Réception des programmes télévisés par les adolescents

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Réception des programmes télévisés par les adolescents
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
Julie Sedel
Maitre de conférence, IUT de Strasbourg
Membre associée au CESSP-CSE
1
2008
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
2
LA RECEPTION DES PROGRAMMES TELEVISES PAR
LES ADOLESCENTS : UN ETAT DE LA QUESTION.............4
Par Julie Sedel ...............................................................................4
A- Un état des lieux de la littérature scientifique .....................5
I. Panorama des études de réception de la télévision............5
Les études sur les effets .......................................................5
Le courant des usages et des gratifications : une perspective
dominante parmi les études sociologiques sur la télévision et
les enfants............................................................................7
L’approche culturaliste ........................................................7
Les études de réception........................................................9
II. Les travaux sur la réception de la télévision par les
adolescents ........................................................................... 10
Michel Souchon, La télévision des adolescents, Paris, les
éditions ouvrières, 1969 ..................................................... 10
Dominique Pasquier, La culture des sentiments. L’expérience
télévisuelle des adolescents, Paris : éditions de la Maison des
sciences de l’homme/Mission du patrimoine ethnologique,
Paris, 1999......................................................................... 14
Duret, Pascal, de Singly, François, « L’école ou la vie. ‘Star
academy’, ‘Loft story’ : deux modèles de socialisation », Le
Débat n° 125, mai-août 2003, p. 155-67............................. 21
III. Les enquêtes quantitatives sur les comportements
médiatiques des jeunes. ....................................................... 22
« Les jeunes et l’écran », Réseaux n°92-93, 1999. .............. 22
Josiane Jouet, Dominique Pasquier, « Les jeunes et la culture
de l’écran. Enquête nationale auprès des 6-17 ans », Réseaux
n°92-93, 1999, p. 27-102. .................................................. 23
Sylvie Octobre, « Les 6-14 ans et les médias audiovisuels.
Environnement médiatique et interactions familiales »,
Réseaux n°119, 2003, p. 95-120......................................... 28
Pierre Corset, « L’identité du jeune téléspectateur »,
Document de l’INJEP, supplément au n°13, Mars 1995. ....30
IV. Les monographies sur des médias autres que télévisés 31
Hervé Glevarec, Libre antenne. La réception de la radio par
les adolescents, Paris : Armand Colin/INA, (collection
« médiacultures »), 2005. ...................................................32
Eric Maigret, « ‘Strange grandit avec moi’. Sentimentalité et
masculinité chez les lecteurs de bandes dessinées de superhéros », Réseaux, n°70, 1995, p. 79-103.............................36
B – Les débats sous-jacents à la question de la réception des
programmes télévisés par les jeunes .......................................37
I- Le thème des effets des médias télévisés sur les
comportements violents .......................................................37
Hilde T. Himmelweit, A.N. Oppenheim, Pamela Vince,
Television and the child. An empirical study of the effect of
television on the young, London, New York, Toronto: Oxford
University Press, 1958. ......................................................37
Médias et violence », Les cahiers de la sécurité intérieure,
IHESI, n°20, 1995..............................................................43
Barbara Wilson, « Les recherches sur médias et violence :
agressivité désensibilisation peur », Les cahiers de la sécurité
intérieure n°20, 1995, p. 21-37. .........................................45
George Gerbner, « Pouvoir et danger de la violence
télévisée », Les cahiers de la sécurité intérieure n°20, 1995,
p. 38-49. ............................................................................45
Frau-Meigs, Divina, « Les écrans de la violence, cinq ans
après… La question de l’acculturation », in Lardellier (dir.),
Violences médiatiques. Contenus, dispositifs, effets, Paris :
L’Harmattan, 2004, (coll. « communication et civilisation »),
p. 55-80. ............................................................................47
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La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
3
Tisseron, Serge. Enfants sous influence. Les écrans rendentils les jeunes violents ?, Paris : Armand colin, 2000. .......... 50
Rudman Laurie A. et Lee, Matthew R., « Implicit and
explicit consequences of exposure to violent and
mysogynous rap music », Group processus & intergroup
relations, vol., 5, n°2, 2002, p. 133-155. ............................ 53
II. Le thème de l’éducation aux médias .............................. 53
Masselot-Girard, Maryvonne (dir.)/GRREM, Jeunes et
médias. Ethique, socialisation et représentation, GRREM,
Paris : L’Harmattan, 2004. ................................................. 54
Jacquinot, Geneviève, (dir.), Les jeunes et les médias.
Perspectives de la recherche dans le monde, GRREM, Paris :
L’Harmattan (coll. « Débats Jeunesses »), 2002 ................. 54
Maguy Chailley, « Apprendre par la télévision, apprendre à
l’école », Réseaux, vol. 13, n°74, 1995, p. 31-54................ 55
Geneviève Jacquinot, « La télévision : terminal cognitif »,
Réseaux n°74, 1995. .......................................................... 57
Joseph Meyrowitz, « La télévision et l’intégration des
enfants », Réseaux n°74, 1995, p. 55-88............................. 58
Buckingham, David, Children talking television. The making
of television literacy, London, Washington, D.C: The falmer
press, 1993......................................................................... 59
Mireille Chalvon, Pierre Corset, Michel Souchon, L’enfant
devant la télévision des années 1990, Paris : Casterman,
1991................................................................................... 64
François Mariet, Laissez-les regarder la télé. Le nouvel
esprit télévisuel, Paris : Calmann-Levy, 1989..................... 67
Judith Lazar, Ecole, Communication, télévision, Paris : PUF,
1985 .................................................................................. 68
Evelyne Pierre, Jean Chaguiboff, Brigitte Chapelain, Les
nouveaux téléspectateurs de 9 à 18 ans. Entretiens et
analyses, Paris : INA/La documentation française, (coll.
« Audiovisuel et Communication »), 1982. ........................70
III. Les autres questionnements ..........................................72
1) La question de la légitimité culturelle.............................72
Pasquier, Dominique, Cultures lycéennes. La tyrannie de la
majorité, Paris : Autrement, 2005.......................................74
Philippe Coulangeon, « Lecture et télévision. Les
transformations du rôle culturel de l’école à l’épreuve de la
massification scolaire », Revue française de sociologie, 48-4,
2007, p. 657-691. ...............................................................79
2) Le débat autour des catégories d’âge et d’origine sociale
..............................................................................................81
Eric Neveu, « Pour en finir avec l’ ‘enfantisme’ », Réseaux,
n°92-93, p. 175-201. ..........................................................81
Martine Piriot, Pierre Charbonnel, « Télé-visions.
Significations sociologiques de la télévision, activité de
loisirs », Revue française de pédagogie, n°109, oct.-nov.-déc.
1994, pp. 79-88..................................................................83
Olivier Donnat, Florence Levy, « L’approche générationnelle
des pratiques culturelles et médiatiques », Culture,
Prospective, pratiques et publics, 2007-3, juin 2007...........86
Annexes ....................................................................................88
Rapports ministériels...........................................................88
Kriegel, Blandine, La Violence à la télévision : rapport à
M. Jean-Jacques Aillagon ministre de la culture et de la
communication, Ministère de la Culture et Communication,
Paris, 2002. ........................................................................89
Denis Gouvernet, L’impact de la télévision sur les publics
jeunes. Problématiques, réponses et propositions (Marly-leRoi : INJEP, 1999). Rapport remis au ministre de
l’Education, de la Jeunesse et des Sports. ...........................89
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LA RECEPTION DES PROGRAMMES TELEVISES
PAR LES ADOLESCENTS : UN ETAT DE LA
QUESTION.
Par Julie Sedel
Cette étude vise à constituer un état des lieux de la question de la
réception par les adolescents des programmes télévisés à partir d’une
recension d’ouvrages et d’articles. Quels sont les travaux existant sur
ce thème ? En quoi diffèrent-ils les uns des autres du point de vue de
des problématiques, des méthodes et des résultats ? Plusieurs points
méritent, au préalable, d’être soulignés. En premier lieu, la
production scientifique sur les relations entre les jeunes et les médias
a surtout porté sur les enfants et non pas sur les adolescents.
Deuxièmement, ce thème a été confronté à une imposition de
problématique forte, celle des effets supposés ou réels de la
télévision sur les comportements. Or, de nombreux travaux ont
permis de dépasser la problématique des effets pour s’intéresser aux
usages, aux conditions sociales de réception.
Parce que les conditions de production de la recherche sont aussi
importantes que ses résultats, il est légitime de s’interroger sur la
façon dont un questionnement sur « les jeunes et les médias » est
parvenu à s’imposer non seulement dans la littérature scientifique
française mais aussi dans le débat public.
Un premier aperçu des études réalisées sur cette question, sous
l’angle des enfants, fait apparaître plusieurs groupes : les travaux
scientifiques (publiés dans des revues à comités de lecture et chez
des éditeurs scientifiques), les études réalisées dans le cadre de
commissions ministérielles, enfin, les travaux situés à l’intersection
entre la science et la demande sociale. La confusion entre ce qui
relève de la sphère scientifique, médiatique et politique apparaît à
travers le jeu des simplifications, mais aussi dans la façon dont les
chercheurs qui sont engagés dans l’espace des études sur les
relations entre les jeunes et les médias circulent entre les revues
scientifiques, les rapports ministériels et les publications
institutionnelles et/ou associatives. Indice de la porosité des
frontières entre ces domaines, plusieurs ouvrages peuvent être
classés dans la catégorie des essais ou des prises de position et ceci,
malgré l’appartenance de leurs auteurs au champ académique et la
rigueur de leur démonstration.
Indice de leur proximité avec le sens commun, ces ouvrages ne comportent pas de
bibliographies, les références étant directement inscrites en bas de page. Le livre
de François Mariet, Laissez-les regarder la télé, Paris : Calmann Lévy, 1989,
prend ainsi position pour la télévision, comme le résume la quatrième de
couverture : « Enfin un livre qui prend le parti de la télévision et des enfants. Un
universitaire qui rompt avec les lamentos convenus ». Et plus loin : « admettons
une fois pour toute que la télé est le média de leur génération, et cessons de
vouloir la réglementer en leur nom ». L’auteur est présenté comme étant
professeur à l’université de Paris Dauphine et maître de conférences à l’Institut
Politique de Paris. De plus, il enseigne régulièrement aux Etats-Unis. Enfin, il est
consultant auprès d’un groupe privé. Autrement dit, sa légitimité repose sur sa
double insertion dans le milieu universitaire et dans le milieu de l’entreprise,
doublée d’une expérience à l’étranger, qui plus est, aux Etats-Unis. A l’opposé, en
termes de prise de position, se trouve l’ouvrage de Liliane Lurçat, La manipulation
des enfants (Paris : Editions du Rocher, 2002). « Directrice de recherche honoraire
au CNRS en psychologie de l’enfant » et auteure de « nombreuses publications »
sont les seules informations biographiques qui s’offrent à la lecture de la
quatrième de couverture. Le propos y figure de manière assez éloquente : « les
enfants sont soumis à un véritable bombardement émotionnel », « la porosité de
l’école aux influences les manipulateurs professionnels la rend inapte à instruire et
à protéger les enfants »… Ici, la théorie du complot perce à demi mots le propos
de l’auteur. Ces deux exemples illustrent non seulement la façon dont le débat est
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lui-même polarisé mais aussi la façon dont le capital scientifique peut être
mobilisé dans le débat public pour asseoir un point de vue1.
Dans ce rapport, nous avons privilégié les analyses scientifiques,
reposant sur des enquêtes empiriques, tout en prenant en compte des
travaux qui nous sont apparus comme significatifs d’un courant ou
d’une prise de position. S’agissant de la présentation des ouvrages et
articles, on a tenté de dégager toutes les fois que cela était possible,
et pour chaque publication, la problématique proposée par les
auteurs, la méthodologie et les principaux résultats. Les études
réalisées dans le cadre de commissions ministérielles figurent en
annexe2. Cet état des lieux ne prétend pas à l’exhaustivité. Compte
tenu du temps qui nous était imparti, certaines disciplines telles que
la psychologie, la sémiologie ont été écartées au profit de la
sociologie. Que les chercheurs appartenant à ces domaines et ceux
dont les travaux n’ont pas, faute de temps, été traités en détail,
veuillent bien nous excuser. Ce rapport est divisé en deux parties. La
première expose les principaux travaux scientifiques existant autour
de la question (A). La seconde partie présente les débats qui
traversent ces recherches (B).
A- Un état des lieux de la littérature scientifique
Cette partie est divisée en quatre rubriques. La première rappelle les
différents courants d’étude de réception des médias (I). La deuxième
expose les travaux français réalisés sur la réception de la télévision
par les adolescents (II). La troisième rubrique aborde les enquêtes
statistiques à grande échelle sur les comportements médiatiques des
jeunes en général (et donc, pas seulement les adolescents) (III). La
quatrième rubrique s’intéresse aux travaux portants sur les
consommations médiatiques adolescentes en dehors de la télévision
(IV).
I. Panorama des études de réception de la télévision
Avant d’exposer les travaux sur les relations entre les adolescents et
la télévision, il importe de rappeler les différents travaux et courants
de recherche sur les publics. Klaus Bruhn Jensen et Karl Erik
Rosengren ont distingué cinq traditions à la recherche du public : la
recherche sur les effets, les recherches sur les usages et gratification,
l’analyse littéraire3, l’approche culturaliste, les études de réception4.
Les études sur les effets
1
Afin d’objectiver le sous-champ des études sur la réception des médias par les
jeunes et d’en saisir de la sorte les logiques, une étude sur la circulation des
chercheurs reste à faire. Quels sont les chercheurs qui travaillent sur ce thème ? A
quelle discipline appartiennent-ils ? Quelles sont leurs orientations théoriques,
méthodologiques ? Quelle position occupent-ils dans l’univers académique, le
milieu bureaucratique, associatif, politique, médiatique ?
2
Jean Cluzel, Jeunes, éducation et violence à la télévision, Paris, PUF, 2003 ; La
violence à la télévision, rapport de Blandine Kriegel à monsieur Jean-Jacques
Aillagon, Ministère de la Culture et de la Communication, 2002.
Les recherches en communication de masse sur les effets ont
souvent répondu à des frayeurs confuses et exagérées. Elles ont suivi
des options différentes, allant de l’idée d’effets puissants à celle
3
Cette approche, parce qu’elle s’intéresse davantage aux textes qu’aux publics,
n’a pas été traitée dans cette sous-partie.
4
Klaus Bruhn Jensen, Karl Erik Rosengren, « Cinq traditions à la recherche du
public », Hermès, n°11-12, 1992, p. 281-310.
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d’effets faibles, d’effets directs à court terme à l’idée d’effets diffus
à long terme. De même, la représentation du récepteur a changé, du
téléspectateur passif, on est passé au téléspectateur actif. Des
variations sont apparues entre différents types de recherches, les
recherches expérimentales étant plus enclines à chercher des effets
directs, puissants et immédiats subis par des récepteurs passifs
(Jensen, Rosengren, 1992 : 283). Les chercheurs travaillant sur la
réception distinguent généralement deux grands paradigmes : celui
des effets directs et celui des effets indirect. Au premier sont
associés les travaux de l’école de Francfort dont la dénonciation de
l’aliénation des consommateurs des « industries culturelles » conduit
à une « vision réifiée et misérabiliste du public de masse amorphe et
passive » (Le Grignou, 2003 : 14). L’image d’un public passif
remonte en fait à la période de l’entre-deux guerres, marqué par le
poids de la propagande dans un contexte de montée du fascisme.
Dans Le Viol des foules (1939), Serge Tchakhotine montre que la
propagande agit directement sur le cerveau, et transforme les
récepteurs en automates. A partir des années 1940, les chercheurs
Américains, marqués par la popularité des statistiques et des
méthodes quantitatives, aspirent à produire des « preuves
scientifiques » de l’influence des médias sur les attitudes et les
comportements des individus. En 1940, Paul Lazarsfeld, crée à
l’université de Columbia de New York le Bureau of Applied
Research. S’opposant à la thèse des effets directs des médias, son
équipe montre que « la communication de masse n’agit qu’au sein
d’un réseau complexe de canaux d’influence, le pouvoir des médias
consisterait plutôt à renforcer les facteurs de changement déjà
existants chez les individus » (Proulx, 1995)5. Trois arguments
viennent infirmer l’argument d’un effet direct : la sélectivité (le fait
que le public sélectionne les messages, en fonction de leurs
5
Serge Proulx, « Les perspectives d’analyses des médias : des effets aux usages »,
Les cahiers de la sécurité intérieure, n°20, 2e trimestre 1995, p ; 60-76.
compétences sociales ou cognitives et de leurs convictions
préalables), le réseau de relations interpersonnelles ; la dimension
temporelle (les changements d’attitudes ne sont pas immédiats, mais
se produisent suivant des cycles temporels lents). Selon les
chercheurs de cette école, les relations interpersonnelles auraient une
influence décisive sur les changements d’opinion. Selon Serge
Proulx, le paradigme des effets limités aurait donné naissance à trois
courants : celui des « usages et gratifications », les études sur la
diffusion de l’innovation6, les travaux liés à la théorie de l’écart de
connaissance7. Le paradigme des effets directs des médias a donné
naissance à des sous-disciplines : les recherches sur l’agenda
(agenda setting), les recherches historiques sur les impacts sociaux
des technologies de communication, les travaux liés à la théorie de
l’incubation culturelle des téléspectateurs. La première sousdiscipline ou courant postule que la hiérarchie de l’information se
répercute sur le niveau d’attention accordé par le public. Trois
processus distincts de construction d’agenda apparaissent
imbriqués : l’agenda des décideurs politiques, l’agenda proposé par
les médias et l’agenda souhaité par les citoyens et leurs
représentants. Le second courant a mis en évidence les articulations
entre l’un mode de communication dominant (comme l’écriture,
l’image…) à une époque donnée et d’autre part, le mode de pensée.
Enfin, la théorie de l’incubation culturelle s’inscrit dans le cadre
d’un vaste programme de « recherche sur les indicateurs culturels »,
6
Ce courant propose de prendre en compte, non plus seulement le travail des
leaders d’opinion, mais la totalité des membres des réseaux interpersonnels
pouvant jouer un rôle de filtrage de l’information et influer sur la prise de décision
individuelle.
7
Ce courant se fonde sur l’hypothèse que la façon dont les médias diffusent de
l’information renforce les inégalités sociales et culturelles déjà existantes au sein
de la population. Par exemple, l’impact de la série américaine Sésame street, au
départ destinée aux enfants des milieux défavorisés, était beaucoup plus important
auprès des enfants issus de milieux favorisés.
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mis au point par George Gerbner, à la fin des années 1960. Ce
dernier s’intéresse aux processus et aux contraintes agissant sur la
production des contenus médiatiques, aux contenus des messages
médiatiques, à leur influence sur la perception que les téléspectateurs
se font de la réalité environnante. Cette dernière hypothèse est à la
base de travaux sur l’incubation culturelle qui s’appuie sur une
comparaison entre forts consommateurs de télévision et faibles
téléspectateurs. L’hypothèse de Gerbner est que les forts
consommateurs sont les plus influencés par les schémas stéréotypés
proposés par la télévision. Ce courant s’est surtout fait connaître sur
le dossier de la violence télévisée.
Le courant des usages et des gratifications : une perspective
dominante parmi les études sociologiques sur la télévision et les
enfants
L’approche des usages et gratification rompt avec la perception d’un
public passif en s’intéressant à ce que les gens font des médias et
non à ce que les médias font aux gens. Il s’intéresse aux « besoins »
des usagers, aux usages qu’ils font des médias et aux gratifications
qu’ils en retirent. Le courant des usages et des gratifications reste la
perspective dominante parmi les études sociologiques sur la
télévision et les jeunes (en fait, surtout les enfants) (Blumler et Katz,
19758 : Brown, 1976, Rubin, 1979). Il a en effet été popularisé par
une formule de Wilbur Shramm et son équipe à propos des enfants et
de la télévision : « c’est moins la télévision qui leur fait quelque
chose que les enfants qui font quelque chose à la télévision »
8
Blumler, Jay G. et Elihu Katz (sous la direction de), The Uses of Mass
Communications : Current Perspectives on Gratification Research, Beverly Hills,
California, Sage, 1975.
(Schramm, Lyle, Paerker, 1961 : 1699). Le choix des variables
permettant d’expliquer comment les téléspectateurs sélectionnent et
utilisent les différents types de médias, témoigne d’approches
différentes. En Grande Bretagne, les chercheurs privilégient la
dimension sociologique. Ils insistent sur les variables
démographiques comme la classes sociale et s’intéressent à façon
dont les individus utilisent les médias dans le contexte de leur
appartenance à des groupes sociaux plus larges, comme les sous
cultures adolescentes (Howitt and Dembo, 1974 ; Dembo et
McCron, 1976). A l’inverse, l’approche qui domine aux Etats-Unis
tend à adopter une perspective psychologique. L’accent est mis sur
la personnalité et la motivation des individus et sur la façon dont
différents types de personnalités utilisent les médias dans différents
buts. Cette approche a été accusée de ‘psychologiser’ le social
(Carmen Luke, 1990)10 : le contexte social devient seulement
intelligible en termes de réactions psychologiques et d’expériences
individuelles (Buckingham, 1993 : 16). Pour l’un de ses critiques, le
Britannique David Burckingham, l’utilisation des médias ne reflète
pas forcément des besoins et des préférences personnels
« explicites », les programmes que l’on regarde ne sont pas
forcément ceux que l’on dit préférer, en partie parce qu’on les
regarde souvent avec les autres. Regarder la télévision n’est pas
forcément une activité très consciente, orientée vers un but précis.
L’approche culturaliste
Birgitte Le Grignou rappelle que le courant britannique des Cultural
studies occupe dans la tradition de recherche sur le public une place
9
S
10
Carmen Luke, Constructing the child viewer: An historical study of the
discourse on television and children, 1950-1980. New York: Praeger Press, 1990.
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8
centrale qui tient au nombre et à la qualité de ses enquêtes sur divers
types de consommation culturelle, et notamment télévisuelle, mais
surtout à ses efforts pour penser la nature du public11. Le projet qui
consiste à rendre compte de la parole et des pratiques d’un public
empirique, repose sur un engagement sur le terrain des chercheurs.
Ce courant va donner lieu à plusieurs travaux empiriques sur le
public de télévision.
L’article de Stuart Hall, publié en 1980, pose le cadre théorique du travail des
chercheurs de Birmingham sur les médias et, en particulier, sur la télévision. Il
propose de prendre en considération tous les moments du processus (production,
circulation, distribution/consommation, reproduction) et surtout leur articulation
entre eux. Pour lui, la production et la réception du message télévisuel sont
intimement liés (Hall, p. 31). Mais le produit en lui-même est tout aussi important,
puisqu’il est le support de la transition d’une forme à l’autre. L’auteur étudie sous
les termes de « codage » et de « décodage » les « conditions techniques, sociales,
politiques et les modalités de ces recours aux codes, aux différentes phases du
processus » (Le Grignou, p. 53). L’analyse s’appuie sur la sémiologie et
notamment sur les travaux de R. Barthes. Les discours des médias sont structurés
en sens dominants et « préférés » qui correspondent aux classifications du monde
social, culturel et politique qui constituent un « ordre culturel dominant, même si
ce dernier n’est pas univoque et reste contesté » (Hall, p. 35). Hall rompt avec les
visions mécanicistes ou déterministes du fonctionnement idéologique, il suggère
d’explorer la possibilité de « jeu », fondée sur l’absence de correspondance
nécessaire entre le codage et le décodage : « le premier [codage] peut tenter de
« faire prévaloir », mais ne peut prescrire ou garantir le second [décodage] qui
possède ses propres conditions d’existence » (Hall, p. 36). Hall se démarque du
modèle de la seringue hypodermique, d’une conception mécaniciste et
déterministe de l’idéologie, du fonctionnalisme des tenants des « usages et
gratifications ». S’inspirant de la théorie de la réception de Parkin (1971), qui
distingue trois possibles modalités de construction du sens (« dominante »,
« négociée », « oppositionnelle »), il propose trois positions à partir desquelles des
11
Brigitte Le Grignou, Chapitre V, « Cultural studies et cultures populaires », in
Du côté du public. Usages et réceptions de la télévision, Paris : Economica, 2003,
p. 47-56
décodages des messages télévisuels peuvent se construire selon le degré auquel le
destinataire partage (ou pas) le code de l’émetteur. La première, « dominante
hégémonique » désigne le téléspectateur qui intègre sans restriction le sens
connoté d’informations télévisées (p. 37). La seconde, négociée, renferme des
éléments « adaptatifs et oppositionnels », la troisième, « oppositionnelle » désigne
le téléspectateur qui comprend le discours mais le décode d’une manière contraire.
