Gentrification du Marais à Paris - Alexandre DJIRIKIAN
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Gentrification du Marais à Paris - Alexandre DJIRIKIAN
Alexandre Djirikian juin 2004 LA GENTRIFICATION DU MARAIS : QUARANTE ANS D’EVOLUTION DE LA POPULATION ET DES LOGEMENTS Université Paris I Maîtrise de Géographie Sous la direction de Martine BERGER et d’Yvan CHAUVIRE 2 TABLE DES MATIERES INTRODUCTION 5 CHAPITRE 1. LA GENTRIFICATION : ENJEUX D’UN CONCEPT, MANIFESTATIONS D’UN PROCESSUS 9 A. Qu’est-ce que la gentrification ? 13 a) Un terme anglo-saxon qui cache différentes approches b) Les manifestations spatiales et temporelles de la gentrification c) La gentrification et sa dynamique sociale B. Le contexte particulier de la gentrification du centre parisien et du Marais 13 23 34 41 a) Le retard de Paris sur les grandes villes anglo-saxonnes b) Evolution du Marais depuis l’époque moderne 41 47 CHAPITRE 2. EVOLUTION D’ENSEMBLE DE LA POPULATION ET DES LOGEMENTS DU MARAIS 63 A. La population du Marais et son évolution globale a) Evolution démographique générale et gentrification b) Structure par âge et structure des ménages c) L’évolution socioprofessionnelle d) Populations étrangères et gentrification B. Les logements du Marais et leur évolution globale a) L’ancienneté des logements et leur confort b) La taille des logements c) Les types des logements d) Les statuts d’occupation des logements 67 67 72 79 98 107 107 125 130 133 3 CHAPITRE 3. LA GENTRIFICATION : PHENOMENE SELECTIF DE CONCURRENCE A. Quel parc de logement est propice à la gentrification ? a) Gentrification et tailles de logement b) Gentrification et statuts d’occupation c) Gentrification et âge du parc de logements B. Quelle est la population concernée par la gentrification ? a) Quel âge ont les gentrifieurs ? b) Quels types de ménages sont les gentrifieurs ? c) Origines géographiques et lieux de travail des gentrifieurs CHAPITRE 4. LE MARAIS DES TERRITOIRES : LA GENTRIFICATION PRODUCTRICE DE DIVERSITE INTERNE ET D’ENJEUX DE POUVOIRS A. De l’hétérogénéité spatiale du Marais a) Le Marais du patrimoine et le Marais du nord-est b) Le Marais des communautés B. Le Marais : enjeux d’appropriation pour les gentrifieurs a) Gentrification et politique locale b) Représentations et pratiques socio-spatiales des gentrifieurs 139 141 141 148 153 165 165 182 189 193 195 197 205 221 221 232 CONCLUSION 239 ANNEXES 241 Annexe 1. Ce que disent les dictionnaires de la gentrification et de l’embourgeoisement Annexe 2. Cahier d’intentions pour la valorisation du cadre de vie (4e arrondissement), hiver 2002 Annexe 3. Paris ville bourgeoise, Paris ville de gauche ? Les paradoxes électoraux de la capitale (M. Pinçon, M. Pinçon-Charlot) 255 BIBLIOGRAPHIE 261 4 243 249 Le quartier du Marais, à Paris, est l’archétype du quartier urbain central qui s’est embourgeoisé. De nombreuses études se sont déjà appliquées à décrire cet embourgeoisement (Chatelain, 1967 ; Coquery, 1967 ; Miscopein, 1970 ; Royer, 1979 ; Lajeunie, 1983 ; Babelon, 1987 ; Engels, 1991 ; CREPIF, 1997 ; Faure, 1997). Mais ces études commencent désormais à dater, et pour les plus récentes, aucune analyse précise n’a été menée. Voilà pourquoi nous avons entrepris de mettre à jour ces travaux, en les enrichissant des dernières évolutions, et surtout de nouvelles problématiques. En effet, il ne s’agit pas seulement ici d’actualiser les recherches précédentes. De nouveaux outils conceptuels et de nouvelles disponibilités concernant les données statistiques constituent des matériaux intéressants pour poursuivre l’analyse. Le concept de gentrification, développé dans le monde anglo-saxon fait son apparition en France. Il offre un nouveau regard sur les changements sociaux et spatiaux du centre-ville, en y ajoutant une coloration culturelle et politique. La gentrification se définirait comme ceci : processus par lequel un quartier de centre-ville voit ses catégories populaires progressivement remplacées par des catégories plus aisées, jusqu’à ce que ces dernières deviennent majoritaires. Le Marais semble donc correspondre à cette définition. Le terme embourgeoisement s’est édulcoré avec le temps, et les nouvelles problématiques sur les bouleversements de la ville centre sont aujourd’hui réunies dans le concept de gentrification. Le Marais n’a quasiment jamais fait l’objet d’une étude à travers le prisme de la gentrification. Pourtant, le concept a été forgé il y a 40 ans très exactement, alors même que la population et les logements du Marais commençaient à se modifier. Le recul que nous offre aujourd’hui l’antériorité du processus de gentrification dans le Marais est fondamental pour comprendre ce que deviennent (et peuvent devenir) les manifestations de la gentrification comme processus de division socio-spatiale, mais aussi pour comprendre ce que devient (et peut devenir) le Marais après tant d’années de changements. D’autre part, l’accessibilité aux données nous autorise une étude approfondie du processus. A l’aide notamment des fichiers-détails, il sera possible de croiser différentes variables, telles que les variables démographiques et celles sur les caractéristiques du parc de logements. Car la gentrification n’est autre qu’un processus qui remplace des populations par d’autres dans 5 divers parcs de logements. Il devient donc intéressant de profiter de ces données pour montrer l’évolution des habitants et des logements. Si la gentrification est un processus de division socio-spatiale en centre-ville, de quelle manière s’exprime-t-il dans le Marais ? Et en quoi le Marais a-t-il connu une concurrence entre différents groupes pour l’accès au parc de logements ? Quels sont ces groupes ? Quels sont les caractéristiques de ce parc ? Comment la gentrification a-t-elle modifié l’espace social, l’espace politique et l’espace vécu des habitants ? Nous tenterons de répondre à ces questions en quatre temps. Nous analyserons dans un premier chapitre ce concept de gentrification et ce qu’il implique dans ces manifestations, en nous efforçant de faire ressortir l’originalité de Paris et du Marais. Puis, dans un deuxième chapitre, nous pourrons nous concentrer sur l’étude du processus dans le Marais en interprétant les données de l’INSEE sur la population et les logements, à l’échelle de l’ensemble du Marais, mais aussi à une échelle plus fine. Ceci nous permettra dans un troisième chapitre de croiser les données de populations et de logements afin de montrer que la gentrification est un phénomène sélectif de concurrence entre différents groupes, pour différents parcs de logements. Enfin, en dernier chapitre, nous insisterons sur les conséquences spatiales et politiques de la gentrification. Le processus semble en effet morceler l’espace sociologique, celui des représentations des habitants, et celui des modes de contrôle et d’appropriation par les habitants. Nous nous sommes appuyés essentiellement sur les données communiquées par l’INSEE, celles des recensements généraux de population (RGP), sous la forme de tableaux résumés (tableaux « profils », tableaux « analyse », à l’échelle la plus fine possible), ou sous la forme de « fichiers-détails » (détail des caractéristiques de chaque ménage). Nous avons aussi mené quelques entretiens, notamment avec des associations ou des conseils de quartiers, mais aussi avec un agent immobilier qui a travaillé dans le Marais. L’espace étudié, pour des raisons de facilité statistique, correspondra dans la mesure du possible aux quartiers 9 à 15 de Paris, c’est-à-dire aux 3e et 4e arrondissements sans la partie orientale de l’Ile de la Cité et sans l’Ile Saint-Louis. Le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Marais n’a pas été retenu car les données à l’îlot sont difficiles à obtenir, et ne sont disponibles que pour les recensements antérieurs à 1990. Sauf mention contraire, nous avons réalisé les tableaux, les graphiques, les cartes et autres documents figurant dans ce volume. Nous avons traduit les références de langue anglaise. 6 7 8 CHAPITRE 1 LA GENTRIFICATION : ENJEUX D’UN CONCEPT, MANIFESTATIONS D’UN PROCESSUS 9 10 Nous commencerons par aborder le concept de gentrification. Il s’agit de rappeler les définitions de ce terme et d’en souligner les enjeux. Si ce concept est apparu en Angleterre dans les années 60 et vite approfondi par de nombreux chercheurs nord-américains, il a été « découvert » par les chercheurs français depuis peu, dans les années 90 seulement. Cela doit nous inviter à interroger la validité de ce concept pour les cas français, et plus particulièrement parisiens. Nous tenterons donc dans cette partie de comprendre en quoi le processus de gentrification est applicable au cas de Paris et du Marais, tout en insistant sur les originalités de ce dernier, au sein de Paris, mais aussi par rapport à d’autres centres-villes anglo-saxons. 11 12 A. Qu’est-ce que la gentrification ? a) Un terme d’origine anglo-saxonne qui cache différentes approches Une définition, deux explications élémentaires Le terme de gentrification a été créé en 1964 par le chercheur britannique Ruth Glass dans son ouvrage intitulé Introduction to London : aspects of change. Ruth Glass étudie les changements sociaux de Londres et se demande notamment pourquoi une partie de la population, de classe moyenne, s’est installée dans certains quartiers dégradés du centre-ville, au lieu d’emménager en banlieue, modèle dominant pour toute classe moyenne des Trente Glorieuses. La gentrification apparaît donc en tant qu’anomalie, et s’oppose à la représentation de l’espace social urbain à cette époque. Cette représentation séparait la ville en deux espaces. Le premier, un centre délaissé aux populations pauvres, ouvrières, parmi lesquelles de nombreux étrangers et notamment des immigrés en première phase d’insertion dans la société, logeant dans des appartements étroits et insalubres, dans des quartiers mal desservis par les transports en commun et peu accessibles à l’automobile. Ces quartiers centraux ont été en grande partie abandonnés par les classes moyennes qui se sont installées en périphérie proche ou lointaine de la ville dans des logements plus récents, des pavillons en lotissements ou des immeubles dans des zones résidentielles. Cette périphérie, qui s’étale et se peuple de familles issues de classes moyennes et bourgeoises, correspond au deuxième espace. Ce schéma d’opposition centre – périphérie reste bien entendu un schéma, au sens où nombreuses sont les exceptions. Il est avant tout un reflet des représentations qu’avait la population urbaine d’alors, dans les années 50 et même dans les années 60, essentiellement en Amérique du Nord. La situation européenne est toutefois assez différente, puisque cette opposition centre-périphérie de la ville est dans bien des cas inversée : le centre-ville n’y a pas été délaissé par classes bourgeoises, et la banlieue y est plus duale qu’aux Etats-Unis, avec des quartiers résidentielles aisés ou de classes moyennes, mais plus souvent un réceptacle de populations pauvres. Pour Ruth Glass (1964) la gentrification est avant tout une question de mouvement de population qui va à l’encontre de ce schéma dominant. Mais ce mouvement est suffisamment 13 important et remarquable pour qu’elle lui donne un nom. L’auteur fournit deux explications à ce phénomène de gentrification : la dynamique de la structure socioprofessionnelle ainsi que les caractéristiques du stock résidentiel. Ces deux explications sont le socle de la gentrification : elles seront donc notre fil directeur tout au long de ce mémoire. Revenons sur ces deux explications et liens pouvant exister entre elles. Présentant la traduction d’un article de Chris Hamnett (1991), Catherine Rhein écrit : « Par gentrification, […] les chercheurs entendent à la fois une transformation de la composition sociale des résidents d’un quartier, plus précisément la substitution de couches moyennes salariées, à des couches ouvrières, et un processus de nature distincte, celui de la réhabilitation, de l’appropriation et de l’investissement, par ces couches sociales, d’un stock de logements et de quartiers ouvriers ». Si ces deux phénomènes sont « de nature distincte » on va vite voir qu’ils sont liés entre eux. Neil Smith (1996, p.32) définit la gentrification comme ceci : « un processus par lequel des quartiers pauvres et ouvriers du centre-ville sont investis par un afflux de capitaux privés et par des acheteurs et locataires [renters] de classe moyenne, quartiers qui accusaient précédemment le désinvestissement et un exode des classes moyennes ». Le stock de logements vétustes a été repris en main par des populations plus aisées qui l’ont mis en valeur. Ruth Glass (1964) analyse la situation londonienne : « L’un après l’autre de nombreux quartiers ouvriers londoniens ont été envahis par les classes moyennes – supérieures et inférieures. Des locaux dégradés ou de modestes maisonnettes – avec deux pièces en bas et deux pièces à l’étage – ont été récupérés, lorsque les baux furent expirés1, et sont devenues d’élégantes résidences de prix. […] Ce processus de gentrification, une fois démarré dans un quartier, s’étend rapidement jusqu’à ce que presque toutes les couches populaires qui y résidaient originairement aient quitté les lieux et que toutes les caractéristiques sociales du quartier aient changé » (traduction de C. Bidou-Zachariasen, in C. Bidou-Zachariasen, 2003). La transformation sociologique et la transformation du parc de logements sont donc liées, et l’un influe sur l’autre, amplifiant le processus, jusqu’à ce que le quartier retrouve une stabilité sociologique, c’est-à-dire jusqu’à ce que les nouveaux arrivants 1 Il faut préciser ici la différence majeure de la propriété en Grande-Bretagne de la propriété en France. Dans le premier cas, les baux emphytéotiques font que l’acquéreur et ses descendants ne sont propriétaires que pour une durée déterminée (en moyenne 100 ans). Dans le second cas, la propriété est instituée comme un patrimoine héréditaire puisque l’acquéreur et ses descendants sont propriétaires « à vie »., c’est-à-dire jusqu’à ce que le propriétaire décide de revendre son bien. Cette différence se répercute sur la mobilité des propriétaires, bien plus grande en Grande-Bretagne qu’en France (on est par exemple souvent propriétaires plusieurs fois dans sa vie outre-Manche, alors qu’en France la propriété est un objectif de vie). On devient plus facilement propriétaire en Grande-Bretagne (mais sans l’être totalement donc), et le renouvellement des propriétaires est aussi plus rapide (accélérant les changements sociaux notamment). Ce qui a son incidence sur le marché immobilier (souvent plus dynamique et plus spéculatif en Grande-Bretagne qu’en France). Du reste, on opposera Londres, ville majoritairement de propriétaires et Paris, ville de locataires. 14 aient remplacé les anciens. Le schéma élémentaire du processus de gentrification est donc le suivant : afflux de capitaux privés et/ou publics logements dégradés à potentiel arrivée de classes moyennes mise en valeur du parc de logements départ des classes populaires hausse des prix de l’immobilier caractéristiques du stock résidentiel dynamiques de la structure socioprofessionnelle Graph. 1. Le processus de gentrification1 On pourra se reporter à l’annexe 1 qui rapporte les définitions de la gentrification dans différents dictionnaires, français comme anglais. On peut se demander désormais en quoi la gentrification diffère de l’embourgeoisement. Ceci nous permettra de justifier pourquoi l’on s’intéresse plus à la gentrification qu’à l’embourgeoisement dans ce mémoire. Gentrification et embourgeoisement : deux synonymes ? Ces deux mots, l’un anglais, l’autre français, sont-il synonymes ? On sait la langue française assez hésitante avant de récupérer un terme anglais. Mais, ces deux termes recouvrent-ils le même processus ? Le mot embourgeoisement est bien plus ancien que le mot gentrification, puisqu’il a été principalement utilisé au XIXe siècle, en France essentiellement. Le terme embourgeoiser apparaît en 1831, et il faut attendre 1870 pour voir apparaître embourgeoisement (cf. annexe 1). Ce dernier terme désignait le changement social provoqué par les aménagements de l’Haussmannisation. Les percées et aérations dans des quartiers populaires, non exclusivement au centre des villes, les expulsions de populations pauvres, les destructions d’immeubles, les reconstructions ont bouleversé la composition sociologique de quartiers entiers, qui se sont donc embourgeoisés. Mais le terme embourgeoisement a depuis 1 Les flèches du plus foncé au plus clair indiquent le sens du processus. Cela fonctionne en boucle. 15 évolué, et il a simplement désigné tout changement social, d’abord d’individus, et secondairement d’espaces quels qu’ils soient. Il n’y a pas obligatoirement modification du parc de logements quand il y a embourgeoisement. Avec le temps, le terme d’embourgeoisement a perdu de son contenu. Il ne signifie plus qu’une simple élévation sociale de la population résidente, sans précision de l’échelle de l’espace concerné, sans précision de mouvement de population (migration ou promotion sociale sur place), sans précision non plus des caractéristiques sociales de la population de départ (un quartier de classes moyennes peut très bien s’embourgeoiser et devenir un quartier encore plus aisé). Tout en perdant son contenu, le mot d’embourgeoisement s’est chargé de connotations souvent négatives, comme le montre aussi l’évolution de l’adjectif (ou du substantif) bourgeois(e). Le terme d’embourgeoisement n’a jamais réellement focalisé de débats ; il a toujours été admis comme une évolution, non pas inéluctable, mais qui ne méritait pas plus de détails que de dire « ça s’embourgeoise, la population monte socialement ». Si, dès les Trente Glorieuses, et encore aujourd’hui, en France, le terme d’embourgeoisement est repris dans quelques études et articles, il ne suscite que très peu d’interrogations. Le terme de gentrification quant à lui, apparu bien plus tard, a très vite attiré l’attention des chercheurs anglo-saxons. Aux Etats-Unis surtout, des débats passionnés, des articles au combien nombreux, des manifestations directes et réelles de la gentrification reprises par les médias pour sensibiliser l’opinion, ont façonné ce mot. Ce dernier a recouvert différentes facettes et enjeux, il a pu s’instituer, et caractériser une période (dès les années 60 et se poursuivant jusqu’à nos jours), un espace précis (des centres des grandes et moyennes villes occidentales, peut-être même aujourd’hui les péri-centres ou même les banlieues proches du centre, en tout cas la ville centre), un processus défini (quartiers dégradés et ouvriers du centre réinvestis par des classes moyennes et supérieures), des populations particulières (nouvelles classes moyennes supérieures). Des chercheurs se sont véritablement spécialisés dans le gentrification en prenant parti pour telle ou telle position, telle ou telle explication. Ce sont Neil Smith (le principal auteur, et théoricien, américain, à la vision marxiste), Chris Hamnet (transcende les différentes approches), Robert A. Beauregard, David Ley (vision du côté de la consommation), L. Lees, J. van Weesep, L. Knopp (gentrification et communauté gay), E. Clark (vision marxiste, Scandinavie), L. Bondi (gentrification et genre), L. Bourne, B. Badcock, etc. La gentrification a été l’objet de théories, elle a constamment évolué dans ses acceptions, et ses débats. Etudiée dans une optique d’abord néo-libérale, puis marxiste, elle devient phénomène culturel en phase avec le tournant culturel postmoderne, et enfin 16 aujourd’hui elle est l’expression urbaine de la ville globale, au sens de S. Sassen1. Nous reviendrons sur ces différentes approches. La gentrification est en ce sens pleinement un concept qui rassemble les interprétations de la transformation du centre-ville occidental depuis les années 60 : interprétations par l’économie, par les conflits sociaux, par la culture et les modes de vie, par la mondialisation, par les questions de genre. Ces interprétations se confrontent, se complètent, et font de la gentrification un concept vivant. Enfin, le terme gentrification n’a pas la connotation négative qu’a celui d’embourgeoisement, il est même associé à des mots positifs, tels que « revitalisation », « réanimation », « renaissance », etc. On verra toutefois que la gentrification est loin de ne revêtir que des aspects positifs. Le mot d’embourgeoisement, galvaudé, n’a pas réussi à capter les débats qui auraient fait de ce mot un vrai concept. En France, très peu de personnes ont entendu parler du mot gentrification, et le mot embourgeoisement est un moyen de se faire comprendre auprès du public, afin d’éviter le terme de gentrification, trop chargé de précisions, d’enjeux et débats, qu’il faudrait rappeler à chaque fois qu’on l’emploie. D’où le fait qu’aujourd’hui en France, quand on parle d’embourgeoisement, on veut en réalité dire gentrification, mais dans certains cas seulement. Les choses changent progressivement : les articles et livres traitant de la gentrification, en français, apparaissent depuis peu, mais plus de 35 ans après la création du concept. On s’interrogera plus loin sur ce retard français. Disons pour conclure ce point que la gentrification est une forme particulière d’embourgeoisement. La France, ou la langue française, met du temps à adopter ce concept, plus en raison de l’antériorité du terme français (malgré sa perte de sens et de valeur) que d’une différence de signification de la gentrification entre les pays anglo-saxons et la France. Car la gentrification concerne aussi des centres-villes français (même si, dans de nombreux cas, elle a été moins intense et moins rapide qu’outre atlantique, nous le reverrons). Enfin, comprendre la différence qui existe entre les deux termes, c’est affiner la définition de la gentrification tout en légitimant l’emploi de ce terme dans une étude portant sur le Marais. Pour aller plus loin dans la comparaison des définitions des deux termes, cf. annexe 1. 1 Cf. Saskia SASSEN, 1996, La ville globale : New York, Londres, Tokyo, Descartes et Cie. 17 L’évolution du concept de gentrification et ses différentes approches Il nous faut maintenant aborder l’évolution de ce concept. En même tant que progressait effectivement la gentrification, de nouvelles approches venaient étayer le concept, qui se gorgeait petit à petit des débats contemporains successifs. Sans trop nous attarder sur chaque approche, nous insisterons sur l’évolution générale du concept et de ses enjeux, ainsi que sur les conséquences que l’on peut en tirer pour ce mémoire. Jusqu’aux années 70 le concept n’a pas été utilisé par un autre auteur que Ruth Glass, en Angleterre. Mais dès les années 70 il a été repris par des analystes américains, plutôt ceux de la côte Est. Peu à peu, au cours de la décennie, la gentrification a intéressé tous les Etats-Unis, puis le Canada et l’Australie. La thèse principale est alors fondée sur la théorie du rent gap, forgée par Neil Smith. Cette théorie est le fondement même de la gentrification et de sa popularisation. C’est elle qui a fait naître tous les débats. Cette théorie est la suivante. Dans les années 50 et jusqu’aux années 60, la crise des centresvilles américains était sensible surtout au nord-est, c’est-à-dire dans les centres des anciennes villes industrielles. Cette crise était principalement due au manque d’investissement financier, tant du point de vue de l’initiative privée (déplacement des classes moyennes et aisées en banlieues résidentielles) que de celle de l’apport public (instaurations d’équipements et de services à la population résidente, aides aux populations démunies, etc.). Ce centre en crise concentrait des populations nouvellement arrivées aux Etats-Unis, à la recherche d’un premier logement, peu onéreux. La constitution de ghettos dans ces centres-villes permettait aux nouveaux arrivés de trouver un logement plus facilement (par l’intermédiaire de filières, de contacts) et de nouer des systèmes d’entraides entre arrivants de même origine. Les logements étaient dans un état de délabrement catastrophique, des immeubles entiers se trouvaient abandonnés, et les entreprises, notamment celles du Central Business District, commençaient même à transférer leurs activités vers des banlieues avec plus d’espace, plus de sécurité et une meilleure accessibilité. Le schéma centre dégradé – périphérie résidentielle plus aisée est caractéristique de la ville américaine, du moins jusqu’aux années 70, et il l’est encore pour certains cas aujourd’hui. La théorie du rent gap a souligné le fait que sans cette perte de valeur foncière, immobilière, d’attrait des capitaux privés et publics, la gentrification n’aurait pu se produire. « La dépréciation du capital au centre crée le potentiel pour revaloriser cette section ‘sous-développée’ de l’espace urbain » (Smith, 1986, p.24). Dans certains secteurs très réduits du centre-ville de certaines villes du nord-est des Etats-Unis, apparaît un mouvement de remise en valeur, où l’on voit un retour des capitaux privés d’abord, puis 18 publics, qui profitent de ce « différentiel de loyer » entre le centre et la périphérie. Neil Smith « met l’accent sur la production de l’espace urbain, le fonctionnement des marchés foncier et immobilier, sur le rôle du capital et des acteurs collectifs tels que les promoteurs et les institutions de crédit foncier et de prêts hypothécaires pour l’offre de propriétés à gentrifier » (trad. C. Rhein ; C. Hamnett, 1991). Dans un article de 1979, Smith écrit : « Il apparaît que les besoins de la production – en particulier les besoins de dégager un profit – sont un facteur plus décisif de la gentrification que la préférence des consommateurs »1 (trad. C. Rhein). Ce que confirme le titre de cet article : « mouvement de retour du capital, non de gens, vers les centres ». Il s’agit donc là, avant tout, d’une explication marxiste, de la gentrification, qui place le capital et le profit au centre de la théorie de Neil Smith. Dans son analyse, la gentrification est la manifestation spatiale de la lutte des classes, et l’opposition entre quartiers en cours de gentrification et non (encore) gentrifiés peut se cartographier. Cette opposition constitue une limite, véritable « frontier »2. L’approche de Smith, dite approche « productiviste » ou « par la production » est caractérisée par une étude quantitative de la gentrification, utilisant abondamment des données fiscales et immobilières, mais aussi les résultats de recensement. Dès les années 80, Neil Smith affronte une contestation à sa théorie, qui achoppe sur de nombreux points. La théorie du rent gap ignore le rôle de la population, de ses déplacements, de ses motivations et de ses goûts. Elle nie le rôle des gentrifieurs individuels (acteurs de la gentrification, groupes participant à gentrifier le quartier) en faveur des acteurs sociaux collectifs. Neil Smith n’explique pas « pourquoi certains individus plutôt que d’autres deviennent des gentrifieurs » (Hamnett, 1991). D’autre part, avec le temps, des chercheurs ont remarqué que « la gentrification peut ne pas apparaître là où le différentiel de loyer existe » et, plus largement, « l’existence d’un différentiel de loyer n’est pas une condition suffisante pour qu’apparaisse la gentrification » (ibid). Les villes européennes ne sont pas passé par la phase de rent gap et connaissent cependant la gentrification. C’est peut-être oublier que la ville, son centre et sa banlieue, sont un ensemble indissociable. Enfin, ne faut-il pas inclure des aspects 1 N. SMITH, 1979, « Toward a theory of gentrification : a back to the city movement by capital, not people », Journal of the American Planning Association, vol.45, pp.538-548 2 Le thème de la « frontier » (plus « front » que « frontière » en français), défendu par N. Smith (1996), se retrouve dans d’autres domaines de recherches aux Etats-Unis. Il est très imprégné dans la culture américaine et constitue un véritable mythe. Il fait référence, historiquement, à la progression des Américains au cours du XIXe siècle surtout, vers l’Ouest du continent, conquérant ainsi de nouveaux territoires, faisant des Etats-Unis un pays de plus en plus en plus grand. Dans l’imaginaire américain cette « frontier » symbolise la limite mouvante entre le monde civilisé et le monde sauvage. Il est intéressant que Neil Smith emploie ce lexique pour étudier la gentrification. Celle-ci est vue comme une « reconquête » spatiale du centre-ville, autrefois monde sauvage délaissé par la civilisation partie en périphérie, renversant ainsi l’imagerie américaine habituelle de la ville. Cf. préface de N. SMITH, 1996. 19 plus culturels, que peuvent être les questions de genre et de sexualité, les questions de l’image de centre-ville, ou bien celles relevant du patrimoine ancien, etc. ? Les années 80 marquent l’intensification des débats. En plus des Etats-Unis, la gentrification intéresse désormais l’Europe du Nord (Scandinavie, Pays-Bas, GrandeBretagne). De nouvelles approches contestent l’approche marxiste de Neil Smith. Le contexte est celui des années 80, marqué notamment aux Etats-Unis par le tournant culturel qui fait naître le postmodernisme. Il semble que les économistes, peu après le début de crise économique de la fin des années 70, ont perdu de leur aura et la culture semble retrouver une place centrale dans les politiques gouvernementales, comme dans les recherches. Les thèmes de recherche, en géographie comme dans d’autres disciplines ne sont plus les mêmes. Les changements sont structurels : montée de l’emploi tertiaire, de nouvelles catégories sociales (dite « de service »), mais aussi de nouvelles populations (l’activité des femmes, la libération des homosexuels, les exigences des populations immigrées ou exclues). On s’intéresse aux motivations résidentielles, on fait des enquêtes sur le terrain (comme l’Ecole de Chicago avait fait), on interview les anciens habitants, les nouveaux, on compare leurs goûts, leur mode de vie, leurs pratiques de consommation, etc. En somme, on s’intéresse davantage aux gentrifieurs eux-mêmes. Cette approche est du côté de la consommation et non plus de la production. David Ley est un des premiers à proposer cette nouvelle vision de la gentrification, mais beaucoup d’autres ont suivi : D. Rose, R.A. Beauregard… Les sources sont davantage des enquêtes qualitatives sur le terrain que de l’analyse de chiffres. On étudie les populations exclues par le processus de gentrification, le rôle des femmes et des gays, les modifications de la population active et sa structure des ménages, etc. Le débat sur la gentrification s’est ouvert avec le tournant culturel (essor des loisirs, du tourisme, de l’intérêt artistique et patrimonial, etc.). Parallèlement à l’extension de la gentrification, à sa présence plus visible et amplifiée depuis les années 70, les enjeux se sont enrichis de nouveaux thèmes, de nouvelles visions. Cette approche postmoderne ou du côté de la consommation s’oppose radicalement à l’approche marxiste, et cette opposition est encore de mise jusqu’aux années 90. Dans les années 90 on remet en question l’opposition entre les deux approches pour la transcender. « Il devenait clair pour de nombreux commentateurs que la gentrification était un processus qui ne pouvait pas s’expliquer uniquement par l’économie, ou uniquement par le culturel. Dit autrement, il devenait de plus en plus faux de penser que soit la production, soit la consommation était ‘plus importante’ dans l’explication de la gentrification » (Slater, 2002). Les deux approches sont reconnues comme étant complémentaires l’une de l’autre. 20 Pour expliquer la gentrification, il est désormais nécessaire de toucher à l’approche marxiste et à l’approche postmoderniste. Le mot gentrification arrive très timidement en France, des ouvrages très isolés évoquent ce terme qui reste encore sibyllin. Petros Petsimeris (in Chevalier & Peyon, 1994) en donne une définition. Dès les premières années du XXIe siècle, on parle de gentrification généralisée, la mondialisation entre dans le débat, et l’on tente de montrer la validité internationale de la gentrification, qui semble apparaître dans certains pays en développement. On fait des comparaisons internationales. En France, apparaissent les premières publications traitant quasi-exclusivement de la gentrification et qui l’appelle par son nom (et non plus celui d’embourgeoisement). Ces publications (Bidou-Zachariasen, 2003 ; revue Esprit, 2004) ont l’ambition de vouloir rattraper un retard français1 et d’introduire le concept en France. Au fil de ces étapes on s’aperçoit que le concept a évolué en même tant que la gentrification prenait de l’importance dans les centres-villes. Si les différentes approches sont en phase avec des métathéories, correspondant à des périodes bien précises (marxisme, postmodernisme, etc.), la gentrification a su attirer les débats et s’enrichir de nouvelles explications, au fur et à mesure qu’elle progressait dans la réalité. On peut résumer l’évolution de la gentrification dans un tableau (page suivante). 1 Au sujet du retard français, cf. C. BIDOU-ZACHARIASEN, 2004, « Gentrification : le tabou français », in Revue Esprit , mars-avril 2004 21 Tabl. 1. Evolution du concept de gentrification et de ses différentes approches décennies état effectif de la gentrification très localisé, quelques 1970 îlots du centre, quelques individus certains quartiers du 1980 centre, quelques populations tout le centre, 1990 amplification du processus toute la ville, 2000 généralisation du processus approche économiste et productiviste culturelle et consumériste complémentarité des 2 approches métathéorie marxisme idées fortes, mots récurrents méthodes rent-gap, foncier, immobilier, quantitatives, investissement, capital, profit, etc. cartographie « new-middle class », pauvres, exclus, postmodernisme genre, sexualité, ménages, choix, qualitatives goûts, représentations, pratiques (complémentarité des 2 approches) quantitatives et qualitatives se gentrification et villes globales, mondialisation, mondialisation réseaux, (toujours complémentarité) complètent Ce tableau est inspiré de celui réalisé par Tom Slater (2002). Il permet de comprendre les différents discours que l’on peut adopter, ou du moins, par rapport auxquels il faut savoir se situer quand on aborde la gentrification. b) Les manifestations spatiales et temporelles de la gentrification Après avoir défini la gentrification et étudié le concept dans ses différentes acceptions, il est temps désormais de s’intéresser au processus lui-même en soulignant ses modalités spatiales et temporelles. Comment s’exprime le processus dans l’espace et dans le temps ? Les phases de la gentrification : rythmes et échelles Quand on regarde le tableau n°1 plusieurs étapes sont identifiées. Ces étapes correspondent à des rythmes et des échelles du processus de gentrification qui évolue sans cesse. Identifier des étapes dans la gentrification, c’est montrer l’intérêt à moyen terme de ce concept, et détailler l’évolution de ses différentes implications. On s’appuiera ici notamment sur l’article de Neil Smith, intitulé « La gentrification généralisée : d’une anomalie locale à la ‘régénération’ urbaine comme stratégie urbaine globale » (Bidou-Zachariasen, 2003). Dans ce même recueil d’article, Catherine BidouZachariasen distingue les différentes populations qui prennent part à la gentrification : « la gentrification procède par vagues successives d’installation, mobilisant tour à tour des fractions diverses des couches moyennes, des plus "marginales" aux plus "fortunées". […] d’abord initié par un petit groupe de personnes audacieuses ("les envahisseurs"), puis porté par une clientèle plus soucieuse des risques ("les pionniers") et récupérée enfin, après intervention des pouvoirs publics, par des membres des classes moyennes en ascension sociale (les "yuppies" ou les "acteurs de l’embourgeoisement") ». La conquête des quartiers anciens se fait donc par « vagues » et celles-ci sont avant tout des vagues de différents groupes. Mais, ajoute-t-elle, c’est aussi « autre chose qu’un simple phénomène de changement successif de populations ». C’est ce que nous tentons d’expliquer dans les paragraphes suivants. Au tout début de la gentrification, quand Ruth Glass (1964) crée le néologisme, on ne peut véritablement pas parler encore de processus. La gentrification est perçue comme une anomalie, comme un "retour en arrière" par rapport aux modèles de l’Ecole de Chicago. Neil Smith remarque que « la première gentrification fut parcellaire et isolée, en d’autres termes sporadique » (trad. Bidou-Zachariasen, ibid, p.49). Certains immeubles, puis certains îlots, 23 puis des quartiers entiers voient affluer de nouveaux habitants, qui n’ont rien à voir avec les anciens, en terme de profession, de niveau de vie, de goûts, d’origine ethnique. Le plus souvent, ces espaces réduits rencontrant un début de gentrification, dès la fin des années 50 pour les tout premiers (New York, Londres), ont rarement fait l’objet d’opérations publiques de rénovation, et encore moins d’un apport de capitaux extérieurs privés. Cette première gentrification naît avant tout de quelques initiatives individuelles privées. Elle est donc limitée dans son extension spatiale, et dans son intensité, par le manque d’intérêt que lui portent les pouvoirs publics et les promoteurs privés, dont les financements et prêts restent difficiles d’accès. Dans les années 70-80 le mouvement s’amplifie. Des quartiers sont clairement identifiés comme étant dans un processus de gentrification déjà avancé, à tel point que celui-ci en devient visible. De quelques individus discrets et isolés, on est passé à un mouvement d’ensemble dont les premiers effets négatifs sortent de l’ombre. Les exclus de la gentrification et les anciennes populations pauvres du quartier se sentent maintenant menacés et font entendre leur voix. De nombreux immeubles passent petit à petit en copropriété, et les locataires les moins aisés sont expulsés plus ou moins légalement par des propriétaires soucieux de profiter du renouveau du quartier, en réhabilitant son (ses) appartement(s) et en le(s) relouant, ou en les mettant en vente à un prix intéressant. Mais le principal changement qui va donner un coup de fouet à la gentrification, et notamment à l’échelle d’un quartier entier, c’est le retour de l’intérêt de la municipalité ou au moins de l’intervention publique, déclenchant l’intérêt des promoteurs privés. Les années 70 ont été l’heure de gloire de l’intervention publique dans les centres-villes, tant en Amérique du Nord qu’en Europe. Rénovations, réhabilitations, curetages, expulsions et relogements ont permis à la gentrification de s’étendre spatialement, et de conquérir de nouveaux secteurs entiers. Ils ont aussi permis à la gentrification de devenir un véritable processus, qui se complexifie, et qui acquiert toute son ampleur. Les Etats lancent des opérations gigantesques pour des centresvilles étriqués, dont des retombées sociales et économiques sont considérables, ou en tout cas très attendues. L’opération vitrine de la SOREMA, dans un « secteur opérationnel » du Marais, en est un exemple parfait. Les investisseurs privés obtiennent les prêts des banques, convaincues que du profit peut être dégagé dans ces quartiers autrefois stigmatisés. On identifie ces populations qui reviennent dans le centre-ville : ces « yuppies », ces jeunes célibataires et diplômés qui viennent d’entrer sur le marché du travail, qui sont en pleine ascension sociale, et dont l’emploi est souvent dans le centre des affaires. Ils sont aussi nombreux à travailler dans des secteurs culturels et artistiques. On trouve aussi des couples 24 d’actifs sans enfants qui ont un pouvoir d’achat supérieur parfois aux familles ou aux retraités de banlieue aisée. On identifie aussi les populations exclues : travailleurs immigrés, étrangers, inactifs âgés, chômeurs, etc. Les prix immobiliers s’envolent, et ils s’envolent à l’échelle de quartiers entiers. Et c’est même tout le centre-ville qui tend à se gentrifier. D’autres villes, pas seulement des capitales d’Amérique du Nord ou d’Europe de l’Ouest, mais des villes moyennes commencent alors à rencontrer le processus. L’extension spatiale de la gentrification s’effectue à l’intérieur de la ville (extension à de nouveaux secteurs, passant de quartiers centraux à d’autres péri-centraux). Elle suit aussi la hiérarchie urbaine à l’échelle nationale et occidentale, affectant des villes de plus en plus petites à l’échelle d’un pays, et de plus en plus de villes dans le monde occidental. « Contrairement à la gentrification sporadique […], la seconde vague a été beaucoup plus systématique. Elle a ancré la gentrification […] comme un élément d’une restructuration plus large de la ville. La gentrification n’était plus une anomalie locale du marché immobilier d’une grande ville, elle se développait comme une composante résidentielle spécifique d’une plus large refondation, économique, sociale et politique de l’espace urbain.» (Bidou-Zachariasen, 2003, p.54-55) Les années 90 marquent un ralentissement de la gentrification, bien qu’elle poursuive son extension spatiale, à l’échelle de la ville, et à l’échelle internationale. La crise économique et financière au début des années 90 aurait freiné la dynamique si bien lancée depuis une quinzaine d’années. Certains auteurs parlent même de « dégentrification », mais le mot est assez vite écarté, préférant voir un simple ralentissement, ou un plafonnement. L’impulsion donnée par les pouvoirs publics s’est essoufflée, impulsion dont les résultats ont d’ailleurs été plus ou moins fructueux, et surtout aux conséquences sociales très aléatoires. Le désengagement de l’Etat français est du reste évident en matière de politique de logement. A la fin des années 90 la gentrification reprend de la vigueur. Elle tend à se généraliser à tout le centre-ville et déborde même sur des quartiers de plus en plus excentrés, aux stocks de logements plus récents, et originellement moins populaires que les anciens quartiers centraux. Les impacts sur les commerces des quartiers se font croissants, des rues entières sont radicalement bouleversées tant dans leur physionomie que dans leur composition sociologique et économique. Les centres-villes se remplissent de touristes et de promeneurs, de lieux à la mode, de lieux culturels, artistiques, et de loisirs. Dans le Marais à Paris, c’est tout une partie du 4e arrondissement qui se trouve fréquentée par une jeunesse branchée ; restaurants, cafés, mais aussi boutiques de vêtements tendances et de décoration-design ouvrent leurs portes. « La gentrification ne représente plus une simple stratégie résidentielle mais apparaît comme la proue du changement métropolitain dans les centres-villes. Maintenant comme avant, elle 25 correspond à une conquête classiste de la ville, mais elle n’exprime plus les étroits intérêts de classe […]. Cette généralisation de la gentrification va aussi en partie avec sa démocratisation » (Bidou-Zachariasen, 2003, p.58). Même si cette démocratisation est quelque peu de façade, dans la mesure où un fossé se creuse entre les gens qui fréquentent le quartier gentrifié et ceux qui y vivent quotidiennement. Des villes du Tiers-monde commencent à amorcer le processus, alors que il en arrive en Occident à concerner toute la ville et plus seulement son centre historique, dépassant la définition originelle de gentrification, plutôt réservée au centre-ville. La gentrification devient synonyme d’intégration au réseau métropolitain mondial. Elle devient l’expression urbaine de la mondialisation. C’est la concurrence entre les villes globales qui encourage la gentrification des centres-villes comme véritable stratégie de valorisation de l’image urbaine et des fonctions urbaines les plus dynamiques. Cette stratégie est le fait d’un nouveau « partenariat entre le capital privé et l’Etat local » (ibid, p.61). L’Etat providence tend à se mettre au second plan, là où c’est la logique de marché qui prime. Il n’y a plus de complexes, pour une municipalité, à gentrifier son territoire, car la majorité des habitants sont des gentrifieurs et les pouvoirs publics doivent répondre à leurs attentes. « La solution serait alors dans un recours au libéralisme, dans la volonté de laisser jouer les lois du marché, de développer le financement privé du logement » (Aballea, 1983). Cette logique de marché a été facilitée par la « globalisation du capital » (implications de banques et promoteurs étrangers). C’est toujours cette phase de gentrification que nous rencontrons aujourd’hui, en 2004. La gentrification semble donc être associée à un système économique et social, dont la mobilité et l’ouverture sur le monde sont nécessaires. Ce sont les niveaux inégaux de ce contexte économique et socioculturel, entre et au sein des pays industrialisés, qui expliquent l’apparition plus ou moins tardive et plus moins rapide de la gentrification, en tant que processus effectif, et en tant qu’objet de recherche. Du reste, on peut dire que l’intérêt que les chercheurs d’un pays peuvent porter à la gentrification dépend principalement de l’avancement de la gentrification, comme processus effectif, dans leur pays. La gentrification a donc pris progressivement de l’ampleur au fur et à mesure qu’elle - concernait de plus en plus d’habitants (des premiers « envahisseurs », aux « pionniers », aux « yuppies » et jusqu’à sa démocratisation – de façade) ; - s’étendait à l’intérieur de la ville (immeubles, îlots, quartier, centre-ville, reste de la ville) ; - s’étendait à d’autres villes de la hiérarchie urbaine nationale et internationale (capitales, grandes villes, villes moyennes ; capitales occidentales, quelques capitales du Tiers-monde) ; 26 - coïncidait avec la progression de l’économie libérale et globale (modification du rôle des pouvoirs publics, implication croissante du secteur privé). La courbe suivante peut schématiser les rythmes de la gentrification : Graph. 2. La diffusion du processus de gentrification dans le temps et l’espace extension de la gentrification à … échelle globale échelle locale capitales ville entière Tiers-monde villes d’Europe centre-ville capitales Europe & villes monde anglo-saxon capitales monde anglo-saxon quartiers îlots immeubles 1960 1970 1980 1990 2000 Ce graphique n’a que valeur de modèle. Chaque pays, chaque centre-ville, et même chaque quartier de centre-ville qui rencontre la gentrification au cours de son histoire revêt des spécificités, des originalités qui se répercutent sur le processus de gentrification. A l’instar des courbes de transition urbaine (croissance de la population urbaine) ou de transition démographique (mouvements à long terme de la natalité et de la mortalité), les écarts à ce profil peuvent varier : - suivant la vitesse de diffusion de la gentrification (la phase d’accélération peut se produire plus tôt ou plus tard suivant le contexte socio-économique) ; - suivant le moment d’apparition de la gentrification (plus la gentrification apparaîtrait tardivement plus elle serait rapide. Mais les contre-exemples à ce point sont nombreux. La France notamment, a connu une gentrification de ses centres-villes plus tardive, et plus lente. Il faut dire aussi que pour ce cas, à peu près commun à toute l’Europe, la courbe commencerait certainement moins bas que celle des Etats-Unis, parce que les centres européens étaient moins dégradés que ceux d’outre-atlantique) ; - la pause du début des années 90 est spécifique à la conjoncture occidentale. Il est très probable que d’autres pays ne connaîtront pas cette pause, ou en connaîtront d’autres, à des moments variables suivant leur contexte économique et social. 27 Enfin, on peut noter que nous manquons de recul pour confirmer cette progression du fait que la gentrification vient tout juste de s’amorcer dans quelques capitales de pays sousdéveloppés. Comparer des centres-villes en gentrification ? La question est ici d’attester la validité de la gentrification à l’échelle internationale. Existet-il une ou des gentrifications ? Cette comparabilité est souvent mise à l’épreuve. Des auteurs ont essayé de faire des comparaisons entre grandes villes occidentales. Par exemple, Carpenters & Lees (1995) font une comparaison entre New York, Londres et Paris. Les causes, les manifestations, les conséquences de la gentrification peuvent varier d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre au sein d’un même continent, d’une ville à l’autre au sein d’un même pays, d’un quartier à l’autre au sein d’une même ville mais « malgré les contextes locaux divergents les symboles de consommation aisée des centres new-yorkais, londonien et parisien semblent adhérer à un code général » (Carpenter & Lees, 1995, p.300). A l’échelle internationale, le système économique sera le plus discriminant (plus ou moins libéral, plus ou moins ouvert sur la mondialisation). Entre deux pays, ce sera le système législatif, l’implication de l’Etat, le contexte de l’emploi, la mobilité sociale, la mobilité résidentielle. Entre deux villes d’un même pays, ce sera la hiérarchie urbaine, les spécificités régionales. Entre deux quartiers, ce sera la situation dans la ville, l’histoire du bâti et de la société… A chaque échelle son explication, faisant varier les types de gentrification. Peu d’auteurs ont tenté de faire des typologie de gentrifications1. Sans doute parce qu’il y a plus de points communs que de différences entre centres-villes gentrifiés. Les auteurs se sont toujours efforcés de traiter de la gentrification à son plus petit dénominateur commun, sa définition première, et d’en relever pour chacun les originalités locales qui font que la gentrification présente des modalités particulières et distinctes. Pour autant, quelques types de gentrification de centres-villes anciens peuvent être repérés, ceux dont les auteurs parlent le plus souvent, à partir de critères concernant : - l’intérêt du bâti et du paysage : valeur patrimoniale et architecturale, ancienneté, charme de rues ; 1 David Kopec distingue trois formes de gentrification : celle de type public, celle de type privé, celle à l’occasion de constitution de communauté. Cette typologie est trop partielle pour la retenir. Cf. David Kopec, 2003, Gentrification in the new millennium, http://realtytimes.com/ 28 - la localisation ou le site dans la ville : front d’eau (lac ou cours d’eau), espaces verts (parcs, jardins en cour intérieure), hauteurs avec vues ; - les moyens et le mode opératoire d’amélioration : destructions – rénovations, réhabilitations ; - les acteurs : public (Etat, municipalités), privé (sociétés immobilières, individus ou personnalités, groupes sociaux), autres (sociétés d’économie mixte, associations) ; - les destinataires (gentrifieurs) : catégories sociales, types de ménage, communautés, groupes sociaux, etc. Avec ces différents types, on peut qualifier tous les centres-villes en cours de gentrification. Les combinaisons sont très nombreuses : elle reflètent la grande diversité des formes que peut prendre la gentrification. Etudier la gentrification d’un quartier c’est étudier ces différentes composantes qui font que ce quartier se gentrifie, et que cette gentrification est originale. La diffusion spatiale dans la ville : contiguïté et sauts Regardons plus en détail le processus de gentrification à l’intérieur de la ville. Se diffuse-t-il de proche en proche, en faisant des sauts, des poches résistent-elles ? De quels facteurs dépend cette diffusion ? Si la gentrification a d’abord concerné quelques îlots isolés, puis un quartier, c’est qu’une certaine propagation est à l’œuvre. Les premiers acteurs individuels, peu nombreux, se sont installés dans des appartements où le confort était suffisant et pour lesquels relativement peu de travaux devaient être entrepris. L’attrait ponctuel de ce genre de biens est principalement dû aux prix immobiliers du voisinage : la population du quartier est pauvre, et nombreux sont les ménages qui ont quitté ces immeubles dégradés pour la périphérie. Les valeurs immobilières du quartier sont tellement basses que même un appartement au confort suffisant et dans un état présentable ne peut se vendre ou se louer beaucoup plus cher que les autres biens du voisinage. C’est donc dans des immeubles et dans des îlots où les logements sont de meilleure qualité que ces populations pionnières se sont installées. D’abord très ponctuellement, puis par le bouche à oreille et par la restauration très progressive de dizaines d’appartements dans un secteur bien précis, les demandes de logements de ce type se sont peu à peu étendues aux îlots qui présentaient les aspects les moins délabrés du quartier. Car les immeubles de meilleure qualité sont souvent assez concentrés dans l’espace, ou bien, s’ils sont disséminés (comme le cas de destructions – rénovations au tournant du XXe siècle), ils 29 entraînent le voisinage direct dans la montée des prix immobiliers. C’est bien la logique de propagation qui joue dans le processus de gentrification, lorsque celui-ci a atteint un certain degré, qu’il concerne des îlots entiers et non plus seulement des immeubles épars. Bien sur, la gentrification peut apparaître dans un même quartier à plusieurs endroits. Les surfaces concernées s’étendront spatialement et finiront peut-être par se rejoindre. La propagation peut se faire en taches d’huile. Dans le Marais, les opérations de la SOREMA ont entraîné une vague de restaurations à proximité. Les hôtels particuliers et les immeubles de qualité architecturale ont fait l’objet de réhabilitations, notamment lorsque des immeubles entiers se sont trouvés sur le marché après la vente par leur propriétaire ou le décès de celui-ci. Il se peut qu’au cours de cette propagation l’arrivée de nouvelles populations plus aisées bute sur un îlot, quelques îlots dont les immeubles sont en trop mauvais état, ou se différencient par la faible activité du marché à la vente ou à la location. Par exemple, un secteur à forte proportion d’hôtels meublés, d’immeubles de rapport anciens très dégradés et occupés par des populations étrangères très pauvres. Ces secteurs peuvent constituer de véritables poches de résistance, dont la durée est variable. Mais si la gentrification a besoin de s’étendre, c’est-à-dire si la demande se poursuit, elle pourra éventuellement sauter cette zone ou la contourner. Tout dépend des caractéristiques du stock de logements à proximité des îlots dont la gentrification est déjà avancée. L’importance même des transactions, et de la demande dans un secteur très particulier peut vite faire monter les prix, y compris dans des îlots immédiatement adjacents. Des propriétaires seront alors tentés d’exclure les anciens locataires pour accueillir de nouveaux, et faire monter les prix. Il se peut que les populations les plus pauvres, contraintes de quitter leur appartement, cherchent à se loger un peu plus loin, dans des îlots qui ne sont pas (encore) atteints par le phénomène. Nous chercherons ultérieurement à tester ces hypothèses à propos du Marais, à montrer comment la gentrification s’est propagée dans ce quartier et à partir de quels îlots et comment elle a pu éventuellement trouvé des résistances. Il s’agit ici de comprendre que la gentrification est un processus de propagation spatiale, et que celle-ci est due à la répartition spatiale de différents types de logements, selon leur ancienneté, leur qualité architecturale, leur confort, leurs populations, leur statut d’occupation. Il faut se défendre de voir la gentrification comme un rouleau compresseur qui balaye un à un tous les îlots, sauf si le stock de logements est très homogène dans tout un quartier, ce qui est assez rare, surtout en centreville. Neil Smith (1996) parvient à cartographier la propagation de la gentrification dans le Lower East Side à New York, selon des critères immobiliers ; Mais Smith oublie d’insister sur les causes mêmes de cette propagation. Il ne va pas de soi que la gentrification se propage 30 de proche en proche. C’est parce qu’elle est essentiellement dépendante des caractéristiques des logements. En cela, elle s’inscrit dans une vraie dynamique, qui lie des logements potentiellement gentrifiables, à l’existence d’une demande par des populations potentiellement gentrifieurs. La gentrification est d’abord motivée par la demande de gentrifieurs, mais elle ne peut se faire sans la présence de logements gentrifiables. Cette dualité est le reflet de la loi de l’offre et de la demande ; car n’oublions pas que la gentrification, tout en étant un processus de transformation sociale et culturelle (tant dans ses causes que dans ses conséquences), est aussi l’expression d’un mécanisme économique immobilier. A Paris, la gentrification a été alimentée par des nouvelles populations qui ont accédé à l’université (Paris devient une grande ville universitaire : cf. gentrification du Quartier Latin) ou qui profitent des embauches des secteurs publics. Elles sont en quête de reconnaissance socio-spatiale : elles ne veulent et ne peuvent pas se mêler aux classes bourgeoises (elles n’ont pas les moyens d’habiter leur quartier), et n’ont pas les niveaux de vie ni les modes de vie des classes laborieuses (mais elles ne les refoulent pas totalement pour autant). Ces populations cherchent un logement souvent à faible coût parce qu’elles viennent d’entrer dans la vie active et un lieu conforme à leur représentation de la ville (vie de quartier, brassage des origines, sociabilité exacerbée). Du côté des logements, dans le Marais, les premières rénovations des années 60, la loi Malraux et l’instauration du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur vont accentuer le départ des ouvriers et artisans du quartier, abandonnant des logements mal équipés mais peu onéreux, à certaine valeur architecturale, et jouissant d’une centralité exceptionnelle. Le Marais était en quelque sorte fait pour ces populations. C’est bien la rencontre de la conjecture sociodémographique et socioprofessionnelle parisienne et de la conjecture immobilière du Marais, à un moment donné, qui a lancé la gentrification. A cette rencontre s’ajoute de nouvelles conceptions nationales (et occidentales) sur le patrimoine, l’ancien, la culture. Le phénomène a donc concerné quelques îlots à forte valeur historique, et c’est tout un secteur dont les prix s’embrasent, du fait de la mise au jour de sa potentialité immobilière. Plus l’échelle de la gentrification grandit avec son expansion, plus ce mécanisme immobilier se vérifie. A l’échelle d’une ville, on sait très bien que les gens souhaitant acheter dans un quartier et qui finalement réalisent qu’il n’est pas à la portée de leur bourse, vont s’intéresser à des quartiers adjacents, un peu moins chers, mais pas trop loin de leur choix initial. Dans les grandes villes occidentales, ce mécanisme est aussi dû à la répartition sociologique de type sectoriel. A Paris, comme le montre le schéma suivant, les beaux 31 quartiers sont à l’Ouest, les quartiers populaires au Nord et les quartiers de classe moyenne au Sud et surtout à l’Est. Graph.3. Schématisation sectorielle de la division socio-spatiale parisienne et de la dynamique de gentrification. Bien sûr les exceptions locales sont nombreuses ; mais c’est une configuration d’ensemble qui correspond aussi très bien aux représentations et aux pratiques des Parisiens. La gentrification de Paris est parti des quartiers plus bourgeois (ces nouvelles populations s’installent dans des secteurs où les prix ne sont ni les plus hauts ni les plus bas). Une partie du 17e et du 9e arrondissement, le 15e, une partie du 14e, le Quartier Latin, etc. Le Marais se trouve dans une situation originale car il n’est pas clairement adjacent à un quartier bourgeois. En fait, il détient son potentiel de gentrification plus en son sein (la richesse de son patrimoine ancien) et que par proximité avec un quartier bourgeois (même avec l’Ile Saint-Louis, trop isolée). La gentrification semble progresser plus rapidement dans les quartiers de classes moyennes que de classes populaires où les freins sont plus nombreux. Disons en tout cas que 32 c’est d’abord rive gauche qu’est apparu la gentrification (ne serait-ce par son traditionnel rôle d’attrait intellectuel et artistique), sans doute parce qu’elle était moins populaire que le Nord de Paris. Mais la gentrification ne se produit pas seulement dans ces secteurs proches de quartiers cossus. Elle apparaît aussi de manière plus isolée suivant des spécificités locales : un habitat particulier comme à la Butte aux Cailles dans le 13e, ou à Montmartre pour lequel il faudrait rajouter la topographie (comme pour les buttes Chaumont), ou d’autres secteurs encore plus localisés, proches d’espaces verts (parc Montsouris, etc.). C’est une autre forme de gentrification, ponctuelle, qui tend plus difficilement à se propager (du fait de l’unicité de des spécificités). En somme, la propagation de la gentrification de proche en proche est encore plus vraie à l’échelle de la ville que du quartier. La spatialité de la propagation s’explique par la présence d’un stock de logements potentiellement gentrifiables, et les rythmes temporels de cette propagation s’expliquent par l’existence de gentrifieurs potentiels. Ceci complète donc le schéma de définition qui lie la dynamique de la structure socioprofessionnelle et les caractéristiques du logement. Le première est la condition de l’apparition et du développement de la gentrification dans le temps, les secondes sont la condition de l’apparition et du développement de la gentrification dans l’espace. Il s’agit donc d’une alchimie qui correspond à la conjonction de moments et contextes favorables à l’apparition de la gentrification avec des lieux et espaces prêts à accueillir la gentrification. 