2009073089
Transcription
2009073089
*2009073089* DEM (4) DEF (2) MR SILLION MV *- PAGE 1 TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS 6EME CHAMBRE JUGEMENT PRONONCE LE 30.03.2011 par sa mise à disposition au Greffe. RG 2009073089 11.12.2009 ENTRE : 1- SAS NUMERICABLE dont le siège social est 10 rue Albert Einstein 77420 CHAMPS SUR MARNE - RCS MEAUX 379.229.529. 2- SA NC NUMERICABLE dont le siège social est 10 rue Albert Einstein 77420 CHAMPS SUR MARNE - RCS MEAUX B 400.461.950. 3- SAS EST VIDEOCOMMUNICATION dont le siège social est 14 rue des Mercuriales 67450 LAMPERTHEIM – RCS STRASBOURG B 345.347.397. G PARTIES DEMANDERESSES assistées de Maître Hubert MORTEMARD de BOISSE, avocat au Barreau de Lyon et comparant par la SELARL CAMPANA RAVET ASSOCIES, avocats (JRC-P209). ET : SA France TELECOM – ORANGE dont le siège social est 6 Place d’Alleray 75015 PARIS - RCS PARIS 380.129.866. PARTIE DEFENDERESSE assistée de Maître Jacques Philippe GUNTHER et Maître Adrien GIRAUD, avocats (J3) et comparant par la SCP BRODU CICUREL MEYNARD, avocats (P240). APRES EN AVOIR DELIBERE : Les Faits Par décision de la Commission des Communautés européennes du 16 juillet 2003 relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE, la société Wanadoo Interactive, filiale de France Télécom, a été reconnue avoir enfreint ledit article, en pratiquant des prix prédateurs entre mars 2001 et octobre 2002, et a été condamnée, à ce titre, à une amende 10,35 millions d’euros. Par arrêt du 2 avril 2009, la Cour de Justice Européenne a rejeté le pourvoi introduit par France Télécom, qui a absorbé Wanadoo, lui demandant d’annuler l’arrêt du 30 janvier 2007 du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes rejetant son recours en annulation de la décision de la Commission du 13 juillet 2003. Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 2 D’autre part, par décision en date du 15 octobre 2007, le Conseil de la concurrence a dit qu’il est établi que la société France Télécom a enfreint les dispositions de l’article L420-2 du Code du commerce et de l’article 82 du Traité CE et lui a infligée une sanction pécuniaire de 45 millions d’euros. Les sociétés Numéricâble, NC Numéricâble et Est Vidéocommunication, ci-après dénommées les sociétés Numéricâble, considérant qu’elles ont été victimes des pratiques de Wanadoo Interactive durant la période litigieuse, réclament à la société France Télécom la réparation du préjudice qu’elles auraient subi du fait de ces pratiques. C’est ainsi qu’elles introduisent la présente instance. Il y a lieu de noter que l’ensemble des sociétés Numéricâble ont fait l’objet de rapprochements qui ont donné lieu à la constitution en septembre 2007 du groupe YPSO, actionnaire majoritaire desdites sociétés. L’ensemble des activités câble d’YPSO est commercialisé sous l’enseigne Numéricâble. La Procédure Par ordonnance sur requête en date du 5 novembre 2009 les sociétés Numéricâble, ont été autorisées par le Président du tribunal de commerce de Paris à assigner à bref délai la société France Télécom-Orange ; Par acte 9 novembre 2009 les sociétés précitées ont assigné la société France Télécom-Orange ; Par cet acte les sociétés Numéricâble demandent au tribunal de : Les dire recevables et bien fondées en leurs demandes ; Constater qu’elles ont été victimes des prix prédateurs pratiqués par la société France Télécom de mars 2001 à octobre 2002, faits pour lesquels la société France Télécom a été condamnée de manière définitive par la Commission Européenne dans sa décision 38.233 du 16 juillet 2003, sur le fondement de l’article 82 du Traité CE ; Constater qu’elles ont été victimes de pratiques de dénigrement pratiquées par la société France Télécom de mars 2001 à octobre 2002, faits pour lesquels la société France Télécom a été condamnée de manière définitive par le Conseil de la concurrence dans sa décision 07-D-33 du 15 octobre 2007, sur le fondement de l’article L420-2 du Code du commerce ; En conséquence, Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 3 Dire et juger que la société France Télécom doit réparer l’entier préjudice dont sont victimes les demanderesses du fait de ses agissement fautifs, sanctionnés en tant que tel de manière définitive par la Commission Européenne et par le Conseil de la concurrence ; Condamner la société France Télécom au