Hors-Série Luxe

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Hors-Série Luxe
BUONOMO & COMETTI
Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 6 décembre 2014
LUXE
D’OR ET
D’OMBRE
2
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
ÉDITO
SOMMAIRE
«Le luxe, c’est ce qui se répare», disait Jean-Louis Dumas Hermès. Il y a tant de
choses sous-tendues par
cette petite phrase-là. La
notion de pérennité d’abord.
Une chose précieuse qui
dure se transmet forcément.
L’émotion aussi: on ne prend
la peine de réparer un objet
que si l’on y est attaché, et
parfois pour des raisons qui
n’ont rien à voir avec sa valeur pécuniaire. Le contraire
de l’obsolescence programmée de ces objets fabriqués
pour être jetés sans réparation possible.
Le luxe poussé à son paroxysme, c’est celui qui nous
fait remonter aux origines
de l’objet, avant la valeur
ajoutée par les mains et l’in-
Voyage au fil des mots de l’écrivain.
Il arrive aussi au luxe d’être
vertueux. Récemment, le
président d’une marque de
luxe me confiait: «Notre industrie ne va pas pouvoir
continuer à fonctionner
comme cela: si elle ne veut
pas se rendre odieuse en période de crise, elle doit s’engager, prendre des positions
écologiques, aider, redonner
à la société, d’une manière ou
d’une autre.» (p. 10).
Le luxe est un mot dont la
réalité est difficile à circonscrire, car il embrasse
des réalités multiples.
Nous avons fait un choix.
Celui du luxe courtois.
Quand Hubert de Givenchy se livre
«To Audrey with love» résume une amitié d’une vie.
Par Antonio Nieto, Paris
10
Le luxe et la stratégie de la philanthropie
Actions caritatives, générosité pour communiquer.
Par Catherine Cochard
IMAGINE EDITIONS
12
Dans les mots de Serge Lutens
Les parfums de Serge Lutens sont autant de chapitres
qui racontent une vie: la sienne.
Par Isabelle Cerboneschi
14
8 Hubert de Givenchy
Pierre-Louis Mascia
Ses étoles sont des étendards pour élégants.
Par Isabelle Cerboneschi
20
Portfolio
Love
Réalisation, photographies et stylisme: Buonomo & Cometti
28
Signe invisible de richesse
Les sacs à l’identité silencieuse, le charme de la retenue.
Par Lily Templeton
30
Chambres avec vue
Périple indolent dans les palaces de l’entre-deux siècles.
Par Géraldine Schönenberg
33
FRANCESCO BRIGIDA
Le luxe s’inscrit dans ces
lieux habités où l’histoire
s’est écrite. Comme le palais
Gangi, splendeur baroque
de Palerme où fut tourné
Le Guépard, où Tancrède et
Angelica sont tombés amoureux et dont la maîtresse des
lieux, la princesse Carine
Vanni Mantegna di Gangi,
nous a ouvert les portes
(p. 44-46). C’est l’élégance
d’un Hubert de Givenchy
dont la parole est rare et qui
accepte d’évoquer son amie
et muse Audrey Hepburn
(p. 8, 9). Cette complicité,
cette amitié qui fut à l’origine de tenues inoubliables.
La preuve que l’on peut créer
le beau par amour. Par désamour aussi, dirait Serge
Lutens (p. 12, 13).
8
Portfolio
Les fleurs du bal
Réalisation: Isabelle Cerboneschi
Photographies et stylisme: Buonomo & Cometti
44
12 Serge Lutens
Sous les ors du palais du Guépard
A Palerme, c’est au palais Gangi que Luchino Visconti a
tourné la mythique scène du bal. Visite émerveillée.
Par Antonio Nieto. Reportage photographique: Benedetto Tarantino
48
La peau douce
A Saint-Junien, dans le Limousin, on a le gant dans la peau
depuis des siècles. Précieux savoir-faire. Reportage.
Par Eva Bensard. Reportage photographique: Gilles Leimdorfer
BENEDETTO TANRANTINO
Je songe notamment à cet art
japonais du kintsukuroi.
Cette savante façon de réparer les céramiques brisées à
l’aide d’un joint d’or. Plus
exactement une résine recouverte de poudre d’or. Une
manière de reconnaître l’histoire de l’objet, de mettre la
cassure en majesté, de signifier que, dans la culture nipponne, les failles sont précieuses et que l’on peut
glisser de la beauté dans les
fêlures.
telligence de celui qui l’a
pensé, conçu, en usant de
savoir-faire séculaires (lire
p. 48, 53 et 54). C’est la
beauté des mystères de fabrication et de ses secrets. Il
y a une politesse du luxe.
Lorsqu’il se fait discret, joue
les méconnaissables, lorsqu’il ne dit pas son nom,
mais choisit ceux par qui il
se laisse reconnaître. Lorsqu’il se niche par exemple
dans un sac à main qui ne
s’appelle ni Kelly ni Birkin,
même si son pedigree est
similaire (p. 28).
52
Parfums d’Orient
Volant sur un épais tapis de vanille, ce sont des voyageurs.
Par Valérie d’Herin
53
44 Le palais du «Guépard»
Flacon mythologique
La première collection de haute parfumerie Bulgari,
Le Gemme, a été dessinée par l’Atelier Oï.
Par Géraldine Schönenberg
54
Au fil du temps
Reportage exclusif dans les ateliers d’un rubanier
d’exception, la maison «Julien Faure», qui crée pour Tudor.
Par Pierre Chambonnet.
Reportage photographique: Véronique Botteron
I
Le luxe a-t-il encore le pouvoir de se rendre invisible?
«Kyôto» sur les traces de Kawabata
Par Jonas Pulver, Kyoto
LG
AR
Par Isabelle Cerboneschi
4
58
BU
FRÉDÉRIC LUCA LANDI
Lapolitesseduluxe
Patek Philippe Grandmaster Chime
Les montres présentées par Patek Philippe pour ses jubilés
se veulent des jalons dans l’histoire de l’horlogerie.
Par Vincent Daveau
53 Flacons mythologiques
60
Le menu de Fêtes de Jérôme Manifacier
Le formidable chef du Vertig’O, à Genève, a concocté
un menu de roi pour les lecteurs du Temps…
Par Véronique Zbinden.
Reportage photographique: Véronique Botteron
62
Jeff Leatham, rêves d’enfant…
Le directeur artistique du George V raconte.
Par Isabelle Cerboneschi
65
Cadeaux
«Tout un roman»
Shopping: Emmanuel Grandjean. Illustrations: Xenia Laffely
Robe entièrement brodée de la
collection automne-hiver 20142015, Chanel haute couture.
Le shooting a été réalisé
dans l’atelier Harley-Davidson
Paris Bastille. Remerciements
à toute l’équipe pour son accueil.
www.harleydavidson-bastille.fr
Porfolio 1 Love
Réalisation, photographies
et stylisme Buonomo & Cometti
Mannequins Abbie Weir @ IMG
et Tom Bird @ 16MEN
Make-up Chanel.
Portfolio 2 Les fleurs du bal
Réalisation Isabelle Cerboneschi
Photographies et stylisme
Buonomo & Cometti
Mannequin Abbie Weir @ IMG
Make-up Chanel
Collier en or blanc de la collection
haute joaillerie serti de tsavorites
66 carats, rubis 10 carats, saphirs
16 carats et de diamants. Broche
en or blanc de la collection haute
joaillerie sertie d’une rubellite, de
saphirs roses, de rubis taille cœur,
de cinq tourmalines taille ovale,
de cinq saphirs taille ovale, de
saphirs roses ronds, de cinq
rubellites rondes, de cinq saphirs
taille poire, de dix spinelles roses,
de rubis et de diamants.
Le tout Chopard.
Editeur Le Temps SA
Place Cornavin 3
CH – 1201 Genève
Président du conseil
d’administration
Stéphane Garelli
Administrateur délégué
Daniel Pillard
Rédacteur en chef
Pierre Veya
Rédactrice en chef
déléguée aux hors-séries
Isabelle Cerboneschi
Rédacteurs
Eva Bensard
Pierre Chambonnet
Catherine Cochard
Vincent Daveau
Valérie d’Herin
Emmanuel Grandjean
Antonio Nieto
Géraldine Schönenberg
Lily Templeton
Photographies
Véronique Botteron
Buonomo & Cometti
Gilles Leimdorfer
Aline Paley
Benedetto Tarantino
Illustratrice
Xenia Laffely
Retranscription traduction
Dominique Rossborough
Responsable production
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Réalisation, graphisme,
photolithos
Cyril Domon
Christine Immelé
Mathieu de Montmollin
Correction
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Conception maquette
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Internet
www.letemps.ch
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Courrier
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Collection
4
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
BALADE LITTÉRAIRE
«Kyôto»surlestraces
deKawabata
SYLVIE ROCHE
Des vénérables boutiques où l’on fait glisser
la soie sous les ceintures de kimono jusqu’aux
forêts de cryptomères dont les bois sont essentiels
à la construction dans la tradition du thé,
voyage à travers l’ancienne capitale sur les traces
du romancier Yasunari Kawabata, entre splendeurs
de l’artisanat, nostalgie éperdue et intransigeance
de la nature. Par Jonas Pulver, Kyoto
«– Des belles images,
on ne se lasse jamais, non?
– Ça, je ne saurais le dire.»
ALINE PALEY
Naeko et Chieko, «Fleurs d’hiver» gémellaires
dans le roman «Kyôto» de Yasunari Kawabata
L
ivre d’images, cité de
mots.
Roman-tableau,
ville-personnage. Kyôto,
ouvrage tardif tracé à fleur
d’émaux, ultime écho en
forme d’hommage, révèle
les miroirs intérieurs d’un auteur
de génie aux portes de l’extase. Les
années 60 sont encore vertes; Yasunari Kawabata, presque Nobel
de littérature, a quitté Tokyo et
séjourne pour quelques mois
dans l’ancienne capitale, où il a
loué une maison. Pour écrire, il
s’intoxique de beauté et de somnifères, s’enivre de nostalgie, glacé
par l’industrialisation et les transformations à l’œuvre dans un Japon qui adviendra malgré lui – à
vrai dire sans lui comme il en décidera dix ans plus tard en ouvrant
discrètement le gaz dans son petit
pied-à-terre, oublié en bord de
mer. Ni testament ni lettre. Le silence des belles images.
Présence du passé, absence
d’avenir: Kyôto résonne comme
une révérence aux âges d’avant, à
l’art subtil du tissage, aux coutumes que l’on dit éternelles et qui
semblent pourtant vaciller dans le
souffle de la modernité: les grappes de lanternes peintes et les
chars ornés de la fête de Gion,
l’embrasement des cinq sommets
et les torches lancées vers le ciel
d’été durant la nuit du Dai-monji,
la technique délicate des motifs
de kimono, le glissement sec des
ceintures sur les soies assorties, ou
le tout premier tramway du Japon,
inauguré en 1895 sur la ligne de
Kitano, vestige bientôt désuet du
Kyoto de l’ère Meiji.
Les sœurs jumelles du roman,
Chieko et Naeko, orphelines séparées à la naissance, ont grandi de
part et d’autre des grands bouleversements. L’une à la ville, où les
transistors Sony crachotent peu à
peu leur bruyante innovation en
lieu et place des porcelaines et des
services laqués sur les étals des
boutiques artisanales. L’autre à la
montagne, par-delà les hautes forêts de cryptomères dont les
troncs lisses et droits servent encore de colonne vertébrale à la
construction dans la tradition du
thé. Inévitables retrouvailles, impossible réconciliation. Regards
entrecroisés sur le raffinement
culturel et l’intransigeance de la
nature, amours transverses, polyphonie de personnages dont les
stridences et les voix elliptiques
laissent entendre le murmure de
Kyoto: une splendeur de détails et
de gestes, magnifiés par leur impermanence et leur pérennité rêvée. «Plutôt que les protagonistes
ou l’intrigue, ce seront sans doute
les us et coutumes que je placerai
au cœur du roman», dit l’auteur
dans une adresse au lecteur.
Et aujourd’hui? De la terrasse
du temple Kiyomizu aux bambous d’Arashiyama, des enseignes
de Nishijin aux essences boisées
de Takao, la plume de Kawabata
sculpte encore et toujours les
moindres recoins de Kyoto.
> Suite en page 6
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
Modernité et
tradition entre
chien et loup:
Kyoto l’urbaine
s’étend sous la
plateforme ancestrale du temple
Kiyomizu à l’heure
du crépuscule.
> Suite de la page 4
Crépuscule
au temple Kiyomizu
«Effleurant son visage, les couleurs du soir la teintaient à peine;
peut-être n’était-ce que l’appréhension qui vous étreint à la tombée de la
nuit, au printemps.»
Battre le chemin pavé qui serpente entre une myriade d’échoppes minuscules, dont les friandises de prunes séchées ou de
haricots azuki raclent la langue
mais adoucissent l’ascension.
Passé la grande porte, monter les
marches de pierre du Kiyomizu,
temple bouddhiste suspendu
sous ses toits immenses, dont la
pagode à trois étages et les plateformes de bois embrassent, d’un
côté, les bouquets de la forêt, et,
de l’autre, la ville dans son urbanité lointaine; bétons verticaux et
doux scintillements cosmopolites, face au zen pluri-centenaire
du Temple de l’Eau pure dans les
braises écrasantes du couchant.
Le premier chapitre de Kyôto
mène ici, à cette fenêtre perchée
entre chien et loup, interface entre différentes dimensions d’un
Japon que l’occidentalisation et la
guerre semblent avoir dissociées,
à l’image de Kawabata lui-même.
«Se jeter du Kiyomizu», disait une
expression de la période Edo: sauter depuis le belvédère haut de
15 mètres, atterrir dans les branchages, et, pour autant qu’on en
sorte sain et sauf, formuler un
vœu. «Je suis une enfant trouvée»,
déclare soudain Chieko, accoudée
contre la balustrade. Vertiges
d’une jeune fille sans racines, perdue au beau milieu d’une sublime
architecture du vide.
Dans la forêt de bambous
«Dès qu’elle eut atteint la route du
village, le bois de bambous se referma sur le monastère où son père
s’enfermait.»
Une porte – encore une. Un
couloir végétal, long et mince, un
sas entre la ville affairée et les
sanctuaires sacrés. Le chemin
bordé de paille effile sa lame dans
l’ombre des hauts bambous; d’un
côté, Arashiyama, sa rivière en vastes plans d’eau, ses bus bariolés
PHOTOS: ALINE PALEY
6
qui amènent, le dimanche et les
jours de fête nationale, une masse
de touristes apprêtés qui s’éventent soigneusement. De l’autre
côté, la tranquillité des hauts temples – Gio-ji, et plus haut Jingo-ji.
Le père adoptif de Chieko s’est
retiré du monde. Il tente de faire
sens des exigences mercantiles
qui touchent le secteur du commerce des tissus. Doit-il céder aux
nouvelles donnes de la mode,
criarde et sans finesse? Lorsqu’il se
rend au jardin botanique, il préfère pourtant les carnations pastel
des fleurs japonaises aux teintes
franches mais lassantes des tulipes d’Europe…
Pour lui rendre visite, Chieko a
traversé le bosquet de bambous au
milieu duquel le temps lui-même
semble incertain et furtif. On y
marche, aujourd’hui encore, entre
les écailles de lumière qui filtrent à
travers les feuilles et racontent les
périls imminents de quelque brigand camouflé. Dans le fourré, la
fameuse nouvelle de Ryunosuke
Akutagawa parue en 1922, ne relate-t-elle pas par récits entrelacés et
contradictoires les dernières heures d’un samouraï, pris au piège
entre les longues tiges?
encore à voir et à vivre les épaisses
bobines de fil montées sur de
grands cadres de bois, rares sont
les boutiques traditionnelles qui
ont su résister à l’érosion des marchés. Hinodeya, dans le quartier
de Kamigyo, est l’une de ces enseignes centenaires. La mélancolie
d’une valse de Chopin filtre à travers la porte battante; la propriétaire est occupée à boire le thé
avec des clientes. Déployés sur de
larges comptoirs ou à même les
La Cité des kimonos
«Ils avaient trois fils. Sur leurs métiers à mains, tous trois tissaient des
ceintures de kimono {…} Il n’était
pas question ici d’une enfilade de
métiers mécaniques, mais seulement de trois métiers à mains, en
bois, qui ne faisaient pas tant de
bruit {…} Toutefois, le métier de Hideo était le plus éloigné, près du jardin, et sans doute était-ce parce qu’il
était absorbé sur une «ceinture rouleau», l’ouvrage le plus difficile de
tous, que la voix de son père ne semblait pas lui parvenir.»
Les plus beaux tissus du Japon
ont longtemps fait l’exception du
quartier de Nishijin. Fils de tisserand aux doigts agiles, Hideo
connaît mieux que quiconque la
manière des ceintures brodées; il
souhaite en offrir une à Chieko,
dont le visage et la blancheur de
craie l’émeuvent. A moins que ce
ne soit sa jumelle, Naeko, qui avive
ses jeunes ardeurs?
Cinquante ans plus tard, si le
Textile Center de Nishijin donne
Ci-dessus:
Dans les monts forestiers,
en surplomb du village
de Takao, là où poussent les
cryptomères dont les troncs
servent à la construction
dans la tradition du thé.
Ci-contre: Sur les rives
de la rivière Kamo,
les commerces de la nuit
se manigancent dans
un empilement de terrasses,
au gré desquelles
on aperçoit parfois
la silhouette d’une geisha.
tatamis, les tissus d’un futur yukata marient leurs humeurs profondes – rouge sang, émeraude,
blanc perlé. Le soleil qui se déverse
dans la vitrine a décoloré les panneaux de bois, mais la douce chaleur, elle, semble à l’épreuve du
temps. Maintenant, une mazurka.
Les bols fument à nouveau. Ici
plus qu’ailleurs, la tranquillité est
un luxe, et la patience, une distinction.
Un peu plus au sud, lové dans
un pavillon aux poutres humides,
derrière les épaisses lamelles du
noren (ce court rideau fendu qui
délimite l’entrée d’un établissement), l’atelier Yubahan fabrique
des pâtes de soja depuis bientôt
trois cents ans. «A la surface des
chaudrons divisés en rectangles
de cuivre, vient se former petit à
petit la feuille de Yuba coagulée»,
décrit Kawabata. Saveur de sel
prodigieusement élastique, dont
la recette se transmet encore
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
«Plutôt que les
protagonistes ou
l’intrigue, ce seront
sans doute les us
et coutumes
que je placerai
au cœur du roman»,
ALINE PALEY
dit Kawabata dans une adresse au lecteur
La forêt de bambous
d’Arashiyama, au milieu
de laquelle le temps lui-même
semble incertain et furtif.
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aujourd’hui de génération en génération, au quotidien, sous le regard des passants.
Entre deux rives
«Pensant y faire quelques pas, Hideo se dirigea vers le grand pont
Shijô, où il avait rencontré, qui sait?
«Chieko en Naeko» ou «Naeko en
Chieko». La lumière de midi écrasait
tout sous la chaleur. A l’entrée du
pont, il s’accouda au parapet et, fermant les yeux, chercha à entendre,
au-delà du vacarme des trams et de
la foule, le bruit à peine audible de
l’eau qui s’écoulait.»
Shijo, littéralement «quatrième rue», est cette avenue large
et cossue autour de laquelle tout
Kyoto gravite. Double ligne de
fuite symétrique dont les horizons révèlent de puissants
contrastes, à tel point que Hideo,
le jeune tisserand, ne sait plus
dans quelle direction regarder:
est-il amoureux de Chieko la citadine? Ou de Naeko la jeune paysanne? Dans l’entre-deux rives du
pont Shijo, l’heure est aux délicieuses illusions.
A l’ouest du pont, l’artère marchande a vu l’essor des grandes
surfaces, temples du consumérisme contemporain où le service
s’assure en gants blancs et où la
politesse se doit d’être exquise. A
l’est, dans son écrin verdoyant, le
sanctuaire Yasaka sert de berceau
à la grande fête estivale de Gion,
au milieu de laquelle, parmi les
clameurs et les prières, deux jeunes sœurs vont finir par se reconnaître…
En contrebas du pont Shijo, les
ondes de la Kamo caressent lentement leurs rives de galets, tandis
que les allumettes de bengal crépitent. Les commerces de la nuit
s’y manigancent dans un empilement de terrasses, au gré desquelles on aperçoit parfois quelques
silhouettes de geishas – plus communément appelées «geikos» à
Kyoto (de «gei», art, et «ko»,
femme ou enfant).
Au royaume des cryptomères
«Ces arbres sont l’œuvre des hommes, fit Naeko.
– Ah?
– Il faut quarante ans pour en
arriver là {…} Si on les laissait
comme ça, ils continueraient à pousser bien mille ans, gagnant en force
et en hauteur, vous ne croyez pas?
{…} Moi je préfère la nature sauvage
{…}
–…
– Dans ce monde, si l’homme
n’existait pas, une ville comme Kyôto
n’existerait pas non plus, et il n’y
aurait que des forêts sauvages et des
champs d’herbes folles.»
Monter dans un bus à dossier
de velours bleu qui sillonne loin,
hors de la ville. Passer outre
Arashiyama, outre la forêt de
bambous et les hauts monastères.
Au creux de la montagne, à la
hauteur du village de Takao, se
dressent les premiers bois de
cryptomères, ces «poutres des
monts du Nord», comme les appelait le romancier Osaragi Jiro;
longtemps, les femmes ont assuré
le polissage des troncs au sable de
la cascade et l’emballage de paille
avant la mise à l’expédition. Les
cryptomères poussent en bordure de forêts vastes comme des
étreintes, à la limite des lits de
cailloux, non loin des cours d’eau
au-dessus desquels s’éploient
parfois quelques lampions de papier offerts au vent.
C’est là que Kawabata a choisi
de faire naître ses deux héroïnes,
là qu’il a fait mourir leur père,
tombé du haut d’une cime, là qu’il
voit s’exprimer au plus loin la fragilité des hommes et la solidité de
leurs modes de vie. Frontière
d’une nature rendue à elle-même,
à ses cycles, à son immuable impermanence.
Ces cryptomères, ce sont aussi
ceux que le peintre Kaii Higashiyama a croqués aux premiers signes d’un hiver et fait
paraître dans un carnet de dessins intitulé Les quatre saisons de
Kyoto, préfacé par son ami Kawabata. Lorsque ce dernier a remporté le Prix Nobel mais avait
presque
cessé
totalement
d’écrire, Higashiyama lui a fait
cadeau de ce Première Neige sur
Kitayama dont les arbres sont si
emblématiques. Peut-être voulait-il dire: on ne se lasse jamais
des belles images. Surtout celles
qui savent traduire, en silence, la
mélancolie, la beauté et l’urgence dont les mots sont les
témoins.
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7
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
INTERVIEW EXCLUSIVE
Quand
Hubert
deGivenchy
raconte
sonAudrey
«To Audrey with love». Le titre du livre de dessins d’Hubert de Givenchy résume une relation d’une vie.
Une amitié indéfectible sur laquelle le grand couturier a accepté de revenir, arpentant les chemins
de la mémoire. Par Antonio Nieto, Paris
M
onsieur Hubert
de Givenchy ne
donne
plus
d’interview depuis longtemps.
Mais pour le
lancement de son livre To Audrey
with love1, il a fait une exception.
Une seule: celle que l’on peut lire
ci-dessous.
Ce livre qui dévoile des croquis de robes et de costumes que
le couturier a dessinés pour l’actrice est un gage d’amitié. Car
c’est bien d’amitié dont il est
question ici. Celle qui est née entre la jeune actrice, venue à Paris
à la recherche d’un nouveau look
pour le film Sabrina qu’elle s’apprêtait à tourner, et un jeune
couturier du même âge, Hubert
de Givenchy. C’était en 1953,
cette liaison durera jusqu’en
1993, année de la disparition
d’Audrey Hepburn. Sénèque
dans ses Lettres à Lucilius disait à
son correspondant: «Je pourrais
te citer beaucoup d’hommes à
qui a manqué non pas un ami,
mais l’amitié. Cela ne peut arriver
que quand une même volonté de
rechercher le bien unit deux
âmes.»
Au-delà des robes sublimes habillant de rêves de soie sa muse, le
génial couturier, a su, au fil des
créations qui lui étaient dédiées,
mettre au jour sa personnalité,
l’originalité de cette «Drôle de frimousse» mais aussi pénétrer le
cœur d’une femme et devenir son
double masculin.
C’est avec une grande constance et cette extrême délicatesse
qui le caractérise qu’Hubert de Givenchy a décidé de rendre hommage à celle qui a accompagné,
pendant quarante ans, sa vie professionnelle et privée. Il nous offre
ainsi un «sketch book» intitulé To
Audrey with love, comme une dédicace à une amitié éternelle qu’une
série de croquis inédits et dessinés spécialement pour le livre illuminent. Cet homme de 87 ans, à
l’élégance d’un autre siècle, a accepté de nous recevoir chez lui, le
temps d’un voyage dans les souvenirs heureux.
Le Temps: Votre première
rencontre avec Audrey Hepburn
a eu lieu dans vos ateliers, c’étaient
les débuts de votre Maison
de couture. Pourriez-vous
nous raconter ce moment?
Hubert de Givenchy: Un jour, je
reçois un appel de Gladys de
Segonzac, qui avait travaillé
comme directrice chez Schiaparelli où j’avais moi-même travaillé
pendant quatre ans. Elle s’intéressait au cinéma, rencontrait les
actrices et les grandes compagnies comme Paramount, Metro
Goldwin Mayer. Elle me dit: «Hubert, j’ai une amie, actrice, Miss
Hepburn.» Sans la moindre hésitation, j’ai immédiatement, pensé
à Katharine Hepburn que j’adorais et admirais! Elle avait un chic
fou, elle était habillée par des
couturiers américains, je ne
IMAGINE EDITIONS
8
pouvais songer à l’existence d’une
autre Miss Hepburn, puisque le
film Vacances romaines n’était pas
encore sorti en France. Donc
j’attends, non sans impatience,
cette rencontre avec Katharine
Hepburn. Le jour arrive enfin, la
porte s’ouvre… Et c’est Audrey
Hepburn! Sur l’instant, je suis
désappointé. Gladys m’explique
qu’elle est l’héroïne de Vacances
romaines, qu’un autre projet de
film est en préparation, Sabrina,
et que pour celui-ci il faut que
Miss Audrey Hepburn soit habillée dans «l’esprit de Paris».
Quelles impressions avez-vous
ressenties lors de cette première
rencontre?
