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EDITORIAL (ENGLISH) ................................... 4
CONCLUSION: MIXING SCALES AT THE TURN OF
THE MILLENIUM, ARTISTIC INPUT AND THE
HETEROGENISATION-HOMOGENISATION ISSUE. 53
LA STRATEGIE DE LA FERRAILLE:
PABLO, ANTONY, JOCHEN ET LES
FERRAILLEURS. ............................................... 7
TATE MODERN: ART VERSUS
STRATEGIE? LE MUSEE COMME LIEU DE
CRISTALLISATION AGONISTIQUE ........... 54
Thierry Dufrêne ............................................ 7
Daivy Babel ................................................ 54
ARTIFICES & STRATAGEMES POUR SEDUIRE LE
PUBLIC. L'ART, TELEOLOGIE DE LA STRATEGIE?55
ANCILLARISATION DE L'ART. L'ART, INSTRUMENT
DE LA STRATEGIE ............................................. 61
APORETIQUE AGON. LES STRATEGIES :
ONTOLOGIE DE L'ART?...................................... 65
EDITORIAL......................................................... 2
STRATEGIES INDEPENDANTES A L’ERE
DU POP................................................................. 9
Brigitte Aubry ............................................... 9
LE YOUNG GROUP ET L’INSTITUTE OF
CONTEMPORARY ARTS ...................................... 9
DESIGN, SCIENCE ET TECHNOLOGIE.................. 11
UN « CONTINUUM BEAUX-ARTS – ART POP ».... 12
LA FINE/POP SOUP ALTERNATIVE DE RICHARD
HAMILTON ....................................................... 13
LES JEUNES CONTEMPORAINS DU ROYAL
COLLEGE OF ART ............................................. 14
CONVERGENCE ESTHETIQUE ?.......................... 15
« SENSIBILITE POSTMODERNE » ....................... 16
UNRULY, DEVIOUS AND QUEER: A
CRITIQUE OF POST-WAR BRITISH
ARTISTS WITHIN BRITISH ARTIST
BIOPICS ............................................................. 18
David Bovey................................................ 18
FILMOGRAPHY ................................................. 25
STRATEGIE D’AUTOPROMOTION AU
ROYAUME-UNI DE 1960 A 1975 : LE CAS
D’ARCHIGRAM ............................................... 27
Eve Roy....................................................... 27
UNE CREATION PLASTIQUE ORIGINALE, DES
INFLUENCES MULTIPLES ................................... 29
La publicité ................................................. 29
L’art............................................................ 32
STRATEGIE DE COMMUNICATION ..................... 32
Les expositions ............................................ 33
Les publications .......................................... 35
LA QUESTION DE LA RECEPTION (OU L’ARECEPTION) ...................................................... 40
ARTISTIC STRATEGIES WITHIN
GLOCALISATION IN THE UNITED
KINGDOM ......................................................... 45
Gabriel Gee ................................................ 45
THE INDIVIDUAL/BODY SCALE ......................... 46
ARTISTS’ CORPORATION: THE STUDIO .............. 47
THE TUGGED AT MUSEUM ............................... 49
JUMPING THE SCALE: DOUBLE PERIPHERIES IN
THE 1980S ........................................................ 51
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
LA BRASSERIE TRUMAN ET LES ENJEUX
STRATEGIQUES DE L’EAST END ............... 72
Sophie Lefilleul........................................... 72
LES EMPREINTES DU PASSE .............................. 73
Histoire de la brasserie Truman ................. 73
Lieux industriels : un effet de mode ? ........ 74
CONTEXTE GEOGRAPHIQUE DU QUARTIER :
STRATEGIES ATTRACTIVES ............................... 75
Parcours de l’art ......................................... 75
Evénements d’art ........................................ 76
L’ART CAR BOOT FAIR : UNE QUESTION
D’ATTITUDE ..................................................... 76
Entre Boom, fête foraine et marché aux
puces ........................................................... 76
Art ou artisanat ? ........................................ 77
Génération yBa ........................................... 78
PRESENCE ET REVANCHE D’UNE SCENE LOCALE ?
......................................................................... 79
Empreinte historique .................................. 79
Empreinte géographique ............................ 79
Empreinte de mixité culturelle ................... 80
CONTRIBUTEURS........................................... 82
CONTRIBUTORS (ENGLISH): ...................... 84
2
s’efforce de développer des partenariats avec
d’autres laboratoires et universités, afin de
faciliter les passerelles disciplinaires et d’en
interroger les limites. L’interdisciplinarité et
les transferts de connaissance sont devenus les
maîtres-mots de nombreux projets, et One
Piece at a Time souhaite investir cet ancrage
méthodologique par une mise en action, ou
plutôt une mise à l’épreuve de la validité et de
l’efficience de ces notions éculées.
La journée d’étude du 19 juin
inaugurait donc une série de questionnements
à la fois sur le champ des arts britanniques, et
sur les méthodologies employées pour les
Editorial
analyser. Elle proposait un dialogue privilégié
Ce premier numéro de Pied-à-terre réunit les
actes de la journée d’étude du 19 juin 2009
organisée à l’Institut National d’Histoire de
l’Art par l’association One Piece at A Time en
collaboration
avec
l’université
Paris
X.
L’association, créée en 2008, a pour but de
discuter des spécificités des arts en territoires
britanniques
chercheurs,
avec
des
des
étudiants,
universitaires
et
des
des
professionnels, afin de favoriser la circulation
des savoirs et des travaux à différents
moments de leur élaboration. Elle propose une
étude des arts à partir des croisements de
perspectives provenant de différentes histoires
de l’art, de chercheurs travaillant dans le
champ élargi des sciences humaines, ainsi que
des départements anglophones qui ont en
particulier longtemps été les principaux
instigateurs de recherches sur l’histoire des
arts britanniques . Ainsi, One Piece at a Time,
domiciliée au laboratoire du CIRHAC de
l’université
Paris
1
Panthéon-Sorbonne
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
avec le département d’histoire de l’art de
l’université de Paris Ouest Nanterre La
Défense. Comment relire les arts britanniques
en portant l’héritage de Pierre Francastel, et de
la sociologie de l’art la plus contemporaine ?
Quelles histoires de l’art britannique sont
offertes par cet échange placé sous le regard
de Thierry Dufrêne et discutées par des
intervenants issus de traditions critiques
différentes ?
Cette interrogation méthodologique
posée aux arts britanniques est toutefois
soumise à un positionnement de One Piece at
a Time, à propos des enjeux des mondes de
l’art contemporains. En ce sens, Howard
S. Becker (Les Mondes de l’art, 1982) et Bruno
Latour (La science en action, 1989, Changer
de société, refaire de la sociologie, 2005)
apparaissent comme les figures tutélaires de
l’ensemble des projets de l’association, qui
associent une prise en considération des
réseaux de relations qui déterminent les
conditions d’émergence, de visibilité et de
3
réception des œuvres d’art, et une présence
Pop
touche de l’interdisciplinarité. « Le sort des
attention sur la représentation de l’artiste dans
constante de l’histoire en tant que pierre de
faits et des machines est entre les mains de
longues
chaînes
d’acteurs
qui
les
transforment ; leurs qualités sont donc la
conséquence, et non la cause, de cette action
collective »1.
La création de l’Arts Council en 1946
modifie le paysage culturel britannique de la
subvention publique, qui ne cesse de croître et
connaît une apogée dans les années 1960 et
1970 alors privilégiant un art social. Les
coupes budgétaires que Margaret Thatcher
inflige
au
secteur
public,
et
l’esprit
d’entreprise qui souffle sur le pays, engendre
une forme de privatisation de la culture.
Lorsqu’en 1994, un fond dédié au secteur
culturel est tiré des bénéfices de la Loterie
Nationale, Tony Blair relance la donne des
relations
entre
politiques
culturelles
et
privées
et
positionnement des artistes, mais également
des
institutions
culturelles
publiques. Face à ces contingences politiques,
l’artiste se situe, se retire, résiste, et met en
place des outils de promotion ou de visibilité.
Cet entrelacs de nécessités entre les différents
acteurs du monde de l’art dessine une histoire
des stratégies artistiques contemporaines en
Grande-Bretagne.
À l’aune d’un changement des rapports entre
beaux-arts et culture de masse, Brigitte Aubry
nous montre comment l’Independant Group,
fondé par Richard Hamilton et Edouardo
Paolozzi, négocie le passage du surréalisme au
1
Bruno Latour, La science en action,
introduction à la sociologie des
sciences, (1989) Paris, Poche, La
découverte, 2005, p.629
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
art
au
cœur
de
l’Institute
of
Contemporary Art. David Bovey concentre son
la société britannique à partir de films
biographiques qui leur sont consacrés. Eve
Roy retrace le parcours des jeunes architectes
d’Archigram et la médiatisation de leur projet
par la pratique d’une auto-promotion. Gabriel
Gee fait le point sur le changement de
l’éventail stratégique à la disposition de
l’artiste induit par les développements de la
globalisation dans la seconde moitié du 20e
siècle. Daivy Babel propose une lecture de la
posture critique avancée par la Tate Modern
et met en avant ses contradictions tant au
niveau des politiques curatoriales, de la
gestion des publics, ou de la définition de l’art
qu’il soutient, tandis que Sophie Lefilleul
observe le champ de l’art dans le quartier du
East End à Londres, en dégageant les
entrecroisements des stratégies artistiques
locales avec le contexte géographique en
partant de l’analyse historique de la Brasserie
Truman,
Pour la parution de ce premier numéro de
Pied-à-terre,
nous
tenons
à
remercier
chaleureusement les contributeurs, qui ont
bien voulu s’associer à notre effort pour
donner
plus
de
corps
encore
aux
interventions et discussions de juin 2009,
ainsi qu’aux travaux de notre groupe d’études
interdisciplinaire en arts britanniques. Nous
remercions
également
l’Institut
National
d’Histoire de l’Art, qui nous avait reçus lors de
cette rencontre inaugurale, et l’université
Paris X sous les auspices de laquelle celle-ci se
tenait. Nous sommes en particulier très
reconnaissant à Thierry Dufrêne, professeur à
4
l’université Paris X et responsable des
relations internationales à l’INHA, d’avoir eu
Editorial (E
(English)
la gentillesse d’ouvrir nos débats, et de se
joindre à nous une nouvelle fois pour la
parution de ce premier numéro, avec une
belle introduction autour de la ‘stratégie de la
ferraille’ qui nous propulse habilement tant
This first issue of Pied-à-terre presents the
proceedings of the conference organised on the
19th of June 2009 by the association One Piece at a
Time and the université Paris X at the Institut
vers les desseins d’une histoire élargie que
national d’histoire de l’art in Paris. Created in
espérons étendues et prolifiques. Pour ce Pied-
and discussion between students, academics and
vers un avenir de collaborations que nous
à-terre numéro 1, nous devons également
remercier
tout
particulièrement
Vincent
Fradet, qui a conçu la couverture de ce
numéro et réalisé la cible tournante qui vient
l’annoncer si fortement. Nous lui sommes
largement redevables de son travail de
typographie et de mise en page méticuleux,
comme de l’inspiration personnelle qu’il
apporte à cette revue. Enfin, on nous
compterait pour malheureux si nous oublions,
pour la parution d’une revue ‘en ligne’, de
saluer et remercier Emmanuel Wiesenfield, le
webmaster de l’association, sans lequel nos
efforts seraient loin d’avoir la même allure !
Sophie Orlando & Gabriel Gee
Pied-à-terre, printemps 2010, n.1
One Piece at a Time,
Groupe d’études interdisciplinaires en arts
britanniques (GEIAB),
Tous les textes sont la propriété de leurs
auteurs respectifs,
Design de la couverture et visuel : Vincent
Fradet
2008, the association aims to facilitate the research
professionals on the arts produced and exhibited
in the United Kingdom. It fosters a study of the arts
promoting
an
intermingling
of
different
perspectives, stemming from different traditions in
art history, from an enlarged field in human
sciences, and from departments in English studies
which for a long time in France where the main
instigators of research on the history of art in the
United Kingdom and Ireland. Thus One Piece at a
Time, attached to the laboratory CIRHAC at the
université Paris I Panthéon-Sorbonne, endeavours
to develop partnerships with other laboratories
and universities, in order to promote as well as
question
interdisciplinary
approaches
and
connections. Interdisciplinary criss-crossing and
translation of knowledge have become founding
stones for numerous projects, and One Piece at a
Time aims to assess these methodological outputs
by setting them in action, and questioning their
validity and efficiency.
The conference on artistic strategies of
June 2009 thus launched the beginning of a series
of interrogations on the fields of British art, as well
as on the methodologies employed to analyse them.
It proposed a privileged discussion with the
department of art history of the université Paris
Ouest Nanterre La Défense. It reflected on how to
read the history of British art with the legacy of
Pierre Francastel as well as the contributions of the
most recent sociology. Benefiting from Thierry
Dufrêne’s outlook, it also reflected on the forms of
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
5
art
history
contributors
traditions.
was,
and
discourses
belonging
This
to
different
methodological
however,
derived
employed
by
critical
interrogation
from
a
critical
positioning from One Piece at a Time on the
issues confronting modern and contemporary
world of arts. To some extent, Howard S.
Becker (Art Worlds 1982) and Bruno Latour
(La science en action 1989, Changer de
société, refaire de la sociologie 2005) stand as
inspiring figures for the projects of the
association, which combine an attention to the
networks which determine the conditions of
emergence, visibility and reception of art
works, and a perennial presence of history as
a testing grid of interdisciplinary approaches:
“the outcome of facts and machines is in the
hand of a long line of actors which contribute
to transform them; their characteristics are
consequently the result and not the cause of
this collective action”2.
The creation of the Arts Council in
1946 brought a change into the landscape of
public subsidies, which grew to reach a
climax in the 1960s and 1970s, at a time
when socially engaged art was in favour. The
funding cuts imposed to the public sector by
Margaret Thatcher’s government, as well as
the entrepreneurial spirit of the 1980s,
brought along a form of privatisation of
culture. When in 1994 a dividend from the
National Lottery was attributed to the cultural
sector, Tony Blair changed the balance
between
cultural
policies
and
artists’
2
Bruno Latour, La science en action,
introduction à la sociologie des
sciences, (1989) Paris, Poche, La
découverte, 2005, p.629
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
positions, as well as between private and
public cultural institutions. Confronted to
these political contingencies, artists take sides,
disengage themselves, resist and set up tools of
promotion and visibility. This intermingling of
necessities between the different actors in the
art world outlines a history of contemporary
artistic strategies in the United Kingdom.
Prior to a change in the relations
between fine art and popular mass culture,
Brigitte
Aubry
underlines
how
the
Independent Group set up by Richard
Hamilton and Eduardo Paolozzi negotiated the
passage from surrealism to pop art at the
heart of the Institute of Contemporary Art.
David Bovey focuses on the representation of
the artist in British society from a study of
biographical films. Eve Roy recounts the
development of the young architects who
created Archigram, and the mediation of their
project through a strategy of self-promotion.
Gabriel Gee analyses the change in the prism
of strategies available to the artist in relation
to the development of globalisation in the
second half of the 20th century. Daivy Babel
proposes a reading of the critical stance
adopted by the Tate Modern, and puts
forward its contradictions in terms of
curatorial policies, of handling of audiences,
and in terms of the very definition of the art it
supports. Finally, Sophie Lefilleul looks at the
art field in the East End in London and in
particular
at
the
Truman
Brewery,
underlining the interlacing of local artistic
strategies with geographical contexts and
layers.
6
For the publication of this first issue of
Pied-à-terre, we would like to express our
gratitude to the contributors, who agreed to
join us in giving further substance to the
interventions and discussions of June 2009, as
well as the matrix of One Piece at a Time. We
would also like to thank the Institut national
d’histoire de l’art which had welcomed our
maiden conference, and the université Paris X
with which we co-organised the event. We
are particularly grateful to Thierry Dufrêne,
professor at the université Paris X and in
charge of the international relations at the
INHA, who kindly agreed to launch our
debates, and to join us once more for the
publication of this first issue, for which he
provides a skilled introduction on the ‘strategy
of scrapheap’, propelling us towards the
designs of an enlarged history as well as a
collaborative future we hope to be fruitful. For
this first issue of Pied-à-terre, we are also
deeply thankful to Vincent Fradet, who
designed the cover of this issue and made the
spiralling target which announces it so boldly.
We are indebted to him for his work on
typography and page design as well as the
contribution from his personal inspiration.
And last but not least, with regard to the
‘online’ nature of this publication, we would
be unworthy if we did not present our thanks
to Emmanuel Wiesenfeld, the webmaster of
One Piece at a Time, without whom this
publication would not appear as it does, by
far.
Sophie Orlando & Gabriel Gee
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
7
La stratégie de la ferraille: Pablo, Antony, Jochen et les
ferrailleurs.
Thierry Dufrêne
Introduire la nouvelle revue que lancent au nom du GEIAB Sophie Orlando et Gabriel
Gee est un privilège et un plaisir d'autant plus grands qu'il suffit d'en consulter le
sommaire pour comprendre son orientation pluridisciplinaire, internationale et
résolument tournée vers les interrogations de la recherche la plus actuelle.
N'étant pas, tant s'en faut, un historien de l'art britannique, j'aurais néanmoins
pu proposer quelque sujet sur Giacometti et Bacon – que je connais mieux ! –, quelque
chose comme un ‘Looking for Alberto’. Mais c'est sur la notion de ‘stratégie artistique’
mise en exergue par ce numéro que je veux apporter une très modeste contribution1.
J'utilise l'expression de ‘stratégie de la ferraille’2 pour désigner l'effort de
redressement d'une région en crise par une politique artistique volontariste qui convertit
les anciens bâtiments industriels (souvent métalliques) en nouveaux lieux de création
artistique, et les produits miniers ou manufacturés en signifiantes matières premières de
l'art. Depuis peu, cette stratégie semble faire place à une ‘stratégie de l'arbre’ plus
conforme aux idéaux écologiques de notre époque, même si ce glissement n'est peut-être
qu'un déplacement de la même problématique de l'usage de la ‘stratégie de l'art’.
J'emprunterai mon point de départ à mon ami et collègue Peter Read qui a
consacré un livre en 1996 au Monument à Apollinaire de Picasso3. Aujourd'hui, l'œuvre
qui porte ce titre est une tête en bronze de Dora Maar faite par l'artiste en 1941 et dédiée
à Apollinaire lors de son installation dans le jardin de l'église Saint-Germain des Prés à
Paris en juin 19594. Si l'œuvre va bien avec le milieu germanopratin (une femme, une
muse), le projet initial, comme le montre Read dans sa patiente enquête à travers Figure
(1927-28) puis Femme au jardin (1931-32) était plus proche d'un « tas de ferrailles »,
selon l'expression d'André Salmon, que Picasso souda avec l'aide de son ami le sculpteur
Gonzalez. De surcroît, cette sculpture devait être largement transparente, comme une
structure à claire-voie, hommage au « monument en rien » qu'avait imaginé Apollinaire
dans son ouvrage Le Poète assassiné.
En 1998, Antony Gormley élève à l'entrée sud de Gateshead son incroyable Angel
of the North (Ange du Nord). Moulé sur son propre corps avant d'être en somme
dépersonnalisé, ce corps objet dans l’espace mais qui contient de l’espace (grâce à
l'envergure de ses ailes métalliques) a été réalisé grâce à l'assistance technique d'Ove
Arup et associés, qui avaient 20 ans plus tôt assisté Renzo Piano et Richard Rogers pour
édifier l'architecture de verre et de métal du Centre Georges Pompidou à Paris. Par son
accueil de l'espace, l'œuvre monumentale de Gormley n'est pas sans rapport avec le
premier projet de Picasso pour Guillaume Apollinaire, sculpture creuse (« statue en
1
Ce faisant, je m'appuierais sur l'excellente thèse de Gabriel Gee: La création et ses formes dans le contexte
socio-politique de la Grande-Bretagne. Le champ artistique dans le nord de l’Angleterre des années 1980 au
début du 21e siècle, Paris Ouest Nanterre La Défense, 2008.
2
A ne pas confondre, bien entendu, avec la politique de la "Dame de fer", qui en est l'exact opposé !
3
Peter Read, Picasso et Apollinaire. Les métamorphoses de la mémoire, Paris, Jean-Michel Place, 1995.
Traduction anglaise révisée : Picasso and Apollinaire. The Persistance of Memory, University of California
Press, 2008.
4
André Breton et les Surréalistes ont organisé un chahut pour protester contre cette annexion de la mémoire
d'Apollinaire par une sculpture finalement si conventionnelle, sans savoir probablement que le monument
prévu à l'origine par l'artiste était tout différent et de nature à rencontrer l'œuvre du poète.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
8
rien »).
Dans son analyse de l'Ange du Nord, Paul Usherwood explique que Gormley a
produit un lieu qui fait sens (ou encore un sens pour un lieu)5. Ce « corps étendu par la
technologie » (Gormley), qui se sent pousser des ailes, fonctionne désormais comme le
signe d'une région qui reprend son envol après la crise de son industrie, un symbole à
l'instar de la Tour Eiffel ou de la Statue de la Liberté. Faussement issue du sol, la sculpture
incarne la rencontre magique entre un destin de créateur et le remembrement d’une
région qui a besoin de s’identifier à autre chose que son passé tout en le mythifiant
comme refondateur de son identité (publicité et tourisme). L'Ange du Nord est à
Gateshead ce que le film « Les Ailes du désir » (« Himmel über Berlin ») de Wim
Wenders – dans lequel l'ange chu sur le sol reçoit sur le front son casque de métal, qui
fait jaillir la goutte de sang qui prouve qu'il est vivant et marque l'entrée de la couleur
dans le film – est à Berlin. Il est aussi à Gateshead ce que les ailettes en titane de
l'architecture baroque (conçue comme un dessin retravaillé à l'ordinateur) du musée
Guggenheim conçu par Franck Gehry sont à Bilbao. Une pulsation nouvelle.
Récemment, cette ‘stratégie de la ferraille’ semble s'être convertie en une
‘stratégie de l'arbre’. J'en prendrai, pour finir, un seul exemple, celui de l'œuvre
amaptocare (2003-2013) de l'artiste allemand Jochen Gerz, installé désormais à
Dublin6. A Ballymun, au nord de Dublin, dans une banlieue pauvre proche de l'aéroport,
l'artiste a invité les habitants, pourtant pauvres, à acheter des arbres pour l'espace public
: « Chacun pouvait choisir où, dans les rues et dans les places, planter son arbre. Dès les
premiers exemplaires achetés, j'ai rencontré leurs donateurs pour leur poser la question
suivante: ‘Si l'arbre pouvait parler, que dirait-il de vous ?’ J'ai écrit ensuite leurs réponses
avec leurs mots, aussi fidèlement que j'ai pu et chacune a été imprimée sur une plaque
émaillée, qui a été posée à côté de l'arbre nouvellement planté. »
Lorsque l'œuvre sera inaugurée, en 2013, si la crise actuelle ne conduit pas à
l'arrêt du projet, cette banlieue se sera transformée grâce à la participation active des
habitants à un travail artistique. La stratégie s'est faite action collective.
5
Paul Usherwood, “Landmark Sculpture in the Age of Publicity”, dans Lectures de la ville, Actes du colloque
de Newcastle-upon-Tyne, septembre 1999, sous la direction de Gilbert Bonifas, pp. 119-29, Nice, association
des publications de la faculté des lettres de Nice, 2000.
6
Voir "Entretien avec Jochen Gerz", in cat.expo Performing the City. Actions et performances artistiques
dans l'espace public 1960-1980 (T.Dufrêne, dir.), Paris, INHA, 2008, p.10-17. Sur amaptocare, p.14-17.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
Stratégies indépendantes
indépendantes à l’ère du Pop.
Brigitte Aubry
Les années cinquante en Angleterre constituent un moment clé dans le sens d’un
changement de valeurs et une « transition1 » vers les sixties, la forte insularité de l’art
anglais se trouvant amoindrie au profit d’une ouverture aux réalisations d’autres pays.
Plus globalement, cette décennie est vue comme une charnière historiographique, car si
elle débute en pleine guerre froide et demeurera marquée comme le reste du monde par
la menace d’un anéantissement nucléaire, elle voit aussi s’achever le rationnement en
1954, les prémices d’une nouvelle société consumériste dessinant un horizon plein de
promesses.
Rétrospectivement, l’artiste Richard Hamilton fait le constat suivant : « Un
changement total dans le style de vie de l’humanité s’opérait, et je pense que l’I.G. était
important dans le sens où, d’une certaine manière, nous savions que cela était en train de
se produire – et peu de gens le savaient2. » Organisation dissidente au sein de l’Institute
of Contemporary Arts (I.C.A.), l’Independent Group (I.G.) a pris la mesure des nouvelles
valeurs qui transformaient la société d’après-guerre et tenté d’en saisir les effets sur le
champ culturel et artistique britannique. Hamilton, qui en fut partie prenante, est
considéré avec Eduardo Paolozzi comme l’un des pères du Pop Art anglais, dont on
s’accorde pour dire qu’il apparaît publiquement en 1961 dans les œuvres produites par
de jeunes peintres formés au Royal College of Art de Londres. Pourtant, un fossé est
creusé entre les investigations conduites par les acteurs de l’Independent Group, et celles
qui voient le jour, quelques années plus tard, dans les ateliers de David Hockney, Peter
Phillips, et les autres.
Le Young Group et l’Institute of Contemporary Arts
Trois personnalités proches du surréalisme avaient été à l’origine de l’I.C.A., en janvier
1946 : le Belge E.L.T. Mesens, l’artiste et collectionneur Roland Penrose, et l’influent
critique Herbert Read qui en fut le premier président. Bien que les préférences de ce
dernier soient allées au surréalisme, Read soutenait l’avant-garde en général et était
connu pour ses nombreux écrits qui constituaient alors les travaux les plus pointus sur
le sujet en Angleterre3. Prenant modèle sur sa version américaine, le Museum of Modern
Art (MoMA) de New York fondé en 1929, l’I.C.A. finalisait le projet forgé avant la guerre
d’un musée d’art moderne à Londres, comme l’indique sa première appellation : The
Museum of Modern Art Scheme. S’agissant d’un musée dévolu à l’art du XXe siècle,
l’Institute of Contemporary Arts se distingue des organes institutionnels comme l’Arts
Council (qui le dotait néanmoins financièrement), en ouvrant une nouvelle voie à la
création artistique en Angleterre ; une orientation considérée comme élitiste par sa
promotion de la modernité européenne comme l’attestent les deux expositions
marquantes présentées en 1948 : Forty Years of Modern Art : 1907-1947. A Selection
from British Collections, et 40,000 Years of Modern Art.
1
Voir notamment Martin Harrison, Transition : The London Art Scene in the Fifties, catalogue d’exposition,
Londres, Merrel (Barbican Art), Barbican Art Gallery, 2002.
2
Richard Hamilton, « The Apollo Portrait : Richard Hamilton », entretien avec James Hall, vol. 131, n° 336,
février 1990, p. 104.
3
Voir Benedict Read, David Thistlewood (éd.), Herbert Read : a British Vision of World Art, Londres, Lund
Humphries, 1993.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
10
Ce qu’on appela d’abord le Young Group, aurait été créé à l’initiative d’Eduardo
Paolozzi4 et Richard Hamilton5. Rapidement, il réunit d’autres artistes (Magda Cordell,
Nigel Henderson, John McHale, William Turnbull), des critiques (Lawrence Alloway6,
Reyner Banham7, Toni del Renzio), et des architectes (Geoffrey Holroyd, Alison et Peter
Smithson, James Stirling, Colin St John Wilson). Connue sous l’intitulé Bunk8, et
organisée en avril 1952 dans la galerie de l’I.C.A. par le photographe Richard Lannoy,
séparément du programme principal de l’Institut, une intervention de Paolozzi marqua
la première réunion officielle du Young Group.
À Paris, capitale de cet art moderne pour lequel la Slade n’avait que « dédain », où
il séjourna de l’été 1947 à l’automne 1949, Paolozzi avait affirmé son vif intérêt pour le
surréalisme, par ses rencontres avec certains des leaders de l’avant-garde. Développant
son travail sculptural, et une pratique collagiste qu’il avait débutée à la fin des années
quarante, il avait aussi donné un tour nouveau à une activité plus intime – la collecte de
matériel populaire qu’il amasse dans ses « archives »9. De retour à Londres, lorsqu’il est
sollicité pour intervenir dans le programme de l’I.C.A. réservé au groupe de jeunes gens
dont il fait partie depuis peu, c’est un aperçu de sa collecte visuelle qu’il décide de
présenter à un auditoire restreint. Les images que l’artiste pose directement sur la vitre
chaude d’un épidiascope, pages individuelles et collages sommaires, étaient d’une grande
diversité iconographique, ainsi que le rapporte Diane Kirkpatrick : « Diagrammes,
télévision, détails de circuits, planche d’insignes de l’aviation de l’US Army, page de
bande dessinée de Disney, une publicité pour bijou d’un magazine de 1938, un gorille
portant une demoiselle en pâmoison, un robot agité versant du café à un modèle de
vénusté féminine très légèrement vêtue’… »10.
Rétrospectivement, on retiendra surtout le caractère « Pop » de la sélection visuelle
de Paolozzi, celui-ci témoignant il est vrai d’un intérêt précoce pour une imagerie qui
devait être la source d’un nouvel art. Mais alors que la majeure partie de sa production
est sculpturale11, celui-ci réfutera avoir été à l’origine du Pop Art, insistant volontiers sur
les racines européennes de son art et sur l’inspiration surréaliste de ses collages – qui, du
reste, est essentielle à son travail plastique12. Bunk mettait d’abord en évidence ce qui
constituait l’intérêt fédérateur des membres du Young Group : suivant une curieuse
analogie, les images et les domaines qu’elles recouvrent, du bricolage à la sciencefiction, en passant par Disney, les machines, les films hollywoodiens, etc., et une volonté
farouche de ne pas rompre les liens entre l’expérience vécue et l’art – laquelle était
particulièrement soutenue chez Paolozzi. Son « épidiascope » fonde ainsi le cadre
4
Né à Leith en 1924, de parents italiens, et fait Chevalier en 1989, Sir Eduardo Paolozzi est décédé en 2005.
Il étudia à la Slade School of Art de Londres de 1944 à 1947.
5
Né à Londres en 1922, c’est après son service militaire qu’Hamilton posa sa candidature pour la prestigieuse
Slade School of Art, où il acheva ses études de 1948 à 1951.
6
Né en 1926, Lawrence Alloway est décédé en janvier 1990.
7
Alors critique pour la revue Architectural Design, Reyner Banham est né en 1922 et décédé en 1988.
8
L’expression « Bunk ! » fait référence à la fameuse déclaration de Henry Ford (le fondateur de la Ford
Motor Company) rapportée en 1916 dans le Chicago Herald Tribune : « History is more or less bunk. We
want to live in the present. » [trad.] « L’histoire c’est plus ou moins de la foutaise. Nous voulons vivre dans le
présent ». Dans un entretien avec Daniel Abadie, Paolozzi confirmera l’origine du titre de son album de
gravures (Bunk, 1972), qui sera repris a posteriori pour désigner sa « conférence » (Eduardo Paolozzi, Un
siècle de sculpture anglaise, catalogue d’exposition, Paris, Jeu de Paume, 1996, p. 191).
9
Voir les étonnantes archives « ouvertes » de Paolozzi conservées au Victoria and Albert Museum de
Londres : « Krazy Kat Arkive of Twentieth Century Popular Culture » et « Small Things », Archive of Art
and Design, AAD/1985/3, AAD/1989/5.
10
Diane Kirkpatrick, Eduardo Paolozzi, Londres, Studio Vista, 1970, p. 84.
11
Ce qu’exprime joliment Jonathan Fineberg qui qualifie la pratique du collage par Paolozzi de « sculpture
dans un espace adimensionnel ». Voir Jonathan Fineberg, « Le collage de Paolozzi : sculpture dans un espace
adimensionnel », Un siècle de sculpture anglaise, op. cit., p. 171-179.
12
Voir notamment Robin Spencer (éd.), Eduardo Paolozzi : Writings and Interviews, Oxford, Oxford
University Press, 2000.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
11
structurel des débats du futur Independent Group, tout en frayant la voie à un certain
nombre de propositions théoriques dont la plupart seront mises en évidence et
développées par Lawrence Alloway13, qui en sera le critique principal.
Design, science et technologie
En grande partie confidentiel eu égard à ses assemblées privées dont l’auditoire était
convoqué sur invitation, c’est en 1953 qu’il est fait mention de l’Independent Group
dans le programme officiel de l’I.C.A. Un hiatus d’une année et demie séparera la
première session de réunions – de septembre 1952 à juin 1953 –, de la seconde.
« Association d’esprits dissemblables14 », les membres de l’I.G. sont animés par la volonté
commune d’explorer un nouveau climat culturel, et souhaitent remettre en cause les
hiérarchies artistiques en vigueur15. Aussi, bien qu’ils refusent également de s’accorder
avec les visées élitistes affichées par l’establishment britannique (qu’incarnait, entre
autres, l’historien d’art et commissaire d’expositions, Kenneth Clark), les objectifs de ces
nouveaux venus devaient singulièrement différer de ceux des fondateurs de l’Institut.
Penrose et Mesens maintenaient que son rôle consistait à éduquer le public et à lui faire
comprendre les accomplissements de l’avant-garde européenne – qu’ils pensaient euxmêmes ne pas pouvoir être dépassés ; les membres de l’Independent Group abordent en
revanche la modernité (en particulier le futurisme, Dada, et le surréalisme) comme le
point de départ d’une approche plus globale, en faveur d’une analyse culturelle
renouvelée. Ainsi, l’idée forte du groupe sera de parvenir, écrit Anne Massey, à une
« nouvelle compréhension de la modernité,, qui insiste sur l’histoire de la science et de la
technologie, et se glorifie du désordre de l’existence humaine par opposition à la
préciosité intemporelle de l’art métaphysique16 ».
D’une façon générale, les premiers débats de l’Independent Group, convoqués
par Banham et prolongés par des conférences données dans le cadre des séminaires de
l’I.C.A., dessinent les contours d’une approche pragmatique forgée en opposition à celle,
« idéaliste » (basée sur des critères de beauté universels), qu’incarnaient alors les écrits
de Sir Herbert Read. Présentée en septembre 1953 à l’I.C.A., l’exposition Parallel of Life
and Art imaginée par les Smithson, Paolozzi et Henderson, en est une illustration
probante : agencée comme une vaste toile d’araignée suspendue au plafond, elle se
compose exclusivement de 122 photographies en noir et blanc collées sur carton,
lesquelles montrent aussi bien des œuvres de Paolozzi, Henderson, et Picasso, que
Jackson Pollock au travail sur les célèbres clichés d’Hans Namuth publiés dans Life, ou
des radiographies, des vues d’astronomie, et des scènes tribales. Témoignant du nouvel
environnement visuel et uniformisant généré par l’appareil-photo, Parallel of Life and
Art s’opposait « brutalement » à la vision puriste défendue par l’Institut. Une autre
exposition a valeur de démonstration. Conçue par Hamilton, en collaboration avec
Banham, comme une « étude visuelle de la relation de l’homme avec le mécanisme du
mouvement », Man, Machine and Motion se trouve d’abord montrée en mai 1955 à la
13
À l’instar de Banham, Alloway n’avait pas été invité à cette première réunion– ce qui n’enlève rien à son
réel intérêt et à son analyse enthousiaste et le plus souvent convaincante de l’œuvre de Paolozzi.
14
Richard Hamilton, Collected Words (1953-1982), Londres, New York, Thames and Hudson, 1982, p. 22.
L’ouvrage se trouve abrégé ci-après en CW.
15
Dans le film documentaire Fathers of Pop, réalisé par Reyner Banham (pour le scénario) et Julian Cooper
(à la mise en scène), pour la BBC en 1979, conservé aux Archives de l’Arts Council (Londres), Hamilton
rapporte ceci : « Kenneth Clark a envoyé une lettre disant que Victor Pasmore était l’un des six meilleurs
artistes d’Angleterre, et sitôt qu’il eut dit les six meilleurs, vous aviez immédiatement les cinq autres. Henry
Moore, John Piper, Ben Nicholson…, et vous pouviez les cocher sur vos doigts et arriver à Pasmore. J’avais
en horreur – et je pense la plupart d’entre nous –, l’idée qu’il existait une création de ce genre qui puisse être
aussi précise sur ce qu’était l’art anglais. » (Notre transcription, p. 2).
16
Anne Massey, The Independent Group : Modernism and Mass Culture in Britain 1945-59, Manchester,
Manchester University Press, 1995, p. 33.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
12
Hatton Gallery du King’s College, (dépendant de l’université de Durham jusqu’en 1963),
située à Newcastle où Hamilton enseignait. Comme Parallel of Life and Art, elle ne
comprend que des photographies, et bien qu’elle s’en distingue par son contenu
iconographique spécifique et son organisation rigoureuse, Man, Machine and Motion
prouvait aussi que l’art faisait partie d’une totalité informationnelle commune à
l’ensemble de la culture.
Un « continuum beauxbeaux-arts – art pop »
En 1955 (de février à juillet), Alloway et McHale prennent la direction des débats. Les
réflexions du groupe s’orientent alors clairement sur les produits des technologies
médiatiques, car le « seul sujet susceptible de retenir l’attention de l’I.G. et d’intéresser
l’I.C.A. dans son ensemble était bien, selon eux, la culture populaire17 ». « Des années
trente aux années soixante, les débats concernant la culture populaire tendaient à
tourner, souvent de façon obsessionnelle, autour de deux termes clés : l’‘américanisation’
et le ‘processus de nivellement par le bas’18. » Suivant l’analyse du critique culturel Dick
Hebdige, le thème choisi par le duo n’avait rien d’un sujet neutre à cette époque, les
critiques britanniques s’associant pour défendre la culture contre le « spectre de
l’américanisation » et séparer le « sérieux » du « populaire »19. À rebours de cette
« aversion commune à la plupart des intellectuels, les membres de l’Independent Group,
résume Alloway, acceptent la culture commerciale comme un fait donné, la discutent en
détail, et la consomment avec enthousiasme. Ces discussions eurent pour résultat,
ajoute-t-il, une prise de conscience du fait que la culture Pop se situait hors du domaine
de l’‘évasion’, de la ‘distraction pure’, de la ‘détente’, qui conduisit le groupe à la traiter
avec le sérieux dû à tout art20. »
Peu à peu se trouve donc élaborée une nouvelle manière d’aborder l’art, qui tient
compte des profonds changements intervenus dans le domaine culturel après la guerre.
Alloway la définira par la suite comme l’« esthétique de l’abondance » [the aesthetics of
plenty]. C’est pendant ces dernières assemblées que l’Independent Group s’emploie à
théoriser l’approche que ses membres avaient mise en place de façon empirique et
spéculative depuis 1952. Estimant que chaque forme d’activité humaine pouvait faire
l’objet d’un jugement esthétique, ces derniers s’accordent d’abord sur le fait que les
produits culturels ne pouvaient plus être abordés en fonction du schéma pyramidal
défini jusqu’alors, lequel opposait culture d’élite (incluant l’art, elle est placée au
sommet) et culture populaire (incluant les mass médias, elle se trouve reléguée à la base
de la pyramide). Le « continuum beaux-arts – art pop » [fine art – pop art continuum]
est la première des notions forgées par Alloway dès 195421, et la plus importante : elle
désigne une attitude non-hiérarchisante à l’égard des produits de la culture comprise
dans un sens élargi. En 1959, Alloway qualifiera le continuum esthétique qui en résulte
17
Lawrence Alloway, « The Independent Group and the Aesthetics of Plenty », David Robbins (éd.), The
Independent Group : Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, Cambridge, MIT Press, 1990, p. 50.
18
Dick Hebdige, « Towards a Cartography of Taste 1935-1962 », in Block, n° 4, 1981, p. 40.
19
Ibid., p. 40-41.
20
Lawrence Alloway, « Le développement du Pop Art anglais », Lucy Lippard (éd.), Le Pop Art (1966),
Paris, Thames and Hudson, 1996, p. 32.
21
C’est dans ces textes de la seconde moitié des années cinquante qu’Alloway fait mention du continuum et
des autres notions qu’il avait inventées dans le cadre des activités de l’Independent Group, mais McHale
suggère qu’en 1954 ses membres en étaient déjà informés. Ainsi, appliquant la notion de façon polémique, il
écrit : « Pour citer Lawrence Alloway, ‘un continuum beaux-arts – art populaire existe désormais’, et donc, là
où le Bauhaus avait sa bande de jazz amateur et ses festivals de cerfs-volants – nous avons le bop et le
Cinémascope. » (John McHale, « Gropius and the Bauhaus », in Arts (Londres), 3 mars, 1955. Partiellement
repris in D. Robbins (éd.), The Independent Group : Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, op. cit., p.
182).
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
13
de « long front de la culture22 ».
