Appréciation de l`euro ou baisse du dollar ? Quelques éléments d
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Appréciation de l`euro ou baisse du dollar ? Quelques éléments d
Appréciation de l’euro ou baisse du dollar ? Quelques éléments d’analyse Cyriac GUILLAUMIN* Dominique PLIHON* “Nouveau record pour l’euro”. Depuis quelques semaines, cette phrase fait la une des journaux. Dernier record en date, l’euro a atteint la valeur de 1,6019 dollar. Il souffle ainsi un vent de panique voire de contestation en Europe. Tout cela est-il justifié ? L’euro est-il le coupable que l’on veut nous présenter ? Si on retrace le taux de change de l’euro face au dollar, y compris avant 1999, on constate que ce n’est pas la première fois que l’euro a une valeur élevée par rapport au dollar. Trois épisodes de hausses marquées ont déjà eu lieu : 1979-1980 ; 1987 ; 1995. Depuis son point bas atteint en octobre 20001, à l’époque l’euro cotait 0,8551 dollar, l’euro s’est apprécié de 72%. Depuis juillet 2004, cette appréciation est de 17%. Enfin, cette appréciation n’atteint plus que 7,5% entre juillet 2007 et mars 2008. Le taux de change nominal euro/dollar 1,6 1,4 1,2 1 0,8 0,6 0,4 2008M1 2006M6 2003M4 2004M11 2001M9 2000M2 1998M7 1995M5 1996M12 1992M3 1993M10 1990M8 1989M1 1987M6 1984M4 1985M11 1982M9 1981M2 1979M7 1976M5 1977M12 1973M3 1974M10 1971M8 0 1970M1 0,2 Nombre de dollars pour un euro Source: Calculs des auteurs à partir des Statistiques Financières Internationales , FMI. L’avantage d’une monnaie forte est qu’elle permet, entre autre, de maîtriser l’inflation importée. Dans le cas de l’euro, cela permet d’atténuer partiellement la flambée actuelle du prix du pétrole et donc de réduire la facture énergétique. Une des principales accusations à l’encontre de l’euro fort est son impact négatif sur le commerce extérieur et, à terme, ses effets défavorables sur l’emploi et la croissance économique européenne. Toutefois, les échanges européens avec les États-Unis ne représentent qu’une part relative des échange totaux (environ 20%). Pour juger du niveau de la compétitivité de la zone euro par rapport aux États-Unis, il est nécessaire de comparer les prix et les coûts pratiqués dans ces deux zones. Une première approche consiste à raisonner en terme de taux de parité de pouvoir d’achat. Dès lors, les variations de la parité euro-dollar sont considérablement atténuées. * 1 CEPN, Université Paris 13. Son plus bas historique date du mois de février 1985 où l’euro cotait 0,5891 dollar. 1 Par ailleurs, la compétitivité de la zone euro s’apprécie vis-à-vis de l’ensemble de ses partenaires commerciaux et non d’un seul. Il faut dès lors analyser le taux de change effectif réel de l’euro. Une telle étude révèle certes une appréciation mais bien plus limitée que celle du taux de change nominal euro/dollar : de 34% depuis octobre 2000 ; de 2,4% depuis juillet 2004 ; de 3,3% entre juillet 2007 et mars 2008. Ainsi, la hausse de l’euro et son impact sur le commerce extérieur et, à terme, la croissance économique, apparaissent limités. Enfin, la compétitivité d’une économie se juge également sur le long terme. Il faut donc raisonner en terme de taux de change d’équilibre intégrant les déterminants structurels des taux de change. Ce taux de change se définit comme le niveau du change permettant aux économies d’atteindre un solde courant soutenable, sachant que l’activité domestique est à l’équilibre. Il existe plusieurs approches pour déterminer ce taux2 : taux de change d’équilibre fondamental (approche FEER) développé par Williamson, taux de change d’équilibre comportemental (approche BEER) de MacDonald et taux de change réel naturel (approche NATREX) de Stein. Selon ces trois études, la surévaluation réelle de l’euro serait comprise entre 5% et 15%. Pour certains dirigeants européens, l’appréciation de l’euro handicape la compétitivité de leur pays et grève la croissance économique. L’euro semble être alors le coupable idéal. La responsabilité de la politique de change est partagée entre le conseil des ministres des Finances et la Banque centrale européenne (BCE). A la BCE la gestion des réserves de change et la conduite des opérations de marchés ; au conseil des ministres des Finances, la négociation d’accords monétaires formels avec les pays tiers, et la définition éventuelle, sur proposition de la Commission ou de la BCE, d’orientations générales de la politique de change mais à la condition que celles-ci ne mettent pas en danger la stabilité des prix. Dans ces conditions, une politique de change est difficile à mettre en œuvre, d’autant que les pays membres de la zone euro n’ont pas la même appréciation du niveau souhaitable du taux de change de