Marcel Proust: A la recherche du temps perdu
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Marcel Proust: A la recherche du temps perdu
Marcel Proust (1871-1922) Marcel Proust est né à Auteuil dans la région parisienne en juillet 1871. Il connaît une enfance protégée mais fragile puisqu’à l’âge de dix ans sa santé chancelle : il souffre de violentes crises d’asthme. Il mène une vie de dilettante jusqu’à l’âge de trente-cinq ans. Ces années sont marquées par des études de droit, de lettres et de sciences politiques, mais aussi par la publication d’articles dans diverses revues, la traduction de John Ruskin, un théoricien de l’art, et par de nombreuses sorties mondaines. Son premier ouvrage, Les Plaisirs et les Jours, un recueil de poèmes en prose et de nouvelles paraît de manière confidentielle en 1896. Il commence alors la rédaction de son second ouvrage, Jean Santeuil, mais abandonne la rédaction de celui-ci en 1900, il sera finalement publié en 1951. La mort de ses parents le conduit à redéfinir sa vie en termes d’écriture, évolution accentuée par la mort de son chauffeur et amant Agostinelli. Il meurt en 1922, épuisé, à la suite d’une bronchite mal soignée. Aller plus loin : TADIE J.-Y., Marcel Proust : biographie, Paris, 1996 et Bloch-Dano E., Madame Proust, Paris, 2006. À la recherche du temps perdu À la recherche du temps perdu, est écrit entre 1908 – 1909 et 1922, et publié entre 1913 et 1927. Les trois derniers volumes parurent après la mort de Proust grâce aux efforts réunis de son frère Robert, et de certains membres de la NRF (Jacques Rivière, Gaston Gallimard et Jean Paulhan). L’œuvre de Proust rassemble sous ce titre sept tomes. Elle jouera un très grand rôle dans l’avènement de la littérature européenne contemporaine. Proust développe trois dimensions qui s’interpénètrent, à savoir les aspects romanesque, philosophique et esthétique. Travail réalisé par M. Craps et L. Suain, dans le cadre du cours de Médiation Muséale et Patrimoniale LHAGI 2550, UCL, année académique 2011-2012 Les trois mille pages du roman se présentent avant tout comme un roman de formation. Le narrateur fictif raconte son enfance – Du côté de chez Swann, publié en 1913 -, son adolescence – À l’ombre des jeunes filles en fleurs, prix Goncourt en 1919 -, les débuts de l’âge adulte – Le Côté de Guermantes et Sodome et Gomorrhe (1920 à 1922) -, une liaison douloureuse – La Prisonnière et Albertine disparue (1925) -, la découverte tardive de sa vocation – Le Temps retrouvé (1927). L’intérêt du roman est également psychologique et satirique. Tantôt, Proust analyse la dynamique de certains sentiments comme la jalousie, tantôt il réalise le portrait, sans ironie, de certains milieux bien déterminés comme l’aristocratie. La dimension philosophique porte sur la mémoire involontaire. En tout être vivant, le passé et le présent communiquent par sensations communes interposées : ce type de souvenirs lié au corps et au hasard des circonstances, échappe à la volonté consciente. L’enjeu esthétique intervient alors. Seul l’art permet de rassembler et de fixer, dans le cadre d’une œuvre, les sensations éparpillées qui constituent la matière même de la vie. Proust multiplie les personnages d’artistes qui initient le héros et l’incitent à devenir, au terme du roman, l’écrivain de sa propre vie. Pour cette raison, la dernière page renvoie directement à la première, en une structure cyclique qui justifie le titre. De nombreux éditeurs ont refusé son manuscrit, dont la NRF, avant qu’il ne soit publié finalement chez Grasset à compte d’auteur, c’est-àdire qu’il devra payer lui-même les frais (impression, publicité…) pour être publié. Suite à plusieurs critiques du peintre et ami de Proust, Jacques-Émile Blanche, notamment dans le Figaro, les éditions Grasset doivent réimprimer 3 000 exemplaires de Du côté de chez Swann, soit trois fois plus que ce qui était prévu à l’origine, ce qui permet à Proust de sortir de l’anonymat et d’être reconnu en tant qu’écrivain. Après le premier refus de la NRF, et plus particulièrement celui d’André Gide, qui, présentera plus tard ses excuses à Proust, À la recherche du temps perdu sera publié par la maison d’édition, fondée en 1911 par Gaston Gallimard. Celui-ci récupère les droits d’éditions chez Grasset. Marcel Proust sera le premier auteur des Editions Gallimard à recevoir le prix Goncourt en 1919 pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs. La presse de l’époque est divisée sur l’attribution du prix littéraire à Proust. D’un côté, il est félicité et on lui demande de refaire le « coup de la madeleine », de l’autre, il est critiqué car, en 1919 à la fin de la Première Guerre mondiale, certaines personnes estiment qu’il n’est pas assez patriotique et que le prix aurait dû revenir à Roland Dorgelès pour Les Croix de bois. D’autres comme Louis Aragon, lui reprochent, de ne pas être assez C’est ma madeleine à moi… engagé et voient en Proust un « snob » et un « réactionnaire ». Mais quoi qu’il en soit, Proust représente le premier grand succès pour la