La fine/pop soup alternative de Richard Hamilton
Le critique n’envisageait aucunement que ces théories puissent se trouver transposées
plastiquement. La plupart des membres de l’Independent Group l’entendaient ainsi, à
l’exception notable de Hamilton qui avait poursuivi les réflexions qu’il avait engagées
pour l’exposition This is Tomorrow présentée à la Whitechapel Art Gallery en août
1956. Répartis dans les douze groupes qu’elle comptait, chacun composé en théorie d’au
moins un artiste, un critique et un architecte, les acteurs de l’Independent Group – alors
dissout –, avaient contribué à cette exposition dominée numériquement par les artistes
abstraits. Répondant au thème fédérateur, lequel prônait l’association des différents arts
visuels, c’est en collaboration avec McHale et l’architecte John Voelcker, que Hamilton
conçoit pour le groupe 2 l’idée d’une structure architecturale en 3D supportant les
images les plus variées, de Marilyn Monroe aux Tournesols de Van Gogh. Parce qu’elle
rendait compte des stimuli du monde moderne, on eût tôt fait de surnommer cette
installation la crazy house. Bien que son installation reçût les faveurs de la presse, This is
Tomorrow dans son ensemble déçut Hamilton qui décida de poursuivre son analyse des
« nouveaux arts populaires23 ». Estimant que définir les « caractéristiques du pop art24 »
pouvait constituer un préalable à la conception d’une nouvelle exposition, de meilleure
tenue, il signe dans une lettre adressée à Alison et Peter Smithson, datée du 16 janvier
1957, cette fameuse définition : « Le pop art est : Populaire (conçu pour le grand public)
Éphémère (à court terme) Remplaçable (on l’oublie vite) Bon marché Produit en série
Jeune (fait pour les jeunes) Plein d’esprit Sexy Astucieux Glamour Une affaire qui
rapporte…25. »
Pas encore convaincu de sa « sincérité »26, Hamilton cherchait en fait à trouver
confirmé son intérêt pour le pop art. Aussi, sa missive demeurée sans réponse, de 1957 à
1964, il se sert de son « inventaire Pop » comme « cadre de référence »27 pour un
premier ensemble cohérent de six toiles, de dimensions analogues (122 x 81 cm)28, qu’il
réalise à la peinture à l’huile additionnée de techniques mixtes sur panneau. Quatre de
ces œuvres traitent d’un même sujet, la voiture, à commencer par la première :
Hommage à Chrysler Corp. En choisissant d’opter pour un tel renouvellement
iconographique, Hamilton se distingue des recherches artistiques de son époque et
affirme sa volonté de relier l’art à des préoccupations contemporaines. Et par
l’intégration dans sa peinture, des motifs, des styles, et des messages, relevant d’une
culture dite de masse, il inclut aussi des valeurs qui, pour l’essentiel, étaient alors
étrangères aux beaux-arts : Hamilton ouvrait sans le savoir, un nouveau chapitre de
22
Voir Lawrence Alloway, « The Long Front of Culture », in Cambridge Opinion, 1959, p. 25-27.
Hamilton adhérait à la définition qu’en avait donné Reyner Banham dès 1955, soit non les « arts naïfs ou
simplifiés pratiqués par des primitifs ou des paysans qui vivraient dans une culture où les produits de
l’industrie, les Buick par exemple, n’ont pas leur place », mais le « cinéma, les magazines photo, la sciencefiction, la bande dessinée, la radio, la télévision, la musique de danse et le sport ». (Reyner Banham,
« Industrial design e arte populare », in Civiltà delle machine (Rome), n° 6, novembre-décembre 1955, p. 1215. Repris sous le titre « Industrial Design and Popular Art », in Industrial Design, vol. 7, mars 1960, p. 6165. Traduction partielle en français par G. Courtois in Mark Francis (éd.), Les Années pop 1956-1968,
catalogue d’exposition, Paris, Centre Pompidou, 2001, réf. IV).
24
Richard Hamilton, « Letter to Peter and Alison Smithson », Tate Gallery Archive, Londres, TAM 26E 6/14.
Cette lettre est reprise avec de très légères altérations in CW, p. 28.
25
Ibid. Traduction française par D. Lablanche, in Hal Foster (dir.), Mark Francis (éd.), Pop, Paris, Phaidon,
2006, p. 15.
26
Ibid.
27
R. Hamilton, CW, p. 29.
28
À l’exception notable de la dernière, Glorious Techniculture (1961-1964), unique toile de format carré de
122 cm de côté. Cette peinture est aussi la seule à avoir résulté d’une commande.
23
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
14
l’histoire de l’art.
Jusqu’au début des années soixante, en effet, Hamilton se trouve isolé par ses choix
plastiques, n’adoptant aucune des deux « options » picturales qui, à sa connaissance, sont
pratiquées aux États-Unis, qu’il s’agisse de la peinture gestuelle dont l’esthétique domine
encore la production américaine de la fin des années cinquante, ou la peinture abstraite
de facture géométrique, laquelle est dite hard edge, en raison d’un goût pour une
certaine netteté de contours et de surfaces. Il se place également en porte-à-faux des
valeurs défendues par le critique le plus influent de l’Independent Group. Car Alloway
avait affirmé l’existence d’un continuum entre les beaux-arts et l’art populaire, mais
c’était au sein du réseau de communication en expansion de la société contemporaine.
En conséquence, les « résultats » de Hamilton, que lui-même qualifie de fine/pop soup
alternative29, devaient être « traités avec une extrême méfiance jusqu’à ce que fut
observée qu’une chose analogue était en train de se produire en Amérique »30.
Les Jeunes contemporains du Royal College of Art
Une nouvelle prise de conscience de l’art dans sa relation au réel s’imposera, en 1962,
avec la révélation publique du Pop Art comme phénomène artistique, des deux côtés de
l’Atlantique. En Angleterre, c’est dans l’édition 1961 de l’exposition Young
Contemporaries, organisée en février aux Royal British Society Galleries de Londres, que
vient la révélation. Elle émane d’un groupe de jeunes peintres nés dans la seconde moitié
des années trente, qui avaient poursuivi leurs études au Royal College of Art à partir de
1959 : Peter Phillips, Derek Boshier, Allen Jones, David Hockney, Patrick Caulfield, et
l’Américain Ronald Brooks Kitaj (dit R.B. Kitaj). Membre du jury de sélection, Alloway
remarque leurs affinités et les incite à remanier l’accrochage pour présenter leurs
œuvres ensemble. Dans le catalogue, il se garde bien d’employer la locution « pop art » à
propos des toiles exposées, observant simplement : « Chez ces artistes, l’acte créateur se
nourrit de l’environnement urbain dans lequel ils ont toujours vécu31. » En observateur
avisé de la scène artistique, et eu égard à ses préférences pour l’art abstrait américain32,
Alloway avait pourtant noté le changement de direction qu’avait pris, à la fin des années
cinquante, la peinture anglaise ; un changement s’illustrant en particulier dans les
œuvres produites au Royal College of Art, lesquelles « sortent du ‘Kitchen Sink’33 ». Par
ces termes, le critique signalait qu’au lieu du réalisme des peintres de la Kitchen Sink
School34, souvent privilégié, une assimilation de l’art américain commençait à se faire
jour, comme le montrent notamment les grandes abstractions picturales qu’exécutent
alors Robyn Denny et Richard Smith.
29
R. Hamilton, CW, p. 31.
Richard Hamilton, « Richard Hamilton in Conversation with Michael Craig-Martin (1990), Adrian Searle
(éd.), Talking Art 1, Londres, Institute of Contemporary Arts, 1993, p. 75.
31
Lawrence Alloway, Young Contemporaries 1961, Londres, Royal College of Art, n.p.
32
En tant que directeur assistant à l’I.C.A. à partir de juillet 1955, puis comme directeur-adjoint à compter du
7 novembre 1956, jusqu’à sa démission en septembre 1960, Alloway joue un rôle pivot dans le choix des
événements de l’Institut, lesquels rendent manifeste sa préférence : en novembre 1957, a lieu l’exposition
Eight American Artists (avec notamment Morris Graves et Mark Tobey), et en avril de l’année suivante, Some
Paintings From the E.J. Power Collection. Outre qu’elle montrait les œuvres des européens Tàpies et
Dubuffet, cette dernière était très représentative de l’expressionnisme abstrait avec des toiles de Willem De
Kooning, Clifford Still, Franz Kline, Jackson Pollock et Mark Rothko. La conférence intitulée Art in America
Today, qu’Alloway donne le 8 juillet 1958, au retour de son premier voyage aux États-Unis, atteste encore
son intérêt et sa connaissance du sujet.
33
Lawrence Alloway, « Art News from London », in Art News, mai 1957, p. 57.
34
David Sylvester utilise l’épithète satirique « l’art de l’évier » dans l’article qu’il publie en décembre 1954
dans Encounter pour qualifier un groupe de peintres célébrant le quotidien et l’ordinaire dans un style réaliste,
dont font partie les Anglais John Bratby, Jack Smith et Edward Middleditch. Voir David Sylvester, About
Modern Art : Critical Essays 1948-96, Londres, Chatto & Windus, 1996, p. 16-17.
30
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
15
Remarquée à juste titre par le critique de l’Independent Group, la cohésion de ce
groupe de peintres se trouvera ensuite renforcée par leurs apparitions successives dans
d’autres expositions présentées dans le courant de l’année 196235 ; par le fait, également,
que Boshier et Phillips, associés à Peter Blake, qui les avait précédés au R.C.A.36 et à
Pauline Boty – la seule femme que l’on comptera, a posteriori, dans les rangs du Pop Art
anglais37 – furent les protagonistes d’un film documentaire réalisé par Ken Russell pour
la BBC : Pop Goes the Easel38. En mars 1962, sont ainsi présentés à la télévision, donc à
un vaste public, quatre jeunes artistes représentatifs des préoccupations d’une partie de
leur génération. Ils sont filmés dans leur environnement réel ou imaginaire analogue à
d’immenses collages d’images populaires et peuplés de références à l’Amérique, lesquels
forment l’alphabet visuel original de leurs peintures. L’effet le plus immédiat du
documentaire fut de mettre en circulation l’adjectif « Pop » en relation au nouvel art.
D’autant qu’en septembre 1962, Blake, Boshier, Hockney et Boty se trouvent à nouveau
rassemblés dans New Approaches to the Figure à la Arthur Jeffress Gallery de Londres.
En outre, invité à se joindre à eux, Hamilton se voir enfin offrir l’opportunité d’exposer
trois de ses nouvelles peintures, parmi lesquelles Hommage à Chrysler Corp. de 1957,
Pin-up de 1961, et AAH !, qu’il vient à peine d’achever.
Convergence esthétique ?
Les peintres du Royal College of Art n’étaient pas informés de la production de Hamilton
– même s’il avait publié une reproduction de son tableau Hommage à Chrysler Corp.
dans la revue Architectural Design, en 1958 –, et ne pouvaient avoir qu’une
connaissance partielle des activités de l’Independent Group. En effet, aucun de ceux qui
participèrent à l’exposition Young Contemporaries n’a vu This is Tomorrow dont seule
l’installation de Hamilton-McHale-Voelcker présentait du reste un usage de sources
visuelles qui aurait pu les intéresser. Par ailleurs, au moment des meetings pour la
plupart confidentiels de l’I.G. (1952-1955), ces jeunes gens quittaient seulement
l’enseignement secondaire. Et même quand les idées du groupe ont imposé leur marque
dans les événements organisés à l’Institute of Contemporary Arts, les années suivantes, il
est plus qu’improbable que les artistes du futur contingent Pop y assistèrent : Phillips
résidait à Birmingham jusqu’en 1959, Hockney se trouvait à Bradford, Boshier à
Guilford, et Kitaj servait dans l’armée américaine (en Allemagne et en France). Seul Jones
était à Londres (il étudia au Hornsey College of Art de 1955 à 1959) pendant la période
d’influence maximale des idées de l’Independent Group sur les activités de l’Institut, et il
35
Boshier, Hockney (qui obtint un des cinq prix), Jones et Phillips présentaient des œuvres dans l’expositioncompétition John Moores Liverpool qui se déroula de novembre 1961 à janvier 1962, et furent à nouveau
rassemblés dans Image in Progress, à la Grabowski Gallery de Londres, du 15 août au 8 septembre 1962.
36
Après avoir inclus de façon précoce une page de bande dessinée dans sa peinture Children Reading Comics
en 1954 (et à nouveau en 1956), Peter Blake (né en 1932) avait poursuivi ses investigations de la nouvelle
civilisation britannique et vernaculaire de l’image et des médias. En 1955, à la fin de ses études au R.C.A., il
l’avait déjà associée à son vocabulaire plastique dans sa célèbre toile On the Balcony, qu’il achève en 1957 à
son retour d’un long voyage en Europe. Et c’est à partir de 1959, que le peintre commence à intégrer dans ses
œuvres une iconographie typiquement américaine.
37
Comme ses condisciples, Pauline Boty (née en 1938) avait poursuivi ses études au R.C.A. de 1958 à 1961,
mais dans le département du « vitrail », jugé moins compétitif (et donc plus approprié à une femme). Elle
pratiquait la peinture en parallèle. Sa carrière fut brutalement interrompue par sa mort des suites d’une
leucémie en 1966. On doit à l’historien d’art David Alan Mellor d’avoir permis une redécouverte de son
œuvre. Voir David Alan Mellor, Sue Watling, Pauline Boty : The Only Blonde in the World, Londres, AM
publications, 1998.
38
Conservé aux archives de la BBC, ce documentaire filmé en noir et blanc d’une durée de 40 mn, fut réalisé
pour l’émission culturelle hebdomadaire Monitor de la BBC et s’intégrait dans le programme du 25 mars
1962. Le titre en forme de jeu de mots fait référence au dernier vers, lequel est un non-sens – « Pop goes the
Weasel » – d’une comptine anglaise, avec easel [chevalet] en remplacement de weasel [belette].
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
16
n’en avait pas connaissance. Enfin, concernant l’impact des réflexions du groupe sur
leurs aînés au R.C.A., lesquels pouvaient être informés de ses activités comme Joe Tilson
(il s’y trouvait de 1952 à 1955), Blake (de 1953 à 1956) et Smith (de 1954 à 1957), elle
s’avère restreinte. L’avis de ce dernier l’atteste, car tout admirateur de Paolozzi et de
Hamilton qu’il fût, Smith réfute la filiation supposée entre l’Independent Group et le
Royal College of Art39. En 1979, l’artiste réitère en effet le point de vue qu’il avait livré à
Lucy Lippard quinze ans plus tôt, quand, se considérant comme un « Indépendant de la
seconde génération », il affirmait que « d’une façon générale [l’I.G.] avait une orientation
trop sociologique, et [qu’]il n’en sortait pratiquement rien en fait d’art »40.
Trois anciens membres du corps enseignant de la Central School of Arts and
Crafts, qui avaient été liés à l’Independent Group, furent recrutés au Royal College of Art
dans la seconde moitié des années cinquante : le typographe Edward Wright, Paolozzi, et
Hamilton. Mais aucun d’eux ne travaillait dans le département de peinture d’où seront
issus la plupart des artistes qui formeront le contingent Pop. Il n’en demeure pas moins
que les idées de l’Independent Group avaient été diffusées par l’intermédiaire du
magazine Ark, car certaines des personnalités en relation avec le groupe ont signé des
textes critiques dans cette publication du Royal College of Art depuis 1950, parmi
lesquelles Alloway, Magda Cordell, del Renzio, McHale, Alison et Peter Smithson, et
Wright. Quand à la fin de l’année 1956, Roger Coleman devient le rédacteur en chef du
magazine, Ark peut même être considéré comme faisant la « promotion » des réflexions
forgées par l’Independent Group. Il reste que suivant l’analyse approfondie qu’en
propose l’historien de la culture Alex Seago, les évolutions du design d’Ark portent,
certes, la marque directe des idées du groupe, mais rien de tel ne peut être affirmé
concernant les œuvres réalisées par les artistes du Royal College of Art41.
« Sensibilité postmoderne »
En somme, les expositions et exposés de l’Independent Group ont mis en évidence les
fondements d’une « sensibilité postmoderne » (avant que le terme ne soit d’usage
courant), dont l’expression en peinture devait apparaître pour la première fois en
Grande-Bretagne avec le Pop Art42. En insistant sur les nouvelles valeurs qui ont
transformé la société d’après guerre, l’Independent Group aurait permis au changement
radical apparu dans l’art des années soixante d’advenir. Plus que de toute autre chose,
c’est un « climat » qu’il installa, adoptant une attitude, voire même une « philosophie »43
dont il fit legs à la génération suivante.
Le début des années soixante voit ainsi la convergence de deux stratégies
distinctes, forgées indépendamment en réponse à un nouveau contexte historique et
artistique. Car un fossé sépare les investigations conduites par les artistes de
l’Independent Group et celles qui apparaissent dans les ateliers du Royal College of Art. Il
est creusé entre les observations portées sur le décodage – qu’il soit d’inspiration
surréaliste ou sémiotique – du contenu social, politique ou économique des « nouveaux
39
Nous faisons référence ici à la dernière séquence du film Fathers of Pop pendant laquelle, installés à
l’intérieur d’une Cadillac, Banham et Smith s’entretiennent à ce sujet.
40
Lucy R. Lippard, « Richard Smith : Conversations with the Artist », in Art International, vol. VIII, n° 9,
novembre 1964, note. 2, p. 34.
41
Alex Seago, Burning the Box of Beautiful Things. The Development of a Postmodern Sensibility, Londres,
Oxford University Press, 1995, p. 94-95. Seago note même page 93, l’« innocence intellectuelle et
l’isolement » dans lequel se trouvait [encore] la majorité des artistes du Royal College of Art à l’égard des
activités de l’avant-garde à Londres dans la première moitié des années cinquante.
42
Ibid.
43
Graham Whitham, « The Independent Group at the Institute of Contemporary Arts : Its Origins,
Development, and Influences 1951-1961 », Ph. D. Dissertation, Canterbury, Université de Kent, 2 vol., 1986,
p. 290.
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17
arts populaires », par Paolozzi et Hamilton, et le rapport éminemment plus direct des
jeunes gens du R.C.A. avec leurs sources, lesquelles étaient alors largement diffusées dans
la société et donc utilisées naturellement. Les préoccupations de ces derniers ne
concernent plus l’analyse de la culture dans laquelle ils ont grandi, mais la création
d’une expression picturale contemporaine, distincte de la figuration du quotidien des
peintres réalistes et actant des développements de l’art américain. De ce point de vue, les
œuvres que Smith réalise à son retour des États-Unis où, bénéficiant d’une bourse
d’études (Harkness Fellowship), il s’était installé de septembre 1959 à l’été 1961, sont
remarquables: elles attestent sa volonté d’associer forme abstraite et iconographie
populaire dans de vastes toiles qui se trouvent littéralement « infiltrées » par le nouvel
environnement visuel résultant de l’invasion de la culture de masse (effets
cinématographiques, logos publicitaires, emballages colorés, etc.)44.
Précisant la spécificité de son approche, Smith affirme: « Fondamentalement, c’est
la peinture qui m’intéresse et pas uniquement la présentation d’une imagerie45. » Cette
concentration sur des questions relevant avant tout du pictural avait conduit les artistes
du Royal College of Art à se tourner vers les développements de l’abstraction américaine
plutôt que de poursuivre les analyses engagées par l’Independent Group. D’une
démarche sémiotique à une autre, portée par une réflexion sur la peinture comme
médium, le Pop Art anglais est bien le fruit de deux stratégies visant à offrir, à quelques
années de distance, une réponse artistique convaincante à une nouvelle cartographie des
valeurs culturelles.
44
La recherche initiée par l’artiste est le signe d’une tendance dont rendit compte l’exposition conçue par Éric
de Chassey et présentée au musée d’Art moderne et contemporain de Genève (Mamco) fin 2005 : Stroll On !
Aspects de l’art abstrait britannique des années soixante (1959-1966).
45
Richard Smith, The New Generation : 1964, Londres, Whitechapel Gallery, 1964, p. 72. Repris et traduit en
français in Marco Livingstone (éd.), Pop Art, Montréal, musée des Beaux-Arts, 1992, p. 166.
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Unruly, devious and queer: a critique of postpost-war British
artists within British artist biopics
David Bovey
Of the ten biographical films about artists made in the United Kingdom, nine have been
produced since 1945. Of these, five relate to British artists, but only four to artists of the
post-war period.1 This seems a small number over a sixty-year period. The first two
chronologically were released quite close to one another and portray fictional artists for
comic effect, in The Horse’s Mouth (Ronald Neame, 1958) and The Rebel (Robin Day,
1961). The later two explore real artists’ lives, with A Bigger Splash (Jack Hazan, 1974)
dealing with a still living artist, David Hockney, and Love is the Devil (John Maybury,
1998) tackling Francis Bacon who had only died in 1992. The fictional artist is worth
considering on a par with the real artist as indicating the mood of the times in which the
film was made. It is interesting that all these films continue to perpetuate the myth of the
artist as a bohemian outsider.2 In this context it is perhaps not so surprising that none of
the artists depicted could personally be presented in flattering terms or as ‘role models’’
and overall, in fact, the films as a group provide a decidedly problematic and negative
representation of the modern British artist. However, there is, as one might expect, a
change in tone over the forty year span of these films. Gulley Jimson in The Horse’s
Mouth can even in the most favourable terms be described as nothing less than ‘unruly’;
Hancock in The Rebel is certainly devious; but by the time of the David Hockney and
Francis Bacon biopics a greater degree of frankness about the artists’ private life has
arrived: in these examples there is a common openness about them being queer. Their
sexual orientation becomes the most potent symbol of their ‘otherness’ and is given
greater emphasis within the film portrait than their creative work. However imbalanced
the life of the artist may be, the creative aspect is viewed very positively, with the
traditional assumption that almost everything can be forgiven the artist when a genius.
From the outset it is important to make clear that there is no grand strategy
behind the making of these four films, the financing of film projects being too much of a
precarious and haphazard affair. However, the films do highlight the continuous tension
between the filmmaker and the artistic world and some attempts at public relations to
mitigate the potentially damaging contents of the films. The innate power of the
cinematic image must always be borne in mind coupled with the possibility of
dissemination of information about an artist to a worldwide audience if the film is
successful. For example, Francis Bacon himself acknowledged the importance of his
viewing of the artist biopic Lust for Life made by Vincente Minnelli in 1956, in reviving
his interest in Van Gogh,3 and it cannot be mere coincidence that only a year later Bacon
painted seven Van Gogh portraits for his 1957 Hanover Gallery show.4 This paper will
highlight the often complex interactions within the four artist biopics in three parts:
firstly, the origins of the films and how both finance and production methods influenced
their content; secondly, the content itself and how it was developed by the filmmakers
1
The other British artist is Dora Carrington (1893-1932), outside our time reference for this article, featured
in Carrington (Christopher Hampton, 1995).
2
Johannes A. Gaertner, “Myth and patterns in the lives of artists”, Art Journal, Vol. xxx, No. 1, Fall 1970,
p.28.
3
Michael Peppiatt, Francis Bacon: Anatomy of an Enigma, London: Weidenfeld, 1996, p.168.
4
Peter Fuller, the art critic, has documented how seeing The Rebel when he was fourteen triggered his interest
in modern art (Peter Fuller, Art and Psychoanalysis, London: Hogarth Press, pp.137-138).
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19
and how it reflected current attitudes to modern art and artists at the time; and thirdly
how the films were received by the critics and public.
The four films each had a very different kind of origin and project development
which, of course, greatly influenced their eventual product. The Horse’s Mouth resulted
from Alec Guinness looking for a good part for himself, rather than any interest in
painting.5 The novel on which the film is based was published in 1944 and Guinness
considered it so interesting that while working on other films he began to write his own
screenplay.6 Following his success in The Bridge Over the River Kwai, Guinness
possessed ‘star power’ and approached director Ronald Neame, with whom he had
worked successfully before, to promote the idea of a film version of Carey’s book. Neame
was under no illusions and thought the idea would be difficult to sell to backers because
of the rambling nature of the book’s narrative and the unsympathetic view of the leading
character, Gulley Jimson.7 In fact, it was eventually backed by United Artists solely
because of a personal favour owed to Neame by one of the Board, and not strictly upon
the film’s potential commercial or aesthetic merits. Once backed financially, Guinness,
Neame and the executive producer were left a free hand to develop the project as they
chose.8
The Rebel was to star Tony Hancock, then at the peak of his success, and the
Associated British Picture Corporation was eager to back a film to cash in on this.
Hancock had developed a strong comic persona during his long-running radio and
television shows, keeping the same scriptwriters, Galton and Simpson, who allowed the
character to grow and change. For the film they developed the story of a naïve painter
(Hancock) who quit his life as a civil servant in the sleepy London suburb of East Cheam,
the domestic setting of all the radio and television series, to be plunged into the
bohemian world of modern art in Paris with its traditional associations of both culture
and scandal. The role that he played remained named as Hancock so the actor could
continue using specially emphasised aspects of his own characterisation that had proved
so successful on television. For the first time Hancock himself insisted on being involved
in writing the screenplay and devising the ‘funny business’ as he saw the potential of a
hit film leading to the launch of a career in the United States.9
There is a great contrast in the relative generosity of funding for the two
comedies mentioned so far and the struggle to obtain adequate finance manifested for
the two biopics of real artists.10 The making of A Bigger Splash, featuring David Hockney
and his inner circle of friends, was down to a single individual, its director Jack Hazan,
who mortgaged his home and ‘borrowed’ equipment from the BBC to make the film part
time, as enough money became available to purchase film time off was possible from ‘the
5
Ronald Neame, Straight From the Horse’s Mouth: Ronald Neame, an Autobiography, Lanham, Maryland:
Scarecrow Press, 2003, p.160. (Filmmakers Series, No. 98).
6
Guinness had some experience of editing texts in the theatre, but this was to be his one and only screenplay
(Allan Hunter, Alec Guinness on Screen, Edinburgh: Polygon Books, 1982, p.54). He began to write it as
early as Spring 1954 and was given to understand while in Hollywood filming The Swan (Charles Vidor,
1956), that MGM would back the project, but this came to nothing (Piers Paul Read, Alec Guinness: The
Authorised Biography, London: Simon and Schuster, 2003, p.239). The screenplay was subsequently
nominated for an Oscar in 1959.
7
Neame, 2003, op.cit., p.158.
8
Ronald Neame, “Interview on The Horse’s Mouth”, 2002, included on the Criterion DVD of the film.
9
John Fisher, Tony Hancock: The Definitive Biography, London: HarperCollins, 2008, p.303. The artist Sean
Kenny has suggested Hancock, the man, secretly aspired to being an artist. He thought Hancock to be a
highly talented cartoonist and sketcher (John A. Walker, Art and Artists on Screen, Manchester: Manchester
University Press, 1993, p.106).
10
The Horse’s Mouth cost £240,000 (Philip Oakes, “[The Horse’s Mouth: a review]”, Sunday Dispatch,8th
February 1959); The Rebel £175,000, of which the largest single amount of £10,000 was George Sanders’ fee,
while Tony Hancock only received £5,000 and a percentage of the profits (Fisher, op.cit., p.311). By the
making of Love is the Devil in 1998, its budget of just over £1,000,000, was considered very modest (“Love
is…screen on the tube”, Televisual, August 1997, p.7).
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20
bread and butter job.11 The film was made over three years with the minimum possible
crew of three. Such a working set-up had the advantage of giving Hazan complete
artistic freedom but had the disadvantage that he was completely at the mercy of
Hockney and Co over content and whether it would ever get finished at all. Hazan had
already made two short documentary films about artists but wanted to move out of
television into feature filmmaking.12 He was astute and realised that to make this leap, if
the film was to be about an artist it had to be about a rather special and famous one or
the film would merely end up on television. After being shown the catalogue for
Hockney’s Whitechapel Gallery show, Hazan felt that here was the artist who could
provide his entrée to feature filmmaking.13 He wheedled Hockney into allowing some
filming and started just about the time that Hockney was breaking-up from his young
live-in American lover, artist and photographer, Peter Schlesinger.14 Hazan seized the
opportunity to move away from a documentary approach and develop a fictional
account of this break-up and its effects upon Hockney, but using the real people
involved in the story.
Love is the Devil had an even stormier initiation owing to the antagonism felt
towards the project by some senior members of the British art establishment. Its director,
John Maybury, was both an established avant-garde video artist and at the same time, to
earn a living, also a maker of very successful pop promo shorts. He was head hunted by
the BBC to make a film based on the life of Francis Bacon as portrayed in Dan Farson’s
book The Gilded Gutter Life of Francis Bacon.15 Lord Gowrie, Chairman of the Arts
Council made it very plain that he thought Lottery money should not be made available
for the film as it was still too close to Bacon’s death in 1992.16 Also there was a fear that
a very public airing of Bacon’s sordid private life would damage the painter’s reputation,
reduce the value of his artworks and be embarrassing for the Arts Council who had
heavily backed exhibitions of his work as the foremost British painter of the day.17
Maybury was used to having to ‘fight his corner’ and together with the BBC deliberately
made a very public spectacle of getting the Arts Council Board to reconsider and to
provide one half of the required funding on condition some very minor alterations were
made to the screenplay.18
As for the contents of each film, it is interesting to consider why it is so negative.
For The Horse’s Mouth the original concept by author Joyce Carey about a reprobate
painter was even bleaker than in Guiness’s screenplay. However, the film still opens with
Gulley Jimson’s release from Wormwood Scrubs prison after serving a sentence for
extortion with menaces. The loosely strung plot sees Jimson obsessed with painting
large-scale works of genius on any large available wall, but without regard to person or
property. He thieves and pawns other people’s goods to finance his painting materials,
and absolutely wrecks a luxury flat, which he has no right to be in anyway. He is not
even a loveable rogue as his dealings make him a darker figure than this, compounded
by Guinness’s performance.19 Guinness usually found his performing character by
discovering their walk. For Jimson, Guinness also found a voice – a classless rasp which
11
Jack Hazan, “Interview, July 10 2004”, text included on First Run Features DVD of A Bigger Splash.
Philip French, “A Bigger Splash”, Sight and Sound, Vol. XLIV, No. 2, Spring 1975, p.120.
13
Peter Webb, Portrait of David Hockney, London: Chatto & Windus, 1988, p.116.
14
Schlesinger has published a photographic account of his lifestyle during this period in Peter Schlesinger,
Checkered Past: A Visual Diary of the ‘60s and ‘70s, N.Y.: Vendome Press, 2003.
15
Daniel Farson, The Gilded Gutter Life of Francis Bacon, London: Century, 1993. The BBC’s headhunting
was reported in, Alannah Weston, “Bringing home the…”, Daily Telegraph Weekend Magazine, 2 May 1998,
p.36.
16
Louisa Buck, “Putting Bacon in the pictures”, Art Newspaper, Vol. 10, No. 84, September 1998, p.6.
17
James Mottram, “The sleazy side of Bacon”, The Independent, Review Section, 9 November 1998, p.10.
18
Walker, op.cit., p.47.
19
Ian Christie, “The Horse’s Mouth”, 2002, p.2. http:/www.criterion.com/current/posts/207 Accessed
04/03/2009.
12
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
21
forbids intimacy. The artistic side of the character is given authenticity by the use of John
Bratby as the artist for Jimson’s work. Here Bratby’s ‘kitchen sink’ style matches the
downbeat and essentially domestic nature of Jimson’s environment.20 The paintings have
the feel of definite promise if not outright genius. Use of Bratby gave the film much
publicity. The film also aimed at authentic use of sets for the sequences in art collector’s
interiors by the use of, what was then, the considerable sum of £100, 000 worth of
genuine antiques and master paintings, including Renoir’s Baigneuse sur des Rochers.21
In The Rebel Hancock’s character finds social success in Paris on the art circuit
by self-confidence, bluff and mistakes in language translation and launches new artistic
movements of “Infantilism” and “Shapeism”.22 There is a gentle mockery of the avantgarde scene, with particular demolition of surrealism and existentialism. However, it is
when his friend, Paul Ashby, returns to London that fate takes a dark turn and Hancock
is mistakenly attributed the hand of Paul’s work, and finds it easier to go along with this
subterfuge than to forcibly deny it. Hancock becomes world renowned and rich from
this cheating but finds it harder and harder to sustain the fraud as more works of genius
are required and Paul’s new output is not available to him. Hancock does put things
right in the last few minutes of the film and does end up with some form of punishment
in having to return to the attentions of his landlady Mrs Crevatte, in the form of actress
Irene Handl, who specialised in portraying working-class harridans.
For A Bigger Splash Hazan was able to obtain in-depth access to Hockney because of two
incidents, for which Hockney felt guilty and that he owed Hazan a reward.23 Firstly,
Hazan had gone out to the South of France to film for ten days, but Hockney and
Schlesinger had a major row and Hockney asked Hazan to leave immediately without
any new footage having been shot.24 Secondly, when Hockney had to complete his
painting Portrait of an Artist within two weeks for his New York show he could only do
it by working fifteen hours a day using special lights at night that did not throw a
shadow and Hazan obtained these for Hockney.25 This gave Hazan both more access to
Hockney at work, with a close-up on his working methods on the Pool picture, plus
more scope for inserting narrative scenes, through the participants greater willingness to
be filmed as directed in invented scenes played out according to Hazan and Mingay’s
script.26 Hazan did not believe in restaging scenes he had seen or heard about but could
not film while they were taking place. He considered this too highly charged emotionally
for non-professional actors. Rather, he believed in setting up equally charged but
fictional scenes for the participants to play.27 In doing this he reflected the mood of
Hockney’s paintings in being as concerned with what was going on beneath the surface
image as what was being shown.
20
Sir Kenneth Clark was consulted by Neame and he unhesitatingly said “There is only one man alive today
who can give you what you want, and that’s John Bratby” (Neame, 2003, op.cit., p.161).
21
Knightsbridge Films, News Item [on The Horse’s Mouth], Mimeo, 1958, included in the British Film
Institute Microfiche Collection of material on The Horse’s Mouth.
22
London Institute of ‘Pataphysics, Department of Reconstructive Archaeology, “Anthony Hancock, painting
and sculpture: a retrospective exhibition, 8-20 September”, p.1. http:/www.atlaspress.co.uk/theLIP/dorahancock.html Accessed 08/04/2009.
The gentle satire in the film script is obvious from the following example: Hancock critique’s his friend
Paul’s paintings.
Tony: Well, look. You see your colours are the wrong shape.
Paul: I don’t understand
Tony: Look, the colours shouldn’t end where the shapes end, they should send out a glow in the air.
(Ray Galton, and Alan Simpson, The Rebel: Release Script, Boreham Woods: ABPCL, 1961, p.57).
23
Webb, op.cit., pp.123-124.
24
Nick Stangos ed., David Hockney by David Hockney, London: Thames & Hudson, 1976, p.240.
25
Ibid.,p.248.
26
Geoffrey Ryman, “When love goes wrong”, Quorum, May 1975, p.12, and Keith Roberts, “The artist
speaks?”, Burlington Magazine, Vol. CXVII, No. 866, May 1975, p.301.
27
Hazan, op.cit., p.1.
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22
The film’s narrative suggests Hockney is completely devastated by the break-up
with Peter Schlesinger, that he stops working, destroys a picture, and goes AWOL in New
York because he is so depressed. In actual fact this appears to have been a very
productive period in Hockney’s life, as he reacted to the break-up by working harder.28
He had a very successful gallery show in New York and afterwards went on a touring
vacation around the United States with his assistant Mo Mowlem.29
Hockney comes across as charismatic and witty but living in a cocooned world
of painting, high-fashion and swinging London with a small coterie of friends and
hangers on, and dominated by the gay milieu and sex. Hockney complained some time
after the film’s release about Hazan’s approach, that “In the end I thought he
emphasised things – emphasising the gayness was a bit much. Sex doesn’t dominate my
life at all, really, I think painting does. It’s just a small part”.30 Hazan considered it
essential that he be honest about the queer lifestyle of the film’s main protagonists, that
heterosexuals (of which Hazan was also one) ought to be aware of what it meant to be
‘gay’ including the sexual activities involved. Others have seen this as just a commercial
ploy, to excite or gain controversy and publicity. Either way, it was to have a big impact
on the film’s release.
Troubles continued for Love is the Devil during production. After having to fight
hard for funding, the director, John Maybury was told by Bacon’s estate that he could
not reproduce any of Bacon’s artworks, nor use any direct quotations from interviews.31
The irony was that Maybury’s script felt so authentic that opponents of the film thought
he had used quotations from Bacon’s interviews with David Sylvester, but the script used
dialogue written by Maybury with content loosely suggested by anecdotes from Bacon’s
friends, especially Daniel Farson. Maybury was forced to rethink his approach to the
reproduction of Bacon’s paintings on screen. He decided to proceed with a different
emphasis within the film, away from using Bacon’s lover George Dyer as his muse and
the depiction of Bacon’s creativity to a psychological study of the seven-year
relationship.32 Bacon becomes the creator of the mise-en-scene of the production as the
colour and mood of Bacon’s paintings are conveyed by the use of filters and distorted
lenses.33 Maybury, through his contacts obtained in producing and showing his
renowned video work, was able to call upon a large circle of friends within the Young
British Artist and fashion scenes to work as extras and be filmed as far as possible in the
actual locations in which Bacon had held court.34 This was felt to emphasise the
continuity of the culture, as a similar clientele was still keeping the establishments alive,
as well as giving a feel of authenticity to the artistic milieu of the film.35 Overall the film
is a psychological rather than an artistic study, which is full of transgressive sexual
28
Stangos, op.cit., p.240.
Much is also made in the film of Hockney destroying his first attempt at Portrait of an Artist, because he
was so angry at Peter, who was featured in the painting. In fact, the first version was put aside because of
technical difficulties, where the gesso finish of the poolside could not be painted over for realignment (Webb,
op.cit., p.124). Hockney deliberately salvaged a large section of the painting and presented it to Celia Birtwell
and Ossie Clark as a present (Stangos, op.cit., p.247). The canvas Hockney slits on camera is definitely not
even the original Portrait, as a careful examination of this sequence shows the Portrait still on a stand in the
background (Webb, op.cit., p.142).
30
David Hockney, “I didn’t want to be a movie star””, Time Out, 11-17 April 1975, p.9.
31
Tom Kalin, “Forced perspective”, Filmmaker, Vol. 7, No. 1, August 1998, p.61, and, Dalya Alberge,
“Bacon film hit by dispute over who owns artist’s words”, The Times, 9 May 1997.
32
Gianmarco del Re, “John Maybury: infatuation with cable tv”, Flash Art (International Edition), Vol. 31,
No. 203, Nov/Dec 1998, p.77.
33
Buck, op.cit., p.6, and Holly Willis, “Brush with the gutter”, American Cinematographer, Vol. 79, No. 9,
September 1998, p.50.
34
Richard Shone, “It ain’t the meat”, Artforum International, Vol. 37, No. 1, September 1998, p.138, and,
Weston, op.cit., p.38.
35
“Love is the Devil: production notes”, August 1998, included in the British Film Institute Microfiche
Collection on the film.
29
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
23
practices and bad language, but which Maybury was keen to defend on the grounds that
the film was only an adaptation of Bacon’s real life antics, which Maybury felt could not
be brought to the public screen at all.36 Out of all this comes a portrait of Bacon as a
masochist in his physical sexual relationships, but who acted as a sadist in his
psychological relationships. The film shows him as a heavy drinker and compulsive
gambler and most emphatically, the central personality within a rather hellish
predominantly gay social circle. Bacon’s biographer Peppiatt, believes of Bacon’s sexual
orientation that “Its importance…cannot be overstated”.37 There is not much to like in a
man who shrugs off his lover’s death the day before so that nothing can spoil his own
accolade at his retrospective exhibition at the Grand Palais in Paris. As Maybury has
remarked: “Sometimes in order to create masterpieces you have to be monstrous”.38
On release, controversy was to be expected over the sexual content of A Bigger
Splash and Love is the Devil, but there also proved considerable debate over the merits of
The Horse’s Mouth and The Rebel. The Horse’s Mouth was attacked by John Berger in an
extended article in The Observer, for mistakenly continuing to promote the incorrect
myth that the artist of genius must be a wild outsider divorced from the everyday social
community.39 In Marxist terms the artist should be an inclusive part of society,
expressing the changes in society from within the social environment, not outside it.
Many readers wrote in to suggest this was nonsense, that in order for the artist to induce
change in approaches to their work must be at the cutting edge of ideas and therefore in
advance of the consensus in society generally. If the artist were integrated as far as
Berger suggests there would be no artistic development and art would remain
unchanging. For the individual artist associated with the film, John Bratby, his
contribution was a great success and led to a timely revival of interest in his work, as
abstract paintings had begun to outperform representational work in the marketplace.
However, Bratby was aghast that it was often assumed that Gulley Jimson was his alterego as he was against any morally reprehensible behaviour.40 As a riposte, in 1960 he
wrote the first of a trilogy of books about painters, Breakdown, where the corrupt more
than get their just desserts.41 The series was a critical success and Bratby benefited from
a large advance even if not high royalties from sales.
On the back of the box-office success The Rebel Hancock went on a six-week
stage tour of 3000 seater theatres.42 The film was considered the best debut film of any
British television comedy artist.43 The film aroused a debate in the press about the value
of modern art in general.44 Some saw it as an intelligent comic ridicule of the worst
excesses of modern art while others disliked it on the grounds that it pandered to the
worst of middle-class values, comfortably confirming their basic fears of modern art. All
the artworks for the film were provided by the painter and printmaker Alistair Grant.
They aroused no interest at the time, unlike Bratby’s in The Horse’s Mouth. It was not till
sixty years later that interest in them was revived, but then only as part of a performance
art, not in respect of the worth of the product itself. The London Institute of Pataphysics
recreated the ‘lost’ works of Anthony Aloysius St. John Hancock in September 2002 with
36
Buck, op.cit., p.6.
Peppiatt, op.cit., p.17.
38
Kalin, op.cit., p.65.
39
John Berger, “Portrait of the artist? The bars of the cage”, The Observer, 22 February, 1959.
40
Maurice Yakower, The Great Bratby: A Portrait of John Bratby R.A., London: Middlesex University Press,
2008, p.70.
41
John Bratby, Breakdown, London: Hutchinson, 1960.
42
Roger Wilmut, Tony Hancock ‘Artiste’: A Tony Hancock Companion, London: Eyre Methuen, 1978, p.116.
43
Freddie Hancock and David Nathan, Hancock, London: BBC Books, 1996, p.99.
