Hors-Série Luxe
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Hors-Série Luxe
BUONOMO & COMETTI Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 6 décembre 2014 LUXE D’OR ET D’OMBRE 2 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe ÉDITO SOMMAIRE «Le luxe, c’est ce qui se répare», disait Jean-Louis Dumas Hermès. Il y a tant de choses sous-tendues par cette petite phrase-là. La notion de pérennité d’abord. Une chose précieuse qui dure se transmet forcément. L’émotion aussi: on ne prend la peine de réparer un objet que si l’on y est attaché, et parfois pour des raisons qui n’ont rien à voir avec sa valeur pécuniaire. Le contraire de l’obsolescence programmée de ces objets fabriqués pour être jetés sans réparation possible. Le luxe poussé à son paroxysme, c’est celui qui nous fait remonter aux origines de l’objet, avant la valeur ajoutée par les mains et l’in- Voyage au fil des mots de l’écrivain. Il arrive aussi au luxe d’être vertueux. Récemment, le président d’une marque de luxe me confiait: «Notre industrie ne va pas pouvoir continuer à fonctionner comme cela: si elle ne veut pas se rendre odieuse en période de crise, elle doit s’engager, prendre des positions écologiques, aider, redonner à la société, d’une manière ou d’une autre.» (p. 10). Le luxe est un mot dont la réalité est difficile à circonscrire, car il embrasse des réalités multiples. Nous avons fait un choix. Celui du luxe courtois. Quand Hubert de Givenchy se livre «To Audrey with love» résume une amitié d’une vie. Par Antonio Nieto, Paris 10 Le luxe et la stratégie de la philanthropie Actions caritatives, générosité pour communiquer. Par Catherine Cochard IMAGINE EDITIONS 12 Dans les mots de Serge Lutens Les parfums de Serge Lutens sont autant de chapitres qui racontent une vie: la sienne. Par Isabelle Cerboneschi 14 8 Hubert de Givenchy Pierre-Louis Mascia Ses étoles sont des étendards pour élégants. Par Isabelle Cerboneschi 20 Portfolio Love Réalisation, photographies et stylisme: Buonomo & Cometti 28 Signe invisible de richesse Les sacs à l’identité silencieuse, le charme de la retenue. Par Lily Templeton 30 Chambres avec vue Périple indolent dans les palaces de l’entre-deux siècles. Par Géraldine Schönenberg 33 FRANCESCO BRIGIDA Le luxe s’inscrit dans ces lieux habités où l’histoire s’est écrite. Comme le palais Gangi, splendeur baroque de Palerme où fut tourné Le Guépard, où Tancrède et Angelica sont tombés amoureux et dont la maîtresse des lieux, la princesse Carine Vanni Mantegna di Gangi, nous a ouvert les portes (p. 44-46). C’est l’élégance d’un Hubert de Givenchy dont la parole est rare et qui accepte d’évoquer son amie et muse Audrey Hepburn (p. 8, 9). Cette complicité, cette amitié qui fut à l’origine de tenues inoubliables. La preuve que l’on peut créer le beau par amour. Par désamour aussi, dirait Serge Lutens (p. 12, 13). 8 Portfolio Les fleurs du bal Réalisation: Isabelle Cerboneschi Photographies et stylisme: Buonomo & Cometti 44 12 Serge Lutens Sous les ors du palais du Guépard A Palerme, c’est au palais Gangi que Luchino Visconti a tourné la mythique scène du bal. Visite émerveillée. Par Antonio Nieto. Reportage photographique: Benedetto Tarantino 48 La peau douce A Saint-Junien, dans le Limousin, on a le gant dans la peau depuis des siècles. Précieux savoir-faire. Reportage. Par Eva Bensard. Reportage photographique: Gilles Leimdorfer BENEDETTO TANRANTINO Je songe notamment à cet art japonais du kintsukuroi. Cette savante façon de réparer les céramiques brisées à l’aide d’un joint d’or. Plus exactement une résine recouverte de poudre d’or. Une manière de reconnaître l’histoire de l’objet, de mettre la cassure en majesté, de signifier que, dans la culture nipponne, les failles sont précieuses et que l’on peut glisser de la beauté dans les fêlures. telligence de celui qui l’a pensé, conçu, en usant de savoir-faire séculaires (lire p. 48, 53 et 54). C’est la beauté des mystères de fabrication et de ses secrets. Il y a une politesse du luxe. Lorsqu’il se fait discret, joue les méconnaissables, lorsqu’il ne dit pas son nom, mais choisit ceux par qui il se laisse reconnaître. Lorsqu’il se niche par exemple dans un sac à main qui ne s’appelle ni Kelly ni Birkin, même si son pedigree est similaire (p. 28). 52 Parfums d’Orient Volant sur un épais tapis de vanille, ce sont des voyageurs. Par Valérie d’Herin 53 44 Le palais du «Guépard» Flacon mythologique La première collection de haute parfumerie Bulgari, Le Gemme, a été dessinée par l’Atelier Oï. Par Géraldine Schönenberg 54 Au fil du temps Reportage exclusif dans les ateliers d’un rubanier d’exception, la maison «Julien Faure», qui crée pour Tudor. Par Pierre Chambonnet. Reportage photographique: Véronique Botteron I Le luxe a-t-il encore le pouvoir de se rendre invisible? «Kyôto» sur les traces de Kawabata Par Jonas Pulver, Kyoto LG AR Par Isabelle Cerboneschi 4 58 BU FRÉDÉRIC LUCA LANDI Lapolitesseduluxe Patek Philippe Grandmaster Chime Les montres présentées par Patek Philippe pour ses jubilés se veulent des jalons dans l’histoire de l’horlogerie. Par Vincent Daveau 53 Flacons mythologiques 60 Le menu de Fêtes de Jérôme Manifacier Le formidable chef du Vertig’O, à Genève, a concocté un menu de roi pour les lecteurs du Temps… Par Véronique Zbinden. Reportage photographique: Véronique Botteron 62 Jeff Leatham, rêves d’enfant… Le directeur artistique du George V raconte. Par Isabelle Cerboneschi 65 Cadeaux «Tout un roman» Shopping: Emmanuel Grandjean. Illustrations: Xenia Laffely Robe entièrement brodée de la collection automne-hiver 20142015, Chanel haute couture. Le shooting a été réalisé dans l’atelier Harley-Davidson Paris Bastille. Remerciements à toute l’équipe pour son accueil. www.harleydavidson-bastille.fr Porfolio 1 Love Réalisation, photographies et stylisme Buonomo & Cometti Mannequins Abbie Weir @ IMG et Tom Bird @ 16MEN Make-up Chanel. Portfolio 2 Les fleurs du bal Réalisation Isabelle Cerboneschi Photographies et stylisme Buonomo & Cometti Mannequin Abbie Weir @ IMG Make-up Chanel Collier en or blanc de la collection haute joaillerie serti de tsavorites 66 carats, rubis 10 carats, saphirs 16 carats et de diamants. Broche en or blanc de la collection haute joaillerie sertie d’une rubellite, de saphirs roses, de rubis taille cœur, de cinq tourmalines taille ovale, de cinq saphirs taille ovale, de saphirs roses ronds, de cinq rubellites rondes, de cinq saphirs taille poire, de dix spinelles roses, de rubis et de diamants. Le tout Chopard. Editeur Le Temps SA Place Cornavin 3 CH – 1201 Genève Président du conseil d’administration Stéphane Garelli Administrateur délégué Daniel Pillard Rédacteur en chef Pierre Veya Rédactrice en chef déléguée aux hors-séries Isabelle Cerboneschi Rédacteurs Eva Bensard Pierre Chambonnet Catherine Cochard Vincent Daveau Valérie d’Herin Emmanuel Grandjean Antonio Nieto Géraldine Schönenberg Lily Templeton Photographies Véronique Botteron Buonomo & Cometti Gilles Leimdorfer Aline Paley Benedetto Tarantino Illustratrice Xenia Laffely Retranscription traduction Dominique Rossborough Responsable production Nicolas Gressot Réalisation, graphisme, photolithos Cyril Domon Christine Immelé Mathieu de Montmollin Correction Samira Payot Conception maquette Bontron & Co SA Internet www.letemps.ch Michel Danthe Courrier Case postale 2570 CH – 1211 Genève 2 Tél. +41-22-888 58 58 Fax + 41-22-888 58 59 Publicité Case postale 2564 CH – 1211 Genève 2 Tél. +41-22-888 59 00 Fax + 41-22-888 59 01 Directrice: Marianna di Rocco Impression IRL plus SA La rédaction décline toute responsabilité envers les manuscrits et les photos non commandés ou non sollicités. Tous les droits sont réservés. Toute réimpression, toute copie de texte ou d’annonce ainsi que toute utilisation sur des supports optiques ou électroniques est soumise à l’approbation préalable de la rédaction. L’exploitation intégrale ou partielle des annonces par des tiers non autorisés, notamment sur des services en ligne, est expressément interdite. ISSN: 1423-3967 cartier.ch - 044 580 90 90 <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDIytgQAYZz93Q8AAAA=</wm> <wm>10CFWLIQ6AMBAEX3TN7fZarlSSOoIg-BqC5v-KgkNsZsTsutYU9NvStqPtNXlyiCoZS3UyqE2ooE2BlocBToXNyBajs-B3GcjRFP1tBBB4RxajKLtbCvd5PZrDdkJ1AAAA</wm> Collection 4 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe BALADE LITTÉRAIRE «Kyôto»surlestraces deKawabata SYLVIE ROCHE Des vénérables boutiques où l’on fait glisser la soie sous les ceintures de kimono jusqu’aux forêts de cryptomères dont les bois sont essentiels à la construction dans la tradition du thé, voyage à travers l’ancienne capitale sur les traces du romancier Yasunari Kawabata, entre splendeurs de l’artisanat, nostalgie éperdue et intransigeance de la nature. Par Jonas Pulver, Kyoto «– Des belles images, on ne se lasse jamais, non? – Ça, je ne saurais le dire.» ALINE PALEY Naeko et Chieko, «Fleurs d’hiver» gémellaires dans le roman «Kyôto» de Yasunari Kawabata L ivre d’images, cité de mots. Roman-tableau, ville-personnage. Kyôto, ouvrage tardif tracé à fleur d’émaux, ultime écho en forme d’hommage, révèle les miroirs intérieurs d’un auteur de génie aux portes de l’extase. Les années 60 sont encore vertes; Yasunari Kawabata, presque Nobel de littérature, a quitté Tokyo et séjourne pour quelques mois dans l’ancienne capitale, où il a loué une maison. Pour écrire, il s’intoxique de beauté et de somnifères, s’enivre de nostalgie, glacé par l’industrialisation et les transformations à l’œuvre dans un Japon qui adviendra malgré lui – à vrai dire sans lui comme il en décidera dix ans plus tard en ouvrant discrètement le gaz dans son petit pied-à-terre, oublié en bord de mer. Ni testament ni lettre. Le silence des belles images. Présence du passé, absence d’avenir: Kyôto résonne comme une révérence aux âges d’avant, à l’art subtil du tissage, aux coutumes que l’on dit éternelles et qui semblent pourtant vaciller dans le souffle de la modernité: les grappes de lanternes peintes et les chars ornés de la fête de Gion, l’embrasement des cinq sommets et les torches lancées vers le ciel d’été durant la nuit du Dai-monji, la technique délicate des motifs de kimono, le glissement sec des ceintures sur les soies assorties, ou le tout premier tramway du Japon, inauguré en 1895 sur la ligne de Kitano, vestige bientôt désuet du Kyoto de l’ère Meiji. Les sœurs jumelles du roman, Chieko et Naeko, orphelines séparées à la naissance, ont grandi de part et d’autre des grands bouleversements. L’une à la ville, où les transistors Sony crachotent peu à peu leur bruyante innovation en lieu et place des porcelaines et des services laqués sur les étals des boutiques artisanales. L’autre à la montagne, par-delà les hautes forêts de cryptomères dont les troncs lisses et droits servent encore de colonne vertébrale à la construction dans la tradition du thé. Inévitables retrouvailles, impossible réconciliation. Regards entrecroisés sur le raffinement culturel et l’intransigeance de la nature, amours transverses, polyphonie de personnages dont les stridences et les voix elliptiques laissent entendre le murmure de Kyoto: une splendeur de détails et de gestes, magnifiés par leur impermanence et leur pérennité rêvée. «Plutôt que les protagonistes ou l’intrigue, ce seront sans doute les us et coutumes que je placerai au cœur du roman», dit l’auteur dans une adresse au lecteur. Et aujourd’hui? De la terrasse du temple Kiyomizu aux bambous d’Arashiyama, des enseignes de Nishijin aux essences boisées de Takao, la plume de Kawabata sculpte encore et toujours les moindres recoins de Kyoto. > Suite en page 6 <wm>10CAsNsjY0MDQx0TU2MzE3MgUAAnze-Q8AAAA=</wm> <wm>10CFXKoQ6EMBCE4SfaZnaYbSmVBEcQ5HzN5fS9v6LgEJNfzLfvLRKerdvx2c7mcMmmrMJoM5mg0pwqiRonKgdYRoKKmF_egDwJ3m9jDkPtqEYZo2ch_b-_C_gR7G9yAAAA</wm> Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe Modernité et tradition entre chien et loup: Kyoto l’urbaine s’étend sous la plateforme ancestrale du temple Kiyomizu à l’heure du crépuscule. > Suite de la page 4 Crépuscule au temple Kiyomizu «Effleurant son visage, les couleurs du soir la teintaient à peine; peut-être n’était-ce que l’appréhension qui vous étreint à la tombée de la nuit, au printemps.» Battre le chemin pavé qui serpente entre une myriade d’échoppes minuscules, dont les friandises de prunes séchées ou de haricots azuki raclent la langue mais adoucissent l’ascension. Passé la grande porte, monter les marches de pierre du Kiyomizu, temple bouddhiste suspendu sous ses toits immenses, dont la pagode à trois étages et les plateformes de bois embrassent, d’un côté, les bouquets de la forêt, et, de l’autre, la ville dans son urbanité lointaine; bétons verticaux et doux scintillements cosmopolites, face au zen pluri-centenaire du Temple de l’Eau pure dans les braises écrasantes du couchant. Le premier chapitre de Kyôto mène ici, à cette fenêtre perchée entre chien et loup, interface entre différentes dimensions d’un Japon que l’occidentalisation et la guerre semblent avoir dissociées, à l’image de Kawabata lui-même. «Se jeter du Kiyomizu», disait une expression de la période Edo: sauter depuis le belvédère haut de 15 mètres, atterrir dans les branchages, et, pour autant qu’on en sorte sain et sauf, formuler un vœu. «Je suis une enfant trouvée», déclare soudain Chieko, accoudée contre la balustrade. Vertiges d’une jeune fille sans racines, perdue au beau milieu d’une sublime architecture du vide. Dans la forêt de bambous «Dès qu’elle eut atteint la route du village, le bois de bambous se referma sur le monastère où son père s’enfermait.» Une porte – encore une. Un couloir végétal, long et mince, un sas entre la ville affairée et les sanctuaires sacrés. Le chemin bordé de paille effile sa lame dans l’ombre des hauts bambous; d’un côté, Arashiyama, sa rivière en vastes plans d’eau, ses bus bariolés PHOTOS: ALINE PALEY 6 qui amènent, le dimanche et les jours de fête nationale, une masse de touristes apprêtés qui s’éventent soigneusement. De l’autre côté, la tranquillité des hauts temples – Gio-ji, et plus haut Jingo-ji. Le père adoptif de Chieko s’est retiré du monde. Il tente de faire sens des exigences mercantiles qui touchent le secteur du commerce des tissus. Doit-il céder aux nouvelles donnes de la mode, criarde et sans finesse? Lorsqu’il se rend au jardin botanique, il préfère pourtant les carnations pastel des fleurs japonaises aux teintes franches mais lassantes des tulipes d’Europe… Pour lui rendre visite, Chieko a traversé le bosquet de bambous au milieu duquel le temps lui-même semble incertain et furtif. On y marche, aujourd’hui encore, entre les écailles de lumière qui filtrent à travers les feuilles et racontent les périls imminents de quelque brigand camouflé. Dans le fourré, la fameuse nouvelle de Ryunosuke Akutagawa parue en 1922, ne relate-t-elle pas par récits entrelacés et contradictoires les dernières heures d’un samouraï, pris au piège entre les longues tiges? encore à voir et à vivre les épaisses bobines de fil montées sur de grands cadres de bois, rares sont les boutiques traditionnelles qui ont su résister à l’érosion des marchés. Hinodeya, dans le quartier de Kamigyo, est l’une de ces enseignes centenaires. La mélancolie d’une valse de Chopin filtre à travers la porte battante; la propriétaire est occupée à boire le thé avec des clientes. Déployés sur de larges comptoirs ou à même les La Cité des kimonos «Ils avaient trois fils. Sur leurs métiers à mains, tous trois tissaient des ceintures de kimono {…} Il n’était pas question ici d’une enfilade de métiers mécaniques, mais seulement de trois métiers à mains, en bois, qui ne faisaient pas tant de bruit {…} Toutefois, le métier de Hideo était le plus éloigné, près du jardin, et sans doute était-ce parce qu’il était absorbé sur une «ceinture rouleau», l’ouvrage le plus difficile de tous, que la voix de son père ne semblait pas lui parvenir.» Les plus beaux tissus du Japon ont longtemps fait l’exception du quartier de Nishijin. Fils de tisserand aux doigts agiles, Hideo connaît mieux que quiconque la manière des ceintures brodées; il souhaite en offrir une à Chieko, dont le visage et la blancheur de craie l’émeuvent. A moins que ce ne soit sa jumelle, Naeko, qui avive ses jeunes ardeurs? Cinquante ans plus tard, si le Textile Center de Nishijin donne Ci-dessus: Dans les monts forestiers, en surplomb du village de Takao, là où poussent les cryptomères dont les troncs servent à la construction dans la tradition du thé. Ci-contre: Sur les rives de la rivière Kamo, les commerces de la nuit se manigancent dans un empilement de terrasses, au gré desquelles on aperçoit parfois la silhouette d’une geisha. tatamis, les tissus d’un futur yukata marient leurs humeurs profondes – rouge sang, émeraude, blanc perlé. Le soleil qui se déverse dans la vitrine a décoloré les panneaux de bois, mais la douce chaleur, elle, semble à l’épreuve du temps. Maintenant, une mazurka. Les bols fument à nouveau. Ici plus qu’ailleurs, la tranquillité est un luxe, et la patience, une distinction. Un peu plus au sud, lové dans un pavillon aux poutres humides, derrière les épaisses lamelles du noren (ce court rideau fendu qui délimite l’entrée d’un établissement), l’atelier Yubahan fabrique des pâtes de soja depuis bientôt trois cents ans. «A la surface des chaudrons divisés en rectangles de cuivre, vient se former petit à petit la feuille de Yuba coagulée», décrit Kawabata. Saveur de sel prodigieusement élastique, dont la recette se transmet encore Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 «Plutôt que les protagonistes ou l’intrigue, ce seront sans doute les us et coutumes que je placerai au cœur du roman», ALINE PALEY dit Kawabata dans une adresse au lecteur La forêt de bambous d’Arashiyama, au milieu de laquelle le temps lui-même semble incertain et furtif. PUBLICITÉ aujourd’hui de génération en génération, au quotidien, sous le regard des passants. Entre deux rives «Pensant y faire quelques pas, Hideo se dirigea vers le grand pont Shijô, où il avait rencontré, qui sait? «Chieko en Naeko» ou «Naeko en Chieko». La lumière de midi écrasait tout sous la chaleur. A l’entrée du pont, il s’accouda au parapet et, fermant les yeux, chercha à entendre, au-delà du vacarme des trams et de la foule, le bruit à peine audible de l’eau qui s’écoulait.» Shijo, littéralement «quatrième rue», est cette avenue large et cossue autour de laquelle tout Kyoto gravite. Double ligne de fuite symétrique dont les horizons révèlent de puissants contrastes, à tel point que Hideo, le jeune tisserand, ne sait plus dans quelle direction regarder: est-il amoureux de Chieko la citadine? Ou de Naeko la jeune paysanne? Dans l’entre-deux rives du pont Shijo, l’heure est aux délicieuses illusions. A l’ouest du pont, l’artère marchande a vu l’essor des grandes surfaces, temples du consumérisme contemporain où le service s’assure en gants blancs et où la politesse se doit d’être exquise. A l’est, dans son écrin verdoyant, le sanctuaire Yasaka sert de berceau à la grande fête estivale de Gion, au milieu de laquelle, parmi les clameurs et les prières, deux jeunes sœurs vont finir par se reconnaître… En contrebas du pont Shijo, les ondes de la Kamo caressent lentement leurs rives de galets, tandis que les allumettes de bengal crépitent. Les commerces de la nuit s’y manigancent dans un empilement de terrasses, au gré desquelles on aperçoit parfois quelques silhouettes de geishas – plus communément appelées «geikos» à Kyoto (de «gei», art, et «ko», femme ou enfant). Au royaume des cryptomères «Ces arbres sont l’œuvre des hommes, fit Naeko. – Ah? – Il faut quarante ans pour en arriver là {…} Si on les laissait comme ça, ils continueraient à pousser bien mille ans, gagnant en force et en hauteur, vous ne croyez pas? {…} Moi je préfère la nature sauvage {…} –… – Dans ce monde, si l’homme n’existait pas, une ville comme Kyôto n’existerait pas non plus, et il n’y aurait que des forêts sauvages et des champs d’herbes folles.» Monter dans un bus à dossier de velours bleu qui sillonne loin, hors de la ville. Passer outre Arashiyama, outre la forêt de bambous et les hauts monastères. Au creux de la montagne, à la hauteur du village de Takao, se dressent les premiers bois de cryptomères, ces «poutres des monts du Nord», comme les appelait le romancier Osaragi Jiro; longtemps, les femmes ont assuré le polissage des troncs au sable de la cascade et l’emballage de paille avant la mise à l’expédition. Les cryptomères poussent en bordure de forêts vastes comme des étreintes, à la limite des lits de cailloux, non loin des cours d’eau au-dessus desquels s’éploient parfois quelques lampions de papier offerts au vent. C’est là que Kawabata a choisi de faire naître ses deux héroïnes, là qu’il a fait mourir leur père, tombé du haut d’une cime, là qu’il voit s’exprimer au plus loin la fragilité des hommes et la solidité de leurs modes de vie. Frontière d’une nature rendue à elle-même, à ses cycles, à son immuable impermanence. Ces cryptomères, ce sont aussi ceux que le peintre Kaii Higashiyama a croqués aux premiers signes d’un hiver et fait paraître dans un carnet de dessins intitulé Les quatre saisons de Kyoto, préfacé par son ami Kawabata. Lorsque ce dernier a remporté le Prix Nobel mais avait presque cessé totalement d’écrire, Higashiyama lui a fait cadeau de ce Première Neige sur Kitayama dont les arbres sont si emblématiques. Peut-être voulait-il dire: on ne se lasse jamais des belles images. Surtout celles qui savent traduire, en silence, la mélancolie, la beauté et l’urgence dont les mots sont les témoins. <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDSwNAYAdeb21g8AAAA=</wm> <wm>10CFXKoQ7DMAxF0S9y9J5jJ24Np7CooCoPmYb3_2hb2cDVJWfO9IK7xziucaaHBwUgtppuVtQ1e-0FiCQVCtpOANqN_PPftWrg-hkhRbGwiYe4r2itvJ-vDz8UOfByAAAA</wm> Villeret Collection BLANCPAIN BOUTIQUES RUE DU RHÔNE 40 · 1204 GENEVA · TEL. +41 (0)22 312 59 39 BAHNHOFSTRASSE 28 · PARADEPLATZ · 8001 ZURICH · TEL. +41 (0)44 220 11 80 www.blancpain.com 7 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe INTERVIEW EXCLUSIVE Quand Hubert deGivenchy raconte sonAudrey «To Audrey with love». Le titre du livre de dessins d’Hubert de Givenchy résume une relation d’une vie. Une amitié indéfectible sur laquelle le grand couturier a accepté de revenir, arpentant les chemins de la mémoire. Par Antonio Nieto, Paris M onsieur Hubert de Givenchy ne donne plus d’interview depuis longtemps. Mais pour le lancement de son livre To Audrey with love1, il a fait une exception. Une seule: celle que l’on peut lire ci-dessous. Ce livre qui dévoile des croquis de robes et de costumes que le couturier a dessinés pour l’actrice est un gage d’amitié. Car c’est bien d’amitié dont il est question ici. Celle qui est née entre la jeune actrice, venue à Paris à la recherche d’un nouveau look pour le film Sabrina qu’elle s’apprêtait à tourner, et un jeune couturier du même âge, Hubert de Givenchy. C’était en 1953, cette liaison durera jusqu’en 1993, année de la disparition d’Audrey Hepburn. Sénèque dans ses Lettres à Lucilius disait à son correspondant: «Je pourrais te citer beaucoup d’hommes à qui a manqué non pas un ami, mais l’amitié. Cela ne peut arriver que quand une même volonté de rechercher le bien unit deux âmes.» Au-delà des robes sublimes habillant de rêves de soie sa muse, le génial couturier, a su, au fil des créations qui lui étaient dédiées, mettre au jour sa personnalité, l’originalité de cette «Drôle de frimousse» mais aussi pénétrer le cœur d’une femme et devenir son double masculin. C’est avec une grande constance et cette extrême délicatesse qui le caractérise qu’Hubert de Givenchy a décidé de rendre hommage à celle qui a accompagné, pendant quarante ans, sa vie professionnelle et privée. Il nous offre ainsi un «sketch book» intitulé To Audrey with love, comme une dédicace à une amitié éternelle qu’une série de croquis inédits et dessinés spécialement pour le livre illuminent. Cet homme de 87 ans, à l’élégance d’un autre siècle, a accepté de nous recevoir chez lui, le temps d’un voyage dans les souvenirs heureux. Le Temps: Votre première rencontre avec Audrey Hepburn a eu lieu dans vos ateliers, c’étaient les débuts de votre Maison de couture. Pourriez-vous nous raconter ce moment? Hubert de Givenchy: Un jour, je reçois un appel de Gladys de Segonzac, qui avait travaillé comme directrice chez Schiaparelli où j’avais moi-même travaillé pendant quatre ans. Elle s’intéressait au cinéma, rencontrait les actrices et les grandes compagnies comme Paramount, Metro Goldwin Mayer. Elle me dit: «Hubert, j’ai une amie, actrice, Miss Hepburn.» Sans la moindre hésitation, j’ai immédiatement, pensé à Katharine Hepburn que j’adorais et admirais! Elle avait un chic fou, elle était habillée par des couturiers américains, je ne IMAGINE EDITIONS 8 pouvais songer à l’existence d’une autre Miss Hepburn, puisque le film Vacances romaines n’était pas encore sorti en France. Donc j’attends, non sans impatience, cette rencontre avec Katharine Hepburn. Le jour arrive enfin, la porte s’ouvre… Et c’est Audrey Hepburn! Sur l’instant, je suis désappointé. Gladys m’explique qu’elle est l’héroïne de Vacances romaines, qu’un autre projet de film est en préparation, Sabrina, et que pour celui-ci il faut que Miss Audrey Hepburn soit habillée dans «l’esprit de Paris». Quelles impressions avez-vous ressenties lors de cette première rencontre? D’abord elle m’est apparue gracieuse, gracile, différente de ce que l’on avait l’habitude de voir. Elle était si mince, si menue si j’ose dire, grande, des yeux enchanteurs, une silhouette délicate, néanmoins vêtue de façon curieuse. Elle était chaussée de ballerines et portait un pantalon court, s’arrêtant au-dessus des chevilles, un t-shirt qui laissait entrevoir son nombril et un grand chapeau de gondolier avec une inscription «Venezia» sur un ruban rouge. Puis nous commençâmes à parler, elle m’expliqua le scénario du film Sabrina et de quelles tenues elle avait besoin. Rapidement je dus l’arrêter: «Je suis désolé, mais je n’aurai pas la possibilité de vous habiller parce que je n’ai pas suffisamment d’ouvrières pour faire 15 ou 20 robes dans les semaines qui viennent. «Faites ce que vous pouvez, mais j’aimerais que ce soit vous qui m’habilliez.» Elle me vit hésitant et me demanda alors de l’accompagner dans un restaurant dont on lui avait parlé. Comment vous a-t-elle convaincu