paiement d’une somme qui ne saurait être inférieure à 157 millions Euros à parfaire au titre de la réparation du préjudice subi in solidum par les sociétés Numéricâble, NC Numéricâble et Est Vidéo Communication du fait de ces pratiques ; Ordonner l’exécution provisoire ; Condamner la société France Télécom à verser in solidum aux sociétés Numéricâble, NC Numéricâble et Est Videocommunication la somme de 100 000€ sur le fondement de l’article 700 du cpc et aux dépens ; Par jugement du 1er juin 2010, sur incident de communication de la totalité du rapport Rise Conseil, auquel on pourra se référer pour plus ample information, ce tribunal a dit que les sociétés Numéricâble devront, avant toute plaidoirie au fond, communiquer le rapport Rise Conseil avec toutes ses annexes, faute de quoi, ledit rapport sera écarté et les sociétés Numéricâble ne pourront aucunement faire état de son contenu au cours des débats au fond ; ce document a depuis été communiqué à la société France Télécom et l’affaire a repris son cours ; A l’audience du 3 septembre 2010, la société France Télécom demande au tribunal de : Dire et juger les requérantes mal fondées en toutes leurs demandes, fins et conclusions ; En conséquence, les débouter de l’ensemble de leurs demandes ; Dire et juger abusive l’action intentée par les requérantes à son encontre ; En conséquence, les condamner solidairement à une amende civile et à lui verser la somme de 1 000 000€ en réparation subi du fait de la présente action abusive ; Les condamner à lui verser la somme de 200 000€ sur le fondement de l’article 700 du cpc et aux dépens ; L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions ; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte sur la cote de procédure. Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 4 A l’audience du 7 janvier 2011, après avoir entendu les conseils des parties, en leur plaidoirie respective, le tribunal ordonne la clôture des débats, mise en délibéré ce jour, pour jugement à être prononcé par mise à disposition au greffe le 30 mars 2011, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile. Dires et Moyens des Parties et Motifs de la Décision Sur les pratiques anti concurrentielles A l’appui de leurs demandes les sociétés Numéricâble font valoir que : La Commission, dans sa décision du 16 juillet 2003, précise que l’accès à Internet Haut Débit (IHD), peut se faire soit par la technologie ADSL soit par câble ; La société Wanadoo a mis en œuvre, de mars 2001 à octobre 2002, une politique qui a eu pour effet d’éliminer du marché internet les sociétés Numéricâble ; France Télécom contrôlait au moment des faits l’ensemble des « clés » du marché de l’accès haut débit puisque présent en amont sur les deux types de réseau, tandis que sa filiale Wanadoo détenait une position dominante sur le marché IHD ; Entre les années 2000 et 2006, une forte consolidation des acteurs sur le marché du câble a eu lieu ; Le câble a pu, dès sa conception, permettre un accès à l’IHD, c’est ainsi que Numéricâble a proposé, dès 1997, ce service à ses abonnés ; Les câblo-opérateurs ont, depuis l’origine, un lien direct avec les consommateurs le raccordement du logement ne nécessitant pas que l’on soit client de France Télécom ; Les pratiques de prédation, la main mise par France Télécom sur une partie significative des réseaux câblés lui a permis de faire un choix technique et de favoriser la pénétration de l’accès IHD par l’ADSL plutôt que par le câble ; Les pratiques de France Télécom visaient à restreindre le développement d’opérateurs alternatifs ; elles consistaient à ériger, d’une part, une barrière technologique en n’offrant pas aux nouveaux entrants un accès au réseau téléphonique dans des conditions équivalentes à celles offertes à sa propre filiale Wanadoo, d’autre part, une barrière commerciale en proposant des offres d’accès à Internet à des prix non économiquement viable pour tout autre opérateur ; Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 5 Wanadoo a acquis, entre les années 1999 et 2003, une écrasante domination du marché au détriment des opérateurs alternatifs pendant la période cruciale du développement dudit marché et a délibérément fait un choix stratégique de préemption abusive du marché ; Le 19 décembre 2001, la Commission a notifié à Wanadoo une communication de griefs