Évolution d`une population de pies bavardes
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Évolution d`une population de pies bavardes
Applications des mathématiques: Évolution d’une population de pies bavardes Mathématiques Appliquées et Génie Industriel Résumé À l’aide du modèle logistique, l’évolution d’une population d’oiseaux est étudiée. En particulier, on montre que le taux de reproduction détermine l’évolution à long terme: croissante, en voie d’extinction ou chaotique. Domaines du génie Tous Notions mathématiques Suites et séries, Preuves par récurrence Cours pertinents Calcul 1 Auteur(es) L. Aı̈t El Hadj-Bélisle, J. Guérin Sommaire 1 Introduction 2 2 Modélisation 2 3 Étude des cas pour n → ∞ 3.1 Population avec un taux de croissance r 6 1 : Extinction . . . . . . . . . . . 3.2 Population avec un taux de croissance 1 < r < 3 : Stabilité . . . . . . . . . . 3.3 Population avec un taux de croissance de r > 3.57 : Chaos . . . . . . . . . . 3 3 4 5 4 Interprétation des résultats 6 5 Conclusion 7 6 Pour en savoir un peu plus... 7 Références 10 Croissance d’une population 1 MAGI Introduction Nous allons, dans cet exemple, nous pencher sur une espèce d’oiseaux, la pie bavarde. C’est une population d’oiseaux très présente en Europe ainsi qu’en Amérique du Nord, surtout dans les provinces de l’Ouest. Il existe une grande population de pies bavardes en Alsace, région de l’est de la France, dans une grande réserve naturelle. On dénombre 270 pies sur 60 km2 , ce qui est une importante colonie, car les pies bavardes vivent généralement en groupe de 100 voire 150. Nous allons modéliser l’évolution à long terme de cette population. Plusieurs modèles mathématiques, plus ou moins complexes, ont été développés pour décrire au mieux la croissance des populations animales. Certains sont plus proches Figure 1: Pie de la réalité, dépendant des populations étudiées mais aussi des facteurs dont on bavarde tient compte tels que l’environnement, la présence de prédateurs, etc. Le modèle logistique employé ici est simple tout en présentant des aspects intéressants. Nous verrons, entre autres, que pour certaines valeurs d’un paramètre l’évolution de la population devient chaotique. 2 Modélisation Le modèle logistique pour l’évolution d’une population animale date de la fin du XIXème siècle et a été développé par Pierre François Verhulst. Il est défini par la suite : xn+1 = rxn (1 − xn ), (1) e où n est un entier, xn est la population à la n génération et r est un paramètre interprété comme le facteur de croissance de la population. Le terme rxn exprime le fait que le taux de croissance de la population d’une génération à l’autre est proportionnel au nombre d’individus présents. Le facteur de croissance r est une constante de proportionnalité et joue un rôle crucial dans l’évolution à long terme de la population. Notons que le nombre maximal d’individus a été normalisé à 1 ce qui fait que xn exprime la population comme une fraction du maximum d’individus. Le terme (1 − xn ) est un facteur de freinage de la croissance et exprime le fait que plus le nombre d’individus s’approche du maximum , plus la croissance est lente, car 1 − xn devient proche de zéro. Si xn > 1, l’équation 1 n’a pas de sens car xn+1 devient négatif. Ce modèle étudie la dynamique d’une population de façon simplifiée en supposant que : 1. Les paramètres tels que le taux de natalité, de mortalité ou la disponibilité de la nourriture, etc., ne dépendent pas du temps. Donc le paramètre r est constant. 2. La dynamique est régie par des règles simples : natalité, mortalité, compétition pour la nourriture, etc., et non la présence de prédateurs, la génétique, etc. La suite définie par l’équation 1 est appelée suite logistique et dépend du point initial x0 ∈ [0, 1] de même que du paramètre r. La suite étant définie par récurrence, pour calculer la valeur du nième terme de la suite, il faut d’abord calculer les termes précédents. Par exemple, fixons r = 1.5. Si le point initial est x0 = 0.27 alors les premiers termes de la suite sont x0 = 0.27, x1 = 0.2956, x2 = 0.3123, x3 = 0.3221, x4 = 0.3275, x5 = 0.3304. 