/11/08. URL :http://www.ricochetjeunes.org/articles-critiques/article/1-la-disparition-programmee-du-documentaire-jeu. Consulté le 25 novembre 2009. 97 HERVOUET C., « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse : un genre, une offre éditoriale », (compterendu de la journée professionnelle des professeurs-documentalistes, 20 mai 2009), p.4. 98 ROBINE N., op. cité, p.7 38 c- Les caractéristiques du documentaire jeunesse Les documentaires adoptent des formes nouvelles, plus attrayantes, qui sont proches de celles des albums. C'est également à cette période que se développe de manière spectaculaire une mise en page qui utilise systématiquement la double-page, procédé encore omniprésent aujourd'hui. Au-delà d'une simple convenance de forme, c'est bien une modification essentielle, liée à la structure de l'information, qui s'opère alors. La multiplication des entrées et l'éclatement du discours (avec une hétérogénéité importante des éléments de texte) nécessite en effet du lecteur un travail de hiérarchisation et de mise en lien des informations proposées... et par là-même, une nouvelle manière d'appréhender le savoir. Ainsi, F. Ballanger, insiste sur la nécessité d'une éducation à la lecture documentaire, qui incite les jeunes lecteurs à apprendre à identifier les éléments répétitifs qui structurent ces doubles pages 99. Cette mutation s'accompagne d'une évolution de la relation texte-image, cette dernière prenant une importance croissante dans les documentaires, notamment avec l'introduction de photos et d'images détourées. Ce développement de la dimension visuelle du documentaire modifie également la manière dont les connaissances scientifiques sont présentées au lecteur. 2- Le déclin actuel « En 2007 le secteur de la jeunesse a vu sa production augmenter de 10,4 % 100 : 7713 nouveautés et nouvelles éditions de titres anciens ont été publiées. Cependant, les disparités sont grandes : la fiction représente 63,8 % du total des titres tandis que le documentaire et le livre d'éveil occupent une place de plus en plus réduite. Ainsi, le nombre de nouveaux documentaires publiés en jeunesse a baissé de 13 % entre janvier 2007 et janvier 2008 : Depuis une dizaine d'années, la fiction est devenue le secteur phare de l'édition jeunesse, avec 41 % du marché, alors que le secteur du documentaire ne représente plus que 9 % des ouvrages édités. La grande vague dynamique et novatrice des années 80 sur le documentaire, initiée notamment par Gallimard et Pierre Marchand, Nathan, Milan ou Casterman, est en nette régression aujourd'hui. Le livre documentaire pose des problèmes très particuliers de qualité de l'information, de coédition internationale, de coût et il est aujourd'hui très fortement concurrencé par l'Internet.» (…) Très peu d'innovations voient le jour, de nombreuses collections stagnent ou disparaissent. L'offre et la diversité se raréfient, même si certains sujets de société émergent : l'écologie ; la citoyenneté ; l'éducation à la sexualité et au vivre ensemble... 101 99 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002) . [En ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm 100 Sources : Livres Hebdo, le dossier Le marché du livre, 11/04/2008 101 GENTILE C., GODART P., « La disparition programmée du documentaire jeunesse, ou le triomphe de la gratuité '' culturelle '' », 2008, Ricochet, [En ligne], mis en ligne le 05/11/08. URL :http://www.ricochet- 39 Parallèlement, on constate une concentration sensible : cinq maisons (Nathan, Fleurus, Gallimard, Milan et Larousse) assurent à elles seules 65% de la production documentaire en 2006. D- Le documentaire, un champ de recherche peu exploré D'une manière générale, le documentaire reste un champ d'étude peu exploré. En 1982, N. Robine102 déplorait déjà la rareté des publications critiques sur la question, et le retard de la recherche dans ce domaine, concluant de cet était de fait qu'il « n'(était) pas étonnant que la bibliographie sur le documentaire soit si pauvre ». Si la situation (notamment en ce qui concerne la recherche) a évolué depuis, les publications critiques demeurent rares, et le documentaire reste souvent secondaire dans le travail d'analyse. Par ailleurs, la critique de ce type d'ouvrages est généralement laissée aux scientifiques. Or s'ils constituent des garants en termes de véracité du discours proposé, leur approche critique scientifique peut ignorer certaines dimensions d'analyse (pédagogiques, psychologiques...) des ouvrages proposés. D'où l'intérêt, comme le défend Jacobi 103, de promouvoir une recherche pluridisciplinaire en matière d'éveil à la science pour les enfants. Enfin, comme nous l'avons évoqué précédemment, les travaux sur l'humour sont essentiellement le fait de la recherche anglo-saxonne (et notamment nord américaine), et relèvent généralement plutôt de la psychologie cognitive, que des sciences de l'éducation. Quant à la question particulière de l'humour, si elle a été abondamment traitée dans certains champs de la littérature jeunesse (Chenouf, 2008, Bariaud, 1995), elle reste peu développée en ce qui concerne le documentaire. Les recherches l'abordent d'une manière générale, et uniquement pour en faire le constat de ce qui apparaît aujourd'hui comme « tendance de fond»104. jeunes.org/articles-critiques/article/1-la-disparition-programmee-du-documentaire-jeu. Consulté le 25 novembre 2009. 102 ROBINE N., « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse », BBF, 1982, n° 9-10, p. 545-551 [en ligne] <http://bbf.enssib.fr/> 103 Id, p. 40 104 HERVOUET C., « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse : un genre, une offre éditoriale », CR des Journées Professionnelles des professeurs documentalistes, mai 2009, p.3 40 PROBLEMATIQUE En tant qu'objet de vulgarisation, le documentaire apparaît donc comme un terrain privilégié pour observer les rapports entre humour et apprentissage. Tout en apportant un éclairage complémentaire sur une question encore trop peu explorée, il nous informe au-delà sur les conceptions et les pratiques actuelles de la vulgarisation scientifique. L'objet de ce travail de recherche est donc d'analyser un corpus d'ouvrages documentaires humoristiques à travers la grille de lecture particulière que constitue l'humour, afin d'observer comment il y est utilisé en tant qu'outil éducatif au service de la vulgarisation scientifique. Pour aborder cette problématique, nous nous sommes intéressés à trois questions : quelle place et quelles formes lui sont-il assignées ? Quelles fonctions remplit-il, en articulation avec les objectifs de transmission des connaissance, d'éveil et de développement de la pensée réflexive, qui sont aujourd'hui ceux du documentaire jeunesse ? Enfin, de quelle manière contribue-t-il à modifier le regard porté sur la science et sur la relation au savoir de manière plus générale ? HYPOTHESE 1 (rôle du contrat de lecture) Nous faisons l'hypothèse qu'au sein de ces documentaires, l'emploi de l'humour relève d'un contrat de lecture implicite, sensible à travers les règles qui régissent son utilisation. Cela se traduirait par la présence d'éléments qui facilitent son identification : d'une part une relative homogénéité des formes humoristiques employées au sein de chaque documentaire (formes et places récurrentes), et d'autre part la présence d'indices formels qui souligneraient la présence de l'humour. HYPOTHESE 2 (fonctions de l'humour) Nous faisons l'hypothèse que dans les documentaires à destination de la jeunesse que nous observerons, l'humour participe au projet de vulgarisation. Dans ce cas, ses manifestations doivent témoigner des mêmes objectifs que celui-ci, tels que les a définis Jacobi (2005), soit à la fois la présentation d'un discours scientifique et un outil d'éducation non formelle. – Cela implique d'une part que l'humour soit utilisé en tant qu'outil pédagogique, 41 agissant à la fois sur les dimensions cognitives de l'apprentissage et sur ses composantes affectives (H2-a). Nous supposons donc la présence d'éléments humoristiques qui portent sur les connaissances elles-mêmes, et qui jouent un rôle au niveau cognitif (fonctions d'apprentissage de l'humour), mais aussi de formes qui remplissent indirectement cette fonction en agissant sur les facteurs affectifs (fonctions climatiques de l'humour). Cela témoignerait de la prise en compte des facteurs affectifs inhérents aux apprentissages. – Cela suppose d'autre part que l'humour joue également un rôle éducatif, au-delà de la simple transmission de connaissances. Nous faisons par conséquent l'hypothèse que l'humour, parce qu'il est un outil de décentration et qu'il favorise le recul critique, remplit des fonctions de type métacognitif (H2-b). Il deviendrait alors un outil de construction identitaire. HYPOTHESE 3 (repenser le rapport au savoir et à la science ) Nous supposons enfin que cette intégration de l'humour dans le projet de vulgarisation scientifique témoigne d'une volonté d'adapter le discours au jeune lecteur à qui il s'adresse. L'humour favoriserait alors une relation de proximité avec le savoir et la science (H3). 42 III- LE DISPOSITIF DE RECHERCHE PROPOSE A- Enquête exploratoire au fil des sélections de la RLE 1- Les « sélections annuelles » de la Revue des Livres pour Enfants (RLE) La Joie par les Livres, centre national de littérature pour la jeunesse, publie chaque année 105 une sélection d'ouvrages pour la jeunesse, choisis parmi l'ensemble des nouveautés éditées. Elle est établie par des professionnels du livre (bibliothécaires, documentalistes) mais aussi de l'éducation et de l'enfance (chercheurs, enseignants). Reposant sur l'activité de lecture et d'analyse critique menée par la bibliothèque Nationale de France et le Centre National du Livre Jeunesse dans le cadre de « La Joie par les Livres » en collaboration avec des partenaires extérieurs (professionnels du livre, éditeurs, chercheurs...), elle constitue donc un outil de référence pour tous ces acteurs. Elle est élaborée à partir de l'ensemble de la production d'une année. Ainsi, sur l'ensemble de la production 2009, qui rassemble presque 10 000 ouvrages, tous genres confondus, c'est tout de même plus de 800 livres qui sont présentés (dans les notices qui reprennent les critiques proposées dans chaque numéro de la Revue des Livres pour Enfants), dont plus de 150 pour le documentaire. Ces sélections annuelles de documentaires constituent donc un échantillon transversal, intégrant un certain nombre de variables (éditeurs, thèmes abordés, âges visés). Ces sélections ne retiennent cependant que les titres considérés comme les plus intéressants ou les plus novateurs dans tous les domaines. La présentation de la sélection 1999 affiche ainsi explicitement ses ambitions en la matière : Il s'agit de proposer quelques repères au sein d'une production éditoriale caractérisée par son importance quantitative mais aussi par sa diversité et sa qualité très inégale, pour permettre d'offrir aux jeunes lecteurs les titres les mieux à même de leur faire découvrir les multiples plaisirs de la lecture : nous nous sommes donc efforcés de retenir les ouvrages où s'expriment au mieux la liberté et l'originalité des créateurs et qui s'adressent avec justesse à la curiosité et à la sensibilité des enfants ou des adolescents.106 … Car la RLE revendique la subjectivité de ses choix. Dans l'entretien qu'elles nous ont accordé, C. Rosenbaum et C. Hervouët, responsables éditoriales à la RLE, ont largement 105 « Sélection annuelle » publiée dans la Revue des Livres pour Enfants (BNF, Paris) depuis 1976, et auparavant dans le Bulletin d'analyses de livres pour enfants (sélections de 1965 à 1975). 106 « Sélection 1999, Présentation », RLE n° 190, p.3 43 insisté sur ce point : « ces sélections ne prétendent pas proposer un reflet exact de la production éditoriale, [...] mais elles sont une occasion de présenter des ouvrages qui correspondent aux valeurs qui sont attachées [à cette revue] ». Chaque sélection est donc le fruit d'un engagement militant. Ce parti-pris est clairement affiché dans chacun des Éditos. Celui de la sélection 2009 témoigne ainsi des mêmes ambitions que celles affichées vingt ans plus tôt (p.2) : Il s'agit ainsi de faire émerger les nouveautés les plus intéressantes, celles qui reflètent la diversité et la richesse de la création et qui, loin d'être de simples produits de consommation, savent éveiller la curiosité, l'esprit critique, susciter le rire ou l'émotion, enrichir l'imaginaire... Néanmoins, cet engagement constitue un atout pour notre travail puisque l'humour est justement une dimension à laquelle les rédacteurs de la RLE sont sensibles : il fait en effet l'objet d'une réflexion approfondie107 et constitue un de ses centres d'intérêt, comme en témoignent les éditos. Par conséquent, ces sélections nous semblent fournir un indicateur précieux pour repérer et analyser les nouvelles tendances considérées comme intéressantes par les professionnels de l'éducation. Elles forment donc un corpus particulièrement adapté aux objectifs de notre recherche, tant en ce qui concerne l'enquête exploratoire, que pour les analyses quantitatives et qualitatives. 2- Objectifs de l'enquête exploratoire Comme nous l'avons déjà évoqué, les frontières de l'humour et du comique sont mal déterminées, et il est possible que ce flou se retrouve également dans la manière dont chacun des rédacteurs des notices RLE appréhendent ces phénomènes. Comique et humoristique peuvent en effet être parfois entendus comme synonymes. C'est pourquoi nous avons retenu dans le cadre de ce travail une définition élargie de l'humour, c'est-à-dire une entrée qui considère l'intention du producteur - auteur ou illustrateur - comme critère de détermination fondamental de l'humour 108. Est ainsi considérée comme humoristique toute production qui témoigne d'une volonté de faire rire ou sourire le lecteur. Nous reprenons en cela la position adoptée par Bariaud dans son étude sur l'humour chez les enfants, qui ne le limite pas à la résolution d'une incongruité 109, mais le définit plus largement 107 la Joie par les Livres organise d'ailleurs une rencontre à l'automne 2010 sur la question 108 Voir le paragraphe sur le rôle de l'intentionnalité dans la définition de l'humour et du comique (p.3) 109 « (…) nous ne considérons pas que la qualité de drôlerie s'attache intrinsèquement aux incongruités, même si 44 par le fait qu'il ait été proposé dans le but de faire rire. Cette approche nous a poussé à associer aux formes humoristiques proprement dites110, certaines manifestations du comique, qui présentent ce caractère volontaire, et poursuivent donc le même objectif : comique de figure, de situation, mise en scène du scatologique ou des pulsions agressives (mésaventures...), qui constituent les formes essentielles de l'humour enfantin 111. En amont du travail d'analyse proprement dit, cette enquête a donc pour premier objectif de définir les critères de constitution du corpus de recherche en déterminant les occurrences significatives (c'est-à-dire qui renvoient à des documentaires humoristiques) – en plus de « humour » ou « humoristique » - dans les notices de la RLE, support de notre recherche. Elle a également pour but de vérifier la pertinence de la méthode retenue pour repérer les occurrences humoristiques. Cette dernière renvoie à la définition élargie de l'humour que nous avons présentée ci-dessus, et constitue une démarche valable pour l'ensemble de notre recherche. Nous avons défini deux conditions nécessaires pour qu'une situation puisse être considérée comme humoristique : – à la fois la présence d'une incongruité (visuelle ou textuelle), qui provoque de la surprise chez le lecteur, ou la mise en scène de thèmes du « comique enfantin » tel que Bariaud les a définis, et que nous avons rappelés précédemment. – et dans le même temps la présence d'indicateurs humoristiques dans le contexte d'énonciation. Ces indices de l'humour témoignent d'une intention explicite de faire rire ou sourire, et permettent d'exclure les cas où est mis en scène du bizarre, de l'étrange, et non pas de l'humour. Ils peuvent être textuels (changement de registre de langue, recours au mode exclamatif...) ou graphiques (dessins de type bande dessinée et non plus naturalistes, phylactères qui témoignent d'une animisation des animaux ou d'une réification des choses...). Ils s'accompagnent souvent d'indicateurs extra-discursifs (police d'écriture différente, trame de fond...). celles-ci ont très précocement le pouvoir, en certaines conditions, de susciter le rire ou le sourire » (La genèse de l'humour chez l'enfant, p. 52) 110 c'est-à-dire, comme nous l'avons évoqué précédemment, celles qui nécessitent la découverte d'un secondsens sous-jacent, et la résolution de l'incongruité. 111 Voir à ce propos le paragraphe sur les thèmes de l'humour enfantin (I-A-4-b) 45 De la même manière, cette enquête exploratoire nous permettra d'expérimenter les outils qui nous serviront pour la suite de notre travail, et notamment la grille des fonctions de l'humour (correspondance entre les hypothèses liées à la revue de littérature et les pratiques réelles), et de les adapter si besoin. Nous reviendrons sur cette dimension dans la partie consacrée à l'élaboration des outils d'analyse de l'humour au sein des documentaires. 3- Dispositif retenu Afin de répertorier les expressions des notices susceptibles de renvoyer à des pratiques humoristiques, nous avons procédé à l'analyse de notices renvoyant à des ouvrages reconnus comme humoristiques par des professionnels. Pour cela, nous avons demandé à deux bibliothécaires spécialisées dans le livre de jeunesse de réaliser une sélection de documentaires qu'elles considéraient comme « humoristiques » - dans le sens de cette définition élargie - , parmi la liste complète, sans notices, des documentaires proposés par la RLE depuis 10 ans... Ce qui correspond approximativement à l'âge des documentaires les plus anciens de leur fond. Les documentaires qu'ils ont retenus – 25 au total- sont présentés dans le document proposé en annexe 3. Nous avons ensuite vérifié le contenu humoristique de ces documents en les soumettant à une brève analyse (repérage des occurrences humoristiques graphiques ou textuelles en nombre suffisant), qui s'est révélée concluante à chaque fois. Le recoupement avec les notices RLE qui accompagnent ces documents nous a permis dans un troisième temps de réaliser une liste de « mots-clefs » se référant à l'humour, et de déterminer les champs lexicaux qui étaient associés à l'humour. 4- Les occurrences significatives Comme l'on pouvait s'y attendre, la sélection des bibliothécaires renvoie essentiellement à des documentaires définis dans les notices RLE par des termes qui relèvent des champs lexicaux de l'humour et du comique112 . Elle a cependant également fait apparaître d'autres ouvrages, effectivement humoristiques, mais qui sont présentés dans les notices de manière moins explicite 113. La recherche et 112 Voir détail de l'analyse en annexe 1 113 Certains y sont en effet définis comme « farfelus », « fantaisistes », « saugrenus » (sélection 2004) 46 l'observation d'autres documents présentés en ces termes dans les notices a confirmé la validité de ces entrées pour repérer les documentaires humoristiques 114. Cela nous a amené d'une part à adopter une stratégie de recherche plus ouverte que le simple repérage de mots-clefs préétablis, en élargissant les critères de sélection 115, et d'autre part à nous intéresser, au-delà du strict champ lexical de l'humour, à celui du rire (« amusant », « loufoque »)... Car tous ces termes semblent en effet synonymes d'humour sous la plume des rédacteurs. Lors de notre entretien, C. Rosenbaum a détaillé le processus de rédaction des notices : Les livres sont présentés de manière orale, lors d'échanges dans les comités de lecture, puis les notices sont rédigées puis lues et re-relues. Même si ce n'est pas formalisé, il y a toujours de fait une cooptation. Il existe une « culture maison » qui amène à un consensus subjectif. Ce qu'on produit est forcément le reflet de choix culturels, idéologiques. C'est le cas de tout travail critique. ... D'où, comme nous l'avions supposé, la possibilité d'un certain flou conceptuel dans les définition de l'humour, puisque chaque rédacteur écrit librement, sans se référer à une grille d'analyse (« les grilles ce n'est pas chez nous que vous les trouverez ») ou à un répertoire de mots-clefs. La question est plus complexe pour les mots relevant du champ lexical du plaisir. Les bibliothécaires ont proposé deux documentaires116 qu'elles considéraient comme humoristiques -ce qui a été validé par notre observation- mais dont les notices ne mentionnent que le caractère agréable, et non pas humoristique. Cependant, l'analyse d'autres documentaires présentés de la sorte117 dans les sélections RLE n'a pas véritablement validé cette entrée. Les documents « agréables » ne se sont en effet révélés humoristiques, d'après notre analyse, que dans quelques cas (6, sur un total de 34 documents). C'est pourquoi nous ne les avons pas pris en compte pour notre recherche quantitative, au risque de minorer en partie l'importance du phénomène humoristique. Malgré tout, pour la composition du corpus 2009 et l'analyse qualitative, les documentaires qui relèveraient de ces qualificatifs seront observés pour vérifier s'il convient ou non de les considérer comme nonsignificatifs pour notre étude. 114 Une rapide analyse nous a permis de vérifier que toutes les notices mentionnant le rire jusque dans sa dimension d'étrangeté amusante (« farfelu ») renvoyaient effectivement à des documentaires humoristiques. Cela nous a également permis d'ajouter dans le même ordre d'idée les occurrences « fantaisiste » et « saugrenu », renvoyant à deux documentaires humoristiques de 2004. 115 Nous avons opté pour la prise en compte de tous les mots relevant explicitement d'un champ lexical donné. 116 L'Art en Bazar (Milan jeunesse, 2004) et Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ?, (Le Pommier, 2009). 117 Voir annexe 2. 47 Enfin, le champ lexical du jeu (« ludique », « interactif »)118 a été exclu de la recherche, les documents (19 au total) auxquels faisaient référence ces mots-clefs ne se révélant pas humoristiques d'après notre analyse. Ils ont donc été considérés comme non-significatifs. Les thématiques de l'humour et du rire se déclinent donc à travers un certain nombre d'occurrences significatives, de mots-clefs, qui sont récapitulés dans la liste ci-dessous, et auxquelles pourront éventuellement s'ajouter de nouvelles expressions qui relèvent des mêmes champs lexicaux. Liste récapitulative des occurrences indicatrices de l'humour (en gris, les champs lexicaux pris en compte seulement pour la recherche qualitative): Champ lexical Occurrences rencontrées Humour « humour » « humoristique » Rire « amusant » « drôle » « loufoque » « farfelu » « fantaisiste » « saugrenu » Plaisir « agréable » « attrayant » « plaisant » « séduisant » 5- Validation de la démarche de repérage de l'humour L'enquête exploratoire a par ailleurs permis de vérifier la validité de notre méthode de repérage des occurrences humoristiques. Pour cela, nous avons testé notre outil d'analyse sur les documentaires dont le caractère humoristique faisait l'unanimité, c'est-à-dire sur ceux qui étaient à la fois considérés comme humoristiques par les bibliothécaires et explicitement 118 Voir annexe 2. 