44
Clancey Sigel, writing in Time and Tide, 23 March 1961, believed the film to be “deeply philistine, cheap
and anti-art. How easy it is to solicit our contempt for modern art…The Rebel is a regular lynch party”.
Compare this to Alan Dent in The Sunday Telegraph, 5th March 1961, who thought it “a highly intelligent
farce, and its intelligence (as happened with The Horse’s Mouth) may easily prove its undoing”
37
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24
the intention of raising the question of how the recreated works of art “might be
regarded had they come from the brush or pen of Dali, Picasso or Van Gogh”.45
When A Bigger Splash was released, David Hockney was horrified at how far he
had exposed his private self on film.46 He always considered himself a master of
publicity and public relations and at first felt hoodwinked and betrayed by what Hazan
had mixed in the editing suite.47 The rest of the cast were split over whether they had
been exploited, merely naïve, or really known what Hazan was trying to achieve.48 The
film had only a limited release, for as well as its art house qualities, its openly queer
context precluded mass bookings. Laurence Collinson writing in Quorum, considered A
Bigger Splash to be deserving of a mention in any future history of queer cinema,
because despite its pretentiousness “it makes no attempt to explain or to depreciate or
defend its characters’ gayness: this acceptance of gayness is so rare in films and plays”.49
It was originally scheduled for the honour of opening the 1974 London Film Festival, but
the festival director pulled it on the grounds that the invited dignitaries would find the
explicit sexual content unacceptable.50 It was given the consolation prize of closing the
Festival instead. For its New York festival premiere the United States customs and excise
would only permit a single showing, calling the film “disgusting and immoral”.51 In
France, after a four month preliminary ban the film became a success d’estime in Paris,
running for several months as it coincided with a Hockney retrospective at the Musée
des Arts Décoratifs.52 This gave the gallery visitors a unique perspective on the film, as
they saw the exhibition and then saw the film where not only were the paintings
reproduced but many were also restaged as living tableau and then, separately,
individuals depicted within the paintings were photographed in galleries standing
alongside the original canvases and viewing them from the outside. The film became so
associated with Hockney that many people did not realise that Hazan was the director.
Hockney became so well known in Paris thanks to the media attention that he felt forced
to quit his Paris studio and return to London.53
For Love is the Devil, the row with Lord Gowrie and the Arts Council over its
funding provided extensive free publicity. It received the very attention on its release
that Gowrie had been anxious to avoid. The London critics on the one hand ranged from
being appalled at its content to finding it appalling as a work of art, while another camp
praised the film as one of the best artist biopics.54 Alexander Walker, film critic of the
Evening Standard, pursued what Maybury considered a vendetta against the film, using
every opportunity to decry the use of public money to fund a film he considered
loathsome and corrupting.55 Many decried the absence of reproductions of Bacon’s work
in the film, seemingly unaware of the embargoes that had faced the filmmakers. Those
who were aware were impressed by Maybury’s attempts to infiltrate the whole film with
45
London Institute, op.cit., p.1.
Len Richmond, “Breaking up is hard to do”, Time Out, No. 263, 14 March 1975, p.7, and, Hockney, op.cit.,
p.9.
47
Ryman op.cit., p.14.
48
Webb, op.cit., p.143, and, Stangos, op.cit., p.287. Hazan certainly retained his integrity. Even Hockney had
to agree that “Jack could have made a much more commercial movie and made a lot of money from it: it
would have been possible. But the way he made the film, it’s not a commercial movie at all; it’s a specialised
film I think” (Ibid., p.286).
49
Laurence Collinson, “The Collinson column”, Quorum, Vol. 2, No. 10, 1975, pp.35-36.
50
Richmond, op.cit., p.7.
51
Webb, op.cit., p.144.
52
Ryman, op.cit., p.14.
53
Henry Geldzahler, “Introduction” in Stangos, op.cit., p.22.
54
E.g. the ‘anti’ Tookey ( Christopher Tookey, “Bacon shows an unpleasant streak”, Daily Mail, 18
September 1998, p.44), to the ‘pro’ Williams (Richard Williams, “The devil in Mr Bacon, The Guardian,
Section 2, 18 September 1998, p.8).
55
Kalin, op.cit., p.62, and, Alexander Walker, “The devil of a misdirection”, Evening Standard, 14 May
1998, p.47.
46
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25
Bacon’s style and colours. However, overall, the film was seen as a glimpse into Bacon’s
seedy private life rather than an exploration of his genius and did not seem to affect his
artistic reputation in the way his friends, who had tried to stop the film, had feared.
The artist biopics devoted to post-war British artists reflect a negative view of the
artists while retaining a positive view of their art. The ideas expressed in the two
fictional comedies of the late 1950s were taken as seriously as those propounded in the
two later serious biopics because the character of the fictional artists was so well drawn.
Ronald Neame was a great admirer of the way Alec Guinness could don a completely
different persona for each role.56 Tony Hancock had spent years perfecting his character
on radio and television, always retaining traces of his own personality as a core. He had
the added advantage of working in tandem with the scriptwriters, Galton and Simpson,
who were also utterly familiar with his studio character.
A Bigger Splash and Love is the Devil convince with an additional technique. The
performances still resonate, with real life protagonists used in the former and
convincing look-alikes in the latter. They are joined by the camera providing an artist’s
view of the world. The cool studied world of Hockney is reflected in the formal colour
photography and haunting music. The surface sheen remains calm and distant through
dramatic revelations, hinting at the deep feelings beneath that surface. While Hazan
deliberately went for this approach as it tied in with his own approach to Hockney’s
artistic work, Maybury was forced into adopting an experimental style to suggest
Bacon’s viewpoint as he was denied access to the works of art.57 Where possible he used
cheap effects to keep within his budget, such as copying the photographer John Deakin’s
style of shooting up at people which gave an unflattering quality.58
With these approaches the viewer is asked to identify with a scoundrel in The
Horse’s Mouth, while believing that the paintings that were produced justify the
criminal and self-centred actions of the artist (- ‘the unruly’). In The Rebel sympathy for
a naïve and untalented artist (-‘the devious’) is offset against the debunking of the
excesses of modern art in general, though some works by Hancock’s friend, Paul Ashby,
are appreciated as masterpieces. The media attention surrounding the gallery exhibitions
shown in The Rebel continues today and is developed in the later biopics, though the
focus in the films has moved on to the subjects’ private lives, in particular a
concentration on their sexuality (-‘the queer’). The films convey a mixed portrait of the
artist, with Hockney veering from a charm offensive to childish petulance, and Bacon is
portrayed as even more chameleon-like, moving from witty host to screaming alcoholic
within the flick of an eye. They, like The Horse’s Mouth, continue the traditional trope of
the wild artistic genius as outsider. Success and the achievement of their artistic aims
comes at a very high price, as it continued to endorse the traditional biopic theme that it
is necessary to suffer for one’s art.
Filmography
The Horse’s Mouth (UK, 1958). Director Ronald Neame; Producer Albert Fennell;
Production Company Knightsbridge Films; Screenplay Alec Guinness, from the novel by
Joyce Carey; Photography Arthur Ibbetson; Editor Anne V. Coates; Sound John Cox; Art
Director Bill Andrews; Jimson’s Paintings John Bratby; Music Sergei Prokofiev.
Technicolor, 95mins., 8565 feet. Aspect Ratio 1.66.1.
DVD. The Criterion Collection, Catalogue No. 154. Region 1. 2002. Special Features:
56
Neame, 2002, op.cit.
Re, op.cit., p.77.
58
Willis, op.cit., p.48.
57
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26
2001 video interview with Ronald Neame; Daybreak Express, short documentary by D.A.
Pennebaker, plus a video introduction by him; Original theatrical trailer.
Leading Players: Alec Guinness (Gulley Jimson), Kay Walsh (Dee Coker), Renée Houston
(Sarah Monday), Mike Morgan (Nosey), Robert Coote (Sir William Beeder), Veronica
Turleigh (Lady Beeder), Michael Gough (Abel), Reginald Beckwith (Captain Jones).
The Rebel (UK, 1960) Director Robert Day; Producer W. A. Whittaker; Production
Company Associated British Picture Corporation; Screenplay Ray Galton, Alan Simpson,
Tony Hancock; Editor Richard Best; Photography Gilbert Taylor; Sound A. W. Lumkin;
Music Frank Cordell; Art Director Robert Jones; Paul’s Paintings Alistair Grant; Costumes
Dora Lloyd. Technicolor, 105m. Aspect Ratio 1.33:1.
DVD. Studio Canal/Optimum Classic, Catalogue No. OPTD0655. Region 2. 2006. A two
DVD set including The Punch and Judy Man .Special feature: Commentary by Paul
Merton, Ray Galton and Alan Simpson.
Leading Players: Tony Hancock (Anthony Hancock), George Sanders (Sir Charles
Brouward), Paul Massie (Paul Ashby), Margit Saad (Margot Carreras), Grégoire Aslan
(Carreras), Dennis Price (Jim Smith), Irene Handl (Mrs Cora Crevatte), John Le Mesurier
(Office Manager), Liz Fraser (Waitress).
A Bigger Splash (UK, 1974). Director/Producer Jack Hazan ; Distributor Buzzy
Enterprises; Production Company Buzzy Enterprises, Circle Associates; Screenplay Jack
Hazan, David Mingay; Photography Jack Hazan; Editor David Mingay; Sound Greg
Bailey, Colin Richards, Doug Turner; Music Patrick Gowers. Eastmancolour, 105 mins.
Aspect Ratio 1.66:1.
DVD. First Run Features. Region 1. Bonus materials: Interview with Jack Hazan; Photo
gallery; Film notes.
Leading Players (as themselves): David Hockney, Peter Schlesinger, Celia Birtwell, Mo
McDermott, Henry Geldzahler, Ossie Clark, Patrick Procktor, Kasmin.
Love is the Devil: Study for a Portrait of Francis Bacon (UK/France/Japan, 1998). Director
John Maybury; Distributor Artificial Eye; Production Company BBC Films with BFI, Arts
Council, Premiere Heure, Uplink; Producer Chiara Menage; Screenplay John Maybury;
Photography John Mathieson; Editor Daniel Goddard; Art Director Christina Moore;
Costumes Annie Symons; Sound Paul Davies. Colour, 8154 ft., 90 mins, 36 secs. Aspect
Ratio 1.85:1.
DVD. Strand Releasing (VD 9821). Region 1.
Leading Players: Derek Jacobi (Francis Bacon), Daniel Craig (George Dyer), Tilda
Swinton (Muriel Belcher), Karl Johnson (John Deakin).
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27
Stratégie d’autopromotion
d’autopromotion au RoyaumeRoyaume-Uni de 1960 à
1975 : le
le cas d’Archigram
Eve Roy
Archigram se compose de six architectes anglais, réunis de 1961 à 1974 : Warren Chalk
(1927-1987), Peter Cook (né en 1936), Dennis Crompton (né en 1935), David Greene
(né en 1937), Ron Herron (1930-1994) et Michael Webb (né en 1937). Ce
regroupement s’est en réalité déroulé en plusieurs phases. En effet, Warren Chalk et Ron
Herron travaillaient ensemble au London County Council (L.C.C.), le bureau
d’urbanisme de la capitale britannique, depuis 19541. C’est là qu’ils connurent Dennis
Crompton, avec lequel ils travaillèrent pour un projet commun, le South Bank Center2.
Mike Webb dirigeait quant à lui un groupe à l’Ecole Polytechnique de Regent Street qui
défendait le “Bowellism” (de “bowel” : tripes, entrailles), une conception de l’architecture
reposant sur l’étude des flux. Peter Cook était le leader d’un groupe d’étudiants de
l’Architectural Association, et rencontra David Greene dans le premier cabinet dans
lequel il travailla. Très vite, les contacts se créèrent3 et furent consolidés par la
participation des six membres au projet de reconstruction d’Euston Station, sous la
direction de Taylor Woodrow4. En collaborant et en échangeant des idées, les six
architectes se rapprochèrent, et l’idée d’un magazine émergea en 1961. Ils décidèrent de
le nommer Archigram et le groupe fut immédiatement désigné par le même nom.
Le mot Archigram a été créé à partir de la contraction des termes « architecture »
et « télégramme » ou « aérogramme », témoignant en cela de la volonté des jeunes
architectes de créer une architecture qui soit aussi rapide, instantanée et signifiante
qu’un télégramme. Dans ce simple nom sont en germe les principaux aspects des
recherches futures du groupe : la technologie, l’importance de la communication, la
dématérialisation de l’environnement, la consommabilité5, mais aussi le sens de
1
A l’époque, et jusqu’à son abolition en 1965, le L.C.C. était dirigé par Sir Isaac Hayward, représentant le
Labour Party (le parti travailliste anglais). Cet organisme a ensuite été remplacé par le Greater London
Council, qui fut chargé des mêmes missions, mais couvrait une superficie plus grande de la ville de Londres,
le L.C.C. ne se concentrant que sur le « inner » London, les quartiers centraux. Le G.L.C fut lui-même aboli
en 1986.
2
Ce projet consistait en équipement destinés à compléter le Royal Festival Hall, érigé pour le « Festival of
Britain » en 1951. Les trois architectes étaient chargés de proposer une nouvelle salle de concert ainsi qu’une
galerie d’art, et devaient également prendre en compte les rénovations et aménagements des accès à ce lieu
(les bouches de métro notamment). Le South Bank Center fut réalisé selon leurs plans et existe toujours
aujourd’hui, il a été plusieurs fois agrandi et complété par des installations culturelles supplémentaires. Les
plans et photographies de ce projet sont conservés aux Archives Archigram à Londres, série 17.
3
Peter Cook raconte avec humour comment il eut l’idée de contacter les trois membres du L.C.C. : “In
particular we wanted to make contact with Ron, Warren, Dennis… These guys worked for the LCC (London
County Council)… They keep getting 2nd prize in competitions… Must be good… They sent us some of their
schemes… Crazy stuff…” « On voulait surtout entrer en contact avec Ron, Warren, Dennis… Ces gars
travaillaient pour le L.C.C. (London County Council)… Ils arrivaient toujours deuxièmes aux concours…
Devaient être bons… Ils nous ont envoyé quelques-uns de leurs projets… Des trucs dingues… ». Peter Cook,
« Archigram, the true story told by Peter Cook », schéma non daté, non numéroté, notre traduction (par la
suite également sauf indication contraire).
4
Ce projet ne fut jamais réalisé mais il reste l’un des seuls à être signé des six noms. La place de Taylor
Woodrow dans le rassemblement des différents acteurs du groupe reste donc considérable, bien qu’elle soit
souvent oubliée.
5
Nous traduisons ici l’expression anglaise « expandability » par consommabilité.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
28
l’humour et de la formule, le tout savamment complété par une propension à la
provocation6.
On retrouve dans ces centres d’intérêt la marque de l’Independent Group, dans le
sillage duquel les membres d’Archigram vont évoluer dans un premier temps7, avant de
s’en détacher pour suivre leur propre voie, comme se le remémore Peter Cook :
« (…) la décision consciente de nous regrouper entre nous plutôt qu’avec eux
[l’Independent Group] a été prise par Warren Chalk : le membre le plus ancien du groupe.
C’est caractéristique d’un syndrome jeune, vivant dans l’ombre d’un syndrome plus
ancien sophistiqué et productif dans la même ville, que le premier exprime de l’irritation
et de la frustration envers le second. Nous avons pensé qu’après les changements et le
futurisme de la "Maison du Futur" des Smithson, ainsi que l’articulation de leur projet
pour l’Université de Sheffield, ils devenaient soudain silencieux et fadement rationnels.
Donc nous avons vu nos propres capsules, tentes et notre urbanisme spontané (instinctif)
comme un hommage aux beaux jours des Smithson. Eux, en retour, nous ont regardé
comme des architectes à la fois "chauds" et épuisants, ou comme des architectes "Mickey
Mouse. »
8
Effectuant donc la synthèse entre les thèmes d’étude de l’Independent Group – tels
que la société de consommation, l’imagerie de bande dessinée et la prospective – et une
approche plus neuve des avancées technologiques récentes et de la culture populaire, ils
6
Cela leur vaudra différents qualificatifs, dont celui de « nécessairement irritants » qui leur fut attribué par
David Rock, lors de la remise de la médaille d’or du Royal Institute of British Architects en 2002, prouvant
bien que ce groupe, même s’il est aujourd’hui reconnu et récompensé, continue à « déranger »…
7
Cela s’explique par le fait que certains membres du groupe Archigram avaient été formés par des membres
de l’Independent Group : Mike Webb a étudié avec James Stirling, David Greene, brièvement, avec
Buckminster Fuller, et Peter Cook avec Peter Smithson.
8
“(...) the conscious decision to join in with us rather than them was made and stated by Warren Chalk: the
oldest member of the group. It is characteristic of a younger syndrome sitting under the shadow of an urbane
and productive older syndrome in the same city, that the former should express irritation and frustration with
the latter. We felt that after the high jinks and futurism of the Smithsons’ "House of the Future" and the
articulateness of their Sheffield University project, that they were suddenly becoming quiet and dully
rational. So we saw our own capsules and tents and will-o-the-wisp urbanism as a homage to the Smithsons’
earlier days. They, in their turn, regarded us as rather hot and sweaty or as "Micky Mouse" architects.”. Peter
Cook, « In Memoriam Archigram », Daidalos, n° 4, 15 juin 1982, p.57. Dennis Crompton nous confia
également dans un entretien qu’il considérait comme absurde l’idée de renier l’héritage des Smithson, tant
ces derniers furent importants pour eux : “You know, you read some historians and they say Archigram
rejected the concepts of the Independent Group… I mean it’s nonsense!!! It’s absolute nonsense!!! People
like Eduardo Paolozzi and his collages are directly connected to our collages, and Paolozzi was a great
friend, and he’s a lovely man… (…) But he, and people like Theo and the Smithson particularly, they were
like uncles and parents… so there was this great relationship where you might be unsure about that particular
central concept that you’re working on, but if you’re like that now, you don’t talk to anybody, you know,
because you put yourself in jeopardy. They’ll steal your idea, or they’ll be rude about it or something… But
then you’d sit down and you’d talk about it and Peter and Alison Smithson would join in the conversation
and all the speculation…”. [trad] « Vous savez, lorsque vous lisez ce que disent certains historiens qui
prétendent qu’Archigram a rejeté les concepts de l’Independent Group... Je veux dire, c’est absurde !!! C’est
complètement absurde !!! Des personnes comme Eduardo Paolozzi et ses collègues sont liés directement à
nos collages, et Paolozzi était un bon ami, et c’est un homme charmant… (…). Mais lui, et des personnes
comme Theo [Crosby] et les Smithson en particulier, ils étaient comme des oncles ou des parents… donc, il y
avait cette relation formidable dans laquelle vous ne vous sentiez parfois pas très sûrs du concept central
spécifique auquel vous travailliez, mais maintenant, si vous êtes comme ça, vous ne discutez plus avec
personne, puisque vous vous mettez en danger. Ils risqueraient de voler votre idée, ou ils seraient insultants à
son sujet ou quelque chose dans ce genre... Mais à l’époque, vous pouviez vous asseoir afin d’en parler, et
Peter et Alison Smithson venaient se joindre à la conversation et prendre part à la spéculation... ». Entretien
avec Dennis Crompton, Londres, 1er mai 2004.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
29
vont produire une imagerie inédite et attrayante qui saura séduire le public, en
Angleterre tout d’abord, puis dans le monde, par le biais de la revue Archigram, mais
aussi par celui d’événements, expositions et publications internationales. En effet, alors
qu’ils ne parvenaient pas à réaliser leurs projets, ils avaient conscience, à l’instar des
autres groupes de l’époque, de la puissance de l’image : à défaut de construire, ils
avaient l’opportunité de diffuser leurs idées en donnant des conférences, en enseignant
et en publiant, de façon collective ou individuelle. C’était un moyen pour eux de
proposer une nouvelle vision de l’architecture, à l’encontre des pratiques constructives
de l’époque9.
Les évènements qu’ils organisèrent, tels « Living City », à Londres en 1963, et les
rencontres « I.D.E.A. » (International Dialogue in Experimental Architecture)10 à
Folkestone en 1966, illustrent cette approche ainsi que la volonté de rassembler la scène
architecturale d’avant-garde européenne, voire mondiale. Comme cela sera détaillé
ultérieurement dans ce développement, cela témoigne de leur réelle volonté de créer des
liens entre les différents groupes d’architectes de l’époque, de générer échanges,
collaboration et émulation. C’est à ce titre que le groupe Archigram tient une place
centrale dans l’histoire de l’architecture de l’époque. Il apparaît en effet que
l’implication et la motivation apparemment indéfectible de ces architectes ont joué un
rôle essentiel dans la dynamique créative de l’époque, même lorsque cela suscitait des
jalousies ou des critiques – on leur reprochait plus spécifiquement de se positionner en
chefs de file sans pour autant affirmer de convictions politiques, ce qui choquait
particulièrement les français et les italiens. Le groupe Archigram se distinguait
également par un souhait de dépassement des frontières, et la recherche d’une vue
d’ensemble de la situation architecturale mondiale afin de mieux s’adapter à la réalité
des faits.
Une création plastique
plastique originale, des influences multiples
Nous allons donc à présent chercher quelles ont été les stratégies que le groupe a
utilisées pour se faire connaître et s’auto-promouvoir à la place centrale de l’avantgarde architecturale européenne de l’époque. Pour cela, une présentation et une étude
de la production plastique du groupe s’avère nécessaire.
La création plastique du groupe Archigram se distingue par ses couleurs vives,
ses formes originales, et l’humour grinçant qui s’en dégage le plus souvent, humour que
d’aucuns considèrent d’ailleurs comme une forme de dystopie. Sous l’apparente légèreté
de telles productions réside en réalité un projet réfléchi et une composition certaine. Les
membres d’Archigram ont en effet su, dès leurs premières années de création, créer une
illusion de désinvolture et de spontanéité à partir d’un travail pictural et textuel bien
plus réfléchi qu’il n’y paraissait.
La publicité
Le but de ce discours, de cette posture, était de toucher une certaine partie du public de
9
Selon Martin Pawley, “What Archigram tried to do was to swing the cultural boom over, against the wind
of construction investment. In doing so it found itself opposed by the full force of the heavyweight
permanent construction industry and its attendant architectural value system.” [trad] « Ce qu’Archigram
cherchait à faire était contourner le "boom" culturel, allant ainsi à l’encontre de la force de l’investissement
dans le bâtiment. En faisant cela le groupe se trouva confronté à la toute puissance de l’industrie des
constructions "poids-lourds" permanentes et de son système protecteur de valeurs architecturales ». Martin
Pawley, « Technology transfer », The Architectural Review, septembre 1987, vol. 182, n°1087, p.35.
10
Ces « dialogues internationaux d’architecture expérimentale », dont la traduction française ne rend pas le
jeu de mot initial (IDEA pouvant aussi être lu comme « idée »), eurent lieu à Folkestone, en Angleterre, en
juin 1966.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
30
l’époque, en utilisant des codes éprouvés dans d’autres domaines. Ainsi, par exemple, les
emprunts au monde de la publicité sont nombreux et permettent de constater que les
membres du groupe anglais étaient avant tout de bons analystes de la société dans
laquelle ils évoluaient. Parmi les caractéristiques de la production picturale du groupe
inspirées de la publicité peuvent être cités le choix de couleurs vives, les dessins
humoristiques ou séduisants (Bornemouth Steps, 1970), le regard ou doigt des
personnages visant le public (Air Hab, 1967), les agrandissements exagérés de détails, le
détourage, le cadrage spécifique etc. Notons cependant que certaines techniques, trop
coûteuses ou nécessitant des appareils sophistiqués, étaient parfois évitées, ou
remplacées par des procédés moins coûteux, ce qui stimulait l’imagination et
l’adaptabilité. C’est le cas de nombreux projets colorés au “zip-a-tone”, un procédé de
transfert de plages de couleurs sur papier, plus accessible qu’une impression couleur de
qualité, ou encore de l’emploi de photocopies réalisées avec de l’encre sépia, afin
d’imiter une gravure (Living Pod after Piranesi, 1966.
Autre procédé rappelant la publicité et témoin du manque de moyens dont
souffraient les architectes : la densité des images sur les pages des magazines, dans le but
de rentabiliser les frais d’impression.
Les collages du groupe Archigram sont caractéristiques de ces emprunts et de la
récupération de certaines techniques élaborées par les publicitaires. De plus, ils étaient
destinés à assurer la promotion et la diffusion des projets auprès du public, tout comme
une publicité traditionnelle.
La plupart des personnages de leurs collages sont d’ailleurs simplement
découpés dans des magazines et collés en l’état, sans travail de retouche ni recherche
d’intégration au projet. Ces figures sont alors non signifiantes, et servent uniquement à
agrémenter le projet ou à illustrer un message.
L’effet visuel de collage semble délibérément recherché et la citation est
parfaitement assumée, comme en témoignent certains collages des séries Instant City
(1969) ou Projet Monte Carlo (1969), dans lesquels des noms de marques sont présents,
aux côtés des personnages qui en assuraient la promotion (Pall Mall, Smirnoff et Coca
Cola dans Instant City ; Coca Cola dans Projet Monte Carlo). Dans ces projets, d’ailleurs,
la publicité est également présente en tant qu’élément constituant de l’environnement
urbain à part entière : la ville ne semble plus pouvoir être représentée sans panneaux
d’affichage, la publicité est assumée11. On rencontre aussi chez Archigram d’autres
signes d’imprégnation de la culture de masse, comme la référence explicite aux affiches
psychédéliques de concerts (Holographic Scene Setter, 1969 ; Le Palmier, 1971).
A la récupération de techniques visuelles s’ajoute celle des techniques
rhétoriques : les membres d’Archigram s’inspirent des slogans publicitaires et de la
technique de condensation afin de donner plus d’impact à leurs projets. L’interaction
permanente entre le texte et l’image a contribué à créer cette identité, tout en laissant à
chacun la liberté de s’exprimer ou de créer individuellement. Jeunes architectes à
l’imagination débordante, ils ont très vite développé, notamment au travers des pages de
leur magazine, une série de mots-valises servant à désigner leurs projets. Les formules,
amusantes, marquantes, restaient ainsi dans les esprits. Ces jeux de mots sont l’une des
clés de leur succès12 : le Cushicle, le Living Pod ou la Walking City demeurent, encore
aujourd’hui, des formules systématiquement rattachées à l’identité du groupe. La
11
Learning from Las Vegas, de Robert Venturi, paraît en 1972, concrétisant l’intérêt des architectes pour une
architecture de l’éphémère et de la consommation, une architecture du « clinquant » qui communique et
fascine, malgré son absence de beauté et de raffinement. (Robert Venturi, Denise Scott Brown, Learning
from Las Vegas, Cambridge (Mass.), M.I.T. Press, 1972).
12
L’importance de l’aspect « littéraire » pour la diffusion des idées du groupe a d’ailleurs été analysée dès
1974 par Patrick Celeste et Michel Raynaud dans un article intitulé « Archigram : la production d’un
discours » (Patrick Celeste, Michel Raynaud, « Archigram : la production d'un discours », Architecture,
Mouvement et Continuité, n°33, mars 1974, pp.60-66.)
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simplicité, le côté « populaire » de leurs formules et slogans, les rattachent
indéniablement à la culture de masse, encore considérée comme une « sous-culture ».
De plus, si l’on en croit Rudolf Arnheim13, le langage permet d’atteindre d’autres
niveaux de signification que l’image, ce qui justifie l’intérêt du groupe : la combinaison
d’une image forte et d’un langage maîtrisé leur permettait d’optimiser l’impact de leurs
publications en stimulant simultanément plusieurs niveaux de représentation mentale
chez le lecteur. Dès le début de leur activité, les six architectes du groupe ont donc pris
conscience de l’apport que pouvait constituer le monde publicitaire et ont su en tirer
parti : inspirés, ils ont créé leurs propres slogans, concis, anonymes (“it’s all the same”14,
“Anything is possible”), ambitieux (“Archigram: beyond architecture”15), convaincants
(“We shall not bulldoze Westminster abbey”16).
A l’analyse, il apparaît donc que les titres et textes accompagnant les projets,
ainsi que les éditoriaux des magazines, sont beaucoup moins spontanés et légers qu’ils
semblent l’être. La maîtrise du langage et de la culture populaire est justement sensible
dans le fait que les architectes parviennent à donner une sensation de légèreté, de
jeunesse, de fun, alors qu’en réalité, les textes et expressions sont aussi minutieusement
étudiés et préparés que les dessins. De plus, le caractère inédit et inventif des
expressions qu’ils proposent constitue un attrait supplémentaire pour le lecteur. Ici
encore, l’influence de la publicité est indéniable, et il est possible d’ajouter que les
membres du groupe ont assimilé les principes publicitaires sans se contenter de les
copier. Ils travaillent notamment de façon approfondie les jeux d’opposition, employant
un vocabulaire mélioratif et positif pour leurs recherches et un vocabulaire dépréciatif
envers l’architecture existante et certains aspects conservateurs de la société anglaise de
l’époque. De plus, ils étudient avec soin les compositions des pages du magazine ou des
planches de présentation des projets afin d’en optimiser l’impact et l’efficacité et de
rendre leur travail « désirable » pour le lecteur ou le spectateur, comme s’il s’agissait
d’un produit de consommation. Une présentation ou un discours trop complexe ou
savant présenterait le risque de déstabiliser le lecteur, voire de le faire fuir. A l’inverse,
un vocabulaire trop banal, habituel, ne saurait capter l’attention du « consommateur »17.
Notons que le groupe va même jusqu’à faire une sorte de promotion de lui-même, ce
qui est sensible dans l’article collectif qu’ils publient en 1971 dans la revue
Architectural Design18, dans lequel ils se présentent dans une sorte de générique,
comme s’ils assuraient la publicité d’un film à succès.
De ces différents exemples, nous pouvons tirer la conclusion qu’il s’agit bien
d’une médiatisation du discours et de la pensée des architectes, inspirée par le monde de
la publicité et des moyens de communication en général, mêlant signifiants linguistiques
et iconiques.
13
« D’une manière plus générale, le langage permet de compenser une tendance perceptive à voir dans les
choses des formes pures. Ayant été forgé à des fins pratiques, il tend à suggérer des catégories plus
fonctionnelles que formelles, et donc à dépasser l’apparence. ». Rudolf Arnheim, La Pensée visuelle (1969),
Paris, Flammarion, 1976, p.253.
14
Archigram, n°3, automne 1963, non paginé.
15
« Archigram, beyond architecture », exposition au Museum of Modern Art, Oxford, 1967.
16
Archigram, n°3, op. cit.
17
« Dans notre Amérique à l’évolution si rapide, consciente de ses progrès, le client s’attend à ce que le
progrès lui tourne un peu la tête. Il serait vivement déçu s’il pouvait comprendre intégralement le jargon
publicitaire. Le caractère à demi compréhensible que nous nous attendons à trouver dans le langage du
produit le plus récent – que nous espérons même y trouver – rassure personnellement chacun de nous qu’il y
a progrès : que son rythme dépasse notre capacité à le suivre. ». Daniel Boorstin, L’Image (1961), Paris,
Union Générale d’Editions, 1971, p.325. Cette réflexion de Daniel Boorstin, au sujet de la publicité aux
Etats-Unis, rappelle combien il est important que le slogan ou le texte publicitaire soit attractif et spécifique
afin de tenter le consommateur, au risque qu’il se sente légèrement dépassé. En ce qui concerne les
expressions chères au groupe Archigram, le même équilibre entre inédit et accessibilité a su être trouvé.
18
« Archigram 1970-1971 », Architectural Design, n°41, août 1971, pp.485 à 497.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
32
Les emprunts opérés par le groupe dans d’autres domaines que l’architecture ou
l’art sont avant tout le témoin de leur grande curiosité et de leur soif d’assimilation de la
société dans laquelle ils vivaient. Dès 1967, Peter Cook affirmait ainsi :
« Nous sommes conscients que toute analogie entre, disons, l’industrie des moteurs de
voitures et l’industrie du bâtiment est suspecte, voire dangereuse, cependant, il est devenu
nécessaire pour nous de nous ouvrir à de telles disciplines afin de découvrir un langage
pertinent et approprié à la situation présente. »
19
L’art
En ce qui concerne le monde de l’art, les membres du groupe Archigram vont également
s’avérer de fins observateurs, et opérer des prélèvements dans certaines formes
d’expression qui leur semblaient pertinentes et suffisamment populaires pour pouvoir
porter leur message.
Le Pop Art les a ainsi attirés en ce qu’il touche l’imaginaire du public de façon
immédiate et durable, son impact et sa médiatisation pouvant être comparés à ceux qu’a
pu connaître le Surréalisme en son temps, à la différence que le Pop Art parvient
également à toucher un large public non-initié. De plus, il convient de garder en
mémoire que les jeunes peintres actifs dans ce courant en Angleterre évoluent dans un
« milieu » artistique londonien en pleine expansion, dans lequel ils côtoient notamment
d’autres jeunes créateurs, des élèves de l’Architectural Association (dont sont issus les
membres d’Archigram) entre autres, avec lesquels ils ont des débats passionnés sur la
société de consommation de masse et sur la façon dont elle peut être intégrée à l’art.
Malgré les ressemblances évidentes entre les projets du groupe anglais et
certaines œuvres issues du Pop Art, les architectes n’ont jamais réellement reconnu cette
influence, demeurant évasifs :
« On nous questionne souvent au sujet de notre imagerie pop. Nous ne sommes pas
vraiment préoccupés par son lien ou son absence de lien avec ce mouvement en peinture
ou en graphisme. Il doit y avoir un rapport, au niveau dynamique ou historique, entre
nous et les autres. »
20
Notons que cette attitude ne doit pas être perçue comme un déni, ou un rejet –
d’autant qu’il serait impossible au vu des dessins et collages d’Archigram, de renier les
liens avec le Pop Art – mais plutôt comme une volonté de placer le groupe en dehors de
toute démarche de reprise ou de copie. Il n’en demeure pas moins clair que le groupe a
su réutiliser à son avantage les codes d’une expression artistique qui rencontrait alors
un succès important.
Stratégie de communication
Nous venons de constater que les créations plastiques d’Archigram résultaient d’une
compréhension et d’une intégration de certains codes issus d’autres disciplines. Il
convient à présent de voir comment, alors qu’ils n’accèdent pas à la commande, les
jeunes architectes vont utiliser différents supports afin de communiquer autour de leur
travail et d’assurer leur auto-promotion.
19
“We are conscious that any analogy between, say, the motor car industry and the building industry is
suspect, and a dangerous one, yet it has become necessary to extend ourselves into such disciplines in order
to discover an appropriate language pertinent to the present-day situation.”Peter Cook, « Some notes on the
Archigram syndrome », Perspecta, n°11, 1967, p.137.
20
Peter Cook, « L’architecture et la scène changeante 1961-1966 », in Archigram, catalogue d’exposition au
Centre Georges Pompidou, Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, 1994, p.121.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
33
Les expositions
Formé en 1961, le groupe Archigram ne commença en réalité à être connu qu’à partir
de 1963, grâce à l’exposition « Living City » qu’il organisa à l’Institute of Contemporary
Arts (I.C.A.) de Londres. Le choix de ce lieu n’était pas anodin, car il s’agissait de l’un des
endroits les plus réputés de l’Angleterre, au niveau de l’audace et de l’avant-gardisme de
la programmation. Bien que cela soit dit à demi-mot, il semble que l’ambition inavouée
des jeunes anglais ait alors été de rivaliser avec – voire de surpasser – l’Independent
Group, dont l’exposition « This Is Tomorrow »21 avait marqué un cap dans la conception
de l’architecture et de la muséographie, et demeurait une référence :
« Lorsque nous avons organisé l’exposition "Living City" à l’I.C.A. de Londres en 1963 (la
première collaboration commune qui nous fit connaître en tant que "Groupe Archigram"),
nous étions tous très bien informés au sujet de l’exposition "This Is Tomorrow" organisée
par l’Independent Group en 1956. Rétrospectivement, ces deux événements paraissent
assez proches l’un de l’autre, bien que le fossé relationnel ait été assez important à
l’époque. »22
L’exposition « Living City » se distingue des autres expositions du groupe en ce
qu’elle fut relativement bien documentée, et qu’elle révéla au public anglais la
production de ces jeunes créateurs innovants et ambitieux. Le groupe, dans la droite
ligne de l’Independent Group quelques années auparavant, avait créé pour cette
exposition un logo, un plan de circulation, et une muséographie spécifique fondée sur
l’utilisation de la forme triangulaire23. Préparant leur évènement avec soin, ils avaient
même créé une maquette de la salle d’exposition et des panneaux qu’ils devaient
fabriquer eux-mêmes afin d’obtenir l’ambiance qu’ils souhaitaient. Ils furent soutenus
dans ce projet par une bourse de la Fondation Gulbenkian24, qui les encouragea et leur
permit d’assumer leurs ambitions. Ils passèrent également un accord avec le magazine
Living Arts, qui leur consacra un numéro spécial, qui tint lieu de catalogue
d’exposition25.
Le titre de l’exposition devait introduire le questionnement central, qui était
21
« This Is Tomorrow » eut lieu à la Whitechapel Art Gallery de Londres du 9 août au 9 septembre 1956.
Cette exposition se distingua par l’approche pluridisciplinaire de ses organisateurs, les membres de
l’Independent Group, qui s’étaient alors réunis en groupes pour réfléchir à des questions précises, concernant
notamment la nouvelle société et la façon dont l’architecture pourrait s’y adapter. La présentation du
catalogue, les jeux de mise en page, de collages et de « slogans », a indéniablement influencé le travail des
jeunes architectes qui se regroupèrent plus tard au sein du groupe Archigram, bien que ces derniers aient
souvent refusé toute filiation. Cf., Theo Crosby (ed.), This Is Tomorrow, Londres, Whitechapel Art Gallery,
1956, 127 pages.
22
“When we made the "Living City" exhibition in London’s I.C.A. in 1963 (the first combined operation by
what became known as the "Archigram Group") we were all too aware of the exhibition "This Is Tomorrow"
made by the "Independent Group" in 1956. Retrospectively, the two events seem quite close together, yet the
personal gap at the time was quite wide”. Peter Cook, « In Memoriam Archigram », op. cit., p.56.
23
La réflexion sur la muséographie doit être placée dans la tendance amorcée par l’Independent Group
consistant à se distinguer des autres expositions par une scénographie étonnante, voire déroutante. Dès 1953
en effet, à l’occasion de l’exposition « Parallels of life and art », organisée à l’I.C.A. à Londres, Eduardo
Paolozzi, Nigel Henderson et les Smithson eurent l’idée de présenter les images – qu’il s’agisse de
photographies, de dessins ou de documents – sous forme de panneaux ou d’écrans de très grandes
dimensions, suspendus sans ordre apparent, afin de plonger le spectateur dans un univers visuel proliférant.
24
Les bourses de la Fondation Gulbenkian, active dans divers pays d’Europe, sont destinées aux projets
artistiques reposant sur l’innovation, l’imagination et l’originalité. Cette fondation existe toujours
aujourd’hui.
25
Living Arts, n°2, juin 1963, 128 pages. Il est intéressant de noter que ce magazine, qui ne compta que
quelques numéros, était édité par Theo Crosby, ancien membre de l’Independent Group, qui avait aussi édité
le catalogue de l’exposition « This Is tomorrow ».
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
34
d’exprimer la vitalité de la vie citadine, plutôt que de vouloir en fixer un plan forcément
contraignant et soumis à une obsolescence certaine.
« L’architecture n’est pas seulement une petite partie de l’environnement en ce qui
concerne sa signification réelle ; c’est l’environnement dans son ensemble qui est
important, qui compte réellement. Le but était de déterminer l’effet que l’environnement
total a sur la condition humaine, la réponse qu’il peut engendrer – et de saisir, d’exprimer,
la vitalité de la ville. Nous devons perpétuer cette vitalité ou la ville va s’éteindre, contrôlée
par les planificateurs dominateurs et les architectes-esthètes. »26
L’impact de « Living City » fut considérable pour le groupe anglais, qui acquit
alors une réputation internationale, si bien qu’il fut convié en 1965 à participer à
l’exposition « Exploration du futur », organisée à la Saline d’Arc-et-Senans, à l’initiative
de Claude Parent et Patrice Goulet.
L’activité du groupe connut alors une certaine accélération puisqu’en parallèle de
l’exposition « Exploration du futur » Archigram participait simultanément, la même
année, à deux autres expositions, en Suède et en Angleterre, témoignant de la volonté du
groupe de se faire connaître, mais aussi du succès dont il pouvait alors bénéficier. Il est
notoire que l’exposition « Alarm » eut lieu au Teknorama de Stockholm – le musée
national de la science et de la technologie – et que le travail d’Archigram fut présenté
aux côtés de celui d’Hans Hollein et de Yona Friedman27. Dans le même temps, le groupe
exposait donc dans un bâtiment classé converti en centre culturel, dans un musée
technologique, et, en Angleterre, dans un grand magasin. Ce dernier fait peut sembler
révélateur d’un manque de reconnaissance du groupe au sein de son propre pays, en
raison de son anticonformisme, mais peut aussi être perçu comme une ironie grinçante,
typique du groupe, consistant à présenter une architecture consommable dans un
temple de la consommation.