NRF, sur lequel Gaston Gallimard construira le succès de sa maison d’édition. Proust n’est peutêtre plus lu par un large public, mais il sera toujours associé à la madeleine. Et même aujourd’hui on fait encore référence à lui ou à son œuvre dans le cinéma ou dans la littérature. En plus des différentes adaptations cinématographiques mais aussi en manga, il est aussi possible de trouver des références à la madeleine de Proust sous différentes formes comme dans le film de Pixar, Ratatouille. En effet à la fin du film (1 :32 :36), la réaction à la ratatouille du critique Anton Ego nous plonge dans l’un de ses souvenirs d’enfance. ©Pixar Aller plus loin : Edition d’À la recherche du temps perdu en manga paru aux éditions Broché. Adaptation cinématographique: Du côté de chez Swann, 1984 de Volker Schlöndorff avec Jeremy Irons et Ornella Muti ; Le temps retrouvé, 1999 de Raoul Ruiz avec Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart et John Malkovich. Et aussi l’adaptation TV de Nina Companeez pour France 2 en 2010. Au sujet de la NRF et de Gallimard CERISIER A., Une histoire de la NRF, Paris, 2009. La vidéo de présentation de l’exposition pour le 100e anniversaire des éditions Gallimard organisée en 2011 à la Bibliothèque nationale de France. http://expositions.bnf.fr/gallimard/vis ite/index.htm L’expression de « la madeleine de Proust » est passée dans le langage courant. A travers l’extrait proposé, l’élève sera amené à comprendre l’expression pour intégrer cette formule et le processus de mémoire qui en découle. Le narrateur, dans Du côté de chez Swann, mange une madeleine “Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulées dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiaitelle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière”. L’ouvrage de Proust, À la recherche du temps perdu est devenu célèbre par sa fameuse madeleine. La madeleine de Proust, une expression souvent entendue mais peu comprise. Penchons-nous sur l’histoire de ce petit gâteau. Le narrateur, dans le premier tome Du côté de chez Swann, mange une madeleine. Chez lui, cet aliment, des plus anodins, déclenche un souvenir : il se revoit petit enfant mangeant à son tour une madeleine. En partant de cet instant, l’histoire de sa jeunesse défile à nouveau. La madeleine est, au départ un simple gâteau, au même titre qu’un croissant ou un éclair au chocolat. C’est Marcel Proust lui-même, par l’intermédiaire de son œuvre, qui va la rendre célèbre et immortelle. Il en va jusqu’à découler une expression introduite dans le langage courant : «C’est ma madeleine à moi» ou autre expression utilisant pour image la madeleine de Proust. Cela signifie : • un acte sans portée significative = aspect anodin de la madeleine • qui va produire un effet émotionnel = le choc du goût, du geste, de la texture de la madeleine trempée dans le thé en rapport direct à une sensation de l’enfance du narrateur • et nous rappeler quelque chose du passé = en rapport direct à une sensation de l’enfance du narrateur En utilisant l’expression : « c’est ma madeleine à moi » on évoque un aliment, un bruit, une texture… nous ramenant à notre enfance, au passé comme le gâteau au chocolat que nous préparait notre mère. Le thème principal du roman est donc bien celui de la mémoire, une mémoire involontaire. La madeleine ramollie par le thé va engendrer chez le narrateur un bonheur intense. Ce bonheur enclenche un processus de « mémoire, souvenir ». Le temps perdu, que le narrateur pensait perdu, rejaillit et le plonge dans l’histoire de son enfance et de sa jeunesse. En partant du document autographe de l’écrivain, il est évident que Proust avait choisi de tremper dans son thé une tranche de pain grillée. Sans doute, s’est-il rendu compte que pour imager cet acte de mémoire, il devait se tourner vers un aliment empli de douceur. Marcel Proust et La Belle Époque L’objectif premier est de créer un portrait d’une classe sociale, celle de la bourgeoisie, à la Belle Époque. La Belle Époque Parcours proposé Voilà le terme consacré pour évoquer une certaine allégresse de vivre au cours de la vingtaine d’années qui précéda le premier conflit mondial1. Balises Cette appellation « Belle Époque » est donnée pour la première fois après la Première Guerre mondiale. Elle manifeste une certaine nostalgie quant à la période d’avant-guerre. Le roman de Proust, À la recherche du temps perdu, illustre parfaitement cette allégresse de la Belle Époque, marquée intellectuellement par des hommes de lettres ou de sciences, des artistes et des écrivains. Ces intellectuels se réunissent dans des salons mondains parfaitement décrits dans l’œuvre littéraire de Proust. Ces salons permettent la diffusion des mouvements artistiques et des écrivains en vue. Les bals sont une autre manifestation de l’élite induisant cette image d’insouciance. Pour illustrer ce parcours, nous analyserons l’utilisation d’affiches, comme celles réalisées par Toulouse Lautrec. Commentaire des documents L’affiche illustrée est prépondérante au XIXe siècle avec des artistes tels