Cahier Spécial inondations

Transcription

Cahier Spécial inondations
RUMEUR
Décryptage de
la rumeur évoquant
un sacrifice de
la Somme au profit
de Paris PAGE V
HYDROLOGIE
Thierry Monier
explique pourquoi
2001 ne pourrait
plus se reproduire
aujourd’hui PAGE X
MARDI 12 AVRIL 2011
Il y a
dix ans
la Somme
sous les eaux
TKE0100A
II
CAHIER SPÉCIAL
COURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
gINONDATIONS
Quand le moral
variait avec
le niveau de l’eau
Pendant plus de deux mois, les sinistrés
de la Somme, à bout de nerfs, ont dû tenir bon
dans un quotidien où chacun a dû apprendre
à vivre en bottes, en barque voire en mobile home.
rois mois. Trois mois les
pieds dans l’eau, trois mois
d’insomnies, trois mois interminables. Avec Abbeville, Fontaine-sur-Somme est la commune la
plus durement touchée par les
inondations. C’est ici qu’ont eu
lieu les premières évacuations, et
c’est encore ici que le retour à la
normale a pris le plus de temps.
Début avril, au plus fort de la
crue, la rue Verte et la rue Clabaud
sont submergées par plus d’1,
50 mètres d’eau. Les riverains,
impuissants, regardent leur maison s’enfoncer dans les marais.
« On n’aurait jamais dû nous laisser
construire ici, je suis en train de tout
perdre », commente à l’époque
Jean-Paul Boyeldieu, habitant de
la rue Clabaud.
T
L’impression d’être
seuls au monde
Fatigués physiquement et nerveusement, les habitants de Fontaine-sur-Somme ont aussi
l’impression d’être seuls au monde. Élu depuis seulement une
semaine au moment des faits,
l’ancien maire Patrick Poliautre
n’a rien oublié de ces folles semaines. « Je n’étais évidemment pas préparé à cela et, si nous avons eu la
chance de ne pas avoir de morts, je
n’oublie pas le stress. » Dix ans plus
tard, Fontaine-sur-Somme semble
pourtant avoir en partie évacué le
souvenir. Des habitants sont par-
RAPPEL
DES FAITS
TKE02II.
tis, d’autres sont venus s’installer,
et la mémoire des faits a tendance
à s’évaporer. « Bien sûr, on reste vigilants, mais cela ne nous empêche
plus de dormir », résume le maire
actuel Gérard Leroy.
Au maximum de la crise, plus de
700 maisons auront été inondées
à Abbeville. Incontestablement, la
capitale du Ponthieu fut la ville la
plus touchée, à côté de sa voisine
Mareuil-Caubert.
« Par moments, nous
avons dû parler à des
gens qui menaçaient
de se suicider »
Joël Hart
maire d’Abbeville en 2001
Mais au-delà de la force du chiffre, ce sont surtout des images qui
resteront sans doute dans les
mémoires, comme autant de symboles d’une histoire à tiroirs. Celle
d’abord de la gare aux voies ferrées transformées en canaux. Celle plus poignante de ces tracteurs
agricoles aux remorques chargées
de meubles d’habitants sauvant ce
qui pouvait l’être dans l’urgence.
Celle encore des militaires, unanimement admirée, venus avec
leurs moyens lourds et leurs bras.
Celle de l’installation des mobiles
homes pour reloger les sinistrés,
d’abord à Mareuil puis à Abbeville.
Celle aussi plus anecdotique de
Bernadette Chirac sortant d’une
maison de la chaussée de Rouvroy
par une fenêtre.
Lionel Jospin conspué
sous les caméras
Sans oublier enfin celle du premier ministre Lionel Jospin
conspué sous les caméras par des
sinistrés à bout de nerf. À tel point
qu’il avait renoncé à pousser sa
visite jusqu’à Fontaine-sur-Somme.
Il faut dire que le maire d’alors
Joël Hart l’avait senti très tôt : « La
situation peut durer entre un et trois
mois. » La réalité fut entre les deux.
Un temps suffisamment long pour
que chacun apprenne vite à s’organiser dans un quotidien chamboulé, et des rues rendues circulables
uniquement en bottes, barques et
chemin de planches. « Même
quand les Allemands avaient inondé
le marais (pendant la guerre), ça
n’avait rien de comparable ! », nous
avait lâché un ancien.
Caves, pièces à vivre, garages, jardins… partout les mêmes scènes.
Des pompes bruyantes, le moral
variant au gré des averses de pluie
et de la hauteur d’eau dans les maisons, mais aussi les badauds trouvant dans ce paysage extraordinaire une occasion de sortie du dimanche. Usant. « Par moments, nous
avons dû parler à des gens qui mena-
Les sinistrés et élus (en bas Guy Dovergne dit « Popof » le maire de Mareuil) ont dû s’adapter
çaient de se suicider », le dira Joël
Hart, un an après la catastrophe.
Parmi les sinistrés, les relogés en
mobile home ont particulièrement ému. « Ma femme pense que
l’on ne passera pas l’été ici. J’aimerais qu’elle ait raison, mais au fond
de moi, je sais qu’elle a tort », nous
avait ainsi confiés M. Taghon. En
effet, certains « relogés » ont
réveillonné à Noël dans leur mai-
son en plastique.
« Il y a plus malheureux
que nous »
En miroir de cette désolation, le
meilleur aussi s’est exprimé lors
des inondations, à travers une multitude de grands et petits gestes
solidaires. Comme cette coiffeuse
d’Abbeville qui proposa des coupes gratuites aux sinistrés, tandis
18-23 MARS 2-3 AVRIL
10 AVRIL
22-25 AVRIL
27 AVRIL
1ER MAI
L’Ancre, la Noye et
l’Avre débordent ;
premières évacuations ;
de fin février à fin mars,
des inondations
sporadiques.
Le Premier ministre
Lionel Jospin conspué.
« On ne m’enlèvera pas
l’idée que l’eau vient du
canal du Nord », lui
jette un sinistré.
Un pic dans le nombre
de maisons touchées
(2 800) est atteint ;
progression de l’eau plus
lente depuis la mi-avril,
voire quelques décrues.
État de catastrophe
naturelle déclaré dans
107 premières
communes ; le
président Chirac évoque
sa « compassion ».
Le niveau de l’eau
diminue d’un coup de
24 cm à Abbeville ;
inauguration d’une
« place des inondés »
par les sinistrés.
Les Hortillonnages
d’Amiens submergés ;
des dizaines de maisons
touchées à Abbeville et
Fontaine ; déjà plus de
1 000 sur la Somme.
CAHIER SPÉCIAL
III
MARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
À Amiens, les riverains
n’avaient jamais vu cela
« Tout est allé très vite. L’eau montait de 5 cm toutes les demi-heures »…
Isabelle Griffoin était adjointe au maire d’Amiens, le 17 mars 2001, lorsque
l’eau s’est mise à monter le long des voiries situées en bord de Somme.
« Très vite, nous avons su que nous allions faire face à un événement exceptionnel… » Exceptionnel, il le fut, autant par son ampleur que par sa durée.
Jamais de mémoire de riverains de la Somme à Amiens, on n’avait vu l’eau
atteindre une telle hauteur : « Nous habitions chemin de Halage depuis
vingt-huit ans, se souvient Raymonde Prévot. Avant nous, l’ancien propriétaire avait habité là pendant plus d’un demi-siècle. Il n’avait jamais eu d’eau
dans son sous-sol… » Raymonde et Maurice Prévot, eux, ont pompé pendant deux mois. « Je me couchais à 20 h 30 pour me lever à 3 heures du matin,
se souvient la sinistrée. Avec mon mari, nous alternions, pour qu’il y ait en
permanence quelqu’un… » La ville d’Amiens a elle aussi été durement
impactée par les inondations : chemin de Halage, rue de Verdun, chemin
du Malaquis, Île Sainte-Aragone… Pendant deux mois, des dizaines d’habitants des bords de Somme ont eu les nerfs à vif, tandis que les services de la
ville, les pompiers et l’armée étaient constamment sur la brèche. In fine, si
de nombreux riverains ont réussi à rester chez eux, d’autres ont fini par
être évacués, particulièrement Chemin du Malaquis et rue de Verdun où il
a même fallu raser une maison, trop endommagée.