Le Grignou souligne la dimension politique de la démarche de Hall qui s’intéresse
exclusivement au genre informatif et évoque la « lutte au sein du discours » (Hall,
p ; 38, cité par Le Grignou, 2003 : p. 54).
Pour les chercheurs appartenant à ce courant, le message est le
produit de l’interaction entre l’émetteur et le récepteur. Cette
approche rompt avec celle qui dominait dans la Grande Bretagne des
années 1970, sous le nom de « théorie de l’écran ». Pour dire vite,
l’accent était surtout mis sur les textes et peu sur le public. David
Morley s’appuie sur des discussions au sein des focus groups sur le
public du magazine d’actualité Nationwide pour valider l’hypothèse
d’une diversité de « lectures » en relation avec l’origine sociale et
culturelle des téléspectateurs. Partant de l’idée « qu’il n’y a pas de
texte innocent », et que les émissions les plus divertissantes jouent
un rôle idéologique important, il choisit une émission d’actualité qui
vise un public populaire. Il construit 29 groupes relativement
homogènes auxquels il projette la même séquence. Les
commentaires des téléspectateurs sont évalués afin de rendre compte
des structures, les compétences qui « informent » les interprétations
ou décodages. Ce travail se présente comme la vérification
empirique du modèle de codage/décodage de Hall.
Une chercheuse néerlandaise, Ien Ang, va s’inspirer du modèle de
David Morley pour étudier les ressorts du plaisir éprouvé par les
téléspectateurs de la série Dallas (Ang, 198512). Elle met l’accent
12
I. Ang, Watching ‘Dallas’: soap opera and the melodramatic imagination,
London, Methuen, 1985.
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sur les pratiques et les expériences liés à la télévision, rompant ainsi
avec la notion « d’audience de la télévision » qui est à ses yeux, est
une catégorie du discours institutionnel et des professionnels de la
télévision (Ang, 1991, p. 13 et 15513). L’approche culturaliste
soulève des questions à la fois théoriques et politiques sur le public.
Il s’agit, pour ces chercheurs, de savoir si certains publics qui font
appel à des schémas d’interprétation réfractaires à l’ordre social
dominant, peuvent résister aux constructions de la réalité des massmédias.
Les études de réception
L’objectif des études de réception est d’appréhender le processus de
réception lui-même afin de voir en quoi il affect les usages et les
effets des contenus médiatiques. Les approches culturalistes sont
présentes dans les études de réception qui regroupent plusieurs
formes de recherches qualitatives dans le souci d’intégrer des
perspectives sociologiques et littéraires (Jense, Rosengren, 1992 :
286). Eliuh Katz et Tamar Liebes se sont intéressés aux
interprétations différenciées des messages offerts lorsqu’ils sont
décodés par des individus issus de milieux sociaux différents. Eliuh
Katz et Tamar Liebes comparent le décodage du feuilleton
américain, Dallas, par des téléspectateurs de différentes origines en
Israël (résident arabes, immigrants russes, colons marocains…), aux
Etats-Unis et au Japon. Ils insistent sur l’impact des interactions
interpersonnelles et des conversations entre téléspectateurs dans le
travail d’interprétation des contenus des émissions14. James Lull
aborde une approche ethnographique de l’écoute de la télévision en
familles et montrant comment ces dernières développent des modes
spécifiques de communication domestique15… Jense et Rosengren
souligne que ces études partent des lacunes manifestées par les
recherches littéraires et par les recherches sociologiques. Les
premières se focaliseraient trop sur le texte et pas assez sur les
usages, les méthodes sociologiques ne permettraient pas, en leur état,
d’étudier la réception. En France, les travaux de Michel Souchon sur
les publics de télévision, de Patrick Champagne, de Dominique
Boullier et de Dominique Pasquier ont apporté des contributions
importantes aux études de réception. Selon Patrick Champagne, ce
n’est « qu’après avoir pris en compte les usages sociaux de la
télévision et en particulier son intégration dans la vie quotidienne
que l’on peut s’interroger sur les changements qui résultent de sont
introduction dans une société donnée, à un moment donné » (p. 424).
Il s’intéresse aux conditions de réception de la télévision dans
l’univers domestique. Le fait que la télévision soit l’objet d’un mode
de réception familial s’explique par un ensemble de transformations
(urbaines, en particulier) qui ont eu pour effet un repliement de la vie
sociale sur la famille restreinte, en particulier pour les milieux
populaires. Les références à la famille transparaissent dans le
discours et la posture des animateurs et des speakerines, mais aussi
dans le traitement de l’information, et la façon d’aborder les
différents thèmes, sur un mode consensuel et générique. Dans son
enquête sur la « conversation télé » (1987), Dominique Boullier
choisit de se démarquer des approches unidimensionnelles, fondées
sur l’étude d’un programme précis, privilégiant le cadre domestique
pour se porter sur les conversations dans l’espace professionnel, afin
d’étudier la spécificité de l’omniprésence de la télévision. Ce média,
écrit-il, constitue un « élément d’un patrimoine commun », « support
à l’échange conversationnel », ce qui remet en question toute
définition réductrice de la réception en particulier, comme une
13
I. Ang, Desperatly seeking the audience, London : Routledge, 1991.
T. Liebes, E. Katz, The export of meaning, London : Oxford university Press,
1990.
14
15
J. Lull, Inside family viewving : ethnographic research on television’s
audiences, London : Routledge, 1990.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
10
activité isolée dans le temps. Dominique Pasquier propose s’inscrire
les recherches dans la « problématique de l’expérience », mise en
œuvre dans les années 1930, dans les études réalisées sur le cinéma
financées par la fondation Payne (cf. infra). La recherche d’Herbert
Blumer (1933)16 repose sur le récit des adolescents et jeunes adultes
de leur souvenir des films de leur jeunesse, et de l’impact qu’ils ont
eu sur leur vie. Les enquêtés, plus de mille, font d’abord état des
émotions suscitées par les films, puis de leur volonté d’avoir voulu
imiter les personnages montrés. Il en ressort que le pouvoir du
cinéma réside moins dans des effets comportementaux que dans la
constitution de ces souvenirs qui sont constitutifs et contribuent à la
fabrication d’expériences, singulières et communes. C’est bien cette
dimension de la réception comme expérience individuelle et sociale,
comme auto-évaluation et décision d’appartenance même éphémère
à un groupe, qui paraît être au fondement des usages des séries
télévisées par les adolescents tels que les a analysés Dominique
Pasquier », souligne Brigitte Le Grignou (2003 : 117).
II. Les travaux sur la réception de la télévision par les
adolescents
Il existe peu d’enquêtes portant spécifiquement sur la télévision et
les adolescents ce qui tranche avec l’abondante littérature sur la
télévision et les enfants. Soit les études réalisées sur les pratiques
médiatiques des adolescents accordent à la télévision une place qui
n’est pas centrale. Soit, les recherches portant sur les publics de
télévision s’intéressent aux « jeunes » en général, enfants et
16
adolescents compris17. De façon concomitante, on pourrait
s’interroger sur les termes mêmes de la question de départ, dans la
mesure où les adolescents ne font pas partie des catégories les plus
consommatrices de télévision : plusieurs études ont montré qu’ils lui
préféraient les sorties entre pairs.
Michel Souchon, La télévision des adolescents, Paris, les éditions
ouvrières, 1969
L’ouvrage de Michel Souchon est le seul qui traite de la réception
des programmes télévisés par des adolescents « ordinaires ». En
effet, l’enquête de Dominique Pasquier sur les publics des séries
télévisées, outre qu’elle ne porte pas exclusivement sur les
adolescents, s’intéresse davantage à des publics « mobilisés », des
fans. L’étude de Michel Souchon est aussi la première qui prenne en
compte le milieu social comme variable explicative dans la réception
des programmes télévisés, ce qui lui vaut d’être salué par plusieurs
chercheurs (cf. E. neveu, voire infra, par exemple, et le débat sur
l’âge versus milieu social).
Problématique :
17
La revue scientifique (à comité de lecture) Réseaux, spécialisée dans
l’information et la communication, a consacré trois numéros au thème des
« jeunes » et des médias. Le premier, coordonné par Geneviève Jacquinot et
Dominique Pasquier, publié en 1995, portait sur les jeunes et les apprentissages.
Le second, préparé par Josiane Jouët et Dominique Pasquier, en 1999, concernait
« les jeunes et les écrans ». Le troisième, présenté par Hervé Glevarec et Vincent
Caradec, publié en 2003, a traité de l’âge et des médias.
Hebert Blumer, Movies and conduct, New York : Payne Fund Studies, 1933.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
11
Michel Souchon souhaite placer la question des différences
socioculturelles au premier plan de l’analyse des publics adolescents
de télévision. Le questionnement de départ de cette recherche portait
sur la relation entre ce que les réalisateurs souhaitent mettre dans un
programme et ce que les gens croient voir et trouvent dans un
programme de télévision. Le but assigné à l’enquête était de savoir
quel rôle la télévision pouvait jouer dans « le développement
culturel ». Après avoir rappelé le contexte scientifique dans lequel
s’inscrit cette étude, en distinguant quatre approches de la culture de
masse (les médias dans la société de consommation, les analyses de
contenu, le medium et le message, les études sur l’influence des
mass media), puis les travaux se réclamant de la sociologie des
téléspectateurs, aux Etats-Unis, en Angleterre, et en France, Michel
Souchon présente les buts de l’enquête sur la télévision des
adolescents. Le premier objectif de l’enquête vise à valider
« l’hypothèse différentielle ». Les études sur les médias tentent à
occulter le poids des différences sociales sur la réception au
détriment des bouleversements induits par les mass-médias sur les
modes de vie. Un même aveuglement apparaît dans les travaux de
psycho sociologues qui tentent à percevoir les adolescents comme
une classe d’âge relativement homogène.
retranscrits. L’enquête d’ensemble a porté sur 1.445 élèves issus des
classes de seconde et de première des établissements publics et
privés, généraux et professionnels, de Saint-Étienne, âgés de 16 à 18
ans.
Méthodologie :
Michel Souchon revient sur la tendance consistant à privilégier les
différences horizontales d’âges au détriment des différences
verticales. Il propose de montrer l’importance du milieu
socioculturel en faisant intervenir le type d’établissement scolaire
comme variable. Si les différences sexuelles sont faibles en termes
de valeur accordée à la télévision, celles entre établissement sont
L’enquête repose sur des entretiens libres dans un collège
d’enseignement technique et sur une enquête par questionnaire dans
l’ensemble des établissements scolaires de la ville de Saint-Étienne
(p. 36). Situé dans un quartier ouvrier, le lycée technique est un
établissement privé qui prépare des garçons de 14 à 17 ans à divers
CAP. La plupart d’entre eux, issus de milieux très défavorisés,
constituent la première génération scolarisée au-delà du certificat
d’études. 78 entretiens de 20 à 40 minutes ont été enregistrés et
L’ouvrage est divisé en deux parties. La première s’intéresse à ce
que font les adolescents de la télévision, la seconde, à la façon dont
les adolescents comprennent la télévision.
La première partie étudie la place de la télévision dans loisirs. Les
sorties entre camarades, liées au fait que le groupe des pairs joue
comme un « milieu de transition entre la sécurité familiale et la
complexité du monde adulte et des rôles qu’on y attend de lui »,
tiennent la première place dans les loisirs adolescents18, avant le
sport (avec une différence forte entre filles et garçons), la lecture
(avec des différences fortes entre les établissements), le cinéma, la
télévision les disques. La télévision ne constitue pas le loisir
principal des adolescents peut-être aussi parce que son écoute est
souvent familiale et que les adolescents revendiquent leur
indépendance. La télévision ‘mord’ sur le temps consacré à des
activités du même type (ce qu’avait montré Himmelweit et ses
collaborateurs).
18
Michel Souchon renvoie aux analyses de la jeunesse américaine présentées par
N. de Maupeou-Abboud dans « La sociologie de la jeunesse aux Etats-Unis »,
Revue française de sociologie, oct.-déc., 1966, VII-4.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
12
élevées. Les jeunes des CET, un peu mieux équipés en téléviseurs
que les autres, lui accordent plus de valeur que les autres.
Les activités de loisirs sont déterminées par le milieu socioculturel
d’origine montre Michel Souchon. Si les fils d’ouvriers et
d’industriels aiment le cinéma, ils ne vont pas forcément voir les
mêmes films. Autrement dit, « les jeunes sont au carrefour de deux
influences : ils ont les loisirs de leur âge et, en même temps, de leur
milieu (p. 63) ».
Une partie consacrée à l’assiduité de l’écoute indique que les filles
sont moins assidues que les garçons mais cette différence reste faible
comparée à l’établissement fréquenté. Les élèves de CET regardent
beaucoup plus souvent la télévision que les autres. L’écoute quasi
quotidienne s’élève à 70% contre 36-37% des lycées classique et
modernes, enfin techniques. De même l’écoute de la télévision
« tous les jours ou presque » concerne davantage les fils d’ouvriers
(57%) que les enfants de cadre moyen ou d’employés (48%), et
surtout que les enfants de « patrons de l’industrie et du commerce,
profession libérale et cadre supérieur » (35%).
Puis, il montre que la télévision est une habitude, à travers
l’équipement, l’assiduité de l’écoute et les goûts. L’auteur a recueilli
des renseignements sur la consommation effective télévisée des
adolescents, à partir d’une liste de programmes diffusée sur la
première chaîne, la semaine précédent la date de remise du
questionnaire. L’audience des jeunes des CET est supérieure à celle
d’autres établissements en ce qui concerne le sport, les variétés et les
films mais inférieure pour les débats et les dramatiques
« classiques » (p. 75), « ils expriment une grande indifférence aux
problèmes politiques », souligne MS (p. 82). Michel Souchon
suggère de voir dans l’équipement et l’assiduité à la télévision
élevée chez les élèves de CET la confirmation de résultats
d’enquêtes montrant que c’est parmi les membres des nouvelles
classes moyennes (employés de bureau, par exemple), que se
recrutent les gros utilisateurs de mass-média : « ils y cherchent les
modèles de comportement et les schèmes culturels qui leur
permettront de s’assimiler à la classe qu’ils viennent de rejoindre et à
celles qui lui sont immédiatement supérieures et vers lesquelles ils
tendent » (p. 84). Les jeunes des CET sont sélectifs dans leur
réception télévisée, ils ne prennent que ce qui cadre avec leurs
intérêts et leurs « goûts pour le mouvement, l’action, l’extérieur » (p.
85). Il existe un lien entre un programme jugé sans intérêt et un
programme jugé incompréhensible, et réciproquement, entre ce qui
est compris et ce qui intéresse (p. 85).
La télévision est aussi un divertissement, souligne l’auteur qui
souligne la dimension collective de la réception télévisée. Il montre
que les adolescents constituent un public actif dans la mesure où ils
consultent souvent des programmes télévisés pour choisir, s’orienter
et parfois approfondir les émissions regardées. La télévision est
reçue par des individus inscrits dans des groupes et d’abord de la
famille. Elle fait l’objet de discussions fréquentes en famille, avec
les camarades, dans les foyers de jeunes. Certaines émissions
suscitent davantage de discussions familiales (les énigmes policières,
les feuilletons à suspense et les jeux) que d’autres : les discussions
sur les variétés sont plus rares, compte tenu des différences de
génération, tout comme les discussions sur les émissions politiques.
Il conclut que les discussions, plutôt superficielles, autour de la
télévision sont le reflet de la difficulté des conversations dans
beaucoup de foyers (p. 97). Pour les élèves de CET placés devant le
dilemme télévision : éducation ou distraction, c’est la seconde option
qu’ils choisissent. Michel Souchon souligne également le processus
d’identification et de projection des jeunes garçons qui conservent
néanmoins une « distance ludique ». De même, la connaissance des
techniques de télévision n’est pas la même pour tous.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
13
La deuxième partie est consacrée à la compréhension par les
adolescents des émissions de télévision. Sur ce point, les différences
sont plus nettes entre élèves de CET qui disent éprouver des
difficultés de compréhension et élèves d’autres établissements
(techniques, classiques et modernes) que les différences sexuelles ou
entre jeunes d’âge différents. Des différences comparables
surviennent lorsqu’on fait intervenir la CSP du père (p. 134, 35 %
des fils de patron de l’industrie ou du commerce, profession libérale
ou cadre supérieur disent éprouver des difficultés de compréhension
contre 49% des jeunes dont le père est ouvrier). De façon générale,
les jeunes n’ont pas conscience des difficultés de compréhension des
émissions. Ces difficultés s’expliquent par la distance sociale aux
biens culturels, que ce soit au niveau du codage de ces émissions
qu’à celui du langage utilisé (la critique des fils sous-titrés est
récurrente chez les jeunes des CET). Une autre raison invoquée pour
expliquer les difficultés de compréhension, chez les jeunes, c’est le
« sentiment d’exclusion », c'est-à-dire le sentiment que l’émission
est réservée à une autre catégorie de personnes.
Après avoir traité de ce que les adolescents disent des problèmes de
compréhension, l’auteur interroge « l’intelligence de la narration »,
c'est-à-dire ce que les jeunes retiennent des émissions qu’ils
regardent.
Une enquête préliminaire à l’enquête stéphanoise a été menée sur la
compréhension de différentes émissions (un épisode de la série
policière les cinq dernières minutes et une émission de reportage sur
la question cathare diffusée dans La caméra explore le temps) auprès
de deux écoles techniques parisiennes situées à la Porte des lilas. Les
élèves devaient produire un résumé des émissions présentées,
répondre à un questionnaire demandant de ranger par ordre de
passage à l’écran, des photographies et de commenter les
personnages représentés. Un autre questionnaire fermé et un
entretien de groupe ont complété ce dispositif. Enfin, un
questionnaire proposé à l’ensemble des établissements stéphanois se
terminait par des questions portant sur des émissions Panorama et
Marie Tudor d’Abel Gance. Les résultats n’ont pas permis de
dégager une description de l’usage narratif des jeunes du CET, mais
seulement de formuler quelques remarques. La première, c’est le
caractère linéaire du récit, comme si l’idée que toute succession
temporelle indiquait un lien de causalité et un enchaînement des
événements. Les éléments métaphoriques ne sont pas relevées par
les garçons des CET qui cherchent avant tout à suivre le fil du récit,
d’où la difficulté de distinguer l’essentiel de l’accessoire. De même,
pour ce public le récit doit être marqué par un début et par une fin.
Michel Souchon clôt cette partie par une mise en garde face à toute
conclusion hâtive au regard des résultats obtenus.
Principaux résultats
En conclusion, la télévision « agit dans le sens du renforcement des
valeurs existantes » (p.234). Mais, si elle est un facteur
d’homogénéisation culturelle dans la mesure où est regardée aussi
bien par les patrons et les ouvriers, celle-ci n’est pas aussi nette
qu’aux Etats-Unis. Dès qu’une possibilité de choix est laissée, des
différences dans la consommation émergent. En outre, les
différences socioculturelles conditionnent la lecture de ces
émissions. Autrement dit, « les phénomènes de télévision sont vécus
différemment par les divers milieux sociaux ». Parce que la culture
va à la culture, il ne faut pas surestimer, souligne l’auteur, le rôle de
la télévision dans le développement culturel du plus grand nombre.
La culture ne peut être réduite aux grandes œuvres du passé, elle
désigne aussi « cette disposition de l’esprit qui permet à un homme
de comprendre un peu mieux ce monde d’aujourd’hui malgré sa
complexité et ses mutations accélérées… ». La télévision a affaire à
des spectateurs situés à des niveaux culturels très différents et cette
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
14
inégalité des niveaux d’instruction ne peut être comblée par la
télévision. L’exposition à la télévision est sélective de même que la
réception elle-même, les publics faisant un tri en fonction de leur
goût, de leur « outillage mental ». Selon Michel Souchon, la
télévision ne peut jouer un rôle de succédané de l’école, il redoute
au contraire qu’elle n’ait qu’un « rôle cumulatif qui élargisse les
différences » (p. 241). Autrement dit, conclut l’auteur, « la
démocratisation culturelle ne passe pas par la télévision, mais par
l’école et par la démocratisation de l’enseignement » (p. 242). La
diffusion culturelle acquise par la télévision ne peut intervenir que
comme une conséquence des résultats acquis à l’école. L’auteur la
compare à une auberge espagnole où « chacun [y] vient avec son
niveau culturel et ne trouve que ce qu’il apporte » (p. 242). Fort de
ces conclusions, Michel Souchon propose ainsi quelques
recommandations pratiques. Il suggère ainsi que l’école forme des
« regards libres, lucides, intelligents, critiques » (p. 245). L’école
doit selon lui prendre en compte les « phénomènes de la culture de
masse ». L’essentiel est moins de « frotter les élèves aux grandes
œuvres du passé » que de les aider à devenir « autonomes », alors
qu’un des traits de la culture de masse est l’absence d’autonomie (p.
246). Il suggère de rentrer dans « la cuisine de la fabrication
iconique », en montrant la façon dont les procédés narratifs sont
construits techniquement. S’agissant de la programmation, Michel
Souchon écarte deux écueils : vouloir résoudre les inégalités
culturelles par des contenus intellectuels ou artistiques élevés
susceptibles de creuser l’écart ou régler entièrement la
programmation de la télévision sur les goûts des téléspectateurs ou
de la majorité d’entre eux. Ces deux attitudes entretiennent à ses
yeux, la dichotomie entre la « haute culture » et la « culture de
masse ». Un moyen de refuser cette dichotomie consisterait à
rapprocher le plus possible les émissions « culturelles » des
émissions « distrayantes ». A la politique démagogique d’utilisation
des médias de masse des publicitaires qui estiment qu’on doit fournir
au public ce qu’il réclame, à la politique dogmatique qui consiste à
penser que l’on sait ce dont le public a besoin et souhaite orienter les
contenus des médias en fonction de cela, A. Moles propose la
doctrine culturaliste ou éclectique. Pour finir, Michel Souchon
souligne la difficulté d’isoler « un problème de la télévision », ou un
problème des loisirs, de la culture… qui serait séparé de l’ensemble
de la situation politique et économique de notre société. Le progrès
dans la recherche et la mise en œuvre d’un projet démocratique
passera, à ses yeux, par la « participation collective à l’élaboration et
au contrôle des besoins culturels »19.
Dominique Pasquier, La culture des sentiments. L’expérience
télévisuelle des adolescents, Paris : éditions de la Maison des
sciences de l’homme/Mission du patrimoine ethnologique, Paris,
1999.
L’enquête de Dominique Pasquier sur les publics de série télévisée
pour adolescents est la seule étude récente qui ait été produite, en
France, sur la question. Cette recherche télescope un autre courant
de recherche sur les « fans »20.
Problématique
Dominique Pasquier s’interroge sur le succès du feuilleton Hélène et
les garçons auprès des adolescents, alors même qu’il est très
fortement décrié par une partie de la presse (comme l’avait été la
19
Alain Touraine, Classe et culture ouvrière, B., n°85, p. 67
Philippe le Guern, Les cultes médiatiques : culture fan et œuvres cultes
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.
20
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
15
série Dallas, dix ans plus tôt, mais sur un autre registre) pour son
caractère aseptisé. Le problème des travaux sur les jeunes, à ses
yeux, c’est qu’ils utilisent des catégories de jugement qui ne sont pas
celles des jeunes eux-mêmes. Or, comme l’a montré, par exemple,
David Buckingham, les éléments violents que les parents identifient
à la télévision ne sont pas forcément ceux qui ont un impact négatif
sur les enfants (1996)21.