de dessiner ses vêtements? Pendant le dîner, j’ignore si c’est son charme qui a opéré, mais elle me persuada que je devais absolument faire ses robes. Le lendemain, elle revint, on regarda ensemble dans les vêtements de la collection à venir, elle essaya un tailleur, c’était parfait: elle avait une taille exceptionnelle. Les mêmes proportions que le mannequin. Ensuite on a passé en revue les robes du soir. Elle aimait tout ce que je lui présentais. Je lui ai alors proposé de créer d’autres robes pour elle au fur et à mesure du tournage. Nous commençâmes ainsi notre collaboration. Le film connut un vif succès, mais Edith Head, fameuse costumière d’Hollywood qui s’était vu attribuer la création de toutes les robes du film, se vit récompensée d’un Oscar pour son travail. Audrey était furieuse. J’étais moimême un peu désappointé mais heureux de ce travail «à quatre mains» en quelque sorte et de l’amitié née de cette belle rencontre. Audrey, avec cette loyauté qui la caractérisait, a exigé que je l’habille dans tous ses futurs films. Après Sabrina, ce fut Love in the Afternoon, Charade, Funny Face… Cette amitié ne fit que croître, évidemment: on se comprenait, je dessinais, parfois elle voyait des choses dans la collection et je les modifiais pour elle. Par la suite, on voyagea beaucoup ensemble: l’Espagne, la Californie, l’Italie… De film en film, le succès d’Audrey allait grandissant, tout le monde voulait lui ressembler, son talent éclatait et surtout l’aura d’Audrey! Les hommes comme les femmes étaient amoureux d’elle. Elle ne ressemblait à aucune autre star de l’époque, elle était unique. Elle pouvait tout jouer. J’habillais beaucoup d’autres actrices, mais je n’ai jamais lié une telle amitié, une telle complicité avec quiconque. Et ce style nouveau, cette manière nouvelle de s’habiller, sa façon de se mouvoir sont nés en parallèle. La complicité qui existait entre vous transparaît à travers les costumes que vous avez créés pour elle. Oui. Audrey, pour moi, est toujours présente. C’est quelqu’un que l’on ne peut jamais oublier pour mille raisons qui ne tiennent pas uniquement à sa beauté, à son jeu d’actrice, à son talent. Le plus important est ailleurs: elle était avant tout humaine, profondément, viscéralement humaine comme elle l’a montré toute sa vie. Elle a beaucoup œuvré pour l’Unicef. Lorsqu’elle se rendait au Bangladesh, en Ethiopie ou dans d’autres parties du monde où les conditions de vie des enfants, des femmes sont terribles, elle en revenait profondément choquée, consciente de son impuissance face à l’horreur, aux atrocités, à l’Enfer. Elle voulait se battre, mais savait le combat perdu d’avance. Je l’accompagnais souvent dans de grandes réceptions aux Etats-Unis. Avant de prendre la parole, comme nous étions l’un à côté de l’autre, on se tenait la main sous la table, elle serrait la mienne très fort et racontait, racontait avec ses mots l’inacceptable. Elle dépensait une énergie incroyable pour essayer de changer le monde, elle passait souvent à la TV, à la BBC pour parler de l’Unicef, de son action. Elle ne faisait pas cela pour la publicité, ou pour en tirer une Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Ci-contre à gauche: Hubert de Givenchy: «Audrey, avec cette loyauté qui la caractérisait, a exigé que je l’habille dans tous ses futurs films (...) J’habillais beaucoup d’autres actrices, mais je n’ai jamais lié une telle amitié, une telle complicité avec quiconque.» quelconque gloire. Elle allait partout où on l’envoyait, traversait des endroits risqués, allait à la rencontre des enfants malades, les prenait dans ses bras, elle ne refusait rien parce qu’elle avait cet amour profond des autres. Ce livre est un hommage? Audrey est une personne comme on en rencontre peu au cours de son existence. Aujourd’hui encore, lorsque j’aperçois son image dans ces publicités pour les montres ou les briquets Dupont avec son sourire et ses larges lunettes, je lui fais un petit signe. J’ai voulu lui rendre un hommage en établissant un «sketch book» dans lequel je dessinais des robes pour elle, qui les avait aimées, et si bien portées. De nombreuses robes de films demeuraient dans mes ateliers. Elle m’en avait également beaucoup donné. J’ai pensé que le plus souhaitable serait non pas de les mettre dans un musée mais de les vendre au profit d’œuvres caritatives. Nous en avons vendu au Sénégal, au Brésil. J’ai également rencontré Dominique Lapierre, qui m’a demandé la vente d’une robe d’Audrey pour les enfants de Calcutta. Nous avions donné une des robes de Breakfast at Tiffany’s, qui a été vendue aux enchères chez Christie’s 800 000 euros. C’est Monsieur Bernard Arnault qui l’a rachetée. Je crois qu’Audrey aurait aimé. C’est une manière de faire perdurer notre histoire, lui dire que je ne l’oublie pas. Elle disait qu’habillée par vous, elle n’avait peur de rien. Je ne sais pas si elle disait vraiment cela, mais je sais qu’elle se sentait protégée par les vêtements que je créais pour elle. Avant une apparition télévisée pour l’Unicef, par exemple, elle m’appelait pour me dire qu’elle se sentait en confiance dans la petite blouse en satin que je lui avais dessinée. Peut-être parce que tout était basé sur une amitié profonde, une complicité réelle et une véritable confiance. Son image, au fur et à mesure des films, a évolué. En incarnant la perfection, elle est devenue la perfection. Elle se connaissait très bien, elle savait, par exemple, quel était son meilleur profil. Souvent au cours des séances d’essayage elle se regardait lon- guement, s’inspectait, elle marchait et savait avec exactitude ce qui convenait le mieux. Elle avait l’air à la fois fragile et très forte. Son aspect fluet pouvait donner cette impression de fragilité, comme une fine tige de fleur que la moindre brise pourrait briser. Je cherchais parfois à dissimuler cette gracilité pour la protéger. Mais elle ne voulait pas: «Pourquoi me montrer différente de ce que je suis?». Elle était à l’aise avec ce corps délicat. Cette indifférence quant à son absence de courbes «voluptueuses», comme celles des autres actrices de l’époque, la rendait gracieuse parce qu’en parfaite harmonie avec elle-même et de là finalement très forte. Il y avait quelque chose de mélancolique dans son regard. Je ne dirais pas qu’elle était mélancolique. Mais je pense que des jeunes gens qui connaissent la guerre sont marqués à vie. Elle en parlait peu, c’était plutôt dans des actes, très forts de sens, que l’on voyait qu’elle avait été traumatisée, par exemple, elle n’a jamais accepté de travailler en Allemagne. De plus, le père d’Audrey avait des idées pro-allemandes très affirmées, sa mère pas du tout. Après la guerre, son père s’est exilé en Angleterre et pendant des années, malgré son succès, elle ne l’a plus revu. Quand elle a eu son fils Shawn, elle a voulu qu’il connaisse son grand-père, qui habitait à Edimbourg. Elle s’y est rendue avec son époux, Mel Ferrer, et Shawn pour qu’il ait une image de son grand-père. J’ignore si cela a été salutaire, mais elle avait une ligne de conduite en tout. Elle avait le sens du devoir, son engagement pour l’Unicef en témoigne. En fait elle ne savait pas comment remercier le Ciel pour ses deux enfants; elle avait eu beaucoup de difficultés pour les avoir. Travailler pour l’Unicef était une manière de remerciement pour avoir connu le bonheur d’être mère. A son tour, elle faisait don d’elle-même. Elle avait tout, Audrey. Elle était humaine, généreuse, très prévoyante aussi, je le sais puisqu’elle m’avait demandé d’être son légataire testamentaire: j’ai donc vu comment elle avait organisé toute sa vie pour que ses enfants ne manquent jamais de Ce métier de couturier, c’est celui que vous avez toujours voulu faire? J’ai été très privilégié, d’abord parce que j’ai fait un métier merveilleux, et puis j’ai eu une mère extraordinaire qui m’a toujours compris, soutenu et a accepté totalement ce choix, contrairement au reste de la famille. Elle m’a juste dit: «Si tu fais ce métier, tu dois le faire bien et ne jamais te plaindre!» Je ne me suis jamais plaint et je pense l’avoir fait correctement. Ce n’était pas évident, les portes ne s’ouvraient pas facilement. Mon rêve, jeune, était de travailler avec Monsieur Balenciaga. Cela ne s’est pas fait mais c’était mieux ainsi. Lorsque j’ai voulu le rencontrer, j’étais alors âgé de 11, 12 ans: je suis parti de Beauvais avec des croquis, je n’ai pas été reçu, évidemment. Bien des années plus tard, après avoir travaillé dans différentes maisons, j’ai eu la chance de le croiser à New York. Il ne parlait pas anglais et moi très mal, mais c’était extraordinaire! J’ai travaillé dans plusieurs autres maisons. Le plus important, c’est l’atmosphère qui se dégage de chacune. J’ai pu rentrer chez Jacques Fath, un homme charmant et amusant, ce fut une année de bonheur, ensuite chez Robert Piguet, puis chez Madame Schiaparelli, c’était encore différent, autre personnalité, autre travail. L’élégance, le raffinement étaient portés à leur paroxysme. Souvent les gens pensent que la mode n’est que frivolité et superficialité… La mode est passionnante, certainement pas futile. D’abord il y a la beauté des tissus, puis leurs odeurs. Monsieur Balenciaga, qui avait toujours des phrases extraordinaires, disait: «Le tissu a une vie, ne le contrariez pas.» En effet un tissu doit vivre, respirer, épouser la forme d’un corps. Il est une matière vivante qui deviendra œuvre d’art. M. Balenciaga aimait enseigner, transmettre, parce que c’est aussi cela la mode, c’est une transmission de savoir. Alors non ce n’est certainement pas futile. Souvent il me répétait, tel un mantra: «Soyez honnête avec vos clients.» Lorsqu’il comprenait que vous aimiez vraiment votre métier, il était prêt à donner de son DESSINS: IMAGINE EDITIONS HUBERT DE GIVENCHY, FOND PERSONNEL rien et soient toujours protégés par le fruit de son travail. Elle avait connu de telles épreuves de privation pendant la guerre, qu’elle ne voulait pas que ses enfants connaissent une situation identique. Même après sa mort, elle prenait soin d’eux. «Breakfast at Tiffany’s». temps, de son savoir, en un mot à vous guider. Votre parfum L’Interdit a-t-il été créé pour Audrey Hepburn? Oui tout à fait, c’était l’époque où j’ai lancé deux parfums parce que je pensais que si l’un ne se vendait pas, l’autre se vendrait mieux. En réalité, les deux ont rencontré un vif enthousiasme de nos clientes, le second était le parfum de la Duchesse de Windsor et de Mme McCarty. J’ai vraiment été chanceux. La rencontre avec Audrey à cette époque a été déterminante, je pensais que son image s’harmonisait avec l’essence même de cette fragrance. Associer l’image d’une actrice à un parfum était novateur. Après il y a eu Catherine Deneuve, Liz Taylor. Audrey avait accepté de se prêter au jeu de L’Interdit. Mais ce parfum, qui avait été créé au départ pour elle, n’était pas destiné à être vendu. Imaginez le paradoxe: interdire «L’Interdit»! Mais imaginez aussi l’impact commercial d’un parfum créé pour Miss Hepburn, création unique pour une personne unique et qui de plus porte le nom «L’Interdit»! Tout le monde veut transgresser les interdits. Et tout le monde a voulu s’autoriser cet interdit, tout en s’identifiant à son héroïne. Puis-je vous demander le nom du parfum que vous portez? A l’époque, je portais (je ne devrais pas le dire) l’«Eau de Balenciaga» parce que Monsieur Balenciaga se parfumait avec cette eau de toilette et j’avais l’impression que si je la mettais aussi, alors j’aurais plus d’inspiration. Malheureusement, ils ne la font plus. Pourtant, j’en aurais besoin: je pourrais ainsi travailler un peu mieux. S’il vous était donné d’adresser un message à Audrey Hepburn aujourd’hui, quel serait-il? Ce qu’elle a toujours su: que nous nous aimons et qu’elle est toujours présente dans mon cœur. Il en sera toujours ainsi. 1. «To Audrey with love», Hubert de Givenchy, éd. Imagine Editions, 240 p. 29 septembre 2014. Avec la complicité de Christiane de Nicolay-Mazery, directrice artistique. >> Version complète de l’interview à lire sur www.letemps.ch/luxe 9 10 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe STRATÉGIE ALBERTO PIZZOLI/AFP Luxeetphilanthropie, unmariagegagnant En mai dernier à Cannes, Sharon Stone et des mannequins encourageant les philanthropes du gala de l’AmfAR, la fondation américaine pour la prévention et la recherche médicale contre le sida. L’ industrie du luxe n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de donner, sans rien escompter en retour. Ou presque. Les exemples en cette fin d’année sont légion, à l’instar des horlogers suisses, qui mettent à l’encan des montres spéciales dont les bénéfices sont directement reversés à des œuvres caritatives. «Mais il faut arrêter de penser que tout se fait en fin d’année, indique Bettina Ferdman Guerrier, directrice de la fondation Philias dont la mission principale consiste à promouvoir la responsabilité sociale des entreprises et de la mettre en pratique. Les associations et les causes ont besoin de soutien toute l’année!» Si on ne peut de bonne foi critiquer la philanthropie telle qu’exercée par les marques du luxe, une question se pose. Ces entités agissent-elles vraiment de façon totalement désintéressée comme le veut la définition du mot? «La philanthropie est utile aux marques pour leur image, explique Michel Phan, directeur du programme de management et marketing du luxe à l’école supérieure de commerce et gestion EM Lyon. Elles peuvent ainsi faire la preuve qu’elles ne sont pas uniquement motivées par l’appât du gain, mais qu’elles veulent aussi se comporter en bon citoyen, notamment en reversant une partie de leurs profits à de nobles causes.» Et, ce faisant, entrer en con- Les marques multiplient les actions caritatives et de mécénat. Une générosité bien placée pour communiquer tout en soignant leur image auprès du public. Par Catherine Cochard tact avec leur clientèle, les consommateurs de la génération Y très soucieux des questions éthiques relatives aux produits qu’ils consomment. Pour illustrer cela, on peut citer l’exemple du groupe Kering qui, par le biais de sa fondation, lutte contre les violences faites aux femmes. Or, la gente féminine représente la majeure «LA PHILANTHROPIE EST UTILE À L’IMAGE DES MARQUES» partie de sa clientèle (Kering possède entre autres Gucci, Bottega Veneta, Balenciaga ou encore Saint Laurent). La tendance entrepreneuriale à la philanthropie vient des EtatsUnis. «En Amérique, l’Etat subventionne dans une bien moindre mesure qu’en Europe la culture ou le social, explique Etienne Eichenberger de la société de consultants en philanthropie WISE. On compte sur le particulier pour construire des musées, opéras ou encore hôpitaux. Pour inciter les personnes fortunées à se lancer, on leur accorde d’importantes déductions fiscales sur leurs dons, avec obligation de faire des donations à hauteur de 5% du patrimoine de leur fondation annuellement.» Raison pour laquelle la philanthropie est très bien ancrée dans les mœurs de l’autre côté de l’Atlantique. En Europe cela se développe aussi, mais depuis plus récemment, le privé – entreprises ou particuliers – prenant à son tour le relais du public pour combler les besoins sociaux et culturels croissants. Avec des avantages fiscaux à la clé qui varient d’un pays à un autre, même si les lois américaines en la matière sont plus généreuses que les européennes. «L’entreprise peut déduire fiscalement une partie de ses dons en faveur de la philanthropie, explique Xavier Oberson, professeur de droit fiscal suisse et international à l’Université de Genève. En Suisse, en général, cette déduction peut aller jusqu’à 20% du bénéfice imposable de l’entreprise. On distinguera des dons déductibles sous cette forme des opérations de sponsoring qui constituent des fonds versés par la société en contrepartie de l’apparition de la marque de l’entreprise donatrice qui s’apparente alors à une forme de publicité.» Si les marques sont toujours plus nombreuses à s’investir dans des activités de philanthropie ou de mécénat, c’est aussi parce que le public estime qu’à l’heure d’aujourd’hui cela fait partie des devoirs d’une entreprise. «Les actions caritatives menées par les marques du luxe doivent être encadrées professionnellement et répondre à un réel besoin, reprend Bettina Ferdman Guerrier. Il faut savoir à qui on donne, selon quels critères, comment et à quelles fins. L’évaluation des projets et de leur impact est la clé pour la professionnalisation du domaine.» Le soutien des maisons peut prendre plusieurs formes. Elles peuvent financer des causes et mettre en place des projets en apportant les fonds nécessaires, apporter une expertise particulière dans un domaine – comme les ateliers d’estime de soi mis en place par L’Oréal et qui aident les femmes à retrouver confiance en elles – ou user de leur force de commu- nication pour faire connaître une association humanitaire à leurs clients, qui sont autant de donateurs potentiels. «Le monde du luxe est un secteur économique où il y a encore de la prospérité, développe Carla Hilber del Pozzo, directrice de Philanthropica SA, une structure qui conseille fondations et entreprises dans leurs démarches philanthropiques. Les marques sont extrêmement sollicitées. Elles ont alors le choix soit de réagir aux demandes diverses, soit d’agir de manière ciblée en créant leur propre fondation autour d’une stratégie, de manière à soutenir des thèmes précis qui leur tiennent à cœur.» Mais parmi les nombreuses causes qui ont besoin d’être soutenues, certaines sont plus promptes à séduire que d’autres… Une course à «la cause la plus sexy» que déplorent les acteurs du secteur. «De façon un peu stéréotypée, on peut dire qu’il est plus tentant de soutenir des enfants défavorisés que des personnes âgées, illustre Bettina Ferdman Guerrier. Le secteur de l’enfance est fédérateur et porteur en termes d’image. Or, les enjeux sociétaux à venir sont liés au vieillissement de la population. C’est donc une cause pour laquelle les entreprises devraient s’engager. C’est essentiel. Si le glamour peut aider à faire connaître des causes et des actions, il ne faut pas hésiter. Mais ça ne doit pas être une fin en soi!» M ESURE ET D ÉMESURE <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDA3swAA0lJPew8AAAA=</wm> <wm>10CFWLKw6AMBQET9Rm933ahicJrkEQfA1Bc3_FxyE2I2a29_CMb_Oy7ssW3rwxAailRRPJsKpBsZrFYEEKBLSJ6qLFqL_Lg6IGjrdJZBIMavLXDyvM13He9HUyr3UAAAA=</wm> TONDA METROPOLITAINE Acier Mouvement automatique Bracelet acier Made in Switzerland www.parmigiani.ch STUDIO PARMIGIANI GSTAAD CRANS-MONTANA L’ATELIER DU TEMPS SA | GENÈVE AIR WATCH CENTER SA, BENOIT DE GORSKI, GÜBELIN, ZBINDEN LAUSANNE GUILLARD SA | MONTREUX ZBINDEN | NEUCHÂTEL BONNET | VILLARS-SUR-OLLON BRÄNDLI CREATION & CO Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe CONVERSATION Danslesmotsde Serge Les parfums de Serge Lutens sont autant de chapitres qui racontent une vie: la sienne. Son dernier opus, L’Incendiaire, est une manière de bouter le feu à tout. Mais avant le grand autodafé, le créateur a accepté de feuilleter les pages de sa vie. Par Isabelle Cerboneschi C ela fait des années que je l’interviewe, que j’admire ses photos, que je porte les parfums dont il est le maître d’œuvre, que j’écoute ses mots, que je suis sa trace, sans vraiment le cerner, car la ligne qui le dessinerait est mouvante, elle ondule. Il est quelque part, dans ses parfums qui sont autant lui que des rêves de lui. Ses vérités se cachent dans les noms qu’il a donnés à ses fragrances, dans les matières premières qui les composent. «C’est un feuilleton, ma parfumerie. J’ai 70 parfums, mais c’est la même histoire que je raconte, autrement chaque fois», dit-il. Quand on joue à cache-cache, on laisse toujours une trace de soi pour que l’autre nous retrouve. Quand Serge Lutens parle des premières fragrances qui ont porté son nom, il dit: «Je voulais retrouver l’identité du parfum. La mienne aussi. Hypocritement, quand je parle de parfum, je parle de moi. Je suis incapable de me détacher des choses que je fais.» Jeu de Peau, Rousse, Serge Noir, Vierge de Fer, L’Orpheline, La Louve, La Fille de Berlin… Chaque opus est le chapitre d’un livre. Le livre de sa vie. Quelques heures durant nous l’avons feuilleté ensemble. Le Temps. Le dernier opus s’appelle «L’Incendiaire». Quand on le porte, on a le sentiment de se retrouver dans une église de bois et de cuir qui aurait brûlé. Qui tenait l’allumette? Serge Lutens: L’Incendiaire, c’est moi! J’ai envie de foutre le feu partout. Je voudrais un terrain neuf. Mettre le feu à tout ce qui ne me plaît pas. Et comme si peu de choses me plaisent aujourd’hui… On a tous en nous plusieurs personnages: on est l’amoureux abstrait, le fragile, l’homme qui peut perdre l’équilibre à chaque moment (j’en ai parlé dans le parfum L’Orpheline, d’ailleurs), le dictateur, l’incendiaire, le criminel, tous ceux-là, je les évoque dans mes parfums, dans mes images en tout cas. Si on arrive à contenir toutes ces parts en soi, c’est formidable. Mais il y a des moments dans la vie où l’on dérive obligatoirement vers l’un ou vers l’autre. J’exprime ces dérives avec un parfum qui est la seule façon pour moi de raconter une histoire, pour le moment. L’Incendiaire est celui qui ne peut pas déclarer sa flamme. Alors il met le feu. A quoi voudriez-vous mettre le feu? Je m’immolerais, déjà. L’idée de brûler quelque chose c’est «suicider» une partie de soi-même. J’ai envie de faire table rase. Mais peut-on brûler le passé, le réduire en cendres? Tout brûler peutêtre? Et puis partir, me sauver avec un petit sac, des cahiers… Me sauver même de ma maison au Maroc, de tout ce que j’ai construit. Car au fond, tout cela m’em- FRANCESCO BRIGIDA 12 Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Lutens prisonne. L’Incendiaire c’est cela. C’est quelqu’un qui veut se sauver, qui n’en peut plus, qui étouffe dans ce qu’il a. J’ai fait des tentatives d’incendie quand j’étais petit, vous savez? Il y a un pyromane en moi (rire). J’étais très content de mettre le feu: je trouvais les premières flammes fascinantes. Mais j’étais tellement effrayé par les proportions que ça prenait, que je devenais le pompier. Ce qui m’intéressait, c’était juste de déclarer ma flamme. Un peu comme une histoire d’amour: je voulais l’arrêter avant que cela n’aille trop loin. C’est un peu mon histoire: celle de quelqu’un qui est resté accroché très fort à une image de l’enfance. Qui accepte la femme, mais dans une représentation seulement. Et dès le moment où elle échappe à l’imagination, elle me fait peur. Pourquoi cette peur? Il faut se défendre. On n’est pas toujours en terrains aimables. Ils sont parfois hostiles, dangereux, minéraux, piquants, brûlants. D’où la peur. Et là, le personnage du dictateur devient nécessaire. Il prend de l’importance, mais il faut faire attention qu’il ne vous dévore pas. Surtout ne pas se laisser dévorer par une partie de soi! Or cela m’est arrivé. Par celui qui peut tomber à chaque minute, le fragile, le dépressif. Quel parfum incarne cet homme fragile? L’Orpheline, Serge Noir. Ce sont les mêmes, sauf que Serge Noir marche sur la corde. Et tient le coup, lui! Il a une trame: on parle de la serge! Elle est tissée en croisé, elle ne se déforme pas, on peut s’asseoir dessus, on en fait des soutanes, on en fait des Serge Lutens (rires). Le feu c’est la destruction, mais c’est aussi le phénix qui renaît de ses cendres. Oui, comme dans cet ouvrage dont je vous ai parlé plusieurs fois La conférence des oiseaux de Farid Al-Din Attar. Il était parfumeur. C’est une psychanalyse avant la psychanalyse, ce livre. Les oiseaux passent par-dessus des collines qui symbolisent les épreuves que l’on traverse dans la vie. De nombreux oiseaux vont rester à certains endroits, ne pouvant supporter d’aller plus loin. Les quelques-uns qui arrivent au bout du voyage rencontrent le phénix qui leur raconte que le trésor qu’ils sont venus chercher, c’est justement d’avoir traversé ces collines. L’Incendiaire inaugure une nouvelle ligne de parfums que vous avez baptisée Section d’Or. Pourquoi? Les parfums du Palais Royal étaient destinés à rester au Palais Royal. Mais comme ils sont trop demandés, ils vont commencer à en sortir. Je dois donc faire autre chose de plus extrême. On m’a annoncé récemment qu’un parfum de la ligne Section d’Or que j’ai proposé pour 2015 va coûter environ 7000 francs. Mais comme je ne le fais pas en fonction du prix, il coûtera 7000 francs et puis c’est tout. Il y a une autocensure naturelle dans la création. On veut aller le plus loin possible, mais on se demande toujours si on va être compris. Et donc cela nous arrête. Mais là, je m’en fiche. Pourquoi ce prix? On a utilisé beaucoup de roses bulgares, de roses turques et les plus belles matières de la parfumerie. Tant par la présentation que par le boîtier d’étoffe, j’en fais une sorte de présent. J’utilise ce terme plutôt que cadeau, car c’est une manière de se rendre présent en offrant quelque chose de précieux. Je pèse les mots que j’utilise. Et le parfum, pour moi, est le moment suspendu entre l’image et les mots. Et ce depuis vingt-quatre ans. Je ne recherche pas les expressions rares, plutôt les ordinaires. Je m’intéresse à leur origine, d’où ils viennent, pourquoi, leur naissance. On se rencontre mieux quand je les ai en main de cette façon. Ils me permettent de mieux me situer. je suis incapable de déterminer la beauté. Elle arrivait au studio, et il n’y avait rien. Mais dès le moment où elle entrait dans la cabine, qu’elle passait le peignoir, qu’elle avait les cheveux peignés, attachés pour que le visage soit isolé, et que celui-ci était passé au blanc, c’est là que cette femme commençait à m’appartenir. Qu’elle était mienne. Une femme sans corps. La passer au blanc c’était me la rendre lisible, plus nette, évidente. Un premier état de lecture de la femme. Passer dans cette peau-là, pour les filles, c’était fabuleux! Comme si elles sortaient d’un tableau vivant pour saluer le peintre, ou pour danser avec lui. Les gestes qu’elle faisait étaient très importants. J’étais derrière l’appareil photo et la musique était un lien entre nous, comme un appareil amniotique. Un souffle. Je montrais les gestes. C’étaient toujours une succession de gestes et à un moment, ils s’arrêtaient. Il n’y avait plus de femme, d’homme, juste quelque chose qui échappe au corps, à la