et dans un communiqué de presse écrivait : « Ces concurrents présents sur le segment de l’ADSL, qui ne bénéficient pas d’un adossement à France Télécom comme Wanadoo, ne peuvent supporter la contrainte de prix et de coûts qui leur est imposée, et se trouvent pratiquement évincés du marché. » ; Cette stratégie a directement nui aux câblo-opérateurs principaux concurrents de Wanadoo ; La Commission note en ce qui concerne ceux-ci que le : « rythme de croissance des câblo-opérateurs a marqué un très net décrochage dès le début du premier trimestre 2001, au moment où les ventes de Wanadoo enregistraient une accélération. » ; Il est donc clairement établi que les pratiques abusives de Wanadoo ont causé un préjudice direct et certain aux câbloopérateurs, dont Numéricâble ; Dans son arrêt du 2 avril 2009, la Cour de Justice des Communautés Européennes a confirmé la décision de la Commission, ceci explique l’introduction, six ans après la Décision de la présente instance ; Pour la Commission, c’est bien, la politique tarifaire de France Télécom qui a eu pour effet d’entraîner la régression de ses seuls vrais concurrents sur le marché de l’IHD qu’étaient les câblo-opérateurs ; Elle écrit « l’affichage par Wanadoo Interactive en 2001 et 2002 d’objectifs commerciaux particulièrement ambitieux, inaccessibles pour une entreprise non dominante dans les conditions de rentabilité défavorables du moment, avait pour effet de décourager les entreprises rivales et participait à l’objectif d’éviction ou d’endiguement de la concurrence poursuivi par l’entreprise. » ; En tant que premier opérateur concurrent direct de France Télécom, mais utilisant ses propres réseaux, Numéricâble a subi de plein fouet et de manière durable les pratiques fautives de l’opérateur historique ; Les concurrents de France Télécom étaient contraints d’attendre que les prix de ses offres de détail s’établissent à des niveaux leur permettant d’établir des plans d’affaires cohérents et acceptables d’un point de vue économique pour Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 6 les investisseurs, l’alignement sur les tarifs de France Télécom étant de nature à engendrer des pertes ; ils se retrouvaient ainsi dans une situation où non seulement ils perdaient des clients potentiels mais en plus, ils ne pouvaient même pas être rentables ; A l’appui de sa défense, la société France Télécom expose que : L’assignation repose sur des approximations et des inexactitudes ; Contrairement aux allégations des requérantes, les technologies du câble et de l’ADSL ne sont pas équivalentes, celle de cette dernière jouissant d’avantages très significatifs par rapport au câble ; La prétendue équivalence entre technologies permet aux demanderesses de reprendre à leur compte les constatations de la Commission spécifiques à l’ADSL ; Aucune des conditions de la responsabilité civile de France Télécom n’est réunie ; Sur ce, Attendu qu’il n’est pas contesté par la société France Télécom qu’elle a eu des pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles elle a été condamnée par la Commission (décision 38-233 du 16 juillet 2003) et par le Conseil de la concurrence (décision du 07-D-33 du 15 octobre 2007) ; Attendu, cependant, qu’elle allègue que ces condamnations ne concernent que des pratiques à l’égard des opérateurs utilisant la technologie ADSL et non à l’égard des câbloopérateurs et que les sociétés Numéricâble y trouvent un effet d’aubaine dont elles voudraient profiter ; Attendu, néanmoins, qu’il est constant que les câbloopérateurs ont été, en France, les premiers à permettre l’accès à l’IHD dès la fin de 1997 ; qu’il est aussi constant que la technologie de l’ADSL qui a été introduite en France fin 1999, utilisant la prise téléphonique de l’utilisateur, constituait une technologie concurrente de celle du câble ; Que, d’ailleurs, la Commission dans le considérant §170 de sa décision écrit « Bien que le potentiel de pénétration géographique de ces deux technologies soit très différent, l’ADSL apparaissant comme beaucoup plus prometteur, et bien que les performances techniques ne soient pas parfaitement semblables, en raison de risques de congestion plus grands sur les réseaux câblés, il est apparu que, du côté de la Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 7 demande, la substituabilité entre ces différents