D’abord elle m’est apparue gracieuse, gracile, différente de ce
que l’on avait l’habitude de voir.
Elle était si mince, si menue si
j’ose dire, grande, des yeux enchanteurs, une silhouette délicate, néanmoins vêtue de façon
curieuse. Elle était chaussée de
ballerines et portait un pantalon
court, s’arrêtant au-dessus des
chevilles, un t-shirt qui laissait
entrevoir son nombril et un
grand chapeau de gondolier avec
une inscription «Venezia» sur un
ruban rouge. Puis nous commençâmes à parler, elle m’expliqua le
scénario du film Sabrina et de
quelles tenues elle avait besoin.
Rapidement je dus l’arrêter: «Je
suis désolé, mais je n’aurai pas la
possibilité de vous habiller parce
que je n’ai pas suffisamment
d’ouvrières pour faire 15 ou 20
robes dans les semaines qui
viennent. «Faites ce que vous
pouvez, mais j’aimerais que ce
soit vous qui m’habilliez.» Elle me
vit hésitant et me demanda alors
de l’accompagner dans un restaurant dont on lui avait parlé.
Comment vous a-t-elle convaincu
de dessiner ses vêtements?
Pendant le dîner, j’ignore si c’est
son charme qui a opéré, mais elle
me persuada que je devais absolument faire ses robes. Le lendemain, elle revint, on regarda
ensemble dans les vêtements de
la collection à venir, elle essaya un
tailleur, c’était parfait: elle avait
une taille exceptionnelle. Les
mêmes proportions que le mannequin. Ensuite on a passé en
revue les robes du soir. Elle aimait
tout ce que je lui présentais. Je lui
ai alors proposé de créer d’autres
robes pour elle au fur et à mesure
du tournage. Nous commençâmes ainsi notre collaboration. Le
film connut un vif succès, mais
Edith Head, fameuse costumière
d’Hollywood qui s’était vu attribuer la création de toutes les
robes du film, se vit récompensée
d’un Oscar pour son travail.
Audrey était furieuse. J’étais moimême un peu désappointé mais
heureux de ce travail «à quatre
mains» en quelque sorte et de
l’amitié née de cette belle rencontre. Audrey, avec cette loyauté qui
la caractérisait, a exigé que je
l’habille dans tous ses futurs
films. Après Sabrina, ce fut Love in
the Afternoon, Charade, Funny
Face… Cette amitié ne fit que
croître, évidemment: on se comprenait, je dessinais, parfois elle
voyait des choses dans la collection et je les modifiais pour elle.
Par la suite, on voyagea beaucoup
ensemble: l’Espagne, la Californie,
l’Italie… De film en film, le succès
d’Audrey allait grandissant, tout
le monde voulait lui ressembler,
son talent éclatait et surtout l’aura
d’Audrey! Les hommes comme les
femmes étaient amoureux d’elle.
Elle ne ressemblait à aucune autre
star de l’époque, elle était unique.
Elle pouvait tout jouer. J’habillais
beaucoup d’autres actrices, mais
je n’ai jamais lié une telle amitié,
une telle complicité avec quiconque. Et ce style nouveau, cette
manière nouvelle de s’habiller, sa
façon de se mouvoir sont nés en
parallèle.
La complicité qui existait
entre vous transparaît à travers
les costumes que vous avez créés
pour elle.
Oui. Audrey, pour moi, est toujours présente. C’est quelqu’un
que l’on ne peut jamais oublier
pour mille raisons qui ne tiennent
pas uniquement à sa beauté, à son
jeu d’actrice, à son talent. Le plus
important est ailleurs: elle était
avant tout humaine, profondément, viscéralement humaine
comme elle l’a montré toute sa vie.
Elle a beaucoup œuvré pour
l’Unicef. Lorsqu’elle se rendait au
Bangladesh, en Ethiopie ou dans
d’autres parties du monde où les
conditions de vie des enfants, des
femmes sont terribles, elle en
revenait profondément choquée,
consciente de son impuissance
face à l’horreur, aux atrocités, à
l’Enfer. Elle voulait se battre, mais
savait le combat perdu d’avance. Je
l’accompagnais souvent dans de
grandes réceptions aux Etats-Unis.
Avant de prendre la parole,
comme nous étions l’un à côté de
l’autre, on se tenait la main sous la
table, elle serrait la mienne très
fort et racontait, racontait avec ses
mots l’inacceptable. Elle dépensait
une énergie incroyable pour
essayer de changer le monde, elle
passait souvent à la TV, à la BBC
pour parler de l’Unicef, de son
action. Elle ne faisait pas cela pour
la publicité, ou pour en tirer une
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Ci-contre à gauche:
Hubert de Givenchy: «Audrey,
avec cette loyauté qui la caractérisait,
a exigé que je l’habille dans tous
ses futurs films (...) J’habillais
beaucoup d’autres actrices, mais
je n’ai jamais lié une telle amitié,
une telle complicité avec quiconque.»
quelconque gloire. Elle allait
partout où on l’envoyait, traversait
des endroits risqués, allait à la
rencontre des enfants malades, les
prenait dans ses bras, elle ne
refusait rien parce qu’elle avait cet
amour profond des autres.
Ce livre est un hommage?
Audrey est une personne comme
on en rencontre peu au cours de
son existence. Aujourd’hui encore, lorsque j’aperçois son image
dans ces publicités pour les montres ou les briquets Dupont avec
son sourire et ses larges lunettes,
je lui fais un petit signe.
J’ai voulu lui rendre un hommage
en établissant un «sketch book»
dans lequel je dessinais des robes
pour elle, qui les avait aimées, et
si bien portées. De nombreuses
robes de films demeuraient dans
mes ateliers. Elle m’en avait également beaucoup donné. J’ai pensé
que le plus souhaitable serait non
pas de les mettre dans un musée
mais de les vendre au profit
d’œuvres caritatives. Nous en
avons vendu au Sénégal, au Brésil.
J’ai également rencontré Dominique Lapierre, qui m’a demandé la
vente d’une robe d’Audrey pour
les enfants de Calcutta. Nous
avions donné une des robes de
Breakfast at Tiffany’s, qui a été
vendue aux enchères chez Christie’s 800 000 euros. C’est Monsieur
Bernard Arnault qui l’a rachetée.
Je crois qu’Audrey aurait aimé.
C’est une manière de faire perdurer notre histoire, lui dire que je
ne l’oublie pas.
Elle disait qu’habillée par vous,
elle n’avait peur de rien.
Je ne sais pas si elle disait vraiment cela, mais je sais qu’elle se
sentait protégée par les vêtements que je créais pour elle.
Avant une apparition télévisée
pour l’Unicef, par exemple, elle
m’appelait pour me dire qu’elle se
sentait en confiance dans la
petite blouse en satin que je lui
avais dessinée. Peut-être parce
que tout était basé sur une amitié
profonde, une complicité réelle et
une véritable confiance. Son
image, au fur et à mesure des
films, a évolué. En incarnant la
perfection, elle est devenue la
perfection. Elle se connaissait très
bien, elle savait, par exemple,
quel était son meilleur profil.
Souvent au cours des séances
d’essayage elle se regardait lon-
guement, s’inspectait, elle marchait et savait avec exactitude ce
qui convenait le mieux.
Elle avait l’air à la fois fragile
et très forte.
Son aspect fluet pouvait donner
cette impression de fragilité,
comme une fine tige de fleur que
la moindre brise pourrait briser. Je
cherchais parfois à dissimuler
cette gracilité pour la protéger.
Mais elle ne voulait pas: «Pourquoi
me montrer différente de ce que je
suis?». Elle était à l’aise avec ce
corps délicat. Cette indifférence
quant à son absence de courbes
«voluptueuses», comme celles des
autres actrices de l’époque, la
rendait gracieuse parce qu’en
parfaite harmonie avec elle-même
et de là finalement très forte.
Il y avait quelque chose
de mélancolique dans son regard.
Je ne dirais pas qu’elle était mélancolique. Mais je pense que des
jeunes gens qui connaissent la
guerre sont marqués à vie. Elle en
parlait peu, c’était plutôt dans des
actes, très forts de sens, que l’on
voyait qu’elle avait été traumatisée, par exemple, elle n’a jamais
accepté de travailler en Allemagne. De plus, le père d’Audrey avait
des idées pro-allemandes très
affirmées, sa mère pas du tout.
Après la guerre, son père s’est exilé
en Angleterre et pendant des
années, malgré son succès, elle ne
l’a plus revu. Quand elle a eu son
fils Shawn, elle a voulu qu’il connaisse son grand-père, qui habitait à Edimbourg. Elle s’y est rendue avec son époux, Mel Ferrer, et
Shawn pour qu’il ait une image de
son grand-père. J’ignore si cela a
été salutaire, mais elle avait une
ligne de conduite en tout. Elle
avait le sens du devoir, son engagement pour l’Unicef en témoigne. En fait elle ne savait pas comment remercier le Ciel pour ses
deux enfants; elle avait eu beaucoup de difficultés pour les avoir.
Travailler pour l’Unicef était une
manière de remerciement pour
avoir connu le bonheur d’être
mère. A son tour, elle faisait don
d’elle-même. Elle avait tout,
Audrey. Elle était humaine, généreuse, très prévoyante aussi, je le
sais puisqu’elle m’avait demandé
d’être son légataire testamentaire:
j’ai donc vu comment elle avait
organisé toute sa vie pour que ses
enfants ne manquent jamais de
Ce métier de couturier, c’est celui
que vous avez toujours voulu faire?
J’ai été très privilégié, d’abord
parce que j’ai fait un métier merveilleux, et puis j’ai eu une mère
extraordinaire qui m’a toujours
compris, soutenu et a accepté
totalement ce choix, contrairement au reste de la famille. Elle m’a
juste dit: «Si tu fais ce métier, tu
dois le faire bien et ne jamais te
plaindre!» Je ne me suis jamais
plaint et je pense l’avoir fait correctement. Ce n’était pas évident, les
portes ne s’ouvraient pas facilement. Mon rêve, jeune, était de
travailler avec Monsieur Balenciaga. Cela ne s’est pas fait mais
c’était mieux ainsi. Lorsque j’ai
voulu le rencontrer, j’étais alors
âgé de 11, 12 ans: je suis parti de
Beauvais avec des croquis, je n’ai
pas été reçu, évidemment. Bien des
années plus tard, après avoir travaillé dans différentes maisons, j’ai
eu la chance de le croiser à New
York. Il ne parlait pas anglais et
moi très mal, mais c’était extraordinaire! J’ai travaillé dans plusieurs
autres maisons. Le plus important,
c’est l’atmosphère qui se dégage de
chacune. J’ai pu rentrer chez Jacques Fath, un homme charmant et
amusant, ce fut une année de
bonheur, ensuite chez Robert
Piguet, puis chez Madame Schiaparelli, c’était encore différent,
autre personnalité, autre travail.
L’élégance, le raffinement étaient
portés à leur paroxysme.
Souvent les gens pensent
que la mode n’est que frivolité
et superficialité…
La mode est passionnante, certainement pas futile. D’abord il y a la
beauté des tissus, puis leurs
odeurs. Monsieur Balenciaga, qui
avait toujours des phrases extraordinaires, disait: «Le tissu a une
vie, ne le contrariez pas.» En effet
un tissu doit vivre, respirer, épouser la forme d’un corps. Il est une
matière vivante qui deviendra
œuvre d’art. M. Balenciaga aimait
enseigner, transmettre, parce que
c’est aussi cela la mode, c’est une
transmission de savoir. Alors non
ce n’est certainement pas futile.
Souvent il me répétait, tel un
mantra: «Soyez honnête avec vos
clients.» Lorsqu’il comprenait que
vous aimiez vraiment votre métier, il était prêt à donner de son
DESSINS: IMAGINE EDITIONS
HUBERT DE GIVENCHY, FOND PERSONNEL
rien et soient toujours protégés
par le fruit de son travail. Elle avait
connu de telles épreuves de privation pendant la guerre, qu’elle ne
voulait pas que ses enfants connaissent une situation identique.
Même après sa mort, elle prenait
soin d’eux.
«Breakfast at Tiffany’s».
temps, de son savoir, en un mot à
vous guider.
Votre parfum L’Interdit a-t-il été
créé pour Audrey Hepburn?
Oui tout à fait, c’était l’époque où
j’ai lancé deux parfums parce que
je pensais que si l’un ne se vendait
pas, l’autre se vendrait mieux. En
réalité, les deux ont rencontré un
vif enthousiasme de nos clientes,
le second était le parfum de la
Duchesse de Windsor et de Mme
McCarty. J’ai vraiment été chanceux. La rencontre avec Audrey à
cette époque a été déterminante,
je pensais que son image s’harmonisait avec l’essence même de
cette fragrance. Associer l’image
d’une actrice à un parfum était
novateur. Après il y a eu Catherine Deneuve, Liz Taylor. Audrey
avait accepté de se prêter au jeu
de L’Interdit. Mais ce parfum, qui
avait été créé au départ pour elle,
n’était pas destiné à être vendu.
Imaginez le paradoxe: interdire
«L’Interdit»! Mais imaginez aussi
l’impact commercial d’un parfum
créé pour Miss Hepburn, création
unique pour une personne unique et qui de plus porte le nom
«L’Interdit»! Tout le monde veut
transgresser les interdits. Et tout
le monde a voulu s’autoriser cet
interdit, tout en s’identifiant à
son héroïne.
Puis-je vous demander le nom
du parfum que vous portez?
A l’époque, je portais (je ne devrais
pas le dire) l’«Eau de Balenciaga»
parce que Monsieur Balenciaga se
parfumait avec cette eau de toilette et j’avais l’impression que si je
la mettais aussi, alors j’aurais plus
d’inspiration. Malheureusement,
ils ne la font plus. Pourtant, j’en
aurais besoin: je pourrais ainsi
travailler un peu mieux.
S’il vous était donné d’adresser
un message à Audrey Hepburn
aujourd’hui, quel serait-il?
Ce qu’elle a toujours su: que nous
nous aimons et qu’elle est toujours présente dans mon cœur.
Il en sera toujours ainsi.
1. «To Audrey with love»,
Hubert de Givenchy,
éd. Imagine Editions, 240 p.
29 septembre 2014.
Avec la complicité
de Christiane de Nicolay-Mazery,
directrice artistique.
>> Version complète de l’interview
à lire sur www.letemps.ch/luxe
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
STRATÉGIE
ALBERTO PIZZOLI/AFP
Luxeetphilanthropie,
unmariagegagnant
En mai dernier à Cannes, Sharon Stone et des mannequins encourageant les philanthropes du gala de l’AmfAR, la fondation américaine pour la prévention et la recherche médicale contre le sida.
L’
industrie du luxe n’est
pas en reste lorsqu’il
s’agit de donner, sans
rien escompter en retour. Ou presque. Les
exemples en cette fin
d’année sont légion, à l’instar des
horlogers suisses, qui mettent à
l’encan des montres spéciales
dont les bénéfices sont directement reversés à des œuvres caritatives. «Mais il faut arrêter de penser que tout se fait en fin d’année,
indique Bettina Ferdman Guerrier, directrice de la fondation Philias dont la mission principale
consiste à promouvoir la responsabilité sociale des entreprises et
de la mettre en pratique. Les associations et les causes ont besoin de
soutien toute l’année!»
Si on ne peut de bonne foi critiquer la philanthropie telle qu’exercée par les marques du luxe, une
question se pose. Ces entités agissent-elles vraiment de façon totalement désintéressée comme le
veut la définition du mot? «La philanthropie est utile aux marques
pour leur image, explique Michel
Phan, directeur du programme de
management et marketing du luxe
à l’école supérieure de commerce
et gestion EM Lyon. Elles peuvent
ainsi faire la preuve qu’elles ne sont
pas uniquement motivées par l’appât du gain, mais qu’elles veulent
aussi se comporter en bon citoyen,
notamment en reversant une partie de leurs profits à de nobles causes.» Et, ce faisant, entrer en con-
Les marques multiplient les actions caritatives et de mécénat.
Une générosité bien placée pour communiquer tout en soignant
leur image auprès du public. Par Catherine Cochard
tact avec leur clientèle, les
consommateurs de la génération Y
très soucieux des questions éthiques relatives aux produits qu’ils
consomment. Pour illustrer cela,
on peut citer l’exemple du groupe
Kering qui, par le biais de sa fondation, lutte contre les violences
faites aux femmes. Or, la gente féminine représente la majeure
«LA PHILANTHROPIE
EST UTILE À L’IMAGE
DES MARQUES»
partie de sa clientèle (Kering possède entre autres Gucci, Bottega
Veneta, Balenciaga ou encore Saint
Laurent).
La tendance entrepreneuriale à
la philanthropie vient des EtatsUnis. «En Amérique, l’Etat subventionne dans une bien moindre
mesure qu’en Europe la culture ou
le social, explique Etienne Eichenberger de la société de consultants
en philanthropie WISE. On
compte sur le particulier pour
construire des musées, opéras ou
encore hôpitaux. Pour inciter les
personnes fortunées à se lancer,
on leur accorde d’importantes déductions fiscales sur leurs dons,
avec obligation de faire des donations à hauteur de 5% du patrimoine de leur fondation annuellement.» Raison pour laquelle la
philanthropie est très bien ancrée
dans les mœurs de l’autre côté de
l’Atlantique. En Europe cela se développe aussi, mais depuis plus
récemment, le privé – entreprises
ou particuliers – prenant à son
tour le relais du public pour combler les besoins sociaux et culturels croissants. Avec des avantages
fiscaux à la clé qui varient d’un
pays à un autre, même si les lois
américaines en la matière sont
plus généreuses que les européennes. «L’entreprise peut déduire fiscalement une partie de ses dons
en faveur de la philanthropie, explique Xavier Oberson, professeur
de droit fiscal suisse et international à l’Université de Genève. En
Suisse, en général, cette déduction
peut aller jusqu’à 20% du bénéfice
imposable de l’entreprise. On distinguera des dons déductibles
sous cette forme des opérations
de sponsoring qui constituent des
fonds versés par la société en
contrepartie de l’apparition de la
marque de l’entreprise donatrice
qui s’apparente alors à une forme
de publicité.»
Si les marques sont toujours
plus nombreuses à s’investir dans
des activités de philanthropie ou
de mécénat, c’est aussi parce que le
public estime qu’à l’heure
d’aujourd’hui cela fait partie des
devoirs d’une entreprise. «Les actions caritatives menées par les
marques du luxe doivent être encadrées professionnellement et répondre à un réel besoin, reprend
Bettina Ferdman Guerrier. Il faut
savoir à qui on donne, selon quels
critères, comment et à quelles fins.
L’évaluation des projets et de leur
impact est la clé pour la professionnalisation du domaine.»
Le soutien des maisons peut
prendre plusieurs formes. Elles
peuvent financer des causes et
mettre en place des projets en apportant les fonds nécessaires, apporter une expertise particulière
dans un domaine – comme les ateliers d’estime de soi mis en place
par L’Oréal et qui aident les femmes à retrouver confiance en elles
– ou user de leur force de commu-
nication pour faire connaître une
association humanitaire à leurs
clients, qui sont autant de donateurs potentiels. «Le monde du
luxe est un secteur économique
où il y a encore de la prospérité,
développe Carla Hilber del Pozzo,
directrice de Philanthropica SA,
une structure qui conseille fondations et entreprises dans leurs démarches philanthropiques. Les
marques sont extrêmement sollicitées. Elles ont alors le choix soit
de réagir aux demandes diverses,
soit d’agir de manière ciblée en
créant leur propre fondation
autour d’une stratégie, de manière à soutenir des thèmes précis
qui leur tiennent à cœur.»
Mais parmi les nombreuses
causes qui ont besoin d’être soutenues, certaines sont plus promptes à séduire que d’autres… Une
course à «la cause la plus sexy» que
déplorent les acteurs du secteur.
«De façon un peu stéréotypée, on
peut dire qu’il est plus tentant de
soutenir des enfants défavorisés
que des personnes âgées, illustre
Bettina Ferdman Guerrier. Le secteur de l’enfance est fédérateur et
porteur en termes d’image. Or, les
enjeux sociétaux à venir sont liés
au vieillissement de la population. C’est donc une cause pour
laquelle les entreprises devraient
s’engager. C’est essentiel. Si le glamour peut aider à faire connaître
des causes et des actions, il ne faut
pas hésiter. Mais ça ne doit pas
être une fin en soi!»
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
CONVERSATION
Danslesmotsde Serge
Les parfums de Serge Lutens sont autant de chapitres qui racontent une vie: la sienne.
Son dernier opus, L’Incendiaire, est une manière de bouter le feu à tout. Mais avant le grand
autodafé, le créateur a accepté de feuilleter les pages de sa vie. Par Isabelle Cerboneschi
C
ela fait des années
que je l’interviewe,
que j’admire ses photos, que je porte les
parfums dont il est le
maître d’œuvre, que
j’écoute ses mots, que je suis sa
trace, sans vraiment le cerner, car
la ligne qui le dessinerait est mouvante, elle ondule. Il est quelque
part, dans ses parfums qui sont
autant lui que des rêves de lui. Ses
vérités se cachent dans les noms
qu’il a donnés à ses fragrances,
dans les matières premières qui
les composent. «C’est un feuilleton, ma parfumerie. J’ai 70 parfums, mais c’est la même histoire
que je raconte, autrement chaque
fois», dit-il.
Quand on joue à cache-cache,
on laisse toujours une trace de soi
pour que l’autre nous retrouve.
Quand Serge Lutens parle des premières fragrances qui ont porté
son nom, il dit: «Je voulais retrouver l’identité du parfum. La mienne
aussi. Hypocritement, quand je
parle de parfum, je parle de moi. Je
suis incapable de me détacher des
choses que je fais.» Jeu de Peau,
Rousse, Serge Noir, Vierge de Fer,
L’Orpheline, La Louve, La Fille de
Berlin… Chaque opus est le chapitre d’un livre. Le livre de sa vie.
Quelques heures durant nous
l’avons feuilleté ensemble.
Le Temps. Le dernier opus s’appelle
«L’Incendiaire». Quand on le porte,
on a le sentiment de se retrouver
dans une église de bois et de cuir
qui aurait brûlé. Qui tenait
l’allumette?
Serge Lutens: L’Incendiaire, c’est
moi! J’ai envie de foutre le feu
partout. Je voudrais un terrain
neuf. Mettre le feu à tout ce qui ne
me plaît pas. Et comme si peu de
choses me plaisent aujourd’hui…
On a tous en nous plusieurs personnages: on est l’amoureux
abstrait, le fragile, l’homme qui
peut perdre l’équilibre à chaque
moment (j’en ai parlé dans le
parfum L’Orpheline, d’ailleurs), le
dictateur, l’incendiaire, le criminel, tous ceux-là, je les évoque
dans mes parfums, dans mes
images en tout cas. Si on arrive à
contenir toutes ces parts en soi,
c’est formidable. Mais il y a des
moments dans la vie où l’on dérive
obligatoirement vers l’un ou vers
l’autre. J’exprime ces dérives avec
un parfum qui est la seule façon
pour moi de raconter une histoire,
pour le moment. L’Incendiaire est
celui qui ne peut pas déclarer sa
flamme. Alors il met le feu.
A quoi voudriez-vous mettre
le feu?
Je m’immolerais, déjà. L’idée de
brûler quelque chose c’est «suicider» une partie de soi-même. J’ai
envie de faire table rase. Mais
peut-on brûler le passé, le réduire
en cendres? Tout brûler peutêtre? Et puis partir, me sauver
avec un petit sac, des cahiers… Me
sauver même de ma maison au
Maroc, de tout ce que j’ai construit. Car au fond, tout cela m’em-
FRANCESCO BRIGIDA
12
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Lutens
prisonne. L’Incendiaire c’est cela.
C’est quelqu’un qui veut se sauver,
qui n’en peut plus, qui étouffe
dans ce qu’il a. J’ai fait des tentatives d’incendie quand j’étais petit,
vous savez? Il y a un pyromane en
moi (rire). J’étais très content de
mettre le feu: je trouvais les premières flammes fascinantes. Mais
j’étais tellement effrayé par les
proportions que ça prenait, que
je devenais le pompier. Ce qui
m’intéressait, c’était juste de
déclarer ma flamme. Un peu
comme une histoire d’amour: je
voulais l’arrêter avant que cela
n’aille trop loin. C’est un peu mon
histoire: celle de quelqu’un qui
est resté accroché très fort à une
image de l’enfance. Qui accepte la
femme, mais dans une représentation seulement. Et dès le moment où elle échappe à l’imagination, elle me fait peur.
Pourquoi cette peur?
Il faut se défendre. On n’est pas
toujours en terrains aimables. Ils
sont parfois hostiles, dangereux,
minéraux, piquants, brûlants.
D’où la peur. Et là, le personnage
du dictateur devient nécessaire. Il
prend de l’importance, mais il
faut faire attention qu’il ne vous
dévore pas. Surtout ne pas se
laisser dévorer par une partie de
soi! Or cela m’est arrivé. Par celui
qui peut tomber à chaque minute, le fragile, le dépressif.
Quel parfum incarne cet homme
fragile?
L’Orpheline, Serge Noir. Ce sont
les mêmes, sauf que Serge Noir
marche sur la corde. Et tient le
coup, lui! Il a une trame: on parle
de la serge! Elle est tissée en
croisé, elle ne se déforme pas, on
peut s’asseoir dessus, on en fait
des soutanes, on en fait des Serge
Lutens (rires).
Le feu c’est la destruction, mais
c’est aussi le phénix qui renaît
de ses cendres.
Oui, comme dans cet ouvrage
dont je vous ai parlé plusieurs
fois La conférence des oiseaux de
Farid Al-Din Attar. Il était
parfumeur. C’est une
psychanalyse avant la
psychanalyse, ce livre. Les oiseaux
passent par-dessus des collines
qui symbolisent les épreuves que
l’on traverse dans la vie. De
nombreux oiseaux vont rester à
certains endroits, ne pouvant
supporter d’aller plus loin. Les
quelques-uns qui arrivent au
bout du voyage rencontrent le
phénix qui leur raconte que le
trésor qu’ils sont venus chercher,
c’est justement d’avoir traversé
ces collines.
L’Incendiaire inaugure une nouvelle
ligne de parfums que vous avez
baptisée Section d’Or.
Pourquoi?