sexualité, à tout ce que je déteste, ou ce que je refuse hélas. C’est ça la section d’or, c’est cette lucidité de cette solitude et cette mort que je m’impose depuis trop longtemps. Où vous situez-vous alors face à cette section d’or? Couper c’est séparer. Cette séparation m’obsède. Je suis à la fois poreux et absorbé. Or j’aimerais sortir de cet oxymore. Me séparer de mon double, cette autre partie de moi que j’ai considérée comme moi pendant 72 ans et le regarder en face. Couper c’est renaître aussi. A quel «Jeu de Peau» rêviez-vous de vous adonner? Ce parfum Jeu de Peau évoquait le pain en réalité. Le pain c’est le premier secours dans la solitude. Chercher du pain à la boulangerie, c’était compenser une affection qui n’existait pas. C’était mettre le pain contre ma joue. C’était un baiser, incontestablement. Votre parfumerie est une histoire que vous écrivez depuis vingtquatre ans. Peut-on revenir sur certains parfums pour mieux comprendre certains chapitres? A vrai dire cette histoire dure depuis 72 ans, mais je l’ai écrite avec différents supports. Il y a eu l’image d’abord. Je faisais parler les images. Je n’avais pas besoin de mots. Formuler, restaurer, rassembler une image de femme, me l’approprier: la première partie de ma vie, depuis l’adolescence, c’était ça. Un baiser non donné? Un baiser non donné que je m’appropriais en allant chercher le pain. Il y avait toute la chaleur du monde dans le pain, surtout après la fournée! Il y avait l’odeur, cette consolation magnifique qu’au fond un baiser pourrait donner. Il y a une toile de Balthus que j’aime beaucoup: on y voit un couteau enfoncé dans une miche sur une table et la miche saigne. «Ceci est mon corps.» Qui est cette femme? Un idéal. Une image qui nie une femme, tout en l’aimant, pour en faire autre chose. Elle est moi pour ainsi dire. Je vis une femme en moi qui ne me permet pas d’aimer une femme. Je suis divisé. Quand vous faisiez de la photo, il y avait tout un cérémonial qui précédait vos prises de vue. Votre modèle avait la peau très blanche, comme un papier sur lequel vous pouviez écrire. Je choisissais mon modèle pour certaines qualités: sa sensibilité, son visage, un tas de choses qui ne s’expliquent pas toujours, car Il y a beaucoup de femmes dans votre parfumerie. Qui est la Rousse de votre vie? Elle est substituée par la cannelle dans cette histoire. Le nom que je donne à un parfum est terriblement inconscient. Il me défend, dans les deux sens du terme: il me protège et il m’interdit. La rousse, je ne la vois pas, je ne la connais pas, elle existe dans mon enfance. Mais elle n’a pas de visage. Elle a une peau très blanche. Elle est là. Parmi les femmes que connaissait ma mère. Elle existe dans les mots de ma mère, dans ses critiques: ma mère démolissait et adorait à la fois. Surtout les femmes. Les hommes aussi. Tout le monde y passait. Vous aussi? Les gens qui ont peur se défendent. Je pense que ma mère était un peu folle. Je l’ai remarqué sur certains clichés que j’ai déchirés, comme presque toutes ses photographies, pour ne pas garder d’autre image que celle que je me fabriquais. Je n’ai presque plus rien. Les photos me gênent, me dérangent. Elles empêchent les mots. Elles arrêtent quelque chose qui n’est pas vrai. Elles mentent. Les mots ne mentent pas. Et La Fille de Berlin, l’avez-vous rencontrée? Ah, La Fille de Berlin! Avec elle j’avoue tout! Je crois que c’est la première fois que je mets les choses en lumière: que je dis «ce parfum, c’est moi»! Je suis né en 1942, c’était la guerre. Berlin était un mot que l’on n’aimait pas prononcer. Ma mère était adultère. Les lois de Pétain interdisaient l’adultère. On a été séparés. Elle m’avait imposé comme deuxième prénom celui de mon père qui ne voulait pas l’épouser: Lucien. Réfléchissez à ce que cela veut dire pour un enfant né hors mariage: «Lu, sien, lu comme le sien.» Comme une accusation. Les mots ont eu une énorme importance pour moi. Ils me tuent et me font renaître à la fois. Dans Lucien, j’entends autre chose: luceo, briller… Peut-être y a-t-il les deux vérités. Mais lui, je le hais. Malgré les années de dépression, de psychanalyse, je le hais encore. Et en même temps, je ne regrette rien de ma vie: je la trouve étonnante. Ce qui serait terrible c’est de vieillir dans cette histoire. Je dois sortir de cela: je dois brûler, refuser, couper. Ce que je vis est une séparation principale. Je crois que le cordon n’a jamais été coupé. La Fille de Berlin, c’est la conscience du double et de la colère. Entretenir la colère, c’est conserver un lien. C’est une colère contenue. Le père, l’homme en général, a pris le sens d’ennemi. Je ne me sentais pas homme. A l’école, un copain qui m’a vu manger des bonbons pour la gorge m’a demandé ce que c’était, et je ne sais pas ce qui m’a pris, je lui ai répondu: «Je prends des cachets pour changer de sexe.» (Rires.) Comme je devais avoir 12 ans, c’était assez étonnant. Il a bien sûr répandu cette histoire partout. L’Iris, que l’on retrouve dans Iris Silver Mist, c’était le parfum de Simonetta Vespucci, la muse de Botticelli. Quand la beauté a disparu, que reste-t-il? Elle doit mourir. Simonetta Vespucci nous fait le cadeau de disparaître à 23 ans. Elle était la beauté incarnée et avait épousé un Vespucci qui était homosexuel. Evidemment cette femme a été très malheureuse. Elle a passé son temps, pour notre grand bonheur, à se faire peindre par les grands peintres de l’époque, Botticelli, Piero di Cosimo, avec cette coiffure de tresses et de perles entremêlées, tellement magique. Elle se décolorait les cheveux à la lumière de la lune pour avoir un blond vénitien. Elle a pris froid. Elle est morte phtisique. A la Nuit. Vos nuits sont-elles plus belles que vos jours? Non, parce que je dors très peu. Vous dormez? Vous avez de la chance. Moi, je suis insomniaque hélas, donc mes nuits sont des cauchemars. Mais l’image de la nuit, puisqu’elle est celle de l’ombre, me plaît beaucoup. Il y a des titres que j’envie: «Voyage au bout de la nuit». Quel beau titre! Depuis Céline, on ne peut plus utiliser l’expression «Voyage au bout de…». Pourtant on pourrait mettre beaucoup de choses «au bout de…» Mais ce serait copier. C’était ça le génie! Un titre c’est spontané. Ça n’arrive même pas par la réflexion. Très souvent il y a une histoire en moi qui se prépare, qui s’incube, et le titre arrive comme ça. Il se précipite. Et quand il est là, je l’évite, pendant un mois, deux mois, quatre mois, un an. Après je m’aperçois qu’il existe et je me demande ce que je voulais dire. C’est là que les choses commencent à arriver. Le titre est la sonnette d’alarme qui m’explique ce que je vais devoir dire. Il parle de choses que je ne connais pas encore. Mais quand elles sont écrites, on se dit «mais oui!». Santal de Mysore, Myrrhe, Ambre Sultan, Musc Koublai Khan, autant d’évocations de matière premières utilisées dans des parfums sacrés. Quel rapport entretenez-vous avec le divin? Les églises, les messes, j’adore! J’adore être à genoux. L’idée de me mettre au service de quelque chose. Je ne sais comment l’expliquer. Je me destinais dans l’enfance à la prêtrise, mais à l’adolescence, je suis devenu violemment contre. Contre tout ce que j’avais adulé. Enfant, j’allais à l’église. Mais il était nécessaire que ce soit douloureux: quand je m’agenouillais sur le marbre devant une représentation de sainte, il fallait que le sol soit glacé, que je sente le froid monter en moi. La ferveur devait se sentir: les mots ne suffisaient pas. Quand je priais, mes mains devaient ne devenir plus qu’une seule. (Il serre très fort ses mains l’une contre l’autre, ndlr.) J’ai été très attiré par le monde ecclésiastique et Dieu est présent. Mais le problème de Dieu, c’est son nom: tout le monde en parle, demande des explications. Les gens y croient terriblement et comme tous les gens qui croient, ils ont besoin de se dire qu’Il n’existe pas… 13 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe SOIE Ralliésàlabannière dePierre-LouisMascia Il fut artiste avant d’être designer. Il crée des étoles comme de douces armures qui se laissent reconnaître, même si elles n’arborent aucun signe distinctif. Rencontre. Par Isabelle Cerboneschi P Le Temps: Quel est le secret de vos imprimés, que tout le monde reconnaît, même s’ils n’arborent aucun signe distinctif? Pierre-Louis Mascia: Je les conçois comme des collages: une fois portés, il faut que la variété de tous les imprimés se révèle. Je n’ai aucun tabou avec les télescopages de couleurs, j’essaie de travailler EX-MACHINA ierre-Louis Mascia est le secret le mieux gardé des élégants. Hommes et femmes confondus. Qui dit secret dit murmure. Et c’est d’une petite voix que l’illustrateur devenu designer souligne, précise, appuie, revient à lui et s’échappe. Ses écharpes sont des étendards, des remparts, de doux réconforts, des tableaux de soie, des expressions de lui et de soi. On les porte autour du cou comme des caresses. Pas de logo reconnaissable. Juste cette dichotomie entre le côté face en soie imprimé et le côté pile en cachemire, ou en jersey uni. Et cette immense générosité d’envelopper le cou, les épaules, le corps tout entier si besoin était. Le designer est un artiste. Il est passé des Beaux-Arts de Toulouse à l’illustration, puis à un support mouvant: l’accessoire essentiel. Ce qui rend ses étoles reconnaissables ce sont ces motifs qu’il invente faits de juxtaposition d’éléments – bijoux, châle en cachemire, kilt écossais, papier peint, vêtements ravaudés, tapis iranien – et qui résultent en de multiples collages. Ses châles, ses carrés semblent familiers. Comme si la vie les avait traversés. Comme si on les avait déjà portés. Pierre-Louis Mascia a des origines napolitaines mais vit et crée à Toulouse, où il fait «364 jours de soleil par an». Il ne cire jamais ses chaussures. «Pas parce que je suis négligent, mais parce que quand je m’habille, si tout est parfait de la chaussure à la cravate, il manque un accident.» Il aime le chic des Parisiennes parce qu’elles contrôlent leur allure, mais pas jusqu’au bout. Il travaille actuellement sur un projet avec Mikimoto, une série d’accessoires «avec 90% de perles»: écharpes brodées, épingles de cravate. Il sait aussi fabriquer du papier japonais washi. Une douce étrangeté. Son logo est une fleur fragile: au Japon, elle s’appelle «tampopo». «C’est comme une petite fleur de pissenlit avec des graines qui essaiment au vent. Le travail que je fais, c’est cela. Il y a des rencontres heureuses qui donnent de jolis projets, ou pas. Je suis un semeur», dit-il. Il a une manière d’être là, tout en retenue. Entre lui et les autres, s’érige l’oriflamme de son extravagance qu’il porte autour du cou. Il a une raison pour avoir choisi d’habiller cette partie du corps si gracile: tenir les angines de son enfance à distance. ISABELLE REY 14 sur une harmonie dans laquelle il y a de petits accidents, avec des textures, des reliefs, des variations, afin de ne pas avoir une image plate. Je fais un travail très pointu sur les teintes pour donner à la fois le sentiment d’une écharpe vintage qu’on aurait ressortie d’une malle, tout en transposant l’ensemble dans l’époque. Quel genre de collage: des peintures, des dessins, des papiers? Je récolte, je chine, j’archive tout: des bouts de papier, de tissus. J’assemble divers éléments avec des parties que j’ai peintes et j’en fais des sortes de collages. C’est un peu de la cuisine. Tout cela est retravaillé, photographié et digitalisé. Avant de l’imprimer, je retravaille le dessin dans sa globalité. Sur cette étole par exemple (il déplie celle qu’il a autour du cou) vous voyez des bijoux que j’ai chinés en surimpression sur un imprimé cachemire qui fait partie de ma collection d’indiennes, sur une autre partie, on remarque la reproduction d’un tapis ancien, un qashqaï iranien sur lequel j’ai ajouté de petites broderies. Une texture, une trame, tout me sert, cela donne une impression de relief. Quand j’étais illustrateur, je faisais déjà ce travail avec des petits bouts de papier. Aujourd’hui, c’est sur de la soie. Qu’est-ce qui vous a fait passer de l’illustration sur papier à un support en trois dimensions et en mouvement? Le déclic c’était de vouloir porter ce que je faisais. Ensuite j’ai une affection particulière pour le foulard. Quand j’étais enfant, j’avais souvent des angines et je portais toujours un petit foulard. Or, dans les années 70, ce n’était pas à la mode pour les garçons. Je portais ceux de ma mère. Ils avaient son odeur. J’aime l’idée d’un grand rectangle ou un carré de soie avec lequel on peut presque s’habiller. Vos écharpes ont un côté «vintage», presque déjà porté. Est-ce dû au choix des éléments anciens qui forment le motif? Il y a des créateurs qui ne partent de rien et qui ont des fulgurances. Et il y a les autres, dont je fais partie, qui réinventent. Pour moi, la création, c’est dévier le regard. C’est ce petit dérapage qui va faire la singularité de mes étoles. On trouve chez certains créateurs des imprimés plus ou moins réussis, mais je les trouve plats, car ce sont des images digitalisées. J’aimerais y voir une tache, une griffure, une déchirure, quelque chose de vivant. Comme les personnalités. J’aime les gens un peu abîmés. Tout l’intérêt d’une personne, c’est son relief. Je viens de chiner sur un marché de Toulouse des vêtements de travail des années 40-50 et ce qu’il y a de magnifique, c’est que comme les gens avaient peu de moyens, ils ravaudaient. Ces pièces portent la patine du temps. Ma grand-mère gardait des bouts de tissus pour réparer. Le ravaudage, c’est magnifique! C’est presque une nouvelle broderie. Est-ce que le fait de vivre dans le sud a une influence sur vos choix de couleurs, vos motifs? Je me sens du bassin méditerranéen, je porte en moi toute la culture de la vieille Europe. Pour la collection d’hiver, j’ai travaillé sur des motifs floraux. Une amie polonaise avec qui je discutais m’a fait remarquer que dans les arts traditionnels folkloriques polonais, on retrouvait ces fleurs. Certains motifs se retrouvent à la fois en Afrique du Nord et en Asie. L’imprimé raconte beaucoup de l’histoire de l’humanité. J’ai un tapis du XIXe siècle sur lequel il y a des petites broderies dont le motif ressemble à des «space invaders». Le décalage est magnifique. Un peu comme le travail de cet artiste pakistanais Imran Qureshi qui crée dans la tradition des miniatures persanes mais peuplées de personnages contemporains. Au-delà de la technique, il y a quelque chose d’humain dans ces étoles doubles, ce que l’on montre de soi, ce que l’on cache. Cette marque parle de moi. Elle s’appelle Pierre-Louis Mascia. Au fur et à mesure, je dois me raconter, dire comment je perçois un peu du monde, mais sans intellectualiser. Tout ce qui me nourrit, pour ces collections, vient beaucoup moins de la mode que de la littérature, du cinéma, de la musique. Ce qu’il y a de beau, dans la création, c’est la sincérité. Vos étoles sont un peu le «best kept secret» des élégants. Comme une bannière qui montrerait que l’on appartient à un club. J’aime bien l’idée. Il faut être prêt pour recevoir les choses: dans ma vie, elles sont venues par étapes. Quand j’étais illustrateur, je me disais: quand je ferai des illustrations pour Vogue ce sera génial, je serai une star! Et quand c’est arrivé, cela n’a rien changé. Je me trompais de but. C’est pour ça que je ne cherche pas à brûler les étapes, à ouvrir des boutiques dans le monde entier. Tout se fait au fur et à mesure des rencontres. Avant, je n’étais pas prêt. Aujourd’hui, je le suis un peu mieux. C’est un chemin. Comme tous les créateurs, il m’arrive d’être impatient, j’aimerais que les choses aillent plus vite, qu’on m’aime plus. Mais je sais maintenant que je ne veux pas qu’on m’aime plus: je veux qu’on m’aime mieux. Et le luxe, ce serait cette idée-là, d’être juste avec les émotions. Vous parlez d’émotion. Or ce qui frappe dans vos étoles, c’est leur ampleur, leur générosité. Il ne faut pas calculer quand on crée. On ne peut pas véhiculer des idées si cela se réduit à peau de chagrin. Je n’aime pas les petits foulards. J’aime l’idée de quelque chose d’enveloppant, mais pas trop lourd. Le foulard est une caresse qui permet de s’isoler. Une douce carapace. <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDA2MwQAqkKaBQ8AAAA=</wm> <wm>10CFWLMQ7DMAwDX2SDlCXZrsYgm9GhyO4l6Nz_T3G6heCBy3GMsIw_2_4-9k9Ys8YEoDijiWSoVwuK1izqLbgioL7Q4WJufHzWeFFw3k4iVyd6giarU0rJv_N7ARBD2GN2AAAA</wm> www.chanel.com www.chanel.com 20 Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Tom: blouson en velours de soie brodé, collection automne-hiver 2014-2015 Saint Laurent Homme. Abbie: «I love you», ballon en aluminium réinterprété en bustier en forme de cœur brodé de cristaux, collection automne-hiver 2014-2015 «Artisanal» Martin Margiela haute couture. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Perfecto en python, robe en maille de velours ajourée et bottines en python, le tout collection automne-hiver 2014-2015 Azzedine Alaïa. 21 22 Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Abbie: redingote en velours brodé, top et pantalon en cashmere, collection automne-hiver 2014-2015 Dior haute couture. Bottes à franges en daim Christian Louboutin. Tom: chemise et pantalon collection automne-hiver 2014-2015 Saint Laurent Homme. Casque Harley-Davidson. Boots en cuir Christian Louboutin Homme Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Robe bustier brodée avec jupon en satin de soie, collection automne-hiver 2014-2015 Atelier Versace. Cuissardes en cuir Christian Louboutin. 23 24 Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Robe de la collection automne-hiver 2014-2015 Stéphane Rolland haute couture. Parure n° 4 de la collection Lumières d’Eau: long collier en or blanc serti de diamants, saphirs, perles de lapis-lazuli et spinelle noir, trois saphirs bleus taille coussin, l’un de Ceylan de 4,26 carats, deux de Madagascar (l’un de 4,70 carats et le second de 5.13 carats) et une tanzanite troïdia de 42,64 carats, Chaumet. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Manteau en laine nouée, collection automne-hiver 2014-2015 Viktor & Rolf haute couture. Cuissardes en cuir Christian Louboutin. 25 ©2014-2015 Harry Winston, Inc. WINSTON™ CLUSTER GENÈVE 42 RUE DU RHÔNE + 41 22 818 20 20 HARRYWINSTON.COM Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe ACCESSOIRES ANONYMES Signeinvisible derichesse «I t’s not a bag. It’s a Birkin», s’entend dire Samantha Jones, protagoniste de la célèbre série Sex and the City, lorsqu’elle s’étonne de la rareté du sac emblématique de la maison Hermès. Tout comme la toile Monogram de Louis Vuitton, ou la chaîne tressée de cuir et le matelassé du 2.55 de Chanel, entré au panthéon des accessoires cultes, le Birkin fait désormais partie de ces accessoires qui, comme certaines stars qu’on appelle par leur prénom uniquement, sont reconnus de manière quasi universelle. Mais cette reconnaissance est à double tranchant: en s’élevant au rang d’icône, ils en seraient presque réduits à des totems adulés pour la légende de leur naissance et l’aura raréfiée qui les entoure. Allure racée, pedigree impeccable mais identités silencieuses et subtiles, les «autres sacs», accessoires discrets qui se cachent, redonnent au luxe le charme du goût rare et de la retenue. Par Lily Templeton Un accessoire, comme un rite de passage Autrefois, ces accessoires de marque étaient un rituel de passage – une montre Cartier pour un anniversaire, une malle Vuitton pour le premier voyage transatlantique, un Kelly parce qu’il traverse le temps. «Un Kelly est une valeur sûre, un patrimoine qui se transmet de mère en fille. Il ne peut être qu’un héritage et le posséder est le signe d’appartenance à un clan qui transmet. Il offre l’assurance d’une position sociale», relève Catherine B, collectionneuse et propriétaire de la boutique Les 3 Marches à Paris, spécialisée dans les sacs de luxe. Au fil du temps, ce caractère intemporel s’est estompé au profit d’une symbolique de réussite et de richesse, notamment auprès d’une nouvelle clientèle cherchant à établir sa légitimité en matière de goût. «Le Birkin et le Kelly sont deux piliers inébranlables du célèbre maroquinier parisien. Ils assurent à son propriétaire d’appartenir à une famille de goût.» Acheter un sac, donc, pour acheter son ticket d’entrée dans un club exclusif? Appréciés non pas pour leurs qualités intrinsèques mais pour le statut social auquel ils renvoient, ils sont exhibés comme des trophées. Le marché du luxe continue d’ailleurs à connaître des taux de croissance dignes de décennies autrement plus fastes, grâce à certains «it bags». Le luxe caché «Le luxe cherche à être discret, mais plus il se cache, plus il s’expose. Rien n’est plus chic qu’un sac Plume porté par une femme qui n’a plus rien à prouver», affirme Catherine B. En ces temps où règne le «storytelling», cet art d’habiller les marques de fables et de rêves, logos et formes reconnaissables cinglent l’œil comme autant de signes extérieurs de richesse. Or la prééminence peut nuire aux maisons elles-mêmes. Un effet secondaire qui «n’est pas uniquement lié à la griffe apparente mais également à la surexposition de la marque», résume Christina Zeller, directrice produits et image de Delvaux, la célèbre maison belge. A trop ériger l’accessoire en indispensable, son symbolisme finit par occulter son intérêt. «Ces icônes ne sont pas là par hasard, ce sont de très belles pièces derrière lesquelles on se réfugie», remarque le créateur José Levy qui planche actuellement mais bien de la rareté des mains qui président à sa création. Hermès, qui possède un savoirfaire profondément ancré dans sa tradition sellière, fait figure de chef de file des maisons offrant le charme d’un luxe qui ne saurait céder aux sirènes de la publicité. «Seuls les puristes de la marque, quelle qu’elle soit, préféreront porter justement le modèle qui ne se reconnaîtra pas au premier coup d’œil», remarque Catherine B. Une note prend toute son importance face à la demande croissante d’une clientèle avertie. Désormais, ce sont ces «autres sacs», pour reprendre la dénomination de la maison Hermès, qui attirent l’œil des connaisseurs. Citons, par exemple, le Virevolt chez Hermès, le Lockit de Louis Vuitton ou encore le Givry de Delvaux, sur lesquels ne se reconnaît que le travail de l’artisan. Les marquages à chaud signent discrètement le cuir souple, il faut un œil de faucon pour repérer l’initiale qui signe l’appartenance du sac à sa lignée et aucun expédient n’est possible. «La clientèle est de plus en plus gâtée et sollicitée. Il ne faut faire aucune concession sur la qualité de nos produits, et garder toujours en tête une élégance intemporelle, audacieuse et irrévérencieuse», explique Christina Zeller. Et c’est une philosophie qui gagne en ampleur. Un exemple est Moynat, la jeune «ancienne maison», l’un des plus anciens malletiers français, reprise par le Groupe Arnault en 2010. Ramesh Nair, son directeur créatif, est en recherche constante d’innovations tant sur les techniques que sur les matières naturelles qui ont sa priorité, avec le passé de la marque en filigrane. Des sacs cibles BUONOMO & COMETTI 28 De haut en bas et de gauche à droite: Le Brillant, Delvaux; Tie, Céline; Charlie, Lancel; Cabas, Alaïa; SC de Sofia Coppola pour Louis Vuitton; Virevolt, Hermès. sur un projet d’éditions limitées dans le cadre de la Jeune Rue, un projet gastronomique, culturel et sociétal de redynamisation autour des savoir-faire français. «Mais c’est très difficile de complètement se les approprier. Evidemment tout le monde craque pour une belle pièce griffée, mais une pièce trop reconnaissable est presque vulgaire même quand c’est très chic.» Changement de paradigme Ce phénomène d’appropriation ne dérive-t-il pas d’un désir profond de tendre vers l’exceptionnel? «Ce qui est rare est cher», dit l’adage, mais une seule étiquette monétaire ne garantit désormais plus cette qualité ineffable qui transmute le commun en noble. L’approche de nombre de maisons est désormais claire: se réapproprier leur patrimoine, ou en créer un, afin de faciliter l’assimilation non seulement de l’objet mais également du statut qu’il apporte. Dès lors, la richesse exprimée n’est plus celle d’un prix, Mais sous cette apparente envie d’en découdre avec l’ostentation, une raison plus prosaïque point. La valeur trop reconnaissable d’un accessoire transforme ses porteuses en cibles. Ces atteintes peuvent aller du vol à l’arraché au braquage des boutiques de collectionneurs, méfaits commis par des criminels bien au fait de la valeur marchande de leur butin. Une femme d’affaires genevoise glisse qu’elle n’ose plus afficher ses accessoires à la griffe trop identifiée de peur de se faire agresser depuis qu’elle a été suivie et qu’on a failli lui dérober le sac de marque qu’elle portait. Une autre les cache dans des pièces plus modestes pour voyager l’esprit tranquille. Et pourtant, les amatrices de raffinement ne sont pas prêtes à renoncer au plaisir de posséder un objet qui participe d’une tradition d’exception ou tout simplement beau pour lui-même. Afficher, alors, pour seule fortune les matières nobles et le savoir-faire? Un atout indéniable pour ces signes invisibles de richesse, car «nos clientes sont à la recherche de confidentialité et de discrétion et aiment la part de mystère qui accompagne nos sacs. Elles n’ont plus le besoin d’être valorisée par la griffe», conclut la directrice produits et image de Delvaux. Chaque marque de luxe possède dans son portefeuille quelques pièces silencieusement sublimes qui font office de poignée de main secrète pour un club au goût rare et sûr. Et si le vrai luxe, c’était d’être (presque) la seule à le savoir? <wm>10CAsNsjY0MDAx07UwNrAwNAMA4b0EwA8AAAA=</wm> <wm>10CFXKrQ6AMAxF4Sfqcm_XbYVKgiMIgp8haN5f8eMQx5x8yxIl4Wua133egoBV8QxnDVdNsBZUa0ktSLqCNrJAM33wnxegZgP7a4QUemd5rpTWK5mu47wBJBaIyHIAAAA=</wm> Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe D’Evian-lesBains jusqu’à Brienz dans l’Oberland bernois, en passant par les hauts de Montreux, périple indolent dans les pas de l’aristocratie et des cours européennes de l’entre-deux siècles, qui prenaient leurs quartiers d’été et d’hiver dans les palaces, se grisant des paysages sublimes de la Riviera lémanique et des Alpes suisses. CHAMBRES AVEC VUE Voyage àlaBelleEpoque I l est dit que la reine Victoria, grande