Méthodologie
L’auteur se place du côté des jeunes et des usages qu’ils font de la
télévision pour penser le monde qui les entoure. Si la recherche de
Dominique Pasquier repose sur trois dispositifs d’enquête
différents - une analyse des courriers envoyés par des fans de la série
Hélène et les garçons22, un questionnaire diffusé auprès des
collégiens et lycéens, des observations dans les familles – l’analyse
du courrier est sans doute celui qui est le plus exploité. Le matériau
d’enquête, composé d’environ 7000 lettres envoyées entre 1994 et
1995, montre ainsi que ce sont majoritairement des filles à 90 % qui
écrivent à la chaîne. La plupart sont âgées de 8 à 13 ans, qui
correspond plus ou moins à la sortie de l’enfance et à l’entrée dans
l’adolescence. Elles viennent des communes rurales et semi-rurales
et appartiennent pour beaucoup d‘entre elles aux milieux populaires
21
Buckingham, D., Moving images. Understanding children’s emotional
responses to television, Manchester, University Press, 1996.
22
Diffusée de 1992 à 1994, en fin d’après-midi, sur TF1, la série « Hélène et les
garçons », produit par la société AB production, et destinée aux adolescents a
rassemblé jusqu’à 90 % des téléspectateurs de 4 à 14 ans présents devant leur
poste. Cette série campe la vie d’étudiants de cité universitaire dont la principale
activité tourne autour des relations amoureuses. produit par la société AB
production
(p. 9-11). Afin d’approfondir la question de la dimension sociale de
la télévision et de l’étudier à travers des spectateurs plus
« ordinaires » (et non des fans), l’auteur a réalisé des observations
dans 13 familles en compagnie d’enfants qui regardaient la série, en
essayant de varier les milieux sociaux. Ce dispositif a posé une série
de problèmes, depuis le biais introduit par la présence intrusive du
chercheur à la construction de l’échantillon des familles (sur lequel
rien n’est dit) (p. 18-19). Enfin, un questionnaire a été distribué
auprès de 700 collégiens et lycéens scolarisés en région parisienne,
portant sur l’ensemble des séries pour adolescents diffusées à la
télévision française, avec l’idée d’analyser les « communautés de
goût selon l’âge, le sexe, et l’origine sociale ». Le questionnaire
portait sur les séries qu’ils connaissaient, regardaient, préféraient. Ce
questionnaire était diffusé en classe par l’intermédiaire
d’enseignants, ce qui a provoqué certains biais, comme la sousdéclaration d’émissions peu légitimes, par exemple. De sorte qu’il
s’est moins agit d’étudier ce qu’ils regardaient que ce qu’ils disaient
regarder.
Principaux résultats
Des spectateurs incrédules
Depuis une quinzaine d’années, les travaux sur la télévision ont mis
en évidence la capacité des enfants à décoder les processus de
fabrication des programmes de télévision (Buckingham, 199323,
Hodge et Tripp, 198624), rompant avec les études antérieures des
23
Buckingham, D. éd., Reading audiences, Young people and the media,
Mancheter, University Press 1993 ; Children talking television. The making of
television literacy, London Falmer Press, 1993.
24
Hodge, R., Tripp D., Children and télévision, Cambridge, Polity Press, 1986
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
16
effets des médias. Ces recherches sont aussi le fruit d’une évolution :
la télévision a perdu la magie qu’elle avait à ses débuts. Un savoir
télévisuel s’est constitué que les enfants ont très tôt intériorisé :
« L’apprentissage de la télévision débute de façon très précoce (dès
l’âge de quatre ans, un enfant en connaît déjà certaines règles) mais
il met ensuite plusieurs années à se consolider » (p. 27). L’analyse
du courrier des correspondantes montre qu’elles sont conscientes
que l’émission est fabriquée, ce qui ne met pas en doute la façon
dont elles s’identifient à la fiction. Certaines proposent même des
scenarii, c'est-à-dire, s’immiscent dans le processus de fabrication.
Le courrier traduit également une maîtrise des fonctions narratives
ainsi que la grammaire des personnages (p. 44). Savoir que la série
n’est pas réelle n’empêche pas les correspondantes « d’aimer y
croire ». Aussi, la « relation aux personnages de l’écran se construit
sur une tension entre une logique cognitive (qui conduit à identifier
des éléments rationnels de fabrication ru programme) et une logique
émotionnelle qui permet de sublimer ces mêmes éléments pour
entrer dans une relation affective à une personne humaine » (p. 48).
Si à 7 ans, la logique émotionnelle l’emporte, à 12 ans, la logique
cognitive domine mais « sans pour autant interdire la logique
émotionnelle de fonctionner, de façon presque volontariste.
L’adolescent sait mais il a envie de se faire plaisir en oubliant qu’il
sait » (p. 49). Les fans sont des téléspectateurs particulièrement bien
informés sur le dispositif de fabrication (p. 53). De même, lorsqu’ils
écrivent, s’adressent-ils à des personnes civiles et pas à des acteurs.
Le problème des fans est d’arriver à savoir si le personnage qu’elles
ont aimé à l’écran est bien en phase avec cette personne civile avec
laquelle elles aimeraient entrer en contact » (p. 67). C’est une
personne ordinaire que les fans apprécient et qu’elles souhaitent
rencontrer. La presse joue un rôle considérable dans la construction
d’Hélène comme personnage ordinaire, avec le lancement, par la
société de production, d’un magazine mensuel, Télé Club Plus
(200.000 exemplaires tirés). Ces informations sont recoupées avec
celles publiées dans les journaux pour adolescents : Salut, Star Club,
OK, Podium, et la presse télévisée populaire : Télé 7 jours, TéléPoche, Télé-Star, et celles fournies à l’occasion d’émissions de
télévision où la star est invitée (comme le reportage d’Envoyé
Spécial consacré à la série, ses passages à Sacrée Soirée).
Il en découle, selon Dominique Pasquier, que « le risque n’est pas de
confondre la fiction avec la réalité, mais d’être face à un produit
culturel qui suppose une forte soumission aux structures narratives
proposées » (p. 15). Paraphrasant Umberto Eco (à propos de la
littérature populaire, en 1993), elle indique que « la télévision est
une forme culturelle qui ne met jamais ses téléspectateurs ‘en
déroute’ ». Autre résultat de l’analyse de ce courrier : les
adolescentes ont la sensation de faire partie d’une « communauté
imaginée », pour reprendre les termes de B. Anderson (Anderson,
1996)25. Ce sentiment n’est pas propre aux fans dans la mesure où
« tout téléspectateur doit anticiper un marché des interactions : seul
devant son poste, il sait déjà que ce qu’il regarde à la télévision et ce
qu’il en dira va contribuer à l’inscrire dans certains groupes sociaux,
ou au contraire, l’exclure de certains autres » (p. 18).
La télévision comme « expérience collective »
Autrement dit, pour Dominique Pasquier, ce qui différencie la
télévision des autres médias de masse, c’est qu’elle offre « une
expérience collective, en étant un formidable support pour les
interactions qui débordent largement les programmes eux-mêmes »
(p.17). L’analyse des réponses aux questionnaires montre en effet
que les présentations de soi (Goffman, 1973) comme téléspectateur
évoluent avec l’âge, autrement dit, l’on acquiert des manières de
25
Anderson B., L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du
nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
17
télévision, comme on acquiert des manières de table (p. 21).
Autrement dit, « le travail de présentation de soi comme
téléspectateur fait intimement partie de la position spectatorielle ellemême ». Les enfants sont conscients que leurs goûts en matière de
programme télévisé engagent toute leur personne socialement (p.
21). A travers la série « Hélène et les garçons » l’auteur souhaite
ainsi montrer le processus par lequel la télévision, loin de se limiter à
une expérience individuelle, « anticipe et produit toujours du
collectif » (p. 21).
La télévision comme machine à produire de la proximité avec son
public
La télévision est une « immense machine à produire de la proximité
avec son public, et même, une machine délibérément organisée pour
produire cette proximité » (Chalvon et Pasquier, 199026, Pasquier,
199527, Neveu, 199628, Champagne, 197129) (p. 79). « Elle propos
sans arrêt des expériences familières qui sont parfaitement en
adéquation avec le fait qu’elles soient justement consommées au sein
de la cellule familiale » (p. 79). Joshua Meyrowitz (1994)30 a
souligné que la télévision avait la capacité en vraies relations des
relations qui n’ont aucune existence réelle. « Elle rend intime des
étrangers » (p. 79). Il appelle les « média friends », « ces
personnalités que l’on retrouve sur le petit écran [et qui] font partie
26
Chalvon-Demersay, Pasquier, D., Drôles de stars, Paris, Aubier, 1990.
Pasquier D., Les scénaristes et la télévision, Paris, Nathan Université, 1995.
28
Neveu E., Le Grignou B., « Emettre la réception : préméditations et réceptions
de la politique télévisée », in Beaud, P, Flichy P, Pasquier, D., Queré, L. (éds),
Sociologie de la communication, CENT/Réseaux, 1996.
29
Champagne, P., art. Cit.
30
Meyrowitz, J., « The life and death of media friends : new genres of intimacy
and mourning”, in R. Cathart et S. Drucker (eds), American heroes in a media age,
Hampton press.
27
de notre existence quotidienne « (p. 79). L’expérience télévisuelle
des fans, de ce point de vue, n’est pas très différente de celle d’autres
téléspectateurs (p. 80) dans le sens où tous les deux ont la sensation
de connaître ce qu’ils voient sur l’écran. Mais à la différence des
simples téléspectateurs, les fans attendent une amitié en retour (p.
80). Elles demandent une réciprocité. Deux thèmes centraux se
dégagent de la presse fan : l’enfance et le destin d’Hélène. Tout se
passe, dans cette presse, comme si la distance entre la fiction et la
réalité était abolie : Comme ses fans, Hélène est une provinciale
montée à Paris. Les acteurs portent le même prénom que dans la vie
civile, ils jouent le moins possible, ce « non jeu » rappelant que les
« personnages sont à portée de main », souligne Dominique Pasquier
(p. 72).
S’interrogeant sur les motivations de ces fans à vouloir entretenir
une « amitié télévisuelle », Dominique Pasquier propose plusieurs
hypothèses : le fait que la relation promet d’apporter quelque chose
que les relations ordinaires ne peuvent pas procurer : elle garantit le
secret, échappe aux limites qui guettent les amitiés ordinaires, évite
le contact physique. Ce lien est néanmoins fragile, et s’inscrit dans
un moment de la vie, comme l’illustre le déplacement émotionnel
qui s’opère vers d’autres émissions et personnages.
Dominique Pasquier étudie la centralité du thème de l’amour dans la
série, à la différence d’autres séries (comme Beverly Hills). Les
personnages sont mis à l’épreuve, à l’aune de ce qui constitue la
principale question posée est celle du maintien du couple (p. 97). Le
pouvoir physique de séduction constitue une menace permanente
pour la longévité de la vie à deux. Il faut être belle pour plaire à
l’autre mais parce qu’on est belle, on est aussi susceptible de plaire à
l’extérieur. Le couple formé par Hélène et Nicolas est indestructible.
Dans la série, la solitude est fortement stigmatisée, comme le
montrent le fait que les personnages « méchants » soient ou seuls ou
vivant des histoires d’amours éphémères. La ségrégation sexuelle
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
18
permet de montrer les différences de visions du couple entre
hommes et femmes. Le couple est fragile car la sollicitation
amoureuse est forte surtout pour les garçons. Dans la série, les rôles
féminins et masculins sont traditionnels, mais il n’y a pas de
domination de l’homme sur la femme. Les femmes ne trouvent leur
accomplissement ni dans les études ni dans une carrière
professionnelle mais dans un « univers domestique librement
consenti » (p. 107). Pour les fans, le couple est un destin (p. 108),
puis, une fois formé, il devient un état (p. 109). Les héros de la série
sont perçus comme des experts en matière de couple, par comme des
experts en pratiques sexuelles » (p. 110). Il existe des journaux et
des émissions qui donnent des conseils en matière de sexualité pour
les adolescents tels que Miss et Bravo Girl, ou encore « Love in
Fun » [Rui, 1995]). Les obstacles rencontrés par les correspondantes
viennent « de la difficulté de communiquer entre les sexes » (p.
111).
Analysant les déclarations d’amour faites aux comédiens,
Dominique Pasquier trouve la confirmation des analyses de
Francesco Alberoni (1994) sur l’imaginaire amoureux féminin.
Selon lui, « la capacité des femmes à tomber amoureuses d’hommes
lointains et inaccessible témoigne d’une aspiration à la perfection, de
la recherche d’un modèle idéal de l’homme et d’existence d’un
modèle désigné par les forces sociales » (p. 129). « L’érotisme
féminin prend sont essor à l’occasion d’un grand vol nuptial auquel
toutes sont appelées à participer et qui a pour enjeu l’objet suprême
du désir collectif (Alberoni, 1994 : 69)31. Pour Alberoni, le
phénomène est spécifiquement féminin. Aimer une idole est aussi
« une manière de différer l’engagement dans la sexualité », souligne
Dominique Pasquier (p. 139).
Le physique tient une place importante dans la relation amoureuse.
Mais, en ce qui concerne l’identification des fans, n’est pas sans
31
Alberoni, F., Le vol nuptial, Paris, Plon, 1994.
poser de problèmes. Pour réduire la distance à l’idéal physique que
représente Hélène, les fans imitent le personnage, ses vêtements, sa
coiffure. Ces idoles, écrit Dominique Pasquier, « agissent par leur
présence comme des déclencheurs d’émotions » qui sont moins liées
à la peur qu’au plaisir physique (p. 143). « Pour tous ces jeunes
enfants, la télévision est d’abord une expérience émotionnelle. Une
expérience du plaisir » (p. 143).
La télévision dans la cellule familiale
C’est le thème auquel la quatrième partie du livre est consacrée ; A
l’exception des études menées par Patrick Champagne (1971)32 et
David Morley (1986)33, peu de travaux ont abordé la question du
contexte domestique et se sont penchées sur le rôle de la télévision
dans les dynamiques familiales (p. 147). Or, la télévision est au
centre d’une économie des rapports sociaux. Morley a ainsi montré
l’antagonisme profond entre les hommes et les femmes à propos de
la télévision. Mais les résultats de sont étude menée dans des
familles ouvrières seraient sans doute différents dans d’autres
milieux sociaux. James Lull (1988, 1990)34 montre que la télévision
est un support fondamental à la vie de famille, cette vision est trop
optimiste selon Dominique Pasquier. David Buckingham (1996)35
analyse les discours tenus par les différents membres de la famille
comme étant révélateur d’enjeux identitaires qui vont au-delà de la
32
Champagne, P., « La télévision et son langage. L’influence des conditions
sociales de réception sur le message », Revue française de sociologie, 12 (3), 406430, 1971.
33
Morley D., Familiy television. Cultural power and domestic leisure, Londres,
Comedia/Routledge, 1986
34
Lull J., World families watch television, Newbury Park, Sage, 1988 ; Inside
family viewing. Ethnographic research on televisin’s audience, Londres,
Routledge, 1990.
35
Buckingham, D., op. cit.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
19
télévision. Le discours sur la télévision est souvent un discours sur
l’éducation dit-il. Il exprime pour les parents la relation à un idéal
éducatif et, pour les enfants, un désir d’autonomie et d’indépendance
face à l’autorité adulte dans le foyer. Buckingham souligne la
nécessité de mettre en relation ces discours familiaux sur la
télévision avec les contextes sociaux dans lesquels ils sont tenus.
L’idée de limiter la place de la télévision dans la vie des enfants est
surtout présente dans les familles classes moyennes où la télévision
est perçue comme une concurrente à d’autres formes d’éducation et
d’accès au savoir (p. 150).
La série Hélène et les garçons engendre des relations enfants parents très différentes selon les milieux sociaux. La relation à la
télévision varie fortement entre les milieux sociaux. Outre le fait que
les familles populaires ont une consommation télévisée plus
importante que celles situées en haut de l’échelle sociale, la
télévision y tient aussi une place différente dans les rythmes
familiaux (p. 151). Elle occupe une place centrale dans les familles
ouvrières du Nord étudiées par O. Schwartz qui la décrit comme une
« grande divinité du foyer ». (1990, p. 95) dans la mesure où elle
allumée tout le temps. L’écoute collective y est plus fréquente. Enfin
la télévision est un lien fort entre la mère et ‘enfant, surtout pour les
filles (Pasquier, Jouët, 1999). De même, la spatialisation de la
télévision n’est pas la même selon les milieux sociaux. (Dominique
reprend, dans les pages 152-158 qui suivent, les résultats de
l’enquête publiée dans Réseaux n°92-93, déjà traité).
La série permet également d’observer « la complexité de[ce]s
négociations familiales » (p. 158). Certains milieux sociaux
encouragent à regarder la série tandis que d’autres y sont hostiles. Si
les garçons ont une attitude de rejet car ils classent cette série du côté
du féminin et les pères sont distants, les mères et les grands-mères
ont une attitude plus ambivalente. Les mères des classes moyennes
et supérieures critiquent la série qui, en présentant le couple et la
famille comme seul horizon possible pour les femmes, menace leur
modèle éducatif de ces familles davantage tourné vers la réussite
professionnelle. Dans les familles, populaires, les mères regardent
les épisodes avec leurs enfants, les pères achètent des places de
concert, les tantes offrent des produits dérives de la série. L’amour
pour quelque chose qui vient de la télévision n’est pas considéré
comme ridicule ou dégradant (p. 167). Autrement dit, « il y a de la
lutte des classes autour de la télévision en France » souligne
Dominique Pasquier qui renvoie à l’enquête européenne citée. En
même temps si la division sexuelle du travail n’est pas contestée par
les milieux populaires c’est parce qu’ils l’expérimentent davantage
que les milieux moyens et supérieurs. L’univers pré soixante-huitard
et puritain proposé par la série rencontre l’approbation des grandsmères, toutes classes confondues (p. 169).
Ce qui se joue à travers cette série, c’est la définition de modèles
féminins. Cette série est surtout plébiscitée par les préadolescents
qui sont en fin d’école primaire qui cherchent des réponses à des
questions qu’ils se posent sur l’amour et la sexualité (p. 170). Cet
intérêt correspond au fait que vers 6/7 ans, les enfants éprouvent le
besoin de radicaliser les différences entre les sexes pour se préparer
à son futur rôle de partenaire (Eleanor Maccoby, 198836, cité p. 171).
La série présente, de ce point de vue, « un modèle rassurant, parce
que simple et tranché » (p. 171). En même temps, cette fiction
incorpore des acquis de l’émancipation féminine. A 15 ans, les
jeunes filles regardent avec plus de distance la série qui ne
correspond plus à la phase antérieure marquée par un idéal d’amour
pour toujours. Selon Dominique Pasquier, si les modèles féminins
les plus conventionnels sont ceux qui ont le plus souvent attirés les
jeunes téléspectateurs, c’est aussi parce qu’il est devenu difficile de
les observer ailleurs qu’à la télévision (p. 172). La série a répondu
36
Maccoby E., “Gender as a social category”, Developmental psychology, 24, 6, p.
755-765.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
20
dans un moment précis, un pays précis, aux aspirations d’une classe
d’âge précise. Joseph Gripsrud a mis en relation le succès de
Dynastie avec les transformations culturelles et sociales affectant la
Norvège (Gripsrud, 1995)37.
Publics et communautés sociales
La série est le support d’interactions au sein de la famille mais au
sein du groupe des pairs. David Riesman (1964)38 a constaté la
prééminence du groupe dans la relation aux objets culturels.
L’enfant se soumet aux goûts de ses pairs jusqu’à perdre son
autonomie. L’auteur montre que les négociations entre enfants
autour des médias sont des facteurs de conformisme des
interprétations. M. et J., dans leur travail sur l’utilisation par les
enfants des personnages de bande dessinée, radio, télévision, ont
montré que le degré d’insertion d’un enfant dans un groupe de pairs
conditionnait le choix de ses personnages (Riley et Riley, 1951)39.
D’autres travaux ont montré que la pression du groupe des pairs agit
à la fois sur les choix de consommation et sur les interprétations.
David Buckingham dans un travail sur les discussions d’enfants âgés
de sept à douze ans à propos de programmes de télévision, souligne
qu’à l’intérieur de chaque groupe d’enfants s’opère tout un travail
d’ajustement des interprétations qui permet d’élucider les critères
qui sont retenus comme pertinents pour effectuer les classements au
sein du groupe (Buckingham, 1993)40.
37
Gripsrud J., The Dynasty years. Hollywood television and critical medias
studies, Londres, Routledge, 1995.
38
Riesman, D., La foule solitaire, Paris, Arthaud, 1964.
39
Riley M., Riley M., “A sociological approach to communication research”,
Public opinion quarterly, 15, p. 445-461.
40
Buckingham, D. op. cit.,
Dominique Pasquier se penche sur les usages juvéniles de la série
qui, contrairement à d’autres séries « collèges » (22 séries différentes
ont été diffusées sur les chaînes françaises entre 1990 et 1995), telles
que Seconde B (lancée par les chaînes publiques pour contrer Hélène
et les garçons), est parvenue, comme Beverly Hills, à s’imposer
comme un support actif dans la sociabilité juvénile. Les réponses au
questionnaire indiquent que les séries ont été investies différemment
selon les sexes, les générations, les milieux sociaux. Ces séries
s’intègrent dans les stratégies de distinction des groupes entre eux,
elles agissent ainsi comme les supports d’identité que le groupe
souhaite se donner. La série a créé ainsi plusieurs sortes de publics.
La première communauté est celle des fans. Elle se met socialement
en scène de la manière la plus visible. La fan se montre comme fan ;
il porte les couleur de son idole, vit avec elle, enfin, elle est au centre
d’interactions avec d’autres fans. La participation à la communauté
imaginée est tout aussi importante que l’appartenance à des
communautés humaines réelles (p. 200) ; les communautés
« critiques et parodiques » forment le deuxième cas de figure
communautaire. Ce collectif se structure autour des mêmes rejets. La
communauté des parodiques recrute ses membres chez les étudiants
des universités les plus sélectives ou les grandes écoles, dont
beaucoup sont masculins et prend pour cible les fans naïfs et
crédules.
Conclusion.
La focalisation sur la violence à la télévision a relégué dans l’ombre
d’autres types d’émotions, comme celles qui sont générées par les
scènes d’amour, par exemple. Les enquêtes financées par le Paynes
Fund, dans les années 1930, aux Etats-Unis devaient montrer impact
négatif du cinéma sur les jeunes. Or, parmi les dix universitaires
recrutés, certains montrèrent l’absence de corrélation entre le cinéma
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
21
et la pratique de la lecture, d’autres évoquèrent l’effet positif des
films sur les jeunes délinquants cinéphiles en leur proposant d’autres
modèles de punition de crimes que ceux de leur entourage (Blumer,
Hauser, 1933)41. La fondation occulta une partie de ces résultats
dans la synthèse qu’elle remit à la presse (Jowett et als, 1996)42
contraires aux attentes des commanditaires. Il y avait bien une
influence des films, mais celle-ci s’exerçait sur la socialisation
sentimentale des enfants. Blumer, en particulier, a montré, à travers
les rédactions de lycées et d’étudiants sur leurs souvenirs personnels
liés aux films, que l’amour et les relations hommes/femmes étaient
au cœur des descriptions recueillies (Blumer, 1933)43. Le cas de la
Paynes fund illustre le cas de figure où « la demande sociale et
politique a guidé les perspectives scientifiques au lieu de s’en
enrichir » (p. 218). Le foisonnement des recherches sur les effets de
la violence médiatisée a contribué à enliser les débats académiques
et freiné les apports de la recherche à la connaissance des relations
de l’enfant à la télévision. Dans les années 1980, des travaux anglosaxons ont rediscuté de ce problème en intégrant la notion
d’expérience et non plus seulement celle des effets. L’expérience
télévisuelle des enfants est complexe, souligne Dominique Pasquier.
D’un côté, ils y puisent des éléments pour s’orienter dans le monde
des adultes (Meyrowitz, 1985)44. Ils en discutent, y pensent sans que
cela vécu sur le mode de la réflexion organisée. Néanmoins, l’impact
de ces séries est peu durable, étant donné le caractère éphémère du
phénomène. De même, les normes véhiculées par la télévision
interagissent avec d’autres systèmes de normes proposés par l’école,
41
Blumer H., Hauser, P., Movies, delinquency and crime, New York, Macmillan,
1933.