33 c) La gentrification et sa dynamique sociale Tentons maintenant d’apporter des éclaircissements sur la dynamique sociale du processus. Nous entendons par dynamique sociale les transformations sociologiques et culturelles entraînées par le processus, ainsi que les mouvements d’attraction et de rejet qu’elle suscite. La gentrification crée de nouveaux espaces sociaux, modifie les codes de valeurs, de représentations et de pratiques du centre-ville ; elle s’infiltre en profondeur dans les fondements même de la société urbaine pour les remodeler. En cela la gentrification est un processus de production social. L’émergence d’une nouvelle classe sociale ? Cette question émerge dès les années 80 (ou de manière très isolée dans les années 70). Nous avons vu le contexte de ces années pendant lesquelles la gentrification prend toute son ampleur. Les modifications structurelles que connaissent de nombreux pays industrialisés, qui se sont manifestées dès la fin des années 70, concernent avant tout le secteur de l’emploi. On parle de tertiarisation de l’emploi, dans les grandes villes en particulier, qui semble prendre le pas sur le secteur secondaire de l’industrie. Par exemple, à Paris, la part des emplois du secteur tertiaire est passé de 75,4 % en 1975 à 89,4 % en 1999, alors que la part des emplois du secondaire est passé de 24,6 % à 10,6 % durant la même période. Les secteurs « conseils et assistance », « activité financière », des services marchands, « activité immobilière », mais aussi les secteurs culturels, des arts, ou bien dans la communication, la publicité, mais aussi les secteurs de l’enseignement (notamment l’enseignement supérieur), de la santé et du social (notamment dans le secteur public) connaissent une croissance considérable durant les années 80. Le mouvement est même encore plus important en Amérique du Nord, ou en Europe du Nord. Ces nouveaux emplois, créés au sein même de la ville ou dans sa périphérie immédiate, satisfont une nouvelle génération, récemment diplômée, et qui entre sur le marché du travail. Ce sont souvent des hommes mais aussi des femmes, qui sont célibataires ou qui viennent de se mettre en couple, et qui n’ont généralement pas encore d’enfant. Comme ils gagnent suffisamment d’argent, ils préfèrent la centralité, leur permettant d’accéder à toute la ville pour leurs sorties et leurs loisirs, et pour la proximité avec leur travail. Ils profitent des prix 34 encore abordables dans un quartier ancien, dont la valeur architecturale les séduit. Pourquoi se mêler avec des familles à l’autre bout de l’agglomération dans des zones de résidences fraîchement construites et toutes identiques, alors que l’on a la possibilité de s’installer en plein centre, à proximité de restaurants, bars et autres loisirs, dans un quartier agréable, esthétique et vivant, et où l’on est à un quart d’heure en vélo de son bureau ? Ces populations apprécient le patrimoine et elles souhaitent profiter à la fois de la proximité du travail, et de la proximité des loisirs. Le centre ancien est idéal pour ces populations. Beaucoup d’auteurs ont donc vu dans ces années 80, et dans la décennie suivante, la montée de la gentrification comme étant en grande partie la résultante de la constitution, au centre des grandes villes, d’une nouvelle classe sociale. C’est une fois de plus aux Etats-Unis que les premières études sont menées, comme en témoigne l’article de Peter Williams : « Class constitution through spatial reconstruction ?» (in Smith, 1986). La gentrification serait la réappropriation du centre par de nouvelles classes moyennes. Certains auteurs n’hésitent pas à employer le terme « new middle class ». Chris Hamnett (1991) affirme que « la gentrification est expliquée dans ses termes comme résultant des désirs des gentrifieurs de se différencier eux-mêmes d’autres groupes sociaux ». N. Smith (1986) le dit encore plus explicitement : « la gentrification et le mode de consommation qu’elle engendre sont partie intégrante de la constitution de classe. Elles sont une partie des moyens mis en œuvre par les individus appartenant à la nouvelle classe moyenne de se distinguer de la bourgeoisie au-dessus d’eux et de la classe ouvrière au-dessous. » (trad. C. Rhein) Il s’agit donc d’une démarcation sociale de cette nouvelle catégorie de population, qui s’exprime spatialement par une appropriation territoriale. Le travail pionnier de Catherine Bidou (1984) en France a mis en évidence la gentrification (sans qu’elle donne le mot) du quartier du marché d’Aligre (12e arrondissement de Paris) à travers l’installations de populations aux caractéristiques sociologiques et anthropologiques communes. Mais peut-on vraiment employer le terme de « classe sociale » pour qualifier ces populations ? Elles vont de l’artiste ou de l’intellectuel inscrit au chômage qui vit dans un studio assez mal entretenu, au chef de projet dans une entreprise de communication, au salaire de ministre, logeant seul dans un trois pièces. Le problème est que cette soi-disant « classe » ne recouvre aucune catégorie socioprofessionnelle et a des écarts de revenus considérables. On sait juste qu’il s’agit plutôt de personnes jeunes et branchées, plutôt célibataires, qui ont un certain goût pour la culture et pour les loisirs, qui sont plutôt bienveillants envers les populations urbaines exclues (qu’ils ont d’ailleurs peut-être eux-mêmes exclus sans le 35 vouloir). Mais est-ce cela les critères qui font une classe sociale ? C. Bidou (1986) introduit son ouvrage en écrivant : « sans que l’on sache encore comment les nommer, sans qu’elles se nomment elles-mêmes, mais qui n’en constituent pas moins des milieux sociaux qui ne peuvent être assimilés à aucun des autres groupes ». Cette « nouvelle classe » n’est pas sans poser quelques questions. Patrick Simon (1995) s’intéressant au quartier de Belleville identifie ce qu’il nomme les « multiculturels », ces nouveaux arrivants des couches moyennes supérieures qui viennent cohabiter avec une population étrangère assez pauvre, mais qu’ils trouvent très vivants. « L’aspect superficiel de leur insertion dans l’organisation sociale du quartier ne les empêche pas d’en vanter les mérites. Objectivement, l’animation est l’une des raisons de leur installation à Belleville et ils se montrent indéniablement favorables au cosmopolitisme, même si, en définitive, leurs activités professionnelles leur laissent peu de temps pour le pratiquer » (Simon, 1991). C’est une « recherche d’une sorte d’"effet paysage" composé d’une population regardée avec sympathie mais toujours maintenue à distance par les usagers ». « Les "multiculturels" se transforment peu à peu en de véritables "intellectuels organiques" des milieux populaires, gestionnaires d’une identité qui ne leur appartient pas, mais dont ils manipulent les codes » (ibid, 1991) Sans que ces « multiculturels » prennent le statut de « classe » il est intéressant de remarquer que cette nouvelle population est pleine d’originalité et d’ambivalence. Plus généralement, en France, ce paradoxe a été médiatisé non sans ironie, sous l’expression de « bobo » ou « bourgeois bohème ». Voir à ce sujet le livre satirique de Brooks (2002). La principale idée est de dire que, très schématiquement, ces « bobos » vivent à droite et votent à gauche (nous y reviendrons dans le dernier chapitre). Mais peut-on généraliser ces individus en une classe sociale ? Une page récente du Monde évoque le processus de gentrification, dans la banlieue traditionnellement rouge de Paris. Le terme y est employé mais entre guillemets et rapproché du terme embourgeoisement. La gentrification est aussi décrite par la montée de ces « bobos ». Enfin, il faut s’interroger sur l’espace que concerne la gentrification : il ne s’agit plus exclusivement aujourd’hui du centre-ville, mais de banlieues qui restent cependant centrales dans l’agglomération. Le débat reste ouvert. Ce qui est sûr, c’est que les mutations sociologiques des centres-villes ont donné naissance à de nouvelles représentations et pratiques sociales. Si cette « nouvelle bourgeoisie » n’existe pas, il n’en reste pas moins que la gentrification est l’expression même de l’émancipation de populations urbaines originales. 36 Les conséquences de la gentrification : impacts positifs et négatifs La polémique est également très vive pour prendre partie pour ou contre la gentrification. On peut remarquer, que si le processus est la manifestation de la mise en place d’une nouvelle catégorie sociale, il est par là même l’expression des luttes et conflits de la société urbaine. Par conséquent, il est indéniable que la gentrification se place au cœur de problèmes urbains dont les gagnants et les perdants mettent en valeur les avantages et les inconvénients. Les chercheurs se sont toujours efforcés de ne pas décider du bien ou du mal de la gentrification et de rester objectifs. Il n’empêche que si l’on s’intéresse à la « réanimation urbaine » ou aux « déplacés de la gentrification », le point de vue sera assurément différent. Réfléchir sur la condamnation ou non de la gentrification, est placer ce processus comme potentiellement ségrégatif. Comme sur toute ségrégation, le point de vue des dominants n’est pas le même que celui des dominés. Rowland Atkinson (2002) consacre un article entier à cette question : « Does gentrification help or harm urban neighbourghoods ? ». Il réfléchit en terme d’impact de la gentrification sur les quartiers centraux. Il distingue les impacts positifs et les impacts négatifs. R. Atkinson reprend d’abord les différents impacts négatifs de la gentrification. Le premier est celui des déplacements de populations (« displacement »). Reconnu comme un problème par les auteurs qui l’étudient, il a pour principal enjeu d’évaluer le nombre de personnes qui doivent quitter leur domicile du fait de la gentrification, et de savoir qui sont ces personnes. Il s’avère que les chiffres varient beaucoup d’une étude à l’autre et d’un centre-ville à l’autre. Etablir des méthodes pour repérer ces déplacés, et attribuer ces déplacements aux manifestations de la gentrification sont tout aussi problématiques. Il apparaît que les populations déplacées sont les ménages les plus pauvres, les personnes âgées, les ménages dont le chef est une femme, et les populations ouvrières. Les autres impacts négatifs sont assez vite énumérés par Atkinson car ils sont secondaires, où sont directement liés à cette question des déplacés : harcèlement et éviction, conflit de communautés, perte d’appartements à des prix abordables, sans abris, les changements de demande de services locaux, la criminalité, la poursuite du déclin démographique (perte de population). R. Atkinson reprend ensuite les impacts positifs. Amélioration de l’habitat, revalorisation immobilière, augmentation des taxes pour la municipalité, amélioration des services locaux, etc. Cette ambivalence de la gentrification doit nous inviter à mesurer l’impact de toute transformation dans un quartier qui se gentrifie. Chaque manifestation est à peser, à relativiser, afin de ne pas prendre parti pour ou contre la gentrification. 38 39 40 B. Le contexte particulier de la gentrification du centre parisien et du Marais a) Le retard de Paris sur les grandes villes anglo-saxonnes La gentrification a connu, et connaît toujours son heure de gloire aux Etats-Unis. Pourquoi est-ce aux Etats-Unis que la gentrification est apparue le plus tôt ? Pourquoi la France accuset-elle un retard dans l’adoption de ce concept, mais aussi dans l’apparition du processus luimême ? L’avance américaine, le retard français. Eléments d’explication d’un double retard. Le retard français est double : retard d’apparition et de développement du processus, et retard d’apparition de la gentrification comme objet de recherche. Les raisons ne sont pas les mêmes pour chacun de ces deux retards. De tous les pays du monde occidental, c’est aux Etats-Unis que la crise urbaine a été la plus profonde. Dès l’entre-deux guerres, des chercheurs se sont penchés avec beaucoup d’intérêt sur cette question. Nous ne reviendrons pas sur les conditions de la mise en place de cette crise. Mais le fait que la gentrification soit apparu très tôt aux Etats-Unis, dès les années 60, soutient la thèse Neil Smith : là où le différentiel de loyer serait le plus grand la gentrification serait la plus précoce. La situation en Europe confirme cette hypothèse : les centres-villes européens étant moins dégradés, moins abandonnés que les centres-villes nord-américains, il est logique que la y gentrification soit plus tardive. Elle est non seulement plus tardive, mais elle est aussi plus lente. Ce serait une erreur d’appréciation que de croire en cette seule théorie pour expliquer l’avance américaine, et le retard européen, a fortiori le retard français. On sait que ce sont les Etats-Unis qui ont connu les premiers bouleversements en matière de progrès technologiques, et particulièrement après la seconde guerre mondiale. La croissance des emplois tertiaires, de l’emploi salarié, les modifications de la structure des ménages sont apparus plus tôt aux Etats-Unis qu’ailleurs. Il en va de même dans toutes les économies 41 néolibérales, très ouvertes sur l’extérieures, où le marché du logement est très libre et les financements peu soumis à des contraintes législatives étatiques. Or il apparaît que ce sont dans ces pays d’économie très libérale, que la gentrification des centres-villes, et des centres des grandes villes, s’est développée le plus précocement et le plus rapidement. Aux EtatsUnis, mais aussi en Grande-Bretagne, en Scandinavie, aux Pays-Bas. L’Europe latine a souvent accusé un certain retard, et parmi elle la France, pour laquelle la gentrification émerge dans les années 70, et prend réellement de l’importance dans les années 80. Le système économique, plus largement que la seule théorie du rent gap, semble donc expliquer des écarts dans l’apparition et le développement de la gentrification, à l’échelle internationale. La progression de la gentrification est la plus rapide dans ces pays d’économie libérale, et elle est beaucoup plus lente dans les pays de tradition plus interventionniste, où l’arsenal législatif tend à limiter, à ralentir le processus de gentrification. D’autres raisons, clairement culturelles sont à invoquer : une mobilité des activités et des populations bien plus forte aux Etats-Unis, alors que l’Europe, et particulièrement la France, sont davantage « fixistes » : les gens y déménagent moins, sont attachés à un emploi et protestent quand il y a délocalisation ; les lois limitent les réorganisations complètes d’entreprise, et plus généralement elles limitent une certaine « flexibilité » dans l’activité économique, mais aussi sociale du pays. « En quelques années seulement les caractéristiques de la population d’un quartier aux Etats-Unis ou au Canada peuvent changer drastiquement. […] Les choses sont très différentes dans les villes européennes où l’inertie des propriétaires établis, le rôle des mesures institutionnelles, le renouvellement plus lent des ménages tend à ralentir les changements de population » (Simon, non daté, p.7). Une spécificité législative française est la loi de 1948 qui a bloqué les loyers (et interdit toute expulsion) de logements anciens construits avant 1948. Etant particulièrement nombreux dans des quartiers anciens centraux, il est évident que cette loi a retardé la montée immobilière et le départ de populations pauvres de nombreux quartiers, notamment à Paris. Rappelons d’autre part que Paris était encore au début des années 50 une ville ouvrière et industrielle. En 1954, la un tiers des actifs est ouvrier, un autre tiers est employé ou personnel de service. Les ouvriers et employés/personnels de service restent deux fois plus nombreux que les cadres supérieurs/professions libérales, même dans les quartiers les plus aisés. Malgré la présence des usines et des industries en banlieues, l’efficace système de transports collectifs parisien autorisait les populations modestes à habiter là où les logements étaient les moins chers de l’agglomération (parce que vétustes et insalubres), c’est-à-dire en centre-ville (car les constructions neuves périphériques s’avéraient trop onéreuses). 42 Ces explications concernent le retard français dans l’apparition de la gentrification en tant que processus socio-spatial. Mais ce retard se double d’un autre, en partie seulement lié au premier, qui concerne l’apparition de la gentrification comme concept utilisé par les Français et comme objet d’étude par les chercheurs. Voyons maintenant quelques explications de ce retard. Nous avons vu que l’antériorité française à travers le terme d’embourgeoisement a sans doute causé un décalage, en France, entre le processus de gentrification et la gentrification en tant qu’objet d’étude. Il est probable que la langue française, les chercheurs français, disposant déjà d’un mot pour qualifier les changements sociaux (en général, et en particulier des centres-villes), ont préféré conserver l’emploi de ce mot, sans trouver une réelle utilité à employer le terme de gentrification, alors même qu’ils avaient sous leurs yeux des processus de gentrification. Si la gentrification existait en France, depuis les années 70 (et même 60 pour certains cas), c’est sous le terme d’embourgeoisement qu’on en parlait. La gentrification était une réalité des centres-villes, mais pas utilisée comme telle par les chercheurs. Michel Coquery, en 1967 écrit un article dans lequel il remarque le phénomène à Paris : « Une autre forme de pression, […] plus diffuse […], s’exerce sur tous les arrondissements cernant le centre. Décelable il y a déjà une douzaine d’années, elle n’a pris de véritable ampleur qu’à partir des années 60. Elle résulte de l’attrait offert par ces quartiers pour une partie croissante de la population urbaine ne désirant pas (ou ne souhaitant plus) résider en périphérie plus ou moins lointaine de l’agglomération, alors que son lieu de travail est au centre » (Coquery, 1967). Il est à noter que cette dualité française entre ces deux termes n’est pas suffisante pour expliquer ce retard comme les propos de Catherine Bidou-Zachariasen le montrent : « la gentrification, comme processus socio-spatial, marque aussi les villes françaises, mais le concept ou son équivalent est quasiment absent des discours à leurs propos. Et ce n’est pas qu’un problème de traduction » (Esprit, 2004, p.63) Il faut attendre les années 1990 pour que la France reconnaisse l’embourgeoisement des centres-villes comme processus de gentrification. C’est-à-dire, au moment où la France devient un véritable acteur dans la mondialisation, au moment où elle prend conscience qu’une partie de sa population, habitant les centres-villes, prend activement part à la mondialisation (montée en puissance de multinationales, réformes financières du début des années 90 qui fait de Paris une des premières places boursières mondiales, etc.). Catherine Bidou-Zachariasen avance une autre explication qui tient à « la difficulté qu’ont les sciences sociales, et au-delà, le discours dominant, qu’il soit médiatique ou politique, à penser les classes ou couches moyennes – alors que précisément dans les pays anglo-saxons et 43 surtout en Grande Bretagne, l’usage du terme est fréquent, peu idéologique et relativement stabilisé » (Esprit, 2004, p.64). Nous ne développerons pas cette explication car elle nous paraît secondaire. Remarquons cependant que les premières vraies recherches françaises sur la gentrification tentent aussi de comprendre ce retard français. La dernière raison qui expliquerait ce retard, serait le fait que les années 60-70 correspondent à la période où les barres HLM de banlieue sont construites, phénomène que les Etats-Unis ou d’autres pays d’Europe ont très peu connu. Il est possible d’imaginer que durant cette période, les débats sur l’évolution sociologique urbaine se soient focalisés sur le « problème des banlieues ». Jusque dans les années 80-90, les réflexions sur les « banlieues rouges » ou les « banlieues sensibles » sont bien plus nombreuses que celles portées sur les centres-villes. La représentation centre dégradé – périphérie plus aisée, valable aux EtatsUnis, n’est pas une réalité en France. « En effet, en France, les banlieues sont perçues comme le lieu de résidence des classes moyennes inférieures et laborieuses, l’exact opposé du modèle traditionnel anglo-saxon des structures sociales en zones concentriques, développé par les sociologies de l’Ecole de Chicago. » (Carpenter & Lees, 1995, p.292). On a souvent opposé Paris et sa banlieue : un Paris bourgeois, cerné par des banlieues dangereuses. Les aménageurs de la région Ile-de-France ont le plus souvent fait de la banlieue un réceptacle des populations pauvres que l’on chassait de Paris intra-muros. Et Haussmann en a été un des premiers, sinon le premier (cf. le vocabulaire du XIXe siècle : « classes laborieuses, classes dangereuses »). Les faubourgs populaires, puis les banlieues HLM ont concentré ces populations, et l’intérêt des chercheurs comme celui de l’opinion, alors qu’aux Etats-Unis on s’était déjà tourné vers le centre des villes. L’intérêt pour la Politique de la Ville est peut-être aussi responsable, comme le signale Jacques Donzelot dans une note (Esprit, 2004, p.31), à propos du livre de C. Bidou-Zachariasen (2003) : « Ce recueil est pratiquement le seul ouvrage digne de ce nom publié en France sur la question de la gentrification qui semble ne mobiliser, pour l’heure, que les journalistes. Comparé aux tonnes de livres, recherches et articles consacrés à ce sujet dans les pays anglo-saxons, on peut se demander si notre préoccupation par les quartiers de la politique dite de la ville ne nous aurait pas rendus aveugles à ce qui se passait ailleurs et qui déterminait au moins autant le destin de sa ville ». Si des études ont été menée en France sur les bouleversements sociaux en centre-ville (cf. Coing, 1966), le terme d’embourgeoisement et a fortiori celui de gentrification ne sont pas cités, sans doute en raison du poids en France du communisme (marxisme) et des réflexions sur la lutte des classes. 44 La différence de représentation de l’espace social urbain centre – périphérie avec les EtatsUnis, le permanence de l’utilisation du terme embourgeoisement et la monopolisation du débat sur les banlieues en France a pu retarder l’apparition de la gentrification comme objet de recherche. La France conserve donc quelques spécificités qui expliquent ce double retard, du processus lui-même, et de l’objet d’étude. Centre-ville parisien et centre-ville nord-américain Le centre de Paris n’a pas connu la crise des centres-villes du Nord-est des Etats-Unis. Ceci parce que les classes bourgeoises sont restées à proximité du centre, et ne sont jamais totalement parties en banlieue résidentielle. Le centre de gravité parisien s’est déplacé vers l’ouest, depuis plusieurs siècle. Le Marais était le lieu du pouvoir et de la cour aux XVIeXVIIe siècles. Mais le quartier du Palais Royal, du Louvre, et de Saint-Germain des Prés ont pris le relais dès le règne de Louis XIV. L’établissement de la cour à Versailles va délaisser un peu plus le centre de Paris. Mais celui-ci n’a jamais totalement perdu de ses catégories supérieures, même lorsque au XIXe siècle ces classes bourgeoises s’installent clairement dans l’Ouest. Alors le pouvoir politique se déplace vers l’Ouest, le centre est gagné par l’industrie, et l’artisanat qui le caractérisait déjà auparavant. Au XXe siècle, c’est le centre économique et financier de Paris qui se déplace vers l’Ouest. Les emplois et le dynamisme économique passent du 9e arrondissement (Chaussée d’Antin, Grands Boulevards) au 8e, pour arriver à la Défense, et déborder sur une partie du centre des Hauts-de-Seine. Le centre géographique de Paris s’est trouvé petit à petit éloigné du centre de gravité social, politique et économique de Paris. Le 1er arrondissement, encore assez proche du centre économique a su relativement mieux résister, de même le 6e qui garde une bourgeoisie bien établie, même si elle a eu tendance à se déplacer vers le 7e arrondissement. Le 3e et le 4e, quant à eux, sont les quartiers du centre parisien les plus éloignés de ces nouveaux centres. Si dans les années 50 ils sont plus populaires que les autres quartiers centraux de Paris, leur contexte économique et social n’est pas comparable à la situation de Manhattan à la même époque. Une explication de cette différence de degré de dégradation des centres-villes peut être trouvée du côté de l’arrivée des étrangers primo-arrivants dans la capitale. Aux Etats-Unis, si l’on en croit les travaux de l’Ecole de Chicago des années 30, les populations immigrantes, souvent assez pauvres, s’installent au centre des villes. Au fur et à mesure de leur existence, de leur intégration dans 45 la société et de leur ascension sociale, ces populations vont se déplacer pas à pas de ces centres dégradés, habités par des jeunes hommes immigrants, et souvent formés de ghettos, vers des périphéries bourgeoises, résidentielles et stables. C’est ce que l’on appelle le cycle de vie. Il existe en France également, mais l’arrivée de population étrangère s’est fait moins dans les centres dont la dégradation est relative, que dans des quartiers périphériques de la ville (les quartiers du Nord-est de Paris). Le centre de Paris a moins le rôle d’accueil d’immigrés que ne l’ont les centres nord-américains, même si nous verrons que certains secteurs du Marais sont une exception. 46 b) Evolution du Marais depuis l’époque moderne Une histoire mouvementée, à l’origine d’une double nostalgie Avant de parler de l’originalité actuelle du Marais au centre de Paris, il convient de faire un rappel historique sur ce quartier que nous avons choisi de prendre comme exemple pour illustrer la gentrification. Ce rappel sera assez bref dans la mesure où tous les ouvrages sur le Marais (mémoires, thèses, articles, livres, guides), en grand nombre, reprennent l’historique du quartier. Il est intéressant de noter que la plupart des auteurs prennent un véritable plaisir à retracer son histoire mouvementée, sans doute parce qu’elle est particulièrement originale, mais peut-être aussi parce que cette histoire mouvementée incite à la nostalgie, et même aux nostalgies. C’est une histoire excessive, avec des très hauts et des très bas. Nostalgie d’une splendeur passée, mais aussi depuis quelques années nostalgie d’une vie populaire animée révolue. C’est ce mélange de ces deux nostalgies, apparemment paradoxales, qui a fait naître la gentrification du Marais depuis 40 ans. C’est la nostalgie des hôtels particuliers et de la splendeur architecturale endormie qui a fait renaître de l’intérêt pour le quartier (dont la loi Malraux a sans doute été le révélateur). Mais c’est aussi sans doute l’animation de la vie ouvrière et artisanale du Marais qui a attiré de nouvelles populations. C’est parce que le Marais avait un potentiel de valeur historique énorme, et c’est parce qu’il était plongé dans un profond sommeil depuis plusieurs siècles que le désir de faire renaître ce quartier est survenu. On a vite voulu retrouver cette splendeur tout en conservant la vie populaire qui avait caché ces trésors. Mais n’était-ce pas lier l’inconciliable ? C’est ainsi que les Parisiens ont eu cette double nostalgie, pour une splendeur que l’on a tenté de raviver, et pour une animation que l’on a plus ou moins involontairement supprimée. Revenons sur les grandes étapes historiques du Marais. 47 Le Marais : splendeur et décadence Sans remonter aux origines du Marais, insistons sur la période qui a fait la renommée du Marais. Au XVIe siècle le Marais sort des marécages pour devenir le nouveau front du développement urbain de Paris. On construit des hôtels particuliers, des maisons à vocation de résidence. A la fin du siècle, l’heure de gloire s’annonce : Henry IV, Roi de France, décide la construction de la Place Royale, actuelle place des Vosges, achevée peu après l’assassinat du Roi, au début du XVIIe siècle. C’est toute la cour du Roi qui suit le mouvement en s’installant dans les hôtels particuliers. Les rues portent le nom de régions de France. Le Marais est alors le lieu du pouvoir et de l’aristocratie, il est le cœur du Royaume de France. Les hôtels sont nombreux et grands, entre cour et jardin, et le quartier est très aéré et agréable. « Quartier riche et chic, quartier intellectuel » résume C. Royer (2000). Nous nuancerons cependant en rappelant qu’« au temps même de sa splendeur aristocratique, le Marais, comme tous les quartiers de Parais – même et surtout peut être les plus nobles – présentait, au voisinage ou au rez-de-chaussée des hôtels, boutiques de toutes sortes et ateliers », composant un « paysage à la fois bourgeois, artisanal et industriel » (Benedetti, 1959). Le Marais renfermait déjà en son sein les prémices de son avenir. Si l’heure de gloire culmine au XVIIe siècle, « le déclin du Marais a commencé bien avant la fin du règne de Louis XIV […] Cette évolution s’accentue avec le XVIIIe siècle ». C’est donc un « déclin qui a commencé bien plus tôt qu’on ne le dit généralement » (ibid, 1959). La cour s’est déplacée au Louvre et à Saint-Germain-des-Prés, puis à Versailles, s’éloignant peu à peu d’un centre devenu déjà trop dense, trop encombré et besogneux. A la veille de la Révolution, le Marais est déjà tombé dans l’oubli : fortunes désargentées, vieilles pensées et mœurs, l’ancien monde en somme. Il est devenu un « vieux pays ». Le XIXe siècle marque un coup d’arrêt définitif à cette splendeur, avec l’arrivée de nouveaux artisans, petits industriels et commerçants. Les hôtels particuliers, abandonnés, trouvent de nouveaux occupants qui en font des ateliers de fabrications en tout genre, investissant rez-de-chaussée et cours. Le manque d’entretien des bâtiments anciens, la construction anarchique, la surpopulation, l’encombrement progressif des rues par tout ce petit peuple en pleine activité font du Marais un quartier populaire par excellence. 48 Photo 1. 81 rue des Archives. Hôtel particulier encore occupé par un atelier Un quartier populaire dont la richesse de ses productions fait désormais sa réputation. « La caractéristique de ces artisans est leur faible nombre, leur haute qualification, une clientèle exigeante capable de bien payer un service ou un produit devenus rares » (H. Delanoé, in Babelon, 1987) « Les jouets d’enfants, les produits chimiques et pharmaceutiques, les passementeries et étoffes de laine et de coton entreposés, les bijouteries en gros et en toc, les pièces détachées, les zincs et les bronzes d’art, les installations dentaires et de menuiseries remplissaient, du haut en bas, ces anciennes demeures seigneuriales […] » (Daudet, 1930). Mais le Marais, en se spécialisant dans cet artisanat, « n’a […] fixé aucune des activités modernes spécifiques du centre ». « Il ne saurait être intégré, par contre, dans le domaine des affaires, car il ne comporte aucun siège social de grande entreprise » ni de banques, et « les 49 commerces et services culturels ne sont pas à la mesure du patrimoine ». « Ses fonctions l’assimilent plutôt à la première auréole des quartiers manufacturiers du centre Est de Paris » (Coquery, 1967). Et le Marais a été épargné par les travaux d’Haussmann, ce qui a permit au quartier de conserver ses caractéristiques populaires. Voici donc comment le quartier du Marais est passé d’un quartier aristocratique prestigieux à un quartier populaire délabré. Le Marais atteint un degré de délabrement sans doute maximum au milieu du XXe siècle. Car il s’est encore appauvri jusque au début des années 60. Trois principales raisons peuvent expliquer la poursuite du déclin : l’arrivée d’immigrants pauvres, en provenance d’Europe de l’Est et souvent de confession juive, (fin XIXe - seconde guerre mondiale) puis d’Afrique du Nord (juifs et musulmans, 1945-1975) ; le classement de certains secteurs comme « îlots insalubres » avant la seconde guerre mondiale ; le manque d’intérêt de l’opinion, des médias, et l’inaboutissement des projets des pouvoirs publics. Mais dès les années 60, un tournant majeur et irréversible va bouleverser le quartier. La gentrification est en marche. On peut distinguer deux grandes périodes. La première, de 1962 à 1980, correspond à l’impulsion de l’Etat et des collectivités locales pour remettre en valeur le Marais et sensibiliser l’opinion. La seconde, de 1980 jusqu'à nos jours, pendant laquelle la gentrification est entraînée par les transformations sociologiques et économiques spontanées et privées. Les grandes dates qui résument ces évolutions sont les suivantes : 1962 1962 1963 1964-5 1965 1968 1969 1969 1977 1977 1979 1979 1979 1982 1986 1987 50 Loi Malraux votée. Création du Festival du Marais Création de l’association Sauvegarde et mise en valeur du Paris historique Instauration du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Marais Création de la SOREMA, qui devra s’occuper du secteur opérationnel Les Halles déplacées à Rungis Z.A.C. des Halles : un secteur ouest (l’actuel Forum des Halles et quelques îlots d’habitation adjacents) et un secteur est (le plateau Beaubourg – l’actuel Centre Pompidou – l’actuel quartier de l’Horloge et l’ « îlot Quincampoix ») Création de la SEMAH, Société anonyme d’Economie Mixte d’Aménagement chargée de la rénovation et de la restauration de la Z.A.C. des Halles Inauguration du Centre G. Pompidou Inauguration de la gare RER Châtelet - Les Halles Inauguration du quartier de l’Horloge et du Forum des Halles Ouverture du premier bar gay du Marais La SEMAH prend le relais de la SOREMA pour l’aménagement du Marais Dépénalisation de l’homosexualité Début de montée des prix immobiliers Achèvement des opération de la SOREMA 1962-1980 : l’intervention publique et la renaissance du Marais Dans sa thèse de 1979, Odile Royer affirme : « le Marais contemporain, c'est encore celui de la fin du XIXe siècle : peu de transformations importantes ont marqué notre époque. Ce quartier apparaît aujourd'hui arrêté dans son évolution ». Et pourtant, des changements sont perceptibles dès les années 60. Si la gentrification du Marais prend toute son ampleur dans les années 80, elle a débuté bien avant. On peut dire que la renaissance du Marais commence véritablement en 1962. La loi Malraux est votée. Elle consiste à définir des secteurs dans lesquels le patrimoine historique est tel qu’il doit faire l’objet de restaurations et de remise en valeur. Elle « marque le début d'une évolution profonde qui va permettre un changement d'angle d'approche du problème de protection et de sauvegarde des monuments historiques : de la protection du monument-objet à la défense du site urbain » (Royer, 1979). C’est une nouvelle vision du patrimoine, de la valeur des choses anciennes. C’est ainsi que le Marais s’est trouvé valorisé par cette loi. Sa richesse architecturale de ses hôtels particuliers entre autres fait désormais l’objet de toutes les attentions. Le vrai progrès de cette loi réside aussi dans la volonté de conserver les tissus sociaux et économiques de ces quartiers historiques, et en cela il s’agit d’une nouvelle vision de l’urbanisme. Il sera désormais moins concevable de détruire systématiquement, et l’on préfèrera la réhabilitation, la rénovation devant être un moyen d’ultime recours et dans des cas extrêmes. « Le principal élément nouveau, apporté par ce texte, est qu'au-delà d'une protection pure et simple - déjà esquissée au titre de la loi de 1913 sur la protection des Monuments Historiques (étendue à leurs abords) et celle de 1930 sur la protection des sites - il permet d'intégrer l'aménagement des ensembles historiques dans un " urbanisme opérationnel ", abordant non seulement les problèmes techniques et architecturaux, mais aussi les problèmes sociaux et économiques » (ibid, 1979) L’association de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Paris Historique est constituée en 1963 et jouera un grand rôle d’intermédiaire entre la population et l’activité publique. Il faut attendre le milieu des années 60 pour que soit défini le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) du Marais, le deuxième secteur sauvegardé le plus étendu de France. Ce secteur sauvegardé échappe aux codifications urbanistiques usuelles du plan d’occupation des sols : un règlement spécifique lui est réservé. « Le plan de sauvegarde du Marais, dans ses grandes orientations, vise tout à la fois, à conserver l'aspect architectural traditionnel du Marais, par la protection et la mise en valeur des constructions les plus importantes et le maintien d'une certaine homogénéité de leur environnement, et à créer des conditions de vie pour les habitants plus satisfaisantes, par la disparition d'immeubles 51 vétustes et insalubres, sans aucun intérêt et la création d'espaces verts. » (ibid, 1979) « La rénovation du quartier doit donc comprendre non seulement une restauration, voire un sauvetage des Monuments Historiques, mais aussi et surtout une réanimation du quartier » (ibid, 1979) Cette réanimation a été lancée par la création du Festival du Marais, en 1962. Il s’agissait de faire prendre conscience aux Parisiens, et aux habitants du Marais en particulier, que le quartier conservait des richesses architecturales. Le succès est immense, et « il ne fait aucun doute […] que le Festival a joué un rôle essentiel dans la renaissance du Marais » (ibid, 1979) C’est également dans le milieu des années 60 que la SOREMA, Société d’Economie Mixte, devra s’occuper de la restauration d’un secteur opérationnel grand de 3,5 ha, dans les environs de la place de Thorigny, mêlant rénovations et réhabilitations. La Régie Immobilière de la Ville de Paris réhabilite quant à elle, entre 1975 et 1980, une partie de l’îlot insalubre n°16, l’îlot des Jardins Saint-Paul où des artistes et galeristes tiennent commerce dans une cour entourée par des logements sociaux. Photo 2. Rue Beautreillis. Restes de l’hôtel de Jean Louis Raoul. Une rénovation peu respectueuse du patrimoine. Malheureusement, bien des espoirs et des engouements initiaux se sont taris. Le PSMV fait l’objet de révisions et tarde à être approuvé par le Conseil d’Etat (il ne le sera qu’en 1996). 52 Les grands discours sur le maintien des habitants se trouvent assez rapidement contredits, car il s’avère évident que « l'importance des opérations de curetage, le regroupement de certaines activités "lourdes" à la périphérie du quartier, les limites de capacité du réseau de voirie […] ne peuvent s'accompagner que d'un départ d'une partie des habitants, et des entreprises du quartier » (ibid, 1979). Photo 3. Rue des Oiseaux. Restes d’un immeuble détruit La population du Marais change donc petit à petit, avec la hausse des loyers des appartements réhabilités ou construits, malgré les objectifs du plan. La SOREMA n’a pas suscité d’autres opérations de même type et perd progressivement toute utilité. Pire peut-être, « devant les difficultés financières, la lourdeur des procédures, le manque de rapidité des opérations, les mutations socio-économiques, peu à peu les habitants perdent leur 53 enthousiasme et une opposition se dessine parmi ceux qui auraient dû être les meilleurs alliés des associations de sauvegarde ». La fin des années 70 est marquée par un essoufflement de l’intervention de l’Etat dans le Marais. Ceci ne signifie pas pour autant que la gentrification s’arrête, puisque nous l’avons vu, les changements sociologiques sont en marche. C’est sans doute le prix à payer pour la remise en valeur historique du quartier, même si les acteurs publics n’ont cessé de prôner le maintien de la population traditionnelle. Dans ces années 70, si l’impulsion de l’Etat se fait très graduellement de moins en moins présente dans le Marais, jusqu’à disparaître dans les années 80 (malgré la poursuite du PSMV), c’est du côté des Halles que l’Etat intervient. On sait que le quartier du Marais est très proche de celui des Halles, parce qu’ils comptent tous les deux de nombreux ouvriers, artisans et commerçants. A la fin des années 70, le Marais va profiter de l’intervention de l’Etat dans le quartier des Halles. La ZAC des Halles est créée en 1969, constituée d’un secteur ouest (l’actuel forum et quelques îlots adjacents) et un secteur est (plateau Beaubourg – l’actuel Centre Pompidou – l’actuel quartier de l’Horloge et l’ « îlot Quincampoix »). La SEMAH, société d’économie mixte est chargée de ces deux secteurs. Les travaux se déroulent au milieu des années 70. En 1977, la gare RER de Châtelet – les Halles est inaugurée. La symbolique de cette gare est fondamentale puisqu’elle redonne une centralité à Paris en matière de transports. Les Halles deviennent le centre du Réseau Express Régional d’Ile-deFrance. Et cette revalorisation des Halles par son accessibilité, concerne tout le centre rive droite de Paris, et notamment le Marais qui jouxte les Halles. La même année, le centre culturel Georges Pompidou est inauguré, à l’emplacement de l’îlot insalubre Saint-Merri. Communément appelé « Beaubourg », il replace la culture au centre de Paris, dans un centre autrefois populaire. La construction de ce temple dédié à la culture et aux arts aura un impact sur l’attrait culturel de tout le centre rive droite, et sur son attrait touristique. En 1979, le quartier HLM de l’Horloge est achevé, ainsi que le Forum des Halles. En deux ans, le centre rive droite s’est trouvé pourvu d’un accès au reste de Paris et de sa région, d’un centre culturel et artistique, d’un centre commercial, d’un espace vert de plusieurs hectares et de logements sociaux confortables. Le Marais, à l’ombre de Beaubourg et des Halles, saura bénéficier de ce bouleversement radical. Les décennies suivantes montrent comment le Marais s’est trouvé emporté dans une gentrification inéluctable, conséquence directe à la fois des restaurations et du regain d’intérêt porté au quartier, et des bouleversements des Halles. 54 Photo 4. Rue Pastourelle - Rue des Archives. Hôtel restauré et nouvelles constructions : contrastes architecturaux. Photo 5. Rue de l’Ave Maria. Juste au sud de l’îlot Saint-Paul, et juste en face de l’Hôtel de Sens. 55 L’intervention publique et la renaissance du Marais 1980 - 2004 : la gentrification accélérée et autonome Cette nouvelle phase va faire du Marais un quartier de classes moyennes et aisées, en remplaçant les ménages d’ouvriers et d’artisans. En 1982, 18 % des actifs du Marais (quartiers 9 à 15) étaient ouvriers (35 % en 1954), 29 % employés ou personnels de service (33 % en 1954), 10 % patrons de l’industrie ou du commerce (17 % en 1954). En 1999, les 56 valeurs sont respectivement de 8 %, 20 %, et 7 %. Ces transformations sociodémographiques s’étaient déjà amorcée dans les années 60 et 70, mais elles ne prennent toute leur ampleur que dans les années 80, après la mise en place et les premières restaurations sous l’égide de l’Etat et de la Ville de Paris, et après les opérations des Halles. Localisée dans les secteurs en restauration et dans les îlots contenant des hôtels particuliers ou des appartements réhabilités, la gentrification tend à se généraliser à tout le Marais. La logique d’intervention publique a laissé place à la logique de réhabilitation privée. On peut constater que la chronologie quelques pages plus haut s’arrête au milieu des années 80 : c’est que les transformations qui touchent le Marais depuis ces années ne sont pas repérables à des moments précis, elles sont beaucoup plus progressives et étalées dans le temps. La réforme du crédit immobilier en facilitant l’accès à l’emprunt pour les personnes privées, les subventions de l’Etat pour la mise aux normes d’appartements inconfortables et délabrés, la facilitation de l’accès à la propriété sont autant de raisons qui ont entraîné l’amélioration du parc de logements et l’installation de nouvelles populations dans le Marais. A l’échelle économique parisienne, les secteurs financiers et bancaires se développent. Les promoteurs, les sociétés immobilières profitent de la montée des prix du quartier. La spéculation ne se cantonne plus à quelques individus ou sociétés isolées relativement discrètes, elle intéresse désormais un grand nombre de promoteurs. L’économie se libéralise, encourageant l’éviction des populations les plus pauvres et l’installation de nouvelles plus aisées. Dans les années 70, et plus encore dans les années 80, de nombreux appartements ancien (d’abord les plus luxueux, puis ceux de qualité intermédiaires) se voient retirée la protection de la loi de 1948 si le confort est aux normes1. Ces sorties de loi de 1948 ont libéré un stock non négligeable de logements (notamment dans les quartiers centraux, parce que plus anciens), permettant aux propriétaires de revendre leur bien ou de les louer plus cher à de nouvelles populations. Les mutations liées à l’emploi, au développement des secteurs de la communication, de la publicité, du monde la finance, des services, mais aussi au développement des secteurs culturels et artistiques amènent une population active jeune et diplômée au pouvoir d’achat assez élevé, qui a de l’intérêt pour le patrimoine, et qui est très consommatrice de loisirs. Cette population, en pleine ascension sociale s’installe dans un quartier où les prix restent relativement abordables, en raison de l’inconfort du parc. Les années 80 et 90 sont aussi celles de la libération des homosexuels. La dépénalisation leur permet d’ouvrir au grand jour des bars. Le Marais, par son attrait culturel et artistique 1 Cf. articles récapitulatifs sur l’évolution de la loi de 1948 sur le site internet http://www.universimmo.com/ (articles du 18/12/2002, et du 26/12/2002) 57 retrouvé, devient le point d’ancrage de la vie gay parisienne. Les bars sont de plus en plus nombreux à ouvrir, et tout un secteur du Marais se trouve réanimé, commercialement, par la présence de la communauté. Le nuit parisienne trouve une nouvelle enseigne, une alternative plus branchée que le Quartier Latin. On dîne dans des restaurants chics et branchés, on essaye un nouveau bar qui vient d’ouvrir. Le Marais devient aussi un lieu de tourisme. Sa réputation s’exporte dans le monde. Il devient un argument de vente pour les appartements, de location pour une chambre d’hôtel. Des Américains et des Italiens fortunés se mettent à y acheter des appartements secondaires. Les Parisiens eux-mêmes retrouvent le goût de la promenade et du shopping pour la décoration et les cadeaux dans le quartier. Même le quartier juif, autrefois isolé et considéré comme trop dégradé se trouve envahi de touristes et de nouvelles boutiques de mode. La rue des Francs-Bourgeois, un beau samedi après-midi de printemps est impraticable pour les automobilistes : les piétons sont si nombreux qu’ils débordent des trottoirs ridiculement étroits. Si étroits qu’on les élargit, rue du Roi de Sicile par exemple. Photo 6. Indications touristiques vers le Marais au pied du centre Pompidou L’essor du tourisme dans le Marais (comme dans tous les quartiers ancien de qualité architecturale) date cependant d’avant l’arrivée des gays. Des institutions, des fondations et autres associations culturelles ont investi des locaux prestigieux, les rendant accessibles au 58 grand public. Le centre du Marais est dès les années 70 (et surtout dans les années 80) devenu un des pôles touristiques majeurs de la capitale en raison d’une concentration importante de musées (Picasso, Carnavalet, etc.), renforcée par les aménagements récents (musées de la serrurerie, de la chasse, d’art et d’histoire du Judaïsme, etc.). Les ateliers d’artisans et les petits commerces de proximité disparaissent rapidement au profit d’antiquaires, de galeries d’art, de boutiques d’équipement pour la maison, de vêtements tendance, de bars et restaurants. Même les commerces de bouche et plus généralement de proximité ne résistent pas à la vague de renouveau (cf. Faure, 1997). Les hôtels particuliers sont de plus en plus nombreux à être restaurés. On y chasse les ateliers pour d’autres activités moins nuisibles au cadre. On y aménage souvent des musées pour mettre en valeur les édifices et redonner un attrait culturel au quartier. Photo 7. 67 rue des Gravilliers. « Fabrique de cannes et manches de parapluie ». Artisans spécialisés en voie de disparition aujourd’hui. C’est ainsi que le Marais, en moins de 40 ans, est passé d’un quartier populaire à un quartier chic et branché, retrouvant un peu de son éclat de jadis. 59 Quelques spécificités du Marais sur d’autres quartiers centraux de Paris Le Marais n’est pas n’importe quel centre de Paris. C’était avant la gentrification le quartier central le plus populaire, avec les alentours du métro Bonne-Nouvelle et de quelques îlots du 5e arrondissement (îlot insalubre Saint-Victor). C’était d’ailleurs aussi le plus grand de ces quartiers populaires. Ses logements particulièrement dégradés, son parc ancien épargné par l’Haussmannisation (du moins en son cœur), la densité de sa trame viaire, et l’étroitesse de ses rues étaient incomparables à Paris. Ces caractéristiques lui apportaient l’atout d’être le quartier le moins cher du centre de Paris, permettant à des populations pauvres de s’y loger. Il était d’ailleurs le quartier central qui avait la plus forte présence étrangère, et la plus forte présence d’hôtels meublés. Une autre spécificité du Marais est sa situation dans la ville. Le quartier n’est pas à proximité immédiate d’un autre quartier bourgeois, il y a bien le quartier au Sud-est du boulevard Henry IV mais il est très différent (dans son parc de logements) du Marais. Enfin, la population du Marais se distingue nettement du reste du centre de Paris par l’importance de ses petits artisans (notamment des artisans spécialisés), qui habitent et travaillent dans le quartier. En ce sens, si le Marais est un quartier populaire avec une présence ouvrière, il est resté traditionnellement un quartier politiquement à droite, et que certains auteurs rapprochent du mouvement poujadiste. Cette présence du petit commerce, de l’atelier d’artisan, a sans doute été à l’origine de la forte mobilisation des habitants lors des premiers projets de rénovations du Marais. Si le quartier Saint-Victor dans le 5e arrondissement et d’autres secteurs plus localisés du centre de Paris ont connu des rénovations dans les années 60, leur mobilisation contre ces nouvelles politiques est sans pareil avec l’ampleur du bouillonnement protestataire du Marais. Si ce n’est pas un quartier qui a été concerné par la Commune de Paris, il est celui qui s’est élevé contre les destructions sauvages, et les expulsions engendrées par les nouvelles politiques urbaines. De par l’originalité de son histoire et de ses composantes sociales et politiques, le Marais est devenu l’archétype de la gentrification en France. Entrer plus en détail dans les chiffres nous permettra de comprendre en quoi l’évolution du Marais est exceptionnelle. Le chapitre suivant s’applique donc à cette tache, en étudiant les deux composantes principales de la gentrification que nous avons mis en évidence dans ce chapitre-ci : la population et les logements. 60 61 62 CHAPITRE 2 ÉVOLUTION D’ENSEMBLE DE LA POPULATION ET DES LOGEMENTS DU MARAIS 63 64 Après avoir étudié le concept de gentrification et ce qu’il impliquait, après avoir montré le contexte particulier du centre parisien, attachons nous maintenant à décrire le processus de gentrification du Marais lui-même. Nous commencerons par analyser les grandes lignes de l’évolution sociodémographique du Marais en la comparant à Paris afin de caractériser sa gentrification. Nous montrerons pourquoi la gentrification est un processus sélectif, concernant certaines catégories de la population, et certains logements. Enfin, nous terminerons par l’hétérogénéité spatiale du Marais en établissant une typologie. Le fil directeur de cette partie est d’expliquer que, quelle que soit l’échelle d’étude de la gentrification, ce processus est sélectif. Nous entendons par sélectif un phénomène qui n’est pas systématique. Il serait faux de penser que la gentrification apparaît dans tous les centres villes anciens, dans tous les quartiers d’un centre ville ancien, ni même dans l’ensemble d’un quartier d’un centre-ville ancien. La gentrification est directement engendrée et guidée par la présence d’acteurs (les gentrifieurs) et par la présence de logements potentiellement gentrifiables (qui satisfont les souhaits de ces gentrifieurs). Il convient de se positionner au niveau de la demande et de l’offre, en combinant l’approche productiviste à la manière de N. Smith et l’approche consumériste de D. Ley. En cela, la gentrification consiste en la rencontre de certaines populations et de certains logements. Ces deux éléments, l’un mobile et l’autre immobile, se rencontrent dans certains espaces qui sont donc propices à la gentrification. Il n’y a pas de fatalité dans celle-ci. Quand on dit que Paris se gentrifie, c’est un abus de langage. A l’échelle de Paris intra-muros l’embourgeoisement est évident, mais qu’en est-il à des échelles plus fines ? Tous les quartiers de Paris s’embourgeoisent-ils ? En ce qui concerne les quartiers centraux, se gentrifient-ils tous ? Et au sein de certains quartiers centraux, n’y at-il pas des nuances à apporter ? La gentrification s’interprète différemment selon son échelle d’étude, et les processus ne sont pas les mêmes suivant l’échelle. Pourquoi le centre de Paris s’embourgeoise-t-il plus que le reste de Paris ? Pourquoi le Marais se gentrifie-t-il davantage et plus rapidement que d’autres quartiers centraux de Paris ? Pourquoi au sein du Marais estce le sud-est et le centre qui se gentrifient les plus, touchant moins le nord-est ? Qui sont les gentrifieurs, et quels types de logements recherchent-ils ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans cette partie. 65 Nous utiliserons pour cela principalement les données usuelles des recensements de population (RGP) entre 1954 et 1999, mais aussi les fichiers-détails des recensements de 1975 (au 1/5), de 1982 (au 1/4), de 1990 (au 1/4) et de 1999 (au 1/20) qui nous laissent plus de liberté dans les croisements de données, utiles pour connaître les profils des gentrifieurs et des logements potentiellement gentrifiables. Nous avons choisi de prendre comme espace d’étude un large Marais, correspondant à tout le IIIe arrondissement, et au IVe arrondissement excepté le quartier n°16 de Notre-Dame (partie orientale de l’Ile de la Cité et Ile Saint Louis). Cet espace est celui des quartiers 9 (Arts et Métiers) à 15 (Arsenal). Nous avons conservé le quartier Arsenal dans lequel se trouve la place des Vosges et de nombreux hôtels particuliers, même si les iris situés au sud-est du boulevard Henry IV ne font plus véritablement partie du Marais (ils se démarquent de ce dernier par une population nettement plus aisée et des logements différents – plus grands et plus confortables). Etant données les nombreuses recherches déjà effectuées sur l’évolution du Marais depuis 50 ans, nous avons préféré décrire rapidement les caractéristiques fondamentales du quartier, mais surtout en les mettant en relation avec la gentrification, ce qui n’a jusqu’alors pas été fait. Les données statistiques ont trop souvent été rapidement et partiellement étudiées. C’est pour cette raison que nous tenons à correctement illustrer ces évolutions pour faire clairement apparaître le processus de gentrification. Nous aborderons donc successivement l’étude de l’évolution socio-démographique et celle des logements. 66 A. La population du Marais et son évolution globale a) Evolution démographique générale et gentrification Le centre de Paris voit sa population stagner puis diminuer dès la fin du XIXe siècle. Comme le montre le graphique 4, au tournant du XXe siècle le Marais comptait aux alentours de 175 000 habitants. Un siècle plus tard la valeur chute à 60 000. Ceci correspond à une baisse de près de deux tiers. La dépopulation des centres villes européens a été largement étudiée. Elle a été expliquée par une dédensification des quartiers anciens : desserrement des populations qui déménageaient dans des quartiers périphériques de la ville, mais aussi desserrement des activités, et donc des emplois. On a souvent qualifié ce processus de « crise des centres », crise démographique et économique. Graph. 4. Evolution de la population du Marais (quartiers 9 à 15) entre 1886 et 1999. 200 000 175 000 150 000 125 000 100 000 75 000 50 000 25 000 0 1880 1900 1920 1940 1960 1980 2000 Sources : Benedetti (1959), APUR (1994), données INSEE Et pourtant, la gentrification débutant dans les années 60, et s’accélérant dans les décennies suivantes, n’a pas arrêté ce desserrement, même si on ne parle plus de « crise ». Si la 67 gentrification est un processus d’attraction par le centre de certaines populations, il fait aussi l’objet de rejet d’autres populations. Il faut donc croire que, si la population continue de décroître, la gentrification est d’abord un phénomène de départ de populations pauvres avant d’être un phénomène d’attraction pour des populations plus aisées. La poursuite de la baisse démographique dans les années 60-70 est concomitante d’un renouvellement important de la population. Le départ des ouvriers est plus massif que l’arrivée de catégories intermédiaires et aisées. On constate cependant deux types d’évolutions depuis le début de la gentrification du Marais. Nous pouvons faire des hypothèses pour les expliquer. La première, celle des années 60-70, est une baisse très marquée du nombre d’habitants. Entre 1962 et 1982 la population du Marais diminue de 44,5 %, soit un taux moyen de variation annuel de -2,9 %. La seconde, des années 80-90, est une baisse très modérée. Entre 1982 et 1999 la population du Marais diminue de 5,8 %, soit un taux moyen de variation annuel de -0,4 % (cf. tabl. 2). Tabl. 2. Evolution relative de la population totale de différentes aires Marais (quart. 