Mais comme ce fut le cas tout au long de la zone sinistrée, cet épisode malheureux aura aussi donné lieu à d’innombrables témoignages de solidarité, à l’image de ces hortillons qui ont prêté et cultivé des terres pour les
maraîchers sinistrés de l’île Sainte-Aragone.
PH.F.
3 QUESTIONS À
« Il ne faut pas oublier »
JEAN-PHILIPPE DAMIEN Président de
la Fédération des associations de
sinistrés de la Somme (FASS).
왘 Quels sont vos souvenirs marquants de ces inondations ? Je revenais de Paris. Il y avait quelques
centimètres d’eau dans ma maison que je venais juste d’acheter
(dans le marais Saint-Gilles) à
Abbeville. Les pompiers m’ont
tout de suite prévenu que j’aurais
de 20 à 30 cm en quelques heures.
Ça sentait mauvais. Je voyais des
poissons dans mon entrée. Je
revois aussi ces gens qui
balayaient leur maison pleine
d’eau pour tenter de conjurer
l’adversité. J’ai découvert aussi des
sinistrés qui se trouvaient déjà
dans la précarité, certains qui
n’étaient pas assurés.
à la vie sur l’eau. Les inondations ont donné lieu aussi à de nombreux gestes de solidarité.
que Pierrette, une sinistrée de la
chaussée de Rouvroy, elle, relativisait su son propre sort : « Il y a plus
malheureux que nous. Certaines choses sont plus graves. »
Et puis à la façon d’un miracle,
sans doute aidé par l’installation
de grosses pompes à Saint-Valery
et ailleurs, l’eau a finalement diminué, en l’espace du week-end de la
fête du travail. Comme un signe
annonciateur de la suite. Les sinistrés allaient désormais franchir le
seuil de leur plus dure épreuve :
l’après inondation.
GAËL RIVALLAIN et FABRICE JULIEN
5 MAI
6 JUIN
Douze mobile-homes à
Mareuil-Caubert pour
reloger les sinistrés,
avant un lotissement
d’une cinquantaine à
Abbeville.
Fin de la crue, à
Fontaine-sur-Somme,
dernière commune
inondée, deux semaines
après le reflux de l’eau à
Abbeville.
Quatre instants à la « une ».
De haut en bas : 22 mars, début des
débordements de la Somme ; 4 avril,
l’armée est réquistionnée et son arrivée
est fort appréciée par les sinistrés ;
10 avril, Lionel Jospin fait une visite
houleuse à Abbeville ; 19 avril, l’heure
est à la décrue et au bilan, très lourd
des inondations. Et le drame se
poursuivra encore de longs mois.
왘 Dans ce grand malheur, avezvous retenu aussi du bon ? Dès que
l’eau a monté, j’ai n’ai eu qu’une
hâte : monter une association
pour essayer de comprendre. Je
voulais trouver un responsable,
mais je savais que tout seul je n’y
arriverais pas. Les gens se sont rapprochés. J’ai alors trouvé une cha-
leur humaine exceptionnelle, avec
des personnes qui sont restées des
amis depuis. Au risque de choquer, je peux dire aujourd’hui,
qu’au final, je garde plus de bons
que de mauvais souvenirs de cette
période...
왘 Dix ans après, faut-il maintenir
le souvenir de cette crue ? La tempê-
te en Vendée m’a fait remonter
des flashs. Il est clair que nous sommes désormais confrontés à des
changements climatiques. C’est
dans les périodes tranquilles qu’il
ne faut justement pas oublier. Pas
pour affoler mais pour rester vigilant. Je ne sais pas si une telle catastrophe pourrait revenir chez nous.
On me certifie que l’on est capable
de faire baisser le niveau de l’eau
de 30 cm en quelques heures. Je ne
suis pas ingénieur. Difficile d’en
juger. Depuis 2001, je n’ai jamais
vu de remontée d’eau. Ceci étant,
nous n’avons pas encore acquis
une culture du risque suffisante
dans notre pays. Il reste beaucoup
à faire, notamment sur la gestion
coordonnée des crises et l’adaptation de l’architecture quand on vit
au bord de l’eau.
LE CHIFFRE
LA PHRASE
caves et habitations inondées,
plus de 1 100 personnes
évacuées. Moins de dix
communes (sur 138 touchées), dont Abbeville,
Fontaine-sur-Somme, Mareuil-Caubert, Amiens,
Cagny et Camon, concentrent l’essentiel des dégâts.
« Cette catastrophe sans précédent par son
ampleur et sa durée a soumis les sinistrés
à des expériences éprouvantes, pouvant
entraîner à long terme des séquelles sur
leur santé physique et mentale. »
3500
Rapport d’enquête sanitaire « deux ans après les inondations
TKE03III.
IV
CAHIER SPÉCIAL
COURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
gHAUTE SOMME
Les inondations ont attendu l’été
En avril, les étangs de Haute-Somme ont absorbé des millions de litres d’eau, évitant les
inondations dans la région. Un violent orage a pulvérisé ce fragile équilibre, le 7 juillet.
u printemps 2001, la Haute
Somme n’a pas été épargnée
par les inondations, mais
dans une moindre mesure par rapport à l’Ouest du département.
Météo France donne le record de
pluie : 142,4 mm à Epehy et 109,4
à Méaulte, Il a plu 21 jours en ce
mois d’avril. Cela s’est décanté à la
fin du mois, quand cinq pompes
sont mises en marche, dont une à
Cléry-sur-Somme. La navigation
est interdite sur le canal du Nord,
du coup les écluses bloquent l'eau.
Et la décrue est beaucoup plus
lente dans l'Est qu’à Abbeville.
A
3 QUESTIONS À
MARC DENAVARRE
Président de l'Association des sinistrés
des
inondations
d'Albert (ASIA). Sa
maison, rue de Corbie à Albert, a été
inondée en 2001.
« Les travaux
de prévention dans
les maisons n’ont
pas été pris en compte
par les assurances »
Des ommunes en état
de catastrophe naturelle
L’état de catastrophe naturelle
est décrété pour six communes :
Beuvraignes, Bouchoir, Etelfay,
Gruny, Laucourt, Montdidier. Fin
mai, la préfecture publie le premier plan de prévention des risques d'inondations, entre autre
pour les cantons d'Albert, Bray,
Combles et Péronne. Cela passe
inaperçu en Haute Somme, où la
population est occupée à se mobiliser contre le troisième aéroport.
L’eau vite oubliée. Pas longtemps,
cependant. Dans la nuit du 6 au 7
juillet s’abattent des pluies dilu-
Au niveau de Goyencourt, près de Roye, l’A1 s’est couverte d’un lac en moins d’une journée.
viennes. Il tombe 150 mm en six
heures ! Les secteurs de Montdidier et Roye sont les plus touchés,
avec 150 habitations inondées, et
25 familles évacuées. Les zones
relativement épargnées en avril
sont fragilisées par des mouvements de terrain. Des excavations
se forment.
Dès le samedi 7, à Roye, l’eau
monte brusquement une fois le
matin dans un quartier. Et la polé-
Dans la nuit du 6 au
7 juillet 2001, il tombe
150 millimètres de
pluies diluviennes
en six heures.
mique enfle aussi : cela serait de la
faute de la Sanef, qui a ouvert une
Beuvraignes touchée en mars et en juillet
Michel Monard, maire de Beuvraignes se souvient
bien de ces mois difficiles de 2001. Il a été élu maire
le 24 mars de cette année-là. Dès le lendemain, il doit
faire face au premier trou. « Il avait beaucoup plu
depuis début mars. La rivière sèche qui traverse la commune a repris ses droits grâce aux nappes à fleur de
peau, gonflées par ces pluies incessantes. C’est parti du
point le plus haut de la commune, la Chapelle des Loges,
et petit à petit, ça a traversé la départementale 133, Beuvraignes-Crapeaumesnil, inondant les deux côtés. » Les
excavations et les affaissements de terrain prennent
vite de l'ampleur. « 44 trous dans le village et 134 en
plaine voient le jour. Ce n'est plus un village mais un
gruyère, raconte l’élu. Le conseil municipal a pris un
arrêté de péril pour quatre maisons devenues trop dangereuses. » Une reconnaissance de catastrophes naturelles pour les événements allant du 1er mars au
25 avril est promulguée au Journal officiel.