48 présentés comme tels dans leur notice (23 ouvrages). Or, les résultats de cette analyse ont concordé avec cette appréciation dans tous les cas. Cela nous a donc permis de considérer que cette méthode était opérante. B- L'analyse quantitative 1- Objectif et méthode de la recherche Il s'agit d'esquisser un portrait évolutif du documentaire et de la place de l'humour en son sein en comparant les sélections documentaires de la RLE depuis leur création. Pour chacune des « sélections annuelles » qui constituent notre corpus, nous avons analysé chacune des notices pour repérer les occurrences relatives à l'humour telles qu'elles ont été répertoriées lors de l'enquête exploratoire. Cette étude longitudinale a pour objectif de témoigner de la place occupée par les documentaires humoristiques dans les sélections, et donc de la visibilité que la RLE leur offre. 2- Corpus RLE retenu Cette entreprise bibliographique ayant débuté en 1967 – date de parution de la première sélection du Bulletin d'analyse de livres pour enfants, ancêtre de la Revue des livres pour enfants-, elle fournit naturellement un terrain d'observation de premier ordre pour analyser les évolutions du genre documentaire, et s'inscrire ainsi dans une perspective historique. Pour ce faire, nous avons extrait des sélections tous les cinq ans, en fonction des données disponibles. A la sélection 2009, nouvellement parue (novembre 2009), nous avons donc ajouté les sélections suivantes : 2004, 1999, 1994, 1989, 1984, 1978 (1979 inexistante), 1974 et 1967 (première sélection), soit un corpus regroupant au total neuf sélections annuelles. 49 3- Résultats et analyse L'analyse de ces sélections de la RLE à intervalles réguliers permet d'observer la multiplication des mentions relatives à l'humour au sein des notices RLE accompagnant les documentaires. On constate en effet la multiplication des occurrences liées au rire (terme sous lequel nous regroupons les mentions de l'humour et du comique), comme l'indique le graphique ci-dessous. Graphique 1: mention du rire (humour et comique) dans les notices RLE Nombre total de documentaires dans la sélection Occurrences liées au rire Mention du rire (en pourcentage) 18% 16% 200 14% 12% 150 10% 8% 100 6% 4% 50 2% 0 0% 1967 1974 Année de sélection 1978 1984 1989 1994 1999 2004 Pourcentage d'occurrences Nombre de documentaires 250 2009 1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009 Nombre total de documentaires dans 140 la sélection 119 47 115 108 210 122 226 154 Occurrences liées au rire 2 3 1 4 4 10 11 21 25 Mention du rire (en pourcentage) 1,4 2,5 2,1 3,5 3,7 4,8 9 9,3 16,2 En dépit des variations annuelles, le nombre de notices comportant ces mots-clefs progresse donc régulièrement, passant de moins de 2% en 1967 à plus de 16% en 2009 (voir tableau en annexe 3). Aux mots-clefs recensés lors de l'enquête exploratoire, nous avons ajouté certaines expressions qui relèvent du champ de l'humour ou du comique, mais qui n'étaient pas apparues lors de ce premier travail. Il s'agit des occurrences suivantes : « une comédie », « avec ironie » (qui sont des registres de l'humour), ainsi que « cocasse», « irrésistible119 », et « rigolo » (qui sont des synonymes de comique). 119 Dans l'expression « des dessins irrésistibles », qui sous-entend une dimension comique 50 Détail des occurrences liées au rire dans les notices des sélections RLE 1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009 Humoristique 0 / humour 1 0 2 2 5 6 10 18 amusant 0 2 1 apprendre en s'amusant 1 2 2 1 4 4 drôle 1 0 0 1 0 1 1 0 2 Autres occurrences liées à l'humour ou au comique 1 0 comédie 0 0 0 1 ironie 1 saugrenu 1 fantaisist e 1 cocasse 1 pour rire 2 farfelu 1 irrésis1 tible loufoque 1 rigolo L'ambition de cette analyse reste modeste, puisqu'il s'agit d'un relevé portant sur une sélection de documentaires et non sur l'ensemble de la production dans le domaine. Il ne s'agit donc pas de tirer des conclusions sur l'ensemble de la production uniquement à partir de ces données. Cependant, le constat de la mention de plus en plus fréquente de l'humour dans la présentation des documentaires rejoint les analyses des acteurs de l'édition jeunesse qui font état de ce phénomène... Citons ainsi Claudine Hervouët, de la Joie par les Livres qui lors d'une intervention professionnelle120 au printemps 2009, soulignait cette tendance au recours à l'humour dans l'offre éditoriale actuelle. C- L'analyse qualitative 1- Objectif Si l'analyse quantitative permet de dégager des tendances, elle ne rend cependant pas compte des divers usages du phénomène qu'elle constate. C'est pourquoi suite à cette première approche, nous avons procédé à une analyse qualitative de l'humour dans les documentaires jeunesse. Pour cela, nous nous sommes focalisés sur les documents présentés comme humoristiques ou 120 Journée professionnelle des professeurs-documentalistes (20 mai 2009), « Les documentaires pour la jeunesse : un genre, une offre éditoriale » , en ligne. http://blog.crdp-versailles.fr/actudoc/index.php/ post/08/01/2010/Les-ouvrages-documentaires-pour-la-jeunesse-:-un-genre,-une-offre-éditoriale 51 comiques dans la dernière sélection proposée par la RLE (2009), et avons procédé à leur analyse à l'aide de différents outils d'observation. Notre objectif était ici triple : il s'agissait dans un premier temps d'observer les formes d'humour et de comique privilégiées (humour graphique /textuel), puis de repérer leur place au sein du discours (intégration ou non au discours principal). Pour cela, nous avons répertorié toutes les occurrences comiques et humoristiques rencontrées au fil de la lecture de chaque documentaire grâce à la démarche présentée précédemment (III-A-2), et validée par notre étude exploratoire. Enfin, l'analyse de ces occurrences à l'aide d'une grille d'observation constituée pour l'occasion nous a permis de dégager les fonctions assignées à l'humour dans les ouvrages du corpus. Cet ensemble de données cherche ainsi à esquisser un état des lieux de ces pratiques, luimême mis en regard avec les discours de leurs éditeurs. 2- Corpus : la sélection RLE 2009 a- Une analyse des pratiques actuelles Le choix de la sélection 2009 est lié à différentes raisons. Il est d'abord lié à l'attention particulière dont témoigne la RLE pour les pratiques documentaires innovantes. D'une manière générale, les ouvrages présentés dans ces sélections, de par leur richesse et leur intérêt, nous ont donc semblé susceptibles de témoigner des pratiques actuelles les plus novatrices en matière de vulgarisation scientifique, et de fournir des informations précieuses sur la manière dont est utilisé l'humour dans ce cadre. Quant au choix de l'année de sélection, il est d'abord la conséquence logique de l'objet de ce travail, puisqu'il s'agit de proposer un état des lieux des pratiques contemporaines en matière de vulgarisation humoristique. La sélection 2009, dernière en date, reflète donc l'actualité de l'édition. Il s'agit de plus de la sélection où les mentions de l'humour sont les plus nombreuses dans les notices. Il semble donc probable que la variété des formes humoristiques proposées soit la plus grande... D'autant plus que cette sélection apparaît dans un contexte de profonde mutation du genre documentaire, liée à la concurrence d'Internet, qui lui impose un renouvellement des ses pratiques121. Là encore, il va de soi qu'une étude de la sorte, réalisée sur un nombre limité de 121 Voir GODARD PH, et GENTILE C., « La disparition programmée du documentaire jeunesse, ou le triomphe de la gratuité culturelle », article paru sur le site Ricochet, 2008 52 documentaires, et sur une courte période, ne saurait prétendre à l'exhaustivité. Mais rappelons que notre objectif est de proposer un instantané à un moment donné, en mettant cependant en oeuvre des outils et des démarches qui puissent être généralisés à d'autres corpus par la suite. b- Le corpus humoristique extrait de la sélection 2009 : Résultats de la sélection par mots-clefs issus de l'enquête exploratoire Dans cette seconde partie de notre recherche nous nous sommes donc concentrés sur les ouvrages issus de la sélection 2009 de la RLE, et parmi eux, sur ceux dont la notice mentionne le rire (humour et comique), en utilisant les champs et les mots-clefs sélectionnés lors de la recherche exploratoire. Ont également été répertoriés les ouvrages dont la notice évoque le plaisir, dont l'enquête exploratoire a indiqué qu'ils recouvraient possiblement des formes humoristiques. Le tableau ci-dessous reprend les mots-clefs issus des notices de chacun des documentaires sélectionnés, ainsi que les résultats de l'analyse de leur caractère humoristique. c- Les documentaires écartés de la sélection Revenons dans un premier temps sur le cas du documentaire Dauphins et baleines (Kididoc, Nathan) sélectionné a priori, puisque une page « amusante » est signalée dans la notice. Elle propose un jeu de reconnaissance (type de mammifère, en fonction de la direction et du nombre de ses jets) ludique mais non humoristique. L'analyse de ce document dans son intégralité ne nous a pas confrontés à d'autres éventuelles formes humoristiques, ce qui ne semble guère surprenant au vu de son projet éditorial (constituer une véritable « encyclopédie de poche » comme l'indique la couverture), et de sa forme très classique. Nous ne l'avons donc pas retenu dans notre sélection. Abordons maintenant la question des documentaires présentés dans leur notice à l'aide de termes relevant du champ lexical du plaisir (documentaires indiqués en jaune dans le tableau de synthèse). Nous avons vu dans l'enquête exploratoire que ce type de qualificatif pouvait parfois renvoyer à des documents de type humoristique. Trois documentaires de la sélection 2009 mentionnaient le plaisir, mais après une observation à l'aide des outils présentés cidessus, nous n'en avons retenu qu'un. Il s'agit de Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ? (Les albums du Pommier, Le Pommier) qui relève incontestablement du genre 53 humoristique... comme le laisse supposer son titre. L'humour y apparaît en effet dès la page de couverture, où l'on voit une taupe qui se cogne contre les lettres constituant le titre. En revanche les deux livres de la collection La petite galerie... de Calder/ de la Joconde (La petite Galerie, Palette) présentés comme « séduisants » n'ont pas été retenus, leur attrait consistant dans leur dimension ludique (rabats, caches...), soulignée par ailleurs dans leurs notices, plutôt que dans la présence de comique ou d'humour (une seule occurrence notée pour La Joconde). Enfin, suite à l'analyse des ouvrages de M. Sasek (Casterman, réédition de 1960), dont toute la série (6 documentaires) était évoquée dans une notice générale, nous avons fait le choix de n'en retenir qu'un seul (New York), qui nous est apparu significatif de la démarche de Sasek dans les formes d'humour proposées Le corpus final comprend donc au total 21 ouvrages. 3- Les outils d'analyse Un travail d'analyse de ce type se heurte immédiatement à une double difficulté : liée d'une part à la variété extrême des formes documentaires (de l'album à l'encyclopédie) et des thématiques (sciences humaines, physique, arts...), qui rend délicate la constitution de grilles d'observation ; et d'autre part à la variété même des manifestations possibles de l'humour, du fait de sa polysémie, comme nous l'avons déjà évoqué dans un paragraphe précédent. C'est pourquoi nous avons choisi d'adopter une approche pragmatique, sans prétention à l'exhaustivité mais qui permette l'observation des manifestations principales de l'humour et du comique dans le contexte de la vulgarisation. Pour cela, il nous semblait nécessaire de proposer un dispositif souple, c'est-à-dire un cadre d'analyse suffisamment ouvert pour pouvoir prendre en compte l'essentiel des éléments humoristiques ou associés que nous étions susceptibles de rencontrer au fil de l'analyse. Remarquons enfin que cette enquête exploratoire a été l'occasion d'expérimenter les outils d'analyse que nous avons utilisés par la suite. Elle nous a conduit d'une part à distinguer dans les formes d'humour textuel que nous avons observé, l'humour relevant des textes de celui présent spécifiquement dans les titres. Elle a d'autre part été l'occasion d'affiner la grille 54 d'analyse des fonctions. Celle-ci, qui a été réalisée à partir de l'ensemble des recherches réalisées sur le rôle de l'humour dans les apprentissages 122, ne comportait en effet initialement qu'une fonction métacognitive générale123. L'observation des documentaires réalisée lors de cette enquête nous a amené à y distinguer les formes humoristiques qui relevaient de la distanciation vis à vis des émotions et des sentiments, de celles qui renvoyaient à la réflexion sur les savoirs présentés et sur la science en général. Nous verrons par la suite comment ces outils ont été validés. a- Modalités d'expression de l'humour Il s'agit de définir les formes d'humour employées préférentiellement dans les ouvrages de vulgarisation. Pour cela, nous avons observé les modalités d'expression de l'humour dans les documentaires, afin de distinguer l'humour graphique (comique de figures, de situation...), de l'humour textuel. L'humour textuel englobe donc les titres humoristiques, ainsi que les éléments humoristiques présents au sein du texte, qu'il s'agisse de formes présentes dans le discours principal, ou dans des encadrés (exemples, cas particuliers). Remarquons que, dans certains cas, l'humour, mis en scène dans un dessin, s'apparente à de l'humour textuel parce que l'élément comique se situe uniquement dans ce qui est dit (réflexion d'un personnage, dialogue...), comme dans l'exemple suivant, illustrant une doublepage sur le rôle des phéromones : Illustration extraite de Pourquoi les taupes... (p36-37) 122 Voir la partie « Humour et apprentissage (I-B) 123 L'humour jouant un rôle de distanciation par rapport à ce qu'il traite. 55 L'humour graphique correspond quant à lui aux éléments humoristiques constitués par les illustrations proprement dites. Au sein de cette catégorie, nous avons distingué d'abord les images simples, c'est-à-dire qui se limitent à des représentations humoristiques strictement graphiques, et relèvent par conséquent de l'humour visuel. Celles-ci fonctionnent souvent sur le comique de situation ou de figures, et la mise en scène du grotesque (avec souvent le recours à l'animisation ou la réification), ou de la caricature. Détail de la couverture de Des bêtes qui collent, qui piquent, qui crachent à la mer (Gulf Stream) Nous avons distingué cet humour « graphique », d'un second type d'images, correspondant aux exemples où l'humour est mixte, c'est-à-dire lorsqu'une illustration (souvent comique en elle-même), prend une dimension réellement humoristique par sa mise en relation avec un élément textuel (légende, phylactères...). 56 Ainsi dans l'exemple ci-dessus, extrait de Des petits mots qui font les grands (documentaire sur le rôle des préfixes et suffixes en français), la légende « trimestre » éclaire la situation représentée graphiquement ; cependant l'illustration proprement dite ajoute une dimension qui constitue le ressort humoristique central. Enfin, nous avons regroupé sous l'appellation d'humour « de l'entre deux » les formes qui relèvent d'un genre particulier, ni totalement textuel, ni véritablement graphique, mais où l'humour naît de la mise en parallèle (souvent contradictoire) des deux discours. Ces formes d'humour apparaissent dans le cadre d'un « récit interactif » (Agosto, 1999)124, c'est-à-dire lorsque le lecteur doit tenir compte des deux formes de discours (le linguistique et le visuel) pour accéder au sens. L'image peut alors amplifier le texte, ou le contredire... offrant alors des possibilités riches, notamment en ce qui concerne l 'humour. La bande dessinée, du fait de sa double nature, à la fois graphique et textuelle, se prête particulièrement à ce genre de récit. Un exemple classique d'humour de ce type, est le suivant : Vignette extraite des cigares du Pharaon, (Hergé, 1934 NB, 1955 couleurs) 124 Ce modèle théorique est repris par F. Lesage dans La littérature pour la jeunesse, 1970-2000, collection « Archives des lettres canadiennes » (Fides, Montréal, 2003), p.36 57 C. Rosenbaum et C. Hervouët ont d'ailleurs largement insisté sur la richesse de cette forme d'humour lors de notre entretien : « l'humour passe fondamentalement par le rapport texteimage […] On peut parler d'un ton particulier pour cet humour de l'entre-deux. [Ce ton] lie le texte et l'image et enrichit la relation au réel ». Elles citent en exemple la collection Regards d'aujourd'hui chez Mango, ou Le Journal de l'histoire chez Gallimard. b- Articulation avec le discours de vulgarisation Nous nous sommes intéressés ici à la position occupée par les formes humoristiques, qu'elles soient textuelles ou graphiques, dans l'architecture de chaque documentaire humoristique de la sélection 2009 : relèvent-elles du discours principal, ou se retrouvent-elles dans les éléments annexes (et notamment le paratexte), proposés en complément ou en illustration de celui-ci ? Nous entendons par « discours principal », celui qui structure la lecture, qui en constitue le fil conducteur, dans le cadre du documentaire entier (s'il est présenté sous forme de récit), de celui du chapitre... voire de la double page seulement quand le documentaire est structuré de la sorte. Ce discours est généralement textuel, et aisément identifiable visuellement (taille de la typographie, fond de couleur...). Dans certains cas cependant, il peut être de nature graphique, et passer par les images, exclusivement (imagier) ou en alternance avec le texte. Les images de ce type seront donc considérées comme relevant du discours principal. Tomber d'en haut, un documentaire sur la gravité (Ohé la science, Ricochet), présente une alternance de ce type dans le discours principal, puisque le fil de lecture passe du texte à l'illustration (phylactère). Ainsi page 4, peut-on lire : Ce texte est accompagné des images suivantes, qui poursuivent le discours dans le cadre de l'illustration, avant de retrouver sa forme strictement textuelle plus loin : 58 L'humour peut être présent dans le discours principal. Dans ce cas, les éléments humoristiques y sont intégrés visuellement (pas de séparation dans la mise en page). Comme ils constituent un élément nécessaire à sa compréhension, ils ne peuvent par conséquent être supprimés. L'élément textuel ou l'image humoristique peut également se situer dans un élément annexe au discours principal, relevant du paradiscours125, c'est-à-dire dans un titre, un encart (lexique, anecdotes...) ou une illustration. Même si ces éléments renvoient généralement aux informations proposées dans le discours principal, et s'articulent avec lui, ils ne constituent pas la matière première du discours (généralement constituée par un texte) et ne lui sont pas nécessaires. Dans ce cas, leur différence de nature avec le discours principal est soulignée par des jeux de typographie et de mise en page. Cette observation nous permettra d'identifier de quelle manière l'humour est intégré à la démarche de vulgarisation. c- Fonctions de l'humour dans une optique de vulgarisation Enfin, nous avons observé comment l'humour opère en tant qu'outil de vulgarisation, en procédant à l'analyse des fonctions de chaque élément humoristique repéré dans ces documentaires. Ces fonctions, définies à partir des recherches mentionnées dans la revue de littérature, sont liées à la double nature du phénomène humoristique, à la fois affective et cognitive (Bariaud, 1983). Nous rappellerons brièvement ces éléments issus de la revue de 125 Nous élargissons la notion de paratexte telle que l'a défini Jacobi pour la forme canonique du documentaire (où le discours principal est textuel), aux éléments annexes de tout discours principal, qu'il passe par l'image ou le texte. 59 littérature en introduction de chaque fonction. Comme nous l'avons indiqué précédemment, l'enquête exploratoire nous a permis d'affiner les items proposés, en distinguant deux fonctions de type métacognitif, en fonction du sujet sur lequel elles portaient (réflexion sur soi à travers la mise en scène des sentiments, ou sur le savoir présenté et la science en général). Rappelons enfin que notre question n'est pas ici de savoir si les éléments humoristiques rencontrés dans les documents ont été conçus en vue de remplir le rôle que nous leur attribuons dans notre grille d'observation, une intentionnalité que nous nous garderons bien d'attribuer à leurs auteurs, faute d'éléments disponibles sur le sujet. Il s'agit plutôt d'observer comment ces propositions humoristiques contribuent, dans les faits, à enrichir et à agrémenter le discours de vulgarisation. Ainsi, toute référence humoristique à la culture populaire (slogans publicitaires, dictons, expressions familières...) contribue-t-elle, de manière consciente ou non, à ancrer le propos qu'elle agrémente dans un univers familier (et comique) pour le lecteur. d- La grille d'observation des fonctions de l'humour Nous avons opéré une distinction entre les éléments humoristiques aux fonctions affectives, qui créent un climat propice et ceux que nous avons regroupés sous le terme d'humour « d'apprentissage », qui renvoient aux fonctions cognitives de l'humour. Pour cela, nous avons retenu un critère simple, à savoir ce sur quoi portait l'humour. Pour chaque forme humoristique rencontrée, qu'elle soit graphique ou textuelle, nous avons observé si elle mettait en scène des éléments du discours de vulgarisation : soit par exemple qu'elle illustre, de manière décalée ou absurde, ce qui a été ou sera expliqué dans le texte, soit qu'elle ne soit compréhensible qu'en fonction d'informations du texte auxquelles elle fait référence. Lorsque c'était le cas, nous l'avons considérée comme remplissant une fonction directe d'apprentissage, renvoyant à des fonctions cognitives de l'humour ; dans le cas contraire, elle s'apparente donc à de l'humour « de climat », c'est-à-dire sans objectif direct d'apprentissage ou de transmission des connaissances, mais remplissant certaines fonctions affectives détaillées cidessous. 