voyageuse et qui a donné son nom à tellement d’établissements hôteliers, se déplaçait avec: «son secrétaire particulier, un trésorier de la bourse, son médecin, quelques dames du palais, le personnel, dont une première femme de chambre et six soubrettes, un chef de cuisine français, ses lieutenants et ses marmitons, un cocher, une douzaine de valets d’écurie et bien sûr ses fidèles serviteurs indiens […]» 1 Un équipage qui lui faisait réquisitionner, lors de ses villégiatures, un hôtel entier. On était à la fin du XIXe siècle, mais le tourisme avait vu son avènement, pour les classes aisées, dès 1838, date à laquelle Stendhal utilise pour la première fois l’appellation dans Mémoires d’un touriste. On était aussi à l’apogée du Grand Tour, ce voyage initiatique à travers l’Europe qu’entreprenaient les jeunes aristocrates anglais vers l’âge de 18 ans, sorte d’année sabbatique leur permettant de s’initier aux arts et à la vie. De la «bonne auberge» aux palaces, le XIXe voit l’essor du tourisme et des infrastructures qui vont avec. «L’hôtellerie naît avec le tourisme vers 1820-1830. Il y a vraiment une organisation qui se met en place, des guides sur papier commencent à être édités, c’est l’ère de «l’industrie des étrangers», évoque l’historien de l’art Pierre Monnoyeur 2. Après la Restauration lorsque l’Europe reprend un rythme économique normal et acquiert une certaine stabilité politique, le commerce du tourisme va se développer. Et l’on va s’en donner les moyens, s’équiper et construire. La Suisse fait figure de pionnier dans ce domaine, de même que l’Autriche et le Tyrol, parce qu’il y a l’attrait des Alpes. Et tout cela grâce à la clientèle anglaise qui sillonne l’Europe.» C’est l’époque où les dames peuvent enfin entreprendre des pérégrinations non accompagnées, par le chemin de fer, et non plus dans la promiscuité des voitures à cheval, ce qui participe à leur émancipation. Femmes oisives de la haute société aux désirs légers, virevoltant dans leur robe à tournure, le cœur palpitant sous leur corset et escamotant sous leurs ombrelles de lourds secrets. Epoque bénie entre deux guerres où l’on peut cultiver le luxe d’enrichir sa vie intérieure, de ne s’occuper que de soi et de ses états d’âme dans les écrins ouatés du bord du lac Léman ou dans les Alpes suisses. Et c’est à la fin du XIXe siècle, à l’orée de la Belle Epoque, que vont être érigés les palaces, qui offrent des équipements mieux pensés en termes de confort pour accueillir le gotha mondain, lors de ses transhumances saisonnières, fuyant les grosses chaleurs en été en prenant ses quartiers à Evian ou FEMMES OISIVES DE LA HAUTE SOCIÉTÉ AUX DÉSIRS LÉGERS à Aix-les-Bains avant de regagner les capitales européennes en automne, période à laquelle débutait la saison à l’opéra ou les courses de chevaux. «Un palace est quatre fois plus grand qu’un hôtel, doit posséder beaucoup de terrain autour, offrir des courts de tennis par exemple ainsi que d’autres services et Genève n’arrivera pas à suivre, explique Pierre Monnoyeur. Deux établissements genevois tentent de s’intituler «palace», en vain: l’Hôtel National (devenu le Palais GrandhotelGiessbach,aupaysageexalté P tuel. Je m’imagine comtesse en convalescence d’une affection nerveuse, tellement romantique, à qui l’on a prescrit grand air et repos loin des mondanités. Et si je m’enfonçais dans les draps blancs de mon lit face au lac étal, dans ma chambre de l’autre côté, j’ai le choix. J’enclenche la boîte à musique posée sur la coiffeuse et m’enivre de cette atmosphère surannée au son de Memory Cats. Aucune envie de rejoindre le lobby pourtant somptueux pour y croiser des représentants du XXIe siècle. G. S. Ci-contre: de la suite Clara von Rappard, le bouillonnement perpétuel des cascades. GRANDHOTEL GIESSBACH Un des salons historiques en enfilade avec vue sur le lac de Brienz. GÉRALDINE SCHÖNENBERG ar la fenêtre du train, défilent des champs de tournesols sevrés de soleil qui ont incliné la tête avant l’heure. Entre deux tunnels, des ravins surplombent des portions de lac. Et sur les berges, des chalets ornés de géraniums. Thoune, Spitz, Därlingen, autant de gares, autant d’images de la Suisse profonde, en l’occurrence l’Oberland bernois. A Brienz, à la sortie du train, l’on embarque sur le lac du même nom pour atteindre le Grandhotel Giessbach, juste en face, planté au cœur d’un domaine forestier traversé par les chutes de Giessbach, sur 500 m de dénivelé. Faire abstraction de la foule bourdonnante des touristes sur le pont et guetter le son de la corne de brume qui annonce l’accostage imminent. De loin se découpe l’hôtel, monumental avec ses tours et ses coupoles, sur les hauteurs boisées, à flanc de falaise. Vision romantique, paysage grandiose. Du débarcadère, il faut emprunter le funiculaire à crémaillère, le plus ancien d’Europe, qui s’élance abruptement au-dessus des cascades bouillonnantes, celles où Sherlock Holmes précipite son ennemi juré, le professeur Moriarty. Dans le salon de la suite Clara von Rappard aux voilages en drapés mousseux, je m’étends sur le canapé face aux flots fracassants. Je ferme les yeux et me pénètre de l’entêtant tumulte de ce déversement perpé- ParGéraldineSchönenberg Wilson) et Champel-les-Bains, qui n’existe plus (transformé en centre hospitalier).» Même si, aujourd’hui, tout hôtel 5 étoiles peut revendiquer l’appellation palace, à l’origine, soit vers 1900, date de leur apogée, on construit un palace, et il est impossible d’«upgrader» un établissement existant de catégorie inférieure. On en trouvera principalement à Ouchy, à Montreux, à Evian ou encore à Aix-les-Bains où la reine Victoria séjournera plusieurs fois. Genève sera un point de passage vers d’autres lieux de villégiature, des spots dirait-on aujourd’hui (Nice, Antibes en hiver, la Riviera lémanique en été), mais l’on n’y séjournera pas. Selon Pierre Monnoyeur, manquant son rendez-vous avec le train, la Cité de Calvin n’aura qu’une importance mineure dans le transit nord-sud, aristocrates et grands bourgeois partant sur Ouchy et Montreux ou la vallée du Rhône pour rejoindre l’Italie, ou encore passant par Annemasse pour atteindre les Alpes. Dans un palace, «les rois et les reines y descendent avec leur propre cuisinier, leur propre maître d’hôtel et on leur met la cuisine et les marmitons à disposition. Ce GRANDHOTEL GIESSBACH 30 qu’évoque Marcel Proust dans A la recherche du Temps perdu, lui et sa famille, appartenant à la haute bourgeoisie, séjournant avec leur cuisinière dans un palace de Cabourg. Si la reine Victoria se déplaçait avec armes et bagages, ce n’était pas le cas de tous les souverains, les cours d’Europe ayant leur résidence de villégiature (les tsars se rendaient à Yalta sur la Méditerranée, par exemple)», précise l’historien. Au bord du lac Léman à Evianles-Bains, sur les hauts de Montreux à Glion ou au cœur d’une forêt escarpée entre les chutes du Giessbach et le lac de Brienz, trois lieux privilégiés, témoins des riches heures des Années folles, happent les esprits contemplatifs captifs d’un temps révolu où l’on se satisfaisait d’avoir une «chambre avec vue». 1 Tiré de «Vacances royales» de Cyrille Boulay, Editions Assouline 2003. 2 Auteur de «Les guides, la vitesse, les images. Le tourisme à Genève et dans sa région aux XIXe et XXe siècle», Editions La Baconnière, Bibliothèque de Genève, 2012. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 «Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats.» HôtelVictoria,secretsd’alcôve En haut: le jardin avec vue panoramique sur le lac Léman. En bas: dans l’intimité des salons peuplés d’objets de collection et de tableaux, témoins silencieux des murmures mondains et diplomatiques. Marcel Proust, «Le Temps retrouvé» RoyalEvian,renaissance flamboyante Renseignements: www.victoria-glion.ch Tél. 021 962 82 82. > Traces d’histoire Construit en 1875 sur un domaine de 22 hectares de forêt, le palace sera ravagé par un incendie huit ans plus tard puis reconstruit de façon à offrir à une clientèle cosmopolite «éclairage moderne, toilettes, cabinets de bain, pavillons, terrains de jeu, trois concerts par jour, barques de plaisance, équipement de pêche, tennis, jeux de croquet». Fin XIXe, on aménage une maison de cure, où l’on pouvait s’adonner, entre autres, à des bains d’acide carbonique ou des bains électriques, avec en arrièreplan une construction indépendante où résidait le personnel des aristocrates itinérants. Après des décennies de disette, le palace menacé de démolition dans les années 80 devient propriété en 1986 de la Fondation Franz Weber, puis est fidèlement restauré et meublé Belle Epoque, encore aujourd’hui. G. S. Renseignements: www.giessbach.ch Tél. 033 952 25 25. L’hôtel est fermé durant l’hiver et rouvrira le 3 avril 2015. Ci-contre: du débarcadère, le funiculaire menant au Grandhotel Giessbach. PHOTOS: ROYAL PALACE ÉVIAN PHOTOS: HÔTEL VICTORIA GLION S ur les hauts de Montreux, le funiculaire débarque le voyageur à Glion, lieu où l’on refait le monde tous les ans lors du forum du même nom. Il faut grimper encore pour arriver à l’Hôtel Victoria, un établissement entre le palace et l’hôtel familial en main de la même famille depuis les années 80 et qui a vu défiler le gratin politique, diplomatique et littéraire mondial depuis plusieurs générations. Comme en témoigne le Livre d’or des célébrités qu’a bien voulu nous ouvrir le couple Mittermair et qui se clôt sur une dédicace récente de l’écrivain Frédéric Beigbeder. Ici l’on se sent chez soi, tellement qu’on y prendrait bien ses quartiers d’hiver, d’été et même des quatre saisons à l’image de ces quelques richissimes pensionnaires qui séjournent au Victoria à l’année. Dans la chambre au charme délicieusement suranné, entre armoires tapissées de papier à motifs, appliques à pampilles et gravures florales, un balcon promontoire sur le Léman donne le vertige. Juste en dessous, la verrière de la véranda par laquelle filtre le murmure des convives s’apprêtant à déguster le menu du soir entrecoupé des cliquetis de porcelaine et d’argenterie. Du salon de lecture au salon de musique en passant par la loggia meublée de rotin, la collection d’œuvres d’art, de statuettes de bronze, de pendules constituée par Toni Mittermair sur fond de tentures cramoisies est foisonnante. Profitons d’un arrêt sur le banc de bois dans le jardin. Les nuages qui fusent au-dessus du Grammont lui donnent l’aspect dynamique d’un volcan en éruption. Lac et montagnes en vue panoramique et aucun témoignage de la civilisation de là où je me trouve. Madame Mittermair passe devant moi en peignoir, se rendant à la piscine et m’adresse un «bonsoir» gracieux. Quel décor pour toute une vie. G. S. En haut: le palace construit en 1905 s’étend au milieu d’un parc de 15 hectares face au lac Léman et aux Alpes. En bas: sous les guirlandes de fleurs Art déco signées Jaulmes, le décor contemporain de François Champsaur. L e palace-paquebot construit en 1905, dont le cachet s’effaçait sous l’usure du temps, a retrouvé éclat et majesté sous l’impulsion de l’architecte d’intérieur François Champsaur et de François Châtillon, architecte en chef des monuments historiques. Un luxe feutré qui invite à la méditation langoureuse. Dans la grande galerie, au ciel orné des «fresques royales» datant de 1909 de Gustave Jaulmes, à se lover discrètement dans un canapé aux lignes fluides en velours couleur de feu ou dans un fauteuil à oreilles en lin ourlé de velours. De l’or, du blanc crème et des bleus profonds, un voyage entre deux rives: celui, minimal, du chic contemporain et celui, ampoulé et gai, du début du XXe avec ses volutes et ses motifs champêtres. Ou encore à feuilleter un beau livre exposé sur les étagères de marbre dans le corridor en aparté du grand salon. Dans les chambres habillées de chêne massif ont été conservés certains meubles d’origine en citronnier ou en érable à marqueterie ou encore les cadres de lit en cuivre qui voisinent avec des meubles italiens contemporains en teck. Chaque chambre a son lot d’œuvres d’art: gravures de Traquandi, Pincemin ou Bram van Velde. De très beaux tirages sténopés au rendu mystérieux, des photos anciennes signées Roger Viollet font renaître une ambiance mondaine et classieuse à la Lartigue. G. S. Renseignements: www.evianresort.com L’hôtel est fermé jusqu’à l’été 2015, la rénovation entrant dans sa seconde phase. 31 Louis Vuitton et Christian Louboutin célèbrent le Monogram <wm>10CAsNsjY0MDQx0TU2MzYxNAcADchsow8AAAA=</wm> <wm>10CFWLMQ4CMQwEX-TIu944AZfoutMViD4Noub_FQcdxWiamX2v3vzHbTse273gkCwyhFGTbK4cvUCNRuUsAOQZXRGRZE79PeZ-2rG-jQEGLoSFrGNdhPZ-vj5hhmxtdgAAAA==</wm> 2014, six iconoclastes, une icône : CHRISTIAN LOUBOUTIN, CINDY SHERMAN, FRANK GEHRY, KARL LAGERFELD, MARC NEWSON et REI KAWAKUBO s’inspirent du légendaire Monogram LOUIS VUITTON. LUXE Lesfleursdubal Réalisation Isabelle Cerboneschi Photographies et stylisme Buonomo & Cometti <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDK2MAQAr6cQMQ8AAAA=</wm> <wm>10CFWKMQ6AMAwDX9TKDgkNZETdEANi74KY-f9EYWM4-WTduoZlfCx1O-oe5uZMgAzOcJEMLUHRkkWDpAuoMw3sMumv7zMOCra3SWSiN1p_E0pDGfN9Xg-0df8JcgAAAA==</wm> - Quais de Seine, Paris Collection Extremely Piaget Haute Joaillerie piaget.com Boutique Piaget & Salon Haute Joaillerie - Genève, 40 rue du Rhône Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Page 33: Collier en or blanc de la collection haute joaillerie serti de tsavorites 66 carats, rubis 10 carats, saphirs 16 carats et de diamants. Broche en or blanc de la collection haute joaillerie sertie d’une rubellite, de saphirs roses, de rubis taille cœur, de cinq tourmalines taille ovale, de cinq saphirs taille ovale, de saphirs roses ronds, de cinq rubellites rondes, de cinq saphirs taille poire, de dix spinelles roses, de rubis et de diamants. Le tout Chopard. Ci-dessus: Collier Robe Couleur du Temps en or blanc serti de diamants ronds, tailles baguette et navette, de tourmalines dites Paraíba, de saphirs taille poire et de 12 aigues-marines taille poire totalisant 129,87 carats et motifs d’oreilles. Robe Couleur du Temps en or blanc serti de diamants ronds, tailles navette et poire, de tourmalines rondes, de saphirs taille poire et de deux aigues-marines taille poire 24,13 carats, le tout Van Cleef & Arpels. 35 36 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe PORTFOLIO Robe de la collection automne-hiver 2014-2015 Elie Saab haute couture. A l’index et à l’annulaire: bague sertie d’une opale noire, d’émeraudes et de diamants sur or blanc et bague sertie d’une opale et de diamants sur or blanc, le tout de la collection Rêves d’ailleurs 2014 haute joaillerie, Boucheron. Au majeur et à l’auriculaire: bague Cocktail deux ors gravés, sertie d’une citrine, de saphirs, émeraudes et tsavorites et bague Cocktail deux ors gravés, sertie d’une citrine et de tourmalines, le tout Buccellati. Sur le bras d’Eddie en haut: bracelet en or blanc serti de 113 perles de turquoise env. 73,83 carats, de 26 perles de chrysoprase, d’une émeraude de taille cabochon, de huit chrysoprases taille poire, de diamants taille brillant et de huit gouttes de turquoise, collection Extremely Piaget, Piaget. En bas, manchette de la collection «Bracelets de rêve» deux ors gravés, composée de saphirs bleus, de tsavorites 51,41 carats, de diamants jaunes et de saphirs roses, Buccellati. Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe PORTFOLIO Collier Genesis de la collection Acte V en or gris rhodié serti d’une opale d’Australie de 87,92 carats, d’une tourmaline de 8,60 carats, d’un saphir de 5,07 carats, de deux diamants LV star cut et de diamants, Louis Vuitton. 37 38 Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Robe collection automne-hiver 2014-2015 Franck Sorbier haute couture. Porté en collier, Diadème Royal en platine serti d’une perle fine de 166,18 grains, d’un diamant coussin de 5,01 carats, de perles fines, de diamants coussin, de diamants taille brillant. Manchette Bracelet en platine serti de brillants et d’une émeraude taille cabochon de 53,78 carats, yeux en émeraude, le tout Cartier. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Bracelet «Ailée Diamant» en or blanc serti de diamants, saphirs violets, saphirs, saphirs roses, saphirs multicolores et rubis Dior Joaillerie. 39 40 Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO En haut: collier haute joaillerie en or jaune serti de tourmalines, péridots, spinelles, turquoises et diamants. En bas: collier haute joaillerie en or rose et nacre avec émeraudes, rubellites, tourmalines roses, améthystes et diamants. Le tout Bulgari. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PORTFOLIO Collier «Cruise» en or blanc serti d’une aigue-marine taille brillant de 28,3 carats, de diamants taille brillant, de 2087 aigues-marines (789 carats) et de spinelles noirs taille brillant. Montre «Cruise» en or blanc serti de 310 perles d’aigue-marine. (134,1 carats), de diamants taille brillant et de spinelles noirs taille brillant. Boucles d’oreilles «Cruise» en or blanc serti de diamants taille brillant, de 344 perles d’aiguemarine (101,4 carats) et de spinelles noirs taille brillant. Bague «Cruise» en or blanc serti d’une aigue-marine taille brillant, de diamants taille brillant et de spinelles noirs taille brillant. Bague «Cruise» en or blanc serti de diamants taille brillant et de spinelles noirs taille brillant. Le tout collection «Café Society» Chanel Joaillerie. 41 42 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe PORTFOLIO Collier Niloticus par Pierre Hardy pour Hermès, collection haute bijouterie, en or rose serti de diamants, d’une tourmaline verte, de deux tourmalines roses, et d’un iolite bleu, Hermès. <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMLQ0twAA_Cl20A8AAAA=</wm> <wm>10CFWKKw6AMBAFT9Tmve0ubVlJ6hoEwdcQNPdXfBxiMiOmd7eIj6Wte9vcihUGgDUXLyIRmp2iOYo6ySqgzlQmwMx-_6MpKTjeJ5CBdbyBYDI0a7yO8wYZeRmCcgAAAA==</wm> POWERED BY SOLAR ENERGY T I S S OT T- TO U C H E X P E RT S O L A R . M O N T R E TAC T I L E A L I M E N T É E PA R L’ É N E RG I E S O L A I R E O F F R A N T 2 0 F O N C T I O N S DO N T L E BA RO M ÈT R E , L’A LT I M ÈT R E ET L A B OU S S O L E . I N N OVATO R S BY T R A D I T I O N . T- T O U C H C O M 44 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe GRAND TOUR A Palerme, derrière une façade austère et un portail en bois, se cache l’un des plus beaux joyaux du style baroque sicilien: le palais Gangi. Luchino Visconti y a tourné la scène mythique du bal du film «Le Guépard». La princesse Carine Vanni Mantegna di Gangi nous reçoit. Claudia Cardinale se souvient. Visite émerveillée sur les traces d’un monde qui s’efface. Par Antonio Nieto. Reportage photographique: Benedetto Tarantino La galerie des miroirs, le plus beau salon baroque tardif d’Europe avec son double plafond ajouré unique, œuvre de l’architecte Andrea Gigante. Souslesorsdupalais N ous sommes dans la galerie des miroirs. Une mer de crinoline recouvre les divans. Les tapis d’Orient et les soieries des tentures répondent en écho aux dorures des boiseries. Les 1000 bougies des candélabres et des lustres de Murano diffusent leur douce lumière à l’infini dans le tain des glaces de la salle de bal. Angelina paraît, virginale. Elle sourit au prince don Fabrizio Salina, qui l’invite à danser la valse. La fameuse valse, celle du film Le Guépard de Luchino Visconti avec Burt Lancaster dans le rôle du prince, Claudia Cardinale dans celui d’Angelica et Alain Delon qui incarne Tancrède. Cette scène mythique du cinéma italien a été tournée au palazzo Gangi, l’un des plus beaux joyaux de style baroque sicilien. Propriété des princes Valguarnera puis des princes Gangi, il fut construit en 1750 puis restauré un an plus tard après le tremblement de terre de Palerme en 1751. On s’y rend en empruntant de petites ruelles étroites. Arrivé sur la piazza Croce dei Vespri, on ne devine pas qu’un palais se cache derrière cette façade presque austère. Il faut pousser un portail de L’hôtesse des lieux: la princesse Carine Vanni Mantegna di Gangi. bois pour que lentement se dévoile ce lieu enchanteur. La cour pavée dessine un chemin vers le grand escalier où notre hôtesse, la princesse Carine Vanni Mantegna di Gangi, attend. Un palais se doit d’abriter une princesse. C’est elle qui en ouvre les portes le temps d’une visite enchantée. Le palais Gangi, c’est sans aucun doute la plus belle maison du sud de l’Italie après le palais royal de Caserta. L’une des 12 dernières demeures dynastiques en Europe à être entièrement décorée comme à son origine. Le film de Visconti Le Guépard n’est pas étranger à la curiosité qu’elle suscite. «La galerie des miroirs est l’un des plus beaux salons du monde, le plus beau d’Europe en matière de baroque tardif, explique la princesse. Ce sont les artisans de Trapani qui l’ont conçue et elle n’a rien à envier à celles des grands palais de Saint-Pétersbourg. La voûte ajourée est sublime ainsi que le lustre et le pavement de faïence en «majolica», très rare, l’un des plus beaux qui aient été réalisés à Vietri.» La tradition des majoliques s’est répandue à la Renaissance en Espagne et au Portugal, mais il n’y a qu’à Naples que l’on peut trouver ce genre de grands dessins. «C’est un miracle qu’ils aient traversé le temps», souligne notre hôtesse. Le palais est un exemple flamboyant du baroque sicilien, avec ses guirlandes de fleurs sculptées et peintes sur les boiseries puis reprises sur les miroirs et les doubles plafonds. «Depuis les chérubins des niches, en passant par le grand lustre de Murano ou les consoles, jusqu’aux tapisseries, on retrouve les mêmes guirlandes dans un ensemble qui n’a pas changé depuis 1750», explique la princesse. Au fil des salons, on a le sentiment de visiter un musée pendant les heures de fermeture: une visite privilégiée, pour soi seul, avec le temps comme allié pour admirer les œuvres d’art accumulées au fil du temps. «La famille de mon mari a accumulé un tel nombre d’ob- La scène mythique du bal dans le film Le Guépard de Luchino Visconti. jets! relève la princesse Carine Vanni Mantegna di Gangi. Des collections de coffres arabes qui ont plus de 1000 ans, des objets de l’époque Liberty, de la porcelaine de Naples mais aussi française, des épées de samouraï.» L’éclectisme des collections en fait la richesse et démontre l’ouverture sur le monde des générations passées. Princesse, un métier Au palais Gangi, être princesse est un métier: hôtesse, bien sûr, mais pas seulement. «Je fais tout: conservateur, jardinier, femme de ménage, administrateur, relation publique. Je taille moimême mes haies et j’astique l’argenterie. C’est beaucoup d’efforts et beaucoup de bonheur aussi, parce qu’on travaille avec des artistes, des restaurateurs d’art. C’est aussi une grande responsabilité, un devoir de mémoire et de transmission. Mais il y a bien sûr cette joie immense de vivre au milieu d’œuvres exceptionnelles», dit-elle. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Ci-dessous: pastel de l’artiste belge Jules Van Biesbroeck représentant la princesse Giulia di Gangi, grand-mère de l’actuel propriétaire de la maison, le prince Giuseppe Vanni Mantegna. Ci-dessous: pavement en céramique de Vietri. 1750. Détail des travaux d’Hercule. Galerie des miroirs. Voûte de la salle de bal. Fresques de Gaspare Serenario, «Les vertus du prince». Grands lustres de Baccarat. du«Guépard» Quand la princesse Carine Vanni Mantegna di Gangi est arrivée ici avec son mari il y a vingt ans, la maison était en très mauvais état et le travail de restauration fut colossal. «Une pièce entière était remplie de chaises et de fauteuils cassés. On venait de refaire l’électricité. C’était dans un état épouvantable. Il y avait une quarantaine de vitres cassées aux fenêtres. Tout était couvert de poussière. Tout le mobilier était là, mais dans un état piteux. Ce n’était pas à proprement parler abandonné, car il y avait un gardien, mais malgré tout, c’était très dégradé. J’ai essayé de comprendre la maison avant d’y opérer des changements, explique-t-elle. La disposition des lieux est restée la même. Quelques éléments restaurés ont été rajoutés. Mon mari a vécu ici jusqu’à l’âge de 25 ans, pas moi. Il faut respecter ces lieux et ces liens familiaux, les appréhender sans tout révolutionner. C’était déjà tellement beau qu’il serait prétentieux de vouloir faire mieux!» C’est après la mort de sa bellemère, en avril 1995, que la princesse a commencé à mettre le doigt dans l’engrenage de la restauration. «J’ai dit à mon mari qu’il fallait absolument sauver le pavement de la salle de bal. A l’époque je parlais à peine italien (elle est Française, ndlr). Après le sol, c’est le plafond de 12 mètres de hauteur que nous avons sauvegardé. La restauration des meubles s’est naturellement imposée. Le palais avait été loué pour des mariages dans les années 80 et le mobilier en avait énormément souffert. De là est né un laboratoire de restauration. Je n’ai pas réalisé à l’époque que ce chantier allait prendre la vie entière pour être mené à son terme. Aujourd’hui, je ressens une émotion très forte quand je me trouve dans la galerie des miroirs. Je me suis battue pour qu’elle resplendisse à nouveau.» La restauration ou le travail d’une vie La liste des restaurations entrepri- ses donne le vertige: 800 m2 de toit ont été restaurés ainsi que 400 m2 de terrasse, 350 meubles et portes, cinq voûtes et fresques, 75 tableaux sont passés entre les mains expertes des restaurateurs. A cela s’ajoutent des milliers de pièces d’argenterie, des centaines de porcelaines, les immenses pavements de céramique dans les cages d’escalier. Et ceci sans aucune aide étatique. «Au début, j’étais seule et sans formation spécifique du type école du Louvre. Mais j’étais passionnée, c’est un moteur indispensable devant une telle entreprise. Aujourd’hui, l’équipe compte une dizaine de personnes. C’est une aventure artistique mais aussi une belle aventure humaine. Je fais partie de cette petite équipe, secondée par mon majordome. Le temps où la maison comptait plus de 30 domestiques est révolu. Je n’habite pas ici à plein-temps, mais dès que je suis en Sicile c’est ici que je m’installe. Ce palais peut vite devenir une obsession et il faut savoir s’en éloigner afin de se La salle de bal et son pavement de Vietri: «La libération de Corfou de la domination ottomane.» 