Mais, début juillet, les trous se sont élargis avec un
fort orage au début de l’été. Le 7 juillet, il a plu de
1 heure du matin à 18 heures. Cette fois, 375 excavations sont localisées, dont des cavités mal rebouchées des tranchées de la guerre de 1914-1918. Il
faut injecter 120 m3 de sable limoneux pour garder
une habitation debout, le TGV a été ralenti afin de faiTKE04IV.
Sacré baptême du feu pour Michel Monard : au lendemain de
son élection comme maire, il doit affronter les inondations.
re des injections de béton dans le pont, et sur la
D133, un vrai lac s'est créé, avec ses mouettes et
d’autres oiseaux. Au final, le hameau de l'Abbaye a
été noyé pendant deux ans. « J'ai pris une disponibilité
de six mois à mon travail pour pouvoir faire face. Heureusement, il y a eu des interlocuteurs dynamiques,
comme le sous-préfet Bruno Sourd, qui m'ont beaucoup
apporté pour le montage des dossiers. C'est devenu de
bons souvenirs maintenant mais cela a été très difficile », conclut Michel Monard.
De notre correspondante CLAUDINE DELAIRE
brèche dans l’A1 pour évacuer
l’eau.
L’A1 coupée toute une journée
par une inondation
En effet, depuis le matin, l’A1 est
fermée dans les deux sens entre
Roye et Estrées-Deniecourt, pour
cause d’inondations à hauteur de
Goyencourt. La chaussée est recouverte d’eau sur plus de 300 mètres,
avec par endroits presque un
mètre de profondeur. Autour, les
champs sont inondés, donc l’évacuation très lente. Des bouchons
énormes se forment, d’abord sur
l’autoroute puis sur les nationales
alentours où voitures et camions
sont envoyés. Les travaux sur l’A1
commencent en soirée, l’eau est
évacuée, et la circulation rétablie.
En attendant, les eaux de ruissellement s’accumulent au point le
plus bas de la région : Fonches-Fonchette, où la RN17 forme digue. Le
9 juillet à 8 h 30, on ne passe plus.
Le midi, la Screg attaque la route à
la pelleteuse. Tout s’évacue dans
les champs en contrebas. Vers Nesle, dont le quartier Saint-Léonard
menace à son tour d’être enfoui
sous les eaux. A Roye, l’eau du robinet n’est plus potable.
Le mardi 10 juillet, 49 communes sont déclarées sinistrées. Le
19 juillet, les premiers mobile
homes arrivent à Montdidier.
D’autres seront livrés à Fescamps
et Etelfay. Et le 26 juillet, un énorme orage inonde à nouveau le secteur de Montdidier...
CHRISTÈLE BOUCHÉ
왘 Est-ce que tous les sinistrés albertins ont été indemnisés ? La totalité
des travaux n’a pas été remboursée.
Il y a encore aujourd'hui des gens
qui n’ont pas touché toutes leurs
indemnisations. Pour les premiers
remboursements, les assurances ont
été assez rapides. Mais six mois
après, on a découvert d’autres
dégâts comme les moquettes qui
pourrissaient, les remontées d’eau
par capillarisation… Nous avons dû
faire des aménagements pour éviter
d’être à nouveau dans la panade, des
travaux de prévention. Et ils n’ont
pas voulu prendre en compte non
plus ce qu’on avait comme matériel.
Moi j’ai un petit atelier au sous-sol
qui a souffert, des patates aussi…
왘 Combien de personnes sont concernées par les inondations de 2001 à
Albert ? Il y a eu dix maisons forte-
ment abîmées, dont la mienne, et
une cinquantaine de familles, qui
adhèrent à présent à l’association,
touchées aussi. L’Association des
maires de la Somme a touché plusieurs millions d’euros de particuliers. L’ASIA n’en a vu que 10 000 ¤,
répartie entre les adhérents selon
leurs situations.
왘 Et vous, dans quelle situation
êtes-vous à présent, financièrement
et moralement ? J’avais contracté un
prêt avec le pact adrim de 2 900 ¤
parce qu’il me restait 3 908 ¤ à ma
charge pour des travaux. J’ai fini de
payer en mai 2008. Des travaux de
drainage dans le quartier ont été
entrepris. Mais l’été dernier, des orages ont encore fait déborder les
regards et inondaient la rue. Ici pendant trois mois et demi, on avait
15 cm d’eau en 2001 ! J’ai encore
une trouille bleue qu’il se remette à
pleuvoir fort cette année !
CAHIER SPÉCIAL
V
MARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
gPSYCHOSE
La rumeur passe, le doute persiste
Alors que les habitants de la Somme vivent depuis déjà un mois les pieds dans l’eau,
les médias nationaux relayent « la rumeur ». Dix ans après, elle est toujours tenace.
do Fernandes, investi pendant
plus d’un an à chercher la vérité,
abat alors un travail de titan pour
comprendre ce qui se passe et
pointer les erreurs. Oui, la pluviométrie de cet hiver 2000-2001 a
battu des records. Oui, le manque
d’entretien de la Somme et de ses
berges a participé à cette situation
catastrophique.
LES FAITS
왘 Avril 2001 : Le premier minis-
tre Lionel Jospin se déplace à
Abbeville. Il y essuie la colère
des sinistrés, devant les
caméras des médias nationaux
qui relayent la fameuse rumeur :
la Somme a été inondée pour
sauver Paris.
왘 La capitale est alors candidate
à l’organisation des Jeux
Olympiques de 2008.
왘 La commission d'évaluation
du CIO venait de visiter
les équipements de la capitale
du 25 au 30 mars 2001.
« Certaines semaines,
les niveaux n’ont
pas été relevés,
notamment pendant
les inondations »
Fernando Fernandes
a folle rumeur » - comme l’a
titré à l’époque Le Figaro-, celle
qui veut qu’on ait inondé la
Somme pour protéger Paris, couvait depuis plusieurs semaines
déjà, avant d’éclater au niveau
national, le 9 avril 2001. Elle fut
alors balayée d’un revers de main
par les spécialistes qui priaient les
Picards de « se raisonner ». Des
sociologues ont quant à eux ramené son existence à un simple complexe d’infériorité Province/ Paris,
et l’ont qualifiée d’exutoire pour
une population en pleine détresse,
qui avait besoin d’explications
autres que naturelles.
Une vision assez réductrice,
quand on sait que la catastrophe a
finalement engendré plusieurs
commissions d’enquête (gouvernementale et sénatoriale notamment) chargées de faire la lumière
sur les causes réelles de ces crues.
Réductrice aussi, au vu de l’investissement de certaines victimes
des inondations qui ont entrepris
alors un véritable travail de recherche sur les trois départements,
pour comprendre quelles communications pouvaient être établies
entre la Somme, le Canal du Nord,
ou encore le bassin de l’Oise,
notamment. S’il faut chercher le
berceau de la rumeur, c’est certainement de ce côté.
À l’époque, dès les premières
inquiétudes palpables de la population, vers le mois de février, les
représentants des Voies navigables de France (VNF) l’assurent :
aucune communication n’est possible entre ces deux bassins. Sauf
L
Fernando Fernandes a arpenté les canaux et rivières pour comprendre comment les bassins de l’Oise et de la Somme
entraient en communication. Et contredire ce qu’affirmaient les VNF, depuis le début des inondations.
qu’au début du mois d’avril, une
partie du discours change et « des
lâchures » sont reconnues par les
mêmes VNF, principalement liées
à des débordements des affluents
du canal du Nord.
Autre question qui attisera les
doutes des sinistrés : la circulation
3 QUESTIONS À
des péniches qu’il aurait certainement fallu suspendre pour éviter
des lâchers d’eau à l’ouverture des
écluses. Les réponses des VNF,
alors pointées du doigt, sont dès
lors trop évasives, puis trop techniques pour convaincre les sinistrés
de la vallée. Lesquels assistent en
plus à des changements de
niveaux d’eau aberrants. L’explication des seules nappes phréatiques saturées ne tient plus, et,
relayé par les élus locaux - Joël
Hart, maire d’Abbeville, en tête - le
doute s’insinue.