60 Exemple d'humour « d'apprentissage » : une scène qui fait référence aux propriétés urticantes des oeufs de l'anémone, qui constituent pour eux une protection contre les prédateurs éventuels (Des bêtes qui crachent, qui collent, qui piquent, à la mer, p.43) Cependant, l'enquête exploratoire nous a conduit à observer dans quelques cas, la présence d'éléments humoristiques d'une nature particulière, qui ne répondent pas directement à des objectifs d'apprentissage, mais dont la fonction essentielle n'est pas non plus l'instauration d'un climat positif. Il s'agit plutôt alors d'exemples où, par l'humour, le lecteur est invité à se questionner, que ce soit sur lui même (soi en tant qu'individu ou en tant qu'apprenant), ou sur le savoir qui lui est présenté d'une manière générale (notamment dans sa dimension symbolique). Dans ce cas, l'humour fonctionne comme une invitation à la réflexion et à la prise de recul sur ce qui est proposé au lecteur. Cette fonction de mise à distance et de réflexion critique dépasse donc le simple objectif d'apprentissage, et relève du domaine de l'éducation. Cela nous a conduit à établir une troisième catégorie, qui regroupe les fonctions « éducatives » de l'humour, c'est-à-dire celles qui ne s'adressent non plus à l'enfant, ni à l'apprenant, mais à l'individu en construction. Cette catégorie regroupe les éléments humoristiques qui mettent en perspective le discours principal de vulgarisation scientifique, en l'ouvrant à une dimension supplémentaire, qu'il s'agisse de l'image de soi, du rapport symbolique au savoir et à la science, ou même dans certains cas, d'une ouverture sur l'imaginaire et la poésie... Bien entendu, les éléments humoristiques jouent parfois sur plusieurs tableaux. C'est notamment le cas pour les formes d'humour d'apprentissage, qui remplissent souvent des fonctions affectives parallèlement aux cognitives. Ainsi, le titre « Le prêtre Jean, réalité ou intox ? » dans le documentaire Le Moyen Age (Milan, p.39) propose t-il à la fois une référence humoristique aux journaux à sensation dont il parodie les formes langagières, tout en jouant 61 un rôle d'accroche qui vise à mettre en questionnement le lecteur, et le pousse à chercher une explication à ce titre énigmatique dans sa lecture. Nous avons par conséquent été particulièrement attentifs dans notre analyse aux complémentarités entre les fonctions qui sont apparues au fil de notre observation. Les fonctions affectives de l'humour (CLI) Les éléments humoristiques qui y sont répertoriés n'ont pas de fonction directe d'apprentissage, mais participent à l'établissement d'un climat général favorable à l'apprentissage, en jouant sur des variables particulières. L'humour peut en effet avoir pour fonction d'instaurer un contexte émotionnel favorable (CLI-1), de renforcer le sentiment d'appartenance du lecteur (CLI-2), ou de favoriser l'implication affective du lecteur (CLI-3). L'instauration d'un contexte émotionnel favorable (CLI-1) Dans certaines de ses manifestations, l'humour a pour fonction essentielle de favoriser un climat propice aux apprentissages (Ulloth, 1998), en présentant le savoir de manière plaisante. Cette fonction renvoie au rôle de lubrifiant didactique de l'humour tel que l'a défini Gentilhomme (1988)126. Si cette fonction est potentiellement commune à toutes les formes d'humour proposées dans le discours de vulgarisation (puisque toute manifestation d'humour participe à ce climat positif), nous n'avons recensé ici que les éléments humoristiques répondant uniquement à cet objectif. Cette fonction renvoie donc à tous les éléments humoristiques ou comiques-humoristiques qui illustrent le discours, sans pour autant lui être nécessaires. Il s'agit entre autres des dessins agrémentant les pages du documentaires (souvent réalisés dans un style proche de celui de la bande-dessinée). Ces illustrations peuvent renvoyer au sujet traité, mais d'une manière très générale, car celui-ci n'est que l'occasion, le prétexte pour la situation comique... comme dans l'exemple ci-dessous, tiré d'une page concernant les méduses : 126 Voir partie I-B-1-a 62 Illustration extraite de Des bêtes qui collent, qui piquent, qui crachent à la mer (Gulf Stream) Cette forme d'humour est souvent le fait de détails comiques : Détail d'une illustration extraite de Comment c'était avant les vacances ? Dans le cas de l'humour textuel, on y incluera les jeux de mots, les onomatopées ou les formules à l'effet comique (liées à l'emploi d'un vocabulaire scatologique notamment). Cette fonction d'instauration d'un climat émotionnel favorable regroupe également les éléments qui contribuent à désamorcer des situations potentiellement anxiogènes (du fait de thématiques douloureuses : mort, injustice...). L'humour permet en effet d'aborder des thèmes graves en les dédramatisant, car il favorise la prise de recul par rapport à ses émotions (Ziv, 2002). 63 Dans Chère Traudi (Les 400 Coups), un paragraphe consacré à la disparition des Juifs et à leur inquiétant cimetière est illustré par cette image (p.12), où l'on observe la petite Traudi en pleine action. De favoriser l'implication affective du lecteur (CLI-2). L'humour, en reliant le discours vulgarisateur au vécu et aux centres d'intérêt du jeune lecteur, renforce son sentiment d'appartenance (Tessier, 1994) et crée un sentiment de connivence, une complicité avec l'auteur. C'est le cas notamment des allusions culturelles (qui renvoient souvent à la culture populaire : télévision, publicité...) ou de la mise en scène des habitudes et normes sociales. Scène humoristique extraite de Des bêtes... (p.32), parodiant le slogan publicitaire « un Mars, et ça repart ! » En ce qui concerne l'humour textuel, citons par exemple Des molécules plein l'assiette (Milan Jeunesse), documentaire sur l'alimentation qui multiplie les titres humoristiques : « Va te faire cuire un oeuf ! », « Le soufflé, c'est gonflé ! » (référence à la publicité « Vahiné, c'est 64 gonflé! »), «C'est moi qui l'ai fait! » (slogan de la marque « Marie »)... Dans certains cas, le champ de référence convoqué par l'humour n'est pas directement culturel, mais renvoie le lecteur à son expérience personnelle et à son vécu. L'humour met alors en scène l'univers quotidien de l'enfant, en faisant appel à l'expérience commune, et favorise ainsi son implication affective. Illustration d'un paragraphe sur les molécules volantes, extraite de Des molécules plein l'assiette, p. 7 De cette manière, l'humour participe alors au sentiment qu'a le lecteur d'une plus grande proximité avec son quotidien et ses préoccupations. L'humour textuel, quand il découle d'un jeu sur les registres de langue (emploi de termes familiers...), en est une forme particulièrement développée. Ainsi, la collection « Dame nature » (Gulf Stream) propose-telle un documentaire intitulé Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent, dont l'un des ressorts humoristiques principaux est constitué par l'emploi de mots issus du langage familier dans les textes de présentation. Fonctions de climat Cli 1 Objectif Etablissement d'un contexte émotionnel favorable Fonction Plaisir et motivation Baisse des tensions (si contenu affectif qui risque de parasiter l'apprentissage) Cli 2 Implication affective du lecteur Renforcement du sentiment d'appartenance (connivence) Développement d'un sentiment de proximité avec le lecteur 65 Forme Pas nécessairement d'inférences (ou internes à la Inférences extra-discursives qui renvoient à des situation) références culturelles et des normes sociales partagées, ou à l'expérience personnelle, au vécu, du lecteur Indices Mise en scène de situations humoristiques (humour tendancieux ou neutre) dont la fonction essentielle est de provoquer le rire Références culturelles et sociales Mise en scène du quotidien Recours au langage familier L'humour d'apprentissage (APP) Ces manifestations humoristiques jouent, comme nous l'avons vu, un rôle direct dans le discours de vulgarisation, en aidant à construire des connaissances (visualisation, apport d'informations complémentaires...) ou en les réemployant dans des contextes variés (intégration). L'humour prend alors une fonction cognitive. Nous avons distingué deux fonctions possibles : une fonction d'accroche (APP-1) et une fonction d'entraînement cognitif et d'intégration des concepts (APP-2). Une fonction d'accroche (APP-1) L'humour, favorise la mise en questionnement, et l'éveil de la curiosité face à une situation nouvelle (Corten-Gualtieri et Huynen, 1995). Les éléments humoristiques qui relèvent de ce type constituent donc dans un premier temps une énigme pour le lecteur, et le mettent en questionnement sur des points dont il va être question dans la suite immédiate du discours. Il s'agit essentiellement de titres humoristiques, dont le caractère a priori énigmatique est une invitation au questionnement : citons par exemple « Salade de frères et soeurs» (Le grand livre de la famille, p.34), sur les fratries recomposées, ou Tomber d'en haut, titre général d'un documentaire sur la gravitation. Une fonction d'entraînement cognitif et d'intégration des concepts (APP-2) L'humour permet la « réactivation du réseau conceptuel de l'apprenant » (Corten-Gualtieri et Huynen, 1995). Pour comprendre une blague, il est en effet nécessaire de maîtriser les concepts auxquels elle se réfère (Bariaud, 1983). L'humour fonctionne alors en effet sur des éléments évoqués dans le discours de manière explicite (reprise de concepts, d'informations...). Il nécessite donc la réalisation d'inférences intra-textuelles pour être 66 compris. Il constitue une forme d'entraînement cognitif car pour comprendre la situation humoristique proposée, le lecteur doit nécessairement réaliser des inférences et remobiliser ainsi des connaissances présentées dans le discours. Cette forme d'humour fonctionne souvent à travers des exemples qui constituent des variations comiques, voire absurdes autour du discours principal. Image extraite de Je ne peux pas le sentir (p.21), proposant un raccourci entre l'approche sexuelle chez le verrat (qui dégage une hormone stimulant la femelle), et les techniques actuelles utilisées dans l'élevage (utilisation de sprays chimiques dans le même but). Mais l'intégration du discours peut également passer par le développement d'images mentales... a fortiori dans le cas de représentations iconiques. Ces images, qui fonctionnent par comparaison, analogie ou métaphore (Jacobi, 1987), constituent ce que Jacobi appelle des « procédures de visualisation », qui permettent de figurer l'abstrait, ou l'invisible comme nous l'avons vu précédemment. L'humour, quand il se rencontre dans des images de ce type, participe alors à la compréhension et à la construction du savoir en favorisant l'intégration des concepts (Mac Ghee, 2002). 67 Image tirée de Je ne peux pas le sentir (p.11) représentant les molécules qui jouent un rôle dans l'odorat. Elles nécessitent d'être en nombre suffisant pour être perçues par les hommes, ce que tente de représenter cette illustration. Fonctions d'apprentissage App 1 Objectif Accroche Fonction Mise en questionnement du lecteur, éveil de la curiosité sur une question particulière App 2 Entrainement cognitif et intégration des concepts Réinvestissement des connaissances dans un contexte nouveau Intégration du discours principal Forme Inférences intra-discursives (sur la suite du discours) Inférences intra-discursives (sur ce qui a déjà été évoqué dans le discours) Métaphores, comparaisons ou procédures de visualisation (rôle de l'image) Indices Références à des termes et des notions qui sont explicitées dans le discours par la suite Reprise d'éléments évoqués dans le discours principal (sous un mode absurde, décalé...) Position introductive Les fonctions éducatives (ED) Elles dépassent le cadre strict des apprentissages, et renvoient le lecteur non pas au savoir présenté, mais à la manière dont il l'appréhende, en relation avec son vécu et ses représentations symboliques. L'humour prend alors une dimension métacognitive, en jouant un rôle dans la réflexion sur soi (ED-1), ou en favorisant le développement de l'esprit critique (ED-2). Outil de réflexion identitaire (ED-1) Une situation humoristique peut être l'occasion d'une ouverture à la réflexion sur soi. 68 L'humour permet en effet de mettre à distance les émotions, et favorise ainsi le développement affectif (Shade, 1996). Bien plus qu'un simple mécanisme de défense, il peut donc être considéré comme un outil de construction identitaire (Lethierry, 1997). Il renvoie donc à l'image et à la connaissance de soi. Cela passe par des représentations humoristiques qui ont pour ressort des sentiments ou des émotions, et qui nécessitent donc que l'enfant identifie ces facteurs affectifs... et réalise par là-même leur importance. On retrouve également associées à cette fonction les exemples humoristiques qui mettent en scène des peurs de l'enfance. Dans ce cas, à la différence des cas où l'humour joue un rôle de baisse des tensions (fonction de climat positif CLI-1), son rôle n'est pas ici de détourner l'enfant de ses craintes pour favoriser un contexte émotionnel propice aux apprentissages, mais au contraire de lui permettre de s'y confronter dans un cadre sécurisant. Ainsi dans Combien y en a t-il ? (Bayard Jeunesse), documentaire pour les 4-5 ans, une page invite l'enfant à jouer avec sa peur des monstres qui sont représentés sur une double-page : « Bouh ! Quels horribles monstres ! Peux-tu les cacher avec ta main ? » (p. 12). Développement de l'esprit critique (ED-2) Dans certains cas, lorsqu'il met directement en scène les scientifiques, ou renvoie à la dimension historique de la science (et notamment à ses erreurs), l'humour peut favoriser le développement d'un regard critique sur la science et les scientifiques. Il nécessite alors la réalisation d'inférences extra-discursives, qui renvoient à l'image traditionnelle de la science et du scientifique. Illustration extraite de Fermes et Campagnes (p. 221), en regard d'un texte sur les dangers des conservateurs et des aliments génétiquement modifiés Cette fonction est également illustrée par l'expression des erreurs et des hésitations du discours de vulgarisation lui-même : « revenons à nos moutons, heu... à nos lions », peut on 69 par exemple lire dans une page qui leur est justement consacrée dans Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ? (Le Pommier). Fonctions d'éducation Ed 1 Objectif Réflexion identitaire Fonction Réflexion sur soi et mise à distance des émotions (Shade, 1996) Ed 2 Développement de l'esprit critique Réflexion sur les savoirs présentés et sur la position de la science Conscience de soi en tant qu'individu (favorise la décentration) Forme Inférences extra-discursive (renvoie aux émotions et à l'image de soi) Inférences extra-discursives sur l'image traditionnelle de la science et attitude face au savoir Indices Mise en scène de situations humoristiques Mise en scène des scientifiques dont la compréhension implique la prise en compte des émotions et des sentiments Présence d'éléments qui interrogent le savoir présenté (effets de mise à distance) L'ensemble de ces fonctions, ainsi que leurs indices de repérage sont synthétisés dans la grille d'observation des fonctions de l'humour présentée en annexe 5. d- Validation de ces outils par double cotation La démarche et les outils ainsi élaborés ont été soumis à un tiers, à qui il a été demandé d'analyser quatre documentaires (pris dans la sélection 2009) que j'ai sélectionné pour la diversité des formes qu'ils présentaient selon moi. Nos analyses ont concordé, sauf dans un cas, puisqu'une référence culturelle (relevant de la fonction d'appartenance de l'humour) n'a pas été notée dans son observation. Cependant, la forme humoristique concernée avait été malgré tout repérée, mais considérée comme relevant simplement du comique de figures. Nous en avons donc conclu que notre démarche de repérage de l'humour, ainsi que nos outils d'observation étaient opérants. 4- Analyse des discours éditoriaux afférents En contrepoint à cette analyse, nous nous sommes intéressés aux discours éditoriaux qui accompagnent ces publications. Le fait de prendre en compte ces sources directes, en complément des documentaires du corpus, permet en effet d'enrichir l'analyse de ces pratiques 70 de vulgarisation. Citons ici Jacobi127 : « Pour s'intéresser au discours de vulgarisation, il me paraît préférable de ne pas s'en tenir au produit fini (…). Le chercheur ne peut que gagner à enrichir sa vision : un article imprimé résulte de tout un processus souterrain, souvent long (plusieurs mois). Il a une histoire. Il a été imaginé, écrit, rectifié, illustré... par des acteurs qu'il est possible de rencontrer, d'interviewer. Je crois que beaucoup de choses, qui ont été dites sur la vulgarisation, portent la marque d'une ignorance complète de tout ce qui se passe au pôle de la production ; les conditions et contraintes de l'émission sont ignorées, et, en définitive, l'observateur en vient, naïvement, à redécouvrir, par le fruit d'un travail complexe, des choses élémentaires qu'une enquête directe, « à la source », lui aurait apportées plus facilement. » Nous avons donc collecté les éléments de présentation des ouvrages proposés par les éditeurs (textes présentant les collections, catalogues, quatrièmes de couverture, mais aussi interventions lors de colloques professionnels) qui étaient accessibles, un certains nombre d'entre eux (chartes de collection notamment) constituant des documents internes aux maisons d'éditions, qui ne souhaitaient généralement pas les communiquer. S'y ajoutent trois entretiens avec des éditeurs128 réalisés pour l'occasion. 127 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll. "Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.41. 128 Paola Grieco (Gulf Stream), Gérard Pourret (Mouck), et Sandrine Mini (Syros) 71 IV- RESULTATS DE L'ANALYSE QUALITATIVE ET VALIDATION DES HYPOTHESES DE RECHERCHE L'analyse quantitative réalisée sur les sélections annuelles de la RLE depuis 40 ans témoigne du développement du genre humoristique en son sein. Cette visibilité nouvelle nous semble fournir un indice du développement général du recours à l'humour dans le cadre du documentaire jeunesse. Cette hypothèse rejoint le sentiment partagé par les professionnels du livre que nous avons interrogés, ainsi que les écrits professionnels que nous avons consultés129. Il nous apparaît dès lors d'autant plus nécessaire de chercher à cerner plus précisément ce qu'il en est réellement de l'humour dans ces ouvrages. Cela fait donc l'objet de l'analyse qualitative dont nous présentons ici les résultats. Ainsi, nous observerons d'abord la place et les formes qu'il adopte, avant de revenir en détail sur les fonctions qui lui sont assignées en relation avec le discours de vulgarisation. A- Place et formes de l'humour dans le documentaire jeunesse Lors de l'enquête exploratoire, nous avons observé séparément la place et les formes de l'humour dans les documentaires. Cependant, afin d'affiner notre analyse, il nous a semblé intéressant d'observer conjointement les modalités d'expression de l'humour et leur articulation avec le discours de vulgarisation. Elles sont en effet naturellement liées. Nous avons donc croisé les résultats de l'analyse des formes (humour textuel ou image humoristique, qu'elle soit strictement graphique ou mixte) et des positions de l'humour dans le discours de vulgarisation (humour intégré ou périphérique). Les résultats de notre enquête sont détaillés en annexe 6 et 6b. Remarquons qu'il ne sera guère question ici de moyennes, une approche qui n'aurait guère de sens dans notre démarche puisqu'il s'agit de proposer un panorama des pratiques humoristiques existantes dans le documentaire. Nos outils d'observation sont donc conçus dans le but de révéler des pratiques dans leur richesse et leur variété. D'où la mention, par 129 Voir à ce propos la remarque de C. Hervouët sur l'humour comme « tendance de fond » du documentaire jeunesse (II-D) 72 exemple, des cas particuliers qui témoignent d'une originalité dans les utilisations possibles de l'humour, et qui présentent donc un intérêt certain dans notre optique de recherche. 1- L'image humoristique, vecteur principal de l'humour a- Un support privilégié L'observation des formes humoristiques proposées nous a permis de recenser 11 documentaires où l'image (purement graphique ou mixte) est le support quasi exclusif de l'humour130. S'y ajoutent 5 ouvrages supplémentaires qui fonctionnent de la même manière, même s'ils proposent par ailleurs quelques titres humoristiques. A l'inverse, seul un documentaire proposé dans notre corpus ne présente aucune forme d'humour de ce type 131. Ainsi l'humour est synonyme d'image humoristique dans plus de 95% 132 des documents analysés. Cette situation est liée en partie à la nature même de l'image, qui permet de représenter directement les choses, au lieu de les évoquer comme le fait le texte, comme nous l'avons vu précédemment. De ce fait, l'humour graphique est aisément accessible pour les enfants, même les plus jeunes. D'autant plus que les thèmes de l'humour enfantin - comique de figures, anomalies physiques, mésaventures... - sont aisément figurables. Rien de surprenant par conséquent à constater que tous les documentaires destinés aux moins de 9 ans dans notre corpus recourent préférentiellement à ce mode d'expression de l'humour. Remarquons par ailleurs que les images humoristiques sont généralement traitées dans le style des bandes dessinées et des dessins de presse133 ou dans un style naïf. Ils se distinguent en cela nettement des autres types d'images potentiellement présents dans les documentaires (illustrations naturalistes, photographies, schémas...). Nous n'avons relevé dans l'ensemble du corpus qu'un seul exemple d'humour photographique, dans Fermes et Campagnes (p.146), que nous reproduisons ici à titre informatif, et néanmoins récréatif. 130 C'est-à-dire que cette forme d'humour concerne plus des deux tiers de celles proposées. 131 Il s'agit de Un tableau peut en cacher un autre, dont les seules illustrations sont des reproductions de tableaux. 132 Soit 20 documentaires sur 21 observés 133 P. Grieco, responsable éditoriale de la collection « Dame nature » (Gulf Stream) explique par exemple que « le traitement des illustrations humoristiques a été inspiré à la fois de la bande dessinée et de la presse » pour Les bêtes...(entretien). 73 b- L'image humoristique se situe essentiellement dans le discours périphérique L'observation des positions occupées par l'humour indique que dans plus de la moitié des documentaires étudiés134, il se cantonne au paradiscours, à côté, et parfois en regard du discours principal. Or, cet humour périphérique est essentiellement transmis par les images, voire même exclusivement dans le cas de Des animaux ? et de Fermes et campagnes. On observe donc souvent une mise en page « parallèle », où le discours scientifique est clairement séparé des éléments humoristiques... Ce qui n'empêche pas qu'il existe entre eux des relations. Les illustrations humoristiques fonctionnent en effet souvent en lien avec le discours principal, notamment en proposant une déclinaison absurde ou grotesque des informations transmises dans le texte. Nous reviendrons plus loin sur ces liens, lorsque nous aborderons les fonctions de l'humour. c- L'image humoristique intégrée au discours principal : le cas le plus rare 8 documentaires proposent des images humoristiques intégrées dans le discours principal 135. Il s'agit dans certains cas de bandes dessinées136. Ces images occupent une place spécifique, puisqu'elles jouent un rôle dans la transmission du discours principal (en articulation avec les textes), tout en y introduisant de manière récurrente des éléments humoristiques. L'humour est 134 11 documentaires au total 135 Il en va ainsi pour Le phasme, Comment c'était..., Rome (de même que pour les autres ouvrages de la série de Sasek), La vie à bord de la frégate Hermione, Tomber d'en haut..., De l'origine..., et Combien y en a-t-il ? 136 S'y ajoutent les bandes dessinées présentes dans certains documentaires du corpus (Le Moyen Age, La vie à bord de la frégate Hermione, et bien entendu De l'origine des maths, intégralement réalisé de la sorte). 74 alors une dimension supplémentaire apportée par l'image. Cependant, les exemples d'intégration de ce type ne concernent généralement que quelques images sur la totalité de celles proposées. Et au final, seuls 4 documentaires y ont recours de manière significative137. Ainsi, dans Rome (p.10-11), « Voici deux romains célèbres... » (César et Auguste), annonce l'image présentée ci-dessous : ... et le discours se poursuit sur la page d'après, accompagné de cette seconde illustration : Il en va de même dans De l'origine..., par exemple dans la manière dont sont présentées les identités remarquables (p.4) : 137 Rome, Comment c'était..., Tomber d'en haut et De l'origine... 