2 Croissance d’une population MAGI On appelle la suite de points obtenue à partir d’une valeur initiale x0 la trajectoire de x0 . On est intéressé au comportement de cette trajectoire lorsque n devient très grand. Nous verrons que celui-ci dépend du paramètre r. On choisit la valeur x0 dans l’intervalle [0,1] et, biologiquement, on suppose toujours que r ≥ 0. Pour que la suite reste bornée, on doit aussi avoir r ≤ 4 car le maximum de xn (1 − xn ) est 41 . Étude des cas pour n → ∞ 3 Examinons maintenant l’évolution à long terme de notre population de pies. Rappelons que cette population est composée de 270 individus et on supposera que le milieu peut accomoder au plus 1000 individus. On a donc ici x0 = 0.27. 3.1 Population avec un taux de croissance r 6 1 : Extinction Si r < 1 alors nous allons montrer que xn → 0 quelque soit le point initial x1 . Ceci signifie qu’à long terme la population de pies s’éteindra. À l’aide d’une preuve par récurrence, nous montrerons que si x0 ∈ [0, 1], alors xn ∈ [0, rn ]. • Tout d’abord, cet énoncé est vrai quand n = 1 car 0 6 x0 6 1 et 0 6 1 − x0 6 1 x1 = rx0 (1 − x0 ) 6 r · 1 · 1 = r1 . • Supposons maintenant que xn est positif et inférieur à rn . Alors, au rang n + 1, on a : xn+1 = rxn (1 − xn ) 6 r · (rn ) · 1 = rn+1 . On en déduit donc que xn ∈ [0, rn ]. Cette hypothèse a été vérifiée pour n = 1 et prouvée pour n + 1 en la supposant vraie pour n. Elle est donc vraie pour tout n ∈ N+ . On peut maintenant utiliser le théorème du sandwich (théorème des gendarmes) pour trouver la limite de xn . Puisque 0 6 xn 6 rn et 0 6 r < 1 et on a que limn→∞ rn = 0, donc on doit aussi avoir limn→∞ xn = 0. Pour le cas r = 1, on peut montrer à l’aide de la formule de la section suivante que limn→∞ xn = 0. Ainsi, si la valeur initiale x0 est x0 = 0, 27, l’évolution de la population pour les cent premières périodes est représentée par la courbe ci-dessous : 3 MAGI Croissance d’une population n = 0. 0,22 0,2 0,18 0,16 0,14 0,12 y 0,1 0,08 0,06 0,04 0,02 0,0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 x Figure 2: Cas r 6 1 : Extinction de la population. On voit donc qu’avec un taux de croissance inférieur ou égal à 1, la population de pies bavardes va décroı̂tre jusqu’à disparaı̂tre, tel que prévu. 3.2 Population avec un taux de croissance 1 < r < 3 : Stabilité Pour r un peu plus grand, par exemple r = 2, la situation est différente. Comme le montre la figure 3 pour le point initial x0 = 0.27, la suite converge vers une valeur non nulle. On peut montrer algébriquement que cette valeur est égale à 1/2, ce qui est vérifié sur la figure. La population se stabilisera donc à 500 individus. Supposons que la suite converge et soit L sa limite. Alors : lim xn = lim xn+1 n→∞ n→∞ = lim xn (r(1 − xn ) − 1) n→∞ ⇒ ⇒ L = rL(1 − L) r−1 L = 0 ou L = r Pour montrer que la suite converge (donc que L existe), il faut montrer que : 1. la suite est croissante, 2. la suite est bornée supérieurement. 4 MAGI Croissance d’une population n = 0. 0,5 0,4 0,3 y 0,2 0,1 0,0 20 10 0 30 40 50 60 x Figure 3: Cas r = 2 : La population se stabilise. 3.3 Population avec un taux de croissance de r > 3.57 : Chaos Examinons finalement ce qui se produit lorsque r le paramètre est augmenté au-delà d’un seuil critique, égal à environ 3.57. Prenons par exemple r = 4. La figure 4 ci-dessous montre que toute apparence d’un comportement simple et prévisible a disparu et que les points semblent distribués au hasard. La suite a un comportement chaotique. n = 0. 1,0 0,9 0,8 0,7 0,6 y 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0,0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 x Figure 4: Cas r = 4 : chaos. 