Un habitant de la Somme, Fernan-
PIERRE MARTIN
« Le rapport n’a pas éteint la rumeur »
PIERRE MARTIN sénateur UMP de
la Somme, auteur d’un rapport
parlementaire sur les causes des
inondations.
왘 Pourquoi avez-vous proposé,
avec le sénateur Marcel Deneux, de
réaliser ce rapport sur les inondations de la Somme ?
J’avais fait une intervention au
Sénat, pour expliquer la situation
catastrophique dans laquelle nous
nous trouvions. J’avais été marqué, notamment, par la tristesse
de la population dans mon canton,
en particulier à Fontaine-sur-Somme. J’ai d’abord organisé une récolte de fonds et l’idée de faire un rap-
port est venue tout naturellement.
Il fallait trouver une explication à
cette catastrophe et avoir des éléments pour faire en sorte que cela
ne se reproduise plus.
왘 Comment avez-vous procédé ?
La réalisation du rapport, que nous
avons remis à la fin de l’année
2001, a pris six mois. Nous avons
interrogé des dizaines et des dizaines de spécialistes, dont certains
avaient des avis contradictoires. Mais nous avons appris beaucoup de choses, sur la nature des
terrains, les sources, l’évolution
des rivières souterraines.
왘 L’objectif était-il également de
démontrer que la rumeur selon
laquelle la Somme avait été volontairement inondée par Paris était
fausse ? Non. Mais les conclusions
du rapport apportent la réponse. Ces inondations exceptionnelles sont liées à l’intensité des
pluies et au manque d’entretien
des cours d’eau. Je sais néanmoins que le rapport n’a pas éteint
la rumeur, laquelle est toujours
vivace aujourd’hui dans l’esprit
des gens. Comme l’a si bien chanté Yves Duteil, la rumeur est quelque chose de très puissant. Elle
indiffère ceux qui ne sont pas touchés par les faits, mais elle rassure
ceux qui sont concernés. C’est
exactement ce qui s’est passé dans
la Somme.
Mais après douze mois de relevés, Fernando Fernandes se présente devant la commission
d’enquête avec des chiffres rendant compte de lâchers d’eau,
notamment par le biais d’une rigole d’alimentation de l’Oise et du
Noirrieu. Celle-ci permet bien une
communication entre le bassin de
l’Oise et celui de la Somme, via le
canal de Saint- Quentin.
Il conclut aussi à l’absence de
relevés de rapprochement de
cotes d’amont et d’aval, utiles à la
visualisation d’ensemble d’une
situation, et qui anticipent l’ouverture de certaines vannes en cas de
nécessité. Or « non seulement les
cotes n’ont pas été rapprochées,
mais certaines semaines, les
niveaux n’ont pas été relevés, notamment pendant les inondations ! »,
s’insurge-t-il en 2002.
Pire : des travaux sur des écluses
ayant été programmés, deux
biefs : Ham supérieur et Offoy ont
été vidés, et ce, alors qu’Abbeville
était déjà noyé. Autant de manquements, aujourd’hui clairement
identifiés, qui révèlent, non une
volonté intentionnelle, mais bien
une grave méconnaissance du terrain et des erreurs certaines.
Alors non, la Somme n’a pas été
sciemment inondée pour sauver
Paris. Mais ces erreurs successives,
tant sur le terrain que dans la communication des VNF, laisseront un
doute indélébile dans l’esprit de
ceux qui, trois mois durant, ont
vécu les pieds dans l’eau.
DELPHINE RICHARD
TKE050V.
VI
CAHIER SPÉCIAL
COURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
EN IMAGES à ABBEVILLE
PHOTO : SANTIAGO RICHARD, GAËL RIVALLAIN
Scènes
de la vie
au fil de l’eau
Pendant près d’un trimestre,
début 2001, les habitants
d’Abbeville et de sa proche
région ont dû apprendre
à vivre au quotidien avec
l’eau. Souvenirs en images.
Image singulière d’une époque qui le fut tout autant.
Image emblématique de la période : la gare d’Abbeville envahie par les eaux. Et ses voies ferrées ressemblant à un canal.
Pompes à eau dans les maisons et bastaings sur parpaings comme chemin. Un décor
qui fut familier pour les Abbevillois. À droite, on remarque une petite Tour Eiffel qui
laisse à penser que la « rumeur » mettant en cause la capitale est bien présente.
TKE06VIA
Il fallait bien vivre, pour les victimes des inondations. On s’adaptait donc, comme ici une
colporteuse de presse du « Courrier picard » diffusant le journal en barque.
Bottes, cuissardes et barque, l’équipement
incontournable en ce printemps 2001.
Certains sinistrés ont dû être relogés en mobile-home, comme ici à
Mareuil-Caubert. Un lotissement entier a même été organisé à Abbeville.
CAHIER SPÉCIAL
VII
MARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
gMÉDIAS
VOTRE AVIS ?
Une onde surfant sur l’eau croupie
D’abord traité par la presse régionale, « l’événement » des inondations
a vite vu rappliquer les médias nationaux. Avec parfois des approximations.
e 6 avril, le Courrier picard titrait
en une : « Une crue qui s’éternise ». Deux semaines après le
début de la montée des eaux, nous
n’imaginions pas alors encore à quel
point cela allait être vrai ! Aux
avant- postes de la catastrophe, les
médias locaux ne furent bientôt
plus les seuls à s’émouvoir et s’interroger.
Les sinistrés n’ont pas oublié le
rôle joué par la radio, à commencer
par France Bleu Picardie et sa libre
antenne laissée aux initiatives solidaires. Un principe repris ensuite
par RTL, installée le 13 avril en mairie d’Abbeville, avec succès ; à raison de 30 appels à la minute, la station a réussi à rassembler 300 000 F.
Le 20 avril, France Inter faisait de
même à l’école de Mareuil-Caubert,
à côté d’Abbeville. Et TF1 de son côté
offrait 1 000 places aux jeunes footballeurs des communes sinistrés
pour la finale de Coupe de France
Amiens-Strasbourg à Paris.
Les Abbevillois se souviendront
également de cette messe de Pâques
décentralisée dans la capitale du
Ponthieu, célébrée par l’évêque
talonné par une forêt de micros.
Dans l’assistance, Jean- Pierre Elkabbach (Europe 1) justifiait sa présence : « J’apprécie de voir les gens sur le
terrain, de ne pas parler d’eux de
manière théorique. On reviendra
quand il fera beau aussi à Abbeville et
à Amiens, dans la Somme, pour voir
comment elle renaît. » Chacun
aujourd’hui pourra juger de la suite
donnée à cette promesse...
Prompts à ouvrir leurs portes aux
journalistes exutoires de leur peine,
certains sinistrés ont aussi fini par
se lasser de cette effervescence
médiatique, et de ces journalistes
débarquant en bottes toutes neuves,
L
JUAN
RODRIGUEZ
77 ans, retraité,
Abbeville.
On a eu 1,30 mètre d’eau dans la maison pendant trois mois. On s’était réfugié à l’étage. Au bout de 15 jours, nous
sommes allés chez ma fille. Dans la
maison, tout a été abîmé. On a dû tout
racheter le mobilier. Pendant un an,
nous n’avons pas habité notre maison, car il fallait auparavant éliminer
les champignons sur les murs.
DANIEL
PAPILLON
64 ans, retraité,
Abbeville.
Pendant plusieurs semaines, les Abbevillois se sont habitués à croiser des équipes de télé ou de radio. (Photo d’archives G.RIVALLAIN)
« J’apprécie de voir
les gens sur le terrain.
On reviendra aussi
quand il fera beau »
Jean-Pierre Elkabbach, Europe 1
alors que l’on n’en trouvait déjà plus
depuis longtemps dans la région.
« C’est pas les caméras qui vont faire
baisser l’eau ! », vitupérait ainsi un
riverain bloqué sur son chemin de
planches, le temps que Benoît
Duquesne, le présentateur de France 2, achève le plateau de situation
de son JT du 27 avril.