42
Jowett G., Jarvie I., Fuller K., Children and the movies, media influence and the
Payne Fund controversy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
43
H. Blumer, Movies and conduct, New York, Macmillan, 1933
44
Meyrowitz J, No sense of place. The impact of electronic media on social
behaviour, Oxford, Oxford University Press, 1985.
la famille, etc. Dominique Pasquier conclut que « la télévision ne
constitue pas un monde en soi, mais un instrument qui participe,
avec beaucoup d’autres, à la nécessité sociale de fabriquer des
conventions communes » (p. 223).
Duret, Pascal, de Singly, François, « L’école ou la vie. ‘Star
academy’, ‘Loft story’ : deux modèles de socialisation », Le
Débat n° 125, mai-août 2003, p. 155-67.
Cet article ne s’appuie pas sur une enquête empirique spécifique. Les
auteurs montrent la division du travail dans la production de modèles
de socialisation à partir de l’analyse d’émissions télévisées de
« réalité » pour adolescents.
« Si la culture jeune existe, le Loft en fait incontestablement partie »
soulignent les auteurs qui s’appuient sur le fait que 7°% des 15-24
ans ont regardé au moins une fois par semaine cette émission (sans
qu’aucune source ne soit ici citée). Les 3 millions d’appels par
semaine pour désigner le candidat sortant montre qu’il s’agit d’un
public actif. A contre-courant de la polémique, les auteurs veulent
ici démontrer que le succès des « reality shows » auprès des jeunes
s’explique par le fait, qu’en mettant en scène deux formes
complémentaires de la socialisation, elles remplissent une fonction
qui dépasse le divertissement. Star Academy a suscité moins de
résistances que le Loft dans la mesure où elle se rapproche du
modèle scolaire. Les jeunes doivent progresser pour être classés par
les enseignants et le public. Dans le Loft, les jeunes doivent surtout
vivre ensemble. Dans Star Academy c’est une compétence qui est
jugée, dans le Loft, c’est la personne qui est estimée. Pour les
auteurs, cette différence renvoie à la « dualisation de l’individu qui
doit obéir, pour sa construction identitaire, à deux impératifs :
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
22
réussir, d’une part, devenir lui-même, d’autre part » (p. 156). Ces
deux émissions sont supposées apprendre dans le premier cas au
jeune à devenir chanteur, dans le second, à devenir lui-même. Ces
deux émissions mêlent une exigence d’intégration dans le groupe des
pairs et une « concurrence stratégique » (p. 158). Contre l’idée que
le Loft serait un rite de passage entre l’adolescence et l’âge adulte,
les auteurs montrent que l’apprentissage progressif n’exclut pas des
retours en arrière. Ce modèle rompt avec celui des sociétés
traditionnelles marquées par l’existence de « rites de passages ». Le
Loft est une illustration de la « socialisation par frottements »,
proposée par F. de Singly, c'est-à-dire « l’apprentissage du respect
d’autrui et de ses valeurs dans la vie commune, sous le même toit »
(p. 158). Le Loft a également pour fonction de socialiser au monde
tel qu’il est, en introduisant le calcul stratégique jusque dans les
espaces les plus désintéressés comme les amis ou la famille. La Star
Academy se distingue du Loft surtout par la présence d’adultes
enseignants. Dans le Loft, il faut tirer des enseignements de sa
propre expérience, dans la Star Academy, il faut savoir tirer profit de
l’expérience des anciens (p. 159). Si elle copie le modèle de
l’institution scolaire, elle s’en distingue du fait qu’on y enseigne
précisément des matières artistiques non scolaires. Les candidats,
souvent mauvais élèves, peuvent du coup de trouver valorisés, en
travaillant ce qu’ils perçoivent comme une vocation. Ces deux
émissions présentent également deux modèles de compétition.
Contrairement à ce que l’on pourrait passer, ces émissions sont
souvent regardées en familles. Elles permettent aux parents de voir
ce que les jeunes vivent, d’une certaine façon, afin de mieux les
comprendre. Cette émission aurait ainsi, aux yeux des auteurs, eu
pour habilité de donner une place aux parents présents-absents, qui
jouent souvent le rôle de soutien identitaire. L’émission « couronne
‘l’intime’ dans la consommation de masse tout en autorisant une
certaine décontraction des rapports entre parents et enfants » (p.
165). A l’inverse, les parents des jeunes de la Star Academy ont une
vision plus individualisée de l’émission centrée autour de la réussite
de leurs enfants. Alors que dans le Loft, l’individu existe davantage
par lui-même, dans la star Academy, il est le dépositaire d’ambitions
du groupe domestique. Le premier modèle est basé sur l’autorégulation, le second, sur l’imposition de normes. Ces deux
émissions ont un rapport différent au temps, le temps long de
l’apprentissage pour la Star Academy, le temps court de l’expression
de soi, dans les interactions, pour le Loft. Ce modèle est adapté à
l’incertitude de l’avenir pour cette fraction de la jeunesse.
III. Les enquêtes quantitatives sur les comportements
médiatiques des jeunes.
Depuis la fin des années 1990, plusieurs enquêtes statistiques à
grande échelle ont été réalisées sur les pratiques de consommation
médiatiques des « jeunes ». L’une des plus citées par les chercheurs
ayant travaillé récemment sur les « jeunes et les médias » est le
dossier publié dans la revue Réseaux, en 1999, intitulé « Les jeunes
et l’écran ».
« Les jeunes et l’écran », Réseaux n°92-93, 1999.
Le dossier repose sur les résultats d’une enquête empirique menée
dans le cadre d’un programme pluridisciplinaire européen, dirigé par
Sonia Livingstone, visant à combler le déficit d’étude sur cette
tranche d’âge « à quelques notables exceptions près issues du
courant des cultural studies »45. L’objectif était de comprendre en
quoi les différences de structures sociales (culturelles, économiques
45
D. Buckingham, 1996 ; Livingston, 1998 ; Seiter, 1993.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
23
et politiques…) entre pays européens, et au sein de chacun d’eux,
interviennent dans l’utilisation des médias par les enfants et les
adolescents. Assiste-t-on à un bouleversement des pratiques
médiatiques avec l’arrivée dans les foyers de nouvelles formes
d’écran (télévision par satellite, ordinateur, consoles de jeux) ? se
demandent les auteurs du dossier. Car les jeunes de moins de vingt
ans constituent « la seule génération née avec la télévision qui ait
également connu en temps réel tous les bouleversements de
l’audiovisuel et vécu dans son enfance l’arrivée au foyer de
l’informatique, et, plus généralement, des technologies de
l’information et de la communication » (p. 11).
Josiane Jouet, Dominique Pasquier, « Les jeunes et la culture de
l’écran. Enquête nationale auprès des 6-17 ans », Réseaux n°9293, 1999, p. 27-102.
Objectif de la recherche
L’un des enjeux de l’enquête française était d’analyser l’influence
des évolutions médiatiques sur la manière dont les jeunes gèrent leur
environnement familial, amical, ou scolaire…46
46
A côté de l’enquête qualitative, plusieurs terrains qualitatifs ont été réalisés :
une enquête sur les usages de l’écran en milieu rural, réalisé en 1996 par
Dominique Pasquier avec des interviews de 52 enfants, pris en groupes de trous ou
quatre et des interviews séparés auprès de 12 parents. Une enquête sur les
représentations associées aux différents médias a été réalisée par Maguy Chailley
dans quatre classes de différentes localités de banlieue parisienne auprès d’élèves
de 8 à 12 ans. Une enquête de Dominique Mehl a été réalisée en 1997 sur des
collégiens et lycéens scolarisés à Paris ou en banlieue parisienne sur la base de
débats organisés dans les classes sur les pratiques médiatiques. Une enquête
réalisée par des étudiants auprès de 20 adolescents, de 1’ à 17 ans, sous la
direction de Josiane Joüet.
Principaux résultats
L’enquête confirme ainsi les résultats d’autres enquêtes quantitatives
conduites auprès d’adultes (p. 94). L’usage est fortement corrélé aux
trois variables sociodémographiques classiques : la classe sociale,
l’âge et le sexe. La variable la plus discriminante est l’âge, pour les
auteurs, car « le passage de l’enfance à la préadolescence puis à
l’adolescence s’accompagne progressivement d’une évolution des
goûts, des activités et des rythmes de vie qui se traduit par des
transformations de la consommation des médias » (p. 94). La classe
sociale marque de profonds écarts entre les jeunes issus de familles
favorisées qui bénéficient d’un triple accès aux livres, à
l’audiovisuel et à l’informatique, et les jeunes des familles
défavorisées essentiellement immergés dans une culture
audiovisuelle. Le sexe est également un opérateur de distinction
important dans les modes d’usage des médias. Tous les jeunes
privilégient la télévision qui apparaît comme un « facteur
d’homogénéisation culturelle » (p. 94). On observe le même taux de
pratique globale pour la radio, l’écoute de la musique et les jeux
vidéo, dans toutes les catégories sociales, même si les modalités de
consommation diffèrent. Ces médias, parce qu’ils possèdent un
attrait identique pour les jeunes participent à l’élaboration de
références communes. Si les médias occupent une place considérable
dans les loisirs des jeunes, elle n’est pas nécessairement centrale.
Parmi les distractions préférées, les jeunes citent pour 12% l’écoute
de la musique, 9% la télévision ou les jeux vidéos, le jeu ou les
sorties entre amis sont plébiscités par 21 % des enquêtés. L’attrait
pour la communication en face à face et les activités de groupes
passe donc pour eux avant les médias.
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La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
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Le portrait du consommateur adolescent
Cette enquête fait ressortir un trait de consommation médiatique
propre aux adolescents. L’écoute de la musique tient une place
décisive chez les 15/17 ans : 75 % ont une chaîne Hi-fi dans leur
chambre, 80%, un walkman ou un lecteur CD portable, 90% de leur
écoute radiophonique est consacrée à la musique. La musique est le
sujet qui les intéresse le plus. Par ailleurs la sociabilité entre pairs
prend une place très importante sous la forme de rencontres entre
amis, sorties au cinéma, appels téléphoniques. Les adolescents
regardent également plus longtemps la TV que les enfants et plus
souvent le soir. La lecture de magazines vient en tête de leur pratique
de lecture. Néanmoins, les associations entre classes d’âge et
pratiques sont fortement corrélées à l’origine sociale qui opère en
France, des clivages plus importants que dans la plupart des pays
d’Europe,
Les inégalités sociales devant les écrans et en particulier, devant la
télévision
Il n’y a pas de ségrégation sociale au niveau des équipements
audiovisuels, par contre, l’équipement informatique décroît
nettement avec l’origine sociale, alors que l’équipement en consoles
et jeux vidéo est plus important dans les milieux défavorisés. La
pratique de jeux vidéo, la consommation de radio, l’écoute musicale
et même, la lecture de livres, sont socialement beaucoup plus
homogènes (p. 35) (les auteurs soulignent néanmoins le biais
possible dans la passation de questionnaires, à l’école, pouvant
conduire des élèves à surestimer leur pratique). La pratique de
l’ordinateur (42 % des enfants de milieux les plus favorisés
l’utilisent au moins une fois par semaine contre 25% dans les
milieux populaires), de la lecture et du téléphone croît avec l’origine
sociale ; à l’inverse, les durées d’écoute de la télévision sont
nettement plus importantes dans les familles défavorisées. On
observe également d’importantes pratiques collectives autour de la
télévision dans les familles populaires, et peu de médiation familiale
autour de la TV, et des liens pères/fils autour d’ordinateurs dans les
familles favorisées (p. 33). Le téléphone est également socialement
marqué : son usage est beaucoup plus fréquent chez les enfants de
familles favorisées que des familles populaires. La télévision est
« très démocratique », les jeunes de tous les milieux sociaux
l’utilisent, mais avec des différences dans le volume d’écoute : la
consommation moyenne quotidienne déclarée par les enfants de
milieu très favorisé est de 72 minutes par jour contre 102 minutes
pour ceux de milieux défavorisés. Cet écart est particulièrement fort
pendant le week-end (40 % des enfants de milieu défavorisé disent
regarder la TV plus de trois heures par jour contre 26 % en milieu
très favorisé). Dans la hiérarchie des préférences visuelles, les
enfants des catégories les plus favorisées se distinguent. Ils sont
proportionnellement moins nombreux à mettre la fiction en tête de
leurs préférences, ils témoignent de goûts plus éclectiques et
accordent une place importante aux magazines d’information ou
culturels. C’est au niveau de l’intégration des médias dans la
sociabilité familiale que les différences sociales sont les plus
intéressantes. Dans les milieux populaire, l’écoute de la TV est
collective (71% des enfants disent regarder la télévision en famille
contre 55% des milieux les plus favorisés). De même, 45% des
enfants de milieux populaires déclarent regarder leur émission
préférée avec leur mère contre 34% dans les milieux favorisés, ce
chiffre augmente dans les familles où la mère est ouvrière (49%). La
télévision alimente les conversations avec la mère chez 54% des
enfants de milieux défavorisés contre 45% de ceux de milieux
favorisés.
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La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
25
Ce qui distingue un foyer de cadre supérieur d’un foyer d’ouvrier,
c’est surtout le statut différent accordé au média. Chez les premiers,
la télévision est allumée pour regarder des programmes précis à des
heures précises. Sa place dans la vie familiale est limitée et coexiste
avec d’autres activités : lecture, musique, sorties, présence d’invités.
Chez les seconds, la télévision est allumée presque tout le tempe
(60% des enfants disent que la télévision est allumée quand ils
rentrent de l’école contre 32% des enfants de milieux favorisés),
même si souvent, on la regarde distraitement en même temps que les
repas, le travail scolaire, les tâches ménagères. Comme disait Olivier
Schwartz, c’est la « grande divinité du foyer » (1990). (En ce qui
concerne la pratique des ordinateurs, on se reportera aux pages 3942).
Des pratiques médiatiques « genrées »
La variable « genre » apparaît également comme un important
facteur de discrimination. « Alors que dans les trente dernières
années, la télévision avait joué un rôle unificateur entre les sexes,
l’usage des écrans digitaux accuse des écarts importants, entre les
garçons et les filles » (p. 42-43). Aussi, le téléphone apparaît comme
une pratique féminine (les femmes téléphonent deux fois plus que
les hommes). L’appropriation du téléphone se manifeste surtout à
l’adolescence (p. 43). La moitié des filles de l’enquête téléphonent
tous les jours ou plusieurs fois par semaine contre 39 % des garçons,
elles privilégient les amis à la famille et « bavardent », souvent
depuis leur chambre. Le téléphone est cependant également invoqué
par les garçons « comme le lien incontournable du groupe des
pairs » permettant de perpétuer les contacts parfois entravés par les
orientations scolaires (p. 44). « Le contact téléphonique s’avère
primordial à cet âge charnière de la vie où le groupe d’amis aide à la
prise de distance vis-à-vis de la famille et favorise la constitution de
l’identité sociale ». Les filles écoutent également davantage de
musique et lisent plus de livres que les garçons (la moitié déclare lire
un livre tous les jours ou plusieurs fois par semaine contre 37% des
garçons). Elles lisent plus de magazines (50% de forte lectrices
contre 47% de forts lecteurs. La pratique de la lecture paraît
davantage comme un marqueur féminin comme l’indique l’enquête
sur les pratiques culturelles des français (1997) qui montre que les
femmes sont plus nombreuses à lire que les hommes. Concernant la
pratique télévisuelle, les filles et les garçons ont une similarité de
fréquence et d’intensité d’écoute mais se distinguent par le type
d’émissions : fiction et variétés pour les filles, émissions plus
diversifiées et sport pour les garçons. La télévision demeure un
« facteur de rapprochement entre les sexes » (p. 45) (contrairement à
l’arrivée de nouvelles technologies qui semble creuser l’écart).
L’équipement des filles en digitale (jeux vidéo – 47% en possèdent
contre 66% de garçons –; lecteurs de CD rom ou modem) et en
écrans (y compris pour la télévision) est moins important que pour
les garçons, mais elles ont plus de livres et de chaînes Hi Fi. A
l’inverse, la culture des jeux vidéo est masculine, ils en consomment
plus et plus longtemps. Ils y consacrent une importante partie de leur
budget. Ce loisir est associé à d’autres pratiques comme lecture
fréquente de magazines spécialisés, et sociales. Ils y retrouvent le
plaisir de la compétition et de la rivalité, développé au cours de leur
éducation. Cet engouement est surtout prononcé au moment de la
préadolescence, « période de conflits intérieurs et de mise à distance
de la mère, où se joue la construction de l’identité sexuée » (p. 48).
Les garçons utilisent également davantage l’ordinateur que les filles
et plus longuement. Ils sont plus encouragés à prendre des initiatives
(programmer, recourir aux CR Rom ou Internet pour rechercher des
renseignements) que les filles, comportements qui sont encouragés
au cours de leur socialisation. La bande dessinée est également une
pratique genrée : 46% des garçons disent lire une BD plusieurs fois
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
26
par semaine contre un quart des filles (cf. Mégret, 1995). Le fait
d’être socialement encouragés pour l’actualité et les affaires publics
explique qu’ils soient plus lecteurs de journaux et écoutent plus
d’émissions à la radio.
Pratiques collectives et rapports sociaux de sexe
Dans l’enquête, la cellule familiale apparaît clairement comme un
lieu fortement marqué par les rapports sociaux de sexe, qui se
construisent et qui se jouent, autour des pratiques médiatiques. Les
frères sont pour les garçons les partenaires favoris de leurs
divertissements avec les médias et les pères jouent également un rôle
important. Des complicités similaires s’élaborent entre filles, sœurs,
mères. Les médias apparaissent « comme des espaces parmi d’autres
où se nouent les relations mères-filles et où se joue l’acculturation du
genre féminin » (p. 52). « La différenciation d’appropriation se
ressource dans le processus d’acculturation à la formation de
l’identité sexuée » (p. 53). Néanmoins, les pôles masculins et
féminins ne sont ni homogènes, ni étanches.
Le rôle des médias dans les dynamiques familiales
Ils alimentent les discussions avec les parents, surtout avec la mère.
Ils occasionnent aussi des conflits et son l’objet d’arbitrages qui sont
révélateurs des tentatives d’autorité des parents sur les enfants et des
désirs d’émancipation des enfants, vis-à-vis notamment des autres
membres de la fratrie (p. 62). Le contrôle des médias dans la sphère
domestique est surtout assuré par la mère et porte surtout sur le
téléphone et la télévision. Les médias sont l’objet d’interactions dans
la sphère domestique puisque 80% des 16/17 ans disent avoir des
discussions avec leurs parents sur les médias traditionnels (les
médias « nouveaux » suscitant moins d’échanges). La télévision
vient très largement en tête des sujets sauf dans les milieux très
favorisés où les conversations sur les livres, avec la mère, devancent
(p. 63). En général, les garçons sont plus contrôlés que les filles sauf
pour le téléphone. Le contrôle parental décroît avec l’âge et reste très
marqué pour la télévision conformément aux inquiétudes des parents
sur les effets de la télévision. Le contrôle de la télévision est plus
important dans les familles très favorisés que dans les milieux
populaires. La première forme de contrôle parental porte sur les
contenus (p. 65). La deuxième forme de contrôle parental, exercée
par le père, porte sur le lieu d’utilisation des médias au sein du foyer.
Ainsi, selon qu’il se trouve dans le salon, la chambre des parents ou
de l’un des enfants autorise ou interdit certaines pratiques. La
troisième dimension est liée au temps, davantage exercé par la mère,
et en particulier, au temps d’utilisation. Pour les adolescents, les
conflits peuvent être un moyen de se créer un jardin secret, des zones
interdites aux parents et du coup fortement investies dans la
sociabilité avec les pairs » (p. 69). Braver les interdits peu aussi être
une manière de mesurer l’autonomie et l’indépendance au sein de la
famille. Cette conquête passe, en général par l’obtention des mêmes
droits et des mêmes équipements que leurs aînés (p. 69). L’enjeu
autour du contrôle médiatique est de marquer son territoire au sein
de la famille.
Perception de l’environnement47 et type de pratiques médiatiques
Les jugements que les enfants portent sur leur environnement varient
selon le sexe, l’âge ou l’origine sociale. Ainsi, les adolescents sont
les plus nombreux à penser qu’il n’y a pas assez de choses à faire là
où ils vivent, en grandissant, ils apprécient également de moins en
47
L’enquête s’est attachée à mesurer comment les jeunes percevaient les
environnements – vie familiale, vis scolaire, vie de quartier, et si ces perceptions
variaient en fonction de profils de consommation particuliers.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
27
moins l’école. Mais ces jugements sont aussi liés aux pratiques
médiatiques. Ainsi, les utilisateurs très intensifs en termes de durée
de télévision, d’ordinateur ou de consoles, de jeux vidéo sont
proportionnellement plus nombreux à déclarer s’ennuyer à l’école, à
s’entendre moins bien avec leurs parents et à trouver qu’il n’y a pas
assez de choses à faire là où ils vivent. Mais, ils ont une bonne
perception d’eux-mêmes comme les gros consommateurs de
télévision et contrairement aux gros lecteurs de livres. Les lecteurs
de livres développement le profil inverse (p. 70). La mise en relation
des perceptions de l’environnement et des pratiques médiatiques
permettent de dégager trois sphères : 1) - la sphère de la lecture :
associée à des jugements positifs envers l’école, elle correspond
aussi à une vie familiale organisée autour d’activités autres que
télévisées et à un contrôle plus strict des sorties. A l’inverse du livre,
la lecture du magazine augmente avec l’opposition aux parents et à
l’école et eu sentiment de ne pas avoir assez de choses à faire là où
on vit (p. 71). 2) - La sphère télévisuelle se situe à l’opposé de ce
schéma. La hausse d’une durée d’écoute est lié à un fort rejet de
l’école et à une moins bonne entente avec les parents. Cela est plus
marqué pour les gros consommateurs en semaine qu’en week-end. 3)
L’ordinateur et les consoles de jeux constituent un troisième cas de
figure. C’est le fait de pratiquer longtemps un média qui est
significatif de l’opposition avec le monde scolaire, les parents et
l’environnement géographique. Cependant, il est impossible de
généraliser à partir de ces observations si la pratique « des médias
d’écrans s’inscrit dans un contexte de rejet de l’environnement »
familial, scolaire, culturel (p. 72). Seule une petite minorité
d’utilisateurs intensifs des médias vit les médias et leur
environnement comme deux univers opposés, en particulier, en ce
qui concerne l’école.
En revanche, l’écran, contrairement aux idées reçues, n’isole pas des
autres. Il s’inscrit dans une sociabilité très intense et est un facteur
d’insertion dans la société des pars. Les gros consommateurs de
télévision en semaine, de jeu vidéo et/ou dans une moindre mesure
d’ordinateur ont une sociabilité de groupe plus importante que la
moyenne des enfants interrogés et surtout des gros lecteurs de livres
mais ils passent moins de temps libre en famille ou seuls (p. 73).
Une complémentarité des médias qui évolue avec l’âge
La diversification des médias apparaît ainsi comme une des résultats
majeurs de l’enquête. C’est davantage en termes de durée
d’utilisation et non en termes de fréquence qu’il faut penser les
relations entre les médias. Les enfants ne délaissent pas la lecture au
profit de la télévision, des consoles de jeux et de l’ordinateur. La
complémentarité des médias évolue avec l’âge. A l’adolescence, la
télévision, l’ordinateur, les magazines et le téléphone sont utilisés
alors que la complémentarité des médias s’articule autour de la
télévision, des jeux vidéo et des livres, pour les enfants. La pratique
des jeux vidéo n’est pas antinomique de la lecture des livres (47%),
de magazines, ou de BD (47%) (p. 78-79). Ceux qui se servent de
l’ordinateur pour l’écriture, le dessin ou la recherche d’information
sur CD Rom sont de gros lecteurs de livres (51%) et de magazines
(60%). Rappelons que l’équipement en ordinateur et CD rom est
plus important chez les détenteurs de capital culturel. Le degré de
complémentarité varie en fonction de la durée de la pratique. Seule
une minorité de jeunes sont des « accros » de ces écrans : 22% des
utilisateurs de consoles de jeux et 27% des praticiens d’ordinateurs
consacrent deux heurs ou plus à ces loisirs quand ils s’y livrent (p.
