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Le 30 juin 2014, nous apprenions le décès d’Adolf Sprincl à l’âge de 90 ans. Nous avons reçu beaucoup de témoignages d’anciens joueurs, journalistes et amis. A l’approche de la date anniversaire de sa disparation, nous avons décidé de vous les transmettre. Vous les retrouverez à la suite de l’article écrit par Bruno Cadène. « Le 16 mars 1973, Grenoble accueille pour un match amical dans son antre de Clémenceau, la redoutable équipe du Dukla de Jihlava, le club de l’Armée à l’époque 6 fois champion de Tchécoslovaquie. Les dirigeants grenoblois sont subjugués par la technique des joueurs tchèques. Parmi les entraineurs du Dukla, un certain Adolf Sprincl, alors âgé de 49 ans. Et comme le club est orphelin de Pete Laliberté parti un an plus tôt à Lyon et que son successeur Greg Rivet repart au Canada, les Brûleurs de Loups sont à la recherche d’un entraineur. C’est alors que Jean-Loup Dalaison, secrétaire du club grenoblois, tente sa chance et demande aux dirigeants Moraves s’il serait possible, par hasard… L’été se passe, pas de nouvelle, lorsque soudain, en septembre, débarque Monsieur Sprincl, l’un des 8 seuls entraineurs de son pays à posséder un diplôme de première catégorie et premier entraineur tchécoslovaque à être autoriser à venir en France ! Adolf Sprincl va profondément marquer le hockey grenoblois, au niveau de Pete Laliberté. Tout d’abord, il fait remonter immédiatement l’équipe première en élite (les BDL étaient descendus la saison passée) mais surtout il les fait entrer dans l’ère moderne : préparation physique, course à pied, musculation, et entraînement physique tous les dimanches à 6 heures du matin le lendemain des matches ! Les BDL découvrent le haut niveau. Il fait également accéder à l’élite la génération Treille-Le Blond qui ira ensuite vers le premier titre de champion de France du club en 1981. Adolf restera trois ans (c’était la durée de son autorisation de la part des autorités communistes tchécoslovaques), avec des stages d’intersaisons à Jihlava au plus haut niveau. Il revient au club ensuite à Grenoble, son club de cœur, à sa retraite pour s’occuper du hockey mineur et sortir encore de nouvelles générations de Brûleurs de Loups. Adieu Monsieur Sprincl et merci pour tout ce que vous avez apporté aux BDL ! » Equipe Junior de Grenoble de 1975 - Photo Pierre-Eric Girod Maren Jean-François (ancien attaquant) : « Adolf a été le premier entraîneur à nous faire jouer à 3 lignes et pour cela il a pris le temps de nous former. Ce qui pour le championnat français était une première car la plupart des équipes jouaient à 2 lignes, avec un gros renfort canadien qui, souvent, était un « buteur ». Il a aussi imposé la musculation et le hors glace. Sa vision à long terme l’a amené à structurer le hockey mineur (qui était à l’époque notre pépinière, notre centre de formation), passant beaucoup de temps avec les équipes mineures, imposant ses méthodes de formation tchèques. Son but était de former des joueurs à la compétition de haut niveau, capables d'occuper les places de notre équipe élite. Ses compétences, son savoir faire ont servi à de nombreuses générations de joueurs issus du club de Grenoble qui, pour la plupart, ont tenus leurs promesses en championnat et en sélections nationales. C'est sur ses bases que notre école de hockey a été orientée vers le modèle de formation des pays de l'Est et sous son influence, disons pour faire court, jusqu’aux années 1998/2000. On voit l'importance, pour une équipe dirigeante, d’avoir une vision à moyen et long terme, car il faut des années pour obtenir d’un club formateur qu’il applique un type de jeu. Adolf nous a appris que vouloir rester au plus haut niveau, c’est être en capacité d’innover, de créer une dynamique du projet