types d’offres était suffisante pour justifier en l’espèce leur inclusion dans le périmètre du même marché de services. » ; qu’elle ajoute dans son considérant §374 « En septembre 2001, les parts de marché des concurrents sur le créneau de l’ADSL étaient si faibles que Wanadoo Interactive jugeait alors que les câblo-opérateurs étaient alors les seuls véritables concurrents sur le marché de l’accès à Internet à haut débit. » Que de même, le Conseil de la concurrence dans son considérant §37 (décision 04-D-17 du 11 mai 2004) souligne que « L’accès à Internet par ADSL et l’accès par le câble présentent de nombreuses caractéristiques communes : une plus grande rapidité en termes de débit (jusqu’à 35 fois plus rapide), la possibilité d’utiliser la ligne téléphonique durant la connexion Internet, la possibilité d’une connexion illimitée et permanente, des offres adaptables au profil et au budget des consommateurs (par les possibilités de limitation des durées de connexion ou des volumes de téléchargement), le multiservices (vidéo à la demande, bouquet de chaînes). Par leur qualité de services, leur prix et leur gamme de produits et services satisfaisant un éventail plus large d’usages, ils se distinguent donc nettement de l’accès par réseau téléphonique commuté, dit "bas débit", pour le consommateur. » ; que ledit Conseil dans son considérant §56 (décision 07-D-33 du 15 octobre 2007) rappelle encore que « L’accès à Internet par le câble offre des fonctionnalités très proches des accès par le réseau téléphonique fixe via l’ADSL. En effet, les débits proposés pour un accès à Internet par câble sont en général similaires à ceux offerts par l’ADSL et permettent donc des téléchargements de dossiers volumineux, notamment audios et vidéos, la consultation rapide des pages web, etc…. Cet accès à Internet est, comme l’ADSL, illimité et la ligne téléphonique reste disponible pendant son utilisation. Ainsi, le Conseil de la concurrence a pu considérer (décision 04-D17 du 11 mai 2004, § 37) que « le câble est une technologie concurrente de l’ADSL sur une partie non négligeable du territoire. Selon l’AFORM, le câble dispose d’un potentiel de 6,5 millions de prises pour l’Internet contre 37 millions pour l’ADSL. » ; Attendu qu’il est dès lors, incontestable, même si l’obtention de l’IHD par le biais de l’ADSL était appelée à Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 8 un développement commercial plus rapide que celui de l’IHD par câble, comme le signale la Commission dans son considérant §170 « Il convient cependant de souligner que les offres des câbloopérateurs ont toujours présenté depuis le début de l’année 2001 un potentiel de croissance très inférieur à celui des offres reposant sur la technologie ADSL. », que la coexistence des deux technologies, au moment des faits sanctionnés, faisaient de la société France Télécom et des sociétés Numéricâble des entreprises concurrentes sur le créneau de l’accès à l’IHD ; Attendu que, selon l’article premier de l’arrêté de la décision de la Commission « De mars 2001 à octobre 2002, la société Wanadoo Interactive a enfreint l’article 82 du traité CE en pratiquant pour ses services eXtense et Wanadoo ADSL des prix prédateurs ne lui permettant pas de couvrir ses coûts variables jusqu’en août 2001 et ne lui permettant pas de couvrir ses coûts complets à partir d’août 2001, dans le cadre d’un plan visant à préempter le marché de l’accès à Internet à haut débit dans une phase importante de son développement.» ; qu’il s’ensuit que ces pratiques ont aussi affecté l’ensemble des câblo-opérateurs présents durant la période en cause, dont les sociétés demanderesses au présent litige ; Attendu que la décision de la Commission a été définitivement confirmée par l’arrêt du 2 avril 2009, de la Cour de Justice Européenne qui a rejeté le pourvoi introduit par France Télécom ; En conséquence, le tribunal constatera que les sociétés Numéricâble, NC Numéricâble et Est Videocommunication ont bien été victimes des pratiques pour lesquelles la société Wanadoo Interactive devenue France Télécom a été condamnée par la Commission Européenne (décision 38-233) ; Attendu que les sociétés Numéricâble demandent au tribunal de constater qu’elles ont été victimes de dénigrement ; Attendu que le Conseil de la concurrence (décision 17-D-33 du 15 octobre 2007) dans