9 à 15) 1er et 2e arrts Paris sans les 4 premiers arrts 1962-1982 -44,5 % -35,8 % -20,5 % 1982-1999 -5,8 % -26,6 % -1,6 % Sources : RGP 1962 à 1999, INSEE Il semblerait que dans un premier temps, la gentrification entraîne une baisse de population assez importante. On suppose qu’il s’agit d’un départ en masse des ouvriers, d’employés et d’artisans-commerçants plus que d’une arrivée de populations aisées. Des opérations de rénovations ayant consisté à démolir des immeubles entiers ont vidé certains secteurs, et les reconstructions sont prévues pour accueillir une population moins dense. Dans un second temps, la population baisse beaucoup plus lentement pour finir par stagner. Le déclin démographique n’est que limité par rapport à autres arrondissements centraux. C’est sans doute que les ouvriers et les artisans, devenus minoritaires, n’alimentent plus un départ massif. Au contraire, les catégories aisées arrivent de plus en plus et le solde migratoire deviendrait positif. Vérifions et nuançons cette hypothèse en détaillant les données. Cherchons d’abord à ventiler cette évolution démographique suivant le solde migratoire et le solde naturel. Ces 68 données ne sont disponibles que par arrondissement. Nous sommes contraints d’inclure le quartier Notre-Dame. Graph. 5. Origines de l’évolution de la population des 3e et 4e arrondissements entre 1962 et 1999 décomposition du taux d'évolution globale (évolutions moyennes annuelles relatives en %) 1 0 -1 -2 -3 -4 -5 62-68 68-75 75-82 accroissement naturel 82-90 90-99 accroissement migratoire taux d'évolution global Sources : RGP 1962 à 1999, INSEE Tabl. 3. Décomposition de la variation totale de la population des 3e et 4e arrondissements entre 1962 et 1999 1962-1968 1968-1975 1975-1982 1982-1990 1990-1999 nb. moyen nb. moyen solde naturel solde migratoire variation totale annuel de annuel de moyen annuel moyen annuel moyenne naissances décès S.N.= N - D S.M. annuelle (N) (D) = S.N + S.M. 1 967 1 365 +602 -2 947 -2 345 1 500 1 233 +267 -4 283 -4 016 969 956 +13 -1 740 -1 727 937 778 +159 -504 -345 -523 -267 832 577 +255 Sources : RGP 1962 à 1999, INSEE Le graphique 5 et le tableau 6 montrent que le solde migratoire (arrivées et départs) est responsable de la baisse démographique puisque le solde naturel (naissances et décès) reste positif. Concernant nos hypothèses, elles se confirment en partie. La première période (années 60-70) est effectivement caractérisée par une très forte émigration. A l’inverse, la deuxième période (années 80-90) voit le solde migratoire se rapprocher de zéro, mais il reste négatif. Le solde naturel, quant à lui, décolle lentement de son plancher de la fin des années 69 70. On peut même dire qu’une partie du ralentissement de l’hémorragie démographique des années 80-90 est aussi due à cet accroissement naturel. Ceci s’explique sans doute (nous aurons l’occasion de le vérifier) par le rajeunissement de la population : moins de décès, plus de naissances. Pour plus de précision, il nous faut regarder les flux d’entrants et de sortants, en vue de vérifier nos hypothèses migratoires. L’INSEE communique difficilement le détail du solde migratoire. Il apparaît parfois dans ses tableaux la case « migrants » qui correspond aux populations qui habitent un logement dans une aire donnée (ou dans une commune) et qui n’habitaient pas ce logement (ou cette commune) au recensement précédent. Or cette information fait rarement l’objet de rétrospectives. D’autre part, il faut rappeler que notre étude s’effectue sur deux arrondissements. Afin d’être plus rigoureux, nous souhaitons exclure des sortants les habitants qui déménagent au sein d’un même arrondissement ou d’un arrondissement à l’autre (du 3e au 4e ou du 4e au 3e). Les données usuelles communiquées par l’INSEE concernant les migrants ne nous permettent pas de savoir si des populations sont passées d’un arrondissement à l’autre, ou si elles ont déménagé au sein de l’arrondissement. Pour contourner ce problème, nous pouvons faire appel aux fichiers détails qui sont plus précis en nous indiquant pour chaque personne de référence le lieu de résidence antérieur, au recensement précédent. Le seul inconvénient, et il est de taille, est qu’il n’est pas possible d’évaluer le nombre de sortants (sauf à étudier le fichier-détail sur la France entière, et négliger les départs vers l’étranger). Il est toujours plus facile de connaître les nouveaux habitants d’un espace donné que de connaître ceux qui l’ont quitté. D’autre part, le fichierdétail nous nous disposons comptabilise les personnes de référence (PR) et non les individus. Il faut donc nous contenter ici de l’étude des flux d’entrants des personnes de référence, faute de mieux (les sortants ne figurent qu’à titre indicatif, car ils sont aussi bien des personnes de référence qui ont quitté le Marais, que d’autres qui sont décédées) Tabl. 4. Immigration et émigration des 3e et 4e arrondissements entre 1968 et 1999 RGP 1975 1982 1990 1999 nb. moyen annuel de évolution moyenne évolution moyenne proportion des PR ne nb. moyen annuel de PR ‘sortants’ (partis ou annuelle du nb. de PR annuelle de la résidant pas dans le 3e PR entrants par rapport décédés) par rap. au ou 4e arrt. au RGP par rapport au RGP population totale par au RGP précédent RGP précédent précédent précédent rap. au RGP précédent 3 129 32,0 1 934 -1 195 -4 016 2 574 36,0 1 946 -628 -1 727 1 834 37,7 1 757 -77 -345 1 866 45,2 1 878 +12 -267 Sources : fichiers-détails 1975 a 1999, INSEE 70 Ce tableau n’est pas sans paradoxes, même s’il nous éclaire sur certains points. Tout d’abord, on constate que le nombre de ménages entrants n’a pas tendance à augmenter entre les années 70 et les années 90. Ceci malgré une proportion toujours plus importante, à chaque recensement, de nouveaux habitants. Il y a moins de personnes de référence restant dans le Marais, ou ‘sortant’ du Marais. C’est quasiment la moitié des personnes de référence des 3e et 4e en 1999 qui sont nouvelles par rapport à 1990. Ce renouvellement considérable n’a fait que s’accroître au cours du temps, avec l’avancement progressif de la gentrification. Et ce renouvellement refoule bien plus d’anciens habitants qu’il n’en attire de nouveaux, ce qui confirme nos affirmations précédentes (mais ceci tend à être de moins en moins vrai). Les deux types d’évolutions que nous avons soumis ne se confirment pas. Le Marais ne semble pas attirer davantage de population dans les années 80-90 que dans les années 60-70. C’est même le contraire si l’on en croit le nombre moyen annuel de personnes de référence entrants entre chaque recensement. Il faudrait donc trouver d’autres raisons pour expliquer la meilleure santé démographique depuis 20 ans. Deux peuvent être avancées : - la remontée du solde naturel (la baisse du nombre des décès a été plus rapide que la baisse du nombre de naissances) ; - et surtout les populations quittant le Marais devenant minoritaires n’alimentent plus un flux de sortants qui a atteint un plancher. Les entrants tendent eux aussi à se stabiliser. Les deux types d’évolutions que nous avons tenté de montrer ne sont pas contredites pour autant. Les débuts de la gentrification des années 60-70 ont entraîné un départ massif de certaines populations (nous verrons lesquelles ultérieurement) mais n’ont pas enrayé les mauvais chiffres du solde naturel (le vieillissement de la population se poursuit et les taux de mortalité continuent d’augmenter jusqu’aux années 80). D’autre part, les ménages sortants n’ont sans doute pas la taille des ménages entrants. Les premiers étant peut-être des ménages plus grands que les seconds. Ce qui explique cette baisse de population malgré un renouvellement important. En revanche, pendant la phase où la gentrification se déploie, durant les années 80-90, de moins en moins d’habitants quittent le quartier (la réserve de populations pauvres s’épuise), les entrants sont de plus en plus satisfaits, et le solde naturel reprend de la vigueur. Les courbes des taux de natalité et des taux de mortalité tendent à s’inverser, libérant un excédent naturel de plus en plus grand. Il est donc faux de croire que l’amélioration démographique des années 80-90 est due à une arrivée plus importante de population. 71 b) Structure par âge et structure des ménages La population du Marais a également vu sa structure par âge se modifier. Tabl. 5. Part de chaque groupe d’âges dans la population totale des quartiers 9 à 15 (M) et de Paris (P), à chaque recensement entre 1954 et 1999. Part de la population active dans la population totale. 0-4 5-14 15-24 25-34 35-64 65-74 75+ total popact 1954 M P 5,9 5,6 10,3 10,6 12,1 11,9 17,4 17,0 43,8 44,0 7,4 7,6 3,0 3,3 100 100 57,9 54,8 1962 M P 4,9 4,6 10,9 10,7 13,2 13,6 16,1 15,6 41,8 42,0 8,8 8,8 4,3 4,7 100 100 56,0 53,2 1968 1975 1982 M P M P M P 4,7 4,5 4,0 4,4 3,4 4,4 9,4 9,1 8,8 8,8 8,1 9,0 15,9 16,4 14,1 14,5 13,8 14,1 15,6 15,1 17,7 18,1 20,2 19,4 39,2 39,0 37,3 36,1 36,5 36,1 9,9 10,1 11,2 10,8 9,3 8,6 5,3 5,8 7,0 7,2 8,7 8,5 100 100 100 100 100 100 55,3 52,6 53,9 52,4 53,1 51,1 Sources : RGP 1954 à 1999, INSEE 1990 M P 4,0 4,7 7,8 9,0 13,8 13,6 21,3 19,6 38,1 37,2 7,1 7,5 7,9 8,5 100 100 55,3 52,6 1999 M P 3,7 4,2 7,4 8,2 12,3 11,3 24,4 18,6 38,4 43,6 7,0 6,8 6,8 7,3 100 100 58,1 53,1 Tabl. 6. Evolutions relatives intercensitaires des effectifs de chaque groupe d’âges entre 1954 et 1999 des quartiers 9 à 15 0-4 5-14 15-24 25-34 35-64 65-74 75+ total 54-62 62-68 68-75 75-82 82-90 -20,0 -14,5 -37,2 -27,5 +14,9 +1,3 -23,2 -30,2 -23,0 -6,1 +4,5 +6,4 -33,3 -18,5 -2,1 -11,6 -14,0 -15,2 -4,5 +3,0 -8,4 -16,9 -28,7 -18,1 +1,9 +14,4 -0,1 -15,2 -30,5 -26,1 +35,7 +11,3 -1,9 +3,5 -10,9 -4,1 -11,3 -25,1 -16,4 -2,3 Sources : RGP 1954 à 1999, INSEE 90-99 -11,8 -8,8 -14,0 +10,6 -2,8 -4,3 -17,5 -3,6 En 1954, le Marais a une structure par âge relativement proche de celle de Paris. Les 15-35 ans sont un peu mieux représentés dans le Marais qu’à Paris. Cette tranche d’âges est celle de jeunes actifs. Le Marais est alors caractérisé par une assez forte proportion de population d’âge actif. Mais cette population d’âge actif ne cesse de diminuer, et encore plus rapidement que la population totale. En 1999 la structure par âge s’est modifiée en s’écartant du profil parisien. Les enfants (0-14 ans) sont désormais sous-représentés, alors que les adultes jeunes (25-34 ans) sont sur-représentés. Les 35-65 ans et les personnes âgées (65 ans et plus) sont sous-représentés. 72 L’évolution entre ces deux dates n’est cependant pas régulière. Par exemple, si l’on s’intéresse aux 15-34 ans, on voit qu’ils sont passés par une phase de sous-représentation dans les années 70, alors qu’ils sont plutôt sur-représentés dans les années 60, et de même pour les décennies 80-90. Nous retrouvons les deux types d’évolutions de la population totale, ou du solde migratoire. Une phase de déclin, puis une phase de remontée. C’est dire si cette tranche d’âges actifs jeunes est révélatrice des rythmes de gentrification. On peut d’ailleurs faire un rapprochement avec le renouvellement de la population qui se manifeste clairement aux âges actifs jeunes : les catégories populaires des années 50-60 étaient souvent composées de jeunes ouvriers rarement diplômés et elles ont été contraintes de quitter le Marais dans les années 8090, remplacés par des catégories plus aisées, de générations différentes (celles peut-être du baby-boom), mieux diplômées et qui sont en ascension sociale. Les seconds ont peu à peu remplacé les premiers. Les jeunes actifs des années 50-60 ne sont pas ceux des années 80-90. Ils ne travaillent pas dans les mêmes secteurs d’activité, n’ont pas le même niveau d’étude et de formation, etc. La population d’âges jeunes (enfants et adolescents) semble quant à elle chuter. Les classes populaires ont la caractéristique, encore aujourd’hui, d’avoir plus souvent des enfants, d’en avoir plus que d’autres catégories sociales. Mais c’est aussi tout un choix de vie dont il s’agit ici : les familles quittent peu à peu le centre de l’agglomération. Les années des Trente Glorieuses ont été les années de déplacement vers les banlieues (avec les constructions de grands ensembles), se poursuivant les années suivantes (milieu des années 70 aux années 90) par le déplacement vers des banlieues plus lointaines (a proprement parlé la périurbanisation) et plus pavillonnaires. Les familles populaires des centres comme celles du Marais vont emménager dans de grands ensemble durant les années 60-70. Pourtant l’étroitesse des logements du centre n’a pas dissuader des familles de s’y installer, et ce pendant longtemps. Dès qu’une offre plus confortable existe, à un prix intéressant, l’affaire est à saisir pour ces familles, dont les parents travaillent de plus en plus en banlieue proche. Choisissaient de s’installer dans ce centre du fait de ses facilités d’accès aux logements (prix peu élevés – notamment en raison de la loi de 1948 qui régit une grande partie des logements anciens, donc centraux –, nombreux meublés, connaissance sur place de proches, systèmes d’entraides). Le centre restait mieux desservi par les transports en communs que les banlieues, même pour accéder à des communes limitrophes de Paris, aux emplois ouvriers. Les familles pauvres du centre n’avaient d’autre choix que d’habiter ce centre (le logement neuf en banlieue restait trop cher). C’est l’offre, en banlieue, de nouveaux logements plus spacieux et confortables, et restant abordables, qui a décidé ces familles à quitter le centre. Ce dernier perdait son atout 73 primordiale : ses prix immobiliers ont cessé d’être les plus bas de l’agglomération. Si aujourd’hui la périurbanisation a ralenti, c’est essentiellement les exigences de confort des couples ayant des enfants et les prix des logements pou les familles (les 3 pièces au moins) qui expliquent la poursuite de la baisse du nombre d’enfants dans le Marais, et dans le reste du centre de Paris. Cela étant, le centre de Paris a toujours été peuplé par des petits ménages, du fait de la petitesse des logements. Même en 1962, alors que la gentrification débute à peine, les deux tiers des ménages du Marais sont composés de une ou deux personnes. Le départ des familles est donc à relativiser. Le graphique 6 et le tableau 7 montrent que ce sont effectivement les ménages plus grands qui diminuent au profit des ménages d’une seule personne. Il y a une tendance démographique générale en France, et notamment dans les villes, qui fait que la population est de plus en plus en ménage d’une seule personne. Mais il est inexact d’affirmer que la gentrification se manifeste par une forte augmentation du nombre de ménages d’une personne : cette augmentation, pour le Marais, n’est clairement visible que depuis les années 90, alors que pour Paris l’augmentation est très nette, dès les années 60. La gentrification n’est donc pas un processus qui renouvelle des ménages de grande taille par des ménages de petite taille. Graph. 6. Evolution du nombre de ménages selon leur taille (nombre de personnes) entre 1962 et 1999. 1 2 3 4 5+ 600 000 25 000 500 000 20 000 400 000 15 000 300 000 10 000 200 000 5 000 0 1960 100 000 1970 1980 1990 2000 0 1960 1970 1980 Quartiers 9 à 15 Sources : RGP 1962 à 1999, INSEE, APUR (1994) 74 Paris 1990 2000 Tabl. 7. Evolution de la taille moyenne des ménages dans les quartiers 9 à 15 et à Paris depuis 1962 1962 1968 1975 1982 1990 1999 2,24 2,18 1,98 1,83 1,81 1,62 Marais 2,29 2,19 2,02 1,94 1,92 1,87 Paris Sources : RGP 1962 à 1999, INSEE, APUR (1994) La situation est plus complexe. Une originalité apparaît concernant le Marais : ce sont les ménages de deux personnes qui accusent la plus forte baisse, du moins dans une première phase, celle des années 70. Car dès la décennie suivante les ménages de deux personnes atteignent un plancher, et finissent même par augmenter entre 1990 et 1999. Le graphique 7 nous indique que ces ménages de deux personnes sont les couples biactifs sans enfant et les couples d’homme actif-femme inactive sans enfant. Cette baisse concerne plutôt les biactifs sans enfant d’âge avancé (45-60 ans) alors que biactifs sans enfant d’âge jeune (20-30 ans) résistent mieux. A l’inverse, les biactifs avec enfant(s) ne se sont pas renouvelés aux âges jeunes, et résistent aux âges plus avancés (40-50 ans). Mais le graphique 7 nous montre que l’évolution des biactifs sans et celle des biactifs avec sont assez semblables. Les premiers n’ont pas remplacé les seconds : les biactifs sans enfant n’ont pas augmenté et les biactifs avec enfant(s) n’ont pas tant baissé que cela. C’est donc en fait principalement aux ménages d’une personne qu’à profité la gentrification, mais essentiellement aux jeunes ménages, au regard du graphique 8. Graph. 7. Evolution de chaque type de ménages entre 1975 et 1999 dans les quartiers 9 à 15. 12000 H seuls F seules 10000 mén. sans fam 8000 6000 fam. monoparentales biactifs sans enf biactifs avec enf 4000 2000 0 1975 1980 1985 1990 1995 2000 H act F inac sans enf H act F inac avec enf H inac F act HF inact Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE 75 Graph 8. Evolution du nombre de ménages d’une personne selon leur âge et leur sexe, dans les quartiers 9 à 15, entre 1975 et 1999 H seuls 1975 2 250 2 000 H seuls 1982 1 750 1 500 H seuls 1990 1 250 H seuls 1999 1 000 F seules 1975 750 500 F seules 1982 250 F seules 1990 0 20 30 40 50 60 70 80 90 F seules 1999 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE L’évolution des effectifs des adultes de 30 à 60 ans environ (cf. tabl. 5 et 6) est à rapprocher de celle des enfants. Les rythmes d’évolutions des 35-65 ans et des 0-15 ans sont assez proches. Il s’agit de parents qui viennent d’avoir ou qui ont un (des) enfant(s) et qui manquent désormais d’espace dans leur deux pièces. Ils cherchent un trois pièces mais ce type de logements étant trop rare au centre et devenant trop chers, ils sont contraints de s’éloigner du centre. L’évolution du nombre de personnes âgées dans le Marais est aussi très révélatrice du processus de gentrification. Nous retrouvons d’ailleurs les deux profils d’évolution que nous avons rencontrés plus haut. La première phase est celle de la poursuite, plus précisément du ralentissement, du processus de vieillissement qui caractérise la crise des centres-villes. Le départ des actifs jeunes assez pauvres et des familles expliquent la poursuite de ce vieillissement. La seconde phase se manifeste dès les années 70 et se confirme dans la décennie suivante. Les personnes âgées tendent à quitter le Marais, et parmi elles se sont particulièrement les ménages de femmes seules âgées, selon le graphique 8. Les prix des loyers croissent et contraignent les plus pauvres à partir. C’est plus des départs de personnes âgées que des décès car nous l’avons vu, dès les années 80 les taux de mortalité baissent. 76 Au vu de l’évolution de la structure par âge, nous pouvons dire à quel point la gentrification est un processus de tri entre des populations et d’autres, refoulant certaines, attirant d’autres. Et les modifications de la structure par âge s’inscrivent parfaitement dans les deux rythmes d’évolutions repérés plus haut. En 1999, le Marais est un quartier jeune, avec très peu de grands ménages (cf. cartes de la page précédente), et ceci est la résultante en grande partie du processus de gentrification. Toutefois, il est important de voir que cette évolution ne se distingue pas radicalement de celle de Paris. Les modifications de la structure par âge et de la taille des ménages ne sont donc pas imputables en premier lieu à la gentrification (même si l’ensemble de Paris s’embourgeoise). C’est peut-être dès les années 80, et plus encore dans les années 90, que le Marais se démarque du reste de Paris. Il est donc préférable de voir que la gentrification met un certain temps avant de se manifester clairement, tant dans les données que dans la réalité du quartier. Nous allons maintenant nous intéresser à l’évolution socioéconomique de la population active résidente. Et sur ce point, le Marais se démarque clairement peu à peu du reste de Paris, dès les années 60. 78 c) L’évolution socioprofessionnelle Le Marais dans la division socio-spatiale parisienne La population habitant le Marais a été totalement transformée durant les années des Trente Glorieuses, et cette transformation se poursuit jusqu’à nos jours. La population active est la catégorie qui s’est la plus modifiée. Les quatre cartes de la page suivante représentent l’évolution de la répartition socioprofessionnelle de la population active résidente, par quartier à Paris, entre 1954 et 1999. Nous avons choisi de ne représenter que la répartition à trois dates différentes : en 1954, c’est-à-dire avant le commencement du processus de gentrification ; en 1982, c’est-à-dire à mi temps environ entre le commencement du processus (années 60) et sa poursuite actuelle ; en 1999, année des dernières données disponibles. Ces répartitions sont le résultat de classifications ascendantes hiérarchiques, effectuées à chacune de ces dates indépendamment, et sur la population active totale selon ses catégories socioprofessionnelles (le changement de nomenclature de ces dernières entre 1975 et 1982 nous interdit toute typologie de trajectoires). Ceci permet de diviser l’espace social parisien en trois grandes catégories : -les quartiers populaires (prénommés O et de couleur rouge ou marron), à surreprésentations d’ouvriers, voire d’employés ; -les quartiers intermédiaires (prénommés I et de couleur jaune ou orange), à surreprésentations de classes moyennes, c’est-à-dire de patrons de l’industrie et du commerce, de cadres moyens, ou professions intermédiaires, voire d’employés ; -les quartiers bourgeois (prénommés C et de couleur bleue), à surreprésentations de cadres (plutôt supérieurs), de professions intellectuelles, de professions libérales. Pour 1999, nous avons complété ces répartitions par une carte du gain de ratio de gentrification entre 1954 et 1999, et l’évolution de ce ratio par quartier. Ce ratio figure depuis quelques années dans des ouvrages en France pour attester de l’embourgeoisement de quartiers urbains, voire de toute une ville, comme Paris. Il consiste à rapporter la population de cadres et professions intellectuelles supérieures à celle des ouvriers et employés/personnels de service réunis (ou celle des cadres supérieurs/professions libérales rapportée à celle des ouvriers et employés/personnels de service avant 1982). 79 1982 nb quartiers pic cpis proi emp ouv autres Total 1954 nb quartiers pic plcs cadmoy emp ouv perserv autres Total type C1 7 9,8 49,4 16,3 19,2 4,7 0,7 100,0 type C1 11 8,2 36,0 19,9 25,8 8,9 1,3 100,0 type C1 10 12,4 16,4 11,0 17,6 12,3 26,6 3,7 100,0 type C2 22 7,5 46,8 20,9 18,7 5,4 0,7 100,0 type C2 11 9,9 32,2 15,8 30,4 10,1 1,6 100,0 type C2 8 12,0 14,9 13,2 20,8 17,0 17,6 4,5 100,0 type C3 6 11,2 42,8 15,7 23,4 6,1 0,8 100,0 type C3 7 6,1 29,4 22,2 29,7 11,2 1,4 100,0 type I1 12 12,6 9,8 12,8 23,8 24,4 12,9 3,7 100,0 type I1 12 6,5 39,7 22,8 21,7 8,6 0,8 100,0 type I1 12 8,7 25,1 19,6 30,8 14,6 1,2 100,0 type I2 6 20,4 7,6 10,2 22,0 19,0 17,9 3,0 100,0 type I2 8 5,2 34,1 26,0 24,4 9,3 1,0 100,0 type I2 9 12,3 21,2 15,1 35,8 14,3 1,4 100,0 type O4 16 10,9 7,4 12,1 23,1 32,9 10,7 2,9 100,0 type I3 4 10,7 35,5 15,6 28,4 9,2 0,7 100,0 type O3 6 10,3 16,3 16,3 32,0 23,7 1,4 100,0 type O3 10 18,4 3,7 8,4 21,4 32,4 13,3 2,5 100,0 type O3 10 5,6 30,3 23,9 24,9 14,1 1,3 100,0 type O2 16 6,2 16,1 20,0 34,8 21,4 1,5 100,0 type O2 13 11,6 4,1 9,6 22,3 41,2 9,2 2,1 100,0 type O2 7 4,6 23,3 25,0 30,1 15,6 1,5 100,0 type O1 8 5,8 10,6 15,8 34,2 31,8 1,8 100,0 type O1 5 9,5 2,6 7,7 20,7 49,8 8,0 1,7 100,0 type O1 4 5,6 16,3 21,4 33,3 21,1 2,3 100,0 ensemble 80 8,3 23,6 18,3 31,7 16,6 1,5 100,0 ensemble 80 13,1 8,3 10,9 21,7 28,8 14,2 3,0 100,0 Tabl. 8. Légende des C.A.H. réalisées sur les populations actives de 1954, 1982 et 1999 1999 nb quartiers pic cpis proi emp ouv autres Total ensemble 80 7,1 38,2 21,4 23,1 9,2 1,0 100,0 Abrév. utilisées : notes p. 88 et 90. Les valeurs en gras correspondent aux CSP les mieux représentées de chaque type Le ratio ignore une bonne partie de la population active et la population inactive dans son ensemble, mais reflète la division sociale de l’espace en ce sens qu’elle prend en compte les catégories à chaque extrême de l’échelle sociale. La carte sur le revenu moyen des ménages permet de répondre à ce problème. Un ratio supérieur à 2, par exemple, signifie qu’il y a deux fois plus de cadres et professions intellectuelles supérieures que d’ouvriers et d’employés. A l’étude de ces cartes, force est de constater que le Marais était du côté des quartiers populaires en 1954 (sans être un des plus ouvriers de la capitale), puis du côté des quartiers intermédiaires en 1982 (proche du profil moyen de la capitale), puis tend aujourd’hui à devenir un quartier bourgeois. Cette trajectoire socioprofessionnelle est sans comparaison avec celle de n’importe quel autre quartier de Paris. Le Marais est clairement le quartier de Paris par excellence qui, en moins de 50 ans, est passé d’un quartier ouvrier à un quartier bourgeois. On peut d’ailleurs inscrire cette évolution dans un contexte d’embourgeoisement qui se généralise durant les Trente Glorieuses, et se poursuit encore actuellement. Le centre de Paris est à la charnière de la division socio-spatiale parisienne, qui place à l’ouest les quartiers bourgeois et au nord-est les quartiers populaires. Il est donc logique que la transformation sociologique de la population résidente se fasse davantage ressentir au centre, que dans les quartiers périphériques. Sur la carte ci-dessus on voit que les contribuables du Marais ont des revenus assez bas en 1949, et pour certains secteurs (îlots insalubres du quartier Saint-Gervais par exemple) parmi les plus bas de la capitale. Selon les cartes précédentes, les classes moyennes et bourgeoises ont progressivement gagné le centre de Paris dans les années 60-70-80, pour se porter aujourd’hui sur des quartiers péricentraux voire même périphériques du nord-est parisien. A l’échelle parisienne, la gentrification est assez clairement un processus de diffusion spatiale. Les logiques d’augmentation de proche en proche des prix immobiliers, de choix et de capacité des classes moyennes et bourgeoises à acheter ou louer des appartements de plus en plus chers expliquent cette progression. 84 Les particularités socioprofessionnelles du Marais par rapport à Paris Le tableau 9 détaille la population totale des personnes de référence dans le Marais (sans le quartier Notre-Dame) et à Paris (sans le Marais), en 1999, selon leur catégorie socioprofessionnelle. Le Marais se distingue de Paris par le poids de sa population active et une faible proportion de retraités. La présence forte de personnes de référence élèves et étudiantes est évocatrice du rôle que joue le Marais en matière d’attractivité, d’animation et de centralité dans la capitale. Elle s’explique par la petite taille des logements dans la plupart des endroits du Marais. Ces données témoignent du dynamisme démographique retrouvé du Marais. Les catégories actives les plus surreprésentées dans le Marais par rapport à Paris sont les professions de l’information, des arts et des spectacles d’une part, les cadres administratifs et commerciaux d’entreprises d’autre part. Les premiers sont le reflet du regain culturel du Marais. Ce sont eux qui ont les premiers redécouvert les atouts historiques du Marais, et qui ont participé à la remontée de son image. Les seconds, cadres du privé, sont arrivés sans doute après les premiers, profitant du regain de valeur (immobilière) du quartier. Ils sont le témoin d’une gentrification déjà avancée, attirant d’autres populations que les pionniers, au capital économique plus que culturel. Parmi les catégories plus populaires, certaines ont résisté, au moins en partie, à la gentrification : les employés de commerce ainsi que les commerçants et assimilés. Avec les artisans, le maintien de ces catégories atteste du rôle commercial du Marais qui perdure. Le tourisme a ravivé les commerces, même si ces derniers se sont largement modifiés. Les habitants qui travaillent dans le Marais restent donc assez nombreux. Près de la moitié des personnes de référence retraitées habitant dans le Marais sont des ouvriers ou des employés ; ils sont le reflet de l’ancienne population active du quartier qui a résisté aux changements. Mais les catégories moyennes et moyennes-inférieures restent sousreprésentées chez les retraités du Marais, témoignant de leur départ contraint. Enfin, les retraités cadres sont légèrement plus présents dans le Marais que dans le reste de Paris. Ceci signifie que la gentrification du Marais n’est pas un phénomène récent, et surtout que certains retraités ne sont pas totalement exclus du processus de gentrification, ce que les auteurs manquent souvent de dire (même si ces retraités aisés se sont installés en grande majorité lors de leur vie active). 85 Tabl. 9. Répartition des personnes de référence selon leur CSP, en 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris (sans le Marais). Paris sans écart Marais M-P artisans 1,5 1,2 +0,2 commerçants et assimilés 3,3 2,5 +0,8 chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus 1,0 1,0 0,0 professions libérales 3,7 2,6 +1,1 cadres de la fonction publique 3,0 2,6 +0,4 professeurs, professions scientifiques 4,5 3,5 +1,0 profes° de l’information, des arts et des spectacles 6,6 3,8 +2,8 cadres administratifs et commerciaux d'entreprise 9,4 7,9 +1,5 ingénieurs et cadres techniques d’entreprise 5,1 5,3 -0,1 instituteurs et assimilés 1,9 1,7 +0,1 profes° intermédiaires de la santé et travail social 1,3 1,8 -0,5 clergé, religieux 0,1 0,0 0,0 profes° intermédiaires administratives fonc° publ. 1,0 1,3 -0,3 prof° interm. admin. et commerciales des entrepr. 7,8 7,4 +0,4 techniciens 1,8 2,1 -0,3 contremaîtres, agents de maîtrise 0,5 0,8 -0,3 employés civils et agents de service fonc° publ. 2,1 2,8 -0,7 policiers et militaires 1,2 1,2 0,0 employés administratifs d'entreprise 3,5 4,3 -0,8 employés de commerce 1,9 1,6 +0,3 personnel de service direct aux particuliers 3,3 3,6 -0,4 ouvriers qualifiés de type industriel 0,7 1,1 -0,4 ouvriers qualifiés de type artisanal 2,1 2,9 -0,7 chauffeurs 0,3 0,9 -0,5 ouv. qualif. manutention, magasinage, transports 0,3 0,4 -0,2 ouvriers non qualifiés de type industriel 1,0 1,2 -0,2 ouvriers non qualifiés de type artisanal 0,7 1,2 -0,5 ouvriers agricoles 0,0 0,0 0,0 69,6 66,8 +2,8 Total personnes de référence actives retraités agricoles 0,0 0,0 0,0 retraités cadres 2,3 2,2 +0,2 retraités professions intermédiaires 4,0 5,3 -1,3 retraités artisans, commerçants, chefs d’entrep. 2,9 4,2 -1,3 retraités employés 5,2 7,0 -1,8 retraités ouvriers 3,8 3,8 0,0 18,3 22,5 -4,2 Total personnes de référence retraitées chômeurs n’ayant jamais travaillé 0,3 0,4 -0,1 militaires du contingent 0,0 0,0 0,0 élèves ou étudiants de 15 ans ou plus 7,2 5,2 +2,0 sans activité professionnelle de moins de 60 ans 2,5 2,5 -0,1 sans activité professionnelle de plus de 60 ans 2,2 2,6 -0,4 12,1 10,7 +1,4 Total pers. de ref. sans activité professionnelle 100,0 100,0 0,0 Total des personnes de référence Sources : fichier analyse RGP 1999, INSEE. (Les écarts ont été calculés sur des nombres avec plus de décimales, expliquant quelques décalages, du fait des arrondis) sans activité professlle retr. ouv. empl. proi. cpis. pic. CSP 86 Marais Evolution de la structure socioprofessionnelle du Marais entre 1954 et 1982 Etudions plus en détail cette évolution pour le Marais. Compte tenu du changement de nomenclature des catégories socioprofessionnelles en 1982, nous avons préféré étudier cette évolution en deux temps, entre 1954 et 1982, et entre 1982 et 1999. Les courbes d’évolution des parts de chaque catégorie socioprofessionnelle (graph. 9) et le tableau 10 sont sans équivoque. En 15 ans, entre la fin des années 60 et le début des années 80, le Marais est passé d’un quartier composé majoritairement d’ouvriers, d’employés et d’artisans, à un quartier très mixte, où les employés sont devenus les plus nombreux, suivis par les professions libérales/cadres supérieurs et les ouvriers. Ces deux dernières catégories, à l’extrême l’une de l’autre de l’échelle sociale, ont des effectifs similaires en 1982. Le profil socioéconomique de la population active du Marais s’est rapproché de celui de la population active parisienne. La part des ouvriers passe de 35 % à 20 %, celle des professions libérales et cadres supérieurs de 5 % à 20 %. Entre 1954 et 1982, deux phases d’évolutions se différencient. - La première, jusqu’à la fin des années 60. Sans qu’il s’agisse d’un bouleversement de la population active du Marais, la population des artisans et des commerçants, qui faisait alors l’originalité du Marais, est en plein déclin, bien avant même la population ouvrière. La part des ouvriers et celle des professions libérales/cadres supérieurs sont relativement stables, alors que la part des patrons de l’industrie et du commerce chute de 17,3 % en 1954 à 11,8 % en 1968. Ces derniers constituent la population la plus traditionnelle du Marais. Il semble ainsi que ce soit cette population qui soit la première touchée par les mutations socioéconomiques des Trente Glorieuses, mais aussi par les travaux engendrés par la loi Malraux, évoquée dans le premier chapitre. - La deuxième phase est celle du déclin des ouvriers et de la montée en puissance des classes moyennes et supérieures, qui s’ajoutent à la poursuite du déclin des catégories d’artisans et commerçants. Le processus de gentrification commence véritablement dans cette phase, qui se manifeste dès la fin des années 60. 87 Graph. 9. Evolution des parts des CSP ( % de la population active) entre 1954 et 19821 M plcs 35,0 M cadmoy 30,0 M pic M emp 25,0 M perserv M ouv 20,0 M autres 15,0 P plcs P cadmoy 10,0 P pic P emp 5,0 P perserv 0,0 1950 P ouv 1955 1960 1965 1970 1975 1980 P autres 1985 Tabl. 10. Evolutions relatives des effectifs des CSP entre chaque période intercensitaire1 1954-1962 1962-1968 1968-1975 1975-1982 M +20,2 0,0 +38,4 +34,6 P +14,7 +3,8 +26,9 +9,9 M +4,7 +5,7 -9,9 -2,0 P +11,0 +5,9 -3,7 -1,8 M -28,5 -22,6 -36,2 -34,9 P -24,1 -16,3 -29,0 -15,1 M +3,6 -17,1 -27,7 -15,1 P +1,4 -10,9 -5,8 -8,4 M -10,1 -10,5 -33,2 -33,4 P -5,9 -9,1 -22,6 -16,2 M -10,0 -12,8 -41,1 -44,1 P -10,6 -16,1 -25,4 -18,0 M +4,9 -12,4 -5,5 -5,2 P +7,3 -17,2 -10,3 -8,8 population M -7,5 -12,4 -27,1 -19,0 active totale P -4,0 -9,3 -11,4 -7,9 population M -4,4 -11,3 -25,1 -16,4 totale P -1,8 -7,6 -11,2 -5,2 plcs cadmoy pic emp perserv ouv autres Sources : APUR, 1994, RGP 1954 à 1982, INSEE 1 M = Marais, quartiers 9 à 15 P = Paris. Définitions de l’INSEE des CSP ou catégories socio-professionnelles avant 1982 : plcs = professions libérales et cadres supérieurs ; cadmoy = cadres moyens ; pic = patrons de l’industrie et du commerce ; emp = employés ; perserv = personnels de service ; autres = agriculteurs exploitants, militaires du contingent, chômeurs n’ayant jamais travaillé ; Les données du RGP de 1982 proviennent d’un sondage au 1/20 (changement de nomenclature des CSP depuis cette date). 88 Evolution de la structure socioprofessionnelle du Marais entre 1982 et 1999 A partir de 1982 (graphique 10, tableaux 11 et 12), le Marais va se démarquer du profil parisien, en devenant un quartier plus bourgeois que la moyenne parisienne (davantage de cadres et professions intellectuelles supérieures, moins d’ouvriers et d’employés). Nous retrouvons le parcours socioprofessionnel évoqué au début : le Marais est passé d’un quartier ouvrier à un quartier bourgeois en moins de 50 ans. Le processus de gentrification se poursuit donc dans les années 80-90. L’augmentation du nombre de cadres et professions intellectuelles supérieures reste toujours plus importante dans le Marais qu’à Paris, malgré un léger ralentissement dans les années 90. Les professions intermédiaires augmentent aussi sensiblement. Les baisses du nombre d’ouvriers et de patrons de l’industrie et du commerce sont toujours, elles aussi, plus importantes dans le Marais qu’à Paris, et l’on observe même une accélération de cette baisse dans les années 90. La population active tend désormais à croître légèrement, comme à Paris d’ailleurs, reflétant le nouvel attrait du Marais, même si la population poursuit sa baisse, quoique modérée. Le tableau 12 le confirme. Les cadres de la fonction publique et professions intellectuelles et artistiques ont un rythme d’augmentation qui ralentit nettement, alors que les autres catégories supérieures (professions libérales et cadres d’entreprise) continuent d’augmenter de manière soutenue, malgré un léger ralentissement. Dans les années 90 les employés ont cessé leur déclin (remontée des employés du privé surtout, les personnels de service baissent moins rapidement) tandis que les ouvriers renforcent le leur. 89 Graph. 10. Evolution des parts des CSP ( % de la population active) entre 1982 et 19991. 45,0 M cpis 40,0 M proi 35,0 M pic 30,0 M emp M ouv 25,0 M autres 20,0 P cpis 15,0 P proi 10,0 P pic 5,0 P emp P ouv 0,0 1980 1990 P autres 2000 Sources : APUR, 1994, RGP 1982 à 1990 ; fichier iris-profils RGP 1999, INSEE Tabl. 11. Evolutions relatives des effectifs des CSP entre chaque période intercensitaire1 82-90 90-99 M +52,9 +22,1 P +39,3 +15,0 M +17,6 +6,8 P +11,5 +8,7 M -2,8 -21,2 P -1,4 -13,9 M -26,4 -2,7 P -18,1 -6,1 M -29,2 -39,9 P -15,9 -29,1 M -29,7 -19,5 P -23,5 +5,2 population M +1,7 +1,3 active totale P +1,8 +1,3 population M -2,4 -3,6 totale P -1,1 -1,3 cpis proi pic emp ouv autres Sources : APUR, 1994, RGP 1982 à 1990 ; fichier iris-profils RGP 1999, INSEE 1 Définitions de l’INSEE des CSP ou catégories socio-professionnelles à partir de 1982 : cpis = cadres et professions intellectuelles supérieures ; proi = professions intermédiaires ; pic = patrons de l’industrie et du commerce ; emp = employés et personnels de service ; ouv = ouvriers ; autres = agriculteurs exploitants, militaires du contingent, chômeurs n’ayant jamais travaillé. 90 Tabl. 12. Evolution des personnes de référence actives selon leur CSP, entre 1982 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris. pic cpis proi emp ouv CSP (12 postes) pic1 : artisans ou commerçants pic2 : chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus cpis1 : professions libérales cpis2 : cadres de la fonct° publ., prof. intel. art. cpis3 : cadres d’entreprise proi emp1 : employés de la fonction publique emp2 : autres employés ouv1 : ouvriers qualifiés ouv2 : ouvriers non qualifiés ouv3 : ouvriers agricoles TOTAL ACTIFS parts en % de la population active totale 1982 1990 1999 évolutions relatives 1982-1990 1990-1999 1982-1999 9,1 8,2 7,5 -7,8 -6,6 -13,8 1,4 2,3 1,4 +68,3 -38,4 +3,7 2,9 4,0 5,1 +38,0 +31,4 +81,3 13,6 18,0 18,4 +35,4 +3,8 +40,6 10,7 17,8 22,1 +71,0 +26,6 +116,6 18,0 19,5 20,7 +10,6 +8,7 +20,2 6,2 4,4 4,6 -26,0 +5,7 -21,8 17,8 12,6 13,0 -27,7 +5,6 -23,7 12,1 8,6 4,9 -27,3 -41,3 -57,3 8,1 4,6 2,2 -42,3 -50,2 -71,3 0,0 0,0 0,0 0,0 -100,0 -100,0 100,0 100,0 +2,5 SOURCES : FICHIERS-DETAILS 1982, 1990, 1999, INSEE. +2,0 +4,5 100,0 La division socio-spatiale du Marais et son évolution Les trois cartes suivantes montrent l’évolution spatiale de la structure sociologique de la population active entre 1954 et 1975. Ces trois cartes sont le résultat d’une (et d’une seule) classification ascendante hiérarchique (CAH) effectuée sur la population active totale selon ses catégories socioprofessionnelles (sans catégorie « autres »), par îlot du Marais. Ceci permet de voir les parcours sociologiques de chaque îlot, étant donné que la légende est commune aux trois cartes. Sur la page d’après figure la légende détaillée de chaque classe produite par la CAH. 91 Tabl. 13. Graph. 11. Légende détaillée des combinaisons socioprofessionnelles 1954-19751 54-62-75 nb. d'îlots (3 cartes) igc apc plcs cadmoy emp perserv ouqa osm Total type C1 type C2 type I1 type I2 type I3 type O1 type O2 ensemble 30 83 64 95 138 145 49 604 2,8 5,5 30,2 13,8 20,4 14,8 7,1 5,4 100,0 2,6 8,8 16,5 18,5 25,3 10,5 9,8 8,0 100,0 6,0 13,8 10,8 11,2 22,7 16,0 10,5 8,9 100,0 1,6 7,7 9,0 13,5 30,2 11,0 14,3 12,7 100,0 3,9 15,9 5,0 10,4 21,2 13,4 17,3 13,0 100,0 1,7 11,8 3,5 7,5 22,2 11,9 21,9 19,6 100,0 1,5 9,1 4,4 8,1 20,2 10,5 16,7 29,7 100,0 2,8 11,4 8,7 11,4 23,4 12,4 15,7 14,4 100,0 Ecarts de chaque type au profil moyen (en points) plcs 25 cadmoy 20 igc 15 10 apc 5 emp 0 perserv -5 ouqa -10 C1 C2 I1 I2 I3 O1 osm O2 Tabl. 14. Auto-corrélations temporelles de quelques CSP, 1954 à 19751 Auto-corrérlations plcs apc emp ouqa osm coef. de corrélation 1954-1962 0,77 0,66 0,64 0,75 0,75 coef. de corrélation 1962-1975 0,63 0,53 0,61 0,55 0,53 coef. de corrélation 1954-1975 0,50 0,44 0,49 0,49 0,46 coef. de détermination (r²) 54-75 0,25 0,19 0,24 0,24 0,21 Tabl. 15. Coefficients de variation des CSP en 1954, 1962 et 19751 RGP igc apc plcs cadmoy emp ouqa osm perserv 1954 110 48 109 54 44 45 53 47 1962 111 52 106 53 37 47 56 49 1975 106 83 70 45 40 55 65 74 54-75 -4 +35 -39 -9 -4 +10 +12 +27 1 igc = industriels et gros commerçants ; apc = artisans et patrons du commerce ; ouqa = ouvriers qualifiés et contremaîtres ; osm = ouvriers spécialisés et manœuvres ; pic = patrons de l’industrie et du commerce (=apc + igc) et ouv = ouvriers (=ouqa + osm). La catégorie « autres actifs » a été ignorée. Malheureusement, nous ne disposons pas des données à l’îlot sur les CSP pour 1968. Sources : données à l’îlot des CSP, RGP 1954, 1962, 1975, INSEE. 93 On peut faire plusieurs constats : D’une part, comme nous l’avons suggéré plus haut, c’est à partir des années 60 que les changements sociologiques se manifestent clairement. En une dizaine d’années, de très nombreux secteurs du Marais sont passés de surreprésentations d’ouvriers ou d’artisans à des surreprésentations de professions libérales, cadres supérieurs et cadres moyens. Mais il ne faut pas s’y tromper. Si l’on regarde avec plus de détail la légende, c’est-à-dire les caractéristiques de chaque combinaison (profil ou type) socioprofessionnelle, le profil C2, assez fréquent en 1975, comporte majoritairement des employés malgré une surreprésentation de cadres. En fait, dans les années 60, les secteurs d’ouvriers et d’artisans / patrons du commerce sont généralement devenus des secteurs d’employés et de professions libérales / cadres pour certains. L’auto-corrélation temporelle calculée sur quelques catégories socio-professionnelles révèle l’ampleur des changements : la variance totale expliquée entre 1954 et 1975 ne dépasse pas le quart, c’est-à-dire que la répartition spatiale de toutes les catégories s’est modifiée au moins à hauteur de 75 %. C’est la distribution des professions libérales et cadres supérieurs qui, étrangement, s’est la moins modifiée. Cette catégorie s’est sans doute renforcée dans des secteurs où elle était déjà implantée ne serait-ce que très discrètement. Par contre, les artisans et petits commerçants ont vu leur localisation se modifier, à près de 80 %. Ceci signifie que ces populations ont cédé du terrain, abandonnant de très nombreux secteurs, en se concentrant dans certains îlots bien spécifiques (entre les Arts-et-Métiers et République, et vers la rue Charlot). Les coefficients de variation et leur évolution le confirment. Précisons que plus le coefficient est élevé, plus la catégorie est concentrée dans certains îlots, plus le coefficient est bas, plus la catégorie est bien dispersée. Si le coefficient augmente cela signifie que la catégorie est de plus en plus concentrée spatialement, et si le coefficient diminue la catégorie est de mieux en mieux répartie. En 1954, s’oppose les employés, les ouvriers qualifiés, les personnels de service, et artisans/petits commerçants aux cadres supérieures/professions libérales et industriels/gros commerçants. Les premiers étaient plutôt bien réparti, alors que les seconds concentrés spatialement. Mais entre 1954 et 1975 une inversion commence : les cadres supérieurs/professions libérales se répartissent, tandis que les artisans/petits commerçants, les personnels de service, et plus secondairement les ouvriers se rassemblent spatialement. Mais les employés restent la catégorie la mieux répartie. On voit d’ailleurs bien que ce phénomène de rétractation spatiale touche bien plus les artisans/petits commerçants que les ouvriers. Ces coefficients nous montrent ainsi à quel point la gentrification est un 94 phénomène ségrégatif, restructurant l’espace social, en passant par cette phase productrice de divisions socio-spatiales. En effet, la division sociale de l’espace s’est accentuée entre 1954 et 1975, ce qui nuance la diversité sociale illustrée par les courbes dont nous parlions précédemment. En 1954, et même encore en 1962, le Marais est assez régulièrement habité par des ouvriers et artisans / patrons du commerce. Mais en 1975, des disparités spatiales apparaissent. On peut les décrire et les expliquer rapidement : - un repli des ouvriers (en particulier des ouvriers spécialisés et manœuvres) vers le nordouest du Marais (alentours de la rue des Gravilliers), et dans un moindre degré, vers le nordest (alentours de la rue de Bretagne et de Saintonge). Il s’agit de secteurs qui se sont appauvris (maintien et même renforcement de la population ouvrière). Ces secteurs, en marge du Marais (et notamment du PSMV) ont peu fait l’objet de rénovations ou de réhabilitations. Ils comportent d’ailleurs assez peu d’hôtels particuliers. L’explication principale de cette paupérisation localisée serait le fait de déménagements (volontaires, mais surtout contraints) d’ouvriers du centre du Marais, touché par les réhabilitations et rénovations. Ne voulant totalement quitter le quartier, ces ouvriers se sont rassemblés dans ces secteurs dont les logements, encore très dégradés et peu onéreux, n’ont pas été atteints pas le processus de gentrification. Il est à noter également que durant les années 60, l’arrivée massive de populations étrangères et souvent pauvres s’est fait davantage au nord du Marais, freinant ainsi la gentrification de ce secteur (Voir cartes p.92) - A l’inverse, les secteurs les plus touchés par les modifications des logements, mais aussi par la remise en valeur du patrimoine (c’est-à-dire là où la proportion d’hôtels particuliers est la plus importante) ont vu les plus rapides mutations sociologiques. C’est le cas du secteur opérationnel de la SOREMA et de ses alentours (îlots proches de la place de Thorigny), mais aussi du nord de la rue des Francs-Bourgeois, des alentours de la rue des Archives, ceux de l’hôtel de Sens à l’extrême sud ou ceux encore de l’hôtel de Ville, enfin, de certains îlots au sud de la place des Vosges. On le voit, il s’agit essentiellement de secteurs au sud ou au centre du Marais, ceux dont la valeur architecturale est la plus intéressante et où les logements sont devenus plus confortables que la moyenne du Marais. Nous n’avons pu nous procurer les données sur les catégories socioprofessionnelles en 1982, qui existent pourtant à l’îlot. Nous nous contenterons de faire une classification ascendante hiérarchique pour 1990 et 1999 afin de voir les évolutions socio-spatiales récentes. Les deux cartes de la page suivante en sont le résultat. 95 Tabl.16. Légende détaillée des combinaisons socioprofessionnelles 1990-1999 1990-1999 nb. d'iris (2 cartes) pic cpis proi emp ouv autres Total type C1 15 8,9 49,4 18,7 17,1 5,4 0,5 100,0 type I1 17 9,1 40,1 23,1 18,0 7,6 2,1 100,0 type I2 4 6,8 37,1 15,6 31,4 7,0 2,1 100,0 type O1 24 7,8 34,8 20,5 22,8 12,9 1,2 100,0 type O2 ensemble 3 64 10,5 8,4 23,9 39,0 14,6 20,1 21,3 26,1 23,1 9,8 1,8 1,4 100,0 100,0 L’évolution de 1954-1975 semble se poursuivre entre 1990-1999 : c’est le centre et l’est du Marais qui se gentrifient le plus, alors que le nord-ouest tarde à évoluer. On peut même dire que le centre-est a rattrapé l’extrême sud-est du Marais (on peut le voir aussi sur la carte du ratio de gentrification par quartier à Paris en 1999). Le nord-est quant à lui connaît désormais lui aussi le processus, alors qu’il avait tendance à s’appauvrir dans les années 60-70 (notons que la gentrification du nord-est déborde sur le 11e arrondissement, aux alentours de République, comme elle avait déjà tendance à le faire vers les quartiers du 11e et du 12e proches de la Bastille). Les professions intermédiaires ne semblent d’ailleurs pas étrangères à la montée du nord-est du Marais. Notons que même dans le profil le plus populaire du Marais en 1999 la catégorie cadre et professions intellectuelle supérieure reste la plus nombreuse (type O1) : elle représente au moins 35 % de la population active. Dans le profil le plus bourgeois, qui concerne un iris sur trois en 1999 dans le Marais, un actif sur deux appartient à ces professions (cf. tabl. 16). 97 d) Populations étrangères et gentrification Une forte présence étrangère mais en déclin Le Marais compte de nombreux étrangers. L’emploi ouvrier et artisanal, des logements peu onéreux parce que souvent inconfortables, ont attiré des populations issues de l’immigration, depuis le XIXe siècle. Etrangers principalement d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord, de Chine. Le Marais est, nous l’avons vu, traditionnellement un quartier d’accueil pour des populations primo-arrivantes en France, cherchant un premier logement et un premier travail. Nous pouvons facilement imaginer que ce rôle s’estompe peu à peu avec la progression de la gentrification. Mais qu’en est-il aujourd’hui, alors que le Marais est considéré comme un quartier gentrifié ? Que reste-t-il de ces minorités étrangères ? Quel est leur comportement face à la gentrification ? En est-ce fini de la présence étrangère ? Tout d’abord, le Marais compte encore une proportion d’étrangers dans la population totale qui reste supérieure à celle de Paris. Malgré une baisse du nombre des étrangers dès la fin des années 60, ils représentent en 1999 près d’un habitant sur cinq dans le Marais. La baisse des étrangers y a commencé plus tôt qu’à Paris où elle débute seulement dans les années 80. Elle est aussi plus rapide dans le Marais qu’à Paris. La poursuite de l’augmentation de la part des étrangers dans le population du Marais s’explique par un départ des populations de nationalité française, jusque à la fin des années 70. Au-delà, la part des étrangers diminue. La gentrification a entraîné une baisse de la population étrangère du Marais, qui perd progressivement son rôle de quartier d’accueil. Tabl. 17. Evolution de la part des étrangers et évolutions relatives des effectifs entre 1954 et 1999 dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris RGP 1954 1962 1968 1975 1982 1990 1999 98 part des étrangers dans la population totale Marais Paris 6,4 5,0 12,9 8,7 17,0 11,6 21,2 15,7 21,7 19,9 20,5 18,9 18,8 17,0 périodes évolutions relatives des étrangers Marais Paris +80,2 +64,6 1954-1962 +12,8 +20,8 1962-1968 -9,9 +15,6 1968-1975 -14,8 +16,0 1975-1982 -6,8 -5,2 1982-1990 -10,2 -10,1 1990-1999 +30,7 +127,2 1954-1999 Sources : RGP 1954 à 1999, INSEE, APUR (1994) évolutions relatives des Français Marais -9,8 -14,4 -27,7 -16,8 -1,4 -2,2 -55,2 Paris -5,1 -10,0 -14,3 -8,6 -0,3 +0,4 -33,0 Un processus de remplacement d’étrangers modestes par des étrangers aisés Cependant, il convient de préciser que la gentrification n’a pas seulement fait partir les étrangers, le processus étant plus complexe. Si l’on s’intéresse aux groupes de nationalités, il se produit un glissement. Les étrangers traditionnels issus de vagues d’immigration datant de l’entre-deux guerres (d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, notamment de confession juive), et ceux datant de l’après deuxième guerre mondiale (du Maghreb essentiellement, de confession musulmane, mais aussi juive) régressent rapidement dans les années 70, et les décennies suivantes. En 1975 ces nationalités représentaient 65 % du total des personnes de références étrangères du Marais. En 1990, c’est-à-dire en 15 ans, leurs effectifs ont chuté à 38 %. Ces nationalités (d’Europe centrale ou de l’Est, du Maghreb) étaient celles qui faisaient du Marais une terre d’accueil de populations immigrées pauvres. En 1982, 57 % des personnes de référence étrangères de nationalité d’Europe centrale ou de l’Est installées dans le Marais sont retraitées, témoignant de l’ancienneté de l’immigration de ce groupe. A la même date, 43 % des personnes de références étrangères de nationalité maghrébine sont des ouvriers, contre 10 % pour la population française. Il faut aussi souligner l’importance non négligeable des acquisitions de nationalité française qui participent à cette baisse des étrangers. Les personnes de référence françaises par acquisition représentaient en 1975 9,3 % des personnes de référence françaises et 7,0 % de la population totale des personnes de référence (quartiers 9 à 15). Elles ne représentent plus que 9,0 % des personnes de référence françaises et 6,9 % de l’ensemble des personnes de référence. Elles ont tout de même baissé de 11,9 % sur la période, contre une baisse 8,6 % pour les personnes de référence françaises nées en France, alors que les étrangers ont augmenté de 9,4 %. En 1982, une personne de référence du Marais sur quatre est né à l’étranger (près d’une sur trois dans le quartier Arts-et-Métiers et une sur cinq dans le quartier Arsenal), et 11 % sont nées dans un pays maghrébin (16 % dans le quartier Arts-et-Métiers, 9 % dans le quartier Arsenal). Ces nationalités particulièrement populaires ou âgées, se font rattraper par d’autres groupes de nationalités, celles des pays riches, que ce soit de l’Union Européenne (à quinze membres), ou d’Outre-Atlantique. Ce groupe des pays développés représente en 1975 le quart des personnes de référence étrangères, et grimpent en 1990 à 41 %. 99 Tabl. 18. Evolution des personnes de références (PR) étrangères selon leur nationalité, entre 1975 et 1990 dans le Marais (quartiers 9 à 15).1 Aires de nationalités Pays riches d’Europe Autres pays riches Europe centrale et Est Amérique centrale et Sud Chine et Taiwan Moyen Orient+Asie or/oc Asie du Sud-est Maghreb Afrique noire TOTAL PR étrangères part dans le nombre évolutions relatives des effectifs des PR total de PR effectifs des PR étrangères 1975 1982 1990 1975 1982 1990 75-82 82-90 75-90 20,6 20,8 33,5 1525 1396 2708 -8,5 +94,0 +77,6 3,9 6,0 7,5 285 404 608 +41,8 +50,5 +113,3 24,6 21,7 17,2 1815 1456 1388 -19,8 -4,7 -23,5 1,7 3,3 2,8 125 224 228 +79,2 +1,8 +82,4 2,7 5,3 7,5 200 356 604 +78,0 +69,7 +202,0 0,5 1,6 4,7 35 108 376 +208,6 +248,1 +974,3 1,3 1,3 1,6 95 88 128 -7,4 +45,5 +34,7 39,9 35,2 20,9 2945 2364 1684 -19,7 -28,8 -42,8 4,9 4,7 4,4 360 316 352 -12,2 +11,4 -2,2 100,0 100,0 100,0 7385 6712 8076 -9,1 +20,3 +9,4 Sources : fichiers-détails 1975, 1982, 1990, INSEE Photo 8. 82 rue des Gravilliers. La population maghrébine et ses commerces disparaissent peu à peu, même dans le nord-ouest du Marais. 1 Pays riches d’Europe : Union Européenne à 15 membres ; Autres pays riches : Etats-Unis, Canada, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande, Israël ; Europe centrale et est : Europe hors de l’UE à 15 membre, Russie ; Moyen Orient + Asie or/oc : Moyen-Orient (sans Israël), pays d’Asie orientale et d’Asie occidentale (sans Japon) ; Maghreb : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte. Il s’agit des personnes de référence des ménages, et non de la population totale. 100 Photo 9. Rue des Rosiers : un symbole et un lieu menacés ? Ce changement dans la composition des nationalités étrangères s’accompagne d’un changement dans la structure socioprofessionnelle des étrangers. Entre 1982 et 1990 par exemple, les effectifs des cadres et professions intellectuelles supérieures de nationalité étrangère ont augmenté de 104 %, alors que ceux de leurs homologues français ont augmenté de 43 %. La gentrification concerne également les étrangers, et le processus de renouvellement de population est encore plus accentué chez les étrangers que chez Français. Tabl. 19. Evolution de la structure socioprofessionnelle des PR françaises et des PR étrangères entre 1982 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) pic cpis proi emp ouv retr inac total 1982 1990 1999 Français Etrangers Français Etrangers Français Etrangers 6,6 8,3 6,9 8,2 6,0 7,0 19,9 10,0 30,3 16,8 33,5 20,6 13,0 7,3 14,8 8,4 14,9 11,5 13,3 13,8 11,2 12,9 11,4 17,3 9,9 27,9 5,0 22,2 3,1 16,9 24,5 20,9 22,4 18,3 19,7 8,6 9,9 11,8 9,5 13,2 11,4 18,1 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Sources : fichiers-détails 1982, 1990, 1999, INSEE 101 Taux d’acquéreurs de logements de nationalité étrangère, en 2001. Carte extraite du site internet de la Chambre des Notaires de Paris La gentrification ne fait pas seulement disparaître les étrangers populaires comme on aurait pu s’y attendre. Avec l’intensification des échanges entre pays développés et l’accélération de la mondialisation dans les années 90, les étrangers des pays développés acquièrent un rôle majeur dans la gentrification du Marais, comme dans le reste du centre de Paris. Pour preuve, en 2001, plus de 10 % des acquéreurs de logements dans le Marais étaient de nationalité étrangère. Américains ou Italiens fortunés s’arrachent des appartements de caractère, qui servent souvent de simples « pied à terre », mais qui suffisent à faire flamber les prix immobiliers. Après avoir repoussé les étrangers les plus pauvres, les quartiers gentrifiés attirent les plus riches. La distribution des étrangers dans l’espace du Marais et son évolution On peut étudier plus en détail, à l’échelle du Marais, l’évolution des effectifs de la population étrangère. En 1954, le seul secteur qui compte relativement beaucoup d’étrangers est celui de la rue des Rosiers, où sont installés depuis un certain temps déjà des populations de nationalité d’Europe centrale ou orientale, de religion juive. Les années des Trente Glorieuses sont caractérisées par une arrivée massive de populations étrangères, notamment en provenance du Maghreb. Ces étrangers emménagent aussi dans le Marais. De nouveaux secteurs apparaissent en plus d’un renforcement du secteur de la rue des Rosiers : il s’agit du quartier de la rue au Maire, de la rue des Gravilliers, du nord des Arts et Métiers, des îlots aux alentours du futur centre Georges Pompidou, situés entre le boulevard Sébastopol et la rue Beaubourg, mais aussi des îlots proches de la rue de Bretagne. 