Les parfums du Palais Royal
étaient destinés à rester au Palais
Royal. Mais comme ils sont trop
demandés, ils vont commencer à
en sortir. Je dois donc faire autre
chose de plus extrême. On m’a
annoncé récemment qu’un parfum de la ligne Section d’Or que
j’ai proposé pour 2015 va coûter
environ 7000 francs. Mais comme
je ne le fais pas en fonction du
prix, il coûtera 7000 francs et puis
c’est tout. Il y a une autocensure
naturelle dans la création. On
veut aller le plus loin possible,
mais on se demande toujours si
on va être compris. Et donc cela
nous arrête. Mais là, je m’en fiche.
Pourquoi ce prix?
On a utilisé beaucoup de roses
bulgares, de roses turques et les
plus belles matières de la
parfumerie. Tant par la
présentation que par le boîtier
d’étoffe, j’en fais une sorte de
présent. J’utilise ce terme plutôt
que cadeau, car c’est une manière
de se rendre présent en offrant
quelque chose de précieux. Je
pèse les mots que j’utilise. Et le
parfum, pour moi, est le moment
suspendu entre l’image et les
mots. Et ce depuis vingt-quatre
ans. Je ne recherche pas les
expressions rares, plutôt les
ordinaires. Je m’intéresse à leur
origine, d’où ils viennent,
pourquoi, leur naissance. On se
rencontre mieux quand je les ai
en main de cette façon. Ils me
permettent de mieux me situer.
je suis incapable de déterminer la
beauté. Elle arrivait au studio, et il
n’y avait rien. Mais dès le moment
où elle entrait dans la cabine,
qu’elle passait le peignoir, qu’elle
avait les cheveux peignés,
attachés pour que le visage soit
isolé, et que celui-ci était passé au
blanc, c’est là que cette femme
commençait à m’appartenir.
Qu’elle était mienne. Une femme
sans corps. La passer au blanc
c’était me la rendre lisible, plus
nette, évidente. Un premier état
de lecture de la femme. Passer
dans cette peau-là, pour les filles,
c’était fabuleux! Comme si elles
sortaient d’un tableau vivant
pour saluer le peintre, ou pour
danser avec lui. Les gestes qu’elle
faisait étaient très importants.
J’étais derrière l’appareil photo et
la musique était un lien entre
nous, comme un appareil
amniotique. Un souffle. Je
montrais les gestes. C’étaient
toujours une succession de gestes
et à un moment, ils s’arrêtaient. Il
n’y avait plus de femme,
d’homme, juste quelque chose
qui échappe au corps, à la
sexualité, à tout ce que je déteste,
ou ce que je refuse hélas. C’est ça
la section d’or, c’est cette lucidité
de cette solitude et cette mort que
je m’impose depuis trop
longtemps.
Où vous situez-vous alors face
à cette section d’or?
Couper c’est séparer. Cette séparation m’obsède. Je suis à la fois
poreux et absorbé. Or j’aimerais
sortir de cet oxymore. Me séparer
de mon double, cette autre partie
de moi que j’ai considérée
comme moi pendant 72 ans et le
regarder en face. Couper c’est
renaître aussi.
A quel «Jeu de Peau» rêviez-vous
de vous adonner?
Ce parfum Jeu de Peau évoquait le
pain en réalité. Le pain c’est le
premier secours dans la solitude.
Chercher du pain à la boulangerie, c’était compenser une affection qui n’existait pas. C’était
mettre le pain contre ma joue.
C’était un baiser, incontestablement.
Votre parfumerie est une histoire
que vous écrivez depuis vingtquatre ans. Peut-on revenir sur
certains parfums pour mieux
comprendre certains chapitres?
A vrai dire cette histoire dure
depuis 72 ans, mais je l’ai écrite
avec différents supports. Il y a eu
l’image d’abord. Je faisais parler
les images. Je n’avais pas besoin
de mots. Formuler, restaurer,
rassembler une image de femme,
me l’approprier: la première
partie de ma vie, depuis l’adolescence, c’était ça.
Un baiser non donné?
Un baiser non donné que je
m’appropriais en allant chercher
le pain. Il y avait toute la chaleur
du monde dans le pain, surtout
après la fournée! Il y avait l’odeur,
cette consolation magnifique
qu’au fond un baiser pourrait
donner. Il y a une toile de Balthus
que j’aime beaucoup: on y voit un
couteau enfoncé dans une miche
sur une table et la miche saigne.
«Ceci est mon corps.»
Qui est cette femme?
Un idéal. Une image qui nie une
femme, tout en l’aimant, pour en
faire autre chose. Elle est moi
pour ainsi dire. Je vis une femme
en moi qui ne me permet pas
d’aimer une femme. Je suis divisé.
Quand vous faisiez de la photo,
il y avait tout un cérémonial qui
précédait vos prises de vue. Votre
modèle avait la peau très blanche,
comme un papier sur lequel
vous pouviez écrire.
Je choisissais mon modèle pour
certaines qualités: sa sensibilité,
son visage, un tas de choses qui
ne s’expliquent pas toujours, car
Il y a beaucoup de femmes dans
votre parfumerie. Qui est la Rousse
de votre vie?
Elle est substituée par la cannelle
dans cette histoire. Le nom que je
donne à un parfum est terriblement inconscient. Il me défend,
dans les deux sens du terme: il me
protège et il m’interdit. La rousse,
je ne la vois pas, je ne la connais
pas, elle existe dans mon enfance.
Mais elle n’a pas de visage. Elle a
une peau très blanche. Elle est là.
Parmi les femmes que connaissait
ma mère. Elle existe dans les mots
de ma mère, dans ses critiques:
ma mère démolissait et adorait à
la fois. Surtout les femmes. Les
hommes aussi. Tout le monde
y passait.
Vous aussi?
Les gens qui ont peur se
défendent. Je pense que ma mère
était un peu folle. Je l’ai remarqué
sur certains clichés que j’ai
déchirés, comme presque toutes
ses photographies, pour ne pas
garder d’autre image que celle
que je me fabriquais. Je n’ai
presque plus rien. Les photos me
gênent, me dérangent. Elles
empêchent les mots. Elles
arrêtent quelque chose qui n’est
pas vrai. Elles mentent. Les mots
ne mentent pas.
Et La Fille de Berlin, l’avez-vous
rencontrée?
Ah, La Fille de Berlin! Avec elle
j’avoue tout! Je crois que c’est la
première fois que je mets les
choses en lumière: que je dis «ce
parfum, c’est moi»! Je suis né en
1942, c’était la guerre. Berlin était
un mot que l’on n’aimait pas
prononcer. Ma mère était adultère. Les lois de Pétain interdisaient l’adultère. On a été séparés.
Elle m’avait imposé comme
deuxième prénom celui de mon
père qui ne voulait pas l’épouser:
Lucien. Réfléchissez à ce que cela
veut dire pour un enfant né hors
mariage: «Lu, sien, lu comme le
sien.» Comme une accusation. Les
mots ont eu une énorme importance pour moi. Ils me tuent et
me font renaître à la fois.
Dans Lucien, j’entends autre chose:
luceo, briller…
Peut-être y a-t-il les deux vérités.
Mais lui, je le hais. Malgré les
années de dépression, de psychanalyse, je le hais encore. Et en
même temps, je ne regrette rien
de ma vie: je la trouve étonnante.
Ce qui serait terrible c’est de
vieillir dans cette histoire. Je dois
sortir de cela: je dois brûler,
refuser, couper. Ce que je vis est
une séparation principale. Je crois
que le cordon n’a jamais été
coupé. La Fille de Berlin, c’est la
conscience du double et
de la colère.
Entretenir la colère,
c’est conserver un lien.
C’est une colère contenue. Le
père, l’homme en général, a pris
le sens d’ennemi. Je ne me sentais
pas homme. A l’école, un copain
qui m’a vu manger des bonbons
pour la gorge m’a demandé ce
que c’était, et je ne sais pas ce qui
m’a pris, je lui ai répondu: «Je
prends des cachets pour changer
de sexe.» (Rires.) Comme je devais
avoir 12 ans, c’était assez étonnant. Il a bien sûr répandu cette
histoire partout.
L’Iris, que l’on retrouve dans Iris
Silver Mist, c’était le parfum
de Simonetta Vespucci, la muse
de Botticelli. Quand la beauté
a disparu, que reste-t-il?
Elle doit mourir. Simonetta
Vespucci nous fait le cadeau de
disparaître à 23 ans. Elle était la
beauté incarnée et avait épousé un
Vespucci qui était homosexuel.
Evidemment cette femme a été
très malheureuse. Elle a passé son
temps, pour notre grand bonheur,
à se faire peindre par les grands
peintres de l’époque, Botticelli,
Piero di Cosimo, avec cette
coiffure de tresses et de perles
entremêlées, tellement magique.
Elle se décolorait les cheveux à la
lumière de la lune pour avoir un
blond vénitien. Elle a pris froid.
Elle est morte phtisique.
A la Nuit. Vos nuits sont-elles plus
belles que vos jours?
Non, parce que je dors très peu.
Vous dormez? Vous avez de la
chance. Moi, je suis insomniaque
hélas, donc mes nuits sont des
cauchemars. Mais l’image de la
nuit, puisqu’elle est celle de
l’ombre, me plaît beaucoup. Il y a
des titres que j’envie: «Voyage au
bout de la nuit». Quel beau titre!
Depuis Céline, on ne peut plus
utiliser l’expression «Voyage au
bout de…». Pourtant on pourrait
mettre beaucoup de choses «au
bout de…» Mais ce serait copier.
C’était ça le génie! Un titre c’est
spontané. Ça n’arrive même pas
par la réflexion. Très souvent il y a
une histoire en moi qui se
prépare, qui s’incube, et le titre
arrive comme ça. Il se précipite. Et
quand il est là, je l’évite, pendant
un mois, deux mois, quatre mois,
un an. Après je m’aperçois qu’il
existe et je me demande ce que je
voulais dire. C’est là que les
choses commencent à arriver. Le
titre est la sonnette d’alarme qui
m’explique ce que je vais devoir
dire. Il parle de choses que je ne
connais pas encore. Mais quand
elles sont écrites, on se dit
«mais oui!».
Santal de Mysore, Myrrhe, Ambre
Sultan, Musc Koublai Khan, autant
d’évocations de matière premières
utilisées dans des parfums sacrés.
Quel rapport entretenez-vous
avec le divin?
Les églises, les messes, j’adore!
J’adore être à genoux. L’idée de
me mettre au service de quelque
chose. Je ne sais comment
l’expliquer. Je me destinais dans
l’enfance à la prêtrise, mais à
l’adolescence, je suis devenu
violemment contre. Contre tout
ce que j’avais adulé. Enfant,
j’allais à l’église. Mais il était
nécessaire que ce soit
douloureux: quand je
m’agenouillais sur le marbre
devant une représentation de
sainte, il fallait que le sol soit
glacé, que je sente le froid
monter en moi. La ferveur devait
se sentir: les mots ne suffisaient
pas. Quand je priais, mes mains
devaient ne devenir plus qu’une
seule. (Il serre très fort ses mains
l’une contre l’autre, ndlr.) J’ai été
très attiré par le monde
ecclésiastique et Dieu est
présent. Mais le problème de
Dieu, c’est son nom: tout le
monde en parle, demande des
explications. Les gens y croient
terriblement et comme tous les
gens qui croient, ils ont besoin
de se dire qu’Il n’existe pas…
13
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
SOIE
Ralliésàlabannière
dePierre-LouisMascia
Il fut artiste avant d’être designer. Il crée des étoles
comme de douces armures qui se laissent reconnaître,
même si elles n’arborent aucun signe distinctif.
Rencontre. Par Isabelle Cerboneschi
P
Le Temps: Quel est le secret
de vos imprimés, que tout le monde
reconnaît, même s’ils n’arborent
aucun signe distinctif?
Pierre-Louis Mascia: Je les conçois
comme des collages: une fois
portés, il faut que la variété de
tous les imprimés se révèle. Je n’ai
aucun tabou avec les télescopages
de couleurs, j’essaie de travailler
EX-MACHINA
ierre-Louis Mascia est le
secret le mieux gardé des
élégants. Hommes et
femmes confondus. Qui
dit secret dit murmure.
Et c’est d’une petite voix
que l’illustrateur devenu designer
souligne, précise, appuie, revient
à lui et s’échappe.
Ses écharpes sont des étendards, des remparts, de doux réconforts, des tableaux de soie, des
expressions de lui et de soi. On les
porte autour du cou comme des
caresses. Pas de logo reconnaissable. Juste cette dichotomie entre le
côté face en soie imprimé et le
côté pile en cachemire, ou en jersey uni. Et cette immense générosité d’envelopper le cou, les épaules, le corps tout entier si besoin
était.
Le designer est un artiste. Il est
passé des Beaux-Arts de Toulouse
à l’illustration, puis à un support
mouvant: l’accessoire essentiel. Ce
qui rend ses étoles reconnaissables ce sont ces motifs qu’il invente faits de juxtaposition d’éléments – bijoux, châle en
cachemire, kilt écossais, papier
peint, vêtements ravaudés, tapis
iranien – et qui résultent en de
multiples collages. Ses châles, ses
carrés semblent familiers. Comme
si la vie les avait traversés. Comme
si on les avait déjà portés.
Pierre-Louis Mascia a des origines napolitaines mais vit et crée à
Toulouse, où il fait «364 jours de
soleil par an». Il ne cire jamais ses
chaussures. «Pas parce que je suis
négligent, mais parce que quand
je m’habille, si tout est parfait de
la chaussure à la cravate, il manque un accident.» Il aime le chic
des Parisiennes parce qu’elles
contrôlent leur allure, mais pas
jusqu’au bout. Il travaille actuellement sur un projet avec Mikimoto, une série d’accessoires
«avec 90% de perles»: écharpes
brodées, épingles de cravate. Il
sait aussi fabriquer du papier japonais washi. Une douce étrangeté. Son logo est une fleur fragile:
au Japon, elle s’appelle «tampopo». «C’est comme une petite
fleur de pissenlit avec des graines
qui essaiment au vent. Le travail
que je fais, c’est cela. Il y a des
rencontres heureuses qui donnent de jolis projets, ou pas. Je suis
un semeur», dit-il.
Il a une manière d’être là, tout
en retenue. Entre lui et les autres,
s’érige l’oriflamme de son extravagance qu’il porte autour du cou. Il
a une raison pour avoir choisi
d’habiller cette partie du corps si
gracile: tenir les angines de son
enfance à distance.
ISABELLE REY
14
sur une harmonie dans laquelle il
y a de petits accidents, avec des
textures, des reliefs, des variations, afin de ne pas avoir une
image plate. Je fais un travail très
pointu sur les teintes pour donner à la fois le sentiment d’une
écharpe vintage qu’on aurait
ressortie d’une malle, tout
en transposant l’ensemble
dans l’époque.
Quel genre de collage:
des peintures, des dessins,
des papiers?
Je récolte, je chine, j’archive tout:
des bouts de papier, de tissus.
J’assemble divers éléments avec
des parties que j’ai peintes et j’en
fais des sortes de collages. C’est
un peu de la cuisine. Tout cela est
retravaillé, photographié et
digitalisé. Avant de l’imprimer, je
retravaille le dessin dans sa globalité. Sur cette étole par exemple
(il déplie celle qu’il a autour du
cou) vous voyez des bijoux que
j’ai chinés en surimpression sur
un imprimé cachemire qui fait
partie de ma collection d’indiennes, sur une autre partie, on
remarque la reproduction d’un
tapis ancien, un qashqaï iranien
sur lequel j’ai ajouté de petites
broderies. Une texture, une
trame, tout me sert, cela donne
une impression de relief.
Quand j’étais illustrateur, je
faisais déjà ce travail avec
des petits bouts de papier.
Aujourd’hui, c’est sur de la soie.
Qu’est-ce qui vous a fait passer
de l’illustration sur papier
à un support en trois dimensions
et en mouvement?
Le déclic c’était de vouloir porter
ce que je faisais. Ensuite j’ai une
affection particulière pour le
foulard. Quand j’étais enfant,
j’avais souvent des angines et je
portais toujours un petit foulard.
Or, dans les années 70, ce n’était
pas à la mode pour les garçons. Je
portais ceux de ma mère. Ils
avaient son odeur. J’aime l’idée
d’un grand rectangle ou un carré
de soie avec lequel on peut
presque s’habiller.
Vos écharpes ont un côté «vintage», presque déjà porté. Est-ce
dû au choix des éléments anciens
qui forment le motif?
Il y a des créateurs qui ne partent
de rien et qui ont des fulgurances.
Et il y a les autres, dont je fais
partie, qui réinventent. Pour moi,
la création, c’est dévier le regard.
C’est ce petit dérapage qui va faire
la singularité de mes étoles. On
trouve chez certains créateurs des
imprimés plus ou moins réussis,
mais je les trouve plats, car ce sont
des images digitalisées. J’aimerais
y voir une tache, une griffure, une
déchirure, quelque chose de
vivant. Comme les personnalités.
J’aime les gens un peu abîmés.
Tout l’intérêt d’une personne, c’est
son relief. Je viens de chiner sur un
marché de Toulouse des vêtements de travail des années 40-50
et ce qu’il y a de magnifique, c’est
que comme les gens avaient peu
de moyens, ils ravaudaient. Ces
pièces portent la patine du temps.
Ma grand-mère gardait des bouts
de tissus pour réparer. Le ravaudage, c’est magnifique! C’est presque une nouvelle broderie.
Est-ce que le fait de vivre dans
le sud a une influence sur vos choix
de couleurs, vos motifs?
Je me sens du bassin méditerranéen, je porte en moi toute la
culture de la vieille Europe. Pour
la collection d’hiver, j’ai travaillé
sur des motifs floraux. Une amie
polonaise avec qui je discutais
m’a fait remarquer que dans les
arts traditionnels folkloriques
polonais, on retrouvait ces fleurs.
Certains motifs se retrouvent à la
fois en Afrique du Nord et en
Asie. L’imprimé raconte beaucoup de l’histoire de l’humanité.
J’ai un tapis du XIXe siècle sur
lequel il y a des petites broderies
dont le motif ressemble à des
«space invaders». Le décalage est
magnifique. Un peu comme le
travail de cet artiste pakistanais
Imran Qureshi qui crée dans la
tradition des miniatures persanes
mais peuplées de personnages
contemporains.
Au-delà de la technique, il y a
quelque chose d’humain dans ces
étoles doubles, ce que l’on montre
de soi, ce que l’on cache.
Cette marque parle de moi. Elle
s’appelle Pierre-Louis Mascia. Au
fur et à mesure, je dois me raconter, dire comment je perçois un
peu du monde, mais sans intellectualiser. Tout ce qui me nourrit, pour ces collections, vient
beaucoup moins de la mode que
de la littérature, du cinéma, de la
musique. Ce qu’il y a de beau,
dans la création, c’est la sincérité.
Vos étoles sont un peu le «best
kept secret» des élégants. Comme
une bannière qui montrerait
que l’on appartient à un club.
J’aime bien l’idée. Il faut être prêt
pour recevoir les choses: dans ma
vie, elles sont venues par étapes.
Quand j’étais illustrateur, je me
disais: quand je ferai des illustrations pour Vogue ce sera génial, je
serai une star! Et quand c’est
arrivé, cela n’a rien changé. Je me
trompais de but. C’est pour ça que
je ne cherche pas à brûler les
étapes, à ouvrir des boutiques
dans le monde entier. Tout se fait
au fur et à mesure des rencontres.
Avant, je n’étais pas prêt.
Aujourd’hui, je le suis un peu
mieux. C’est un chemin. Comme
tous les créateurs, il m’arrive d’être
impatient, j’aimerais que les choses aillent plus vite, qu’on m’aime
plus. Mais je sais maintenant que
je ne veux pas qu’on m’aime plus:
je veux qu’on m’aime mieux. Et le
luxe, ce serait cette idée-là, d’être
juste avec les émotions.
Vous parlez d’émotion. Or ce qui
frappe dans vos étoles, c’est leur
ampleur, leur générosité.
Il ne faut pas calculer quand on
crée. On ne peut pas véhiculer des
idées si cela se réduit à peau de
chagrin. Je n’aime pas les petits
foulards. J’aime l’idée de quelque
chose d’enveloppant, mais pas
trop lourd. Le foulard est une
caresse qui permet de s’isoler.
Une douce carapace.
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www.chanel.com
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Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Tom: blouson en velours de soie brodé, collection
automne-hiver 2014-2015 Saint Laurent Homme.
Abbie: «I love you», ballon en aluminium réinterprété en bustier
en forme de cœur brodé de cristaux, collection automne-hiver
2014-2015 «Artisanal» Martin Margiela haute couture.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Perfecto en python,
robe en maille de velours ajourée
et bottines en python, le tout collection
automne-hiver 2014-2015
Azzedine Alaïa.
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Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Abbie: redingote en velours brodé, top et pantalon en cashmere,
collection automne-hiver 2014-2015 Dior haute couture.
Bottes à franges en daim Christian Louboutin.
Tom: chemise et pantalon collection automne-hiver 2014-2015 Saint Laurent
Homme. Casque Harley-Davidson. Boots en cuir Christian Louboutin Homme
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Robe bustier brodée avec jupon
en satin de soie, collection
automne-hiver 2014-2015
Atelier Versace. Cuissardes en cuir
Christian Louboutin.
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Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Robe de la collection automne-hiver 2014-2015 Stéphane Rolland haute couture.
Parure n° 4 de la collection Lumières d’Eau: long collier en or blanc serti
de diamants, saphirs, perles de lapis-lazuli et spinelle noir, trois saphirs bleus taille
coussin, l’un de Ceylan de 4,26 carats, deux de Madagascar (l’un de 4,70 carats
et le second de 5.13 carats) et une tanzanite troïdia de 42,64 carats, Chaumet.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Manteau en laine nouée,
collection automne-hiver 2014-2015
Viktor & Rolf haute couture.
Cuissardes en cuir
Christian Louboutin.
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©2014-2015 Harry Winston, Inc. WINSTON™ CLUSTER
GENÈVE 42 RUE DU RHÔNE + 41 22 818 20 20
HARRYWINSTON.COM
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
ACCESSOIRES ANONYMES
Signeinvisible
derichesse
«I
t’s not a bag. It’s a
Birkin», s’entend
dire Samantha Jones, protagoniste
de la célèbre série
Sex and the City,
lorsqu’elle s’étonne de la rareté
du sac emblématique de la maison Hermès. Tout comme la toile
Monogram de Louis Vuitton, ou
la chaîne tressée de cuir et le matelassé du 2.55 de Chanel, entré
au panthéon des accessoires cultes, le Birkin fait désormais partie
de ces accessoires qui, comme
certaines stars qu’on appelle par
leur prénom uniquement, sont
reconnus de manière quasi universelle. Mais cette reconnaissance est à double tranchant: en
s’élevant au rang d’icône, ils en
seraient presque réduits à des totems adulés pour la légende de
leur naissance et l’aura raréfiée
qui les entoure.
Allure racée, pedigree impeccable mais identités silencieuses
et subtiles, les «autres sacs», accessoires discrets qui se cachent,
redonnent au luxe le charme du goût rare et de la retenue.
Par Lily Templeton
Un accessoire,
comme un rite de passage
Autrefois, ces accessoires de marque étaient un rituel de passage –
une montre Cartier pour un anniversaire, une malle Vuitton pour
le premier voyage transatlantique, un Kelly parce qu’il traverse
le temps. «Un Kelly est une valeur
sûre, un patrimoine qui se transmet de mère en fille. Il ne peut
être qu’un héritage et le posséder
est le signe d’appartenance à un
clan qui transmet. Il offre l’assurance d’une position sociale», relève Catherine B, collectionneuse
et propriétaire de la boutique Les
3 Marches à Paris, spécialisée
dans les sacs de luxe.
Au fil du temps, ce caractère
intemporel s’est estompé au profit d’une symbolique de réussite
et de richesse, notamment
auprès d’une nouvelle clientèle
cherchant à établir sa légitimité
en matière de goût. «Le Birkin et
le Kelly sont deux piliers inébranlables du célèbre maroquinier
parisien. Ils assurent à son propriétaire d’appartenir à une famille de goût.» Acheter un sac,
donc, pour acheter son ticket
d’entrée dans un club exclusif?
Appréciés non pas pour leurs
qualités intrinsèques mais pour
le statut social auquel ils renvoient, ils sont exhibés comme
des trophées. Le marché du luxe
continue d’ailleurs à connaître
des taux de croissance dignes de
décennies autrement plus fastes,
grâce à certains «it bags».
Le luxe caché
«Le luxe cherche à être discret,
mais plus il se cache, plus il s’expose. Rien n’est plus chic qu’un
sac Plume porté par une femme
qui n’a plus rien à prouver», affirme Catherine B. En ces temps
où règne le «storytelling», cet art
d’habiller les marques de fables et
de rêves, logos et formes reconnaissables cinglent l’œil comme
autant de signes extérieurs de richesse. Or la prééminence peut
nuire aux maisons elles-mêmes.
Un effet secondaire qui «n’est pas
uniquement lié à la griffe apparente mais également à la surexposition de la marque», résume
Christina Zeller, directrice produits et image de Delvaux, la célèbre maison belge. A trop ériger
l’accessoire en indispensable, son
symbolisme finit par occulter son
intérêt. «Ces icônes ne sont pas là
par hasard, ce sont de très belles
pièces derrière lesquelles on se réfugie», remarque le créateur José
Levy qui planche actuellement
mais bien de la rareté des mains
qui président à sa création.
Hermès, qui possède un savoirfaire profondément ancré dans sa
tradition sellière, fait figure de
chef de file des maisons offrant le
charme d’un luxe qui ne saurait
céder aux sirènes de la publicité.
«Seuls les puristes de la marque,
quelle qu’elle soit, préféreront
porter justement le modèle qui ne
se reconnaîtra pas au premier
coup d’œil», remarque Catherine
B. Une note prend toute son importance face à la demande croissante d’une clientèle avertie. Désormais, ce sont ces «autres sacs»,
pour reprendre la dénomination
de la maison Hermès, qui attirent
l’œil des connaisseurs. Citons, par
exemple, le Virevolt chez Hermès,
le Lockit de Louis Vuitton ou encore le Givry de Delvaux, sur lesquels ne se reconnaît que le travail
de l’artisan. Les marquages à
chaud signent discrètement le
cuir souple, il faut un œil de faucon pour repérer l’initiale qui signe l’appartenance du sac à sa lignée et aucun expédient n’est
possible. «La clientèle est de plus
en plus gâtée et sollicitée. Il ne
faut faire aucune concession sur la
qualité de nos produits, et garder
toujours en tête une élégance intemporelle, audacieuse et irrévérencieuse», explique Christina
Zeller. Et c’est une philosophie qui
gagne en ampleur. Un exemple
est Moynat, la jeune «ancienne
maison», l’un des plus anciens
malletiers français, reprise par le
Groupe Arnault en 2010. Ramesh
Nair, son directeur créatif, est en
recherche constante d’innovations tant sur les techniques que
sur les matières naturelles qui ont
sa priorité, avec le passé de la marque en filigrane.