l’euro. La force de l’euro reflète avant tout la faiblesse du dollar. Cette faiblesse est récurrente depuis le premier mandat du président Georges W. Bush. Elle reflète un déficit budgétaire croissant depuis 2002 et une épargne négative des ménages américains. Ainsi, le dollar aurait dû se déprécier par rapport à l’ensemble des monnaies du système monétaire international. Ceci ne s’est pas produit, tout du moins pas dans les proportions qui auraient dû avoir lieu. La plupart des monnaies des pays émergents, adhérant à la zone dollar, ont refusé l’appréciation de leur monnaie. Par ailleurs, la Chine et le Japon jouent un rôle très 2 Se reporter à Dufrénot et alii (2000), “La détermination des taux de change réels d’équilibre : une revue de la littérature théorique et empirique récente”, pour une synthèse complète. 2 important dans la hausse de l’euro. Expliquons-nous. La Chine maintient un taux de change quasiment fixe avec le dollar américain. Depuis juillet 2005, la réévaluation, en terme nominal, du yuan chinois a atteint 11%. C’est loin de ce qui est nécessaire pour refléter l’excédent commercial chinois avec les États-Unis. La sous-évaluation du yuan chinois atteindrait, selon les différentes études, entre 20% et 40%. Le Japon, quant à lui, intervient régulièrement sur le marché des changes pour éviter l’appréciation de sa monnaie et ainsi ne pas compromettre la timide reprise économique. Si nous schématisons le système monétaire international à quatre monnaies, l’euro apparaît ainsi comme la monnaie supportant l’intégralité de la dépréciation du dollar. Il ne faut rien attendre de la part des États-Unis, qui plus est en période électorale, en ce qui concerne la gestion de leur monnaie. Le principe du benign neglect s’il n’a pas toujours été d’actualité reste une tradition américaine. Seule l’administration Clinton a annoncé, voulu et effectué une politique du dollar fort. Par ailleurs, les dettes des Américains sont libellées en dollars alors que leurs créances le sont en monnaies étrangères. Dès lors, la tentation de laisser le dollar se déprécier est grande. Comment les Européens pourraient-ils ralentir l’appréciation de l’euro ? Par une baisse des taux de la BCE ? Non seulement une baisse des taux de la BCE n’est pas anticipée mais elle vient même d’être totalement écartée par Jean-Claude Trichet lui-même avec ses déclarations suite au conseil des gouverneurs du jeudi 6 mars : “Le ferme ancrage des anticipations inflationnistes est la plus importante priorité du conseil”. Il faut dire que les révisions, à la hausse, de prévisions d’inflation à 2,9% en moyenne pour 2008 ne devaient pas nous faire attendre un autre discours et le dogmatisme de Jean-Claude Trichet n’est pas sans rappeler celui de la Bundesbank. De leur côté, les États-Unis mènent une politique agressive de taux d’intérêt pour tenter d’enrayer la récession consécutive à la crise subprime. Ce décalage entre les politiques de taux d’intérêt de la BCE et de la FED devrait persister. Face aux pertes qui s’accumulent et aux difficultés des banques américaines3, les réunions du FOMC depuis le 18 mars débouchent sur des baisses de taux. En fin de compte, l’appréciation récente de l’euro face au dollar s’explique en grande partie par les écarts de taux d’intérêt anticipés entre la zone euro et les États-Unis, comme le montre le graphique ci-dessous. Une intervention des banques centrales ? Une intervention unilatérale de la BCE ne servirait à rien. Seule une intervention coordonnée des banques centrales serait susceptible de ralentir 3 Après le sauvetage de Bear Stearns par JP Morgan Chase, des interrogations apparaissent sur l’avenir de Lehman Brothers. 3 l’appréciation de l’euro voire d’en inverser la tendance. Ce type d’intervention a déjà eu lieu en 2000 lorsque l’euro était à son plus bas. La différence, non négligeable, est qu’aujourd’hui l’euro est à son plus haut et qu’il n’est pas dans l’intérêt ni de la FED, ni de la Banque du Japon, d’intervenir au côté de la BCE pour ralentir l’appréciation de l’euro. Dans cette configuration, la hausse de l’euro reste à l’ordre du jour. Certains analystes vont même jusqu’à anticiper un taux de change de 1,65 dollar voir 1,70 dollar pour un euro. L’un des paradoxes de cette hausse de l’euro est qu’elle reflète la faiblesse institutionnelle et politique de la construction européenne. Ce qui rend difficile une véritable politique de change. Et le danger serait de présenter l’euro et son appréciation, même si elle peut apparaître excessive, comme un coupable idéal. Car la compétitivité des entreprises et la croissance économique d’un pays dépendent également, et de plus en plus, de facteurs tels que la recherche et l’innovation. 4