84). S’agissant de la corrélation avec la télévision, les adeptes
intensifs de jeux vidéo regardent davantage la TV que les
consommateurs irréguliers. La lecture de livres est davantage
affectée par l’intensité de la pratique télévisuelle que par le simple
fait de regarder la télévision. Les gros consommateurs de télévision
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
28
lisent moins de livres que de magazines. La lecture des magazines
caractérise surtout l’adolescence (Donnat, 1997).
Sylvie Octobre, « Les 6-14 ans et les médias audiovisuels.
Environnement médiatique et interactions familiales », Réseaux
n°119, 2003, p. 95-12048.
Cet article est tiré d’une recherche réalisée par le département des
études et de la prospective du ministère de la Culture et de la
communication sur les loisirs culturels des 6-14 ans (publiée par
l’auteure sous le titre « Les loisirs culturels des 6-14 ans », Paris, La
Documentation française, 2004). Son ambition était d’offrir une
description complète et précise des loisirs culturels de cette
population « ‘oubliée’ de l’approche statistique et scientifique » (p.
11)49 tout en mesurant l’importance relative de l’influence familiale
en regard des autres instances de socialisation (école, médias, groupe
des pairs). L’enquête statistique réalisée par la DEP sur laquelle
s’appuie ce travail, visait à combler l’absence de connaissance des
pratiques culturelles des enfants et adolescents. Plusieurs questions
sont ainsi traitées : quels sont les âges charnières de l’évolution des
pratiques et des consommations culturelles et quelles significations
les 6-14 ans attribuent-ils à leurs pratiques à ces différences d’âges ?
48
Sylvie Octobre est responsable du département des études et de la prospective
du ministère de la Culture et de la Communication.
49
Hormis l’étude de Patureau Frédéric, Les pratiques culturelles des jeunes : les
15-24 ans à partir des enquêtes sur les pratiques culturelles des Français, Paris,
DEP, Ministère de la Culture/ La documentation française, 1988. Dans les années
1990, la DEP a cependant mené deux études, l’une sur les sorties culturelles des
12-25 ans, l’autre sur le rapport des 10-14 ans au cinéma. D’autres enquêtes ont
été menées sur les rapports des collégiens avec la lecture, au moment où l’Etat
s’est inquiété de la baisse de cette activité. Des études ont fourni des éléments
supplémentaires sur les modes de vie et les loisirs des 8-19 ans
Quel est le poids du genre et comment se combinent-ils avec les
ruptures d’âge ? Comment ces facteurs jouent-ils selon le milieu
social ? Quelles influences peuvent avoir les principales instances
de socialisation – la famille, l’école, le groupe des pairs – sur la
définition des pratiques et consommations culturelles ? Les résultats
concernant la télévision ont été publiés dans l’article paru dans
Réseaux. L’auteur explique avoir choisi la catégorie d’âge, 6-14 ans,
par le fait qu’ils partagent une expérience commune, celle de
l’école. Les médias étudiés ici sont la télévision, la radio, l’écoute
musicale, les jeux vidéo et l’ordinateur. L’auteur analyse les
interactions familiales au sujet des médias, sous la forme d’un
partage de la consommation et du contrôle de l’utilisation des
médias.
L’équipement de l’enfant comme support d’autonomie
L’environnement médiatique des 6-14 se compose d’équipements
lourds (télévision, matériel audio, ordinateur) et d’équipements
consommables (disques, CD, cassettes, etc.). Le premier est souvent
familial tandis que le second est propre. C’est sur ce second type
d’équipement que se construit l’autonomie de l’enfant au sein du
foyer. L’individualisation permise par l’écoute musicale et la radio,
dans la chambre de l’adolescent, a déjà été soulignée. Le fait de
posséder une chambre a soi fait augmenter de dix points la
probabilité pour l’enfant de posséder un matériel audio (réveil,
walkman, discman, etc.).
Un équipement qui varie en fonction des « rapports de classe aux
médias »
L’équilibre entre équipement familial et équipement de l’enfant
varie en fonction des rapports de classe aux médias. En matière de
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
29
télévision, les ouvriers privilégient pour leurs enfants « la libre
disposition d’un instrument de loisirs » (p. 103). Les enfants
d’ouvriers qualifiés sont les plus forts détenteurs de télévision
personnelle (plus d’une tiers des enfants d’ouvriers en ont un). Chez
les agriculteurs, les cadres et les professions intellectuelles
supérieures et les professions libérales, la télévision est un objet
familial, soit parce que la pratique est commune soit parce que les
parents souhaitent avoir un contrôle ne serait-ce qu’en terme d’accès
au poste. Cette absence de poste peut être contrebalancée par des
cassettes vidéo et DVD. Les enfants d’artisans sont plus nombreux à
posséder des cassettes vidéo que les enfants d’ouvriers, les jeux
vidéo sont davantage utilisés par les enfants de chefs d’entreprise, de
contremaître et agents de maîtrise.
L’équipement en disques vinyles et cassettes audio pour les enfants
de cadres témoigne d’un certain rapport de classe aux médias, ces
supports pouvant être dans ce cas considérés comme un patrimoine
éducatif et distractif. L’équipement est révélateur du statut du média
dans la culture de classe et du statut de l’enfant. Les ménages les
plus équipés sont les plus dotés en capital économique et culturel
mais également ceux qui ont un usage professionnel ou para
professionnel de l’ordinateur domestique.
La télévision : premier objet d’interdit
L’arbitrage entre les consommations médiatiques et d’autres
activités met en évidence une hiérarchisation qui relève de la culture
familiale ou du projet éducatif et de la position de l’enfant à leur
égard. « La praxis familiale articule plusieurs registres d’action sur
les médias : faire ensemble, inciter ou faire découvrir, interdire »
(p.106). La télévision est le premier objet d’interdit (environ 80%
interdisent certains programmes et/ou certains moment contre 26,5%
pour la radio et 53% pour les jeux vidéo).
La « carrière » des équipements
Les équipements médiatiques augmentent avec l’âge, des plus
coûteux (télévision, etc.) aux consommables. L’équipement est
massif et précoce, en CM1, commence une autonomisation et une
individuation des équipements. Autour de la classe de cinquième,
commence à se constituer une « culture de la chambre » où les
médias tiennent une place importante. Il peut se soustraire à la
surveillance des adultes tout en vivant avec eux. En 3e, l’acquisition
par le jeune du statut de consommateur semble indiscutable.
L’équipement privatif a augmenté, les interdits parentaux baissent en
matière de consommation médiatique et, pour la télévision : de 12,5
et 14 points en matière de moment dans la journée et de choix des
programmes.
Utilisation des médias et interactions
Les interactions qui découlent de cette carrière du jeune utilisateur
de médias sont plurielles. Elles sont d’abord sexuées, les jeux vidéo
sont des équipements masculins, la possession d’équipements audio
et de consommables musicaux, féminins. Leur culture de la chambre
est globalement plus développée que les garçons. Concernant les
rôles parentaux, la prédominance du rôle maternel se vérifie quelque
soit le média. Les pères sont moins présents dans les registres de
l’interdit et de l’initiation que dans celui de la pratique commune. Le
genre des pratiques s’accentue avec d’un côté, la musique, et dans
une moindre mesure la télévision du côté des mères, les jeux vidéo et
dans une moindre mesure, l’ordinateur, du côté des pères.
C’est dans les interdits que les différences apparaissent le plus. Les
interdictions musicales augmentent pour les garçons mais baissent
pour les filles. SO lie cela aux modèles masculins musicaux opposés
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
30
à ceux des parents, une partie du marché s’étant positionné sur le
segment des « bad boys ». Les interdits concernant les jeux vidéo
peuvent aussi s’expliquer par les références guerrières. La classe
sociale, le sexe et l’âge sont des marqueurs de l’accès au matériel et
de leur appréhension des médias, de leurs valeurs et effets. Aussi la
famille est-elle le lieu de construction de l’image des médias.
catégorie « jeunes » renvoie plus particulièrement à la tranche d’âge
des 4-14 ans. Une observation sur le comportement d’écoute de 740
téléspectateurs de 4 à 14 ans, pendant la semaine du 11 au 17
octobre 1993, a également été réalisée sur 740 jeunes répartis en dix
groupes, selon l’importance de leur durée d’écoute.
Principaux résultats
Pierre Corset, « L’identité du jeune téléspectateur », Document
de l’INJEP, supplément au n°13, Mars 1995.
Ce document, établi à la demande de France Télévision et du Groupe
de recherche sur la relation Enfants - Médias (GRREM), constitue
un état des lieux de la réception télévisée des jeunes. L’auteur a
affiné les données sur « qui regarde quoi et quand ? », en fonction
des âges, du développement des enfants tout en resituant la
« consommation télévisuelle » des jeunes téléspectateurs par rapport
à celle de leurs parents, à leurs autres activités de loisirs et à leur
rythme de vie. Cette étude vise à donner une base chiffrée à la
discussion entre programmateurs d’émissions, décideurs politiques,
chercheurs, membres de la société civile, « afin d’en finir avec la
télévision bouc émissaire de tous les maux et resituer la
responsabilité des uns et des autres », souligne les coordinatrices du
GRREM, Elisabeth Auclaire et Sylvie Mansour50 (p. 8).
Méthodologie
Ce travail rassemble les résultats d’enquêtes quantitatives réalisées
par plusieurs instituts de sondage : Médiamétrie, CSA, IPSOS. La
50
Elisabeth Auclaire est responsable de la Commission médias du Conseil français
des associations pour les droits de l’enfant (Cofrade) ; Sylvie Mansour,
psychologue, est chargée de mission au Centre international de l’enfance (CIE.
L’étude commence par aborder la consommation de l’ensemble des
jeunes téléspectateurs de 4 à 14 ans. Il apparaît que la télévision est
la troisième activité des enfants en termes de budget - temps après le
sommeil et l’école, et la première activité de loisirs : un enfant de
cycle primaire y passe en moyenne 850 heures par an et un
collégien, 960 heures, hors temps de transport et de repas.
Cependant, les enfants regardent moins la télévision que les adultes :
les moins de 15 ans luis consacrent environ 2 heures par jour contre
un peu plus de 3 pour les adultes. L’une des raisons tient à leur
exclusion des programmes du soir. C’est aussi cette raison qui
explique que plus l’on grandit, plus la durée est élevée, puisqu’elle
est associée au fait que l’on est désormais autorisés à regarder la
télévision avec les adultes. Les enfants regardent la télévision le
matin, le soir, entre 18h30 et 20h30. Le mercredi est le jour
privilégié d’écoute pour tous les enfants, avec le samedi pour les 1114 ans. Autres résultats de l’enquête : les filles et les garçons ont des
habitudes d’écoute très comparables. Les jeux vidéo et le sport
concurrencent la télévision chez les garçons (surtout parmi les 8-12
ans) qui sont 73% à les pratiquer contre la moitié des filles. L’auteur
établit par la suite les durées d’écoute par catégories de
consommateurs. La surconsommation (4 heures et demie d’écoute
quotidienne) concerne 10% des enfants. Le fait que l’on retrouve la
même proportion chez les adultes peut s’interpréter comme le signe
que l’écoute des enfants est tributaire de l’environnement familial.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
31
L’auteur distingue les petits consommateurs (moins d’une heure par
jour), les consommateurs moyens (une à deux heures et demi), les
gros consommateurs (plus de deux heures et demi). Si ces derniers
représentent seulement 20% des enfants (contre 40% pour les
premiers et 40% pour les seconds), ils réalisent près de la moitié du
volume d’écoute enfantine. Reprenant la typologie de François
Mariet (cf. infra), l’auteur montre que la télévision est un loisir qui
se pratique simultanément à d’autres activités. Aussi les durées
d’écoute n’ont-elle pas grande signification pour comprendre ce que
les jeunes acquièrent de cette pratique de consommation. Dans la
troisième partie de l’ouvrage, l’auteur s’intéresse à l’offre de
programme. Les émissions pour la jeunesse ont depuis 1983
progressé de façon plus importante que les autres programmes,
(passant de 535 heures en 1983 à 3326 heures en 1989, 4357 heures
en 1991, 3600 heures en 1993). Cette augmentation est due à la
création de la Cinq, en 1989 et à l’ouverture de tranches matinales
sur France 3. La multiplication des heures de diffusion de
programmes a été possible pas l’achat massif de dessins animés
étrangers (ils occupaient en 1991 quatre fois plus de temps d’antenne
que les jeux, reportages, débats, animation de plateaux).
En 1993, TF1 proposait 43% de l’offre de programme Jeunesse,
constitués pour une part importante, par des dessins animés. L’unité
Jeunesse des programmes de France Télévision se divise entre
France 2 et France 3. Canal+ programme en clair des dessins animés
« de qualité », M6 n’a pas de service Jeunesse mais diffuse des
émissions à l’attention des publics jeunes. L’étude de l’audience de
ces programmes indique que les émissions jeunesses de TF1 attirent
un enfant sur deux quelque soit son âge. Elle montre aussi que les
11-14 ans sont plus attirés par France 2 et les 4-10 ans, par France 3.
De même, les émissions matinales sont davantage regardées par les
4-10 ans que par les 11-14 ans (p. 41). Mais, les jeunes ne limitent
pas leur consommation aux programmes Jeunesse : 75% du temps
passé devant le téléviseur est consacré à regarder des programmes
tout public. Les fictions représentent 40% de ces programmes (ce qui
ajouté aux dessins animés et séries des programmes jeunesse
culmine à 56%). En moyenne, 14,1% des 11-14 ans suivent le JT de
20 heures de TF1 et France 2, regardés en famille. Les meilleures
audiences sont fournies par les films et les séries.
Conclusion
Les 6-14 ans passent moins de temps à regarder la télévision que les
adultes. Il existe une importante différence entre les gros, les moyens
et les petits consommateurs que masque la durée d’écoute globale
n’indiquant qu’une moyenne. Les jeunes téléspectateurs sont actifs
dans la mesure où ils zappent d’une chaîne à l’autre pour trouver la
séquence qui leur plait. L’auteur conclut que les jeunes
téléspectateurs deviendront plus actifs encore avec la multiplication
des chaînes et prédit que la consommation télévisée est vouée à
évoluer compte tenu de l’arrivée des nouveaux médias.
IV. Les monographies sur des médias autres que
télévisés
L’intérêt pour les modes de consommation médiatique des jeunes a
donné lieu à plusieurs monographies réalisées sur un support
particulier (radio, magazine…). Les deux recherches qui suivent sur
des pratiques autres que télévisuelles, sont exemplaires de ce
courant.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
32
Hervé Glevarec, Libre antenne. La réception de la radio par les
adolescents,
Paris :
Armand
Colin/INA,
(collection
« médiacultures »), 2005.
L’ouvrage d’Hervé Glévarec est l’un des rares études de réception
réalisées sur les adolescents qui s’appuie sur un dispositif d’enquête
Problématique
Depuis plus de 20 ans, les radios musicales se sont imposées comme
essentielles dans l’univers culturel et social des jeunes. Selon
l’auteur, ces radios sont non seulement « des vecteurs de la musique
auprès des jeunes, mais aussi des supports d’identité et, plus
profondément encore, des espaces essentiels au moment adolescent »
(p. 11). Les médias ne se résument par à un univers déstructuré qui
n’obéit à aucun projet « en dehors de la concurrence pour la
captation des marchés et des publics », comme l’a souligné François
Dubet (2002, p. 55). Les radios construisent en effet un
« programme communicationnel », elles contribuent à l’élaboration
d’une légitimité concurrente de celle de l’univers scolaire (Donnat,
1994), et sont « prescriptives et concurrentes par rapport aux agents
de socialisation que sont principalement l’école et la famille » (p.
12). Les radios jeunes situées au croisement des médias, de
l’adolescence et de la musique, sont au cœur d’une articulation
historique entre musique populaire et adolescence. Les radios
musicales des adolescents diffusent des musiques dites populaires
(rock, rap, dance, groove, r&b, techno, etc.). Ces musiques
expriment des styles qui sont « des cultures de la différenciation et
du goût ». A travers la confrontation des auditeurs aux contenus, ce
média apparaît comme un nouvel espace de socialisation.
Les « libres antennes » sont des émissions quotidiennes interactives
entre les animateurs et les auditeurs qui les appellent et représentent
pour les adolescents « des lieux d’expression ouverts, transgressifs
souvent, mais de conseils ». La télévision n’offre rien de tel parce
que « sa place publique et ‘politique’ l’en empêche » (ibidem). Ces
émissions offrent un espace d’expression que l’école et la famille ne
permettent pas.
Méthodologie
L’enquête menée entre 2000 et 2001 a porté sur une cinquantaine
d’entretiens réalisés avec des jeunes de 15 à 16 ans d’une ville
populaire (Lille) et d’une « ville de cadres » (Toulouse). Quelques
entretiens ont été menés en parallèle sur es 12, 13 ans. Pour les
rencontrer, Hervé Glevarec s’est d’abord tourné vers les centres
sociaux et socioculturels, les centres d’information jeunesse, les
maisons de jeunes, les aumôneries, les groupements scouts. Cette
voie s’étant avérée peu fructueuse, il a enquêté dans les collèges et
lycées, en choisissant des lycées socialement sélectifs (publics ou
privés). Le poids du cadre scolaire n’est pas sans poser des bais dans
l’entretien (p. 65), qui inhibe notamment certains jeunes issus de
milieux populaires. L’auteur âgé d’une trentaine d’années au
moment de l’enquête a demandé aux adolescents de lui montrer leur
chambre qu’il a filmée avec un caméscope. Des observations et
entretiens ont été réalisés, en complément, avec les animateurs de
radios jeunes locales afin de saisir les intentions de producteurs.
L’auteur part du point de vue des jeunes sur la radio.
La « culture de la chambre » et l’importance de la sociabilité chez
les adolescents
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
33
La consommation médiatique des adolescents se caractérise par une
individualisation des pratiques, une « culture de la chambre »
(Livingstone, 2002). Dans cet espace, ils peuvent exprimer leur
identité, exercer un contrôle personnel, avoir des relations à distance
avec leur famille et leurs amis. Paradoxalement, plus cet espace se
privatise avec l’entrée des médias, plus il devient public. On sait que
les pratiques médiatiques des jeunes varient selon l’âge, le sexe et le
milieu social (Pasquier, 2003, Pasquier et Jouët, 1999). Sonia
Livingstone dans son livre sur les jeunes et les médias, a suggéré de
replacer l’usage des médias dans un « style de loisirs » (2002). Elle
souligne l’inclinaison des adolescents vers la sociabilité amicale et le
fait que leur mention des médias est associée à des situations d’ennui
(2002, p. 79-80).
Un « moment radiophonique adolescent »
H. Glevarec situe l’émergence d’un « moment radiophonique
adolescent » dans la première moitié des années 1960, lorsque
Europe 1 et son émission Salut le copains devance RTL sur la
tranche horaire de 17 h à 18 h30. Elle va devenir la radio des moins
de 25 ans. Cette décennie est marquée par une interrogation des
radios sur les jeunes et leur auditoire. Les responsables de l’ORTF
perçoivent ce « moment de la jeunesse » comme étant articulé à un
univers propre et à un univers des adultes considéré sous l’angle des
jeunes (p. 26). Glevarec définit le « moment radiophonique
adolescent » par la part que le public touché, ses « variations
concomitantes » avec des indicateurs de sociabilité juvénile et de
retraite par rapport aux parents et à la télévision, sa thématisation
autour des « problèmes des jeunes », et ses caractères « formels,
transgressifs, flirtant avec la ligne jaune des règles de l’espace
public ». « Tout cela, indique l’auteur, tend à faire de la radio un
moment particulier et un rite de socialisation » (p. 27). L’idée que
les médias remplissant des fonctions similaires peuvent se substituer
entre eux (Himmelweit, 1958), ne joue pas pour la radio et la
télévision. L’écoute de la radio, à la différence de la télévision, croît
durant l’adolescent pour atteindre sont apogée vers 14-15 ans. Il
existe un lien positif entre l’écoute de la radio et la sociabilité
juvénile, mais négatif avec la proximité parentale.
La « radio libre » : héritière du projet de libre expression publique
des années 1970
Les programmes interactifs de « libre antenne » ont lieu chaque soit
sur les trois plus grandes radios « jeunes » musicales : Skyrock,
NRJ, Fun Radio et Le Mouv’, et sur des radios plus généralistes
comme Europe 2, RMC. La première émission « libre antenne »,
Lonvin’Fun débute en octobre 1992. La place de la radio chez les
adolescents n’a pas d’équivalent en Angleterre, par exemple. Ce qui
caractérise ces émissions, c’est la liberté de ton, leur « crudité »
centrées sur des « thématiques jeunes » où les questions sexuelles et
relationnelles sont centrales (p. 29). Les témoignages sont ceux de
gens ordinaires, ce qui les différencie des talk show étudiés par D.
Mehl (1994). Ces émissions qui sont surtout diffusées sur des radios
privées apparaissent aux yeux de Glévarec, un peu comme les
héritières du projet de libre expression publique porté dans les 1970.
Elles portent le flanc à différentes accusations.
La radio, support de l’autonomisation des jeunes
La radio constitue le support de l’autonomisation des jeunes. C’est
un objet domestique ordinaire qui, contrairement à la télévision,
induit une certaine liberté de mouvement. La radio accompagne la
vie quotidienne dont elle fait parfois office de régulateur. « C’est la
récurrence de moments connus et précis – tel journal, telle
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
34
chronique, telle interview, tel horoscope – qui constitue l’espace
familier et en même temps social de la relation à la radio » (p. 75).
C’est davantage la contextualisation de l’écoute que sa régularité qui
caractérise la pratique des jeunes rencontrés. Elle accompagne les
actes de la vie quotidienne car elle se transporte d’une pièce à l’autre
et permet de ce fait aussi de se construire un espace à soi. L’écoute
individuelle de la radio domine son écoute collective, ce qui tend à
toucher, du fait de l’équipement des ménages en plusieurs postes, la
pratique télévisuelle (Donnat et Larmet, 2003). La radio est
davantage présente dans les espaces privés : chambre, salle de bain,
cuisine. Les adolescents ont souvent un ou plusieurs postes dans leur
chambre, en plus de baladeurs, etc. Cette autonomisation se
caractérise par le passage d’une écoute antérieure des programmes
généralistes vers les programmes musicaux. Il est possible de
retracer des trajectoires radiophoniques, vers 15-16 ans, c'est-à-dire,
dès l’instant où une réflexivité et une distance sont prises. La
réception des « libres antennes » prend place dans une trajectoire
radiophonique. Elles perdent leur intérêt à mesure qu’ils s’éloignent
du « moment adolescent » (Galland, 1997, 2000, p. 25-33). La façon
dont on en vient à écouter telle radio dépend de la position dans la
fratrie et des sollicitations des amis (p. 116-117). Les radios jeunes
servent en effet de support de sociabilité. La radio fournit des sujets
de discussion, transmet des expressions. L’autonomisation de l’coute
adolescente porte sur les stations écoutées et sur les conditions de
l’écoute. « Ce qui est en jeu, c’est le processus de différenciation des
espaces individuels, particulièrement à l’orée de l’adolescence »
(entre 10 et 12 ans) (p. 120). A cet âge, les enfants commencent à se
lever à des heures différentes que leurs parents. Hervé Glevarec
souligne que « le pouvoir d’identification individuelle et de
segmentation des groupes par les radios auprès des adolescents est
bien plus fort que dans le cas des chaînes de télévision » (p. 125).
Les radios induisent un positionnement tranché, comme s’il y avait
un genre de personnes pour chaque radio. Le style constitue un point
d’appui, il insiste sur les goûts et les préférences. Dick Hebdige a
montré que le style était une « communication intentionnelle » qui
vise à être vu et lu, c’est aussi un bricolage, il porte une « révolte »,
il indique un rapport entre les valeurs, le style de vie d’un groupe.
Enfin, le style est une « pratique signifiante », il manipule les signes,
sous les traits d’une « politique de la forme » (Hebdige, 1988, p.