1750. Le salon rouge. laisser assez d’espace pour vivre en dehors de lui.» Restaurer des objets, c’est le travail du laboratoire de restauration. «Il doit d’abord faire un vrai travail philologique sur chaque objet. Il faut essayer d’entrer dans la tête de celui qui l’a rapporté, remonter le temps et les pérégrinations de la pièce elle-même. Comme par exemple ce cabinet moghol, l’un des plus beaux du monde, incrusté d’ivoire et de pierres dures. Il a été réalisé sous le règne du roi Akbar, un roi analphabète (plusieurs tuteurs ont essayé de lui apprendre à lire sans succès, ndlr) qui avait épousé trois femmes de trois religions différentes pour maintenir la cohésion de son peuple et qui s’est entouré d’artistes et d’intellectuels toute sa vie. Tout cela ne l’empêchait pas de massacrer ses ennemis en les faisant écraser par ses éléphants! Au XVIIe siècle, le hasard l’a amené en Sicile, en quête de nouvelles découvertes artistiques.» Nos pas nous mènent à la galerie des miroirs. Une splendeur. «C’est l’ancêtre de mon mari, Pietro Valguarnera avec sa femme Marianna, qui a voulu cette galerie dans la première moitié du XVIIIe siècle. Il était parfaitement conscient du caractère exceptionnel de cette réalisation puisque dans son testament il a exigé qu’aucun de ses descendants ne modifie cette pièce. C’est aussi pour montrer la puissance de son rang qu’il a voulu les plus beaux meubles, le plus beau pavage et un plafond somptueux dont il avait vu un exemplaire à l’opéra de Nancy, ainsi que ce lustre extraordinaire de Murano créé par Briatti. Je n’échangerais pas cette petite galerie des miroirs contre celle de Versailles. Ici se concentre le meilleur d’un lieu et d’une époque. Je suis amie avec l’un des anciens conservateurs du château de Versailles. Il me dit toujours avec un peu de jalousie complice: «Carine, tu as tout dans cette maison. Nous, nous devons batailler pour racheter un tableau de louis XIV ou une pendule, mais toi, tu as tout à portée de main, intact.» Les miroirs qui font la splendeur de la pièce étaient extrêmement chers et difficiles à réaliser à l’époque. «D’où l’expression «si l’on casse un miroir c’est 7 ans de malheur». C’était tout un patrimoine qui volait en éclats.» A l’origine, seuls les ateliers de Murano les fabriquaient. Faire une galerie des miroirs signifiait égaler la splendeur d’une famille régnante, posséder une maison comparable à un palais royal. «Cette pièce est née pour être fermée, comme un écrin, explique la princesse Carine Vanni Mantegna di Gangi. Au-delà du symbole de > Suite en page 46 45 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe > Suite de la page 45 puissance des miroirs, la forêt d’or renforce son côté ostentatoire, avec toutes ces guirlandes de fleurs que l’on retrouve partout. Les meilleurs artisans, Briatti de Murano, les artisans de Trapani qui étaient les meilleurs sculpteurs de Sicile, les meilleurs ébénistes siciliens, Fumagalli qui était le maître du trompe-l’œil à Rome, ont travaillé pour la réalisation de la galerie des miroirs.» Dîner au palais Le palais, dont l’intérieur est classé, se visite sur rendez-vous. «Je reçois des petits groupes. On organise des concerts, des dîners. C’est une de mes amies qui cuisine, une baronne sicilienne qui vient ici non pas pour gagner de l’argent – car un dîner de 30 personnes ne serait pas suffisant pour cela – mais pour le plaisir d’organiser une belle table. C’est un art de vivre qui se perd en Europe. Quand on a des maisons exceptionnelles, il faut savoir recevoir en conséquence.» La princesse se souvient d’une anecdote, lors d’une réception donnée en l’honneur de la reine d’Angleterre. «A l’occasion de la visite de la reine, ma belle-mère avait organisé un déjeuner test. Mais le personnel n’avait pas été formé en lycée hôtelier et le premier plat proposé était le «sfornato di pasta», avec de la mozzarella filante coupée à la main! Quant au dessert, la gélatine de fruits, typique en Sicile, nous a beaucoup fait rire: le vieux majordome tremblait tellement en la servant qu’il l’avait rendue presque vivante. C’était trois jours avant la venue de la reine. Autant vous dire que le menu a changé.» Un dîner au palais Gangi est toujours accompagné par un quatuor du théâtre Massimo, «car dans ces maisons, il y avait de la musique: parfois on engageait une soprano et un ténor et entre deux plats, dans le silence total, ils chantaient un morceau lyrique.» «J’essaie de transmettre aux gens l’émotion que j’ai eue en découvrant le palais. Les visiteurs sortent d’ici comme s’ils se réveillaient d’un rêve. C’est un moment unique, privilégié, mais en même temps que l’on découvre cette immense maison, on comprend à quel point elle est fragile. C’est un peu comme se retrouver face à un chêne millénaire. Il a vécu mille ans, son histoire est riche, sa force nous impressionne et pourtant il peut être la proie d’un incendie, de la foudre.» Solide et vulnérable, comme le palais Gangi. La salle à manger, utilisée aussi comme petit salon de musique, néoclassique, d’inspiration française, Louis XVI tardif. PHOTOS: BENEDETTO TARANTINO 46 Ci-dessus de gauche à droite: la terrasse et son pavement de céramique «a vela» ou «dents de loup». Le grand escalier à double révolution, le plus bel exemple d’escalier baroque du sud de l’Italie, réalisé d’après les dessins de Filippo Juvarra. gneurs, ce détachement incroyable, une courtoisie infinie. Il y a un immense contraste entre leur comportement et celui du monde actuel, souligne la princesse. A l’instar de mon mari, Ils vivent extrêmement mal ce décalage. Un anachronisme tragique. Ils sont comme des dinosaures en voie de disparition. On sait qu’ils vont disparaître, ce sera une perte immense, mais on sait aussi qu’ils ne sont plus adaptés. J’ai eu beaucoup de chance, car ma belle-mère m’a ouvert toutes les portes de Palerme. J’y ai rencontré des gens incroyables. Le baron Inglese, par exemple, avait acheté un immense monastère de 300 cellules, deux cloîtres dans le centre de la Sicile dans un endroit sublime qui s’appelle Santa Maria del Bosco. Il venait encore à Palerme à cheval. Il laissait sa monture dans l’entrée du monastère, dans un corridor de 90 mètres. Un vrai personnage de roman. Il a d’ailleurs fait de la figuration dans un film. J’ai rencontré aussi le marquis Quintino di Napoli, un homme d’une élégance rare. Il arborait toujours une petite canne en bambou. A Paris, à Saint-Germain où il avait vécu une dizaine d’années, il avait fréquenté tout ce que Paris comptait alors d’artistes, de chanteurs, d’écrivains. Il fréquentait Sartre. Ici, il avait transformé sa chapelle en atelier de peinture parce qu’il était artiste. Voilà quelques-uns des guépards, un peu loufoques, délicieux, d’une infinie courtoisie. Des originaux, des seigneurs. Il faut lire le livre Ces fous de Palerme pour comprendre.» L’actrice était l’inoubliable Angelica dans le film de Luchino Visconti «Le Guépard». Pour «Le Temps», elle se souvient. Qui a dessiné la robe que vous portiez pendant le bal? Toutes ces robes sublimes sont de Piero Tosi. Nous avons fait de nombreux films ensemble, je considère qu’il est le plus grand. Le Temps: Qu’avez-vous ressenti quand vous avez commencé le tournage dans ce palais? Claudia Cardinale: C’est un endroit merveilleux où nous avons beaucoup tourné. Luchino Visconti le magnifiait en le décorant de bouquets de fleurs fraîches, de bougies. L’ensemble était sublime, car tout était vrai et renouvelé tous les jours. La robe que vous portiez était spectaculaire… Celle du bal et toutes les robes sont vraiment magnifiques. Les habits étaient fabriqués par Tirelli et tout ce que je portais en dessous était d’époque. Comme le petit sac Cartier avec des perles. A l’intérieur, il y avait un carnet de bal datant de 1880. On ne le voyait pas, mais il était là. Il m’a été ensuite offert par Luchino. J’ai eu la chance de travailler avec les deux monstres sacrés du cinéma italien Fellini et Visconti. Fellini n’avait pas de script alors qu’avec Visconti c’était comme faire du théâtre, il était très perfectionniste. Les deux extrêmes, mais quels génies! Etes-vous retournée depuis au palazzo Gangi? Je suis retournée récemment à Palerme, mais le palais n’était pas ouvert ce jour-là. Martin Scorsese a réalisé une nouvelle version restaurée et inédite du Guépard. La version que souhaitait Luchino. Elle dure trois heures. J’ai rencontré Martin. Il m’a dit que sa famille était originaire de Sicile et c’est pour cela qu’il a voulu faire cette nouvelle adaptation avec la cinémathèque de Bologna. Lors de la présentation du film à Cannes, Delon était à côté de moi. Les larmes aux yeux, il m’a dit: «Claudia, nous sommes les seuls survivants.» Nous avons découvert beaucoup de scènes que l’on ne connaissait pas où nous sommes en train de nous embrasser. Luchino me disait à l’oreille: «Claudia, je veux voir la langue lorsque tu l’embrasses.» Mais nous ne l’avons jamais fait… Propos recueillis par A. N. Les derniers guépards Ce dernier était une étape du Grand Tour qu’entreprenaient les artistes au XVIIIe siècle. Il a abrité Goethe mais aussi Auguste Renoir ou Vincenzo Bellini. «Une lettre autographe de Richard Wagner est exposée dans la galerie. Rossini a, quant à lui, apposé sa signature sur le piano, souligne la princesse. Ma belle-mère était aussi amie avec Giuseppe Tomasi di Lampedusa (l’auteur du livre Le Guépard, ndlr).» Si le film n’a pas uniquement été tourné au palais Gangi, la scène mythique dont tout le monde se souvient est celle du fameux bal. «Scène qui a duré trois quarts d’heure. D’autres maisons comme la villa de Donna Fugata ou la villa Bosco Grande ont été utilisées, précise notre hôtesse. La scène du déjeuner, quand Claudia Cardinale éclate de rire, a été tournée au palazzo Chigi à Rome, car Visconti avait déjà dépensé trop d’argent et refaire cette scène en Sicile au pa- lazzo Gangi aurait fait exploser les budgets.» Si le choix du cinéaste s’est porté sur ce palais, c’est parce que les descriptions faites par l’écrivain des salons du palazzo Pantaleone – qui n’existe pas – correspondent au palazzo Gangi. Le film retrace cette longue agonie d’une civilisation qui meurt. «Deux livres clés permettent de comprendre l’état d’esprit sicilien et tout cet héritage à la fois très beau et tragique: Les princes de Francalanza, de Federico de Roberto, et Le Guépard.» La princesse a côtoyé certains de ces guépards. «J’en ai même épousé un! C’est un guépard dans cette façon de faire, cette «Signorilita» que l’on ne retrouve qu’ici. Peut-être est-ce dû au caractère insulaire de la Sicile, note-t-elle. Ces grands sei- ClaudiaCardinalesurlespasd’Angelica Vous étiez très complices? Une rencontre magique, oui. J’avais un petit rôle dans Rocco et ses frères et au moment du tournage de la scène de boxe il a pris le mégaphone et a hurlé: «Ne tuez pas la Cardinale!» J’ai compris que je ne lui étais pas indiffé- rente. Il m’a en effet choisie pour interpréter Angelica dans Le Guépard. C’était un homme très élégant avec qui j’ai toujours eu un rapport merveilleux, et unique, car il n’aimait pas beaucoup les femmes. Y a-t-il quelques anecdotes dont vous vous souveniez lors du tournage au palazzo Gangi? L’une d’elles est un peu dramatique, oui. A la fin du tournage de la scène du bal, mon corset était tellement serré qu’il y avait du sang autour de ma taille. Quand Luchino m’a demandé: «Mais pourquoi n’as-tu rien dit?» Je lui ai répondu: «Mais parce que je suis Angelica!» MEHDI FEDOUACH/AFP Comment se sont passées les relations avec Burt Lancaster? Les gens ne concevaient pas que le cow-boy Burt Lancaster puisse jouer le prince. Pourtant il est extraordinaire dans le film. Il a apporté au rôle une telle intensité! Notamment quand il découvre qu’il est amoureux d’Angelica, dans le jeu des regards avec Alain… <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDSxNAUAnOucOA8AAAA=</wm> <wm>10CFWLsQ6AIAxEvwjSK60UOxo24mDcWYyz_z8Jbg4vd8m7a8010sdW97MerqaGQAQp6sYcSbKDJccBHIDxkCsEhbkk-T1GLEkIfW4CEGB9FgvQzlLic90vomJdrnQAAAA=</wm> Grappoli SET EXTRAORDINARY WHITE GOLD TIMEPIECE, WITH OVER 65 CARATS OF WHITE DIAMONDS. G E N E VA B O U T I Q U E , R U E D U R H Ô N E 2 7 - T E L . + 4 1 ( 0 ) 2 2 3 1 7 1 0 8 2 ABU DHABI • BAL HARBOUR MOSCOW • NEW YORK • COURCHEVEL • PA R I S • • DUBAI PORTO CERVO • • G E N E VA ROME www• degrisogono• com • • G S TA A D • K U WA I T ST BARTHELEMY • • LONDON ST MORITZ 48 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe JEU DE MAIN Lapeaudouce A Saint-Junien, dans le Limousin, on a le gant dans la peau depuis des siècles. Aujourd’hui encore, une poignée de manufactures perpétuent des savoir-faire ancestraux et rivalisent de virtuosité pour transformer un simple bout de cuir en un accessoire précieux. Reportage. Par Eva Bensard, Saint-Junien. Reportage photographique: Gilles Leimdorfer A Saint-Junien, dès les premiers frimas, on sort ses gants. Il n’est pas rare d’en avoir plusieurs paires, et d’en changer souvent. Dans ce ballet de mains, une seule constante: le gant, de moins d’un millimètre d’épaisseur (0,5 mm pour un modèle féminin), se fait seconde peau. Il est en agneau ou en chevreau et a été tanné, coupé et cousu dans cette bourgade du Limousin, à 30 km à l’ouest de Limoges. A «Saint-Ju», comme la surnomment ses habitants, on a le cuir dans la peau depuis des siècles. Grâce à un bassin d’élevage important et aux qualités exceptionnelles des eaux de la Vienne, cette localité a développé dès le XIe siècle une florissante industrie du cuir. Tous les Saint-Juniauds ont au moins un membre de leur famille qui a travaillé dans la ganterie ou dans la mégisserie, deux secteurs qui ont fait jusqu’aux années 50 la prospérité de leur ville. Il suffit d’en arpenter les rues pour voir resurgir ce passé gantier. Berceau du mouvement anarchiste et des luttes syndicales à l’orée du XXe siècle, SaintJunien est aujourd’hui la capitale française du gant de luxe. A SaintJunien, les ateliers d’Hermès voisinent avec la place Lénine, la rue Karl-Marx et le bd Marcel-Cachin. Un savoir-faire séculaire Près de la rivière, dont les eaux pures étaient idéales pour le travail des peaux, des entrepôts désaffectés abritaient voilà un siècle des centaines de mégissiers, employés aux tâches éreintantes du tannage (lire l’encadré). Dominant ces usines se dressent encore d’imposantes demeures bourgeoises, anciennes propriétés des patrons mégissiers et des maîtres gantiers. Toute une économie locale dépendait alors du cuir. Que reste-t-il de cette industrie? Ce paradoxe: berceau du mouvement anarchiste et des luttes syndicales à l’orée du XXe siècle, Saint-Junien est aujourd’hui la capitale française du gant de luxe. Après avoir été l’un des plus importants fabricants français de «gants de ville», ce vieux bastion rouge du Limousin, champion toutes catégories des mouvements sociaux, s’est spécialisé dans une production haut de gamme. A Saint-Junien, les ateliers d’Hermès voisinent avec la place Lénine, la rue Karl-Marx et le bd Marcel-Cachin. L’excellence des artisans gantiers séduit en effet depuis une vingtaine d’années les grands noms du luxe. La maison Hermès a racheté en 1998 la Ganterie coopérative de Saint-Junien (fondée en 1919), et Christian Dior, Nina Ricci, Yves Saint Laurent ou Givenchy font appel aux manufactures Morand et Agnelle. Ces deux entreprises, restées entre les mains des mêmes familles depuis trois ou quatre générations, sont parmi les dernières héritières d’un savoir-faire séculaire. Retour en grâce A l’entrée des ateliers Agnelle, un panneau illustré vient rappeler que le gant fut longtemps un objet de séduction et l’indispensable Ci-dessus à gauche: entre les mains des piqueuses, les parties du gant fusionnent comme par magie (ganterie de Saint-Junien). Ci-dessus à droite, de haut en bas: les «mains de fer», qui permettent une découpe mécanique du cuir (ganterie Morand), modèles sobres ou joyeusement colorés chez Agnelle, où sont utilisées des machines à coudre parfois centenaires (ici, la piqueuse «sellier»). accessoire du vestiaire féminin. Joséphine de Beauharnais, Yvette Guilbert, Marlene Dietrich et Rita Hayworth, dont le strip-tease ganté est resté dans l’histoire du cinéma, furent quelques-unes de ses ambassadrices historiques. La donne change à la fin des années 60. La femme libérée n’a que faire de ce symbole bourgeois et remise au placard gants et chapeaux. Le triomphe des matières synthétiques semble avoir raison de ce qui reste du gant de cuir. A Saint-Junien, des dizaines de ganteries et de mégisseries mettent la clé sous la porte. Mais quelques irréductibles résistent, attendant un retour en grâce de leur acces- soire fétiche. Il se produit dans les années 80. Sophie Grégoire, arrière-petite-fille du fondateur d’Agnelle, se souvient de ce revirement. «Ma mère gérait à cette époque l’entreprise, créée en 1937. Avec beaucoup d’intuition, elle a compris qu’il fallait viser le haut de gamme. Elle est allée solliciter la maison Dior et a démarché de jeunes créateurs alors inconnus. Ils s’appelaient Azzedine Alaïa, Jean-Paul Gaultier et Christian Lacroix.» Actuelle PDG de la ganterie, Sophie Grégoire a poursuivi cette stratégie. Parallèlement à ses collaborations avec Dior, Longchamp, Gaultier ou Sonia Rykiel, elle développe des collections sous sa propre griffe, distribuées dans les grands magasins en France et à l’étranger. Aujourd’hui, dans les ateliers saint-juniauds d’Agnelle, une trentaine d’employés perpétuent des savoir-faire pointus, devenus d’autant plus précieux qu’ils ne s’enseignent plus dans les écoles. Le rez-de-chaussée est le royaume des maîtres coupeurs, un métier resté résolument masculin. Des cuirs sont empilés sur les étagères, classés par couleur, par taille et par qualité. Chaque jour, quelque 700 peaux arrivent de la mégisserie. Elles ont été soigneusement prépa> Suite en page 50 <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDK0NAIAOhOGsg8AAAA=</wm> <wm>10CFWKsQ6EIBQEv-iRXd4icJQXOmNh7GmMtf9fidddJpNpZl1bCvj57dvR95ZKKjQgssZWcglZjQ4PdZb0COqDqkmW_vaZxQWO9zHS6APVlE0a0BLu83oADLM-dnEAAAA=</wm> 50 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 PHOTOS: GILLES LEIMDORFER Luxe Ci-dessus de gauche à droite: A la mégisserie Colombier, les peaux sont teintées dans des foulons, puis lustrées à la «lisseuse». «Ma mère, avec beaucoup d’intuition, a compris qu’il fallait viser le haut de gamme. Elle est allée solliciter la maison Dior et a démarché de jeunes créateurs alors inconnus. Ils s’appelaient Azzedine Alaïa, Jean-Paul Gaultier et Christian Lacroix.» Sophie Grégoire, PDG d’Agnelle > Suite de la page 48 rées et teintées par l’entreprise Colombier (lire l’encadré). Mais elles ne sont pas toutes identiques. Souplesse, solidité, présence ou non de défauts, fidélité des nuances: un artisan soumet chaque peau à un examen minutieux. Seule une petite partie du lot finira dans la pile des premiers choix, destinée aux gants les plus luxueux. Une fois passées par ce contrôle qualité, les peaux sont manipulées par le coupeur. Avec un toucher savant, jamais en force, l’artisan étire le cuir au maximum. Il le tend et le retend contre sa table en bois, encore et encore, dans le sens de la longueur puis de la largeur. De ses mains expertes, il l’assouplit, lui donne la bonne nervosité, gomme une petite cicatrice. Armé de son «pied de gantier», une réglette en bois graduée en pouces (1 pouce = 2,70 cm), il détermine l’emplacement de chaque gant en tenant compte de la pointure (les tailles vont du 61/4 au 101/2) et en prévoyant un espace à part pour les pouces et les fourchettes (pièces entre les doigts). Il devra aussi compter avec les petits défauts de la peau qu’il cherchera à faire coïncider avec les «fantaisies» prévues pour chaque modèle (broderies, perforations, lanières). Il n’y a plus alors qu’à couper, au ciseau, les rectangles ainsi déterminés, avant de les étirer à nouveau, pour exploiter leur surface de manière optimale. Les gestes, aisés et maîtrisés, sont les mêmes depuis un siècle. Les outils aussi: pied de gantier, ciseaux. Pas question non plus de se passer des «mains de fer», ces emporte-pièce en métal inventés dans les années 1830 par un gantier grenoblois, Xavier Jouvin. Placés sous une presse, ces calibres permettent une découpe mécanique (appelée «fente») des différentes parties du gant. A l’étage, le bruit des ciseaux laisse place à celui du cliquetis des machines, et l’univers des hommes à celui des femmes. Entre les doigts des piqueuses, les pièces détachées du gant fusionnent comme par magie. Le pied sur la pédale, elles actionnent d’ancestrales Singer et font courir l’aiguille sur de minuscules surfaces de cuir. Les différentes coutures n’ont plus de secret pour ces professionnelles, rompues depuis des années à l’art du piqué anglais (piqûre à plat), du brosser (coutures intérieures presque invisibles) ou du sellier (pour les piqûres extérieures très fines). Les cuirs sont nettement plus minces que dans la maroquinerie et donc plus délicats à assembler. La noblesse des peaux Pour en avoir la confirmation, on se rend à quelques centaines de mètres de là, chez Morand, une ganterie qui s’est fait une spécialité du chevreau. «C’est la peau la plus noble, la plus fine et la plus difficile à travailler», assure Nathalie Morand, qui gère avec son frère l’entreprise fondée par leur grand-père. Dans cette manufacture ultramoderne, dotée d’une machine à découpe assistée par ordinateur, on travaille une grande variété de peaux – chevreau, agneau, python, pécari – et on marie sans complexe les matières (le cuir avec la laine, la dentelle, la fourrure). Combinée à la créativité des stylistes, la technicité des piqueuses rend toutes les audaces possibles. Le gant se double de soie, de cashmere ou d’orylag (lapin d’élevage au poil très doux). Il s’habille de clous, de Direction ensuite la ganterie, où elles sont coupées et cousues (ici, avec la machine «piqué anglais», atelier Morand). strass, de franges, de plumes, de discrètes nervures ou au contraire de luxueuses fioritures. «Il faut savoir interpréter n’importe quel croquis. C’est un savoir-faire que tout le monde n’a pas», confie avec fierté Muriel, contremaîtresse chez Morand. Il y a un siècle, on appelait ces artisans saint-juniauds des «artistes en ganterie». Une appellation qui, aujourd’hui encore, leur va comme un gant. Lamégisserie,auxoriginesdugant L Dernière mise en beauté sur la «main chaude», sorte de «main à repasser» qui donne au gant une tenue impeccable (Ganterie Morand). a naissance du gant ne débute pas entre les mains du coupeur ou de la couturière, mais à la mégisserie, où sont tannées les petites peaux d’ovins et de caprins (alors que les cuirs plus épais des bovins sont travaillés en tannerie). Un beau gant, c’est en effet d’abord une belle peau. A l’origine, le gantier préparait lui-même ses peaux d’agneau et de chevreau, avec une mixture à base de fleur de farine, de jaunes d’œufs, de sel et d’alun. Puis à partir de la Révolution industrielle, la mégisserie est devenue un métier à part entière. Le tannage se pratique désormais dans des usines mécanisées, installées le long de la Vienne. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, ces fabriques emploient jusqu’à un millier d’ouvriers et Saint-Junien s’impose comme le premier centre mégissier de France. Mais un siècle plus tard, avec la crise du cuir (délaissé pour les matières synthétiques), la concurrence étrangère et le déclin de l’usage des gants, les dépôts de bilan se succèdent inexorablement. A tel point qu’aujourd’hui, il ne reste plus qu’une seule mégisserie dans la région, l’entreprise Colombier. «Nous sommes les derniers à Saint-Junien, mais il y aura toujours de la place pour un travail de qualité», estime Arnaud Colombier, qui codirige avec son cousin la mégisserie familiale. Pour répondre à un marché de plus en plus exigeant, son usine s’est spécialisée dans le chevreau de luxe. Aujourd’hui, des ganteries prestigieuses (comme Agnelle et Morand) s’en re- mettent à ses compétences très pointues dans le traitement des peaux. Dans les bâtiments édifiés par le grand-père, Léon Colombier, en bord de Vienne, seuls les séchoirs sous les combles, ventilés par des fenêtres à pans de bois (volets à claire-voie), rappellent encore les mégisseries de jadis. Ici, les machines modernes ont remplacé les dures opérations manuelles du XIXe siècle. Si cet outillage performant a permis de mécaniser certaines étapes et d’améliorer les conditions de travail, la connaissance du cuir, de ses propriétés, reste irremplaçable. Une trentaine de mégissiers œuvrent à la métamorphose des peaux brutes en un cuir souple et doux au toucher. Ils actionnent les énormes foulons (tonneaux), remplis d’eau et d’agents tannants, lesquels servent à dégraisser les peaux et à les tanner. Les cuirs sont ensuite essorés, séchés, étirés à la palissonneuse (qui assouplit les fibres), dégrossis à la dérayeuse (jusqu’à l’épaisseur voulue par le client) et soigneusement teintés, en respectant les nuances souhaitées par la ganterie. Au bout de cette chaîne, un technicien expérimenté trie et classe les peaux. Il traque les moindres imperfections, qu’il s’agisse de griffures, de traces de barbelés ou de petits trous de paille dans la fleur (côté sur lequel se trouvaient les poils ou la laine de l’animal). Au total, plusieurs dizaines d’opérations s’avèrent nécessaires pour transformer une peau rêche et cartonneuse en un produit fini élastique et doux comme de la soie, d’un grain exceptionnellement fin. E. B. <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDYwsAAAP0zvOg8AAAA=</wm> <wm>10CFWKIQ6AMBAEX9Rm93ptD06SOoIg-BqC5v-KgiOZnTWzrp4jvi1tO9ru2bIxAAkwN5EIrU7RGkWdkCqgziSIMhX--nElKdjfJhBBah_ONuhMGu_zegD5VMXKcgAAAA==</wm> LIVE YOUR PASSION MANUFACTURE SLIMLINE MOONPHASE Mouvement de manufacture réalisé à la main Collection Manufacture : mouvements développés, produits et assemblés en interne. Plus d’informations sur + 41 (0)26 460 72 50 - [email protected] www.frederique-constant.com 52 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe Ci-dessus de gauche à droite: Black Opium, Yves Saint Laurent; Levantium, Penhaligon’s; Coco Noir, Chanel; L’Incendiaire, Serge Lutens; Mon Numéro 10, L’Artisan Parfumeur; Rien Intense Incense, Etat Libre d’Orange; The Architects Club, Arquiste; For her Amber Musc, Narciso Rodriguez; Light my Fire, By Kilian; The Odd Fellow’s Bouquet, Atkinsons. L’Homme Idéal, Guerlain. Shalimar Souffle de Parfum, Guerlain. Ils volent sur un épais tapis de vanille. Ils auraient pu être convoités par Salomon. Ce sont des voyageurs. Ils participent à la création des mythes. Ce sont les nouveaux parfums orientaux. Par Valérie D’Herin U ne caravane de nouvelles senteurs orientales traverse en cette fin d’année les rayons des parfumeries. Normal lorsque l’on sait que les orientaux sont les parfums les plus appréciés des clientes, juste derrière les floraux. Grondant d’épices et de légendes, de bois rares et de matières qui furent jadis plus précieuses que l’or, comme l’encens, les bois précieux ou la myrrhe, les parfums orientaux se reposent sur une base ambrée de baumes et de vanille, qui évoque à elle seule toutes les voluptés d’un Orient fantasmé, entre sérails, souks et contes nocturnes. Les parfums orientaux doivent leur nom de famille au mythique Shalimar créé par Guerlain en 1925. Histoire d’amour passionnée, Shalimar évoquait l’Orient dans toute sa magie. Et comme tout parfum se doit d’avoir une famille, celle des orientaux était née. Suivirent des créations aux noms de légendes telles Ysatis, Mitzah, Nirmala, Samsara… A croire que Médée s’était emparée de l’âme des parfumeurs occidentaux tandis que Salomé les envoûtait. Les belles Orientales sont des ensorceleuses, des empoisonneuses, des magiciennes, des conteuses. Pas étonnant que Lancôme nomma l’un de ses orientaux Hypnôse, que Dior lança Poison puis Hypnotic Poison, Poison l’élixir… Le champ sémantique des équipes marketing n’avait qu’à puiser dans les contes des Mille et une nuits pour faire rêver. Aujourd’hui, l’épiderme connaît moins les légendes que les senteurs qui s’en inspirent même si la déesse Ishtar se cache PRINCES D’ORIENT dans le magnifique Akkad de Lubin, que les graines de carotte et l’orchidée de Seven Veils de Byredo rendent hommage à Salomé. Les voleurs de nuit Ce sont des princes que les parfumeries accueillent dans leurs rayons en cette fin d’année. Des princes d’Orient. A commencer par un voleur de nuit flamboyant, imaginé par Naomi Goodsir, qui pénètre dans un sérail, aidé de Bertrand Duchaufour. L’espiègle parfumeur le fait voler sur un tapis de vanille à la texture riche et douce comme du velours jusqu’au pied des odalisques voilées par des vapeurs de narguilé. Pourtant, Naomi Goodsir nous confie que l’absolu de vanille n’est pas, au départ, sa matière première favorite, mais, à un tel dosage, la vanille devient fascinante et débordante de sensualité. Inspiré du film Le Voleur de Bagdad, L’Or du Sérail appelle à un voyage entre onirisme et volupté. On devient vite «addict» à ce parfum qui rappelle que les orientaux, pour être beaux, doivent être sans concession. C’est tout naturellement qu’est apparu Coco Noir, L’Extrait de Chanel au début de l’automne. Signé par un accord de jasmin d’Egypte et de rose de mai, il ravive la luminosité qui émane du noir. La nuit scintille. Black Opium, d’Yves Saint Laurent, est un Aladin résolument urbain, écrit à huit mains autour de notes de café noir très concentrées. Décidément en vogue, la note café rejoint la composition d’un autre oriental crissant de modernité, Intoxicated by Kilian, qui se veut l’évocation d’un café turc, fumant, à l’essence de cardamome. Kilian Hennessy revient à une collection plus sombre, plus racée avec une thématique proche de son œuvre première: l’addiction, ou comment susciter le désir au travers d’un parfum. Light my Fire, de cette même collection, s’offre, comme L’Or du Sérail, de très belles notes tabacées, évoquées par des notes de cumin et de foin que le miel, l’amande et la vanille viennent adoucir. Ces princes de la nuit savent faire patte de velours et montrer patte d’ambre pour approcher les femmes modernes. L’Orient fantasmé Autre matière mythique: l’encens. Cette précieuse résine du désert, obtenue après avoir «incisé» l’écorce de l’oliban, trouve sa route dans Mon Numéro 10 de L’Artisan Parfumeur. Un Rien In- La Fumée Maroc, Miller Harris. Or du Sérail, Naomi Goodsir. l’Orient avait de plus beau est monté à bord du Levantium en plus d’une touche masculine, presque animale. Fabrice Pellegrin, qui a composé The Odd Fellow’s Bouquet, tout comme Ambre Orient pour Armani Privé et Volutes de Diptyque, avoue travailler les parfums orientaux en musique. «Si un morceau se cachait sous The Odd Fellow’s Bouquet, ce serait «My Baby Just Care for Me» de Nina Simone. J’ai réécrit le passé à travers l’idée d’un vieux fauteuil Club en cuir dans un bar à cigares réservé aux hommes.» Le St James Club célébrant le retour de Lawrence d’Arabie. Issue de l’esprit de Carlos Hubert, créateur de la marque Arquiste, The Architects Club est l’émanation parfumée d’un homme croisé dans un club de Mayfair en 1930. Un architecte qui aime le bois (gaïac, chêne), les courbes des femmes et bâtir des palais tout comme le parfumeur construit des pyramides olfactives. HERITAGE IMAGES/KEYSTONE/STAPLETON HISTORICAL COLLECTION/PRO LITTERIS PHOTOS: DR PARFUMS Les hommes de l’art «Persia» de George Barbier, «The Art of Perfume», 1912. tense Incense d’Etat Libre d’Orange, aussi sombre que les volutes d’un voleur de nuit, et For Her Amber Musc de Narciso Rodriguez, ont toutes deux initialement été présentées au MoyenOrient. For Her Amber Musc, réalisé par Aurélien Guichard en reprenant la base de For Her, a même reçu le prix «Arabian Prestige Female Fragrance of the Year» en 2013 par la Fragrance Fundation Arabia avant de rejoindre les étals européens, enrichi d’accords d’ambre et de oud, ce bois que d’aucuns qualifient d’or noir des parfumeurs. Si les bois précieux venus d’Orient ne manquent pas de faire fantasmer les Occidentaux, Lyn Harris a su les dompter avec féminité avec La Fumée Maroc. Sous l’abricot, les fruits gourmands, les souvenirs colorés du souk, s’élève une colonne de bois fumés. Ils pourraient s’arrêter là, mais le tableau, loin d’être figé, se meut. Les bois y deviennent femmes, murmures, peau, mêlant, une nouvelle fois, la sensualité à l’onirisme. Après tout, les rois de Saba ne furent jamais aussi célèbres que sa reine, ne fût-elle qu’un mythe. Invitation au voyage Imaginez l’odeur d’un bruissement de pétale impudique, le frottement de quelques épices lointaines, le craquement de feuilles de tabac et la musique de l’opulence vanillée, bercés par la peau qui tangue entre mythe et histoire. Plus on se rapproche de parfums évocateurs de voyages, plus ces créations deviennent musicales, bruyantes de l’Orient qu’elles traversent comme Levantium de Penhaligon’s dans la toute nouvelle collection «Trade Routes», inspirée des célèbres routes commerciales entre l’Angleterre et les pays du Levant ou encore The Odd Fellow’s Bouquet d’Atkinsons. Le premier est un concentré de toutes les cargaisons fantasmées: alcool, fleurs, épices, bois et résines. Tout ce que Mais qu’en est-il des hommes qui inventent ces parfums? Le créateur Serge Lutens est un prince-magicien de l’Orient qui flouta les frontières de cette famille olfactive en créant le terme de «parfum arabe» lors de la sortie d’Ambre Sultan (lire interview p. 12). C’est un voleur de cœur avec A la Nuit, un prince des bois avec Arabie. Avec L’Incendiaire, le premier parfum d’une nouvelle collection intitulée Section d’Or, il nous emmènera bientôt dans un autre royaume sur fond de résines rares, de sèves, de vie. Avec ses deux dernières créations orientales pour la maison Guerlain, le parfumeur Thierry Wasser offre deux facettes de l’Orient. L’une est masculine et se veut le parfum de L’homme idéal. Un mythe que cet homme, déclare le parfumeur de la maison Guerlain. La seconde arrive dans un souffle: Shalimar Souffle de Parfum. Pas de tapis volant, de cargaison d’épices. Thierry Wasser choisit de traiter la femme idéale avec légèreté mais n’en oublie pas ses bonnes manières. Il pare cette nouvelle version de Shalimar de lumière et de fleur d’oranger. Riches des fantasmes des parfumeurs occidentaux, ces parfums envoûtent. Ils sont les derniers refuges de l’imaginaire quand il prend son envol. Ils sont une invitation à des voyages fantasmés. Pourra-t-on renouveler le mythe oriental à l’infini? Tant qu’il y aura des parfums… Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 53 NOBLESSE DES SENS Les fondateurs de l’Atelier OÏ. De gauche à droite; Armand Louis, Aurel Aebi et Patrick Reymond. CHARGÉ DE SYMBOLISMES, LE DESIGN MIXE LE FLAMBOYANT ET LA LIGNE PURE LG AR Maternité by Beaulieu All you need is love! Créer les conditions idéales pour que l’amour s’épanouisse, le temps d’un séjour: c’est le défi que nous avons voulu relever en repensant intégralement notre Maternité. <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDIztwQAufGYvg8AAAA=</wm> <wm>10CFWKoQ7DMAwFvyjRe46dODOsyqKBqTykGt7_o6ZjBac7cGOEZfzZ9vexf8LcnAmQ2nqYahaTaKVlwIMUCKgvakER9f74l2pRcN5PIpNgrpCeaLM2z7_zewG41ZfXcgAAAA==</wm> L’esprit est serein et l’environnement doté de services de très haute qualité: espace mère-enfant apaisant, cocons pour la préparation, les soins et les consultations, unité postnatale confortable abritant une suite et treize chambres, privées ou semi-privées, entièrement équipées, Centre de Procréation Médicalement Assistée (CPMA). Pour nous, rien n’est plus important que votre bienêtre et celui de votre tout-petit. Alors concentrez-vous sur l’essentiel, nous nous chargeons des accessoires. f ied Syst e 90 Chemin Beau-Soleil 20 | 1206 Genève | Tel +41 22 839 55 55 | www.beaulieu.ch m rt i IS O s’il est facile d’aborder la confection d’un objet destiné à être produit en série, il répond: «Si Bulgari nous a associés au projet c’est justement parce que nous avons cette vision d’une recherche autour de la matière, d’une exploration qui va au-delà de l’objet lui-même et touche différents mondes. Il ne s’agissait pas seulement de dessiner un flacon mais de l’intégrer à un univers.» Le trio qui conçoit des œuvres aussi diverses que du mobilier, des luminaires, des scénographies pour des musées et des objets de luxe en partenariat avec des artisans d’art, tel ce hamac de cuir tressé imaginé pour Louis Vuitton, avait déjà expérimenté ce matériau impalpable des odeurs dans son installation sonore et olfactive Aria au Designer’s Saturday de Langenthal en 2010 dans laquelle Alberto Morillas, parfumeur chez Bulgari, avait composé une senteur autour du bois d’arolle. Pour la collection Le Gemme (à prononcer à l’italienne), il ne PUBLICITÉ 85 des experts telle une ancienne parfumeuse, devenue soignante par les odeurs et les pierres à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Et l’on apprend par exemple que l’améthyste est la pierre des sages, de l’intuition et de la sérénité, portée par les brahmanes en Inde ou les prêtresses égyptiennes. La fragrance correspondante (Ashlemah) composée d’iris, de lavande et de violette, fleur de la couleur de l’améthyste et aux propriétés calmantes, étant censée diffuser ce type d’énergie et de vibration. Chargé de symbolismes, le design du flacon mixe le flamboyant et la ligne pure, et évoque aussi une fresque imaginaire de voyages dans l’Antiquité, de conquêtes d’horizons lointains et de découvertes de matières premières somptueuses. Lorsqu’on demande à Patrick Reymond, l’un des membres de l’Atelier Oï dont le principe créatif est «de manipuler les matériaux, de voir comment la matière se comporte», «Lilaia», inspirée par le péridot, une des six fragrances de la collection haute parfumerie Le Gemme. 01 34 U ne carapace mate et fuselée couleur de nuit et, sur le dessus, un verre bombé, à travers lequel miroitent des reflets de couleurs vibrantes. L’opacité mystérieuse de la bouteille en forme d’amphore, à la coque protectrice, évoque un récipient biblique contenant un nectar précieux et qui semble avoir traversé le temps. Elle est le réceptacle de six fragrances inspirées par six pierres aux couleurs vives ou opalescentes: améthyste, citrine, péridot, turquoise, tourmaline et pierre de lune. Des gemmes aux provenances cosmopolites et aux pouvoirs chamaniques qui ornent les parures typiques du bijoutier romain, avec leur taille cabochon et ce mélange baroque de pierres précieuses et semi-précieuses. C’est dans cette odyssée joaillière qu’a puisé l’Atelier Oï pour imaginer la bouteille devant contenir ces fragrances de niche. On en retrouve les références dans cette forme de cabochon renversé donnée au capot du flacon ou dans ces cerclages d’or biseautés ou en forme d’anneau de différents diamètres. «On nous a aussi demandé de faire un travail sur la couleur, énonce Armand Louis, un des membres du trio. Dans l’histoire de la parfumerie chez Bulgari, dans les années 80, on était dans des lignes très sobres, et là nous devions amener un côté plus glamour lié au travail des pierres mais avec des contraintes liées à l’industrialisation. Il y a une complexité dans les matériaux tel ce flash de couleur à l’intérieur du flacon qui donne un rayonnement à la fragrance, on joue sur des effets de lumière.» A l’intérieur de ces fioles contemporaines semblant témoigner des mythologies grecques et romaines dont est tissée l’histoire de Bulgari, les senteurs liées à chaque gemme ont été développées par le maître parfumeur Daniela Andrier. «Nous voulions retrouver la symbolique de chaque pierre, car les femmes ont perdu la connexion avec elles et ne savent pas pourquoi elles portent une améthyste, une citrine ou une émeraude, explique Valeria Manini, directrice de la Parfumerie Bulgari. Nous avons essayé de reconstituer la force de chaque pierre, son histoire, sa propriété profonde et de la transférer dans une fragrance en révélant son âme olfactive.» La maison ayant fait appel dans sa recherche à phore. «Nous avons voulu dessiner un objet qui rappelle le récipient premier contenant des huiles, des épices ou des onguents, un archétype reconnaissable dans toutes les cultures. Nous l’avons conçu par empilage de formes, mais pour que son expression ne soit pas trop littérale, nous lui avons donné une certaine tension géométrique», précise Patrick Reymond. L’amphore qui symbolise le voyage, comme l’évoque Valeria Manini: «Pour cette collection, nous avons reconstitué une «route des gemmes», qui n’existe pas dans l’histoire, alors que l’on connaît la route des thés ou de la soie. Mais pour nous, elle est évidente. Il y a un parcours des pierres, comme la turquoise qui voyageait d’Iran ou d’Afghanistan jusqu’en Europe, les émeraudes qui venaient du Brésil ou les rubis de Birmanie. Dans toutes les civilisations, c’étaient les amphores qui servaient à transporter les matières premières les plus précieuses.» Ce JOËL VON ALLMEN s’agissait plus véritablement d’un travail d’auteur, mais de l’adhésion à l’identité de la maison joaillière devant laquelle les ego des créateurs se sont effacés. «Bulgari a apporté un scénario et son savoirfaire. Nous avons mis le nôtre au service d’une histoire construite en commun avec la marque. C’est une aventure partagée, explique Patrick Reymond. Ce qui les a intéressés c’est que nous ne sommes pas spécialisés et que nous avons différents langages créatifs. C’est la même démarche que lorsque nous faisons la scénographie d’un musée tel que le Laténium à Neuchâtel par exemple, en mettant en valeur des objets celtes, nous collaborons avec différentes cultures, le contenu ce n’est pas l’Atelier Oï qui l’a défini, ce sont les archéologues. Et nous, nous devons essayer de rendre ce contenu lisible et cohérent.» Dans le flacon dessiné pour Le Gemme, il a donc fallu rendre intelligible le rapport à l’Orient et à l’Antiquité par cette forme d’am- BU La première collection de haute parfumerie Bulgari, Le Gemme, a été dessinée par l’Atelier Oï. Histoire d’une fusion des styles entre opulence romaine et rectitude helvétique. Par Géraldine Schönenberg I Flaconmythologique - IS O 1 54 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe Ruban en cours de tissage sur un métier. 550 fils de coton et polyester qui vont donner naissance à un bracelet de montre au motif camouflage tissé dans la masse, développé exclusivement pour la marque Tudor. POIGNETS DE LUXE Au fil dutemps U n bruissement, de l’agitation dans la fosse. L’orchestre qui s’accorde. Dans le brouhaha des machines, la concentration est palpable. Les concertistes entrent en scène. Regards inspirés, doigts de fée. Ce sont des harpistes qui égrènent leurs accords sur fils de soie. Et produisent une musique textile séculaire, tissée sur des métiers antiques. Avec la dextérité de virtuoses. Ces harpistes du tissage en blouse claire portent un nom réducteur: les «tordeuses», ces ouvrières qui mettent en place les fils qui vont être croisés les uns avec les autres des milliers de fois, CINQ GÉNÉRATIONS DE PASSEMENTIERS DANS LA FAMILLE sur les métiers à navettes Jacquard, dont certains sont vieux d’un siècle et demi (lire page 56). Les plus chevronnées feront jusqu’à 400 nœuds à l’heure. Ou plus exactement des «tors», durant le «tordage» – le raccordement de l’ancienne chaîne à la nouvelle. Sous nos yeux, un ruban en cours de fabrication: 550 fils de coton et polyester. 550 fils, soit 550 tors qui ont été effectués à la main pour préparer le métier au tissage. Les «nœuds» sont faits d’une seule main. Et les fils tirés un à un à travers les œillets puis le peigne de guidage. Une journée entière pour la mise en place, avant de lancer la production de ces rubans tissés qui vont devenir des bracelets de montre d’exception, réalisés exclusivement pour Tudor. Depuis 2010, la marque genevoise d’horlogerie est la première à proposer des bracelets tissus luxueux, dotés d’un supplément d’âme. Le dessin reproduit devant nous? Un motif camouflage tissé dans la masse. Une finesse et une profondeur sans comparaison. Aussi une prouesse unique dans l’histoire de la passementerie, qui relègue à la seconde les imprimés asiatiques produits à la chaîne en quantités industrielles au rang de mauvais souvenir. La haute gastronomie face à la junk food. Seul indice sonore qui nous éloigne des salles de concert, le bruit de fond: le tchac-tchac millimétré de l’artisanat mécanisé. Nous sommes en France, dans la Loire, à Saint-Just-Saint-Rambert. A la rubanerie Julien Faure, qui depuis un siècle et demi produit des rubans d’exception. «Nous avons créé ce site moderne de production en 1992. Avant, l’entreprise familiale était à quelques kilomètres de là, à Saint-Etienne, la ville des tisseurs et la capitale de la rubanerie en France depuis des siècles.» L’homme qui nous présente avec fierté l’entreprise Julien Faure s’appelle… Julien Faure. Il porte le Depuis 150 ans, le créateur de rubans «Julien Faure» pousse l’art du tissage à son extrême. Grâce à une technique antique, il fabrique des passements uniques au monde, ce qui n’a pas échappé à Tudor. Pour ses bracelets de montre en tissu, la marque horlogère suisse s’est associée à l’artisan français. Reportage exclusif dans les ateliers d’un rubanier d’exception. Par Pierre Chambonnet. Reportage photographique: Véronique Botteron même patronyme que son grandpère, qui avait lui-même donné son nom à la société. A l’époque, son aïeul était déjà la troisième génération de Faure passementiers… L’histoire de la fabrique – qui emploie aujourd’hui 40 personnes – remonte à 1864. Deux cents clients dans le monde, en grande partie les acteurs de la mode, version luxe. Chanel, Dior, Hermès, Vuitton, Louboutin, etc. «Nous avons par exemple un client très fidèle aux Etats-Unis, depuis plus de cent ans, dit Julien Faure. Notre activité est principalement centrée sur la mode et le prêt-à-porter. Mais au fil du temps, nous avons évolué vers des domaines très différents.» Par exemple le bracelet de montre Tudor. Et en s’associant avec le rubanier, l’horloger Une vue générale et une vue de détail des lisses, qui relient les fils du tissage à la mécanique Jacquard. C’est le Lyonnais Joseph-Marie Jacquard qui a mis au point ce type de métier à tisser dont le brevet a été déposé en 1801. a réalisé un coup de maître (lire page 55). Revenons à la musique. Dans les ateliers où se côtoient des métiers à tisser de toutes générations – tous fabriqués sur mesure par et pour l’entreprise elle-même –, d’autres instruments que des harpes: des orgues de Barbarie. Au sommet des métiers, des rouleaux de cartons perforés qui dirigent une symphonie pointilleuse. Dans l’odeur de l’huile qui lubrifie les mécanismes des moteurs qui les animent, les métiers interprètent leurs partitions «Jacquard» (lire page 56). Devant nous, un métier Sahuc, fabriqué dans la région à SainteSigolène il y a plus de cent ans, s’en donne à cœur joie. Une canette, première navette à l’orchestre du tissage se lance dans la chaîne dans les staccatos des fils de soie qui croisent la trame. Cette musique textile, l’entreprise Julien Faure est la seule au monde à la produire. «Nous sommes les seuls à faire du «ruban navette Jacquard» à ce niveau de difficulté, dit avec fierté le directeur. Nos machines anciennes permettent Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 55 De nouveaux marchés à usage technique apparaissent. Celui par exemple des sangles tissées avec des fils métalliques qui ont des propriétés spécifiques, de la fibre optique, etc. Des rubans qu’il serait impossible de tisser sur des métiers modernes. Le tordage: chaque fil est «noué» à la main pour raccorder l’ancienne chaîne à la nouvelle. Ci-dessus, de gauche à droite: billots sur lesquels sont enroulés les fils de chaîne, sur un râtelier à l’arrière d’un métier à tisser. Des rouleaux de fils assemblés. Des rubans bracelets Tudor qui viennent d’être tissés. Des navettes, qui réalisent les motifs. des choses que les machines modernes ne peuvent pas faire.» Pour preuve, ce sublime ruban tissé spécialement pour la collection de bracelets Tudor: un assemblage de 640 fils de soie noire à l’architecture complexe: différentes épaisseurs pour un relief ton sur ton, avec un résultat incroyablement fin. Autre subtilité sans pareille: aucune perforation après tissage. Les trous pour la fermeture du bracelet sont directement tissés dans le ruban. Par endroits, le carton perforé des métiers Jacquard traditionnels a laissé place au XXIe siècle. Sur certains métiers séculaires, des ordinateurs ont été greffés LE FIL EST CONSIDÉRÉ ICI COMME UNE MATIÈRE VIVANTE pour produire des motifs toujours plus fins. La finesse pour la profondeur. Les tissages paraissent vivants. Les motifs – des oiseaux dans des buissons fleuris – semblent animés grâce à leur relief, comme sur ces rubans qui vont orner des bretelles exclusives fabriquées pour la société newyorkaise, cliente de «Julien Faure» depuis 1980. Depuis 1864, «Julien Faure» produit de l’exceptionnel, comme en témoignent les archives de la maison, amoureusement conservées. Toutes les créations de la marque constituent un catalogue géant du savoir-faire de l’entreprise. C’est aussi une carotte glaciaire du style, du raffinement et de l’élégance des siècles passés. Pour cela, le rubanier a développé dès le début un artisanat industrialisé: «Nous sommes beaucoup plus proches des artisans que des industriels, même si nous faisons des quantités qu’un artisan pur ne ferait pas, sans l’aide de la mécanisation et de machines, détaille Julien Faure. Mais nous avons des opérateurs sur chaque machine et le travail manuel est partout, à chaque étape.» Malgré l’aide de ces machines, impossible en tout cas d’anticiper le résultat final des rubans dont la conception est aujourd’hui assistée par ordinateur. «Il y a toujours un gros travail de mise au point sur les métiers au moment du tissage. Le résultat n’est jamais tout à fait ce qui était prévu par le logiciel spécial que nous avons inventé nous-mêmes, tout aussi pointu soit-il. Le fil est constitué d’une multitude de brins. C’est une matière vivante. Notre savoirfaire manuel est capital.» Il est aussi un gage de survie: la rubanerie telle qu’on la pratique ici est un métier de tradition dans un secteur qui demande une adaptation permanente (lire page 56). Un savoir-faire qui, dans le contexte de la crise industrielle et textile en France, repose sur un équilibre fragile. Tout chez «Julien Faure» est sans cesse à préserver, à réinventer. Le génie artisanal, qui tient à un fil. Grâce à son partenariat avec «Julien Faure» depuis 2009, Tudor propose neuf bracelets tissés inédits et exclusifs E n 2010, Tudor a été la première grande marque à lancer le bracelet tissu, jusque-là le domaine de quelques collectionneurs inspirés de la montre militaire. Depuis, la marque genevoise a été copiée par beaucoup d’autres. «C’est le principe du bracelet OTAN amélioré, explique Christophe Chevalier, le porte-parole de la marque qui propose une gamme de montres entre 2000 et 6000 francs. Nous sommes les premiers à avoir eu l’idée de faire un bracelet en tissu inspiré du monde des connaisseurs très pointus. Sur cette base-là, nous voulions donner toutes ses lettres de noblesse au bracelet tissu. Il fallait donc un métier d’art pour cela. C’est naturellement que nous nous sommes tournés vers «Julien Faure».» Le rapprochement a lieu en 2009, le premier produit exclusif sort en 2010. «Aucune autre maison du luxe n’avait à ce moment-là cette approche somme toute un peu iconoclaste. Nous souhaitions anoblir ce bracelet grâce au raffinement des tissages.» Le premier bracelet tissu Tudor fabriqué est aussi inspiré du monde de l’automobile vintage et des ceintures de sécurité anciennes. Avec la possibilité de régler facilement la longueur et de prê- ter facilement la montre de Monsieur à Madame. Et vice-versa. Le lien avec la montre militaire demeure en tout cas très présent dans l’identité de la marque 100% suisse (à l’exception des bracelets tissus fabriqués en France). Notamment avec les modèles «Heritage Black Bay», directement inspirés des montres Tudor qui ont équipé entre autres la Marine française pendant des années. «La collection Heritage est la colonne vertébrale du nouveau Tudor, précise Christophe Chevalier. Nous proposons systématiquement ces montres avec deux bracelets, dont un en tissu.» Car ces bracelets tissés font dorénavant partie intégrante de la nouvelle signature Tudor. Les designers de l’horloger travaillent en collaboration étroite avec les techniciens du rubanier. Ensemble, ils ont créé neuf bracelets tissus différents. Chaque montre Tudor de la ligne Heritage a son propre bracelet tissé, qui correspond à son univers, du fonctionnel des montres de plongée notamment à celui de la mode de luxe et de la joaillerie. En dehors du bracelet «camouflage», Tudor propose entre autres un bracelet à la dominante bleue (la couleur d’origine Tudor), finement alvéolé façon nid-d’abeilles avec deux couleurs: une chaîne (la longueur du ruban) noire, agrémentée d’une trame (la largeur du ruban) bleue. Autre merveille: le bracelet de soie noir façon smoking. 