Taxés a posteriori d’avoir alimenté
la fameuse rumeur d’Abbeville (lire
page V), les médias ont aussi fait
grincer des dents chez les décideurs
économiques, à l’image du président de la fédération hôtelière du
département : « La presse ne donne
qu’une partie de l’info. Pas un seul
hôtel n’a les pieds dans l’eau ! » Tandis que certains relayaient très
(trop ?) tôt le chiffre de 30 % d’annulation sur les réservations estivales.
À l’office du tourisme d’Abbeville,
c’est la presse hollandaise qui fit
rugir. Elle décrivait «une Somme complètement inondée », alors que les
Hortillonnages furent le seul site touristique touché.
Par méconnaissance de la géographie locale, on a pu s’amuser à lire
que « la baie de Somme est inondée »
(NDLR : ce qui n’est pas faux, puisque cela arrive tous les jours à chaque marée !) On goûtera encore cette anecdote rapportée par Jean-Phi-
lippe Damien, le président de la
FASS, à qui un journaliste d’une
radio nationale demanda de commenter la prolifération de moustiques à Abbeville. Malgré les dénégations du sinistré, le journaliste insistait : « oui mais c’est mon sujet ! »
Néanmoins, le même Jean-Philippe
Damien l’a souvent répété, non sans
gratitude : « Ce sont aussi les médias
qui nous ont permis d’interpeller les
politiques et d’exprimer notre ressenti. » Ce qui n’était pas rien. Car petit à
petit, le sort des sinistrés aurait pu
disparaître sous la surface des eaux
sommâtres des inondations, à la
faveur de la loi du zapping, et pour
une catastrophe qui fut désespérément interminable. Comme la presse, aussi, n’en avait encore jamais vu
jusqu’alors.
G.R.
gÉCONOMIE
Une facture totale de 160 millions d’euros
Six mois après la catastrophe, le
rapport du Sénat avançait un bilan
des dégâts à 100 millions d’euros.
Un autre rapport, ministériel
celui-là, conclura plus tard à
160 millions d’euros. Cette facture
aussi permet aussi de mesurer
l’ampleur de l’événement. Si
2 800 maisons ont été inondées à
l’époque, les dommages sur l’habitat n’ont représenté « que » 21 % du
Quels souvenirs
conservez-vous
des inondations ?
coût global. Des maisons qui, par
ailleurs, ont perdu 20 % de leur
valeur après l’inondation.
Les dommages aux voiries ont
représenté plus de 50 millions
d’euros (pour l’essentiel hors zone
inondée). Quelque 200 entreprises aussi ont souffert. Dans l’Abbevillois, une cinquantaine a dû interrompre en tout ou partie son activité, dont l’emblématique COMAP
(robinetterie de 250 salariés), qui,
depuis a carrément déménagé.
Au niveau agricole (5 % de
l’ensemble des dommages), les
maraîchers des Hortillonnages ont
le plus retenu l’attention du grand
public, mais dans la profession, on
n’aura pas oublié non plus la solidarité des autres départements
pour l’approvisionnement en fourrages du bétail.
À ce tableau, il faut ajouter le tourisme, largement impacté. Audelà des Hortillonnages (-36 % de
fréquentation en 2001 et 2002), le
P’tit train de la Haute Somme, le
parc de Samara, le zoo d’Amiens et
même le musée de Picardie ont
subi des baisses, tandis que les
Hôtels et campings de la Somme
enregistraient 12 millions d’euros
de perte en 2001-2002.
Durant les inondations, je suis resté
chez moi, au premier étage, faubourg
des Planches. J’étais quasiment le seul
du quartier, je montais la garde. J’ai vu
l’eau arriver, cela m’a permis de m’organiser. Avec trois pompes, j’ai rejeté
l’eau par les fenêtres. Je profitais d’une
barque pour faire mes courses. Je me
suis demandé si l’eau allait repartir.
CHRISTIAN
ARDUINO
60 ans,retraité,
Abbeville.
L’eau est montée jusqu’à un mètre. Au
départ, cela a été la surprise, puis de
l’impuissance. La famille et des voisins
nous ont aidés à sauver du mobilier.
On a perdu des photos, des papiers.
Durant cette période, on a déménagé
quatre fois et quitté la maison pendant
53 semaines. Je n’ai gardé que les
murs extérieurs du pavillon.
BERNADETTE
BIENDILÉ
42 ans, Bellancourt.
J’habitais Mareuil-Caubert qui a été
inondée. Je livrais le Courrier picard
en barque, ainsi que des courses et du
pain. Cela me prenait toute la journée.
Quand on a vu l’ampleur des dégâts,
avec quelques bénévoles, nous avons
créé le groupe Javel club, car des personnes nous donnaient des produits
d’entretien pour les sinistrés.
TKE07VII.
VIII
CAHIER SPÉCIAL
COURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
gSINISTRÉS
« Un seul but : que l’eau aille à la mer »
Passée d’une posture revendicative à « une démarche participative », l’Association
des victimes des inondations d’Abbeville fait valoir le point de vue des habitants.
ichard Pierru est président de
l’Association des victimes des
inondations
d’Abbeville
(AVIA), qui compte 300 familles.
Grâce à sa longévité, son expérience et aussi parce que, le temps
aidant, elle s’est posée davantage
comme partenaire que comme
adversaire, l’AVIA est reconnue par
les pouvoirs publics comme un
interlocuteur important des questions relatives à la gestion de l’eau
et de ses risques]
왘 À quoi sert L’AVIA en 2011 ?
Elle poursuit une action nécessaire de prévention des risques, aux
côtés des responsables, des élus.
Elle est associée dans des comités
de pilotage, que ce soit sur le ru du
Maillefeu (à Abbeville) ou sur l’étude hydraulique du bassin versant
de la Somme. On participe à des réunions sur les travaux qui restent à
faire. L’AVIA constate aussi que la
remontée de nappe n’est pas le seul
risque d’inondation, il y a également le ruissellement. On l’a vu
avec l’orage du mois d’août 2008, à
Abbeville.
Nous sommes là aussi pour apporter notre expérience et jouer notre
rôle de relais d’information entre
population et élus. Enfin, se met en
place le syndicat d’aménagement
de gestion de l’eau (Sage) aval, dans
l’ouest du département, avec une
commission locale de l’eau qui sera
un peu son Parlement. Un siège est
destiné aux sinistrés. Nous sommes candidats et espérons être retenus avant la fin de ce semestre.
왘 Qu’est-ce qui a été fait pour
juguler les inondations ?
Des travaux ont été effectués
dans l’urgence. On a remonté les
berges avec des sacs de sable. Tous
les Abbevillois s’en souviennent.
Après, on les a confortées par des
R
matelas de gabions, par des palplanches. On a ouvert une passe supplémentaire dans le barrage supérieur
de Saint-Valery. On a ouvert les portes à flot, réalisé une passe supplémentaire dans le barrage inférieur.
On a installé définitivement la station de pompage de Sur Somme.
Trois pompes ont été mises en place à Abbeville : sur le Maillefeu, sur
la Plume et la troisième dans le
marais Saint-Paul. À côté de cela,
un service de vigilance de crues a
été mis en place. Des repères de
crues ont été installés. Un comité
de surveillance des inondations a
été créé en juin 2009, par la municipalité d’Abbeville, dans lequel nous
siégeons.
« Sans être techniciens,
nous faisons remonter
des observations.
Cela veut dire que des
questions existent »
Richard Pierru
Une règle nous apparaît évidente,
c’est qu’en dehors des travaux qui
améliorent le flux de l’eau, une coordination des acteurs est nécessaire.
Si le fleuve Somme dépend du
conseil général, les rivières comme
le Maillefeu et la Plume dépendent
de la ville, voire de la communauté
de communes. Nous n’avons qu’un
seul but : que l’eau, par le biais du
canal maritime, parvienne à la mer.
La coordination est le meilleur
moyen d’améliorer l’efficacité des
travaux réalisés et de ceux qui restent à entreprendre.
왘 Que reste-t-il à faire ?