100-127). Le style exprime, pour les adolescents, une différenciation
au sein d’une ranche d’âge et une différenciation sociale. Dans les
quartiers populaires de Toulouse, par exemple, l’écoute de Skyrock
apparaît comme aller se soi. La radio sert à se positionner, elle joue
un rôle d’identification et d’intégration. Dominique Pasquier a
montré que les enfants et adolescents des milieux populaires et
moyens subissaient une contrainte à la conformité du groupe
« horizontale » tandis que ceux des milieux plus favorisés
subissaient une contrainte verticale plus forte (Pasquier, 2005). Ces
derniers souffrent de ne pas participer à cette culture « populaire » et
d’apparaître comme vieux (p. 131). L’origine sociale et le sexe
constituent deux variables décisives du choix des radios et du
rapport au monde qu’elles proposent. Skyrock et Chérie FM sont
davantage écoutés par les jeunes des milieux populaires et de la
classe moyenne que Fun Radio et Le Mouv’, choisis par des jeunes
de milieux plus élevés. C’est auprès des enfants issus de familles
populaires, et d’origine immigrés que les amateurs de rap, de raï et
de r&b sont les plus nombreux. On trouve chez des enfants de cadres
supérieures et professions intellectuelles aussi des amateurs de rap.
Les amateurs de techno s’opposent souvent aux amateurs de rap. La
question de l’authenticité est importante pour les adolescents que
« le commercial » est supposé menacer. Stephan Frith a ainsi montré
que les mêmes principes d’évaluation avaient cours dans la sphère
de la culture légitime et au sein des milieux populaires. Les radios
produisent des catégories et des styles que les adolescents reprennent
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
35
(p. 136). Pour les adolescents, c’est écouter ou rechercher un objet
socialement inscrit (p. 139). La musique à la radio se caractérise par
une inscription publique, par le fait d’être un objet collectif et public
(p. 139). « Il s’agit de faire lien, de former une communauté
juvénile », ce que P. Scannel a appelé « la sociabilité » des
programmes de radio et de télévision (1996). Autrement dit,
« choisir d’écouter une radio à tel moment, c’est choisir une
expérience sociale qui va apporter ce qui est diffusé à un collectif, à
une certaine légitimité, à un mélange paradoxal d’attente noncontrôlée de retour du déjà-connu et de nouveau » (p. 140). Par
rapport à la télévision qui occupe une position institutionnelle, la
radio est plus en retrait et offre ainsi une marge de liberté plus
grande. Les « libres antennes » sont des « espaces de transgression
des conventions civiles » (p. 146). L’auteur décrit les différents
dispositifs (canulars, dédicaces, etc.) qui caractérisent les libres
antennes.
Un « espace public radiophonique » ?
Hervé Glevarec se propose d’étudier les « libres antennes » comme
des objets sociaux. Il s’agit de comprendre le type d’objet social que
représentent « les textes » dans la vie des différents adolescents.
L’auteur analyse la spécificité de cet objet. Il s’agit d’une émission
du soir, organisée autour d’interaction entre auditeurs et animateurs
autour de que les adolescents désignent comme « les problèmes des
jeunes ». Elle se situe dans un entre-deux cadres : l’animateur
appartient à la fois à un espace institutionnel et amical.
Contrairement à l’idée que l’audience précède le message (Fiske,
1992), les radios libres étudiées font un travail de catégorisation
sociale (telle que les « pyjamas » qui désigne les plus jeunes).
L’animateur des radios jeunes est resté jeune dans sa tête, c’est un
ami, quelqu’un de familier. Chacun est mis en scène dans un rôle
social. Il s’agit de mettre en scène, une multiplication de points de
vue et de créer un « type d’espace public dont c’est sans doute la
plus grande force et le plus grand intérêts pour les auditeurs » (p.
203). Il s’agit davantage d’un espace commun. Cet espace public
s’articule en effet avec l’espace intime. Skyrock fonctionne pour une
jeunesse populaire comme « un espace d’apparition compatible avec
leur expérience segmentée voire éclatée de la vie » (Dubet, 1987).
Autrement dit, « l’espace radiophonique constitue un lieu possible
unification d’une expérience, du moins de son expression » (p. 211).
La décision d’appeler ou non la radio détermine l’existence de deux
ensembles de jeunes. Cet espace public radiophonique est caractérisé
par une contradiction dans la mesure où il sert autant l’appartenance
sociale qu’il permet d’y échapper. Ces radios offrent un espace
d’entre-soi qui ne relève ni de l’éducation ni de la pédagogie ou de la
morale mais de la relation d’expérience. Le témoignage est une des
voies que prend l’information sur les pratiques sexuelles, la
consommation de drogue, les actes délictueux (p. 214). Ces
émissions sont révélatrices d’un certain rapport des adolescents aux
adultes. L’animateur représente ainsi un autrui généralisé que les
adolescents apprennent plus ou à moins à intégrer. Hervé Glevarec
définit ces émissions comme des espaces d’éducation sexuelle,
l’intérêt est d’aborder ces questions à partir d’histoires vécues.
L’auteur distingue quatre modes de lectures des émissions libre
antennes du point de vue des adolescents : la radio comme espace
commun, un espace défini par le groupe circonscrit de ceux qui s’y
reconnaissent. La radio est aussi une institution, dans la mesure où
elle est pourvoyeuse de règles. Les libres antennes constituent un
tiers qui offre un espace alternatif aux parents et à l’école. La radio
Skyrock assigne un sens à l’expérience de certains adolescents issus
de l’immigration (p. 243). La radio est aussi une performance dans la
mesure où elle repose sur un lien entre producteurs et récepteurs (p.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
36
246). La radio est un dispositif, dont la structure est reconnue par les
auditeurs.
Conclusion
Les conclusions de Glevarec sont à l’opposé de celles de J.
Meyrowitz (1985) qui a montré que la radio avait un faible pouvoir
d’exposition des aspects cachés de la vie adulte contrairement à la
télévision (1985). Les radios « jeunes », écrit-il, « manifestent
pleinement à la fois l’autonomie historique d’un moment adolescent
et peut-être une forme de réunification des dimensions de l’existence
des jeunes » (p. 252). Cette expérience prend dans « une période
moratoire », qui caractérise l’adolescence des jeunes des années
1990. Elle correspond à un moment d’identification/reproduction
aux rôles parentaux de référence. Les radios « jeunes » jouent un
rôle d’éducation, de socialisation et de publicisation auprès des
adolescents. Ces émissions créent un espace public commun plutôt
qu’un espace public adolescent.
Eric Maigret, « ‘Strange grandit avec moi’. Sentimentalité et
masculinité chez les lecteurs de bandes dessinées de superhéros », Réseaux, n°70, 1995, p. 79-103
Problématique :
La plupart des études sur les personnages de bandes dessinées,
supers héros, apparus, à la fin des années 1930 aux Etats-Unis puis
en France ont souligné le caractère fortement conservateur de ces
lectures, en matière de définition des rôles sexuels et de production
de stéréotypes. L’auteur remet en question la méthode utilisée par les
auteurs de ces études qui n’ont pas pris en compte la réception de ces
messages, leurs interprétations par les lecteurs.
Méthodologie
A travers des entretiens semi-directifs auprès d’une vingtaine de
lecteurs de tout âge, et l’étude du courrier adressé aux revues de
super-héros en France et aux Etats-Unis. Eric Maigret s’est plus
particulièrement intéressé aux lecteurs réguliers qui souhaitent en
étant publiés « d’entrer dans la construction des problématiques
publiques » (p. 73). Il a travaillé sur un corpus de 2000 lettres
envoyées aux revues françaises de super-héros, une partie du
courrier des comics américains et des équivalents italiens, portugais,
allemand et anglais.
Principaux résultats
Il ressort que le côtoiement de ces séries s’inscrit dans un processus
d’apprentissage de l’identité masculine qui déborde la communauté
des fans. La cible varie entre les pays. Lorsqu’il est rédigé par des
enfants, le mode d’interrogation est référentiel et ludique, la
compréhension des séries est clairement sexuée. Les enfants
préfèrent certains attribues des héros en fonction de leur
appartenance sexuelle. Pour les adolescents, les contenus changent.
Dans les années 1960, en France comme aux Etats-Unis, le courrier
se révèle être un espace de débats sur l’esthétique des séries et le lieu
d’expression d’une émotion et de description des personnages. A
partir de cette période, s’opère une transformation du contenu des
séries marquée par des récits plus romanesques, accordant une plus
grande place au quotidien, aux relations sociales, amoureuses.
Spiderman cristallise ce tournant. L’insertion du héros dans son
univers d’amis, ses traits psychologiques appelle des remarques plus
longues que l’action. L’introduction d’événements liés à la mort de
personnages secondaires entraîne un afflux de lettres émues.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
37
Néanmoins, l’univers présenté par ces BD demeure sexiste. De
nombreux lecteurs mettent en garde contre le sentimentalisme de
certains personnages. Les limites tracées à la féminisation ressortent
particulièrement dans la réception du surfer d’argent (élancé et
masculin, son corps, nu, est dépourvu d’organe sexuel et son visage,
inexpressif). Le personnage remanié en une sorte de christ torturé
déclenche l’hostilité des lecteurs, aux Etats-Unis, mais un succès
important en France. L’introduction du romanesque dans un
domaine réservé à l’adolescence masculine est un signe parmi
d’autres de la diffusion d’une « culture psychologique. Elle
accompagne la scolarisation massive des années 1960, le poids
croissant des compétences culturelles, mais aussi l’autonomisation
dans le choix du conjoint vis-à-vis des contraintes économiques. Une
des limites de l’enquête, souligne l’auteur, c’est qu’elle repose
essentiellement sur des jeunes de milieux urbains moyennement à
très cultivés qui constitue le lectorat assidu de ces revues. Ils
repoussent d’ailleurs souvent, avec l’âge, les aspects « populaires »,
« hyper-masculins » des séries.
B – Les débats sous-jacents à la question de la
réception des programmes télévisés par les jeunes
Les études de réception des émissions télévisées sur les jeunes – en
fait ici, surtout les enfants - sont fortement influencées par des
questionnements qui ont cours dans le débat public. Beaucoup de
recherches réalisées sur la réception des médias répondent en effet à
une demande politique. Elisabeth Baton-Hervé51 a montré que l’un
des freins des recherches sur les relations entre jeunes et médias
51
Elisabeth Baton-Hervé, op. cit..
tenait au caractère d’évidence d’une question en réalité mal posée. Si
cette problématique a fait coulé beaucoup d’encre, elle ne s’est pas
accompagnée d’avancées notables dans la connaissance sociale du
fait étudiée. Aussi l’auteure s’interroge-t-elle sur les raisons qui
poussent la communauté scientifique à poursuivre cette voie ?52.
I- Le thème des effets des médias télévisés sur les
comportements violents
Hilde T. Himmelweit, A.N. Oppenheim, Pamela Vince,
Television and the child. An empirical study of the effect of
television on the young, London, New York, Toronto: Oxford
University Press, 1958.
L’enquête menée dans les années 1950 par l’équipe de Himmelweit
en Grande Bretagne, constitue la première étude de grande
envergure réalisée sur la télévision et les enfants, ce qui lui vaut, à
côté de ses résultats, d’être très souvent citée par les chercheurs.
Cette enquête s’est faite dans des conditions particulières. En 1954,
le département de la recherche sur l’’audience de la BBC s’est
tournée vers la fondation Nuffield pour sponsoriser une enquête sur
l’impact de la télévision sur les enfants et les jeunes gens. Un
enseignant en psychologie sociale, à la London School of
Economics, Dr Himmelweit, un enseignant en psychologie, de la
même école, Oppenheim, et une chercheuse en psychologie, Pamela
Vince ont réalisé l’enquête qui a duré quatre ans.
52
Dans un travail ultérieur, cette auteure plaidera pour la capitalisation des
résultats de la recherche, afin d’éviter tout piétinement, en même temps que la
sensation d’un éternel recommencement. Elisabeth Baton-Hervé, « Les enfants
téléspectateurs. Prégnance des représentations médiatiques et amnésie de la
recherche », Réseaux, n°92-93, 199.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
38
Problématique
L’objectif de départ était de comprendre les changements introduits
par la télévision dans la vie des enfants. L’enquête s’est déroulée au
moment où le thème des effets des médias sur les enfants était à son
apogée. A cette époque, moins de la moitié de la population
regardait la télévision, mais rien n’avait été écrit sur ce thème.
L’objectif de ces chercheurs était de montrer « comment la
télévision affectait différents types d’enfants dans différents aspects
de leur vie, à différent moments et selon différents contextes de
réception » (p. 2). Ayant distingué deux principaux effets - ceux qui
dérivent du temps d’exposition et ceux qui relèvent du contenu des
programmes télévisés -, les chercheurs ont étudié comment la TV
bousculait l’emploi du temps des enfants et la façon dont les
contenus télévisés affectaient leur vision du monde et de la société.
Les effets sur la vie de famille et sur les réactions émotionnelles des
enfants ont également été étudiés.
Méthodologie
Les auteurs ont choisit une méthode de type expérimentale.
L’enquête principale a été menée dans quatre villes anglaises :
Londres, Portsmouth, Sunderland, Bristol. Une enquête secondaire a
été réalisée à Norwich. Le premier objectif était de faire apparaître
les différences entre les téléspectateurs et les non téléspectateurs.
Pour cela, les psychologues ont construits deux groupes, l’un
composé de téléspectateurs (qui avaient un téléviseur à la maison) et
un groupe sans, appelé « contrôle ». Le second objectif était
d’étudier les variations dans ces différences dues à l’âge, le sexe,
classe sociale et intelligence afin de dégager les groupes auprès
desquels les effets de la télévision étaient les plus marqués.
Le questionnaire issu de l’enquête principale a été distribué aux
enfants de 11-12 ans et 13-14 ans. Les chercheurs se sont efforcés de
comparer des individus du même sexe, milieu social, âge,
intelligence. Constatant qu’à Londres, seulement un tiers des enfants
ne regardaient pas la télévision, les chercheurs ont sélectionné des
villes où la proportion de téléspectateurs et de non téléspectateurs
était plus équilibrée. Une lettre a été envoyée à chaque directeur
d’éducation des 18 endroits sélectionnés expliquant la démarche des
enquêteurs. Un questionnaire a ensuite été diffusé à chaque bureau
d’éducation qui se chargea de le distribuer aux écoles. Les auteurs
retinrent trois villes : Bristol, Portsmouth, Sunderland. Une première
étape a consisté à faire remplir aux élèves des écoles sélectionnées
un journal pendant une semaine dans lequel ils enregistraient tout ce
qu’ils faisaient entre la fin de l’école et le coucher. Six semaines
après, les enfants devaient remplir un questionnaire et répondre à des
tests. Pour cette partie, les chercheurs ont été assistés par une
centaine d’agents recrutés et formés localement. Des observations
d’enseignants sur le comportement et la personnalité de l’enfant ont
complété ce dispositif.
L’étude secondaire a été réalisée à Norwich. L’ouverture d’un
nouvel émetteur de télévision, au moment de l’enquête, fournissait
en effet les conditions d’une situation expérimentale. Toutes les
écoles ont participé à l’enquête, soit 2,241 enfants. Les auteurs ont
tenté de comparer des enfants ayant des caractéristiques semblables,
dans les deux groupes, en privilégiant le fait d’être dans la même
classe. Ces enfants devaient au préalable remplir un questionnaire
concernant, l’âge, la fréquence d’exposition, la télévision, la
possession d’un poste, l’avenir professionnel envisagé, la profession
du père. Ils ont construit deux groupes d’âge (10-11 and, 13-14 ans),
deux catégories sociales (working-class, middle class), trois niveaux
d’intelligence pour les 10-11 ans (QI au-dessus de 115, entre 110 et
115, en-dessous de 100), en particulier…
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
39
Principaux résultats
Les auteurs soulignent que les effets de la télévision ne sont pas
aussi graves que l’opinion populaire les imagine. Si la télévision est
une fenêtre sur le monde, elle en donne une vision qui n’est pas très
différente de celle fournie par les livres, les BD, les films ou les
programmes radiophoniques. Surtout, l’impact des programmes
n’est pas plus fort sur les gros téléspectateurs que sur ceux qui la
regardent moins (p. 39). Les auteurs expliquent être incapables de
répondre à la question de savoir si la télévision est bonne ou pas
pour les enfants. Au mieux, la télévision peut donner des
informations, stimuler l’intérêt, améliorer les goûts et développer
l’expérience de l’enfant, ce qui peut le rendre plus tolérant. Au pire,
la télévision peut entraîner une diminution des connaissances,
empêcher les enfants de faire d’autres activités, comme lire, et
accentuer les stéréotypes et les jugements. La télévision peut
effrayer ou ennuyer, surtout ceux qui sont émotionnellement fragiles
ou ceux qui sont préoccupés par un problème (p. 41).
Les principaux résultats sont résumés dans le chapitre 2 de l’ouvrage
qui est divisé en deux sections : la première porte sur la quantité que
les enfants regardent, la seconde s’intéresse aux réactions des
enfants vis-à-vis de la télévision. Les résultats sont présentés comme
des réponses à des questions que pourraient se poser des éducateurs,
des parents ou des programmateurs. Ainsi, si les téléspectateurs
dépensent plus de temps à regarder la télévision qu’à exercer
d’autres activités de loisirs, la plupart sélectionnent les programmes.
Autre résultat : le plus important facteur intervenant dans l’intérêt et
le temps passé devant la télévision est « l’intelligence » : plus elle est
élevée, moins les jeunes regardent la télévision. Néanmoins, pour
tous et surtout pour les adolescents, les activités en extérieur
prennent le pas sur la télévision. En revanche, le niveau social du
foyer n’a pas d’impact réel sur la façon dont les enfants regardent la
télévision, sauf pour les plus jeunes : les enfants des classes
moyennes tendent à regarder moins souvent la télévision que ceux
des classes ouvrières parce qu’ils se couchent plus tôt. Ce qui se
révèle important, c’est le contrôle parental. Dans les foyers où la
consommation des parents est plutôt sélective et modérée, les
enfants regardent moins la télévision. A partir de 10 ans, la moitié
des enfants regarde les programmes pour adultes diffusés en
première partie de soirée. La préférence des enfants va à ces
programmes, en particulier aux thrillers criminels, puis aux
comédies, aux programmes de variété et aux séries familiales.
L’attrait d’un enfant pour un programme donné est fonction de son
sexe, de sa maturité émotionnelle et intellectuelle, et de ses propres
besoins idiosyncratiques. Le sexe intervient davantage dans les
préférences que les âges. Plus l’enfant a la possibilité de changer de
chaîne, moins il regardera les programmes éducatifs. D’un point de
vue émotionnel, la télévision produit des effets différents selon les
enfants : elle remplit une fonction de réassurance à travers des
formats familiers, de changement, d’excitation, de suspense et
d’évasion tout en permettant aux enfants de s’identifier à des héros
romantiques. Elle offre une proximité avec des personnalités qui
apparaissent quotidiennement et sont perçus par les enfants un peu
comme des amis.
Après avoir exposé ce que la télévision propose aux enfants, les
auteurs s’interrogent sur la vision et les valeurs que la télévision des
adultes véhicule : il s’agit d’une vision de classe-moyenne
supérieure et urbaine (le travail manuel, par exemple, n’est pas
présenté comme étant intéressant). La télévision apprend ainsi que la
confiance en soi est importante pour réussir et que la gentillesse
n’est pas suffisante, que la vie est difficile surtout pour les femmes
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
40
pour qui les mariages sont souvent malheureux. La violence est
également montrée comme étant une composante de la vie, y
compris pour les bonnes gens. Les enfants ont ainsi accès à un aspect
de la vie des adultes. Mais quels sont ces effets sur la perception que
les enfants ont du monde ?, s’interrogent les auteurs. Il existe une
petite influence de la télévision sur la façon dont ils conçoivent le
travail, le succès et l’environnement social. Par exemple, les
téléspectateurs se montrent « plus ambitieux » que ceux qui ne
regardent pas la télévision et émettent « moins de préjugés sur les
étrangers ». Mais, de manière générale, « les valeurs de la télévision
peuvent produire un impact si elles sont présentées de façon
dramatique et si elles touchent à des idées et des valeurs auxquelles
l’enfant est déjà préparé ».
Après s’être intéressés aux effets de la télévision sur les valeurs et
perspectives, les auteurs se penchent sur les réactions de peur et
d’anxiété. Qu’est-ce qui effrayent les enfants ? Quels types
d’agressions perturbent le plus souvent les enfants ? La télévision ne
se distingue pas du cinéma ou de la radio sur ce point. Les enfants
aiment avoir un peu peur, mais ne pas être effrayés. A la question de
savoir si les westerns, les séries criminelles et policières rendent les
enfants agressifs, les auteurs répondent par la négative, sauf pour
« ceux qui sont déjà perturbés émotionnellement ». Est-ce que la
télévision améliore la connaissance des enfants ?, interrogent ensuite
les auteurs de l’enquête qui montrent qu’elle ne fournit ni une aide,
ni une entrave sauf pour les plus petits pour lesquels elles
représentent un avantage. Comment la télévision affecte-t-elle le
travail scolaire ? Les auteurs montrent que la télévision a peu
d’impact sur la concentration des enfants à l’école, malgré les
affirmations des enseignants. La télévision produit par contre des
effets sur les loisirs. Un premier constat s’impose : les jeunes et les
enfants « peu intelligents » attachent plus d’importance à la
télévision que ceux qui sont « plus intelligents ». Les enfants
regardent en général la télévision deux heures par jour ce qui
empiète sur d’autres activités comme le cinéma, la radio ou encore la
lecture. Mais là encore, des différences existent entre les enfants. Si
la télévision peut sembler, à première vue, empiéter sur la lecture, en
fait, cela n’est pas le cas sur le long terme. La télévision n’a pas non
plus affecté les relations sociales en dehors de la famille, même si
pousse les jeunes à dépenser moins de temps à ne rien faire, et à être
plus structurés (p. 24). Quels sont les effets sur la vie de famille ?,
enchaînent les auteurs de l’enquête. La télévision n’est pas
forcément un facteur de cohésion familiale, sauf quand l’enfant est
petit. Sa vision devient, en grandissant, plus silencieuse et
personnelle ; à l’adolescence, le temps passé en famille peut être
ressenti comme une contrainte. Quand aux conflits familiaux qui
portent surtout sur l’heure du coucher, ils débordent la seule question
de la télévision. En outre, beaucoup de parents apprécient la
télévision qui, d’une certaine façon, exerce une fonction de
surveillance sur les enfants.
L’enquête s’attache ensuite à étudier la stimulation ou la passivité
des enfants face à la télévision. Dans l’enquête d’opinion, un quart
des enseignants croient que la télévision rend les enfants plus
passifs. En fait, les activités en extérieures sont les plus prisées par
les enfants, ce qui contredit cette supposition. Le fait de regarder la
télévision a moins d’implication sur l’activité des enfants, que sur
leur intérêt.
Après avoir abordé les effets de la télévision sur le sommeil des
enfants et sur leur vue — questions que se posent aussi fréquemment
les parents, enseignants — les chercheurs se demandent qui sont les
enfants qui développent une dépendance à l’égard de la télévision ?
Parmi les facteurs d’intensité d’exposition à la télévision, le plus
important est « l’intelligence », (ré)affirment-ils. Les élèves « lents »
la regardent plus que les élèves « intelligents » ; parmi les plus
jeunes la fréquence d’écoute de la télévision est surtout élevée pour
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
41
les enfants d’ouvriers (p. 29). Au passage, on voit l’association
implicite faite par les chercheurs entre « intelligence » et classe
sociale. Le fait d’avoir une personnalité fragile peut également jouer
sur la surconsommation télévisée. « A l’intérieur d’un niveau
d’intelligence, d’une classe sociale et d’un groupe d’âge donnés, le
volume de consommation télévisée donne une indication sur le degré
de satisfaction de sa vie : une grosse consommation est un symptôme
d’insatisfaction ou d’accès à des équipements inadéquat » (p. 29).
Pour conclure, les effets de la télévision sur les enfants varient en
fonction de l’intelligence des enfants qui apparaît comme un facteur
déterminant, tant au niveau de la quantité regardée que de l’intérêt
pour la télévision. Deuxièmement, les effets varient en fonction de
l’âge. A l’adolescence, par exemple, la télévision devient moins
importante. Troisièmement, les effets varient en fonction du sexe.