102 A l’évidence, la montée de la présence étrangère dans ces secteurs, épargne assez distinctement le centre du Marais, le sud de la rue de Rivoli – Saint-Antoine, et l’ensemble du quartier Arsenal, où la hausse de la part des étrangers y est bien moins forte que dans les secteurs du nord et de l’est du Marais. L’arrivée de populations étrangères dans les années 60, alors que la gentrification commence, a provoqué un clivage spatial au sein du Marais, entre quartiers plus populaires et quartiers plus bourgeois, clivage qui n’apparaissait pas sur la carte de 1954, et très légèrement sur celle de 1962. La gentrification du centre-est et sud du Marais qui commence alors a limité l’arrivée de ces étrangers. Entre 1975 et 1982 le clivage semble s’accentuer davantage (le coefficient de variation passant de 63 à 89). C’est un large quartier Arts-et-Métiers qui compte près de 25 % d’étrangers, alors que le reste du Marais est plus proche de 15 %. La démarcation spatiale est très tranchée entre ces deux Marais. L’arrivée de ces étrangers dans le nord et l’extrême ouest du Marais en a sans aucun doute retardé la gentrification : elle a ralenti le processus que le centre ouest et sud du Marais rencontrait déjà avec plus de vigueur. Le Marais restait dans les années 60 un quartier bien desservi par les transports en commun (sur ses marges), et pour les étrangers modestes s’installer dans le Marais permettait de se loger à bas prix, et à proximité des emplois de service ou d’ouvriers peu qualifié. Entre 1982 et 1999 la tendance est à l’homogénéisation de la présence étrangère. C’est le nord du Marais qui accuse les plus importantes baisses de populations étrangères. La part des étrangers diminue de près de 5 points entre 1982 et 1999 dans de nombreux iris de ce secteur. Le rythme semble même s’accélérer aujourd’hui, preuve que la gentrification atteint désormais ces quartiers. Le reste du Marais voit cette part se stabiliser, ou baisser très légèrement (de 1 point environ entre 1982 et 1999). Le clivage spatial tend donc à se réduire depuis les années 80, c’est-à-dire depuis que la gentrification concerne le Marais en entier. 104 106 B. Les logements du Marais et leur évolution globale Commençons par caractériser les logements du Marais en comparaison avec ceux de Paris, en 1999. Pour ce faire, nous analyserons les quatre cartes de la page suivante, qui résument les caractéristiques des logements, par iris, en 1999, à Paris. Ces caractéristiques principales sont l’ancienneté (époque d’achèvement des logements), le type (résidences principales, résidences secondaires ou logements occasionnels, logements vacants), le statut d’occupation des résidences principales (propriété, location vide non HLM, location vide HLM, location de meublé, logement gratuit ou prêté), et la taille des résidences principales (nombre de pièces). Chacune de ces quatre cartes est le résultat de classifications ascendantes hiérarchiques, prenant en compte toutes les modalités de ces caractéristiques. Nous avons souhaité ajouter deux cartes sur le confort et les locations de meublés. Des tableaux ou graphiques d’évolutions complètent ces données pour inscrire dans le temps cette comparaison Marais – Paris. Cette dernière nous permet de poser les questions qui lient la gentrification et le parc de logement et auxquelles nous tenterons de répondre par la suite. a) L’ancienneté des logements et leur confort Le Marais : un des parcs de logements les plus anciens de Paris Les logements des quartiers centraux se distinguent clairement de ceux du reste de Paris. L’ancienneté est la différence la plus flagrante et constitue le clivage principal. Les 3e et 4e arrondissements comptent 86 % de logements construits avant 1915, contre 47 % pour l’ensemble de Paris. Ceci n’exclut pas pour autant que le centre, notamment dans des secteurs localisés, ait fait l’objet de rénovations, et donc de constructions de logements plus récents, construits depuis la seconde guerre mondiale. Il se trouve que le Marais détient des exemples de ce type d’espaces très localisés, nous le verrons par la suite. Les quartiers du centre qui se gentrifient ont très souvent (pour ne pas dire à chaque fois) connu des opérations de rénovations, quelles soient ponctuelles ou de grande envergure. 107 Cette ancienneté du parc de logement du Marais est fondamentale à prendre en compte dans le processus de gentrification. Les gentrifieurs se sont souvent installés dans des logements anciens à forte valeur architecturale, et ce, malgré l’état préalable de ces logements. Ces logements, ou plus généralement, ces immeubles anciens demandent une attention particulière en matière d’entretien, et lorsque des populations ouvrières y habitent, ce dernier est souvent négligé, par manque d’argent, ou par manque d’intérêt des propriétaires. Il faut donc souvent attendre que l’Etat intervienne (en imposant des mises aux normes obligatoires) ou que l’immeuble change de main. D’autant plus que le centre de Paris, et le Marais en particulier, comptait jusque récemment de très nombreux immeubles de rapport (un seul propriétaire par immeuble). La gentrification consiste souvent à l’amélioration du confort, réalisée par de nouveaux habitants ou par des promoteurs immobiliers, directement à destination de ces nouveaux habitants. Sont-ce les logements anciens (ceux d’avant la Révolution), les logements plus récents (ceux du XIXe et début XXe), ou les logements très récents (ceux d’après la seconde guerre mondiale) qui ont attiré les gentrifieurs ? Dans quel âge de parc de logements la gentrification s’est-elle le mieux diffusée, ou bien cette ancienneté n’a-t-elle pas d’influence sur la gentrification ? Tabl. 20. Evolution relative du nombre de résidences principales construites avant 1915 dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris parts des RP avt 1915 Marais évol. relatives des RP avt 1915 Paris Marais Paris 1962 96,3 76,5 1962-1968 -9,7 -11,8 1968 95,1 70,5 1968-1975 -21,9 -19,5 1975 90,2 58,4 1975-1982 -16,4 -16,5 1982 83,6 49,3 1982-1990 +3,1 +1,1 1990 87,0 49,9 1990-1999 -1,1 -5,5 1999 85,8 46,5 1962-1999 -39,9 -43,3 Sources : APUR, 1994, données RGP 1962 à 1999, INSEE Ce tableau nous apporte de nouveaux éléments dans l’interprétation de la baisse des résidences principales. La très large majorité des résidences principales du Marais date d’avant 1915, mais la part de ces logements a diminué depuis l’après guerre. La rénovation des logements (construction de nouveaux pour remplacer des anciens), et la réorganisation interne aux immeubles en regroupant des petits logements expliquent cette baisse. La baisse des résidences principales dans le Marais est donc essentiellement due à la réorganisation du 110 parc ancien, puisque les nouvelles constructions de logements ne permettent pas de compenser cette dernière. D’autre part, on constate que la baisse des résidences principales construites avant 1915 est encore plus forte à Paris que dans le Marais, illustrant le fait que les nouvelles constructions de l’après guerre ont mieux compensé cette baisse (même si cette compensation ne permet pas l’augmentation des résidences principales). Les mouvements de rénovations ont été souvent bien plus nombreux et importants dans d’autres quartiers de Paris que dans le Marais, notamment dans les arrondissements aux fortes proportions d’HLM (13e, 19e, 20e). Cependant, il est important de voir que la part des résidences principales d’avant 1915 baissent jusqu’en 1982. En effet, entre 1982 et 1990 se produit un retournement de tendance : ces résidences principales augmentent de 3,1 %, et ce au profit des grandes superficies. Le mouvement se retrouve du reste à Paris, mais avec une moindre ampleur. Ce phénomène témoigne de la montée de la copropriété dans le Marais dont nous serons amenés à reparler. Un parc ancien qui rattrape son retard en matière d’inconfort Le confort des logements est à rapprocher de leur ancienneté. La carte montre que les quartiers anciens sont plus concernés par l’inconfort des logements. Cet inconfort est maximum lorsque le quartier est à la fois ancien et populaire (18e-est, Belleville, alentours du métro Strasbourg-Saint-Denis et Château d’Eau, par exemple). Les beaux quartiers anciens ne sont pas épargnés par l’inconfort. Le Marais compte encore en 1999 un certain inconfort dans ces logements, malgré un rattrapage spectaculaire, nous le verrons. 6,5 % de ces résidences principales ne sont pas équipées en baignoire ou douche, contre 5,5 % à Paris. Ces chiffres témoignent d’un maintien relatif de logements inconfortables dans le Marais. La gentrification ne semble pas avoir réglé tous ces problèmes de sous-équipement et nous expliquerons pourquoi. L’évolution du confort dans le Marais est assez proche de celle de Paris, si ce n’est que le rythme d’amélioration y est un peu plus rapide, le Marais rattrapant son retard. Il semble apparaître deux étapes dans cette amélioration, la première consiste en une augmentation des résidences principales équipées en baignoire ou douche, la seconde en une baisse des résidences principales non équipées. 111 Tabl. 21. Evolution des résidences principales équipées de baignoire ou douche dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris 1954 1962 1968 1975 1982 1990 1999 part RP sans M 89,8 82,7 72,2 48,2 29,8 15,4 6,4 baign./douche P 80,6 69,0 57,0 36,2 22,5 12,6 5,5 54-62 62-68 68-75 75-82 82-90 90-99 62-99 périodes évol. relative M -10,6 -20,0 -45,1 -44,3 -48,6 -58,2 -95,3 RP sans b./d. P -14,0 -21,0 -38,2 -38,6 -43,9 -55,5 -93,6 évol. relative M +64,1 +46,9 +53,5 +22,4 +19,3 +10,9 +498,7 RP avec b./d. P +60,9 +32,9 +44,2 +20,3 +12,4 +9,7 +357,4 Sources : APUR, 1994, données RGP 1954 à 1999, INSEE Mais il ne faut pas s’y tromper, il ne s’agit que d’un effet de taille. Les baisses et les hausses étant plus fortes sur des effectifs plus petits, en l’occurrence les résidences principales équipées dans les années 50-60, et celles non équipées dans les années 80-90. La différence qui peut apparaître entre le rythme de baisse et le rythme de hausse, de 1962 à 1999, est donc biaisée par cet effet de taille. L’important est ici de voir que les évolutions du Marais sont toujours plus fortes que celles de Paris, même si ces évolutions dépendent aussi des effectifs sur lesquels elles portent. D’autre part, la gentrification n’a pas résorbé tous les problèmes d’inconfort du Marais, elle en a simplement rattrapé le retard par rapport à Paris. Le parc de logement étant plus ancien que dans le reste de la capitale, il est donc de toute façon plus enclin à un certain inconfort. L’écart de un point qui subsiste entre le Marais et Paris s’explique donc surtout par l’âge du parc de logements ; mais cet écart d’inconfort est minime compte tenu de l’écart d’ancienneté du parc (cf. tabl. 20 et 21), ce qui montre bien que le Marais, en tant que quartier ancien, a des logements plutôt bien équipés. On peut replacer cette progression du confort dans le cadre de l’agglomération parisienne. André Massot (1990) affirme que les années 70-80 marquent un retournement majeur dans la géographie du marché de l’immobilier francilien. Au cours de ces décennies les logements parisiens deviennent plus chers que ceux de banlieue (au mètre carré comme au total). L’ancien du centre rattrape donc le neuf périphérique. C’est que le confort s’est amélioré dans ces logements anciens. « Les catégories sociales qui devaient choisir entre Paris avec l’inconfort et la banlieue avec le confort peuvent maintenant prétendre à Paris avec le confort » (Massot, 1990). 112 Photo 10. Rue Volta, nord du 3e arrondissement. Logements encore insalubres et logements vacants sont liés Le graphique ci-dessous le confirme. L’amélioration du confort s’est avant tout faite dans les résidences principales les plus anciennement construites, avant 1915, rattrapant même le niveau de confort des résidences principales construites entre 1915 et 1948. Et c’est d’ailleurs sur ce point que le Marais se distingue clairement de Paris (cf. tableau suivant) : les résidences principales d’avant 1915 du Marais sont mieux équipées que celles de la même période à Paris. Quant à celles construites entre 1915 et 1948 leur niveau d’inconfort est plus fort dans le Marais qu’à Paris. Graph. 12. Evolution de la part des résidences principales sans douche ni baignoire, selon leur époque d’achèvement, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 55 50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 avant 1915 1915-1948 1949-1967 1968-1974 1975-1981 1982-1989 1990-1999 1975 1982 1990 1999 Sources : fichiers-détails 1975, 1982, 1990 ; fichier-analyse à l’iris, 1999 (princ1) INSEE 113 Tabl. 22. Part en 1999 des résidences principales sans douche ni baignoire selon leur époque d’achèvement, dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris avant 1915- 1949- 1915 1948 1999 part RP sans M 6,9 10,9 0,4 baign./douche P 8,1 7,9 0,9 Sources : fichier-analyse à l’iris, 1999 (princ1) INSEE C’est dire si la gentrification s’est diffusée en premier lieu dans les logements les plus anciens, alors que les logements de l’entre-deux-guerres ont sans doute été en partie un réceptacle de populations plus démunies, ralentissant ainsi l’amélioration du confort de ces logements. Et ce d’autant plus que les logements de cette période se rencontrent plutôt au nord du Marais (au nord du 3e arrondissement), dans les secteurs qui restent les plus populaires. On peut être surpris de voir (tabl. 23) que le nombre de logements construits de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe augmentent, à l’inverse des logements d’avant 1871 qui diminuent fortement, entre 1975 et 1982. Ceci est une preuve que les réhabilitations, et en particulier le processus de fusion de petits logements, s’est fait dans le parc le plus ancien, qui était aussi le parc le plus dégradé. Notons qu’il peut y avoir aussi des erreurs d’appréciation de l’âge du parc par les agents recenseurs. Le parc d’avant 1871 était constitué à 36 % de studios au recensement de 1975, alors que celui construit de 1871 à 1915 était composé à 28 % de studios au même recensement1. En 1982, ce sont les très grands logements de 18711915 qui ont le plus baissé (sans doute une reconversion de bureaux qui ont déménagé en plusieurs appartements), tandis que pour le parc d’avant 1871 ce sont les plus petits logements qui ont baissé, au profit des deux pièces (et secondairement des trois pièces). Les résidences principales datant de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe (1871-1914) n’avaient pas un confort exceptionnel. Ce type de produit se trouvant au nord et sur les marges du Marais, a vu son confort s’améliorer plus lentement que les autres. En 1954, les secteurs où les logements sont les mieux équipés de baignoire ou de douche (carte en haut à gauche p.117) sont ceux où les proportions d’immeubles de 1800-19142 sont les plus importantes (carte en bas à gauche, p.120). Il est cependant intéressant de constater qu’en 1 Dans les fichiers-détails de 1975 et 1982, l’époque d’achèvement des logements distingue pour les plus anciens, ceux construits avant 1871 et ceux construits entre 1871 et 1914. Malheureusement, dès le recensement de 1990, les données ne sont disponibles que pour l’ensemble des logements construits avant 1915. 2 A l’aide du travail de terrain réalisé par F. Loyer dans les années 70, nous avons pu calculer une proportion approximative d’immeubles datant de 1800-1850 et de 1850-1914, permettant de cartographier la localisation des immeubles datant du XIXe siècle. 114 1975 les résidences principales datant de 1915-1948 ont un meilleur confort que celles de 1871-1914. Mais le plus surprenant est que ces logements post-haussmanniens (1871-1914) vont rattraper ceux de l’entre-deux-guerres. On constate même que les résidences principales datant d’avant 1871 rattrapent considérablement leur retard sur celles de l’entre-deux-guerres, pour les devancer par la suite (le tableau 23 en témoigne) ; et rattrapent aussi leur retard sur celles de 1871-1914. Autrement dit, jusqu’en 1982, si l’on excepte les logements récents construits depuis 1949, ce sont les résidences principales de 1915-1948 qui ont le meilleur confort. Puis, dans les années 80, ce sont les résidences principales de l’époque posthaussmannienne, et enfin, on imagine (si l’on suppose que l’amélioration des logements d’avant 1871 s’est poursuivie dans les années 80-90 au même rythme) que c’est au tour des logements les plus anciens, ceux d’avant 1871, d’être les plus confortables du Marais. La gentrification a bouleversé la hiérarchie du confort habituelle (les logements les plus récents sont logiquement les plus confortables) en se concentrant sur les logements plus anciens (à valeur patrimoniale). Les rythmes de baisse des résidences principales sans baignoire ni douche sont d’autant plus rapides que le parc est ancien (et il ne peut y avoir un effet de taille, puisque la plus forte baisse porte sur les effectifs les plus grands), et ils sont aussi d’autant plus rapides que le parc est inconfortable. L’âge du parc de logement et l’évolution de son confort semblent témoigner d’une diffusion de la gentrification à travers des types de logements différents, selon leur ancienneté, leurs normes de confort initiales et leur intérêt architectural. Plus les logements étaient inconfortables et anciens, plus ils ont été réhabilités. Tabl. 23. Evolution entre 1975 et 1982 des résidences principales les plus anciennes sans baignoire ni douche, dans le Marais (quartiers 9 à 15) époque d’achèvt RP : avant 1871 1871-1915 1975 1982 nombre total RP 26 760 18 908 8 500 10 572 2 405 2 876 nombre RP sans b./d. 13 920 6 212 3 760 3 096 940 920 part RP sans b./d. 52,0 % 32,9 % 44,2 % 29,3 % 39,1 % 32,0 % évol. relative 75-82 nb. total RP évol. relative 75-82 nb. RP sans b./d. 1975 1982 1915-1948 1975 1982 -29,3 % +24,4 % +19,6 % -55,4 % -17,4 % -2,1 % Sources : fichiers-détails 1975, 1982 115 Le recul du parc inconfortable peut se faire selon trois méthodes : par construction de nouveaux logements confortables, par mises aux normes des logements inconfortables ou par disparition des logements inconfortables. Ces trois méthodes relèvent d’acteurs souvent différents, et l’on peut dire que la troisième amène quasiment tout le temps à la première (rénovation) ou à la seconde (réhabilitation). La montée de la propriété occupante dans le Marais joue aussi un rôle dans l’amélioration de ce parc ancien du fait des «caractéristiques contrastées des logements que les particuliers occupent eux-mêmes et de ceux qu’ils font occuper par d’autres (locataires ou hébergés gratuitement). »1 1 André MASSOT, 1991, « De plus en plus de Parisiens propriétaires de leur logement », Economie et statistique, fév. 1991, n°240 116 La localisation des immeubles construits au XIXe siècle et au début du XXe Cette localisation est très marquée. Nous avons établi trois cartes à l’îlot, résumant le travail de repérage et de cartographie à l’adresse réalisé dans la fin des années 70 par l’APUR pour l’ensemble du territoire parisien. Logiquement, ce sont les marges du Marais qui sont le plus concernées par ce type de constructions : - au nord-ouest, à partir de la percée haussmannienne que représente la rue de Turbigo ; Photo 11. Rue de Turbigo. Immeubles haussmanniens - au nord-est, à partir de la rue de Bretagne, sur les îlots bordant à l’est, le long des boulevards du Temple, des Filles du Calvaire, et Beaumarchais, jusqu’à la place de la Bastille. On peut ajouter certains îlots (souvent les mêmes) bordant la rue de Turenne ; - tout le secteur au sud-est de la rue du petit Musc, en particulier aux alentours du boulevard Henry IV ; - les îlots de part et d’autre de la rue de Rivoli et tout le quartier de l’Hôtel de Ville ; - les îlots bordant la partie sud de la rue des Archives et de la rue du Temple ; - les îlots bordant toute la rue des Rosiers ; - les îlots compris entre le boulevard de Sébastopol et la rue Saint-Martin. 118 Photo 12. Boulevard de Sébastopol. Exemple de percée haussmannienne Le cœur du Marais reste relativement épargné par ces constructions. Seulement relativement, car peu d’îlots comptent moins de 20 % d’immeubles du XIXe – début XXe. Il est aussi intéressant de remarquer que la limite nord du PSMV est à peu près celle séparant le 3e bâti au XIXe du 3e plus ancien. Il est donc faux de voir les 3e et 4e arrondissements comme une île épargnée part les travaux du XIXe siècle. On peut évaluer à environ 55 % de l’ensemble des logements du Marais ceux qui ont été construits entre 1800 et 1914, dont les deux-tiers datent de 1850-1914. Si l’on y ajoute environ 15 % de logements construits depuis 1915, il ne reste "plus" que 30 % de logements datant d’avant 1800, c’est-à-dire une minorité des logements des quartiers 9 à 15, mais qui sont concentrés en large majorité au sein du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur. Nous devons donc prendre en compte cette présence des logements du XIXe-début XXe dans l’étude du processus de gentrification, même si ce parc est aux portes du Marais historique. 119 La localisation des constructions du XXe siècle Le quartier n’est pas non plus épargné par les constructions du XXe siècle, même si la carte de Paris à l’iris le montre à peine. Les logements dans des immeubles construits entre 1915 et 1948 sont peu nombreux puisqu’ils représentent 4 % de l’ensemble des logements des quartiers 9 à 15. Mais ces logements sont concentrés spatialement au nord et à l’est, où ils peuvent représenter plus de 10 % des logements. Ce parc de l’entre-deux-guerres se situe donc principalement là (en tout cas pour le nord du Marais) où le confort est plus rudimentaire, et où (nous le verrons) les logements vacants sont nombreux. C’est que ce parc est encore en partie soumis à la loi de 1948, et l’amélioration du confort n’a pas pu s’y faire aussi facilement que dans le parc le plus ancien (personnes âgées arrivées plus récemment et bien défendues par lois sur les droits des locataires). D’autant plus que ce parc, au nord du Marais, a peu fait l’objet de conversion en logements sociaux. Après la seconde guerre mondiale les efforts de rénovation, parfois non sans dégâts pour le patrimoine des XVIIe-XVIIIe siècles, ont le plus souvent été menés par l’Etat pour résorber l’insalubrité de certains secteurs en rasant, puis en reconstruisant des immeubles. La carte cidessous montre que les logements construits depuis 1949 sont assez peu nombreux (plus de 9 % des logements quand même), et essentiellement concentrés dans certains secteurs. Le sud de la rue de Rivoli et le nord du centre Georges Pompidou ont chacun plus de 600 logements construits entre 1949 et 1999. Ce sont pour une grande part des logements HLM. Il est aussi intéressant de constater que le centre-nord du Marais, celui qui a été épargné au XIXe et au début du XXe, a fait l’objet de nombreuses rénovations après la seconde guerre mondiale, puisqu’il compte plus de 800 logements construits depuis 1949 (cf. cartes suivante). Et ces 800 logements sont assez rarement des locations HLM. La création de nouveaux logements confortables, non destinées à des populations populaires, dans le centre-nord du Marais a sans doute favorisé la gentrification. A l’inverse, sur les marges nord et ouest du Marais, les quelques 900 logements construits entre 1949 et 1999 sont en majorité destinés à la location HLM. Ce type de produit a sans doute freiné la gentrification dans ces secteurs, qui, de plus, sont situés en dehors du PSMV. 121 Photo 13. La résidence de la Perle. Secteur opérationnel de la SOREMA. Exemple de gentrification par construction de logements récents, à deux pas de l’Hôtel Salé (musée Picasso). Pour autant, les constructions réalisées depuis 1949 constituent incontestablement les logements les plus confortables. Si bien qu’en 1999, la carte des parts des résidences principales sans baignoire ni douche (en haut à droite p.117) montre que c’est avant tout dans les secteurs où ces logements sont plus nombreux (cf. carte p.122) – où ils représentent au moins 5 % des résidences principales – que le niveau de confort est le plus élevé. Notons que ces 5 % ne peuvent suffire à rendre l’ensemble des logements d’un secteur plus confortables. Il paraît donc évident que la rénovation du centre du Marais (et de quelques autres secteurs plus localisés), associée constamment à la réhabilitation des logements anciens (avec leur mise au norme de confort) a permis la gentrification. C’est sans doute la rénovation de quelques immeubles qui a entraîné avec elle des milliers de réhabilitations (par mécanisme de diffusion de prise de valeur immobilière des logements entre autres), auxquels les gentrifieurs ont participé afin de mettre aux normes leur nouveau logement. A ce titre, les deux types de modifications de l’habitat sont plus complémentaires qu’opposées. En conclusion, l’ancienneté des logements est à nuancer. Si le Marais, en son cœur (le PSMV) compte effectivement une proportion parmi les plus importantes à Paris de logements très anciens (antérieurs à 1800), il est loin d’avoir été épargné par les constructions de l’après seconde guerre mondiale, et ses marges ont vu d’importantes constructions aux XIXe et au début du XXe. Du fait de leurs localisations, de leurs caractéristiques et leurs usages différents, il n’est pas exclu que ces logements aient attiré de manière variable des 123 gentrifieurs, et il conviendra de prendre en compte cette hétérogénéité de l’âge du parc de logement dans l’analyse détaillée des catégories socioprofessionnelles. 124 b) La taille des logements La taille des logements place le Marais plutôt du côté de l’Est parisien. Il n’y a pas, comme on le dit souvent, une opposition centre-périphérie (du moins à Paris intra-muros) en matière de taille de logement. Certains quartiers du centre parisien ont de très grands logements, les alentours du jardin du Luxembourg par exemple. Le Marais comporte de petits logements, et l’on peut même ajouter qu’il est le quartier, encore en 1999, qui compte les logements les plus petits de Paris. Dans ces conditions, la gentrification a modifié l’occupation de ces petits logements. En jouant sur la taille des logements autant que ce soit possible (compte tenu des architectures, des statuts d’occupations des logements d’un même immeuble, etc.), c’est-àdire en cassant les murs entre petits appartements. Mais aussi en jouant l’effet de sélection qui exclut les populations auxquelles ces petits logements ne conviennent pas, les familles notamment. C’est pourquoi la taille des ménages, ainsi que la population ont fortement diminué dans le Marais depuis les années 50, nous l’avons vu. Il sera par la suite intéressant de savoir si la taille des logements a eu impact sur la diffusion de la gentrification. Les petits logements sont-ils un frein à l’arrivée de nouvelles populations, aux exigences de conforts élevées ? Ou au contraire est-ce que les petits logements, par leur faible coût à l’achat, ont constitué des cibles privilégiées pour des nouveaux habitants qui souhaitent habiter le centre à tout prix et pour qui le studio (voire le deux-pièces) est satisfaisant ? Vers des logements plus grands ? La taille des logements a considérablement changé dans le Marais, encore davantage qu’à Paris. Celle du Marais a toujours été caractérisée par de petites surfaces, et cette caractéristique se maintient aujourd’hui malgré quelques changements. L’évolution des parts des résidences principales selon le nombre de pièces est parallèle pour le Marais et pour Paris. La part des studios restent légèrement supérieure dans le Marais, celle des deux pièces proche de la moyenne parisienne, et celle des trois pièces et plus légèrement inférieurs dans le Marais. Le plus important à constater est que le nombre de résidences principales d’une seule pièce a été rattrapé par celui des deux pièces. L’évolution des effectifs nous apporte plus de précision. Le nombre de studios a davantage baissé dans le Marais qu’il ne l’a fait à Paris, en particulier durant les années 70. Les évolutions tendent dès les années 80 à converger. La 125 baisse du nombre des deux pièces a aussi été plus rapide dans le Marais qu’à Paris, encore une fois surtout pendant les années 70, alors que les évolutions convergent par la suite. Les deux pièces semblent cependant mieux résister que les studios, sans doute parce que le regroupement de studios a permis la création de deux pièces. Tabl. 24. Evolution de la taille des résidences principales, dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris 1962 1968 1975 1982 1990 1999 part des RP M 41,0 39,1 34,0 31,7 30,0 29,5 studios P 34,2 31,8 28,7 26,4 24,6 23,9 part des RP M 32,5 32,4 32,3 33,1 31,9 31,6 2 pièces P 33,9 33,5 33,3 33,0 32,9 32,2 part des RP M 16,7 17,6 19,8 20,3 21,1 20,7 3 pièces P 18,5 19,8 21,5 22,6 23,3 23,1 part des RP M 5,9 6,5 8,2 8,9 10,3 10,4 4 pièces P 6,9 7,7 9,2 10,4 11,5 12,3 part des RP M 4,0 4,4 5,7 5,9 6,6 7,8 5 pièces et + P 6,5 7,2 7,4 7,6 7,7 8,5 périodes 62-68 68-75 75-82 82-90 90-99 62-99 évol. relative M -12,7 -28,5 -15,7 -6,3 -1,6 -51,4 RP studios P -10,9 -12,3 -8,8 -6,9 -1,6 -34,8 évol. relative M -8,8 -17,8 -7,6 -4,6 -0,6 -34,3 RP 2 pièces P -5,4 -3,3 -2,0 -0,6 -0,6 -11,4 évol. relative M -3,6 -7,4 -7,5 +3,3 -2,2 -16,6 RP 3 pièces P +2,3 +5,5 +4,3 +2,7 +0,8 +16,5 évol. relative M +1,9 +3,7 -2,2 +14,7 +0,9 +19,5 RP 4 pièces P +6,6 +15,4 +12,1 +11,1 +8,4 +66,1 évol. relative M +2,8 +5,3 -5,6 +10,4 +18,5 +33,7 RP 5 pièces + P +5,3 +0,5 +1,5 +0,5 +11,9 +20,8 évol. relative M -8,5 -17,7 -9,8 -0,9 +0,2 -32,5 totale RP P -4,3 -2,7 -1,1 -0,2 +1,4 -6,8 Sources : APUR, 1994 ; données RGP 1962 à 1999, INSEE. Le cas des trois pièces, appartements typiquement familiaux, est le plus intéressant. Les résidences principales de cette taille ont baissé (en effectifs) dans le Marais fortement durant les années 70, alors que précisément durant la même période, la hausse est la plus forte pour le reste de Paris. On ne peut s’empêcher à ce stade d’établir une corrélation entre ces deux 126 évolutions contraires. Cette évolution semble aller de pair avec le déplacement des familles du centre vers la périphérie de Paris. Ce phénomène semble s’essouffler depuis les années 90 sans doute parce que les familles avec enfant(s) sont très largement minoritaires dans le Marais, encore plus qu’auparavant. Il faut dire aussi que les trois pièces deviennent parfois des quatre pièces ou plus par adjonction de chambres de bonne ou par fusion d’appartements. Les quatre pièces et plus ont des évolutions plus aléatoires, tant pour le Marais que pour Paris, ces grands logements augmentent cependant assez sensiblement dans le Marais depuis les années 60. Taille des logements et ancienneté du parc. Evolution et localisation. L’évolution de la taille des logements est cependant différenciée selon l’ancienneté du parc. En 1975 c’était le parc le plus ancien et le parc le plus récent qui comportaient le plus de studios (largement plus du tiers des résidences principales), alors que les logements de l’entredeux-guerres se caractérisaient par 39 % de deux pièces mais assez peu de trois pièces. Le parc ancien était le plus dégradé et le plus densément peuplé, tandis que les nouvelles constructions favorisaient clairement les studios parce que plus rentables pour les sociétés immobilières ou les propriétaires bailleurs qui attendaient souvent rapidement les retombées de leurs opérations. En 1999 la situation est tout autre. Ce sont les logements de 1915-1948 qui comptent les parts les plus importantes de studios et de deux pièces, alors que les résidences principales d’avant 1915 sont devenus le parc qui compte le moins de studios (29 % du parc) et où les deux-pièces sont plus nombreux que les studios (depuis 1982, un tiers du parc). Si entre 1975 et 1999 ce sont les grands logements qui ont augmenté (les cinq pièces et plus ont augmenté de près de 30 %), les deux pièces n’ont baissé que de 13 % comparés à la chute de 28 % des studios, toujours dans ce parc ancien. Le processus de réhabilitation des logements anciens œuvre donc principalement, avec l’amélioration du confort, à agrandir les résidences principales ; processus que connaissent rarement les logements récents. La localisation des tailles de logements dans le Marais est sans ambiguïté. En 1999, selon la carte p.117 c’est dans le centre-est et à certaines périphéries des 3e et 4e arrondissements qu’on trouve les logements les plus grands, même si dans ces cas les résidences principales de moins de trois pièces restent majoritaires. Les secteurs où les logements sont les plus petits, là où les moins de trois pièces représentent les deux-tiers du parc, se trouvent dans un large centre-nord (nord de la rue du Temple), entre le boulevard Sébastopol et la rue du Renard, et 127 dans l’ensemble du quartier Saint-Gervais. Une corrélation entre la proportion d’immeubles datant de 1850-1914 et la taille moyenne des logements de 1954 (par îlot) montre que avant la gentrification (dans les années 50), les grands logements se trouvent très souvent dans les mêmes îlots que le parc construit entre 1850 et 1914. Le coefficient de corrélation entre la proportion approximative d’immeubles de 1850-1914 et la taille moyenne des logements en 1954 est de +0,6 (soit r²=0,4). Par contre, si l’on regarde les iris qui ont vu la plus forte hausse de la taille moyenne de leurs logements entre 1954 et 1999, ils se situent plutôt au centre du Marais, ou en tout cas dans des secteurs peu haussmannisés. Ceci témoigne du fait que le potentiel de réhabilitation est le plus important dans les secteurs peu construits entre 1850 et 1914, mais aussi que dans de nombreux cas les constructions de logements entre 1949 et 1999 dans le centre-est du Marais ont malgré tout permis une amélioration de la taille des logements, ne serait-ce que parce que les petits logements y ont été supprimés, autant par rénovation que réhabilitation. Tabl. 25. Légende des CAH sur les types et les statuts d’occupation des logements du Marais type P1 nb. d'iris résidences principales résidences secondaires logements vacants Total nb. d’iris propriété location non HLM location HLM location meublée logement gratuit Total 128 4 86,4 5,3 8,3 100,0 type P2 8 79.3 7,1 13,6 100,0 type V 9 74,2 6,1 19,7 100,0 type S2 type S1 5 74,1 11,0 14,8 100,0 6 78,7 12,1 9,2 100,0 type PRO type LOC2 type LOC1 type HLM 11 11 6 2 36,6 31,8 25,7 20,7 42,7 48,5 56,9 46,3 2,0 3,6 3,2 21,0 6,2 6,6 4,3 5,0 12,5 9,4 10,0 7,0 100,0 100,0 100,0 100,0 ensemble 32 30,6 46,7 5,0 6,1 11,7 100,0 ensemble 32 77,9 8,1 14,0 100,0 c) Les types de logements Les types de logements (résidences principales, logements vacants, résidences secondaires) opposent les quartiers aisés et les quartiers plus populaires de la capitale. Les résidences secondaires (et logements occasionnels) se rencontrent essentiellement dans le centre de Paris, rive droite comme rive gauche et dans les beaux quartiers de l’Ouest (16e-nord, 17e-sud, 8esud, 7e). Les logements vacants sont eux concentrés dans le centre de Paris, épargnant en grande partie les beaux quartiers. La rive droite est encore plus concernée que la rive gauche, et on trouve ces logements vacants jusqu’à la gare du Nord. Les secteurs de résidences principales quasi-exclusives se situent à l’extrême périphérie de Paris (du 17e, 18e, 19e, 20e, 12e, 13e, 14e, et 15e), en particulier dans les secteurs où se concentrent les logements HLM, et les anciens HBM entre les périphériques extérieur et intérieur (on peut du reste rapprocher ces secteurs de résidences principales avec ceux des statuts en locations HLM à partir des deux cartes du haut). Ces secteurs sont donc ceux où les résidences secondaires et logements vacants sont rares. Le Marais est par conséquent caractérisé par une proportion très importante de logements vacants. 15 % de l’ensemble des logements du Marais sont vacants, contre 10 % pour Paris. Ces logements correspondent à des logements sans occupant1. Le départ de population et des activités du centre de Paris, le passage du statut locatif à la propriété, mais surtout des vacances liées à l’obsolescence du parc expliquent ces taux de vacance élevés. Ceci se vérifie si l’on regarde la carte de localisation des logements vacants dans le Marais : ils sont concentrés essentiellement au nord de la ligne reliant le métro Rambuteau au métro Saint-Sébastien Froissart, où ils concernent près d’un logement sur cinq. C’est-à-dire là où les logements sont de petite taille, où les taux d’équipement sanitaire sont les plus bas, où la proportion de logements construits entre 1915 et 1948 est plus importante, et où la location à loyer libre représente la moitié du parc, avec tout de même un tiers de propriété occupante. Pour beaucoup d’analystes, le processus de réhabilitation s’est porté en grande partie sur ce stock de logements vacants. Or depuis les années 50 le nombre et a fortiori la part des logements vacants a explosé. Des logements se trouvent abandonnés, et leur état est bien souvent catastrophique. Il est probable que ce stock de logements vacants au nord du Marais 1 l’IAURIF distingue différents types de vacances : vacance de mise en service (logements neufs non encore occupés), vacance de rotation (en attente de réoccupation après le départ de l’ancien occupant), vacance technique (logements faisant l’objet de travaux), vacance de rétention (non mis sur le marché par la volonté de leur propriétaire), vacance d’inadaptation (ne trouve pas de demandeurs). Cf. « Paris, qui possède les logements ? », Cahiers de l’IAURIF, 1990, n°93. 130 constitue une réserve pour la gentrification à venir, mais ceci n’explique pas pourquoi ces logements sont de plus en plus nombreux. Il en va peut-être de choix de propriétaires, du passage de locations en propriétés, sans doute de la mise en évidence d’un parc obsolète abandonné par des populations pauvres (cf. photo 10), et sans doute aussi de l’ampleur croissante des travaux de réhabilitations qui nécessitent un temps de vacance. Il faut peut-être aussi y voir une stratégie de la part des propriétaires, de mettre en attente de location (ou de revente) leur bien. Mais au final la gentrification n’a donc pas favorisé la réhabilitation de tout le Marais, puisque de nombreux appartements semblent encore n’intéresser personne, au nord de la ligne évoquée plus haut. L’INSEE communique peu de données sur ces logements vacants, ne serait-ce que parce qu’ils sont souvent fermés lors du passage de l’agent recenseur. Tabl. 26. Evolution des types de logements entre 1954 dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris 1954 M part RP P part LV part RS/LO M P M P périodes 1962 1968 1975 1982 1990 1999 98,0 97,1 93,7 87,2 83,3 77,4 77,6 98,3 96,5 93,9 89,6 85,8 84,0 84,0 * 1,6 3,4 10,5 11,7 13,2 14,7 0,5 1,6 3,2 7,3 9,8 9,1 10,3 * 1,3 2,9 2,3 5,0 9,4 7,7 1,1 54-62 1,9 62-68 2,9 68-75 3,1 75-82 4,4 82-90 7,0 90-99 5,7 62-99 évolution M -3,0 -8,5 -17,7 -9,8 -0,9 +0,2 -32,5 relative RP P +0,5 -4,3 -2,7 -1,1 -0,2 +1,4 -6,8 évolution M * +104,4 +176,8 +4,9 +19,9 +11,7 +694,7 relative LV P +259,9 +96,1 +131,3 +38,3 -5,7 +15,4 +582,5 évol. relative M * +106,0 -29,4 +103,1 +101,7 -18,3 +387,1 RS/LO P +73,8 +53,8 +6,8 +49,3 +61,2 -17,4 +226,2 M -2,1 -5,2 -11,5 -5,6 +6,6 0,0 -15,6 P +2,4 -1,6 +1,9 +3,4 +2,0 +1,4 +7,1 évol. relative totale log ts Sources : APUR, 1994, données RGP 1954 à 1999, INSEE1 1 Abréviations : RP = résidences principales ; LV = logements vacants ; RS/LO = résidences secondaires / logements occasionnels. M = Marais. P = Paris. * = Pas de données disponibles. Les parts sont en % du nombre total de logements par année de recensement. Les évolutions relatives sont les % d’évolutions intercensitaires, ou sur la période 62-99. 131 Les résidences secondaires et les logements occasionnels sont quant à eux relativement nombreux dans le Marais. Ils se trouvent au centre et au sud, c'est-à-dire dans les secteurs où le patrimoine architectural est le plus important, mais aussi dans d’autres secteurs, comme le voisinage touristique du Centre Pompidou. Dans ces secteurs, en 1999, les logements occasionnels et les résidences secondaires représentent plus de 10 % du parc. L’évolution des types de logements suit à peu près les mêmes variations dans le Marais qu’à Paris, mais selon des amplitudes différentes. Le Marais n’a donc pas une évolution contraire ou déviante de celle du reste de la capitale, mais il s’individualise en accentuant ces évolutions. Pour résumer, si dans les années 50 le Marais et Paris avaient le même profil des types de logements, le Marais s’en est peu à peu démarqué. La baisse des résidences principales y a été plus rapide, de même pour la hausse des logements vacants et celle des résidences secondaires et logements occasionnels. Ceci témoigne du nouvel attrait touristique de Paris, et du Marais en particulier. D’autre part, depuis les années 90, on assiste à une stabilisation : les rythmes d’évolutions se ralentissent, à la fois pour le Marais et pour Paris, en particulier concernant les résidences principales. Ceci atteste de l’essoufflement de la phase principale de la gentrification. Mais ceci ne signifie pas pour autant que la gentrification s’arrête, il s’agit plutôt d’un certain équilibre qui semble s’installer depuis peu. On a souvent constaté que la gentrification se caractérisait par une réutilisation d’anciens locaux industriels, d’ateliers d’artisans ou d’anciens entrepôts (plutôt au rez-de-chaussée) pour en faire une fonction résidentielle. A l’évidence, à la lecture de ce tableau, ces locaux se seraient bien davantage reconvertis en logements vacants qu’en résidences principales. Dans tous les cas, l’explosion du nombre de ces logements vacants et de ces résidences secondaires ne permet pas de compenser la diminution du nombre de résidences principales, du moins jusqu’aux années 80. Cette diminution paraît de moindre ampleur, mais elle porte sur des valeurs bien plus élevées que pour les logements vacants ou les résidences secondaires. 132 d) Les statuts d’occupation des logements Le statut d’occupation des logements à Paris en 1999 oppose trois Paris. Celui des propriétaires dans les quartiers péri-centraux de l’Ouest et du Sud principalement (dans une moindre mesure du nord), celui des locataires non HLM dans un grand centre, davantage sur la rive droite, et celui des locataires en logement HLM dans une périphérie nord est et sud (notamment celles des 13e, 19e et 20e qui concentrent une très large majorité des logements HLM parisiens). Le Marais est dans une situation intermédiaire et comporte un peu tous ces statuts. Mais globalement, on peut dire que le Marais est un quartier de locataires à loyer libre, mais que les propriétaires occupants sont loin de déserter. En fait, le Marais est assez représentatif du statut d’occupation de l’ensemble des logements parisiens. On sait que les secteurs populaires sont davantage l’objet de mises en location par les propriétaires des logements, et que les secteurs plus bourgeois sont plutôt habités par des propriétaires occupants. On peut donc supposer que le Marais, passant de l’un à l’autre, a vu les statuts d’occupation de ses logements changer. Nous tenterons de vérifier cette hypothèse dans les pages suivantes. Une présence importante de locations de meublés La carte des locations de meublés nous apporte quelques éclaircissements. Les meublés sont très souvent des logements loués au mois par des populations qui n’ont pu entrer dans le secteur libre, soit faute d’argent, soit faute de fournir des papiers. Dans le centre de Paris et dans de nombreux quartiers traditionnellement populaires les meublés ont été le statut d’occupation privilégié des populations primo-arrivantes à Paris, souvent étrangères et aux revenus très bas. Il s’avère que les quartiers bourgeois comportent aussi de nombreux logements meublés destinés à la location. C’est que ce type de biens peut aussi satisfaire des étrangers travaillant à la fois à Paris et dans leur pays, étudiants étrangers, ou étrangers aux salaires élevés en provenance de pays riches, s’installant temporairement pour leur travail. Leur emploi est souvent celui de professions qui participent activement aux échanges commerciaux dans le cadre de la mondialisation, et il s’agit d’emplois dans des grandes entreprises multinationales. La location de meublé est donc caractéristique d’extrêmes. 133 D’ailleurs, les étudiants et les cadres du privé, nous l’avons vu, tiennent une place primordial dans le paysage social du Marais. Le quartier compte de nombreux logements en location meublée (plus de 6% de son parc, contre moins de 5% à Paris). S’agit-il du maintien, de la résistance de populations pauvres et populaires dans certains secteurs du Marais ? Ou bien s’agit-il de l’attrait d’un quartier nouvellement intégré dans la mondialisation des échanges et des circulations d’hommes d’affaires ? Nous tenterons de répondre à cette question par la suite. Les contrastes spatiaux et les évolutions des statuts d’occupation La distribution des différents statuts de logements sur le territoire du Marais oppose une nouvelle fois les quartiers les plus cossus et les plus populaires. Cela étant, même dans les premiers la propriété ne concerne pas plus de 40 % des résidences principales, restant toujours inférieure à la location libre. L’opposition est plutôt est-ouest que nord-sud, du fait de la présence d’une façade est assez haussmannisée et plus en propriété qu’une façade ouest où la location est largement majoritaire avec une présence non négligeable d’HLM. Il faut cependant se garder de faire tout rapprochement entre la localisation des immeubles de 18001914 et le statut d’occupation. S’il pouvait être fait dans les années 60, il n’est plus valide aujourd’hui. Car la propriété occupante a progressé dans le parc le plus ancien, là où la proportion d’immeubles de rapport était importante et a permis de libérer des immeubles entiers à la copropriété. Là encore, selon le tableau suivant, l’évolution des statuts d’occupation des résidences principales du Marais va dans le même sens que celle de Paris, mais avec une ampleur différente. Si Paris suit la même évolution que le Marais, à savoir une hausse de la propriété occupante et une baisse de la location, le Marais rattrape son retard et devance Paris. En effet, la proportion de locataires dans le Marais était plus importante qu’à Paris en 1962, mais en 1999 le profil du Marais a basculé : il devient un quartier où les propriétaires sont surreprésentés (par rapport à la moyenne parisienne), même s’ils restent largement minoritaires. D’autre part, ce changement du statut d’occupation se fait, dans le Marais, plus par une diminution des locataires que par une montée des propriétaires. La hausse des seconds ne compensant pas la baisse des premiers. C’est la baisse du nombre de résidences principales qui explique que la proportion de propriétaires augmente, à effectifs stables. Depuis les années 90 un changement est survenu : le nombre de locations a augmenté, grâce à une 134 augmentation du total des résidences principales et donc grâce à une offre de logements plus importante. La gentrification semble se poursuivre alors que les locataires, jusque là en nette régression, se mettent à réapparaître. Faut-il conclure que la gentrification, depuis quelques années, ne se fait plus seulement par le biais de l’accession à la propriété, mais aussi par le biais de la location ? Il conviendra d’expliquer ce point ultérieurement. Quant aux logements gratuits ou prêtés, il sont un peu plus importants dans le Marais qu’à Paris, et ce depuis longtemps. Le secteur de l’Hôtel de Ville, et le quartier Sully-Morland sont des secteurs où des administrations municipales et départementales sont installées, et il s’agit souvent d’employés de ces administrations qui sont logés dans le Marais à titre gracieux, dans des appartements de la Ville de Paris. Cette dernière est un important propriétaire foncier dans le Marais, et en particulier dans le sud du 4e arrondissement. Tabl. 27. Evolution du statut d’occupation des résidences principales , dans le Marais (quartiers 9 à 15) et à Paris 1962 1968 1975 1982 1990 1999 part RP en M 14,3 17,5 22,7 23,9 29,9 30,7 propriété P 18,5 21,7 24,8 25,4 28,3 29,6 part RP en M 76,1 71,9 66,7 64,4 58,3 59,2 location P 72,3 68,3 65,5 65,1 63,0 63,1 part RP en M 9,6 10,5 10,6 11,7 11,8 10,0 logt gratuit P 9,1 10,1 9,7 9,4 8,7 7,3 périodes 62-68 68-75 75-82 82-90 90-99 62-99 évol. relative M +12,1 +6,6 -5,0 +23,8 +3,1 +44,8 propriétés P +11,8 +11,6 +1,2 +11,2 +6,1 +49,0 évol. relative M -13,4 -23,7 -12,9 -10,3 +1,8 -47,4 locations P -9,7 -6,7 -1,5 -3,5 +1,6 -18,7 évol. relative M +0,1 +17,4 -0,1 +0,1 -14,9 -29,7 logts gratuits P +5,7 -6,4 -3,6 -8,4 -14,9 -25,6 évol. relative M -8,5 -17,7 -9,8 -0,9 +0,2 -32,5 totale RP P -4,3 -2,7 -1,1 -0,2 +1,4 -6,8 Sources : APUR, 1994 ; données RGP 1962 à 1999, INSEE Revenons un moment sur les années 80, phase qui se distingue des autres par la progression importante de la propriété occupante, phénomène plus intense dans le Marais qu’à Paris. André Massot (1990) donne les raisons qui expliquent la hausse des prix immobiliers à la fin des années 80, concomitante de la montée de la propriété (l’une alimentant l’autre). 135 Après avoir énuméré ces raisons, nous expliquerons pourquoi elles sont particulièrement applicables au cas du Marais. - Baisse du nombre de propriétaires d’immeubles entiers (immeubles de rapport). La revente par des marchands de biens qui ont acquis l’immeuble se fait souvent au détail, favorisant la copropriété (multipliant ainsi le nombre de propriétaires). Cette revente a souvent été précédée de travaux (car il s’agit souvent de sorties de la loi de 1948), expliquant une hausse importante des prix et l’amélioration du confort. » Photo 14. Rue Vieille du Temple. Appartements d’un même immeuble venant d’être réhabilités prêts à être revendus par le marchand de bien qui a fait les travaux - Les ventes des années 80 sont plutôt destinées au logement direct de l’acquéreur qu’à d’autres usages (placement locatif, affectation gratuite). Les prix augmentent du fait du différentiel existant entre la valeur d’usage (prix à payer pour se loger) et la valeur en capital d’investissement (espoir d’une plus-value, que ce soit pour revendre l’appartement ou pour un 136 placement locatif). Du reste le rendement locatif devient moins intéressant car les loyers augmentent moins vite que la valeur en capital, et les lois protégeant les locataires (et le rôle des associations se développant) dissuadent certains propriétaires de louer leurs appartements. - Les raisons macroéconomiques sont aussi fondamentales. La libéralisation de l’économie nationale favorise les hausses de pouvoir d’achat de nombre d’acquéreurs. En premier lieu la baisse des taux d’intérêt facilitant prêts et crédits, ainsi que la réduction de l’inflation. Cette « aisance d’emprunt accrue entraîne les ménages à accepter des prix élevés et la hausse globale s’en suit » (Massot, 1990). Concernant les acquéreurs de milieux plutôt aisés (chefs d’entreprise, professions libérales, etc.) de ces logements : les revenus des entreprises augmentent ; s’y ajoute la détente de la pression fiscale sur les revenus (et sur les grandes fortunes), et la rémunération boursière (la Bourse de Paris devient une des premières places boursières du monde). Le Marais comptait de nombreux immeubles de rapport (s’expliquant par l’ancienneté de son parc et par un héritage aristocratique quoique lointain), et la vétusté des logements était aussi en grande partie maintenue par la loi de 1948, également très présente dans le Marais. C’est aussi avant tout à Paris que la libéralisation de l’économie s’est ressentie et que des catégories moyennes ou supérieures (et beaucoup de Parisiens intra-muros) se sont mises massivement à acheter (au centre de Paris mais aussi en périphérie). Voici les explications de cette montée de la propriété dans le Marais durant les années 80. La population et les logements du Marais ont donc connu une évolution drastique depuis 40 ans. Pour aller plus loin dans l’étude de cette évolution, nous pouvons, à l’aide des fichiersdétails croiser les données sur les caractéristiques des ménages avec celles sur les logements. Ceci nous permettra de mettre en évidence, dans le chapitre suivant, les phénomènes de concurrence entre populations pour même parc de logement. 137 138 CHAPITRE 3 LA GENTRIFICATION : PHÉNOMÈNE SÉLECTIF DE CONCURRENCE 139 140 A. Quel parc de logements est propice à la gentrification ? a) Gentrification et tailles de logements Il est temps de savoir si la gentrification du Marais s’est plutôt diffusée dans des petits, des moyens ou des grands logements. Pour répondre à cette question, nous avons croisé les catégories socioprofessionnelles des personnes de références des ménages avec la taille des résidences principales, à partir des fichiers-détails des recensements de 1982, de 1990 et de 1999. Seuls les fichiers-détails nous permettent ces croisements, et ce sur une vingtaine d’années. Le changement de nomenclature en 1982 nous interdit de faire toute comparaison avant et après cette date. Nous ne pourrons donc faire qu’un état en 1975 (à partir du fichierdétail) sans voir l’évolution qui suit. Graph. 13. Evolution relative des effectifs de chaque CSP entre 1982 et 1999, dans les différentes tailles de résidences principales (nb de pièces), dans les quartiers 9 à 15 100 80 cpis 60 40 proi 20 pic 0 emp -20 ouv -40 retr -60 inac -80 -100 1 2 3 4 5+ Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE Le graphique précédent montre les évolutions relatives du nombre de personnes de référence, entre 1982 et 1999, selon la taille des résidences principales (du studio aux cinq pièces et plus). Une première constatation consiste à dire que toutes les tailles de logements s’embourgeoisent, c’est-à-dire que la taille du logement n’est pas un vecteur principal de la gentrification. Il n’y a pas de phénomène de relégation de populations pauvres dans de petits logements par exemple. Les ouvriers sont de moins en moins nombreux dans toutes les tailles de logements, et les cadres et professions intellectuelles supérieures sont à l’inverse de plus en 141 plus nombreux dans toutes les tailles. Il semble en revanche que les catégories moyennes (les professions intermédiaires, les patrons de l’industrie et du commerce, les employés) et les retraités ou inactifs voient leur évolution assez dépendante de la taille des logements. Les retraités baissent dans les petits logements (du studio au trois pièces) pour augmenter dans de grands logements (quatre pièces ou plus). A l’opposé, les inactifs augmentent dans les petits (studios voire deux pièces) pour baisser dans les grands (quatre pièces et plus). S’il y a sélectivité de la gentrification, elle se manifeste surtout pour ces deux catégories. Il y a départ des inactifs dans de petits logements, alors que les retraités, sans doute par un processus d’accession à la propriété, sont de plus en plus souvent dans des logements plus grands et plus confortables. Ces personnes sont en fait restées dans des grands logements dans lesquels elles se sont installées durant leur vie active afin de répondre au besoin d’espace de la famille. Pour les catégories actives, les choses sont moins tranchées. Les cadres et professions intellectuelles supérieures voient leur nombre doubler dans les plus petits logements (studios et deux pièces), alors que leur hausse est moins prononcée dans les grands, là où ils étaient déjà bien installés. Cette évolution est assez symétrique de celle des ouvriers qui baissent plus fortement dans les petits logements mais aussi dans les moyens (trois pièces) et baissent moins dans les grands. On pourrait donc penser que la gentrification s’effectue dans les logements les plus petits, mais ce n’est pas tout à fait le cas : Graph 14 à 17. Evolution des sur/sous-représentations des catégories socioprofessionnelles par taille de parc de logements. En points d’écart entre la part de la CSP dans la population totale et la part de la CSP dans la population de telle taille de logement. Ecarts au profil sociologique moyen des studios 25 20 cpis 15 proi 10 pic 5 emp 0 ouv -5 retr -10 inac -15 1982 142 1990 1999 Ecarts au profil sociologique moyen des 2 pièces 25 20 cpis 15 proi 10 pic 5 emp 0 ouv -5 retr -10 inac -15 1982 1990 1999 Ecarts au profil sociologique moyen des 3 pièces 25 20 cpis 15 proi 10 pic 5 emp 0 ouv -5 retr -10 inac -15 1982 1990 1999 Ecarts au profil sociologique moyen des 5 pièces + 25 20 cpis proi pic emp ouv retr inac 15 10 5 0 -5 -10 -15 1982 1990 1999 Sources : fichiers-détails RGP 1982, 1990, 1999, INSEE 143 L’étude des sur-/sous-représentations des catégories socioprofessionnelles par taille de logement (graphiques 14 à 17) nous permet de nuancer. Dans les studios, les ouvriers, et surtout les employés, y restent sur-représentés, malgré une arrivée conséquente de classes moyennes et supérieures. Ces logements ont cependant beaucoup attiré les inactifs. En 1999, près de trois inactifs sur quatre habitant un studio dans le Marais sont des élèves ou des étudiants. 90 % de ces élèves ou étudiants ont entre 20 et 30 ans, et le plus intéressant est que « seulement » 55 % de ces étudiants sont dans le secteur locatif à loyer libre, et 24 % sont en location meublée. Ces étudiants (dans les studios en 1999) sont 17 % à être de nationalité étrangère, et la proportion de ces étudiants étrangers atteint 40 % dans la location de studio meublé. Il est donc fort probable que ces étudiants participent à la gentrification de ce parc de studios. Mais leur part reste encore faible (à peine 17 % des habitants de studios sont des étudiants, contre 24 % des cadres et professions intellectuelles supérieures ou 19 % des employés). Les studios ont donc connu une gentrification partielle, qui reste marginale, mais dont la spécificité d’accueil d’étudiants s’accroît avec le temps. Il semble que ces étudiants ont remplacé les ouvriers dans les studios meublés : en 1982, 33 % des occupants de studio meublé étaient des ouvriers, contre 9 % d’ouvriers. En 1999 la situation s’est inversée : les ouvriers sont tombés à 8 % et les étudiants représentent 28 % de la population de ce parc. Les étudiants se mettent un peu moins en location non HLM de studio (où ils représentent 16 % des occupants) car la concurrence avec les professions supérieures est trop grandes (26 % de cadres et professions intellectuelles supérieures) et ils sont contraints de s’installer en meublé, bien moins onéreux. Tabl.28. Evolution (en points) des proportions des CSP (PR) dans les différentes tailles de résidences principales, entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 cpis proi pic emp ouv retr inac total csp 1 1 pièce 2 pièces 3 pièces 4 pièces 5 pièces et + +12,9 +16,3 +14,7 +7,4 +1,7 +2,7 +4,6 -1,2 +3,4 +2,5 +0,9 +0,3 -2,5 -5,2 -5,8 -3,0 -4,9 -2,4 -2,5 +0,6 -12,1 -8,0 -6,6 -3,3 -1,3 -9,6 -9,2 -2,0 +2,7 +4,6 +8,2 +0,8 +0,2 -2,5 -2,4 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 1 Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE En rouge : forte hausse quand la CSP augmente ; en bleu : forte baisse quand la CSP diminue. 