sportif, et de travailler ensemble, ce qu’il a très bien su démontrer. Il nous a appris qu’on demande beaucoup à ses joueurs, et que l’on obtient beaucoup d’eux grâce à la qualité relationnelle, humaine, au respect, à l’humilité et à la reconnaissance que l’on sait rendre. Cet homme, riche de ces qualités humaines, nous a inspiré dans nos choix et dans nos actions. Lorsque certains parmi nous ont eu la responsabilité de participer à la formation de jeunes joueurs du club, son influence a orienté de façon inconsciente (j’en suis persuadé, car l’on apprend toujours de ses maîtres), le contenu de notre travail. Adolf tu es parti, mais ton sourire, ton rire, ton accent, tes expressions sont à jamais gravés dans les cœurs de ces « gamins » grenoblois que nous sommes, et qui ont eu la chance de te connaître. Guennelon Gérald (ancien défenseur puis entraîneur des BDL de 2003 à 2007, DTN) : « Suite à l’annonce du décès de monsieur Sprincl, je tenais à vous faire part de toutes mes condoléances à sa famille. L’ayant fréquenté à Grenoble, je me souviens bien de son dévouement pour les jeunes joueurs dans ce club dont plusieurs lui doivent beaucoup ! » Ménage Nicolas (Hockeyeur au GHC puis au CSGG puis des Brûleurs de loups Grenoble de 1970 à 1987) : « J’apprends avec beaucoup de tristesse la mort d’Adolf Sprincl, personnage haut en couleurs, entraineur génial, mais surtout c’était quelqu’un de bien et ça se voyait tout de suite. Adolf est arrivé à Grenoble au début des années 70, à l’époque je jouais benjamin ou minime avec le regretté Pierre Piccinini et plein d’autres gars dont la liste figure certainement dans les archives du club. Adolf était un bonhomme pas très grand un peu rondouillard -mais costaud- avec des cheveux gris taillés en brosse et un regard intense qui lui conférait une autorité naturelle assez impressionnante. Pour les gamins que nous étions, il avait l’air vieux et on était plutôt intimidés. Avec lui c’était old school, pas du tout flower power. Comme il baragouinait un français ultra rudimentaire avec un accent à couper au couteau et entrecoupé de jurons en tchèque, on s’est copieusement foutu de sa gueule en l’imitant, mais je ne crois pas qu’on l’ait jamais fait en lui manquant de respect. Ses « kurva », « nimportepakoi » et « kesketusefaitmonndieu », sans oublier le fameux « passpassbut » sont entrés dans la légende, et aujourd’hui encore quand je croise des gars de l’époque, ils refont immanquablement surface. Mais le charisme d’Adolf ne s’arrêtait pas à son langage pittoresque. En fait ce gars-là a amené à plusieurs générations de joueurs une vista nouvelle sur le jeu, la circulation du palet, l’entrainement et le comportement sur la glace. J’en veux pour preuve qu’un an seulement après son arrivée, nous devenions champions de France minimes sans avoir concédé la moindre défaite (si ma mémoire est bonne). Adolf était un type compétent et intègre capable de colères homériques parce qu’il ne faisait pas de concessions. A la fois attachant et très réservé (il ne parlait jamais de sa vie privée) il faisait ce qu’il avait à faire avec une force de conviction contagieuse et je pense qu’il nous apporté beaucoup plus que ce que nous étions en mesure d’apprécier sur le moment. Pour moi il a été sans aucun doute le personnage le plus déterminant dans ma carrière de hockeyeur, un homme qui donnait au jeu une dimension et un intérêt supérieurs. Et qu’est-ce que le jeu sinon le reflet de nos aspirations ? Adolf Sprincl était un homme qu’on ne peut pas oublier, je m’associe à la douleur de ses proches et leur dédie ce témoignage. » Arcangeloni Stéphane (ancien attaquant) : « J'ai 42 ans maintenant et j'ai pratiquement fait toute ma carrière à Grenoble ou j'ai eu la chance de croiser la route de ce grand entraineur au grand