Au fil des années, les expositions se succédèrent, jusqu’à la dissolution du groupe
en 1974, et même au-delà. Ainsi, à partir des années 1990, Archigram, ainsi que
d’autres architectes « prospectifs », tels Yona Friedman, Constant, ou Archizoom, firent
l’objet de rétrospectives, à travers le monde, et rarement dans leur pays d’origine et
d’exercice28. La plupart étant encore en vie lorsque ces évènements furent organisés, ils
furent sollicités afin de produire de la documentation et, parfois, de participer
activement à la mise en place de la scénographie. Certains, comme les anciens membres
du groupe Archigram, prirent ainsi l’habitude de participer à la mise en place de toutes
les expositions les concernant, en tant que propriétaires des archives du groupe d’une
part, mais aussi en tant que commissaires associés des expositions. Cette attitude, qui
peut être perçue comme une forme de mainmise sur la mémoire du groupe et sur le
discours relatif à sa production, s’explique selon Dennis Crompton, responsable des
archives, par une volonté de diffusion des messages du groupe, qui lui paraissent
26
“Architecture is not only a small part of city environment in terms of real significance; the total
environment is what is important, what really matters. The object was to determine the effect total
environment has on the human condition, the response it generates – and to capture, to express, the vitality of
the city. We must perpetuate this vitality or the city will die at the hands of the hard planners and architectaesthetes.” Archigram, « Living City », Living Arts Magazine, n°2, juin 1963, article reproduit dans Peter
Cook (ed.), Archigram, Londres, Studio Vista, 1972, p.20.
27
Voir Viktor Hufnagl, Peter Panholzer (et al.), Architecture autrichienne 1960-1970, catalogue d’exposition
à La Chaux-de-Fonds du 3 au 19/05/1969, Vienne, Redl, 1969, non paginé.
28
Mise à part l’exposition ‘Archigram’ qui parcourut trois continents, les autres rétrospectives se déroulèrent
dans un ou deux lieux tout au plus : en Hollande pour Yona Friedman (Netherlands Architecture Institute,
Rotterdam, mai 1999), en France pour Constant (Musée Picasso, Antibes, 30/06 – 15/10/2001), en Angleterre
puis aux Etats-Unis pour Superstudio (Design Museum, Londres, 01/03 – 08/06/2003 puis à la Pratt
Manhattan Gallery, New York, 20/11/2003 – 31/01/2004), en Suisse pour Archizoom (Ecole Polytechnique
Fédérale de Lausanne, 20/09 – 30/11/2007).
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
35
toujours d’actualité. De plus, avec un certain recul, les projets du groupe Archigram
s’avèrent souvent porteurs de messages bien plus profonds que ce que l’ironie à laquelle
ils avaient recours pouvait le laisser entendre à l’époque, ce qui est confirmé par le
succès qu’ont pu rencontrer certains anciens membres du groupe au sein de leurs
propres agences, comme Peter Cook ou Ron Herron.
L’exposition itinérante « Archigram expérimental architecture 1961-1974 », qui
eut lieu à l’occasion du vingtième anniversaire de la dissolution du groupe marqua le
point de départ d’une série d’événements rétrospectifs. Elle se déroula, entre autres, à la
Kunsthalle de Vienne, au Centre Georges Pompidou à Paris, au Design Museum de
Londres, au S.F. M.o.M.A. de San Francisco, et à l’Art Tower de Mito, entre 1994 et 2005.
Le succès qu’a pu rencontrer cette rétrospective d’une ampleur et d’une longévité
inédites, ne peut simplement être expliqué par un phénomène de mode ou
d’engouement pour les années 1960-70 ou pour l’ambiance « Pop » des représentations
et des maquettes exposées. Il se justifie par l’implication constante des membres du
groupe qui contribuent à faire évoluer la scénographie lors de chaque nouvelle
présentation, et entretiennent des contacts réguliers avec les grandes institutions
artistiques contemporaines, mais il est aussi possible de considérer que ce succès est
imputables aux représentations elles-mêmes qui continuent, des décennies après leur
production, à avoir un impact fort sur l’imaginaire des visiteurs. De plus, certaines de
leurs anticipations ayant depuis vu le jour, ils les intègrent à leurs travaux passés afin de
leur donner plus d’impact encore : ils utilisent par exemple aujourd’hui des techniques
de projections sur écrans géants dont ils rêvaient il y a trente ans, sans pouvoir se le
permettre, que ce soit techniquement ou financièrement29.
Au cours de ces différentes expositions, certains éléments, comme la
reconstitution de leur agence d’architecture ainsi que de certaines maquettes perdues
ou détruites, posent la question de la nature des travaux exposés : s’agit-il
d’installations, de témoignages historiques ou archivistiques (dans la reconstitution de
l’agence, la plupart des accessoires et fournitures sont d’époque), ou d’un refus
d’accepter la disparition d’une époque et d’un contexte florissants ?
Les publications
En parallèle des expositions, les membres d’Archigram, comme nombre de jeunes
architectes des années 1960-70 souffrant d’un manque de commandes, tentèrent de
transmettre leurs idées en exerçant une activité d’enseignement et en publiant des
articles et des ouvrages : ces trois approches leur permettaient de toucher les jeunes
architectes et un lectorat spécialisé, mais aussi, en parallèle, un public plus large.
En ce qui concerne les publications, on discerne deux cas de figure, selon que les
architectes bénéficiaient d’une certaine reconnaissance et étaient publiés dans des
revues nationales ou internationales à grand tirage, ou devaient recourir, comme
l’évoque Jean-Paul Jungmann au cours de cet entretien, à l’auto publication :
« Et puis nous avions cette habitude de l’auto-publication – comme d’ailleurs tous les
fabricants de projets théoriques qui depuis le XVIIIe siècle, depuis Fischer Von Erlach, Le
Piranèse, puis Karl Friedrich Schinkel au XIXe siècle, se sont eux-mêmes publiés. Le
groupe Archigram publiait des petits fanzines. D’autres publiaient des affiches comme
Superstudio par exemple. Donc l’auto-publication est une tradition des projets théoriques,
c’est ce que l’on fait jusqu’au moment où les revues d’architecture s’intéressent à vous et
29
Lors de l’exposition « Beyond Architecture » du Museum of Modern Art à Oxford (1967), la technique de
projection d’images sur des écrans géants avait cependant été expérimentée. Mais la technologie actuelle leur
a permis de créer de nouveaux jeux visuels, de nouvelles juxtapositions d’images, et de mettre en scène
toutes leurs idées sans les contraintes techniques auxquelles ils devaient faire face en 1967.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
36
publient vos propres productions. »
30
La pratique de l’auto publication était l’une des plus fréquentes à l’époque, car les
revues architecturales ne publiaient le plus souvent que les architectes ayant déjà
construit ou remporté un concours, ce qui n’était pas le cas des jeunes groupes
considérés comme radicaux ou avant-gardistes.
L’une des plus anciennes et des plus célèbres revue de type « fanzine » de
l’époque, éditée par des jeunes architectes, fut celle, éponyme, du groupe Archigram,
feuillet édité à partir de 1961, et sacré dès 1966 par Reyner Banham “reigning
champion of protest mags (…).”31. Cependant, lors de la parution du premier numéro, la
fragilité et le format d’Archigram32 ne laissaient pas supposer la longévité – treize
années – et le succès auxquels la revue était promise. Ce numéro ne comportait en effet
que deux pages, imprimées en noir et blanc à l’aide de « Gestetner »33, il fut
essentiellement diffusé à l’Architectural Association et à la Regent Street Polytechnic de
Londres et s’adressait, selon Simon Sadler, à « toute personne prête à débourser « le prix
conséquent d’1 shilling et 6 pences » – principalement des étudiants et des
professionnels récemment diplômés. »34
Rapidement, la revue s’imposa comme un support à la fois ludique et revendicatif,
original et surprenant. Les numéros qui suivirent se perfectionnèrent au fil des années.
Le “funny little magazine”35 augmenta son tirage36 et acquit une certaine renommée en
Angleterre et dans le monde37. Comme le souligne Marie-Ange Brayer : « Pour
Archigram, l’édition appartenait au processus de création. Cela faisait aussi partie de
l’œuvre du groupe. »38
Ce qui caractérisa dès les premières années la revue Archigram fut son autonomie
et la nouveauté des idées qui y étaient exposées. Laissant la parole à des étudiants ou à
des architectes qui étaient encore peu connus (Andrew Anderson, Patrick Hamilton,
David Chapman…) les membres du groupe affirmaient en effet leur détermination à se
30
Jean-Paul Jungmann, cité dans Hans Ulrich Obrist, « Interview avec Jean-Paul Jungmann à propos
d’utopie en architecture », Archphoto, rivista digitale di architettura, arti visive e culture
(www.archphoto.it/hans.html), 17 décembre 2001, p.4.
31
« Le champion en titre des magazines de protestation ». Reyner Banham, « Zoom wave hits architecture »,
Design by Choice, Londres, Academy Editions, 1981, p.64. Article initialement paru dans New Society, le 3
mars 1966.
32
Neil Steedman évoque, en guise de présentation de ce premier numéro: “ a 6d. sheet (…) with a collage of
eight schemes ” (un feuillet à 6 pences (…) avec un collage de huit projets). Neil Steedman, « Student
magazines in British architectural schools », Architectural Association Quaterly, vol.3, n°3, été 1971, p.38.
33
Les Gestetner étaient les premiers photocopieurs tels que nous les connaissons aujourd’hui. Présents dans
les écoles d’architecture, ils permirent aux étudiants d’expérimenter de nouvelles techniques de reproduction
et de montage pour leurs dessins et leurs textes. Pendant longtemps, le nom de la marque fut utilisé pour
désigner les photocopieurs.
34 “anyone prepared to shell-out "the grand price of 6d and 1/6" – mainly students and newly graduated
professionals.” Simon Sadler, « The Brutal birth of Archigram », in Twentieth Century Architecture, n°6 (n°
special «The sixties, life, style, architecture»), 2002, p.121.
35
Peter Cook, « Natalini Superstudio », Architectural Review, vol. 171, n°1021, mars 1982, p.48.
36
En l’absence de chiffres précis, il est seulement possible de donner une estimation du nombre de copies
distribuées, en se fondant sur les entretiens avec Dennis Crompton et Simon Sadler. Il apparaît ainsi que le
premier numéro d’Archigram fut édité à environ deux-cents ou trois-cents exemplaires, chiffre qui ne cessa
d’augmenter pour atteindre environ mille exemplaires en 1964 pour Archigram n°4 et entre trois mille et cinq
mille exemplaires pour Archigram n°9. Ce chiffre, quoiqu’important pour une revue auto éditée par de jeunes
architectes, atteste néanmoins de la confidentialité de cette diffusion. De plus, alors que tous les numéros
furent vendus jusqu’à épuisement des stocks, il semble qu’à partir du numéro 9, les ventes aient stagné. La
fin de la publication serait donc également liée à une baisse d’intérêt de la part des lecteurs. Entretien avec
Simon Sadler, 7 juin 2007.
37
Dès 1964, la revue était distribuée à Paris, Chicago, Los Angeles, Helsinki et Stockholm, et en 1969, elle
était également vendue à New York, Berlin et Florence.
38
Entretien avec Marie-Ange Brayer, Directrice du F.R.A.C. Centre, Orléans, 10 novembre 2005.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
37
détacher de tout modèle éditorial et idéologique préexistant. Mais ce qui marqua les
esprits et contribua à faire de cette revue l’une des plus célèbres revues d’architecture
auto-éditées fut le sens inné du slogan ou de la formule dont firent preuve les jeunes
architectes. Nous rejoignons ici la position de Michela Comba, lorsqu’elle considère
que :
« Les ambitions linguistiques d’Archigram ont acquis une valeur sémantique
provocatrice, comme ils insistaient sur la valeur communicative de l’architecture, tout
en déclenchant simultanément une réflexion sur la signification de la discipline en ellemême, et également sur certains concepts architecturaux déjà établis. »39
Par le biais de leur « archigrammaire »40, ils parvinrent à se faire connaître et à
diffuser leurs concepts en empruntant, comme nous l’avons vu, certaines techniques de
communication au monde de la publicité. En somme, pour Archigram, l’architecture est
image et discours : en parallèle du code graphique qui devint rapidement leur marque
de fabrique, ils élaborèrent au fil des années un code linguistique, avec humour et
inventivité. La dimension ludique de cette approche déplaisait d’ailleurs à leurs
collègues italiens, qui considéraient, comme certains détracteurs du groupe, que tout ce
travail « manquait de conscience sociale (et politique), négligeant l’individu au profit
d’une suprématie technologique »41 Cependant, la fluidité et la mnémotechnie de leur
langage – peut-être due à la jeunesse des membres du groupe et à leur spontanéité
proche de la désinvolture – assura à la revue un succès dont les membres du groupe
furent les premiers étonnés, comme l’explique Peter Cook :
« Cela me fascine, en fait, que le "langage" d’Archigram ait grandi aussi rapidement qu’il
l’a fait, qu’il ait été aussi âcre qu’il a pu l’être, et soit devenu aussi imitable que cela. »
42
Sans le savoir, les six architectes anglais ont anticipé, dans leur revue à faible
tirage, certaines techniques de graphisme et de communication qui seraient exploitées
plus tard dans le domaine de la communication, comme par exemple la dialectique
entre le texte et l’image, la présence d’éléments dynamisants43, ou le fait de surprendre
le lecteur ou de lui offrir des cadeaux44. Au final, cela les conduisit à une « médiatisation
par le discours du processus réflexif »45 qui rendit leur modeste publication célèbre,
dans une certaine mesure46.
39 “Archigram’s linguistic pursuits took on provocative semantic value, as they insisted on the
communicative value of architecture while simultaneously triggering a reflection on the meaning of the
discipline itself and also on some established architectural concepts.” Michela Comba, « Through the
Architectural Telegram », Controspazio, avril 2002, p.23.
40
Patrick Celeste, Michel Raynaud, « Archigram : la production d'un discours », op. cit., pp.60-66.
L’expression « archigrammaire » est ensuite réutilisée dans différents articles, dont : Michela Comba,
« Through the Architectural Telegram », op. cit., pp.20-41.
41 “[The work] was lacking in social (and political) conscience, disregarding the individual in favour of a
technological supremacy.” Hans Hollein, « A comment from Hans Hollein », in Peter Cook (ed.), Archigram,
op. cit., p.6.
42 “It amazes me, in fact, that the Archigram "language" grew up as quickly as it did, and was as pungent as
it was, and became as imitable as it was.” Peter Cook, « In Memoriam Archigram », op. cit., pp.55-56.
43
Dans la plupart des numéros, se trouvent ainsi des bulles rappelant les bandes dessinées (Archigram, n°4,
7), ou des personnages interpelant les lecteurs (Archigram, n°7), ou encore des doigts pointant le lecteur afin
de l’apostropher (quatrième de couverture d’Archigram, n°9). Notons que ce dernier exemple est clairement
inspiré des affiches de recrutement et de propagande qui furent éditées au cours des deux Guerres Mondiales,
récupération étonnante de la part d’Archigram mais dont l’analogie se limite peut-être au simple but
recherché, celui de convaincre le spectateur qu’il est personnellement concerné.
44
La couverture du numéro 4 de la revue (1964) se transforme en « pop up », par exemple ; en 1970, dans le
numéro 9, un paquet de graines de fleurs était offert, et cela était indiqué sur la couverture, comme dans les
revues de l’époque offrant un cadeau promotionnel : “free seed offer” (graines gratuites offertes).
45
Patrick Celeste, Michel Raynaud, « Archigram, la production d’un discours », op. cit., p.61.
46
Comme nous le précisa Michel Ragon lors d’un entretien en juin 2005, l’importance de la revue était
relative : elle eut une très grande importance dans le milieu architectural avant-gardiste ou underground
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
38
Archigram fut, pendant treize ans, la revue d’architecture originale, la petite
publication confidentielle underground que l’on ne trouvait seulement que dans
quelques lieux dans le monde, et dont les étudiants en architecture se délectaient.
En parallèle des expositions et des publications, Archigram s’illustra aussi en
expérimentant de nouveaux modes de communication : le groupe fit ainsi office de
pionnier dans le domaine filmique lorsqu’il parvint à réaliser en 1966 un film éponyme,
produit par la B.B.C. Conçu comme un reportage de seize minutes, ce film se composait
essentiellement de vues en couleurs de projets du groupe, avec, en bande son, les
commentaires des jeunes architectes, certains bruitages techniques, ainsi que des
extraits de chansons des Beatles. Le message de ce film, qui présentait en détail une
sélection de six projets47, était celui du questionnement sur le progrès et sur l’adaptation
nécessaire de l’architecture à ce dernier. Diffusé à la télévision et lors des expositions du
groupe, ce film leur permit de transmettre certains messages clés de leur réflexion,
appuyés par des images fortes, capables de marquer les esprits et d’attirer l’attention sur
ces groupes d’architectes innovants. Retenons par exemple : « L’automatisation est une
façon de penser avant d’être une façon d’agir, (…) les villes sont en premier un
ensemble d’événements et seulement en second lieu une collection de bâtiments, (…) le
fossé entre les faits [la science] et la fantaisie se rétrécit, (…) des immeubles sans le
moindre potentiel de transformation ne peuvent que devenir des bidonvilles ou des
monuments anciens. »48 Soutenue par ces affirmations dignes de slogans, l’idéologie du
groupe put atteindre, par l’intermédiaire de ce film, de très nombreuses personnes, en
Angleterre essentiellement. De plus, le fait d’être produit par la B.B.C. leur assura une
certaine reconnaissance officielle, qu’ils ne parvinrent à obtenir dans le milieu
architectural que bien plus tard49.
A ces moyens de diffusion traditionnels s’ajouta, de la part du groupe anglais,
une véritable stratégie de positionnement, ou d’autopromotion, qui visait à les placer au
centre de la tendance prospective européenne.
En partant de l’idée selon laquelle les groupes d’architectes peuvent être
considérés comme des groupes sociaux, au sens défini par la psychologie sociale50, il
serait possible de dire qu’Archigram est le « groupe de référence » en Europe pour cette
période, en suivant la définition de Sherif et Sherif énoncée comme suit :
« Les groupes de référence sont les groupes auxquels l’individu se rattache
personnellement en tant que membre actuel ou auquel il aspire à se rattacher
européen, qui y trouva une source d’inspiration fraîche et décalée. Dans les écoles d’architecture, les
magazines circulaient entre les étudiants leur permettant, malgré leur petite quantité, d’être lus par de
nombreux lecteurs. Cependant, selon Michel Ragon, hors de ce « milieu », la publication passait
pratiquement inaperçue.
47
Dans l’ordre d’apparition: Computer City (1964), World Fair tower (1963), City interchange (1963),
Walking Cities (1964), Capsule house (1965), Plug-In university (1965). Film visionné à l’AA photo library
(bibliothèque photographique de l’Architectural Association), à Londres.
48 “Automation is a way of thinking before a way of doing”, “cities are first a number of events and only
secondly a collection of buildings”, “the gap between fact and fantasy narrows”, “buildings with no capacity
to change can only become slums or ancient monuments”.
49
Bien que les membres du groupe Archigram bénéficient d’une certaine reconnaissance dès les années
1970, notamment par le biais de l’enseignement qu’ils dispensaient, on considère en effet que la
reconnaissance professionnelle de leur travail n’intervint qu’en 2002, avec l’obtention de la médaille d’or du
R.I.B.A.
50
Rappelons par exemple la définition donnée par Henri Janne, selon laquelle : « Le groupe social est
constitué d’individus unis par des relations dont le caractère fonctionnel l’emporte sur les aspects
dysfonctionnels et dont le réseau s’organise par complémentarité. Le groupe social a un objet manifeste qui
consiste en la réponse à un besoin objectif ou subjectif des membres ; relativement à ce besoin les membres
ont entre eux plus de relations qu’ils n’en ont avec des individus extérieurs au groupe ou avec d’autres
groupes. ». Henri Janne, Le Système social. Essai de théorie générale, Bruxelles, Editions de l’Institut de
Sociologie, 1968, 575 pages, p.167.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
39
psychologiquement ; ou, en d’autres termes, ceux auxquels il s’identifie ou désire
s’identifier. »
51
Cependant, dans le cas d’Archigram, il convient de rajouter à cette définition du
groupe de référence une dimension négative, car Archigram est sujet à l’admiration des
autres groupes, mais suscite également des réactions beaucoup plus vives et critiques,
qui ne lui enlèvent pas pour autant sa position de référent, les réactions se faisant « par
rapport » au groupe Archigram. Le groupe anglais reste donc, quelle que soit la réaction
qu’il génère – admiration ou répulsion – l’étalon auquel on se mesure.
En tant que groupes sociaux, les groupes d’architectes peuvent s’interpénétrer –
c’est parfois le cas en Autriche et en France, du moins temporairement – ou demeurer
totalement extérieurs les uns aux autres52.
A partir du dépouillement de la revue Archigram et des mentions des autres
groupes architecturaux contemporains, européens, mais aussi américains et japonais
qui y sont faites, il est possible de déterminer certains faits. Il apparaît ainsi, à partir du
numéro 3 de la revue – paru à l’automne 1963 – que le groupe anglais était bien
renseigné sur l’actualité de la recherche en architecture, et lisait régulièrement des
revues étrangères, comme L’Architecture d’Aujourd’hui53 par exemple, afin d’être
toujours au courant des nouveautés. Certains groupes ou architectes étrangers sont
mentionnés à plusieurs reprises, et dans différents numéros, c’est par exemple le cas de
Yona Friedman54, et d’autres ne sont cités qu’une fois, avec un nom mal orthographié55,
notamment lorsqu’il s’agit d’un nom allemand ou autrichien. Cependant, les mentions
d’architectes étrangers sont relativement rares ou évasives, jusqu’au numéro 6 – paru
en novembre 1965 – qui marque le début d’une tendance qui ne quittera jamais le
groupe, consistant à chercher à révéler et à prouver l’existence d’un réseau mondial
architectural d’avant-garde, dont Archigram serait l’épicentre56. Cette volonté de mise
en valeur des liens relationnels et théoriques trouve son apogée en 1970, avec le
numéro 9 de la revue, dans lequel les architectes anglais vont proposer une carte
intitulée “Archigram’s international interchange”57, présentant une vision du monde
découpé en « Archizones »58. Comme le souligne avec pertinence Simon Sadler :
51
Muzafer Sherif, Carolyn Sherif, Reference Groups. Exploration in the Conformity and Deviation of
Adolescents, New York, Harper et Row, 1964, cité dans Pierre De Visscher, La Dynamique des groupes
d’hier à aujourd’hui, Paris, PUF, 2001, p.39.
52
Nous suivons ici la théorie d’Eugène Dupréel. Cf. Eugène Dupréel, Le Pluralisme sociologique, Bruxelles,
Office de Publicité, 1945, 80 pages, et plus spécialement les pages 8 à 10.
53
L’Architecture d’Aujourd’hui est mentionnée comme revue de référence dans Archigram, n°4, mai 1964,
p.18.
54
Yona Friedman est cité dans les numéros 4, 5, 6 et 7 d’Archigram.
55
Comme le souligna Reyner Banham avec humour dès 1966, la mauvaise orthographe des noms semble
avoir été partie prenante de la politique éditoriale d’Archigram : “Architecture, staid queen-mother of the
arts, is no longer courted by plush glossies and cool scientific journals alone but is having her skirt blown up
and her bodice unzipped by irregular newcomers which are – typically – rhetorical, with-it, moralistic, misspelled, improvisatory, anti-smooth, funny-format, cliquey, art-oriented but stoned-out of their minds with
science fiction images (…).” [trad] « L’Architecture, la reine-mère guindée des arts, n’est plus uniquement
courtisée par les magazines scientifiques cossus, brillants et froids : elle voit maintenant ses jupes voler et
son corsage se dégrafer avec l’arrivée de nouveaux-venus en situation irrégulière qui sont – typiquement –
rhétoriques, dans le coup, moralisateurs, mal orthographiés, improvisateurs, anti-lisses, format-amusant, en
clans, tournés vers l’art mais shootés aux images de science-fiction et déconnectés de leur esprit.
56
Voir à ce sujet les articles « Archigram – the international scene » et « directory of experimental
architects », Archigram, n°6, novembre 1965, non paginé. Reyner Banham, « Zoom wave hits architecture »,
Design by Choice, Londres, Academy Editions, 1981, 152 pages, p.64. Article initialement paru dans New
Society, le 3 mars 1966 (notre traduction).
57
« Les inter-échanges internationaux d’Archigram ». Cf. Archigram, n°9, 1970, p.3.
58
Selon ce document, il y aurait en tout onze « archizones » dans le monde, réparties comme suit : Archizone
1, Royaume-Uni ; Archizone 2, Europe ; Archizone 3, Scandinavie ; Archizone 4, Union Soviétique ;
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
40
« L’identification des "Archizones" suggérait de la part d’Archigram une certaine anxiété à
comprendre sa propre position sur la scène internationale. Peut-être Archigram avait-il
besoin de s’assurer qu’il était bien le centre des évènements (…) »
59
Le groupe référent aurait donc lui aussi besoin de trouver des points de
comparaison afin de se situer sur le plan architectural et théorique, au niveau mondial.
La volonté de clarifier et de classifier les données peut surprendre de la part du groupe,
et être interprétée comme une réaction au doute. Néanmoins, en dépit des
questionnements sous-jacents, ces documents cartographiques demeurent précieux car
ils témoignent d’une réelle originalité dans l’approche des phénomènes
architecturaux60, approche qui coïncide avec la mondialisation des rapports humains
que les architectes commencent à expérimenter au quotidien. En proposant des articles
– parfois très succincts – et des illustrations pour neuf des onze « archizones » qu’ils
définissent61, les membres du groupe témoignent en tout cas d’une culture
architecturale générale très étendue, et semblent vouloir prouver qu’il existe de réels
contacts entre tous ces mouvements à travers le monde. Qu’en était-il vraiment ? Les
contacts et collaborations étaient-ils réels ou seulement épisodiques ? La revue
Archigram était-elle vraiment au centre du débat, au cœur de l’actualité
architecturale ? La réponse à de telles questions ne peut être univoque, en raison de
l’ampleur des échanges et du réseau que ces interrogations supposent. L’étude de la
réception du travail de ce groupe pourrait amener des éléments de réponse.
La question de la réception (ou l’al’a-réception)
Comme cela a été évoqué précédemment, la pratique de l’auto publication était très
fréquente dans les années 1960-70. La plupart des publications consacrées à
l’architecture « visionnaire » émane donc des architectes eux-mêmes, soucieux de
diffuser par ce moyen leurs projets et leur approche inédite de l’architecture. Poser la
question de la réception de leur production, dans la presse ou au sein de publications
plus conséquentes, s’avère donc complexe, en raison, d’une part, du manque
d’objectivité et de recul des architectes lorsqu’il s’agit de commenter leur propre travail,
mais aussi en raison du manque de représentativité des quelques articles et publications
restants lorsqu’on exclut les textes auto publiés.
Certes, et malgré certaines accointances éditoriales avérées, le fait que plusieurs
revues à grand tirage telles Casabella ou Architectural Design62 laissent la parole aux
Archizone 5, Afrique ; Archizone 6, Chine ; Archizone 7, Asie ; Archizone 8, Japon ; Archizone 9, Amérique
du Nord ; Archizone 10, Amérique Latine ; Archizone 11, Asie Australe.
59 “The identification of "Archizones" suggested Archigram’s anxiety to comprehend its own position on the
international stage. Perhaps Archigram needed to ascertain that it was at the centre of the activity (…).”
Simon Sadler, Archigram, Architecture without Architecture, Cambridge (Mass.) et Londres, M.I.T. Press,
2005, p.152.
60
Deux ans auparavant déjà, dans le numéro 7 de la revue, le groupe avait utilisé une carte de l’Europe
intitulée “ Networks around the channel ” (les réseaux autour de la Manche) afin d’expliquer avec quels
architectes innovants ils étaient en contact, et où la revue Archigram était diffusée. Apparaissait également
sur ce document « le réseau architectural de Team X », sur lequel se superposait celui d’Archigram. Cf.
Archigram, n°7, décembre 1966, p.4.
61
Seules les Archizones 5 et 6, l’Afrique et la Chine, ne sont pas évoquées en détails.
62
La politique éditoriale d’Architectural Design reste néanmoins une exception à l’époque, comme le
confirment notamment Simon Sadler et Jean-Paul Jungmann : Sadler explique en effet que la revue “was
always regarded by the schools and profession as a suspiciously bohemian journal (…), appealing to a
foreign as much as a domestic readership.” [trad] « la revue était toujours considérée par les écoles et la
profession comme un journal bohème (intrépide) suspect (…) attirant autant le lectorat étranger qu’une
audience nationale » ; Jungmann, quant à lui, se remémore que : « La revue AD (Architectural Design) était
la plus inventive parce qu'elle était en permanence à l'affût de tout ce qui se produisait à la fois dans la forme
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
41
jeunes architectes pour présenter et commenter leur travail peut déjà être considéré
comme une certaine marque de reconnaissance, ou du moins d’ouverture d’esprit.
Cependant, cette pratique ne permet pas réellement à la dimension critique de ces
revues de se développer. Ainsi, dans Architectural Design, tous les articles concernant
les projets d’Archigram étant présentés par les membres du groupe, il est dès lors
difficile de se détacher du ton positif et mélioratif et de l’ambiance propre au groupe
afin de se forger une opinion critique. Malgré l’irrégularité du rythme des
publications63, la présence sporadique d’articles concernant Archigram entre 1966 et
1974 laisse au moins supposer une permanence de l’intérêt de l’équipe éditoriale, et par
conséquent du lectorat.
Le groupe Archigram se distingue d’ailleurs des autres groupes européens par
une certaine continuité dans la recherche d’opportunités de publication, en parallèle de
leur propre magazine64. Conscients de la fadeur de certaines célèbres revues
d’architecture, les jeunes architectes choisissent volontairement de publier également au
sein de magazines ou publications plus populaires65. Le groupe parvient ainsi à
bénéficier d’une renommée internationale, bien que toujours circonscrite à quelques
revues dans le monde et à une diffusion souvent restreinte. Les différentes publications
affichent une certaine unité stylistique, qui contribua à créer l’identité d’Archigram. La
publication simultanée en septembre 1964, par exemple, du projet Plug-in City dans la
revue américaine Architectural Forum et dans le supplément couleur du Sunday Times
en Angleterre66, contribua à faire de ce projet l’une des images « phares » du groupe
dans le monde, et à diffuser à ce sujet un discours unifié, contrôlé par les membres du
groupe. De même, la publication systématique d’articles à l’occasion des expositions ou
rencontres auxquelles le groupe participait67, assura une certaine homogénéité du
et dans la structure : un petit abri, un arrêt d'autobus, la photo d'une structure, un dessin, parfois des très
petites choses. ». Voir Simon Sadler, Archigram, Architecture without Architecture, op. cit., p.148, et JeanPaul Jungmann, cité dans Hans Ulrich Obrist, « Interview avec Jean-Paul Jungmann à propos d’utopie en
architecture », op. cit., p.13.
63
Le groupe publia par exemple trois articles dans le seul numéro d’Architectural Design de novembre 1966
(David Greene, « Living Pod », pp.570-572, David Greene, Mike Webb, « Drive-in Housing », pp. 573-75,
Mike Webb, « The ultimate drive-in living », p.576), alors que durant toute l’année 1967, il n’en publia que
deux (« Living 1990 », mars 1967, p.146 ; « Control and Choice », octobre 1967, pp.475-479).
64
Les membres d’Architecture Principe, par exemple, ne publièrent pratiquement aucun article durant
l’année de publication de leur revue éponyme, il en va de même pour Constant dont les textes furent réservés
au Bulletin Central de l’Internationale Situationniste de 1958 à 1960 ou encore pour Aubert, Jungmann et
Stinco durant leurs quatre années de contribution à la revue Utopie.
65
Archigram publia ainsi notamment en Angleterre dans le Sunday Times Colour Magazine en 1964 et en
1965, dans le Woman’s Mirror en 1966 et dans le Daily Express Colour Supplement en 1970. Ils obtinrent
aussi un petit commentaire de Steward Brand dans le Whole Earth Catalogue en 1971, ce qui fut marquant
car cet ouvrage était édité à plusieurs millions d’exemplaires. Il fut donc possible de lire au sujet du groupe
anglais : “[It’s] the "Captain Billy’s Whiz Bang" of architecture, with lots of imitators by now and still no
equals.” [trad] C’est le "Captain Billy’s Whiz Bang" de l’architecture, souvent imité mais jamais égalé.
Note : "Captain Billy’s Whiz Bag" était le nom d’un magazine humoristique édité par un vétéran de guerre
aux Etats-Unis au début du siècle. Le nom a sûrement été déformé par erreur. Voir Stewart Brand (ed.), The
Last Whole Earth Catalog, Santa Cruz, Portola Institute, 1971, p.89.
66
« Plug-in City Study », Architectural Forum, 8 septembre 1964 ; « Plug-in City », Sunday Times Colour
Supplement, 20 septembre 1964. Comme le souligne Simon Sadler, “The Sunday Times Colour Magazine
recognized in Plug-In City (…) the sort of statement about swinging Britain that was establishing the
magazine as the definitive popular guide to lifestyle and ideas.” [trad] Le Sunday Times Colour Magazine
reconnut dans Plug-In City (…) l’exemple même du type de declarations concernant la « swinging Britain »
qui étaient en train de faire du magazine une référence populaire de taille en matière de style de vie et
d’idées.. Simon Sadler, Archigram, Architecture without Architecture, op. cit., p.143.
67
« Living City exhibition », Living Arts Magazine, n°2, 1963 ; « I.D.E.A. Folkestone », Bau, n°3, 1966 ;
« Folkestone », Architectural Design, juin 1966, pp.312-313 ; « Il "Milanogram" alla Triennale », Domus,
n°468, novembre 1968, p.9 ; « Milanogram », Architectural Design, avril 1968, pp.151-152 ; « Archigram at
the Milan Triennale », Architectural Design, juillet 1968, p.298.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
42
message, et contribua à prouver le sens de l’auto promotion dont sut faire preuve le
groupe dès ses premières années d’existence.
Cette pratique monopolistique empêcha de fait tout retour critique, et échappa
d’ailleurs à toute norme éditoriale, les articles allant de la brève de quelques lignes à
l’article plus détaillé consacrant plusieurs pages à un même projet. Bien qu’Archigram
en demeure l’exemple le plus significatif, à la même époque, cette pratique éditoriale est
commune à différents groupes et architectes prospectifs européens, dont les plus
féconds furent Yona Friedman et Superstudio.
Parmi la très faible quantité d’articles édités à l’époque sur les groupes individuellement,
différents éléments récurrents sont à souligner. Il convient en premier lieu d’insister sur
une tendance, de la part des architectes adeptes de l’auto-publication, à la curiosité
envers les autres groupes de l’époque : ils n’écrivent donc pas uniquement au sujet de
leur propre production, mais se montrent désireux de jeter des ponts entre les
différentes pratiques internationales, qu’ils avaient eu l’opportunité de découvrir au
cours d’évènements ou de conférences.
Notons d’ailleurs que les revues italiennes telles Domus ou Casabella, connues
pour leur avant-gardisme et leur audace éditoriale, publiaient assez fréquemment des
projets d’architectes anglais ou autrichiens. La France, en revanche, semble isolée au
sein de cette démarche de publication et d’intérêt mutuel.
La difficulté d’étude de la question de la réception tient donc partiellement à un
certain monopole mais aussi à la très faible quantité de critiques disponibles. Certes, il
est possible de rencontrer les qualificatifs d’ « insolent », « inhumain » ou
« obsessionnel » à l’encontre de la revue ou des projets du groupe68 Archigram, mais
cela demeure des exemples isolés, pour lesquels il est souvent impossible de juger s’ils
correspondent ou non à l’opinion la plus répandue. Cependant, certains éléments, dont
« The Tales of the six wise giants from Archigram » édité par Warren Chalk dans
Architectural Design en 1976, laissent supposer que le groupe Archigram subissait de
nombreuses critiques proférées verbalement, qui devaient avoir un impact certain sur sa
popularité. Il est ainsi possible de lire dans cet article :
« Les gnomes grognèrent face à l’imagerie des géants et la traitèrent de "futuriste" et
d’« inexploitable » et les géants se grattèrent la tête, incrédules »
69
Quelques critiques plus acerbes peuvent en revanche être trouvées, surtout à
partir des années 1970, au sein de publications plus conséquentes. Ainsi, alors que
Philip Drew se contente d’énumérer les principaux reproches généralement faits au
groupe “kookie pop art frivol”70 Archigram – manque de pertinence des sujets et
contenus des projets, insignifiance de leur intérêt pour la technologie, absence de
68
Dans l’article « Amazing Archigram », en 1965, Archigram est en effet qualifiée de « revue insolente » ;
dans l’article « I.D.E.A… », il est possible de lire que les membres du groupe “are obsessed. But they are not
mad.” [trad] « ils sont obsessionnels. Mais ils ne sont pas fous » ; et dans l’article « Archijam Tomorrow.
What has Archigram achieved? », Geoffrey Broadbent considère que “Plug-in city was inhuman; [and] was
also megalomaniac.” [trad] « Plug-in City était inhumaine ; [et] était aussi mégalomane ». Voir « Amazing
Archigram », op. cit., p.48, « I.D.E.A… », Architectural Design, juin 1966, p.312, et Geoffrey Broadbent,
« Archijam Tomorrow. What has Archigram achieved? », Architectural Association Quaterly, juillet 1973,
p.58.
69
Voir Warren Chalk, « Hyper-tech to bio-tech », Architectural Design, mars 76, pp.154-155. Le conte des
six géants occupe en réalité la quasi-totalité de cet article. On y devine une profonde frustration de la part de
Warren Chalk quant à l’incompréhension dont, selon lui, le groupe était victime, de la part des « gnomes »,
symbolisant le commun des mortels ou peut-être les critiques : “But the gnomes did not understand and
shouted "fascist". (…) The gnomes snorted at the giants imagery and called it "futuristic" and "impractical"
and the giants scratched their head in disbelief.”
70
Philip Drew dit emprunter ces adjectifs à Reyner Banham. Malgré leur volontaire mauvaise orthographe,
ils peuvent être traduits par « dingue pop art frivole ».
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
43
contribution à l’amélioration des techniques de construction71 – en y apportant une
certaine nuance, Charles Jencks, en revanche, cite Siegfried Giedion et Costantinos
Doxiadis pour appuyer sa réserve quant au travail du groupe, et spécialement à leur
exposition « Living City » :
“Sigfried Gideion, le grand historien de la génération précédente, a lancé un véritable
missile condamnant les pratiques d’Archigram au nom de Le Corbusier qui venait de
s’éteindre, et Doxiadis, un autre partisan de l’architecture "universelle", se plaignait : "le
pire de tous les exemples [de dystopies], cependant, s’est présenté lors d’une exposition à
Londres en 1963 où on présentait une ville en marche (qui marchait), dont tous les
immeubles conçus comme des tanks en acier se mouvaient mécaniquement et écrasaient
très certainement, comme le font les tanks, toute nature et toute personne sur leur chemin.
L’exemple est ahurissant, non seulement parce qu’il représente, de la part d’un petit
groupe de personnes, une absence totale d’humanité dans sa conception de la ville de
l’avenir, mais aussi parce qu’ils ont bénéficié d’une importante publicité, sans, à ma
connaissance, aucune protestation. »
72
Dans le même ouvrage, Jencks évoque d’ailleurs une série d’attaques à peine
masquées envers le « mouvement » Archigram, et en particulier de la part des Smithson,
qui furent pourtant à l’origine de l’approche novatrice de l’architecture mise en avant
par le groupe.73
Il semblerait donc que les critiques, pratiquement absentes des revues à l’époque,
soient à rechercher au sein d’ouvrages plus conséquents et portant sur des thèmes plus
généraux, parus pour la plupart au moment où les groupes commençaient à se
dissoudre et relâchaient peut-être leur vigilance. La rareté globale des critiques demeure
71
“Their critics assert with some justification that their choice of subject matter is largely irrelevant to the
purposes and means of architecture, their insights into advanced technology trivial, and their contribution to
the refinement of building technique negligible.” [trad] « Leurs critiques déclarent avec force arguments que
le choix des contenus manque largement de pertinence en ce qui concerne les objets et les moyens de
l’architecture, que leurs connaissances dans le domaine de la technologie demeurent trop superficielles et que
leur contribution à l’amélioration des techniques de construction est négligeable. » DREW, Philip, Third
Generation, the Changing Meaning in Architecture, Londres, Pall Mall Press, 1972, 175 pages, p.102).
72 “Siegfried Giedion, the grand old historian of the previous generation, fired off a missile condemning
Archigram in the name of Le Corbusier who had just died, and Doxiadis, another proponent of "universal"
architecture, complained: "the worst example of all [dystopias], however, appeared at a London 1963
exhibition where a walking city was shown, with all buildings conceived as steel tanks moving mechanically
and certainly crushing, as tanks do, nature and any person outside them. The example is appalling, not only
because it represents an inhuman conception of the city of the future by a small group of people, but because
it received wide publicity without, as far as I know, any corresponding protest.” Charles Jencks, Modern
Movements in Architecture, Harmondsworth, Penguin Book, 1973, p.291.
73
Jencks explique en effet cela dans les termes suivants : “In fact, the Smithsons, with a consistency rare for
them, launched a series of slightly-veiled attacks on the whole Archigram movement. (…) This seems
extraordinary on face value : the Smithsons renouncing their "But Today We Collect Ads" for a return to
propriety and "An Essay on the Doric"! Until one remembers that in the politics of modern architecture,
whenever one person occupies a new polemical position, it changes the positions of all the rest : the
Smithsons had been outflanked on their left-tending extremism and had to occupy the reverse fiels in order to
be heard.”. [trad] « En réalité, les Smithson, avec une cohérence rare de leur part, lancèrent une série
d’attaques à peine masquées envers l’ensemble du mouvement Archigram. (…) Cela semble relever d’un
courage extraordinaire : les Smithson renonçant à leur "But Today we collect ads" pour revenir aux bases
rassurantes de "An essay on the Doric"! Etonnant jusqu’à ce qu’on se souvienne que dans le domaine de
l’architecture moderne, dès qu’une personne occupe une nouvelle position polémique, cela modifie d’autant
la position de tous les autres : les Smithson ont été débordés dans leur extrémisme de tendance gauchiste, et
durent donc occuper les terrains opposés (de l’autre camp) afin de se faire entendre. » Charles Jencks,
Modern Movements in Architecture, op. cit., p.292.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
44
néanmoins l’un des faits ayant permis à Archigram de s’auto-promouvoir à la place
centrale de l’avant-garde architecturale européenne de l’époque.