144 total RP +13,7 +2,5 -0,7 -3,6 -8,3 -5,6 +2,1 0,0 Si l’on s’intéresse au parc des deux pièces, on constate que les écarts sont beaucoup moins importants entre catégories socioprofessionnelles : c’est le parc le plus proche du profil sociologique moyen du Marais, ne serait-ce que parce qu’on le trouve aussi bien dans des secteurs populaires que dans des secteurs plus bourgeois. Cependant les catégories moyennes et supérieures (cadres et professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires) sont de mieux en mieux représentées dans ce parc de deux pièces. Le regroupement de studios en deux pièces a sans nul doute facilité l’arrivée de classes moyennes et supérieures ; et ces regroupements, nous l’avons vu, ont été particulièrement propices à l’amélioration du confort des logements. La sur-représentation la plus importante dans les deux pièces est celles des professions intermédiaires, et non celle des cadres et professions intellectuelles supérieures qui semblent prendre part pleinement à la gentrification. Les classes moyennes et supérieures ont investi les logements de deux pièces, plus encore que les studios, car les prix étaient vraisemblablement intermédiaires (suffisamment d’espace, et pas aussi cher que les trois pièces). Dans les deux pièces la proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures réunie avec celle des professions intermédiaires est passée de 28 % à 49 % entre 1982 et 1999, alors que pour les studios la proportion n’est passée que de 23 % à 39 %. Force est d’en déduire que les hausses relatives importantes des classes supérieures dans les studios sont essentiellement dues à leur sous-représentation et à leur faible nombre initiaux da,s cette taille de logement. La gentrification s’est donc diffusée de manière privilégiée dans des logements de deux pièces, les studios étant encore assez largement occupés par des catégories plus populaires ou des inactifs jeunes. Le deux pièces, a vu les caractéristiques socioprofessionnelles de ses occupants s’inverser : les professions intermédiaires n’y étaient pas spécialement bien représentées, mais leur surreprésentation s’affirme. De même pour les cadres et professions intellectuelles supérieures. Il n’y a pourtant pas de sous-représentation des classes populaires, même si les retraités et les inactifs voient leur représentation s’éroder. Le parc des deux pièces est donc très mixte, logeant des catégories supérieures comme des catégories populaires. Il est le parc qui est le meilleur reflet de l’évolution sociologique globale du Marais, alors que les autres tailles de parc restent marqués par des clivages traditionnels qui tardent à disparaître (les petits logements pour les classes populaires, actives ou retraitées ; les grands pour les classes aisées, actives ou retraitées). C’est bien le renouvellement de la population active du parc des deux pièces qui est à l’origine de sa gentrification. 145 Les trois pièces connaissent quant à eux une sur-représentation des cadres et professions intellectuelles supérieures et des retraités (comme les grands logements), alors que les professions intermédiaires et les classes populaires y sont sous-représentés. Ce parc a plutôt fait l’objet d’une gentrification assez modérée, mais en attirant exclusivement des classes supérieures. Tabl. 29. Evolution (en points) des proportions des sous-groupes CPIS (PR) dans les différentes tailles de résidences principales entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 1 pièce professions libérales cadres public ; prof. intel. art. cadres d’entreprise total cpis 2 pièces 3 pièces 4 pièces 5 pièces et + total RP +2,0 +1,3 +1,9 +0,4 +0,2 +1,6 +2,6 +5,6 +3,9 +3,2 -1,8 +3,8 +8,3 +9,5 +9,1 +3,8 +3,3 +8,4 +1,7 +13,8 +12,9 +16,4 +14,9 +7,4 Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE Le détail des évolutions des parts des différents groupes composant les cadres et professions intellectuelles (cf. tabl. 29) le montre : seules les professions libérales voient leur part augmenter le plus dans les trois pièces (et les studios), alors que les cadres de la fonction publique et professions intellectuelles et artistiques progressent le plus dans les deux pièces. Les cadres du secteur privé (d’entreprise) ont légèrement plus augmenté dans les deux pièces que dans les trois pièces. Mais dans tous les cas, c’est dans les deux pièces que l’augmentation des classes supérieures est la plus élevée. Tabl. 30. Evolution (en points) des proportions des sous-groupes retraités (PR) dans les différentes tailles de résidences principales entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 ret. cad ret. proi ret. pic ret. emp ret. ouv total retraités 146 1 pièce 2 pièces 3 pièces 4 pièces 5 pièces et + +0,9 +2,1 +1,1 +4,5 +4,7 +0,1 +0,1 +1,4 -0,1 +0,1 -0,1 -1,6 -1,0 +0,3 +0,3 -5,8 -4,1 -2,7 +1,4 +0,7 -4,7 -5,8 -0,6 -4,0 -1,1 -9,6 -9,3 -1,8 +2,1 +4,7 Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE total RP +2,2 +0,4 -0,7 -3,5 -4,0 -5,6 Tabl. 31. Evolution des CSP (PR) les plus représentées dans les différentes tailles de résidences principales, entre 1975 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 1 pièce 1975 1982 1990 ouv, emp/ perserv,retr emp, ouv, retr cpis, inac, emp 1999 cpis, inac population totale retr, ouv, emp/perserv 2 pièces 3 pièces 4 pièces 5 pièces et + retr retr plcs, retr plcs retr retr cpis cpis retr cpis retr, cpis cpis cpis cpis, retr cpis cpis cpis cpis cpis Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE Les grands logements, toujours majoritairement habités par les classes supérieures, sont désormais habités aussi par des retraités, les actifs aisés d’antan. Ce parc maintient un niveau social élevé en grande partie du fait du vieillissement de sa population aisée sur place. On pourrait croire que ces grands logements tendent à se populariser, si l’on regarde l’évolution des sous-représentations des ouvriers ou employés, et celles des sur-représentations des classes supérieures. Or l’augmentation de la part des retraités est essentiellement due à des retraités cadres. Donc la baisse de sur-représentation des cadres actifs est compensée par la hausse de sur-représentation des cadres retraités. On peut donc affirmer que les grands logements ont connu eux aussi une forme de gentrification, mais qui n’a rien à voir avec celle des deux pièces, puisqu’il s’agit dans ce cas d’une gentrification par le maintien et le vieillissement de population aisée qui se renforce du fait du départ des classes populaires. En somme, nous observons trois grands types de processus de gentrification suivant la taille des logements : - l’arrivée d’étudiants dans les studios mais aussi des classes supérieures ; - l’arrivée d’une population active de classe moyenne et supérieure dans des deux pièces essentiellement, et plus secondairement dans les trois pièces ; - le renforcement (et le vieillissement) d’une population aisée dans des grands logements. Pour confirmer ces propos, nous avons entre 1954 et 1975 calculé une corrélation entre la taille moyenne des logements par îlots (en 1954) et la composition socioprofessionnelle par îlot (en 1954, 1962 et 1975). En 1954 le coefficient de corrélation entre localisation des grands logements et localisation des professions libérales et cadres supérieurs atteint +0,77, soit r²=0,6, c’est-à-dire une part de variance expliquée de 60 %. En 1975, le coefficient tombe à +0,59, soit r²=0,3, moins du tiers de la variance expliquée. Preuve que les catégories supérieures ne se situent plus uniquement dans les îlots où les logements sont grands. 147 b) Gentrification et statuts d’occupation des logements Le graphique ci-dessous nous indique qu’ici encore, l’embourgeoisement n’épargne aucun statut d’occupation. Preuve que le statut d’occupation n’est pas non plus très discriminant. Graph. 18. Evolution relative des effectifs de chaque CSP entre 1982 et 1999, dans les différents statuts d’occupation des résidences principales, dans les quartiers 9 à 15 100,0 80,0 60,0 cpis 40,0 proi 20,0 pic 0,0 emp -20,0 ouv -40,0 retr -60,0 inac -80,0 -100,0 propri locnonHLM locm grat total Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE1 Les cadres et professions intellectuelles supérieures ainsi que les professions intermédiaires progressent dans tous les statuts, y compris celui qui est traditionnellement plus populaire, la location meublée (concernant les patrons de l’industrie et du commerce, on ignorera la hausse en location meublée due à des effectifs très faibles). Les cadres et professions intellectuelles supérieures constituent le premier groupe social dans tous les statuts. A l’inverse, les ouvriers et employés déclinent partout. Pour les autres catégories socioprofessionnelles le statut est plus discriminant. Les retraités n’augmentent que dans les propriétés, les inactifs n’ont d’évolution significative que dans les propriétés et dans les locations de meublés. Il faut sans doute ici distinguer les inactifs jeunes, dont les situations souvent précaires les contraint à des meublés, et les inactifs âgés qui accèdent à la propriété (effet d’âge et d’accumulation de patrimoine). 1 propri = propriétaire occupant ; locnonHLM = locataire de logement vide non HLM ; locm = locataire de logement meublé ; grat = logé gratuitement. 148 Graph. 19 et 20. Evolution des sur/sous-représentations des catégories socioprofessionnelles par statut d’occupation. En points d’écart entre la part de la CSP dans la population totale et la part de la CSP dans la population de tel statut d’occupation Ecarts au profil sociologique moyen des logements en propriété 15 cpis 10 proi 5 pic emp 0 ouv retr -5 inac -10 1982 1990 1999 Ecarts au profil sociologique moyen des logements en location non HLM 15 cpis 10 proi 5 pic emp 0 ouv retr -5 inac -10 1982 1990 1999 Sources : fichiers-détails RGP 1982, 1990, 1999, INSEE Penchons nous plus en détail sur chacun des statuts d’occupation. A Paris, la propriété a été pendant longtemps réservée aux classes supérieures actives et secondairement aux retraités aisés. Or depuis quelques décennies, il semble que la propriété devienne un bien destiné de plus en plus aux personnes âgées (et en particulier dans le Marais). En 1999, un tiers des propriétaires du Marais (quartiers 9 à 15) sont des cadres et professions intellectuelles supérieures et un autre tiers des retraités. On peut rapprocher ce graphique de celui des sur-/sous-représentations des grands logements (5 pièces ou plus). Nous pouvons immédiatement affirmer que le parc en propriété connaît une gentrification plus par le renforcement d’une population aisée et retraitée, que par de nouveaux actifs des classes supérieures ou moyennes arrivés il y a une vingtaine d’années et qui ont aujourd’hui a cinquantaine (nous le reverrons). 149 Le parc en location à loyer libre se gentrifie un peu à l’instar du parc de deux pièces. On peut d’ailleurs remarquer que ce parc locatif a le profil le plus proche de la moyenne (les écarts sont faibles) parce que le mieux réparti, comme pour le parc des deux pièces : les similitudes entre les deux parcs sont nombreuses. Les retraités y sont sous-représentés, alors que les cadres et professions intellectuelles supérieures y sont sur-représentés (il s’agissait des professions intermédiaires pour le deux pièces). Les classes populaires y sont assez stables, tardant à décliner. La gentrification du secteur à loyer libre semble donc d’opérer à peu près dans les mêmes logiques que pour les deux pièces. Ce parc est devenu très mixte : les classes supérieures actives y ont remplacé les retraités sans vraiment éliminer les classes populaires. Le parc de la location meublée est à rapprocher de celui des studios. Si les classes moyennes et supérieures s’y sont aussi installées (assez massivement d’ailleurs), les classes populaires y restent largement sur-représentées. Simplement, les inactifs (étudiants) et secondairement les employés ont remplacé les ouvriers dans ce parc en location meublé. Le logement gratuit peut aussi s’apparenter à la location meublée, et aux studios. Les classes supérieures creusent leur sous-représentation, même si la proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures a beaucoup augmenté ; les classes populaires restent assez largement sur-représentés (elles sont souvent logées par l’employeur moyennant des contraintes de présence). Un point intéressant peut être ajouté : les classes moyennes (professions intermédiaires et patrons de l’industrie et du commerce) semblent de plus en plus attirées par ces logements gratuits. Le tableau suivant confirme ces propos. C’est la location non HLM qui a connu la plus forte croissance des cadres et professions intellectuelles supérieures, remplaçant plutôt les retraités que les classes populaires. Tabl. 32. Evolution (en points) des proportions des CSP (PR) dans les différents statuts d’occupation des résidences principales, entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 location non location logé HLM meublée gratuitemt +7,1 +17,8 +16,0 +12,7 +2,1 +2,5 +2,3 +3,7 -3,1 0,0 +2,1 +1,4 -2,3 -3,9 -3,4 -6,0 -5,4 -6,8 -22,2 -9,9 +1,6 -13,0 -6,6 -3,0 -0,1 +3,5 +12,0 +1,0 0,0 0,0 0,0 0,0 Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE propriété cpis proi pic emp ouv retr inac total csp 150 total RP +13,7 +2,5 -0,7 -3,6 -8,3 -5,6 +2,1 0,0 Tabl. 33. Evolution (en points) des proportions des sous-groupes CPIS (PR) dans les différents statuts d’occupation des résidences principales entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 propriété professions libérales cadres public ; prof. intel. art. cadres d’entreprise total cpis location non HLM location HLM location meublée logé gratuitemt total RP +1,8 +1,2 -0,8 +3,4 +1,8 +1,6 +0,8 +5,5 -1,4 +3,0 +5,0 +3,8 +4,5 +11,0 +5,9 +9,5 +5,8 +8,4 +7,1 +17,7 +3,7 +15,9 +12,6 +13,8 Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE Tabl. 34 . Evolution (en points) des proportions des sous-groupes retraités (PR) dans les différents statuts d’occupation de résidences principales entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 location non total RP HLM +5,6 +0,2 +2,2 ret. cad +2,4 -1,1 +0,4 ret. proi +0,4 -1,7 -0,7 ret. pic -3,2 -5,6 -3,5 ret. emp -3,8 -4,8 -4,0 ret. ouv +1,4 -13,0 -5,6 total retraités Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE1 propriété Tabl. 35. Evolution des CSP (PR) les plus représentées dans les différents statuts d’occupation des résidences principales, entre 1975 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 propriété location non HLM location meublée logé gratuitemt 1975 retr retr ouv emp/perserv 1982 retr, cpis retr ouv emp retr 1990 cpis, retr cpis, retr inac, emp cpis, retr cpis, retr 1999 cpis, retr cpis cpis, inac cpis, emp cpis population totale retr, ouv, emp/perserv Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE 1 Les locations HLM, les locations de meublés et les logements gratuits ne figurent pas dans ce tableau en raison de leurs trop faibles effectifs et des données peu précises au 1/20 pour 1999. 151 Les retraités modestes (retraités employés et retraités ouvriers) sont dans une situation peu favorable même s’ils sont légèrement sur-représentés dans le parc en propriété, et que cette sur-représentation se maintient. Ils quittent la location à loyer libre : après y avoir été surreprésentés dans les années 70, ils tendent à présent à y être sous-représentés, et en particulier les anciens employés. En effet, ces dernières remplacent peu à peu les anciens ouvriers dans le parc en location HLM. Ces anciens ouvriers se rabattent alors sur la location meublée et sur le logement gratuit (parcs dans lesquels ils restent sous-représentés cependant). Ce sont donc les retraités modestes propriétaires qui ont le mieux résisté à la gentrification, tandis que les anciens employés partent de la location à loyer libre pour s’installer en HLM et remplacer leurs homologues ouvriers. Une partie seulement de ces classes modestes retraitée a donc profité du parc HLM (retraités employés), et l’autre partie (retraités ouvriers), ne se maintient véritablement que dans la propriété. Graph. 21 et 22. Evolution des sur/sous-représentations des retraités employés et des retraités ouvriers par statut d’occupation. En points d’écart entre la part de ces CSP dans la population totale et la part de ces CSP dans la population chaque statut d’occupation. 8 6 propri 82 4 propri 90 2 propri 99 0 grat 82 grat 90 -2 grat 99 -4 -6 retraités employés retraités ouvriers 8 locnhlm 82 6 locnhlm 90 locnhlm 99 4 2 lochlm 82 0 lochlm 90 lochlm 99 -2 -4 locm 82 -6 locm 90 retraités employés retraités ouvriers Sources : fichiers-détails RGP 1982 à 1999, INSEE 152 locm 99 c) Gentrification et âge du parc de logements Nous avons évoqué l’amélioration du confort des logements qui s’est davantage réalisé dans les logements les plus anciens que dans les logements plus récents. Mais qu’en est-il de l’évolution sociologique de ces différents âges de parcs ? Y a-t-il concordance entre l’amélioration du confort et l’arrivée de classes aisées ? Graph. 23. Evolution relative des effectifs de chaque CSP entre 1982 et 1999, dans les différents âges des résidences principales (par époque d’achèvement), dans les quartiers 9 à 15 150 cpis proi pic emp ouv retr inac 100 50 0 -50 -100 avant 1915 1915-1948 1949-1967 1967et après total Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE Le premier constat est fondamental : alors que les tailles de logements ainsi que leur statut d’occupation ne s’avéraient être pas radicalement discriminantes, l’époque d’achèvement semble par contre déterminante dans le choix d’installation des différentes classes sociales. Il faut cependant préciser que le parc ancien (construit avant 1915) représente près de 85 % des résidences principales, et commande l’évolution de l’ensemble des résidences principales. Les autres parcs, plus récents, restent largement minoritaires, et leurs effectifs sont très faibles, surtout s’ils sont ventilés en 7 catégories socioprofessionnelles. Par conséquent ces évolutions relatives (relatives à de petits effectifs) sont à interpréter avec prudence. Si les ouvriers baissent dans tous les âges de parcs, les autres catégories n’ont pas cette même constance. Les cadres et professions intellectuelles supérieures augmentent dans le parc le plus ancien et le parc le plus récent (d’après 1967), de même pour les professions intermédiaires mais à des degrés moindres. D’une manière générale, les résidences principales 153 construites entre 1915 et 1967 se trouvent délaissées par toutes les tranches de la population, si l’on excepte les légères hausses des classes supérieures dans le parc construit entre 1915 et 1948 et des inactifs dans le parc construit entre 1949 et 1967. Graph. 24 à 27. Evolution des sur/sous-représentations des catégories socioprofessionnelles par époque d’achèvement des logements. En points d’écart entre la part de la CSP dans la population totale et la part de la CSP dans la population de tel âge de parc Ecarts au profil sociologique moyen du parc de logements d'avant 1915 10 cpis proi pic emp ouv retr inac 5 0 -5 -10 1982 1990 1999 Ecarts au profil sociologique moyen du parc de logements de 1915-1948 10 8 6 4 2 0 -2 -4 -6 -8 -10 cpis proi pic emp ouv retr inac 1982 154 1990 1999 Ecarts au profil sociologique moyen du parc de logements de 1949-1967 10 8 6 4 2 0 -2 -4 -6 -8 -10 cpis proi pic emp ouv retr inac 1982 1990 1999 Ecarts au profil sociologique moyen du parc de logements de 1968 et après 10 8 6 4 2 0 -2 -4 -6 -8 -10 cpis proi pic emp ouv retr inac 1982 1990 1999 Sources : fichiers-détails RGP 1982, 1990, 1999, INSEE Les logements d’avant 1915, étant représentatifs de l’ensemble des logements du Marais, observent grosso modo les mêmes évolutions que les deux pièces et que les locations non HLM. Les professions intermédiaires y deviennent (légèrement) sur-représentées, les employés et les retraités sous-représentés, tandis que les ouvriers voient leur surreprésentation s’affaisser. Il est logique que ce parc, très majoritaire, représente les évolutions globales du Marais. Mais il est intéressant d’y voir une fois encore le rôle des professions intermédiaires plus que des cadres et professions intellectuelles supérieures. Quant aux résidences principales construites de 1915 à 1948, malgré leur baisse de population importante pour quasiment toutes les classes sociales, la mixité semble progresser. Les classes supérieures et les classes populaires voient leur représentation augmenter, alors 155 que professions intermédiaires, retraités et inactifs deviennent sous-représentés. On peut parler de processus de gentrification concernant ces logements de 1915-1948 du fait de la forte augmentation des classes supérieures et du déclin des retraités et inactifs, malgré la montée non négligeable des couches populaires. Les résidences principales construites de 1949 à 1967 ont connu un départ des classes supérieures et moyennes, tandis que les retraités et les inactifs, auxquels on peut joindre les employés, y ont accru leur représentation. Pour les logements plus récents, l’évolution est à peu près la même, à la différence que la sous-représentation des inactifs s’accentue. Au vu des tableaux suivants, nous pouvons conclure que le parc de 1915-1948 s’est le plus clairement gentrifié (on y observe la plus forte hausse de la proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures), et principalement grâce aux cadres du secteur privé. Les professions libérales, les cadres du secteur public et les professions intellectuelles ou artistiques ont davantage augmenté (quoique bien plus modérément que les cadres du privé) dans les résidences principales construites avant 1915. Ce dernier parc de logements connaît lui aussi une forte gentrification, du fait d’une forte hausse des classes supérieures, mais aussi d’une hausse des professions intermédiaires, et d’une baisse des catégories populaires. Les logements plus récents connaissent une autre forme de gentrification, plus modeste que les deux premières, mais la même que pour les grands logements. à savoir une gentrification par le vieillissement de sa population aisée active jadis, devenue en grande partie retraitée aujourd’hui. En somme, tous les âges de parcs se sont plus ou moins gentrifiés, et de différentes manières. Le plus ancien par le remplacement des classes populaires actives et retraitées par des classes intermédiaires ou aisées, actives. Cette gentrification est à nuancer du fait de la part croissante des inactifs (à l’instar du studio, une majorité d’étudiants) ; et dans ce parc ancien les classes populaires actives ne sont pas non plus négligeables. Les logements de 1915-1948 se sont gentrifiés par des cadres aisés surtout du secteur privé qui ont plus souvent remplacé des retraités populaires que des actifs ouvriers ou employés (en raison du nombre de logements qui sont sortis de la loi de 1948 et qui étaient occupés majoritairement de personnes âgées). Les logements construits depuis 1949 connaissent une gentrification par le maintien d’une population aisée retirée des affaires et le départ des populations ouvrières actives ou retraitées. 156 Tabl. 36. Evolution (en points) des proportions des CSP (PR) dans les différentes anciennetés des résidences principales, entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 cpis proi pic emp ouv retr inac total csp avant 1915 +14,0 +3,6 -0,7 -4,2 -8,6 -6,4 +2,4 0,0 1915-1948 +20,7 -4,4 +0,2 +0,6 -4,7 -11,9 -0,4 0,0 1949-1967 1968 et après -0,7 +7,4 -3,4 -6,2 -0,5 +0,1 -0,2 +0,4 -10,1 -4,4 +8,2 +3,1 +7,0 -0,4 0,0 0,0 total RP +13,7 +2,5 -0,7 -3,6 -8,3 -5,6 +2,1 0,0 Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE Tabl. 37. Evolution (en points) des proportions des sous-groupes CPIS (PR) dans les différentes anciennetés des résidences principales entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 avant 1915 professions libérales cadres public ; prof. intel. art. cadres d’entreprise total cpis 1915-1948 1949-1967 1968 et après total RP +2,0 +1,2 -1,5 (-4,3)1 +1,6 +4,0 +2,9 -0,2 (+2,0) +3,8 +8,1 +16,5 +0,9 (+7,2) +8,4 +14,1 +20,6 -0,8 (+4,9) +13,8 Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE Tabl. 38. Evolution (en points) des proportions des sous-groupes retraités (PR) dans les différentes anciennetés de résidences principales entre 1982 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 ret. cad ret. proi ret. pic ret. emp ret. ouv total retraités avant 1915 +2,0 +0,1 -1,0 -3,6 -3,9 -6,4 1915-1948 1949-1967 1968 et après -1,0 +4,4 +5,3 +2,2 +0,9 +2,2 -1,4 +4,1 +1,6 -8,2 +1,2 +0,8 -3,4 -2,3 -6,7 -11,8 +8,3 +3,2 Sources : fichiers-détails RGP 1982 et 1999, INSEE total RP +2,2 +0,4 -0,7 -3,5 -4,0 -5,6 1 Les données sur les résidences principales construites depuis 1968 sont aléatoires en raison de leurs trop faibles effectifs et des données peu précises au 1/20 pour 1999. 157 Tabl. 39. Evolution des CSP (PR) les plus représentées dans les différentes anciennetés des résidences principales, entre 1975 et 1999, dans les quartiers 9 à 15 avant 1915 1968 et population après totale retr, ouv, emp/perserv, plcs, retr, retr, ouv, emp/perserv retr cadmoy,emp emp/perserv 1915-1948 1949-1967 1975 retr, ouv, emp/perserv 1982 retr retr cpis cpis retr 1990 cpis, retr cpis cpis, retr cpis cpis, retr 1999 cpis cpis retr,cpis cpis cpis Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE Qu’en est-il pour les logements les plus anciens ? Nous avons vu que le Marais comptait une part conséquente d’immeubles du XIXe et du début du XXe siècles. Si l’on compare les cartes de l’évolution sociologique entre 1954 et 1975 (seules années disponibles pour les catégories socioprofessionnelles à l’îlot, cf. p.92) avec celles des proportions approximatives d’immeubles construits au XIXe-début XXe siècles (cf. p.120), on note quelques ressemblances, surtout avec la carte des immeubles datant de 1850-1914. Ces ressemblances concernent essentiellement la périphérie de l’espace étudié. Comparons donc la carte du profil social de 1975 (en haut à droite) avec la présence des immeubles de 1850-1914 (en haut à droite). Dans de nombreux endroits, là où la proportion d’immeubles de 1850-1914 est importante (plus de la moitié des immeubles environ) le profil socioprofessionnel est de bon niveau, avec une surreprésentation des professions libérales et cadres supérieures et une sousreprésentation des ouvriers. Il s’agit par exemple du quartier au nord-ouest de la rue de Turbigo (en face le bâtiment des Arts-et-Métiers), les îlots à proximité du square du Temple, les îlots à proximité de l’Hôtel de Ville, certains îlots étroits entre la rue de Rivoli et la rue François Miron (vers le métro Saint-Paul), les îlots de part et d’autre du boulevard Henry IV et toute la partie au sud-est de celui-ci. A l’opposé, les secteurs les plus populaires du Marais sont aussi ceux qui ont les plus faibles proportions d’immeubles du deuxième XIXe-début XXe s. Ce sont les quartiers de la rue au Maire ou des Gravilliers, les îlots au nord du centre G. Pompidou, les îlots de part et d’autre de la rue Charlot. 158 Photo 14. 69 rue des Gravilliers. Immeubles donnant sur la cour du Grand Hôtel d’Esrtées (XVIe s.) : un bâti ancien et délabré. Il faut cependant se garder d’établir une corrélation positive entre la présence de ce parc post-haussmannien et le niveau social élevé des habitants. Les exceptions sont nombreuses et se présentent plutôt sous cette forme : les secteurs peu bâtis par ce parc ne sont pas tous populaires (on retrouve l’exception du secteur opérationnel de la SOREMA), ou autrement dit les îlots à sur-représentation de classes moyennes et supérieures ne sont pas tous des îlots haussmannisés (et post-haussmannisés). Si l’on compare la carte du profil social de 1954 avec la carte des immeubles de 1800-1914 on est frappé de voir que l’une est quasiment le négatif de l’autre. L’évolution sociologique entre 1954 et 1975, à savoir le début de gentrification, aurait-elle concerné plus le centre (et peut-être le centre-est) du Marais où les immeubles datent en majorité d’avant le XIXe siècle (mais aussi avec une part croissante de logements construits depuis 1949, voir p. 122) ? Pour le vérifier, nous avons établi une corrélation, à partir des données à l’échelle des îlots, suffisamment nombreux pour permettre une interprétation correcte. Nous avons donc rapporté les proportions d’immeubles des XIXe-début XXe siècles avec les pourcentages de chaque catégorie socioprofessionnelle en 1954, 1968 et 1975, pour chaque îlot. Pour rendre les résultats encore plus fiables, nous avons écarté de la corrélation les îlots qui comportaient moins de 40 actifs en 1975, évitant ainsi les écarts dus aux petits effectifs de certains îlots. Les corrélations les plus fortes et les plus significatives concernent les quatre catégories sociales extrêmes (professions libérales et cadres supérieurs, industriels et gros commerçants, 159 contremaîtres et ouvriers qualifiés, ouvriers spécialisés et manœuvres), et les proportions d’immeubles construits entre 1850-1914. Voici ces résultats (il s’agit des coefficients de corrélation – r – entre les catégories socio-professionnelles aux trois recensements et la part d’immeubles construits sur la période 1850-1914. Le coefficient de détermination – r² – est précisé entre parenthèses) : Tabl. 40. Coefficients de corrélation et de détermination mesurant le lien existant entre la localisation des catégories socioprofessionnelles extrêmes et celle des immeubles de 1850-1914, dans le Marais (quartiers 9 à 15), en 1954, 1962 et 1975 1954 1962 1975 industriels et gros + 0,55 (0,30) + 0,54 (0,29) + 0,47 (0,22) commerçants professions libérales et + 0,43 (0,18) + 0,31 (0,10) + 0,28 (0,08) cadres supérieurs contremaîtres, ouvriers - 0,66 (0,44) - 0,47 (0,22) - 0,36 (0,13) qualifiés ouvriers spécialisés et - 0,53 (0,28) - 0,48 (0,23) - 0,37 (0,14) manœuvres Sources : données à l’îlot sur les CSP, RGP 1954, 1962, 1975, INSEE Comme nous l’avions supposé plus haut la présence d’immeubles des années 1850 à 1915 s’oppose à celle des classes populaires et est proche de celle des classes supérieures. Si les coefficients restent modérés, ils nous révèlent que ce sont les industriels et gros commerçants plus que les professions libérales et cadres supérieurs qui se trouvent dans les mêmes îlots que ceux où les proportions d’immeubles de 1850-1914 sont importantes. D’autre part, l’hypothèse d’une gentrification se diffusant assez peu dans ce parc se confirme : tous les coefficients diminuent entre 1954 et 1975. Preuve que les secteurs haussmannisés sont de moins en moins réservés aux classes bourgeoises, mais aussi que les secteurs plus anciens (et peut-être aussi plus récents compte tenu des constructions d’après-guerre) sont de moins en moins réservés aux classes laborieuses. Contrairement à ce que certains auteurs avancent, la gentrification du Marais ne s’est pas diffusée à partir de ces logements haussmanniens, mais bel est bien dans le cœur ancien du Marais. Ceci s’explique en partie par la localisation périphérique de ces logements haussmanniens. Pour les recensements de 1975 et 1982 (fichiers-détails) nous pouvons décomposer en deux périodes, avant 1871 et 1871-1914. Le changement de nomenclature des catégories socioprofessionnelles intervient malheureusement entre ces deux recensements, mais il nous paraît utile d’exposer ces données (tabl. 41) et de les commenter. 160 Tabl. 41. Répartition des personnes de référence selon les catégories socioprofessionnelles par âge de parc de logements, dans le Marais (quartiers 9 à 15), depuis 1975 1975 CSP 75 plcs cadmoy pic emp/perserv ouv autres act retr inac total csp 1982 avant 1871 8,2 (-) 8,7 (-) 7,9 (+) 18,3 (-) 22,7 (+) 2,1 (-) 23,2 (+) 8,9 (-) 100,0 1871-1914 cpis 10,9 (+) proi 8,9 (-) pic 7,2 (-) 18,8 (+) emp/perserv ouv 16,1 (-) 4,5 (-) retr 23,5 (+) inac 10,0 (-) total csp 100,0 CSP 82,90,99 avant 1871 17,8 (-) 11,6 (-) 6,7 (-) 15,5 (-) 13,6 (+) 23,9 10,8 100,0 1871-1914 16,8 (-) 11,8 (-) 7,4 (+) 16,3 (+) 14,2 (+) 23,8 9,6 100,0 1990 1999 avt 1915 avt 1915 26,6 (-) 31,5 (-) 13,2 (-) 15,3 (+) 7,1 (-) 6,3 (-) 11,7 (+) 11,6 (-) 9,3 (+) 5,2 (+) 21,5 (+) 17,5 (-) 10,6 (+) 12,8 (+) 100,0 100,0 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE1 Outre le fait que, depuis les années 90 (nous l’avons vu plus haut), la surreprésentation la plus importante dans le parc d’avant 1915 est celle des professions intermédiaires, nous constatons que les retraités restent majoritaires à la fois dans les résidences principales achevées avant 1871 et dans celles datant de 1871-1914, comme en 1975 et en 1982. La comparaison est possible entre les deux recensements, puisque la modification de la nomenclature (du moins à ce niveau de précision) n’a pas touché aux retraités. Leur part tend à augmenter entre les deux recensements, en particulier dans les résidences principales d’avant 1871. A l’opposé les ouvriers (que le changement de nomenclature a peu concernés – seuls les contremaîtres ne sont plus regroupés dans cette catégorie) voient leur part diminuer sensiblement, surtout dans les logements d’avant 1871, si bien qu’ils sont en 1982 mieux représentés dans les logements de 1871-1914. Il en va de même pour les patrons de l’industrie et du commerce. Les employés diminuent aussi assez sensiblement, davantage dans les résidences principales d’avant 1871 que dans celles datant de 1871-1914. Quant aux classes supérieures et moyennes, elles augmentent fortement, et davantage dans les logements de la période la plus ancienne. Pourtant, malgré le rattrapage sociologique du parc le plus ancien sur le plus récent, ces deux parcs ont en 1982 un profil plus populaire que la moyenne des logements du Marais, c’est-à-dire que les logements construits depuis la Grande Guerre. Si la gentrification semble se produire davantage dans les résidences principales d’avant 1871 que dans celles des années 1871-1914, ce n’est visiblement pas cette gentrification qui est la plus importante en terme de surreprésentations de classes supérieures. Et ce d’autant plus qu’en 1982 le parc d’avant 1915 représente toujours 84 % (il est donc intéressant de voir que ce parc 1 Entre parenthèses sont précisées si les valeurs sont plutôt en dessous (-) ou plutôt au-dessus (+) du profil moyen social de l’ensemble du parc de logements du Marais. 161 majoritaire est légèrement plus populaire que le profil moyen qu’il compose déjà à hauteur de 84 %) : le parc de 1915 et après connaît donc une surreprésentation importante de classes supérieures (nous l’avons d’ailleurs vu dans les graphiques précédents). Force est de conclure que les constructions achevées depuis 1949 sont le premier parc d’installation de populations aisées, avant même l’installation de classes moyennes supérieures dans des logements construits avant le XIXe siècle. Si les logements des XIXedébut XXe siècles ont été pendant longtemps le parc le plus bourgeois, leur position dominante est mise à mal par la gentrification du fait de l’arrivée d’habitants aisés dans les nouvelles constructions d’après 1948 (constructions qui se situent plus au sein du Marais qu’en sa périphérie, du moins celles qui ne sont pas destinées à devenir des HLM) et en second lieu par le processus de réhabilitation du parc le plus ancien qui a remplacé des classes laborieuses mal logées (état du bâti, sous équipement, taille des logements trop petite pour la taille des ménages) par des classes moyennes et supérieures mieux logées (amélioration du bâti et du confort, agrandissements). Ceci explique pourquoi le cœur même du Marais (le centre et le centre-est), sans avoir été celui qui était le plus dégradé, mais celui qui a connu un certain nombre de rénovations (et des rénovations non destinées à des logements sociaux comme celles de la périphérie du Marais) et beaucoup de réhabilitations, est le secteur qui s’est le plus gentrifié. Les logements du Marais se sont donc gentrifiés de différentes manières, en faisant intervenir différentes populations, et différents processus de remplacement. La gentrification du Marais s’est diffusée dans presque toutes les caractéristiques de parcs de logements, mais de manière inégale et différenciée. Nous avons vu que le parc des deux pièces (et les trois pièces), de secteur de la location vide non HLM et les logements les plus anciens ont fait l’objet de transformations socio-démographiques radicales, en l’espace d’une vingtaine d’années. Ce parc a connu un départ de sa population active populaire et plus encore de sa population retraitée populaire, remplacé par l’arrivée de nouvelles couches sociales, plus aisées, qui dominent maintenant ce parc, alors qu’elle y étaient il y a 25 ans en nette minorité. Les cadres et professions intellectuelles supérieures ne sont pas les seules, puisque les professions intermédiaires s’avèrent jouer un rôle important, et particulièrement dans le parc le plus ancien. Ce parc n’est pas un parc traditionnel d’embourgeoisement. Ce n’est pas le parc bourgeois du XVIe arrondissement de Paris, ni même de Saint-Germain-des-Prés. L’originalité de cette gentrification réside aussi dans les caractéristiques des logements où elle se produit : des 162 logements de taille moyenne, anciens, dominé par la location. Qui aurait cru que des classes bourgeoises décident de s’installer dans un parc si dégradé et vétuste ? Un parc qui n’est pas sans diversité sociale puisqu’il continue d’accueillir certaines classes populaires, celles qui résistent vaillamment aux envahisseurs. Mais à côté de cette gentrification, dans le Marais, il se produit un embourgeoisement plus traditionnel, celui de la montée sociale des propriétaires, des logements spacieux, et des plus récents. Les acteurs de cet embourgeoisement ne sont pas les mêmes que les précédents. Ce sont des actifs d’antan qui accèdent en vieillissant à la propriété, parfois dans du récent, mais souvent dans des logements assez grands. Cet embourgeoisement révèle l’avancement de la gentrification du Marais, puisqu’il s’agit de premiers gentrifieurs du Marais, installés depuis une vingtaine, voire une trentaine d’années. Cette élévation sociale du parc en propriété, des grands logements et des logements récents est due à une population aisée et âgée. Il faut cependant se garder de faire l’amalgame en corrélant ces différentes caractéristiques de parc. Il est peu probable que des cadres retraités deviennent propriétaires d’appartements spacieux dans des immeubles récents. Ne serait-ce que parce que les logements récents ne sont pas plus grands que les anciens, et d’autres raisons pourraient être avancées. Nous avons aussi vu l’importance qu’ont les constructions récentes de logements (rénovations) dans l’arrivée de nouvelles populations. Il y a donc deux gentrifications, l’une originale, qui est portée par une partie de la population active, et l’autre qui est le fait d’une partie de la population retraitée (qui s’est installée à l’âge actif dans le Marais il y a 30 ans), et les parcs de logements de ces deux gentrifications sont différents. Il faut aussi distinguer gentrification du parc ancien (par réhabilitation) et gentrification par construction d’un nouveau parc destiné à des populations plus aisées (par rénovation) qui sont toutes les deux apparues au cœur du Marais, et non à ses marges, c’est-à-dire là où les logements de type haussmanniens étaient peu nombreux (et déjà occupés par des ménages bourgeois), et là où les constructions récentes n’ont pas été destinées à des HLM. Enfin, le cas des studios est particulier : ils ont connu une certaine gentrification par l’arrivée d’étudiants, remplaçants les populations modestes, notamment dans les locations meublées. 163 164 B. Quelle est la population concernée par la gentrification ? Cherchons maintenant à connaître ces gentrifieurs. Qui sont-ils ? Quel âge ont-ils ? De quel type de ménage s’agit-il ? D’où viennent-ils ? Etablir le profil démographique de ces gentrifieurs nous aidera à comprendre l’originalité du processus de gentrification dans le Marais. Quels sont les populations exclues ? Qu’est-ce qui les caractérise ? a) Quel âge ont les gentrifieurs ? Les graphiques montrent l’évolution du nombre de personnes de référence de chaque catégorie socioprofessionnelle selon leur âge, entre 1982 et 1999, et lorsque cela a été possible (compte tenu des changements de nomenclature en 1982), entre 1975 et 1999. Ces données concernent les quartiers 9 à 15 et sont le résultat d’un croisement entre catégories socio-professionnelles et âges quinquennaux des personnes de référence, croisement réalisé à partir des fichiers-détails. Nous avons préféré représenter les effectifs aux proportions par âges car les graphiques obtenus sont plus lisibles immédiatement. Nous avons également tenu à garder la même échelle pour tous les graphiques afin de permettre les comparaisons entre eux. Pour chacune des catégories les effectifs actifs et les effectifs retraités ont été réunis, afin de mieux voir leur vieillissement ou leur rajeunissement. Les courbes de 1975 (celles des professions libérales et cadres supérieurs, des ouvriers, des employés) ne figurent qu’à titre indicatif et ne comprennent pas les retraités de la catégorie correspondante. Incontestablement, c’est l’évolution des cadres et professions intellectuelles supérieures qui est la plus spectaculaire. 165 Graph. 28. Evolution du nombre de PR cadres et professions intellectuelles supérieures actives ou retraitées selon leur âge entre 1975 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 2 000 X X 1 500 Y Y plcs 1975 1982 X Y 1 000 1990 1999 Z 500 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE Cette catégorie augmente à tous les âges. Ceci est plus un phénomène structurel parisien que particulier à la population du Marais ; il est caractéristique de l’ascension sociale en France et particulièrement en Ile-de-France. Trois augmentations importantes sont a relever. Elles ne se font pas aux mêmes âges et n’ont pas les mêmes logiques de croissance. La première est la plus importante, elle concerne les 25-35 ans, à tous les recensements : sur le graphique elle est représentée en X. Cette tranche d’âges augmente uniquement chez les cadres et professions intellectuelles supérieures. Cette population nouvelle de classes supérieures, jeune, se renouvelle à chaque recensement, puisque elle ne semble pas rester dans le Marais d’un recensement à l’autre (pas de déplacement de la bosse 25-35 ans). Elle est caractéristique des quartiers en gentrification : ce sont les yuppies, ou les jeunes cadres dynamiques dont il question dans toute la littérature sur le sujet. Cette tranche d’âges, celles de jeunes actifs en passe d’entrer sur le marché du travail et en ascension sociale est particulièrement importante à Paris de manière générale. Dans le Marais, ces 25-35 ans ont pendant longtemps été moins nombreux que les classes populaires (employés, ouvriers) ou moyennes (professions intermédiaires), comme le montrent les graphiques sur ces catégories. Depuis une vingtaine d’années, les classes supérieures prennent de plus en plus d’importance dans ce groupe d’âges, et deviennent presque majoritaires en 1999. 166 La deuxième évolution à remarquer est celle qui est représentée en Y. Il s’agit dans ce cas d’une population que l’on retrouve à chaque recensement mais décalée dans le temps : il y a par conséquent un effet générationnel dans cette évolution. Il s’agit de générations qui ont entre 30 et 35 ans (approximativement) en 1982, entre 40 et 45 ans en 1990, entre 50 et 55 ans en 1999, c’est-à-dire de générations nées entre 1945 et 1950, du début du baby-boom. Bien que ces générations soient particulièrement nombreuses, elles n’apparaissent nettement que sur le graphique des cadres et professions intellectuelles supérieures (à peine sur les graphiques des autres catégories). Cette génération aurait donc joué un rôle important dans la gentrification du Marais, en plus du rôle des jeunes actifs. On remarque que les effectifs de cette génération croissent encore jusqu’au recensement de 1990, après lequel ils se stabilisent, sans fléchir. La troisième évolution, figurée en Z est plus ténue : elle concerne l’augmentation de cadres retraités. Du fait de sa très faible ampleur comparée aux deux premières, nous ne commenterons pas plus cette évolution. Détaillons un peu plus selon les différentes sous-catégories de cadres et professions intellectuelles supérieures, afin de voir si les deux évolutions les plus importantes (25-35 ans et générations du baby-boom) concernent des milieux sociaux différents. Graph. 29. Evolution du nombre de PR de professions libérales actives selon leur âge entre 1975 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 2 000 1 750 1 500 1 250 1975 1982 1 000 1990 1999 750 500 250 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE 167 Graph. 30. Evolution du nombre de PR cadres du secteur public ou de profession intellectuelle ou artistique (actives) selon leur âge entre 1982 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 1 500 1 250 1 000 750 Y Y 1982 Y 1990 1999 500 250 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1982 à 1999, INSEE Graph. 31. Evolution du nombre de PR cadres du secteur privé actifs selon leur âge entre 1982 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 1 500 X 1 250 1 000 X 1982 750 1990 1999 500 X Y Y Y 250 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1982 à 1999, INSEE Nous voyons que les professions libérales (graph. 27) augmentent globalement assez peu entre 1975 et 1999 (même si les hausses relatives sont assez importantes du fait des faibles effectifs). Les deux évolutions X et Y n’apparaissent pas. Force est de conclure que les professions libérales participent très marginalement à la gentrification du Marais. En revanche, les cadres de la fonction publique et professions intellectuelles ou artistiques (graph. 28) montrent une évolution de type Y, et pas de type X. Cela signifie que cette 168 catégorie appartient plus à la génération du baby-boom, et vieillit sur place dans le Marais, sans se renouveler aux âges jeunes. Les effectifs de ces générations augmentent même d’un recensement à l’autre, preuve que le Marais attire d’autres personnes de ces générations et de ces catégories sociales. Ces dernières constituent la première population qui a gentrifié le Marais, arrivant dans années 70, à des âges actifs jeunes. Quant aux cadres d’entreprise (graph. 29), leur évolution est surtout de type X et secondairement de type Y. Cette catégorie est celle qui représente la majeure partie de la hausse des classes supérieures entre 25 et 35 ans, de 1982 à 1999. Une partie de cette catégorie sociale appartient aux premières générations du baby-boom, mais leur augmentation dans le temps n’a rien à voir en terme d’ampleur avec celle des 25-35 ans. La gentrification du Marais s’est donc faite par deux populations différentes, par deux vagues successives : - la première, celle qui a participé le plus tôt au processus, est celle des professions supérieures intellectuelles ou artistiques, ou de secteur public, au capital plus culturel qu’économique, qui appartiennent aux générations du début du baby-boom et qui ont vieilli sur place tout en se renforçant ; - la deuxième, celle qui a participé un peu plus tard au processus, est celle des professions supérieures du secteur privé, au capital plus économique que culturel, qui appartiennent aux jeunes âges actifs et qui se renouvellent sans vieillir sur place. Nous pouvons aller plus loin dans la description de ces deux populations, notamment en précisant leur relation avec le parc de logements. Nous avons choisi de représenter ici certains types du parc de logements : l’évolution des propriétaires, des locataires non HLM, des deux pièces et des quatre pièces et plus, suivant l’âge des personnes de référence qui sont de ces classes supérieures. On voit que : - les jeunes actifs, donc plutôt des cadres d’entreprise, ont gonflé les rangs des locataires non HLM et ceux des deux pièces ; - les actifs de la génération du baby-boom, donc plutôt des milieux intellectuels, artistiques ou du secteur public, ont gonflé ceux des propriétaires (plus que des locataires non HLM) et ceux des quatre pièces ou plus. 169 Graph. 32. Evolution du nombre de PR cadres et professions intellectuelles supérieures propriétaires de le leur logement selon leur âge, entre 1982 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 1 500 1 250 1 000 750 Y plcs 1975 1982 1990 1999 Y 500 Y 250 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE Graph. 33. Evolution du nombre de PR cadres et professions intellectuelles supérieures occupant un appartement à loyer libre selon leur âge, entre 1982 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 1 500 1 250 X 1 000 X 750 X Y Y 500 plcs 1975 1982 Y 1990 1999 250 0 20 30 40 50 60 70 80 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE 170 90 Graph. 34 et 35. Nombre de PR cadres du secteur public et professions intellectuelles ou artistiques et de PR cadres du privé qui sont locataires non HLM (rouge) et propriétaires (bleu) selon leur âge, en 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) Cadres fonct° public, prof. intel. art. Cadres du secteur privé 2 250 2 250 2 000 2 000 1 750 1 750 1 500 1 500 1 250 1 250 1 000 1 000 750 750 500 500 250 250 0 0 20 30 40 50 60 70 20 30 40 50 60 70 Sources : fichiers-détails RGP 1999 Graph. 36. Evolution du nombre de PR cadres et professions intellectuelles supérieures occupant des deux pièces selon leur âge, entre 1975 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 1 000 X 750 X plcs 1975 1982 1990 500 X 1999 250 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE 171 Graph. 37. Evolution du nombre de PR cadres et professions intellectuelles supérieures occupant des quatre pièces ou plus selon leur âge, entre 1975 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 1 000 750 500 Y plcs 1975 Y 1982 1990 Y 250 1999 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE Mais il ne faut pas s’y tromper : les cadres du secteur public et les professions intellectuelles ou artistiques (cpis2) restent plus modestes comparées aux cadres du secteur privé (cpis3). Les graphiques révèlent surtout des effets d’âges qui font que en vieillissant la population devient davantage propriétaire et s’installe dans des logements plus grands. C’est une population peu mobile du fait de son statut de salarié du public (pour la plupart), et qui a fait le choix de rester à Paris (emplois stables). Il faut donc tenir compte des différences de structures par âges qui nous dissimulent une partie de la réalité : entre 45 et 55 ans, seulement 34 % des cadres du public et professions intellectuelles ou artistiques contre 51 % des cadres d’entreprise sont propriétaires ; seulement 29 % des cadres du public et professions intellectuelles ou artistiques contre 42 % des cadres d’entreprise vivent dans des quatre pièces ou plus, à âge équivalent. Les cadres d’entreprise sont donc plus souvent propriétaires et vivent plus souvent dans des grands logements que les cadres du public et professions intellectuelles ou artistiques. D’autre part, la part de propriétaires chez les cadres et professions intellectuelles supérieures a baissé entre 1982 et 1999, preuve que le secteur locatif libre reste privilégié. Jusqu’aux années 90 les cadres du public et professions intellectuelles ou artistiques étaient la catégorie supérieure la mieux représentée dans le parc en propriété (comme dans l’ensemble du parc), mais en 1999 elles sont devancées par les 172 cadres d’entreprise. La poussée des propriétaires des années 80 a profité aux cadres du public et aux professions intellectuelles ou artistiques, ce qui fait qu’en 1990 ils sont plus souvent en propriété que les cadres du secteur privé. Mais en 1999 ces derniers sont plus propriétaires que les premiers, du fait sans doute de l’arrivée de nouveaux cadres du public dans le secteur locatif. Il faut dire aussi que les cadres du secteur public sont bien souvent moins bien rémunérées que leurs homologues du secteur privé, et le coût du logement augmentant sensiblement dans les années 90, il est évident que les cadres de la fonction public ont trouvé des difficultés à se loger, en particulier pour ceux qui étaient locataires à loyer libre. Enfin, il faut insister sur le fait que la hausse des prix immobiliers se traduit sans doute par un retard de l’âge à l’accession à la propriété, même parmi les classes supérieures, expliquant aussi le vieillissement progressif de la pyramide des âges des cadres propriétaires (graph.30). On ne peut donc pas conclure hâtivement que ce sont des jeunes actifs qui ont gentrifié le parc des deux pièces et le parc locatif, et que ce sont plutôt les actifs de la génération du babyboom qui ont gentrifié le parc en propriété et les grands logements. Regardons les cartes des proportions d’actifs de 25-35 ans et celles d’actifs de 45-55 ans, en 1999, par iris. Si les 25-35 ans et les 45-55 ans ne se trouvent pas dans les secteurs les plus aisés du Marais, ils ont des répartitions bien spécifiques : les plus jeunes au nord-ouest et sur le flanc ouest, les plus âgés au centre du Marais. Bien entendu, les actifs cartographiés ici ne sont pas que des cadres et professions intellectuelles supérieures, mais ces derniers représentent au moins 40 % de la population active, à quelques exceptions près. 173 Nous avons ensuite voulu savoir si l’opposition entre les différentes sous-catégories de cadres et professions intellectuelles supérieures se retrouvait dans l’espace du Marais. Nous avons d’abord regardé les proportions de chaque sous-catégorie (professions libérales, cadres du publics/professions intellectuelles ou artistiques, cadres d’entreprise) dans le nombre total de cadres et professions intellectuelles supérieures, en 1999 (seules données dont nous disposons à une échelle plus fine que le quartier). Nous obtenons les trois cartes suivantes, et nous avons ajouté celle de la proportion des cadres et professions intellectuelles supérieures dans la population active totale. Les données sont à l’iris 2000. Seules les professions libérales (cpis1) se situent très clairement du côté des secteurs les plus bourgeois du Marais (façade est, centre-est, sud-est). Les cadres de la fonction publique et les professions intellectuelles ou artistiques (cpis2) se trouvent bien représentés dans les quartiers Saint-Gervais ou Arts-et-Métiers. Ils semblent moins présents dans les secteurs plus bourgeois. Quant aux cadres d’entreprise (cpis3) ils se situent au nord-est du Marais et dans certains iris du sud-ouest et dans le sud-est. Eux aussi, mais moins clairement, semblent à l’écart des secteurs les plus bourgeois (à l’exception de l’extrême sud-est). La distribution spatiale des professions supérieures se manifeste donc plus par une opposition professions libérales – autres professions supérieures (secteurs public et privé confondus) que par une opposition entre professions intellectuelles, artistiques ou du secteur public et cadres du privé. Les gentrifieurs que nous avons identifiés se concentrent donc dans les quartiers initialement les plus populaires du Marais. On les retrouve à peu près dans les mêmes quartiers, à quelques nuances près. De manière générale, les professions libérales se trouvent plutôt dans les secteurs où la propriété est plus présente (mais il n’y a pas d’adéquation parfaite entre les deux cartes) ; or dans le Marais, les professions libérales ne représentent pas plus de 12 % des cadres et professions intellectuelles supérieures. Force est de constater que ce sont ces seuls 12 % qui expriment le clivage social le plus évident du Marais, à savoir un clivage entre quartiers bourgeois et quartiers moins bourgeois. Les professions libérales se trouvent dans les quartiers qui sont traditionnellement plus aisés, et entre 1982 et 1999 leur part évolue peu comparée aux autres catégories supérieures (nous l’avons vu). D’autre part, les cadres du secteur public/professions intellectuelles ou artistiques et les cadres d’entreprise ne se situent pas exactement non plus dans les mêmes secteurs. Au regard des deux cartes du haut, nous pouvons comparer leur localisation. Les cadres d’entreprise (cpis3) sont plutôt au nord de la rue de Bretagne, dans les iris du centre G. Pompidou et de l’Hôtel de Ville, au sud de la rue Saint-Antoine, c’est-à-dire dans les secteurs intermédiaires du Marais. A l’opposé, les cadres de la fonction public et les 175 professions intellectuelles et artistiques se situent plutôt aux alentours des Arts et Métiers, et dans le quartier Saint-Gervais, c’est-à-dire dans des quartiers plus populaires ou des secteurs à forte proportion de logements HLM (sud du quartier Saint-Gervais). Pour autant, il n’y a pas de démarcation spatiale suivant le statut d’occupation des résidences principales entre ces deux catégories. Les secteurs à forte proportion de propriétaires occupants ne sont pas dominés par les cadres du public, et dans ceux où la location est très sur-représentée, les cadres d’entreprise ne sont pas majoritaires. Qu’en est-il alors du clivage que nous observions sur les graphiques plus haut ? Il faut en déduire que ces deux catégories se partagent une grande partie du parc dans les secteurs où la location est très largement majoritaire. Cela étant, ces deux catégories (vagues) de gentrifieurs se distinguent. La première, celle des années 70-80, est davantage le fait de cadres de la fonction publique et de professions intellectuelles et artistiques, aux revenus plus modestes. Avec eux, sans doute des professions intermédiaires. Il s’agit des générations du début du baby-boom, et ces années 70-80 coïncident ave leur arrivée sur le marché du travail. Le quartier est justement en train de retrouver son attrait culturel avec le projet du Centre Pompidou et les restaurations d’hôtels particuliers. Les logements encore très abordables permettent à ces jeunes actifs de trouver un appartement assez facilement. Dans la deuxième partie des années 80, beaucoup d’entre eux achèteront leur logement, mais ils restent encore nombreux à ne pas pouvoir le faire. Ils préfèrent dans tous les cas rester dans le quartier qui correspond à leurs valeurs, plutôt que d’acheter un pavillon de banlieue, même s’ils viennent de fonder une famille et malgré la hausse régulière de leur loyers. Ces générations vieillissent sur place, tandis que de nouvelles populations, d’un autre genre, arrivent dans le Marais. C’est la deuxième vague de gentrifieurs, celle des cadres d’entreprise, bien plus aisés que les premiers. Ils s’installent dans le Marais pour quelques années seulement, même si certains d’entre eux n’hésitent pas à acheter un appartement et à rester dans le quartier. Mais c’est une population qui se renouvelle beaucoup, qui a entre 25 et 35 ans, et qui a été séduite par l’animation du quartier… et sa renaissance grâce aux premiers gentrifieurs. Ces derniers finissent d’ailleurs par devenir minoritaires, dans un nombre croissant de secteurs du Marais, résistant autant qu’ils peuvent aux pressions immobilières exercées par leurs successeurs. 176 Mais qu’en est-il des retraités aisés, ceux que nous avions identifiés comme prenant part à la gentrification ? Certes, ils ne représentent pas la majeure partie des retraités habitant le Marais. Pourtant, en 1999, les retraités cadres ou professions intermédiaires représentent environ 15 % des propriétaires dans le Marais, contre 12 % pour les cadres du public (et professions intellectuelles ou artistiques) et 16 % pour les cadres du privé. En 1982, la part de ces retraités était seulement de 7 % (11 % pour chacune des deux autres catégories). Dans le secteur locatif non HLM, ces mêmes retraités représentent en 1999 4 % (5 % en 1982) contre 14 % pour les cadres du public/professions intellectuelles ou artistiques et 17 % pour les cadres d’entreprise (respectivement 8 % et 6 % en 1982). Ils jouent donc un rôle dans le parc en propriété, au même titre que les cadres et professions intellectuelles supérieures actifs ont joué une rôle dans le parc locatif. Une corrélation logique montre que là où la part des propriétés est importante dans le Marais, la part des plus de 60 ans l’est aussi. De plus là où il y a les personnes âgées sont nombreuses, il y a une forte proportion de retraités cadres parmi les retraités. Les quartiers les plus cossus du Marais, ceux où la propriété est très présente et où les logements sont plus grands et mieux équipés, comptent une part importante de retraités aisés. Néanmoins, ces retraités restent minoritaires parmi les retraités, et a fortiori dans la population totale. L’impact de cette population qui s’est installée dans ces secteurs au début de la gentrification, pendant les Trente Glorieuses, alors qu’elle était active, reste donc tout relatif. Du fait des décès qui ont touché les populations les plus anciennes du Marais, on peut cela dit imaginer que leur arrivée dans ces quartiers du centre-est et sud-est du Marais est révélatrice des débuts de la gentrification. Ils restent le témoin vivant des secteurs les plus tôt investis par des classes moyennes supérieures, alors que la gentrification n’en était qu’à ses prémices. Les autres catégories socioprofessionnelles sont moins intéressantes à étudier. Nous avions fait l’hypothèse d’un éventuel rôle des professions intermédiaires dans la gentrification. Voyons leurs effectifs par âge. Cette catégorie est la plus nombreuse vers 30-35 ans, à l’instar des cadres et professions intellectuelles supérieures. Les effectifs des cadres moyens de 1975 ne sont qu’une indication du fait du changement de nomenclature : les cadres moyens ne recouvrent pas les professions intermédiaires. Il semble que ces dernières aient joué un rôle dans la gentrification, mais que celui-ci diminue depuis les années 1990, sans doute en raison du renchérissement du coût du logement. Et ceci est d’autant plus plausible que la part de retraités de ces professions est assez importante (bien plus importante que la population des retraités cadres par exemple, mais aussi des retraités ouvriers, qui se sont installées il est vrai 178 depuis un certain temps). Aux âges actifs jeunes la catégorie augmente jusqu’aux années 1980. Par contre, vers 40-60 ans, la hausse semble se poursuivre. Sans doute les générations du baby-boom ont-elles participé de cette évolution, mais rien de très marqué : comparées à celle des cadres et professions intellectuelles supérieures, ces évolutions sont marginales. Les professions intermédiaires ont donc joué un rôle très secondaire, du moins quantitativement, car ces elles ont sans doute contribué à l’attractivité du quartier pour la première vague de gentrifieurs, dans les années 70. Graph. 