75 2- L'humour textuel : un humour essentiellement périphérique L'humour textuel est présent - même de manière limitée - dans 15 documentaires du corpus, sous des formes variées. Les ouvrages où il se présente majoritairement sous cette forme sont cependant beaucoup plus rares que ceux où il s'appuie de préférence sur l'image. Sur l'ensemble de notre corpus, seuls 4 documentaires sont concernés 138, tous destinés aux lecteurs les plus grands139. a- L'humour se retrouve essentiellement dans les titres La forme d'humour textuel la plus représentée parmi les documentaires que nous avons observés est incontestablement le titre humoristique : 8 ouvrages y ont en effet recours de manière fréquente, et pour la moitié, il constitue même la seule forme d'humour textuel rencontré. Ajoutons à cela la présence dans près de la moitié des documentaires de titres généraux humoristiques ; citons ainsi Un tableau peut en cacher un autre, Tomber d'en haut ! (sur la gravitation), Je ne peux pas le sentir (sur l'odorat), Des molécules plein l'assiette (sur la 138 Il s'agit de Prévert : Paris la Belle, Un tableau peut en cacher un autre, le Moyen-Age, et dans une moindre mesure de Chère Traudi (voir annexe 6). 139 9 ans et plus 76 composition chimique des aliments), Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ? (sur la vision des animaux)... Dans ces deux derniers cas, on retrouve à chaque fois plus d'une quinzaine d'exemples de titres humoristiques (titres de chapitres ou de parties). Mais l'exemple le plus flagrant de cette pratique est Le Moyen-Age, dont le projet éditorial (et humoristique) repose sur la parodie. Ce documentaire présente en effet des évènements essentiels de cette époque sous la forme de journaux à scandale. Il multiplie donc les références parodiques, et ce notamment dans les titres volontairement accrocheurs de ses articles : « Ma victoire à Tolbiac a tout changé ! » (p.7), « Trucs et astuces pour lutter contre la peste » (p.53), « Paysans, pour produire plus, adoptez l'assolement triennal ! » (p.27)... mais aussi de ses rubriques (« mode », « carnet rose », « publicité », « interview »...). Nous reviendrons sur cette forme humoristique particulière lorsque nous observerons les fonctions de l'humour, notamment celles d'accroche et d'éveil de la curiosité du lecteur ou à travers la fonction d'appartenance. b- … mais très rarement dans les autres éléments annexes Si les titres humoristiques sont fréquents, les autres formes d'humour périphérique textuels sont en revanche beaucoup plus rares. Encadrés, lexiques, définitions, notes, remarques... Ces éléments annexes ne semblent pas propices à l'humour. A l'exception du documentaire sur le Moyen-Age qui propose de nombreuses rubriques, seuls deux documentaires du corpus 140 en proposent des exemples. Ceux-ci apparaissent sous la forme d'une note de bas de page dans un cas (De l'origine des mathématiques, p.13), et dans un encadré sur le lexique dans l'autre (Les bêtes qui crachent..., p.80). Ces exemples, que nous analyserons en lien avec leur fonction humoristique141, sont cependant des exceptions, et la place de l'humour est généralement limitée à certains espaces bien définis du discours de vulgarisation. c- L'humour des textes : une figure fréquente, mais à petite dose Mais si l'humour textuel est présent essentiellement dans les titres, il arrive cependant que le discours principal ait une dimension humoristique. C'est en effet le cas pour 10 140 Nous ne tenons pas compte ici de Prévert : Paris la belle, qui propose de la reproduction d'un télégramme (document historique) dont le contenu est humoristique (p.44), mais qui constitue un cas limite. 141 Voir en IV-D-1 77 documentaires, à des degrés divers cependant. On y retrouve les trois ouvrages du corpus qui présentent une trame narrative (Chère Traudi, Rome, De l'origine...), mais également des livres qui sont structurés thématiquement, et proposent une organisation centrée sur la doublepage. L'humour s'y limite alors généralement à une phrase conclusive ou une remarque à la fin d'un exposé classique. Ainsi dans Pourquoi les taupes... (où ce procédé est récurrent), on peut par exemple lire à la fin d'un paragraphe consacré aux rugissements des lions : « Leur rugissement dure une quarantaine de secondes. Cela doit sembler assez long quand on est juste à côté sous sa tente, dans la nuit noire (p.57) ». Revenons enfin sur le cas de Des animaux ?, un documentaire réalisé à partir d'extraits du texte de Pline, dont voici un extrait, à propos des singes : Ils ont les tétins en la poitrine comme l'homme, et manient leurs bras et leurs jambes en dedans et en dehors comme nous faisons ; et ont les doigts faits et disposés comme l'homme, étant celui du milieu plus long que les autres (p.16). Le vocabulaire et les tournures employés par l'auteur nous apparaissent aujourd'hui remarquables. Ces archaïsmes prennent donc pour le lecteur contemporain une dimension comique, involontaire bien sûr pour Pline, mais revendiquée par l'éditeur de ce livre, responsable en outre du choix des textes proposés : L’objectif est d’abord d’éveiller la curiosité des jeunes lecteurs. Il ne s’agit pas d’un texte à vocation scientifique (bien que…), mais de jouer sur le pittoresque des descriptions. C’est donc un travail sur la langue scientifique qui souvent est assez mystérieuse pour les enfants. Ici nous avons une traduction du 16ème (langue de Rabelais) qui se prête facilement à la poésie. La science devient une lecture amusante, absurde même. Nous avons cependant fait le choix de ne pas considérer ce documentaire comme relevant de l'humour textuel dans notre synthèse. 3- L'humour de l'entre-deux Lors de notre observation des formes d'humour présentes dans chaque documentaire, nous avons observé quelques exemples de cet humour intégré d'un type particulier, que nous avons qualifié d' « humour de l'entre-deux ». Il s'agit de situations où l'humour ne s'apparente ni à de l'humour textuel, ni véritablement à de l'humour graphique, mais se situe dans la relation entre 78 ces deux supports142. Il découle alors du décalage entre les discours que chacun d 'eux proposent. Trois documentaires du corpus proposent des exemples de cette forme d'humour. Il s'agit de De l'origine...143, Le phasme, et dans une moindre mesure Les bêtes...144 Le phasme débute par exemple de la sorte : Ayant lu la seconde phrase, le lecteur s'attend à découvrir un phasme sur la deuxième image, mais la répétition à l'identique de l'image, vient bouleverser cette anticipation en créant un effet comique. 4- Les indicateurs de contexte humoristique L'observation des formes d'humour, qu'il soit textuel ou graphique, nous a amené à noter l'importance de la mise en page et des techniques plastiques utilisées pour distinguer les éléments humoristiques du reste du discours. Nous avons déjà observé le rôle de ces outils dans la construction générale des documentaires de vulgarisation145, qui permettent d'organiser la lecture et de hiérarchiser les informations présentées (Jacobi, 1985) 146. Cette fonction est encore plus sensible dans le cas des documentaires humoristiques, où la 142 Il n'empêche que ces documentaires proposent parallèlement des formes plus classiques d'humour intégré, qu'il soit graphique ou textuel. 143 Ce documentaire constitue un cas particulier puisqu'il se présente intégralement sous la forme d'une bande dessinée. Par conséquent les textes et les images y sont systématiquement combinées pour former le discours de vulgarisation. 144 Il ne présente en effet qu'un seul exemple de ce type d'humour dans un chapitre consacré à l'homme sur lequel nous reviendrons plus en détail par la suite. 145 Voir II-A-1-b. 146 Voir à ce propos son analyse de leur rôle dans la distinction d'une double textualité dans le documentaire Apoustiak, le petit flocon de neige (Les sciences communiquées aux enfants, PUG, 2005, p.127) 79 mise en page et la mise en forme des contenus contribuent à souligner le contexte particulier d'énonciation du discours. Ils fournissent alors toute une série d'indices de contexte humoristique, qui permettent au lecteur d'identifier comme tel le discours qui les accompagne. Ce phénomène est remarquable surtout dans le cas des ouvrages où l'humour est essentiellement graphique et périphérique (11 documentaires), c'est-à-dire où une image comique illustre le propos de vulgarisation. Dans plus de la moitié d'entre eux, 147 on remarque en effet le recours à des techniques plastiques différentes entre les illustrations comiques (souvent de type bande dessinée) et celles à caractère scientifique (photos ou dessins naturalistes). Un aperçu sur une double page extraite de Au fil des araignées (p.7) en témoigne par exemple : Les images scientifiques se distinguent des illustrations humoristiques à la fois par les techniques utilisées (photos et dessins naturalistes) et par le recours à encadrement (cercles de couleur). En revanche, lorsque l'humour est intégré au discours principal, il n'est que rarement souligné explicitement. Dans le cas de l'humour textuel, le corpus ne propose que trois documents où les saillies humoristiques sont identifiées visuellement, par le recours aux majuscules d'imprimerie ou par l'emploi de points d'exclamation ou de suspension. 147 6 documentaires sont concernés 80 Ces pages extraites de Un tableau peut en cacher un autre (p.51) et de Prévert : Paris la belle (p.10) soulignent l'humour du texte par le recours aux mêmes procédés typographiques. La mise en page et la typographie fonctionnent donc dans ces deux cas comme des indicateurs de genre du discours. Mais d'une manière générale, les parties humoristiques ne se distinguent pas du reste du discours148. Quant aux illustrations humoristiques qui sont intégrées au discours principal 149, même de façon ponctuelle, elles ne diffèrent en rien des autres images qui le composent. Dans l'ensemble des documentaires où l'humour est intégré, il semble donc que les auteurs considèrent que le lecteur sera capable d'évaluer par lui-même la nature du discours présenté, et ainsi de repérer les formes humoristiques, sans l'aide d'indices formels... Au risque peut-être parfois de le perdre. On observe donc une opposition entre les documentaires où l'humour reste périphérique et ceux où il est pleinement intégré. Les premiers prennent en effet soin de distinguer visuellement ce qui relève de l'humour du reste du discours. Le contrat de lecture (Maingueneau, 1990) est alors explicité par la mise en page. En revanche, lorsque l'humour est présent dans le discours principal, ce marquage s'atténue, voire même disparaît, laissant au lecteur le soin de remarquer lui-même ce qui relève de l'humour ou non. 148 A l'exception d'un emploi de la ponctuation plus expressif (multiplication des points d'exclamation et de suspension). 149 Soit 10 documentaires 81 Conclusion L'observation des documentaires de notre sélection nous amène donc à formuler certaines remarques quant à la place et aux formes que l'humour y prend. Il en ressort d'abord que l'image constitue le support privilégié de l'humour, même si le recours à des titres humoristiques est relativement fréquent. De plus, l'humour y est majoritairement périphérique, et son intégration au discours principal, quand elle a lieu, reste généralement ponctuelle. Il apparaît donc bien plutôt comme un « plus » dans le projet éditorial, que comme une composante structurelle fondamentale de celui-ci. Cette analyse nous amène par ailleurs à revenir sur la notion de contrat de lecture. Rappelons que ces documentaires sont généralement destinés à des enfants lecteurs, c'est-à-dire autonomes dans leur découverte des ouvrages, l'adulte n'intervenant alors pas nécessairement comme médiateur avec les savoirs présentés. De ce fait, c'est aux ouvrages eux-mêmes d'assurer un accompagnement de l'enfant dans sa lecture. Comment dès lors s'assurer qu'il sera en mesure de percevoir l'humour quand il apparaît, et éviter le risque de brouillage du discours évoqué précédemment ? C'est justement la fonction du contrat de lecture que de permettre cette identification. Deux documentaires150 font explicitement mention de leur caractère humoristique en quatrième de couverture. Cependant, dans la plupart des cas, si ce contrat reste implicite, la dimension humoristique est soulignée dès la couverture par des titres, ou des illustrations amusantes... Le ton est donc donné d'emblée, induisant ainsi chez le lecteur une attitude de lecture particulière. Ce balisage de la lecture est également sensible dans le corps même des ouvrages, à travers toute une série d'éléments qui ont pour fonction de souligner le passage au registre humoristique, facilitant de ce fait la hiérarchisation des discours par le lecteur. Cela passe par des mises en page répétitives, qui cantonnent l'humour à des espaces bien délimités, généralement au sein du paradiscours, mais aussi par la récurrence des formes proposées, ainsi que par le recours à des indices typographiques et de mise en page, qui soulignent la distinction entre l'humour et le discours véritablement scientifique. Cette observation nous a d'ailleurs permis de dégager une forme documentaire commune à un certain nombre d'ouvrages de ce corpus 151. Elle regroupe les livres qui proposent un texte de 150 Il s'agit de Le phasme (présenté à travers un extrait de la notice critique... publiée par la RLE justement), et de Rome 151 Il s'agit des 6 documentaires suivants : Le grand livre de la famille, Au fil des araignées, Les bêtes qui crachent..., Je ne peux pas le sentir, Des molécules plein l'assiette, Pourquoi les taupes... 82 vulgarisation « sérieux », non narratif, et généralement très structuré (paragraphes, titres...), auquel répondent une ou plusieurs illustrations humoristiques. Cette distinction est de plus généralement soulignée par la mise en page. Ces différentes observations nous amènent donc à valider notre première hypothèse de travail sur le rôle du contrat de lecture au sein des documentaires humoristiques. Malgré tout, les résultats de notre analyse nous amènent à nuancer cette conclusion. Cette sélection réserve en effet une part remarquable – quoique minoritaire - à des documentaires qui expérimentent des formes où l'humour est véritablement intégré au discours principal. Ces quelques ouvrages proposent de plus souvent des formes qui renouvellent le genre documentaire dans sa structure - BD (pour De l'origine...), récit152 (Chère Traudi, Rome)-, ou dans sa relation à l'image (Comment c'était... qui met en scène un discours essentiellement imagé, et pour les plus petits, Le phasme, ou encore Combien y en a-t-il ?). On y retrouve d'ailleurs les deux ouvrages qui proposent de manière récurrente des formes d'humour de « l'entre-deux ». Ces documentaires, en inscrivant l'humour dans leur projet de vulgarisation constituent donc des exemples plus aboutis et plus originaux de son utilisation. B- Les fonctions de l'humour (résultats de l'analyse) Rappelons que l'objectif de ce travail est de rendre compte d'un phénomène (l'humour) dans la diversité de ses emplois. Pour cela, plutôt que d'établir des moyennes sur l'ensemble des documentaires, nous avons cherché à faire ressortir les fonctions humoristiques les plus fréquentes dans chaque documentaire. Celles-ci peuvent en effet être considérées comme représentatives, et témoigner du projet éditorial de l'ouvrage. Ce repérage est facilité par le systématisme humoristique mis en oeuvre dans certains documentaires : l'humour y est en effet toujours proposé dans le même contexte, par exemple dans une illustration proposé en regard d'un paragraphe153. Les résultats de cette observation, qui ont servi de base à notre analyse, sont synthétisés dans le tableau des « fonctions principales de l'humour » en annexe 7. 152 La dimension fictionnelle reste en effet marginale dans les documentaires, ce que regrette Jacobi. Pour lui, en effet, il n’est pas incongru de favoriser le rapport entre la fiction et le documentaire de vulgarisation scientifique « car lorsque ce rapport est clair, il permet aussi d’identifier clairement un auteur et de donner une âme au propos ». (op. cité, p.33) 153 On peut citer à ce propos Les bêtes qui crachent..., Au fil des araignées, Pourquoi les taupes..., Des molécules plein l'assiette, Je ne peux pas le sentir, ou encore Le grand livre de la famille. 83 Cependant, afin de rendre compte de la variété des pratiques humoristiques, nous avons également porté une attention particulière aux emplois originaux ou novateurs de l'humour, même s'ils apparaissaient plus rarement dans les ouvrages, et, de ce fait, ne constituent généralement pas des formes représentatives. Ces identités remarquables de l'humour permettront alors d'enrichir notre réflexion sur ses fonctions potentielles. Nous y reviendrons également au fil de notre propos. C- Rendre le savoir accessible : les fonctions affectives de l'humour La fonction de ces éléments humoristiques est de générer un climat positif, favorable aux apprentissages. 1- Un climat rassurant et stimulant (CLI-1) L'humour participe de l'établissement d'un contexte émotionnel favorable aux apprentissages (Ulloth, 1998). Cette fonction potentiellement commune à toutes les formes humoristiques rencontrées, prend cependant dans certains cas une dimension particulière, puisqu'elle constitue la seule raison d'être de ces exemples 154. Ces éléments humoristiques (qui ne présentent qu'un lien superficiel avec le sujet traité dans les documentaires) est alors de renforcer ce contexte humoristique. Cette fonction de « lubrifiant pédagogique » de l'humour (Gentilhomme, 1988) est très largement représentée dans les documentaires que nous avons observés155. Illustration extraite d'une page du Grand Livre de la famille (p.14) consacrée aux mariage. Même si le thème général est respecté, il est simplement ici l'occasion d'une parenthèse humoristique. 154 Il s'agit des cas où l'humour ne porte pas sur des éléments du discours de vulgarisation, et ne remplit par conséquent aucune fonction d'apprentissage direct. 155 Elle est en effet présente dans 18 ouvrages du corpus, et constitue même dans la moitié des cas une fonction essentielle des formes humoristiques proposées. 84 a- Les thèmes liés à l 'humour de climat Les éléments humoristiques qui renvoient à cette fonction 156 relèvent essentiellement de l'humour tendancieux157, avec pour corollaire une dimension agressive. On y retrouve par exemple la mise en scène de mésaventures158, ou du comique de situation (comportements incongrus) ou de figures (bizarreries physiques)159. Détail d'une illustration de Au coin du fourneau (p.5) On y retrouve également, quoique dans une moindre mesure160, des formes d'humour transgressif ou scatologique. Dans l 'entretien qu'elle nous a accordé, Paola Grieco (Gulf Stream) revient sur la dimension scatologique et transgressive présente dans le documentaire Les bêtes qui crachent... : le parti pris est surtout celui de l’humour, et le biais scatologique peut permettre à un livre d’entrer dans les conversations d’une cour de récréation ! De plus, l’enfant doit sans doute être accroché par l’aspect « transgression » qu’il doit confusément sentir dans ce type de titre. Ne lui répète-t-on pas à longueur de journée qu’il doit bien se tenir, être poli, ne pas dire de gros mots ? Et là, il découvre finalement que la « transgression » qu’est ce déplacement de langage dans un ouvrage traitant à priori d’un thème scientifique et sérieux lui permet d’apprendre des choses drôles et intéressantes. Les formes d'humour neutres (absurde, jeux de mots, accumulation visuelle...) sont également présentes, mais de manière beaucoup plus rare. En effet, si 6 documentaires en proposent des occurrences, celles-ci restent en nombre très limité (une ou deux par documentaire), à l'exception cependant de Des animaux ?, où les collages comportent de nombreux éléments secondaires incongrus161 qui relèvent de cette forme d'humour. On trouve par exemple ce 156 Nous présentons une synthèse de ces éléments en annexe 7. 157 Voir la définition de cette forme d'humour en I-A-2-a 158 C'est le cas pour 11 documentaires 159 Pour 16 documentaires 160 8 documentaires sont concernés 161 24 occurrences comptabilisées. 85 détail (parmi d'autres) dans une page concernant l'autruche (p.28) : b- Les formes principales de ce type d'humour Cette fonction se retrouve essentiellement dans les éléments graphiques des documentaires et généralement dans le paradiscours (voir analyse précédente). Lorsque l'humour est textuel, le cas le plus rare, on y retrouve les jeux de mots (à l'image du titre Au fil des araignées) et d'assonances. Les mascottes162 y jouent un rôle particulier. Présentes dans trois documentaires 163, elles sont en effet à chaque fois un support préférentiel pour ce type d'humour. Dans Pourquoi les taupes... on peut par exemple observer sur une même page consacrée aux escargots (p. 85) deux apparitions comiques de la mascotte du livre : c- Les scènes Dans certains documentaires, les images occupent une place spécifique, puisqu'elles jouent un rôle dans la transmission du discours principal, comme nous l'avons vu. La représentation 162 Nous entendons par là des personnages récurrents qui accompagnent le lecteur au fil du livre (dont ils commentent souvent le propos de manière humoristique), et qui composent un type particulier d'images, distinct du reste des illustrations. 163 Au fil des araignées, Pourquoi les taupes... et Le grand livre de la famille 86 iconique des sujets complète alors leur évocation : une image peut apporter des informations visuelles supplémentaires, par exemple sur des objets ou des animaux, non (ou partiellement) décrits dans le texte. On retrouve ici la fonction informative de l'image que Jacobi (1987) propose dans sa typologie des images de vulgarisation scientifique. Dans l'exemple présenté ci-dessous (extrait d'une grand illustration mettant en scène l'équipage des frégates au 18ème siècle), l'image donne ainsi des informations sur la vie à bord (p.38) : Cela est d'autant plus vrai dans le cas des « scènes. » Nous entendons par là une catégorie particulière d'images, généralement de très grande taille, qui propose la représentation d'un sujet en situation, et avec de multiples détails 164. C'est par exemple dans ce même documentaire (La vie à bord de la frégate Hermione, p.28) une scène de bataille navale, qui complète un court texte sur le même sujet. Cette mise en scène visuelle du sujet constitue même le principe central de l'un des documentaires du corpus, Comment c'était avant les vacances, qui propose la représentation d'un même milieu (mer, montagne) à des époques données. Mais que vient faire l'humour là dedans ? Nous avons remarqué que les scènes présentées fourmillent de détails comiques : représentation ou posture des personnages, mésaventures... Or, une fois l'un de ces détails repérés, le réflexe naturel du lecteur est de rechercher d'autres exemples du même type en explorant visuellement l'ensemble de la scène. L'humour joue alors un rôle de focalisation, en attirant l'attention du lecteur sur l'image et en le poussant à l'étudier plus précisément (Tessier, 1994). d- Le rôle de l'humanisation L'humanisation joue un rôle non négligeable dans les formes d'humour présentes dans le 164 4 documentaires sont concernés : Comment c'était..., La vie à bord de la frégate Hermione, Au coin du fourneau et Combien y en a t-il ? 