Les membres du groupe Archigram, souvent surnommés les « Beatles de
l’architecture »74 en raison de leur intérêt pour la musique, la culture Pop et le « fun »
en général, vécurent ces expériences partagées durant près de quinze ans. Cependant, ce
phénomène créatif ironique et ludique, coloré et provocant, prit fin en 1974, avec la
parution du dernier numéro de la revue, Archigram 9 ½. Cette numérotation tronquée
aurait pu laisser espérer une suite, mais l’aventure s’acheva sur ce dernier clin d’œil.
Depuis, cela a été dit, le groupe a toujours conservé un droit de regard sur les
expositions et les publications le concernant.
Longtemps considérés comme des « rebelles », Ada Huxtable les qualifie
notamment de « un groupe renégat de jeunes architectes aux esprits irrépressibles et à
la créativité impressionnante... »75, le groupe Archigram n’a obtenu de reconnaissance
officielle que depuis une dizaine d’années, avec notamment en 2002 la remise de la
médaille d’or du Royal Institute of British Architects (R.I.B.A.) pour l’ensemble de leur
travail.
Cependant, cette reconnaissance tardive, que les membres survivants ont
acceptée avec plaisir, a suscité des réactions controversées de la part du milieu
architectural, beaucoup considérant que les membres du groupe anglais perdaient de
fait toute crédibilité critique et subversive. La même année, Peter Cook et David Greene
ont également reçu le « Annie Spink Award for excellence in architectural education »,
valorisant leur impact dans l’enseignement de l’architecture.
Il est possible de se demander si ces récompenses ne constituent pas en réalité
l’aboutissement d’une ultime stratégie, une stratégie artistique inscrite dans la durée,
établie par les membres du groupe après sa dissolution et visant, principalement par le
biais de l’enseignement, à perpétuer et à préserver intact leur message.
74
Cette analogie a souvent été employée pour les désigner, attestant de leur popularité mais aussi d’un
contexte où le phénomène de « groupe » sortait du cadre des arts du spectacle pour atteindre l’architecture.
Ainsi, en 1976, Martin Pawley annonçait : “The Beatles were to popular music in the early sixties as
Archigram was to architecture.” [trad] « Les Beatles étaient à la musique populaire au début des années 1960
ce qu’Archigram était à l’architecture. » Martin Pawley, « "We shall not bulldoze Westminster Abbey" :
Archigram and the retreat from technology », Oppositions, n° 7, hiver 1976, p.25. Cette comparaison sera
reprise dans plusieurs articles, on trouve ainsi mention des « six Beatles du monde architectural » dans un
article consacré à une exposition des œuvres du groupe en 1994 (Ira Mazzoni, Süddeutsche Zeitung, n°. 78, 7
avril 1994, p.12.) Cependant, Peter Cook n’a jamais réellement accepté ni apprécié cette comparaison,
comme en témoigne un article paru à l’occasion de la remise de la médaille d’or du R.I.B.A., en 2002 : “I’ve
never been really convinced by the comparison with the Beatles; they were very British and we are a bit
more international. I prefer Les Six, a group of international experimental composers from the 1930s.” [trad]
« Je n’ai jamais été vraiment convaincu par la comparaison avec les Beatles ; ils étaient très britanniques et
nous sommes quand même un peu plus internationaux. Je préfère Les Six, un groupe de compositeurs
internationaux expérimentaux des années 1930. » Peter Cook, cité dans « Honour for architects who failed to
build anything », The Independent (Londres), 14 février 2002, p.11. Peter Cook fait ici allusion au « groupe
des Six », aussi appelé « Les Six », composé de G. Auric, L. Durey, A. Honegger, D. Milhaud, F. Poulenc et
G. Tailleferre, et formé en 1918. Notons enfin que Dennis Crompton, quant à lui, s’identifiait davantage à
certains groupes de Rock plutôt qu’à la musique Pop, ce qui est confirmé par le fait qu’il collabora avec le
groupe Pink Floyd au cours d’un festival à Brighton en 1967. (Entretien avec Dennis Crompton, Londres, 15
février 2008).
75 “Renegade group of young architects with irrepressible minds and impressive creativity…”Ada Louise
Huxtable, « Archigram : experimental architecture 1961-1974 », The Wall Street Journal, 23 avril 1998.
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45
Artistic
Artistic strategies within glocalisation
glocalisation in the United Kingdom
Gabriel Gee
Observations of global fluxes and networks as well as their impact on contemporary
societies have been furthered in the past ten years or so by an attention to the derivative
phenomenon of glocalisation. What is the process of ‘glocalisation’ and what might be its
relevance to the artistic field? Barbara Czarniawska in her study on the glocalisation of city
management entitled A tale of three cities proceeded to recall the emergence of the concept:
“[The] combination of homogenising and heterogenising forces attracted the attention of
Japanese marketers as early as the 1980s, when, according to [Roland] Robertson, they coined
the expression dochakuka. The word, in Robertson’s translation, means ‘global localization’,
or telescoping global and local to make a blend”.
1
From this basis, the term encompasses a range of different meanings. On the one
hand, it has a practical application in terms of marketing strategy: that of tailoring
commodities to local markets. This is exemplified by the strategies of large corporate
businesses which adapt a core generic product to new and culturally diverse local markets
of consumption.2 A related strategy consists in fetishising a specific place and its
characteristics with the aim of branding a product.3
Both these marketing strategies can provide useful and problematic insights into the
artistic production and diffusion within the art world at the end of the 20th century.
However, at the other end of the spectrum, the term may be used to describe the capacity of
a specific entity (a place, a person, an actor) to adjust the influence of globalisation and the
process by which everything becomes more and more alike, to its specific conditions and
requirements.
“A picture emerges in which globalisation and localisation happen simultaneously and
entertwine, becoming the cause and the result of one another. In such a picture, globalisation
might mean the movement of a form, or a practice from one locality to another, [or a
translation of an embodied practice into a set of abstract concepts]; and localization might
mean a ‘construction of a distinct identity’ according to a global prescription, or an opposition
to the forces of globalisation via a defense of a local tradition.”4
Consequently, one of the issues that lies at the heart of the glocalisation process
consists in assessing in which direction the trend is going: towards homogenisation, or
1
Barbara Czarniawska, A Tale of Three Cities, or the Glocalisation of City Management, Oxford, Oxford
University Press, 2002, p. 12.
Roland Robertson, “Glocalization: time-space and homogeneity-heterogeneity”, in M. Featherstone, S. Lash, and
R. Robertson (eds), Global Modernities, London, Sage, 1995, pp. 25-44.
2
For instance, the company Mac Donald has a range of regional products which are variations stemming from its
central and global mode of production. They cater for the specific requirements of a population: India for example
has only chicken and fish burgers, and the Big Macs have become Maharaja Mac or McCurry Pan.
3
This fetishizing strategy has been visible for instance in the presence of Antony Gormley’s monumental
sculpture the Angel of the North in Gateshead (1988) as a distinctive silhouette in a wide range of adverts and
organisations. See Paul Usherwood, “Landmark Sculpture in the Age of Publicity”, in Gilbert Bonifas (ed),
Lectures de la ville, the city as text, Actes du colloque de Newcastle-upon-Tyne, Nice, Faculté des lettres de Nice,
2000, pp. 119-30.
4
Barbara Czarniawska, op.cit, p. 14.
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towards heterogenisation?5 This interrogation could be considered within the broad history
of the globalisation process, for it is rightly considered to be an ancient process. The selfchristened ‘universal museums’,6 or even the 16th and 17th century ‘cabinet d’amateurs’ can
be considered as early and exemplary receptacles of global artefacts.7 However, this paper
will focus solely on some aspects of artistic strategies within more recent global history. In
David Harvey’s analysis of time-space compression, it is the acceleration of the process and
in particular of financial and information flux at the end of the 20th century that has
brought considerable changes in what Eric Swyngedouw calls ‘scalar configurations’.8 In
Swyngedouw’s analysis scalar configurations are understood to be ‘the outcome of sociospatial processes that regulate and organise social relations’. In this perspective, the analysis
of “the continuous reshuffling and reorganisation of spatial scales [which] are integral to
social strategies and serve as the arena where struggles for control and empowerment are
fought”, revolves around the attention to regulatory orders (institutions, governmental, or
regional state bodies…), and economic networks, as well as the tensions that arise between
economic and political life.9 In these approaches, cultural practices are subjugated to the
determination of the economic and the political. Without neglecting the considerable
importance of those fields, this paper shifts attention towards the artistic field as a
participant in the glocalisation process, an actor thereby both determined and determining.
The notion of scale as a constantly evolving process of interaction will be retained. On this
basis, we will propose a preliminary approach to some of the scalar configurations in the
recent history of art practices and art fields in the United Kingdom at the end of the 20th
century. This will bring us to consider the embeddedness of artistic scales, the way by which
different scalar levels (the local, the regional, the national, the international, the global),
superpose the one on the other, and some of the dynamics, strategies, and opportunities that
have been at play in the recent history of contemporary British visual arts within this
entertwined and mobile system.
The individual/body scale
The elementary minimal scale at play in the artistic realm is that which physically surrounds
and stems from the artist, as an individual who has to pursue his work within the lines of
guidance developed within his own plastic thought and artistic practice. Even on this
minimal scale, there are multiple and necessary contacts with wider networks and sets of
practices, which may be that of his teachers, of fellow artists, of inspiring artistic figures or
art works, of technical interactions ranging from the expert services of gallery technicians to
the resources of the local paint seller.10 However, the artistic activity of the artist can stand
as a basic individual level from which strategies in the social realm proceed – they might be
inherently socially articulated, but the amount of social inclusion stems from the initial
practice. We can use a revealing example in order to outline this elementary configuration.
The artist Joash Woodraw had studied fine arts in Leeds, and, a promising student,
went on to the Royal College of Art in London at the beginning of the 1950s to study
painting.11 He then moved back to Leeds, and went on to produce a very large body of work.
5
Ibid Czarniawska follows Marshall Sahlins who observed that “even as the world becomes more integrated
globally, it continues to differentiate locally – the second in some measure stimulated by the first”, p. 12.
6
“Declaration on the importance and value of universal Museums”, in ICOM NEWS, n. 1, 2004, p. 4.
7
What role do Museums play in the Globalisation of Culture, London Debates Report, Gabriel Gee, Michel
Stefano & Uta Protz (eds), London, School of Advanced Studies, n. 1, 2010.
8
David Harvey, The Condition of Postmodernity: an Enquiry into the Origins of Cultural Change, Cambridge,
Mass, Oxford, Basil Blackwell, 1989, p.189-200
Erik Swyngedouw, “Globalisation or ‘Glocalisation’ ? Networks, Theories and Rescaling”, Cambridge Review of
International Affairs, vol. 17, n 1, April 2004.
9
Ibid p. 26
10
Howard S. Becker, Les mondes de l’art, Flammarion 1988, pp. 89-111.
11
Philip Vann, « Withdrawal into reality, the life and art of Joash Woodraw », P. Vann & J. Wullshlager (eds),
Joash Woodraw, Landscapes, Leeds, Leeds Metropolitan University, 2007, pp. 10-54.
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He was working within a modernist landscape tradition, producing all through his life
subtle variations in the genre of British Expressionism. He painted with gusto the industrial
landscapes of Yorkshire, such as in a depiction of a light quarry scene with mills and cranes
(Quarry Scene II 1985-90), of the colourful layers building up the one on the other to the
smoking chimneys in the blue sky of a Leeds industrial landscape (1965-70), or, in a
testimony to the changing times and the progressive evolution from a decaying northern
industrial economy to a new service based tertiary economy, a sombre Derelict Mill in North
Leeds (1950-55), the dubious post-war modernist architecture that had grown alongside
the industrial layer (Modern City Building 1965-70), and the all encompassing high rise
city buildings that accompanied Leeds’ development as the financial capital of the North
(Two Trees with high rise city buildings beyond 1975-80).
The engagement of Joash Woodraw with the deindustrialisation of the Yorkshire
city, and the poetic and colourful documentation of its historical mutation, however,
remained totally private. The artist had effectively suffered a depression after leaving the
RCA, and he produced his body of work within the confines of the family house in Leeds,
never showing his paintings to the outside world (let alone in a gallery). For thirty years, the
drawings and paintings had been accumulating in his house, only to be ‘discovered’ when
he was obliged to move for health reasons in 2000. It is only then that his work came to the
attention of art conservator Andrew Stewart, and that the reappraisal and the exhibition of
the work was organised.12 In other words, his strict self-sustainability as a practitioner
which implied an absence from the art world was eventually counter-fought by his
immediate surrounding environment. On the whole, it provides a striking example of the
importance of the elementary interaction that lies at the heart of the artistic network.
Without a strategy of presentation and exhibition from the artist, without a strategy of
visibility, chains of cooperation do not come into action, and there remains nothing but
void.13 Furthermore, as Michael Wilson argued with regard to the work of Irish artist Shane
Cullen, “[the term] strategy would seem to entail planning, the identification of targets or
goals, the mobilisation of resources and the naming of acceptable losses. Strategy implies
agency: a strategist”.14 The body and intentionality of the artist stand as the minimal artistic
scale. And from the individual scale, a prism of strategies ranges from nothingness, as the
acceptance of non-reception, to global tactical artistic positioning.
Artists’ corporation: the studio
By and large, artists engage in various community scales and networks that form the spatial
extension of their activities. One form of organisation which articulates the intermingling of
different artistic scalar configurations are the artists’ studios.
“Just as lawyers go to court, doctors to hospital, engineers and architects to their site, scientists
to their laboratories, so artists must have their places where they go to work too. By hanging
out their shingles on the doors of these premises for all the world to see, they proclaim art as a
job and a vocation for life”15.
In the United Kingdom, a distinctive phenomenon of the creation and the
multiplication of collective studios occurred from the 1970s onward. It witnessed for
12
Ibid p. 14.
the artist died before the opening of the exhibition at Leeds Metropolitan University Gallery in 2007, but it
appears he was clearly against it all
13
H.S. Becker, op.cit, pp. 112-14.
14
Michael Wilson, in Fragmens sur les institutions républicaines IV, Orchard Gallery, Derry, Centre d’art
contemporain de Vassivière en Limousin, 1997, p. 15. The text underlines the martial connotations which can be
found and read in strategic positioning.
15
Bernard Loughlin, “The Queen’s Own Royal Collectives”, in Beyond the partition, Queen Street Studios,
Belfast, 1984-94, a tenth anniversary celebration of an artist initiated project, Belfast, Queen Street Studio, 1994,
pp. 6-7
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instance the emergence of the ACME studios in London in 1972,16 Yorkshire Artspace
Society in Sheffield in 1977,17 ArtSpace Merseyside Limited and the Liverpool Artists
Workshop in Liverpool in 1976 and 1980,18 Manchester Artists Studios Association (MASA)
in 1982,19 Belfast Queen Studios in 1984,20 and The Wasps Artists Studios in Scotland at the
beginning of the 1980s.21 Often taking over derelict buildings abandoned by the declining
traditional manufacturing industries, studios provided a professional environment for a
steadily increasing number of artists. In the 1990s, the trend has been pursued, while the
role of mediation studios play between artists and the world extended in scope.
The variety of scales studios have come to encompass in the 1990s can be exemplarily
observed in the activities of East Street Arts in Leeds. The organisation was set up in 1993 by
two artists, Karen Watson and John Wakeman. It then came as an addition to the existing
studio facilities in the city, such as Oblong Studios, Third Floor Studios, Jackson Yards, Leeds
Artspace Society.22 ESA however came to address voluntarily and exhaustively the range of
scales in which the artist can or should be strategically involved at the turn of the
millennium. These included the body scale, the community scale, the professional scale, the
urban, regional, national and international scale, and increasingly, the global scale. Firstly,
studios afford artists with a place to work, a departure space from which to produce their
craft. From accommodating eight artists, ESA grew up to a fifty spaces facility, and from a
pattern-following installation into “a very bleak depressive building”,23 it developed into a
set of three studios (Beaver, Patrick and Barkston) with a range of facilities. This expansion
was accompanied by an effort to engage with artists’ needs. It implied providing services
such as kitchen facilities and heated communal rooms, evolving into a café room and project
spaces which facilitate the important role studios play in community networking and social
representation. But it also involved the setting up of a programme “for structured support
outside of academic institutions” that “fosters an ethos of professional development”.24
Alongside the premises and their social use, the organisation provides professional support,
and expects its residents to engage in purposeful practical and strategic job development,
thus in many ways entailing an active relationship between the aesthetic thought of
individuals and the wider social spaces of the neighbourhood, the city, or the international
artistic field. Furthermore, ESA was instrumental in setting up with other art professionals in
Leeds a network of exchanging ideas and opportunities in Leeds Visual Art Forum (LVAF,
which became operational at the end of the 1990s). Its relation to the city was also enhanced
by its participation to Situation Leeds in 2005 and 2007, a series of art interventions taking
‘the city as a gallery’.25 The latter underlines the role studios play in exhibiting and
representing artists work, in particular through ‘open days’, and specific artistic events such
as the ‘Social Club’ promoted by ESA.26 This role of professional and social relations can be
extended by a studio organisation into international networks, as ESA did through Leeds’
twin city, Dortmund, by organising a research trip to Berlin and a related exhibition in
Leeds, or by collaborating with the Dutch artist and curator Jeanne Van Heeswijk in a work
16
<www.acme.org.uk> March 2010
<http://artspace.org.uk/about-us/premises> March 2010
18
Artspace Merseyside, Liverpool, 1986.
Pete Clarke in interview with the author, 2007.
19
Beyond the Endgame : Abstract Painting in Manchester, exhibition curated by Ben Cook, Manchester,
Manchester City Gallery, 2003.
20
Queen Street Studios, op.cit. 1994
21
<http://www.waspsstudios.org.uk> March 2010
22
Karen Watson in interview with the author 2008.
23
Ibid.
24
East Street Art, “Workspace, facilities: Patrick Studios” <http://www.esaweb.org.uk> March 2010
25
Declan McGonagle in interview with the author, 2008. The strategy of using the urban fabric was noticeably
developed and promoted by the curator Declan McGonagle at the Orchard Gallery in Derry in the 1980s. It
involved an enhanced interaction with local inhabitants.
26
East Street Art, Programme <http://www.esaweb.org.uk> March 2010
17
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49
promoted by both Leeds metropolitan university Gallery and the Henry Moore Institute.27 As
information flux and artistic fields of pertinence became increasingly globally accessible, as
a conglomerate of practitioners, studios have been able to provide an organisational visibility
to artists, as well as facilitating their negotiation of a prism of scalar strategies which can
ultimately mix the local scales with the global inputs of transnational relations.28
The Tugged at Museum
The older and richer brother of the artists’ studio is the art museum, through which
artists can access a space of visibility with more certainty. Museums, and amongst them art
museums, can be seen as “enjoying a unique position” in a “system of multi-layered scales”.29
Historically linked to the process of globalisation in that the Wunderkammer and the first
19th century museums were in many ways collectors of global artefact, museums have
increasingly found themselves at the centre of conflicting processes.30 Their collections may
claim to preserve the ‘universal’ as much as the particular, and are subject to multiple social
and political claims related to access, representation, as well as property and restitution
issues. Furthermore, in the context of accelerated time-space compression, they find
themselves embedded in global tourism, as well as global competition. With regard to
artistic strategies in the United Kingdom, one of the generic questions concerns the nature of
the interaction of art museums within various scalar configurations, and what importance
might the regional or the national scale for instance, have in comparison with the local or
the global scale? In addition, how do museums strategies within these scales serve or
interfere with those of practitioners?
One parameter which begs to be considered in these perspectives and in the context
of Great-Britain, is the crucial role played by the national scale in the framing of museums’
activities at the end of the 20th century. In a study of Manchester economic embeddedness in
global processes, Peter Dicken insisted on the perils of considering solely “the two extremes
of the spatial scale”, global and local scales, thereby bypassing the persistent role of regional
and national scales, as well as international scales such as the European Union, and thus
neglecting the inter-scales-relations that contribute to shape scalar configurations.31 A
similar outlook has to be kept in mind in observing the cultural field and its own volitions.
In particular, national cultural policies have maintained an important role in shaping the
British art scenes at the end of the 20th century, a moulding which is encapsulated in
museum orientation. The 1980s’ conservative governmental imposition of principles of
efficiency, value for money, and entrepreneurial attitudes and objectives within the public
cultural field has had long lasting and diverse effects.32 Noticeably, the insistence on
furthering a ‘sense of place’ and the local provision of ‘community’ services which appear as
core elements of museums’ activities are directly linked to national incentives. For instance,
the Tate Liverpool was an important infrastructural addition to the Merseyside city, which
developed from its inception a ground-breaking outreach education department. However,
27
Karen Watson in interview with the author 2008. The project promoted by Moira Innes and the University
Gallery and taking place in and around the Henry Moore Institute was entitled “A Christmas Pudding for Henry”
(1999). It also involved an investigation into the multilayered scales of the city.
28
Not all studios obviously function as such, but ESA in its activities at the turn of the millennium concentrate a
series of negotiation of glocal scales which can be understood as a collective extension of those similar
negotiations engaged on the level of the individual artist mentioned in the first place.
29
London Debates Report, op.cit, 2010
30
Martin Prösler “Museums and globalisation”, in Sharon Macdonald & Gordon Fyfe (eds) Theorizing Museums:
Representing Identity and Diversity in a Changing World, Oxford, Blackwell, 1996.
31
Peter Dicken, “Global Manchester, from Globaliser to Globalised”, in Jamie Peck & Kevin Ward (eds), City of
Revolution, Restructuring Manchester, Manchester, Manchester University Press, 2002, pp.18-20.
32
Richard Heffernan, New Labour and Thatcherism. Political change in Britain, Chippenham, Wiltshire,
Palgrave, 2001.p. 9.
Robert Hewison, Culture and Consensus. England, art and politics since 1940, London, Methuen, 1995.
p. 209-50.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
50
it may be pointed out that when the museum opened in 1988, it was then known as the ‘Tate
in the North’.33 It was very much a creature of the London mother-centre (and a pioneering
one in terms of museums’ branches), which aimed to enlarge its exhibition spaces. It was
also a product of state policies, as it was to be located in the Jesse Hartley’s Albert Docks,
which were under the jurisdiction of the Merseyside Development Corporation created in
1981. The MDC was both an economic tool aiming to foster regeneration in the city, and a
political tool bypassing the local socialist council.34 Within the competitive trans-industrial
economy, where tourism and services are the new coal, art and cultural institutions have
modernised their role as assets of distinction for cities. They are assets in the global scale
which involves global tourists as well as global investments which the nurturing of a
creative class is deemed to favour,35 as well as the regional scales whose economic intercompetitiveness British national policies have contributed to renew.36
Within this complex scalar embeddedness, Roland Robertson’s initial analysis of
glocalisation contains significant applications into the art world, as he pointed out how
“much of what is often declared to be local is in fact the local expressed in terms of
generalised recipes of locality”.37 In other words, celebration of specific places through
artistic input, can to some extent be read as the repetitive pattern imposed by national and
global economic and political forces, thereby functioning in an analogical manner to the
‘invention of consumers tradition’. In the United Kingdom, then trend has clearly been
incarnated by the Arts Council ‘Pride of place’ financial strategies, epitomised in its 2002
publication listing all the major projects the lottery money has made possible since its
inception in 1994.38 Nonetheless, there is often scope for considering the liberty displayed
by museums and artists within the determined opportunities favoured by the State. As North
of Ireland curator Declan McGonagle pointed out, art has always historically had to
‘negotiate’ with founders. The regeneration process is just a contemporary occurrence of a
long lasting trend involving both determination and freedom of action:
“My simple aggressive response is: rain is wet, get an umbrella. If you sit down with the
regeneration process, and you think you can add value to that as opposed to being a victim of
it, as an artist or a curator, then you must do that, you must find a way of doing that. If you
don’t feel you can do that, don’t do it”.39
On the whole, there are on any scales (macro, meso, or micro), specific political,
social, and economic considerations that need to be addressed in order to assess thoughtfully
the tidal orientation of the interaction according to one’s positioning and intentions. In echo
to Bruno Latour’s identification of different strategies at play in the process of conducting
scientific progress, it is often possible for the actors in the art world to take advantage of an
identified top-down or external scheme. An agenda which in all appearance seems to be
estranged from an actor’s own terms and identified goals (which can include various strands
of artistic experimental devices and strategies), might turn out to provide through lateral
33
Tate in the North, a gallery for modern art in Liverpool, Tate Gallery march 1985, Tate Gallery Archive
(656/04/5B/1).
Frances Spalding, The Tate: A history, London, Tate Publishing, 1998, p. 222-44.
34
Chris Couch, Charles Fraser & Susan Percy, Urban Regeneration in Europe, Blackwell Science ltd, Oxford,
2003, pp. 33-55.
Stephen Edgell & Vic Duke, A measure of Thatcherism. A sociology of Britain, Londres, Harpercollins
Academic, 1991, pp. 86-116.
35
Richard Florida, Cities and the Creative Class, New York, Routledge, 2005.
36
Brian Robson, “Mancunian ways: the politics of regeneration”, in Jamie Peck & Kevin Ward (eds), City of
Revolution, Restructuring Manchester, Manchester, Manchester University Press, 2002, pp.36-7.
37
Robertson, Glocalisation, op.cit, p. 26.
38
Pride of place – how the lottery contributed 1 billion to the Arts in England, London, The Arts council of
England, 2002.
39
Declan McGonagle in interview with the author, 2008.
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51
routes a channel conducive to the initial intentions and their fulfilment. 40
Jumping the scale:
scale: double peripheries in the 1980s
There has been a specific conjunction in the case of the United Kingdom between the
acceleration of global time-space compression, and the implementation of neo-liberal
influenced policies in the 1980s following the election of Margaret Thatcher in 1979.41
Within this political context, which favoured the shift to a financial economy and a tertiary
economic sector connected to global fluxes, spectacular opportunities of ‘jumping the scale’
were witnessed. The young British artists’ success story has certainly captured the limelight
of observers. The mythical rise of the Goldsmith College students in the late 1980s came to
embody the entrepreneurial turn of the times. Their rapid recognition in the art world
through celebrated personal endeavours enhanced DIY strategies and values into the British
art field and art colleges. Artist-led initiatives had been nationally increasing in volume
since the 1970s, as the rise in artist studios organisation testifies, and the national impact of
the yBa’s coronation in the 1990s reinforced the model and the expectations of many
newcomers.
However, if we look back at the broader national scale in the 1980s rather than
solely at the achievements of the London art scene, an equally significant phenomenon can
be observed. If with the exception of some important but solitary figures in art departments,
the art production in the British regions outside the capital may have appeared in the
aftermath of the Second World War as largely provincial in nature, the 1980s triggered new
developments in the then peripheries of the British art world.42 These developments can be
seen in an analogical manner as that which prompted the yBa to ignore the conventions of
the artistic career and take precedence in the London art market. There appeared conclusive
examples of strategic efforts to jump the national artistic scale and reach directly a field of
international discussion and practice. In Glasgow, the success of the New Glasgow Boys, as
well as the recognition of the works of artists associated with the sculpture and
environmental art course in Glasgow School of Art in the 1980s, constructed new
independent platforms for the local art production. It appeared they were not so much
related to London’s validation mechanism, as directly connected to New York and more
generally to the circuit of international art. Similarly, it might be argued that the Orchard
Gallery which was set up in Derry in 1978, managed to establish a model of artistic
pertinence from a regional base. In the then troubled times of communitarian opposition
and sectarian violence, in a city which had previously not been endowed with an art gallery,
the Northern Ireland curator and first director of the gallery Declan McGonagle established
a model of artistic agency, inviting a wide prism of artists to come and engage with the city,
the region and their inhabitants. The programme featured local artists, such as Willie
Doherty and Locky Morris, as well as artists already active in the international art world,
such as Richard Long, Nancy Spero, Leon Golum, and Richard Hamilton. In investing in the
publication of catalogues featuring essays and interviews with the artists, it exemplarily
profiled the work done in Derry as specifically and autonomously installed in the site in a
dialogue with global artistic scales, and not as a an offspring of external central British
40
Bruno Latour, La science en action, introduction à la sociologie des sciences, Paris, La découverte, 2005,
p. 264 and 292 Bruno Latour in considering the strategies used by scientific laboratories and inventors to promote
their ideas and experiments underlines how a fragile position can be turned into an unassailable one. For instance,
the week position (actor) can change its path in order to join forces with the interests of a stronger party; or it can
convince the stronger party of the interests it would gain to change his path and join the weaker side; alternatively,
the weaker side can convince the stronger one to join its interests for at time, on the condition that they will
eventually return to the initial goal of the stronger side; or, it manages nether to return to that initial goal, and
pursues its own interests, up to the situation where this weaker position becomes the stronger position, and can
bring all other parties to follow its interests. This description which applies to the sociology of science, can be
transferred quite literally in the art worlds.
41
David Harvey, A brief history of neoliberalism, Oxford, Oxford university Press, 2005, pp. 22-3
42
Peter Davies, A Northern School : Lancashire Artists of the 20th century, Bristol, Redcliffe press, 1989, p. 22.
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currencies.
In Newcastle-upon-Tyne, the Basement Group which evolved into Projects UK also
embodied this capacity to develop an alternative type of artistic production. Originally an
open-stage for performers in the early 1980s, the group became an artistic agency in 1983,
basing its practice in a conscious geographical, artistic, and political opposition to the
influence of the southern centre.43 The practice it nurtured in the North East, and linked to
various international connections in Europe and in America, was at odds with the trends in
London. It was also voluntarily opposing the exodus of artists attracted by the possibilities of
the multi-scalar city.44 Significantly, within the United Kingdom, it articulated its time-based
performance activities in resistance to London’s central position, and furthered practices
which can be seen as ‘shying away’ from the determining line promoted in the centre, to use
Carlo Ginzburg and Enrico Castelnuovo’s analytical terms in their seminal essay on Centre &
Periphery.45 The positioning of artistic practices in the provinces which appears to stand as
from a ‘distance’, or a ‘gap’, must be seen to be specifically related to the political context.
Bryan Biggs, the Bluecoat Gallery director in Liverpool, underlined this relation between
geography and politics at the beginning of the 1980s:
At that period, in the eighties… they were some individuals who I thought together created
this Liverpool aesthetic, or northern aesthetic, which had nothing to do with London… If you
take the ‘connections catalogue’, you have someone like John Hyatt, who was based in Leeds….
He’d been taught by Terry Atkinson… who has been very influential on this new generation of
artists, and wanted them to do some work in response to this new Thatcherite economics, that
were devastating northern cities. You couldn’t just stand by and do nothing, you had to do
something”.46
The ‘shying away’ which can be seen in the work of John Hyatt, of Pete Clarke and
David Campbell, in the programme of the Bluecoat Gallery - which as well as local artists
also provided exposure for oppositional practices such as the Black Art movement and
engaged feminist practices – or in the work of aforementioned Projects UK, the Orchard
Gallery, the emergence of a vibrant Glasgow scene, reinforced the independence potential of
the British regions. Furthermore, it is not by coincidence that these developments occurred
in the context of acute political tensions, as well as increased technological development.
The local production and diffusion of art works with international and global connections
and participation into fields of artistic pertinence in the British regions in the 1980s, result
from a local reaction to a national agenda, infused with empowered trans-national
connectivity. During the decade, local creativity and strategies of production and visibility
parallel the upsurge of new technologies of communication. Ginzburg and Castelnuovo
furthered their enquiry into spaces where an artistic distance had been expressed, into the
analysis of the appearance of ‘double peripheries’. The papal court in Avignon in the 14th
century is a case in point. Standing between the Florentine centre, and the Northern gothic
influence, the artistic scene of the city acquired an identity of its own, in combining the
influence of southern and Northern trends. Similarly, the development of regional arts
reaching directly across the national scale to international references and embeddedness in
the United Kingdom points out the increasing possibility of any locus to position itself in a
43
“Jon Bewley in interview with Paul Bonaventura”, in This will not happen without you, Newcastle-upon-Tyne,
Locus +, 2008, pp. 21-26,
44
The interrelated scales which can be observed in the geography of the United Kingdom can be seen as
replicated in a condensed form within the capital, where the prism oscillates from the market system to the
occupation of abandoned industrial building which the city once harboured.
45
Carlo Ginzburg & Enrico Castelnuovo, « Domination symbolique et géographie artistique », actes de la
recherche en sciences sociales, Vol. 40, n. 1, 1981, pp. 51-72. This text is a translation in French by Dario
Gamboni of the original Centro & Periferia published within Storia dell’arte italiana, Torino, Einaudi, 1978. I
am indebted to P. Thierry Dufrêne for pointing out the relevance of Ginzburg and Castelnuovo’s analysis to the
matter in hand, though any interpretative shortcomings has to remain mine.
46
Bryan Biggs in interview with the author, 2007
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
53
double-periphery in terms of art and cultural activity. In other words, the spectacular rise in
interconnectivity in the world at the end of the 20th century, albeit not necessarily a
guarantee of economic development, can potentially provide any locality with a prismatic
access to global cultural thoughts, goods and networks, thereby renewing a process of scalar
configuration which can potentially articulate democratic emancipation and empowerment.
Conclusion: mixin
mixing
ixing scales at the turn of the Millenium,
Millenium, artistic input and the
heterogenisationheterogenisation-homogenisation issue.
issue.
The glocalised world provides openness alongside identified determining forces at play in
the different scales and different micro, meso and macro cultural units. Considering artistic
strategies within glocalisation processes conveys as we have seen the interaction between
actors of the art world (artists, curators, museum directors, galerists etc…) and a set of
dynamic scales which are constructed on a daily basis by the convergence, reactivity, or
strict imposition of various interloping strategies. The shying away of a number of
practitioners in the 1980s, which took on a regionalised character significantly articulating
a change in artistic geographies, expressed the use of cultural reactivity and liberty in the
face of dominant economic and political external pressures. The capacity of any given locus
to become a double-periphery has become even more potent at the turn of the millennium,
as communication technology enhances an ever increasing number of individuals to access
global as well as national – as well as other locally situated– information in the world.
However, politics of scale have not evolved into a simple emancipation process, and cultural
production in particular finds itself at the crossroads of homogenisation and
heterogenisation channels. The United Kingdom does provide a good example of this
oppositional phenomenon. Following the 1980s oppositional tactics and independent
strategies nurtured within various scalar configurations and which we have summed up as
a series of ‘jumping of scales’, the paradigmatic shift progressively installed by the
conservative government in the 1990s came to maturity. The liberating possibilities offered
by universal double-peripheries were mitigated by the impact of centralised national topdown approaches to the arts and culture, which fascinatingly took the form of
individualisation opportunities. The frame of managerial culture driven by lottery money,
offers a worryingly close comparison with the initial glocal strategies of Japanese marketing.
Celebrating the specific heritage of a region in a museum of through an art intervention, its
sense of place and history, is replicated with identical formats in a series of places, thereby
possibly contributing to making the world more and more alike: an apparent uniqueness
disguising global standardisation. However, it remains the strength of artistic practices to try
to foster differentiation and singularity, while simultaneously taking on board the benefits of
global knowledge and reciprocal recognition.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
Tate Modern: art versus stratégie? Le musée comme lieu de
cristallisation agonistique
Daivy Babel
L'association paradoxale de la démarche martiale et de l'objet de la pensée esthétique semble
se résoudre parfaitement en clé de lecture cohérente, à porter un attentif intérêt à la création
de Tate Modern ouverte en 2000. En effet, les nouvelles orientations imprimées aux
parcours de l'art en Grande Bretagne par ce projet muséal sans précédent s'analysent aussi
bien au niveau des formes de création réinventées elles-mêmes, qu'à celui des utilisations
voire des instrumentalisations de ces nouvelles formes tout autant qu'au niveau des
'nouvelles' formes elles-mêmes renouvelées induites par le processus. Cette dynamique en
spirale repose donc la question muséale fondamentale ontologique de l'art tout en abordant
la dimension axiologique du rapport entre l'institution publique et les entités privées entre
lesquelles circulent les œuvres d' « art » ; c'est probablement là, lovées au creux des entrelacs
stratégiquement tissés par les uns et les autres des acteurs en présence, que se révèlent la
nature mais également la portée de l'art pensé, voire planifié, en particulier envisagé ici sous
l'angle de Tate Modern. Sa création, sa construction, ses expositions, ses collections, ses
acquisitions s'inscrivent toutes à la fois dans un contexte stratégique plus large et à la fois
dans la (re-)définition de la démarche artistique elle-même. La guerre des prix, la guerre de
renommée, la guerre des centres d'attraction touristiques comme nationaux apparaissent
comme autant de commencements de réponses possibles à l'étude des stratégies d'une Tate
Modern artistique.
Les artifices déployés prônent un plus grand accès à l'art. Cependant, le poids excessif donné
aux stratégies d'attraction des visiteurs nuisent à cet accès. En outre, les stratégies d'accès à
l'art sont mises en concurrence avec d'autres stratégies, politiques, auxquelles l'art lui-même
est inféodé. L'art sait-il encore, à Tate Modern, se tirer de ce mauvais pas ? Est-il une métastratégie qui se nourrirait de sa propre ancillarisation (c'est-à-dire des stratégies de niveau
inférieur) pour mieux se réinventer ? L'art est toujours là, exposé à Tate Modern. Mais quel
art ? La cristallisation de l'agôn entre art & stratégie pose l'interrogation de la restriction du
champ de liberté de l'art, donc d'un glissement sémantique subreptice de la catégorie « art ».
La création de Tate Modern à Londres en 2000 permit d'offrir un accès privilégié à l'art
moderne et contemporain. Une telle institution, publique, semble assez naturellement
destinée à promouvoir l'art, ainsi qu'en témoigne par exemple son cadre législatif1.
S'interroger sur cette création muséale mène donc à s'interroger sur les raisons de cette
promotion de l'art – se lancer, si tardivement en comparaison avec la France ou les EtatsUnis par exemple, dans une telle entreprise ne peut être anodin, en particulier en GrandeBretagne. Dans le cadre de quelle stratégie cette décision de promouvoir l'art s'inscrit-elle ?
Il s'agit de se demander si cette stratégie est toute entière tendue vers l'idée de promouvoir
l'art, ou si elle est également mise en œuvre à d'autres fins. Ainsi, si cette stratégie poursuit
un seul but, la lecture de la création de Tate Modern ne sera pas la même que dans le cas où
la mise en œuvre de cette stratégie révèle des buts multiples. En effet, si les objectifs de cette
stratégie sont multiples, il faut se demander s'il existe une concurrence entre ces objectifs, et,
partant, si certains d'entre eux sont considérés comme prioritaires au détriment des autres.
D'autre part, l'analyse de cette stratégie mène également à s'interroger sur les limites et les
1
Museums and Galleries Act 1992, chapitre 44:
< http://www.opsi.gov.uk/acts/acts1992/Ukpga_19920044_en_1.htm>.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
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caractéristiques du concept d' « art » ainsi mis en avant, c'est-à-dire en tout premier lieu sur
la catégorie d'art moderne et contemporain sous laquelle sont rangées les œuvres retenues
pour l'accrochage et les acquisitions de la Tate Modern2.
Il est important de se pencher plus avant sur cette catégorisation des œuvres. En
effet, si l'objectif qui sous-tend la création de Tate Modern est bien unique – s'il s'agit
simplement de promouvoir l'art – mais que l'art promu ne semble répondre à aucune
définition précise, alors les stratégies mises en œuvre pour créer Tate Modern semblent vides
de sens, dénuées d'enjeu réel. En revanche, si les objectifs sous-tendus sont multiples, alors
l'absence de définition précise de l'art censément promu ne fait pas obstacle à une analyse
plus fouillée de ces stratégies, car la promotion de cet art peut alors n'être qu'un objectif
second, voire un simple prétexte. Il s'agira donc dans cette contribution de lever ces
différentes ambiguïtés – les stratégies poursuivent-elles un objectif unique ou plusieurs
objectifs, la catégorisation des œuvres est-elle pertinente? – avant de pouvoir interroger les
rapports d'opposition entre art et stratégie.
Le titre de cette contribution axée sur les stratégies artistiques laisse suggérer
l'existence à propos de Tate Modern d'une rivalité entre les deux notions d'art et de stratégie,
alors que les approches stratégiques sembleraient au premier abord devoir se mettre au
service de l'art. Par quel renversement peut-on arguer que ce qui se joue au sein de Tate
Modern entre la notion d'art et celle de stratégie n'est pas la promotion attendue de l'art,
mais une dissimilarité, une opposition, voire une lutte entre les deux notions ? C'est peutêtre d'abord dans la disjonction entre un mécanisme (et ses visées promotionnelles) et ses
conséquences (le mode de mise en œuvre de ce mécanisme, de la stratégie de promotion de
l'art) que se joue et se révèle ce renversement.