38. Evolution du nombre de PR de professions intermédiaires actives ou retraitées selon leur âge, entre 1975 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 2 250 2 000 1 750 1 500 cadmoy 75 1 250 1982 1 000 1990 750 1999 500 250 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE Les classes populaires sont logiquement exclues du processus de gentrification : leurs effectifs baissent et à tous les âges. Il n’y a pas vieillissement sur place d’une ancienne classe ouvrière : la gentrification affecte tant les actifs pauvres que les retraités pauvres. Notons que les employés observent une hausse relative à certains âges entre 1990 et 1999 : c’est que cette catégorie reste en partie dans le Marais, en particulier aux âges 25-40 ans, qui s’explique sans doute par l’augmentation du nombre de logements HLM. Dans un premier temps les employés vieillissent sur place, et dans un second (années 90) de jeunes employés arrivent. La dualisation sociale du Marais n’est pas encore prête de prendre fin. 179 Graph. 39 et 40. Evolution du nombre de PR ouvriers et de PR employés et personnels de service (actifs ou retraités) selon leur âge, entre 1975 et 1999, dans le Marais (quartiers 9 à 15) 2 000 1 500 ouv 1975 1982 1990 1 000 1999 500 0 20 30 40 50 60 70 80 90 2 000 1 500 emp 1975 1982 1990 1 000 1999 500 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE Nous venons de voir qu’il existe trois types de gentrifieurs, correspondant à des rythmes différents de la gentrification, rythmes qui se manifestent aussi distinctement dans l’espace. Les premiers gentrifieurs, des années 60-70, retraités aujourd’hui, se sont installés au centreest et au sud-est. Les seconds, dans les années 70-80, participent du renouveau culturel et architectural du quartier : déjà la rénovation et les grands travaux laissent peu à peu place aux initiatives privées de réhabilitation. Ces seconds gentrifieurs s’installent plutôt dans le quartier Saint-Gervais et vers le métro Arts-et-Métiers, mais aussi dans le centre du Marais. Enfin, les derniers gentrifieurs, les plus jeunes et dynamiques, s’installent durant les années 80-90 près de Beaubourg, mais aussi au nord de la rue de Bretagne. Il semble donc y avoir une 180 progression spatiale de la gentrification, de l’est vers l’ouest, du sud vers le nord. Les populations vieillissent sur place ou s’en vont ailleurs, mais la structure par âge des espaces du Marais, ainsi que la localisation de ses classes supérieures, actives ou retraitées, sont révélatrices de cet avancement du front de gentrification. Le gentrifieur, quand il arrive dans le Marais, est jeune, finissant ses études, ou fraîchement diplômé et recherchant ses premiers emplois qualifiés. Puis, ce gentrifieur, avec le temps, restera ou quittera le Marais. Il y a des effets d’âges et de générations. Il est un peu rapide de dire que les gentrifieurs restent dans le Marais une fois qu’ils se sont réapproprié cet espace central parisien. Il s’opère un phénomène de concurrence entre différents gentrifieurs : la sélectivité ne se fait pas qu’entre classes laborieuses et classes bourgeoises, elle se fait aussi au sein de l’élite du Marais, qui n’a cessé de se renouveler en 40 ans. Les gentrifieurs d’autrefois ne sont pas les gentrifieurs d’aujourd’hui. Et cette sélectivité opère bien souvent à travers le spectre du parc de logements : entre ceux qui peuvent accéder à la propriété et ceux qui se retranchent dans l’incertain locatif, pour peut-être se résoudre au locatif HLM, entre ceux qui peuvent se permettre d’habiter des grandes superficies et ceux qui sont contraints à un confort relatif, contrepartie de leur choix d’habiter au centre. 181 b) Quels types de ménages sont les gentrifieurs ? La structure des ménages des cadres et professions intellectuelles supérieures pourra peutêtre nous éclairer encore davantage. Regardons ces graphiques : Graph. 41. Evolution du nombre de PR cadres ou de profession intellectuelle supérieure vivant seules selon leur âge, entre 1982 et 1999, dans le Marais 1 500 1 250 X 1 000 X 1982 750 1990 XY 500 Y 1999 Y 250 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Graph. 42. Evolution du nombre de PR cadres ou de profession intellectuelle supérieure vivant dans un ménage biactif sans enfant, selon leur âge, entre 1975 et 1999, dans le Marais 400 X 300 plcs 1975 1982 200 Y 1990 Y 1999 Y 100 0 20 30 40 50 60 70 80 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE 182 90 Graph. 43. Evolution du nombre de PR cadres ou de profession intellectuelle supérieure vivant dans un ménage biactif avec enfant(s), selon leur âge, entre 1975 et 1999, dans le Marais 400 Y 300 Y plcs 1975 Y 200 1982 1990 1999 100 0 20 30 40 50 60 70 80 90 Sources : fichiers-détails RGP 1975 à 1999, INSEE Une fois de plus nous constatons que les cadres et professions intellectuelles supérieures n’ont pas toutes les mêmes structures de ménages. Les personnes des classes supérieures vivant seules ont augmenté à tous les âges, et le profil d’évolution ressemble d’assez près à l’évolution globale par âge. C’est que la majeure partie des cadres et professions intellectuelles supérieures est constituée de ménages d’une seule personne, aussi bien pour les générations du baby-boom que pour les jeunes âges actifs. Si l’on se tourne du côté des biactifs, en revanche, il semble s’opérer une scission plus nette entre ces deux populations. Nous entendons par biactif un ménage en couple (avec ou sans enfant, marié ou non) et dont les deux membres sont actifs. La scission s’opère suivant la présence ou non d’enfants. Les couples biactifs sans enfants sont plus jeunes (ce qui est logique en soi), et ils augmentent beaucoup à 25-35 ans. Parmi ces couples on trouve aussi des générations du baby-boom mais leurs effectifs décroissent, sans doute parce qu’ils ont progressivement des enfants. Les couples biactifs sans enfants de ces classes supérieures sont donc avant tout des jeunes actifs, qui ne semblent pas rester dans le Marais. Notons que leurs effectifs se réduisent même entre 1990 et 1999. Les classes supérieures en couples biactifs avec enfant(s) sont par contre plus clairement issues des générations du baby-boom (leurs effectifs augmentent d’un recensement à l’autre). En somme, les cadres et professions intellectuelles se divisent en deux types de ménages : 183 - d’âges actifs jeunes (25-35 ans), travaillant comme cadres d’entreprises, essentiellement seuls ou en couples biactifs sans enfant (mais parfois aussi avec un enfant), et ne restant pas dans le Marais (sans doute qu’en achetant un appartement certains revendent leur bien pour faire une plus-value, mais la plupart est en location à loyer libre) ; - des générations du début du baby-boom, travaillant plutôt dans les professions intellectuelles, artistiques ou dans le secteur public, constituées souvent de personnes seules, mais aussi beaucoup en couples biactifs avec plusieurs enfants (mais parfois sans), et restant plus souvent dans le Marais (cf. mobilité résidentielle différentielle dans c)). On peut distinguer parmi les ménages de personnes seules, les hommes et les femmes : Tabl. 42. Proportions de quelques catégories socio-professionnelles dans le total de ménages d’hommes seuls et de femmes seules. Evolutions en points entre 1982 et 1999 cpis1 cpis2 cpis3 proi emp1 emp2 ouqa osm Ménages d'hommes seuls Ménages de femmes seules 1982 1990 1999 évol 82-99 1982 1990 1999 évol 82-99 +3,0 +1,3 1,1 2,4 4,1 0,9 1,3 2,2 +2,8 +5,0 10,8 13,8 13,6 6,5 10,5 11,5 +9,1 +7,1 8,3 14,4 17,4 3,0 8,7 10,1 +0,9 +2,7 13,3 13,9 14,2 11,4 13,6 14,1 -0,9 -0,5 4,1 3,2 3,2 3,6 2,4 3,1 -0,4 -4,6 10,3 8,2 9,9 16,1 11,5 11,5 -6,5 -0,5 10,8 7,2 4,3 1,1 0,8 0,6 -7,3 -1,1 8,2 4,0 0,9 2,0 1,0 0,9 Sources : fichiers-détails RGP 1982, 1990, 1999, INSEE Les gentrifieurs semblent être globalement plutôt des hommes seuls que des femmes seules. Les hommes seuls sont dans des meilleurs positions professionnelles que les femmes, reflet des inégalités sociales que l’on retrouve partout en France. Les ménages de femmes seules sont surtout (si l’on exclut les retraitées) de professions intermédiaires, employés de bureau, ou cadres du secteur public. Les ménages d’hommes seuls sont surtout des cadres du privé, des professions intermédiaires et des cadres du public. Mais les femmes rattrapent progressivement les hommes, plus dans les classes moyennes (professions intermédiaires, et même cadres du public) que dans les classes supérieures (professions libérales, cadres d’entreprise). Ces ménages de femmes seules jouent donc un rôle important dans les franges inférieures des classes supérieures. 184 Pour être plus précis concernant la gentrification selon la taille des ménages et celles des logements, nous avons croisé les catégories socio-professionnelles avec les types de ménages et avec la taille de leur résidence principale (nombre de pièces). Nous obtenons un tableau complexe qui a cependant l’avantage de résumer les phénomènes de concurrences entres classes sociales, entre tailles de ménages, pour différentes tailles de logements. Faire des graphiques à partir de ce tableau serait trop fastidieux pour illustrer l’ensemble du processus. Ce tableau provient donc de croisements effectués à partir des fichiers-détails de 1982, 1990, 1999. C’est un résumé des différents tableaux de contingence (croisement). Il y a autant de tableaux de contingence que de nombre de pièces (du studio au quatre pièces et plus) et que de recensement (trois dans ce cas). Explicitons la lecture du tableau présent. Ces pourcentages sont les proportions de chaque case de ces tableaux de contingence dans le nombre total de ménages vivant dans telle taille de logement. Par exemple, en 1982, 3,5 % des ménages vivant dans des deux-pièces étaient des couples biactifs avec enfant dont la personne de référence était ouvrière. On peut lire le tableau en colonne : comparaison des représentations des différents types de ménages et catégories sociales, par taille de résidence principale (les valeurs importantes ou les hausses importantes sont en rouge). Exemple : on voit qu’en 1999 les studios sont essentiellement occupés par des ménages d’une personne, et qu’ils sont 10,6 % à être des hommes cadres ou professions intellectuelles supérieures vivant seuls, mais aussi 9,4 % à être des femmes employées. On peut aussi le lire en ligne : comparaison des représentations des différentes les tailles de logements par type de ménages et catégorie sociale (les valeurs ou hausses les plus importantes sont surlignées en jaune, les baissent les plus fortes en bleu). Exemple : on voit que les couples biactifs avec enfant(s) dont la personne de référence est cadre ou professions intellectuelle supérieure se trouvent massivement dans les quatre pièces ou plus dans lesquels ils représentent en 1999 17,1 % des ménages, alors que les biactifs avec enfant(s) dont la personne de référence est ouvrière sont plutôt dans des 3 pièces dans lesquels ils ne représentent cependant que 1,7 % des ménages. Notons que les biactifs avec enfants dans des studios sont si peu nombreux (même en 1982) que nous n’avons pas indiqué leurs représentations, parfaitement négligeables. 185 studios 2 pièces 3 pièces 4 pièces ou + 1982 1990 1999 82-99 1982 1990 1999 82-99 1982 1990 1999 82-99 1982 1990 1999 82-99 ménages d'une pers. 1,7 1,6 2,9 0,9 1,6 0,6 CPIS 2 H seuls 3,7 4,5 4,4 2,8 4,2 4,9 +2,1 +1,2 -0,3 +0,7 1,5 2,5 3,7 0,5 0,8 0,6 CPIS 3 H seuls 2,3 4,4 5,2 2,7 4,5 6,9 +4,2 +2,2 +0,1 +2,9 3,4 4,5 8,3 1,8 2,9 1,9 CPIS H seuls 6,2 9,4 10,6 5,7 9,5 12,9 +7,2 +4,9 +0,1 +4,4 2,2 2,4 3,7 0,5 1,0 0,6 PROI F seules 5,0 5,9 6,0 3,9 5,9 5,5 +1,6 +1,5 +0,1 +1,0 2,4 2,4 2,3 0,8 0,8 0,6 EMP F seules 10,7 8,0 9,4 5,8 3,7 3,7 -2,1 -0,1 -0,2 -1,3 2,6 1,6 1,0 1,1 0,8 0,6 0,2 0,3 0,3 OUV H seuls 11,0 6,7 2,9 -8,1 -1,6 -0,5 +0,1 RETR F seules 11,1 8,9 5,0 15,2 12,6 9,4 11,7 11,6 8,9 5,8 5,1 7,0 -6,1 +1,2 -5,8 -2,8 ménages de couples CPIS 2 biact ss enf 0,4 0,7 0,2 1,5 1,7 1,4 2,1 2,2 2,3 1,9 2,1 0,6 -1,3 -0,2 -0,1 +0,2 CPIS 3 biact ss enf 0,3 0,6 1,0 1,2 2,1 1,8 1,3 2,7 5,8 1,8 1,5 1,6 +4,5 +0,7 +0,6 -0,2 CPIS biact ss enf 0,8 1,4 1,4 2,9 4,0 3,5 4,0 5,4 8,9 4,4 4,4 2,2 +4,9 -2,2 +0,6 +0,6 1,6 0,9 1,0 PROI biact ss enf 1,0 1,3 1,5 2,0 1,8 2,5 2,2 2,0 0,9 -1,3 -0,6 +0,5 +0,5 1,6 0,9 EMP biact ss enf 1,4 0,9 0,6 1,7 1,1 0,5 1,4 0,5 0,3 0,3 -1,2 -0,8 -0,2 -0,2 OUV biact ss enf 2,2 1,5 0,4 2,4 2,2 1,1 1,5 1,0 0,0 0,5 0,5 0,3 -1,8 -1,3 -1,5 -0,2 ménages de familles CPIS 2 biact av enf 0,3 0,7 0,5 1,7 2,5 0,9 4,6 6,6 6,7 +2,1 +0,2 -0,8 CPIS 3 biact av enf 0,2 0,6 0,2 2,1 2,5 3,5 5,1 6,9 7,0 +1,9 0,0 +1,4 CPIS biact av enf 0,7 1,4 0,7 4,2 5,4 4,6 11,8 16,8 17,1 +5,3 0,0 +0,4 PROI biact av enf 1,0 0,7 0,4 2,8 2,8 1,7 3,8 4,1 5,6 -1,1 +1,8 -0,6 EMP biact av enf 0,8 0,8 1,1 2,7 1,9 2,3 2,8 2,1 1,6 -1,2 +0,3 -0,4 3,5 OUV biact av enf 3,5 2,0 1,1 2,8 1,7 2,1 2,5 1,0 -2,4 -1,8 -1,1 autres ménages CPIS Hac Fina av 0,1 0,2 0,0 0,3 0,4 1,0 1,9 1,7 1,2 7,7 6,5 5,7 -2,0 -0,1 +0,7 -0,7 RETR HF inactifs 2,0 1,0 1,0 6,3 5,0 3,4 10,0 9,2 6,9 10,5 10,7 12,1 -3,1 +1,6 -1,0 -2,9 Toutes CSP et tous 100,0 100,0 100,0 0,0 100,0 100,0 100,0 0,0 100,0 100,0 100,0 0,0 100,0 100,0 100,0 0,0 types de ménages TABL. 43 REPARTITION DE CHAQUE TYPE DE MENAGE DANS CHAQUE TAILLE DE PARC DE LOGEMENTS. SOURCES : FICHIERS-DETAILS RGP 1982, 1990, 1999, INSEE CPIS 2 = cadres de la fonction public, professions intellectuelles ou artistiques ; CPIS 3 = cadres d’entreprise ; CPIS = cadres et professions intellectuelles supérieures (=CPIS 1 + CPIS 2 + CPIS 3) ; CPIS 1 = professions libérales ; PROI = professions intermédiaires ; EMP = employés et personnels de service ; OUV = ouvriers ; RETR = retraités. H = hommes ; F = femmes ; biact. = couple d’homme et de femme actifs ; ss enf = sans enfant ; av enf = avec enfant(s) ; Hac Fina av = couple d’un homme actif et d’une femme inactive ; HF inactifs = couple d’inactifs. Taille des ménages les mieux représentées et dont la part augmente le plus (comparaison par colonne). Taille des logements les mieux représentées et dont la part augmente le plus (comparaison par ligne). Taille des logements dont la part diminue le plus (comparaison par ligne). Commentons maintenant ce tableau. Le premier constat est une constante temporelle et spatiale. Les ménages petits vivent dans des logements plus petits alors que les ménages plus grands (les familles) vivent dans des logements plus grands. La règle est valable pour toutes les sociétés et depuis longtemps. Les différentes classes sociales n’échappent pas à la règle, mais on trouve une échelle différente. Et une évolution différente. Nous nous basons sur les chiffres surlignés en jaune. En 1999 les classes supérieures vivant seules sont plutôt dans les deux pièces, celles vivant en couple sans enfant sont plutôt dans les trois pièces, celles vivant en couple avec un ou plusieurs enfants sont plutôt dans des quatre pièces ou plus. Les choses sont décalées pour les classes populaires. Toujours en 1999, les ouvriers ou les employés vivant seuls sont plutôt dans des studios, ceux vivant en couple sans enfant sont plutôt dans des deux pièces, ceux en couple avec enfant(s) sont plutôt dans des trois pièces. S’il y a phénomène de concurrence pour une même taille de parc de logements et entre différentes franges de la société, il ne se fera pas sur les mêmes types de ménages. Depuis le début des années 80 de nombreux glissements se sont opérés : certaines catégories sociales et certains types de ménages se trouvent moins bien logés, d’autres mieux. De manière générale, les classes supérieures sont mieux logées qu’il y a 20 ans. Les ménages d’une personne cadre ou de profession intellectuelle supérieure se trouvent désormais plus souvent dans des deux pièces que dans des studios sans qu’ils quittent ces derniers. Les couples biactifs avec enfant(s) renforcent leur position écrasante dans les grands logements, mais sans quitter les trois pièces. Il n’y a que les couples biactifs sans enfant qui régressent dans les grands logements pour se porter essentiellement dans les trois pièces. Les grands logements ont donc fait l’objet d’une concurrence, au sein même des classes supérieures, entre les familles moyennes ou aisées (avec elles les couples de retraités) et les couples sans enfant de classe supérieure (avec eux les familles de milieu populaire). Les cadres du public sont moins bien lotis que leurs homologues du privé et leur progression dans le parc est bien moins grande. Les premiers se faisant rattraper bien souvent par les seconds. Les classes populaires sont de moins en moins bien représentées dans toutes les tailles de parc, et pour toutes les tailles de ménages. Simplement, certains résistent mieux que d’autres. Pour les hommes ouvriers vivant seuls la baisse de représentation est d’autant plus grande que la taille du logement est petite. Dans le studio, ils passent de 11 % des ménages en 1982 à 2,9 % en 1999. C’est la chute la plus importante de tous les ménages. Ceci s’explique par le moindre coût de réhabilitation de ces logements, et la population étudiante qui s’y installe est plus aisée que les jeunes actifs des milieux populaires (permettant d’ailleurs au propriétaire 187 bailleur de gagner davantage en montant les loyers). La gentrification a davantage touché les personnes isolées populaires que les familles populaires. Cela se vérifie chez les employées, à la différence que celles-ci voient leur condition de logement s’améliorer entre 1990 et 1999, mettant fin (peut-être provisoirement) à la dégradation de leur niveau de vie. Il reste que dans la majorité des cas, du fait du départ plus important des classes laborieuses des petits logements, le confort de ces habitants s’améliore (notamment par l’accession à la location HLM). En fait, ce sont les ménages les mieux logés qui résistent le mieux à la gentrification, c’est-à-dire ceux qui sont en couple (avec ou sans enfant). Les phénomènes de concurrence pour une même taille de parc se font donc entre classes sociales opposées, et entre types de ménages décalés : dans le studio, en plus d’un remplacement des ouvriers seuls ou des retraitées seules par des cadres seuls, il y a un certain remplacement des ouvriers en couples sans enfant par des ménages d’une personne plus aisée. Dans les deux pièces, les célibataires cadres ont supplanté les couples modestes avec ou sans enfants. A partir du trois pièces, apparaît une concurrence au sein même des classes moyennes et supérieures. Dans les trois pièces, ce sont autant les célibataires que les couples cadres sans enfants qui ont remplacé plus encore les couples de profession intermédiaire (avec ou sans enfant) que les familles modestes. Dans les grands logements enfin, la place prépondérante revient incontestablement faite aux familles aisées (ou même de classe moyenne) ainsi qu’aux couples de retraités au détriment des couples de cadres. En résumé, à chaque taille de logement correspond une concurrence entre certains types de ménages et certaines classes sociales. 188 c) Origines géographiques et lieux de travail des gentrifieurs L’origine géographique des gentrifieurs a finalement assez peu été étudiée dans les études sur les flux de populations à partir et vers les quartiers en gentrification. Les auteurs s’accordent dans tous les cas pour dire que la gentrification n’est pas un « retour en ville », puisque les gentrifieurs proviennent en majorité de la ville – centre et non de la banlieue, proche ou lointaine. Mais ce qui caractérise avant tout la gentrification est un renouvellement de sa population, même parmi les gentrifieurs. La mobilité résidentielle est considérable, et s’accentue avec l’avancement de la gentrification, ce qui confirme le fait que les gentrifieurs restent peu dans le quartier. Au recensement de 1982, 55 % des personnes de références habitait le même logement en 1975. En 1990, elles sont 49 % à habiter le même logement en 1982, et en 1999 elles ne sont plus que 41 % à habiter le même logement en 1990. Mais il faut tenir compte de recensements de plus en plus espacés : 2 273 personnes de référence par an entre 1975 et 1982 ont emménagé dans un nouveau logement, 2 241 entre 1982 et 1990, 2 277 entre 1990 et 1999. Autant dire que le flux moyen d’entrants est quasiment stable depuis les années 70, et que c’est donc le flux de sortants qui expliquent le renouvellement croissant de la population, ainsi que le nombre décroissant de personnes restant dans leur logement (il est passé de 2 765 par an entre 1975 et 1982 à 1 609 par an entre 1990 et 1999). Une grande partie de la progression de ce renouvellement s’explique par la baisse des retraités (qui sont entre 80 et 90 % à résider dans le même logement d’un recensement à l’autre), et la montée des actifs. Cela étant, tous les actifs n’ont pas les mêmes caractéristiques de mobilité. Les classes populaires se renouvellement le moins : elles quittent beaucoup le Marais, et relativement peu y emménagent. Les ouvriers ou les employés qui restent dans le Marais sont ceux qui résistent à la poussée immobilière. Pourtant 45 % des ouvriers du Marais de 1999 n’y habitait pas en 1990, et c’est le cas de 41 % des employés. Jusqu’aux années 90, la proportion d’ouvriers restant dans le Marais d’un recensement à l’autre ne cessait d’augmenter : un basculement brutal s’est donc fait durant ces années 90. Près de 3 400 ouvriers et employés arrivent dans le Marais entre 1990 et 1999. La gentrification a sans doute ralenti dans les années 90, et il reste une certaine diversité sociale dans le Marais. Quant aux catégories supérieures, elles se renouvellent beaucoup. Les cadres d’entreprise ont vu leur taux de renouvellement (proportion de personnes de référence qui n’habitait pas les 3e ou 4e arrondissements au 189 recensement précédent) passer de 56 % à 63 % entre 1975-82 et 1990-99 (soit une quasi stagnation compte tenu des écarts intercensitaires croissants), alors que pour les cadres du public et professions intellectuelles ou artistiques le taux est passé de 59 % à 43 %. Ces derniers perdent donc peu à peu leur rôle de gentrifieur qu’ils avaient dans les années 70-80. Nous avons vu qu’ils vieillissent dans le Marais et qu’ils ne trouvent plus de successeurs de leur rang. Les cadres du privé sont aujourd’hui dominants dans la gentrification du Marais. Quant aux professions libérales, leur taux de renouvellement est le plus bas (autour de 40%), du fait de leur statut d’occupation bien plus en propriété. Les professions intermédiaires ont un taux assez élevé de mobilité (54 %), qui a cru depuis 1982, ce qui témoigne de la participation de cette catégorie à la gentrification. Les origines géographiques de ces nouveaux venus sont majoritairement Paris intra-muros et la province. On constate d’ailleurs que les provinciaux rattrapent les Parisiens. Ces deux origines représentent environ le tiers des gentrifieurs arrivant, les originaires de la banlieue parisienne (petite et grande couronne) 13 %, et de l’étranger 7 %. Du point de vue de l’âge, les migrants de province sont les plus jeunes (41 % ont entre 25 et 30 ans), suivis par les migrants venus de Banlieue (petite et grande couronne ; ils ont surtout entre 25 et 35 ans) et suivis par les migrants de l’étranger (entre 25 et 35 ans mais plus proches de 35 ans que de 25), et suivis en dernier par les migrants originaires de Paris (55 % ont entre 30 et 45 ans). Par rapport à 1975, l’âge de ces migrants à augmenté (pour toutes les origines recul de 5 à 10 ans) et l’ordre ci-dessus ne change pas. Les lieux de travail des personnes de référence ne sont pas toujours précisés dans les bulletin de recensement, et ils ne concernent que les personnes ayant un emploi à un endroit fixe. Mais les données nous apportent quelques idées intéressantes. En 1999, 63 % des cadres et professions intellectuelles supérieures (occupés et à endroit fixe) travaillent à Paris. Ce ne sont pas ceux qui travaillent le plus à Paris même, puisque le chiffre est de 87 % pour les patrons de l’industrie et du commerce, et de 72 % pour les employés. Les gentrifieurs ne travaillent donc pas particulièrement plus que d’autres catégories dans le centre de l’agglomération parisienne. En fait, ce qui les caractérise davantage, c’est que ce sont ceux qui travaillent le plus dans les Hauts-de-Seine (17 %). Du reste, la part de ces classes supérieures travaillant à Paris est de plus en plus faible, puisqu’elle était de 69 % en 1982, et celle de ceux travaillant dans les Hauts-de-Seine n’était que de 10 %. Si l’on regarde plus en détail les chiffres pour les sous-catégories des cadres et professions intellectuelles supérieures, 190 on s’aperçoit que les professions libérales sont celles qui travaillent le plus à Paris (87 %), ce qui est lié à leur fonction, et qu’elles y travaillent de plus en plus (81 % en 1982). Les cadres du secteur public travaillent à Paris à hauteur de 68 % et se trouvent de plus en plus attirés par les Hauts-de-Seine (9 % en 1999 y travaillent, contre 6 % en 1982). Les cadres du privé sont avec les ouvriers qualifiés, ceux qui travaillent le moins à Paris, et qui y travaillent de moins en moins (54 % de ces cadres y travaillent en 1999, contre 63 % en 1982). C’est même plus d’un actif occupé cadre d’entreprise sur quatre qui travaille désormais dans les Hauts-deSeine. Autrement dit, si les classes supérieures du Marais travaillent majoritairement à Paris, elles ne sont pas les populations qui y travaillent le plus, elles y travaillent de moins en moins, et les derniers gentrifieurs travaillent même relativement peu à Paris. On peut quand même dire que la recherche de centralité et de proximité avec son lieu de travail se vérifie pour le Marais, mais il faut ajouter beaucoup de nuances. Si c’était vrai il y a une dizaine d’années, c’est de moins en moins vrai aujourd’hui. L’efficacité des systèmes de transports en commun dans l’agglomération parisienne, et le détrônement de Paris au profit du centre des Hauts-de-Seine en matière d’emploi cadre expliquent ces changements et ces nuances. La gentrification recouvre différents acteurs, et se diffuse dans différents logements. Elle recouvre donc différents processus de concurrences, suivant les populations concernées, et suivant les caractéristiques du parc de logements. Cette concurrence s’est transcrite spatialement. Elle a fait du Marais un espace hétérogène, tant dans sa composition sociale, dans son bâti, comme nous l’avons vu, que dans ses enjeux d’appropriation et dans sa gestion politique. C’est ce que nous allons étudier dans le chapitre suivant. 191 192 CHAPITRE 4 LE MARAIS DES TERRITOIRES : LA GENTRIFICATION PRODUCTRICE DE DIVERSITÉ INTERNE ET D’ENJEUX DE POUVOIRS 193 194 A. De l’hétérogénéité spatiale du Marais Nous avons vu à quel point la gentrification est un processus qui sélectionne des groupes de populations au détriment d’autres. Le parc de logement et sa répartition spatiale suivant ses caractéristiques témoignent de ces sélections. Si au début de la gentrification le processus opposait classes dangereuses et classes moyennes-supérieures, aujourd’hui, et depuis les années 80, c’est-à-dire depuis que les premières sont minoritaires par rapport aux secondes, la concurrence pour l’espace et le logement se fait entre gentrifieurs. L’hétérogénéité spatiale du Marais est le marquage physique de la société sur l’espace et l’expression de ses divisions. De nombreux auteurs, tant littéraires que scientifiques, ont très tôt remarqué que le Marais, même au temps de sa décadence, n’était pas un bloc à considérer comme un tout. Car ce qu’on appelle Marais recouvre en fait une multitude de petits quartiers dont chacun a ses spécificités. Se poser la question de l’unité du Marais, renvoie indéniablement à ses limites, et les auteurs tentent bien souvent de les justifier. Voyons quelles typologies spatiales ces auteurs ont dégagé du Marais, après quoi nous en proposerons une de plus, mais dans l’optique de montrer les composantes de la gentrification. Procédons par ordre chronologique. Sans que ce soit le premier, Paul Chatelain (1967) est celui qui propose une première typologie assez fine du Marais en y intégrant une dynamique temporelle, alors que la gentrification commence à peine. Ecoutons-le. « Le quartier est loin d’apparaître comme un espace culturel homogène, les transformations actuelles se font dans des directions différentes selon les quartiers et les îlots. Au Nord, dans la majeure partie du IIIe arrondissement, les tendances traditionnelles dominent. Au centre se dessine un secteur touristique qui sera renforcé par l’achèvement des premiers travaux des restaurations, mais où la mutation résidentielle est limitée par le poids de la communauté juive. Au Sud de la rue de Rivoli, initiatives publiques et spéculation privée se rejoignent dans une transformation de style Ile Saint Louis, au profit d’une population de haut niveau de revenu. Dans certains îlots du Sudest, artisans et ouvriers ont déjà disparu au profit des professions libérales. » Sans nul doute, Paul Chatelain a des talents de visionnaire, car en 1967 le Marais ressemble plus à celui du XIXe siècle qu’à celui qu’il imagine dans un futur proche. Le 3e arrondissement reste à l’écart des premières transformations et c’est donc au centre, au sud et 195 au sud-est que la gentrification fait sa première imprégnation. Eric Hazan (2002) développe davantage : « […] la double origine du Marais – le Nord artisanal autour de l’enclos du Temple, le Sud aristocratique autour des hôtels royaux – a laissé de si profondes traces qu’il y a comme un abus de langage à tout recouvrir du même nom. Tout compte fait, le quartier, bien qu’il date presque entièrement de la même et brève époque, comporte tant de particularismes régionaux qu’il ne peut se lire que comme un archipel. Le Marais des artisans commence au Nord de l’axe que forme la séquence des rues Saint Gilles, du Parc Royal, de la Perle, des Quatre Fils, des Haudriettes et Michel le Comte. Il est divisé en trois par un T que forment la rue de Bretagne et la rue du Temple. 1°) Entre la rue de Bretagne et la République, sur l’emplacement de l’enclos du Temple, c’est l’équipement municipal type de la IIIe République, la mairie, le commissariat de police, le square et le marché, ici représenté à la fois par les Enfants Rouges et le Carreau du Temple, de très ancienne tradition fripière. 2°) Entre la rue de Bretagne, la rue du Temple et le boulevard, c’est un dédale de rues courtes, étroites, orientées en tous sens […]. La rue Charlot et la rue de Saintonge, rectilignes et parallèles, sont comme superposées à cette trame anarchique […] L’ancien artisanat du métal, voisinant avec de bonnes galeries d’art contemporain, subsiste dans ces rues calmes où des typographies dorées annoncent des activités d’un âge, gravure et estampage, poinçons et matrices, placages, électrolyse, basse fusion, cire perdue et polissage. 3°) En un de ces contrastes qui fait le charme de ce quartier, de l’autre côté de la rue du Temple et jusqu’à la rue Beaubourg inclusivement, c’est le domaine agité de l’horlogerie, de la joaillerie et de la maroquinerie en gros. Juifs et Asiatiques coexistent pacifiquement […] Rue Volta, rue au Maire, rue des Gravilliers, rue Chapon, les cours dont encore celles du vieux Marais : portes grandes ouvertes, camionnettes et diables, amoncellements de cartons, embouteillages et klaxons, tous les signes cliniques de la vie. Le Sud du quartier, le Marais des rois, des promeneurs, des historiens et des touristes est traversé et organisé par la rue Saint Antoine. […] De part et d’autre de la rue Saint Antoine s’étend l’archipel du Marais. Du côté de la Seine, ce sont les rues silencieuses du quartier Saint Paul. De l’autre côté se succèdent d’est en ouest la place des Vosges, la grande île des musées et l’île aux juifs […] Le quartier juif actuel est prospère et animé, malgré la pression des boutiques de mode d’un côté et des bars homos de l’autre » Nous retrouvons l’opposition nord-sud (qui semble coïncider avec la limite des deux arrondissements), mais les sous-quartiers se distinguent facilement, simplement en marchant dans la rue. Le thème de l’« archipel » revient dans les deux textes, et il est repris par d’autres 196 auteurs (De Luze, 1996, etc.). La gentrification du Marais ne s’est pas faite de la même manière dans ces différents quartiers, aux caractéristiques différentes, parfois opposées. C’est pourquoi nous allons établir une typologie fortement inspirée de typologies citées en apportant un peu plus de précisions sur les contraintes et les avantages pour le processus de gentrification. Nous pouvons distinguer trois Marais : celui du patrimoine architectural, celui du nord-est (vers les rues de Bretagne et de Turenne), celui des communautés (centre, ouest, nord-ouest). Nous avons exclu les secteurs du sud-est du boulevard Henri IV dans le quartier Arsenal (quartier très résidentiel avec une majorité d’immeubles post-haussmanniens, des propriétaires occupants, et de grands logements, et socialement souvent des professions libérales), le secteur de l’Hôtel de Ville (au sud de la rue de Rivoli et près de l’église SaintGervais, trop peu d’habitants), et le quartier Notre-Dame (partie orientale de l’Ile de la Cité et île Saint-Louis). 197 a) Le Marais du patrimoine et le Marais du nord-est Le premier Marais est celui de ses richesses architecturales et culturelles. Il est l’image du Marais. Le Marais du patrimoine et le Marais des communautés. Cartographie inspirée de celle réalisée par O. Royer (1979). 198 On peut isoler quatre sous-secteurs, qui recouvrent chacun des originalités propres : - le centre, dont le coeur se situe entre la rue des Francs-Bourgeois et la rue des Quatre Fils et de la Perle (derrière les Archives). C’est le plus prestigieux, mais aussi le plus fréquenté du Marais. Photo 15. Rue des Francs-Bourgeois, un dimanche après-midi habituel Hôtels particuliers et boutiques de mode s’y côtoient. Musées ou institutions ont investi les locaux restaurés. Ce quartier a aussi vu les premières tentatives de rénovation puisqu’on y trouve le secteur opérationnel de la SOREMA et ses quelques immeubles des années 60. C’est donc sans doute de ce quartier qu’est parti la gentrification. Même si le confort n’était pas 199 meilleur que dans d’autres endroits du Marais, les tentatives de rénovations (SOREMA), la réhabilitation (des logements) et la restauration (des hôtels particuliers) ont toutes débuté dans ce secteur. Il est en plein cœur du Marais et constitue l’endroit idéal pour ranimer le quartier. C’est aujourd’hui un secteur vieillissant qui ne gagne plus vraiment d’habitants, où la propriété est très présente. Son dynamisme est bien plus culturel que démographique, comme tous les secteurs gentrifiés de manière précoce. - les alentours de la place des Vosges. Véritable centre de gravité du Marais, et lieu de tous les records immobiliers. La fréquentation est considérable sur la place et dans les petites rues résidentielles des alentours. Photo 16. La place des Vosges, un beau jour de Printemps… C’est le quartier le moins accessible du Marais pour toute personne voulant s’y loger : la propriété représente 40% des résidences principales et les résidences secondaires y sont très nombreuses. Ce quartier était pourtant assez populaire jadis, et la perte importante de population depuis les années 60 témoigne des réhabilitations et des changements socioprofessionnels qui se sont produits. La population y est âgée mais depuis les années 8090 les professions libérales sont nombreuses à s’y installée. C’est sans doute le secteur le plus prisé et le plus cossu du Marais : effet place des Vosges, mais sans doute aussi effet Bastille. 200 - les alentours de la rue de Jouy. Les alentours des lycées S. Germain et Charlemagne possèdent quelques trésors architecturaux non des moins visités du Marais. Leur restauration fait souvent grand bruit, d’autant que l’Association de Sauvegarde du Paris historique s’y est installée. Ce qui fait sans doute l’originalité de ce secteur, c’est le contraste architectural entre ces splendeurs du XVIIe siècle (Hôtels de Sens, d’Aumont, de Fourcy, etc.) et les nouveaux immeubles qui ont vu le jour dans les années 60-70, en majorité des immeubles HLM. Photo 17. Rue Saint-Paul. Logements HLM face à un immeuble ancien restauré Car la population active de ce secteur n’est pas aussi aisée qu’on pourrait s’y attendre. Aux côtés de personnes âgées, particulièrement nombreuses dans le quartier, on trouve aussi 201 beaucoup d’employés dans des logements HLM (bien souvent aux côtés de cadres du public). Les destructions d’immeubles ont fait place à de petits espaces verts et le quartier n’est pas sans charme. La spéculation y fait des ravages dans des appartements de caractère, que les Américains ou les Italiens s’arrachent à prix d’or. Les galeries ouvrent d’ailleurs leurs portes depuis une quinzaine d’années, depuis que la rénovation de l’îlot Saint-Paul par la Régie Immobilière de la Ville de Paris a créé un quartier d’antiquaires. Un secteur beaucoup plus mixte et contrasté que les deux premiers. Photo 18. Le Village Saint-Paul a contribué à changer l’image du sud du Marais 202 - la partie comprise entre la rue Saint-Antoine et le boulevard Henri IV. Quartier très résidentiel des rues du Petit Musc ou Beautreillis, où le bâti est très ancien. Ce quartier s’apparente à celui de la place des Vosges, tant pour sa population que son parc de logements, mais il reste à l’écart des flux de touristes : ses hôtels particuliers sont plus discrets que ceux du centre du Marais. C’est un quartier qui n’a pas été épargné par les rénovations lourdes des années 60. Photo 19. Rue Neuve-Saint-Pierre. Un exemple de rénovation Le deuxième Marais est celui du nord-est, des rues de Bretagne, et de la partie nord de la rue de Turenne. Ce Marais intermédiaire peut se diviser en deux : sa façade est, et le reste. La façade est est dominée par un habitat du XIXe siècle. S’il est très peu doté d’hôtels particuliers, les professions libérales et les cadres d’entreprise y sont assez présents, car les logements sont grands et beaucoup sont en propriété. Le centre nord du Marais est plus ancien, même si c’est tout l’extrême nord du 3e arrondissement qui est concerné par un bâti du XIXe siècle. Ce secteur a pendant longtemps été un repli des ouvriers et des artisans chassés du cœur du Marais, mais aujourd’hui la vague de gentrification y amène ses cadres d’entreprise qui profitent des commerçants de la rue de Bretagne. Les propriétés sont loin d’être absentes de ce secteur, et les professions intermédiaires y trouvent leur compte. Les ouvriers, les artisans et les commerçants restent nombreux dans le secteur, du fait de logements encore inconfortables aux prix plus abordables. 203 Photo 20. La rue de Bretagne Photo 21. Rue de Beauce. Des rues étroites peu fréquentées au nord-est 204 b) Le Marais des communautés Le troisième Marais est celui des communautés. Communauté juive, de la rue des Rosiers, communauté homosexuelle autour de la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, communauté chinoises au nord-ouest, communauté musulmane maghrébine, au nord. Elles se sont toutes installées dans des secteur où il y a relativement peu d’hôtels particuliers. Elles n’ont pas de points communs, si ce n’est qu’elles ont toutes influencé dans un sens ou dans l’autre la gentrification. Le Marais des Juifs : résistance et frein à la gentrification Commençons par la première des communautés du Marais, la plus ancienne et pendant longtemps la plus importante du Marais : la communauté juive. Nous appuyons notre commentaire sur plusieurs sources bien documentées, essentiellement la thèse de J. Brody (1986), le mémoire de C. Royer (2000), les travaux de N. Green (1990) et de quelques autres auteurs. Revenons brièvement sur l’histoire de cette communauté. Implantée au cœur du Marais, la communauté juive se développe au XIXe siècle, alors que le Marais entre dans sa phase la plus populaire de son histoire. La croissance de la communauté juive dans le Marais est totalement concomitante de sa prolétarisation, entre le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle. La population juive du Marais était représentative de l’état de dénuement dans lequel se trouvaient les habitants du quartier (et du délabrement des logements). Le quartier juif est aussi l’archétype du quartier d’accueil de populations immigrées dans le centre de Paris. La plupart de ces immigrés s’installait dans des meublés ou temporairement chez des connaissances. Arriver dans le Marais constituait pour ces nouveaux arrivants un point d’ancrage et de première intégration dans la vie sociale et économique parisienne. Beaucoup d’ouvriers et de petits artisans et commerçants parmi ces arrivants sont restés dans le quartier et sont aujourd’hui retraités (en 1982, 62 % des personnes de référence du quartier SaintGervais nées en Europe centrale ou de l’Est sont retraitées). Sans être le seul quartier juif de Paris, il reste le quartier juif de Paris par excellence, dont la rue des Rosiers est l’emblème indétrônable. Par ses commerces, ses habitants, son folklore local et sa sociabilité, sa « visibilité ». Les premiers immigrants juifs venaient d’Alsace-Lorraine, de Pologne, de 205 Russie, de Roumanie. Ils étaient de la mouvance ashkénaze, d’Europe de l’Est. Si le quartier juif du Marais était beaucoup plus grand pendant l’entre-deux-guerre (période qui est sans doute celle de l’apogée du Marais juif), débordant au sud de la rue de Rivoli, il se réduit aujourd’hui à la rue des Rosiers et aux rues adjacentes. Dans les années 50-60, le quartier connaît une nouvelle vague d’immigrants, mais cette fois, ce sont des séfarades, d’Afrique du Nord. Alors que la gentrification apparaît dans certains secteurs du reste du Marais, le quartier juif conserve son rôle d’accueil de populations pauvres. La population se renouvelle donc, et on peut affirmer qu’« aujourd’hui, bien que nous ne disposons pas de chiffres exacts, la majorité des Juifs de la rue des Rosiers est d’origine nord-africaine. Mais il reste un petit nombre de juifs d’Europe de l’Est » (Brody, 1986). Depuis les années 80-90, le quartier ne semble pas échapper à la pression de nouvelles classes moyennes ou supérieures. Jeanne Brody (1986) écrit : « En 1976 […] semblait se manifester une forte tendance à l’embourgeoisement du quartier, en particulier dans les rues François Miron, Ferdinand Duval et des Rosiers. Magasins de fripes ou de poteries, antiquaires, tous tenus par de jeunes intellectuels français, ont fait leur apparition […] Au cours des années suivantes, la tendance s’inversa : des jeunes juifs israélites entreprenants, et de jeunes juifs français de la deuxième ou troisième génération, issus de familles d’origine ashkénaze assimilées commencèrent à s’infiltrer dans le quartier, à reprendre des baux et à entrer en concurrence avec les jeunes intellectuels non juifs qui, finalement, vendirent et abandonnèrent le quartier […] A l’heure actuelle, une nouvelle infiltration s’est amorcée. A l’une des extrémités de la rue des Rosiers et de la rue du Roi de Sicile, la moyenne bourgeoisie parisienne tente de s’installer : boutiques de vêtements à la mode, salons de thés. A l’autre bout, les commerces homosexuels de la rue Vieille du Temple et de la rue Sainte Croix de la Bretonnerie débordent maintenant vers la rue des Rosiers : deux cafés, un restaurant et un fripier. Mais ce n’est pas encore suffisant pour transformer la note dominante » Le Marais juif serait-il en déclin aujourd’hui ? la question se pose, d’autant que la population la plus traditionnelle du quartier, celle qui symbolise ce Marais juif, les ashkénazes les plus âgés, ne cesse de diminuer. Mais ces jeunes générations ashkénazes, qui ne sont plus des petits commerçants ou des artisans, tendent à se réapproprier les lieux de leurs ancêtres, en profitant de la nouvelle fréquentation du quartier. Il n’est pas rare d’y croiser des étudiants frimer en décapotable, ou d’apercevoir un mariage en grande pompe à la synagogue de la rue Pavée. Ces nouveaux juifs restent minoritaires ; le plus souvent, la défiance envers l’embourgeoisement est très grande de la part des habitants juifs du quartier. Même si le quartier ne semble pas échapper à la gentrification. J. Brody écrivait en 1986 : « La 206 "rénovation urbaine" (l’embourgeoisement) guette en permanence. D’une certaine manière, la rue a réussi à trouver des ressources propres, en général une nouvelle population juive, pour combattre les forces de la modernisation, et revendiquer la rue comme siennes. Mais la rue n’est pas imperméable aux changement ». C’est bien une impression de dépossession de leur territoire que ressentent les habitants. Pendant longtemps, le quartier juif a su résister aux changements sociaux du Marais, aux pressions immobilières, aux intrusions extérieures, tant qu’il continuait d’accueillir des populations immigrantes et pauvres de confession juive, ashkénazes ou séfarades. Car l’arrivée de ces populations a entretenu l’image du quartier et l’a protégé. Le Marais cesse peu à peu d’être cette terre d’accueil du fait de la concurrence d’autres quartiers juifs qui ont capté les nouveaux arrivants (Belleville, FaubourgMontmartre), et d’une façon générale, en raison du tassement de l’afflux migratoire depuis le milieu des années 70. Les habitants du quartier juif vivent dans une peur permanente que leur quartier disparaisse du fait des mutations socio-économiques qui touchent l’ensemble du Marais. Les logements restent assez inconfortables et sont de très petite taille comparés au reste du Marais, encore en 1999. Les séfarades arrivés dans les années 50-60, et les juifs d’Europe de l’Est sont de moins en moins nombreux dans la population totale du quartier. Si leur maintien permet au quartier de résister à la gentrification, l’avenir s’annonce paradoxal : déclin de la population juive, mais résistance du folklore protégé par la fréquentation des visiteurs du quartier. Car les habitants juifs mettent en avant sa « vie de village », sa tradition, sa sociabilité exacerbée et ses animations de rue, mais n’est-ce pas précisément ce type de quartier que recherche bon nombre de gentrifieurs ? 207 Photo 22. Rue des Rosiers. La peur de la gentrification Photo 23. Rue des Rosiers. Une des rues les plus fréquentées du Marais 208 . Le Marais des gays : accélérateur de la gentrification ? Le quartier gay (si l’on peut parler de quartier gay, nous y reviendrons) est évidemment beaucoup plus récent que le quartier juif. Il est apparu au milieu des années 80 pour se développer rapidement dans les années 90, où le Marais est devenu, en plus du quartier juif (même si cette représentation tend à s’affaiblir), le quartier des homosexuels de Paris, et sans doute de la France aux yeux des Français et des Etrangers. Le Marais gay est donc concomitant de la pleine ampleur de la gentrification, ou du moins de l’instauration du Marais comme véritable quartier touristique. Car c’est bien de fréquentation qu’il s’agit : le débat est tout de suite posé. Le Marais gay est plus un quartier de fréquentation des gays qu’un quartier de résidence des homosexuels parisiens. Tous les auteurs s’accordent sur ce point. Si la question gay, depuis la fin des années 90, a été propulsée par tous les médias et en particulier la presse grand public (L’Express, 2001 ; Le Nouvel Observateur, 2001, 2002), les chercheurs français sont peu nombreux à s’être penchés sur le sujet. En géographie ou en sociologie, c’est essentiellement aux Etats-Unis que se concentrent les recherches sur l’homosexualité. Elles sont comprises dans un ensemble, apparu dans les années 80 avec le tournant culturel, qui s’appelle « les questions de genre » (gender studies), qui regroupent les recherches sur la place des femmes dans la société et l’espace, mais aussi celle des minorités sexuelles. Béatrice Collignon a commenté ce désintérêt français, on peut même dire cette méfiance des chercheurs français vis-à-vis de ce thème. Il s’explique par une spécificité française que constitue « le projet politique républicain, forgé autour de l’unité de la nation construite sur l’égalité de tous les citoyens et la négation de l’existence d’identités intermédiaires entre l’individu et l’identité nationale » (Collignon, 2001). Alors que dans les pays anglo-saxons, il s’agit plutôt de « sociétés qui se pensent elles-mêmes comme constituées de groupes hétérogènes – des "communautés" – vivant plus l’un à côté de l’autre qu’ensemble ». Pour étayer notre commentaire nous ferons appel aux principaux auteurs qui ont abordé dans leurs travaux ce quartier, ou la question gay en général. Parmi eux D. Eribon (1999), Le Bitoux (1997), Adler & Brenner (1992), E. Redoutey (2002), L. Alain (2002), B. Grésillon (2000), l’un des seuls géographes français à s’intéresser au Marais en particulier : C. Royer (2000), enfin le très critiquable H. De Luze (1996). Nous complèterons ces paragraphes à l’aide des apports effectués par des chercheurs anglo-saxons qui ont étudié le rôle des gays dans la gentrification : Lauria & Knopp (1985), Knopp (1990), ou ceux qui l’ont évoqué dans certains de leurs articles, tels que D. Kopec (2003) ou T. Slater (2002). 209 Commençons par rappeler brièvement l’histoire de l’implantation gay dans le Marais. Le Marais n’est pas le premier quartier gay et ne sera sans doute pas le dernier ni le seul. « Les homos qui durant des décennies avaient établi leurs assises à Saint Germain des Prés, puis pendant deux lustres rue Sainte-Anne, et quatre ou cinq ans aux Halles, ont brusquement transporté leur quartier général dans l’archipel du IVe arrondissement » (De Luze, 1996). Ce quartier se trouve entre les Halles à l’Ouest et le quartier juif (rue Vieille du Temple) à l’est. Il ne va guère plus loin que la rue Rambuteau (à quelques bars près) au nord, et que la rue de Rivoli au sud. Le quartier gay ne se résume pas en réalité à sa partie située dans le 4e arrondissement, car il se poursuit jusqu’au métro Châtelet, dans le Ier. Pourtant, ce dernier secteur passe largement inaperçu : le Marais (encore faudrait-il préciser : cette partie du Marais) a monopolisé toute la notoriété du quartier gay de Paris, occultant sa partie occidentale des Halles. C’est dire si le terme même de Marais est devenu valorisant, en terme de fréquentation et d’attrait touristique. Mais pourquoi avoir choisi le Marais comme terre d’élection ? Alors que s’ouvre en 1979 le premier bar homosexuel, l’ouest du Marais reste très dégradé. Au début des années 80, de plus en plus de bars ouvrent. Le Marais n’est déjà plus enclavé puisque Beaubourg est construit et les Halles reliées par RER et par métro au reste de Paris. La culture s’installant, la remise en valeur architecturale du quartier se précisant, de nombreux gays ont entrepris d’y installer un commerce, le plus souvent un bar de rencontres. Mais c’est surtout la possibilité d’ouvrir un bar au grand jour avec la dépénalisation de l’homosexualité en 1982 qui donne le départ. A cette époque le quartier était à prendre, les commerces étaient moribonds et les baux ne demandaient qu’à être récupérés. On peut se demander pourquoi c’est à Paris que le premier quartier gay de France est apparu. D. Eribon nous avance quelques arguments. Selon lui « la ville a toujours été le refuge des homosexuels », « c’est néanmoins la grande ville qui a donné aux modes de vie gays la possibilité de se développer pleinement ». « Il semble en effet que le déplacement vers la ville soit également lié (statistiquement) à une volonté des jeunes issus des milieux populaires d’échapper aux métiers manuels pour s’orienter vers des professions où il est possible d’imaginer qu’on bénéficiera d’une plus grande tolérance, où, en tout cas qu’il sera plus facile de vivre sa sexualité. Et, plus généralement, à une orientation vers les métiers "artistiques" ou les pôles les plus "artistiques" des métiers » (Eribon, 1999). Ceci expliquerait pourquoi Paris, ville d’art et de culture, mais aussi d’anonymat et de brassages, aurait accueilli tant d’homosexuels. Pourquoi le centre de Paris particulièrement ? Sans doute parce que les homosexuels vivant le plus souvent seuls, se sont naturellement dirigés vers le centre de l’agglomération. Le Marais, par sa centralité dans la ville, par son 210 renouveau culturel et artistique, par sa disponibilité commerciale constituait l’endroit idéal pour la communauté gay (communauté plus faite de commerces que de résidants) en quête de reconnaissance politique et médiatique. Participer à la remise en valeur tant économique que culturelle d’un patrimoine architectural abandonné a permis de conquérir la faveur de l’opinion public d’une part, et de légitimer son appropriation territoriale d’autre part. Choisir le Marais signifiait donc la création d’un espace d’existence sociale (et de sociabilité) visible et sa légitimation. Il est intéressant de remarquer que le Marais juif et le Marais gay ont tous les deux un rôle de « référence » pour la population concernée. Ceci parce que le Marais a la forte charge symbolique d’être le quartier juif de France, et le quartier gay de France. Ils ont tous les deux cette fonction de terre d’accueil pour un nouvel arrivant. On y rencontre ses semblables, on y est « entre-soi » (cf. Royer, 2000), on y tisse des liens de connaissances, et l’on peut échanger plus facilement (y parler sa langue pour le juif, y vivre sa sexualité pour le gay). Mais qu’en est-il de l’habitant homosexuel du Marais ? Les gays n’auraient-ils participé qu’à la réanimation commerciale, économique, culturelle du Marais (en changeant sa fréquentation) ? Ou bien ont-ils aussi eu un rôle en matière de réhabilitation de logements, d’amélioration de l’habitat ? Faute de savoir le nombre d’homosexuels qui habitent le Marais (ou Paris et la France), nous avons interrogé un agent immobilier qui a travaillé dans le Marais dans les années 80-90, et qui nous confirme le rôle non négligeable de gays qui ont acheté des appartements et les ont réhabilités. Mais il avoue que le périmètre déterminé par les bars gays ne colle pas à celui de la présence résidentielle des homosexuels. Ils ne se concentrent pas tous rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, ils semblent présents dans tout le centre de Paris (peut-être un peu plus dans le 3e et le 4e arrondissements), ne serait-ce que parce que les difficultés de trouver un logement font que les préférences géographiques de l’acquéreur sont forcées de s’élargir au mieux à l’arrondissement, au pire à des arrondissements limitrophes de celui où il voudrait s’installer. Certains auteurs anglo-saxons ont cherché à expliquer le rôle des gays dans les réanimations de quartiers entiers autrefois abandonnés ou délabrés. Un thème qui leur est cher, car il est conforme aux représentations de la société américaine, est celui de la constitution de communautés liée à la gentrification. Nous avons pointé la question de la constitution d’une nouvelle classe sociale dans le première partie, mais il s’agit ici de comprendre en quoi une minorité jusque là sans reconnaissance officielle et sans existence spatiale va rassembler ses forces sur un territoire et y justifier sa présence. David Kopec (2003) remarque : 211 « Une des communautés qui a plusieurs fois attesté la réussite de la gentrification initiée par une communauté, est la communauté gay et lesbienne. Une grande partie de cette réussite a été attribuée à des revenus disponibles plus élevés que la moyenne, plus de temps libre pour explorer ses talents créatifs, et des liens traditionnellement très forts entre les membre de la communauté. Dans un passé récent, la communauté gay et lesbienne a adopté des quartiers anciens avec des propriétés en décrépitude. Le choix de ces quartiers est en relation avec une impression de sécurité, avec une architecture travaillée caractéristique des vieilles bâtisses, et avec la possibilité des gays et lesbiennes aux revenus plus modestes de résider au sein de la communauté. Depuis les années 60, la communauté gay et lesbienne a gentrifié avec succès des quartiers à travers le pays sans les impacts négatifs immédiats des autres formes de gentrification. » Le Britannique Tom Slater (2002) détaille encore davantage en rappelant les origines de ces recherches aux Etats-Unis : « Les questions de consolidation de communauté sont le cœur des études qui analysent les changements géographiques de la sexualité en centre-ville, en particulier de celles qui s’intéressent aux gays et aux lesbiennes comme une partie des populations qui gentrifient le centreville. Une recherche pionnière de Manuel Castells a révélé que les gays de San Francisco étaient des gentrifieurs potentiels parce que beaucoup "étaient des hommes célibataires, n’avait pas à entretenir une famille, étaient jeunes et prenaient part à une économie de service relativement prospère" (Castells, 1983). Un parc disponible de propriétés victoriennes ajouté à ces caractéristiques démographiques servent à supplanter des citadins pauvres, comme à Castro et Haight Ashbury. La géographie sociale de San Francisco a changé de manière significative tandis que la conscience de classe moyenne des gays était renforcée dans certaines localités (‘gay spaces’) par un effort collectif de gentrification. Cet exemple montre que, comme avec le genre, les analyses sur la sexualité ne devraient pas être écartées des théories de classes puisqu’elles sont inextricablement liées. Le travail de Larry Knopp nous éclaire sur quelques motivations clés de la gentrification gay, faisant échos aux propos des géographes féministes qui affirment que les femmes gentrifient en réponse à l’oppression. Sa recherche sur la gentrification à la Nouvelle Orléans a montré que les "gays (en majorité des hommes blancs de classe moyenne) aspirent autant au pouvoir économique et politique qu’à la liberté sexuelle" (Knopp, 1995). Ceci s’applique aussi à Castro où une "pink economy" [sic] développée par des homosexuels (et encouragée par des autorités locales également dominées par des gays) s’appuient sur des sociétés et des professions exclusivement gays comme une forme de résistance à la répression sexuelle et à l’homophobie agressive. La gentrification constituait juste un des moyens pour consolider l’identité gay, pour affirmer l’espace gay, et pour que la sexualité puisse être vécue librement "hors du placard" sans peur d’opposition. Le travail de Knopp […] illustre bien le fait que les liens 212 entre homosexualité et gentrification sont réalisés dans une géographie spécifique, émancipatrice, du centre ville. » Avec l’arrivée des gays, c’est plus l’image du quartier qui a changé que ses habitants et ses logements. Le Marais est devenu un quartier à la mode et branché, essentiellement grâce à leur arrivée. On peut à ce titre considérer les gays comme des gentrifieurs. Photo 24. Rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Le Marais gay fait aussi partie du Marais très fréquenté, et pas seulement par les gays Le Marais des Chinois ou l’ignorance de la gentrification ? Ce Marais est moins connu, sans doute parce qu’il est aux marges du 3e arrondissement, que beaucoup ne considèrent déjà plus comme le Marais. Toujours est-il qu’une communauté chinoise assez importante et assez fermée sur elle-même habite et travaille dans le quartier. A l’instar de la rue Popincourt dans le 11e arrondissement, la rue au Maire ou celle des Gravilliers sont des exemples parfaits d’implantation de cette communauté. 