87 corpus. En établissant un parallèle entre les pratiques humaines et le monde animal, elle offre la mise en scène de situations décalées, et par conséquent humoristiques. Elle constitue par conséquent une forme de prédilection pour l'humour dans sa fonction de climat. Le corpus propose ainsi cinq documentaires portant sur des sujets animaliers, qui ont recours de manière systématique à ce procédé. L'image ci-dessous illustre une phrase expliquant que le phasme « est très actif la nuit » (Le phasme, p.17), dont elle offre une interprétation aussi fantaisiste qu'anthropocentrée... L'humour participe donc à l'instauration d'un climat positif et motivant pour le lecteur. P. Grieco souligne l'attention portée à cette dimension du livre documentaire : Nous proposions déjà, avant cette série, une collection assez pointue sur la biodiversité. Cette collection a contribué à bâtir l’image d’une maison sérieuse publiant des documentaires de référence. Mais en terme de cible et de vente, le « problème » venait justement de ce sérieux qui attirait essentiellement les documentalistes et les bibliothécaires, plus que les enfants eux-mêmes. La collection « Dame nature » a été conçue dans le but de toucher directement notre cible, les enfants, autant que les prescripteurs, et le rôle de l'humour en cela est essentiel. e- Une fonction de dédramatisation Lorsque le sujet abordé est grave, l'humour peut contribuer à dédramatiser la situation en y introduisant une distance. Il agit alors comme un filtre qui permet à l'enfant de se confronter à des thématiques potentiellement douloureuses (mort, séparation...). Il permet alors d'éviter que 88 des émotions viennent parasiter, voire empêcher, l'apprentissage. Les exemples de cette forme particulière de fonction climatique de l'humour sont rares. Nous en avons observé trois manifestations dans l'ensemble du corpus165. On trouve ainsi dans Le grand livre de la famille (p.28) l'évocation de disputes entre les parents, une situation douloureuse que vient adoucir la manière dont le sujet est abordé puisque le lecteur est invité à fermer une porte (matérialisée par un rabat), qui permet de mettre à distance de manière physique la scène : « allez, hop ! On ferme la porte ! »... et on le fait réellement (rabat). On trouve également dans le même ouvrage un « jeu des 7 parents » (p.23), où les faiblesses des parents sont mises en scène dans contexte humoristique et ludique (jeu de cartes). L'exemple ci-dessous présente ainsi un parent distrait, un parent absent et un parent sévère : Dans Chère Traudi (qui évoque la situation des Juifs pendant la seconde guerre mondiale), cette fonction de dédramatisation constitue même le rôle central de l'humour, puisque les occurrences humoristiques166 permettent de soulager la tension née de cette évocation. L'humour offre alors une respiration légère dans un contexte douloureux. 2- Si loin si proche : l'humour « réducteur de distance » entre le lecteur et le savoir présenté (fonction d'implication affective) L'humour peut permettre de réduire la distance symbolique entre l'enfant et le savoir qui lui 165 Cela concerne les documentaires suivants : Le grand livre de la famille, Chère Traudi et Tomber d'en haut ! 166 Qui mettent en scène notamment les bêtises de la petite fille 89 est présenté. Cela passe d'abord par l'établissement d'une complicité avec lui, à travers les références culturelles partagées qui sont présentées dans les ouvrages. Mais l'humour permet également, par la référence au quotidien, de relier le savoir présenté au vécu et à l'univers du jeune lecteur. Il favorise en cela son implication affective et favorise son engagement dans les apprentissages. a- La connivence avec le lecteur L'observation des documentaires du corpus nous a permis de constater la fréquence des formes humoristiques qui fonctionnent -tout ou partie- sur l'allusion (souvent de type parodique) ou la référence à des pratiques sociales et culturelles. Elles constituent une caractéristique centrale de l'humour pour 5 documentaires167, mais au total, c'est plus de la moitié des ouvrages analysés qui proposent de manière plus ou moins fréquente, des citations de ce type. Ces exemples d'humour impliquent, pour être compris, des connaissances culturelles et sociales, et nécessitent par conséquent la réalisation d'inférences extra-discursives. Ces références, quand elles sont comprises par le lecteur168, jouent un rôle affectif particulier en favorisant l'établissement d'un sentiment de connivence avec l'auteur du documentaire... d'autant plus fort qu'il apparaît en contexte humoristique (Tessier, 1994) 169. La référence partagée favorise donc le sentiment pour l'enfant d'appartenir à une communauté. b- Les références culturelles convoquées Dans les exemples que nous avons observés, ces références sont essentiellement d'ordre culturel. Il s'agit essentiellement d'allusions à la culture populaire au sens large (slogans publicitaires, titres, dictons et expressions populaires...). On y retrouve également des références plus spécifiques au monde des enfants (superhéros, personnages de bande dessinée...) : « L'oursin se bat avec ses pieds : plus fort que Naruto ! » peut-on par exemple lire dans Des bêtes... (p.13)... ou encore cette illustration de Au fil des araignées (p.25) : 167 Elles concernent alors plus de la moitié des formes humoristiques recensées. 168 Si la référence n'est pas comprise, un énoncé de ce type peut malgré tout être perçu comme une incongruité simple, drôle parce que bizarre, notamment chez les lecteurs les plus jeunes (Bariaud). 169 Voir son analyse sur le rire partagé (I-B-3-b) 90 … Des références qui ne parleront peut-être pas aux lecteurs de plus de 15 ans. En revanche, certains exemples font appel à un bagage culturel qui n'est peut-être pas celui de la majorité des enfants170. Illustration extraite de Pourquoi les taupes... (p.22). Ces allusions culturelles se retrouvent essentiellement dans les titres 171. Dans ce cas, l'humour repose généralement sur le détournement de la référence initiale. Quelques exemples proposent cependant des formes humoristiques basées sur une citation directe. Ainsi peut-on lire dans le documentaire Rome que « Rome n'a pas été bâtie en un jour, mais le Colisée fut construit en huit ans », (p.20). 170 Les références de ce type posent la question du destinataire de l'humour. Il existe en effet une dérive, soulignée par Ballanger : « certaines facéties semblent parfois tourner à la « private joke » en ne faisant rire que les adultes initiés » (« Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002). Elle cite l'exemple du travail de P.Picq. Cet auteur de la collection « Regards d'aujourd'hui » (Mango), après avoir rédigé trois premiers ouvrages au ton très humoristique, est en effet revenu à une écriture plus classique, conscient qu'il était de ce risque. 171 7 documentaires concernés. Voir le tableau de synthèse sur l''humour d'appartenance (annexe 9) 91 Les références culturelles sont également présentes dans les illustrations172. Citons à ce propos le cas de Au coin du fourneau, un documentaire proposant des recettes à réaliser sous forme imagé. Au-delà de cet objectif culinaire, ce livre propose à travers chaque recette, la référence à un conte populaire, dont l'illustration fournit des indices. Nous laissons le soin au lecteur de retrouver à quel conte l'illustration présentée ci-dessous (p.3) fait référence... Attardons nous enfin sur le documentaire Le Moyen Age (journal de l'histoire), construit dans son intégralité sur le principe de la parodie. Il se compose en effet d'une série de pages reproduisant des fac-similés de journaux qui présentent les évènements essentiels de cette période en reprenant la forme et le ton des journaux actuels, et notamment de la presse à scandale. L'exemple ci-dessous (p.15) illustre bien cette dimension parodique, à la fois dans le titre, le ton général du texte (phrases nominales, exclamations...) et dans l'illustration qui recourt un procédé (avant/après) relevant de l'univers publicitaire : 172 Pour 7 documentaires, qu'il s'agisse des scènes principales, ou de détails humoristiques au second plan. 92 c- Un climat évocateur, qui renvoie à l'expérience personnelle du lecteur et aux pratiques sociales de référence L'humour peut également être une occasion d'inscrire les savoirs présentés dans l'univers proche du lecteur, les rendant de ce fait plus accessibles. Dans les exemples que nous avons observé, cela se traduit par la mise en scène du quotidien et de l'expérience commune, essentiellement dans les illustrations proposées. On trouve par exemple dans Les bêtes... la scène suivante (p.65) : La fréquence de la mise en scène de la figure de l'enfant dans les exemples humoristiques proposés173, ainsi que la fréquence des allusions à son environnement culturel, témoignent de cette adaptation du discours au public visé. L'adaptation du discours passe d'ailleurs dans certains cas 174 par par le recours au langage familier dans les textes. Ce changement de registre, qui offre un décalage comique avec le reste du discours, participe à l'établissement d'une complicité avec le lecteur 175. Une araignée prête à muer est ainsi qualifiée de « vieille peau » dans Au fil des araignées... Ces formes humoristiques s'inscrivent alors dans une perspective plus générale d'implication du lecteur dont témoigne l'importance des fonctions conatives et phatiques dans le discours ( tutoiement, interpellation directe...) 176. On observe enfin parfois177 l'allusion à des pratiques sociales de référence (habitudes et normes), qui nécessitent la maitrise de codes sociaux implicites. Celles-ci sont généralement 173 6 documentaires y ont en effet recours sous une forme ou sous une autre, et dans la moitié des cas, il incarne une figure centrale : personnage principal dans Chère Traudi, ou mascotte, souvent humoristique, qui apparaît à toutes les pages dans Pourquoi les taupes... et Des molécules... 174 Pour 5 documentaires (voir annexe 9 sur la fonction d'appartenance) 175 A fortiori lorsqu'il prend une dimension transgressive, comme c'est souvent le cas ! 176 Cette implication du lecteur comme élément essentiel de la stratégie d'apprentissage est également soulignée par Chouinard dans son étude sur la collection « Savais-tu ? » (« La science est-elle soluble dans l'humour ? Le cas de la collection « Savais-tu ? ». Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, vol.11, n°2, 2008), p.170. 177 4 documentaires sont concernés (voir annexe 9 sur la fonction d'appartenance) 93 évoquées à l'occasion d'une transgression, qui ajoute alors une dimension comique au propos. Elles se retrouvent par conséquent plutôt dans les documentaires à destination des plus grands (9 ans et plus). Illustration extraite de Je ne peux pas le sentir... (p.30) Elles interrogent néanmoins parfois sur les stéréotypes qu'elles peuvent véhiculer par ce biais... D- Les fonctions cognitives de l'humour Nous avons vu qu'au-delà de cette dimension affective, l'humour peut également intervenir au niveau cognitif, et participer directement aux apprentissages. Dans ce cas, il peut jouer un rôle d'accroche, en favorisant la mise en questionnement, mais également favoriser l'intégration du discours, en nécessitant chez le lecteur la remobilisation des concepts et des connaissances abordés. 1- Mettre en questionnement : la fonction d'accroche (APP-1) a- Une fonction secondaire de l'humour dans le corpus Certaines formes humoristiques jouent un rôle d'accroche pour le lecteur en introduisant le discours sous une forme amusante. Elles constituent donc dans un premier temps une énigme pour le lecteur, puisqu'elles font référence à des connaissances qui ne lui seront délivrées qu'à 94 la lecture effective du texte qui les suit. Lorsque ces informations lui sont finalement données (ou s'il les a déjà en sa possession), leur dimension humoristique prend tout son sens. En cela, l'humour d'accroche fonctionne alors dans certains cas comme une intégration a posteriori178. Néanmoins, ces formes humoristiques présentent dans tous les cas une dimension comique intrinsèque du fait de leur caractère incongru. Cela nous renvoie ici au lien existant entre l'humour et le bizarre ou l'étrange179. Dans notre corpus, dix documentaires ont recours à cette fonction, et trois d'entre eux 180 le font de manière récurrente. b- Trois formes d'humour associées à la fonction d'accroche Cette fonction se retrouve essentiellement dans les titres (humour textuel périphérique), ce qui n'a rien de surprenant puisque par définition, un titre a pour ambition d'introduire le propos qu'il précède181. On constate ainsi que 8 documentaires de la sélection proposent des titres humoristiques, de manière plus ou moins systématique. Ils constituent d'ailleurs généralement le seul exemple de fonction d'accroche pour l'humour. Le Moyen-Age en est un exemple très abouti. Comme nous l'avons vu, ce documentaire parodie le ton et le style des journaux à scandales, dont il reprend sur un mode humoristique les stratégies d'accroche du lecteur, à la fois par la forme - petites annonces : « Seigneur cherche guerriers professionnels » (p.29), publicités : « Pour être en forme, mangez des épinards ! » (p.23), etc - et dans les thématiques mises en avant : mention du sensationnel (« L'Impératrice était une femme nue ! »), du trivial (« Le roquefort, il adore ! », p. 12), des divertissements (« Tous aux courses de l'hippodrome ! » dans la rubrique « Sortir », p.9), mode (« Changez de tête, changez de look ! » p.15)... Les titres humoristiques ne sont cependant pas la seule forme d'humour d'accroche. Nous en avons en effet relevé deux autres, qui bien que beaucoup moins fréquentes 182, se doivent d'être 178 La différence avec la fonction d'intégration étant dans ces cas liée à sa position par rapport au discours principal (avant lui), mais elle la rejoint alors quant à son ressort, puisqu'elle propose une déclinaison humoristique des éléments du discours principal. 179 Voir la définition de l'humour (I-A-1) 180 Il s'agit de Un tableau peut en cacher un autre (qui propose un certain nombre de titres humoristiques) , Le Moyen -Age (idem), et Ces petits mots qui font les grands (où une illustration humoristique introduit chaque mot présenté). 181 Il se définit en effet comme la « désignation du sujet traité […] qui évoque plus ou moins clairement son contenu » (Le Robert, 1993). 182 Cela concerne trois documentaires : Au fil des araignées, les bêtes..., et Ces petits mots qui font les grands. 95 signalées. Il s'agit d'une part des textes d'introduction. Les documentaires Des bêtes... et Au fil des araignées proposent à chaque début de partie un court texte introductif de nature humoristique183 (accompagné ou non d'une image) introduisant à ce dont il va être question dans les pages suivantes. On trouve par exemple dans l'introduction du chapitre de Les bêtes... consacré aux bêtes qui mordent (p. 20) le texte suivant : Qu'elles soient longues et fines comme des aiguilles ou tranchantes comme des couteaux, les dents de la mer jouent parfaitement leur rôle : saisir et découper des proies ! Au lecteur de comprendre quels animaux se cachent derrière ces évocations volontairement elliptiques ! Le dernier type d'humour d'accroche ne se rencontre que dans le documentaire Ces petits mots qui font les grands. Dans ce cas, ce sont alors des images humoristiques qui jouent ce rôle, et donnent des indices pour permettre au lecteur d'échafauder des hypothèses sur le mot présenté. Ce fonctionnement est d'ailleurs systématique pour l'ensemble des exemples humoristiques présentés dans ce documentaire 184. Illustration extraite de Ces petits mots qui font les grands (p. 125) c- Lien avec autres fonctions Dans la grande majorité des cas, à cette dimension cognitive de l'humour – qui interpelle le lecteur et le place en position de recherche de sens- sont associées des fonctions affectives qui renforcent le caractère humoristique de la situation présentée. 183 De manière systématique pour les Bêtes..., et dans 5 cas sur 12 pour Au fil des araignées. 184 Soit plus de 200 occurrences 96 Dans ce cas, l'humour, qu'il soit textuel ou graphique, s'appuie généralement sur le détournement, qu'il s'agisse par exemple d'expressions usuelles, de références culturelles, ou encore de slogans publicitaires... Il rejoint donc la fonction d'appartenance que nous avons évoquée précédemment. Illustration extraite de Ces petits mots qui font les grands (p. 47), qui fait appel aux connaissances générales du lecteur (sur les makis) pour être comprise. Cependant, même non résolue, cette image demeure humoristique du fait de l'humanisation qu'elle met en scène (avec une dimension chauvine affirmée). De plus, cette fonction d'accroche est souvent renforcée par le recours à des éléments intrinsèquement comiques, c'est-à-dire qui jouent parallèlement une fonction de « lubrifiant didactique »185. Dans le cas de l'humour textuel, le plus fréquent, il peut s'agir par exemple de jeux de mots, de double-sens (Je ne peux pas le sentir), de jeux de sons (assonances, rimes). Ainsi pour sa seule double-page consacrée à la reproduction chez les araignées (p.8-9), Au fil des araignées propose-t-il par exemple les titres suivants : « Pour un flirt avec toile » (titre général de la page, à partir duquel le lecteur doit inférer le thème du chapitre), « Mini mari » (sur la taille des mâles), « L'amour du risque » (sur les stratégies d'accouplement des mâles), ou « les petites affaires du mâle » (sur la manière dont se déroule l'accouplement). 2- Aider à la compréhension et à la mémorisation du discours scientifique : la fonction d'intégration de l'humour (APP-2) Si l'humour peut jouer un rôle d'accroche pour les savoirs, il peut également y contribuer directement, en jouant une fonction d'entrainement cognitif (APP-2). Les exemples 185 (fonction CLI-1) 97 humoristiques de ce type nécessitent en effet pour être compris la réactivation par le lecteur de son réseau conceptuel, puisqu'ils font référence à des connaissances qui sont nécessaires pour comprendre l'humour mis en scène. Cette fonction de l'humour est centrale puisqu'elle est présente, sous une forme ou sous une autre, dans 15 documentaires du corpus186, et constitue d'ailleurs une fonction préférentielle pour 10 d'entre eux 187. a- Formes principales Lorsque l'humour revêt cette fonction, il se présente généralement sous la forme d'une illustration humoristique située en regard du texte principal. Cette figure se retrouve de manière récurrente dans les 6 documentaires du corpus qui présentent une structure très proche188 : une double page concernant un aspect particulier du sujet évoqué propose alors un texte de vulgarisation généralement sérieux accompagné d'une image humoristique qui lui fait référence de manière explicite. Les exemples d'humour textuel relevant de cette fonction d'intégration sont en revanche beaucoup plus rares dans les documentaires du corpus, puisque seuls deux documentaires y ont recours. L'humour est alors intégré au discours principal, à travers des phrases de conclusion qui reprennent sous la forme humoristique certains éléments du texte précédent dans le cas de Un tableau... ; il est en revanche présent tout au long du texte en ce qui concerne De l'origine..., cas remarquable sur lequel nous reviendrons plus loin. b- L'humour, outil de visualisation Représenter l'invisible Nous avons vu que certaines images jouent un rôle dans la compréhension en donnant à voir ce qui est évoqué dans le discours principal. Cette fonction de représentation renvoie d'abord à la dimension informative de l'image, c'est-à-dire quand une illustration traduit graphiquement les éléments du discours principal. Il s'agit dans ce cas d'éléments concrets (animaux, objets...) aisément figurables. Cependant, lorsque le discours aborde des éléments non-figurables (car abstraits ou invisibles), l'image peut également donner à voir, mais en ayant recours à d'autres stratégies (comparaison, symbolisation, évocation à travers des indices possiblement figurables...). Or l'humour peut faciliter cette visualisation en focalisant l'attention du lecteur 186 Voir tableau de synthèse des fonctions (annexe 7). 187 Plus de la moitié des occurrences humoristiques rencontrées dans ces documentaires jouent alors cette fonction. 188 Voir la conclusion de notre observation des formes et places de l'humour (IV) 98 sur les éléments de ce type. Ainsi dans cet exemple extrait de Le grand livre de la famille (p.26), les oreilles démesurées offrent un exemple caricatural de la transmission de certaines caractéristiques génétiques chez les membres d'une même famille. L'humour, basé ici sur l'exagération des caractéristiques physiques, rend plus lisible le phénomène évoqué à travers ses manifestations visibles. De même dans l'exemple ci-dessous, les odeurs sont symbolisées graphiquement, et deviennent l'objet de l'humour : Illustration extraite de Je ne peux pas le sentir... (p.9) Figurer les concepts Cependant, parmi les éléments humoristiques que nous avons observé, les procédés les plus courants de visualisation sont la comparaison et la métaphore 189. Dans ces images, l'humour relève alors du choix du champ de référence qui est convoqué, qui renvoie au quotidien, souvent dans sa dimension prosaïque. Dans l'exemple ci-dessous, la capacité de la raie torpille à paralyser ses proies en les électrifiant est ainsi symbolisée par une prise électrique (Les bêtes.., p.45) : 189 6 documents du corpus en font usage, à des degrés divers. 99 Dans Des animaux ?, l'humour fonctionne d'ailleurs de manière systématique sur ce principe. Par le biais de collages, les organes des animaux sont en effet représentés en lien avec leur fonction, comme le montre l'exemple ci-dessous : Le dard de l'abeille est comparé à une seringue, et le rôle de ses peignes et corbeilles à pollen dans la réalisation du miel, symbolisé par les pots de miel (Des animaux, p. 8) L'humour souligne donc la métaphore, et facilite de ce fait la compréhension de l'énoncé. Dans une étude sur Science et Vie (1982), Pracontal190 a d'ailleurs souligné l'importance de cette fonction de l'image humoristique. On y retrouve également quelques exemples qui humanisent les animaux, et proposent de ce fait un parallèle avec les pratiques humaines.191 Le phénomène de la mue est ainsi évoqué dans deux documentaires différents (Au fil des araignées et Le phasme), et comparé à chaque fois à des habits que l'animal revêt : 190 PRACONTAL M. de, L'émetteur en VS (étude du système science et vie), thèse de 3ème cycle, Paris 7, 1982 191 3 documents concernés (voir annexe 10 sur le détail de la fonction d'intégration). 