5 100 Croissance d’une population MAGI Le terme chaos en mathématiques désigne une situation où le comportement d’un système est extrêmement sensible aux conditions initiales, ce qui fait qu’une petite différence initiale entraı̂ne des trajectoires qui peuvent être radicalement différentes. Ceci fait en sorte qu’il est très difficile de faire des prédictions à partir des conditions initiales. Plusieurs situations en mathématiques et en physique, aussi simples que très complexes, sont chaotiques. Comme exemple, on retrouve la fonction logistique (simple) ou les systèmes météorologiques (complexes). Il est important de noter que l’incertitude dans les systèmes chaotiques déterministes ne provient pas d’éléments aléatoires mais simplement de la sensibilité aux conditions initiales. Par exemple, considérons la suite logistique avec les deux points initiaux : x0 = 0.27 et y0 = 0.26999999. Le tableau suivant donne quelques valeurs de xn et yn : Suite {xn } Suite {yn } x0 = 0.27000000 y0 = 0.26999999 x1 = 0.78840000 y1 = 0.78839998 x2 = 0.66730176 y3 = 0.66730180 x3 = 0.88804048 .. . y4 = 0.88804042 .. . x97 = 0.12095145 y97 = 0.32357991 x98 = 0.42528878 y98 = 0.87550380 x99 = 0.97767293 y99 = 0.43598756 x100 = 0.08731425 y100 = 0.98360963 Tableau 1: La suite logistique avec deux points initiaux très proches. On constate que les premiers termes des deux suites sont très proches mais que pour n assez grand ils diffèrent complétement. Ceci illustre le fait qu’une petite variation dans la condition initiale produit à long terme des trajectoires très différentes. 4 Interprétation des résultats On a montré que le modèle logistique prévoit que si le taux de croissance r de la population est inférieur ou égal à 1, la population va disparaı̂tre et que s’il est supérieur à 1 mais inférieur à 3, le nombre de pies de cette population va converger vers 1000 · r−1 r individus. Pour r = 4, il est impossible de prévoir l’évolution de la population étant donné que nous sommes dans un état chaotique, et que, d’une période à la suivante, le nombre d’oiseaux peut varier grandement. Il est à noter que ce modèle est assez simpliste et ne tient pas compte explicitement de certains facteurs plus complexes, comme la présence de prédateurs ou de l’humain, de conditions météorologiques extrêmes, de la variation du taux de croissance en fonction du temps, etc. C’est pour cela qu’au fil du temps ce modèle a laissé sa place à d’autres modèles plus récents tels que le modèle de Pearl ou Volterra. Cependant, notre modélisation reste utile pour examiner les différents comportements possibles de la population sur une longue période. 6 Croissance d’une population MAGI D’un point de vue mathématique, la suite logistique qui modélise les générations successives de pies est un exemple simple de système chaotique. Si le chaos apparaı̂t dans les modèles simples et empêche la prévision à long terme, à plus forte raison, on le retrouvera dans les modèles plus complexes en biologie et en météorologie. 5 Conclusion Dans cet exemple nous avons utilisé le modèle logistique pour étudier l’évolution d’une population de pies bavardes. Nous avons montré que le comportement à long terme dépend de façon cruciale du taux de croissance r. Si r ≤ 1 la population s’éteint, si 1 < r ≤ 2, la population se stabilise, et si r = 4 le comportement devient chaotique. En fait, nous n’avons pas touché ici à tous les aspects mathématiques intéressants de la suite logistique, c’est-à-dire considéré tous les cas pour la valeur du paramètre r : il nous manque le cas où 3 < r < 4. Pour ces valeurs le comportement de la suite logistique est plus complexe, avec des trajectoires cycliques qui apparaissent entre la convergence et le chaos. À la section 6 ci-dessous ce phénomène est examiné plus en détails. 6 Pour en savoir un peu plus... Dans l’exemple, nous sommes passés rapidement sur le cas où 3 < r < 4. Nous allons ici, nous y pencher un peu plus en détail et faire un portrait complet de la suite logistique. Prenons d’abord r = 3.1. n = 0. 1,0 0,9 0,8 0,7 0,6 y 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0,0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 x Figure 5: Cas r = 3.1 Comme le montre la figure ci-dessus, la suite obtenue a tendance à osciller entre deux valeurs distinctes. Quelles sont ces valeurs ? Selon le graphe elles sont approximativement égales à 0.56 et 0.76 mais il est possible de les calculer exactement. 7 MAGI Croissance d’une population Puisque le cycle observé est de longueur 2, posons xn+2 = xn et résolvons cette équation. Pour simplifier l’écriture, nous écrirons l’équation en omettant l’indice n. De plus, nous résolvons l’équation pour un r quelconque. Sachant que xn+1 = rxn (1 − xn ) et xn+2 = rxn+1 (1 − xn+1 ), on peut écrire une seule équation pour xn = x à partir de xn+2 = xn . On trouve : r2 x(1 − x)(1 − rx(1 − x)) = x x(r − rx − 1)(r2 x2 − r2 x − rx + r + 1) = 0 ⇔ et les solutions sont x = 0, r−1 x= , r x= r+1+ p (r + 1)(r − 3) , 2r x= r+1− p (r + 1)(r − 3) . 