La mise en parallèle des éléments essentiels de ces deux notions fait pourtant
émerger nombre de similitudes. Ainsi l'artificialité, l'intentionnalité et la finalité peuvent,
tour à tour, relever de différentes stratégies comme elles peuvent relever de diverses formes
d'art ou temps artistiques. Ces similitudes porteraient à croire, sinon en une synonymie, en
une forte analogie des deux notions. Le propos est donc ici de soutenir en quoi la création de
Tate Modern non seulement souligne les différences entre art et stratégie, mais oppose les
deux notions et les rend antagonistes. L'aboutissement d'une telle lecture n'est pas ensuite
nécessairement d'argumenter que l'une des deux notions prévaut in fine, mais d'explorer en
quels termes un tel paradoxe pourrait se résoudre dans cette institution d'envergure
internationale – Tate Modern se revendique comme le premier musée d'art moderne et
contemporain au monde, ce qui est avéré en fréquentation3.
ARTifices & stratagèmes pour séduire le public. L'art, téléologie de la stratégie?
« (2) Dans la mesure du possible et sous réserve des dispositions de la présente loi, le conseil
d'administration de la Tate Gallery a pour mission d'entretenir une collection d'œuvres d'art
britanniques et de documents relatifs à ces œuvres, ainsi qu'une collection d'œuvres d'art du
vingtième siècle et d'œuvres d'art contemporain et de documents relatifs à ces œuvres, ainsi
que :
(a) la conservation, la protection et l'acquisition des œuvres d'art et documents afférents à ses
collections,
(b) de s'assurer que les œuvres d'art soient exposées au public,
(c) de s'assurer que les œuvres d'art et les documents soient mis à disposition des personnes
2
Tate Modern fait partie de l'ensemble Tate, au même titre que Tate Britain, Tate Liverpool, Tate Saint Yves et
Tate Online.
3
Notons naturellement que, contrairement à ses deux grandes rivales que sont Beaubourg à Paris et le MoMA à
New York, Tate Modern garantit un accès à ses collections permanentes libre de droits d'entrée, d'où une
quantification comparative de peu de poids.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
56
désireuses de les examiner dans le cadre d'études ou de recherches,
mais également:
(d) la promotion, plus généralement, de l'appréciation et de la compréhension par le public
de l'art britannique ainsi que de l'art contemporain et de celui du vingtième siècle, à la fois à
l'aide des collections gérées par le conseil d'administration et par tout autre moyen qui lui
semblera opportun;
toute référence, dans la présente loi, à une nouvelle collection administrée par ce conseil se
comprend, en tant qu'elle concerne le conseil d'administration de la Tate Gallery, comme une
référence à l'une ou l'autre - ou aux deux – de ces collections placées sous la responsabilité de
ce conseil d'administration ». 4
La loi dispose que les dépositaires de la délégation de pouvoir étatique sont tenus à
une obligation de résultat, non de moyens – latitude leur est laissée dans l'appréciation des
stratégies nécessaires aux fonctions de l'institution muséale. Elle ne stipule pas les moyens
d'action, médiats ou non, auxquels recourra Tate pour « promouvoir » l'accès à l'« art » – en
l'occurrence moderne et contemporain, britannique comme international – offert au public.
Les artifices et les stratagèmes mis en œuvre pour promouvoir l'art moderne et
contemporain se traduisent en effet en résultats prometteurs pour la diffusion de l'art, pour
l'accès à l'art, et satisfaisants en regard des stratégies quantitatives envisagées, c'est-à-dire
des stratégies mises en œuvre par le musée pour attirer quantité de visiteurs. Or le rapport
d'analogie entre les deux notions d'art et de stratégie s'inverse en relation d'opposition
lorsque l'on envisage non plus l'aspect quantitatif mais l'aspect qualitatif de l'accès à l'art
offert aux visiteurs de Tate Modern. Car une stratégie mise en œuvre pour accroître au
maximum le nombre de visiteurs attirés au musée n'est possible qu'au détriment d'une
approche personnalisée de l'œuvre, personnalisée pour chaque visiteur. Quel sens donner à
un art exposé au musée mais à propos duquel le visiteur n'entame aucune réflexion
approfondie faute de temps ? L'art, dans de telles conditions, perd de son sens, au moins en
partie.
Les subterfuges mis en place pour inciter le plus grand nombre à entrer en relation,
superficielle (relation de proximité physique ou de proximité virtuelle), avec les œuvres sont
uniquement orientés vers la captation des flux ; c'est de cette manière que les stratégies
mises en place se retournent contre l'art qu'elles sont censées promouvoir. Ainsi, non
4
Museums and Galleries Act 1992 (c) 44, op.cit., The new Boards of Trustees, The general functions of the new
Boards, 2.-(1).
“(2) So far as practicable and subject to the provisions of this Act, the Tate
Gallery Board shall maintain a collection of British works of art and of
documents relating to those works, and a collection of Twentieth Century and
contemporary works of art and of documents relating to those works, and
shall—
(a) care for, preserve and add to the works of art and the documents in
their collections;
(b) secure that the works of art are exhibited to the public;
(c) secure that the works of art and the documents are available to
persons seeking to inspect them in connection with study or research;
and
(d) generally promote the public's enjoyment and understanding of
British art, and of Twentieth Century and contemporary art, both by
means of the Board's collections and by such other means as they
consider appropriate;
and any reference in this Act to a new Board's collection shall, in its
application to the Tate Gallery Board, be taken as a reference to either or both
of that Board's collections »
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
57
seulement il ne suffit pas de déployer une stratégie quantitative d'attraction du plus grand
nombre de visiteurs, mais, au-delà, cette stratégie quantitative va jusqu'à se retourner contre
l'objectif premier d'offrir un accès à l'art, puisque qu'elle contraint le visiteur à un accès
limité, superficiel. Ajoutons encore que le recours à ce type de stratégie quantitative se
retourne d'autant contre l'objectif d'offrir un accès à l'art qu'il procure tout de même au
visiteur un sournois sentiment de satisfaction: certains visiteurs peuvent penser avoir
accompli l'expérience de se confronter à l'art moderne et contemporain en se rendant à Tate
Modern, en y « admirant » les œuvres exposées au pas de charge, comme le reste de la foule,
et en repartant du musée avec l'impression de désormais connaître l'art contemporain. La
conscience parfois confuse d'une nécessité de se confronter à l'expérience de l'art moderne et
contemporain, qui pousse à venir au musée, peut ainsi être endormie une fois cette
expérience réalisée dans le cadre rassérénant de l'autorité d'un grand musée comme Tate
Modern. Ce phénomène d'endormissement des consciences – il n'est ensuite pour le visiteur
plus nécessaire de pousser plus loin sa découverte du domaine de l'art moderne et
contemporain – constitue lui aussi un frein partiel à la promotion de l'art.
La stratégie quantitative d'attraction du plus grand nombre devient de surcroît très
concrètement facteur d'appauvrissement de l'accès à l'art : le nombre, le grand nombre, le
surnombre menace même ontologiquement l'accès qualitatif à l'art, par l'accélération à
marche forcée des visites. Ce qui répond à une stratégie de l'apparence, corollaire direct de
la stratégie de l'attraction quantitative. Cette stratégie donne l'apparence d'offrir à un grand
nombre de visiteurs la possibilité de se confronter à l'art moderne et contemporain, de la
même manière que la visite donne l'apparence au visiteur d'être satisfaisante. Cette stratégie
quantitative de promotion de l'accès à l'art s'épuise elle-même, devient, en une involution, sa
propre ennemie, puisqu'en s'évertuant à accroître les flots de visiteurs dirigés jusqu'à Tate
Modern elle réduit ce même accès quantitatif qu'elle cherchait à promouvoir au premier
chef.
Tate Modern, dans sa conception, a d'emblée été pensée comme un super-musée et,
pour attirer les flux de visiteurs afférents à une telle ambition, un super-marché. La stratégie
mise en œuvre ici est purement et simplement une stratégie d'attraction du plus grand
nombre, dans une optique de rivalité avec ses homologues de Paris et New York mais aussi
avec les autres institutions nationales ou européennes. Cette relation de rivalité a été
structurée comme une relation de concurrence commerciale, qu'il s'agisse de revendiquer le
nombre de visiteurs attirés ou de capter les flux touristiques ou commerciaux. De plus, cette
stratégie, qui vise à donner à voir l'art au plus grand nombre, se décline selon le mode de la
logique d'entreprise. Le site choisi pour édifier le nouveau musée permet ainsi de le rendre
accessible au plus grand nombre possible de visiteurs. L'implantation du bâtiment s'inscrit
sur la carte londonienne dans un circuit touristique balisé, qui concourt à la fois à faciliter le
trajet des touristes (nationaux ou internationaux) désireux de gagner le nouveau musée, et à
la fois au rayonnement de la capitale – autre stratégie promotionnelle, qui intervient en aval,
lors du choix de destination par les visiteurs potentiels. On note ainsi par exemple la
construction à dessein du Millenium Bridge5, passerelle piétonne achevée en juin 2000
reliant Tate Modern à Saint Paul's Cathedral sur la Tamise. Par ailleurs, des stratégies sont
également mises en œuvre sur le plan architectural pour attirer le plus grand nombre de
visiteurs. L'architecture intérieure de l'édifice et la répartition de l'occupation spatiale
amènent le visiteur à transiter par, le long de où à côté d'un des magasins du musée ou d'un
des cafés, quelle que soit l'entrée que ce visiteur décide d'emprunter. L'entrée principale par
le Turbine Hall6 engage le visiteur sur une pente douce qui côtoie sur toute sa longueur le
magasin principal, la paroi entre deux étant en verre: la transparence se lit ici comme une
stratégie marchande, le regard, déstabilisé par la hauteur vertigineuse du Hall lorsque qu'on
y pénètre, est ramené, à mesure que l'on progresse sur la rampe de descente, aux éléments
connus, stables, rassurants que sont les articles disposés en rayonnages organisés ou les
5
Dessiné par le cabinet d'architecte de Norman Foster, Foster and Partners.
Ce hall aux turbines, dont la fonction dans l'ancienne centrale électrique est explicite, se caractérise par ses
dimensions saisissantes de 155 mètres de long et 23 mètres de large pour 35 mètres de profondeur.
6
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
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souvenirs aux couleurs diverses visibles à travers la vitre, dans une salle ramenée à des
dimensions ordinaires, confortables, habituelles7.
Par delà l'architecture, c'est également la fonction du Turbine Hall comme espace
d'exposition qui est mis à profit pour attirer les visiteurs. Ce Turbine Hall sert la stratégie
d'attraction du visiteur vers l'art en constituant un espace d'expositions temporaires
gigantesque ; les musées peinent à attirer les foules, c'est donc majoritairement par le
sensationnel, la nouveauté ou au moins le changement qu'ils retiennent l'attention des
médias (ces médias constituent alors des relais de publicité), et non par la qualité de leur
collections ou la créativité de leur manière d'accrochage des collections permanentes. Dans
l'équilibre entre les expositions temporaires et la présentation des collections permanentes,
quelle plus subtile stratégie que de recourir à une exposition temporaire permanente ?
D'abord en inversant les proportions spatiales – ce Turbine Hall est gigantesque –
traditionnellement dévolues aux unes et aux autres, ensuite en assurant la pérennité du
stratagème grâce au choix de la durée des expositions et au choix de leur fréquence. Cet
immense hall accueille selon une fréquence annuelle des œuvres phares – au moins
majeures pas les dimensions, et ce pendant plusieurs mois8. Voilà par ce subterfuge la
publicité médiatique assurée; cette publicité garantit à son tour une fréquentation élevée du
musée.
Enfin, il est essentiel de soulever un autre enjeu stratégique: Tate Modern, grâce à ses
stratégies touristiques publicitaires et commerciales, dirige un flux de visiteurs vers des
formes d'art9 singulières que sont l'art moderne et l'art contemporain. Il est important de se
pencher ici sur ces deux formes que revêt cette vectorisation de la stratégie en ce qu'elle
révèle tout à la fois la difficulté de la démarche tendue vers cette finalité et la fragilité
ontologique de l'objet visé. La difficulté est celle, pédagogique - c'est-à-dire celle du maître
qui mène l'enfant - de faire (re-)connaître une forme d'art inhabituelle, loin des repères du
visiteur, loin en particulier des repères de certains visiteurs britanniques. La question
définitionnelle de départ « quel art ?» prend ici toute son importance; elle aboutit ensuite à
un second questionnement, ontologique cette fois-ci. Si l'élève ou le visiteur échoue à
reconnaître quelle forme d'art lui est présentée, il peut en venir aisément à douter que les
œuvres exposées soient réellement de l'art. Ce second questionnement ontologique est donc
propre à constituer plus encore un obstacle à l'attraction des foules, si celles-ci sont
dubitatives. Ces deux dimensions, la difficulté pédagogique et le doute ontologique
pourraient justifier le recours à des stratégies, à des manœuvres, dans la tentative et le défi
de rapprocher à Londres les publics de l'art moderne et contemporain.
Cette guerre commerciale que semble livrer le musée, cette stratégie concurrentielle
qu'il adopte pour drainer les foules se caractérise en outre par une bataille des « prix », ici
des droits d'entrée du musée, dans laquelle il s'engage. L'accès aux collections permanentes
est gratuit, tandis que certaines expositions temporaires ne le sont pas, ce schéma est le
même pour Tate Modern que pour Tate Britain. Notons simplement que l'accès libre a
presque toujours été garanti à Tate, à l'exception d'une courte période en 197410. La gratuité
de l'accès aux collections permanentes de Tate Modern n'est pas un élément de nouveauté,
mais ne s'analyse pas moins comme une orientation, une stratégie d'ouverture vers un public
le plus large possible, à qui l'on permet de « venir au musée » quels que soient ses moyens11.
7
Évoquer le confort quotidien est un procédé publicitaire qui a démontré son efficacité dans des stratégies
marchandes promptes à entreprendre l'inconscient du consommateur.
8
Généralement d'octobre à avril, <http://www.tate.org.uk/modern/unileverseries>.
9
Adorno spécifie que « ce qu'il faut congédier en tout cas, c'est la logique naïve selon laquelle l'art serait tout
simplement le concept subsumant les arts, un genre qui les contiendrait comme des espèces. Ce schéma est anéanti
à même la non-homogénéité de ce qui est ainsi subsumé. ». Theodor W., Adorno, L'art et les arts, trad. Jean,
Lauxerois, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, p. 65.
10
A quoi il faut ajouter, dans une autre mesure, l'entrée payante les jeudis et vendredis pour le public non-étudiant,
de l'ouverture jusqu'en 1947 – 50ème anniversaire de l'institution.
11
On tempère l'effectivité de cette liberté d'accès fondée sur l'extériorité des critères depuis l'étude menée par
Bourdieu et Darbel en 1966 qui met en évidence l'intériorisation de certaines distinctions sociales responsable de
publics qui ne se sentent pas à leur place dans un musée. Pierre, Bourdieu, et Alain, Darbel, L'amour de l'art
(1966), Paris, Les Éditions de minuit, 1969.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
59
La réussite en ces termes se vérifie aisément à en croire la revendication clamée haut et fort
par Tate Modern de ce qu'elle s'est imposée en tant que premier musée d'art moderne et
contemporain au monde12. Les stratégies d'attraction ont donc fonctionné à plein, les
projections initiales de l'ordre de deux millions de visiteurs par an ont été dépassées de
manière inespérée13.
C'est ainsi que le super-musée se vend comme un super-marché de consommation
esthétique. La stratégie commerciale, qui ne répond à rien d'autre qu'à une logique
d'entreprise, appelle à attirer et fidéliser les clients, en particulier grâce à la stratégie
concurrentielle de la guerre des prix. Cette stratégie recèle également des manœuvres
d'envergure pour attirer les touristes, manœuvres qui se révèlent in fine contradictoires.
Alors que la stratégie de Tate Modern donne en premier lieu l'espoir et l'apparence de faire
bénéficier le plus grand nombre d'un accès à l'art, elle finit par condamner cet accès. Elle
met à distance les œuvres pourtant physiquement à portée du regard, par un effet
d'inversion. On peut donc s'interroger sur la contre-productivité de la démarche.
Ce point d'inversion, ce point de rupture de la logique de promotion de l'art, où cette
logique fait retour sur elle-même dans un élan contradictoire, se caractérise lorsque l'on
essaie d'évaluer les effets des stratégies mises en œuvre. L'offre d'accès à l'art n'est pas pensée
dans sa qualité mais dans sa quantité; cela constitue une des limites des stratégies mises en
place. La réalité et la qualité de l'accès à l'art, pour un visiteur individuel, ne se mesurent pas
au nombre de visites effectuées dans des lieux d'art par ce visiteur, ni d'ailleurs à l'aune
d'autres critères quantitatifs tels le temps passé dans le musée ou devant une peinture. Ainsi,
le premier critère quantitatif du nombre d'entrées à Tate Modern ne suffit pas même à une
quantification sérieuse de l'accès à l'art, pas plus qu'il ne suffit, a fortiori, à rendre compte de
la qualité de l'accès à l'art. Ce critère, érigé en parangon scientifique, se révèle même contreproductif – il sape les fondements mêmes qu'ils visaient à renforcer.
Cet accès à l'art médié par l'institution muséale – par opposition au mythe de la
neutralité objective de l'institution symbolisée par le cube blanc immaculé14 – est pensé à
travers un autre filtre, une étape intermédiaire supplémentaire que constituent la stratégie
d'accrochage, la scénographie, et plus largement les stratégies muséographiques.
Tate Modern présente ses collections permanentes et la majeure partie des
expositions temporaires (exception faite du Turbine Hall), sur fond de murs blancs ; les
objets ou réalisations sont disposés à intervalles réguliers, parfois alignés à hauteur
d'homme, selon une stratégie moderniste15 qui se double d'une méta-stratégie. En effet, d'une
part la stratégie du cube blanc garantit une impression de neutralité muséographique, tout
en plaçant les travaux sur un piédestal. Cette disposition se lit comme une autre stratégie,
cérémonielle, rituelle, d'élévation de l'art. D'autre part, cette stratégie du cube blanc a été
critiquée et remise en cause dans de nombreux ouvrages et articles ; en dépit de cela, ce
principe du cube blanc a tout de même présidé à l'organisation de l'espace dans le nouveau
musée16. C'est cette réutilisation d'une stratégie déjà analysée et commentée qui peut se lire
comme une méta-stratégie.
De quelle façon la médiation entre l'art et le visiteur s'opère-t-elle à Tate Modern ?
Quel impact cette médiation peut-elle avoir sur l'art ? L'hypothèse d’une 'institution qui
serait objective a été écartée ; il s'agit ici de chercher à comprendre quelle subjectivité est
mise au service de la médiation, quelle orientation est donnée à la stratégie muséographique.
Intéressons-nous plus spécifiquement aux collections permanentes, installée aux niveaux 3
et 5 du bâtiment. Lors de l'ouverture en 2000, la stratégie d'accrochage retenue consistait à
12
Voir note 4 également.
Tate Modern totalise quatre à cinq millions de visites par an.
14
Brian, O'Doherty, Inside the White Cube. The ideology of the Gallery Space, Berkeley, Los Angeles, London,
University of California Press, 1999.
15
Eilean, Hooper-Greehill, Museums and the Interpretation of Visual Culture, Oxon, Routledge, 2000, p 151.
16
Emma, Barker, Contemporary Cultures of Display, New Haven and London, Yale University Press, 1999, p 46.
13
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
60
organiser ces collections de manière thématique et non chronologique. Ce choix audacieux17
a alimenté un débat d'importance sur l'approche pédagogique envisagée. Lorsqu'il ne s'agit
plus de mener les troupes au front, selon l'étymologie du terme « stratégie », mais l'élève au
savoir, avouons ici une certaine perplexité face à la stratégie retenue. Certes, les accrochages
chronologiques présentent un inconvénient: ils n'incitent pas nécessairement le visiteur à
prendre du recul sur l'épistémè foucaldien18, sur la nappe discursive dans laquelle baigne sa
culture. Néanmoins toute démarche pédagogique pose des jalons, se veut nécessairement
progressive, permet d'avoir des repères communs dans la discussion ou le débat, et autorise
ensuite à remettre lesdits jalons en question en connaissance de cause. L'accrochage
thématique, lui, présente les avantages et inconvénients inverses: en particulier, l'accès à l'art
pour le visiteur sans bagage culturel se fera de manière non-informée, non-formée et non
diversifiée. L'expérience limitée ainsi vécue permet-elle un réel accès à l'art ? Elle le permet
dans le cas de visiteurs initiés. Or rappelons que, semble-t-il, les masses de visiteurs, attirées
à Tate Modern par les stratégies touristiques et commerciales ou publicitaires mises en
œuvre, ne sont pas en majorité composées d'initiés : les stratégies pour séduire les publics ne
sont pas orientées de cette manière, comme nous l'évoquions plus haut.
La pertinence de l'accrochage thématique premier, au regard de ces stratégies,
rendent donc dubitatif à propos de l'accès à l'art ainsi offert19. Un second élément connexe à
cette stratégie d'accrochage vient étayer l'ambiguïté de l'ensemble. Le recours à la
catégorisation thématique des œuvres semble sans cesse contredit, démenti, voir vidé de sa
substance, par le retour répété, l'omniprésence immanente de la chronologie de l'histoire de
l'art, sous la forme par exemple de la fresque murale qui occupe toute la longueur du mur
mitoyen au Turbine Hall et aux salles d'exposition20, c'est-à-dire, dans l'espace central de
circulation, toute la longueur visible depuis l'ensemble de l'étage, présence qui se répète à
plusieurs autres étages. Cette fresque reprend, dans l'ordre chronologique, essentiellement
les noms d'auteurs d'œuvres, les noms de périodes artistiques et les noms de concepts
d'histoire de l'art les plus réputés. La catégorisation esthétique joue donc à plein, en
filigranes. Soit ces jalons servent au visiteur initié à recontextualiser les œuvres et les
périodes des différentes salles, soit, les œuvres elles-mêmes n'étant pas ordonnées selon cette
chronologie, cette recontextualisation échappe au visiteur non-initié d'autant plus démuni
qu'il est privé de tout repère d'ensemble. Dans le premier cas la stratégie d'accrochage
thématique n'échappe donc pas réellement aux récits de l'histoire de l'art inscrits en
filigranes dans la visite21, et dans le second elle mène à un recul encore moindre sur les
œuvres. Cette chronologie résurgente, qui trouve un écho dans les multiples textes
d'accompagnement affichés à l'entrée des salles, les guides d'exploration des galeries
consultables sur le site internet Tate Online, ou les fascicules mis à la disposition du public,
semble venir contrecarrer les prétentions de l'accrochage thématique. Et affaiblir d'autant la
possibilité offerte au visiteur de « vivre », d' « expérimenter » l'art plutôt que de l'interpréter
en fonction de l'histoire de l'art. Le débat bien connu entre l'expérience et l'interprétation ne
trouve donc pas ici à se résoudre.
Les foules drainées exigeraient un dispositif d'une tout autre envergure, si ce
dispositif se voulait efficace sur le plan de la stratégie pédagogique. En effet, le fondement
d'une pédagogie efficace réside dans une différenciation de l'accompagnement offert à
chaque apprenant. Cette individualisation de l'apprentissage accompagné entre d'emblée en
contradiction avec un effort tendu « vers le plus grand nombre ». Une indifférenciation est
17
Choix qui permettait, le projet de création du musée lui-même en fait état, d'éviter le piège d'une linéarité
lacunaire, les collections souffrant d'un déficit d'acquisition au regard la chronologie traditionnelle retenue par
l'histoire de l'art.
18
Michel, Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.
19
L'accusation d'élitisme souvent portée à ce type d'accrochage ne joue pas directement ici; c'est en contexte que
doivent se définir les stratégies les mieux adaptées, et Tate Modern est versée dans la démocratisation,
quantitativement, de l'accès à l'art. Sauf à considérer cette politique comme encore plus criante en ce qu'il
accentuerait le maintien dans l'ignorance du plus grand nombre?
20
Situées, elles, dans le Boiler House.
21
Car donnés ainsi comme en position d'autorité et incontournables.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
61
propre à appauvrir la multiplicité des points de vue sur l'art. Tate Modern se distingue en
ceci de ses deux grandes rivales, non en ce que celles-ci mettraient en œuvre ce type de
médiation personnalisée, mais simplement par ce dont elle se targue, c'est-à-dire une
fréquentation bien supérieure, à laquelle ses stratégies d'attraction des visiteurs aboutissent.
Dans un cadre plus large encore, cette entreprise, thématique, d'ouverture semblait
également démentie dès la conception du projet par le choix de répartition des collections
entre les deux nouvelles entités londoniennes, Tate Britain et Tate Modern. La première est
destinée à accueillir l'art britannique postérieur à 1500, la seconde devant abriter l'art
moderne et contemporain britannique et international postérieur à 1900. Une telle
ventilation en termes chronologiques interroge, cette fois-ci de manière suprasegmentale,
l'organisation retenue à l'intérieur de l'intervalle de temps dédié à Tate Modern. Cette
stratégie d'accrochage thématique, potentiellement porteuse mais discutable dans le contexte
spécifique de Tate Modern, ne semble pas très convaincante, à moins qu'elle ne ressortisse
elle aussi à une autre stratégie à plus grande échelle, à une stratégie de jeu sur les
apparences, de recherche de renommée médiatique, c'est-à-dire à une stratégie insincère
qui privilégierait la superficialité, les signes de surface, à la profondeur du sens.
Enfin, la stratégie de promotion de l'art britannique envisagée par la loi ne peut
s'émanciper d'une ambivalence forte. Le cadre législatif posé ne stipule en effet pas combien
d'œuvres nationales doivent être exposées par rapport au nombre d'œuvres internationales,
ni la manière de faire le départ entre les deux adjectifs « nationales » et « internationales ».
Entière latitude est donc laissée au musée d'interpréter cette proportion dans le sens de sa
mission. Dans les faits, une forte prime a par exemple été accordée à la présence d'artistes
nationaux sur les cimaises de Tate Modern en 200622. La présence privilégiée d'œuvres
d'artistes nationaux interpelle sur la congruence possible entre ce critère de sélection dans la
stratégie d'acquisition et d'exposition et d'autres critères de qualité artistique qui peuvent
être envisagés. Elle interpelle aussi, partant, sur un possible appauvrissement de la qualité de
l'art ; cet art est « dit » par l'institution, performativement. Comme le musée est autoréférentiel, il peut dire l'art non selon des critères de qualité des œuvres mais selon des
critères visant à favoriser le rayonnement de l'art britannique. Il risque d'en résulter des
collections enrichies en œuvres d'artistes nationaux mais appauvries en œuvres de qualité.
Ici aussi, la promotion, en premier lieu, de l'art britannique s'inscrit dans une stratégie, in
fine au détriment éventuel de la qualité de l'art contemporain.
Encore une fois, la stratégie muséale mise sur pied dans l'optique de promouvoir l'art
se retourne contre son propre objectif, opère un renversement. La médiation offerte par la
nouvelle institution pour favoriser l'accès à l'art apparaît en réalité comme le lieu de la
défaite de cet accès à l'art.
Ancillarisation de l'art. L'art, instrument de la stratégie
Autant de contradictions dans l'élaboration et dans la mise en œuvre des stratégies
promotionnelles de l'art battent en brèche le sentiment premier d'un nouveau musée tout
entier dédié à la promotion de l'art et à même d'offrir des possibilités d'accès à l'art sans
précédent. Il s'agit pourtant de tenter d'évaluer ces stratégies à l'aune des missions légales
imparties à Tate Modern.
L'objectif de promotion de l'art à Tate Modern est assujetti à des objectifs politiques
pragmatiques. Cela se vérifie en particulier, au-delà de la loi, dans les dispositions
réglementaires afférentes. Cette dysharmonie entre loi et règlement, c'est-à-dire entre les
normes prescrites par le législateur et celles fixées par le pouvoir exécutif, pose certes
nombre de questions qui ressortissent aussi au plan juridique23. Nous nous intéressons
22
Il faut cependant noter que cette prime existe aussi, à des degrés plus élevés, à Beaubourg et au MoMA. Alain,
Quemin, « Montrer une collection internationale d'art contemporain : un ou plusieurs modèles? », p. 232, in AnneSolène, Rolland, et Hanna Murauskaya (dir.), De nouveaux modèles de musées ? Formes et enjeux des créations et
rénovations de musées en Europe XIXe-XXIe siècles, Paris, L'Harmattan, 2008, pp. 219-234.
23
En particulier à la hiérarchie des normes.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
62
toutefois dans cet article en priorité à la confrontation du politique et de l'artistique.
Multiplier les objectifs assignés à la nouvelle institution met naturellement ceux-ci en
concurrence, notamment dans l'optique pragmatique qui caractérise les orientations de Tate
Modern, et dans le contexte systémique dans lequel elle s'inscrit. Qu'en est-il de la
promotion de – et de l'accès à – l'art ?
Le financement de la culture, lorsqu'on le subordonne à une condition de rentabilité,
entraîne des conséquences sur la qualité de l'art produit ou exposé. Si les subventions ne sont
accordées qu'à ces conditions expresses, la qualité de cet art est remise en cause, ou devient
même indifférente du point de vue de la politique culturelle en question. Ces conditions
peuvent être d'ordre économique ou social, urbanistique ou médiatique ; les objectifs
prioritaires ne sont ni esthétiques ni culturels. De ce fait, les stratégies de hiérarchisation des
priorités élaborées à Tate Modern remettent en cause la vocation artistique du musée. Il
s'agit ici de comprendre comment, au-delà de la stratégie (promotionnelle) qui s'est
retournée contre l'art, celle-ci, quand elle est extérieure à l'art, peut être dirigée contre cet
art, tournée contre lui ; il est nécessaire de comprendre comment ce dernier peut être
détourné, sub-verti par la stratégie – parfois par des stratégies elles-mêmes détournées.
Ainsi, d'une part, art et stratégie sont mis en concurrence. D'autre part, il s'ensuit que
l'un est inféodé à l'autre. L'ancillarisation explicite par le gouvernement de l'institution
muséale, et, par voie de conséquence de son objet qu'est l'art moderne et contemporain, se lit
d'emblée dans les objectifs socio-économiques assignés à Tate Modern et qui conditionnent
son financement. Elle procède d'une visée politique plus vaste qui commande à la subvention
de la culture en Grande-Bretagne24. Une telle ancillarisation de l'art n'a certes rien de
nouveau lorsqu'émerge le projet de création de Tate Modern dans la seconde moitié des
années 1980, mais elle a subi des inflexions depuis, en particulier avec l'alternance politique
de 1997.
Un principe de financement « at arm's length » fut mis en place après la seconde
guerre mondiale pour organiser un financement gouvernemental mais autonome du secteur
culturel. Après la réduction substantielle du budget alloué à ce secteur sous le gouvernement
conservateur de Margaret Thatcher, ce principe de financement « at arm's length » a été
conservé mais modifié dans sa nature. En effet, le gouvernement a introduit dans les années
1980 une condition supplémentaire. La culture devait alors avoir des retombées positives sur
la santé économique du pays ou sur celle d'une région25. Arrivé au pouvoir en 1997, le New
Labour de Tony Blair ajoute de nouvelles conditions et modifie plus avant ce principe
d'autonomie partielle dans sa nature, mais également dans ses modes d'administration. Il
réinstaure en effet une politisation plus forte de l'allocation des fonds à la culture. Aux
exigences de retombées économiques, il adjoint celles de bienfaits sociaux et urbains, tels
l'inclusion ou la cohésion. La notion de retour sur investissement, lié à celle de rentabilité,
joue ici pleinement ; la culture, l'art, et Tate Modern n'échappent pas à cette règle.
L'art et la culture ne sont plus une simple ligne de dépense au sein du budget de
l'Etat, mais se muent en un portefeuille politique de placements financiers26. L'ancillarisation
de l'art s'énonce spécifiquement pour Tate Modern au travers du Funding Agreement
triennal.
24
Eleonora, Belfiore, « Auditing Culture: The Subsidized Cultural Sector in the New Public Management »,
International Journal of Cultural Policy 10.2, Routledge, janvier 2004, pp. 183 – 202.
25
Andrew, Brighton, « Consumed by the Political: The Ruination of the Arts Council », in Munira Mirza dir.,
Culture Vultures:Is UK Arts Policy Damaging the Arts?, London, Policy Exchange, janvier 2006, pp. 111-129.
26
Department for Culture Media and Sport, Centres for Social Change: Museums, Galleries and Archives for All,
Department for Culture Media and Sport, mai 2000.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
63
4.Résultats à atteindre 27
4.1 Les objectifs quantitatifs spécifiques à cet accord triennal sont les suivants:
Objectifs fondamentaux
1. Nombre total de visiteurs
2. Nombre de jeunes visiteurs (enfants)
2003-04
2004-05
2005-06
5.1 M
4.9 M
4.9 M
40
40
0.7 M
3. Nombre d'espaces d'exposition en Angleterre 40
à qui des objets de la collection sont prêtés
4. Nombre de visiteurs de PCS 6 à 8a, avec
0.5 M
pour objectif une augmentation de ce nombre
de 8% d'ici 2005-06 sur la base de 2002-03
5. Nombre de visites du site internet
2.0 M
(utilisateurs individuels)
6. Nombre d'enfants impliqués dans un projet
0.14 M
éducatif organisé, au musée comme hors les
murs.
a: approx. ouvriers qualifiés et revenus inférieurs ndt.
0.7 M
0.7 M
0.55 M
0.6M
2.1 M
2.2 M
0.14 M
0.14 M
Le détail du plan de financement prévu pour la période qui s'étend de 2003 à 2006,
en spécifiant les objectifs purement quantitatifs à atteindre par critère, sur chacune des trois
années, retient plus l'attention par la nature de certains critères sélectionnés et par la
précision des grandeurs prévisionnelles que par ces grandeurs elles-mêmes. Il est à noter
qu'au delà du nombre total de visiteurs – ce critère d'appréciation a déjà été discuté plus
haut28 – les objectifs quantitatifs concernent également le nombre de connexions au site
internet du musée par an, ou encore le nombre d'enfants adhérant à des projets scolaires
muséaux. En effet, l'inclusion sociale de la catégorie « jeunes » figure au premier rang des
priorités définies par le New Labour en termes de régénération sociale.
Ce critère général retenu dans la stratégie culturelle gouvernementale est traduit à
l'échelle du musée national par une visée statistique décomptant les enfants intégrés à un
projet scolaire, sans autre précision quant au contenu de ce projet scolaire. La finalité réelle
de la politique du secteur « culturel » se révèle donc être l'évolution des résultats
d'indicateurs de répercussions sociales et économiques (nombre d'emplois créés, revenus
générés localement, recul de la criminalité, instruction) chiffrés. Tate Modern sert cet
objectif, et, en étant ainsi instrumentalisée29, dénature nécessairement son objet, c'est-à-dire
la prise en charge des œuvres exposées ou à exposer. En effet, si l'objectif prioritaire n'est
plus celui de la promotion de l'art, la prise en charge de ces œuvres souffre des impératifs
imposés par des objectifs autres et traités, eux, en priorité. Cette ancillarisation en cascade,
médiate, signe la subordination de l'art par une stratégie politique fort habile en ce que cette
médiateté renforce la dimension creuse, le mirage protéiforme du principe d'autonomie
partielle imaginé après-guerre. Elle impose un rapport de force étagé et pyramidal, où l'art
est placé à la base et ploie sous les jougs conjugués des étages supérieurs.
27
Department for Culture Media and Sport, Three Year Funding Agreement 2003-2006 Between The Board of
Trustees of the Tate Gallery and The Department For Culture, Media And Sport, Department for Culture Media
and Sport, p.5 (notre traduction).
28
Voir note 4.
29
C'est-à-dire exploitée à des fins profondes différentes des missions légales de surface stipulées par le 1992
Museums and Galleries Act, op.cit..
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
64
Et cette stratégie tire également sa force de son efficacité paradigmatique : au-delà
de servir des objectifs socio-économiques et urbanistiques assignés par le gouvernement, elle
poursuit parallèlement d'autres buts politiques, électoraux et médiatiques. Cette stratégie de
quantification à marche forcée et de mise en avant du chiffre peut se lire comme une
stratégie politique au sens d'une stratégie électorale, où le plan de campagne ne serait plus la
conquête du territoire mais la séduction des électeurs, c'est-à-dire la conquête d'un territoire
humain. L'ancillarisation politique de l'art se révèle donc également à un niveau second. Elle
est alors ancillarisation médiate; elle est la trace d'un dessein de plus grande ampleur, où les
stratégies explicites s'inscrivent dans de plus vastes visées30.
Cette soumission des activités de Tate Modern à des objectifs concurrentiels
supérieurs voire écrasants montre à quel point les différentes stratégies de promotion de l'art
ne sont en fait pas complémentaires. C'est-à-dire que les stratégies de promotion
quantitative de l'art s'interprètent alors plus clairement : elles n'autorisent pas un réel accès à
l'art, un accès de qualité. On s'interrogeait en effet sur la pertinence de ces stratégies, dans la
mesure où elles étaient aussi susceptibles d'entraîner des effets bénéfiques, par-delà les effets
contreproductifs soulevés. Cette hypothèse est infirmée.
Les stratégies de promotion quantitative de l'art ne produisent donc pas, au-delà de
leurs propres effets contreproductifs, de résultats qui serviraient, à la marge, un accès à l'art
de qualité ; elles ne sont par ailleurs pas non plus complémentaires d'un effort consenti de
manière structurelle, un effort qui consisterait en une promotion scolaire nationale de
l'accès à l'art et du recul sur l'art. En effet, cette stratégie de promotion quantitative aurait pu
s'inscrire dans une visée plus large où l'offre d'accès à l'art au plus grand nombre serait venu
compléter un programme national d'enseignement, systématique, dédié à la muséographie,
la muséologie et aux œuvres elles-mêmes. Les partenariats scolaires noués avec Tate
Modern, rendus systématiques, auraient alors été un exemple de mise en pratique de la
complémentarité entre l'Etat et le musée, et la stratégie de promotion quantitative aurait
ainsi été justifiée, puisqu'in fine elle servait la qualité de l'accès à l'art offert aux visiteurs.
Mais cette complémentarité ne joue pas non plus ici ; elle souligne donc d'autant les finalités
réelles des stratégies31 mises en place à Tate Modern pour attirer le plus grand nombre de
visiteurs.
De la même manière, la stratégie politique ayant consisté à augmenter les crédits
alloués au secteur culturel depuis l'arrivée au pouvoir du New Labour32 – tout à la fois
stratégie porteuse de la promesse d'une régénération économique, urbaine et sociale, et
stratégie électorale, vitrine d'idées nouvelles et de redynamisation – se résout en une réussite
du point de vue gouvernemental, médiatique et électoral, et en un désintérêt pour le
contenu, le sens et la réalité de l'objet de l'institution muséale. Cet objet, l'art moderne et
contemporain britannique et international, n'est plus seulement relégué au second plan. Il
devient également un simple pion. On en fait une catégorie accessoire, privée de sa
substance, pour la rendre d'autant plus conforme aux besoins des utilisations politiques
discursives. L'art est utilisé par cette politique toute entière pragmatique. Il est deux fois vidé
de son sens, axiologiquement et ontologiquement épuisé : il ne subsiste plus qu'en tant que
quantité fongible.
30
La stratégie politique à double détente, qui ne dit pas ce qu'elle vise ni ne vise ce qu'elle dit, signe une double
instrumentalisation de l'art et de son véhicule: une ancillarisation explicite, contradictoire des objectifs muséaux
premiers, se double d'une ancillarisation plus profonde, plus aboutie - c'était ce but ultime vers lequel sont en
réalité tendus d'emblée tous les efforts de la stratégie. Ce second temps d'ancillarisation, loin de contredire le
premier dans la subordination de l'art, la renforce en amenuisant, en épuisant ontologiquement un peu plus avant
cet art. Eleonora, Belfiore, « On Bullshit in Cultural Policy Practice and Research: Notes from the British Case »,
International Journal of Cultural Policy, 15.1, Routledge, août 2009, pp. 343 – 359.
31
Il s'agit bien ici de stratégie, les effets réels emportés pouvant indépendamment, eux, être avérés ou non.
32
Munira, Mirza, « Introduction », in Munira Mirza dir., Culture Vultures: Is UK Arts Policy Damaging the Arts?,
op.cit., p. 13.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
65
Aporétique agôn. Les stratégies : ontologie de l'art?
Or l'art est toujours là. Ce paradoxe mène donc à prendre du recul sur la définition du
concept d' « art ». « L'art est toujours là » insiste Tate Modern par chacune et par l'ensemble
de ses relations aux agents et acteurs de la sphère artistique londonienne, britannique mais
également internationale. Comment cette proposition aussi simple accouche-t-elle d'un
paradoxe aussi prégnant ? Et comment, surtout, le-résoudre ? Le peut-on seulement ? C'est
en se plaçant sur ce terrain de l'impasse logique que repenser Tate Modern permet de faire
surgir une dimension singulière de cet art dans son rapport agonistique à la stratégie telle
qu'envisagée précédemment. L'apparition, à l'aube du XXIe, du monstre sacré, de la
« cathédrale du cool », force la pensée à faire retour sur elle-même. Elle doit s'interroger sur
sa propre appréhension de son rapport à l'art moderne et contemporain. Il lui faut procéder
à un changement de point de vue salutaire. Un tel changement de point de vue peut lui
permettre de se remettre elle-même en question. Ce troisième temps de la réflexion ne
prétend pas résoudre l'aporie agonistique du rapport entre art et stratégie vu à travers le
filtre de Tate Modern, mais vise à dégager, en étayant des intuitions sur l'analyse de quelques
objets abrités par Tate Modern, des questionnements de nature à déstabiliser la dichotomie
art / non-art, à tenter de la repenser.