Les adolescentes sont plus sensibles à l’impact de la télévision, bien
qu’elles ne la regardent pas plus que les garçons. Cela s’explique
par le fait qu’elles sont plus intéressées aux jeux mettant en scène
des problèmes concernant les relations humaines (p. 32), mais aussi
parce que la télévision, par son incapacité à leur proposer des
modèles de réassurance, tend à renforcer leur sentiment d’insécurité
(sic). Ainsi, les personnages féminins suscitant la sympathie tendent
à être souvent malheureux et dominés par les événements.
Par contre, et contrairement à « l’opinion populaire », l’origine
sociale a une influence presque nulle sur les réactions des enfants
vis-à-vis de la télévision. Les auteurs soulignent que contrairement
au cinéma, la classe sociale intervient peu dans la consommation
télévisée ou radiophonique. « L’utilisation par les enfants de ces
médias faciles d’accès dépend moins des conventions sociales et
plus d’un choix personnel », soulignent-ils (p. 33). Les auteurs
définissent l’origine sociale en termes de différences de profession
exercée par les parents. Le groupe des enfants d’ouvriers comprend
les enfants dont les pères exercent un travail manuel. Le groupe
d’enfants de classes moyennes, compte tenu du fait qu’ils sont dans
une école publique, comprend seulement une petite proportion
d’enfants dont les pères exercent un travail professionnel ou
occupent des postes d’exécution élevés.
Enfin, un facteur important déterminant la quantité de temps passé
devant l’écran réside dans la personnalité (c’est nous qui soulignons)
de l’enfant. Ceux qui vivent dans un foyer heureux la regardent
moins que ceux qui ont des difficultés à avoir des amis ou des
problèmes familiaux.
Les effets liés à l’introduction d’un nouveau média
Concernant certains effets de la télévision, les auteurs ont dégagé un
ensemble de principes permettant de prédire, par exemple, ce qui
peut arriver quand un nouveau média s’implante dans une
communauté comparable à la ville qu’ils ont étudiée. Premièrement,
l’introduction d’un nouveau media entraîne une plus grande
différentiation parmi ceux qui existent déjà. Deuxièmement,
l’introduction d’un nouvel élément dans la structure existante
requiert assimilation et intégration.
Ces principes peuvent être regroupés en quatre catégories : ceux qui
concernent la réorganisation des loisirs, ceux qui portent sur les
effets induits par la télévision sur les perspectives et les valeurs des
enfants, ceux liés aux généralisations à propos des goûts, ceux qui
déterminent quel type d’incident provoque une peur ou une
perturbation émotionnelle.
Le premier principe renvoie à la réorganisation des loisirs induits par
l’arrivée de la télévision. Seules certaines activités ont été affectées
par le petit écran, comme la radio ou les bandes dessinées.
Concernant le principe des effets de la télévision sur les valeurs, les
auteurs montrent qu’ils sont surtout efficients si les valeurs sont
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
42
présentées d’un programme à l’autre, sous une forme dramatique et
si elles coïncident avec les besoins et intérêts immédiats des enfants.
De même agissent-elles plus facilement si le téléspectateur est peu
critique vis-à-vis du média et s’il n’a pas, dans son environnement,
un système de valeur qui lui permette de prendre des distances. Le
troisième principe montre que le goût porté à un média est lié aux
intérêts de l’enfant. En général, les enfants préfèrent les programmes
adultes de sorte que ce sont ces derniers qui pourraient influer sur les
goûts plus que ceux destinés aux enfants. Souvent, d’ailleurs, ce sont
les programmes que les adultes jugent inintéressants pour eux que
les enfants cherchent à revoir. La diversité des goûts est très présente
comme l’illustre le fait que le programme le plus populaire était cité
par un tiers des enfants seulement. S’agissant du quatrième principe,
la peur et les troubles émotionnels peuvent tout aussi bien être
déclenchés par les meurtres, les bagarres que par des séquences où le
malheur affecte les relations entre adultes. Les effets des scènes
violentes sont moins forts : lorsque la présentation est stylisée
(comme dans les westerns), s’il s’agit de l’épisode d’une série (car
l’enfant se familiarise avec les conventions), si le milieu où s’exerce
la violence n’est pas familier à celui de l’enfant, si les personnages
sont noirs et blancs (plus que gris), enfin, si l’enfant est assuré qu’il
s’agit bien d’une fiction. En général, les enfants sont moins pris par
les conséquences des crimes que par les éventuelles blessures
affligées à celui ou celle auquel ils s’identifient.
Une science au service de l’action : les préconisations des
chercheurs
La présence de deux chapitres dédiés aux implications et
suggestions, témoigne du statut hybride de ce travail. Les chercheurs
utilisent les résultats de la science pour proposer des solutions qui
puissent être mises en œuvre, à la fois pour le public (les parents, les
directeurs de clubs de jeunes, les enseignants) et pour les
professionnels des médias.
Cette recherche leur a ainsi permis de remettre en cause les
conclusions sur les rapports entre enfants et télévision, le plus
souvent basées sur des observations réalisées sur des petits groupes
d’enfants. En fait, les enfants diffèrent trop et l’impact du média
n’est pas assez important pour détruire ces différences (p. 43)
Néanmoins, pour chaque effet ou pour chaque type d’enfant, un
tableau peut être construit et des généralisations faites.
Premièrement la division entre les programmes de divertissement du
soir et ceux à destination des enfants n’est pas justifiée car les
enfants regardent les deux. Il en va de même pour la séparation entre
les programmes éducatifs et les programmes de divertissements : les
enfants peuvent apprendre beaucoup plus des seconds, parce qu’ils
ont une forte charge émotionnelle, que des premiers (p. 44). Aussi, la
distinction devrait plutôt concerner les sujets traités.
De même, c’est une erreur de penser que le contrôle de la télévision
dépend du niveau social du foyer car il n’est pas plus important chez
les ouvriers que les classes moyennes. Les chercheurs soulignent que
le problème qui focalise l’opinion est mal posé. La nature des
programmes regardés joue un rôle plus important que le temps passé
à regarder la télévision. Les chercheurs suggèrent de s’intéresser
plutôt à ce qui détermine l’abandon d’un intérêt ou d’une activité au
profit de la télévision et aux programmes qui offrent une
compensation.
Autre élément : l’impact de la télévision dépend de l’offre de
programmes proposant des contenus similaires aux enfants, d’où
l’intérêt de réfléchir en termes d’équilibre de ces programmes (p.
44). Autrement dit, il importe de ne pas se focaliser uniquement sur
les programmes violents mais de s’intéresser à l’ensemble des
programmes qui présentent une vision de la vie à l’enfant, et en
particulier, d’examiner les valeurs implicites contenues dans ces
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
43
scènes, séries et jeux. Quant à la question du rôle éducatif de la
télévision, elle devrait être pensée en termes de pertes et profit. Les
plus intelligents des enfants, qui souvent, lisent le plus, ne tirent pas
profit de la télévision, contrairement aux mauvais élèves qui lisent
rarement (p. 45).
Les auteurs suggèrent aux parents de prêter attention aux conditions
optiques de la réception télévisée (dans le jour plutôt que dans le
noir). Ils leur conseillent de discuter avec eux des programmes, de
les empêcher de regarder des scènes trop violentes ou des
programmes pour adultes anxiogènes, enfin, ils les invitent à montrer
l’exemple. La télévision, soulignent-ils, est rarement la cause de
déséquilibres qui pour l’essentiel, se situent ailleurs. Aux directeurs
de clubs, les chercheurs conseillent d’utiliser la télévision pour
lancer une discussion autour d’un thème et de s’inspirer des
expériences telles que les télé-clubs en France. Aux enseignants, ils
suggèrent de discuter de ce que les enfants ont vu à la télévision afin
d’établir un pont entre les intérêts et univers des enseignants et des
enfants et d’utiliser la télévision comme un moyen d’intéresser les
enfants à certains sujets. Les enseignants pourraient également
suggérer des programmes à regarder, etc. Le chapitre consacré aux
producteurs de télévision suggère que ces-derniers s’appuient sur la
recherche pour construire leur programmation. Les psychologues
leur disent de prendre davantage en considération le public qui est
mal connu (en dehors des mesures d’audience et des taux de
popularité). De façon générale, la recherche sur les effets de la
télévision devrait être davantage prise en compte par les producteurs.
Médias et violence », Les cahiers de la sécurité intérieure,
IHESI, n°20, 1995.
En 1995, la revue de l’Institut des Hautes Etudes en Sécurité
Intérieure (l’IHESI), organisme de recherche, créé en 1989, qui
dépend du ministère de l’Intérieur, a consacré un dossier aux
« Médias et [à la ] Violence ». On y retrouve les contributions de
chercheurs français tels que Divina Frau-Meigs et américains,
comme George Gerbner (dont Divina Frau-Meigs s’est par ailleurs
inspirée). Le dossier porte plus spécifiquement sur la question des
effets des médias en particulier sur les comportements violents. Ce
dossier offre un matériau d’étude particulièrement intéressant dans la
mesure où il illustre la façon dont la question était problématisée en
1995. La présence d’une « table ronde » dont l’objet est de réfléchir
sur la nécessité (ou non) de réglementer la violence à l’écran
témoigne de la dimension non plus seulement scientifique mais
politique et journalistique du questionnement de départ53 : « A
l’occasion d’événements dramatiques, la question de la violence
dans les médias revient régulièrement dans l’actualité. Quels sont
les effets des médias ? Faut-il réglementer la violence à
l’écran ? Pour répondre à ces questions, les Cahiers de la sécurité
intérieure présentent un bilan inédit des recherches et les analyses
des meilleurs spécialistes étrangers et français », indique la
quatrième de couverture du numéro.
De façon générale, c’est cependant un point de vue relativement
critique qui se dégage des articles.
Un questionnement américain ?
53
Cette table ronde, animée par une journaliste au Monde, rassemble un membre
du Conseil d’Etat, un administrateur de Familles de France, un député et directeur
de cabinet de la secrétaire d’Etat à la famille, un magistrat, responsable du service
des relations extérieures du CSA, et, pour les médias, le secrétaire général de TV
France international et un consultant à la présidence de France Télévision.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
44
Dans son article intitulé « Médias et Violence : une relation
introuvable », (p. 9-20), Thierry Vedel, chargé de recherche en
CNRS, rattaché au CEVIPOF, rappelle que la question des relations
ente médias et violence, très présente aux Etats-Unis, s’est imposée
plus tardivement en France. Le fait que l’industrie audiovisuelle
appartienne au secteur commercial, depuis longtemps, pourrait
expliquer, l’antériorité du questionnement, aux Etats Unis. En outre,
la recherche aux Etats-Unis s’appuie essentiellement sur des
méthodes (études quantitatives et comportementales) qui sont moins
prisées sur le vieux continent. Surtout, souligne l’auteur, le fait que
la violence fasse partie des mythes fondateurs de la société
américaine et lui confère une fonction sociale particulière (mais
inexistante en Europe), pourrait expliquer, au moins partiellement,
l’intérêt des chercheurs pour cette thématique. D’autres raisons
rendent compte de l’intérêt pour cette question. L’explication d’actes
de violence par les médias fournit une cause simple à un phénomène
complexe. Chacun peut se sentir impliqué dans cette question et
avoir l’impression d’en connaître les termes. Surtout, la « question
médias et violence enchevêtre constatations intuitives et discours
savants » (p. 10-11). « Chacun peut trouver dans le stock de
recherches une interprétation ou une théorie qui illustre son
argumentation ou renforce ses convictions » (p. 12). Enfin, la
question touche à des enjeux politiques voire philosophiques : la
question de l’interventionnisme étatique versus le libre arbitre, la
définition des valeurs et des normes. Après avoir dressé un tableau
des opinions courantes sur la responsabilité des médias, l’influence
des médias et de réglementation de la violence dans les médias (en
reprenant les catégories de classement de la revue), l’auteur observe
que la recherche s’intéresse principalement au problème de
l’influence des médias.
Apparues aux Etats-Unis, dans les années 1930, plus de 5000
enquêtes et études ont été réalisées sur la question. Trois grandes
approches ont été privilégiées : les premières reposent sur des
analyses de contenu. Elles visent à mesurer le degré de violence
diffusé dans les médias. Cette méthode présente plusieurs biais : le
premier tient à la définition de la violence, le second, à la
qualification des actes, des émissions, le troisième, à l’absence de
renseignements sur la violence perçue. La deuxième approche est
celle des études sur le rôle des médias dans les processus
psychologiques, généralement conduites en laboratoires. D’autres
biais surviennent : représentation de l’échantillon, isolement des
individus de leur contexte habituel. Enfin, les enquêtes de terrain ont
l’avantage de prendre en compte les effets des médias sur une plus
grande durée et dans des contextes sociaux divers mais « se heurtent
à isoler les effets des médias à celui d’autres facteurs sociaux » (p.
13). Deux types d’interprétation découlent des études de terrain et de
laboratoire : les théories sociologiques les expliquent en fonction de
caractéristiques sociodémographiques et des « conditionnements
sociaux » ; les théories psychosociologiques cherchent à comprendre
les processus cognitifs qui conduisent le spectacle de la violence à
l’adoption d’un comportement. Le nom de Gerbner est associé à
l’approche sociologique, qu’il s’agisse de l’analyse de contenu ou de
l’étude de terrain. Ces travaux s’accordent à dire que la violence
dans les médias peut contribuer à un comportement agressif ou des
attitudes négatives, tout en relativisant cette influence qui n’est
jamais mécanique, ne s’opère que sur certaines personnes, et dans
des circonstances particulières.
Indice de la fragilité scientifique de ces travaux, les résultats obtenus
ne parviennent pas toujours à être reproduits, en particulier lorsque
que les contextes culturels diffèrent. Se pose également la question
de l’interprétation des corrélations entre la diffusion d’images
violentes dans les médias et le comportement ou les attitudes des
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
45
groupes d’individus. Enfin ces études se heurtent à la difficulté
d’isoler le seul effet de la « violence médiatique » d’autres facteurs.
L’auteur suggère d’ouvrir à d’autres supports que la télévision les
recherches (les vidéos clips, par exemple, les émissions
d’information ou les reality shows). Il propose de s’interroger sur les
stratégies de programmation : la violence n’étant pas très populaire,
pourquoi est-elle présente sur les écrans ? Un troisième point
soulevé concerne l’impact des dispositifs visant à réguler la violence
dans les médias, voire des politiques menées sur le terrain de
l’éducation à l’image. L’auteur clôt cette liste en invitant les
sociologues des médias à se rapprocher des criminologues.
Barbara Wilson, « Les recherches sur médias et violence :
agressivité désensibilisation peur », Les cahiers de la sécurité
intérieure n°20, 1995, p. 21-37.
Barbare Wilson propose également une recension critique des
travaux existants sur la question, mais dans le champ de la
psychologie. Rappelant le caractère récurrent des débats qui existe,
aux Etats-Unis, depuis les années 1930, elle distingue trois théories
sur la relation entre violence médiatisée et agressivité. La théorie de
la catharsis prétend que des émotions désagréables peuvent
s’accumuler au point de l’individu puisse avoir envie de s’en libérer.
La télévision aurait ainsi une fonction libératrice. Cette théorie,
communément avancée dans les débats sur la violence dans les
médias, n’a pas été validée par la recherche ; au contraire, des
auteurs ont montré que les situations violentes augmentaient
l’agressivité. La théorie de l’apprentissage social a été élaborée par
un psychologue, Albert Bandura. Selon lui, les enfants apprennent
en observant et en imitant ceux qui l’entourent. D’autres chercheurs
ont expliqué la relation entre violence médiatisée et agression en
termes de traitement de l’information. Ils cherchent à expliquer
pourquoi certaines personnes sont plus susceptibles d’acquérir des
réflexes agressifs que d’autres en regardant la télévision.
Toutes ces théories sont basées sur des études expérimentales
conduites en laboratoire. Elles soutiennent l’hypothèse selon laquelle
la violence médiatisée aurait un lien causal avec le comportement
agressif. Néanmoins, ces résultats ont été critiqués, d’un point de vue
méthodologique. D’autres travaux indiquent qu’une exposition
répétée à la violence médiatisée peut désensibiliser le spectateur et le
rendre indifférent à des actes violents réels. Certains chercheurs
estiment que l’effet de désensibilisation est peut-être plus commun et
plus important que l’effet sur l’agressivité. Enfin, les recherches
montrent que l’exposition à la violence dans les médias provoque
aussi la peur. Barbara Wilson sort de sa posture d’analyste de la
littérature existante sur la violence à la télévision pour s’inquiéter du
fait que, à ses yeux, « les implications sociales des recherches
présentée ici sont potentiellement alarmantes ».
George Gerbner, « Pouvoir et danger de la violence télévisée »,
Les cahiers de la sécurité intérieure n°20, 1995, p. 38-49.
Dans le numéro consacré à « Médias et violence », par les Cahiers
de la sécurité intérieure, George Gerbner est présenté comme « l’un
des experts les plus reconnus dans le domaine ». George Gerbner est
sans doute l’un des chercheurs Américains les plus cités dans les
travaux français réalisés sur la « violence télévisée ». Or, que nous
dit cet auteur ? La façon dont on a abordé la violence à la télévision
n’est pas satisfaisante. La question de savoir si la violence à la
télévision incite à la violence est davantage un symptôme qu’un
diagnostic. La violence à la télévision doit « être appréhendée
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
46
comme un scénario complexe et un révélateur des relations
sociales ». Elle est l’expression du pouvoir : « elle définit le pouvoir
de la majorité et, inversement, les menaces qui pèsent sur la
minorité. Elle montre à chacun la place qu’il occupe dans la
hiérarchie sociale » (p. 40). La violence renvoie à la relation que l’on
entretient avec la télévision, relation qui n’est pas reconnue par la
théorie ou la réglementation. Or, alors que la télévision est la
« source principale de l’environnement culturel dans lequel la
plupart des enfants grandissent et se forment », la pluralité des
points de vue est menacée par la concentration des médias. George
Gerbner développe en fait une critique du système libéral américain
à travers la dénonciation de la violence à la télévision. L’auteur
perçoit la violence à la télévision comme faisant partie d’un
« système de marketing planétaire » qui « inhibe la diversité des
visions de ce qu’est un conflit, étouffe la production audiovisuelle
indépendante et prive les téléspectateurs de choix plus attractifs […]
Il accroît l’anxiété générale et suscite des attitudes répressives de la
part des hommes politiques qui exploitent le sentiment d’insécurité
généralisée qu’il provoque » (p. 40). Derrière la violence à la
télévision se pose la question cruciale, aux yeux de Gerbner de qui
conçoit la politique culturelle et au nom de qui ? (p. 41). En effet,
cette politique est définie de « façon privée par des directions
d’entreprises invisibles, dont les membres sont inconnus, non élus et
responsables uniquement devant leurs clients » (p. 41). Autre
symptôme attribué à la télévision, le fait qu’elle dessine un « nouvel
environnement culturel » qui domine celui de la famille, de l’école,
de l’église ou des institutions proches. Elle a ainsi « modifié de
façon radicale la manière dont les enfants grandissent, apprennent et
vivent dans notre société ». Comparé à d’autres médias, la télévision
« est un rituel conduit avec relativement peu d’esprit critique et les
enfants en constituent une audience captive » (p. 41). Elle entrave la
capacité de sélection puisqu’elle nécessite peu d’attention mais ses
schèmes répétitifs deviennent partie intégrante du style de vie
familial. De sorte que les rôles que se forgent les enfants sont le
produit d’un système de marketing complexe. Rappelant que toutes
les représentations de la violence ne sont pas nécessairement
néfastes, G. Gerbner indique que la « violence gentille » télévisée a
pour fonction d’aider la réceptivité du public au moment d’aborder
l’écran publicitaire qui suit. Les résultats de l’analyse de contenu des
médias opéré par l’auteur montrent que la violence suit depuis trente
ans un modèle très stable. Les personnages masculins, de race
blanche, issus des classes moyennes, dominent par leur nombre et
leur pouvoir. Les femmes représentent un tiers des personnages, les
jeunes et les personnes âgées sont sous représentées, et les minorités,
encore plus sous-représentées. Ces personnages sous-représentés
subissent souvent les pires sorts.
L’auteur utilise le terme d’incubation afin d’établir une distinction
entre la formation à long terme d’opinion sur la vie et les valeurs et
les effets à court terme que l’on évalue en mesurant les changements
qui surviennent au contact de certains messages. Cette notion permet
d’explorer si ceux qui passent plus de temps devant la télévision ont
plus de chance d’avoir une perception de la réalité en adéquation
avec les orientations dominantes de ce média. Elle compare les
téléspectateurs assidus, modérés et occasionnels en contrôlant les
autres variables socioculturelles. Plusieurs résultats apparaissent :
l’exposition répétée à une télévision saturée de violence contribue,
sur le long terme, à la dévalorisation du monde et du cadre de vie.
Les téléspectateurs assidus ont plus tendance à croire que leur
quartier est peu sûr, à supposer que la criminalité est en hausse. Ils
sont aussi de gros consommateurs d’équipements en sécurité. Cette
violence télévisée, est le résultat d’une vaste machine de production
et de marketing. Alors que la concentration des médias entrave des
projets nouveaux, créatifs, alternatifs, l’internationalisation du
marché contraint les chaînes à recourir à un ingrédient dramatique
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
47
qui puisse convenir à différents pays : la violence. Parce que tout le
monde comprend un film d’action, la violence domine les
exportations audiovisuelles américaines. Aux Etats-Unis c’est
surtout auprès du public jeune que les publicitaires veulent toucher
que les émissions violentes ont une forte emprise. Mais la violence à
l’écran est dénoncée par un nombre de plus en plus grand d’acteurs
sociaux. Pour finir, l’auteur suggère que le public puisse participer
aux décisions ayant trait à la politique culturelle et qu’il se regroupe
en associations.
Frau-Meigs, Divina54, « Les écrans de la violence, cinq ans
après… La question de l’acculturation », in Lardellier (dir.),
Violences médiatiques. Contenus, dispositifs, effets, Paris :
L’Harmattan, 2004, (coll. « communication et civilisation »), p.
55-8055.
Ce travail a été réalisé sur la base des travaux de George Gerbner. Il
se situe à la frontière entre le travail scientifique (enquête par
questionnaire…) et l’essai, comme l’indique la récurrence d’un
vocabulaire alarmiste (crainte, risque).
Problématique
54
Mcf Université Paris III-Sorbonne Nouvelle
Ce livre constitue en lui-même un objet d’étude. Préfacé par le psychanalyste
Serge Tisseron, auteur d’un grand nombre d’ouvrages sur le rapport des enfants à
la télévision, il rassemble les contributions d’enseignants et de chercheurs en
sciences de l’information et de la communication et de journalistes (tels que Serge
Moati). L’ouvrage se situe à la frontière de la production scientifique et du sens
commun, eu égard aux titres, au contenu des articles et aux propos de leurs
auteurs. Les thèmes sont en effet étroitement liés à l’actualité (qu’ils portent sur le
« 11 septembre », par exemple, ou sur la question de savoir « s’il faut refonder la
protection de l’enfance dans les médias »).
55
L’auteure revient sur les conclusions de son précédent ouvrage,
coécrit avec Sophie Jehel qui faisait un état des contenus des
programmes télévisuels et soulignait leur forte propension à montrer
une violence « sans issue autre que la force brute et létale » (p. 55).
La suite consistait à vérifier la réception de ces programmes auprès
des jeunes. Ces contenus étant en grande partie originaires des EtatsUnis, c’est le concept d’acculturation qui a été choisi pour rendre
compte de l’appropriation de ces programmes, dans un contexte
d’américanisation des échanges. Si la violence n’était pas le premier
élément de la recherche, elle en faisait partie intégrante, comme
l’indiquent les questions que se sont posées les auteurs : « La
violence émerge-t-elle dans la formation des goûts et des repères des
jeunes Français ? A travers quels programmes ? Si acculturation il y
a, s’inscrit-elle dans un type de réception qui relève de l’incubation
culturelle ? ». Le terme « incubation » reprend celui de
« cultivation » de George Gerbner. Les auteurs cherchent à explorer
cette incubation, en la reliant au phénomène d’acculturation, car,
selon elles « les conséquences de ces contacts ont une influence sur
la construction de l’identité des jeunes et ses fondements
dynamiques » (p. 56). L’enjeu a consisté à vérifier les conclusions
d’anthropologues dont Duane Varan, pour qui l’acculturation touche
les « zones ouvertes » à l’adaptation pas celles qui touchent aux
repères structurels et institutionnels56. Cet auteur a montré que
l’américanisation des jeunes était un phénomène transitoire, dépassé
à l’âge adulte qui correspondrait à une « phase d’opposition et de
recherche d’un modèle alternatif de succès et de puissance ».