cœur. Il m'a entrainé pendant pas mal d'années à Grenoble et avec lui nous avons gagnés chaque année le titre de champion de France dans les catégories mineures. J'ai passé des moments de rigolades également en dehors du hockey, c'était des moments inoubliables avec une gentillesse incroyable. C'est pour cela que je tenais à lui rendre hommage et lui dire une dernière fois de là-haut, que j'ai été fier d'être un de ces joueurs de son équipe. » Girod Pierre-Eric (ancien gardien de but) : « Adolf a été quelqu'un de très important dans mon implication dans le hockey. Pour moi Adolf, c'est toujours (en phonétique) : «Kroutsifix navol !! Ce que tu se fais, ça n'est rien. Tu se là … tranquille ... Pas patine, pas gagner». Ca changeait des «Tabarnak ! Osti d’câlice ! Cibouère !» qui était l'accent du hockey, à l'époque. Adolf, c'était surtout cette nouvelle approche du hockey, à une époque où il se déclinait en québécois et où le rideau de fer était une sorte de Styx au-delà duquel des choses bien mystérieuses semblaient se passer. Où les équipe de hockey représentaient une sorte d’envie et de fascination imprégnée d’admiration, mais aussi de craintes pour des méthodes réputées tyranniques d'entrainements, peut-être réelles mais peut-être aussi fruits de légendes urbaines. Adolf démystifiait certaines impressions mais confirmait certaines, et nous n'avons jamais mis sa parole en doute, il n'était pas du monde de la fanfaronnade, de l'esbroufe ou de la vantardise. Il avait juste l'intention de transmettre son savoir. Son savoir, justement. Où l'avait-il acquis ? Avait-il été joueur ? Où ? Quand ? Je ne le lui ai jamais demandé. Qui l’a fait ? Qui le sait ? Et le rideau de fer, justement ; ça ne plaisantait pas avec les sorties de territoire en Tchécoslovaquie. Je me souviens de ce premier stage en Tchécoslovaquie, en 74 avec une ribambelle de gars venus de plein de clubs. Et cette visite des grottes de je ne sais plus où avec quelques incidents qui ont vraiment fait craindre le pire à Adolf. » Equipe Villard 1981 - Photo Daniel Drogue Fontanel Jacques (papa d’anciens joueurs) : « Mes trois enfants ont eu Adolf Sprincl comme entraineur. Ils viennent de me faire savoir cette triste nouvelle. C'était un très grand entraineur aussi bien pour les seniors que pour les catégories mineures. Il a conduit toute une génération au titre de champion de France. - Son français était relativement hésitant et souvent approximatif. Il parlait peu, mais ses phrases étaient souvent de véritables slogans. Dans le vestiaire, il avait coutume de dire "pas patine, pas gagner", pour rappeler que sans la volonté de bien patiner il était impossible de gagner un match. Cette phrase, je crois que tous les enfants qui l'ont eu comme entraineur l'ont toujours gardée en mémoire et, pendant les matchs, devait se la rappeler en conservant l'accent tchèque qui lui allait si bien, notamment pour la mémorisation. - Il n'aimait pas changer ses lignes, même lorsque l'équipe ne produisait pas le jeu escompté. Il considérait que c'était comme cela qu'il avait conçu le match pendant l'entrainement et que celui-ci était le lieu des bonnes décisions à venir. Les trois lignes se succédaient sans aucunement déroger à la règle, sans insister sur les deux premières lignes. En revanche, à la fin de tous les tiers-temps, il était capable d'une "invention" pendant deux minutes, qui s'avérait être une bonne intuition. Au retour du tiers temps suivant, il reprenait le match avec les lignes habituelles. - En finale d'un championnat de France cadet, le dernier match impliquait pour Grenoble une victoire de plus de huit buts. A la fin du deuxième tiers-temps, deux buts d'écart seulement séparaient les deux équipes. Adolf qui était alors le coordinateur de l'ensemble des équipes mineures est