que Toulouse-Lautrec. La production d’affiches se fait sur des plus grands formats, en plus grand nombre et coûte moins cher ! L’étude des affiches est riche pour les historiens, elles nous informent sur les débats électoraux, le développement de la propagande,… mais surtout et c’est ce qui nous intéresse, sur les principaux groupes qui composent la société du XIXe siècle. Aller plus loin : En annexe 1 : deux affiches réalisées par Henri de ToulouseLautrec, peintre et lithographe e français de la fin du XIX siècle. En annexe 2 : bases pour un commentaire d’une affiche. http://www.histoire-image.org Remise en question de la Belle Époque de soumettre à l’élève l’élaboration d’une synthèse des faits historiques. Balises La presse écrite Grand développement de la presse au XIXe siècle. Grand impact, particulièrement, pour l’affaire Dreyfus qui a vraiment été bercée par ce média. De 1898 à 1914 se déroulent une série de péripéties politiques et sociales remettant en question cette appellation. Nous référant à l’ouvrage de Proust, nous en développerons deux, à titre d’exemple, citées de manière anecdotique dans son œuvre : l’Affaire Dreyfus et les inégalités sociales représentées par Françoise, la domestique. Nous attendons de la part de l’élève qu’il remette en question la Belle Époque au moyen de différents documents à critiquer. Dans le thème sur les inégalités sociales, la compétence orale est sollicitée par la mise en place, aléatoire, d’un débat. Parcours proposé L’affaire Dreyfus Proposition d’analyse de quelques passages du vol. II de À la recherche du temps perdu, p. 408, p. 582, p. 690. Proposition d’analyse des articles de presse, dans un premier temps du point de vue de leur pertinence : le journal est-il antisémite? L’écrivain de presse est-il objectif ? Et ensuite Aller plus loin : En annexe 3 : un article de la « Petite République » du 20 février 1898 : La déposition de Jaurès. Il s’agit de la déposition de Jaurès à la cour d’assise s’indignant à propos du procès Dreyfus et plus précisément sur le huis clos du procès d’Esterhazy. Un second article, toujours dans la Petite République, du 26 février 1898 : le procès, Emile Zola, le Verdict, Georges Grison. On y relate la condamnation d’Emile Zola après la rédaction de son article « J’accuse » et, sur, l’impact qu’a eu cet article sur la population. Enfin, un dernier article dans la Petite République du 20 mai 1898 : l’antisémitisme et le socialisme international de E. Vandervelde. On y parle de l’impact de l’affaire Dreyfus sur le socialisme international et l’antisémitisme. Inégalités sociales Un des personnages principaux du roman de Marcel Proust, Françoise, la domestique au service de la famille du narrateur, représente la classe ouvrière et populaire. débat, l’ensemble de la classe deviendra jury. Importance de travailler l’écoute et les stratégies argumentatives : gestuelle, intonation, non-verbal, opinion, narration, questionnement,… Pour illustrer ce propos de manière un peu plus légère, nous conseillons de se référer aux caricatures, nombreuses dans la presse de l’époque. Ce sujet, extrêmement polémique, peut mener la classe au débat. Aller plus loin : Les caricatures La caricature s’épanouit dans tous les journaux au XIXe siècle. Elle est un miroir du passé, mais un miroir déformant. Il faut en décoder toutes les subtilités. Ce document sera utilisé pour illustrer le contexte social de l’époque reprenant à plusieurs reprises des sujets parfois sensibles de manière plus légère. Le débat Il s’agit d’un débat sous la forme de plaidoyer, c’est-à-dire de style juridique. Deux élèves s’affrontent pour défendre soit la retraite ouvrière, soit la situation des femmes, soit les conditions de travail,… Les élèves jouent les rôles des avocats et l’enseignant est le juge. Pour clore le En annexe 4: comment réaliser un commentaire de caricature. En annexe 5 : la caricature sur la retraite ouvrière (p. 101, 128), situation des femmes (p. 129), les conditions de travail des bourgeois et de la classe ouvrière (p. 179), l’image que la bourgeoisie a de la classe ouvrière et populaire (p. 273). Extrait de: ROSSEL A., La Belle Époque, 1898-1914. Conclusion Cette époque de modernité et de culture dont parle Proust dans son ouvrage À la recherche du temps perdu, n’est pas entièrement représentative de la société. L’affaire Dreyfus, les inégalités sociales en sont d’autres facettes. 1. Rossel A., La Belle Époque, 1898-1914, Paris, 1982 (Histoire de France à travers les journaux du temps passé), p. 3. Aller plus loin : ROSSEL A., La Belle Époque, 18981914, Paris, 1982 (Histoire de France à travers les journaux du temps passé). DUPRAT A., L’histoire de France à travers la caricature, Paris, 1999. ROBERT-JONES Ph., La caricature du Second Empire à la Belle Époque. 1850-1900, Paris, 1963. http://www.histoire-image.org http://id/erudit.org/iderudit/55615ac, article de Lizanne Lafontaine, L’enseignement du débat en cinquième secondaire. Voir aussi le dossier en annexe, En Bref sur l’affaire Dreyfus et les inégalités sociales.