Des sacs cibles
BUONOMO & COMETTI
28
De haut en bas et de gauche à droite: Le Brillant, Delvaux; Tie, Céline; Charlie, Lancel; Cabas, Alaïa;
SC de Sofia Coppola pour Louis Vuitton; Virevolt, Hermès.
sur un projet d’éditions limitées
dans le cadre de la Jeune Rue, un
projet gastronomique, culturel et
sociétal
de
redynamisation
autour des savoir-faire français.
«Mais c’est très difficile de complètement se les approprier. Evidemment tout le monde craque
pour une belle pièce griffée, mais
une pièce trop reconnaissable est
presque vulgaire même quand
c’est très chic.»
Changement de paradigme
Ce phénomène d’appropriation
ne dérive-t-il pas d’un désir profond de tendre vers l’exceptionnel? «Ce qui est rare est cher», dit
l’adage, mais une seule étiquette
monétaire ne garantit désormais
plus cette qualité ineffable qui
transmute le commun en noble.
L’approche de nombre de maisons est désormais claire: se réapproprier leur patrimoine, ou en
créer un, afin de faciliter l’assimilation non seulement de l’objet
mais également du statut qu’il
apporte. Dès lors, la richesse exprimée n’est plus celle d’un prix,
Mais sous cette apparente envie
d’en découdre avec l’ostentation,
une raison plus prosaïque point.
La valeur trop reconnaissable
d’un accessoire transforme ses
porteuses en cibles. Ces atteintes
peuvent aller du vol à l’arraché au
braquage des boutiques de collectionneurs, méfaits commis par
des criminels bien au fait de la
valeur marchande de leur butin.
Une femme d’affaires genevoise
glisse qu’elle n’ose plus afficher
ses accessoires à la griffe trop
identifiée de peur de se faire
agresser depuis qu’elle a été suivie et qu’on a failli lui dérober le
sac de marque qu’elle portait.
Une autre les cache dans des pièces plus modestes pour voyager
l’esprit tranquille.
Et pourtant, les amatrices de
raffinement ne sont pas prêtes à
renoncer au plaisir de posséder
un objet qui participe d’une tradition d’exception ou tout simplement beau pour lui-même. Afficher, alors, pour seule fortune les
matières nobles et le savoir-faire?
Un atout indéniable pour ces signes invisibles de richesse, car
«nos clientes sont à la recherche
de confidentialité et de discrétion
et aiment la part de mystère qui
accompagne nos sacs. Elles n’ont
plus le besoin d’être valorisée par
la griffe», conclut la directrice produits et image de Delvaux.
Chaque marque de luxe possède dans son portefeuille quelques pièces silencieusement sublimes qui font office de poignée
de main secrète pour un club au
goût rare et sûr. Et si le vrai luxe,
c’était d’être (presque) la seule à
le savoir?
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
D’Evian-lesBains jusqu’à Brienz
dans l’Oberland bernois, en
passant par les hauts de
Montreux, périple indolent dans les
pas de l’aristocratie et des cours
européennes de l’entre-deux siècles, qui
prenaient leurs quartiers d’été et d’hiver
dans les palaces, se grisant des
paysages sublimes de la Riviera
lémanique et des Alpes suisses.
CHAMBRES AVEC VUE
Voyage
àlaBelleEpoque
I
l est dit que la reine Victoria,
grande voyageuse et qui a
donné son nom à tellement
d’établissements hôteliers, se
déplaçait avec: «son secrétaire
particulier, un trésorier de la
bourse, son médecin, quelques dames du palais, le personnel, dont
une première femme de chambre
et six soubrettes, un chef de cuisine
français, ses lieutenants et ses marmitons, un cocher, une douzaine
de valets d’écurie et bien sûr ses
fidèles serviteurs indiens […]» 1 Un
équipage qui lui faisait réquisitionner, lors de ses villégiatures, un
hôtel entier. On était à la fin du
XIXe siècle, mais le tourisme avait
vu son avènement, pour les classes
aisées, dès 1838, date à laquelle
Stendhal utilise pour la première
fois l’appellation dans Mémoires
d’un touriste. On était aussi à l’apogée du Grand Tour, ce voyage initiatique à travers l’Europe qu’entreprenaient les jeunes aristocrates
anglais vers l’âge de 18 ans, sorte
d’année sabbatique leur permettant de s’initier aux arts et à la vie.
De la «bonne auberge» aux palaces, le XIXe voit l’essor du tourisme et des infrastructures qui
vont avec. «L’hôtellerie naît avec le
tourisme vers 1820-1830. Il y a
vraiment une organisation qui se
met en place, des guides sur papier
commencent à être édités, c’est
l’ère de «l’industrie des étrangers»,
évoque l’historien de l’art Pierre
Monnoyeur 2. Après la Restauration lorsque l’Europe reprend un
rythme économique normal et acquiert une certaine stabilité politique, le commerce du tourisme va
se développer. Et l’on va s’en donner les moyens, s’équiper et construire. La Suisse fait figure de pionnier dans ce domaine, de même
que l’Autriche et le Tyrol, parce
qu’il y a l’attrait des Alpes. Et tout
cela grâce à la clientèle anglaise
qui sillonne l’Europe.»
C’est l’époque où les dames peuvent enfin entreprendre des pérégrinations non accompagnées, par
le chemin de fer, et non plus dans
la promiscuité des voitures à cheval, ce qui participe à leur émancipation. Femmes oisives de la haute
société aux désirs légers, virevoltant dans leur robe à tournure, le
cœur palpitant sous leur corset et
escamotant sous leurs ombrelles
de lourds secrets. Epoque bénie
entre deux guerres où l’on peut
cultiver le luxe d’enrichir sa vie intérieure, de ne s’occuper que de soi
et de ses états d’âme dans les écrins
ouatés du bord du lac Léman ou
dans les Alpes suisses.
Et c’est à la fin du XIXe siècle, à
l’orée de la Belle Epoque, que vont
être érigés les palaces, qui offrent
des équipements mieux pensés en
termes de confort pour accueillir
le gotha mondain, lors de ses
transhumances
saisonnières,
fuyant les grosses chaleurs en été
en prenant ses quartiers à Evian ou
FEMMES OISIVES DE
LA HAUTE SOCIÉTÉ
AUX DÉSIRS LÉGERS
à Aix-les-Bains avant de regagner
les capitales européennes en
automne, période à laquelle débutait la saison à l’opéra ou les courses de chevaux. «Un palace est quatre fois plus grand qu’un hôtel,
doit posséder beaucoup de terrain
autour, offrir des courts de tennis
par exemple ainsi que d’autres services et Genève n’arrivera pas à suivre, explique Pierre Monnoyeur.
Deux établissements genevois tentent de s’intituler «palace», en vain:
l’Hôtel National (devenu le Palais
GrandhotelGiessbach,aupaysageexalté
P
tuel. Je m’imagine comtesse en
convalescence d’une affection nerveuse, tellement romantique, à qui
l’on a prescrit grand air et repos
loin des mondanités. Et si je m’enfonçais dans les draps blancs de
mon lit face au lac étal, dans ma
chambre de l’autre côté, j’ai le
choix. J’enclenche la boîte à musique posée sur la coiffeuse et m’enivre de cette atmosphère surannée
au son de Memory Cats. Aucune envie de rejoindre le lobby pourtant
somptueux pour y croiser des représentants du XXIe siècle. G. S.
Ci-contre: de la suite Clara
von Rappard, le bouillonnement
perpétuel des cascades.
GRANDHOTEL GIESSBACH
Un des salons historiques en enfilade avec vue sur le lac de Brienz.
GÉRALDINE SCHÖNENBERG
ar la fenêtre du train, défilent des champs de tournesols sevrés de soleil qui ont
incliné la tête avant l’heure.
Entre deux tunnels, des ravins surplombent des portions de lac. Et
sur les berges, des chalets ornés de
géraniums. Thoune, Spitz, Därlingen, autant de gares, autant d’images de la Suisse profonde, en l’occurrence l’Oberland bernois. A
Brienz, à la sortie du train, l’on embarque sur le lac du même nom
pour atteindre le Grandhotel Giessbach, juste en face, planté au
cœur d’un domaine forestier traversé par les chutes de Giessbach,
sur 500 m de dénivelé. Faire abstraction de la foule bourdonnante
des touristes sur le pont et guetter
le son de la corne de brume qui
annonce l’accostage imminent. De
loin se découpe l’hôtel, monumental avec ses tours et ses coupoles, sur les hauteurs boisées, à flanc
de falaise. Vision romantique, paysage grandiose. Du débarcadère, il
faut emprunter le funiculaire à
crémaillère, le plus ancien d’Europe, qui s’élance abruptement
au-dessus des cascades bouillonnantes, celles où Sherlock Holmes
précipite son ennemi juré, le professeur Moriarty. Dans le salon de
la suite Clara von Rappard aux voilages en drapés mousseux, je
m’étends sur le canapé face aux
flots fracassants. Je ferme les yeux
et me pénètre de l’entêtant tumulte de ce déversement perpé-
ParGéraldineSchönenberg
Wilson) et Champel-les-Bains, qui
n’existe plus (transformé en centre
hospitalier).»
Même
si,
aujourd’hui, tout hôtel 5 étoiles
peut revendiquer l’appellation palace, à l’origine, soit vers 1900, date
de leur apogée, on construit un
palace, et il est impossible
d’«upgrader» un établissement
existant de catégorie inférieure.
On en trouvera principalement à
Ouchy, à Montreux, à Evian ou encore à Aix-les-Bains où la reine Victoria séjournera plusieurs fois. Genève sera un point de passage vers
d’autres lieux de villégiature, des
spots dirait-on aujourd’hui (Nice,
Antibes en hiver, la Riviera lémanique en été), mais l’on n’y séjournera pas. Selon Pierre Monnoyeur,
manquant son rendez-vous avec le
train, la Cité de Calvin n’aura
qu’une importance mineure dans
le transit nord-sud, aristocrates et
grands bourgeois partant sur
Ouchy et Montreux ou la vallée du
Rhône pour rejoindre l’Italie, ou
encore passant par Annemasse
pour atteindre les Alpes.
Dans un palace, «les rois et les
reines y descendent avec leur propre cuisinier, leur propre maître
d’hôtel et on leur met la cuisine et
les marmitons à disposition. Ce
GRANDHOTEL GIESSBACH
30
qu’évoque Marcel Proust dans A la
recherche du Temps perdu, lui et sa
famille, appartenant à la haute
bourgeoisie, séjournant avec leur
cuisinière dans un palace de Cabourg. Si la reine Victoria se déplaçait avec armes et bagages, ce
n’était pas le cas de tous les souverains, les cours d’Europe ayant
leur résidence de villégiature (les
tsars se rendaient à Yalta sur la
Méditerranée, par exemple)», précise l’historien.
Au bord du lac Léman à Evianles-Bains, sur les hauts de Montreux à Glion ou au cœur d’une forêt escarpée entre les chutes du
Giessbach et le lac de Brienz, trois
lieux privilégiés, témoins des riches heures des Années folles, happent les esprits contemplatifs captifs d’un temps révolu où l’on se
satisfaisait d’avoir une «chambre
avec vue».
1 Tiré de «Vacances royales»
de Cyrille Boulay,
Editions Assouline 2003.
2 Auteur de «Les guides, la vitesse,
les images. Le tourisme à Genève
et dans sa région aux XIXe et
XXe siècle», Editions La Baconnière,
Bibliothèque de Genève, 2012.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
«Une heure n’est pas
qu’une heure, c’est un vase
rempli de parfums,
de sons, de projets
et de climats.»
HôtelVictoria,secretsd’alcôve
En haut: le jardin avec vue panoramique sur le lac Léman.
En bas: dans l’intimité des salons peuplés d’objets de collection et de tableaux,
témoins silencieux des murmures mondains et diplomatiques.
Marcel Proust, «Le Temps retrouvé»
RoyalEvian,renaissance
flamboyante
Renseignements:
www.victoria-glion.ch
Tél. 021 962 82 82.
> Traces d’histoire
Construit en 1875 sur un domaine de
22 hectares de forêt, le palace sera
ravagé par un incendie huit ans plus
tard puis reconstruit de façon à offrir
à une clientèle cosmopolite «éclairage moderne, toilettes, cabinets de
bain, pavillons, terrains de jeu, trois
concerts par jour, barques de plaisance, équipement de pêche, tennis,
jeux de croquet». Fin XIXe, on aménage une maison de cure, où l’on
pouvait s’adonner, entre autres, à des
bains d’acide carbonique ou des
bains électriques, avec en arrièreplan une construction indépendante
où résidait le personnel des aristocrates itinérants. Après des décennies de disette, le palace menacé de
démolition dans les années 80 devient propriété en 1986 de la Fondation Franz Weber, puis est fidèlement
restauré et meublé Belle Epoque, encore aujourd’hui. G. S.
Renseignements:
www.giessbach.ch
Tél. 033 952 25 25.
L’hôtel est fermé durant l’hiver
et rouvrira le 3 avril 2015.
Ci-contre: du débarcadère,
le funiculaire menant au Grandhotel
Giessbach.
PHOTOS: ROYAL PALACE ÉVIAN
PHOTOS: HÔTEL VICTORIA GLION
S
ur les hauts de Montreux, le
funiculaire débarque le
voyageur à Glion, lieu où l’on
refait le monde tous les ans
lors du forum du même nom. Il
faut grimper encore pour arriver à
l’Hôtel Victoria, un établissement
entre le palace et l’hôtel familial en
main de la même famille depuis les
années 80 et qui a vu défiler le gratin politique, diplomatique et littéraire mondial depuis plusieurs générations. Comme en témoigne le
Livre d’or des célébrités qu’a bien
voulu nous ouvrir le couple Mittermair et qui se clôt sur une dédicace
récente de l’écrivain Frédéric Beigbeder. Ici l’on se sent chez soi, tellement qu’on y prendrait bien ses
quartiers d’hiver, d’été et même
des quatre saisons à l’image de ces
quelques richissimes pensionnaires qui séjournent au Victoria à
l’année. Dans la chambre au
charme délicieusement suranné,
entre armoires tapissées de papier
à motifs, appliques à pampilles et
gravures florales, un balcon promontoire sur le Léman donne le
vertige. Juste en dessous, la verrière
de la véranda par laquelle filtre le
murmure des convives s’apprêtant
à déguster le menu du soir entrecoupé des cliquetis de porcelaine
et d’argenterie. Du salon de lecture
au salon de musique en passant
par la loggia meublée de rotin, la
collection d’œuvres d’art, de statuettes de bronze, de pendules
constituée par Toni Mittermair sur
fond de tentures cramoisies est foisonnante. Profitons d’un arrêt sur
le banc de bois dans le jardin. Les
nuages qui fusent au-dessus du
Grammont lui donnent l’aspect
dynamique d’un volcan en éruption. Lac et montagnes en vue panoramique et aucun témoignage
de la civilisation de là où je me
trouve. Madame Mittermair passe
devant moi en peignoir, se rendant
à la piscine et m’adresse un «bonsoir» gracieux. Quel décor pour
toute une vie. G. S.
En haut: le palace construit en 1905 s’étend au milieu d’un parc de 15 hectares
face au lac Léman et aux Alpes. En bas: sous les guirlandes de fleurs Art déco
signées Jaulmes, le décor contemporain de François Champsaur.
L
e palace-paquebot construit
en 1905, dont le cachet s’effaçait sous l’usure du temps, a
retrouvé éclat et majesté
sous l’impulsion de l’architecte
d’intérieur François Champsaur et
de François Châtillon, architecte
en chef des monuments historiques. Un luxe feutré qui invite à la
méditation langoureuse. Dans la
grande galerie, au ciel orné des
«fresques royales» datant de 1909
de Gustave Jaulmes, à se lover discrètement dans un canapé aux lignes fluides en velours couleur de
feu ou dans un fauteuil à oreilles
en lin ourlé de velours. De l’or, du
blanc crème et des bleus profonds, un voyage entre deux rives:
celui, minimal, du chic contemporain et celui, ampoulé et gai, du
début du XXe avec ses volutes et
ses motifs champêtres. Ou encore
à feuilleter un beau livre exposé
sur les étagères de marbre dans le
corridor en aparté du grand salon.
Dans les chambres habillées de
chêne massif ont été conservés
certains meubles d’origine en citronnier ou en érable à marqueterie ou encore les cadres de lit en
cuivre qui voisinent avec des meubles italiens contemporains en
teck. Chaque chambre a son lot
d’œuvres d’art: gravures de Traquandi, Pincemin ou Bram van
Velde. De très beaux tirages sténopés au rendu mystérieux, des photos anciennes signées Roger Viollet font renaître une ambiance
mondaine et classieuse à la Lartigue. G. S.
Renseignements:
www.evianresort.com
L’hôtel est fermé jusqu’à l’été 2015,
la rénovation entrant
dans sa seconde phase.
31
Louis Vuitton et Christian Louboutin célèbrent le Monogram
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2014, six iconoclastes, une icône : CHRISTIAN LOUBOUTIN, CINDY SHERMAN,
FRANK GEHRY, KARL LAGERFELD, MARC NEWSON et REI KAWAKUBO
s’inspirent du légendaire Monogram LOUIS VUITTON.
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Réalisation Isabelle Cerboneschi
Photographies et stylisme Buonomo & Cometti
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Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Page 33: Collier en or blanc de la collection haute joaillerie serti de tsavorites 66 carats, rubis
10 carats, saphirs 16 carats et de diamants. Broche en or blanc de la collection haute joaillerie
sertie d’une rubellite, de saphirs roses, de rubis taille cœur, de cinq tourmalines taille ovale,
de cinq saphirs taille ovale, de saphirs roses ronds, de cinq rubellites rondes, de cinq saphirs
taille poire, de dix spinelles roses, de rubis et de diamants. Le tout Chopard.
Ci-dessus: Collier Robe Couleur du Temps en or
blanc serti de diamants ronds, tailles baguette et
navette, de tourmalines dites Paraíba, de saphirs
taille poire et de 12 aigues-marines taille poire
totalisant 129,87 carats et motifs d’oreilles.
Robe Couleur du Temps en or blanc serti
de diamants ronds, tailles navette et poire,
de tourmalines rondes, de saphirs taille poire
et de deux aigues-marines taille poire
24,13 carats, le tout Van Cleef & Arpels.
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
PORTFOLIO
Robe de la collection automne-hiver 2014-2015 Elie Saab haute
couture. A l’index et à l’annulaire: bague sertie d’une opale noire,
d’émeraudes et de diamants sur or blanc et bague sertie d’une opale
et de diamants sur or blanc, le tout de la collection Rêves d’ailleurs
2014 haute joaillerie, Boucheron. Au majeur et à l’auriculaire: bague
Cocktail deux ors gravés, sertie d’une citrine, de saphirs, émeraudes
et tsavorites et bague Cocktail deux ors gravés, sertie d’une citrine
et de tourmalines, le tout Buccellati. Sur le bras d’Eddie en haut:
bracelet en or blanc serti de 113 perles de turquoise env. 73,83 carats,
de 26 perles de chrysoprase, d’une émeraude de taille cabochon,
de huit chrysoprases taille poire, de diamants taille brillant
et de huit gouttes de turquoise, collection Extremely Piaget, Piaget.
En bas, manchette de la collection «Bracelets de rêve» deux ors
gravés, composée de saphirs bleus, de tsavorites 51,41 carats,
de diamants jaunes et de saphirs roses, Buccellati.
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
PORTFOLIO
Collier Genesis de la collection Acte V en or gris
rhodié serti d’une opale d’Australie de 87,92 carats,
d’une tourmaline de 8,60 carats, d’un saphir
de 5,07 carats, de deux diamants LV star cut
et de diamants, Louis Vuitton.
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Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Robe collection automne-hiver 2014-2015 Franck Sorbier haute couture.
Porté en collier, Diadème Royal en platine serti d’une perle fine de 166,18 grains,
d’un diamant coussin de 5,01 carats, de perles fines, de diamants coussin,
de diamants taille brillant. Manchette Bracelet en platine serti de brillants et
d’une émeraude taille cabochon de 53,78 carats, yeux en émeraude, le tout Cartier.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Bracelet «Ailée Diamant» en or blanc
serti de diamants, saphirs violets,
saphirs, saphirs roses,
saphirs multicolores et rubis
Dior Joaillerie.
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Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
En haut: collier haute joaillerie en or jaune serti de tourmalines,
péridots, spinelles, turquoises et diamants.
En bas: collier haute joaillerie en or rose et nacre
avec émeraudes, rubellites, tourmalines roses, améthystes
et diamants. Le tout Bulgari.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PORTFOLIO
Collier «Cruise» en or blanc serti d’une aigue-marine
taille brillant de 28,3 carats, de diamants taille brillant,
de 2087 aigues-marines (789 carats) et de spinelles
noirs taille brillant. Montre «Cruise» en or blanc
serti de 310 perles d’aigue-marine. (134,1 carats),
de diamants taille brillant et de spinelles noirs taille
brillant. Boucles d’oreilles «Cruise» en or blanc serti
de diamants taille brillant, de 344 perles d’aiguemarine (101,4 carats) et de spinelles noirs taille brillant.
Bague «Cruise» en or blanc serti d’une aigue-marine
taille brillant, de diamants taille brillant et de spinelles
noirs taille brillant. Bague «Cruise» en or blanc serti
de diamants taille brillant et de spinelles noirs taille
brillant. Le tout collection «Café Society»
Chanel Joaillerie.
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
PORTFOLIO
Collier Niloticus par Pierre Hardy
pour Hermès, collection haute bijouterie, en
or rose serti de diamants, d’une tourmaline
verte, de deux tourmalines roses,
et d’un iolite bleu, Hermès.
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
GRAND TOUR
A Palerme, derrière
une façade austère
et un portail en bois,
se cache l’un des plus
beaux joyaux du style
baroque sicilien:
le palais Gangi.
Luchino Visconti
y a tourné la scène
mythique du bal
du film «Le Guépard».
La princesse Carine
Vanni Mantegna di
Gangi nous reçoit.
Claudia Cardinale
se souvient. Visite
émerveillée sur
les traces d’un monde
qui s’efface.
Par Antonio Nieto.
Reportage photographique:
Benedetto Tarantino
La galerie des miroirs, le plus beau salon baroque tardif d’Europe avec son double plafond ajouré unique, œuvre de l’architecte Andrea Gigante.
Souslesorsdupalais
N
ous sommes dans la
galerie des miroirs.
Une mer de crinoline
recouvre les divans.
Les tapis d’Orient et
les soieries des tentures répondent en écho aux dorures des boiseries. Les 1000 bougies
des candélabres et des lustres de
Murano diffusent leur douce lumière à l’infini dans le tain des
glaces de la salle de bal. Angelina
paraît, virginale. Elle sourit au
prince don Fabrizio Salina, qui
l’invite à danser la valse. La fameuse valse, celle du film Le Guépard de Luchino Visconti avec Burt
Lancaster dans le rôle du prince,
Claudia Cardinale dans celui
d’Angelica et Alain Delon qui incarne Tancrède.
Cette scène mythique du cinéma italien a été tournée au palazzo Gangi, l’un des plus beaux
joyaux de style baroque sicilien.
Propriété des princes Valguarnera
puis des princes Gangi, il fut construit en 1750 puis restauré un an
plus tard après le tremblement de
terre de Palerme en 1751.
On s’y rend en empruntant de
petites ruelles étroites. Arrivé sur
la piazza Croce dei Vespri, on ne
devine pas qu’un palais se cache
derrière cette façade presque austère. Il faut pousser un portail de
L’hôtesse des lieux: la princesse Carine Vanni Mantegna di Gangi.
bois pour que lentement se dévoile ce lieu enchanteur. La cour
pavée dessine un chemin vers le
grand escalier où notre hôtesse, la
princesse Carine Vanni Mantegna
di Gangi, attend. Un palais se doit
d’abriter une princesse. C’est elle
qui en ouvre les portes le temps
d’une visite enchantée.
Le palais Gangi, c’est sans
aucun doute la plus belle maison
du sud de l’Italie après le palais
royal de Caserta. L’une des 12 dernières demeures dynastiques en
Europe à être entièrement décorée comme à son origine. Le film
de Visconti Le Guépard n’est pas
étranger à la curiosité qu’elle suscite. «La galerie des miroirs est l’un
des plus beaux salons du monde,
le plus beau d’Europe en matière
de baroque tardif, explique la
princesse. Ce sont les artisans de
Trapani qui l’ont conçue et elle n’a
rien à envier à celles des grands
palais de Saint-Pétersbourg. La
voûte ajourée est sublime ainsi
que le lustre et le pavement de
faïence en «majolica», très rare,
l’un des plus beaux qui aient été
réalisés à Vietri.» La tradition des
majoliques s’est répandue à la Renaissance en Espagne et au Portugal, mais il n’y a qu’à Naples que
l’on peut trouver ce genre de
grands dessins. «C’est un miracle
qu’ils aient traversé le temps»,
souligne notre hôtesse.
Le palais est un exemple flamboyant du baroque sicilien, avec
ses guirlandes de fleurs sculptées
et peintes sur les boiseries puis reprises sur les miroirs et les doubles
plafonds. «Depuis les chérubins
des niches, en passant par le grand
lustre de Murano ou les consoles,
jusqu’aux tapisseries, on retrouve
les mêmes guirlandes dans un ensemble qui n’a pas changé depuis
1750», explique la princesse.
Au fil des salons, on a le sentiment de visiter un musée pendant
les heures de fermeture: une visite
privilégiée, pour soi seul, avec le
temps comme allié pour admirer
les œuvres d’art accumulées au fil
du temps. «La famille de mon mari
a accumulé un tel nombre d’ob-
La scène mythique du bal dans le film Le Guépard de Luchino Visconti.
jets! relève la princesse Carine
Vanni Mantegna di Gangi. Des collections de coffres arabes qui ont
plus de 1000 ans, des objets de
l’époque Liberty, de la porcelaine
de Naples mais aussi française,
des épées de samouraï.» L’éclectisme des collections en fait la richesse et démontre l’ouverture sur
le monde des générations passées.