2r (2) Il est facile de voir que les deux premières valeurs satisfont xn+1 = xn , c’est-à-dire qu’elles correspondent à des «cycles de longueur 1», que l’on appelle plutôt des points fixes. Les deux autres valeurs sont celles cherchées. Si l’on substitue r = 3.1 dans ces expressions on obtient 0.5580141252 et 0.7645665200, ce qui concorde avec nos observations. Les deux valeurs entre lesquelles oscille la suite sont des points d’accumulation. Il est important de remarquer que cette suite n’est pas convergente et que les points d’accumulation ne sont pas des limites. Notons que les deux dernières solutions (2) sont réelles et distinctes si et seulement si r > 3 donc les cycles de longueur 2 ne peuvent survenir que lorsque r > 3. Prenons maintenant r = 3.5. La figure ci-dessous montre que la suite oscille maintenant entre quatre valeurs distinctes. Ces valeurs peuvent déterminées en résolvant xn+4 = xn . n = 0. 1,0 0,9 0,8 0,7 0,6 y 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0,0 0 50 100 150 200 x Figure 6: Cas r = 3.5. Il existe aussi des cycles de longueur 8, 16, 32, etc. On peut trouver en principe les points d’accumulation en résolvant une équation polynomiale comme pour les cycles de longueur 2 mais cette équation devient rapidement très difficile. Les cycles de longueur 4, 8, 16, 32, . . . apparaissent à partir de certains seuils pour la valeur de r. Ceci est résumé dans le tableau suivant : 8 MAGI Croissance d’une population 0≤r≤1 xn → 0 1<r≤3 xn → r−1 r r=3 début des cycles de longueurs 2 r ≈ 3.449490 début des cycles de longueur 4 r ≈ 3.544090 début des cycles de longueur 8 r ≈ 3.564407 début des cycles de longueur 16 r ≈ 3.568750 début des cycles de longueur 32 r ≈ 3.569945 début du chaos Il existe également des cycles de longueur k pour tout entier positif k. La figure 7 ci-dessous est célèbre et est appelée un diagramme de bifurcations ou diagramme de Feigenbaum, du nom du physicien Mitchell Feigenbaum qui l’a étudié et a montré qu’on le retrouve dans l’étude de nombreux phénomènes naturels. Chaque point représente un point d’accumulation de la suite logistique pour un r donné en abscisse. Ces points sont donc les valeurs entre lesquelles la suite oscille pour ce r. On voit qu’il existe un seul point d’accumulation (qui est la limite de la suite) pour r ≤ 3, puis deux à partir de r = 3, quatre à partir de r ≈ 3.544090, etc. La complexité de la suite est illustrée de façon évidente pour des valeurs de r proches de 4. 1 0.8 0.6 x 0.4 0.2 0 2.8 3 3.2 3.4 3.6 3.8 4 r Figure 7: Diagramme de bifurcations de la suite logistique. En conclusion, voici ce qu’en disent les mathématiciens allemands Peitgen, Jurgens et Saupe dans Fractals for the classroom1, p. 192 : Le diagramme de Feigenbaum est devenu l’image la plus importante de la théorie du chaos. Ce sera sûrement une image qui restera comme étant celle du progrès scientifique de ce siècle. 9 Croissance d’une population MAGI C’est une image générée par ordinateur et il ne pouvait en être autrement. Les propriétés mathématiques fascinantes de cette fonction seraient demeurées ignorées si les ordinateurs n’avaient pas été mis au point. Références [1] Étude des populations : Un exemple de chaos déterministe. [En ligne]. http ://www.apsq.org/sautquantique/telechargement/chaos mathematica.pdf, Philippe Etchecopar, Cégep de Rimouski. Page consultée le 3 juin 2009. [2] Fortin, A. Analyse numérique pour ingénieurs. Montréal, Éditions de l’École Polytechnique de Montréal. 1996. POLY : TA 335 F67 1995. [3] Ott, E. Chaos in dynamical systems. Cambridge, Cambridge University Press. 1993. POLY : Q 172.5 C45 O87 1993. [4] Logistic Map in Site web MathWorld–A Wolfram Web Resource. [En ligne]. http ://mathworld.wolfram.com/LogisticMap.html, Weisstein, Eric W.. Page consultée le 3 juin 2009. [5] Stewart, J. Analyse : concepts et contextes, volume 1. Bruxelles, de Boeck. 2001. POLY : QA 303 S8314 v.1 2001. 10