À Abbeville, il reste à améliorer
les rus du Doigt et des Nonains.
Richard Pierru, le président de l’Association des victimes des inondations d’Abbeville,
sur une rive du Doigt, un des rus de la ville devant être recalibré. (Photo FRED HASLIN)
L’hôpital avait mobilisé pour « une assistance psychologique »
L’hôpital d’Abbeville n’a pas été touché par les
inondations de 2001, mais une partie de son personnel a été mobilisée afin d’apporter une assistance psychologique. C’est le « plan blanc ». Ce dispositif vise à mobiliser du personnel médical, technique et administratif afin de répondre à une
situation de crise.
Si la crue de la Somme n’a pas entraîné de pertes
humaines, de nombreuses infirmières et médecins psychologue ont été mis à contribution.
« Nous avions eu peu d’accueil de personnes blessées. Seul un grave accident de la route concernant
un véhicule de l’armée avait eu lieu. Ce qui nous a
mobilisés, c’est l’assistance psychologique aux victiTKE08VIII.
mes des inondations. Des personnes souffraient de
problèmes psychiques, de manque de sommeil,
d’obnubilations », relate Hervé Ducroquet, le directeur de l’hôpital abbevillois, déjà en poste à l’époque.
Le jour, les infirmières en psychiatrie recevaient
des victimes à l’hôpital. Le soir, elles partaient en
barque pour aller au-devant de victimes n’ayant
pas quitté leur domicile. « Cela a nécessité un important investissement. Les autorités départementales
ont également envoyé des psychologues à Abbeville.
se souvient le directeur. Pour des catastrophes
importantes, comme les inondations de 2001, le
cadre dépasse le niveau du plan blanc d’un établisse-
ment de santé. »
En cas d’inondation de l’hôpital, « nous avions prévu un plan de repli au centre de gérontologie, situé
plus haut, afin de maintenir un accueil des urgences.
Nous aurions également dû déplacer des patients
dans les hôpitaux et cliniques d’Amiens en cas de
panne d’électricité », se rappelle Hervé Ducroquet.
Si chaque année, un « plan blanc » est planifié à
l’hôpital d’Abbeville, aucun n’a concerné la thématique des inondations depuis 2001. Cela ne servirait pas à grand-chose. Dans ce cas, la lente montée des eaux permet au personnel de l’hôpital de
s’organiser plus sereinement que lors d’une catastrophe plus brusque.
ALEXANDRE BOUDARD
Depuis 2001, il y avait l’idée d’un
canal de dérivation, qui, rive gauche, permettrait de contourner
Abbeville et d’aboutir, en aval, au
canal maritime. Cette hypothèse a
évolué. Aujourd’hui, on en est à
quelque chose de plus réaliste et
réalisable. On va améliorer le flux
de l’eau, en améliorant les berges
des Nonains pour permettre un
meilleur écoulement jusqu’au quartier de Mautort. Ces deux rivières
vont être recalibrées.
왘 Avez-vous eu le sentiment
d’être suffisamment entendus ?
Ça dépend sur quel thème. Après
les deux premières années, je crois
qu’on a été effectivement été entendus. Notre action s’inscrit dans une
démarche participative et constructive. Elle est reconnue. Ça a été
long. Un peu trop. Une méfiance a
existé. On se demandait d’ailleurs
dans les premières années si on
allait pouvoir exister longtemps.
On compte beaucoup sur nous, aussi, pour jouer ce rôle de relais
d’information. Même si nous ne
sommes pas des techniciens, nous
faisons remonter des observations.
Cela veut dire que des questions
existent et méritent qu’on s’y penche.
왘 Comment lutter contre l’oubli,
risque supplémentaire, selon
vous, que les choses se répètent ?
Ceux qui ont vécu ces inondations
n’ont qu’une envie : oublier. Et penser que ça n’arrivera plus. Or, on
sait que le risque zéro n’existe pas.
Lutter contre l’oubli, c’est faire en
sorte que chacun soit soucieux de
l’entretien des cours d’eau, entretienne ses berges, cure son fossé, se
préoccupe de son environnement
en général. Le problème, après les
travaux d’urgence et de consolidation, c’est qu’on est entré dans un
domaine technique. Quand on parle de syndicat d’aménagement et
de gestion de l’eau, les gens ne
voient pas à quoi cela peut servir.
On voudrait que les gens comprennent que si on a gardé notre sigle
« Association des victimes des inondations », nous sommes engagés
dans une gestion globale de l’eau et
ouverts à tous. Lutter contre l’oubli,
c’est se préserver, entretenir
l’ensemble du réseau et être vigilant sur les aménagements à apporter et la gestion de l’alerte. Cela doit
être permanent. Rien n’est totalement réglé et rien ne le sera jamais.
Propos recueillis par
VINCENT HERVÉ
CAHIER SPÉCIAL
IX
MARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
gTRAVAUX
Une Somme de chantiers depuis 2001
Plus de 30 millions d’euros de travaux ont été engagés le long de la Somme. Ils ont
permis de gagner jusqu’à 60 cm de hauteur d’eau sur les secteurs inondés en 2001.
LES FAITS
왘 L’Ameva, syndicat mixte
d’aménagement du bassin
versant de la Somme, réalise
des études pour la réalisation
de travaux, et met en cohérence
la gestion sur l’ensemble du
bassin versant, soit 1 000 km
de cours d’eau.
왘 Le syndicat regroupe
830 communes de la Somme
et une centaine de l’Aisne.
n chantier permanent. De sa
source à son embouchure,
mais aussi le long des
1 000 km de cours d’eau du bassin
versant, la Somme n’a jamais été
aussi bien entretenue. Un moindre
mal, au regard de nombreux riverains, qui ont longtemps déploré
un certain laisser-aller avant la
U
catastrophe. Les inondations
auront eu au moins le mérite de
réveiller les consciences, et
d’ouvrir le portefeuille des pouvoirs publics. Depuis 2001, 30 millions d’euros ont ainsi été investis
pour la réalisation d’ouvrages, le
curage des cours d’eau, ou encore
l’entretien des berges. La priorité
de l’Ameva, le syndicat mixte
d’aménagement hydraulique du
bassin versant de la Somme, fut
d’abord de déterminer la pertinence d’un ouvrage avant sa réalisation. « Les travaux hydrauliques coûtent très chers, on n’a pas le droit de
se tromper », insiste Olivier Mopty,
directeur de l’Ameva. Une des raisons pour laquelle la mise en
œuvre des chantiers, dont certains
sont programmés jusqu’en 2013, a
pris un certain temps.
Au préalable, le syndicat a missionné la Sogreah, cabinet d’étu-
des spécialisé, afin de mesurer
l’impact de tel ou tel ouvrage. Une
étude de modélisation hydraulique, basée sur les données des
inondations de 2001, a ainsi permis de mettre en place un schéma
d’aménagement global sur toute
la vallée. « Ce qui se fait à un endroit
a des répercussions ailleurs, on ne
peut pas travailler chacun dans son
coin », poursuit Olivier Mopty. De
même, l’opportunité de certains
ouvrages est parfois remise en cause au fil de l’avancement des chantiers. Le projet de contournement
d’Abbeville, par exemple, longtemps
évoqué,
demeure
aujourd’hui une hypothèse peu
probable. « Ce chantier colossal
aurait un coût exorbitant et pourrait poser des problèmes environnementaux. Par ailleurs, la réalisation
d’une troisième passe à l’écluse de
Saint-Valery-sur-Somme a permis
« Il est important
de lutter contre
l’oubli, de travailler
sur la mémoire et
la conscience du risque »
Olivier Mopty
d’améliorer considérablement la
situation à Abbeville. Un canal de
contournement ne semble donc plus
du tout opportun. »
L’appréhension de l’événement
de 2001 modifie également les
stratégies de défense contre les
inondations. Dans l’hypothèse
d’une crue de nappe, comme ce fut
le cas, la création de zones d’expansion est nécessaire, mais insuffisante. « Ce qu’il faut, c’est évacuer. »
D’où le projet stratégique de création d’une station de pompage à
Péronne, destinée à renvoyer l’eau
de la Somme vers le futur canal Seine-Nord. Dix ans après la catastrophe, la réalisation de tous ces travaux aura permis, selon les études
réalisées par la Sogreah, de limiter
considérablement les risques. On
estime, par exemple, qu’il y aurait
deux fois moins d’eau dans les
rues d’Abbeville, soit entre 30 et
50 cm.