Princesse, un métier
Au palais Gangi, être princesse
est un métier: hôtesse, bien sûr,
mais pas seulement. «Je fais tout:
conservateur, jardinier, femme
de ménage, administrateur, relation publique. Je taille moimême mes haies et j’astique l’argenterie. C’est beaucoup d’efforts
et beaucoup de bonheur aussi,
parce qu’on travaille avec des artistes, des restaurateurs d’art.
C’est aussi une grande responsabilité, un devoir de mémoire et de
transmission. Mais il y a bien sûr
cette joie immense de vivre au
milieu d’œuvres exceptionnelles», dit-elle.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Ci-dessous: pastel de l’artiste belge Jules Van Biesbroeck représentant la princesse Giulia di Gangi,
grand-mère de l’actuel propriétaire de la maison,
le prince Giuseppe Vanni Mantegna.
Ci-dessous: pavement en céramique de Vietri. 1750.
Détail des travaux d’Hercule. Galerie des miroirs.
Voûte de la salle de bal. Fresques de Gaspare Serenario, «Les vertus du prince». Grands lustres de Baccarat.
du«Guépard»
Quand la princesse Carine
Vanni Mantegna di Gangi est arrivée ici avec son mari il y a vingt ans,
la maison était en très mauvais
état et le travail de restauration fut
colossal. «Une pièce entière était
remplie de chaises et de fauteuils
cassés. On venait de refaire l’électricité. C’était dans un état épouvantable. Il y avait une quarantaine de vitres cassées aux fenêtres.
Tout était couvert de poussière.
Tout le mobilier était là, mais dans
un état piteux. Ce n’était pas à proprement parler abandonné, car il y
avait un gardien, mais malgré
tout, c’était très dégradé. J’ai essayé
de comprendre la maison avant
d’y opérer des changements, explique-t-elle. La disposition des
lieux est restée la même. Quelques
éléments restaurés ont été rajoutés. Mon mari a vécu ici jusqu’à
l’âge de 25 ans, pas moi. Il faut
respecter ces lieux et ces liens familiaux, les appréhender sans tout
révolutionner. C’était déjà tellement beau qu’il serait prétentieux
de vouloir faire mieux!»
C’est après la mort de sa bellemère, en avril 1995, que la princesse a commencé à mettre le
doigt dans l’engrenage de la restauration. «J’ai dit à mon mari qu’il
fallait absolument sauver le pavement de la salle de bal. A l’époque
je parlais à peine italien (elle est
Française, ndlr). Après le sol, c’est le
plafond de 12 mètres de hauteur
que nous avons sauvegardé. La restauration des meubles s’est naturellement imposée. Le palais avait
été loué pour des mariages dans
les années 80 et le mobilier en avait
énormément souffert. De là est né
un laboratoire de restauration. Je
n’ai pas réalisé à l’époque que ce
chantier allait prendre la vie entière pour être mené à son terme.
Aujourd’hui, je ressens une émotion très forte quand je me trouve
dans la galerie des miroirs. Je me
suis battue pour qu’elle resplendisse à nouveau.»
La restauration
ou le travail d’une vie
La liste des restaurations entrepri-
ses donne le vertige: 800 m2 de toit
ont été restaurés ainsi que 400 m2
de terrasse, 350 meubles et portes,
cinq voûtes et fresques, 75 tableaux sont passés entre les mains
expertes des restaurateurs. A cela
s’ajoutent des milliers de pièces
d’argenterie, des centaines de porcelaines, les immenses pavements
de céramique dans les cages d’escalier. Et ceci sans aucune aide étatique. «Au début, j’étais seule et
sans formation spécifique du type
école du Louvre. Mais j’étais passionnée, c’est un moteur indispensable devant une telle entreprise.
Aujourd’hui, l’équipe compte une
dizaine de personnes. C’est une
aventure artistique mais aussi une
belle aventure humaine. Je fais
partie de cette petite équipe, secondée par mon majordome. Le
temps où la maison comptait plus
de 30 domestiques est révolu. Je
n’habite pas ici à plein-temps,
mais dès que je suis en Sicile c’est
ici que je m’installe. Ce palais peut
vite devenir une obsession et il
faut savoir s’en éloigner afin de se
La salle de bal et son pavement de Vietri: «La libération de Corfou de la domination ottomane.» 1750.
Le salon rouge.
laisser assez d’espace pour vivre en
dehors de lui.»
Restaurer des objets, c’est le travail du laboratoire de restauration. «Il doit d’abord faire un vrai
travail philologique sur chaque
objet. Il faut essayer d’entrer dans
la tête de celui qui l’a rapporté,
remonter le temps et les pérégrinations de la pièce elle-même.
Comme par exemple ce cabinet
moghol, l’un des plus beaux du
monde, incrusté d’ivoire et de
pierres dures. Il a été réalisé sous le
règne du roi Akbar, un roi analphabète (plusieurs tuteurs ont essayé de lui apprendre à lire sans
succès, ndlr) qui avait épousé trois
femmes de trois religions différentes pour maintenir la cohésion
de son peuple et qui s’est entouré
d’artistes et d’intellectuels toute sa
vie. Tout cela ne l’empêchait pas
de massacrer ses ennemis en les
faisant écraser par ses éléphants!
Au XVIIe siècle, le hasard l’a
amené en Sicile, en quête de nouvelles découvertes artistiques.»
Nos pas nous mènent à la galerie des miroirs. Une splendeur.
«C’est l’ancêtre de mon mari, Pietro
Valguarnera avec sa femme Marianna, qui a voulu cette galerie
dans la première moitié du
XVIIIe siècle. Il était parfaitement
conscient du caractère exceptionnel de cette réalisation puisque
dans son testament il a exigé
qu’aucun de ses descendants ne
modifie cette pièce. C’est aussi
pour montrer la puissance de son
rang qu’il a voulu les plus beaux
meubles, le plus beau pavage et un
plafond somptueux dont il avait vu
un exemplaire à l’opéra de Nancy,
ainsi que ce lustre extraordinaire
de Murano créé par Briatti. Je
n’échangerais pas cette petite galerie des miroirs contre celle de Versailles. Ici se concentre le meilleur
d’un lieu et d’une époque. Je suis
amie avec l’un des anciens conservateurs du château de Versailles. Il
me dit toujours avec un peu de jalousie complice: «Carine, tu as tout
dans cette maison. Nous, nous devons batailler pour racheter un tableau de louis XIV ou une pendule,
mais toi, tu as tout à portée de
main, intact.» Les miroirs qui font
la splendeur de la pièce étaient extrêmement chers et difficiles à réaliser à l’époque. «D’où l’expression
«si l’on casse un miroir c’est 7 ans de
malheur». C’était tout un patrimoine qui volait en éclats.»
A l’origine, seuls les ateliers de
Murano les fabriquaient. Faire une
galerie des miroirs signifiait égaler la splendeur d’une famille régnante, posséder une maison
comparable à un palais royal.
«Cette pièce est née pour être fermée, comme un écrin, explique la
princesse Carine Vanni Mantegna
di Gangi. Au-delà du symbole de
> Suite en page 46
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
> Suite de la page 45
puissance des miroirs, la forêt d’or
renforce son côté ostentatoire,
avec toutes ces guirlandes de
fleurs que l’on retrouve partout.
Les meilleurs artisans, Briatti de
Murano, les artisans de Trapani
qui étaient les meilleurs sculpteurs de Sicile, les meilleurs ébénistes siciliens, Fumagalli qui était
le maître du trompe-l’œil à Rome,
ont travaillé pour la réalisation de
la galerie des miroirs.»
Dîner au palais
Le palais, dont l’intérieur est
classé, se visite sur rendez-vous.
«Je reçois des petits groupes. On
organise des concerts, des dîners.
C’est une de mes amies qui cuisine, une baronne sicilienne qui
vient ici non pas pour gagner de
l’argent – car un dîner de 30 personnes ne serait pas suffisant pour
cela – mais pour le plaisir d’organiser une belle table. C’est un art
de vivre qui se perd en Europe.
Quand on a des maisons exceptionnelles, il faut savoir recevoir
en conséquence.»
La princesse se souvient d’une
anecdote, lors d’une réception
donnée en l’honneur de la reine
d’Angleterre. «A l’occasion de la
visite de la reine, ma belle-mère
avait organisé un déjeuner test.
Mais le personnel n’avait pas été
formé en lycée hôtelier et le premier plat proposé était le «sfornato di pasta», avec de la mozzarella filante coupée à la main!
Quant au dessert, la gélatine de
fruits, typique en Sicile, nous a
beaucoup fait rire: le vieux majordome tremblait tellement en la
servant qu’il l’avait rendue presque vivante. C’était trois jours
avant la venue de la reine. Autant
vous dire que le menu a changé.»
Un dîner au palais Gangi est
toujours accompagné par un quatuor du théâtre Massimo, «car
dans ces maisons, il y avait de la
musique: parfois on engageait
une soprano et un ténor et entre
deux plats, dans le silence total, ils
chantaient un morceau lyrique.»
«J’essaie de transmettre aux gens
l’émotion que j’ai eue en découvrant le palais. Les visiteurs sortent
d’ici comme s’ils se réveillaient
d’un rêve. C’est un moment unique, privilégié, mais en même
temps que l’on découvre cette immense maison, on comprend à
quel point elle est fragile. C’est un
peu comme se retrouver face à un
chêne millénaire. Il a vécu mille
ans, son histoire est riche, sa force
nous impressionne et pourtant il
peut être la proie d’un incendie, de
la foudre.» Solide et vulnérable,
comme le palais Gangi.
La salle à manger, utilisée aussi comme petit salon de musique, néoclassique, d’inspiration française, Louis XVI tardif.
PHOTOS: BENEDETTO TARANTINO
46
Ci-dessus de gauche à droite: la terrasse et son pavement de céramique «a vela» ou «dents de loup». Le grand escalier à double révolution, le plus bel exemple
d’escalier baroque du sud de l’Italie, réalisé d’après les dessins de Filippo Juvarra.
gneurs, ce détachement incroyable, une courtoisie infinie. Il y a un
immense contraste entre leur comportement et celui du monde actuel, souligne la princesse. A l’instar de mon mari, Ils vivent
extrêmement mal ce décalage. Un
anachronisme tragique. Ils sont
comme des dinosaures en voie de
disparition. On sait qu’ils vont disparaître, ce sera une perte immense, mais on sait aussi qu’ils ne
sont plus adaptés. J’ai eu beaucoup
de chance, car ma belle-mère m’a
ouvert toutes les portes de Palerme.
J’y ai rencontré des gens incroyables. Le baron Inglese, par exemple,
avait acheté un immense monastère de 300 cellules, deux cloîtres
dans le centre de la Sicile dans un
endroit sublime qui s’appelle Santa
Maria del Bosco. Il venait encore à
Palerme à cheval. Il laissait sa monture dans l’entrée du monastère,
dans un corridor de 90 mètres. Un
vrai personnage de roman. Il a
d’ailleurs fait de la figuration dans
un film. J’ai rencontré aussi le marquis Quintino di Napoli, un
homme d’une élégance rare. Il
arborait toujours une petite canne
en bambou. A Paris, à Saint-Germain où il avait vécu une dizaine
d’années, il avait fréquenté tout ce
que Paris comptait alors d’artistes,
de chanteurs, d’écrivains. Il fréquentait Sartre. Ici, il avait transformé sa chapelle en atelier de
peinture parce qu’il était artiste.
Voilà quelques-uns des guépards,
un peu loufoques, délicieux, d’une
infinie courtoisie. Des originaux,
des seigneurs. Il faut lire le livre Ces
fous de Palerme pour comprendre.»
L’actrice était l’inoubliable Angelica
dans le film de Luchino Visconti «Le Guépard».
Pour «Le Temps», elle se souvient.
Qui a dessiné la robe que vous
portiez pendant le bal?
Toutes ces robes sublimes sont
de Piero Tosi. Nous avons fait de
nombreux films ensemble, je
considère qu’il est le plus grand.
Le Temps: Qu’avez-vous ressenti
quand vous avez commencé le
tournage dans ce palais?
Claudia Cardinale: C’est un endroit
merveilleux où nous avons beaucoup tourné. Luchino Visconti le
magnifiait en le décorant de
bouquets de fleurs fraîches, de
bougies. L’ensemble était sublime, car tout était vrai et renouvelé tous les jours.
La robe que vous portiez était
spectaculaire…
Celle du bal et toutes les robes
sont vraiment magnifiques. Les
habits étaient fabriqués par
Tirelli et tout ce que je portais en
dessous était d’époque. Comme
le petit sac Cartier avec des perles.
A l’intérieur, il y avait un carnet
de bal datant de 1880. On ne le
voyait pas, mais il était là. Il m’a
été ensuite offert par Luchino. J’ai
eu la chance de travailler avec les
deux monstres sacrés du cinéma
italien Fellini et Visconti. Fellini
n’avait pas de script alors qu’avec
Visconti c’était comme faire du
théâtre, il était très perfectionniste. Les deux extrêmes, mais
quels génies!
Etes-vous retournée depuis
au palazzo Gangi?
Je suis retournée récemment à
Palerme, mais le palais n’était pas
ouvert ce jour-là.
Martin Scorsese a réalisé une
nouvelle version restaurée et
inédite du Guépard. La version que
souhaitait Luchino. Elle dure trois
heures. J’ai rencontré Martin. Il m’a
dit que sa famille était originaire
de Sicile et c’est pour cela qu’il a
voulu faire cette nouvelle adaptation avec la cinémathèque de
Bologna. Lors de la présentation
du film à Cannes, Delon était à
côté de moi. Les larmes aux yeux, il
m’a dit: «Claudia, nous sommes les
seuls survivants.» Nous avons
découvert beaucoup de scènes
que l’on ne connaissait pas où
nous sommes en train de nous
embrasser. Luchino me disait à
l’oreille: «Claudia, je veux voir la
langue lorsque tu l’embrasses.»
Mais nous ne l’avons jamais fait…
Propos recueillis par A. N.
Les derniers guépards
Ce dernier était une étape du
Grand Tour qu’entreprenaient les
artistes au XVIIIe siècle. Il a abrité
Goethe mais aussi Auguste Renoir
ou Vincenzo Bellini. «Une lettre
autographe de Richard Wagner
est exposée dans la galerie. Rossini a, quant à lui, apposé sa signature sur le piano, souligne la princesse. Ma belle-mère était aussi
amie avec Giuseppe Tomasi di
Lampedusa (l’auteur du livre Le
Guépard, ndlr).»
Si le film n’a pas uniquement été
tourné au palais Gangi, la scène
mythique dont tout le monde se
souvient est celle du fameux bal.
«Scène qui a duré trois quarts
d’heure. D’autres maisons comme
la villa de Donna Fugata ou la villa
Bosco Grande ont été utilisées, précise notre hôtesse. La scène du déjeuner, quand Claudia Cardinale
éclate de rire, a été tournée au palazzo Chigi à Rome, car Visconti
avait déjà dépensé trop d’argent et
refaire cette scène en Sicile au pa-
lazzo Gangi aurait fait exploser les
budgets.»
Si le choix du cinéaste s’est porté
sur ce palais, c’est parce que les descriptions faites par l’écrivain des
salons du palazzo Pantaleone – qui
n’existe pas – correspondent au palazzo Gangi. Le film retrace cette
longue agonie d’une civilisation
qui meurt. «Deux livres clés permettent de comprendre l’état d’esprit sicilien et tout cet héritage à la
fois très beau et tragique: Les princes de Francalanza, de Federico de
Roberto, et Le Guépard.»
La princesse a côtoyé certains de
ces guépards. «J’en ai même épousé
un! C’est un guépard dans cette façon de faire, cette «Signorilita» que
l’on ne retrouve qu’ici. Peut-être
est-ce dû au caractère insulaire de
la Sicile, note-t-elle. Ces grands sei-
ClaudiaCardinalesurlespasd’Angelica
Vous étiez très complices?
Une rencontre magique, oui.
J’avais un petit rôle dans Rocco et
ses frères et au moment du tournage de la scène de boxe il a pris
le mégaphone et a hurlé: «Ne tuez
pas la Cardinale!» J’ai compris
que je ne lui étais pas indiffé-
rente. Il m’a en effet choisie pour
interpréter Angelica dans Le Guépard. C’était un homme très élégant avec qui j’ai toujours eu un
rapport merveilleux, et unique,
car il n’aimait pas beaucoup les
femmes.
Y a-t-il quelques anecdotes
dont vous vous souveniez lors
du tournage au palazzo Gangi?
L’une d’elles est un peu dramatique, oui. A la fin du tournage de
la scène du bal, mon corset était
tellement serré qu’il y avait du
sang autour de ma taille. Quand
Luchino m’a demandé: «Mais
pourquoi n’as-tu rien dit?» Je lui
ai répondu: «Mais parce que je
suis Angelica!»
MEHDI FEDOUACH/AFP
Comment se sont passées les
relations avec Burt Lancaster?
Les gens ne concevaient pas que le
cow-boy Burt Lancaster puisse
jouer le prince. Pourtant il est
extraordinaire dans le film. Il a
apporté au rôle une telle intensité!
Notamment quand il découvre
qu’il est amoureux d’Angelica,
dans le jeu des regards
avec Alain…
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LONDON
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
JEU DE MAIN
Lapeaudouce
A Saint-Junien, dans le Limousin, on a le gant dans la peau depuis des siècles. Aujourd’hui
encore, une poignée de manufactures perpétuent des savoir-faire ancestraux et rivalisent
de virtuosité pour transformer un simple bout de cuir en un accessoire précieux. Reportage.
Par Eva Bensard, Saint-Junien. Reportage photographique: Gilles Leimdorfer
A
Saint-Junien, dès les
premiers frimas, on
sort ses gants. Il n’est
pas rare d’en avoir
plusieurs paires, et
d’en changer souvent. Dans ce ballet de mains, une
seule constante: le gant, de moins
d’un
millimètre
d’épaisseur
(0,5 mm pour un modèle féminin), se fait seconde peau. Il est en
agneau ou en chevreau et a été
tanné, coupé et cousu dans cette
bourgade du Limousin, à 30 km à
l’ouest de Limoges. A «Saint-Ju»,
comme la surnomment ses habitants, on a le cuir dans la peau
depuis des siècles.
Grâce à un bassin d’élevage important et aux qualités exceptionnelles des eaux de la Vienne, cette
localité a développé dès le XIe siècle une florissante industrie du
cuir. Tous les Saint-Juniauds ont
au moins un membre de leur famille qui a travaillé dans la ganterie ou dans la mégisserie, deux
secteurs qui ont fait jusqu’aux années 50 la prospérité de leur ville.
Il suffit d’en arpenter les rues pour
voir resurgir ce passé gantier.
Berceau du mouvement
anarchiste et des luttes
syndicales à l’orée
du XXe siècle, SaintJunien est aujourd’hui
la capitale française
du gant de luxe. A SaintJunien, les ateliers
d’Hermès voisinent
avec la place Lénine,
la rue Karl-Marx
et le bd Marcel-Cachin.
Un savoir-faire séculaire
Près de la rivière, dont les eaux pures étaient idéales pour le travail
des peaux, des entrepôts désaffectés abritaient voilà un siècle des
centaines de mégissiers, employés
aux tâches éreintantes du tannage
(lire l’encadré). Dominant ces usines se dressent encore d’imposantes demeures bourgeoises, anciennes propriétés des patrons
mégissiers et des maîtres gantiers.
Toute une économie locale dépendait alors du cuir. Que reste-t-il de
cette industrie? Ce paradoxe: berceau du mouvement anarchiste et
des luttes syndicales à l’orée du
XXe siècle, Saint-Junien est
aujourd’hui la capitale française
du gant de luxe. Après avoir été
l’un des plus importants fabricants
français de «gants de ville», ce
vieux bastion rouge du Limousin,
champion toutes catégories des
mouvements sociaux, s’est spécialisé dans une production haut de
gamme. A Saint-Junien, les ateliers
d’Hermès voisinent avec la place
Lénine, la rue Karl-Marx et le bd
Marcel-Cachin. L’excellence des artisans gantiers séduit en effet depuis une vingtaine d’années les
grands noms du luxe. La maison
Hermès a racheté en 1998 la Ganterie coopérative de Saint-Junien
(fondée en 1919), et Christian
Dior, Nina Ricci, Yves Saint Laurent
ou Givenchy font appel aux manufactures Morand et Agnelle. Ces
deux entreprises, restées entre les
mains des mêmes familles depuis
trois ou quatre générations, sont
parmi les dernières héritières d’un
savoir-faire séculaire.
Retour en grâce
A l’entrée des ateliers Agnelle, un
panneau illustré vient rappeler
que le gant fut longtemps un objet de séduction et l’indispensable
Ci-dessus à gauche: entre les mains
des piqueuses, les parties du gant
fusionnent comme par magie
(ganterie de Saint-Junien).
Ci-dessus à droite, de haut en bas:
les «mains de fer», qui permettent
une découpe mécanique du cuir
(ganterie Morand), modèles sobres
ou joyeusement colorés chez Agnelle,
où sont utilisées des machines
à coudre parfois centenaires
(ici, la piqueuse «sellier»).
accessoire du vestiaire féminin.
Joséphine de Beauharnais, Yvette
Guilbert, Marlene Dietrich et Rita
Hayworth, dont le strip-tease
ganté est resté dans l’histoire du
cinéma, furent quelques-unes de
ses ambassadrices historiques. La
donne change à la fin des années 60. La femme libérée n’a que
faire de ce symbole bourgeois et
remise au placard gants et chapeaux. Le triomphe des matières
synthétiques semble avoir raison
de ce qui reste du gant de cuir. A
Saint-Junien, des dizaines de ganteries et de mégisseries mettent la
clé sous la porte. Mais quelques
irréductibles résistent, attendant
un retour en grâce de leur acces-
soire fétiche. Il se produit dans les
années 80. Sophie Grégoire,
arrière-petite-fille du fondateur
d’Agnelle, se souvient de ce revirement. «Ma mère gérait à cette époque l’entreprise, créée en 1937.
Avec beaucoup d’intuition, elle a
compris qu’il fallait viser le haut
de gamme. Elle est allée solliciter
la maison Dior et a démarché de
jeunes créateurs alors inconnus.
Ils s’appelaient Azzedine Alaïa,
Jean-Paul Gaultier et Christian
Lacroix.» Actuelle PDG de la ganterie, Sophie Grégoire a poursuivi
cette stratégie. Parallèlement à ses
collaborations avec Dior, Longchamp, Gaultier ou Sonia Rykiel,
elle développe des collections
sous sa propre griffe, distribuées
dans les grands magasins en
France et à l’étranger.
Aujourd’hui, dans les ateliers
saint-juniauds d’Agnelle, une trentaine d’employés perpétuent des
savoir-faire pointus, devenus
d’autant plus précieux qu’ils ne
s’enseignent plus dans les écoles.
Le rez-de-chaussée est le royaume
des maîtres coupeurs, un métier
resté résolument masculin. Des
cuirs sont empilés sur les étagères,
classés par couleur, par taille et par
qualité. Chaque jour, quelque 700
peaux arrivent de la mégisserie. Elles ont été soigneusement prépa> Suite en page 50
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
PHOTOS: GILLES LEIMDORFER
Luxe
Ci-dessus de gauche à droite: A la mégisserie Colombier, les peaux sont teintées dans des foulons, puis lustrées à la «lisseuse».
«Ma mère, avec beaucoup
d’intuition, a compris qu’il
fallait viser le haut de
gamme. Elle est allée
solliciter la maison Dior et
a démarché de jeunes
créateurs alors inconnus.
Ils s’appelaient Azzedine
Alaïa, Jean-Paul Gaultier et
Christian Lacroix.»
Sophie Grégoire, PDG d’Agnelle
> Suite de la page 48
rées et teintées par l’entreprise Colombier (lire l’encadré). Mais elles
ne sont pas toutes identiques. Souplesse, solidité, présence ou non de
défauts, fidélité des nuances: un artisan soumet chaque peau à un
examen minutieux. Seule une petite partie du lot finira dans la pile
des premiers choix, destinée aux
gants les plus luxueux. Une fois
passées par ce contrôle qualité, les
peaux sont manipulées par le coupeur. Avec un toucher savant, jamais en force, l’artisan étire le cuir
au maximum. Il le tend et le retend
contre sa table en bois, encore et
encore, dans le sens de la longueur
puis de la largeur. De ses mains
expertes, il l’assouplit, lui donne la
bonne nervosité, gomme une petite cicatrice. Armé de son «pied de
gantier», une réglette en bois graduée en pouces (1 pouce = 2,70
cm), il détermine l’emplacement
de chaque gant en tenant compte
de la pointure (les tailles vont du
61/4 au 101/2) et en prévoyant un
espace à part pour les pouces et les
fourchettes (pièces entre les
doigts). Il devra aussi compter avec
les petits défauts de la peau qu’il
cherchera à faire coïncider avec les
«fantaisies» prévues pour chaque
modèle (broderies, perforations,
lanières). Il n’y a plus alors qu’à
couper, au ciseau, les rectangles
ainsi déterminés, avant de les étirer
à nouveau, pour exploiter leur surface de manière optimale. Les gestes, aisés et maîtrisés, sont les mêmes depuis un siècle. Les outils
aussi: pied de gantier, ciseaux. Pas
question non plus de se passer des
«mains de fer», ces emporte-pièce
en métal inventés dans les années
1830 par un gantier grenoblois,
Xavier Jouvin. Placés sous une
presse, ces calibres permettent une
découpe mécanique (appelée
«fente») des différentes parties du
gant.
A l’étage, le bruit des ciseaux
laisse place à celui du cliquetis des
machines, et l’univers des hommes
à celui des femmes. Entre les doigts
des piqueuses, les pièces détachées
du gant fusionnent comme par
magie. Le pied sur la pédale, elles
actionnent d’ancestrales Singer et
font courir l’aiguille sur de minuscules surfaces de cuir. Les différentes coutures n’ont plus de secret
pour ces professionnelles, rompues depuis des années à l’art du
piqué anglais (piqûre à plat), du
brosser (coutures intérieures presque invisibles) ou du sellier (pour
les piqûres extérieures très fines).
Les cuirs sont nettement plus minces que dans la maroquinerie et
donc plus délicats à assembler.