100 Enfin, seul De l'origine... propose des exemples humoristiques où l'image joue pleinement son rôle de figuration de l'abstrait192. Ce sont en effet les concepts mathématiques qui sont matérialisés à travers les dessins humoristiques. Ainsi, dans l'exemple ci-dessous (p.12), le signe « divisé » est représenté comme le résultat du partage d'un point : Cette rareté des exemples de visualisation des concepts par l 'image s'explique peut-être par les centres d'intérêt qui sont ceux des documentaires jeunesse. Les sujets traités sont en effet généralement liés aux animaux193, ou à l'environnement proche du lecteur194, et donc aisément 192 Notons qu'il est le seul documentaire du corpus à proposer des exemple d'images « réalistes grotesques », au sens strict (voir en II-B-2), du fait certainement de son sujet abstrait 193 6 documentaires au total 194 Les thèmes abordés sont en effet les suivants : histoire et géographie (Comment c'était..., Rome, Le Moyen- 101 figurables195. Dans le corpus observé, seuls Des petits mots... et De l'origine... portent sur des sujets abstraits : certains mots dans le premier (réincarnation, handicap...), ou des concepts mathématiques dans le second. Ils sont cependant destinés aux lecteurs les plus grands (respectivement 10 et 13 ans). c- L'humour comme déclinaison du thème évoqué (transposition) Mais, dans les documentaires que nous avons analysés, la fonction intégrative de l'humour se traduit essentiellement par la déclinaison comique des concepts : l'humour est alors une illustration directe – quoique fantaisiste - de ce qui est exposé dans le texte. Les incongruités qui sont mises en scène supposent en effet le recours à des informations présentes dans le discours principal pour être résolues. Elles nécessitent donc la réalisation d'inférences intradiscursives. Cette forme d'humour d'intégration est de loin la plus répandue puisque 13 documentaires y ont recours, et que pour quasiment la moitié d'entre eux, elle constitue même la seule forme d'humour d'intégration. Cette illustration, extraite de Pourquoi les taupes... (p.18) renvoie directement au texte qui l'accompagne, qui porte sur les pratiques du lion en matière de chasse (attaque des animaux aux points d'eau). La situation humoristique est alors l'occasion de réactiver des savoirs dans un contexte ludique. La complexité des inférences mises en jeu est cependant relativement variable, allant d'une Age, Chère Traudi, La vie à bord...), ethnologie (Le grand livre de la famille), cuisine (Au coin du fourneau), art et culture (Prévert..., Un tableau peut en cacher un autre), observation (Combien y en a t-il ?). 195 3 documentaires portent cependant sur des sujets difficilement figurables : la gravité dans Tomber d'en haut, et les molécules dans Je ne peux pas le sentir et Des molécules plein l'assiette. L'humour met alors en scène les conséquences observables de ces phénomènes. 102 simple mise en scène humoristique (comme dans l'exemple de la transmission génétique évoqué ci-dessus), à des formes plus élaborées, nécessitant un traitement cognitif plus complexe parce que l'implicite y est plus important. Il s'agit alors de documentaires à destination des plus grands196. C'est le cas par exemple de la bande dessinée ci-dessous (Pourquoi les taupes..., p.9), qui demande au lecteur un raisonnement en plusieurs étapes : Dans certains cas enfin, l'humour intégratif renvoie à des éléments qui ne sont pas présentés dans le discours197. Il nécessite donc, en plus des inférences intra-discursives, le recours à des inférences extra-discursives. Il peut alors s'agir de références culturelles, ou plus fréquemment de parallèles avec le fonctionnement humain, qui impliquent alors la prise en compte des sentiments comme facteurs explicatifs de la situation humoristique 198. Ce type d'humour intégratif est donc souvent lié aux fonctions d'appartenance et de réflexion métacognitive. Illustration d'une page consacrée à l'eau (composition chimique, états successifs), extraite de Des molécules plein l'assiette (p.8) : elle joue sur le double-sens du verbe « fondre » et nécessite la prise en compte des facteurs affectifs pour être comprise. Au final, quelles que soient les procédures de visualisation mises en oeuvre, l'image 196 9 ans et plus 197 8 documents du corpus proposent des exemples de ce type, mais en nombre limité cependant puisque l'on observe au maximum 5 exemples de ce type dans Pourquoi les taupes... 198 Nous y reviendrons dans la suite de notre analyse (fonction ED-1) 103 humoristique apparaît donc bien comme un outil essentiel dans le projet de vulgarisation des documentaires étudiés, puisque dans les trois quart d'entre eux, elle revêt une fonction de compréhension et d'intégration des connaissances. Ces résultats nous permettent de souligner l'importance parmi les fonctions cognitives de l'humour de cette catégorie d'images humoristiques, dont la fonction principale est d'aider à la compréhension et l'intégration du discours scientifique. Conclusion Dans l'entretien qu'elle nous a accordé, P. Grieco justifie le recours à l'humour dans les documentaires en tant qu'outil pédagogique : « Nous avons remarqué que la découverte et l’ancrage des connaissances, chez l’enfant comme chez l’adulte, sont encore plus prégnants lorsque l’humour entre en jeu ». Au vu de notre analyse, il semble bien que cette fonction pédagogique de l'humour soit présente à l'esprit de la plupart des producteurs 199 de documentaires. Elle se retrouve en effet dans une large mesure dans les exemples humoristiques proposés dans les ouvrages de ce corpus. Nous avons observé que cette fonction était essentiellement indirecte : en agissant sur les facteurs affectifs liés aux apprentissages200, l'humour contribue en effet à établir un climat sécurisant et motivant pour l'enfant. Mais dans plus de la moitié des documentaires, il agit également de manière directe, en intervenant sur les savoirs eux-mêmes. Il propose alors au lecteur des situations qui l'interpellent et l'invitent à mobiliser les savoirs qui lui ont été présentés dans un contexte différent201... Une occasion de les intégrer, mais aussi dans certains cas de les éclairer sous un angle nouveau 202. Les images humoristiques à fonction intégrative y jouent alors, comme nous l'avons vu, un rôle central. Ces résultats nous permettent donc de conclure que dans les documentaires que nous avons observés, l'humour agit généralement sur un double plan, c'est-à-dire à la fois sur les dimensions cognitives de l'apprentissage et sur ses composantes affectives. Notre hypothèse sur la question (H2-a) s'en trouve ainsi validée. Cette conclusion ne peut cependant pas être systématisée puisqu'une minorité de documentaires se limitent à un emploi affectif de l'humour, ce dernier n'agissant alors qu'indirectement sur les apprentissages. 199 Nous entendons par là les auteurs, les illustrateurs et les éditeurs qui élaborent en amont le projet éditorial de chaque ouvrage. 200 Il agit en effet sur la motivation (fonction de contexte émotionnel positif), le sentiment de proximité et l'implication affective du lecteur (fonction d'appartenance). 201 Fonction d'accroche et d'intégration des dessins humoristiques 202 C'est le cas de toutes les formes humoristiques qui ont recours à des procédures de visualisation. 104 E- L'humour, une fonction éducative au sens large Nous avons vu que l'objectif des documentaires ne se limite pas à la simple transmission de savoirs, mais qu'ils jouent également un rôle au-delà des apprentissages disciplinaires, et ont une dimension éducative. Les éditeurs que nous avons rencontrés s'accordent tous sur ce point, Gérard Pourret, responsable des éditions Mouck (Des Animaux ?), défendant une position plus radicale encore. Il revendique en effet cette dimension éducative, qui constitue selon lui l'objectif premier des ouvrages documentaires qu'il édite. Selon lui, « La littérature jeunesse doit être d’abord un espace de liberté, les connaissances viennent en leur temps et ne relèvent pas de l’édition jeunesse mais du rôle des parents ou de l’école. » Or, l'humour peut être un outil au service de ces objectifs éducatifs, parce qu'il favorise la décentration et le recul critique. Citons ici encore P. Grieco : En plus de la dimension didactique que nous lui attribuons dans notre réflexion éditoriale, l’humour place dans une perspective décalée le sujet dont il est question, il introduit une rupture dans la lecture ; dans un documentaire, ce n’est pas ce à quoi l’on s’attendrait lorsque l’on vient de lire, par exemple, une page très sérieuse sur les caractéristiques physiologiques d’un animal ou d’une plante. L'humour propose effectivement une rupture avec l 'attendu, et permet de prendre du recul sur les sujets abordés. Il favorise de ce fait la réflexion de type métacognitif. Nous observerons donc dans quelle mesure cette fonction de l'humour est sensible dans les documentaires que nous avons observé. Pour cela, nous nous intéresserons d'abord aux éléments humoristiques qui mettent en scène les sentiments et les émotions et favorisent la prise de recul sur soi (fonction de réflexion identitaire, ED-1). Nous étudierons ensuite la prégnance de la fonction critique de l'humour à travers les exemples humoristiques qui mettent en scène la science ou qui interrogent le rapport au savoir (fonction de développement de l'esprit critique, ED-2). 1- Apprendre à se penser L'humour peut favoriser la distanciation vis à vis des émotions (Shade, 1996). En cela, il joue une fonction de « gestionnaire » (Aimard, 1988), c'est-à-dire qu'il permet de négocier des situations difficiles en les abordant à travers un filtre d’humour. Dans le cadre de notre analyse, nous avons donc associé à cette fonction les éléments 105 humoristiques qui mettent en scène les sentiments et les peurs -qu'il s'agisse de celles du lecteur ou de celles des personnages représentés-, tout en les désamorçant du fait du contexte d'énonciation particulier qu'elles offrent. Pour être compris, ces exemples nécessitent la prise en compte de ressorts affectifs implicites (émotions, sentiments, peurs...). Ces situations humoristiques, donc distanciées, sont alors des occasions pour le lecteur de prendre conscience de l'importance des facteurs affectifs. Elles constituent ainsi une invitation à la décentration, et contribuent par conséquent à une réflexion de type métacognitif. Contrairement aux formes humoristiques qui relèvent de la fonction de climat de l'humour, le but n'est pas dans ce cas d'impliquer le lecteur mais de le faire réfléchir sur lui. Nous avons recensé des formes humoristiques qui relèvent de cette fonction dans huit documents du corpus203. Dans la plupart de ces ouvrages, elle constitue cependant une identité remarquable de l'humour. Seuls Le grand livre de la famille et dans une moindre mesure Les bêtes... en proposent des exemples récurrents204. a- Jouer avec ses peurs (les émotions du lecteur) Certains éléments humoristiques impliquent directement le lecteur, en mettant en scène des situations dont les thématiques sont angoissantes, mais qui sont désamorcées par le contexte comique dans lequel elles sont situées. Nous en avons relevé deux exemples dans deux documentaires différents lors de notre observation. La première, dans Pourquoi les taupes..., concerne la peur du noir, et la seconde dans Combien y en a t-il ?, met en scène des monstres qu'il s'agit de cacher avec les mains. Dans les deux cas, le lecteur est invité à jouer avec des sujets qui sont traditionnellement angoissants. Or, le fait de rire de ces thèmes, témoigne d'une capacité à prendre du recul vis-à-vis de ses émotions. b- Prendre conscience du rôle des sentiments et des émotions Comme nous l'avons évoqué précédemment, certaines formes humoristiques nécessitent la prise en compte de ressorts affectifs et émotionnels pour être comprises. Elles offrent donc une occasion pour le lecteur de prendre conscience de ces facteurs, et impliquent qu'il soit capable de se décentrer. Le grand livre de la famille est le seul documentaire du corpus à proposer de manière récurrente des formes humoristiques de ce type. Cela est certainement lié à son sujet, puisqu'il 203 Soit 63 occurrences au total 204 C'est une fonction principale de l'humour dans le premier cas, et une fonction fréquente dans le second. 106 porte sur des questions qui touchent de près les enfants (filiation, divorce...). Dans l'exemple ci-dessous (p.33), l'identification aux personnages est d'autant plus forte, qu'il s'agit d'enfants, et que le texte emploie un « on » généralisateur, auquel répond l'adresse directe de l'escargot en médaillon : Cependant, elles se retrouvent également fréquemment dans Les bêtes..., un documentaire animalier dont le sujet ne porte guère a priori à des réflexions de ce type. Cela est lié au fait que les animaux qui y sont mis en scène sont humanisés. Ce parallèle avec le monde humain offre en effet, au-delà de sa dimension intrinsèquement comique, une occasion de réfléchir à son humanité205. Ainsi, dans l'exemple ci-dessous, peut on observer des animaux qui se moquent des faibles résultats (en matière de victimes annuelles) du requin (p.25) : Les émotions mises en scène à travers l'humour sont essentiellement le sentiment amoureux et 205 On retrouve le même procédé, quoique de manière moins systématique dans Pourquoi les taupes... 107 l'affection (17 occurrences), la colère (14 occurrences), et la peur (12 occurrences) 206. Illustration extraite de Des molécules plein l'assiette (p.42) Au total, c'est finalement plus de la moitié des documentaires observés qui proposent des exemples humoristiques où les facteurs émotionnels entrent en jeu. c- Se décentrer : l'anthropocentrisme en question Enfin, lors de notre observation, nous avons repéré deux exemples particulièrement aboutis de cette fonction réflexive de l'humour, où la capacité à se décentrer est au centre même des situations humoristiques présentées. Il s'agit d'une part d'un exercice pratique proposé dans De l'origine..., où le lecteur est invité à imaginer ce qui motive les actions d'un jeune enfant (p.63) : 206 Nous présentons en annexe 8 un tableau récapitulatif de ces données. 108 Remarquons ici que l'identification au personnage mis en scène est facilitée par le fait qu'il s'agit d'un enfant, et que la situation proposée est évocatrice, puisqu'elle renvoie le jeune lecteur à son quotidien. Le second exemple que nous avons relevé est issu du chapitre « le monstre inconnu » dans Les bêtes qui crachent... Celui-ci propose une réflexion sur l'anthropocentrisme, omniprésent dans les documentaires jeunesse... y compris d'ailleurs dans celui-ci, puisqu'il propose de nombreuses formes d'humour basées sur l'humanisation des animaux, comme nous l'avons vu ci-dessus. Or, dans cette page (la dernière du documentaire), l'homme est décrit depuis le point de vue de l'animal, ce qui révèle sa dimension nuisible. Il est en effet présenté comme un monstre « à 5 bras très mobiles, situés à l'extrémité d'une énorme masse bizarre parfois hérissée de crochets et de filets » (p.80), un texte angoissant qui s'accompagne de l'illustration ci-dessous, qui désamorce le climat de peur (il ne s'agit que d'un enfant), mais invite à s'interroger sur la condition humaine : 109 L'humour, qui fonctionne ici sur un effet de zoocentrisme, invite donc le lecteur à opérer une décentration pour adopter le point de vue de l'animal chassé. 2- Développer l'esprit critique En 1982, dans un article collectif de la RLE (n°84, 1982) intitulé « Du documentaire à l'enfant », les rédacteurs soulignaient déjà l'importance de donner l'occasion à l'enfant de « prendre quelque distance, de démythifier l'information et la documentation qui lui sont présentées, de nuancer son jugement »207. Or, l'humour est à cet égard un instrument redoutable. En portant un regard décalé et souvent irrévérencieux sur ce qu'il ce dont il traite, il favorise en effet la prise de recul et la réflexion critique... A fortiori lorsqu'il porte directement sur le savoir présenté ou qu'il met en scène la science et les scientifiques. Nous avons donc recensé dans le corpus les exemples d'humour de ce type. Cette fonction critique est présente dans un tiers des documentaires que nous avons observé 208. Elle constitue à chaque fois une identité remarquable de l'humour, puisque elle ne se retrouve généralement209 que dans un exemple humoristique ou deux sur l'ensemble d'un documentaire. Bien qu'ils soient peu fréquents en nombre, ces exemples d'humour sont pourtant intéressants à analyser, parce qu'ils constituent les seules formes de réflexion de ce type dans les ouvrages de notre corpus210. Nous avons donc choisi de les observer plus en détail. Nous avons distingué deux types d'exemples parmi ceux que nous avons relevé : ceux qui 207 Ils donnent en exemple les BT 208 Soit 7 au total 209 A l'exception du Phasme, où les occurrences de ce type sont plus nombreuses. 210 L'humour apparaît donc comme un support privilégié de réflexion métacognitive. 110 interrogent directement le savoir présenté, et ceux qui renvoient à la relation symbolique au savoir et à la science. a- Quand l'humour interroge le savoir présenté L'humour invite alors le lecteur à réfléchir sur le savoir exposé dans les pages mêmes du documentaire qu'il a entre les mains. Cette réflexion peut porter sur le thème et nature du discours présenté. Deux documentaires proposent des exemples de réflexion de ce type. On en retrouve un exemple dans La vie à bord de la frégate Hermione (p.31) : un pansement, apparemment incongru, est ainsi collé211 sur l'une des pages du documentaire... qui correspond en fait à la partie du discours où les maladies sont évoquées. Mais, une fois de plus, c'est dans De l'origine... que cette invitation à la réflexion métacognitive est la plus présente, puisqu'elle se retrouve tout au long du discours. Elle se présente alors sous forme d'inclusions textuelles, dans le corps même de la BD (cases titres), qui proposent une qualification de la nature du discours présenté. On trouve par exemple les mentions suivantes : « exemple », « exercice d'application » (suivi plus loin de « réponse »), « moralité » (qui s'accompagne parfois d'une seconde case indiquant : « fin de la moralité »), mais aussi « présentation des personnages », ou « ce qu'il faut retenir », parfois abrégé en « C.Q.F.R »... Ces indications offrent au lecteur, sous une forme humoristique212, des outils pour distinguer les différents niveaux du discours. Ils jouent donc alors une fonction métacognitive. b- Une remise en cause du statut du discours savant La parodie du discours scientifique L'humour peut également inviter à développer un regard critique sur le discours scientifique en général. Cela passe alors par la parodie du ton scientifique, une figure qui se retrouve dans trois documentaires213. On y retrouve d'ailleurs les deux seuls exemples d'humour observés dans les éléments du paratexte en dehors des titres (un encadré lexical dans Les bêtes... et une note de bas de page dans De l'origine...). En apparaissant dans des espaces habituellement réservés au discours « sérieux » (lexique, note...), l'humour questionne le rapport symbolique au savoir. Ainsi dans De l'origine..., cette note de bas de page porte sur le fait que le résultat 211 Il s'agit d'une photographie réaliste grandeur nature, et non d'un vrai pansement. 212 Ils reprennent en effet sur un mode décalé les étapes des démonstrations mathématiques classiques. 213 De l'origine..., Le Phasme et Les bêtes...(dans le chapitre consacré au « monstre inconnu »). 111 d'une opération (ici en l'occurrence, la naissance d'un enfant !) est encadré. Or cette note précise qu' « on encadre toujours les résultats, c'est comme ça » (De l'origine..., p.13). Cet argument d'autorité, associé à l'incongruité de l'exemple choisi (un bébé considéré comme le résultat d'une opération mathématique) invite donc le lecteur à relativiser ce qui lui est présenté. La remise en cause du discours par l'image Cette critique passe également par des exemples humoristiques où le discours scientifique classique214 est remis en cause par des illustrations décalées. Outre l'exemple sur le « monstre marin » que nous avons déjà évoqué précédemment215, on en trouve deux illustrations dans Le phasme. Une page de ce documentaire débute par exemple ainsi : « Dans la nature, le phasme doit échapper aux oiseaux » Cette information est aussitôt complétée par la phrase : « Dans la maison, le phasme ne craint pas les oiseaux »... Or l'image qui accompagne cette remarque joue avec ce discours, qui omet de fournir une information capitale, à savoir les autres dangers qui guettent alors le phasme : On retrouve ici naturellement les exemples d'humour de l'entre-deux que nous avons évoqués au début de notre analyse. L'humour apparaît donc bien comme un instrument de mise à distance et de développement du regard critique. 214 Qui passe par le recours au ton descriptif 215 Voir le paragraphe consacré à l'anthropocentrisme dans la partie précédente 112 Qui parle ? La mise en scène du narrateur L'humour joue également une fonction réflexive quand il interroge la position du locuteur. En effet, si dans la plupart des documentaires de la sélection, le discours est présenté de manière désincarnée, absolue, trois ouvrages mettent cependant en scène de manière directe ou indirecte la figure du narrateur. Ainsi, Pourquoi les taupes... propose, dans un paragraphe du texte consacré aux lions, une anecdote suivie par cette remarque : « Revenons à nos moutons... Heu, à nos lions! ». Cette hésitation qui met soudain le narrateur en avant, humanise donc le discours. Dans le second documentaire concerné (De l'origine...), ce sont les questionnements et les motivations de la narratrice qui sont exposés dans un chapitre introductif, qui la met en scène de manière humoristique : Enfin, dans Le Phasme, cette humanisation est même systématisée puisque le narrateur est un personnage à part entière du documentaire 216, mis en scène de manière récurrente au fil des pages217. Qui plus est, il y apparaît totalement humain, et pas seulement comme un savant en blouse blanche : il plaisante, s'interroge, et entretient même avec l'objet de son observation (le phasme) une relation affective (puisqu'il le tutoie). Dans l'exemple ci-dessous, le lecteur est même mis en position de supériorité face à lui, puisque, s'il observe attentivement, il est en mesure de répondre à une interrogation du savant : 216 Il donne d'ailleurs son titre à toute la série de documentaires dont est issu Le Phasme : « Les sciences naturelles de Tatsu Nagata ». 217 Il intervient à 4 reprises de manière directe dans ce documentaire. 113 La mise en scène humoristique du narrateur invite par conséquent le lecteur à réévaluer la nature du discours scientifique en le faisant passer du statut de vérité absolue à celui de parole incarnée. Ainsi, à travers l'humour à thème scientifique, « (…) se disent sur la science des choses assez profondes et parfois beaucoup plus pertinentes, plus aigües que beaucoup d'analyses théoriques élaborées »218. 3- Une redéfinition du rapport à la science et au savoir Sur l'ensemble du corpus, c'est au final un tiers des documentaires qui interrogent directement le savoir et la nature du discours scientifique, en proposant des formes humoristiques qui relèvent explicitement de cette fonction réflexive. De plus, les fonctions affectives de l'humour, que nous avons détaillées précédemment, participent également, quoique d'une manière indirecte, à l'établissement d'un nouveau rapport au savoir. L'humour inscrit en effet le savoir dans un univers de référence proche des enfants (fonction d'appartenance), en y introduisant qui plus est une dimension de plaisir et de transgression (fonction de climat). Il contribue de ce fait à modifier les représentations symboliques que le lecteur en a, à l'image 218 LEVY-LEBLOND J.M. (entretien avec) "Savoir... rire de/dans la science", propos recueillis par O. Dargouge, La Recherche, n° 244, p.683. 