son article 2 sur le grief de dénigrement dans son considérant § 81 indique que « La diffusion de ce contre-argumentaire dénigrant sur l’Intranet de France Télécom a eu des effets sensibles sur les marchés des accès à Internet bas débit et haut débit. » et conclut par son considérant § 83 que « Il ressort des constatations Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 9 précédentes que France Télécom a abusé de sa position dominante sur le marché de la boucle locale, lui conférant une place singulière d’interlocuteur référent, en ayant invité ses agents commerciaux à dénigrer les FAI concurrents de sa filiale Wanadoo par la mise en place d’un contreargumentaire véhiculé sur une application (Americ) de l’Intranet de l’entreprise. Une telle pratique de dénigrement, dont ni la matérialité, ni la qualification ou l’imputabilité ne sont contestées, constitue un abus de position dominante prohibée tant par l’article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que par l’article 82 du Traite CE. » ; que l’exemple cité en page 15 de ladite décision concerne la seule société Noos, devenue Numéricâble ; En conséquence, le tribunal constatera, au vu des éléments de fait à sa disposition, que la société Numéricâble, a été victime de pratiques de dénigrement ; Sur le préjudice Les sociétés Numéricâble exposent que : Leur préjudice a été calculé par le cabinet Rise Conseil et qu’il se répartit comme suit : - Perte subie par la société Numéricâble après actualisation 69,9M€, - Gain manqué par la société Numéricâble : de 29M€ à 388M€, - Perte de la valeur de fonds de commerce de 58M€ à 1 031M€, - Soit un préjudice subi pour l’ensemble des sociétés Numéricâble estimé entre 157M€ et 1 489M€ suivant le scénario retenu ; Pour sa défense, la société France Télécom réplique que : Les préjudices prétendument subis par les requérantes ne trouvent pas leur cause dans les pratiques incriminées par la décision de la Commission ; Il est indispensable de dissocier les causes probables et leurs effets respectifs afin de s’assurer que l’éventuelle réparation porte exclusivement sur les pratiques fautives ; France Télécom Câble n’avait, à l’époque des faits, n’avait pas de clientèle propre sur le marché IHD ; NC Numéricâble ne proposait pas d’offre IHD, AOL procédant à la commercialisation en direct des offres de ce service ; Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 10 Il est peu probable que le potentiel de croissance des requérantes ait été le même sur les zones géographiques où elles étaient présentes ; Seule une perte de chance, celle de concourir pour une part de marché supplémentaire du marché IHD, à la supposer établie, pourrait faire l’objet d’une tentative d’évaluation ; L’analyse critique du rapport Rise faite par le cabinet LECG fait ressortir que : - La perte subie et le gain manqué sont redondants, et la preuve de la matérialité des pertes alléguées n’est pas démontrée ; La méthodologie employée est erronée et le principe de l’existence des pertes n’est pas démontré ; - Le rapport LEGG montre que les pratiques de France Télécom si elles avaient eu un impact sur la croissance aurait été de ralentir la croissance des opérateurs ADSL protégeant le reste du marché y compris les câblo-opérateurs ; - Il est difficile de comprendre en quoi une politique de prix bas pourrait avoir pour conséquence de’ dissuader les consommateurs de passer à une offre haut débit ; - Le taux de croissance en Allemagne de 1890% entre 2000 et 2002 n’est pas transposable au marché français ; qu’elle s’est effectuée sur le marché ADSL et non sur le câble ; - La perte de valeur du fonds de commerce est insuffisamment fondée ; elle repose sur des valeurs vénales d’abonnés hétérogènes et artificielles utilisant des éléments de comparaison non cohérents ; - Si une réparation était accordée à Numéricâble, celle-ci bénéficierait à la société YPSO qui a acquis les différents câblo-opérateurs entre 2005 et 2006, soit plusieurs années après l’arrêt des pratiques litigieuses et à leur valeur au moment de leur acquisition ; Sur ce Attendu que la responsabilité délictuelle de la société France Télécom est bien établie ; Attendu qu’il s'infère nécessairement de l’ensemble des actes déloyaux constatés l'existence d'un préjudice pour les sociétés qui en ont été victimes, serait-il simplement moral ; qu’elle doit donc par application des dispositions des articles 1182 et 1183 du code civil réparation aux sociétés Numéricâble ; Mais attendu qu’il est de jurisprudence constante que la réparation doit être appréciée au regard de la seule ampleur Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 11 du préjudice subi par la victime, et nullement en fonction de la gravité des fautes imputées à l'auteur du dommage ; qu’à l’audience du 7 janvier 2011, les sociétés Numéricâble déclarent qu’elles limiteront leurs demandes au titre des divers préjudices prétendus à la somme globale de 156 millions d’euros, le tribunal se limitera à examiner la pertinence des demandes à hauteur de ce montant uniquement ; Sur la perte subie et le gain manqué Attendu que de l’examen attentif des documents produits, il ressort clairement que la perte subie et le gain manqué sont des notions qui se recoupent, la première, comme la seconde, étant due aux investissements qui ne sont pas rentabilisés du fait de la difficulté de capter de nouveaux clients et/ou de la perte d’anciens clients attirés tant par les pratiques fautives de la société prédatrice que par la nouvelle technologie ADSL ; qu’il y a donc redondance et, en conséquence, le tribunal écartera la première et ne retiendra que la notion de gain manqué ; Attendu que le rapport présenté par la société France Télécom conclu que les câblo-opérateurs ne « semblent pas avoir subi de recul de croissance au cours des années 2000 et 2001 et leur développement a été limité et régulier entre 1998 et 2007. » ; Attendu que les sociétés Numéricâble considèrent que l’évaluation du gain manqué s’effectue : sur une période qui s’étend du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2008, concerne 36,5% des foyers français -9 millions de foyers en 2008- et en situation de concurrence ; Attendu, selon les rapports produits par les parties, que la durée de vie moyenne de maintien d’un client est de trois ans ; qu’il s’ensuit, d’une part, que le calcul gain manqué dû à la perte de capture de clientèle durant la période incriminée ne doit pas être pris en compte au-delà de l’année 2005 et d’autre part, que les pratiques de la société France Télécom ayant cessé, la capture de clientèle des câbloopérateurs se retrouve en concurrence avec tous les opérateurs ADSL ; dès lors, le tribunal considèrera que le gain manqué représente uniquement la clientèle perdue du fait des pratiques de la société France Télécom de mars 2001 et octobre 2002, soit sur une période de 19 mois, avec une durée de vie moyenne des abonnements de trois ans ; Attendu que le taux de capture des câblo-opérateurs est passé de 56% en 2000 à 20% en 2001 pour tomber à 9% en 2002 et Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 12 atteindre le taux de 3% en 2005 ; qu’il est très probable, dans un marché en situation de concurrence, que les opérateurs ADSL, autres que Wanadoo, auraient été aussi des concurrents importants pour les dit câblo-opérateurs ; qu’il s’ensuit que le gain manqué correspond à la clientèle non capturée durant la période litigieuse et dont l’abonnement aurait eu une durée de trois ans ; Attendu qu’il ressort des études produites que la croissance de l’IHD en Allemagne entre 2000 et 2002 est atypique par rapport aux autres pays européens ; que la comparaison avec les données de ce pays ne paraît donc pas pertinente et ne sera pas retenue ; En conséquence, vu les éléments dont le tribunal dispose et notamment les annexes du rapport du cabinet Rise, le nombre de clients perdus pendant la période litigieuse sera évalué à 45 000 abonnements d’une durée de vie de trois ans avec une marge annuelle brute à 60€ par abonné, soit un gain manqué actualisé à 10 millions Euros ; Sur la perte de valeur du fonds de commerce Attendu que les sociétés Numéricâble considèrent que les pratiques reprochées à la société France Télécom ont eu un impact sur la valeur du fonds de commerce des câbloopérateurs ; Attendu que si comme l’indique les sociétés Numéricâble, « au moment de l’acquisition par Numéricâble, les câblo-opérateurs constituant aujourd’hui le Groupe disposaient d’une base d’abonnés inférieure à celle qui aurait dû prévaloir sur un marché en situation de concurrence… que la valeur d’acquisition par Numéricâble de chacun des câblo-opérateurs successivement intégrés a