L'art peut élaborer sa stratégie de survie parce qu'il est protéiforme. C'est ainsi qu'il
échappe aux catégories, qu'il rebondit dans l'aporie. Parce qu'il est paradoxal, il défie la
logique. Il s'appuie sur la pluralité des configurations relationnelles de la sphère de l'art qui
gravite autour de Tate Modern, sur le paradigme sans cesse changeant – que le musée ne
peut saisir dans son ensemble et sa complexité ni arrêter ; l'art se dérobe, semble disparaître
pour mieux se transfigurer. La création de l'institution n'est plus alors pour lui qu'un point
d'appui, un point d'appui supplémentaire qui tend à conforter, à renforcer son équilibre au
cœur de cette constellation – vecteur d'affranchissement par l'illusion, qui lui permet
d'échapper à tout enfermement (muséal en l'occurrence) définitif, donc à tout
anéantissement ou épuisement définitif. Seul l'art que l'on soumet, que l'on met en captivité
peut y périr: pas celui que l'on croit y mettre, ni celui qui y entre de bon gré et en
connaissance de cause – car une telle connaissance de cause dépend du point de vue que
l'on adopte pour caractériser cet art.
Tate Modern se comprend comme le lieu de cristallisation de l'agôn entre art et
stratégie : elle en rassemble tous les prérequis nécessaires, en mettant en premier lieu les
adversaires en présence. Forte de cette cristallisation, la création de Tate Modern réunit par
ailleurs les conditions de perpétuation de ce combat entre l'art et les différentes stratégies qui
l'assaillent. Cette lutte n'est en rien nouvelle. L'art a depuis longtemps été pensé dans sa
supposée autonomie33 et dans ses modes de relation aux agents exogènes de son
instrumentalisation. La configuration des relations entre le musée et ces agents semble avoir
été institutionnalisée à Tate Modern. Cette configuration permet simplement de prolonger
l'affrontement, sans en changer les termes. La lutte se poursuit alors de manière balisée et
attendue.
Prenons pour exemple l'exposition dans le Turbine Hall de la H-Box entre le 3 juillet
et le 17 août 200834. Par-delà la stratégie commerciale attendue de l'entreprise Hermès35,
33
Catherine, Bernard, “Penser l’impensable : l’art de l’aporie selon Adorno and Benjamin”, Études anglaises,
Littérature et théories critiques II, Paris, Didier Erudition, 58.1, janvier-mars 2005, pp. 31-41.
34
La H-Box (entendre « Hermès-Box ») est une malle-cabine de projection vidéo démontable et transportable
signée par l'architecte Didier Fiuza Faustino (du Bureau des Mésarchitectures), produite et griffée par la société
Hermès international - la direction artistique de la programmation est assurée par Benjamin Weil. Elle est
programmée pour circuler entre des lieux d'art contemporain de différents pays et y projeter huit œuvres d'artistes
vidéastes renouvelées chaque année par moitié.
35
J'ai
souligné,
lors
d'un
séminaire
du
GEIAB
le
18
octobre
2008
(<
http://www.geiab.org/GEIAB2.0/ENGINE/skin.php?lang=F&id=6>), que Hermès, si elle soutient que la H-Box n'a
pas été créée dans un but commercial mais grâce à un réel intérêt pour l'art, demeure une société commerciale qui,
en tant que telle, enregistre dans son bilan à la page des actifs immatériels (immobilisations incorporelles du bilan
comptable) en particulier son image de marque – valorisée selon des techniques maintenant bien arrêtées – mais
également la plus value de son rayonnement publicitaire. L'activité principale de la marque, artisanat, hautePIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
66
l'interrogation soulevée est celle de la stratégie de l'institution lorsqu'elle accueille en son
sein un tel objet. En un mot, est-ce de l'art ? La question – et la stratégie – ne sont pas
nouvelles. Déjà en germe dans le geste de Duchamp en 1917, largement étoffé depuis et
orienté directement à l'endroit des stratégies commerciales (dans l'art ou hors l'art), la prise
en charge par l'art de l'incursion de l'économie marchande dans – et de son emprise sur –
l'art a été traitée par exemple à travers les Brillo Boxes de Warhol36 et pensée à de multiples
reprises. Les Brillo Boxes et la H-Box ne sont pas à mettre sur le même plan ; cependant,
cette dernière réutilise des principes déjà pensés par les premières. La H-Box signe
l'enchâssement de l'art dans un objet commercial – et réciproquement. Hermès de l'art vidéo
lové en son sein, matrice griffée et exposée, elle incarne toute à la fois la stratégie
commerciale de la société Hermès et la politique d'attraction du musée.
Les ambivalents entrelacs des stratégies commerciales et des stratégies artistiques à
l'œuvre deviennent eux-mêmes ambiguïté stratégique. De l'alliance entre le véhicule
publicitaire (dans son titre, dans les panonceaux alentour ou dans les dossiers de presse
méticuleusement étiquetés Hermès) et l'œuvre mise en abyme naît un hybride. Cet hybride
est tourné vers l'imagination, la représentation ou les technologies futuristes. Il est également
tourné vers la poésie de la métaphore spatiale. Or cette métaphore est propre à attirer vers
l'institution muséale un public grandissant toujours plus jeune – cible marketing très prisée
– sans risquer, grâce à cette ambivalence qui confine à l'ambiguïté, mauvaise presse ni
procès d'intention.
L'art moderne a tenté de secouer le joug marchand, avant d'être réintégré, et à ce
titre récupéré par la sphère commerciale, elle-même alors re-présentée par l'art
contemporain appréhendé par la pensée esthétique en tant que pris dans cet infini processus
spéculaire. Tate Modern abrite de nombreux exemples de ce phénomène au sein de ses
collections, et les travaux de nombreux penseurs de la contradiction intrinsèque à l'art
comme de la lutte livrée entre art et stratégie commerciale37. Elle s'emploie (néanmoins?) à
acquérir ou présenter Time38, de David Lamelas, la H-Box ou le travail de Damien Hirst39
sans y ajouter d'éléments de remise en question, sans engager le visiteur à prendre du recul
ni à rapprocher ces œuvres récentes à des œuvres plus anciennes déjà aux prises avec les
questions de la relation entre art et sphère marchande. Tate Modern est également
couture et luxe, s'associe fréquemment avec profit au monde de l'art, en particulier de l'art contemporain – on peut
ici faire référence aux nombreuses galeries d'art ouvertes par Hermès de par le monde. Le positionnement
concurrentiel d'Hermès dans le secteur la mène à asseoir sa réputation dans la sphère de l'art, notamment
contemporain. Non seulement Hermès International est soumise à la loi de l'actionnariat, mais elle est encore cotée
en bourse (introduite au second marché de la Bourse de Paris le 3 juin 1993), donc soumise à l'obligation légale de
transparence et de diffusion de l'information financière, en particulier dans son rapport annuel, précisément lu par
ces mêmes actionnaires. Cf. Hermès, Rapport Annuel 2008 Présentation du groupe Rapport d'activité, Editions
Hermès, paris, 2009, p 13.
36
Duchamp et Warhol sont tous deux largement représentés à Tate Modern.
37
Les présentoirs bien achalandés de la boutique principale de Tate Modern offrent les ouvrages de maints
théoriciens comme praticiens de l'art moderne et contemporain.
38
Time (2005) consiste à aligner des personnes pour qu'elles donnent l'heure à leur voisin et a été acquis par Tate
lors de la Frieze Art Fair de la même année. « Outside Curators Buy for Tate at Frieze Video, Installations, and
Photos but no Paintings », The Art Newspaper/Frieze Art Fair Daily, London, Umberto Allemandi & Co., 21
Octobre 2005.
39
Anciennement représenté par Charles Saatchi, marchand, galeriste et publicitaire, pour la marque de cigarettes
Silk Cut comme pour la campagne électorale victorieuse de Margaret Thatcher en 1979 (Julian, Stallabrass, High
Art Light The Rise and Fall of Young British Art, London, New York, Verso, 2006, p. 205). La vente aux enchères
de ses œuvres à Sotheby en septembre 2008, qui rapporta un montant historique, fut dénoncée par The Sunday
Times comme fortement biaisée à l'aide d'offres d'enchères artificiellement soutenues par ses propres galeristes –
et parfois proches amis – tels Jay Jopling, Larry Gagosian ou Harry Blain. Eu égard à l'opacité notoire des
procédures de vente aux enchères – lieu donc de prédilection de fins stratèges – cette accusation de collusion,
analogie du délit d'initié de marchés financiers inversement réglementés et transparents, soulève de multiples
interrogations quant aux répercussions des prix de marché sur les stratégies d'acquisition de Tate Modern. « Hirst
Dealers Bolster Prices at Record Sale », The Sunday Times, 21 septembre 2008.
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dépositaire de Equivalent VIII40 de Carl Andre qu'elle expose – dont le scandale fut antérieur
à sa création. C'est en ceci que le musée semble déployer une stratégie de reconduction, de
prolongation du face-à-face agonistique entre l'art et les stratégies marchandes. Tate
Modern réunit les conditions nécessaires aux jeux d'affrontement des deux notions, et les
met en présence pour déclencher la rixe. Cette stratégie muséale qui préside à l'agôn de l'art
et de la stratégie de la sphère marchande peut se lire comme manœuvre de rivalité dans un
multiple jeu concurrentiel de Tate Modern, face à un environnement où sont implantés
maints lieux d'art contemporain. Inaugurée à Beaubourg, la H-Box devait d'abord s'arrimer
au MUSAC espagnol, puis au MUDAM luxembourgeois, à Tate Modern londonienne, avant
de gagner la triennale de Yokohama au Japon puis d'autres lieux encore. La marge de
manœuvre de Tate Modern, c'est-à-dire la possibilité de ne pas accueillir une H-Box perçue
ici par hypothèse comme un objet non-artistique, apparaît alors d'autant réduite pour un
musée contraint par le système. Tate Modern peut se poser en arbitre de l'agôn. Or sa tâche
consiste en outre à dire l'art, c'est-à-dire à inclure ou exclure les œuvres de la catégorie
« art ». Il appartient donc au musée d'être capable de se déprendre de ce système. Il faut
d'ailleurs s'interroger sur l'utilité d'ajouter dans le Turbine Hall une cabine de projection
pour les huit vidéos proposées, quand Tate Modern dispose déjà d'un équipement de pointe
pour exposer les œuvres de vidéastes.
Cette hétéronomie muséale patente ne procède pas de ce que l'art exposé à Tate
Modern serait capable de se déprendre seul des fers commerciaux et économiques ; il est
condamné à ces fers par des stratégies nées de la référentialité d'un système dans laquelle
baigne, contrainte, l'institution. Les stratégies quantitatives qui commandent aux décisions
artistiques des conservateurs, commissaires ou artistes ne se lisent pas à l'aune d'une
improbable régénération autopoïétique de l'art garante de sa survie en toutes circonstances.
Les toboggans de Test Site41 envoûtèrent les foules ; les aspects artistiques de ce travail – sans
toutefois qu'il en soit dénué – ne semblent pas prépondérants. Sans nul autre appui pour
explorer ces aspects artistiques, le visiteur fut accueilli comme dans une fête foraine ou un
parc de loisirs.
L'art est sous le joug de stratégies du chiffre; néanmoins, il parvient constamment à
se régénérer par lui-même. Cette situation a aussi des conséquences sur le reste des
collections ou sur les expositions de Tate Modern. Le musée se plaçant sur la zone liminale
de l'ontologie de l'art, son autorité en la matière est remise en question. Se placer ainsi sur
une zone liminale ébranle l'autorité du musée, mais c'est chose nécessaire pour délimiter le
contour du phénomène « art contemporain » : l'absence de recul sur les œuvres
contemporaines constitue dans cette optique un défi incontournable. Le choix de se placer
sur une zone liminale peut également s'analyser comme le fruit d'une invite lancée au
public. Il s'agirait dans ce cas d'une stratégie de médiation pédagogique pour faire évoluer ce
public vers d'autres objets marqués, eux, du sceau ontologique, frappés au coin de la
certitude artistique. Pris en tenaille entre contexte concurrentiel, stratégies quantitatives et sa
fonction, performative, de dire l'art instantanément, l'institution n'aurait d'autres recours que
la sempiternelle reconduction et prolongation de l'immuable agôn.
Or l'art est toujours là, que Tate Modern continue de dire, d'exposer et de créer
stratégiquement. C'est peut-être précisément au cœur de cette κρίσις ontologique que se
peut entrevoir l'espoir de jeter quelque lumière sur cette aporie. Une clé de l'aporie réside
certainement dans la prise en compte du point de vue critique adopté pour appréhender la
question, de l'angle de focalisation volontaire mais pas totalement conscient de ce qu'il
implique selon lequel on s'intéresse au problème.
Ce point de vue – le nôtre, cet angle de focalisation, essaie ici, maintenant, par cette
démarche, de se déprendre un peu plus avant. Il cherche à renoncer à quelques repères
pourtant fondateurs de sa perspective – la perspective de la pensée, tout du moins d'une
40
Les cent vingt briques réfractaires disposées par Carl Andre déclenchèrent une vive polémique dans la presse
britannique non lors de leurs premières expositions mais à l'achat de l'œuvre, à l'aide de subventions publiques, par
Tate en 1972.
41
La commande passée à Carsten Höller dans le cadre des Unilever Series annuelles exposées au Turbine Hall,
présentée du 10 octobre 2006 au 15 avril 2007, se caractérise par de gargantuesques toboggans torsadés.
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pensée heuristique. Il cherche également à renoncer à certains présupposés que ce
paragraphe voudrait s'efforcer à « désupposer » pourrait-on dire42, s'efforcer à mettre au
jour dans la contradiction. L'objectif, en tentant de jeter une nouvelle lumière sur l'impasse
de pensée dont nous qualifions l'agôn entre l'art et les stratégies afférentes dans la création
de Tate Modern, serait de laisser sourdre le sentiment, l'aperception de n'avoir pas su
changer de point de vue, d'avoir toujours envisagé sous le même angle l'étreinte mutuelle de
l'art et des stratégies, pris dans leur assaut réciproque.
Ainsi ce point de vue de la pensée est celui qui sans relâche interroge son objet. Il n'a
de cesse de remettre en question le musée ou la H-Box. Or un objet ne se conçoit pas en tant
qu' « œuvre d'art » de la même manière, selon les différents points de vue qui appréhendent
cet objet. Les stratégies projetées dans l'emploi du vocable « art » ne répondent pas toutes à la
même téléologie. La H-Box n'est pas appréhendée par la société Hermès International dans
une optique universelle ; malgré qu'elle en ait43, l'entreprise ne peut que viser un intérêt
financier (même indirectement, par le biais des retombées positives de son image), dans la
mise en œuvre de ses stratégies, ainsi que l'explicite sans ambiguïté son objet social44. L'art
contemporain ou l'œuvre d'« art », sans nécessairement répondre à une définition établie, ne
se comprend du point de vue de la société commerciale que selon les critères d'une stratégie
de rentabilité chiffrable. Ainsi la H-Box satisfait aux conditions requises, et entre donc dans
la rubrique « œuvre d'art » au bilan financier, indépendamment de sa valeur artistique ou
esthétique réelle. Prenons un second exemple qui montre comment des points de vue
peuvent diverger face à un même objet. Shibboleth45 de Doris Salcedo a pu opposer une
stratégie d'auteur, par exemple face au défi que représentent les dimensions du Turbine Hall,
à l'avis plus que partagé de certains médias sur la qualité artistique de « (The) Crack »46. Ici
le point de vue de l'auteur diffère de celui d'une partie de la réception critique. On peut
également prendre un troisième exemple pour illustrer l'opposition entre le point de vue de
visiteurs et celui du musée ou d'une galerie commerciale d'art. En effet, le point de vue
muséal a divorcé de celui d'une partie du public, à propos de l'acquisition et de la
présentation de Equivalent VIII de Carl Andre aujourd'hui exposé à Tate Modern, pour
épouser la perspective du galeriste. Tout comme les opinions de contribuables britanniques
ne coïncideront pas intégralement avec celles d'acteurs du marché de l'art ou celle du
directeur de Tate, N. Serota, dans sa stratégie d'acquisition – à la Frieze Art Fair – de Time de
42
Dans une tentative de signifier l'action de se départir de ses suppositions, d'exposer au grand jour les
mécanismes contraignants des présupposés.
43
Voir note 35.
44
« 2 – OBJET
La société a pour objet, en France et à l’étranger :
◆ d’acquérir, détenir, gérer et, éventuellement, céder des participations, directes ou indirectes, dans
toutes entités juridiques ayant pour activité la création, la production et/ou la commercialisation de produits et/ou
services de qualité et, en particulier, dans les sociétés du groupe Hermès ;
◆ d’animer le groupe qu’elle contrôle, en particulier par des prestations d’assistance technique dans les
domaines juridique, financier, social et administratif ;
◆ d’assurer le développement, la gestion et la défense de tous droits qu’elle détient sur des marques,
brevets, dessins et modèles et autres éléments de propriété intellectuelle ou industrielle et, à ce titre, de procéder à
toutes acquisitions, cessions ou concession de droits ;
◆ de participer à la promotion des produits et/ou services distribués par le groupe Hermès ;
◆ d’acquérir, céder et gérer tous biens et droits nécessaires aux activités du groupe Hermès et/ou à la
gestion de son patrimoine et de ses liquidités ; et
◆ plus généralement, de faire toutes opérations, quelle qu’en soit la nature, susceptibles de participer à
l’objet social. »
On notera, en écho à la note 35, que cet objet social se décline simplement en paradigmes gestionnaires.
Hermès, Rapport Annuel 2008 Présentation du groupe Rapport d'activité, op.cit., p. 232.
45
Cette commande, passée à Doris Salcedo dans le cadre des Unilever Series et exposée dans le Turbine Hall du 9
octobre 2007 au 6 avril 2008, consiste en une profonde lézarde évasée et ramifiée à même le sol de l'espace
d'exposition.
46
« (La) fente », surnom humoristique de Shibboleth, apparu dans une partie de la presse britannique le jour même
de l'ouverture de l'exposition.
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David Lamelas pour la somme de 20 000 livres sterling47, pas plus que ces opinions du
contribuable ne coïncideront nécessairement avec un point de vue philosophique ou
politique sur la performance en question.
Comment comprendre que, au-delà des affaires les plus retentissantes qui laissent
marginalement transparaître des disjonctions singulières entre deux points de vue
spécifiques (et leurs stratégies sous-tendues)48, l'autorité de Tate Modern ne soit pas
davantage écornée? Peut-être s'agit-il davantage des autorités plus que de l'autorité, c'est-àdire de autorités plurielles disjointes, en regard de divers points de vue, dans des domaines
hétérogènes tels le marché de l'art contemporain, l'urbanistique ou les relations sociales par
exemple. Les autorités qui avalisent des stratégies de dire l'art contemporain confèrent en
retour des valeurs plurielles49 aux œuvres, valeurs diffractées selon les multiples points de
vue. C'est précisément dans cette diffraction, cet éclatement fragmentaire des points de vue
sur un objet unique que se dissimule une possibilité de faire sens de l'infinie aporie
agonistique. La singularité de Tate Modern est de cristalliser une multiplicité de points de
vue autour de l'unicité de l'objet envisagé. De là procède toute son autorité. Celle-ci
parallèlement tend à nous faire oublier les changements de points de vue sur la même
catégorie d' « art ». De là également la survie et la renaissance d'un art que l'extériorité d'une
perception isolée décrit en tant qu'« auto-régénérant » quand en réalité d'insensibles
glissements participent des inflexions répétées infligées au concept malléable au sein de
l'institution qui d'autoritaire devient autoriale en ce qu'elle (re-)crée de l' « art ». Le
processus de dire l'art contemporain n'est pas le fait, sinon marginalement, de Tate Modern
en tant qu'institution indépendante et experte. Il est en réalité essentiellement le fruit de
contraintes structurelles imposées à cette institution. Ces contraintes procèdent d'une
constellation d'agents de la sphère artistique, constellation érigée en système.
Ajoutons deux remarques. D'une part, la pensée, de son point de vue, ne s'arrête, elle,
naturellement pas au nominalisme du vocable employé lorsqu'elle se penche sur des sources
autres que celles de la recherche (discours politique d'inauguration de Tate Modern,
catégorisation sous le concept d' « art » par le musée lui-même par exemple sur Tate Online,
description de leur œuvre par le même vocable par des auteurs aux échos médiatiques etc.
tels certains Young British Artists...). Malgré le recul que la pensée a sur ces phénomènes de
changements de point de vue, malgré la conscience qu'elle a de la valeur en réalité plurielle
de la catégorie d' « art », cette pensée est tout de même elle-même insidieusement soumise à
la prégnance de la systémie. En effet, le signifiant d' « art » ou d' « art contemporain » fait
retour sans distinction lorsque la pensée se saisit d'un objet qui ressortit à la sphère de l'art,
mais ne concerne pas directement des œuvres. La pensée à besoin de jalons, de repères
communs pour baliser le domaine qu'elle aborde, sans pour autant pouvoir les passer au
crible systématiquement – elle le fait bien sûr, du reste, quand c'est son propos. Ainsi, par
l'évocation du « musée d'art moderne et contemporain » londonien, tel auteur risque
d'endosser implicitement la catégorisation du contenu de l'institution muséale (« art
moderne et contemporain ») par le simple truchement lexical. Piégée dans une autre
systémie, celle de la langue, la pensée ne peut se défaire de ce retour de la réalité dans la
représentation linguistique qui lui sert à articuler l'appréhension de cette réalité.
D'autre part, nous avons avancé que les œuvres exposées sont perçues différemment
selon des points de vue variés. Nous avons également distingué le point de vue de la pensée
des autres, eux aussi liés à Tate Modern. Ces points de vue sont d'ailleurs myriades ; les
grandes catégories évoquées plus haut sont elles-mêmes subdivisibles en autant
d'individualités qu'il en existe pour exprimer un point de vue. Autant de points de vue
47
Dalya Alberge, « Time Really is Money as Tate Coughs up £20,000 », The Times, 21 octobre 2005.
Telles l'acquisition en 2005, condamnée par la Charity Commision, de The Upper Room de Chris Ofili alors
qu'il siégeait au conseil de Tate, ou celle, en 1972, des « Tate Bricks » (du « tas d'briques » pourrait-on prononcer
dans un jeu d'homophonie bilingue), voir note 34.
49
Emile, Durkheim, « Jugements de valeur et jugements de réalité », in Sociologie et philosophie, Paris, PUF,
1967, p. 95, cité dans Nathalie, Heinich, « L'art contemporain exposé aux rejets: contribution à une sociologie des
valeurs », in Toutes les pratiques culturelles se valent-elles ? Création artistique, développement culturel et
politique publique, Hermès (20), Paris, CNRS Editions, 1996, p. 193.
48
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imposent la conclusion que la circularité définitionnelle de l'art, générée au sein de la sphère
systémique et auto-alimentée en elle, répond à des besoins fonctionnels, pragmatiques, dictés
par les impératifs du domaine afférent. Par exemple, le galeriste Charles Saatchi50, la
journaliste Charlotte Higgins51, le conservateur d'art contemporain ou le créateur sollicité
pour les Unilever series tranchent (dans le sens de leur stratégie) la question de l'inclusion
ou de l'exclusion de telle œuvre dans la catégorie « art », pour passer outre le doute
ontologique de l'art perçu, à défaut, comme aliénant. Ils recourent à la catégorie d'
« art contemporain » en fonction de leur propre visée.
Les relations qui unissent l'art aux maintes stratégies sous-tendues par la création du
nouveau musée sont explicitement comme implicitement tout à la fois concurrentielles et
conflictuelles. Cela se vérifie que l'on se place dans l'optique de l'accès à l'art offert aux
visiteurs, dans celle de la rentabilité économique ou urbaine, et partant politique, ou encore
sur le terrain esthétique. Subverti, asservi et détourné par autant de stratégies hétérogènes,
l'art – vu ici comme le fruit de stratégies systémiques à visées singulières – semble plus que
corvéable. Il semble corvéable jusqu'à ne devoir de perdurer qu'à un ultime retournement
stratégique de points de vue ; ces points de vue sont par ailleurs peu enclins à se séparer d'un
auxiliaire tant pratique qu'efficace dans les différents rôles stratégiques qu'on lui impartit.
C'est finalement grâce à un subreptice changement de point de vue, grâce à un saut
qualitatif aussi discret que redoutablement porteur qu'est confortée, sans distinction, la
vivacité d'un signifiant protéiforme. Ce signifiant est propre à remplir des missions
multifonctionnelles, par un subtil glissement sémantique; de l'efficacité paradigmatique de
ce signifiant procède sa résilience, et de son instrumentalisation comme tel sa perte
d'identité, sa spectralisation. Mis en présence, mis en opposition, mis en conflit à Tate
Modern, l'art et la stratégie y sont intimement entrelacés, à n'en plus pouvoir être
désolidarisés. La stratégie se love dans l'art comme l'art – dans sons sens latin ars d'illusion –
dans la stratégie. Le concept d'art, masque et accul désubstantialisé des virevoltes de la
stratégie, se mue en méta-stratégie. Cette métamorphose est précipitée par la configuration,
dans ce musée, des différents points de vue.
Une des interrogations soulevées par l'immanence de la stratégie dans l'institution
systémique, et par l'emprise de cette stratégie sur l'art, a trait aux stratégies artistiques
autoriales à l'œuvre au sein des collections de Tate Modern. Ces stratégies artistiques sont de
ce fait remises en cause, modifiées voire limitées. D'une part l'œuvre n'est plus la visée
première, les stratégies inscrites en son cœur par l'auteur sont dès lors nécessairement d'une
portée moindre, par exemple sur le spectateur. D'autre part, le régime d'inscription au
monde de ces œuvres, par exemple à travers un engagement esthétique ou politique, est
modifié dans sa nature, l'engagement pouvant être réduit, parfois à néant. Une seconde
interrogation tient, elle, au renforcement de la systémie, prégnante dans la création de Tate
Modern, mais également à l'inscription, dans cette systémie, des autres institutions liées à
l'art contemporain, et nécessairement connexes à Tate Modern (qu'il s'agisse d'autres musées
londoniens ou nationaux ou encore internationaux). Ainsi, la contrainte systémique
engendrée par les subterfuges mis en œuvre à Tate Modern s'exercerait-elle au-delà de la
sphère immédiate du nouveau musée, par rayonnement en cercles concentriques (avant
d'être à son tour réaffectée par les répercussions) ? Ainsi, la mise en concurrence, au regard
du nombre de visiteurs par institution, se répercute-t-elle nécessairement sur les stratégies
mises en œuvre dans d'autres musées, qu'il s'agisse du MoMA ou de Beaubourg.
La partie purement systémique – à un niveau où Tate Modern est elle-même prise
dans un système avant même de créer un nouveau sous-système – des déterminants de l'art
contemporain exposé ne répond pas en elle-même à la problématique de la stratégie, faute
d'intentionnalité imputable à un agent donné. En revanche, la manière de réappropriation
spatiale et discursive de cette systémie pourrait constituer un autre horizon de réflexion. Il
s'agirait d'une réflexion sur le mode de réintégration, par l'institution, de son environnement
dans son processus de cristallisation de la constellation systémique. C'est une dimension
50
51
Voir note 39
Journaliste au Guardian depuis 1998.
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71
supplémentaire au degré élevé de complexité de l'institution. Cette institution est ici
comprise en tant qu'objet d'étude, mais également en tant qu'instrument politique ou
étatique, à même de jouer sur plusieurs tableaux. Elle peut changer constamment de registre
et servir de multiples objectifs – mais à des degrés de priorité et d'implication bien différents:
elle est un instrument stratégique par excellence. L'art et l'esthétique ne sont qu'un des
domaines en jeu dans la création et dans le fonctionnement de Tate Modern.
Ce haut degré de complexité interdit naturellement tout jugement péremptoire mais,
au-delà, peut-être également toute caractérisation tranchée de l' « art de la stratégie de l'art »
pratiqué à Tate Modern. Il génère une manière de voile riche d'ambivalences, propice à l'ars.
Ce voile d'ambivalence pourrait se lire comme une stratégie de dissimulation des stratégies
de l'art.
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La Brasserie Truman et les enjeux stratégiques de l’East End
Sophie Lefilleul
Année 1988, sur les Docklands de Londres, l’exposition Freeze1 signe le nouvel élan de la
scène artistique contemporaine londonienne. L’événement rime avec provocation. Cette
manifestation s’inscrit en véritable détonateur pour les vingt années qui vont suivre. Ce
coup de théâtre artistique et médiatique mérite attention par bien des aspects. Entièrement
menée et auto-promue par les artistes, défiant les codes habituels et la critique, jouant de
moyens entrepreneuriaux encore inusuels, la représentation s’impose légitimement
comme l’amorce du tourbillon créatif et du renouveau artistique de Londres.
Les points d’approche et d’étude de cette genèse sont nombreux. Les mécanismes
stratégiques à l’origine de cette exposition suscitent notre curiosité et auraient pu attirer
toute notre attention. Nous avons choisi néanmoins de nous focaliser sur un autre
élément, à notre sens, majeur. L’exposition Freeze s’installe dans un des bâtiments
abandonnés du Port of London Authority2, sur les anciens docks du port maritime de
Londres. L’événement s’insère donc également en marge localement, en regard de la scène
artistique du centre-ville. Parti d’une réflexion sur les lieux de l’art contemporain à
Londres, notre propos s’est très tôt concentré sur l’étude de cette nouvelle implantation
géographique. Il s’avère que depuis Freeze, les regards se sont communément tournés vers
l’est de la ville. Appelée East End3 ou East London, cette zone urbaine excentrée a en effet
connu une mutation parallèle à celle de la scène artistique depuis la fin des années 1980.
Compris entre les vestiges romains de la City à l’ouest, les courbes de la rivière Lea et
celles de l’autoroute M25 à l’est, ce quartier a du mal à se délimiter au nord et au sud.
Selon les acceptions il est, pour certains, stoppé par la Tamise et les Docklands et, pour
d’autres, étendu davantage sur la rive sud. Quant à sa frontière nord, elle est en mutation
accélérée en vue des Jeux Olympiques de 2012. Pourrait-il être pertinent de s’intéresser à
une géographie de l’art et de croiser les évolutions urbaines et artistiques ? Y a-t-il un lien
de cause à effet entre ces deux phénomènes ? Quelles sont les stratégies et les pratiques
qui se rejoignent ?
Nous soulevons cette question du lieu car, depuis le début des années 1990,
l’interaction entre les dynamiques urbaines et artistiques est constante dans cette zone de
Londres. A la restructuration urbaine et sociale des quartiers de l’East End correspondent
souvent des renouveaux dans l’univers artistique géographiquement, stratégiquement et
même esthétiquement. De manière plus concrète encore, l’univers artistique a, semble-t1
L’exposition a été menée notamment par Damien Hirst avec l’aide de Carl Freedman. Les participants
principaux étaient Rachel Whiteread, Sarah Lucas, Angus Fairhurst, Angela Bulloch, Mat Collishaw, Ian
Davenport, Anya Gallacio, Gary Hume, Michael Landy, Abigail Lane, Richard Patterson, Simon Patterson, et
Fiona Rae. La liste exacte des participants est difficile à établir étant car aucun ouvrage ni catalogue de
l’exposition n’a été publié à ce jour. Tous étaient issus du Goldsmith College. Saatchi faisait partie des invités et
l’histoire des young British artists et de sa collection d’art britannique contemporain commence certainement à
ce moment. Il ramène d’ailleurs, peu de temps après, ces artistes sur la scène artistique plus centrale et plus
visible de Londres. La première exposition yBa, acronyme venant de young British artists, a lieu en 1992.
Plusieurs expositions YBA s’enchaînent ensuite régulièrement jusqu’à la fermeture de l’établissement Saatchi
au County Hall, marquant son tournant vers d’autres scènes artistiques et d’autres stratégies. Consulter Brooks
Adam, al., cat., Sensation : young British artists from the Saatchi Collection, Royal Academy of Arts, Londres,
18 septembre – 28 décembre 1997, Londres, Thames & Hudson, The Royal Academy of Arts, 1997.
2
Le Port of London Authority, créé en 1909, est l’organisme qui assure la direction du port de Londres depuis
cent ans. Pour plus de renseignements à ce sujet, <http://www.pla.co.uk>, consulté le 15 juin 2009.
3
Les premières traces de cette appellation apparaissent dès la fin du XVIIIème siècle. A son origine, le terme
désignait les quartiers situés juste à l’est de la cité médiévale de Londres et au Nord de la Tamise. Pour de plus
amples renseignements à ce sujet, <http://eastlondonhistory.com> consulté le 15 juin 2009.
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il, permis un véritable exode urbain et un réel regain d’intérêt pour ces quartiers. Nous
nous trouvons face à une transplantation du lieu par « les mondes de l’art » londoniens4.
L’étude des connexions entre les acteurs du lieu et ceux de l’univers artistique semble
percutante et légitime. Quels sont les enjeux de ces changements ? Quelles sont les
articulations des réseaux au regard du quartier et au regard du centre de Londres ?
Nous avons souhaité aborder cette incursion dans l’East End par le biais d’un
bâtiment en notre sens révélateur, autant de l’histoire du quartier, que de son
développement culturel et artistique. Ce lieu est la Brasserie Truman, aussi appelée Old
Truman Brewery ou Black Eagle Brewery. Cet établissement est fédérateur d’éléments
constitutifs de ce que nous pensons être un phénomène artistique localisé dans l’East End.
L’année 1988 signe sa fermeture définitive comme fabrique de bière et enterre ainsi sa
première vie. A partir de cet instant, nous allons voir que le corps industriel du lieu est
prêt à recevoir d’autres orientations. La simultanéité temporelle avec l’exposition Freeze
nous permet de croire à posteriori à une mouvance en germination qui tend à modifier le
paysage et l’environnement de la zone est de Londres. L’infléchissement en faveur des
mondes de l’art va quotidiennement redessiner les lieux tout au long des années 90 et ce
jusqu’à nos jours.
Après avoir brièvement présenté l’édifice, son histoire et son évolution dans une
première partie, nous souhaitons nous consacrer dans un deuxième temps aux événements
artistiques et manifestations qui s’y déroulent. Par plusieurs exemples précis, nous voulons
constater et faire partager le dynamisme présent dans ce lieu et son rayonnement dans
l’East End. Enfin, nous désirons soulever la question de la pertinence d’une création locale,
d’une communauté d’artistes signée East End. Par ce lieu, notre but est de donner un
aperçu des enjeux et des comportements stratégiques de cette scène et d’en interroger les
fondements et les limites.
Les Emprei
Empreintes
mpreintes du passé
Histoire de la brasserie Truman
Après une histoire pérenne dont la fondation remonte vraisemblablement à 1724, cette
fabrique de bière s’est vue fermer ses portes en 1988. Il faut savoir qu’elle a été le foyer
économique du quartier, faisant travailler des milliers de riverains. Elle s’inscrit dans une
histoire plus large de la zone urbaine, de son histoire, de ses populations, des immigrations,
de sa vie et de son souffle économique. Elle a été une des plus actives brasseries de Londres
et, pendant sa période la plus faste, une des plus grandes du monde5. Dès 1666
apparaissent des traces de l’activité de la famille Truman dans le quartier. Néanmoins, c’est
au cours du XVIIIe siècle que les immigrants huguenots ont apporté une nouvelle boisson
faite à base de houblon fermenté. C’est ainsi que Truman commence d’abord par l’importer
de Belgique pour, peu de temps après, stimuler la production locale. En 1873, la société
acquiert un deuxième site à Burton qui prend rapidement l’avantage sur le site de Londres.
Malgré la reprise de l’affaire par le Grand Métropolitain Group en 1971 et une fusion en
1973 avec Watney Mann, en 1988 la production de bière est définitivement arrêtée sur le
4
Nous faisons ici référence à Howard S. Becker, Les mondes de l’art, Berkeley, The University of California
Press, 1982, Rééd. Paris, Flammarion, collection Champs, 2006.
5
L’East End de Londres comptait à cette époque trois grandes brasseries dont la Truman, la Brasserie Albion
qui se trouvait sur Whitechapel Road et enfin celle nommée The Anchor qui se situait sur Mile End Road. Le
bâtiment de la Brasserie Truman est le seul conservé à ce jour, les deux autres ayant été détruits, laissant place
aujourd’hui à des supermarchés. Au cours du XVIIIème siècle, la Brasserie Truman est devenue la troisième plus
grande brasserie de Londres. Par la suite, Benjamin Truman a été anobli par George III en 1760. En 1808,
Thomas Buxton s’associe pour créer la société Truman, Hanbury and Buxton qui acquiert alors une renommée
internationale et s’affirme à cette époque comme la plus grande brasserie du monde entier.
Pour de plus amples renseignements à ce sujet, consulter les ouvrages de John G.Bennet et notamment E.1, A
Journey Through Whitechapel and Spitalfields, Londres, Five Leaves Publications, 2009, p. 59-64. Consulter
également l’ouvrage de Rachel Lichtenstein, On Brick Lane, Londres, Penguin Books, 2007.
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site londonien. Après sa fermeture, il faut attendre 1995 pour que la famille Zeloof, déjà
implantée dans le quartier avec une société d’import-export, investisse à la fois temps et
argent dans le lieu. Ils s’attelèrent à en faire un espace artistique et culturel. Lulu Kennedy
fut engagée pour s’en occuper, le faire visiter aux jeunes artistes, studios, galeries ou
sociétés internet, intéressés par les prix attractifs. Elle prit ensuite l’initiative, dès 2000, de
créer le projet Fashion East qui réunit, chaque année, de jeunes créateurs. Cette activité lui
a servi de tremplin pour organiser son réseau de contacts et s’insérer dans l’univers
resserré de la mode à Londres. L’événement est toujours très prisé et Lulu Kennedy en est
devenue la figure incontournable.
Lieux industriels : un effet de mode ?
Placé au centre du quartier, ce lieu a gardé sa carcasse industrielle intacte. Et ce sont sa
forme et sa présence dans le paysage qui imprègnent immédiatement les esprits. Sa
cheminée de brique est un repère dans le dédale de rues du quartier. Son enceinte transpire
l’histoire et la culture de son passé. C’est un lieu industriel, tout comme le bâtiment du Port
of London Authority où eut lieu l’exposition Freeze, et tout comme le plus grand nombre
des lieux d’exposition qui se sont installés depuis dans la zone. La galerie White Cube est
un exemple similaire. Sur Hoxton Square, l’ancienne station électrique où la galerie
réputée a pris place en 2000, répond de la même restructuration architecturale
environnante. La galerie Victoria Miro est de même installée, plus à l’écart encore, dans
une ancienne fabrique de meubles, au milieu de hangars. Les exemples équivalents
foisonnent dans ce secteur de la ville. Il s’avère que très peu de galeries n’affichent pas une
structure industrielle, de briques ou à l’origine bien différente du lieu actuel. Notre
première remarque et nos interrogations découlent de ce constat.
La Brasserie Truman, comme tous ces lieux, semblerait servir l’ascension d’une
nouvelle approche de l’espace d’exposition. Est-ce un simple phénomène de mode ou une
réelle volonté de s’extraire du lieu habituel, de s’en démarquer ? Comment justifier cet
exode des galeries ? La réponse la plus légitime est sans doute justifiée par l’attraction des
loyers modérés et des lieux spacieux proposés. En étudiant les politiques urbaines
londoniennes et celles des différentes mairies concernées, nous pouvons constater que la
volonté est en effet d’attirer les petites entreprises locales6. C’est de cette manière que les
jeunes diplômés du Goldsmith College ont pu installer leur exposition dans de vastes
locaux sur les Docklands en 1988. Les exemples similaires abondent. Les organismes et
associations favorisant l’installation d’ateliers à loyers modérés pullulent. SPACE7 et Acme8
sont de bons exemples d’acteurs en termes de recherches d’ateliers et d’habitations pour les
jeunes artistes. La boutique de Sarah Lucas et Tracey Emin est, quant à elle, le parfait
témoin de la stimulation entrepreneuriale qui s’opère dans le quartier9. Ces contributions
permettent aux artistes de créer plus librement, voire d’être plus exposés et à moindres
coûts.
Néanmoins, qu’est-ce que le quartier apporte comme valeur ajoutée à la
6
A ce sujet, vous pouvez consulter les différents projets de développement urbain sur le site de la London
Development Agency : <http://www.lda.gov.uk>, sous la rubrique East End, consulté le 15 juin 2009.
7
L’Acronyme SPACE se définit selon les termes suivants : Space Provision, Artistic, Cultural, and
Educational. Créée en 1968, par un groupe d’artistes incluant Bridget Riley et Peter Sedgley, l’association
voulait permettre d’utiliser les locaux abandonnés se trouvant sur St Katharina’s Docks pour loger des ateliers
d’artistes. Ils parvinrent à convaincre le Great London Council et s’y installèrent provisoirement dès 1969.
L’appel d’offres pour la restructuration du quartier ayant été lancé, ils purent néanmoins rester jusqu’en 1972 et
comptèrent jusque 150 artistes.
8
Acme Housing Association est une association qui voit le jour en 1972. Elle naît d’un besoin de se loger à
Londres pour sept jeunes diplômés de la section Arts Plastiques de l’Université de Reading. Plus axé sur le
logement des artistes que sur leurs ateliers, ils conclurent à plusieurs reprises des arrangements avec le Great
London Council permettant de louer les bâtiments voués à la destruction ou à la réhabilitation pour des périodes
intermédiaires.