114 des scientifiques, qui sont alors mis en scène de manière humoristique 219. F. Vanesse, dans un article de 2005 sur le documentaire jeunesse, écrit à ce propos : « Quant à l'humour, qui envahit certaines pages, il permet au jeune enfant de jouer avec ce savoir »220... Et qu'est ce que jouer, sinon opérer une première distanciation des choses. D'une manière générale, l'humour contribue donc à favoriser le développement d'un regard critique et décomplexé sur le savoir et la science. On retrouve ici une réflexion proposée par Ballanger221 à propos des documentaires sur la préhistoire : Afin de casser cette image du scientifique à blouse blanche et au crâne dégarni, afin aussi d'attirer le lecteur adolescent vers un terrain connu, une autre orientation assez neuve consiste à « désacraliser » le discours scientifique, sur la forme comme sur le fond. Pour partir à la conquête d'un public jeune, l'auteur va adopter son style, ses manies, ses références. Elle considère que cette approche peut – à certaines conditions- constituer un atout pour le documentaire jeunesse, la science ayant « trop souvent pris les habits de la respectabilité distante du haut de son érudition précieuse ou de son latinisme obscur pour bon nombre de jeunes curieux »... Or, comme nous l'avons vu, l'humour est pour cela un instrument privilégié. Citons là encore C. Rosenbaum de la RLE : L'humour modifie la façon d'aborder le sujet. Il s'agit d'une mise à distance du discours scientifique autant pour le public que pour les scientifiques euxmême. On observe l'abandon de certitudes et d'un ton péremptoire, qui révèlent peut-être une volonté de se démarquer des manuels scolaires. Conclusion Dans ces documentaires, l'humour joue donc un rôle direct dans la transmission des connaissances, mais il s'inscrit également dans une perspective plus large, dont l'objectif est de renforcer chez le lecteur des attitudes particulières (introspection, esprit critique...), et qui relève du champ de l'éducation. Lorsqu'il poursuit ces différents objectifs, l'humour s'inscrit donc dans une démarche de vulgarisation scientifique telle que la définit Jacobi, c'est à dire à la fois la présentation d'un discours scientifique et une pratique d'éducation non formelle. Ces 219 3 documentaires en proposent des représentations humoristiques, dont le célèbre Tatsu Nagata 220 VANESSE F., « Mille et une raisons de revisiter le livre documentaire jeunesse », en ligne sur le site de la FIBBC (association professionnelle des bibliothécaires et des bibliothèques, 2005). En ligne (voir bibliographie) 221 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002) . [En ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm 115 résultats nous permettent donc de valider notre hypothèse selon laquelle dans ces documentaires, l'humour participe au projet de vulgarisation, puisqu'il en partage les objectifs (H2). On retrouve en cela la volonté affichée par les sélections de la RLE, qui pose comme critères essentiels dans le choix des documentaires qu'elle propose le fait qu'ils « éveillent la curiosité », « suscitent le rire », et « développent l'imagination »222. Par ailleurs, on constate à travers ces documentaires que l'humour, de part son importance toutes formes confondues, tient une place non négligeable dans les discours de vulgarisation proposés. Or, sa présence témoigne d'une attention particulière accordée aux facteurs affectifs intervenant dans les apprentissages. Il renvoie donc de manière implicite à une conception de l'apprentissage qui prend en compte cette dimension, et valorise le plaisir et la motivation. Ces résultats permettent de considérer comme valide notre hypothèse sur la mise en oeuvre dans ces documentaires d'un rapport nouveau, car de plus grande proximité, entre le jeune lecteur et le savoir qui lui est présenté (H3). Le rapport symbolique au savoir en est par conséquent également modifié. Qui plus est, on observe dans plus de la moitié des ouvrages étudiés, la présence d'éléments humoristiques qui comportent une dimension critique et réflexive, liée au fait que l'humour introduit de la distance avec ce dont il traite. Il en découle que ce dernier est à considérer comme un outil important de réflexion métacognitive au sein des documentaires. Or, dans la mesure où cette réflexion porte sur les connaissances présentées, mais aussi sur l'image de la science et des scientifiques, on peut considérer que l'humour favorise un rapport plus distancié au savoir et à la science. Cette dimension est d'ailleurs sensible dans les discours éditoriaux qui accompagnent les collections documentaires que nous avons observées. On trouve ainsi dans le texte de présentation de la section documentaire de Gallimard Junior ces lignes 223 : Les livres s’efforcent de rassembler la beauté, l’intelligence du propos, de développer la sensibilité et la curiosité des lecteurs. A partir des connaissances de base et du monde environnant, on suscite la réflexion, avec l’objectif de former des citoyens libres et éclairés ; car la vulgarisation ne doit pas être seulement techniciste ou ferment de vocation ; elle doit ouvrir aussi au débat citoyen qui relève d’une éthique et engage l’avenir de la société. Le documentaire ne se limite donc plus nécessairement à des objectifs de transmission de connaissances, mais s'inscrit alors dans une démarche éducative et citoyenne. 222 Edito de la sélection RLE pour les documentaires (2004), p. 4 223 Article de présentation des collections Gallimard Jeunesse, consultable sur le site http://eprofsdocs.crdpaix-marseille.fr/Zoom-sur-Gallimard-jeunesse.html 116 CONCLUSION Nous avons tenté, à travers cette étude, de réaliser un état des lieux de l'humour dans le contexte pédagogique particulier que constituent les documentaires à destination de la jeunesse. Le choix de situer cette analyse dans ce champ précis de l'édition jeunesse est lié à la nature du projet éditorial de ce type d'ouvrages, qui associe l'humour à des objectifs pédagogiques et éducatifs. Il répond également au désir de rendre compte de pratiques encore trop peu explorées, quand bien même elles constituent à l'heure actuelle une tendance de fond dans les pratiques documentaires, ce dont nous semble témoigner notre enquête quantitative sur les sélections de la RLE. Les résultats de cette observation nous renseignent par conséquent à la fois sur l'humour luimême, mais aussi à travers lui, sur les problématiques actuelles qui traversent le domaine des documentaires, et sur la manière dont la vulgarisation scientifique pour la jeunesse est envisagée. Cette analyse nous a permis de souligner la dimension pédagogique qui est dévolue à l'humour dans ces documentaires. Celui-ci joue en effet un rôle dans la transmission des connaissances, de différentes manières. Il agit d'abord indirectement ; on y observe en effet un emploi relativement classique de l'humour, qui contribue à établir un climat propice aux apprentissages en influant sur les facteurs affectifs qui y sont associés : motivation, implication de l'enfant... Cependant, il agit également fréquemment de manière directe dans l'apprentissage, devenant alors un outil de compréhension et d'intégration des connaissances, en proposant alors une utilisation de l'humour qui nous semble plus remarquable. De nombreux documentaires mettent en effet à profit ces potentialités cognitives dans une optique pédagogique. Le rôle des images humoristiques dans ce domaine est à souligner. Elles apparaissent en effet à la fois comme des procédures de visualisation (au même titre que les images d'une manière générale), mais se présentent également souvent comme des déclinaisons absurdes ou grotesques des concepts, nécessitant la réactivation du réseau conceptuel de l'apprenant. 117 De plus, nous avons pu observer que l'humour participe également du projet éducatif des documentaires, en revêtant des fonctions de type métacognitif. L'existence de formes d'humour de ce type, si elle demeure minoritaire, témoigne en effet de la prise en compte par les producteurs de documentaires (éditeurs, auteurs et illustrateurs), de l'intérêt de celui-ci en tant que posture de recul : moyen de mettre à distance les émotions et de se décentrer, il est également une occasion de s'interroger sur le savoir présenté et d'adopter une posture critique sur la science elle-même. Au-delà, parce qu'il constitue un type de discours particulier, qui nécessite des compétences métacommunicationnelles, l'humour apparaît comme un moyen privilégié d'entraîner le lecteur à analyser de manière critique les informations qui lui sont proposées, en introduisant du second degré, de l'implicite... Il constitue donc en cela une expérience métacognitive. Cette dimension de l'humour renvoie au rôle du contrat de lecture dans les documentaires. On observe en effet d'une manière générale la volonté de rendre lisibles les éléments humoristiques du discours au sein des ouvrages, à travers des indices formels, afin de guider le lecteur, et de l'amener à une lecture plus critique. De ce fait, l'humour s'inscrit véritablement dans le projet de vulgarisation des documentaires, puisqu'il en partage les objectifs pédagogiques et éducatifs. Cette étude nous a enfin permis d'aborder, à travers la question de l'humour, les problématiques qui traversent le genre documentaire lui-même. Rappelons en effet que le documentaire est une proposition faite par l'adulte à l'enfant. Il nous renseigne donc sur la manière dont sont appréciés et estimés les besoins de ce dernier, mais aussi sur les conceptions de l'apprentissage qui sous-tendent ces ouvrages. Dans cette optique, l'humour apparaît comme une tentative de prendre en compte les besoins de l'enfant. En témoignent l'importance accordée aux facteurs affectifs (fonctions de climat de l'humour) et le souci d'être en adéquation avec l'univers du jeune lecteur (référence au quotidien, familiarité du langage...). Ces différents éléments, associés à la dimension de recul critique que nous avons évoquée précédemment, favorisent par conséquent l'instauration d'un rapport décomplexé au savoir, où la dimension du plaisir est essentielle. En cela, le recours à l'humour est à mettre en lien avec tous les éléments qui contribuent à rendre les documentaires jeunesse attrayants : qualité de l'objet livre, soin apporté à la mise en page, recours parallèle à la manipulation à travers les pop-ups... L'humour nous semble donc emblématique d'une conception de la vulgarisation aujourd'hui largement répandue, même si elle demeure souvent peu théorisée par les éditeurs, qui cherche à proposer un discours attrayant et d'autant plus efficace qu'il utilise 118 des outils adaptés à son lectorat, et qu'il prend en compte le potentiel pédagogique du plaisir. L'objectif de cette recherche était de quantifier et d'éclairer un phénomène mal connu, bien que constaté de manière unanime. Cette première analyse nous a cependant permis de souligner le rôle intégratif de l'humour, ainsi que l'importance de sa portée métacognitive. Elle nous a par ailleurs permis d'élaborer, à partir d'un ensemble de recherches sur la question de l'humour, des outils d'analyse susceptibles d'êtres employées dans un cadre dépassant celui des documentaires. Ces outils pourraient ainsi permettre de réaliser des observations du type de celle réalisée pour la sélection 2009 de la RLE, sur d'autres types de documents à dimension pédagogique, à l'exemple des manuels scolaires. Cela permettrait de mesurer la porosité de ce pan de l'édition avec les ouvrages « extra-scolaires » du type documentaires. Enfin, cette recherche qui s'est intéressée aux propositions humoristiques contenues dans les ouvrages, se place du côté des producteurs d'humour. Elle conduit cependant naturellement à se poser la question de la réception de ces éléments : comment ces formes d'humour sont perçues par les lecteurs ? Quels sont leurs effets, et quelles peuvent être leurs limites, notamment en ce qui concerne le risque de brouillage de discours que nous avons abordé ? Une étude comparative, dépassant le spectre de cette recherche mais qui pourrait nous semblet-il lui apporter un complément fructueux, serait à mener pour vérifier l'impact sur les lecteurs de cette stratégie de vulgarisation. 119 ANNEXES Liste des documents proposés : – Annexe 1 : Sélection d'ouvrages humoristiques proposés par deux professionnels du livre de jeunesse (bibliothécaires) à partir des sélections RLE – Annexe 2 : tableaux récapitulatifs des occurrences liées au plaisir et au jeu dans les notices de la sélection RLE – Annexe 3 : tableau présentant le développement de la place des documentaires humoristiques proposés dans la sélection RLE depuis 1967 (en nombre de documents) – Annexe 4 : Détermination du corpus en fonction des mots-clefs (sélection 2009) – Annexe 5 : Grille d'observation des fonctions de l'humour – Annexe 6a : Tableau de synthèse des formes de l'humour dans les documentaires du corpus – Annexe 6b : Tableau de synthèse des formes et place de l'humour dans les documentaires du corpus (analyse croisée) – Annexe 7 : Tableau de synthèse des fonctions de l'humour dans les documentaires du corpus – Annexe 8 : Types de sentiments et d'émotions mis en scène – Annexe 9 : Détails sur la fonction d'appartenance (formes humoristiques liées) – Annexe 10 : Détails sur la fonction d'intégration (exemples humoristiques associés) – Annexe 11 : Informations complémentaires concernant les documentaires présentés – Annexe 12 : exemple de grille d'analyse d'un des ouvrage du corpus (Tomber d'en haut ! La gravitation) 120 ANNEXE 1: Les documentaires humoristiques proposés par deux professionnels du livre de jeunesse, à partir des sélections RLE présentées sans notices. Documentaires humoristiques : sélection des bibliothécaires Année de sélection RLE Titre Auteur/illustrateur Collection et éditeur Notice 1999 Nos amis les hommes S. Frattini, Desailly Milan « livre plein d'humour » « dessins très drôles » 1999 Pourquoi une maison ? S. Kako Archimède L'Ecole des Loisirs « un traitement drôle et intelligent » 2001 Passez la monnaie ! V. Guidoux, B. Heitz Petits Citoyens « avec humour » Casterman « l'humour des nombreuses vignettes de Bruno Heitz » 2001 Cléopâtre et son temps V. Nicolaides, E. Regard Papaefthymiou d'aujourd'hui Mango Jeunesse 2001 Les Cailloux de Chacha PY Jacopin, T. Tirabosco 2002 Le monde des océans R. Le Bloas, P. Robin Les Encyclopes Milan « Une langue vivante, facile et drôle », « des anecdotes amusantes » 2002 Que devient ce que je mange ? A. Smith, M. Wheatley Usborne « l'humour ambiant reste léger et agréable. » 2004 Ah ! J. Goffrin Réunion des Musées Nationaux « Amusante », « on s'amuse » 2004 Le grand bestiaire M. Loyon, P. Martin Les ateliers Art « s'amuser », « amusant » Terre 2004 L'art en bazar U. Wehrli Milan Jeunesse « quelques tableaux que l'auteur bouscule. Un agréable divertissement » 2004 Pourquoi les zèbres sont-ils en pyjama ? L. Prap, P. Bonhomme Couleurs monde Circonflexe « fantaisistes », saugrenues », « humour » 2004 Les dessous du mammouth S. Philippo, C. Duferta Tourbillon Museum d'histoire naturelle « humoristique » 2004 Graine de bébé T. Lemain, S. Bloch Nathan « les hypothèses les plus farfelues » 2004 Le vol : notions de base J. Parrondo L'Ampoule Mieux vaut le savoir « s'amuser », « anecdotes comiques ou loufoques » « approche iconoclaste autant que stimulante, rapprochant les temps anciens à coup de formules accrocheuses, de jeux de mots et de connivences avec les jeunes lecteurs » Les ptits « avec poésie et humour » Suisses La Joie de Lire 121 2006 Vous avez dit justice ? M. Brossy-Patin, La « Les illustrations apportent une X. Lameyre, Documentation note d'humour bienvenue. » Muzo française Seuil Jeunesse 2006 Petites et grandes inventions P. Piettre É. de Lambilly, ill. L. Audouin, P. Beaucousin, A. Renaux Regard Junior Mango Jeunesse « L’humour perce à travers les illustrations et les anecdotes historiques » « jubilatoire » 2006 La grenouille T. Nagata (Dedieu) Les Sciences naturelles de T. Nagata Seuil Jeunesse, « L’univers loufoque de ses albums conjugue simplicité, brièveté et humour. » « première approche amusante » 2006 Les Sales bêtes G. Bonotaux Album Nature Le texte est dynamique, clair et Milan Jeunesse amusant 2006 (réédition) Le Grand livre M. Bird, trad. A. pratique de la Mélo : sorcière en 10 leçons Junior Gulf Stream « humour » « beaucoup de détails drôles » 2008 Les plantes qui L. Hignard, A. puent, qui pètent, qui Pontoppidan, Y. piquent Le Bris Dame Nature Gulf Stream Humour : « voici un parcours de lecture instructif et non dénué d'humour... » 2009 Au fil des araignées D. Godart (dir. C. Seuil Jeunesse/ Drôle : « Dessins irrésistibles » Rollard, muséum muséum) national d'hist. naturelle 2009 Comment c'était avant les vacances N. Weil Albin Michel Jeunesse Humoristique : « de nombreuses double-pages illustrées (…) dont les dessins proposent des scènes aussi détaillées qu'humoristiques » 2009 Le phasme (trad) T. Nagata (Dedieu) Rêves Soc des explorateurs français, Bayard jeunesse Drôle : « un texte court, drôle... » 2009 Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ? F. Moutou Les albums du « dessins, photos et petits encarts Pommier de couleur dynamisent Le Pommier agréablement la lecture » 2009 Des petits mots qui font les grands V. Gaudin, Robin Les Passe-mots « amusant » Le Temps Junior 122 ANNEXE 2 Tableau des occurrences liées au plaisir, à la joie et au jeu dans les notices de la sélection RLE (en gras les documentaires présentant un caractère humoristique) 1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009 attrayant 0 1 1 1 1 1 1 1 1 agréable 0 0 0 0 0 0 1 10+ 2 1 Autres occurrences liées au plaisir 0 0 0 1 1 forme séduisan décontra t ctée Occurrences liées à la joie 3 2 attractif séduisan 1 t plaisant 1 divertissant 1 joyeux 1 joyeux 1 gai 1 mise en page gaie 2 Ludique (ton) 0 3 0 1 1 0 8 4 Interactivité 0 0 0 0 0 0 0 1 plaisir 0 de la manipulation Autres occurrences liées au jeu 0 0 0 0 0 0 0 0 0 Place des documentaires dont les notices mentionnent le plaisir dans les sélections RLE depuis 1967. Année de sélection 1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009 Numéro RLE * Bullet Bullet RLE RLE RLE RLE RLE RLE RLE in in n°63 n°100 n°129 n°160 n°190 n°219 n°249 n°10 n°40 nov19 nov19 nov19 déc déc nov nov déc19 déc19 78 84 89 1994 1999 2004 2009 67 74 Nombre total de documentaires dans 140 la sélection 119 47 115 108 210 122 226 154 Occurrences liées au plaisir (attrayant agréable, plaisant...) 1 1 1 2 1 10 10 5 0,8 2,1 0,9 1,9 0,5 8,2 4,4 3,2 0 Mention du plaisir (en pourcentage) 0 * Le Bulletin d'analyse de livres pour enfants dont le premier numéro parut en septembre 1965, devient en 1976 la Revue des livres pour enfants. 123 ANNEXE 3 Développement de la place des documentaires humoristiques proposés dans la sélection RLE depuis 1967. Année de sélection 1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009 Numéro RLE * Bullet Bullet RLE RLE RLE RLE RLE RLE RLE in in n°63 n°100 n°129 n°160 n°190 n°219 n°249 n°10 n°40 nov19 nov19 nov19 déc déc nov nov déc19 déc19 78 84 89 1994 1999 2004 2009 67 74 Nombre total de documentaires dans 140 la sélection 119 47 115 108 210 122 226 154 Occurrences liées au rire (humoristique, comique, drôle, rigolo) 3 1 4 4 10 11 21 25 2 Mention du rire (en pourcentage) 1,4 2,5 2,1 3,5 3,7 4,8 9 9,3 16,2 * Le Bulletin d'analyse de livres pour enfants dont le premier numéro parut en septembre 1965, devient en 1976 la Revue des livres pour enfants. 124 ANNEXE 4 Détermination du corpus en fonction des mots-clefs Champ lexical et mot-clef issu de la notice RLE Humour : « avec humour » Humour / comique oui Titre Auteur et illustrateur Collection et éditeur De l'origine des mathématiques C. Gandillot « Le théatre d'images » MeMo Humour : « Avec humour, avec sérieux, oui ce livre invite à des découvertes originales... » Un tableau peut en cacher un autre Caroline Larroche Palette Humour : « avec un humour potache... » oui Le Moyen-Age D. Casali, C. Bathia Coll. « Le journal de l'histoire » Milan Jeunesse Humour : « ces albums (…) si oui marquants par leur poésie, leur humour et leur recherche formelle... » Londres M. Sasek Casterman (réédition) idem oui Venise M. Sasek Casterman idem oui New-york M. Sasek Casterman idem oui Paris M. Sasek Casterman idem oui Rome M. Sasek Casterman Humour : « humour décalé et pertinent oui pour des jeux d'observation... » Combien y en a-tT. Gomi il ? : jeux pour les 4-5 ans Humour : « le ton est juste, et la oui tendresse, l'humour, éclairent le récit... » Chère Traudi Humour : « voici un parcours de lecture oui instructif et non dénué d'humour... » Les bêtes qui JB de crachent, qui collent, Panafieu qui croquent à la mer Humour : « beauté et humour éclatent oui dans la mise en page colorée... » Jacques Prévert : Paris la belle C. Aurouet, E. Flammarion Bachelot Prévert, NT Binh Humour : « illustrations pleines oui d'humour qu'il faut s'amuser à décrypter » Au coin du fourneau A. Barman La Joie de Lire Humour : « Chaque mini-texte est clair oui et accompagné d'un dessin humoristique » Le grand livre de la famille S. Ledu, S. Frattini Milan Jeunesse Humour : « de nombreuses double- oui pages illustrées (…) dont les dessins proposent des scènes aussi détaillées qu'humoristiques » Comment c'était avant les vacances N. Weil Albin Michel Jeunesse Humour : « illustrations Des molécules plein J. Maricon oui Bayard jeunesse A. Villeneuve « Carré blanc » Les 400 coups « Dame nature » Gulf Stream « Graine de 125 humoristiques » l'assiette : la cuisine par les sciences expliquée aux enfants Humour : « illustrations humoristiques » Je ne peux pas le sentir : le monde secret des odeurs expliqué aux enfants H. Pince, R. Pince « Graine de savant » Milan Jeunesse Humour : « Une lecture instructive (…) oui amusante et humoristique » Des animaux ? Pline l'Ancien, textes choisis par G. Pourret « Mouckins » Editions Mouck Comique : « Le jeune lecteur suivra oui l'aventure amusante d'un petit garçon... » Tomber d'en haut ! : la gravitation KS Kang (trad) SH Jeong « Ohé la science ! » Ricochet Comique : amusantes » Des petits mots qui font les grands V. Gaudin, Robin « Les passemots » Le Temps Junior Dauphins et baleines S. Baussie, N. « Kididoc » Choux/ E. Nathan Toublanc illustrations sont oui Comique : « une page amusante » non Comique amusantes » « les oui savant » Milan Jeunesse : «des illustrations oui Fermes et campagnes MM Pons, A. Laprun Actes Sud Junior Au fil des araignées D. Godart (dir. C. Rollard, muséum) Seuil Jeunesse/ muséum national d'hist. naturelle La vie à bord de la frégate Hermione D. Georget Gulf stream Le phasme (trad) T. Nagata (trad) Soc.des explorateurs français, Bayard jeunesse Plaisir : « agréable », « dessins, photos oui et petits encarts de couleur dynamisent agréablement la lecture », Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ? F. Moutou « Les albums du pommier » Le Pommier Plaisir : « Séduisant » non La petite galerie de la P. Geis Joconde (trad) « La petite galerie » Palette Plaisir : « Séduisant » non La petite galerie de Calder (trad) « La petite galerie » Palette Comique : « Dessins irrésistibles » Comique intelligemment Georget... » : « drôlement dessiné par Comique : « un texte court, drôle... » oui et oui D. oui P. Geis 126 ANNEXE 5 Grille d'observation des fonctions de l'humour Fonctions de climat Cli 1 Cli 2 Obje Etablissement ctif d'un contexte émotionnel favorable Implication affective du lecteur Fonc Plaisir et tion motivation Renforcement du sentiment d'appartenance (connivence) Fonctions d'apprentissage App 1 Accroche Mise en questionnement du lecteur, éveil Baisse des de la curiosité tensions (si sur une question contenu affectif Développement particulière qui risque de d'un sentiment parasiter de proximité l'apprentissage) avec le lecteur App 2 Fonctions d'éducation Ed 1 Ed 2 Entrainement cognitif et intégration des concepts Réflexion identitaire Développement de l'esprit critique Réinvestisseme nt des connaissances dans un contexte nouveau Réflexion sur soi et mise à distance des émotions (Shade, 1996) Réflexion sur les savoirs présentés et sur la position de la science Intégration du discours principal Conscience de soi en tant qu'individu (favorise décentration) Form Pas e nécessairement d'inférences (ou internes à la situation) Inférences extradiscursives qui renvoient à des références culturelles et des normes sociales partagées, ou à l'expérience personnelle, au vécu, du lecteur Inférences intradiscursives (sur la suite du discours) Inférences intradiscursives (sur ce qui a déjà été évoqué dans le discours) Métaphores, comparaisons ou procédures de visualisation (rôle de l'image) Inférences extra-discursive (renvoie aux émotions et à l'image de soi) Inférences extradiscursives sur l'image traditionnelle de la science et attitude face au savoir Indic Mise en scène es de situations humoristiques (humour tendancieux ou neutre) dont la seule fonction est de provoquer le rire Références culturelles et sociales Références à des termes et des notions qui sont explicitées dans le discours par la suite Reprise d'éléments évoqués dans le discours principal (sous un mode absurde, décalé...) Mise en scène de situations humoristiques dont la compréhension implique la prise en compte des émotions et des sentiments Mise en scène des scientifiques Mise en scène du quotidien Recours au Position langage familier introductive Présence d'éléments qui interrogent le savoir présenté (effets de mise à distance) 127 ANNEXE 6a Formes de l'humour dans les documentaires du corpus En gris moyen : support privilégié de l'humour dans le documentaire En gris clair : documentaires mixtes Titre Humour textuel Images humoristiques Humour de l'entre deux Général Titres graphique mixte relation texte image Jacques Prévert : Paris la belle 5 0 1 0 0 Un tableau peut en cacher un autre 5 6 0 0 0 Le grand livre de la famille 0 4 7 11 0 Comment c'était avant les vacances 0 0 17 0 0 Rome 2 0 3 5 0 Le Moyen-Age 45 17 8 4 0 La vie à bord de la frégate Hermione 1 0 14 10 0 Chère Traudi 3 0 2 0 0 (11) voc arch. 0 32 1 0 Le phasme (trad) 3 0 2 4 2 Au fil des araignées 0 11+ titre gnl 0 21 0 Les bêtes qui crachent, qui collent... à la mer 8 1 (titre gnl) 27 63 2 Je ne peux pas le sentir ... 