La noblesse des peaux
Pour en avoir la confirmation, on
se rend à quelques centaines de
mètres de là, chez Morand, une
ganterie qui s’est fait une spécialité du chevreau. «C’est la peau la
plus noble, la plus fine et la plus
difficile à travailler», assure Nathalie Morand, qui gère avec son
frère l’entreprise fondée par leur
grand-père. Dans cette manufacture ultramoderne, dotée d’une
machine à découpe assistée par
ordinateur, on travaille une
grande variété de peaux – chevreau, agneau, python, pécari – et
on marie sans complexe les matières (le cuir avec la laine, la dentelle, la fourrure). Combinée à la
créativité des stylistes, la technicité des piqueuses rend toutes les
audaces possibles. Le gant se double de soie, de cashmere ou
d’orylag (lapin d’élevage au poil
très doux). Il s’habille de clous, de
Direction ensuite la ganterie,
où elles sont coupées et cousues
(ici, avec la machine «piqué anglais»,
atelier Morand).
strass, de franges, de plumes, de
discrètes nervures ou au contraire
de luxueuses fioritures. «Il faut savoir interpréter n’importe quel
croquis. C’est un savoir-faire que
tout le monde n’a pas», confie avec
fierté Muriel, contremaîtresse
chez Morand. Il y a un siècle, on
appelait ces artisans saint-juniauds des «artistes en ganterie».
Une appellation qui, aujourd’hui
encore, leur va comme un gant.
Lamégisserie,auxoriginesdugant
L
Dernière mise en beauté sur la «main chaude», sorte de «main à repasser» qui donne au gant
une tenue impeccable (Ganterie Morand).
a naissance du gant ne débute pas
entre les mains du coupeur ou de
la couturière, mais à la mégisserie,
où sont tannées les petites peaux
d’ovins et de caprins (alors que les cuirs
plus épais des bovins sont travaillés en
tannerie).
Un beau gant, c’est en effet d’abord
une belle peau. A l’origine, le gantier
préparait lui-même ses peaux d’agneau
et de chevreau, avec une mixture à base
de fleur de farine, de jaunes d’œufs, de
sel et d’alun. Puis à partir de la Révolution industrielle, la mégisserie est devenue un métier à part entière. Le tannage
se pratique désormais dans des usines
mécanisées, installées le long de la
Vienne.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, ces fabriques emploient jusqu’à un
millier d’ouvriers et Saint-Junien
s’impose comme le premier centre mégissier de France. Mais un siècle plus
tard, avec la crise du cuir (délaissé pour
les matières synthétiques), la concurrence étrangère et le déclin de l’usage
des gants, les dépôts de bilan se succèdent inexorablement. A tel point
qu’aujourd’hui, il ne reste plus qu’une
seule mégisserie dans la région, l’entreprise Colombier. «Nous sommes les derniers à Saint-Junien, mais il y aura toujours de la place pour un travail de
qualité», estime Arnaud Colombier, qui
codirige avec son cousin la mégisserie
familiale. Pour répondre à un marché
de plus en plus exigeant, son usine s’est
spécialisée dans le chevreau de luxe.
Aujourd’hui, des ganteries prestigieuses (comme Agnelle et Morand) s’en re-
mettent à ses compétences très pointues dans le traitement des peaux.
Dans les bâtiments édifiés par le
grand-père, Léon Colombier, en bord
de Vienne, seuls les séchoirs sous les
combles, ventilés par des fenêtres à
pans de bois (volets à claire-voie), rappellent encore les mégisseries de jadis.
Ici, les machines modernes ont remplacé les dures opérations manuelles
du XIXe siècle. Si cet outillage performant a permis de mécaniser certaines
étapes et d’améliorer les conditions de
travail, la connaissance du cuir, de ses
propriétés, reste irremplaçable. Une
trentaine de mégissiers œuvrent à la
métamorphose des peaux brutes en un
cuir souple et doux au toucher. Ils actionnent les énormes foulons (tonneaux), remplis d’eau et d’agents tannants, lesquels servent à dégraisser les
peaux et à les tanner. Les cuirs sont ensuite essorés, séchés, étirés à la palissonneuse (qui assouplit les fibres), dégrossis à la dérayeuse (jusqu’à l’épaisseur
voulue par le client) et soigneusement
teintés, en respectant les nuances souhaitées par la ganterie. Au bout de cette
chaîne, un technicien expérimenté trie
et classe les peaux. Il traque les moindres imperfections, qu’il s’agisse de griffures, de traces de barbelés ou de petits
trous de paille dans la fleur (côté sur
lequel se trouvaient les poils ou la laine
de l’animal). Au total, plusieurs dizaines d’opérations s’avèrent nécessaires
pour transformer une peau rêche et cartonneuse en un produit fini élastique et
doux comme de la soie, d’un grain exceptionnellement fin. E. B.
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52
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
Ci-dessus de gauche à droite: Black Opium, Yves Saint Laurent; Levantium, Penhaligon’s; Coco Noir, Chanel; L’Incendiaire, Serge Lutens; Mon Numéro 10, L’Artisan Parfumeur; Rien Intense Incense,
Etat Libre d’Orange; The Architects Club, Arquiste; For her Amber Musc, Narciso Rodriguez; Light my Fire, By Kilian; The Odd Fellow’s Bouquet, Atkinsons.
L’Homme Idéal,
Guerlain.
Shalimar Souffle de
Parfum, Guerlain.
Ils volent sur un épais
tapis de vanille.
Ils auraient pu être
convoités par
Salomon. Ce sont
des voyageurs.
Ils participent à la
création des mythes.
Ce sont les nouveaux
parfums orientaux.
Par Valérie D’Herin
U
ne caravane de nouvelles senteurs orientales traverse en cette
fin d’année les rayons
des
parfumeries.
Normal lorsque l’on
sait que les orientaux sont les parfums les plus appréciés des clientes, juste derrière les floraux.
Grondant d’épices et de légendes,
de bois rares et de matières qui
furent jadis plus précieuses que
l’or, comme l’encens, les bois précieux ou la myrrhe, les parfums
orientaux se reposent sur une
base ambrée de baumes et de vanille, qui évoque à elle seule toutes les voluptés d’un Orient fantasmé, entre sérails, souks et
contes nocturnes.
Les parfums orientaux doivent
leur nom de famille au mythique
Shalimar créé par Guerlain en
1925. Histoire d’amour passionnée, Shalimar évoquait l’Orient
dans toute sa magie. Et comme
tout parfum se doit d’avoir une famille, celle des orientaux était née.
Suivirent des créations aux
noms de légendes telles Ysatis,
Mitzah, Nirmala, Samsara… A
croire que Médée s’était emparée
de l’âme des parfumeurs occidentaux tandis que Salomé les envoûtait. Les belles Orientales sont des
ensorceleuses, des empoisonneuses, des magiciennes, des conteuses. Pas étonnant que Lancôme
nomma l’un de ses orientaux Hypnôse, que Dior lança Poison puis
Hypnotic Poison, Poison l’élixir…
Le champ sémantique des équipes
marketing n’avait qu’à puiser
dans les contes des Mille et une
nuits pour faire rêver.
Aujourd’hui,
l’épiderme
connaît moins les légendes que
les senteurs qui s’en inspirent
même si la déesse Ishtar se cache
PRINCES
D’ORIENT
dans le magnifique Akkad de Lubin, que les graines de carotte et
l’orchidée de Seven Veils de Byredo rendent hommage à Salomé.
Les voleurs de nuit
Ce sont des princes que les parfumeries accueillent dans leurs
rayons en cette fin d’année.
Des princes d’Orient. A commencer par un voleur de nuit
flamboyant, imaginé par Naomi
Goodsir, qui pénètre dans un sérail, aidé de Bertrand Duchaufour.
L’espiègle parfumeur le fait voler
sur un tapis de vanille à la texture
riche et douce comme du velours
jusqu’au pied des odalisques voilées par des vapeurs de narguilé.
Pourtant, Naomi Goodsir nous
confie que l’absolu de vanille n’est
pas, au départ, sa matière première favorite, mais, à un tel dosage, la vanille devient fascinante
et débordante de sensualité.
Inspiré du film Le Voleur de Bagdad, L’Or du Sérail appelle à un
voyage entre onirisme et volupté.
On devient vite «addict» à ce parfum qui rappelle que les orientaux, pour être beaux, doivent être
sans concession.
C’est tout naturellement qu’est
apparu Coco Noir, L’Extrait de
Chanel au début de l’automne. Signé par un accord de jasmin
d’Egypte et de rose de mai, il ravive la luminosité qui émane du
noir. La nuit scintille.
Black Opium, d’Yves Saint Laurent, est un Aladin résolument urbain, écrit à huit mains autour de
notes de café noir très concentrées. Décidément en vogue, la
note café rejoint la composition
d’un autre oriental crissant de modernité, Intoxicated by Kilian, qui
se veut l’évocation d’un café turc,
fumant, à l’essence de cardamome.
Kilian Hennessy revient à une collection plus sombre, plus racée
avec une thématique proche de
son œuvre première: l’addiction,
ou comment susciter le désir au
travers d’un parfum. Light my Fire,
de cette même collection, s’offre,
comme L’Or du Sérail, de très belles notes tabacées, évoquées par
des notes de cumin et de foin que
le miel, l’amande et la vanille viennent adoucir. Ces princes de la
nuit savent faire patte de velours et
montrer patte d’ambre pour approcher les femmes modernes.
L’Orient fantasmé
Autre matière mythique: l’encens.
Cette précieuse résine du désert,
obtenue après avoir «incisé»
l’écorce de l’oliban, trouve sa
route dans Mon Numéro 10 de
L’Artisan Parfumeur. Un Rien In-
La Fumée Maroc,
Miller Harris.
Or du Sérail,
Naomi Goodsir.
l’Orient avait de plus beau est
monté à bord du Levantium en
plus d’une touche masculine,
presque animale. Fabrice Pellegrin, qui a composé The Odd Fellow’s Bouquet, tout comme Ambre Orient pour Armani Privé et
Volutes de Diptyque, avoue travailler les parfums orientaux en
musique. «Si un morceau se cachait sous The Odd Fellow’s Bouquet, ce serait «My Baby Just Care
for Me» de Nina Simone. J’ai réécrit le passé à travers l’idée d’un
vieux fauteuil Club en cuir dans
un bar à cigares réservé aux hommes.» Le St James Club célébrant
le retour de Lawrence d’Arabie.
Issue de l’esprit de Carlos Hubert, créateur de la marque Arquiste, The Architects Club est
l’émanation
parfumée
d’un
homme croisé dans un club de
Mayfair en 1930. Un architecte qui
aime le bois (gaïac, chêne), les
courbes des femmes et bâtir des
palais tout comme le parfumeur
construit des pyramides olfactives.
HERITAGE IMAGES/KEYSTONE/STAPLETON HISTORICAL COLLECTION/PRO LITTERIS
PHOTOS: DR
PARFUMS
Les hommes de l’art
«Persia» de George Barbier, «The Art of Perfume», 1912.
tense Incense d’Etat Libre
d’Orange, aussi sombre que les volutes d’un voleur de nuit, et For
Her Amber Musc de Narciso Rodriguez, ont toutes deux initialement été présentées au MoyenOrient. For Her Amber Musc,
réalisé par Aurélien Guichard en
reprenant la base de For Her, a
même reçu le prix «Arabian Prestige Female Fragrance of the Year»
en 2013 par la Fragrance Fundation Arabia avant de rejoindre les
étals européens, enrichi d’accords
d’ambre et de oud, ce bois que
d’aucuns qualifient d’or noir des
parfumeurs.
Si les bois précieux venus
d’Orient ne manquent pas de
faire fantasmer les Occidentaux,
Lyn Harris a su les dompter avec
féminité avec La Fumée Maroc.
Sous l’abricot, les fruits gourmands, les souvenirs colorés du
souk, s’élève une colonne de bois
fumés. Ils pourraient s’arrêter là,
mais le tableau, loin d’être figé, se
meut. Les bois y deviennent femmes, murmures, peau, mêlant,
une nouvelle fois, la sensualité à
l’onirisme. Après tout, les rois de
Saba ne furent jamais aussi célèbres que sa reine, ne fût-elle qu’un
mythe.
Invitation au voyage
Imaginez l’odeur d’un bruissement de pétale impudique, le
frottement de quelques épices
lointaines, le craquement de
feuilles de tabac et la musique de
l’opulence vanillée, bercés par la
peau qui tangue entre mythe et
histoire. Plus on se rapproche de
parfums évocateurs de voyages,
plus ces créations deviennent
musicales, bruyantes de l’Orient
qu’elles traversent comme Levantium de Penhaligon’s dans la
toute nouvelle collection «Trade
Routes», inspirée des célèbres
routes commerciales entre l’Angleterre et les pays du Levant ou
encore The Odd Fellow’s Bouquet
d’Atkinsons. Le premier est un
concentré de toutes les cargaisons fantasmées: alcool, fleurs,
épices, bois et résines. Tout ce que
Mais qu’en est-il des hommes qui
inventent ces parfums? Le créateur Serge Lutens est un
prince-magicien de l’Orient qui
flouta les frontières de cette famille olfactive en créant le terme
de «parfum arabe» lors de la sortie
d’Ambre Sultan (lire interview
p. 12). C’est un voleur de cœur avec
A la Nuit, un prince des bois avec
Arabie. Avec L’Incendiaire, le premier parfum d’une nouvelle collection intitulée Section d’Or, il
nous emmènera bientôt dans un
autre royaume sur fond de résines
rares, de sèves, de vie.
Avec ses deux dernières créations orientales pour la maison
Guerlain, le parfumeur Thierry
Wasser offre deux facettes de
l’Orient. L’une est masculine et se
veut le parfum de L’homme idéal.
Un mythe que cet homme, déclare
le parfumeur de la maison Guerlain. La seconde arrive dans un
souffle: Shalimar Souffle de Parfum. Pas de tapis volant, de cargaison d’épices. Thierry Wasser choisit de traiter la femme idéale avec
légèreté mais n’en oublie pas ses
bonnes manières. Il pare cette
nouvelle version de Shalimar de
lumière et de fleur d’oranger.
Riches des fantasmes des parfumeurs occidentaux, ces parfums
envoûtent. Ils sont les derniers refuges de l’imaginaire quand il
prend son envol. Ils sont une invitation à des voyages fantasmés.
Pourra-t-on renouveler le mythe
oriental à l’infini? Tant qu’il y aura
des parfums…
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
53
NOBLESSE DES SENS
Les fondateurs
de l’Atelier OÏ.
De gauche
à droite;
Armand Louis,
Aurel Aebi
et Patrick
Reymond.
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rt i
IS O
s’il est facile d’aborder la confection d’un objet destiné à être produit en série, il répond: «Si Bulgari nous a associés au projet
c’est justement parce que nous
avons cette vision d’une recherche autour de la matière, d’une
exploration qui va au-delà de
l’objet lui-même et touche différents mondes. Il ne s’agissait pas
seulement de dessiner un flacon
mais de l’intégrer à un univers.»
Le trio qui conçoit des œuvres
aussi diverses que du mobilier,
des luminaires, des scénographies pour des musées et des objets de luxe en partenariat avec
des artisans d’art, tel ce hamac de
cuir tressé imaginé pour Louis
Vuitton, avait déjà expérimenté
ce matériau impalpable des
odeurs dans son installation sonore et olfactive Aria au Designer’s Saturday de Langenthal
en 2010 dans laquelle Alberto
Morillas, parfumeur chez Bulgari, avait composé une senteur
autour du bois d’arolle.
Pour la collection Le Gemme
(à prononcer à l’italienne), il ne
PUBLICITÉ
85
des experts telle une ancienne
parfumeuse, devenue soignante
par les odeurs et les pierres à
l’hôpital de la Salpêtrière à Paris.
Et l’on apprend par exemple que
l’améthyste est la pierre des sages, de l’intuition et de la sérénité, portée par les brahmanes
en Inde ou les prêtresses égyptiennes. La fragrance correspondante (Ashlemah) composée
d’iris, de lavande et de violette,
fleur de la couleur de l’améthyste et aux propriétés calmantes, étant censée diffuser ce type
d’énergie et de vibration.
Chargé de symbolismes, le design du flacon mixe le flamboyant et la ligne pure, et évoque
aussi une fresque imaginaire de
voyages dans l’Antiquité, de conquêtes d’horizons lointains et de
découvertes de matières premières somptueuses. Lorsqu’on demande à Patrick Reymond, l’un
des membres de l’Atelier Oï dont
le principe créatif est «de manipuler les matériaux, de voir comment la matière se comporte»,
«Lilaia», inspirée par le péridot,
une des six fragrances de la collection haute
parfumerie Le Gemme.
01
34
U
ne carapace mate et
fuselée couleur de
nuit et, sur le dessus,
un verre bombé, à
travers lequel miroitent des reflets de
couleurs vibrantes. L’opacité mystérieuse de la bouteille en forme
d’amphore, à la coque protectrice, évoque un récipient biblique contenant un nectar précieux et qui semble avoir traversé
le temps. Elle est le réceptacle de
six fragrances inspirées par six
pierres aux couleurs vives ou opalescentes: améthyste, citrine, péridot, turquoise, tourmaline et
pierre de lune. Des gemmes aux
provenances cosmopolites et aux
pouvoirs chamaniques qui ornent les parures typiques du bijoutier romain, avec leur taille cabochon et ce mélange baroque
de pierres précieuses et semi-précieuses. C’est dans cette odyssée
joaillière qu’a puisé l’Atelier Oï
pour imaginer la bouteille devant contenir ces fragrances de
niche. On en retrouve les références dans cette forme de cabochon
renversé donnée au capot du flacon ou dans ces cerclages d’or biseautés ou en forme d’anneau de
différents diamètres. «On nous a
aussi demandé de faire un travail
sur la couleur, énonce Armand
Louis, un des membres du trio.
Dans l’histoire de la parfumerie
chez Bulgari, dans les années 80,
on était dans des lignes très sobres, et là nous devions amener
un côté plus glamour lié au travail des pierres mais avec des contraintes liées à l’industrialisation.
Il y a une complexité dans les matériaux tel ce flash de couleur à
l’intérieur du flacon qui donne
un rayonnement à la fragrance,
on joue sur des effets de lumière.»
A l’intérieur de ces fioles
contemporaines semblant témoigner des mythologies grecques et romaines dont est tissée
l’histoire de Bulgari, les senteurs
liées à chaque gemme ont été
développées par le maître parfumeur Daniela Andrier. «Nous
voulions retrouver la symbolique de chaque pierre, car les
femmes ont perdu la connexion
avec elles et ne savent pas pourquoi elles portent une améthyste, une citrine ou une émeraude, explique Valeria Manini,
directrice de la Parfumerie Bulgari. Nous avons essayé de reconstituer la force de chaque
pierre, son histoire, sa propriété
profonde et de la transférer dans
une fragrance en révélant son
âme olfactive.» La maison ayant
fait appel dans sa recherche à
phore. «Nous avons voulu dessiner
un objet qui rappelle le récipient
premier contenant des huiles, des
épices ou des onguents, un archétype reconnaissable dans toutes les
cultures. Nous l’avons conçu par
empilage de formes, mais pour
que son expression ne soit pas trop
littérale, nous lui avons donné une
certaine tension géométrique»,
précise Patrick Reymond. L’amphore qui symbolise le voyage,
comme l’évoque Valeria Manini:
«Pour cette collection, nous avons
reconstitué une «route des gemmes», qui n’existe pas dans l’histoire, alors que l’on connaît la
route des thés ou de la soie. Mais
pour nous, elle est évidente. Il y a
un parcours des pierres, comme la
turquoise qui voyageait d’Iran ou
d’Afghanistan jusqu’en Europe, les
émeraudes qui venaient du Brésil
ou les rubis de Birmanie. Dans toutes les civilisations, c’étaient les
amphores qui servaient à transporter les matières premières les
plus précieuses.»
Ce
JOËL VON ALLMEN
s’agissait plus véritablement d’un
travail d’auteur, mais de l’adhésion
à l’identité de la maison joaillière
devant laquelle les ego des créateurs se sont effacés. «Bulgari a apporté un scénario et son savoirfaire. Nous avons mis le nôtre au
service d’une histoire construite en
commun avec la marque. C’est une
aventure
partagée,
explique
Patrick Reymond. Ce qui les a intéressés c’est que nous ne sommes
pas spécialisés et que nous avons
différents langages créatifs. C’est la
même démarche que lorsque nous
faisons la scénographie d’un musée tel que le Laténium à Neuchâtel
par exemple, en mettant en valeur
des objets celtes, nous collaborons
avec différentes cultures, le contenu ce n’est pas l’Atelier Oï qui l’a
défini, ce sont les archéologues. Et
nous, nous devons essayer de rendre ce contenu lisible et cohérent.»
Dans le flacon dessiné pour Le
Gemme, il a donc fallu rendre intelligible le rapport à l’Orient et à
l’Antiquité par cette forme d’am-
BU
La première collection de haute parfumerie Bulgari,
Le Gemme, a été dessinée par l’Atelier Oï. Histoire
d’une fusion des styles entre opulence romaine
et rectitude helvétique. Par Géraldine Schönenberg
I
Flaconmythologique
- IS O
1
54
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
Ruban en cours de tissage sur un métier. 550 fils de coton et polyester qui vont donner naissance à un bracelet de montre au motif camouflage tissé dans la masse, développé exclusivement pour la marque Tudor.
POIGNETS DE LUXE
Au fil dutemps
U
n bruissement, de
l’agitation dans la
fosse. L’orchestre qui
s’accorde. Dans le
brouhaha des machines, la concentration
est palpable. Les concertistes entrent en scène. Regards inspirés,
doigts de fée. Ce sont des harpistes
qui égrènent leurs accords sur fils
de soie. Et produisent une musique textile séculaire, tissée sur des
métiers antiques. Avec la dextérité
de virtuoses.
Ces harpistes du tissage en
blouse claire portent un nom réducteur: les «tordeuses», ces
ouvrières qui mettent en place les
fils qui vont être croisés les uns
avec les autres des milliers de fois,
CINQ GÉNÉRATIONS
DE PASSEMENTIERS
DANS LA FAMILLE
sur les métiers à navettes Jacquard, dont certains sont vieux
d’un siècle et demi (lire page 56).
Les plus chevronnées feront jusqu’à 400 nœuds à l’heure. Ou plus
exactement des «tors», durant le
«tordage» – le raccordement de
l’ancienne chaîne à la nouvelle.
Sous nos yeux, un ruban en
cours de fabrication: 550 fils de
coton et polyester. 550 fils, soit
550 tors qui ont été effectués à la
main pour préparer le métier au
tissage. Les «nœuds» sont faits
d’une seule main. Et les fils tirés un
à un à travers les œillets puis le
peigne de guidage. Une journée
entière pour la mise en place,
avant de lancer la production de
ces rubans tissés qui vont devenir
des bracelets de montre d’exception, réalisés exclusivement pour
Tudor.
Depuis 2010, la marque genevoise d’horlogerie est la première
à proposer des bracelets tissus
luxueux, dotés d’un supplément
d’âme. Le dessin reproduit devant
nous? Un motif camouflage tissé
dans la masse. Une finesse et une
profondeur sans comparaison.
Aussi une prouesse unique dans
l’histoire de la passementerie, qui
relègue à la seconde les imprimés
asiatiques produits à la chaîne en
quantités industrielles au rang de
mauvais souvenir. La haute gastronomie face à la junk food.
Seul indice sonore qui nous
éloigne des salles de concert, le
bruit de fond: le tchac-tchac millimétré de l’artisanat mécanisé.
Nous sommes en France, dans la
Loire, à Saint-Just-Saint-Rambert.
A la rubanerie Julien Faure, qui
depuis un siècle et demi produit
des rubans d’exception. «Nous
avons créé ce site moderne de production en 1992. Avant, l’entreprise familiale était à quelques kilomètres de là, à Saint-Etienne, la
ville des tisseurs et la capitale de la
rubanerie en France depuis des
siècles.»
L’homme qui nous présente
avec fierté l’entreprise Julien Faure
s’appelle… Julien Faure. Il porte le
Depuis 150 ans, le créateur de rubans «Julien Faure» pousse l’art du tissage
à son extrême. Grâce à une technique antique, il fabrique des passements
uniques au monde, ce qui n’a pas échappé à Tudor. Pour ses bracelets
de montre en tissu, la marque horlogère suisse s’est associée à l’artisan
français. Reportage exclusif dans les ateliers d’un rubanier d’exception.
Par Pierre Chambonnet. Reportage photographique: Véronique Botteron
même patronyme que son grandpère, qui avait lui-même donné
son nom à la société. A l’époque,
son aïeul était déjà la troisième
génération de Faure passementiers… L’histoire de la fabrique –
qui emploie aujourd’hui 40 personnes – remonte à 1864.
Deux cents clients dans le
monde, en grande partie les acteurs de la mode, version luxe.
Chanel, Dior, Hermès, Vuitton,
Louboutin, etc. «Nous avons par
exemple un client très fidèle aux
Etats-Unis, depuis plus de cent
ans, dit Julien Faure. Notre activité est principalement centrée
sur la mode et le prêt-à-porter.
Mais au fil du temps, nous avons
évolué vers des domaines très différents.» Par exemple le bracelet
de montre Tudor. Et en s’associant avec le rubanier, l’horloger
Une vue générale et une vue
de détail des lisses, qui relient les fils
du tissage à la mécanique Jacquard.
C’est le Lyonnais Joseph-Marie
Jacquard qui a mis au point ce type
de métier à tisser dont le brevet
a été déposé en 1801.
a réalisé un coup de maître (lire
page 55).
Revenons à la musique. Dans
les ateliers où se côtoient des métiers à tisser de toutes générations
– tous fabriqués sur mesure par et
pour l’entreprise elle-même –,
d’autres instruments que des harpes: des orgues de Barbarie. Au
sommet des métiers, des rouleaux
de cartons perforés qui dirigent
une symphonie pointilleuse. Dans
l’odeur de l’huile qui lubrifie les
mécanismes des moteurs qui les
animent, les métiers interprètent
leurs partitions «Jacquard» (lire
page 56).
Devant nous, un métier Sahuc,
fabriqué dans la région à SainteSigolène il y a plus de cent ans, s’en
donne à cœur joie. Une canette,
première navette à l’orchestre du
tissage se lance dans la chaîne
dans les staccatos des fils de soie
qui croisent la trame. Cette musique textile, l’entreprise Julien
Faure est la seule au monde à la
produire. «Nous sommes les seuls
à faire du «ruban navette Jacquard» à ce niveau de difficulté,
dit avec fierté le directeur. Nos
machines anciennes permettent
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
55
De nouveaux marchés
à usage technique
apparaissent. Celui
par exemple des sangles
tissées avec des fils
métalliques qui ont des
propriétés spécifiques,
de la fibre optique, etc.
Des rubans qu’il serait
impossible de tisser sur
des métiers modernes.
Le tordage:
chaque fil est
«noué» à la main
pour raccorder
l’ancienne chaîne
à la nouvelle.