De même, la création de Vigicrues, système de surveillance des
cours d’eau et des nappes créé au
lendemain des inondations de la
Somme, demeure un indispensable outil d’anticipation des phénomènes. « Mais dans le cas d’une crue
de type 2001, on n’arrivera pas à
mettre hors d’eau toutes les habitations, prévient Olivier Mopty. C’est
pourquoi il est également important
de lutter contre l’oubli, de travailler
sur la mémoire et la conscience du
risque. »
FABRICEJULIEN
TKE09IX.
X
CAHIER SPÉCIAL
COURRIER PICARD MARDI 12 AVRIL 2011
gHYDROLOGIE
« Il y aurait beaucoup moins de casse »
Ingénieur hydrologue, Thierry Monier a réalisé une étude destinée à planifier des
travaux facilitant l’écoulement de la Somme. Pour lui, 2001 ne pourrait se reproduire.
왘 En quoi a consisté votre travail
au sein du cabinet Sogreah, réalisé après les inondations de la
Somme de 2001 ?
À la demande de l’Ameva (le syndicat mixte d’aménagement du
bassin versant de la Somme), nous
avons réalisé une étude de modélisation de toute la vallée, de 2005 à
2007, basée sur une topographie
précise du bassin. Ce modèle
numérique a permis de mieux
comprendre les phénomènes de
crues, et de mettre en place des
simulations pour tester des aménagements destinés à limiter
l’impact des inondations. Ces simulations permettent de vérifier que
l’on est bien dans l’objectif voulu,
au cas où une crue de type 2001
revenait. Une première liste
d’actions a été hiérarchisée en
fonction des intérêts et des bénéfices attendus, puis, une étude de
programmation a été engagée site
par site afin d’approfondir des solutions et permettre à des collectivités de porter ces projets.
왘 Les travaux entrepris sur la
Somme sont-ils suffisants pour
éviter une catastrophe de type
2001 ?
ment amélioré l’écoulement.
왘 Dans votre étude, avez-vous
également analysé précisément
l’origine de cette crue ?
Nous avons aujourd’hui une très
bonne compréhension de cet épisode. C’est un phénomène de grande ampleur qui se joue sur plusieurs semaines, et même plusieurs années, avec des excédents
d’eau qui ont conduit à la saturation des nappes.
« La cause
des inondations
de 2001 est avant
tout géologique »
Thierry Monier
Thierry Monier (à gauche), du cabinet Sogreah, a réalisé une étude de modélisation
numérique de toute la vallée de la Somme. Ici lors d’une rencontre avec des élus.
Si une telle crue revenait, les
enjeux essentiels, c’est-à-dire les
zones urbanisées et les zones
d’activité économique seraient
mises hors d’eau. Certaines habitations pourraient néanmoins être
touchées mais, dans ces cas-là, les
volumes d’eau seraient considérablement réduits avec des gains
pouvant aller jusqu’à 60 cm dans
une ville comme Abbeville, par
exemple. Mais il y aurait beaucoup moins de casse car les travaux réalisés ont considérable-
Le problème, c’est que le réseau
hydraulique n’est pas en capacité
d’absorber un phénomène aussi
rare. De mémoire d’homme, personne n’avait connaissance d’un
tel événement mais, c’est surtout
lié au fait qu’il y a cent ans, les
zones urbanisées étaient moins
étendues et les dégâts forcément
Dix ans de plans pour protéger de la Haute Somme au littoral
Il y a eu l’urgence. Prise en charge de la population, lutte contre la crue… dans l’organisation comme dans le financement, Bernard Florin, secrétaire général de la sous-préfecture
d’Abbeville en poste au plus fort des inondations, se souvient de services de l’État touchant à leur expression la plus forte. « Je resterai à jamais marqué. Comme ce silence, sur une
barque, plus un bruit d’oiseaux, rien et cette eau.
Et la solidarité qui a joué entre tous était remarquable », confie aujourd’hui le désormais
sous-préfet de l’arrondissement de Montdidier. Il est de ceux qui ont géré la crise, et
l’après. Un après qui perdure.
« Le plus jamais ça » passe par le plan de prévention des risques d’inondation de la vallée de la
Somme et de ses affluents, le « PPRI ». Approuvé par arrêté préfectoral du 1er décembre 2004, il concerne 118 communes de la
Somme et de ses affluents. Sauf qu’il a été
annulé par un arrêt de la cour administrative
d’appel de Douai (10 décembre 2009). « Pour
un détail de vice de procédure. Le PPRI fera
l’objet d’une nouvelle enquête publique cette
année », annonce la préfecture. Cela ne remet
pas en cause, les zones identifiées comme
exposées au risque naturel (zone d’aléas). « Ce
TKE100X.
Le « plus jamais ça », ce fut d’abord des réponses
physiques : les écluses (ici Abbeville) ont été rénovées.
qui permet de refuser les permis de construire
pour les mêmes motifs que si le PPRI était applicable », prévient l’État. Ce dernier a lancé la
création du service de prévision des crues de
la Somme, le dossier départemental des risques majeurs (risques, attitude à tenir en fonction etc.) et les plans de sauvegarde communaux, outil d’assistance à la population (quatre-vingt-quatre communes en ont l’obligation, trente-quatre l’ont déjà réalisé).
Puis, de la gestion de la catastrophe, l’humain
s’est souvenu qu’il possédait une vallée. Les
collectivités veulent une Somme retrouvée,
au potentiel touristique intéressant. Cela passe par sa préservation.
Le plan Somme 2007-2013 prévoit 16 millions d’euros à la lutte contre les inondations
mais aussi à la protection des milieux aquatiques (2,5 par l’État). 18 m¤ iront à la restauration des bassins versants, cours d’eau et leurs
débordements, zones humides et écosystèmes, jusqu’aux eaux pluviales… de la Haute
Somme aux côtes. Deux territoires, avec chacun un schéma directeur d’aménagement et
de gestion des eaux à potasser par des dizaines de maires, car cela impacte les plans
locaux d’urbanisme. Le Crotoy connaît la chanson, il y joue, entre autres, son autorisation de
baignade.
La catastrophe de 2001 va donc très loin dans
ses conséquences en aménagement du territoire. Cela a pu aussi, peut-être, contribuer à
l’obtention par la Baie de Somme (20 000 ha,
25 communes) du label Grands sites de France
attribué par l’État « pour une gestion conforme
aux principes du développement durable ».
Au final, les inondations ont au moins réveillé
les pouvoirs publics sur un patrimoine exceptionnel, mais qui reste capable du pire.
DAVID VANDEVOORDE
moins importants.
왘 Les inondations de la Somme
ont-elles un caractère particulier ?
Bien sûr. En France, c’est un des
rares bassins, sinon le seul, qui possède la particularité de drainer des
plateaux crayeux sur tout son
cours. La plupart des rivières traversent des régions géologiques
qui alternent, ce n’est pas le cas
dans la Somme. Cette particularité
met le bassin à l’abri des phénomènes courts, comme les orages,
mais il devient très vulnérable lors
d’une période humide de très longue durée. La cause des inondations de 2001 est donc avant tout
géologique.
왘 Lors de votre étude, sur le terrain, avez-vous été confronté à la
rumeur selon laquelle la Somme
avait été volontairement inondée
pour protéger Paris ?
Pas directement, mais j’en ai
beaucoup entendu parler. Et je
sais aussi que, même si cette
rumeur n’a aucun fondement, il y
a, comme pour toute rumeur, un
petit fond de vrai. Le canal du nord
a un fonctionnement très compliqué, car il franchit des affluents de
la Somme en divers endroits. Et
ponctuellement, c’est vrai, il existe
des déchargeoirs où l’on peut voir
l’eau couler vers la Somme. Mais
c’est aussi vrai dans l’autre sens et,
au final, les quantités s’équilibrent. Ce fait est en tout cas suffisant pour alimenter ce type de
rumeur.