640 fils entrelacés, la limite des machines «Julien Faure». «A chaque demande de Tudor, nous avons répondu: «C’est possible, mais il faut nous laisser du temps», rigole l’actuel directeur. Pour le bracelet 640 DR «Anoblirlebraceletgrâce auraffinementdestissages» TUDOR Heritage Ranger sur bracelet en tissu camouflage «Julien Faure». fils, sorti en 2013, il a fallu par exemple six mois de conception. Avec des moments de doute, tant la difficulté technique était grande.» Et ce sont les bracelets fabriqués pour Tudor qui rendent les employés du rubanier le plus fiers. Malgré l’usage sportif qui peut être lié au port des montres de la marque, les bracelets en tissu ne bougent pas d’un fil. «Nous avons relevé le défi de fabriquer des rubans d’une grande finesse et d’un immense raffinement, mais aussi très solides et donc durables, poursuit Julien Faure. Toute l’industrie horlogère a voulu copier Tudor. Souvent en ayant recours à des fabricants qui utilisent des métiers à tisser automatiques avec des fils beaucoup plus gros. Ce n’est de loin pas la même qualité au final, et donc pas la même tenue dans le temps.» P. C. > Suite en page 56 56 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe 150 ans de savoir-faire «Jacquard» PHOTOS: VERONIQUEBOTTERON.COM > «Julien Faure» utilise la technique de tissage inventée en 1801 Détail de l’ourdissage. Le fil qui servira au tissage est «ourdi» dans les ateliers pour constituer un «billot» à partir de plusieurs dizaines de fils. En dehors du fil de base, fabriqué et teint à l’extérieur, tout est fait sur place. Les matières principales sont la soie (120 coloris différents), la viscose et le coton. Le fil est livré en écru. Pour la soie, il est acheté à des transformateurs français et italiens qui se fournissent eux-mêmes en Chine. Il est ensuite teint localement, par un teinturier qui est l’un des derniers à posséder le savoirfaire. Première étape avant le tissage, l’ourdissage: le fil est ourdi, c’est-àdire enroulé sur des bobines pour former un ensemble de plusieurs centaines de fils parfaitement parallèles entre eux et qui constitueront la «chaîne» (la longueur du ruban). Ce fil est aussi enroulé sur des canettes, qui seront placées dans les navettes pour constituer la trame du ruban (sa largeur). La chaîne est ensuite installée sur le métier à tisser, reliée à «la mécanique Jacquard» par les lisses: chaque fil de chaîne est passé à la main, un par un, dans cette petite barrette métallique percée d’un trou. Ces mêmes fils sont ensuite passés dans le même ordre à travers le peigne, qui va maintenir les fils de chaîne en place pendant le tissage. Actionnée à l’aide du carton perforé, la mécanique Jacquard permet de lever ou de baisser chaque fil de chaîne indépendamment de tous les autres. Il s’agit du même principe que pour un orgue de Barbarie. Un trou sur le carton, le fil reste en place. Pas de trou, le fil descend. C’est le langage binaire inventé par le Lyonnais Joseph Marie Charles dit «Jacquard» en 1801, l’ancêtre du langage informatique. Certains métiers à tisser «Julien Faure» ont été modernisés grâce à l’informatique pour une finesse de détail dans les motifs encore plus grande. Des ordinateurs ont été greffés au sommet des métiers antiques. C’est la même technique Jacquard mais à la place des cartons qui «dictent» le dessin, un ordinateur pilote un boîtier: au lieu des trous du carton, ce sont des guides qui indiquent aux fils de quelle façon se croiser pour produire un motif. Ce dernier est tissé grâce aux «navettes», qui font des allers et retours à travers la chaîne. Elles passent l’une après l’autre pour constituer le fond et les teintes du motif, en convertissant le dessin en croisement de fils. Cette technique «navette» permet des rubans aux lisières parfaites, et une grande finesse de détails: un mélange de brillance et de relief d’une subtilité unique. P. C. Uneadaptationpermanente,legagedelasurvie Les mutations de l’industrie textile et des marchés obligent la rubanerie à se réinventer sans cesse A l’origine, les rubans servaient d’accessoires pour les chapeaux, les chaussures, les vêtements, etc. Mais le principal débouché, jusque dans les années 60, était le linge de maison. Un marché qui a disparu presque totalement aujourd’hui. Les années 60-70 ont provoqué une grave crise, avant que l’industrie de la mode ne sauve les rubaniers, vers le début des années 80. Sur ses cent premières années d’activité, «Julien Faure» n’a pas eu de modification majeure à apporter à son outil de production. Certains métiers à tisser de l’époque de la création de l’entreprise (1864) tournent toujours dans l’atelier. Mais en plus de la crise des années 60-70, l’entreprise a dû faire face à une rupture technologique qui a fait disparaître toute une partie de l’industrie rubanière. Au début des années 70, l’entreprise suisse Müller à Frick, qui jusque-là fabriquait des métiers à navettes pour les rubans, a trouvé un procédé beaucoup plus rapide, qui a radicalement changé le paysage de l’industrie textile. C’est aujourd’hui le principal fabricant de métiers à tisser modernes de ru- bans. Mais ses machines ne correspondent pas au savoir-faire «Julien Faure», dont l’activité est trop marginale pour que le fabricant suisse maintienne la fabrication des métiers Jacquard traditionnels. «Nous avons failli disparaître au moment de ce changement technologique, explique Julien Faure. Nous avons tenté de suivre en achetant ces machines modernes qui tissent dix à vingt fois plus vite. Or nous ne produisons pas les très grosses quantités pour lesquelles elles sont conçues. Il nous était donc impossible de les rentabiliser.» Le rubanier les revend rapidement. Quand toute l’industrie du ruban tourne le dos à la technique ancestrale du tissage, «Julien Faure» est l’un des rares à maintenir le cap, en rachetant notamment des métiers traditionnels, dont se débarrassaient alors ses concurrents. Un pari payant: «Nos machines permettent des choses – une finesse – que les machines modernes ne peuvent pas faire, se réjouit le directeur. Les gens de Tudor sont venus nous voir, car ils cherchaient un produit textile ultra-spécifique. Quelqu’un leur avait dit: si vous voulez quelque chose que personne ne fait, allez voir «Julien Faure».» Au début des années 90, l’entreprise se retrouve une nouvelle fois à la croisée des chemins. Trop compliqué de continuer à acheter de vieilles machines et de les maintenir. «Nous avons alors décidé de fabriquer nous-mêmes nos propres outils», relève avec fierté le directeur. «Julien Faure» est aujourd’hui la seule entreprise au monde à posséder des métiers de tissage à navettes entièrement sur mesure. Une trentaine au total. «Nous avons développé de nouvelles machines, mais aussi le logiciel de conception assistée par ordinateur qui nous a permis d’évoluer pour répondre à la demande des clients, c’est-à-dire des produits qui ne se faisaient pas avant. Sans l’informatique, nous aurions mis beaucoup trop de temps pour répondre à leurs attentes.» Dans cette entreprise – labellisée «patrimoine vivant» –, à la fois d’un autre âge et résolument tournée vers l’avenir car en adaptation constante, une chose a été oubliée en route: la communication. «Le faire-savoir est aussi important que le savoir-faire, reconnaît Julien Faure. Nous avons négligé cet aspect-là.» Mais le bouche-à-oreille fonctionne. Et de nouveaux marchés à usage technique apparaissent. Celui par exemple de sangles tissées avec des fils métalliques qui ont des propriétés spécifiques, de la fibre optique, etc. «Impossible à faire sur des métiers modernes, note Julien Faure. Du coup on se tourne vers des gens comme nous. Et en termes de personnalisation pour l’industrie de la mode, tout est possible ici. Les motifs, ce n’est rien d’autre qu’un croisement de fils…» Le patron de PME se dit toujours convaincu qu’il existe un avenir pour l’industrie en France, «sinon j’aurais délocalisé, comme tout le monde. Mais la recherche d’authenticité est un grand mouvement actuel, qui bénéficie à des entreprises comme la mienne. Cela dit, il reste difficile d’attirer du personnel, des capitaux, même si les gens sont sensibles à ce discours. C’est encore très compliqué mais ça viendra. Les mutations de l’industrie et des marchés montrent que c’est une performance pour une entreprise de vivre 150 ans.» P. C. Ci-dessus, de gauche à droite: vue arrière d’un métier qui tisse plusieurs dizaines de rubans à la fois. Un détail des lisses qui permettent de «piloter» individuellement chacun des fils du ruban tissé. <wm>10CAsNsjY0MDQx0TU2MzEwNAQAXf3R0A8AAAA=</wm> <wm>10CAsNsjY0MDQx0TU2s7AwMgMAPdVdIQ8AAAA=</wm> <wm>10CFWLuw6AMAwDvyiVnSbl0RF1QwyIvQti5v8nAhuDpZN8t67VE74tbTvaXgmaSS4Gso6qCTawUm1IaiUIyBrOTDcPmMovEaDkgP46Qghyp0v89A54us_rAZFPkMp1AAAA</wm> <wm>10CFWLMQrDMBAEX3Rid3U6y1EZ1AkXJr2akDr_ryynS7EwMLNjtJLw27Mfr342gu6Wo1ZFq1KCb2yUb0keiyhoNQ8WuPIe9e9iQGQH590YacJkMeTlp3xP3_fnAgFeHbl1AAAA</wm> Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe JUBILÉ PatekPhilippe GrandmasterChime: 175ansd’inventivité PHOTOS: PATEK PHILIPPE 58 Réversible et dotée de deux cadrans, la Grandmaster Chime 5175 est, à ce jour, la montre-bracelet la plus compliquée proposée par la manufacture. En plus de l’heure et d’un second fuseau horaire, elle emporte au cœur de son calibre manuel 20 complications, dont: une grande sonnerie, une répétition minutes, une alarme sonnant l’heure, une répétition de date, un quantième perpétuel avec année à quatre chiffres. Ci-dessous, en détail: l’affichage du second fuseau horaire sur 24 heures, l’année à quatre chiffres en guichet. Chacune des anses de la montre est dotée d’un mécanisme comprenant 30 composants, permettant au porteur de la retourner pour profiter du second cadran et de son affichage. Les montres présentées par Patek Philippe pour ses jubilés se veulent des jalons dans l’histoire de l’horlogerie. La Grandmaster Chime renferme 20 complications, qui ont toutes une histoire les rattachant à celle du métier, à celle de la manufacture. Par Vincent Daveau D ans l’univers des montres à complications, un nom vient immédiatement aux lèvres à leur simple évocation. Celui de Patek Philippe, maison connue et reconnue par les collectionneurs pour ses pièces ayant comme signe particulier d’échapper au temps qui passe (lire dossier dans le hors-série horlogerie du 29 mars 2014). Afin de parvenir à impacter pareillement les esprits, la manufacture a tout mis en œuvre, depuis pratiquement sa fondation, pour célébrer l’art des horlogers dans ce qu’il a de plus accompli. La Grandmaster Chime référence 5175 fait la part belle à l’heure dite en musique. Considérée souvent comme la complication la plus aboutie par les professionnels eux-mêmes, celle de Grande Sonnerie à trois timbres n’avait jamais été intégrée dans une montre-bracelet de la marque, pas plus que son organe de sélection du mode de sonnerie original (Grande Sonnerie – Petite Sonnerie – Silence). Rare, cette spécialité a été mise au point pour une montre de poche en 1890 et pour une autre réalisée en 1895, aujourd’hui visible au musée Patek Philippe. L’heure en musique Cette façon de sonner l’heure est de toutes la plus ancienne car, ri- valisant avec le temps ecclésiastique, elle s’est imposée assez tôt au beffroi des villes puis s’est retrouvée durant le XVIe siècle dans quelques horloges de prix. Ce mécanisme est par conséquent antérieur à celui de répétition à la demande mis au point par l’horloger anglais Daniel Quare (1649-1724) à la fin du XVIIe siècle. Cette complication est intimement associée à la manufacture Patek Philippe car, cinq mois déjà après sa fondation en 1839, la 19e montre produite par l’entreprise était une référence à la répétition à quarts. Il était par conséquent logique de retrouver cette façon de dire l’heure dans la Grandmaster Chime, mais dans sa version la plus achevée de répétition minutes, un assemblage subtil permettant à la montre de sonner à la demande de son propriétaire: l’heure, les quarts et les minutes sur des timbres fils dont l’invention en 1783 revient à Abraham Louis Breguet. Pour mémoire, la première pièce de ce type produite par la maison, qui à l’époque ne portait pas encore la raison sociale Patek Philippe, l’a été en juillet 1845. Depuis, cette construction parmi les plus rares du marché fait partie des grandes spécialités de la manufacture dont les ateliers sont installés depuis 1996 à Planles-Ouates, dans le canton de Ge- nève. Convaincue d’avoir une vraie légitimité avec le temps sonné, la marque est allée plus loin en matière de complication dite en musique. Voilà pourquoi elle propose, au cœur de la Grandmaster Chime, deux autres fonctions totalement originales et brevetées faisant appel à des notes: le mécanisme d’alarme sonnant l’heure, et la répétition de la date. La première fait appel à un système mécanique permettant de faire sonner, à une heure d’alarme préalablement choisie, l’heure qu’il est à l’aide du mécanisme de la répétition minutes, en frappant le nombre d’heures, de quarts et de minutes écoulés depuis le dernier quart. La seconde utilise un dispositif original intégrant un différentiel de sonnerie (innovation non brevetée) capable de venir chercher l’information de la date sur le quantième perpétuel pour la transmettre au mécanisme d’indication acoustique de la répétition. Mécanisme magnifique Et de date parlons-en, car sa présentation de façon perpétuelle au cadran d’une montre fait totalement partie de l’identité de Patek Philippe. A tel point que la manufacture serait la première à l’avoir proposée en 1925 dans une montre-bracelet mise au point à partir d’une montre de dame datant de 1889 (visible au musée Patek Philippe). Cette construction qui demeure l’une des préférées des collectionneurs se retrouve également dans la Grandmaster Chime. Cette pièce d’exception est ici dotée, en sus, d’un magnifique mécanisme permettant à toutes les indications du calendrier de sauter de manière instantanée et synchronisée. Par désir d’être complet, le système intègre un rappel de date affiché autour de la phase de lune sur la seconde face de la montre. Et parce qu’il n’y suffisait pas, ce calendrier dispose d’une présentation de l’année en cours à quatre chiffres. Cette façon de faire – brevetée pour l’occasion –, mais déjà présente au sein de la manufacture en apparaissant au cadran de la Calibre 89, demeure toutefois une signature visuelle plutôt associée à une marque concurrente. Une réversibilité inédite D’autres complications sont embarquées dans cette montre-bracelet produite à sept exemplaires (dont six déjà vendus) et considérée par la manufacture comme la plus compliquée construite par ses soins. Si l’affichage du second fuseau horaire semble presque banal tellement il est courant, celui permettant de connaître la position dans laquelle se trouve la couronne de remontoir l’est moins, même s’il se trouvait sur la montre de poche Calibre 89 proposée par la Maison pour son 150e anniversaire. Evidemment, les bonnes idées sont souvent partagées puisque Richard Mille en a proposé une interprétation en 2001 avec la RM 002. Cependant, Patek Philippe a, de facto, l’antériorité. Cela contentera les six adeptes susceptibles de payer les quelque 2,5 millions de francs suisses pour s’offrir cette montre de 47,4 mm de diamètre au mécanisme de réversibilité de la carrure inédit et breveté. Cette construction originale s’avère une façon intéressante d’éviter toute lassitude et d’assurer une lisibilité optimale en ne surchargeant pas les cadrans travaillés avec un soin tout particulier, ne serait-ce que pour rappeler les origines de la famille Stern qui, avant de racheter la manufacture en 1932, était propriétaire d’une fabrique baptisée «Cadrans Stern Frères». Ce qui prouve qu’en plus de donner l’heure, une montre bien née se révèle toujours un pur concentré d’histoire. “Des vacances balnéaires de rêve ” Anantara Layan Resort & Spa ooooo PHUKET | LAYAN BEACH Un joyau sur l’une des plages de Phuket les plus belles et paisibles. 1 semaine par personne à p. de CHF 2044, p. ex. le 15.12.14 › globusvoyages.ch/h-76228 <wm>10CAsNsjY0MDQx0TU2Mzc2MgMAiiprdQ8AAAA=</wm> <wm>10CFXKIQ7DMAwF0BM58v-xk7iGVVlVUJWHTMO7P9pWVvDY2_f0ord1O67tTCjMpLZe2XKQRa0naL3QEkDwFxYNDoa7P76otmqK-T8CCGJqCLvomM1ZPq_3F8nfCA5yAAAA</wm> Le Touessrok oooooo ÎLE MAURICE | TROU D’EAU DOUCE Luxe, gastronomie et service par excellence. 1 semaine par personne à p. de CHF 2837, p. ex. le 16.1.15 › globusvoyages.ch/h-1955 Coco Bodu Hithi ooooo MALDIVES | ATOLL DE MALÉ NORD Luxueux complexe distillant une ambiance élégante et raffinée. 1 semaine par personne à p. de CHF 3865, p. ex. le 10.1.15 › globusvoyages.ch/h-9154 Hilton Seychelles Labriz Resort & Spa ooooo SEYCHELLES | SILHOUETTE Cadre alliant confort et luxe le long d’une plage de sable blanc sublime. 1 semaine par personne à p. de CHF 2915, p. ex. le 20.1.15 › globusvoyages.ch/h-75877 VO U S P O U V E Z R É S E R V E R C E S O F F R E S DA N S N O S LO U N G E S G LO B U S VOYAG E S À | B E R N E | G E N È V E | L A U S A N N E | LU C E R N E | ZO U G | Z U R I C H | PA R T É L É P H O N E A U 0 5 8 5 6 9 9 5 0 7 A I N S I Q U E DA N S TO U T E S L E S B O N N E S AG E N C E S D E VOYAG E S. www.globusvoyages.ch 60 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe À TABLE! Le formidable chef du Vertig’O, à Genève, récemment distingué par le guide Gault & Millau 2015, a concocté un menu de roi pour les lecteurs du «Temps»… Par Véronique Zbinden. Reportage photographique: Véronique Botteron LemenudeFêtesdeJérôme Q u’on ne vienne pas lui parler de ces assiettes contemporaines éthérées où le produit se résume à une ombre filiforme. Les siennes font honneur à tous les sens. Un vertige de saveurs. Un tendrissime chevreuil rosé, pané d’une couche croustillante de cornes d’abondance, une nuée de parfums de saison: potiron, châtaigne, betterave… Ou ces délicates Saint-Jacques recouvertes d’un voile léger de lard de Colonnata et soulignées par un camaïeu de fruits secs. Deux des plats signés Jérôme Manifacier, à déguster dans l’écrin cosy de son Vertig’O, ou à tenter pour les Fêtes, selon les recettes ci-après. Voire cette somptueuse bûche revisitée, étincelante de légèreté et de blancheur, aux notes d’agrumes et de coco. Le chef genevois aux origines avignonnaises y pratique une cuisine de produits, de pureté et de générosité, pleine de saveurs, qui ne s’effarouche pas devant des mots comme «terroir» ou «cuisine bourgeoise». Qui n’aspire pas au dépouillement à tout va et ne voit pas pourquoi il faudrait s’interdire d’inscrire une blanquette de veau au menu du jour… «Avec cette mode de la bistronomie, on ne sait plus où on est, ni ce qu’on mange: un restaurant est bon ou pas, point. Au diable les étiquettes!» Pour sa belle créativité et sa rigueur, la limpidité de sa cuisine, pour les associations terre-mer qu’il affectionne, le guide Gault & Millau 2015 vient de le distinguer et d’en faire son chef romand promu de l’année. On l’aime aussi pour sa légèreté d’inspiration et sa veine facétieuse, sa franchise et sa faconde. «Les jeunes ne connaissent plus leurs classiques, déplore le chef. Ils maîtrisent le sous-vide et les cuissons à basse température – raison pour laquelle on finit toujours par manger froid… – mais sont incapables de faire un fond ou une viande braisée.» Son cursus à lui a été des plus classiques. Ce métier s’est imposé comme une évidence. Seul dans sa lignée, Jérôme a choisi de quitter l’école à 14 ans pour entrer en préapprentissage. Issu d’une famille de gourmands et d’épicuriens, aux lasagnes inoubliables et aux cochonnailles festives, il se dit fasciné depuis toujours par «la magie de la transformation, le passage de la matière brute à des mets raffinés», l’alchimie de la beauté éphémère… Les journées sans fin à écosser des petits pois, à éplucher des montagnes de haricots n’auront pas suffi à le dissuader, comme l’espéraient secrètement ses parents, pas plus que la dureté de certaines places. Le jeune chef suit un parcours de rigueur, se peaufine auprès de plusieurs maîtres à penser, de Christian Willer, au Martinez, à Gérard Rabaey, au Pont-de-Brent. Passe par la rude école des concours, Taittinger, Bocuse, tente le MOF (Meilleur Ouvrier de France) et échoue au dernier barrage… Un parcours et une vista qui l’ont amené à doter cette table surgie du néant – avant son arrivée en 2006, l’Hôtel de la Paix n’avait jamais brillé par la qualité de sa cuisine – d’une première étoile Michelin en 2009, d’un 17 au Gault & Millau. Noix de Saint-Jacques de Dieppe, douceur de lard de Colonnata et fruits secs Ingrédients pour 8 personnes 16 belles noix de Saint-Jacques 16 sablés 3 poires 6 noix fraîches épluchées 16 tranches de lard de Colonnata (petites et très fines) 20 cerneaux de noix 1 pomme (épluchée et coupée en cubes) 100 g de fond blanc de volaille Huile de noix 1 endive fraîche relever de poivre noir pour obtenir la sauce poire. Cuire à feux doux les 20 cerneaux de noix et la pomme, en mouillant à hauteur avec le fond blanc, une dizaine de minutes. Réduire presque à sec, puis mixer et assaisonner pour obtenir la sauce aux noix. Assaisonner les poires à l’huile de noix et au poivre noir. Colorer les Saint-Jacques, à peine salées, des deux côtés ensuite; hors du feu, déposer une fine feuille de lard sur chaque Saint-Jacques et réserver. Préparation Préparer les sablés, selon la recette ci-dessous. Détailler 24 cubes de poire de 1 cm de côté; réserver les parures. Cuire les parures de poire au beurre pour obtenir une compote; mixer et Dressage Déposer deux quenelles de compote de poire sur chaque assiette et ajouter de manière harmonieuse trois cubes de poire, puis deux demi-cerneaux de noix fraîche sur chaque assiette. Disposer ensuite deux sablés par assiette et dessiner quelques points de sauce noix. Passer les Saint-Jacques une minute à peine sous la salamandre pour les réchauffer puis en déposer une sur chaque sablé. Ajouter quelques petites feuilles d’endives pour le croquant et servir. Recette des sablés (pour 18 pièces) 100 g d’avoine 50 g de sucre 35 g de farine 90 g de beurre 30 g d’œufs Une râpée de vanille Mélanger tous les ingrédients au batteur. Former 18 boules et les disposer dans des emporte-pièce de 3 cm de diamètre; cuire environ 5 minutes à 200° dans des moules ronds individuels. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Délicatesse blanche aux notes d’agrumes Manifacier Croustillant de blanc de coco 135 g de chocolat blanc 15 g de beurre de cacao 1/2 zeste de citron 35 g de paillette feuilletine 20 g de poudre noix de coco caramélisée 30 g de coco gold 15 g de coco croquante avec chili 1 g de fleur de sel Faire fondre le chocolat et le beurre de cacao au bain-marie, puis ajouter un à un les autres éléments. Mousse de noix de coco au Malibu 300 g de pulpe de coco 15 g de Malibu 6 g de gélatine 55 g de blancs d’œufs 60 g de sucre 150 g de crème fouettée Mélanger la pulpe de coco et le Malibu. Ajouter la gélatine fondue. Mélanger à froid et ajouter les blancs d’œufs montés en neige avec le sucre et la crème fouettée. Biscuit dacquoise coco/citron vert 210 g de sucre glace 135 g de poudre d’amande 105 g de noix de coco fraîche râpée 80 g de sucre semoule 235 g de blanc d’œufs 1 zeste de citron vert Monter les blancs d’œufs avec le sucre. Ajouter la poudre d’amande, la noix de coco râpée et le sucre glace. Ajouter enfin les zestes de citron et cuire 25 minutes a 165°. Montage de la bûche Chemiser un moule à bûche avec la mousse noix de coco, puis laisser prendre au froid. Répartir la sauce pamplemousse froide par-dessus et laisser prendre au frigo. Continuer avec une couche de mousse coco puis une bande de biscuit dacquoise au milieu, puis une nouvelle couche de mousse coco. Faire à nouveau prendre au frigo et terminer avec le croustillant abaissé à environ 0,5 cm d’épaisseur. Jus de pamplemousse 250 g de jus de pamplemousse frais 60 g de sucre 3 g de pectine 40 g de gin Démouler et parsemer de copeaux de noix de coco râpée et de quelques zestes de pamplemousse. A noter que ceux que la complexité de cette exquise recette rebuterait peuvent aussi la commander – un peu à l’avance – au Vertig’O, où elle sera proposée à l’emporter durant les Fêtes. Vertig’O, Hôtel de la Paix, 11, quai du Mont-Blanc, 1211 Genève, tél. 022 909 60 00. Noisettes de chevreuil aux cornes d’abondance, potiron et châtaigne Ingrédients pour 8 personnes 1 selle de chevreuil 200 g de cornes d’abondance 50 g d’échalote ciselée 400 g de courge muscade 2 belles betteraves cuites 24 gnocchis à la châtaigne 200 g de sauce grand veneur 100 g d’airelles 80 g de chapelure blanche 100 g de beurre 3 jaunes d’œufs Préparation Lever les filets de la selle et les garder au frais. Laver les cornes d’abondance et les faire revenir au beurre avec de l’échalote, avant de les sécher au four une heure durant à 80°. Mixer finement avec la chapelure blanche et placer dans un torchon. Détailler des rectangles de courge de 6 cm sur 2, pas trop épais, les cuire à feux doux avec un peu d’eau et de beurre, en les laissant légèrement croquants; assaisonner. Réserver au froid. Faire suer les parures de courge au beurre et cuire doucement pour obtenir une purée; mixer et assaisonner. Monter des millefeuilles de courge avec la purée et les rectangles Couper les deux betteraves en cubes de 1 cm et les faire suer au beurre et au poivre noir. Poêler les gnocchis de châtaigne. Couper les filets de chevreuil en portions; assaisonner de sel, de poivre et de baies de genièvre. Passer ensuite dans le jaune d’œufs et paner les filets avec la chapelure des cornes d’abondance. Cuire le chevreuil 8 minutes sur une plaque beurrée au four chaud à 230°, puis le laisser reposer 8 minutes au minimum. Chauffer les millefeuilles de courge. Chauffer la sauce grand veneur. Passer au beurre vos airelles avec un peu de sucre et une pointe de vinaigre. Dressage Sur chaque assiette, déposer un millefeuille de courge, les dés de betterave et les gnocchis; parsemer d’airelles. Répartir enfin le gibier sur les assiettes, en nappant de sauce, ou servir celle-ci à part. 61 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe INTERVIEW SECRÈTE Jeff Leatham, qu’avez-vous Dans chaque numéro, Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été et de ses rêves. Une manière de mieux comprendre l’adulte qu’il ou elle est devenu(e). Plongée dans le monde de l’imaginaire. L e 3 novembre dernier, Jeffrey Brett Leatham – de son vrai nom – a reçu les insignes de Chevalier des Arts et des Lettres à Paris. Ce n’est pas tous les jours que l’on adoube un fleuriste au nom de la République. Fleuriste n’est sans doute pas le terme le plus adéquat d’ailleurs pour qualifier ce chevalier des fleurs, directeur artistique du George V à Paris. Quand on grandit dans une famille mormone, à Ogden dans l’Utah, aux Etats-Unis, on n’a pas trente-six mille opportunités pour sortir du rang. A moins de ne jamais y entrer. Ce fut le cas de ce garçon qui vouait un culte à Marilyn Monroe et rêvait de devenir Wonder Woman. Jeff Leatham est allé chercher les lumières de la notoriété à Los Angeles, d’abord. Il vécut la vie errante des mannequins pendant deux ans et demi. Jusqu’au jour où, au bluff il a postulé au Four Seasons de Beverly Hills, qui ouvrait une boutique de fleurs. Il ne connaissait rien à l’art floral, mais il a été engagé. Il a commencé par nettoyer la boutique, puis il a appris. Il s’est fait un nom grâce aux gigantesques bouquets posés en équilibre dans des vases gigantesques ornant la réception de l’hôtel George V à Paris qui viennent en regard des tapisseries des Flandres du XVIIe siècle du hall. Ses gerbes de fleurs penchées, comme si elles allaient sortir du vase et vivre leur vie, ont inspiré depuis tous les fleuristes d’hôtels. Ce ne sont pas moins de 12 000 fleurs que commande le Four Seasons toutes les semaines à des marchands d’Amsterdam pour son directeur artistique. Une alliance vertueuse: tandis que le groupe était reconnu pour l’excellence de sa mise en scène florale, Jeff Leatham asseyait sa notoriété. L’industrie du luxe est venue le chercher pour créer des vases, des bougies, des ambiances florales dans ses boutiques. Il a fait l’objet d’une émission de télévision américaine – Flowers uncut – diffusée sur Discovery Channel. Une jolie manière de semer le beau… DR 62 Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 faitdevosrêvesd’enfant? Le Temps: Quel était votre plus grand rêve d’enfant? Jeff Leatham: J’avais deux rêves: devenir un acteur célèbre et être un Indien. J’ai grandi à Ogden, dans l’Utah près des canyons, avec plein de copains qui eux étaient de véritables Indiens d’Amérique. L’été, on le passait dans un ranch. Je m’imaginais être comme eux, en chevauchant sur les collines, dans ce magnifique paysage avec mes petites chaussures en peau. Pour la petite histoire, quand j’ai quitté l’Utah à l’âge de 19 ans pour aller faire carrière à Los Angeles, mes parents m’ont offert une très belle bague en turquoise fabriquée par les Indiens Navajo. Je ne l’ai jamais plus ôtée de mon doigt. Cela fait trente ans que tous les matins au réveil je la regarde et repense à ce désir de devenir un Indien. Qu’est-ce qui vous attirait vers ce peuple? L’état brut. Le fait qu’ils habitaient dans cette nature à l’état brut, leur manière de s’habiller, leur histoire, leur culture, toutes ces choses. Quand j’y pense, d’une manière détournée mes rêves d’enfant se sont réalisés. Je voulais absolument devenir un acteur, passer à la télévision, pour être connu. Et aujourd’hui, je suis connu pour ce que je fais dans un tout autre domaine. On n’obtient pas toujours exactement ce que l’on espérait de la vie, mais souvent, si l’on sait persévérer, si l’on a la passion de ce que l’on fait, sans jamais oublier la patience, la chose la plus importante de toutes, les choses reviennent vers vous. Les Indiens ont une relation spirituelle avec la nature, cela vous a-t-il influencé dans le choix de votre métier? Oui, probablement un peu, car j’ai toujours été très proche de la nature. De plus mon père était un extraordinaire professeur de biologie, il enseignait les animaux, les insectes, les arbres, les plantes à ses élèves. La nature m’environnait. Je trouve assez drôle d’être connu aujourd’hui pour mon travail où se mêlent nature et design. Quel métier vouliez-vous faire une fois devenu grand? J’ai probablement toujours dit que je voulais être connu. J’ai des souvenirs d’enfance avec mes cousins tous assis en rond autour de moi qui me regardaient imiter les pubs ridicules qui passaient à la télévision américaine de l’époque. A l’école, j’ai toujours été celui qui faisait le pitre et courait partout. Aujourd’hui, je me retrouve à faire des shows à la télévision devant des milliers de personnes. C’est différent mais à la fois si semblable. En fait quand je suis venu à Paris pour la première fois à l’âge de 22 ans, j’étais un pauvre mannequin affamé arpentant les rues de Paris. Et me revoilà aujourd’hui dans cette même ville vivant quelque chose de si différent. C’est étrange les raccourcis que prend la vie. Vous viviez déjà à Paris quand vous aviez 22 ans? Oui, de 22 à 24 ans je faisais du mannequinat entre Milan et Paris, vous savez, ces allers et retours incessants pour essayer de percer. Ce qui est étrange c’est qu’aujourd’hui je travaille avec les mêmes personnes que j’avais rencontrées à l’époque, celles qui me faisaient passer des castings. Mais aujourd’hui, je suis moi aussi designer. Quand je marche dans les rues de Paris en me rendant au George V, et que je vois ces modèles avec leurs books sous le bras, qui courent les castings à leur tour, je me dis: «Les pauvres!» Car je sais combien leur chemin est difficile. Quel était votre jouet préféré? Les jouets Star Wars! Ça a toujours été Star Wars. J’adore le concept. En fait j’aime tout ce qui me permet d’échapper au monde réel et qui provoque des émotions. Enfant, j’étais obsédé par tout ce qui touchait à cette saga, les personnages, les objets, les jouets, absolument tout. J’ai même nommé mon chien d’après un des personnages: je l’ai appelé Yoda. C’était un chien très laid et tout gris, ce nom lui allait à merveille. J’avais toutes les figurines, tous les accessoires, tout ce qui avait trait à la saga de Star Wars. Un enfant typique des années 80. Les avez-vous gardés? Bien sûr! Encore aujourd’hui mon bien le plus précieux est une couverture confectionnée par ma mère qui représente Luke Skywalker et Chewbacca. Je devais avoir 10 ans quand ma mère l’a faite et je l’ai toujours. Je suis sûr que je pourrais la vendre très cher sur eBay (rire). A quel jeu jouiez-vous à la récréation? Vous savez, je viens d’une banlieue typiquement américaine, où toutes les maisons sont dans une même rue et donc mon jeu favori c’était de jouer à cache-cache avec les voisins. Grimpiez-vous aux arbres? Absolument! Je grimpais aux arbres. Je faisais aussi des igloos avec la neige en hiver. J’aimais vivre dehors, dans le jardin, à construire plein de choses avec des feuilles et des branches. Je construisais des cachettes où je pouvais m’isoler dans mon monde, des grottes de neige ou de feuilles. Et quand j’ai eu environ 13 ans, je suis tombé amoureux de l’image de Marilyn Monroe. Mes parents avaient une petite pool house que j’avais tapissée de centaines de photos de Marilyn. Un sanctuaire à son «J’avais une obsession pour Wonder Woman. Cela aurait d’ailleurs dû alerter mes parents (...) Elle était fabuleuse quand elle volait dans son avion en plexi!» Jeff Leatham effigie. En fait le côté glamour de Hollywood fascinait le petit enfant que j’étais. Je pense qu’au plus profond de moi c’est la raison pour laquelle je voulais devenir une célébrité et partir pour Los Angeles. Vous savez quand vous grandissez dans une famille mormone dans l’Utah, vous vivez d’une certaine façon. J’ai eu une famille formidable, je n’ai jamais manqué de rien, mais il me manquait ce glam. C’est ce qui m’a fasciné chez Marilyn Monroe, elle était la quintessence du glamour. A quoi pensiez-vous quand vous aviez atteint la cime des arbres? C’était le fait de réussir à monter dans l’arbre qui m’attirait, plutôt que faire quelque chose une fois arrivé là-haut . Je pense qu’il y avait aussi un peu de voyeurisme de ma part, car en haut, on surplombait tout le monde, on pouvait observer sans être vu, et tout prenait une autre dimension. Il y a aussi sans doute un parallèle avec mes idées de grandeur et ma manie de jouer à cache-cache. J’ai toujours aimé me dissimuler à l’intérieur des choses. En un sens, toute ma vie j’ai fui quelque chose, je ne sais pas trop à quoi je veux échapper… Peut-être à moimême. Beaucoup moins avec le temps. Quelle était la couleur de votre premier vélo? Noire. Tout dans ma vie est noir. Même aujourd’hui, ma maison est toute noire. Enfant, j’avais des goûts assez particuliers: à 9 ans, ma bicyclette était noire, j’avais demandé à mes parents que le sol de ma chambre soit comme des carrés noirs. Le noir est une couleur qui a toujours été très importante dans ma vie. Parce qu’il permet d’exalter les autres couleurs? Oui, je crois. Pour moi, le noir est l’image du chic et du glamour. Je pense que quand les gens s’habillent en noir, ils se sentent plus élégants. On peut se cacher derrière le noir. C’est l’idée d’ailleurs! On se sent cool, chic. Vous vous imaginez être un dur si vous portez un blouson noir. Et si cette enfance avait un parfum, ce serait? Je dirais Youth Dew d’Estée Lauder. Ma mère s’aspergeait de ce parfum. Quel super-héros rêviez-vous de devenir? Laissez-moi réfléchir… Je pense plus vouloir être un super-héros aujourd’hui que quand j’étais un enfant. J’ai eu mon époque Superman. Il était vraiment glamour! En fait je crois que j’étais plus attiré par Christopher Reeve que par Superman! (Rires.) Mais pour être tout à fait honnête, j’avais une obsession pour Wonder Woman. Cela aurait d’ailleurs dû alerter mes parents. Tous mes amis étaient fans de Superman ou de Batman et moi je ne pensais qu’à Wonder Woman. Je me suis imaginé être elle, bien plus souvent que je ne me rêvais en Superman. Elle était fabuleuse quand elle volait dans son avion en plexi! Et cette superbe cape dorée qu’elle jetait sur les gens pour qu’ils lui disent la vérité! C’était quand même plus sexy que Batman! Pendant les grandes vacances, vous alliez voir la mer? Bien sûr! Mes parents nous y amenaient toujours. La première fois que j’ai vu la mer c’était en Californie, où vivait ma tante préférée. De quel super-pouvoir vouliez-vous être doté? L’invisibilité, C’était ça, le pouvoir que je voulais avoir, enfant. Pour aller chez les gens et les observer vivre. Vous rêviez en couleur ou en noir et blanc? En couleur, toujours. Quel était votre livre préféré? Je crois que cela a toujours été To Kill A Mockingbird («Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur», de Harper Lee, ndlr). L’avez-vous relu depuis? Oui, la semaine dernière, j’adore ce livre. C’est mon préféré, comme le film d’ailleurs. Pourquoi? Cela me ramène à l’innocence de mon enfance, à l’innocence des enfants, leur espièglerie. Ces trois gamins qui vagabondent me rappellent tellement l’enfant que j’ai été. Vous savez, quand on court dans un jardin, qu’on rentre dans une grande maison et qu’on s’imagine qu’elle est habitée par des monstres. Cela me confronte toujours à mon passé. A chaque fois que je vois le film ou lis ce livre, je suis très nostalgique de mon enfance, de mon innocence, de la sensation d’avoir raison et de vouloir le prouver aux adultes. Et puis ce livre parle du racisme. Or dans l’Utah, nous étions quotidiennement confrontés au racisme, il y avait des enfants noirs à l’école, ils étaient souvent harcelés. Ce livre me touche profondément. Quel goût avait votre enfance? Probablement celui du chewing-gum. Savez-vous faire des avions en papier? Oui, mais très mal, je ne suis vraiment pas bon. J’ai toujours été jaloux de ces types qui savaient en faire des plus beaux que les miens. Mais bon, regardez-les maintenant… Dix gosses et pas d’avenir. Avez-vous peur du noir? Non, je n’ai jamais eu peur du noir, mais j’étais toujours dans les jupes de ma mère. Je refusais d’aller dormir chez les copains, et si j’y allais, je terminais toujours par téléphoner à ma mère à 3h du matin pour qu’elle vienne me chercher. En fait je pense que je trouvais ma chambre plus belle que celle de mes copains (rires). Vous souvenez-vous du prénom de votre premier amour? Oui, elle s’appelait Jeannette. Et de l’enfant que vous avez été? J’étais continuellement en train de me réinventer. J’ai toujours essayé d’être un autre. A mes 8 ans, j’ai eu des ennuis à l’école parce qu’un jour j’ai écrit mon nom différemment: au lieu de l’épeler J-E-F-F, je l’ai écrit J-E-OF-F. Je voulais changer d’identité tout en restant le même. Cet enfant vous accompagne-t-il toujours? Bien sûr qu’il est là! Il se sent toujours en danger. En fait il me semble que les artistes ont une grande part d’insécurité, c’est ce qui les pousse à créer, à aller plus loin. Etre sûr de soi est une chose extraordinaire, ce sentiment est très fort, mais ce sont vos insécurités qui vous poussent à aller toujours plus loin, à faire mieux, différemment. Qu’avez-vous ressenti quand on vous a remis les insignes de Chevalier des Arts et des Lettres? De la fierté, beaucoup de fierté, le fait que ma famille ait été à mes côtés était pour moi une bénédiction. J’ai la chance que mes deux parents soient vivants, ils étaient assis au premier rang durant toute la cérémonie. C’est la chose dont je suis le plus fier, être ce petit gamin du fin fond d’un ranch de l’Utah, cet Américain qui reçoit cette décoration ici à Paris c’est un grand honneur. Retranscription traduction: Dominique Rossborough 63 <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDI2NwIA2uqBLw8AAAA=</wm> <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDI2NwQAYLuItg8AAAA=</wm> <wm>10CFWLqw6AMBAEv-ia2-1dH1QSHEEQfA1B8_-KgkNMdsTOujYP-jEv27HszYsXiCpjZitkUMveQMuBFocBlQqb4MgsluIvGZOiKfr7EUBQO1yQhDrEw31eD_971fN1AAAA</wm> <wm>10CFWLqw6AMBRDv2hLex_bYJLMEQTBzxA0_68YOETTk5x2XatHfFnadrS9evHCAIhm1iISYdkrxXIU00HDCGgzDRON8nuMSmpgfyeBCKJ9AFLw0lNO8T6vB2Yy8lZ0AAAA</wm> LUXE Shopping Emmanuel Grandjean Illustrations Xenia Laffely 66 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe CADEAUX Solaires Mykita x Maison Martin Margiela, CHF 500.-. Blouson en cuir et cachemire, Didierangelo, prix sur demande, www.didierangelo.com Plume Defoe édition spéciale 2014 de la collection «Ecrivains de Montblanc», CHF 1015.-. Montre «Linea» Baume & Mercier avec un bracelet «strap» en édition limitée, prix sur demande. Broche Maria Francesca Pepe, CHF 280.sur www.colette.fr Vélo électrique M.A.S.S. 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Eau de toilette «L’Homme Idéal», Guerlain, CHF 82.- le flacon de 50 ml. <wm>10CAsNsjY0MDAx07UwNjA3NAUAZqtRUg8AAAA=</wm> <wm>10CFXMrQ6AMAxF4Sfqcm_XboNKgiMIgp8haN5f8eMQx305yxKe8DXN6z5vQcCKtIxKj6aaYDWoVpNakFQFbSR8QB5K-3kBSjawv0ZIoXZCvEr2rs_rOs4btq4x0nIAAAA=</wm> BR-X1 LE CHRONOGRAPHE HYPERSONIQUE Synthèse parfaite du savoir-faire de Bell & Ross dans le domaine des montres d’aviation et de la haute horlogerie, la BR-X1 est un instrument au design innovant fabriquée en édition limitée à 250 pièces. Léger et résistant, le boîtier en titane grade 5 est protégé par une « ceinture » en céramique high-tech et caoutchouc jouant le rôle de bouclier. Ergonomiques et innovants, les poussoirs à bascule permettent d’actionner les fonctions du chronographe plus facilement et sûrement. Sophistiqué et éprouvé, le mouvement chronographe squelette est un moteur d’exception alliant finitions de haute horlogerie et extrême légèreté. Bell & Ross Suisse: +41 32 331 26 35 | www.bellross.com | Téléchargez l’application BR SCAN pour plus d’informations 70 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe CADEAUX Ses héros piratent les réseaux numériques et révèlent la face obscure des êtres. Ambiance techno-goth pour ce best-seller du polar scandinave écrit par Stieg Larsson en 2005. Montre Hublot Classic Fusion Black Skul Full Pavé, boîtier or blanc pavé de 824 diamants noirs et blancs, prix sur demande. Boucles d’oreilles «Anelli», en diamants noirs et blancs, De Grisogono, prix sur demande. Sac à dos «Black Python», Lanvin, CHF 3000.-. Bracelet en argent, Goti, CHF 1215.chez Ma Vie sur Mars, www.maviesurmars.com Ceinture Nuit No 12, prix sur demande www.nuitnumero12.com Montre Vulcain Nautical Seventies 2014, prix sur demande. Parfum L’Incendiaire de Serge Lutens, CHF 545.-. (Lire l’interview en pages 12-13.) Appareil photo numérique Leica X «Edition Moncler», édition limitée à 1500 exemplaires, CHF 3550.sur www.leicashop.com Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Ensemble en porcelaine «Rim Vessels», design Zaha Hadid, à partir de CHF 70.- sur www.zaha-hadid-design.com Casque «Wheels & Waves», design Steven Burke pour Les Ateliers Ruby, édition limitée à 30 exemplaires, CHF 1700.- sur www.ateliersruby.com Blouson en cuir Perfecto, Schott, CHF 650.-. Bougie parfumée Calming Park «Black Edition by Homework», CHF 69.chez Theodora à Genève et Aegon & Aegon à Lausanne, www.calmingpark.com Eau de toilette Bulgari Man in Black, CHF 67.- le flacon de 30 ml, CHF 99.- le flacon de 60 ml. Montre Neo-Tourbillon à trois ponts GirardPerregaux, boîtier en or rose, prix sur demande. Casque audio «Quietcomfort 25», Bose, CHF 379.-. Manchette Louis Vuitton, en or gris rhodié pavée de 1026 diamants, prix sur demande. Moto Ducati Diavel Carbon, à partir de CHF 25000.-. 71 72 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe CADEAUX Pas de fête sans cuisine. Mais pas de cuisine sans amour. Même pour Babette, la cheffe parisienne perdue au fin fond du Danemark, dont Karen Blixen raconte l’incroyable festin. Bague «Canine», or rouge et dent de requin, Les bijoux Coquettes, CHF 620.sur www.bijouxcoquettes.com Livre de cuisine «Polpo» par Russel Norman, CHF 66.sur affaire46.tictail.com Montre Jaeger-LeCoultre «Rendez-Vous Night & Day», sertie de 699 diamants, prix sur demande. Boîte de caviar édition «Love 2014», Caviar House & Prunier d’après un design d’Yves Saint Laurent, CHF 590.- la boîte de 125 gr, CHF 1179.- la boîte de 250 gr. Ouvre-bouteilles «Crest», design Fort Standard, CHF 60.sur fortstandard.com Eau de parfum «Knot», Bottega Veneta, CHF 98.le flacon de 30 ml, CHF 145.- le flacon de 50 ml. Assiette collection «Barock Christmas», Versace x Rosenthal, CHF 420. –, www.versacehome.com Montre Frédérique Constant Manufacture Heart Beat, boîtier en or rose, prix sur demande. Chandelier «Cog», design Tom Dixon, CHF 125.sur www.tomdixon.net «Santa» Père Noël en chocolat Paul McCarthy, CHF 60.sur www.monnaiedeparis.fr Whisky pur malt Taketsuru 17 Years Old, CHF 127.-. <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDYyMQIAS7TSvQ8AAAA=</wm> <wm>10CFWKKw6AMBAFT9TmvXa3bFlJ6hoEwdcQNPdXfBxiZsz07hrxsbR1b5urqTEAOUlyM4tQZ2aOSZwkEigzCyk2Ab_9SckCjvcJZCAGy-OAOrTWeB3nDUVlOnFxAAAA</wm> 74 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe CADEAUX Des fleurs lumière, une table en porcelaine, un papillon qui donne l’heure… Au pays des merveilles, les apparences trompent énormément. Papier-peint «Promenade», design Fornasetti pour Cole & Son, prix et renseignements sur www.cole-and-son.com Lampe Campanule, design Something pour Ligne Roset, CHF 360.-. Montre Hautlence Invictus, Morphos Limited Edition by Eric Cantona, prix sur demande. Table basse «Bosa by Hayon» en céramique, design Jaime Hayon, prix et renseignements sur www.hayonstudio.com Robe Akris, en collaboration avec l’artiste Thomas Ruff CHF 3950.sur shop.akris.ch Tapis Withered Flowers, design Studio Job pour Nodus, prix sur demande. Eau de toilette «Candy Florale» Prada, CHF 67.- le flacon de 30 ml et CHF 89.- le flacon de 50 ml. Montre Blancpain Bathk «Ocean Commitment», édition limitée à 250 exemplaires, prix sur demande. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 75 Bougie DL & CO, CHF 35. –, chez Code 43 à Genève, www.code43.ch Boucles d’oreilles Gem Collection, Gübelin. Saphirs bleus de Madagascar de 12,11 carats environ avec 60 diamants sur platine. Prix sur demande. Montre de poche Tissot Pocket Mechanical Skeleton, CHF 975.-. BEOF/CHF/F/010514 PUBLICITÉ Economie réelle Gestion de fortune performante Swiss finish Les 500 meilleures entreprises au monde dans votre portefeuille Théière de la collection «Balcon du Guadalquivir», Hermès, CHF 390.- avec deux tasses. ■ Si vous êtes lassés du discours ésotérique de la “haute finance”, ■ Si vous considérez que la gestion d’un portefeuille doit reposer sur un concept simple et stable, ■ Si vous pensez que la performance d’un portefeuille se crée dans l’économie réelle, grâce à ses meilleures entreprises, ■ Si vous cherchez un guide expérimenté pour cibler vos choix de titres et une adresse pour sécuriser vos dépôts, ■ Alors nous devrions en parler. <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDI1NwEAXTNvwg8AAAA=</wm> <wm>10CFXKrQ5CQQxE4SfqZqbt3C5UkutuEAS_hqB5f8WPQ5wc8x1Ha-DXZb_e91tratIAV2Urc7i8K2oAs0nCwTxTEToV8Oc_2yLB9TVGGrEoC7fYFlnj9Xi-AUqycrlyAAAA</wm> Les conseillers en gestion de patrimoines de la Banque Cantonale de Genève se tiennent à votre disposition pour partager leurs convictions et leur expérience avec vous. La présente annonce est exclusivement publiée à des fins d’information et ne constitue en aucun cas une offre ou une recommandation en vue de l’achat de produits financiers ou de services bancaires. Elle ne peut être considérée comme le fondement d’une décision d’investissement ou d’une autre décision. Toute décision d’investissement doit reposer sur un conseil pertinent et spécifique. Le traitement fiscal dépend de la situation personnelle de chaque investisseur et peut faire l’objet de modifications. Les transactions portant sur les fonds de placement sont soumises à des lois et des dispositions fiscales dans différents ordres juridiques. L’investisseur est personnellement responsable de se renseigner sur les lois fiscales applicables et les dispositions en vigueur et de les respecter s’agissant de la souscription, de l’achat, de la détention, de la vente, de la restitution ou des versements résultant de fonds de placement. Les indications concernant des transactions sur les fonds de placement ne doivent pas être interprétées comme étant un conseil fiscal de la BCGE. Satellite Galileo: 33°10’03.91”N – 31°21’34.23”E – 23’222 km Genève Zürich Lausanne Lyon Annecy Paris Dubaï Hong Kong www.bcge.ch/bestof +41 (0)58 211 21 00 76 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe CADEAUX Dans la Forêt des rêves bleus, Winnie, l’ourson au grand cœur, aide ses amis depuis 1926. Hommage à une histoire de gentille peluche qui sait rendre les enfants sages. Montre Flik-Flak, CHF 45.-. Coffret Caran d’Ache, CHF 248.-. Eau de parfum Annick Goutal «Petite chérie», CHF 240.le flacon de 100 ml Teddy Bear Steiff, CHF 82.sur www.steiff.com Horloge «Omar the Owl», design George Nelson 1965 rééditée par Vitra, CHF 127.sur shop.design-museum.de Bracelet «Puss in Boots», Faery of Tales, CHF 630.- sur www.faeryoftales.com Manteau vintage pour enfant de 5 ans, CHF 260.- chez Julia’s Dressing à Genève, www.juliasdressing.com Manteau en laine mérinos Frilo, l’ensemble CHF 313.-. Clickazoo, design Adrien Rovero pour Hermès, prix sur demande. Bottes Baby Dior, CHF 600.-. La suggestion de nos spécialistes: <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDIxMgUAuZ3dyQ8AAAA=</wm> <wm>10CFWKKw6AMBAFT9Rm3-tuW1hJ6hoEwdcQNPdXfBxiMiOmd7coH0tb97a5VasIIlSaVzKKFge1RGp2gEKBzsg2pVTx-x_lpILxLgEIlIEcrDw9aCVex3kDAg6pTXIAAAA=</wm> Coop Naturaplan BioLa Côte AOC Grand Cru Cuvée Noble Blanche Domaine la Capitaine, 75 cl Mousseux Chardonnay Blanc de Blancs Baccarat, 75 cl Valais AOC Pinot Noir Hurlevent Charles Favre, 75 cl Beaune du Château AOC 1er Cru Bouchard Père et Fils, 75 cl 19.95 14.50 14.95 29.95 Des vins suisses très réussis. En Suisse aussi, on fait de très bons vins, notamment à partir de chardonnay, un cépage blanc, et de pinot noir, le cépage rouge classique de la Bourgogne. Les vins présentés ici accompagnent à merveille les plats légers, les viandes grillées, les assiettes froides ou la viande séchée. Ils sont également parfaits à l’apéritif. Laissez-vous séduire par leurs arômes intenses en bouche, rehaussés de notes fruitées et rafraîchissantes! Coop ne vend pas d’alcool aux jeunes de moins de 18 ans. Ces bouteilles sont disponibles dans les grands supermarchés Coop et sur www.mondovino.ch 78 Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Luxe CADEAUX Plume Faber-Castel «Catherinepalace St. Petersburg», éditée à 1000 exemplaires, prix sur demande. Coffret «La guilde des artisans – Copper» Aesop, CHF 130.-. Bandeau en soie, Gabriela Ligenza, CHF 850.sur byligenza.com Montre H. Moser & Cie «Venturer Tourbillon Dual Time», boîtier en or rouge, cadran fumé en or rouge, prix sur demande. Bracelet Harry Winston «Incredibles», 102 diamants montés sur platine, prix sur demande. Montre «WW1 Guynemer», Bell & Ross, édition limitée à 500 pièces, prix sur demande. Sautoir «Phoenix» Baies d’Erelle, CHF 439.sur www. baiesderelle.com Gatsby, le roi des années folles à qui l’amour fait faire des folies. Atmosphère chic et Art déco pour revivre la fresque mélancolique de F. Scott Fitzgerald. Eau de toilette «Trésor» de Lancôme, CHF 100.le flacon de 50 ml Mocassin matelassé, veau doré J. M. Weston en collaboration avec Charlie Casely-Hayford, CHF 680.-. Luxe Le Temps l Samedi 6 décembre 2014 Nœud papillon en soie, Cinabre, CHF 115.sur shop.cinabre-paris.com Sac collection capsule Christmas, Chloé, CHF 1430.-. Coffret à cigares en bois de noyer, Cartier, CHF 4450.-. Service à thé en chêne et argent «lines and waves», design Tomas Alonso, prix sur demande sur victor-hunt.com Montre Parmigiani Fleurier «Tonda Metro Collection», prix sur demande. Cognac Hennessy XO Exclusive Collection, design Tom Dixon, CHF 240. –, vendu en exclusivité sur www.moethennessy-selection.ch/register/VIP Solaires Fendi, CHF 410.-. Robinet Aqua Jewels, design Marcel Wanders pour Bonomi Contemporaneo Italiano, renseignements sur www.idrosanitariabonomi.com Bague Bucherer «Lacrima», or rose et quartz fumé, à partir de CHF 1590.-. 79 <wm>10CAsNsja1MLUw1DUwMDIwMQMAWcOHAQ8AAAA=</wm> # THEONETHATIWANT N5.CHANEL.COM <wm>10CFWKKw7DQAwFT-TVs_28nxpWYVFAVL6kKu79UTZlBaMBM_ueUfDjuR2v7czo0VUAA2t2swK2VGMrxsTwFZQPdTotfPz9S9UJnfcjGOKY6kKVqNOD5fv-XP4ga1JyAAAA</wm>