9
Nous faisons référence ici à l’entreprise intitulée The Shop, ouverte en 1993 par les deux artistes dans le
quartier de Bethnal Green.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
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scène institutionnelle et aux galeries reconnues ? Considérant la galerie White Cube par
exemple, nous comprenons que son espace d’exposition de Duke Street, à l’espace confiné,
veuille agrandir ses murs et se permettre ainsi de recevoir des œuvres d’une autre
envergure. Il s’avère néanmoins que l’inaccessibilité du lieu peut entacher l’espace
d’exposition et son nombre de visiteurs. Pour exemple, la galerie Wilkinson se trouve être
sur Vyner Street à quinze minutes de marche depuis la station de métro Bethnal Green, au
fond d’une ruelle escarpée. Le canal stagnant voisin, les murs graffés, les amoncellements
d’ordures jouxtant la galerie, sont autant de déracinements de l’art de son lieu habituel.
Son architecture récente affiche une façade entièrement noire qui a du mal à être repérée
depuis la rue. Un cube noir qui s’inscrit comme en résonnance du cube blanc et de l’espace
muséal standardisé. L’INIVA10 revêt d’ailleurs le même habit, s’opposant de la sorte aux
critères architecturaux conventionnels. Ces exemples s’apparentent à des manifestations
envers les pratiques institutionnelles11. Il se dégage de ces manœuvres architecturales et
spatiales, une volonté forte de s’écarter du lieu courant et de se détacher des formes et des
conventions traditionnelles.
Contexte géographique du quartier : stratégies attractives
Parcours de l’art
Cette originalité est cependant entachée par l’écartement du quartier et la nécessité pour
les visiteurs de se rendre en périphérie. Internet et le commerce en ligne jouent
certainement un rôle majeur pour ces galeries et favorisent l’efficience d’un tel
éloignement du centre. Comment pallier ce problème de distance géographique ?
Comment les galeries et les artistes répondent-ils à cette contrainte ? Quels sont les autres
atouts, les réponses et les implications qui se mettent en place au cœur de cette zone
urbaine ?
Depuis environ deux ans, des visites s’organisent dans l’East End. Ces parcours
touristiques sont axés selon plusieurs thématiques. En parallèle de guides historiques, aux
détours d’excursion retraçant les scènes de crimes de Jack l’Eventreur, se mettent
dorénavant en place des visites artistiques. Les galeries et les demeures d’artistes, leurs
ateliers, leurs lieux de vie et de rencontre, font l’objet d’excursions et de discours. L’art
contemporain devient une attraction qui attire les touristes et les amateurs. Plus récemment
ont été lancées des visites nocturnes12. Entre 19h et 21h, un bus propose un tour des
vernissages du moment, dans ce quartier excentré et populaire de la ville.
Cette stratégie s’inscrit comme un parcours initiatique et s’instaure selon des
coutumes rituelles. Le programme est fixé préalablement mais le contexte désoriente
pourtant le visiteur. Ruelles sombres, inhospitalières, galeries reculées ou dissimulées, font
de ces lieux d’art un paysage inhabituel. Le lieu et son état brut, la population environnante
et l’atmosphère du quartier, sont autant de points qui contribuent à un voyage vers l’art et
vers l’œuvre. Il est question de dépaysement. Un nouveau protocole est impliqué dans le
processus d’accès à l’œuvre d’art. Entre alors dans la lecture des œuvres et des espaces
d’exposition, une expérience du lieu. L’élément architectural industriel que nous évoquions
précédemment transmet et diffuse l’historicité du lieu-quartier et du lieu-bâtiment.
10
L’Institute of International Visual Arts a été crée en 1994 sur Rivington Place, quartier de Shoreditch dans
l’East End, avec le soutien de l’Arts Council England. Pour plus de renseignements : <http://www.iniva.org>,
consulté le 15 juin 2009.
11
Nous faisons ici référence aux théories soulevées dans l’ouvrage de Brian O Doherty, White Cube. L’espace
de la galerie et son idéologie, San Francisco, Lapis Press, 1976, Réed. Paris, JRP Ringier, 2008.
12
L’opération First Thursdays a été lancée début mai 2007. Fondé par l’Arts Council England et le London
Borough of Tower Hamlets, l’événement est organisé en collaboration par une quinzaine de galeries du quartier.
L’objectif est de faire venir de nouveaux amateurs d’art dans les galeries de cette zone de Londres, après leur
journée de travail par exemple, le premier jeudi de chaque mois. L’itinéraire des galeries est parfois organisé par
des personnalités du monde de l’art, des artistes, des journalistes ou des galeristes. Pour de plus amples
renseignements : <www.firstThursdays.co.uk>, consulté le 15 juin 2009.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
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L’héritage d’une mixité sociale, communautaire et culturelle concourt à ce climat
d’accession aux œuvres et aux artistes. Le visiteur est introduit directement sur les lieux de
création, de production et de vie des artistes. Lieux d’exposition, ateliers et logements des
artistes se côtoient ou ne forment même parfois qu’un seul et même lieu.
Puisque les acheteurs se déplacent dans des lieux qui leurs sont inaccoutumés, une
certaine curiosité prend part à la visite. L’effet « sensationnel13 » attire le public. L’incursion
dans ces banlieues pourrait être considérée par certains publics comme une aventure ou
comme un jeu. Une ambivalence naît des côtoiements de plusieurs niveaux sociaux. Ces
visites sont à la fois un symbole de démocratisation de l’art et d’une politique de
développement urbain toutes deux bien menées.
Evénements d’art
Ce phénomène de visites, qui tend à s’amplifier ces dernières années, est fortement relayé
par la presse spécialisée mais également par les magazines people, branchés, voire par les
guides touristiques14. Des cérémonies, expositions vedettes, médiatisées et télévisées
permettent d’alimenter ce côté arty et en vogue, attractif du quartier. Par exemple le 4 new
sensations est un prix lancé en 2007 par Charles Saatchi. Il réunit et présente vingt
étudiants, jeunes diplômés des écoles d’art londoniennes, sélectionnés par un jury de
professionnels et par le public via le site Internet de la galerie Saatchi. Chaque année, en
simultané de la Frieze Art Fair, ce prix a lieu au sein d’un des espaces de la Brasserie
Truman. Le gagnant obtient argent et notoriété. Cet événement n’est qu’un exemple des
prix, foires, défilés de mode, expositions artistiques, de design, etc., qui ont lieu au sein de la
Brasserie Truman et plus généralement dans le quartier. Il s’y développe une effervescence
créatrice et une interactivité pluridisciplinaire.
L’art car boot fair : une question d’attitude
Entre Boom, fête foraine et marché aux puces15
Et c’est ainsi que nous en venons à évoquer un événement qui correspond tout à fait aux
stratégies mises en place par les mondes de l’art pour se faire connaître et draguer à l’est de
la ville la scène artistique. Loin des prix ou des foires d’art contemporain aux formes
classiques, comme par exemple le 4 new sensations ou la Frieze Art Fair, l’Art Car Boot Fair
s’inscrit dans une démarche marginale16. C’est un événement très représentatif de la scène
artistique contemporaine de l’East End. Cette foire se démarque à la fois sur les plans
stratégique, plastique, esthétique et culturel.
C’est au sortir du marché dominical de Petticoat Lane, un dimanche du mois de
juin, que cet événement prend place depuis cinq ans. Venant de l’encombrement des
ruelles alentours, parmi les déballages de bricoles, brocantes, tapis et objets de toutes sortes,
le visiteur emprunte d’abord une halle couverte. Ce premier marché sert de couloir d’accès.
13
Nous faisons ici référence à l’exposition Sensation qui s’est tenue à la Royal Academy of Arts de Londres du
18 septembre au 28 décembre 1997. Elle a ensuite été exposée à Berlin en 1998 et à New York en 1999. Brooks
Adam, al., Op.cit.
14
Nombreux sont les journaux et magazines britanniques qui en parlent, voir Times Out, The Times, The
Guardian, etc. Un hors série a été consacré par Art Press en 2007. Le nouvel Obs ou Beaux Arts Magazine leur
ont consacré des dossiers plus récemment. Art Press 2, Trimestriel n°6, Aout – Septembre – Octobre 2007. Le
nouvel observateur, n°2226, 5-11 juillet 2007.
15
Quant à l’idée de marché aux puces, nous vous renvoyons ici à l’ouvrage de Nicolas Bourriaud,
Postproduction, Paris, Les Presses du Réel, 2003, p. 22-28. Il y développe l’approche selon laquelle « Le
marché aux puces, [est la] forme dominante de l’art des années quatre-vingt-dix. »
16
La première Art Car Boot Fair a eu lieu en 2005. L’événement est soutenu par Vauxhall Motors et prend
place chaque année aux environs de début juin à partir de 12h jusque 18h. Elle s’est déroulée le 14 juin pour
2009. Pour de plus amples renseignements à ce sujet : <http://www.artcarbootfair.com/009pages/home.html>,
consulté le 15 juin 2009.
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Une multitude d’objets artisanaux y sont vendus, reprenant le schéma habituel touristique,
comme à Covent Garden ou à Camden. Puis on accède à la cour de l’ancienne brasserie17. Y
sont installés partout des stands d’artistes, déballés et improvisés depuis les coffres de
voitures et installés ça et là. Agencés de manière aléatoire, les étals recouvrent la totalité de
la zone. Sur un des côtés du parking une scène a été aménagée où divers groupes de
musique vont se produire tout au long de la journée. Venant de l’avenue Brick Lane
attenante, la manifestation ressemble à s’y méprendre à la brocante vide-greniers qu’on
traversait en arrivant. Le bric-à-brac, la profusion, le désordre concourent à l’ambiance
festive et décontractée qui s’en dégage. Les échoppes proposent de nombreux objets très
similaires à ceux vus précédemment dans le marché artisanal. Pourtant, sont bien là des
artistes reconnus. Gavin Turk, Sir Peter Blake, Bob & Roberta Smith, Tracey Emin, Sarah
Lucas sont des habitués de l’événement. Bien loin d’un show ou d’un vernissage aux tenues
et aux attitudes mondaines, cet événement relève à la fois du burlesque, de la kermesse et
de la pantomime. Les artistes vendent des œuvres faites sur place, improvisées pour la
plupart, et à des prix vraiment abordables.
Art ou artisanat ?
La référence aux mondes institutionnels de l’art est néanmoins constante. Pour l’anecdote,
on vous invite à jeter une noix de coco à la figure photographiée et encadrée du
collectionneur ou de l’artiste médiatique de votre choix. Damien Hirst, Charles Saatchi ou
encore Jay Jopling en sont les figures les plus raillées. Ces actes enfantins et plaisantins
prolifèrent à chaque stand. L’artiste Jamie Lau propose ses œuvres sous forme de boîte
blanche d’environ 10 cm de côté. Nous sommes invités à visiter, comme avec un
kaléidoscope, l’œil collé à l’objectif, l’œuvre intitulée Le plus petit White Cube du monde18
où nous apercevons la diapositive-œuvre de l’artiste au fond de l’appareil. Bob & Roberta
Smith vous enjoignent à faire votre propre œuvre d’art, qu’ils vous signent et vous vendent
ensuite19. Dérision et burlesque sont donc de mise. Comme si cette foire voulait absolument
se moquer des institutions et donner le change.
Les artistes présents et présentés sont pourtant majoritairement des enfants de
Saatchi. On y retrouvait pour exemple en 2009, Stuart Temple et Sarah Maple, artistes
nominés au 4 News Sensations de 2008. La distance vis-à-vis de la scène officielle est en ce
sens difficile à évaluer. Promu par le biais médiatique, ces artistes s’en dégagent en
apparence ici. Pourquoi ressentons-nous un étrange malaise et une forte ambiguïté parmi
cette prétendue détente générale ? Peut être parce que la question essentielle présente est
celle du statut de l’œuvre ainsi vendue. Parallèlement, les notions de valeur et de marchés
en découlent. Pouvons-nous parler d’œuvre d’art à proprement dit ? Le statut des artistes
étant relativement reconnu, et même souvent soutenu par les institutions20, ces œuvres ne
peuvent pas être considérées comme de l’artisanat. Pourtant, leur format et leur forme s’y
apparentent. La démarche de Bob & Roberta Smith tend à ignorer l’acte créateur. Du moins
de manière intermédiaire puisque comme pour l’estampe, l’original serait la planche
gravée et signée. Pareillement, Gavin Turk signe devant vous des feuilles au format raisin
qu’un collaborateur macule d’empreintes de semelles trempées dans du cirage. Sommesnous face à une parodie de la démystification de l’artiste et de l’acte artistique ? Comment
considérer ces objets parfois manufacturés ou home-made qui sont vendus en série durant
17
Le droit d’entrée à l’Art Car Boot Fair est de 3£ par personne. Le personnel contrôle votre accès par une
marque à l’encre indélébile sur votre main.
18
L’œuvre est présentée sous le titre original : The Smallest White Cube in the World. (notre traduction).
Aucune représentation n’est publiquement disponible.
19
L’œuvre reprend la technique de la xylographie. L’acheteur choisit une des planches de bois sculptées par les
artistes et la pose, puis la couvre d’une feuille de format raisin et la frotte avec un pastel gras de la couleur de
son choix afin de faire apparaitre le dessin gravé. L’œuvre est ensuite signée par Bob et Roberta Smith sous ses
yeux contre la somme de 50£.
20
Pour anecdote, pour acquérir une œuvre sur place, il est possible de régler en argent liquide mais aussi par
carte bancaire. Le règlement se fait alors majoritairement par communication téléphonique par le biais des
galeries respectives représentant le ou les artistes.
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cette journée ? Le jeune créateur William Tempest vend par exemple des mugs
thermochromiques à son effigie, sa signature comme seule représentation de lui-même.
Dans ce cas, il nous serait possible de les considérer comme des multiples d’art. Les œuvres
sont néanmoins majoritairement produites hors du cadre industriel ou purement
commercial. L’héritage du Pop Art est évident dans la forme et les moyens plastiques. Nous
nous interrogeons cependant sur l’assimilation de ces objets d’art à des reliques, comme des
traces du contact avec l’artiste, tels des témoins du moment et de l’expérience de
l’événement. La transition effective entre l’acheteur et l’artiste nous pousse à une relation
très particulière. Il signe l’œuvre devant nos yeux comme nous ferions signer un
autographe à une star. On en vient même communément à poser pour la symbolique
photographie tout sourire à ses côtés. Gavin Turk comme beaucoup des artistes présents
joue fréquemment de cette relation ambiguë entre l’artiste et son image. Malgré les airs
détendus voire dissipés de la fête, l’artiste reste pourtant à sa place. Il se met en scène et
s’implique dans un jeu relationnel. Même si les allures sont non-conventionnelles et hors
du cadre de la galerie, l’échange demeure régit par un code très strict. L’adage Business is
business retentit dans nos esprits. Même déridé par l’alcool et la musique, la relation que
l’artiste engage avec le visiteur reste purement professionnelle, presque institutionnelle.
Comme la musique d’ambiance d’un supermarché, ces éléments d’extraversions semblent
s’inscrire telles des stratégies marketing participant uniquement à l’acte final : l’achat.
Génération yBa
La même question du public se pose alors, tout comme pour les visites que nous abordions
précédemment. Ces attractions agissent comme des procédés marketing qui rejoignent les
formes et les thématiques des œuvres elle-mêmes et font référence aux attitudes des young
British artists. Comme l’explique Waldemar Januszczak21, les fondements dynamiques de la
scène artistique East End étaient actifs dix ans plus tôt et se trouvent de nos jours être
dépassés. Ce qu’il en reste n’est qu’une résurgence de ce passé. Il décrit parfaitement le
public auquel s’adressent les événements actuels en faisant référence à l’ouvrage de
Michael Bywater, Big babies – Or can we just grow up22. Seules les attitudes résonnent
d’un phénomène assez récent et généralisé. Il définit ce public comme des kidults ou des
adultescents, une catégorie de personnes d’âge intermédiaire qui se délecte de
comportements marginaux, friands de ces formes de divertissements. Dans le cas de l’Art
Car Boot Fair, pour notre exemple, les travestissements et déguisements contribuent ainsi à
cette formulation. Les artistes s’adapteraient en ce sens à leur public, jeunes cadres
dynamiques en quête de sensations fortes.
Le terme « attitude » est important en ce que, comme dans le cas des young British
artists, les attitudes des artistes collent aux attitudes plus larges de la jeunesse britannique.
La dénomination labélisée Y.B.A.23 se décompose et prend sens dans chacun de ses termes.
Jeunes, britanniques et artistes résonnent dans ce que chacune de ces dénominations
renferme, tant au sens propre que figuré. La question de la relation entre stratégie des
artistes et des acteurs institutionnels en découle. Les œuvres intègrent la réception dès leur
conception. L’artiste et son image sont inclus dans l’œuvre elle-même. Ces attitudes sont les
signes d’un renouvellement de la scène artistique londonienne. A nouveaux acheteurs,
nouveaux artistes, nouvelles formes et nouveaux lieux d’exposition. Mais cela relève t-il de
la seule mascarade ? Est-ce un jeu stratégique de l’art ou pouvons-nous croire à une
authenticité artistique calquée sur une mouvance culturelle plus diffuse ? Nous voulons
comprendre et questionner la scène East End comme une nouvelle scène artistique et non
pas seulement comme un déplacement de la scène londonienne à l’est de la ville.
21
Waldemar Januszczak, « Can the East End art scene be as hot as some claim – 15 years after it got trendy ? »,
The Sunday Times, 13 mai 2007.
22
Michael Bywater, Big babies – Or can we just grow up, Londres, Granta Books, 2006.
23
L’acception usuelle est YBA. Nous apposons ici une rupture entre chacune des initiales pour mettre en
évidence le renvoi à chaque mot définissant l’acronyme : young, British et artists.
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Présence et revanche d’une scène locale ?
Empreinte historique
La question d’une inspiration du lieu s’ensuit. Si les stratégies artistiques semblent se
calquer sur l’environnement, les enjeux stratégiques du quartier et des « mondes de l’art »,
qu’en est-il de la formulation plastique et esthétique ? Le premier point qui se dégage de la
Brasserie Truman est la pluridisciplinarité qui y est permise. Le foisonnement des matières,
des formes, des expressions stimule une créativité rayonnante et permet une inspiration
plus libre. Le second point qui en ressort nait d’une influence du lieu par sa structure, son
architecture, son environnement et sa présence historique et culturelle.
Brièvement, nous voulons aborder l’œuvre Ghost Train de Marisa Carnewsky24 qui
débuta en 2004 sur le site de la Brasserie Truman, dans la même cour que l’Art Car Boot
Fair. Cette œuvre relève à la fois de la performance théâtrale, artistique et plastique.
L’œuvre est une installation sous forme de train fantôme tel qu’il en existe dans les fêtes
foraines. Le visiteur pénètre physiquement dans l’œuvre et mentalement dans la création
de l’artiste. L’installation mêle les exercices de style et les formes. Films, sculptures, dessins,
fresques, construction architecturale et technique, performances de comédiens, danse et
chorégraphie, concourent à un impact saisissant. L’ambiance est assez similaire à celle de
l’Art Car Boot Fair. Nous y retrouvons le travestissement, l’effet théâtral et l’ambiance de
fête foraine. Outre l’empreinte culturelle britannique, ce sont dans les attitudes que les
stratégies et les formes se rejoignent. La spécificité de l’œuvre de Marisa Carnewsky réside
notamment dans son choix thématique. La performance veut interroger la désorientation.
Elle évoque l’éloignement et le déracinement culturel des femmes et de leurs familles. Le
sujet renvoie à l’histoire du quartier et des flux migratoires qui l’ont construit. L’artiste fait
un retour sur ses origines juives et le lieu lui rappelle l’arrivée de son arrière-grand-père
en Grande-Bretagne, sur les Tilbury Docks. La dimension fantasmagorique réveille
l’histoire du bâtiment et du quartier. Comme si les esprits encore présents dans les lieux
ressurgissaient à travers ce voyage. Nous pourrions en ce sens rapprocher l’œuvre de celle
de Rachel Whiteread House voire Ghost. Les mêmes références sont celles d’une présence
d’un ici et du souvenir d’un ailleurs. L’East End a été longtemps considéré comme les BasFonds de Londres25. La misère, la prostitution et toutes les classes sociales peu fortunées y
cohabitaient. Les légendaires meurtres de Jack l’Eventreur, les écrits de Dickens ou de Jack
London, en ont fait un lieu dangereux et peu fréquentable. Les parallèles avec les histoires
locales sont nombreuses. Ghost Train fait intervenir uniquement des femmes et la mise en
scène nous rappelle que les comédiennes étaient à l’époque considérées comme des classes
marginales souvent assimilés à la prostitution. Dans ce quartier d’accueil de nombreux
immigrés, l’histoire transpire des murs et des pierres. L’œuvre de Marisa Carnewsky en est
le parfait écho dans cette installation.
Empreinte géographique
Non que le quartier attire particulièrement à première vue. Ses recoins et ses
bâtiments, telle la Brasserie Truman, regorgent de mixités sociales et culturelles. Les rues
portent des noms hérités des divers flux de migrations, leurs enchevêtrements sont le fruit
de ces histoires. Gilbert & George s’installent dès 1973 sur Fournier Street26 et expliquent
parfaitement ce qui se dégage de la vie dans ce lieu. A travers plusieurs séries d’œuvres, 20
24
Comme pour l’Art Car Boot Fair, l’installation est commissionnée par Vauxhall Motors Collective. Pour plus
de renseignements à ce sujet et avoir un aperçu vidéo de l’œuvre, se rendre sur
<http://www.carneskysghosttrain.com>, consulté le 16 juin 2009.
25
Nous faisons ici référence à l’ouvrage de Kellow Chesney, Les Bas-Fonds de Londres, Crime et prostitution
sous le règne de Victoria, Paris, Tallandier, 2007.
26
Voir à ce sujet l’ouvrage d’Isabelle Baudino et Marie Gautheron, E.1, Gilbert & George, Lyon, ENS Editions,
Musée d’art moderne de Saint-Etienne Métropole, 2005, p. 106-107.
PIED-À-TERRE N°1 PRINTEMPS 2010
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London E1 pictures, Twenty-three locations, Fifty-nine Streets, ils expriment toute la
complexité et la richesse de cet amoncellement où s’entrecoupent les histoires
individuelles, locales et légendaires. Cette énumération de noms de rue, de cartes, de lieux
de l’East End est le résultat d’une connaissance parfaite de cette portion de la ville. Ils
deviennent les témoins quotidiens de l’évolution du lieu. Certains des noms de rues qu’ils
citent dans leurs œuvres sont parfois même encore inconnus des registres de la ville. Le
quartier est en mutation permanente et ce depuis des siècles. Dans Thirty-four Streets, par
exemple, ils mettent en scène des noms de rues disparues aujourd’hui, prouvant que le lieu
est en perpétuel changement. Selon leurs termes, « c’est un quartier très extrême. C’est un
quartier qui est tout le temps en marge27 ». Outre les utilisations purement formelles de la
cartographie du quartier ou des noms de rues, ce sont les cultures qui s’entrechoquent.
D’un côté de Fournier Street se trouve Christchurch Spitalfields, église dont les légendes
veulent qu’elle renferme en ses fondations sept horreurs magiques destinées à purifier le
lieu et à éloigner les démons. De l’autre côté de Fournier Street se trouve l’actuelle Mosquée
Jamme Masjid qui fût précédemment église puis synagogue, subissant l’histoire et les
bouleversements du quartier. Selon Gilbert & George, l’East End se trouve à la croisée des
mondes. Nous irions plus loin encore dans cette idée en considérant qu’un nouvel univers
s’y implique depuis une vingtaine année et le modifie de nouveau : les mondes de l’art.
Empreinte de mixité culturelle
Pour terminer sur ces héritages culturels ainsi que cette mixité ethnique et
communautaire présente dans le quartier, nous souhaitons aborder le travail de Sarah
Maple. Jeune artiste gagnante du 4 News Sensations 2007, l’artiste travaille essentiellement
sur son image à travers le médium photographique. Ses créations sont à la croisée des
cultures. Elle se plait à jouer constamment des rapports et des ambiguïtés que soulèvent les
questions d’appartenance culturelle ou identitaire. L’héritage de figures YBA, telles que
Sarah Lucas ou Tracey Emin, n’est jamais très éloigné. Nous retrouvons dans ses travaux
des attitudes comparables. Pour exemple sa façon de traiter certains sujets, tel le féminisme,
est un vrai dénominateur commun. L’image de l’artiste dont elle use nous renvoie aux
mêmes procédés utilisés par Gavin Turk. Les réalisations de Sarah Maple s’inscrivent dans
l’ambiance et l’attitude du quartier de l’East End. Ses œuvres font resurgir les images de
nombreuses affiches ou graffiti présents localement partout dans le quartier. Dans ses
travaux, la culture communautaire ou islamique est entièrement jointe à l’identité
culturelle britannique. Ses messages sont efficaces et s’apparentent aux techniques
publicitaires. Elle crée le lien entre la scène visible et la scène locale qui se développe. Pour
se faire connaître, Sarah Maple a su utiliser les stratégies de visibilité et s’insérer dans le jeu
de promotion médiatique ambiant. Elle sert à notre sens l’idée selon laquelle l’implication
entrepreneuriale est au cœur même de cet art, des attitudes artistiques contemporaines de
sa génération et de l’East End.
Nous aurions beaucoup à développer encore à propos d’artistes, de
l’imbrication de leur inspiration et de leur créativité dans l’atmosphère et la culture du
quartier. Il est aussi important de considérer les nombreuses associations qui témoignent de
la réalité d’une scène locale et tissent les relations de plus en plus resserrés des réseaux
artistiques dans l’East End. Une scène locale étendue y vit, travaille et puise sa créativité au
sein même de la mythologie du quartier et de son effervescence constante.
Nous espérons avoir réussi à partager nos questionnements et nos visions quant
aux mécanismes qui régissent la scène artistique de l’East End. Nous pensons avoir donné
un aperçu et quelques clés de lectures des réseaux qui sous-tendent le quartier. La
Brasserie Truman et l’East End s’inscrivent dans un large et complexe réseau de relations
de mondes de l’art. Ils constituent un monde en parallèle de la scène londonienne et de la
scène la plus exposée. Un tel lieu pose la question par son existence même. A la fois lieu
27
Ibid., p.25.
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vecteur de succès, lieu communautaire et lieu de passage, il est difficile de figer cette scène
mouvante et d’en délimiter les contours. Protéiforme, souvent auto-suggérée, elle s’articule
et se déplace sans cesse. Si Charles Saatchi a tourné le regard vers cette scène décalée en
1988, s’en est servi et a réussi à l’exposer sur la scène internationale sous le titre art
contemporain londonien – yBa – ne pouvons-nous pas croire à l’existence et à la
persistance d’une scène issue de l’East End ? Depuis ses débuts, l’engagement majeur de la
Whitechapel Art Gallery28était d’insérer l’art auprès des habitants du quartier et d’ouvrir
les portes des ateliers des artistes implantés autour. Elle a toujours cru à une présence d’une
scène locale dynamique. Ne mérite-t-elle pas que nous nous y intéressions encore
davantage et que nous osions croire en sa réalité ? H.S.Becker explique que le monde ou les
mondes de l’art façonnent les artistes et leurs œuvres mais ne font pas qu’elles existent ou
non. L’œuvre existe même sans l’assistance des institutions et des relations29. Et c’est ainsi
que nous souhaitons apercevoir cette scène, sortie de l’ombre par le regain d’intérêt d’un
microcosme et stimulée par les politiques urbaines. Il serait intéressant que, malgré la
gentrification évidente qui s’opère petit à petit dans le quartier, cet effet puisse faire
profiter la scène locale d’une certaine visibilité. Nous espérons que ce phénomène ne fera
pas seulement que repousser davantage les limites de la ville. Le développement en vue des
Jeux Olympiques de 2012 sera à étudier. De même, l’évolution d’autres quartiers moins
centraux et encore populaires sont à surveiller, profitant d’un déplacement des populations
historiquement implantées dans l’East End.
28
La Whitechapel Art Gallery, dès 1901, avait entrepris non seulement de proposer aux habitants de l’East End
l’art contemporain mais d’exposer également la scène locale, dès 1904. Voir par exemple à ce sujet, 1990
Whitechapel Open, Whitechapel Art Gallery à Londres, 14 décembre 1990-20 janvier 1991, Londres,
Whitechapel Art Gallery, 1991. Ou encore, Tarsia Andrea, cat., East End Academy, Whitechapel Art Gallery à
Londres, 11 juin-29 août 2004, Londres, Whitechapel Art Gallery et Rich Mix Cultural Foundation, 2004..
29
Howard Samuel Becker, Op.cit., p.31. « Si l’une ou l’autre des activités n’est pas menée à bien, l’œuvre sera
produite autrement. Si personne ne l’apprécie, cela ne l’empêchera pas d’exister. Si personne n’encourage sa
réalisation, elle se passera d’encouragement. Si une partie du matériel n’est pas disponible, le travail se fera
autrement. Bien entendu ces carences auront des répercussions sur les œuvres produites. Ce ne sera pas la même
œuvre. Mais de là à dire que l’œuvre ne peut exister si toutes les activités évoquées ne sont pas menées à bien, il
y a une distance infranchissable. »
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Contributeurs :
Thierry Dufrêne: Professeur d’Histoire de l’Art contemporain à l’Université Paris Ouest Nanterre La
Défense où il dirige le Centre de recherches "Histoire de l’Art Représentations" (H.A.R.), Thierry
Dufrêne est également le Secrétaire scientifique du Comité International d’Histoire de l’Art (C.I.H.A.).
Spécialiste de l’histoire de la sculpture des XX-XXIèmes siècles, il a été le commissaire de nombreuses
expositions. On lui doit des ouvrages sur Alain Kirili, Piotr Kowalski, Berto Lardera, Ivan Messac, Joël
Schapiro. Thierry Dufrêne est un spécialiste reconnu de l’œuvre d’Alberto Giacometti auquel il a
consacré sa thèse parue sous le titre Giacometti. Les dimensions de la réalité, Genève, Editions d'art
Albert Skira, 1994, 221 p., 23 ill. , un ouvrage Giacometti. Portrait de Jean Genet, Paris, Adam Biro,
1991 récemment réédité sous le titre Giacometti/Genet : masques et portrait moderne, Paris, éd.Vilo,
juin 2006 (avec un texte inédit sur le rapport de l’artiste aux arts premiers), Le Journal de
Giacometti, Paris, Hazan, 2007 et de nombreux articles dans des revues d’histoire de l’art et des
catalogues d’expositions. Il prépare un ouvrage sur Jean Tinguely (à paraître chez Gallimard,
collection “ Art et artistes ”).
Brigitte Aubry est maître de conférences d’histoire de l’art contemporain à l’université de Toulouse
II–Le Mirail depuis 2006. Par ses activités pédagogiques et ses publications, elle est engagée dans
l’étude de l’art des XXe et XXIe siècles. Ses recherches portent sur l’histoire de l’art britannique abordé
à partir des activités de l’Independent Group pendant les années cinquante et sur l’intermodalité des
pratiques artistiques à l’époque contemporaine. Réactualisée et devenue un livre, la thèse de doctorat
qu’elle a soutenue à l’université Rennes 2-Haute-Bretagne fin 2004 vient de paraître aux presses du
réel sous le titre : Richard Hamilton. Peintre des apparences contemporaines (1950-2007).
David Bovey.
Bovey Après avoir pris un départ en retraite anticipé de sa position de bibliothécaire
universitaire, David Bovey a obtenu un M.A en cinéma international à l’université de Bedfordshire
en 2003, et un M.A en histoire et théorie de l’art à l’université d’Essex en 2007. Il combine
actuellement ce double intérêt dans une recherche de doctorat portant sur ‘les images d’artistes à
travers le film : cinéma narratif, 1934-2010’, mené sous la direction du Dr Margherita Sprio.
Eve Roy est chercheur associée auprès de l’UMR TELEMME et de l’Unité de Recherche CEMERRA, à
l'Université d'Aix-Marseille 1. Elle a soutenu en 2008 un Doctorat d’histoire de l'art, dans cette
même université, intitulé : « Autour d’Archigram, représentations architecturales utopiques et
imaginaires en Europe de 1960 à 1975 » et enseigne actuellement en tant que contractuelle à l’Ecole
Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSAM). Ses recherches actuelles concernent
toujours la question de la représentation en architecture, ainsi que les thèmes de l’utopie et de la
prospective architecturales, en particulier en France et en Angleterre. Par ailleurs, ses expériences
professionnelles au sein de la DRAC PACA, ainsi qu’à l’ENSAM, ont ajouté à ces champs de recherche
celui du Patrimoine du XXe siècle en région PACA.
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Daivy Babel est professeur agrégé d'anglais et doctorant à l'université Denis Diderot Paris VII sous la
direction de Catherine Bernard. Ses recherches s'articulent autour de la pensée esthétique mais
également du domaine civilisationnel de la Grande-Bretagne contemporaine ; elles portent en
particulier sur la relation nouée entre l'institution et l'art, et, partant, l'institution, l'art et tous les
acteurs et agents afférents au monde de l'art moderne et contemporain. Son sujet de thèse, La Tate
Modern: un musée au présent' l'amène à croiser une approche muséale inspirée de la pensée de
M. Foucault et une réflexion esthétique théorique. Il appartient au groupe de recherche One Piece a
a Time (GEAIB) où il a présenté en 2008 une réflexion intitulée La H-Box à la Tate-Modern: Ethique
muséale et esthétique commerciale: pour une axiologie du commerce à l'oeuvre. Il a par ailleurs
participé au colloque international 'Art and Commerce in Britain' des 23 et 24 avril 2009 organisé
par l'université Rennes II où il a proposé : 'Tate Modern: (super) Museum & (super) market', avant, au
XLIXe congrès de la SAES (8-10 mai 2009 autour de la notion d' 'Essai-s'), de réfléchir à La Tate à
tâtons.
Sophie Le Filleul est doctorante en Histoire de l'Art, à l'Université Paris Ouest Nanterre-La Défense. Sa
thèse, menée sous la direction du Professeur Thierry Dufrêne, s'intitule « Les mutations de l'East End
londonien : une revanche du local ? Création et expérience commune des lieux ». Ses recherches
explorent les relations entre les lieux de création et les artistes sur la scène londonienne depuis la fin
des années 1980 jusqu’à nos jours.
Editeurs :
Sophie Orlando a complété un Master de Lettres Modernes à la Faculté de Provence d'Aix-
Marseille, et un Master2 des Sciences de l'information et de la communication à l'université de NiceSophia-Antipolis; puis elle a obtenu un Master 2 d'Histoire de l'art contemporain à l'université
Paris1-Panthéon Sorbonne. Elle a été allocataire de recherche de 2006 à 2009 et elle termine
actuellement un doctorat sous la direction de Philippe Dagen, intitulé « La britannicité dans les arts
contemporains en Grande-Bretagne de 1980 à nos jours ». Elle est fondatrice et présidente de
l'association One Piece at a Time, groupe d’Etudes Interdisciplinaires sur les Arts Britanniques. Ses
centres d'intérêt portent sur la question des identités dans les mondes de l'art contemporain
Gabriel Gee a soutenu une thèse de doctorat en histoire de l’art contemporain à l’université Paris X
Nanterre (2008), portant sur « La création et ses formes dans le contexte socio-politique de la
Grande Bretagne. Les scènes artistiques dans le Nord de l’Angleterre des années 1980 au début du
21e siècle ». Il est attaché temporaire d’enseignement et de recherche à la section arts de l’école
normale supérieure de Lyon en 2009-10, et ses recherches actuelles s’intéressent à l’histoire des arts
britanniques et irlandais au 20e siècle, aux rapports entre arts visuels et discours historique, et entre
culture et domaines politiques et économiques dans la période de transition industrielle – postindustrielle. Il est trésorier de One Piece at a Time.
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Design et visuel de la couverture – Vincent Fradet :
« Le signe, la lettre et l'imprimé constituent le fil conducteur de ma pratique. Par le livre, la poésie, la
peinture murale, la gravure et la production numérique, je m'attache ainsi aux problématiques liées
à la perception que nous avons de formes, de traces selon leurs propriétés, leur(s) contexte(s) et
leur(s) support(s). J'approfondis les idées de durée, de processus, de passage et de séquence.
Je relie aujourd'hui ces questions à la ville et au paysage urbain, aux usages, aux flux et au bâti qui
font l'espace public, en travaillant à des projets de créations murales dans la rue et d'interventions
urbaines variées à Paris et sa banlieue, Lyon, Limoges, Toulouse… »
[email protected]
Contributors (English):
(English):
Thierry Dufrêne is Professor of contemporary art history at the université Paris Ouest Nanterre La
Défense where he is in charge of the research laboratory ‘Histoire de l’Art, Représentations”. He is
also the scientific secretary to the Comité International d’Histoire de l’Art (C.I.H.A). As a scholar in
the history of sculpture in the 20th and 21st century, he has curated many exhibitions, as well as
published on Alain Kirili, Piotr Kowalski, Berto Lardera, Ivan Messac, Joël Schapiro. Thierry Dufrêne
is a renowned specialist of Alberto Giacometti’s work, on which he has published extensively:
Giacometti. Les dimensions de la réalité, Genève, Editions d'art Albert Skira, 1994, 221 p., 23 ill. ;
Giacometti. Portrait de Jean Genet, Paris, Adam Biro, 1991, which has recently been updated as
Giacometti/Genet : masques et portrait moderne, Paris, éd.Vilo, juin 2006, Le Journal de Giacometti,
Paris, Hazan, 2007, as well as numerous articles in art journals and exhibition catalogues. He is
currently writing a book on Jean Tinguely (to be published by Gallimard)
Brigitte Aubry has held a position of lecturer in the history of contemporary art at the université
Toulouse II-Le Mirail since 2006. She studies, teaches and publishes on the history of the arts of the
20th and 21st century. Her current research focuses on the history of British art, and in particular on
the history of the Independent Group in the 1950s, as well as on the intermodality of contemporary
artistic practices. She submitted a PhD at the unversité Rennes-2-Haute-Bretagne in 2004, an
updated version of which has been recently published at the Presses du reel: Richard Hamilton.
Peintre des apparences contemporaines (1950-2007).
David Bovey:
Bovey Having taken early retirement from university librarianship, David obtained an M.A.
in International Film from the University of Bedfordshire in 2003 and an M.A. in the History and
Theory of Art from the University of Essex in 2007. He is now combining both interests by
undertaking a Ph.D. at Essex researching on ‘Artist’s Images Through Film: Narrative Cinema, 19342010’ under the supervision of Dr. Margherita Sprio.
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Eve Roy is an associate researcher to the UMR TELEMME and the research section of CEMERRA at the
université d’Aix Marseille 1. She submitted a PhD in art history at the université d’Aix-Marseille in
2008, entitled: « Autour d’Archigram, représentations architecturales utopiques et imaginaires en
Europe de 1960 à 1975 ». She is currently teaching at the Ecole Nationale Supérieure d’Architecture
de Marseille (ENSAM). Her current research deals with the question of representation in
architecture, as well as architectural utopia and experimentation in France and Great-Britain.
Through her professional experience within the DRAC PACA and the ENSAM, she has also developed
research interests into the 20th century heritage in the Provence Alpes Côte d’Azur region.
Daivy Babel is a teacher agrégé of English and is currently undertaking a PhD at the université Paris
VII Diderot under the supervision of Professor Catherine Bernard. His research focuses on
contemporary British aesthetic thought and society. He is particularly interested in the relation
between art, institution, and the different actors involved in modern and contemporary art fields. His
PhD research is entitled : “La Tate Modern: un musée au présent' ». It combines an approach to the
museum inspired by the work of Michel Foucault to an aesthetic theoretical thought. He is a member
of One Piece a Time (GEAIB), where he presented in 2008 an intervention on La H-Box à la Tate-
Modern: Ethique muséale et esthétique commerciale: pour une axiologie du commerce à l'œuvre. He
took part in the international conference Art & Commerce in Great Britain at the université Rennes 2
in April 2009, where he proposed a reflection on'Tate Modern: (super) Museum & (super) market'.
He had also presented a paper on La Tate à tâton in May 2009 at XLIXe conference of the SAES.
Sophie Lefilleul is currently undertaking a PhD at the université Paris Ouest Nanterre La Défense
under the supervision of Professor Thierry Dufrêne, entitled « Les mutations de l'East End londonien :
une revanche du local ? Création et expérience commune des lieux ». She explores the relation
between spaces of creativity and artists in the London art scene from the 1980s to the present. .
Editors:
Editors:
Sophie Orlando has a Master in modern literature from the université Aix-Marseille, and a Master 2
in the science of information and communication from the université Nice-Sophia-Antipolis. She
also has a Masters 2 in contemporary art from the université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. She is
currently completing a PhD under the supervision of Professor Philippe Dagen entitled « La
britannicité dans les arts contemporains en Grande-Bretagne de 1980 à nos jours ». She is the
founder and president of One Piece at a Time. Her research interests focus on issues of identity in
contemporary art.
Gabriel Gee has a PhD in contemporary art history from the université Paris X Nanterre (2008). His
research focussed on ‘Creation and its forms in the socio-political context of Great Britain. The
artistic scenes in the North of England from the 1980s to the present’. He is a teacher-researcher
attached to the art department of the école nationale supérieure de Lyon in 2009-10, and his current
research interests include 20th century British and Irish art, the relation between the visuals arts and
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historical discourse, as well as the relation between culture, politics, and economics in the
transitional post-industrial period. He is the current One Piece at a Time treasurer.
Cover design and visual: Vincent
Vincent Fradet
“The sign, the letter, and printed materials stand as the core of my practice. Through books, poetry,
mural painting, engraving, as well as digital production, I deal with issues related to our perception
of forms and traces, depending on their characteristics, contexts and materials. I look into ideas of
time, process, passage and sequence.
In the present times, I relate these fields of enquiries to the city and the urban landscape, to the uses,
fluxes, and built environment that constitute the public domain, working on varied mural creations
and interventions in the street in Paris, Lyon, Limoges, Toulouse…”
[email protected]
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