allé voir l'entraineur pour lui proposer le changement d'un joueur par ligne, pour organiser une première ligne défensive et une seconde ligne très offensive. L'équipe gagna alors son pari et devint championne de France, dans une arène de Clémenceau pleine à craquer, dans une ambiance incroyable. » Partouche Patrick (ancien joueur) : «Je faisais partie de l’équipe championne de France junior qu’Adolf a entrainé à Grenoble. En 43 ans de hockey et après avoir connu différents entraineurs, Adolf était un homme gentil et drôle. C’était notre premier entraineur des pays de l’Est. Nous avons eu du mal au début car pas habitués à une discipline quasiment militaire. Nous avons compris ensuite lors d’un séjour chez Adolf à Hilava (en fait une ville militaire) pourquoi Adolf était si strict. Les joueurs tchèques arrivaient à l’entrainement en tenue militaire pratiquement au pas. Je me souviens qu’il n’aimait pas quand nous arrivions à la patinoire main dans la main avec notre copine. Si par hasard elle était un peu trop maquillée, il nous disait qu’elle avait trop de peinture sur le visage. Voilà une page du hockey qui se tourne. On l’aimait bien Adolf malgré qu’il nous a fait fuir quelques copines !!!!!!!!!!!!!!! » Sozzi Jean Claude (ancien gardien de but) : « J'ai eu Adolf comme entraîneur pendant 3 saisons. Un entraîneur qui nous a fait travailler un peu à la tchèque. Discret, un homme charmant. » Biguet Jimmy (ancien défenseur) : « Mon nom est JIMMY BIGUET. Dirigeant du club de Grenoble, je témoigne qu’Adolf a laissé un très grand souvenir à Grenoble. L'homme tout d'abord d'une grande gentillesse. Il a habité dans ma propre maison et nous nous voyions continuellement......mais bien sûr il faut rendre hommage à sa fonction d'entraineur avant tout. Il a apporté son immense compétence avec lui, remplaçant les entrainements empiriques par une méthodologie rigoureuse, une exigence et une technicité qui a fait sortir le club de Grenoble de l'"a peu près"" Je suis convaincu que nous lui devons la brillante génération de joueurs qui fut championne de France un peu plus tard. Je présente à sa Famille mes plus sincères condoléances. Adieu Adolf Grenoble ne t'oubliera pas. » Martin Pierre (ancien capitaine) : « Je suis Pierre MARTIN, j'ai joué et été capitaine de Grenoble dans les années 70's, avec à l'époque des gens comme les frères Leblond, etc. J'ai bien connu Adolf qui a été mon premier entraîneur à Grenoble. J'appréciais beaucoup Adolf. Je pense qu'il a énormément apporté au club à cette époque. C'est lui qui a fait passer le club d'une approche empirique à une façon plus rigoureuse, plus organisée du hockey. Avec les résultats que l'on a connus par la suite. J'ai d'excellent souvenirs de cette période, notamment des stages en Tchécoslovaquie, au milieu des années 70's - c'était derrière le rideau de fer - qui resteront, tant sur le plan sportif que sur le plan humain comme de grands moments de notre jeunesse. Je pense qu'on lui doit aussi des matches ahurissants dans l'ancienne patinoire Clémenceau, où, partant de quelques 300 spectateurs au début, en 74, nous avons terminé la décennie avec plus de 4000. Sa gentillesse bourrue, son accent, ses expressions inimitables, son sérieux et son humour que l'on ne comprenait pas toujours, resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Son décès m'attriste.» Claude Chaffanel (ami) : « C’était un ami avec qui j’ai beaucoup voyagé comme chauffeur et je l’ai aidé à superviser les rencontres. Adolf était inconnu à son arrivée qui s’est fait beaucoup d’amis avec son travail, sa gentillesse et sa simplicité. Il n’était pas arrogant. » Photo Julien Novella Merci à Novella Julien (ancien défenseur), Pierre Eric GIROD et Daniel Drogue pour les photos illustrant cet article et à Jean-François Maren.