왘 Les changements climatiques
vont-ils accentuer les risques
d’inondations dans la Somme ?
Oui et non. Une étude menée
récemment dans l’ouest de l’Europe montre que les phénomènes
pluvieux sur une longue période
conduisant à de fortes recharges
des nappes seront de plus en plus
rares. Néanmoins, la hausse des
niveaux marins aura une incidence, notamment en aval du fleuve.
Mais ce même secteur devrait
bénéficier d’un débit moins important car nous allons certainement
vers des périodes plus sèches. Ces
éléments, qui n’ont pas été pris en
compte dans les précédentes études, le seront certainement dans
les prochaines.
Propos recueillis par
FABRICE JULIEN
CAHIER SPÉCIAL
XI
MARDI 12 AVRIL 2011 COURRIER PICARD
gEXPOSITION
Abbeville, dix ans après
Une exposition, des films, deux conférences se dérouleront ce samedi 16 et dimanche
17 avril, évoquant les événements de 2001 et les améliorations apportées depuis.
omme l’eau, il y a dix ans, les
émotions vont remonter à la
surface. Cette histoire-là ne
repassera jamais complètement
au sec. Les gens sont marqués. À
vie. Deux jours durant, les samedi 16 et dimanche 17 avril, l’hôtel
de ville d’Abbeville abrite une
exposition, sobrement baptisée
« Abbeville, 10 ans après les inondations ».
L’Association des victimes des
inondations de cette ville en est le
maître d’œuvre. L’AVIA fait donc
parler ses archives, documents,
photographies, coupures de presse, accrochés sur une vingtaine de
panneaux, que ses bénévoles ont
réalisés. Il y a même des bouts de
vidéo ou de films, tournés par les
habitants eux-mêmes sur l’arrivée
et le départ de l’eau, dont un montage d’une vingtaine de minutes a
été effectué. En matière de témoignage direct, difficile de faire
mieux. Ce film passera en boucle. De même que celui de la Direction régionale de l’environnement
et de l’énergie (Diren), intitulé La
Somme, un fleuve pas si tranquille.
Deux diffusions d’un troisième
film, plus long (une heure environ), sont prévues durant les deux
matinées. Il s’agit des 100 jours de
la Somme, de Geneviève Roger. Un
C
Cette photographie de la gare d’Abbeville inondée sert de support à l’affiche réalisée pour l’exposition de la mi-avril (Photo DR)
diaporama d’une trentaine de
vues des aménagements qui ont
été réalisés depuis dix ans, sera
également diffusé. Il émane du
Syndicat mixte d'aménagement et
de valorisation du bassin de la
Somme. Son président, Bernard
Lenglet et son directeur, Olivier
Mopty, animeront une conférence
évoquant ce qui a été fait pour que
de nouvelles inondations ne se
renouvellent pas dans de telles
proportions et ce qu’il reste à faire,
en particulier dans la vallée de la
Somme, mais aussi à Abbeville. Dans cette ville, par exemple, les rus des Nonains, du Doigt
et de La Maillefeu doivent être
gESSAI
Un millénaire de catastrophes
Comment relativiser une inondation centennale ? En remontant le
temps au travers des registres civils
et paroissiaux. C’est l’ambition portée par Myriam Provence, généalogiste, auteure des catastrophes
météo dans la Somme, qui s’insère
dans une collection de synthèses
locales des grands événements climatiques. Le moins qu’on puisse
dire, c’est que sur un millénaire, la
Somme a connu son lot de crues, de
vagues de froid et de tempêtes.
Agrémenté de récits et descriptifs
d’époque, le recensement débute
en 1001 par un tremblement de terre, suivi de l’observation… d’une
comète ! L’opuscule s’achève
en 2007 avec une mini-tornade
dans le Santerre. Entre-temps, c’est
la litanie des inondations (par dizai-
nes) qui marque le plus la chronologie du petit livre, comme celles
de 1658, où le 5 mars à Abbeville « la
Somme déborde avec tant d’impétuosité qu’elle inonde les deux tiers de la ville. Des ponts sont détruits et plusieurs
personnes meurent noyées. »
D’autres records jalonnent le
récit : suite à l’ouragan de 1842 à
Cayeux par exemple, « on enregistre
114 décès, soit deux fois plus qu’habituellement. » En 1422, « les Amiénois,
Abbevillois, Péronnais et Doullennais
voient leur vin geler dans les celliers. »
En 1881, on relève -21,5ºC, et -22ºC
en 1928-1929. Et en 1958, « on mesure jusqu’à 40 cm de neige à Amiens ! »
À l’autre bout du thermomètre,
en 1785, «des processions sont organisées contre la grande sécheresse ». La
Somme aussi a connu des étés étouf-
fants, comme 2003 et ses 37,3ºC.
Plus étonnant encore, alors que le
bassin picard est réputé l’un des
moins sismique de France, on
apprend que des tremblements de
terre ont jalonné l’Histoire de la Somme, en particulier aux XVIIe et
XVIIIe siècles. De quoi faire réfléchir
aujourd’hui sur le discours des
tenants du risque modéré…
Au bout des 70 pages de synthèse
des aléas climatiques, on sort de cette rapide traversée des siècles les
cheveux en bataille et les chaussettes mouillées. Au point de presque
comprendre que l’année 2001 n’y
soit traitée qu’en cinq lignes.
G.R.
왘 « Les catastrophes météo dans la
Somme », Myriam Provence, ed. Archives &
Culture, 12 ¤ (www.archivesetculture.fr)
L’Association
des victimes
des inondations
d’Abbeville fait
parler ses archives
recalibrés. Il est probable qu’à cette occasion, l’épineuse question
du rôle des riverains, tenus d’entretenir les berges sera évoquée avec
le public (16 h 30, samedi). Une
autre conférence, sur le thème de
la gestion communale de l’eau, à
Abbeville, sera animée dimanche
(15 h 30), par Émilie Coulon-Cornu, adjointe au développement
durable et Stéphane Bellambois,
responsable du service développement durable à la mairie d’Abbeville. Ce dernier a été nommé
« Monsieur inondations » au sein
d’un comité de suivi des risques
d’inondations, créé en 2009. Rompu à ces questions, il connaît les
problèmes rencontrés dans les
périodes les plus critiques, évidemment 2001, mais aussi lors du violent orage d'août 2008. Cet événement avait d’ailleurs décidé la
municipalité d’Abbeville à améliorer la remontée et la circulation de
l’information des différents services, qui ont à traiter des écoulements d'eau pluviale et fluviale, de
l’entretien des rivières, des rus et
du faucardage des berges.
V.H.
왘 « Abbeville, 10 ans après les
inondations » samedi 16 (9 à 19 heures) et
dimanche 17 avril (10 heures à 18 heures),
Hôtel de ville d’Abbeville. Entrée libre.
gLITTÉRATURE
Acte de bonté dans le courant
Les inondations de la Somme ont
aussi donné lieu à différentes initiatives caritatives. Parmi cellesci, le magazine mutualiste Viva,
afin de manifester sa solidarité
avec les victimes des inondations,
sollicita Philippe Lacoche, alors
chef d’agence du Courrier picard à
Abbeville et lauréat 2000 du Prix
du livre populiste (pour son
recueil HLM, ed. Castor Astral) afin
d’écrire une nouvelle originale sur
le drame. Parue sous forme de brochure, et désormais épuisée, Une
bonté à contre-courant, décalé et
tendre mais en pleine prise avec
l’actualité abbevilloise, permit de
récupérer des fonds qui furent
remis aux sinistrés.
왘 Cette nouvelle est à lire dans notre
dossier spécial sur les inondations,
sur notre site www.courrier-picard.fr
Supplément
au numéro 21 117
du 12 avril 2011
Rédaction en chef : Didier LOUIS
Réalisation : Daniel MURAZ
Rédaction : Christelle BOUCHÉ, Alexandre BOUDARD, Aude COLLINA,
Philippe FLUCKIGER, Vincent HERVÉ, Fabrice JULIEN, Delphine RICHARD,
Gaël RIVALLAIN, David VANDEVOORDE.
TKE11XI.
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TKE1200.