Ci-dessus, de gauche à droite: billots sur lesquels sont enroulés les fils de chaîne, sur un râtelier à l’arrière d’un métier à tisser. Des rouleaux de fils assemblés. Des rubans bracelets Tudor qui viennent d’être tissés. Des navettes, qui réalisent les motifs.
des choses que les machines modernes ne peuvent pas faire.»
Pour preuve, ce sublime ruban
tissé spécialement pour la collection de bracelets Tudor: un assemblage de 640 fils de soie noire à
l’architecture complexe: différentes épaisseurs pour un relief ton
sur ton, avec un résultat incroyablement fin. Autre subtilité sans
pareille: aucune perforation après
tissage. Les trous pour la fermeture du bracelet sont directement
tissés dans le ruban.
Par endroits, le carton perforé
des métiers Jacquard traditionnels a laissé place au XXIe siècle.
Sur certains métiers séculaires,
des ordinateurs ont été greffés
LE FIL EST CONSIDÉRÉ
ICI COMME UNE
MATIÈRE VIVANTE
pour produire des motifs toujours
plus fins. La finesse pour la profondeur. Les tissages paraissent vivants. Les motifs – des oiseaux
dans des buissons fleuris – semblent animés grâce à leur relief,
comme sur ces rubans qui vont
orner des bretelles exclusives
fabriquées pour la société newyorkaise, cliente de «Julien Faure»
depuis 1980.
Depuis 1864, «Julien Faure»
produit de l’exceptionnel, comme
en témoignent les archives de la
maison, amoureusement conservées. Toutes les créations de la
marque constituent un catalogue
géant du savoir-faire de l’entreprise. C’est aussi une carotte glaciaire du style, du raffinement et
de l’élégance des siècles passés.
Pour cela, le rubanier a développé
dès le début un artisanat industrialisé: «Nous sommes beaucoup
plus proches des artisans que des
industriels, même si nous faisons
des quantités qu’un artisan pur ne
ferait pas, sans l’aide de la mécanisation et de machines, détaille Julien Faure. Mais nous avons des
opérateurs sur chaque machine et
le travail manuel est partout, à
chaque étape.»
Malgré l’aide de ces machines,
impossible en tout cas d’anticiper
le résultat final des rubans dont la
conception est aujourd’hui assistée par ordinateur. «Il y a toujours
un gros travail de mise au point
sur les métiers au moment du tissage. Le résultat n’est jamais tout à
fait ce qui était prévu par le logiciel spécial que nous avons inventé nous-mêmes, tout aussi
pointu soit-il. Le fil est constitué
d’une multitude de brins. C’est
une matière vivante. Notre savoirfaire manuel est capital.»
Il est aussi un gage de survie: la
rubanerie telle qu’on la pratique
ici est un métier de tradition dans
un secteur qui demande une
adaptation permanente (lire page
56). Un savoir-faire qui, dans le
contexte de la crise industrielle et
textile en France, repose sur un
équilibre fragile. Tout chez «Julien
Faure» est sans cesse à préserver, à
réinventer. Le génie artisanal, qui
tient à un fil.
Grâce à son partenariat
avec «Julien Faure»
depuis 2009,
Tudor propose
neuf bracelets tissés
inédits et exclusifs
E
n 2010, Tudor a été la première grande marque à lancer le bracelet tissu, jusque-là le domaine de
quelques collectionneurs inspirés
de la montre militaire. Depuis, la
marque genevoise a été copiée par
beaucoup d’autres.
«C’est le principe du bracelet
OTAN amélioré, explique Christophe Chevalier, le porte-parole de
la marque qui propose une
gamme de montres entre 2000 et
6000 francs. Nous sommes les premiers à avoir eu l’idée de faire un
bracelet en tissu inspiré du
monde des connaisseurs très
pointus. Sur cette base-là, nous
voulions donner toutes ses lettres
de noblesse au bracelet tissu. Il
fallait donc un métier d’art pour
cela. C’est naturellement que nous
nous sommes tournés vers «Julien
Faure».»
Le rapprochement a lieu en
2009, le premier produit exclusif
sort en 2010. «Aucune autre maison du luxe n’avait à ce moment-là
cette approche somme toute un
peu iconoclaste. Nous souhaitions anoblir ce bracelet grâce au
raffinement des tissages.»
Le premier bracelet tissu Tudor
fabriqué est aussi inspiré du
monde de l’automobile vintage et
des ceintures de sécurité anciennes. Avec la possibilité de régler
facilement la longueur et de prê-
ter facilement la montre de Monsieur à Madame. Et vice-versa.
Le lien avec la montre militaire
demeure en tout cas très présent
dans l’identité de la marque 100%
suisse (à l’exception des bracelets
tissus fabriqués en France). Notamment avec les modèles «Heritage Black Bay», directement inspirés des montres Tudor qui ont
équipé entre autres la Marine
française pendant des années. «La
collection Heritage est la colonne
vertébrale du nouveau Tudor, précise Christophe Chevalier. Nous
proposons systématiquement ces
montres avec deux bracelets, dont
un en tissu.» Car ces bracelets tissés font dorénavant partie intégrante de la nouvelle signature
Tudor.
Les designers de l’horloger travaillent en collaboration étroite
avec les techniciens du rubanier.
Ensemble, ils ont créé neuf bracelets tissus différents. Chaque
montre Tudor de la ligne Heritage
a son propre bracelet tissé, qui
correspond à son univers, du
fonctionnel des montres de plongée notamment à celui de la mode
de luxe et de la joaillerie.
En dehors du bracelet «camouflage», Tudor propose entre autres
un bracelet à la dominante bleue
(la couleur d’origine Tudor), finement alvéolé façon nid-d’abeilles
avec deux couleurs: une chaîne (la
longueur du ruban) noire, agrémentée d’une trame (la largeur du
ruban) bleue.
Autre merveille: le bracelet de
soie noir façon smoking. 640 fils
entrelacés, la limite des machines
«Julien Faure». «A chaque demande de Tudor, nous avons répondu: «C’est possible, mais il faut
nous laisser du temps», rigole l’actuel directeur. Pour le bracelet 640
DR
«Anoblirlebraceletgrâce
auraffinementdestissages»
TUDOR Heritage Ranger sur bracelet
en tissu camouflage «Julien Faure».
fils, sorti en 2013, il a fallu par
exemple six mois de conception.
Avec des moments de doute, tant
la difficulté technique était
grande.»
Et ce sont les bracelets fabriqués pour Tudor qui rendent les
employés du rubanier le plus fiers.
Malgré l’usage sportif qui peut
être lié au port des montres de la
marque, les bracelets en tissu ne
bougent pas d’un fil. «Nous avons
relevé le défi de fabriquer des rubans d’une grande finesse et d’un
immense raffinement, mais aussi
très solides et donc durables,
poursuit Julien Faure. Toute l’industrie horlogère a voulu copier
Tudor. Souvent en ayant recours à
des fabricants qui utilisent des
métiers à tisser automatiques avec
des fils beaucoup plus gros. Ce
n’est de loin pas la même qualité
au final, et donc pas la même tenue dans le temps.» P. C.
> Suite en page 56
56
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
150 ans de savoir-faire «Jacquard»
PHOTOS: VERONIQUEBOTTERON.COM
> «Julien Faure» utilise la technique
de tissage inventée en 1801
Détail de l’ourdissage.
Le fil qui servira au
tissage est «ourdi»
dans les ateliers pour
constituer un «billot»
à partir de plusieurs
dizaines de fils.
En dehors du fil de base, fabriqué
et teint à l’extérieur, tout est fait sur
place. Les matières principales sont
la soie (120 coloris différents), la viscose et le coton. Le fil est livré en
écru. Pour la soie, il est acheté à des
transformateurs français et italiens
qui se fournissent eux-mêmes en
Chine. Il est ensuite teint localement, par un teinturier qui est l’un
des derniers à posséder le savoirfaire.
Première étape avant le tissage,
l’ourdissage: le fil est ourdi, c’est-àdire enroulé sur des bobines pour
former un ensemble de plusieurs
centaines de fils parfaitement parallèles entre eux et qui constitueront la
«chaîne» (la longueur du ruban). Ce
fil est aussi enroulé sur des canettes,
qui seront placées dans les navettes
pour constituer la trame du ruban
(sa largeur).
La chaîne est ensuite installée sur
le métier à tisser, reliée à «la mécanique Jacquard» par les lisses: chaque
fil de chaîne est passé à la main, un
par un, dans cette petite barrette
métallique percée d’un trou. Ces mêmes fils sont ensuite passés dans le
même ordre à travers le peigne, qui
va maintenir les fils de chaîne en
place pendant le tissage.
Actionnée à l’aide du carton perforé, la mécanique Jacquard permet
de lever ou de baisser chaque fil de
chaîne indépendamment de tous les
autres. Il s’agit du même principe
que pour un orgue de Barbarie. Un
trou sur le carton, le fil reste en place.
Pas de trou, le fil descend. C’est le
langage binaire inventé par le Lyonnais Joseph Marie Charles dit «Jacquard» en 1801, l’ancêtre du langage
informatique.
Certains métiers à tisser «Julien
Faure» ont été modernisés grâce à
l’informatique pour une finesse de
détail dans les motifs encore plus
grande. Des ordinateurs ont été greffés au sommet des métiers antiques.
C’est la même technique Jacquard
mais à la place des cartons qui «dictent» le dessin, un ordinateur pilote
un boîtier: au lieu des trous du carton, ce sont des guides qui indiquent
aux fils de quelle façon se croiser
pour produire un motif.
Ce dernier est tissé grâce aux
«navettes», qui font des allers et retours à travers la chaîne. Elles passent l’une après l’autre pour constituer le fond et les teintes du motif, en
convertissant le dessin en croisement de fils. Cette technique «navette» permet des rubans aux lisières parfaites, et une grande finesse
de détails: un mélange de brillance et
de relief d’une subtilité unique.
P. C.
Uneadaptationpermanente,legagedelasurvie
Les mutations
de l’industrie textile
et des marchés
obligent la rubanerie
à se réinventer
sans cesse
A
l’origine, les rubans servaient d’accessoires pour
les chapeaux, les chaussures, les vêtements, etc.
Mais le principal débouché, jusque
dans les années 60, était le linge de
maison. Un marché qui a disparu
presque totalement aujourd’hui.
Les années 60-70 ont provoqué
une grave crise, avant que l’industrie de la mode ne sauve les rubaniers, vers le début des années 80.
Sur ses cent premières années
d’activité, «Julien Faure» n’a pas eu
de modification majeure à apporter à son outil de production. Certains métiers à tisser de l’époque
de la création de l’entreprise
(1864) tournent toujours dans
l’atelier. Mais en plus de la crise
des années 60-70, l’entreprise a
dû faire face à une rupture technologique qui a fait disparaître
toute une partie de l’industrie rubanière.
Au début des années 70, l’entreprise suisse Müller à Frick, qui
jusque-là fabriquait des métiers à
navettes pour les rubans, a trouvé
un procédé beaucoup plus rapide,
qui a radicalement changé le paysage de l’industrie textile. C’est
aujourd’hui le principal fabricant
de métiers à tisser modernes de ru-
bans. Mais ses machines ne correspondent pas au savoir-faire «Julien
Faure», dont l’activité est trop marginale pour que le fabricant suisse
maintienne la fabrication des métiers Jacquard traditionnels.
«Nous avons failli disparaître
au moment de ce changement
technologique, explique Julien
Faure. Nous avons tenté de suivre
en achetant ces machines modernes qui tissent dix à vingt fois plus
vite. Or nous ne produisons pas les
très grosses quantités pour lesquelles elles sont conçues. Il nous
était donc impossible de les rentabiliser.»
Le rubanier les revend rapidement. Quand toute l’industrie du
ruban tourne le dos à la technique
ancestrale du tissage, «Julien
Faure» est l’un des rares à maintenir le cap, en rachetant notamment des métiers traditionnels,
dont se débarrassaient alors ses
concurrents.
Un pari payant: «Nos machines
permettent des choses – une finesse – que les machines modernes
ne peuvent pas faire, se réjouit le
directeur. Les gens de Tudor sont
venus nous voir, car ils cherchaient
un produit textile ultra-spécifique.
Quelqu’un leur avait dit: si vous
voulez quelque chose que personne ne fait, allez voir «Julien
Faure».»
Au début des années 90, l’entreprise se retrouve une nouvelle fois
à la croisée des chemins. Trop compliqué de continuer à acheter de
vieilles machines et de les maintenir. «Nous avons alors décidé de
fabriquer nous-mêmes nos propres outils», relève avec fierté le directeur. «Julien Faure» est
aujourd’hui la seule entreprise au
monde à posséder des métiers de
tissage à navettes entièrement sur
mesure. Une trentaine au total.
«Nous avons développé de nouvelles machines, mais aussi le logiciel de conception assistée par ordinateur qui nous a permis
d’évoluer pour répondre à la demande des clients, c’est-à-dire des
produits qui ne se faisaient pas
avant. Sans l’informatique, nous
aurions mis beaucoup trop de
temps pour répondre à leurs attentes.»
Dans cette entreprise – labellisée «patrimoine vivant» –, à la fois
d’un autre âge et résolument tournée vers l’avenir car en adaptation
constante, une chose a été oubliée
en route: la communication. «Le
faire-savoir est aussi important
que le savoir-faire, reconnaît Julien Faure. Nous avons négligé cet
aspect-là.»
Mais le bouche-à-oreille fonctionne. Et de nouveaux marchés à
usage technique apparaissent.
Celui par exemple de sangles tissées avec des fils métalliques qui
ont des propriétés spécifiques, de
la fibre optique, etc. «Impossible
à faire sur des métiers modernes,
note Julien Faure. Du coup on se
tourne vers des gens comme
nous. Et en termes de personnalisation pour l’industrie de la
mode, tout est possible ici. Les
motifs, ce n’est rien d’autre qu’un
croisement de fils…»
Le patron de PME se dit toujours
convaincu qu’il existe un avenir
pour l’industrie en France, «sinon
j’aurais délocalisé, comme tout le
monde. Mais la recherche
d’authenticité est un grand mouvement actuel, qui bénéficie à des entreprises comme la mienne. Cela
dit, il reste difficile d’attirer du personnel, des capitaux, même si les
gens sont sensibles à ce discours.
C’est encore très compliqué mais ça
viendra. Les mutations de l’industrie et des marchés montrent que
c’est une performance pour une
entreprise de vivre 150 ans.» P. C.
Ci-dessus, de gauche à droite: vue arrière d’un métier qui tisse plusieurs dizaines de rubans à la fois. Un détail des lisses qui permettent de «piloter» individuellement chacun des fils du ruban tissé.
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
JUBILÉ
PatekPhilippe
GrandmasterChime:
175ansd’inventivité
PHOTOS: PATEK PHILIPPE
58
Réversible et dotée de deux cadrans, la Grandmaster Chime 5175 est, à ce jour, la montre-bracelet la plus compliquée proposée par la manufacture. En plus de l’heure et d’un second fuseau horaire,
elle emporte au cœur de son calibre manuel 20 complications, dont: une grande sonnerie, une répétition minutes, une alarme sonnant l’heure, une répétition de date, un quantième perpétuel
avec année à quatre chiffres. Ci-dessous, en détail: l’affichage du second fuseau horaire sur 24 heures, l’année à quatre chiffres en guichet. Chacune des anses de la montre est dotée
d’un mécanisme comprenant 30 composants, permettant au porteur de la retourner pour profiter du second cadran et de son affichage.
Les montres présentées par Patek Philippe
pour ses jubilés se veulent des jalons
dans l’histoire de l’horlogerie. La Grandmaster
Chime renferme 20 complications,
qui ont toutes une histoire les rattachant
à celle du métier, à celle de la manufacture.
Par Vincent Daveau
D
ans l’univers des montres à complications,
un nom vient immédiatement aux lèvres
à leur simple évocation. Celui de Patek
Philippe, maison connue et reconnue par les collectionneurs pour
ses pièces ayant comme signe particulier d’échapper au temps qui
passe (lire dossier dans le hors-série horlogerie du 29 mars 2014).
Afin de parvenir à impacter pareillement les esprits, la manufacture a tout mis en œuvre, depuis
pratiquement sa fondation, pour
célébrer l’art des horlogers dans ce
qu’il a de plus accompli. La Grandmaster Chime référence 5175 fait
la part belle à l’heure dite en musique. Considérée souvent comme la
complication la plus aboutie par
les professionnels eux-mêmes,
celle de Grande Sonnerie à trois
timbres n’avait jamais été intégrée
dans une montre-bracelet de la
marque, pas plus que son organe
de sélection du mode de sonnerie
original (Grande Sonnerie – Petite
Sonnerie – Silence). Rare, cette spécialité a été mise au point pour une
montre de poche en 1890 et pour
une autre réalisée en 1895,
aujourd’hui visible au musée Patek
Philippe.
L’heure en musique
Cette façon de sonner l’heure est
de toutes la plus ancienne car, ri-
valisant avec le temps ecclésiastique, elle s’est imposée assez tôt au
beffroi des villes puis s’est retrouvée durant le XVIe siècle dans
quelques horloges de prix. Ce mécanisme est par conséquent antérieur à celui de répétition à la demande mis au point par
l’horloger anglais Daniel Quare
(1649-1724) à la fin du XVIIe siècle. Cette complication est intimement associée à la manufacture
Patek Philippe car, cinq mois déjà
après sa fondation en 1839, la 19e
montre produite par l’entreprise
était une référence à la répétition
à quarts. Il était par conséquent
logique de retrouver cette façon
de dire l’heure dans la Grandmaster Chime, mais dans sa version la
plus achevée de répétition minutes, un assemblage subtil permettant à la montre de sonner à la
demande de son propriétaire:
l’heure, les quarts et les minutes
sur des timbres fils dont l’invention en 1783 revient à Abraham
Louis Breguet.
Pour mémoire, la première
pièce de ce type produite par la
maison, qui à l’époque ne portait
pas encore la raison sociale Patek
Philippe, l’a été en juillet 1845.
Depuis, cette construction parmi
les plus rares du marché fait partie des grandes spécialités de la
manufacture dont les ateliers
sont installés depuis 1996 à Planles-Ouates, dans le canton de Ge-
nève. Convaincue d’avoir une
vraie légitimité avec le temps
sonné, la marque est allée plus
loin en matière de complication
dite en musique. Voilà pourquoi
elle propose, au cœur de la
Grandmaster Chime, deux autres
fonctions totalement originales
et brevetées faisant appel à des
notes: le mécanisme d’alarme
sonnant l’heure, et la répétition
de la date. La première fait appel
à un système mécanique permettant de faire sonner, à une heure
d’alarme préalablement choisie,
l’heure qu’il est à l’aide du mécanisme de la répétition minutes,
en frappant le nombre d’heures,
de quarts et de minutes écoulés
depuis le dernier quart. La seconde utilise un dispositif original intégrant un différentiel de
sonnerie (innovation non brevetée) capable de venir chercher
l’information de la date sur le
quantième perpétuel pour la
transmettre au mécanisme d’indication acoustique de la répétition.
Mécanisme magnifique
Et de date parlons-en, car sa présentation de façon perpétuelle au
cadran d’une montre fait totalement partie de l’identité de Patek
Philippe. A tel point que la manufacture serait la première à l’avoir
proposée en 1925 dans une
montre-bracelet mise au point à
partir d’une montre de dame datant de 1889 (visible au musée Patek Philippe). Cette construction
qui demeure l’une des préférées
des collectionneurs se retrouve
également dans la Grandmaster
Chime. Cette pièce d’exception est
ici dotée, en sus, d’un magnifique
mécanisme permettant à toutes
les indications du calendrier de
sauter de manière instantanée et
synchronisée. Par désir d’être
complet, le système intègre un
rappel de date affiché autour de la
phase de lune sur la seconde face
de la montre. Et parce qu’il n’y
suffisait pas, ce calendrier dispose
d’une présentation de l’année en
cours à quatre chiffres. Cette
façon de faire – brevetée pour l’occasion –, mais déjà présente au
sein de la manufacture en apparaissant au cadran de la Calibre
89, demeure toutefois une signature visuelle plutôt associée à une
marque concurrente.
Une réversibilité inédite
D’autres complications sont embarquées dans cette montre-bracelet produite à sept exemplaires
(dont six déjà vendus) et considérée par la manufacture comme la
plus compliquée construite par
ses soins. Si l’affichage du second
fuseau horaire semble presque
banal tellement il est courant, celui permettant de connaître la
position dans laquelle se trouve
la couronne de remontoir l’est
moins, même s’il se trouvait sur la
montre de poche Calibre 89 proposée par la Maison pour son
150e anniversaire. Evidemment,
les bonnes idées sont souvent
partagées puisque Richard Mille
en a proposé une interprétation
en 2001 avec la RM 002. Cependant, Patek Philippe a, de facto,
l’antériorité. Cela contentera les
six adeptes susceptibles de payer
les quelque 2,5 millions de francs
suisses pour s’offrir cette montre
de 47,4 mm de diamètre au mécanisme de réversibilité de la carrure inédit et breveté. Cette construction originale s’avère une
façon intéressante d’éviter toute
lassitude et d’assurer une lisibilité optimale en ne surchargeant
pas les cadrans travaillés avec un
soin tout particulier, ne serait-ce
que pour rappeler les origines de
la famille Stern qui, avant de racheter la manufacture en 1932,
était propriétaire d’une fabrique
baptisée «Cadrans Stern Frères».
Ce qui prouve qu’en plus de donner l’heure, une montre bien née
se révèle toujours un pur concentré d’histoire.
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60
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
À TABLE!
Le formidable chef du Vertig’O, à Genève,
récemment distingué par le guide
Gault & Millau 2015, a concocté un menu
de roi pour les lecteurs du «Temps»…
Par Véronique Zbinden.
Reportage photographique: Véronique Botteron
LemenudeFêtesdeJérôme
Q
u’on ne vienne pas
lui parler de ces assiettes contemporaines éthérées où
le produit se résume à une ombre
filiforme. Les siennes font honneur à tous les sens.
Un vertige de saveurs. Un tendrissime chevreuil rosé, pané d’une
couche croustillante de cornes
d’abondance, une nuée de parfums de saison: potiron, châtaigne, betterave… Ou ces délicates
Saint-Jacques recouvertes d’un
voile léger de lard de Colonnata et
soulignées par un camaïeu de
fruits secs. Deux des plats signés
Jérôme Manifacier, à déguster
dans l’écrin cosy de son Vertig’O,
ou à tenter pour les Fêtes, selon les
recettes ci-après. Voire cette
somptueuse bûche revisitée, étincelante de légèreté et de blancheur, aux notes d’agrumes et de
coco.
Le chef genevois aux origines
avignonnaises y pratique une cuisine de produits, de pureté et de
générosité, pleine de saveurs, qui
ne s’effarouche pas devant des
mots comme «terroir» ou «cuisine
bourgeoise». Qui n’aspire pas au
dépouillement à tout va et ne voit
pas pourquoi il faudrait s’interdire d’inscrire une blanquette de
veau au menu du jour…
«Avec cette mode de la bistronomie, on ne sait plus où on est, ni
ce qu’on mange: un restaurant est
bon ou pas, point. Au diable les
étiquettes!»
Pour sa belle créativité et sa rigueur, la limpidité de sa cuisine,
pour les associations terre-mer
qu’il affectionne, le guide Gault &
Millau 2015 vient de le distinguer
et d’en faire son chef romand
promu de l’année. On l’aime aussi
pour sa légèreté d’inspiration et sa
veine facétieuse, sa franchise et sa
faconde. «Les jeunes ne connaissent plus leurs classiques, déplore
le chef. Ils maîtrisent le sous-vide
et les cuissons à basse température – raison pour laquelle on finit
toujours par manger froid… –
mais sont incapables de faire un
fond ou une viande braisée.»
Son cursus à lui a été des plus
classiques. Ce métier s’est imposé
comme une évidence. Seul dans sa
lignée, Jérôme a choisi de quitter
l’école à 14 ans pour entrer en
préapprentissage. Issu d’une famille de gourmands et d’épicuriens, aux lasagnes inoubliables et
aux cochonnailles festives, il se dit
fasciné depuis toujours par «la
magie de la transformation, le
passage de la matière brute à des
mets raffinés», l’alchimie de la
beauté éphémère… Les journées
sans fin à écosser des petits pois, à
éplucher des montagnes de haricots n’auront pas suffi à le dissuader, comme l’espéraient secrètement ses parents, pas plus que la
dureté de certaines places. Le
jeune chef suit un parcours de rigueur, se peaufine auprès de plusieurs maîtres à penser, de Christian Willer, au Martinez, à Gérard
Rabaey, au Pont-de-Brent. Passe
par la rude école des concours,
Taittinger, Bocuse, tente le MOF
(Meilleur Ouvrier de France) et
échoue au dernier barrage…
Un parcours et une vista qui
l’ont amené à doter cette table surgie du néant – avant son arrivée en
2006, l’Hôtel de la Paix n’avait jamais brillé par la qualité de sa cuisine – d’une première étoile Michelin en 2009, d’un 17 au
Gault & Millau.
Noix de Saint-Jacques de Dieppe, douceur de lard de Colonnata et fruits secs
Ingrédients
pour 8 personnes
16 belles noix de Saint-Jacques
16 sablés
3 poires
6 noix fraîches épluchées
16 tranches de lard
de Colonnata (petites et très fines)
20 cerneaux de noix
1 pomme
(épluchée et coupée en cubes)
100 g de fond blanc de volaille
Huile de noix
1 endive fraîche
relever de poivre noir pour obtenir la
sauce poire.
Cuire à feux doux les 20 cerneaux de
noix et la pomme, en mouillant à
hauteur avec le fond blanc, une dizaine de minutes. Réduire presque à
sec, puis mixer et assaisonner pour
obtenir la sauce aux noix.
Assaisonner les poires à l’huile de
noix et au poivre noir.
Colorer les Saint-Jacques, à peine salées, des deux côtés ensuite; hors du
feu, déposer une fine feuille de lard
sur chaque Saint-Jacques et réserver.
Préparation
Préparer les sablés, selon la recette
ci-dessous.
Détailler 24 cubes de poire de 1 cm
de côté; réserver les parures.
Cuire les parures de poire au beurre
pour obtenir une compote; mixer et
Dressage
Déposer deux quenelles de compote
de poire sur chaque assiette et ajouter de manière harmonieuse trois
cubes de poire, puis deux demi-cerneaux de noix fraîche sur chaque assiette. Disposer ensuite deux sablés
par assiette et dessiner quelques
points de sauce noix.