été inférieure à ce à quoi elle aurait logiquement dû s’élever. » ; Attendu que de l’aveu de la société Numéricâble, celle-ci n’a pas surpayé l’acquisition des câblo-opérateurs concernés l’évaluation du prix ayant été faite sur la base d’un portefeuille de clients existants ; Attendu que le principe du préjudice allégué n’est pas démontré et que l’octroi d’une indemnité au titre de la perte de valeur du fonds de commerce représenterait un enrichissement sans cause pour l’acquéreur des câbloopérateurs concernés ; qu’il y a, dès lors, lieu de rejeter la demande formée de ce chef ; En conséquence, le tribunal, par application des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, condamnera la société Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 13 France Télécom à payer, aux sociétés Numéricâble la somme de 10 millions d’Euros au titre du gain manqué, les déboutant du surplus et de leurs demandes formées du chef des autres préjudices allégués ; Sur les Demandes Reconventionnelles Attendu que la société France Télécom demande au tribunal de juger abusive l’action intentée par les requérantes à son encontre et de les condamner solidairement à une amende civile et à lui verser la somme de 1 000 000€ en réparation de la présente action abusive ; Le tribunal, vu les motifs de la décision qui précèdent, rejettera la demande de la société France Télécom formée du chef de procédure abusive ; Sur l’article 700 du code de procédure civile Attendu que les sociétés Numéricâble ont exposé pour faire valoir leurs droits des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge, il y a lieu d’accueillir leur demande que le tribunal fixera à 70 000€ ; Sur l’Exécution Provisoire Attendu que l’exécution provisoire est sollicitée par sociétés Numéricâble ; que la société France Télécom soulève, pour s’y opposer, que le caractère tardif de l’assignation, sept ans après les faits, est la preuve de l’absence de nécessité de l’exécution provisoire ; Mais attendu que l’arrêt de la Cour de justice européenne rejetant le pourvoi de la société France Télécom est du 2 avril 2009 et que l’assignation des sociétés Numéricâble a été signifiée le 9 novembre 2009, soit dans un laps de temps raisonnable après la date dudit arrêt, l’argument de cette dernière ne pourra prospérer ; Le Tribunal ordonnera l’exécution provisoire ; Sur les Dépens Attendu que succombe ; les dépens seront mis à la charge de qui Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 14 Le Tribunal condamnera la société France Télécom aux dépens. PAR CES MOTIFS Le TRIBUNAL Statuant en premier contradictoire ; ressort par jugement public et Constate que les sociétés NUMERICABLE, NC NUMERICABLE et EST VIDEOCOMMUNICATION ont bien été victimes des pratiques pour lesquelles la société Wanadoo Interactive devenue France Télécom a été condamnée par la Commission Européenne (décision 38-233) ; Constate que la société pratiques de dénigrement ; NUMERICABLE, a été victime de Condamne la société France TELECOM – ORANGE à payer aux sociétés NUMERICABLE, NC NUMERICABLE et EST VIDEOCOMMUNICATION la somme de 10 millions d’Euros au titre du gain manqué ; Déboute les sociétés VIDEOCOMMUNICATION de préjudices allégués ; NUMERICABLE, NC NUMERICABLE et EST leurs demandes au titre des autres Déboute la société France TELECOM – formée du chef de procédure abusive ; ORANGE de sa demande Condamne la société France TELECOM – ORANGE à verser aux sociétés NUMERICABLE, NC NUMERICABLE et EST VIDEOCOMMUNICATION la somme de 70 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile; Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement ; Déboute les parties de leurs demandes contraires aux présentes dispositions ; plus amples ou Condamne la société France TELECOM – ORANGE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de 167,68 Euros TTC dont 27,26 Euros de TVA. Tribunal de commerce de Paris Jugement du 30.03.2011 6ème Chambre N° RG : 2009073089 MV *- PAGE 15 Retenu et plaidé à l’audience publique où siégeaient Monsieur FAHMY, Madame DELACROIX, Monsieur LEFEBVRE. Délibéré par les mêmes magistrats. Dit que le présent jugement est prononcé par mise à disposition au Greffe de ce Tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile. La minute du jugement est signée par Monsieur FAHMY, Président du délibéré et par Madame BESCHE, Greffier.