213 Photo 25. Rue au Maire. Le cœur de la communauté chinoise, dans le quartier le plus populaire du Marais Photo 26. Rue au Maire. Mur couvert de petites annonces locales. Une communauté fermée sur elle-même 214 Cette communauté chinoise, qui s’installe peu à peu dans les années 80-90, se caractérise par sa présence résidentielle d’une part (elle habite le quartier) et par sa présence commerciale qui est encore plus visible (commerces d’import-export, de gros et demi-gros, dans la maroquinerie ou même les bijoux fantaisies plus vers la rue du Temple). Les ateliers et les entrepôts de ces commerçants se trouvent dans des locaux dégradés et autrefois abandonnés, ou simplement dans des cours intérieures. La vie du quartier et de ses rues étroites est rythmée par cette activité économique contre laquelle une partie de la population résidente se plaint (nuisances des livraisons, embouteillages et klaxons, cartons sur le trottoir empêchant les piétons de circuler, bruits et odeurs des ateliers de confection, risques d’incendies, malpropreté sur la voie publique, disparition progressive des commerces de proximité etc). Cette omniprésence chinoise est fondamentalement ce qui caractérise le nord-ouest du Marais. Elle a supplanté une population maghrébine (notamment algérienne) qui était très présente. Il est intéressant de voir que cette montée de la population chinoise est concomitante de l’embourgeoisement du quartier, dans les années 80-90. A côté de l’arrivée de jeunes actifs diplômés sont arrivés ces Chinois qui ne prétendent pas être au même niveau social que ces premiers. A l’aide des fichiers-détails, nous pouvons chiffrer l’évolution des étrangers selon leurs nationalités pour le quartier Arts-et-Métiers, entre 1975 et 1990 : Graph. 44. Evolution du nombre de personnes de référence selon leur pays de nationalité entre 1975 et 1990 dans le quartier Arts et Métiers 500 400 Algérie 300 T unisie Maroc 200 Chine 100 0 1975 1980 1985 1990 Sources : fichiers-détails RGP 1975, 1982, 1990, INSEE Le nombre de personnes de référence de nationalité chinoise a rattrapé celui des personnes de référence algériennes. Encore plus spectaculaire est l’évolution de la part des personnes de référence chinoises : elle est passée de 1,5 % des étrangers en 1975 à 15,9 % en 1990. Et 43 % 215 des Chinois du Marais (quartiers 9 à 15) vit dans le quartier Arts-et-Métiers. En 1990, aux alentours de 35 % de ces Chinois sont ouvriers, 20 % sont patrons de l’industrie et du commerce et seulement 0,5 % sont cadres, de professions intellectuelles supérieures ou de profession intermédiaire. Tandis que la population française du quartier s’embourgeoise fortement depuis le milieu des années 70, l’apparition de cette minorité chinoise vient contrebalancer cette évolution, sans vraiment ralentir le processus de gentrification que commence à rencontrer le quartier. Les Chinois arrivent dans le quartier en faisant pression sur les commerçants et en leur proposant une grosse somme pour racheter leurs fonds de leur commerce. Les commerçants initiaux sont alors contraints de céder leurs locaux (souvent parce qu’ils arrivent à l’âge de la retraite, et qu’ils saisissent l’occasion de gagner un petit pactole pour assurer la suite de leur existence). Un système de pression organisé, un certain pouvoir économique et financier, un réseau de relations et d’entraides, ajoutés à des logements vacants nombreux et des prix immobiliers bas sont le secret de cette montée en puissance qui semble ignorer les évolutions sociologiques du quartier. On peut dire qu’elle ignore le processus de gentrification, sans le freiner. Photo 27. Boîte aux lettres du 82 rue des Gravilliers (Hôtel d’Estrées). Activités et habitants se partagent les locaux. Les Chinois sont très présents. Forte odeur de cuir. 216 Photo 28. Passage des Gravilliers. L’activité chinoise et ses livraisons de cartons 217 Le Marais des maghrébins : la principale victime de la gentrification ? Entre 1975 et 1990, le nombre de personnes de référence maghrébines (Algériens, Tunisiens, Marocains) habitant le Marais (quartiers 9 à 15) est passé de 2 935 à 1 624, soit une chute de 45 %. La part de ce groupe de nationalités dans le total des personnes de référence étrangères est passée de 30 % à 20 % entre 1975 et 1990. Ce sont les Algériens les plus touchés car leur chute atteint 55 % sur la même période. La politique de regroupement familial a sans doute fait partie les familles en banlieue, et les acquisitions de nationalité française. En effet, en 1982, 45 % des personnes de référence nées en Algérie ont la nationalité française, 25 % pour celles nées en Tunisie, 44 % pour celles nées au Maroc Ces étrangers se trouvent essentiellement au nord du Marais (quartiers Arts-et-Métiers, Enfants-Rouges) mais aussi au centre (quartier Saint-Gervais pour les Marocains de confession juive) et à l’Ouest (proche de la rue Saint-Martin). Nous avons vu que la gentrification opérait une sélection entre étrangers aisés et étrangers populaires. Les Maghrébins sont les étrangers plus populaires (plus grande proportion d’ouvriers et d’employés) et parmi ce groupe ce sont les Algériens qui sont le plus souvent ouvriers (en 1975, près de 70 % des personnes de référence algériennes sont ouvrières, contre 58 % chez les Marocains et 44 % chez les Tunisiens). Entre 1975 et 1990 ce sont les plus populaires qui sont partis, puisqu’en 1999 il reste 32 % de personnes de référence algériennes ouvrières, 29 % chez les Marocains et 28 % chez les Tunisiens. Les profils de ces trois nationalités tendent donc à se rapprocher. Ce sont aussi les Algériens qui sont les plus mal logés : en 1990 les personnes de référence de cette nationalité étaient à 54 % dans des studios (69 % en 1975) et à 25 % dans des locations meublées (58 % en 1975). Elles se trouvent donc dans le parc qui a le plus disparu du Marais : les plus petits logements, et les meublés. Les Marocains ne sont pas non plus épargnés et restent aussi très mal logés, comparés aux Français ou aux autres étrangers. Les Tunisiens s’en sortent relativement mieux. Dans tous les cas, il apparaît que cette population maghrébine n’a pas résisté à la gentrification, aux mouvements de réhabilitation des logements et d’arrivée de nouvelles populations. Elle symbolisait le Marais comme terre d’accueil, le Marais ouvrier d’antan, le Marais et ses logements dégradés. C’est avant tout cette population étrangère pauvre qui a fait les frais de la gentrification, peut-être plus encore que les ouvriers et les artisans français qui avaient plus de possibilités d’ascension sociale que les étrangers maghrébins, de plus en plus stigmatisés par les politiques des années 80-90. Entre 1975 et 1990, les personnes de référence françaises ouvrières ont baissé de 67 %, alors que celles de nationalité algérienne et 218 de même position sociale ont baissé de 79 %. L’arrivée de nouveaux immigrants dans les cités de banlieue nord notamment (avec le regroupement familial de la fin des années 60) a produit un effet de vide au centre de l’agglomération parisienne qui rejette les étrangers pauvres hors de son cœur pour les envoyer dans de véritables ghettos périphériques. Et ces étrangers n’ont pas les moyens, tant économiques que sociaux, de refuser ce départ du centre. Nous venons de voir à quel point le Marais recouvre différents espaces, aux passés différents et aux populations différentes, ceci en grande partie du fait de la progression de la gentrification. Voyons maintenant comment la gentrification a fait du Marais un espace qui est aussi morcelé dans sa gestion politique et dans les représentations de ses habitants. Le Marais est devenu un territoire que l’on veut s’approprier. 219 220 B. La Marais : enjeux d’appropriation pour les gentrifieurs Comprendre le processus de gentrification ce n’est pas seulement repérer les phénomènes de concurrence selon les parcs de logements entre ménages, c’est aussi chercher à expliquer l’intégration de ces nouveaux habitants sur leur nouveau territoire. Par quels moyens ont-ils pu remplacer les populations les plus modestes ? Car l’arrivée et l’intégration en grand nombre de ces gentrifieurs n’a pas pu se faire uniquement avec les simples réhabilitations et autres rénovations. Il faut faire intervenir ici des logiques d’appropriation qui relèvent d’un contexte politique local qui est favorable à l’arrivée des gentrifieurs, et de représentations et de pratiques socio-spatiales de ces derniers. L’appropriation de ce nouvel espace, aux dépens des plus modestes, est le résultat de différentes stratégies qui se complètent les unes les autres. C’est ce que nous étudions maintenant. a) Gentrification et politique locale L’arrivée de nouveaux habitants plus aisés bouleversant le paysage social d’un quartier ne peut pas être déconnectée de l’évolution de la gestion politique de ce quartier. Des pouvoirs publics complices de la gentrification Comment sortir de la crise du centre-ville, si désastreuse pour les budgets desmunicipalités? Départ des entreprises, des habitants (même s’ils sont d’origine modeste, cette hémorragie démographique nuit considérablement à l’image du quartier), dégradation de l’habitat, manque de services publics aux habitants ; les commerces sont moribonds, les efforts de rénovation coûtent cher et mettent du temps à porter leurs fruits… Les pouvoirs locaux essuient de nombreuses difficultés qu’ils peinent à résoudre. L’arrivée de nouveaux habitants, plus aisés, redonne de l’espoir à ces municipalités. Elle apparaît comme la clé de nombre de leurs problèmes. 221 Il faut dire que les habitants ont manifesté leur mécontentement face aux rénovations sauvages des années 60, et il n’est plus possible de poursuivre ces opérations. Les associations de quartiers sont de plus en plus nombreuses à s’organiser pour défendre les habitants, et souvent aussi le patrimoine. L’Etat et les municipalités, qui soutenaient ces projets de rénovation, sont contraints de changer de politique. Ceci ajouté à la crise économique dès le milieu des années 70 explique leur désengagement progressif en matière de politique de logement. Les programmes de rénovation se font de moins en moins nombreux, et les réhabilitations prennent le relais. C’est donc davantage la logique privée. « La réhabilitation de l’habitat, et plus particulièrement de l’habitat ancien, répondrait avant tout à des considérations économiques. En ce sens que l’entretien et la mise aux normes d’un immeuble ancien coûterait moins cher que sa destruction et son remplacement par une construction neuve. Ce qui sans doute n’est pas prouvé dans tous les cas […] » (Aballea, 1983). Mais n’est-ce que cela ? Ne faut-il pas voir une stratégie voilée de la part des pouvoirs publics à laisser jouer librement les initiatives privées, dont on sait pertinemment qu’elles se font toujours au profit des plus aisés, au détriment des classes populaires ? La stratégie est bien ici de faire monter les prix immobiliers en laissant les travaux de mise aux normes de confort aux propriétaires, sans qu’ils passent par des opérations groupées ou programmées. Les lois favorisant l’accession à la propriété, celles donnant plus de pouvoirs aux propriétaires (deuxième partie de la décennie 80), celles faisant régresser le parc régi par la loi de 1948, et plus généralement la libéralisation de l’économie à l’échelle nationale vont dans ce sens, et se traduisent localement par une flambée des prix immobiliers. Selon Aballea (1983) le passage de la rénovation à la réhabilitation peut être ainsi interprété comme « une politique libérale pour un temps de crise ». Mais il ne s’arrête pas là en affirmant : « c’est une politique de classe qui vise à satisfaire les fractions subalternes des classes dominantes dans une conjoncture politique caractérisée par des perturbations au sein de la base sociale du pouvoir et à élargir la dite base ». Les objectifs ne se limitent pas à l’économie mais font intervenir des logiques qui favorisent certains groupes sociaux, de manière implicite. L’accélération de la gentrification dans les années 80 est donc entièrement tributaire de ce contexte, tant national que local. Local car la mobilisation des habitants, le nombre de logements à mettre aux normes, l’échec de la SOREMA, le départ si massif des habitants et des entreprises ont décidé les pouvoirs locaux à changer de tactique. Mais la tactique ne se réduit pas au désengagement de l'Etat et des municipalités en matière de logement. Elle s'appuie sur un ensemble de nouvelles valeurs, que les associations ont 222 portées et que les municipalité reprennent volontiers. Ceci en vue de changer l’image du Marais. Car les nouveaux habitants qui commencent à affluer vers le Marais ont communiqué en quelque sorte aux pouvoirs publics leur représentation qu’elles avaient du quartier, par le biais de leur mobilisation associative notamment. Changer l’image du quartier, en vue de changer sa population : « cette volonté de changer l’image du quartier en opérant une sélection nouvelle de la population au profit généralement des couches moyennes et au détriment des immigrés, a une finalité socio-politique […] En terme de marketing politicourbain, c’est le marché à conquérir et à reproduire. » (Aballea, 1987). Redorer l’image consiste par exemple à valoriser le patrimoine. Il s’agit aussi parfois, de provoquer un impact plus visuel que fonctionnel chez le passant, qu’il habite le quartier ou non. L’embellissement du cadre urbain, du jardin à l’arbre sur le trottoir, de l’élargissement de trottoirs à la réfection des façades d’immeubles permettent-ils vraiment d’améliorer la vie quotidienne des habitants ? Mais au-delà de ces revalorisations du cadre visuel, de manière plus générale, la municipalité reprend les codes de représentation des gentrifieurs. Les références constantes à l’histoire, au patrimoine, à l’authenticité, au quartier-village, et pourquoi pas à la nature (espaces verts, agriculture biologique comme au marché des Enfants Rouges) sont directement inspirées des modes de représentation de ces nouveaux habitants (nous y reviendrons). L’annexe 2 rapporte le cahier d’intention pour la valorisation du cadre de vie du 4e arrondissement. Nous avons repéré en rouge les mots, les expressions, les phrases qui nous paraissent particulièrement révélatrices de cette reprise par les pouvoirs publics des représentations des gentrifieurs. L’avantage de ce genre de document est qu’il est directement inspiré des représentations et des souhaits des habitants. On y sent parfaitement la volonté des pouvoirs publics de reprendre ces valeurs, valeurs qui sont à l’origine de la renaissance du quartier. Bien sûr, lorsque ce document a été conçu (en 2002), le Marais (et en particulier le 4e arrondissement) était déjà très largement gentrifié. La population ouvrière et les artisans sont devenus minoritaires et la gestion politique municipale est soutenue par la majorité des électeurs. Mais il n’empêche que la reprise par les pouvoirs municipaux des systèmes de valeurs de ces gentrifieurs, de leur crainte et de leurs espoirs, témoigne du lien étroit qu’a pu tisser cette nouvelle bourgeoisie avec le pouvoir politique. 223 La démocratie locale, nouvelle gouvernance stratégique Un nouveau contact est en train de s’établir à l’heure actuelle entre la population (ces gentrifieurs, qu’ils soient là depuis une vingtaine d’années, ou depuis peu) et les pouvoirs publics locaux. Depuis le début des années 80, les associations ont renforcé leur rôle et leur pouvoir. En matière d’association dans le domaine de logement, il s’agit de « passer d’un stade purement défensif face à des dysfonctionnements dans l’usage du logement, à un stade où l’association a également un rôle d’initiative, de recherche et de propositions en matière de gestion et d’amélioration du logement » (Benjamin, Aballea, 1988) Bien sûr, cette évolution s’inscrit dans le contexte décrit plus haut de désengagement des pouvoirs publics qui se déchargent d’une partie de leur responsabilité et de leur rôle. Ces derniers ont également vite compris que les associations étaient porteuses de projets et pouvaient prendre une place centrale dans l’amélioration de la vie du quartier. Un nouveau système de démocratie locale s'est mis récemment en place. Dans le cadre du nouveau Plan Local d'Urbanisme, depuis quelques années, des conseils de quartier ont été créés. Le 4e arrondissement en compte quatre (Saint-Merri, Saint-Gervais, Arsenal, Iles), et le 3e en compte trois (Réaumur au nord-ouest, Temple au nord-est, Rambuteau-Francs Bourgeois au sud). Chaque conseil de quartier est composé de 33 membres, répartis en 4 collèges : un collège « habitants » au nombre de 24, un collège « associations » (4 présidents d'associations), un collège « personnes qualifiées » (2 personnalités du quartier, directeurs d' institutions publiques du quartier), et un collège « élus » (3 membres). Le collège « habitants » a été constitué suite à un appel à participation : tous les habitants du quartier ont reçu un courrier dans leur boîte aux lettres leur annonçant la création du conseil, ses objectifs et son mode de fonctionnement. Ceux qui étaient intéressés à participer au collège « habitants » l'ont signalé, et un tirage au sort a sélectionné les 24 membres. Il s'avère que les habitants qui ont répondu à cet appel ne sont pas issus des milieux modestes, et qu'ils sont clairement des gentrifieurs. Par exemple, Richard Toffolet, président du conseil de quartier Temple nous informe que, parmi les membres du collège « habitants » qu'il connaît, on trouve : un avocat, deux architectes, un ingénieur, une journaliste, une galeriste (meubles), une militante des Verts l'attachée parlementaire d'Alain Lipietz, un cadre moyen, une réalisatrice de films, un orthophoniste, un chercheur au CNRS (travaillant sur la démocratie de proximité), trois retraités dont un ancien chauffeur de taxi. Force est de 224 constater que ces professions sont celles des gentrifieurs (dont nous reparlerons bientôt), et que les classes populaires sont de fait exclues de ce conseil de quartier Temple. R. Toffolet nous fait part lui même du fait qu'il est difficile de ne pas accueillir des intellectuels. Et quand on lui demande pourquoi finalement les plus modestes ne participent pas à cette nouvelle gestion politique, il nous explique que l'on ne peut pas faire participer activement « quelqu'un qui ne comprend pas la complexité des débats ». Si le conseil de quartier Temple est défini par son président comme un « lieu de revendication », avant même de représenter les habitants ; savoir traiter les thèmes avec sérieux et professionnalisme est indispensable pour faire avancer les projets. Le conseil se donne le temps de réfléchir sur des thèmes plus généraux et de « créer du lien social » entre les habitants qui s'intéressent de plus en plus aux débats qui animent le quartier. Le collège « associations » est constitué notamment des présidents de l'Association Vivre dans le 3e, et de l'Atelier Local d'Urbanisme. Or les membres de ces deux associations sont nombreux à être des militants socialistes ou verts, et parmi eux on compte assez peu d'ouvriers, ou d'artisans et petits commerçants. Il faut donc voir dans cette opération de démocratie locale une double stratégie. Une stratégie de la Mairie d'arrondissement pour asseoir son pouvoir (R. Toffolet qualifie le conseil de quartier d'« outil électoral puissant » car il « garantit les électeurs du maire ». Il ajoute que l'équipe du conseil « est le meilleur faire valoir du maire »). Le conseil de quartier fait à la mairie une partie du travail puisqu'il apporte les connaissances de terrain. Mais il s'agit aussi d'une stratégie des gentrifieurs pour faire entendre leur voix, faire passer aux politiques leurs souhaits, et s'approprier l'espace politique et social du quartier. Il faut dire que le quartier Temple est le meilleur exemple de démocratie locale qui puisse exister à Paris et peut-être en France. La proximité entre cette nouvelle élite locale et les pouvoirs provient, dans le quartier Temple (Enfants-Rouge) de la mobilisation associative qui s’est cristallisé autour du Carreau du Temple et de sa reconversion, suivie de près par celle du marché des Enfants Rouges. Sans revenir sur la longue histoire de ces hauts-lieux du quartier, un bras de fer a opposé les associations (majoritairement dominées par le PS et les Verts) au maire de droite tibériste, Jacques Dominati, qui envisageait de détruire le Carreau et de construire un parking ou une crèche à la place du marché des Enfants-Rouges, le plus ancien marché de Paris. Avec la mobilisation des habitants et des associations, pour défendre ces « lieux de convivialité » (R. Toffolet) et ces repères historiques du quartier, la sanction tombe en 2001 lors des élections municipales : la gauche l'emporte, Pierre Aidenbaum (gauche plurielle) est élu avec 63 % des voix, avec le soutien de Yves Contassot (Verts). 225 Le processus de démocratie locale est alors enclenché : pour le carreau du Temple, un concours d'idées et de projets, des réunions publiques de sélection, et enfin un vote, qui permettra de choisir entre un projet sportif, un projet culturel et un autre mêlant les deux. Français et Etrangers, ceux qui habitent ou ceux qui travaillent dans le 3e ont été appelés aux urnes. Il n'est malheureusement pas possible de savoir qui a voté quoi, mais la mobilisation a été très forte, et c'est finalement le projet mixte, alliant sport et culture qui a gagné. Quant au marché des Enfants Rouges, il a été décidé qu'il rouvrirait ses portes, sur le thème de l'agriculture biologique. Dans tous les cas, la mobilisation des associations et de la population a été intimement liée à la gestion politique de grands projets, qui ont permis un élan démocratique que la gauche a repris, parce que portée au pouvoir par ces mobilisations. C'est pourquoi cette démocratie locale consiste en un dialogue finalement assez fermé entre une nouvelle bourgeoisie qui a besoin de reconnaissance politique, sociale, spatiale, et une municipalité qu'elle a mis elle-même en place, même si cette alliance implicite est bienveillante envers les plus démunis ou les commerçants et petits artisans. Ceci n'empêche pas que ces derniers soient de fait exclus de ce système de gestion. Richard Toffolet nous affirme que le conseil de quartier est indépendant de la Mairie, et qu’il y a une volonté de ne pas avoir d’étiquette politique. Or il s’avère que les membres des associations et du conseil de quartier Temple sont très majoritairement socialistes ou verts, facilitant le dialogue avec la mairie. Il n’est donc pas très étonnant que M. Toffolet trouve qu'il existe un climat plutôt favorable et privilégié entre le conseil et la mairie. Le conseil de quartier Temple, créé en 2002, n’a pas séduit immédiatement les élus, qui redoutaient qu’on leur ôte une partie de leurs responsabilité. Mais le résultat de la première année de travail du conseil de quartier a été principalement de gagner la confiance des élus. Les paradoxes de cette démocratie locale Il faut d’autre part insister sur les paradoxes de l'engagement politique de ces nouvelles populations. Les conseils de quartier Temple et Réaumur prônent la notion de « mixité sociale ». Bien sûr quand ils sont arrivés, ces gentrifieurs avaient sous leurs yeux un quartier encore assez populaire, celui des années 70, et encore assez mélangé dans les années 80. Ce discours sur la mixité, cher à ces nouvelles populations, a été repris par les politiques. Mais que font-ils dans les faits pour défendre cette « mixité » ? Selon Richard Toffolet, si c’est le projet mixte (sportif et culturel) qui l’a emporté, c’est que ce vote du Carreau du Temple « est 226 le reflet de la population du quartier, de la rencontre des habitants » et des cultures. Car le quartier est « un des plus beaux exemples de mixité que l'on puisse trouver ». D’un autre côté il avoue : « c’est ça qui rend le quartier sympathique, même s’il y aura des pertes en ligne ». Le paradoxe de ces gentrifieurs est de défendre la culture et les habitants populaires, les « petits » commerces comme ils aiment dire, d’être bienveillant envers eux, alors que insidieusement, mais inconsciemment, ils sont eux-mêmes à l’origine du départ de ces classes modestes. L’exemple de l’Association de Sauvegarde et du Quartier des Gravilliers est aussi parlant. Le quartier de la rue des Gravilliers est depuis les années 80 et surtout depuis les années 90 investi par une minorité chinoise, qui ne poserait aucun problème si elle ne menait pas une activité commerciale envahissante (cause le départ des commerces de proximité) et nuisible (risques d’incendies des entrepôts de cartons, ateliers de maroquinerie étriqués, odeurs de cuir, livraisons de camions en permanence causant embouteillages et klaxons…). L’ASQG s’efforce de limiter ces nuisances, de faire cohabiter la population en meilleure harmonie et d’améliorer la qualité de vie du quartier. Sa présidente, Martine Burgos, professeur en sociologie de la littérature à l’E.H.E.S.S., est engagée dans cette action depuis plus de 25 ans, 8 ans après son installation dans le quartier (en 1970). Elle dénonce aussi bien l’embourgeoisement et ses conséquences directes telles que le départ forcé de populations pauvres (étrangères ?), que la présence anarchique et néfaste des activités chinoises. Outre la légitimité de la cause de cette association, le paradoxe reste entier. Comment peut-on souhaiter le maintien de populations modestes tout en étant dans une lutte contre certaines des activités de ces catégories et surtout sans prendre conscience que sa propre venue dans le quartier a participé en un sens à l’éviction de ces populations pauvres ? Comme si les premiers gentrifieurs arrivés se réservaient le droit de profiter de ces avantages de sociabilité, de vie de « village » de ce microcosme cosmopolitique et plein de « mixité ». R. Toffolet revendique, comme d’ailleurs les élus de sa mairie, la création de logements sociaux, pour favoriser cette « mixité ». Des projets sont en cours de réalisation, et pour le président du conseil de quartier c’est grâce à la mobilisation de ces intellectuels que les choses bougent. « Si on laisse faire les choses, il y aura une expulsion des plus démunis » ajoute pertinemment R. Toffolet. Nous reviendrons sur les modes de pensée des gentrifieurs, mais il nous semble que l’engagement de ces populations qui se sentent plus proches des classes populaires (sans les fréquenter vraiment) que de la bourgeoisie traditionnelle (de type 16e ou 7e arrondissements) révèle un besoin de contrôler son nouveau territoire, de se l’approprier. Ceci contre toute intrusion dont ils sentent déjà les prémices de la part de classes encore plus 227 aisées qu’eux, ou même contre l'arrivée massive de gentrifieurs, qui mettrait à mal leur privilège de côtoyer ce petit monde et de pouvoir le contrôler en partie. Richard Toffolet compte bien faire plier les commerçants de la rue de Bretagne et notamment ceux du marché des Enfants Rouges pour qu’ils baissent leurs tarifs. Au cours de notre entretien, il s’avère que le Conseil de quartier rencontre une certaine résistance de la part des commerçants et artisans. R. Toffolet nous invite à comprendre que ce monde est méfiant à tout changement. Les commerçants ont « un côté réactionnaire et politiquement marqué, poujadistes ». Il faut dire que ce monde du commerce et de l’artisanat a sans doute soutenu aux élections des maires précédents de droite contre lesquels de nombreuses associations du quartier se sont battues. Récemment ces artisans et ces commerçants se sont opposés au projet de « quartier vert » qui limiterait le trafic automobile de la rue de Bretagne et supprimerait les rangées de stationnement. R. Toffolet prend l’exemple de la rue des Rosiers, également récalcitrante à ce type de projet (cf. photos). Et pourtant, il assure que les commerçants finiront bien par céder, parce que c’est bon pour eux mais ils ne veulent pas le voir (sic). Cette certitude du succès de la pression du Conseil exercée sur les commerçants témoigne du rapport de force qui existe entre le monde traditionnel du Marais (plutôt à droite) et ce nouveau monde (plutôt à gauche) qui sait ce qui est bon et parle au nom de tous les habitants. Patrick Simon (1998) emploi l’expression « terre de mission » pour qualifier le rôle que s’adjuge ces gentrifieurs. Paradoxe que de vouloir aider une catégorie sociale dont on interprète les besoins et que l’on finit par considérer comme un frein à ses ambitions. La démocratie locale est donc une stratégie paradoxale dont les gentrifieurs plus que les municipalités sont les initiateurs : « les élus jouent le jeu » pour R. Toffolet. Stratégie paradoxale qui consiste à s’approprier un espace (social, politique), sous couvert d’une bienveillance envers les exclus, afin de limiter l’embourgeoisement et la venue d’encore plus aisés qui semble inéluctable. Il s’agit de brandir l'étendard de la culture populaire pour se distinguer de la bourgeoisie traditionnelle. A travers la démocratie locale qu’elles manipulent à leur avantage, ces populations « expérimentent rapidement l’existence de leur cohésion » dans un microcosme où elles ont besoin d’être minoritaires pour que « les conditions optimales [de] la création d’un "entre-soi" [soient] alors réunies » (Simon, 1998). C’est bien une stratégie de constitution sociale et spatiale que les gentrifieurs trouvent dans la démocratie locale. 228 Le Marais : morcellement politique Les associations du Marais se sont constituées en véritable réseau, leurs présidents se connaissent tous, organisent des réunions inter-associatives, n’hésitent pas à entrer en contact avec le maire de l’arrondissement, etc. Elles ont su, par leur volonté, leurs actions, jouer un rôle d'intermédiaires utiles et efficaces entre la population et les pouvoirs municipaux. Cependant, on observe un clivage marqué entre le nord et le sud du Marais. Aucune association ne couvre l'ensemble des 3e et 4e arrondissements, beaucoup trop grands – et hétéroclites – pour mener une quelconque action de terrain, de proximité avec les habitants. L’Association de Sauvegarde du Quartier des Gravilliers (ASQG), et l’association Vivre dans le 3e, sont au nord du Marais les formes de mobilisations les plus efficaces et les plus reconnues par les pouvoirs publics. Au Sud l'association de Sauvegarde du Paris Historique domine largement. Elle est installée rue François Miron dans une demeure médiévale, et ses gérantes sont en constant dialogue avec les pouvoirs publics et les Architectes des Bâtiments de France concernant la restauration d'immeubles à valeur architecturale. Les publications de cette dernière association ont permis à la population de prendre conscience des actions menées sur le terrain, dès les années 60. D'autres associations, moins actives, se trouvent dans le 4e arrondissement. Mais dans tous les cas, on retrouve une opposition entre le nord du Marais et le sud, aucune association ne couvre un territoire à cheval sur les deux arrondissements et les associations du nord ne connaissent pas celles du Sud. Ainsi, le clivage socio-spatial (un sud déjà gentrifié, touristique et très muséifié ; un nord plus populaire mais qui se gentrifie rapidement à l'heure actuelle) se retrouve dans le clivage administratif (deux mairies distinctes, des conseils de quartier) et associatif. Richard Toffolet insiste sur la particularité du quartier du Temple. Il s’oppose au « Marais mort » et au « Marais des ghettos ». Le Marais mort est celui du sud, envahi de touristes, de musées, etc. (sic). Le « Marais des ghettos » est celui du Marais juif, du Marais gay, du Marais chinois. En reprenant le terme de « quartier – village », il se démarque d’office du reste du Marais, dont il avoue être à la marge (« Hauts du Marais »). Il s’oppose radicalement au Marais du 4e arrondissement, et se distingue même du quartier Arts-et-Métiers. Sans aucun doute, selon lui, le quartier Temple (Enfants-Rouges) est le meilleur lieu de vie du Marais (sic). Pour sa sociabilité, et le « sentiment d’appartenance » que les gens éprouvent. Le conseil de quartier se bat pour éviter de laisser le quartier devenir un « ghetto bobos », et il exprime de manière générale sa crainte vis-à-vis de tout « ghetto ». La gestion politique du Marais a été finalement morcelée par ces nouvelles formes de démocratie locale. Elle 229 s’organise aujourd’hui selon ces conseils de quartier, que les associations de quartier prennent pour une tribune politique, défendant les intérêts de chaque microcosme. La réduction de l’espace politique (et administratif) est une conséquence directe de la gentrification, qui a d’une part créé un clivage entre un sud gentrifié et un nord en attente de l’être, et qui d’autre part a scindé la vie publique en se conformant aux représentations des gentrifieurs (se sentir dans un village, comme en « autarcie », dans un monde à part qui est représentation du monde et de sa diversité, mettant en premier plan cette « vie de quartier »). La politisation du terme même de « Marais » va dans le sens d’un morcellement de l’espace des représentations, et de l’espace politique. Ceci provient du fait que le quartier du Marais ne recouvre rien de bien délimité, et dans les entretiens avec des habitants, le seul dénominateur commun qui ressort aux différents espaces du Marais est l’ancienneté du bâti. Le terme « Marais » est devenu le symbole de l’image retrouvée du quartier. « On aime bien appeler ça le Marais » remarque R. Toffolet en réalisant le pouvoir et l’attrait que revêt le mot. Si les limites spatiales du Marais sont très floues, elle ont l’avantage de permettre à la personne qui parle du quartier de le définir comme il l’entend, incluant ou excluant des territoires au gré de ses représentations et de ses pratiques spatiales, mais aussi sociales. Les gérantes de l’Association de Sauvegarde du Paris Historique, installées au sud de la rue de Rivoli, excluent de leur définition du Marais l’ensemble du 3e, ignorant sans doute qu’une bonne partie de cet arrondissement est intégrée au PSMV, et qu’une grande partie des musées du Marais y est installée. Ces deux personnes définissent le Marais comme elles le fréquentent, comme elles l’expérimentent au quotidien. Le Marais est devenu propriété de chacun, et tout ce qui ne se rapporte pas au quartier tel que chacun le vit n’est pas le Marais. Mais ce n’est pas seulement cela : si l’on interroge des habitants du nord du Marais, à ses marges, comme par exemple des membres de l’Association de Sauvegarde du Quartier des Gravilliers, la définition de ces derniers inclut le sud de la rue de Rivoli, et ils ne savent pas très bien si leur quartier est toujours dans le Marais. Il y a une certaine « spécificité » du quartier des Gravilliers (plus populaire, moins visité, avec moins d’hôtels particuliers, une mono-activité du commerce de gros…). Certains membres sont tout de même tentés de dire que le quartier des Gravilliers appartient au Marais. Même R. Toffolet, habitant rue des Filles du Calvaire, affirme habiter « le Haut du Marais », alors que dans son discours il s’oppose aux autres quartiers du 3e et du 4e. En fait, les habitants ne semblent pas éprouver dans leur quotidien le sentiment d’appartenance au quartier du « Marais » et beaucoup assurent que le Marais ne correspond pas à l’échelle de leur espace de vie, de leur espace quotidien, de leur quartier. 230 Cela ne les empêche pas de s’approprier le mot « Marais », devenu plus un concept stratégique d’appartenance qu’une réalité vécue par les habitants. Le « Marais » fait partie de l’identité de beaucoup d’habitants, mais c’est une identité refuge réconfortante due à l’attrait du mot, sans grande relation avec le quotidien qu’ils ressentent à une échelle plus fine, bien plus proche de l’échelle du conseil de quartier que de l’ensemble du Marais. La gentrification du Marais et son processus de fragmentation spatiale (de l’espace sociopolitique du Marais, et en raison des représentations des gentrifieurs) ont modifié l’emploi même du terme « Marais ». On est passé d’une réalité quotidienne au temps où le Marais était assez uniformément populaire a un enjeu politique d’appropriation en phase avec le mode de pensée des gentrifieurs. 231 b) Représentations et pratiques des gentrifieurs Tous ces bouleversements de l’organisation politique et des questions de changements témoignent des représentations et des pratiques socio-spatiales des gentrifieurs. Revenons sur ce que les gentrifieurs ont de commun, leurs modes de représentation de l’espace social du Marais. Nous nous appuierons sur les travaux pionniers d’anthropologie urbaine entrepris par Catherine Bidou dans son « essai sur les nouvelles classes moyennes », intitulé Les Aventuriers du quotidien (1984). Nous irons un peu plus loin en liant ces représentations et pratiques aux transformations politiques décrites plus haut. Des gentrifieurs sans repère historique C. Bidou insiste sur le manque de repères historiques que ces nouvelles populations ressentent. Les professions qu'elles exercent sont effectivement nouvelles et n’ont pas d’antériorité, d’ancrage historique. « Appartenant aux classes moyennes et supérieures, disposant d’un formation supérieure et d’un niveau culturel élevé, ils exercent des professions liées aux milieux intellectuels, aux arts et spectacles, à l’information, à l’enseignement ou à l’animation et au travail social. […] Là où l’ancienne classe dirigeante manipule le capital dans sa dimension monétaire, la "nouvelle classe" maîtrise un capital culturel à partir duquel elle entend asseoir son pouvoir » (Simon, 1998). Ils sont nombreux à être salariés, notamment dans le secteur public. Ce manque de consistance historique (et d’expérience similaire parmi ses ascendants) provoque un besoin de reconnaissance, politique, social, spatial. Sans trop entrer dans les détails, cette nouvelle bourgeoisie tend à nier les conflit sociaux et refuse de se positionner dans une hiérarchie sociale : « elle dit avoir changé de classe sociale, mais se sent encore très bien dans son milieu d’origine » (Bidou, 1984), et elle est caractérisée par son ascension sociale par rapport à ses ascendants. La référence constante au passé, notamment par le biais de la culture populaire de leur nouveau quartier, semble compenser un passé familial mis sous silence et un manque d’ancrage historique de l'activité professionnelle. S’installer en quartier ancien participe sans doute de cette compensation. « Sur l’espace, il semble que l’on pourrait ébaucher une construction symbolique, alors qu’au niveau temporel la déstructuration était encore dominante » (Bidou, 1984). Une constitution socio-spatiale 232 pour pallier un manque de consistance temporelle. Ceci explique pourquoi cette population montre un engagement politique dans sa vie de quartier, comme pour défendre sa légitimité et contrôler son nouvel espace, pour le faire devenir encore plus « sien ». Car pour elle, le quartier est avant tout un lieu de vie, d’épanouissement personnel, comme le travail d’ailleurs. L’idée de « village » et les paradoxes des gentrifieurs Le fait de se sentir dans un « village » est maintes fois mentionné. Ils apprécient le quartier authentique (par opposition aux beaux quartiers, « froids » ou aux gens « standards » des immeubles de banlieue), mixte et diversifié (où le conflit social est aboli et qui se veut microcosme représentation du monde), où l’« on trouve tout sur place » (R. Toffolet), et « où les gens se connaissent » (idem). C’est pour cette sociabilité exacerbée, la visibilité de cette promiscuité entre habitants que sont venus ces gentrifieurs. Henri Coing (1966) remarquait déjà l’usage de ce mot « village » dans un quartier populaire du 13e arrondissement, précédant sa rénovation. La « sensibilité actuelle concernant le local, les mini-groupes, les territoires, l’identité » (C. Bidou, 1984) est très présente parmi ces catégories. Mais on constate un important décalage, rappelant les paradoxes de la démocratie locale. Ils sont venus profiter de cette sociabilité, de cette culture populaire, sans y participer réellement. « Si les nouvelles classes moyennes apprécient un quartier où les gens se connaissent, et communiquent, leurs relations sociales sont néanmoins souvent décrites de l’extérieur. Ce sont les autres que l’on voit jouer dans le théâtre de la vie que représente le quartier. […] Alors que l’on valorise l’espace autarcique, l’espace dont les fonctions sont réunifiées, on le pratique peu de cette façon » (C. Bidou, 1984). Et « pourquoi tant de souci à souligner l’opposition entre le vrai et le faux, le naturel et l’artificiel, la vie et la non-vie ? Pourquoi tant de rappels pour se situer soi-même du "bon" côté, comme si sa propre place n’était pas évidente, comme s’il s’agissait alors de la trouver ? » (C. Bidou, 1984) Cette nouvelle bourgeoisie a du mal à faire la coupure entre le travail et le loisirs, et ceci s’explique par une conception d’épanouissement dans le travail ; épanouissement personnel qui repose en grande partie sur l’importance des rapports humains et l’indépendance envers des contraintes matérielles (d’ordre financier) et hiérarchique (souvent pas de patrons, travail en équipe, etc.). Entrer dans une association, dans le collège « habitants » d'un conseil de quartier, ou avoir un engagement politique, comme bénévole, participent de cette confusion entre le travail et les loisirs. R. Toffolet de nous expliquer que cette tâche de bénévole comme 233 président du quartier Temple est menée avec beaucoup d’investissement personnel mais qu’elle requiert une « professionnalisation » ; parce qu’il faut « être des experts » de terrain. Il n’y a pas de pesanteur familiale (liberté des choix des membres de la famille, antiautoritarisme), et ces catégories ne se projettent pas dans leur avenir ni dans celui de leurs enfants ; elles sont dans l’instant présent. Des gentrifieurs politisés et engagés Il n’est alors par étonnant que ces populations soient proches des mouvements alternatifs, souvent écologistes, ou en tout cas anti-conformistes. Nous avons vu dans les chapitres précédents que la gentrification débute vraiment à la fin des années 60, et que c’est véritablement au recensement de 1968 que le paysage socioprofessionnel du Marais change. Faut-il y voir, en plus de l’impact différé de la loi Malraux et du PSMV, un effet mai 1968 ? Sans doute qu’avec les réformes de l’université et l’élargissement de son accès, de nombreuses populations ont pu faire des études supérieures. Notamment les classes moyennes de la génération du baby-boom, particulièrement nombreuse à Paris. En 1999, lors des élections européennes, D. Cohn Bendit, tête de liste des Verts, pulvérise les records dans le Marais. Dans le 4e arrondissement (pourtant considéré comme bien plus bourgeois que le 3e), un votant sur cinq (20,7 %) s’est exprimé en sa faveur, quasiment autant que pour le Parti Socialiste (21,7 %). Dans 4 bureaux sur 15 les Verts sont le premier parti, dans 8 autres ce sont les Socialistes, et enfin dans seulement 3 bureaux c’est le RPR qui l’emporte (les bureaux de l’Ile Saint-Louis et du quartier Arsenal). Lors des municipales de 2001, dans le 3e arrondissement, Yves Contassot (Verts) obtient 22,9 % des voix, le Socialiste Pierre Aidenbaum 38,1 %. Il y a un certain paradoxe politique entre l’embourgeoisement de Paris et la progression du vote vert et socialiste. Comme le montre l’article de M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot reproduit en annexe 3. Cette montée du salariat et du secteur public aurait changé la sociologie du Marais et son organisation politique. Mais n’y aurait-il pas en plus un effet culturel ? La gentrification du Marais a fait de cet espace un laboratoire de nouveaux modes de pensées, de nouveaux modes de vie, de nouvelles formes de gestion politique. Mais ceci n’est pas sans remettre en cause l’unité du Marais. L’apparition des gays dans le quartier est d’ailleurs à rapprocher de ces nouvelles représentations des gentrifieurs. Comme ces nouvelles classes moyennes, les gays ont souvent un rapport délicat avec leur passé familial (du fait de leur sexualité, mais aussi souvent d’un 234 certain éloignement géographique de leur famille). Les femmes sont très présentes dans ces nouvelles professions, et les rôles traditionnels homme-femme se confondent davantage parmi les couples hétérosexuels de ces catégories. D’ailleurs, on trouve une certaine sympathie envers les mouvements féministes parmi ces populations. La liberté et l’anti-autoritarisme, mais aussi la tolérance et le libre choix des enfants ont constitué sans doute un milieu propice à l’épanouissement professionnel et surtout personnel des gays. Le rétrécissement de l’espace politique des gentrifieurs autour de leur quartier et leur constitution spatiale sont à rapprocher de la constitution de la communauté gay, elle aussi en quête de reconnaissance politique, sociale, et spatiale. Cette communauté est d’ailleurs un groupe sans antériorité, se défend d’appartenir à une classe sociale et nie les rapports de domination pouvant exister dans la société. L’objectif de s’installer dans une partie du Marais est bien de se constituer comme une communauté, en contrôlant un espace, où l’on reste minoritaire pour pouvoir expérimenter cet « entre-soi » ; ce territoire devient alors une tribune sociale pour se rendre visible aux yeux du reste de la société, et une tribune politique pour se légitimer en tant que groupe et exprimer ses exigences, en valorisant un espace autrefois délaissé. Car les gays et ces nouvelles couches moyennes ont en commun la volonté de se construire en tant que groupe, et de s’engager dans une lutte pour exister aux yeux des autres groupes majoritaires et traditionnellement installés. La peur dissimulée de l’arrivée d’un autre gentrifieur Les premiers gentrifieurs expriment d’autre part une certaine crainte envers l’embourgeoisement du quartier. Ils ont investi l’espace politique pour contrôler leur territoire et empêcher la reprise de celui-ci par de nouveaux arrivants qui profiteraient de cette remise en valeur culturelle. Car ces gentrifieurs, en s’enfermant dans leur « village », et en voulant défendre la mixité et la diversité du quartier, craignent l’arrivée de cette bourgeoisie traditionnelle, qui réduirait toute l’animation du quartier qu’ils tentent de préserver. Car c’est bien le niveau d’avancement de la gentrification du Marais qui autorise ce type d’approche. Nous avons vu que les cadres du secteur public et les professions intellectuelles ou artistiques se sont fait rattraper par des professions encore plus prestigieuses et qui sortent de leur bastion traditionnel des 16e ou 7e arrondissements. Car l’essor du libéralisme ces dernières années a profité aux mondes de la finance et de l’économie, à l’opposé des valeurs culturelles et presque idéologiques des premiers gentrifieurs. L’appropriation de ce nouveau territoire a 235 aussi pour rôle de montrer aux élites traditionnelles de Paris que leur monde est celui-là, et qu’ils doivent rester dans leurs beaux quartiers car ce sont eux, ces « multiculturels » (Simon), qui contrôlent ce territoire. La lutte anticonformiste de mai 68 a aussi été sans doute la tribune de ces nouvelles classes moyennes qui leur a montré qu’ils avaient besoin de reconnaissance dans ce monde dominé par les bourgeois d’ancienne tradition et les classes populaires, et qu’ils exigeaient une place entre ces deux classes extrêmes. Exigence d’accéder à l’Université, mais aussi d'acquérir une visibilité socio-spatiale. Or cette lutte contre cette vieille bourgeoisie se poursuit aujourd’hui dans les discours des gentrifieurs : ces derniers se trouvent directement en concurrence avec cette bourgeoisie traditionnelle (que ce soit le monde des artisans ou commerçants, ou celui des cadres du secteur productif économique en général). Et cet engagement politique émane aussi d’une crainte idéologique de se voir rejeter de son territoire d’adoption, le Marais. C’est ainsi qu' à travers une gestion plus morcelée de l’espace politique du Marais, les gentrifieurs parviennent à s’approprier leur nouveau territoire. Le Marais est devenu un enjeu d’appropriation. Ceci nous invite à penser que l’espace et son contrôle sont un moyen de se constituer en groupe social, en légitimant son existence et en l’affirmant en négatif par rapport aux autres groupes sociaux. La lutte pour le pouvoir sur le Marais n’est pas achevée. Si aujourd’hui les premiers gentrifieurs ont trouvé l’arme de la démocratie locale, il semble que cela ne freine pas l’arrivée de la bourgeoisie (celle du monde de l’économie) qui profite de la réanimation du quartier. 236 237 238 Au cours de cette étude, nous avons analysé successivement le concept de gentrification, ses manifestations générales, la particularité de la gentrification du centre de Paris et du Marais, les populations et les logements concernés par le processus dans le Marais, et enfin les impacts politiques de la gentrification. Nous avons plusieurs fois montré que la gentrification est un processus de sélection. Au profit de certains types de ménages, de certaines catégories sociales, de certains parcs de logements, et de certains espaces. Car la gentrification est sans nul doute la dynamique qui modifie la division sociale de l'espace parisien actuel. Nous avons vu à quel point les gentrifieurs sont variés : étudiants, jeunes cadres entrant sur le marché de l'emploi, professions intellectuelles vieillissantes de la génération du baby boom, couples de retraités anciennement cadres, familles aisées. Chacune de ces populations a son parc de logements privilégié, en fonction de son budget, de son âge, de la taille des ménages. On est loin de la gentrification monolithique dont nous parle beaucoup d'auteurs qui mettent au centre de leurs études ces yuppies ou ces biactifs sans enfant, ignorant une autre partie des gentrifieurs, qui s'intéressent à des logements bien précis, comme les étudiants dans les studios ou les couples de retraités aisés dans les logements les plus grands. L'ampleur du processus de gentrification s'explique par ce panel de populations qui participent à modifier l'occupation de chaque parc de logements. Vu d'ensemble c'est tout le parc qui s'est gentrifié. Mais si toutes les tailles, si tous les âges et tous les statuts d'occupation des logements se sont plus ou moins gentrifiés, c'est que ces gentrifieurs se sont répartis ce parc. Nous avons vu que les origines de ces mutations sociales, démographiques, économiques, spatiales sont aussi bien la résultante de contextes nationaux, que parisiens ou locaux. Et à ce titre le Marais doit rester un exemple parmi d'autres de gentrification. Qu'en est-il aujourd'hui de la gentrification du Marais ? En ce début de XXIe siècle les logements y sont confortables, notamment les plus anciens, les classes populaires sont pour la plupart parties, la part des catégories supérieures est très élevée, les prix immobiliers sont aussi très hauts. On peut affirmer qu'en 2004 la gentrification du Marais est achevée, du 239 moins dans sa majeure partie : les marges au nord sont encore en cours de gentrification. Estce donc fini de la gentrification du Marais ? On assiste actuellement à une concurrence assez rude entre gentrifieurs des années 70-80 et nouveaux gentrifieurs. Mais peut-on qualifier ces derniers arrivants de gentrifieurs ? Ne s'agit-il pas d'une bourgeoisie traditionnelle qui prend la place de cette nouvelle bourgeoisie ? La gentrification à proprement parler n'est-elle pas en train de se transformer en simple embourgeoisement, faisant du Marais un quartier bourgeois par excellence, perdant ainsi sa vitalité, entretenue par les gentrifieurs (vitalité culturelle surtout) ? Dans ce cas, la gentrification ne serait-elle qu'une étape du processus d'embourgeoisement généralisé de Paris ? Une étape qui transforme un quartier populaire en quartier mixte, dont la mixité est défendue par ces nouveaux arrivants, mais étape qui précède l'arrivée de la bourgeoisie traditionnelle (celle du monde de la production, de l'économie) et peut-être l'éviction de ces gentrifieurs ? De toutes les façons, le Marais n'en restera pas là, car le niveau d'équilibre de son paysage socio-spatial n'est pas encore atteint. Il faudra probablement poursuivre cette étude dans un quinzaine d'années pour savoir la suite. Car la gentrification ne cesse de progresser, de modifier les territoires qu'elle conquiert. Elle continue même de modifier 40 ans après son apparition les premiers territoires qui ont connu le processus, comme le Marais. Durant ces années, le processus a connu dans le Marais différentes phases que nous avons tentées de distinguer, et de nouvelles phases sont sans doute à venir. Il faut replacer le processus dans le temps et dans l'espace, en associant les conjonctures locales et nationales, ce à quoi nous nous sommes efforcer. Les débats sur la gentrification ne sont pas prêts de s'essouffler. Des formes de gentrification s'observent maintenant dans des communes de la banlieue ouvrière de Paris, alors qu'au centre (dans le Marais notamment), les premiers gentrifieurs semblent déjà en péril et trouvent des moyens pour contrôler leur territoire. Gentrifié là, début de gentrification ici : il faut prendre en compte la spatialité du processus, à différentes échelles, ce que nous avons tenté de faire dans ce travail. Une étude plus qualitative serait nécessaire pour compléter ces résultats, notamment ceux des chapitres 2 et 3. Connaître les motivations résidentielles des différents gentrifieurs, leurs moyens de se loger dans le Marais, leur représentation et leur pratique du quartier nous permettrait d'affiner nos conclusions. L'obtention de données plus détaillées, notamment à une échelle plus fine et sur certains thèmes tels que les étrangers ou la mobilité résidentielle irait dans le même sens. 240 ANNEXES Annexe 1. Ce que disent les dictionnaires de la gentrification et de l’embourgeoisement Annexe 2. Cahier d’intentions pour la valorisation du cadre de vie (4e arrondissement), hiver 2002 Annexe 3. Paris ville bourgeoise, Paris ville de gauche ? Les paradoxes électoraux de la capitale (M. Pinçon, M. Pinçon-Charlot) 241 242 Annexe 1 Ce que disent les dictionnaires de la gentrification et de l’embourgeoisement Dictionnaire unilingue anglais. Collins English dictionnary, 3rd edition 1991 - gentrification : n. Brit a process by which middle-class people take up residence in a traditionally working-class area of a city, changing the character of the area [from gentrify (to become gentry] ‘gentri,fier’ n. - embourgeoisement (French) n. a process of becoming middle class ; the assimilation into the middle-class of traditionally working-class people. Dictionnaire bilingue, Français-Anglais Anglais-Français. Harrap’s shorter, 1991 - traduction française de gentrification : (n. Br.) : fait d’accroître le standing d’un quartier d’habitation. - traduction française de gentrified (adj. Br.) (area, street) : dont on a accru le standing. - Pas terme embourgeoisement en anglais. - traduction anglaise de embourgeoisement : (n. m.) attainment of middle-class respectability. - traduction anglaise de s’embourgeoiser (v. pr.) : to become bourgeois or middle-class. - Pas terme gentrification en français. Harrap’s unabridged, 2001 - traduction française de gentrification : (n. Br.) embourgeoisement. - traduction française de gentrified : (area, street) qui s’est embourgeoisé. - traduction française de to gentrify : embourgeoiser, rendre chic ou élégant. - traduction anglaise de embourgeoisment : n. m. (d’un groupe, d’un milieu, d’une profession) becoming (more) bourgeois or middle-class ; (d’un quartier) gentrification ; « l’embourgeoisement des vieux quartiers rénovés » : « the gentrification of renovated inner city areas » - Pas terme gentrification en français. Dictionnaires et encyclopédies de langue française. Encyclopédie Larousse en 18 volumes, 1993 - embourgeoisement : n. m. Fait de s’embourgeoiser ; état qui en résulte. - embourgeoiser : v. t. (de bourgeois) Donner un caractère bourgeois, conformiste, plat et sans grandeur à quelqu'un, quelque chose. - s’embourgeoiser : v. pr. (être embourgeoisé, v. pass.) 1. Prendre, avoir pris les manières, les préjugés de la bourgeoisie ; borner son idéal à la recherche de son confort ; s’installer dans un état de sécurité confortable. « Depuis qu’ils se sont mariés, ils se sont embourgeoisés ». 2. En parlant ‘un lieu, comporter des habitants de plus en plus bourgeois et se modifier en reflétant leur manière d’être : « quartier qui s’embourgeoise ». 3. En parlant d’une doctrine politique ou sociale, perdre, avoir perdu, son caractère révolutionnaire : socialisme embourgeoisé. - Pas gentrification. Dictionnaire étymologique et historique du français, Larousse, 1998 (donne les dates d’apparition des mots) + Maxidico, Editions de la Connaissance, 1996 s’embourgeoiser : 1777, fréquenter les bourgeois. 