Passer les Saint-Jacques une minute
à peine sous la salamandre pour les
réchauffer puis en déposer une sur
chaque sablé.
Ajouter quelques petites feuilles
d’endives pour le croquant et servir.
Recette des sablés (pour 18 pièces)
100 g d’avoine
50 g de sucre
35 g de farine
90 g de beurre
30 g d’œufs
Une râpée de vanille
Mélanger tous les ingrédients au
batteur. Former 18 boules et les disposer dans des emporte-pièce de
3 cm de diamètre; cuire environ 5 minutes à 200° dans des moules ronds
individuels.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Délicatesse blanche aux notes d’agrumes
Manifacier
Croustillant de blanc de coco
135 g de chocolat blanc
15 g de beurre de cacao
1/2 zeste de citron
35 g de paillette feuilletine
20 g de poudre noix de coco
caramélisée
30 g de coco gold
15 g de coco croquante avec chili
1 g de fleur de sel
Faire fondre le chocolat et le beurre
de cacao au bain-marie, puis ajouter
un à un les autres éléments.
Mousse de noix de coco
au Malibu
300 g de pulpe de coco
15 g de Malibu
6 g de gélatine
55 g de blancs d’œufs
60 g de sucre
150 g de crème fouettée
Mélanger la pulpe de coco et le Malibu. Ajouter la gélatine fondue. Mélanger à froid et ajouter les blancs
d’œufs montés en neige avec le sucre
et la crème fouettée.
Biscuit dacquoise coco/citron vert
210 g de sucre glace
135 g de poudre d’amande
105 g de noix de coco fraîche râpée
80 g de sucre semoule
235 g de blanc d’œufs
1 zeste de citron vert
Monter les blancs d’œufs avec le sucre. Ajouter la poudre d’amande, la
noix de coco râpée et le sucre glace.
Ajouter enfin les zestes de citron et
cuire 25 minutes a 165°.
Montage
de la bûche
Chemiser un moule à bûche avec la
mousse noix de coco, puis laisser
prendre au froid. Répartir la sauce
pamplemousse froide par-dessus et
laisser prendre au frigo. Continuer
avec une couche de mousse coco
puis une bande de biscuit dacquoise
au milieu, puis une nouvelle couche
de mousse coco. Faire à nouveau
prendre au frigo et terminer avec le
croustillant abaissé à environ 0,5 cm
d’épaisseur.
Jus de pamplemousse
250 g de jus de pamplemousse frais
60 g de sucre
3 g de pectine
40 g de gin
Démouler et parsemer de copeaux
de noix de coco râpée et de quelques
zestes de pamplemousse.
A noter que ceux que la complexité de cette exquise recette rebuterait peuvent aussi la commander – un peu à l’avance – au Vertig’O, où
elle sera proposée à l’emporter durant les Fêtes.
Vertig’O, Hôtel de la Paix, 11, quai du Mont-Blanc, 1211 Genève,
tél. 022 909 60 00.
Noisettes de chevreuil aux cornes d’abondance,
potiron et châtaigne
Ingrédients pour 8 personnes
1 selle de chevreuil
200 g de cornes d’abondance
50 g d’échalote ciselée
400 g de courge muscade
2 belles betteraves cuites
24 gnocchis à la châtaigne
200 g de sauce grand veneur
100 g d’airelles
80 g de chapelure blanche
100 g de beurre
3 jaunes d’œufs
Préparation
Lever les filets de la selle et les garder
au frais.
Laver les cornes d’abondance et les
faire revenir au beurre avec de l’échalote, avant de les sécher au four une
heure durant à 80°. Mixer finement
avec la chapelure blanche et placer
dans un torchon.
Détailler des rectangles de courge de
6 cm sur 2, pas trop épais, les cuire à
feux doux avec un peu d’eau et de
beurre, en les laissant légèrement
croquants; assaisonner. Réserver au
froid.
Faire suer les parures de courge au
beurre et cuire doucement pour obtenir une purée; mixer et assaisonner.
Monter des millefeuilles de courge
avec la purée et les rectangles
Couper les deux betteraves en cubes
de 1 cm et les faire suer au beurre et
au poivre noir.
Poêler les gnocchis de châtaigne.
Couper les filets de chevreuil en portions; assaisonner de sel, de poivre et
de baies de genièvre. Passer ensuite
dans le jaune d’œufs et paner les
filets avec la chapelure des cornes
d’abondance.
Cuire le chevreuil 8 minutes sur une
plaque beurrée au four chaud à 230°,
puis le laisser reposer 8 minutes au
minimum.
Chauffer les millefeuilles de courge.
Chauffer la sauce grand veneur.
Passer au beurre vos airelles avec un
peu de sucre et une pointe de
vinaigre.
Dressage
Sur chaque assiette, déposer un millefeuille de courge, les dés de betterave et les gnocchis; parsemer
d’airelles. Répartir enfin le gibier sur
les assiettes, en nappant de sauce,
ou servir celle-ci à part.
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
INTERVIEW SECRÈTE
Jeff Leatham, qu’avez-vous
Dans chaque numéro,
Isabelle Cerboneschi
demande à une personnalité
de lui parler de l’enfant
qu’elle a été et de ses rêves.
Une manière de mieux
comprendre l’adulte qu’il
ou elle est devenu(e).
Plongée dans le monde
de l’imaginaire.
L
e 3 novembre dernier, Jeffrey Brett Leatham – de son
vrai nom – a reçu les insignes de Chevalier des Arts
et des Lettres à Paris. Ce
n’est pas tous les jours que
l’on adoube un fleuriste au nom
de la République. Fleuriste n’est
sans doute pas le terme le plus
adéquat d’ailleurs pour qualifier
ce chevalier des fleurs, directeur
artistique du George V à Paris.
Quand on grandit dans une famille mormone, à Ogden dans
l’Utah, aux Etats-Unis, on n’a pas
trente-six mille opportunités pour
sortir du rang. A moins de ne jamais y entrer. Ce fut le cas de ce
garçon qui vouait un culte à Marilyn Monroe et rêvait de devenir
Wonder Woman.
Jeff Leatham est allé chercher
les lumières de la notoriété à
Los Angeles, d’abord. Il vécut la vie
errante des mannequins pendant
deux ans et demi. Jusqu’au jour où,
au bluff il a postulé au Four
Seasons de Beverly Hills, qui
ouvrait une boutique de fleurs. Il
ne connaissait rien à l’art floral,
mais il a été engagé. Il a commencé par nettoyer la boutique,
puis il a appris.
Il s’est fait un nom grâce aux
gigantesques bouquets posés en
équilibre dans des vases gigantesques ornant la réception de l’hôtel
George V à Paris qui viennent en
regard des tapisseries des Flandres
du XVIIe siècle du hall. Ses gerbes
de fleurs penchées, comme si elles
allaient sortir du vase et vivre leur
vie, ont inspiré depuis tous les
fleuristes d’hôtels.
Ce ne sont pas moins de 12 000
fleurs que commande le Four
Seasons toutes les semaines à des
marchands d’Amsterdam pour
son directeur artistique.
Une alliance vertueuse: tandis
que le groupe était reconnu pour
l’excellence de sa mise en scène
florale, Jeff Leatham asseyait sa
notoriété. L’industrie du luxe est
venue le chercher pour créer des
vases, des bougies, des ambiances
florales dans ses boutiques. Il a
fait l’objet d’une émission de télévision américaine – Flowers uncut –
diffusée sur Discovery Channel.
Une jolie manière de semer le
beau…
DR
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Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
faitdevosrêvesd’enfant?
Le Temps: Quel était votre plus
grand rêve d’enfant?
Jeff Leatham: J’avais deux rêves:
devenir un acteur célèbre et être
un Indien. J’ai grandi à Ogden,
dans l’Utah près des canyons,
avec plein de copains qui eux
étaient de véritables Indiens
d’Amérique. L’été, on le passait
dans un ranch. Je m’imaginais
être comme eux, en chevauchant
sur les collines, dans ce magnifique paysage avec mes petites
chaussures en peau. Pour la petite
histoire, quand j’ai quitté l’Utah à
l’âge de 19 ans pour aller faire
carrière à Los Angeles, mes parents m’ont offert une très belle
bague en turquoise fabriquée par
les Indiens Navajo. Je ne l’ai jamais plus ôtée de mon doigt. Cela
fait trente ans que tous les matins
au réveil je la regarde et repense à
ce désir de devenir un Indien.
Qu’est-ce qui vous attirait vers ce
peuple?
L’état brut. Le fait qu’ils habitaient
dans cette nature à l’état brut,
leur manière de s’habiller, leur
histoire, leur culture, toutes ces
choses. Quand j’y pense, d’une
manière détournée mes rêves
d’enfant se sont réalisés. Je voulais
absolument devenir un acteur,
passer à la télévision, pour être
connu. Et aujourd’hui, je suis
connu pour ce que je fais dans un
tout autre domaine. On n’obtient
pas toujours exactement ce que
l’on espérait de la vie, mais souvent, si l’on sait persévérer, si l’on
a la passion de ce que l’on fait,
sans jamais oublier la patience,
la chose la plus importante
de toutes, les choses reviennent
vers vous.
Les Indiens ont une relation
spirituelle avec la nature, cela
vous a-t-il influencé dans le choix
de votre métier?
Oui, probablement un peu, car
j’ai toujours été très proche de la
nature. De plus mon père était un
extraordinaire professeur de
biologie, il enseignait les animaux, les insectes, les arbres, les
plantes à ses élèves. La nature
m’environnait. Je trouve assez
drôle d’être connu aujourd’hui
pour mon travail où se mêlent
nature et design.
Quel métier vouliez-vous faire
une fois devenu grand?
J’ai probablement toujours dit
que je voulais être connu. J’ai des
souvenirs d’enfance avec mes
cousins tous assis en rond autour
de moi qui me regardaient imiter
les pubs ridicules qui passaient à
la télévision américaine de l’époque. A l’école, j’ai toujours été
celui qui faisait le pitre et courait
partout. Aujourd’hui, je me retrouve à faire des shows à la
télévision devant des milliers de
personnes. C’est différent mais à
la fois si semblable. En fait quand
je suis venu à Paris pour la première fois à l’âge de 22 ans, j’étais
un pauvre mannequin affamé
arpentant les rues de Paris. Et me
revoilà aujourd’hui dans cette
même ville vivant quelque chose
de si différent. C’est étrange les
raccourcis que prend la vie.
Vous viviez déjà à Paris quand vous
aviez 22 ans?
Oui, de 22 à 24 ans je faisais du
mannequinat entre Milan et
Paris, vous savez, ces allers et
retours incessants pour essayer
de percer. Ce qui est étrange c’est
qu’aujourd’hui je travaille avec
les mêmes personnes que j’avais
rencontrées à l’époque, celles qui
me faisaient passer des castings.
Mais aujourd’hui, je suis moi
aussi designer. Quand je marche
dans les rues de Paris en me rendant au George V, et que je vois
ces modèles avec leurs books sous
le bras, qui courent les castings à
leur tour, je me dis: «Les pauvres!»
Car je sais combien leur chemin
est difficile.
Quel était votre jouet préféré?
Les jouets Star Wars! Ça a toujours
été Star Wars. J’adore le concept.
En fait j’aime tout ce qui me
permet d’échapper au monde
réel et qui provoque des émotions. Enfant, j’étais obsédé par
tout ce qui touchait à cette saga,
les personnages, les objets, les
jouets, absolument tout. J’ai
même nommé mon chien d’après
un des personnages: je l’ai appelé
Yoda. C’était un chien très laid et
tout gris, ce nom lui allait à merveille. J’avais toutes les figurines,
tous les accessoires, tout ce qui
avait trait à la saga de Star Wars.
Un enfant typique des années 80.
Les avez-vous gardés?
Bien sûr! Encore aujourd’hui
mon bien le plus précieux est une
couverture confectionnée par ma
mère qui représente Luke Skywalker et Chewbacca. Je devais avoir
10 ans quand ma mère l’a faite et
je l’ai toujours. Je suis sûr que je
pourrais la vendre très cher sur
eBay (rire).
A quel jeu jouiez-vous
à la récréation?
Vous savez, je viens d’une banlieue typiquement américaine, où
toutes les maisons sont dans une
même rue et donc mon jeu favori
c’était de jouer à cache-cache avec
les voisins.
Grimpiez-vous aux arbres?
Absolument! Je grimpais aux
arbres. Je faisais aussi des igloos
avec la neige en hiver. J’aimais
vivre dehors, dans le jardin, à
construire plein de choses avec
des feuilles et des branches. Je
construisais des cachettes où je
pouvais m’isoler dans mon
monde, des grottes de neige ou
de feuilles. Et quand j’ai eu environ 13 ans, je suis tombé amoureux de l’image de Marilyn Monroe. Mes parents avaient une
petite pool house que j’avais tapissée de centaines de photos de
Marilyn. Un sanctuaire à son
«J’avais une
obsession pour
Wonder Woman.
Cela aurait
d’ailleurs dû alerter
mes parents (...)
Elle était fabuleuse
quand elle volait
dans son avion
en plexi!»
Jeff Leatham
effigie. En fait le côté glamour de
Hollywood fascinait le petit
enfant que j’étais. Je pense qu’au
plus profond de moi c’est la raison pour laquelle je voulais devenir une célébrité et partir pour
Los Angeles. Vous savez quand
vous grandissez dans une famille
mormone dans l’Utah, vous vivez
d’une certaine façon. J’ai eu une
famille formidable, je n’ai jamais
manqué de rien, mais il me manquait ce glam. C’est ce qui m’a
fasciné chez Marilyn Monroe, elle
était la quintessence du glamour.
A quoi pensiez-vous quand vous
aviez atteint la cime des arbres?
C’était le fait de réussir à monter
dans l’arbre qui m’attirait, plutôt
que faire quelque chose une fois
arrivé là-haut . Je pense qu’il y
avait aussi un peu de voyeurisme
de ma part, car en haut, on
surplombait tout le monde, on
pouvait observer sans être vu, et
tout prenait une autre
dimension. Il y a aussi sans doute
un parallèle avec mes idées de
grandeur et ma manie de jouer à
cache-cache. J’ai toujours aimé
me dissimuler à l’intérieur des
choses. En un sens, toute ma vie
j’ai fui quelque chose, je ne sais
pas trop à quoi je veux
échapper… Peut-être à moimême. Beaucoup moins avec le
temps.
Quelle était la couleur
de votre premier vélo?
Noire. Tout dans ma vie est noir.
Même aujourd’hui, ma maison
est toute noire. Enfant, j’avais des
goûts assez particuliers: à 9 ans,
ma bicyclette était noire, j’avais
demandé à mes parents que le sol
de ma chambre soit comme des
carrés noirs. Le noir est une couleur qui a toujours été très importante dans ma vie.
Parce qu’il permet d’exalter
les autres couleurs?
Oui, je crois. Pour moi, le noir est
l’image du chic et du glamour. Je
pense que quand les gens s’habillent en noir, ils se sentent plus
élégants. On peut se cacher derrière le noir. C’est l’idée d’ailleurs!
On se sent cool, chic. Vous vous
imaginez être un dur si vous
portez un blouson noir.
Et si cette enfance avait un parfum,
ce serait?
Je dirais Youth Dew d’Estée Lauder. Ma mère s’aspergeait de ce
parfum.
Quel super-héros rêviez-vous
de devenir?
Laissez-moi réfléchir… Je pense
plus vouloir être un super-héros
aujourd’hui que quand j’étais un
enfant. J’ai eu mon époque
Superman. Il était vraiment
glamour! En fait je crois que
j’étais plus attiré par Christopher
Reeve que par Superman! (Rires.)
Mais pour être tout à fait
honnête, j’avais une obsession
pour Wonder Woman. Cela aurait
d’ailleurs dû alerter mes parents.
Tous mes amis étaient fans de
Superman ou de Batman et moi je
ne pensais qu’à Wonder Woman.
Je me suis imaginé être elle, bien
plus souvent que je ne me rêvais
en Superman. Elle était fabuleuse
quand elle volait dans son avion
en plexi! Et cette superbe cape
dorée qu’elle jetait sur les gens
pour qu’ils lui disent la vérité!
C’était quand même plus sexy
que Batman!
Pendant les grandes vacances,
vous alliez voir la mer?
Bien sûr! Mes parents nous y
amenaient toujours. La première
fois que j’ai vu la mer c’était en
Californie, où vivait ma tante
préférée.
De quel super-pouvoir vouliez-vous
être doté?
L’invisibilité, C’était ça, le pouvoir
que je voulais avoir, enfant. Pour
aller chez les gens et les observer
vivre.
Vous rêviez en couleur ou en noir
et blanc?
En couleur, toujours.
Quel était votre livre préféré?
Je crois que cela a toujours été To
Kill A Mockingbird («Ne tirez pas
sur l’oiseau moqueur», de Harper
Lee, ndlr).
L’avez-vous relu depuis?
Oui, la semaine dernière, j’adore
ce livre. C’est mon préféré,
comme le film d’ailleurs.
Pourquoi?
Cela me ramène à l’innocence de
mon enfance, à l’innocence des
enfants, leur espièglerie. Ces trois
gamins qui vagabondent me
rappellent tellement l’enfant que
j’ai été. Vous savez, quand on
court dans un jardin, qu’on rentre
dans une grande maison et qu’on
s’imagine qu’elle est habitée par
des monstres. Cela me confronte
toujours à mon passé. A chaque
fois que je vois le film ou lis ce
livre, je suis très nostalgique de
mon enfance, de mon innocence,
de la sensation d’avoir raison et
de vouloir le prouver aux adultes.
Et puis ce livre parle du racisme.
Or dans l’Utah, nous étions
quotidiennement confrontés au
racisme, il y avait des enfants
noirs à l’école, ils étaient souvent
harcelés. Ce livre me touche
profondément.
Quel goût avait votre enfance?
Probablement celui
du chewing-gum.
Savez-vous faire des avions
en papier?
Oui, mais très mal, je ne suis
vraiment pas bon. J’ai toujours été
jaloux de ces types qui savaient
en faire des plus beaux que les
miens. Mais bon, regardez-les
maintenant… Dix gosses et pas
d’avenir.
Avez-vous peur du noir?
Non, je n’ai jamais eu peur du
noir, mais j’étais toujours dans les
jupes de ma mère. Je refusais
d’aller dormir chez les copains, et
si j’y allais, je terminais toujours
par téléphoner à ma mère à 3h du
matin pour qu’elle vienne me
chercher. En fait je pense que je
trouvais ma chambre plus belle
que celle de mes copains (rires).
Vous souvenez-vous du prénom
de votre premier amour?
Oui, elle s’appelait Jeannette.
Et de l’enfant que vous avez été?
J’étais continuellement en train
de me réinventer. J’ai toujours
essayé d’être un autre. A mes
8 ans, j’ai eu des ennuis à l’école
parce qu’un jour j’ai écrit mon
nom différemment: au lieu de
l’épeler J-E-F-F, je l’ai écrit J-E-OF-F. Je voulais changer d’identité
tout en restant le même.
Cet enfant vous accompagne-t-il
toujours?
Bien sûr qu’il est là! Il se sent
toujours en danger. En fait il me
semble que les artistes ont une
grande part d’insécurité, c’est ce
qui les pousse à créer, à aller plus
loin. Etre sûr de soi est une chose
extraordinaire, ce sentiment est
très fort, mais ce sont vos insécurités qui vous poussent à aller
toujours plus loin, à faire mieux,
différemment.
Qu’avez-vous ressenti quand
on vous a remis les insignes de
Chevalier des Arts et des Lettres?
De la fierté, beaucoup de fierté, le
fait que ma famille ait été à mes
côtés était pour moi une bénédiction. J’ai la chance que mes deux
parents soient vivants, ils étaient
assis au premier rang durant
toute la cérémonie. C’est la chose
dont je suis le plus fier, être ce
petit gamin du fin fond d’un
ranch de l’Utah, cet Américain
qui reçoit cette décoration ici à
Paris c’est un grand honneur.
Retranscription traduction:
Dominique Rossborough
63
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
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collaboration avec
l’artiste Thomas Ruff
CHF 3950.sur shop.akris.ch
Tapis Withered
Flowers, design
Studio Job pour
Nodus, prix sur
demande.
Eau de toilette «Candy Florale»
Prada, CHF 67.- le flacon de 30 ml
et CHF 89.- le flacon de 50 ml.
Montre Blancpain Bathk
«Ocean Commitment»,
édition limitée à 250 exemplaires,
prix sur demande.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
75
Bougie DL & CO, CHF 35. –,
chez Code 43 à Genève,
www.code43.ch
Boucles d’oreilles Gem Collection,
Gübelin. Saphirs bleus de Madagascar
de 12,11 carats environ avec 60 diamants
sur platine. Prix sur demande.
Montre de poche Tissot Pocket
Mechanical Skeleton, CHF 975.-.
BEOF/CHF/F/010514
PUBLICITÉ
Economie
réelle
Gestion de fortune
performante
Swiss
finish
Les 500 meilleures entreprises
au monde dans votre portefeuille
Théière de la collection «Balcon du Guadalquivir»,
Hermès, CHF 390.- avec deux tasses.
■
Si vous êtes lassés du discours ésotérique de
la “haute finance”,
■
Si vous considérez que la gestion d’un
portefeuille doit reposer sur un concept
simple et stable,
■
Si vous pensez que la performance d’un
portefeuille se crée dans l’économie réelle,
grâce à ses meilleures entreprises,
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Si vous cherchez un guide expérimenté pour
cibler vos choix de titres et une adresse pour
sécuriser vos dépôts,
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Alors nous devrions en parler.
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Les conseillers en gestion de patrimoines de
la Banque Cantonale de Genève se tiennent à
votre disposition pour partager leurs convictions
et leur expérience avec vous.
La présente annonce est exclusivement publiée à des fins d’information et ne constitue en aucun cas une offre ou une recommandation
en vue de l’achat de produits financiers ou de services bancaires. Elle ne peut être considérée comme le fondement d’une décision
d’investissement ou d’une autre décision. Toute décision d’investissement doit reposer sur un conseil pertinent et spécifique.
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
CADEAUX
Dans la Forêt des rêves bleus,
Winnie, l’ourson au grand
cœur, aide ses amis depuis
1926. Hommage à une histoire
de gentille peluche qui sait
rendre les enfants sages.
Montre Flik-Flak,
CHF 45.-.
Coffret Caran d’Ache, CHF 248.-.
Eau de parfum Annick Goutal
«Petite chérie», CHF 240.le flacon de 100 ml
Teddy Bear Steiff, CHF 82.sur www.steiff.com
Horloge «Omar the Owl»,
design George Nelson 1965
rééditée par Vitra, CHF 127.sur shop.design-museum.de
Bracelet «Puss in Boots», Faery of Tales,
CHF 630.- sur www.faeryoftales.com
Manteau vintage pour enfant de 5 ans,
CHF 260.- chez Julia’s Dressing à Genève,
www.juliasdressing.com
Manteau en laine mérinos
Frilo, l’ensemble CHF 313.-.
Clickazoo, design Adrien Rovero pour Hermès,
prix sur demande.
Bottes Baby Dior, CHF 600.-.
La suggestion de nos
spécialistes:
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Coop Naturaplan BioLa Côte AOC Grand Cru
Cuvée Noble Blanche
Domaine la Capitaine, 75 cl
Mousseux Chardonnay
Blanc de Blancs
Baccarat, 75 cl
Valais AOC
Pinot Noir
Hurlevent Charles
Favre, 75 cl
Beaune du
Château AOC 1er
Cru Bouchard
Père et Fils, 75 cl
19.95
14.50
14.95
29.95
Des vins suisses très réussis.
En Suisse aussi, on fait de très bons vins, notamment à partir de chardonnay, un cépage blanc, et
de pinot noir, le cépage rouge classique de la Bourgogne. Les vins présentés ici accompagnent à
merveille les plats légers, les viandes grillées, les assiettes froides ou la viande séchée. Ils sont également parfaits à l’apéritif. Laissez-vous séduire par leurs arômes intenses en bouche, rehaussés
de notes fruitées et rafraîchissantes! Coop ne vend pas d’alcool aux jeunes de moins de 18 ans.
Ces bouteilles sont disponibles dans les grands supermarchés Coop et sur www.mondovino.ch
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Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Luxe
CADEAUX
Plume Faber-Castel
«Catherinepalace St. Petersburg»,
éditée à 1000 exemplaires,
prix sur demande.
Coffret «La guilde des artisans – Copper»
Aesop, CHF 130.-.
Bandeau en soie,
Gabriela Ligenza,
CHF 850.sur byligenza.com
Montre H. Moser & Cie
«Venturer Tourbillon Dual
Time», boîtier en or rouge,
cadran fumé en or rouge,
prix sur demande.
Bracelet Harry Winston
«Incredibles», 102 diamants
montés sur platine,
prix sur demande.
Montre «WW1 Guynemer»,
Bell & Ross, édition limitée
à 500 pièces, prix sur demande.
Sautoir «Phoenix»
Baies d’Erelle, CHF 439.sur www. baiesderelle.com
Gatsby, le roi des années folles à qui l’amour
fait faire des folies. Atmosphère chic et Art déco pour
revivre la fresque mélancolique de F. Scott Fitzgerald.
Eau de toilette «Trésor»
de Lancôme, CHF 100.le flacon de 50 ml
Mocassin matelassé, veau doré J. M. Weston en collaboration
avec Charlie Casely-Hayford, CHF 680.-.
Luxe
Le Temps l Samedi 6 décembre 2014
Nœud papillon en soie,
Cinabre, CHF 115.sur shop.cinabre-paris.com
Sac collection capsule Christmas, Chloé,
CHF 1430.-.
Coffret à cigares en bois de noyer, Cartier, CHF 4450.-.
Service à thé en chêne et argent «lines
and waves», design Tomas Alonso,
prix sur demande sur victor-hunt.com
Montre Parmigiani Fleurier
«Tonda Metro Collection»,
prix sur demande.
Cognac Hennessy XO Exclusive
Collection, design Tom Dixon,
CHF 240. –, vendu en exclusivité sur
www.moethennessy-selection.ch/register/VIP
Solaires Fendi,
CHF 410.-.
Robinet Aqua Jewels, design
Marcel Wanders pour Bonomi
Contemporaneo Italiano,
renseignements sur
www.idrosanitariabonomi.com
Bague Bucherer «Lacrima»,
or rose et quartz fumé,
à partir de CHF 1590.-.
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# THEONETHATIWANT
N5.CHANEL.COM
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