0 6+ titre gnl 4 26 0 Tomber d'en haut ! : la gravitation 0 1 (titre gnl) 5 6 0 Des molécules plein l'assiette... 0 16+ titre gnl 4 23 0 De l'origine des mathématiques 9 6 5 3 7 Au coin du fourneau 0 1 (titre gnl) 48 0 0 Combien y en a-t-il ? : jeux pour les 4-5 ans 1 0 5 0 0 Fermes et campagnes 0 0 4 0 0 Des petits mots qui font les grands 0 1 (titre gnl) 210 124 0 Pourquoi les taupes ne portentelles pas... 4 16 15 21 0 Des animaux ? 128 ANNEXE 6b Formes et place de l'humour dans les documentaires du corpus (analyse croisée) En gris moyen : les positions privilégiées de l'humour au sein de chaque documentaire En gris clair : les documentaires utilisant l'humour à la fois dans le discours principal et dans les éléments du annexes. Titre Humour intégré Humour périphérique Textuel Image hum. relation texte image Textuel Image hum. Titres Jacques Prévert : Paris la belle 5 0 0 1 1 0 Un tableau peut en cacher un autre 5 0 0 0 0 6 Le grand livre de la famille 0 0 0 1 17 4 Comment c'était avant les vacances 0 17 0 0 0 0 Rome 2 5 0 0 3 0 Le Moyen-Age 45 3 0 0 9 17 La vie à bord de la frégate Hermione 1 5 0 0 19 0 Chère Traudi 3 0 0 0 2 0 (11)voc arch. 0 0 0 33 0 Le phasme (trad) 0 1 2 1 7 0 Au fil des araignées 0 0 0 0 21 11+ titre gnl Les bêtes qui crachent, qui collent... à la mer 1 0 2 9 89 1 (titre gnl) Je ne peux pas le sentir ... 0 0 0 0 30 5+ titre gnl Tomber d'en haut ! : la gravitation 0 7 0 0 4 1 (titre gnl) Des molécules plein l'assiette... 0 0 0 0 27 16 De l'origine des mathématiques 8 7 7 1 0 6 Au coin du fourneau 0 0 0 0 48 1 (titre gnl) Combien y en a-t-il ? : jeux pour les 4-5 ans 1 2 0 0 3 0 Fermes et campagnes 0 0 0 0 4 0 Des petits mots qui font les grands 0 0 0 0 334 1 (titre gnl) Pourquoi les taupes ne portent-elles pas... 4 0 0 0 36 16 Des animaux ? 129 ANNEXE 7 Tableau de synthèse des fonctions de l'humour En gris moyen, les fonctions majoritairement présentes dans les documentaires (plus de la moitié des occurrence rencontrées). En gris clair, les fonctions fréquentes dans les documentaires (plus d'un quart des occurrences rencontrées). Total occ Fonctions affectives Fonctions d'apprentissage Fonctions éducatives CLI-1 Contexte positif CLI-2 Implication affective APP-1 Accroche APP-2 Entraînement cognitif ED-1 ED-2 Réflexion Développeidentitaire ment esprit critique Jacques Prévert : Paris la belle 6 3 1 0 2 0 0 Un tableau peut en cacher un autre 11 0 5 6 6 0 0 Le grand livre de la famille 45 16 + 1 Dédra + 1 Masc 2 1 20 12 0 Comment c'était avant les vacances 17 17 SC 0 0 0 0 Rome 11 7 2 0 1 1 0 Le Moyen-Age 45 12 + 1 Dédra PARODIE 120 17 27 0 0 La vie à bord de la frégate Hermione 35 17 SC 0 0 16 2 1 Savoir Chère Traudi 5 5 Dédra 0 0 0 0 0 Des animaux ? 75 40 0 0 35 0 0 Le phasme (trad) 21 12 0 0 9 0 1 Narrateur Au fil des araignées 38 11 Masc 16 17 27 0 0 28 17 9 66 18 3 1 Im Sc Les bêtes qui crachent, qui 121 collent... à la mer Je ne peux pas le sentir ... 45 9 5 4 26 0 1 Im Sc Tomber d'en haut ! : la gravitation 11 5 0 0 8 1 0 Des molécules plein l'assiette... 43 16 8 16 22 5 0 De l'origine des mathématiques 30 0 0 6 17 7 1 Narratrice 130 Total occ Au coin du fourneau 186 Combien y en a-t-il ? : jeux 7 pour les 4-5 ans Fermes et campagnes 6 Des petits mots qui font les 334 grands Pourquoi les taupes ne portent-elles pas... 56 Fonctions affectives Fonctions d'apprentissage Fonctions éducatives 77 SC 41 0 3 6 0 7 SC 0 0 0 1 0 2 0 0 3 0 1 Im Sc 125 165 209 0 0 0 16 24 5 2 Narrateur Im Sc 10 10 + 21 Masc SC : scènes. Masc : mascotte. Dédra : dimension de dédramatisation. Im Sc : mise en scène des scientifiques 131 ANNEXE 8 Types de sentiments et d'émotions mis en scène Total des Amour Peur occurrences Attention Jalousie Colère 10 2 Humiliation Moquerie Autre(s) Jacques Prévert : Paris... Un tableau ... Le grand livre ... 2 1 4 1 Comment c'était ... Rome Le Moyen-Age La vie à bord ... 2 1 1 Chère Traudi Des animaux ? Le phasme (trad) 1 1 Au fil des araignées Les bêtes qui crachent... 18 1 4 Je ne peux pas le sentir ... 2 1 Des molécules ... 5 3 1 De l'origine ... 7 2 1 Au coin du fourneau 6 3 Combien y en a-t-il ? ... 1 6 2 5 1 Tomber d'en haut !... 1 1 3 1 2 1 Fermes et campagnes Des petits mots ... 8 3 1 2 Pourquoi les taupes ... 5 2 2 1 1 1 132 ANNEXE 9 Détails sur la fonction d'appartenance (formes humoristiques liées) Total des Références culturelles occur(détournées ou directes) rences Illustration Texte Titre Référence au quotidien Illustration Texte Jacques Prévert : Paris... 1 Titre 1 Un tableau ... 5 4 Le grand livre ... 2 Comment c'était ... 0 Rome 2 Le Moyen-Age 120 * La vie à bord ... 0 Chère Traudi 0 Des animaux ? 0 Le phasme (trad) 0 Au fil des araignées 16 4 Les bêtes qui crachent... 17 6 Je ne peux pas le sentir 5 2 Tomber d'en haut !... 0 Des molécules ... 8 De l'origine ... 0 Au coin du fourneau 41 Combien y en a-t-il ? ... 0 Fermes et campagnes 0 Des petits mots ... 165 45 Pourquoi les taupes ... 10 5 1 1 2 2 52 43 2 4 7 1 20 5 1 10 3 1 4 2 40 1 1 1 119 3 2 * Principe général du livre (parodie du style et des formes journalistiques) 133 ANNEXE 10 Détails sur la fonction d'intégration (exemples humoristiques associés) Total des occurrences Figuration des concepts Déclinaison comique des concepts et des connaissances Représentation Métaphores et Visualisation de l'invisible comparaisons (en des concepts gras : liées à l'humanisation) Jacques Prévert : Paris... 2 2 Un tableau ... 6 6 Le grand livre ... 20 Comment c'était ... 0 Rome 1 Le Moyen-Age 27 La vie à bord ... 16 Chère Traudi 0 Des animaux ? 35 35 8 Le phasme (trad) 9 1 16 Au fil des araignées 27 12 58 Les bêtes qui crachent... 66 5+3 24 Je ne peux pas le sentir 26 1 8 Tomber d'en haut !... 8 Des molécules ... 22 De l'origine ... 17 Au coin du fourneau 3 Combien y en a-t-il ? 0 Fermes et campagnes 3 Des petits mots ... 0* Pourquoi les taupes ... 24 1 15 1 24 1 2 15 3 3 24 * Ce documentaire constitue un cas particulier où l'humour joue une fonction d'accroche sous forme imagée, qui peut également fonctionner comme une intégration a posteriori. Si nous ne l'avons pas comptabilisé comme tel, remarquons cependant ici qu'il propose quelques éléments humoristiques qui relèveraient de la métaphore (12), et de la visualisation de l'abstrait (15), la majorité des exemples proposés renvoyant à une déclinaison comique (136). 134 ANNEXE 11 Informations complémentaires concernant les documentaires présentés Age cible (à partir de...) Mascottes Humanisatio Mise en scène n des enfants animaux Jacques Prévert : Paris la belle 10 ans Un tableau peut en cacher un autre 9 ans Le grand livre de la famille 8 ans Comment c'était avant les vacances 8 ans Rome 7 ou 8 ans Le Moyen-Age 10 ans La vie à bord de la frégate Hermione 9 ans Chère Traudi 11 ans Des animaux ? 9 ans oui Le phasme (trad) 3 ans oui Au fil des araignées 9 ans Les bêtes qui crachent, qui collent... à la mer 9 ans Je ne peux pas le sentir ... 11 ans Tomber d'en haut ! : la gravitation 7 ans Des molécules plein l'assiette... 10 ans De l'origine des mathématiques 13 ans Au coin du fourneau 9 ans Combien y en a-t-il ? : jeux pour les 4-5 ans 4 ans Fermes et campagnes 10 ans Des petits mots qui font les grands 10 ans Pourquoi les taupes ne portent-elles pas... 9 ans oui oui oui oui oui oui oui oui oui oui oui oui oui 135 ANNEXE 12 : Exemple de grille d'analyse documentaire Tomber d'en haut ! La gravitation (Ohé la science ! Ricochet) Page Forme d'humour Position humour Fonctions affectives Textuel Graphi Mixte Disc. ParaHum. de CLI-1 que Princ. discours l'entre 2 Contexte positif Couv. Titre 3 CLI-2 Implication affective X Ill. 4 X Scatologie (« voilà un caca d'oiseau qui tombe ») Ill. X 15 Détail X Comique situation (chien en parachute) 15 Ill. X Mésaventure (chute) 18 Détail X Détails incongrus (oiseau nichant sur la tête du garçon) Ill. APP-2 Entraînement cognitif Visualisation par exemple comique Humanisation chien X Visualisation (trajectoire des objets) Jeu avec les peurs (chute) Référence au quotidien (régime) Illustration des conséquences de l'apesanteur 21 Détail Intégration par exemple comique (oeuf au plat) 22 Détail 23 Ill. X Illustration des conséquences de l'apesanteur (comique situation : boisson qui flotte) 24 Ill. X Illustration des conséquences de l'apesanteur (comique postures) X ED-1 Réflexion identitaire Visualisation par exemple comique (incongruité présence éléphant) 6 20 APP-1 Accroche Fonctions éducatives Lapalissade (« tomber d'en haut ») X Ill. Fonctions cognitives Scatologie (papier WC) Nombre total d'occurrences humoristiques : 11 + titre principal Intégration par exemple comique (gris moyen : fonction majoritaire, gris clair : fonction fréquente) ED-2 Développement esprit critique BIBLIOGRAPHIE BALLANGER F., ANDRIEUX B, et al., « En avant les images », Revue des livres pour enfants n°175-176 (« L'illustration documentaire » p.61-68), 1997. BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002), [En ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm BARIAUD F. La genèse de l'humour chez l'enfant. 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A- De l'humour : approche théorique .......................................................... 1- En guise de définition ...................................................................... a- De l'humeur à l'humour ........................................................ b- Humour et comique ............................................................. c- La question de l'intentionnalité ............................................ d- Une approche psychologique de l'humour ........................... p.6 2- La perspective psychanalytique ....................................................... a- La théorie freudienne ........................................................... b- Wolfenstein : l'angoisse modérée, moteur de l'humour......... p.8 3- Humour et intelligence : l'approche cognitiviste …......................... a- Le rôle des incongruités ........................................................ b- Incongruités principales et secondaires …............................ c- Importance du contexte......................................................... p.10 4- L'humour des enfants ....................................................................... a- Stades de développement de l'humour …............................. b- Thèmes de l'humour enfantin ............................................... p.14 B- Humour et apprentissage .......................................................................... 1- Un outil au service des apprentissages ............................................. a- Climat propice aux apprentissages........................................ b- Connivence et complicité ..................................................... c- Aide à la mémorisation ......................................................... p.16 2- Un outil de développement cognitif ................................................. a- L'humour, facteur d'inattendu ............................................... b- Un outil d'intégration des concepts et d'entrainement cognitif ................................................................................. c- Développement de la pensée divergente et créativité …....... d- Son rôle dans le développement métacognitif ….................. p.17 p.7 p.8 p.10 p.12 p.15 p.18 3- Un outil éducatif dépassant la transmission de connaissances …..... p.19 a- Fonction d'appartenance : connivence et complicité …......... b- Une forme d'intelligence sociale ........................................... p.20 c- Un outil de régulation sociale ............................................... d- Un outil de construction identitaire ...................................... p.21 4- Les limites de l'humour en situation d'apprentissage …................... p.22 139 C- Humour et éducation …........................................................................................ p.23 1- Tradition de l'apprentissage ludique ................................................. a- Le jeu, le plaisir et les apprentissages …............................... b-Des pratiques marginales ....................................................... p.24 2- L'enfant et les apprentissages ........................................................... a- Apprendre dans le plaisir ...................................................... b- De l'importance d'être motivé .............................................. c- Prise en compte des spécificités de l'enfance ….................. p.25 3- On ne peut pas rire partout (humour, école et éducation) …........... p.27 II- LE DOCUMENTAIRE, TERRAIN D'OBSERVATION PRIVILEGIE DES PRATIQUES HUMORISTIQUES .......................................................................... p.29 p.26 A- La nature du projet documentaire .......................................................... B- Un message plurigraphique ..................................................................... p.30 1- Le rôle du paratexte dans le discours .............................................. a- Place des images au sein du discours de vulgarisation ….... b- Une mise en espace productrice de sens …........................ p.31 2- Fonction des images et procédures de visualisation de la vulgarisation ..................................................................................... p.31 a- Fonction d'information .......................................................... p.32 b- Fonction de transposition ...................................................... c- Fonction de visualisation ..................................................... p.35 C- Le documentaire, un genre en évolution .................................................. 1- Explosion du genre documentaire dans les années 1980.................. a- Le développement de l'édition jeunesse …........................... b- Le secteur documentaire ….................................................. c- Les caractéristiques du documentaire jeunesse …............... p.36 p.37 p.39 2- Le déclin actuel ............................................................................... D- L'humour documentaire, un champ de recherche peu exploré …........ p.40 PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES DE TRAVAIL ....................................... p.41 III- LE DISPOSITIF DE RECHERCHE PROPOSE ............................................. p.43 140 A- Enquête exploratoire au fil des sélections RLE ...................................... p.43 1- Les « sélections annuelles » de la Revue des Livres pour Enfants (RLE) ............................................................................................... 2- Objectifs de l'enquête exploratoire .................................................. p.44 3- Dispositif retenu .............................................................................. p.46 4- Les occurrences significatives ......................................................... 5- Validation de la démarche de repérage …........................................ p.48 B- L'analyse quantitative .............................................................................. p.49 1- Objectif et méthodologie de la recherche ........................................ 2- Corpus RLE retenu .......................................................................... 3- Résultats et analyse ......................................................................... p.50 C- L'analyse qualitative ................................................................................ 1- Objectif ............................................................................................ p.51 2- Corpus : la sélection RLE 2009 ....................................................... a- Une analyse des pratiques actuelles …................................. b- Le corpus humoristique extrait de la sélection 2009 : Résultats de la sélection par mots-clefs issus de l'enquête exploratoire ......................................................................... c- Les documentaires écartés de la sélection …....................... p.52 3- Les outils d'analyse ......................................................................... a- Modalités d'expression de l'humour …................................ b- Articulation avec le discours de vulgarisation …................. c- Fonctions de l'humour dans une optique de vulgarisation.... d- La grille d'observation des fonctions de l'humour …........... e- Validation de ces outils par double cotation ….................... p.54 p.55 p.58 p.59 p.60 p.70 4- Analyse des discours éditoriaux afférents ....................................... p.70 p.53 IV- RESULTATS DE L'ANALYSE QUALITATIVE ET VALIDATION DES HYPOTHESES DE RECHERCHE ......................................................................... p.72 A- Place et formes de l'humour dans le documentaire jeunesse ............... p.72 1- L'image, vecteur principal de l'humour …........................................ a- Un support privilégié ............................................................ b- L'image humoristique se situe essentiellement dans le p.73 141 discours périphérique ............................................................ c- L'image humoristique intégrée au discours principal : le cas le plus rare .............................................................................. p.74 2- L'humour textuel : un humour essentiellement périphérique …....... a- L'humour textuel se retrouve essentiellement dans les titres b- … Mais très rarement dans les éléments annexes …............ c- L'humour des textes : une figure fréquente, mais à petite dose ....................................................................................... p.76 3- L'humour de l'entre-deux ................................................................. p.78 4- Les indicateurs de contexte humoristique …................................... p.79 p.77 B- Les fonctions de l'humour (résultats de l'analyse) .................................. p.83 C- Rendre le savoir accessible : les fonctions affectives de l'humour......... 1- Un climat humoristique rassurant et stimulant (CLI-1) …............... a- Les thèmes liés à l 'humour de climat ….............................. b- Les formes principales de ce type d'humour ….................... c- Les scènes ............................................................................ d- Le rôle de l'humanisation .................................................... e- Une fonction de dédramatisation …..................................... 2- Si loin si proche : l'humour « réducteur de distance » entre le lecteur et le savoir présenté (CLI-2) …........................................... a- La connivence avec le lecteur ............................................. b- Les références culturelles convoquées …............................ c- Un climat évocateur, qui renvoie à l'expérience personnelle du lecteur et aux pratiques sociales de référence …............. D- Les fonctions cognitives de l'humour ..................................................... p.84 p.85 p.86 p.87 p.88 p.89 p.90 p.91 p.93 p.94 1- Mettre en questionnement : la fonction d'accroche (APP-1) …....... a- Une fonction secondaire de l'humour dans le corpus …....... b- Trois formes d'humour associées à la fonction d'accroche... p.95 c- Lien avec autres fonctions .................................................... p.96 2- Aider à la compréhension et à la mémorisation du discours scientifique : la fonction d'intégration (APP-2) …........................... a- Formes principales ............................................................... b- L'humour, outil de visualisation …...................................... c- L'humour comme déclinaison du thème évoqué p.97 p.98 142 (transposition) ...................................................................... p.102 E- L'humour, une fonction éducative au sens large...................................... p.105 1- Apprendre à se penser (ED-1) .......................................................... a- Jouer avec ses peurs (les émotions du lecteur) …................. b- Prendre conscience du rôle des sentiments et des émotions. c- Se décentrer : l'anthropocentrisme en question …................ p.106 p.108 2- Développer l'esprit critique (ED-2) ................................................. a- Quand l'humour interroge le savoir présenté …................... b- Une remise en cause du statut du discours savant …........... p.110 p.111 3- Une redéfinition du rapport à la science et au savoir …................... p.114 CONCLUSION............................................................................................................. p.117 ANNEXES ................................................................................................................... p.120 BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... p. 137 143