243 embourgeoiser : 1831, d’après L. embourgeoisement : 1870, Lar. désembourgeoiser : 1955, Le Monde. - Pas gentrification. Le terme gentrification n’apparaît dans aucun dictionnaire français. Dictionnaires de géographie (français et anglosaxons) Roger BRUNET (dir.), 1993, Les Mots de la géographie, dictionnaire critique. Reclus – La Documentation Française. - gentrification : mot anglais désignant la réoccupation des centres de villes par les classes aisées (la gentry v. gens*) après rénovation*, et réhabilitation*, v. embourgeoisement*, élite*. - embourgeoisement : généralement : ascension d’individus de classes populaires la classe bourgeoise ou à ses manifestations extérieures (costume, habitat, comportements, apprentissages) Spécialement : traduction française possible de gentrification, mot très employé par les sociologues et géographes anglophones pour évoquer la reconquête des centres de villes par les classes fortunées, ou du moins aisées, désireuses de bénéficier des avantages de la centralité et susceptibles d’en payer le prix. S’accompagne de rénovations, réhabilitations et autres formes d’"épuration" du centre. Les Canadiens francophones disent aussi élitisation. Jacques LEVY, Michel LUSSAULT (dir.), 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin - gentrification : dans un quartier urbain, processus d’installation de résidents d’un niveau socioéconomique plus élevé que celui des populations initialement résidentes. Ce terme anglais (utilisé en France parce que sa connotation est moins péjorative que celle du mot proche, mais pas parfaitement synonyme, d’embourgeoisement) a été utilisé pour décrire l’investissement d’espaces urbains dégradés par des populations de niveau socioéconomique élevé, souvent en relation avec la réhabilitation de quartiers centraux ou péricentraux au bâti ancien. Ceux-ci ont beaucoup attiré l’attention des géographes dans les villes de pays anglosaxon, où ce mouvement, devenu significatif à compter des années 1970, s’inscrivait contre la tendance globale des populations aisées à délaisser le centre pour les « suburbs » périphériques ; ils soulevaient en outre un certain nombre de problèmes d’éviction des occupants incapables de faire face à la hausse des loyers des logements suite à l’amélioration du cadre de vie. La juxtaposition, au cours du processus, entre des populations aux caractéristiques sociales et aux modes de vie diamétralement opposés, n’est pas son aspect le moins frappant, comme dans les Dockands de Londres où les employés de la City qui habitent les entrepôts reconvertis côtoient la classe ouvrière traditionnelle de l’East End. La reconquête des fronts d’eau par la fonction résidentielle est d’ailleurs une des modalités les plus significatives de la gentrification des villes anglaises et états-uniennes. Les acteurs de la gentrification, généralement de jeunes actifs sans enfant (yuppies, young urban professionals/dinkies, double-income no kids), ne sont pas seulement sensibles aux avantages d’une position centrale, mais aussi souvent au caractère historique des bâtiments qu’ils réinvestissent : la réévaluation de la valeur sociale, culturelle et économique du patrimoine architectural n’est pas étrangère au processus. La transformation des quartiers gentrifiés est en tout cas spectaculaire, à mesure que le bâti est requalifié, que les espaces publics sont retraités et que d’ouvrent des commerces et services destinés à la nouvelle population, que la pression immobilière homogénéise progressivement. - Pas embourgeoisement 244 JOHNSTON et alii, 2000 (4e édition), The Dictionnary of Human Geography - gentrification : réinvestissement du capital dans le centre-ville qui permet de produire de l’espace pour une catégorie sociale plus aisée que celle qui occupe initialement l’espace. Le terme, créé par Ruth Glass en 1964, a essentiellement été utilisé pour décrire les aspects résidentiels de ce processus, mais ceci évolue puisque la gentrification elle-même évolue. La gentrification est la quintessence du réinvestissement urbain. En plus de la réhabilitation et du redéveloppement résidentiel, elle comprend maintenant le redéveloppement commercial et la reconversion de lofts (pour habitations ou bureaux) comme partie intégrante d’une restructuration plus large de l’espace urbain géographique. La gentrification combine plus précisément ce réinvestissement économique et le changement social, en ce sens que des gens plus aisés – la classe urbaine affluente – déménagent dans des quartiers auparavant dévalorisés. La gentrification implique souvent un déplacement direct ou indirect de populations pauvres. En conséquence de la crise économique mondiale des années 30 et de la seconde guerre mondiale qui a suivi, les pays industrialisés et particulièrement les Etats-Unis et l’Australie, mais aussi ceux d’Europe occidentale, ont vécu une suburbanisation financée par l’Etat dans laquelle les capitaux fuient les centres-villes pour des espaces plus rentables, habituellement dans la même région. Pendant les trois ou quatre décennies suivantes ce processus se poursuit sans faiblir. Un désinvestissement de plus en plus accentué des centres-villes a alimenté une dévalorisation très marquée, alors que simultanément une classe moyenne en expansion engendre un demande nouvelle de logement. La gentrification de ces espaces centraux anciennement dévalorisés en est le résultat. Les débuts de la gentrification se produisent dans des villes anciennes et très peuplées à travers le monde capitaliste avancé : Londres (par ex. Islington), New York (par ex. Greenwich Village et les hauteurs de Brooklyn), Philadelphie (par ex. Society Hill) et Toronto (par ex. Riverdale). Considéré à tord comme un retour de la population à partir des banlieues, la gentrification implique en fait les citadins les plus aisés de la ville, bien plus que les habitants de banlieue. Les déplacements liés à la gentrification deviennent endémiques pendant les années 80 alors que la gentrification s’étant à des villes et des quartiers suivant la hiérarchie urbaine. Les mouvements de protestation contre la gentrification sont courants à la fin des années 70 et dans les années 80, mais disparaissent après la fin des années 80 quand les économies nationales sombrent dans la récession, les aides de l’Etat disparaissent et le soutien aux activistes s’érode. Au début des années 90 la gentrification ralentit dans de nombreux pays, ce qui a fait dire un peu rapidement chez certains que le processus était terminé et qu’il s’inversait même. Mais au milieu de la décennie le processus avait repris de plus belle dans des aires jusque là épargnées et s’intensifia dans des quartiers qui avaient connu les premiers le phénomène. Bien que cela s’observât avant tout dans les grandes et moyennes villes d’Europe et d’Amérique du Nord, des processus similaires commencent aussi à apparaître autre part, par ex. à Tokyo, Sao Paulo, Johannesburg et quelques villes d’Europe de l’Est. Les géographes ont joué un rôle clé dans l’apparition de la littérature sur la gentrification. Les débats principaux se sont concentrés sur : l’origine de la gentrification, la localisation probable du processus, et son avenir. Les explications basées sur la consommation, explicites ou implicites ont dominé la littérature jusqu’aux années 80 et peuvent relever de diverses interprétations de la théorie de la préférence, elle-même inspirée de l’économie néo-classique. D’après cette approche la gentrification est causée par des bouleversements dans la demande de logements. Elle peut inclure une nouvelle demande pour une proximité de vie et un charme esthétique à laquelle seuls les vieux centres-villes peuvent répondre, ou cela peut représenter une réponse au baby-boom, ou une réponse à la restructuration de l’économie du milieu des années 70 qui a engendré un nombre croissant de services hautement payés. Dans un même 245 temps, cela affaiblissait encore un peu plus la base manufacturière déjà mal en point de nombreuses villes. Ceci a créé ce que certains ont appelé la « nouvelle classe moyenne » qui occupe les postes biens payés dans le secteur des services. La culture, dans cette approche, joue un rôle plus important que l’économie, en tant que facteur explicatif de la gentrification du centre-ville, bien que les changements culturels soient exprimés à travers les changements économiques. Mais il est difficile pour l’explication basée sur la consommation d’éclairer pourquoi un bouleversement quantitatif dans la structure de la demande économique a produit un changement qualitatif de l’espace, dans l’optique de certaines nouvelles visions. Ainsi des explications basées sur la production se sont concentrées davantage sur le rôle du capital dans la création de quartier en cours de gentrification. Des cycles d’investissement et de désinvestissement de capital ont conduit à la création d’un différentiel de loyer [rent gap] entre des loyers de terrains capitalisés selon leur usage initial et les loyers de terrain potentiels selon un usage plus haute gamme (et gentrifié). Le rent gap devient une opportunité pour le réinvestissement du capital, particulièrement quand il coïncide avec un mouvement économique plus large d’investissement immobilier. Ce furent les conditions qui ont prévalues quand les deux premiers cycles significatifs de la gentrification avant 1973 et dans les années 80. De nombreux chercheurs ont tenté de concilier ces deux types d’explication. De fausses prédications de dégentrification au début des années 90, et la résurgence d’un processus fondamentalement économique du phénomène suggèrent que la gentrification émerge d’un ensemble de processus spécifiques et globaux à la fois dans le paysage urbain comprenant la culture l’économie aussi bien que le changement socio-structurel. - pas embourgeoisement. SEGAUD M., BRUN J., DRIANT J.-C. (dir.), 2002, Dictionnaire de l’habitat et du logement, Paris, Armand Colin - gentrification : terme utilisé pour la première fois par R. Glass en 1963, pour désigner l’arrivée des couches moyennes dans des quartiers populaires du centre de Londres. S’appuyant sur une série de travaux de langue anglaise, C. Hamnett la définit (1984) comme : un phénomène à la fois physique, économique, social et culturel en œuvre dans des quartiers populaires, dans lequel une réhabilitation physique des immeubles dégradés accompagne le remplacement des ouvriers par des couches moyennes. La gentrification enchaîne différentes séquences schématisées en 1977 par Pattisson et reprises depuis par la plupart des auteurs (Dansereau, 1985). Elle est amorcée par un petit groupe de personnes prenant des risques financiers (« les envahisseurs ») qui achètent et réhabilitent à bas prix leur logement ou des maisons inoccupées. Ils sont généralement jeunes, vivent seuls ou en couples sans enfant, et appartiennent aux professions intellectuelles et artistiques. Le mécanisme d’invasion est ensuite relayé plus massivement par d’autres ménages appartenant aux mêmes groupes sociaux et culturels (« les pionniers »). Devenu visible, le quartier attire les convoitises des spéculateurs ou d’investisseurs, tandis que les pouvoirs publics accompagnent cette mutation en le « labellisant » (comme un quartier historique ou traditionnel par exemple) et en développement les équipements collectifs. Les prix montent, le quartier devient attractif pour les promoteurs professionnels qui accélèrent l’inflation des prix immobiliers. Ce sont alors les couches moyennes en ascension sociale qui l’investissent (les « yuppies »), les anciens occupants appartenant aux couches populaires sont délogés, soit parce qu’ils ne peuvent plus payer leur loyer devenu trop cher, soit parce que la nouvelle image du quartier et la qualité des équipements leur sont devenues étrangères. A cette étape finale, le peuplement du quartier se stabilise et la transformation sociale est achevée. 246 Dans les années 1980, le processus a mobilisé un large courant de la recherche urbaine en Angleterre et aux Etats-Unis, non seulement parce qu’il s’amplifiait, mais aussi parce qu’il contredisait le référentiel du développement socio-spatial d’Amérique du Nord dans lequel les couches aisées fuient les centres pour se diriger vers les banlieues résidentielles. Mais, pour d’autres raisons il est vrai, l’Europe n’est pas en reste, et nombre de chercheurs s’interrogent durant cette période sur les reconquêtes des quartiers autrefois délaissés par les couches sociales aisées (Haumont et Lévy, 1998). Différentes analyses ont été avancées pour expliquer le processus. La plus critiquée est probablement l’interprétation économique du différentiel de loyer (rent gap) proposée par N. Smith. Pour lui, les facteurs déclencheurs sont les structures des marchés fonciers et immobiliers. Lorsque les banlieues résidentielles huppées deviennent trop chères, l’investissement en capital immobilier est moins rentable, car trop élevé par rapport aux profits escomptés par les loyers. Les investisseurs préfèrent alors s’engager dans des zones à faible coût où le différentiel de loyer leur est plus profitable. Cette théorie a été fortement débattue, notamment parce qu’elle laisse peu de place aux goûts des gentrifieurs susceptibles de venir habiter ces quartiers. Or, si personne ne met véritablement en cause l’existence d’un tel différentiel, il est aussi vrai que celui-ci est obtenu parce que des nouveaux arrivants acceptent de payer plus chers leur logement que les anciens occupants. Il existe beaucoup de quartiers dévalorisés qui ne se gentrifient pas pour autant, en particulier parce que les couches moyennes refusent de les habiter. En d’autres mots, si le différentiel de loyer est nécessaire pour enclencher le processus, il n’est pas suffisant (Hamnett, 1991). Les partisans de l’autre grand courant explicatif s’appuient quant à eux sur les transformations sociales induites par le passage d’une société industrielle à une société post fordiste. Au début des années 1980, aux Etats-Unis mais aussi en France, plusieurs sociologues se sont intéressés à l’émergence d’un nouveau groupe social souvent qualifié de « classe émergente » ou de « nouvelle couche moyenne ». Produit des nouvelles institutions créées pour gérer les rapports entre l’Etat et la société civile (Montjardet et Benguigui, 1982), il mobilise des individus diplômés, aux appartenances transversales aux catégories sociales traditionnelles (professions intellectuelles supérieures, professions libérales, contremaîtres, artistes ou instituteurs par exemple). Très hétérogènes socialement, ils se reconnaissent dans une attitude culturelle commune (Bell, 1980), par leur quête collective de nouvelles valeurs et leur « travail de construction idéologique » (Bidou, 1982). Par certains côtés, la gentrification est la traduction spatiale de cette construction sociale. En 1980, D. Ley sera le premier à montrer que les changements dans les structures de productions ont fait émerger une nouvelle élite (que les médias qualifient de bo-bo : bourgeois-bohème), dont les exigences culturelles, les goûts, les styles de vie et les modes de consommation sont en phase avec la gentrification. Leur arrivée dans les centres anciens leur permet de revendiquer la mixité sociale et la cohabitation avec les couches populaires, l’espace-village, l’histoire des lieux, mais aussi la proximité et le voisinage (Bidou, 1982). Ils se constituent ainsi une identité résidentielle congruente avec (leur) identité sociale dans un contexte global où les centres-villes deviennent de plus en plus des villes de cols blancs (Moore, 1982, cité par Hamnett, 1991). Ces deux interprétations en donnant la part belle aux données économiques et culturelles ne tendent-elles pas à négliger les facteurs politiques dans le processus ? En France notamment, nombre de quartiers anciens dégradés ont donné lieu à des Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH) afin d’encourager les propriétaires à requalifier le bâti. Mais globalement il apparaît que les aides de l’Etat ont eu finalement peu d’effets directs sur les réhabilitations des immeubles (Aballea, 1983), les transformations relevant surtout des investisseurs privés consentis par les nouveaux occupants ou les promoteurs. Par contre, dans un climat de forte concurrence entre les communes, pour attirer les richesses, où la « mixité 247 sociale » est le leitmotiv récurrent de la plupart des politiques locales, les gentrifieurs sont devenus le groupe social stratégique qu’il convient d’attirer à tout prix (Haumont et Lévy, 1998), au risque de nier à la fois leur diversité (Simon, 1998) et les déplacements des populations modestes induits par leur arrivée. Au bout du compte, ces différents travaux mettent surtout en évidence la complexité des mécanismes de gentrification. Ce que confirment les recherches les plus récentes sur la question qui, en montrant qu’il n’existe pas de linéarité dans le processus, modulent sensiblement le schéma idéal-type de la gentrification proposé par Pattison. La gentrification se présente « davantage comme un côtoiement de population différencié que comme une succession de vagues d’installation », comme « le produit social d’un jeu complexe » dans lequel sédentaires et mobiles se côtoient, où se conjuguent tout à la fois les mouvements de populations, les décisions d’aménagement, les stratégies d’acteurs et les manières particulières d’habiter et de cohabiter des différents groupes sociaux (Authier, 1998 et 2001). Face à ce constat peut-on encore parler d’irréversibilité de la gentrification, comme le font la plupart des auteurs nord-américains ? En France, les études de peuplement des quartiers anciens centraux dans le temps long montrent surtout l’aspect cyclique des évolutions et la persistance des représentations sociales des quartiers dans la mémoire collective (FavelKapoian, 1998). Ce qui plaide pour un déplacement de la question de la gentrification vers celle de la production des marquages sociaux des territoires et des mécanismes plus larges mais aussi plus riches, d’embourgeoisement et de déqualification des quartiers. - embourgeoisement : cf. gentrification. 248 Annexe 2 Cahier d’intentions pour la valorisation du cadre de vie (4e arrondissement) Hiver 2002 SOMMAIRE Introduction – Mode d’emploi 1er Axe : redéployer le « village » 2ème Axe : Mieux se déplacer - Partager l’espace public 3ème Axe : Conserver l’animation tout en préservant une vie de quartier et une tranquillité relative 4ème Axe : Améliorer le cadre de vie urbain par une valorisation mutuelle du patrimoine architectural et des espaces urbains plus communs 5ème Axe : Développer la présence de la nature dans les lieux publics 6ème Axe : Développer la présence de la nature en favorisant une coproduction des interventions paysagères par les habitants et les acteurs publics 7ème Axe : Développer le potentiel d’urbanité des espaces résiduels Partout, l’attractivité des hyper-centres des villes se développe et la tendance est à une séparation entre des centres destinés aux loisirs, au tourisme, aux activités commerciales et tertiaires et une périphérie vouée à l’habitat et aux réseaux logistiques. Paris a jusqu’à aujourd’hui, malgré une baisse de sa population (ex : 1er et 8ème arrondissement), conservé une part significative de ses habitants dans les quartiers centraux. La question posée est, dès lors, de concilier qualité du cadre de vie et activité économique. Les visiteurs, de plus en plus nombreux, recherchent des pôles de plus en plus spécialisés. Parallèlement, les habitants recherchent plus de nature, de proximité-convivialité, de tranquillité, en même temps qu’ils apprécient l’animation urbaine exceptionnelle de leur quartier… on retrouve ces situations à la Butte aux Cailles, à Montmartre, dans le 6ème… Le 4ème est un quartier, pour l’essentiel, à l’écart des grandes problématiques urbaines de sécurité, d’absence d’urbanité, d’entretien et d’accessibilité. On choisit d’y vivre. Il est attractif tant pour son offre urbaine que pour son cadre de vie mais il est aussi « victime de son succès». Il est en tension entre des pratiques et des attentes contradictoires : quelle accessibilité et pour qui ? quels commerces, pour qui ? Une mise en valeur, pour qui ? La tendance est qu’il devienne un quartier-musée où les pratiques touristiques auraient supplanté les autres et où la vie quotidienne serait devenue trop inconfortable (bruit, encombrement). Des lieux existent où les diverses pratiques se côtoient sans difficulté : ainsi, le secteur situé autour du carrefour des rues Vieille du Temple et Sainte Croix de la Bretonnerie, le « village ». Mais il tend à se réduire et son équilibre est fragile. Objet et mode d’emploi de ce document : Une étude est engagée depuis l’été. Des enquêtes auprès des habitants, une analyse fine de l’espace urbain et la prise en compte des informations fournies par les services de la ville ont permis de faire émerger des éléments de diagnostic précis (perceptions, attentes, dysfonctionnements…). C’est sur cette base que ce cahier d’intentions a été conçu. Plusieurs grands axes d’intervention y sont présentés qui apparaissent stratégiques si l’on souhaite « affermir » les lieux de partage, valoriser un contexte urbain en donnant plus de place à ses habitants, développer une attractivité plus diffuse et plus régulable. Pour chacun de ces axes, des intentions sont explicitées et des actions sont proposées afin d’être débattues. 249 1er axe : Redéployer le « village » Aujourd’hui Au sein du quartier, existe un secteur d’un intérêt particulier, le « village » (cf. Plan). C’est un lieu de partage entre les différentes communautés, entre les habitants. L’animation y est encore traditionnelle du fait de ses commerces, de la présence de secteurs résidentiels et d’équipements de quartier. Ce lieu très prisé est toutefois fragile. Un équilibre existe entre les différentes activités, les usages qu’il permet et qu’il s’agit de conforter. Demain Pour sauvegarder et développer le « village », plusieurs objectifs doivent être poursuivis conjointement : • • • • • • Diversifier l’offre commerciale en favorisant les commerces de proximité, Agir en matière d’habitat afin de permettre aux habitants anciennement installés de rester et à des personnes à revenus modestes de s’installer (mixité sociale), Réguler le bruit et procéder à des aménagements de certains lieux spécifiques comme le rue du Trésor (contrôle du tapage nocturne, intervention sur le paysage sonore par des dispositifs techniques…), Développer le caractère mixte du « village » vers le secteur Temple-Archives, Développer la présence et la qualité des espaces verts (square Langlois, rue des Francs Bourgeois), Observer l’évolution de ce secteur (analyse des plaintes….) Les axes de travail suivants déclinent des actions spécifiques qui contribueront à mettre en œuvre ce redéploiement du « village ». 2ème axe : Mieux se déplacer, partager l’espace public Aujourd’hui Bien qu’à l’écart des grandes infrastructures urbaines du 19ème siècle qui ne le touchent qu’en périphérie (rue de Rivoli), le quartier d’origine médiévale a toujours été l’objet de traversées inter-quartiers. Le quartier ne reçoit plus aujourd’hui de circulation de transit à proprement parler, les itinéraires de traversées ayant été contraints (tête-bêche, ruptures de continuité). Pour autant, la circulation y est inévitablement importante dans la mesure où il est attractif et où sa localisation induit qu’il puisse être traversé. En matière de stationnement, le constat est le même, avec une occupation des surfaces de stationnement de 120%. L’espoir d’une fluidité automobile est donc impossible tout comme l’espoir d’un stationnement pour tous. Depuis 10 ans déjà, la grande majorité des rues ont été réaménagées Aujourd’hui, un nouveau saut qualitatif est nécessaire. Mais pour retrouver une marge d’action, il paraît indispensable de procéder à des choix en termes de modes de déplacements selon les rues : certaines rues doivent demeurer des traversées automobiles ; dans d’autres cas lorsque le sacrifice en termes de qualité de vie est excessif, un traitement spécifique pourrait être mis en œuvre : accueil prioritaire des vélos, bus piétons. Demain La préoccupation générale qui doit guider les interventions sur l’espace public est la hiérarchisation des réseaux automobiles et de circulations douces afin de permettre à toutes les pratiques de coexister. Cinq types d’intentions peuvent être pointées : • Circulation automobile importante : rue de Rivoli, rue Saint Antoine, rue de Turenne et rue du Temple Concilier trafic automobile et vie urbaine en mettant en scène les signes de la vie locale et en procédant à des aménagements qui minimisent le caractère routier des rues et incitent à une conduite civile -1-. • Déplacements vélos et piétons : rue des Francs Bourgeois et rue Vieille du Temple Initier le développement d’un réseau de circulation douce sur un maillage complémentaire à celui des grands axes, plus sécurisant et tranquille que celui-ci. Contraindre fortement le passage des voitures, ne pas créer de stationnement (sauf livraisons) mais favoriser l’usage des bus, des vélos, développer les trottoirs, plantations… Mettre en scène le patrimoine urbain. Informer, faire respecter les règles. • La rue très commerçante : rue des Rosiers, rue Sainte Croix de la Bretonnerie. Gérer les flux pour rendre la cohabitation des usagers plus aisée (difficultés liées à « l’envahissement piéton ») en procédant à une piétonisation limitée dans le temps aux moments de très forte affluence, en supprimant le stationnement…-2- 250 • La rue à dominante résidentielle : rue Aubriot, rue des Guillemites, rue du Plâtre Limiter au maximum la circulation automobile à l’exception de celles des habitants en imaginant un aménagement contraignant, évoquant le caractère résidentiel de la rue : grilles forgées, bornes et jardinières en pierre, absence de commerces…-3• Les parcours touristiques Imaginer une promenade continue partant des Archives jusqu’à la Seine qui diluerait les flux touristiques dans un espace plus vaste grâce à l’ouverture progressive au public de jardins existants. 3ème axe : Conserver l’animation tout en préservant une vie de quartier et une tranquillité relative Aujourd’hui L’un des attraits du quartier est sans conteste son offre commerciale qui est variée tout en étant spécialisée (magasins, galeries, restaurants, cafés…). Jusqu’à aujourd’hui, son développement n’a pas gommé l’histoire locale. Toutefois, l’offre de commerces de proximité tend à décroître et le bruit lié à certaines occupations extérieures tardives tend à devenir un élément de tension entre visiteurs et résidents. Il s’agit de préserver cette richesse de l’animation urbaine sans trop porter atteinte à la qualité de vie de cette « île » d’urbanité au cœur de Paris. De fait, une moitié à peine des rues posent des problèmes et ces derniers sont parfois très localisés. Les difficultés naissent la plupart du temps de la concentration de certaines pratiques (flux touristiques) ou de certaines activités (bars), d’un « captage » un peu abusif de l’espace public ou de son encombrement qui génèrent un sentiment d’envahissement. Il s’agit donc de trouver les moyens de conforter et de soutenir un développement des lieux où les différentes pratiques s’équilibrent et où, de ce fait, les conflits d’usages se réduisent. Demain Pour être efficaces, les intentions d’aménagement que l’on peut envisager pour améliorer la cohabitation entre résidents et visiteurs doivent être adaptées aux problèmes identifiés. Des distinctions sont donc à faire selon le type de commerce et la vocation générale des rues. • La rue commerçante à vocation touristique (et activités nocturnes) Interdire ou limiter très fortement l’occupation de l’espace public par les véhicules (hors livraisons et accès des résidents). Limiter le bruit par le choix de matériaux (dispositifs phoniques spécifiques), l’aménagement limitant et dédensifiant les terrasses, le recours à certains éléments architecturaux couvrant partiellement un espace ou en interdisant l’accès ou l’occupation… Redéfinir le paysage sonore en développant la présence des bruits agréables : eau, arbres, cloches… Réglementer et contrôler.-1• La rue commerçante à vocation locale (rue Sainte Croix…) Conforter la présence des petits commerces qui offrent un service local et contribuent à construire l’identité du quartier en favorisant l’organisation de services de livraisons à domicile, la complémentarité entre commerces. A ce titre, le marché gagnerait à être situé sur la place Baudoyer qui participerait ainsi un peu à l’animation du quartier ? • La rue sans commerce Ces rues calmes sont des « pauses » dans l’animation urbaine et contribuent à réguler passivement les excès de bruit. Elles pourront être aménagées sur un mode plus « privatif » pour les conforter. Leur occupation serait à maîtriser (interdiction absolue des terrasses…). 4ème axe : Améliorer le cadre de vie par une valorisation mutuelle du patrimoine architectural et des espaces urbains plus communs Aujourd’hui Le cadre historique du Marais a été sauvé par la loi Malraux. L’architecture noble des hôtels particuliers a été remise en valeur et les espaces publics réaménagés. Pour autant, le caractère uniforme et minéral des interventions, la suppression, au fil du temps, de constructions au d’aménagements (apports, ajouts du 19ème siècle) éclectiques et originaux dans le souci de retrouver l’état d’origine, tend à transformer le quartier en un musée un peu désincarné. Aussi, doit-on se ré-interroger sur les intentions que l’on poursuit lorsque l’on intervient sur les espaces publics et plus particulièrement sur la manière d’accompagner les pratiques et les 251 attentes actuelles (présence végétale…) ainsi que sur la diversification des interventions en fonction des usages, de l’histoire et du patrimoine actuel des différents espaces. Demain Plusieurs intentions peuvent guider les interventions. Il s’agirait de poursuivre la mise en valeur du patrimoine dans toute sa diversité mais aussi mieux intégrer certaines constructions existantes (carrefour rue des FrancsBourgeois – rue Vieille du Temple), ou certains services urbains déqualifiants (sanisettes,…) ou encore valoriser les « places » publiques rares dans le quartier. • Mise en valeur : Les actions pourraient s’attacher à mettre en valeur l’architecture savante mais également son architecture d’accompagnement dont le rôle urbain compte (balcons, décorations, fontaines…). L’élargissement ponctuel d’un trottoir, son dessin, la mise en place de bornes et chaînes, la mise ne lumière, des plantations stratégiques… pourraient mettre en scène ces architectures et en masquer d’autres. Il importerait également de donner à voir les cours des hôtels (ouverture le jour, portes avec oculus ou ajourées…).-1• Adoucissement de certaines formes urbaines On s’attachera à re-contextualiser certaines formes urbaines qui produisent des espaces vides et tristes, des recoins souvent sales… par une panoplie de micro-aménagements qui montrent et qui cachent, qui attirent l’attention sur de jolis détails et qui intègrent certains objets urbains malheureux bien qu’indispensables (bouche d’aération, coffres électriques, sanisettes…).-2• Valorisation des « places », des « presques-places » : Terre-plein Saint-Paul , Baudoyer, Bourg-Tibourg, Marché Sainte –Catherine… Les places, comme celle du Marché Sainte Catherine sont rares. Souvent, on bénéficie davantage de « presquesplaces » traditionnelles dans les tissus urbains médiévaux ou correspondant à des reliquats laissés par des destructions ou des retraits imposés par les règlements d’urbanisme. C’est l’ensemble de ces espaces publics qu’il s’agit de valoriser par des actions fines à étudier dans le détail car leur valorisation passera bien souvent par certaines contraintes. Ex : comment développer le Terre-plein Saint-Paul, lieu d’animation urbaine important, sans contraindre la circulation des véhicules ? 5ème axe : Développer la présence de la nature dans les lieux publics Aujourd’hui Il y a peu d’espaces verts dans le quartier. Lorsqu’ils existent (square Langlois) ils doivent faire face à toutes les fréquentations potentielles… tout en étant de petite taille. Des jardins existent pourtant, notamment dans les cours des hôtels particuliers où les institutions se sont installées. Mais ils ne sont pas accessibles et n’ont jamais été l’objet des soins dont a bénéficié l’architecture. Ils sont ainsi peu attractifs alors même qu’en France des jardins comme Versailles, Villandry ou Varengeville bénéficiant d’une gestion très fine sont ouverts à un public de plus en plus important. Aussi, ne pourrait-on pas tirer davantage parti de ce gisement d’espaces? En effet, on ne peut imaginer créer un parc ex nihilo dans un contexte urbain dense et historique pour répondre à la pénurie d’espaces paysagers. En revanche, il pourrait être envisagé d’aménager ces jardins privés d’institutions publiques, d’en permettre la traversée avec un mode d’emploi spécifique selon la qualité du lieu. La valorisation de ces espaces créerait une offre digne d’un grand parc. Par ailleurs, cela permettrait pour les promeneurs de découvrir ce que fût cette qualité si originale du Marais, de tension entre les espaces ouverts, panoramiques et calmes des jardins et les espaces fermés, limités et animés de la ville. Demain L’objectif n’est pas de remplacer des « jardins à la française » par des « espaces verts banalisés » mais de permettre l’accès à des espaces de détente aux habitants du quartier en leur offrant l’expérience unique d’une véritable histoire vivante des jardins de la fin du Xvème siècle (en intégrant l’hôtel de Sens) à nos jours. L’enjeu est de procéder à des aménagements qui soient fonction de l’histoire du lieu et de l’importance du patrimoine architectural et de placer le promeneur dans des conditions de visites compatibles avec le lieu. Les usages, la nature de l’aménagement, les règlements (ou mode d’emploi) seraient distincts d’un lieu à l’autre. L’encadrement, la gestion, et la surveillance seraient à adapter. 252 • Les jardins historiques type hôtels de Rohan-Soubise, hôtel d’Aumont, hôtel Salé…seraient à restaurer comme un élément d’Art à part entière avec le même souci d’excellence que pour l’Architecture,-1• Les jardins situés dans un contexte historique comme le jardin situé à l’arrière de l’hôtel Lamoignon , la maison de l’Europe, ou en cœur d’îlot habité… resteraient occupés par des usages précis et calmes (potagers, vergers, plantes médicinales…), • Les jardins dans un contexte non directement historique (comme Langlois, cité internationale…) auraient davantage une vocation de square et un traitement plus libre et naturel.–2Une thématique commune telle que la présence de l’eau pourrait être développée. 6ème axe : Développer la présence de la nature en favorisant une coproduction des interventions paysagères par les habitants et les acteurs publics Aujourd’hui En se promenant, il n’est pas rare d’avoir la surprise de percevoir des scènes où la nature est très présente. Ainsi, par exemple, rue des Blancs-Manteaux vers la rue Hospitalières Saint Gervais, les quelques arbres de l’école qui dépassent des toits, des micro-aménagements de restaurants, le développement de jardinières aux fenêtres et le fleurissement des balcons…construisent une véritable séquence végétale dont l’impact urbain est peut-être équivalent au square Langlois proche. Cette observation vaut aussi pour la rue de la Jarente par exemple... Il s’agit là d’une autre manière de développer la présence de la nature. Des pratiques d’urbanité et d’embellissement privées se mêlent à des actions publiques ponctuelles qui les soutiennent. Actions publiques et privées s’étayent pour co-produire une qualité urbaine, pour mettre en scène des ambiance de jardins dans la ville. Cette culture originale, réactive aux évolutions (la plantation d’un arbre déclenchent des fleurissements en série), riche d’une incroyable diversité doit être incitée. Demain Pour développer cette co-production paysagère, un certain nombre de pistes peuvent être formulées : • Les interventions sur l’espace public : -1Un recensement des actions visant à effectuer des plantations d’arbres de hautes tiges, d’arbres isolés ou d’arbres en alignement de faible développement pourrait être mené : contraintes fortes liées à la présence de réseaux et à l’étroitesse des rues. • Les actions développant des supports d’appropriation : -2La création de jardinières-jardins, le fait d’opérer des réservations de terre au pied d’un immeuble pour un grimpant… pourraient être envisagés. Par exemple, ne peut-on imaginer que des jardinières soient plantées et gérées par les commerçants ou les habitants de l’immeuble concerné, la ville étant là en appui si nécessaire, avec une convention répartissant les rôles ? • Les actions privées : -3Elles sont fondamentales et doivent être encouragées. A ce titre, il semblerait utile que des habitants (fréquemment d’origine urbaine) puissent suivre quelques cours de « jardinage urbain », aller à un marché aux fleurs… Vis à vis des cours privées jardinées, il serait heureux de négocier la possibilité de les donner à voir par des dispositifs préservant l’intimité des lieux : oculus, grilles croisées type moucharabieh... 7ème axe : Développer le potentiel d’urbanité des espaces résiduels Aujourd’hui L’évolution du tissu urbain du Marais a, au fil du temps, engendré deux types de problèmes : la présence d’espaces résiduels et de grands pignons aveugles déqualifiants. A l’époque médiévale, lorsque l’espace était compté, les rues étaient étroites mais le bâti n’était pas très haut et les cœurs d’îlots peu construits apportaient une respiration dans un espace urbain très dense. La fin du 18ème siècle, en densifiant l’habitat, le 19ème siècle, en industrialisant les cours et jardins, enfin, la démolition de nombreux hôtels particuliers et la construction d’immeubles de rapport bien plus hauts et en retrait par rapport à l’alignement du bâti existant, ont bouleversé cet équilibre sensible. Des espaces résiduels révélant des grands pignons aveugles sont apparus qui posent de 253 nombreux problèmes : pignons tristes et gris, tagg, retraits sales, bacs à fleurs cache misère servant de cendrier, stationnement sauvage, bornes, piquets… Pourtant, ces retraits non qualifiés représentent un véritable potentiel dans un contexte de pénurie d’espaces verts, de stationnement deux roues, d’emplacements de tri sélectif, de développements commerciaux sur les trottoirs…Une stratégie de reconquête de ces espaces pourrait être mise en œuvre qui aurait pour objectif d’embellir le quartier, de faciliter la gestion urbaine d’espaces de ce type, et de favoriser leur appropriation par les riverains. Demain La reconquête de ces espaces passe par leur qualification au cas par cas, selon leur localisation, leur dimension, l’occupation des immeubles alentour. Des micro-projets sont à concevoir qui apportent des améliorations locales et soient débattus avec les habitants. Des exemples de qualité existent sur lesquels s’appuyer. • Traiter les grands et les petits retraits : Les grands retraits peuvent être agrémentés de multiples manières : créer des micro-jardins-A-, des placettes, développer une façade commerciale, dessiner un mur « renard » à la place d’un pignon comme dans l’hôtel des Ambassadeurs de Hollande… Les petits retraits –1-, qui ne peuvent tous être l’objet d’une gestion publique (qui ne peut se démultiplier), pourraient être pris en charge par l’action privée sur la base de projets précis (dans le cadre de concessions ou conventions) : animation urbaine (fontaine) –2-, façade commerciale –3-, jardinière –4-, kiosque –5- , aménagement des entrées d’immeubles… • Traiter les vides urbains Certains espaces ouverts, sans affectation ni usages, issus de rénovations pourraient être l’objet de petits projets permettant de donner une qualité d’usage tout en restituant un alignement bâti, en masquant des constructions peu qualifiantes: jardin-trottoirs, traitement paysager des livraisons, développement de gracieux pavillons de services… 254 Annexe 3 Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot Paris ville bourgeoise, Paris ville de gauche ? Les paradoxes électoraux de la capitale Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot sont directeurs de recherche au CNRS Un constat : Paris se vide et Paris s’embourgeoise. Entre les recensements de 1954 et de 1999, la population est passée de 2 850 000 à 2 125 000 habitants. 725 000 Parisiens en moins, soit un sur quatre. Une perte qui équivaut à celle d’une ville comme Stockholm ou d’une agglomération comme celle de Bordeaux. Cette diminution est surtout marquée à l’Ouest, dans les quartiers bourgeois, elle est un peu moins sensible dans les quartiers populaires de l’Est. Mais l’embourgeoisement est surtout sensible dans ces derniers. Dans l’ensemble de la population active résidant à Paris, le nombre des employés et des ouvriers est passé de 65 % à 35 %, alors que celui des cadres moyens et supérieurs augmentait de 19 % à 58,5 % entre 1954 et 1999. Dans le 20e arrondissement, les employés, ouvriers et personnels de service sont passés de 72,5 % en 1954 à 45 % en 1999, et les cadres moyens et supérieurs de 13,5 % à 50 %. L’habitat populaire de l’Est parisien, abandonné par les familles modestes, a été investi par de nouvelles catégories où dominent les professions intellectuelles. Ces évolutions dans la composition sociale de la population active s’accompagnent de changements dans la structure démographique. Entre 1962 et 1999 la part des personnes âgées de plus de soixante ans dans la population totale est passée de 20,4 % en 1962 à 24 % en 1975 puis à 19,6 % en 1999 : la période récente voit donc un rajeunissement, relatif, de la population parisienne. Parallèlement la taille moyenne des ménages est passée de 2,29 en 1962, 2,02 en 1975 et 1,87 en 1999. Le poids des jeunes adultes, diplômés et exerçant des métiers très qualifiés, sans enfants ou avec peu d’enfants s’est donc considérablement accru dans la population parisienne. Un tel bouleversement sociologique et démographique ne pouvait pas ne pas avoir de conséquences électorales. Mais elles ne furent pas celles qui étaient attendues. Bertrand Delanoë a été élu et la gauche a gagné plusieurs mairies d’arrondissement et circonscriptions législatives aux élections de 2001 et 2002. La progression de la gauche est sensible et semble accompagner l’arrivée des nouvelles couches et l’exode des familles modestes. On peut faire l’hypothèse que les paradoxes électoraux de la capitale renvoient à une configuration de causes qui rendent ces résultats eux-mêmes ambigus. Cette avancée de la gauche à Paris est d’abord un rejet d’une droite déconsidérée par les affaires. L’abondante littérature qui a salué, surtout dans la presse l’émergence d’une nouvelle catégorie non encore répertoriée par l’INSEE, celle des « bobos » en langage codé, autrement celle des bourgeois bohèmes, cache sans doute un mouvement plus profond d’inscription dans l’espace parisien d’une population jeune, exerçant son activité dans des secteurs en forte croissance, qui ne se réduisent pas aux nouvelles technologies. 255 Une victoire de la gauche ? Après douze ans, de 1983 à 1995, de domination absolue de la droite, qui détenait toutes les mairies d’arrondissement (le « grand chelem »), six d’entre elles passent à gauche aux élections de 1995. Il s’agit des 3e, 10e, 11e, 18e, 19e et 20e arrondissements, dont tous, sauf le 3e, avaient échappé à l’hémorragie démographique de la période 1982-1990. Des conseillers de gauche sont même émus dans les 2e, 6e, 9e, et même dans le très symbolique 16e. Un résultat remarquable acquis avec 39 % des suffrages exprimés pour l’ensemble de la capitale. En 2001 la mairie de Paris bascule à gauche avec un progrès sensible des voix de gauche et des verts, qui frôlent la majorité absolue avec 49,6 % des voix. Cela suffit à l’emporter au nombre des sièges et au nombre des arrondissements : huit à la droite pour douze à la gauche. Aucun de ceux conquis en 1995 n’est perdu. Leur nombre double : s’y ajoutent des arrondissements centraux (2e, 4e et 9e), et les arrondissements périphériques du sud/sud-est (12e, 13e et 14e). Avec 318 099 voix, la droite distance la gauche d’un cheveu (313 075 suffrages, un écart de 5 024 voix). La victoire finale du parti socialiste et de ses alliés est certes au net progrès du nombre de voix recueillies, mais aussi à une loi électorale qui, en mêlant un zest de proportionnelle à un mode majoritaire offre une prime aux formations arrivées en tête dans la majorité des arrondissements. [à vérifier] Le mode de scrutin, en fixant le nombre de conseillers de Paris en fonction des résultats dans chaque arrondissement, a assuré une très nette majorité à la coalition rassemblée autour de Bertrand Delanoë. Sur les 163 élus du conseil de Paris, 92 forment la majorité nouvelle, 71 étant dans l’opposition. Le croissant populaire, celui de la localisation des grands ensembles de logements sociaux, celui des anciens 256 quartiers ouvriers aux noms évocateurs d’une ancienne mythologie parisienne (Ménilmontant, le Faubourg SaintAntoine…), est reconstitué par la disposition en arc de cercle à l’ouest de Paris des arrondissements passés à gauche. Ce croissant tend même à s’épaissir en étendant son emprise sur un centre qui changea de mains à plusieurs reprises, comme le Marais (4e arrondissement), aristocratique, prolétarien, puis néo-bourgeois. Restée, de justesse minoritaire en voix, on pourrait faire l’hypothèse que la gauche ne doit d’avoir remporté la mairie qu’en raison de la faillite d’une droite déconsidérée. Une victoire par défaut en quelque sorte. Mais le prise en considération de l’échelon des arrondissements met en évidence que la géographie électorale a retrouvé les lignes de fracture sociale et politique qui opposaient l’ouest bourgeois et l’est populaire. Les votes d’extrême gauche, eux aussi, dessinent ce croissant : au 1er tour des élections municipales de 2001, les scores les plus élevés étaient dans le 18e (5,88 %), le 12e (5,97 %), le 13e (6,35 %), le 19e (6,67 %), le 11e (6,72 %) et atteignaient 8,37 % dans le 20e. Par ailleurs il n’y avait pas de candidat de l’extrême gauche dans les 1er, 6e, 7e et 8e arrondissements, ce qui n’a rien de surprenant. Serait-ce que les quartiers de l’Est auraient échappé à l’embourgeoisement de la capitale ? En partie cela est vrai car le logement social dessine exactement le même arc de cercle que les votre de gauche et d’extrême gauche. Cette homologie exprime surtout la présence continue d’une population modeste dans les HLM des ces quartiers périphériques, anciennement très ouvriers et industrieux. Cela n’a pas empêché l’« embourgeoisement », d’une partie de la population, mais l’ sérieusement freiné. Les ouvriers et les employés modestes disparus sont-ils alors de retour ? Bien au contraire, le génie de la bastille ne veille plus sur les artisans ébénistes et leurs compagnons, mais sur d’autres créateurs, plus familiers avec le crayon, le stylo ou l’ordinateur qu’avec la varlope. Designers, consultants en communication, artistes, vidéastes, décorateurs, publicitaires, couturiers : de jeunes adultes aux allures « branchées » ont remplacé les ébénistes et les doreurs des ateliers du meuble et les tourneurs de la métallurgie de précision. Toutefois, ce retour aux frontières estouest, aux conséquences spectaculaires avec l’alternance à la tête de la municipalité de la ville capitale, avait été précédé par quelques signes annonciateurs. Ainsi aux législatives de 1997, où 9 circonscriptions sur les 21 que compte Paris, toutes situées à l’est, passent à la gauche. Le croissant rose s’épaissit aux Européennes de 1999 puisque 14 arrondissements sur 20, dont les 5 les plus centraux, sont gagnés par la gauche. Une tendance qui s’affirme avec les élections législatives de juin 2002 : 3 nouvelles circonscriptions passent à gauche, à contre-courant des résultats nationaux qui assurent une large victoire à la droite. Avec 12 députés sur 21, la représentation parlementaire de la capitale passe elle aussi à gauche. La majorité municipale ainsi confortée, la tentation est grande d’en appeler à un « effet Delanoë », le charisme de ce nouveau maire étant supposé renforcer l’influence des formations qui forment la coalition municipale. Mais, si cette influence est plausible, il reste que l’orientation à gauche des électeurs parisiens, qui n’a d'ailleurs rien d’un razde-marée, est antérieure à l’apparition du nouveau maire au premier plan. S’il est de longue date un élu municipal actif et influent, il a été condamné à n’agir que dans l’opposition. En conséquence il n’était pas très connu avant sa candidature de 2001, qui d'ailleurs ne s’imposait pas avec évidence au sein du parti socialiste qui a hésité pendant plusieurs mois sur le choix de sa tête de liste [vérifier]. Les résultats des élections municipales sont d’autant plus significatifs que le taux de participation a été élevé : 64,13 % de votants au second tour à Paris. Au premier tour il y avait été de 62,45 %, contre 61,27 % en moyenne nationale (le taux de participation ayant peu de sens pour des élections municipales où la proportion d’élus au premier tour est élevée). De plus cette victoire historique ne fut pas un feu de paille. Dans la 17e circonscription de Paris, qui regroupe une partie du 17e arrondissement et une partie du 18e, l’élection de 2002 avait été invalidée, 156 voix seulement séparant Annick Lepetit, arrivée en tête pour le parti socialiste, de Patrick Stefanini (UMP). La candidate socialiste fut réélue en 2003, cette fois avec presque 55 % des suffrages et 1 800 voix d’avance sur son rival qui, entre-temps, avait été porté à la tête de l’UMP pour Paris et avait reçu l’appui très médiatisé du Premier ministre, J.-P. Raffarin, et d’Alain Prost. Ces résultats tranchent sur le grand chelem réalisé en 1983 et 1989 : tous les arrondissements étaient alors aux mains de la droite. Il en va autrement depuis 1995, mais cette évolution du rapport de force électoral semble contradictoire avec l’évolution sociologique de la capitale. Gauche plurielle bourgeoisie. et nouvelle La désindustrialisation de Paris a été spectaculaire puisque le nombre d’emplois du secteur est passé de 575 000 en 1962 à 124 000 en 1999. Une partie des ouvriers employés dans ces entreprises ont quitté eux aussi la capitale, en raison aussi de la hausse des prix immobiliers et des loyers. Les 17 257 000 ouvriers et employés des usines Citroën dans le 15e arrondissement, au bord de la Seine, dont bon nombre résidaient aux alentours, ont abandonné le terrain aux joggers du parc André Citroën, et aux cadres des médias et des services. En 1954, les ouvriers y représentaient 30 % des actifs résidants, contre 6,2 % en 1999. Le « fabuleux » quartier d’Amélie Poulain, dans l’ouest du 18e arrondissement, autour de la place des Abbesses, à cheval sur les quartiers administratifs des Grandes Carrières et de Clignancourt, est passé de 32 % à 13 % d’ouvriers parmi la population active résidante. Ces évolutions se faisant bien entendu au profit des cadres supérieurs et des cadres moyens, ou professions intermédiaires comme dit aujourd'hui l’INSEE. Ce « renouveau » urbain et sociologique de la capitale est aujourd'hui symbolisé par l’Est de Paris, autrefois massivement populaire et industrieux, devenu un patchwork de rues branchées, de vieux îlots encore insalubres et d’opérations d’urbanisme social au charme incertain. Les chais et entrepôts de vin de Bercy, dans le sud du 12e arrondissement, en bordure de Seine, ont cédé la place à un parc résolument moderne dans sa conception, et à un ensemble d’équipements commerciaux et de loisirs au design novateur. Restaurants, caves à vins, boutiques très mode, cinémas en multiplexe faisant face, de l’autre côté de la Seine, à la Bibliothèque de France François Mitterrand, et au Batofar, haut lieu de la musique des DJ, l’environnement est de nature à attirer un public de jeunes adultes diplômés et exerçant des professions dans les secteurs en pointe, et à fixer, dans les opérations immobilières importantes aux franges de cette zone, des ménages en homologie. Le 47e quartier administratif, celui de Bercy, est ainsi passé de 14,3 % de cadres supérieurs et moyens parmi les actifs en 1954, à 57,4 % en 1999. 258 En fait il est quelque peu abusif de parler d’« embourgeoisement » de Paris. Sinon à admettre que de jeunes salariés, diplômés et gagnant à peu près correctement leur vie, ou que d’autres, lancés dans l’entreprise individuelle dans les secteurs des nouvelles technologies ou de la communication par exemple, sont des « bourgeois ». En fait cet accroissement des couches supérieures et moyennes, d’agents sociaux qui vivent essentiellement de leur travail et non des revenus de leur patrimoine, n’est pas en contradiction avec les évolutions électorales de la capitale. En effet, devant leur position d’abord à leur capital scolaire et culturel, ces agents sont en homologie, et sont même socialement les mêmes que ceux composant la majorité de la gauche parisienne, dont on ne risque guère de se tromper en faisant l’hypothèse qu’elle s’est elle-même « gentrifié », pour reprendre le terme des sociologues urbains anglo-saxons. Les attentes, les valeurs et les propositions, ou les souhaits des uns ou des autres se rejoignent. La gauche plurielle parisienne, des verts aux communistes en passant par le noyau dur socialiste, correspond bien aux préoccupations d’environnement et d’écologie, au souci des droits de ’homme, aux options antiracistes et libertaires sur le plan de mœurs, qui paraissent caractériser ces couches sociales qui ne sont, au fond, que la modulation contemporaine, devenue quantitativement beaucoup plus importante des anciens étudiants de 1968. Ils habitent volontiers dans les vieilles cours pavées des quartiers d’Oberkampf ou de l’ex Faubourg SaintAntoine. Ces cours où le lierre est toujours bien vivace voient les vélos hollandais, avec paniers d’osier, remplacer les billots de bois autrefois entreposés là dans l’attente d’être façonnés par les ouvriers ébénistes. Une néo petite bourgeoisie, intellectuelle, artiste, se réapproprie les ateliers d’artisans, les petits ateliers d’ébéniste ou de métallurgie de précision. Certains locaux sont transformés en lofts, les logements des petits patrons et des ouvriers sont réhabilités, agrandis par la réunion de plusieurs petits appartements. Les boutiques sur rue, souvent liées autrefois aux activités qui se déroulaient sur leurs arrières, se consacrent dorénavant à d’autres domaines. Ainsi les merceries deviennent cafés, les ateliers d’artisanat deviennent restaurants. Mais le nouveau décor intègre des éléments du passé. Comme dans un écomusée, on multiplie les références à la production de meubles ou de machines outil. Des tuyauteries, où ne coule plus rien, des marteaux, des limes, des scies, des lampes que l’on verrait plus volontiers au-dessus d’un établi : petits et gros souvenirs d’une époque révolue, qui s’harmonisent plus ou moins avec un mobilier hétéroclite, usagé, des années cinquante ou de l’entre deux guerres, ayant tout l’air, sans doute trompeur, d’avoir été récupéré parmi les objets encombrants abandonnés sur les trottoirs. Chaises en tubes métalliques, fauteuils pseudo Louis XV au matelassage fatigué, tables datant de l’irruption du formica dans la décoration limonadière. Sans compter les librairies, les boutiques de gadgets électroniques ou les fleuristes proposant quelques plantes rares. Ces nouveaux habitants de Paris, où d'ailleurs un certain nombre sont nés, développent donc à la fois un rapport positif et ambitieux au travail tout en cultivant un certain passéisme social, compensation sans doute à la mauvaise conscience diffuse d’avoir récupéré des rues et des logements où d’autres ont vécu avant d’en être expulsés d’une manière plus ou moins feutrée. Il y a donc dans ces groupes sociaux à la fois une adhésion résolue à la modernité et une nostalgie, qui est peut-être celle de ce que leurs parents, qui ont vécu les soubresauts de 1968, leur ont décrit comme terrain de la lutte d’alors. Cette ambiguïté est à la source d’une profonde homologie entre les attentes, les valeurs, les représentations des nouveaux venus et les propositions, les attitudes, la composition sociale de la gauche parisienne. Il existe de petits entrepreneurs, dans les nouvelles technologies, susceptibles de combiner une adhésion au libéralisme économique avec un libéralisme « existentiel », qui trouve un écho dans la gauche. Mais cela ne saurait expliquer la totalité de l’évolution des résultats électoraux à Paris. Les nouveaux habitants sont aussi des salariés, proches des mouvements associatifs, d’une gauche non institutionnelle, qui se retrouve plus dans Attac que dans le parti socialiste, mais dont les votes, à gauche, ont pu favoriser le renversement de la majorité au conseil de Paris. Les premières initiatives de la municipalité dirigée par Bertrand Delanoë ont certainement rencontré l’approbation des nouveaux venus de l’Est parisien. Il en est ainsi des politiques de transport, favorisant le collectif sur l’individuel et rejoignant les préoccupations des écologistes sur la place de la voiture à Paris. La valorisation de la marche et de la promenade, qui bénéficie d’une rubrique régulière dans le journal municipal, les restrictions de la circulation sur les voies sur berge, à l’occasion des fins de semaine ou de l’opération Paris-Plage, vont dans ce sens. L’accent mis sur de grandes fêtes accueillies dans l’espace public, fête de la musique (due à Jack Lang, certes, mais développée plus que jamais par la nouvelle équipe) ou la Nuit Blanche, inaugurée en 2002, entachée par l’attentat contre le nouveau maire, mais ayant tout de même connue un franc succès. D’autres initiatives, plus politiques, bien qu’encore surtout symboliques, comme l’implantation de 259 logements HLM dans des immeubles préemptés dans des zones très résidentielles de l’Ouest parisien, ont aussi marqué positivement les esprits de nos « néo-bourgeois », et aussi ceux des anciens, et vrais bourgeois, campant sur leurs quartiers privilégiés et horrifiés par l’arrivée des hordes socialement douteuses que ces préemptions laissaient supposer. Les candidats à l’élection présidentielle d’avril 2002 ne s’y sont pas trompés et ils ont établi leur quartier général de campagne dans des zones de brassage social intense, prenant ainsi acte en quelque sorte des résultats des élections municipales et des profonds changements affectant la population parisienne, et, au-delà, du poids électoral de ces nouvelles couches. Si les candidats de droite, n’ayant aucune chance de figurer au second tour, ont établi leurs QG dans les 16e, 8e, 7e et 15e arrondissements, ne prenant ainsi guère de risques vis-à-vis de leurs électorats traditionnels, il en va autrement avec Jacques Chirac et Lionel Jospin qui s’établirent à moins de 500 mètres l’un de l’autre, rue du FaubourgSaint-Martin, dans le 10e pour le premier, et rue Saint-Martin, dans le 3e arrondissement pour le second, de part et d’autre de la porte homonyme. Quant à Jean-Pierre Chevènement, il n’était pas bien loin, cité Paradis, dans le 10e. Gauche plurielle et gauche institutionnelle La victoire de la gauche n’est-elle pas aussi en partie celle de la pensée unique qui affirme ainsi la « fin de l’histoire » (économique), tout en trouvant dans l’affirmation conjointe de nouveaux modes de vie et de nouvelles aspirations une légitimité progressiste ? On peut supposer qu’une frange de l’électorat qui a porté B. Delanoë au pouvoir municipal ne l’aurait pas fait si le parti socialiste ne s’était affirmé, au moins dans sa 260 majorité, comme adhérant à l’économie de marché et rejetant les références au marxisme décidément dépassé. Mais ces nouveaux Parisiens sont aussi pour une part des salariés, au moins relativement modestes, qui se sentent proches ou constituent la base militante des nouveaux mouvements « politiques » récemment apparus, dont Attac est emblématique, et qui trouve à s’exprimer, entre autres lieux, dans Le Monde Diplomatique. Contre la pensée unique, cette nouvelle « nouvelle gauche » elle et en cela porteuse d’espoirs, de l’affirmation d’un refus de la capitulation pragmatiste devant la tyrannie du marché. La gauche est réellement plurielle puisqu’elle fédère des représentations du monde et de son avenir peu cohérentes. La pluralité parisienne, et singulièrement celle de ses nouveaux habitants, y trouve son compte. 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