56
D. Varan, « The cultural erosion metaphor », Journal of communication, 48 2
(Spring 1998) : 58-85.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
48
Méthodologie
La recherche visait à « évaluer les préférences et les repères des
jeunes Français par rapport à leur consommation des médias » (p.
56). Elle a été menée avec Sophie Jehel, en 2001 auprès de 300
collégiens en province et en banlieue parisienne. Les auteures ont
distribué un questionnaire afin de repérer les goûts, la
reconnaissance du contenu et des messages, les repères
institutionnels sur la base de mini scénarii. Ces derniers ont été
établis à partir de situations stéréotypées révélées par l’analyse de
contenu. La recherche a croisé ces données avec « l’identité
objective » des jeunes : leur nationalité d’origine, leur insertion
territoriale, leur milieu familial, leur consommation télévisuelle, en
s’appuyant sur les analyses de Gerbner57. Ce chercheur a montré que
l’impact de la télévision était d’autant plus fort que l’environnement
médiatique était présent et la consommation télévisuelle élevée.
Principaux résultats
Les résultats révèlent la prééminence du goût des jeunes pour les
programmes américains, surtout pour les séries. Beaucoup de films à
caractère violent sont également cités, qu’ils soient français mais
américanisés (Taxi) ou américains (Scary). Les auteurs ont croisé
ces catégories avec le sexe, l’origine géographique
(banlieue/province), la CSP (contenant seulement deux modalités : +
ou -) du père et de la mère pour obtenir deux groupes : les scary et
les taxi. Les premiers sont plus féminins, ont une consommation plus
forte, vivent davantage en banlieue et sont à cheval entre deux
cultures. Les « taxis » sont plus masculins, vivent souvent en
province. Ces résultats concordent avec les hypothèses de
57
In Shanahan, Morgan, Television an its viewers, Cambridge, UP, 1999, ch. 7 et
l’incubation culturelle qui identifie un sous-groupe, comme les
scary, comme étant plus à risques en termes de sensibilisation à des
représentations télévisés ayant trait au pouvoir et à la violence.
Dans les valeurs attribuées aux séries, certaines portent sur les
orientations des programmes, d’autres sur la forme de ces
programmes, ce mélange, qui témoigne d’une confusion dans l’esprit
des jeunes, laisse à penser que « le goût pour la violence peut
s’expliquer pour des raisons esthétiques » (p. 64). Les jeunes mettent
en avant la réalisation de l’œuvre, ont une conception proche des
techniques actuelles de marketing qui promeuvent le défi
technologique et financier relevé par l’équipe. Ces critères
d’appréciation correspondent à ceux des formats états-uniens, dans
la mesure où elle n’induit ni esprit critique, ni distanciation…
Les deux groupes ont également cité la force comme valeur centrale,
pour les taxis la force physique et la vitesse sont prédominants alors
que l’attrait pour l’horreur caractérise les scary.
L’interprétation des réponses aux « valeurs » attribuées aux films
préférés révèle l’absence de perception, par les jeunes Français, des
valeurs initiales implantées par ces programmes par les producteurs
Etats-Uniens. Les libertés auxquelles ils associent les Etats-Unis sont
« apolitiques et pragmatiques » (p. 67), la plus citée étant le droit de
conduire à 16 ans. L’auteure en conclut que « la vision qu’ont les
jeunes des Etats-Unis est pauvre, alors qu’ils sont soumis dès le
biberon aux représentations américaines » (p. 68), comme si les
Etats-Unis étaient « victimes de ce filtre intermédiaire de
l’acculturation que sont les médias : la représentation simpliste du
pays et la représentation stéréotypée des goûts du public combinée à
une perception des risques d’audience et des contraintes
économiques sont, après tout, une stratégie commerciale […] qui ont
réduit à l’extrême le spectre culturel de leur pays à l’étranger (p. 69).
Le troisième volet de l’étude consistait à tester l’adhésion des jeunes
à des représentations américaines et la résistance du « substrat
8.
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La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
49
culturel français et des repères apportés par l’expérience des jeunes
et entretenus par des fictions françaises » (p. 69).
La question de savoir quels sont les droits en matière de police tend
à prouver que les jeunes parviennent à distinguer l’expérience
télévisuelle de la réalité. En ce qui concerne la justice, par contre, la
réponse américaine est majoritaire, surtout chez les scary : 58% de
ceux qui déclarent avoir assisté à un procès comprennent que c’est le
juge qui mène l’enquête, tandis que 42% pensent que c’est l’avocat.
S’agissant des critères de réussite personnelle, l’attirance pour
l’argent n’est pas prédominante, même si les Taxis y sont plus
sensibles. Les jeunes veulent avoir un métier qui les intéresse.
S’agissant des réponses au comportement face aux agressions,
l’appel à l’aide prédomine les réponses des deux groupes. Enfin
l’idée qu’il faut se faire justice à soi-même n’a pas du tout pénétré le
public, ce qui, aux yeux de DFM, « confirme […] le sentiment
sécuritaire et les valeurs-refuge que sont l’Etat et l’assistance
sociale » (p. 75). De même, à la question du traitement de la
délinquance ou de l’agression, la réponse médicale et sociale reste
majoritaire. La réponse répressive, très présente dans les séries
américaines, est minoritaire, dans les réponses des jeunes français.
Conclusion
Il résulte de cette enquête une certaine « résistance du substrat
culturel » (cf. Varan) qui « atténue les effets de l’incubation sur les
repères institutionnels sinon sur les goûts des jeunes » (p. 75).
L’acculturation décrite se fait à partir de plusieurs filtres : une
construction par les médias Etats Uniens, une diffusion/sélection par
les médias français, une consommation/interprétation par les jeunes
Français. Autrement dit, les résultats ne montrent pas une
américanisation des valeurs, mais « une relation entre les goûts
affichés des jeunes et leur origine, la prédilection pour certaines
valeurs, dont la violence, un effritement des repères institutionnels
[...], l’adoption de bribes culturelles américaines, des blocs de
résistance du substrat culturel national, un brouillage des repères
culturels entre les deux cultures de référence ». L’auteure se dit
frappée par le brouillage des repères autour de trois types de
méconnaissance : 1) celle des valeurs Etats- Uniennes et du modèle
américain, 2) la méconnaissance du fonctionnement médiatiques
français et américain, 3) la méconnaissance des institutions
françaises (droit, justice, police notamment), qui, comme le suggère
l’auteure, peuvent être à la base de conduites d’incivilité et de
transgression. L’auteure clôt cet article par une question à haute
teneure dramatique : « quels sont les risques de cette
acculturation » ? Si Michel Wieworka a identifié trois risques : le
nationalisme exacerbé, la rétractation, l’éclatement ou le
tribalisme58, elle observe quant à elle, un « risque d’ossification du
substrat national, concentré a niveau des objectifs et idéaux sociaux
profonds […], mais déconnecté des procédures et des
comportements quotidiens, avec pour résultat un brouillage des
repères émotionnels et cognitifs. L’acculturation actuelle entretient
une confusion générale sur les valeurs avec un sentiment
d’impuissance et d’immobilisme. N’étant pas énoncées, elle ne
produit aujourd’hui aucune verbalisation des incohérences que nous
avons pu relever. Elle est passive, non consciente, non problématisée
[…] c’est l’environnement culturel médiatique qui semble
l’emporter, avec une vision réductrice des rapports sociaux et une
absence totale d visée politique » (p. 79).
58
Michel Wieworka, Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat,
Paris, La découverte, 1997
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
50
Tisseron, Serge. Enfants sous influence. Les écrans rendent-ils les
jeunes violents ?, Paris : Armand colin, 2000.
L’auteur, psychanalyste de formation, rappelle que les recherches
ont montré que l’influence de la télévision dépendait de quatre
facteurs : le contexte des images de violence présentées, les attentes
des téléspectateurs, l’environnement proche du spectateur,
l’environnement culturel large. Deux domaines restent inexplorés :
le rôle joué par l’histoire personnelle de chacun dans la réception des
images et l’influence de la dynamique des groupes sur les
comportements. Selon Serge Tisseron, l’appréciation personnelle
portée sur les images concerne le jugement de réalité, c'est-à-dire, un
processus cognitif alors que leur « mise en scène collective relève de
l’attachement à un groupe et de la croyance en tant qu’elle fait le lien
entre plusieurs personnes » (p. 13). Notre relation aux images oscille
entre une adhésion (on y croit) et un détachement (être conscient
qu’il s’agit de fiction). Quand le spectateur est dans un groupe,
l’oscillation entre adhésion et « décollement » concerne moins les
liens aux images qu’au groupe de référence. Serge Tisseron propose
de concevoir les images non seulement comme un système de signe,
mais aussi comme provoquant des états du corps, des sensations et
des émotions. Le pouvoir des images réside dans sa capacité à
souder les spectateurs ensemble, par des manifestations émotives,
par des mots partagés autour de ce que l’on éprouve, par des actes et
des comportements L’auteur s’intéresse en effet aux expériences
corporelles difficiles à verbaliser car « les images parlent non
seulement à notre esprit, mais aussi à notre cœur et à notre corps »
(p. 19). Il s’avère essentiel, à ses yeux, d’étudier les effets des
images en tenant compte non seulement de ce que leurs
téléspectateurs peuvent en dire, mais aussi des émotions qu’ils
montrent et de l’ensemble de leurs manifestations non verbales (p.
19). De même, suggère-t-il de prendre en compte les
« représentations
d’actes »59 qu’elles
suscitent,
l’expression
désignant « les images d’actes qui peuvent venir à l’esprit d’un
enfant comme de frapper un adversaire, tenter de dialoguer avec lui,
fuir, accepter son autorité, aller chercher de l’aide, etc. » (ibidem).
Serge Tisseron utilise cette notion de « représentations d’action »
pour évoquer les représentations autres que mentales : corporelles.
Selon lui, « l’absence de prise en compte des formes sensorielles et
motrices de la symbolisation a eu des conséquences catastrophiques
sur notre compréhension des effets de la violence des médias » (p.
22). La plupart des travaux auxquels se réfère l’auteur relèvent de la
psychologie comportementale et/ou de la psychanalyse. Le premier
chapitre du livre est consacré aux différentes formes de l’imitation.
Serge Tisseron en distingue trois principales. Limitation
d’apprentissage ou « imitation prestigieuse » désigne les situations
où l’enfant apprend à reproduire par des gestes et des manières qui
engagent le corps des systèmes de représentation correspondant à
des règles de vie sociale. Les enfants imitent également « pour faire
semblant ». Ces comportements participent à l’assimilation des
émotions, ils permettent de faire référence aux mêmes événements et
par là aussi, de rentrer en relation avec les autres (p. 26). Ces
conduites sont « symboliques » par le fait qu’elles mettent en
représentation des sensations et de fantasmes, et « symboligènes »
dans ce sens qu’elles établissent un réseau de sociabilité (ididem).
A la différence des comportements d’imitation par apprentissage, ces
comportements sont très labiles étant donné qu’ils ne durent que le
temps nécessaire « pour que le processus d’assimilation psychique
soit réalisé » (p. 27). L’imitation traumatique est très différente des
deux précédentes. Elle désigne les situations où au lieu d’assimiler
les expériences, l’enfant les enferme « à l’intérieur de soi ». Or, ces
59
L’expression provient d’une enquête réalisée par Atkin C., Savin D.B., Day
R.C., « Effects of realistic violence US, fictionnal violence and agression »,
Journalism Quarterly, 60, 1983, p. 615-621.
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La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
51
« inclusions » peuvent resurgir à travers des émotions ou des états du
corps, et être vécues comme quelque chose d’étranger. Trois raisons
expliquent selon l’auteur lui pourquoi nous avons tendance à croire
les images que nous voyons. Chacune correspond à un moment
privilégié de notre histoire. Premièrement, le désir de savoir est
inséparable de celui de se donner des images. La deuxième raison
tient au narcissisme, à l’image de soi. La troisième raison qui nous
porte à croire aux images est sociale, elle permet d’adhérer au
groupe de ceux qui y croient. En résumé, les images nous
« confirment dans l’idée que nous avons eu raison de désirer voir
pour savoir », elles nous « assurent de notre intégrité narcissique » et
nous « sécurisent sur notre appartenance à un groupe » (p. 38).
Dans le second chapitre, Serge Tisseron précise qu’il ne souhaite pas
aborder la question pourtant mise au premier plan des effets des
images violentes sur les passages à l’acte (violent). Il s’intéresse
plutôt à la « désorganisation psychique accompagnée d’angoisse et
de honte » que les ces images violentes produisent et de demande si
les enfants sont également armés pour « s’en protéger et reconstruire
leurs repères » (p. 39).
Méthodologie
L’auteur s’est appuyé sur une enquête statistique réalisée entre 1997
et 2000, auprès de jeunes de 11 à 13 ans, scolarisés dans cinq
établissements scolaires de la région parisienne. Il a d’abord présenté
à des groupes d’enfants, des séquences d’images neutres ou
violentes. Puis il a recueilli leurs réactions verbales et non verbales,
en entretien individuel et en situation de groupe. Une grille
d’interprétation codifiée et standardisée a permis de soumettre ces
résultats à l’analyse statistique.
Principaux résultats
Si les images violentes procurent peu de plaisir, l’angoisse, la peur,
la colère et le dégoût sont souvent suivis par la honte (p. 41). Les
enfants exposés à des images violentes « éprouvent des état
psychiques désagréables qu’ils cherchent donc à faire évoluer vers
des états moins pénibles » (ibidem). Ceux qui voient des images
neutres devant lesquelles ils éprouvent du plaisir ont plutôt intérêt à
les faire durer. Les jugements portés sur l’image sont négatifs dans
le premier cas, positif dans le second. Les enfants réagissant par
différents moyens aux images violentes. Premièrement, ils tentent de
mettre des mots sur des émotions, des états du corps ou des
fantasmes. Cette capacité d’associer des mots à des émotions, des
sensations, est indépendante du milieu socioprofessionnel (p. 47),
mais pas du sexe : les filles après le spectacle d’images violentes
parlent beaucoup plus que les garçons. Deuxièmement, « l’effort
pour élaborer les effets de la violence passe par la construction de
représentations d’action » pour les enfants exposés aux images
violences. Autrement dit, l’enfant imagine que lui ou ceux de la
séquence, accomplissent certains actes tels que la lutte, la fuite, la
pacification, la passivité - soumission (p. 48). Ceux qui portent un
jugement positif sur les images violentes préfèrent la lutte comme
moyen d’action. Il ne suffit par de mettre en mots les sensations, il
convient également de maîtriser « la violence des images » avec le
corps, dit Serge Tisseron (p. 51). Les images violentes mobilisent
plus de représentations d’actions et d’actes involontaires. Deux
hypothèses se dégagent : la première suggère que les manifestations
non verbales manifestent un échec d’élaboration verbale ; la seconde
postule qu’il s’agit de deux façons différentes d’élaborer les
expériences ressenties. L’auteur explique qu’il plaide pour la
seconde car il voit une cohérence entre les types de manifestations.
D’autre part, on constate que les manifestations non verbales n’ont
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
52
aucune incidence sur le fait d’associer plus, c'est-à-dire, de tenir un
discours autour des images. Il s’agit bien d’une symbolisation à part
entière des expériences éprouvée. L’auteur explique alors que c’est
ceux qui ne parlent pas, que ce soit par le corps, ou la parole, qui
peuvent être violents (p. 54). L’auteur montre ensuite que la capacité
à de mobilisation face aux images dépend de la capacité
d’association. Il souligne Le troisième chapitre aborde le passage de
la violence des images à celle des groupes. L’auteur soutient que « le
passage de la situation individuelle à la situation collective est une
pièce capitale de la compréhension des effets sur les enfants » (p.
59). Sauf quelques cas rare, les enfants qui se réclament d’image
vues pour accomplir des actes déviants le font toujours en étant
portés par des mécanismes de groupe, souligne l’auteur. Il montre
que la honte permet de comprendre comment les effets des images
sont mis en forme par le groupe. Ce sentiment renvoie en effet à
l’angoisse d’être rejeté par son groupe de pairs. Le passage à la
situation de groupe a des effets différents à court terme et à long
terme. L’état émotif est lié à l’angoisse d’être rejeté par le groupe, de
ne pas y trouver sa place. L’agressivité correspond à un désir de
s’imposer au groupe contre la honte d’être marginalisé. Serge
Tisseron montre que les images violentes démultiplient la violence
des groupes p. 70). Les filles confrontées à une situation déplaisante
attendent davantage d’un interlocuteur et échangent davantage avec
le groupe des paires que les garçons. Pour résumer, la violence des
images consiste dans le fait qu’elles envahissent la personnalité de
sensations, d’émotions, d’états du corps angoissants. La violence du
groupe, elle, « réside dans le fait qu’ils proposent à leurs membres
de renoncer à leurs particularités individuelles au profit de la
protection qu’ils leur assurent » (p. 75). C’est pourquoi « la violence
des images accroît la vulnérabilité des sujets à la violence des
groupes : les spectateurs qui ont vu des images violentes et qui sont
menacés dans leurs repères structurants sont particulièrement tentés
d’adopter ceux que leur propose le groupe » (ibidem).
Le quatrième chapitre est consacré à la mise en sens des images.
Serge Tisseron s’interroge sur les effets du protocole d’enquête, en
particulier, sur la situation d’entretien valorisant le discours oral, sur
les résultats de l’étude. L’auteur distingue les commentaires sur les
cadres des commentaires des commentaires sur les héros. Les
premiers indiquent une certaine prise de distance de l’enfant avec ce
qui est montré, conscient qu’il s’agit de représentations (p. 83). La
prise en compte du cadre permet de limiter d’être envahi par des
émotions angoissantes. Après avoir évoqué les travaux de Gerbner,
Serge Tisseron, passe en revue deux formes de violence, celle qui
captive et celle qui sidère. La première monopolise l’attention du
spectateur tandis que la seconde le frappe de stupeur, le stupéfie (p.
101-102). Ces deux violences fragilisent les spectateurs dans leurs
repères habituels et les « préparent à accepter la violence des
groupes » (p. 102). On ne s’identifie jamais globalement à un
personnage réel ou fictionnel, mais plutôt à un de ses aspects et cette
identification trouve toujours sont origine « dans le fait que cette
attitude ou ces comportements redoublent ceux des personnes réelles
sur lesquelles nous avons pris modèle » (p. 103). Les images
« traumatisantes » ne prennent sens qu’en relation avec les situations
plus ou moins enfouies de la vie psychique du spectateur.
Conclusion
Cinq idées toutes faites bloquent la réflexion autour des images : 1)
la représentation de la violence procurerait du plaisir, 2) les enfants
imiteraient les images qu’ils voient à la télévision, 3) le langage seul
pourrait nous protéger des effets néfastes des images, 4) les filles
« sont un élément » pacificateur des groupes face aux images
violentes, 5) enfin, les enfants de milieux sociaux défavorisé auraient
moins d’aptitude à ses protéger par le langage contre les effets nocifs
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
53
des images. En fait, montre Serge Tisseron, 1) la gestion de l’impact
des images est davantage le résultat des relations de groupes que de
leurs contenus, 2) l’engagement du corps joue autant que l’usage du
langage dans l’élaboration des effets des images, 3) les processus
psychiques « mis en jeu face à elle » ne diffèrent pas selon l’origine
sociale. Pour faire face aux effets des images violentes décrits par
l’auteur, ce dernier suggère que « l’éducation aux médias » apprenne
aux enfants à envisager toutes les images comme des constructions
(p. 137). Cela passe par le commentaire sur les images, des ateliers
de création d’images. Il suggère que les enseignants encouragent les
élèves à mettre en mots ce qu’ils éprouvent. Cette mise en mot
correspond à la capacité de traduire en mots ce qui a d’abord été
éprouvé par le corps, puis mis en image par une « figuration
psychique » (p. 138). Il invite à prendre davantage en compte les
« formes non verbales du travail psychique de symbolisation » (p.
139). Il suggère de « réintroduire la possibilité pour chacun de
s’approprier ses expériences d’images avec ses propres moyens » (p.
140), à travers la création d’espaces d’échange verbal atour des
images où les enfants sont invités à créer leurs images, etc. En effet,
la mise en sens, destinée à dénouer les tensions éprouvées dans le
corps, « doit d’abord passer par le corps », selon l’auteur (p ; 140).
Une autre catégorie de personnel que les enseignants pourraient
accomplir cette tâche, comme par exemple, les spécialistes de la
dynamique de groupe. Il suggère d’opérer un nouveau partage entre
enseignement et éducation et de mobiliser les éducateurs au sens
large, parents y compris, dans l’action pédagogique. Pour conclure,
ce n’est pas les images violentes qu’il faut craindre, « c’est l’alliance
d’images violentes qui fragilisent leurs spectateurs et de groupes
cherchant leur originalité en marge de la collectivité » (p. 146).
Rudman Laurie A. et Lee, Matthew R., « Implicit and explicit
consequences of exposure to violent and mysogynous rap
music », Group processus & intergroup relations, vol., 5, n°2,
2002, p. 133-155.
A travers deux expériences, les auteurs cherchent à montrer
l’influence sur les stéréotypes racistes de l’exposition à des raps
violents et misogynes. Ils tentent de mettre en évidence un « effet
préparatoire » à l’activation des stéréotypes. Cette étude s’inscrit
dans le prolongement d’autres travaux indiquant que des sujets
exposés à du rap violent seraient plus susceptibles d’attribuer une
conduite hostile à un Noir qu’à un Blanc qu’en l’absence d’écoute de
rap violent. Les auteurs cherchent à vérifier l’hypothèse selon
laquelle écouter des raps misogynes renforce l’attribution de sexisme
à l’encontre des Noirs. Les auteurs concluent que le problème est
moins la musique elle-même que la grande attention médiatique
prêtée aux rappeurs noirs, par rapport à la plus faible visibilité des
noirs sortant des stéréotypes. Le problème vient donc de l’absence
de reflet dans les médias de la réalité complexe des noirs au profit
des figures renforçant les stéréotypes.
II. Le thème de l’éducation aux médias
Un autre thème particulièrement saillant du questionnement sur les
rapports entre jeunes et médias est celui de l’éducation aux médias.
A la fin des années 1990, il a donné lieu à plusieurs colloques et
publications. Né en 1993, à l’initiative d’Elisabeth Auclaire,
responsable de la commission Médias du Conseil français des
associations pour les droits de l’enfant et de Sylvie Mansour,
psychologue, chargée de mission au Centre international de
l’enfance, l’association se réfère à la Convention internationale des
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
54
Droits de l’Enfant » (p. 12), le GRREM s’est constitué en
association, en 1995. Il est à l’origine de plusieurs publications –
indice de sa surface institutionnelle et éditoriale – dont les titres,
plutôt neutres - « Les jeunes et les médias, Perspectives de recherche
dans le monde », « L’impact de la télévision sur les publics jeunes,
problématiques, réponses et propositions… », « L’écran et les
apprentissages » - se démarquent du sensationnalisme des titres
d’ouvrages portant sur les effets des médias.
Masselot-Girard, Maryvonne (dir.)/GRREM, Jeunes et médias.
Ethique, socialisation et représentation, GRREM, Paris :
L’Harmattan, 2004.
L’ouvrage publié par le GRREM, en 2004, sous la direction de
Maryvonne Masselot-Girard, s’ouvre par un chapitre en forme de
prise de position : « pour une éducation critique au virtuel ». La
seconde partie commence par traiter des médias et de la socialisation
familiale, avec les contributions d’universitaires québécois, italien,
français. Elle présente ensuite une étude réalisée par le conseil
national de la Jeunesse sur la représentation des jeunes dans les
magazines télévisés. S’ensuit un chapitre sur la question de la
réglementation des NTIC. L’ouvrage se clôt sur une réflexion sur la
division du travail entre l’école et les médias, compte tenu de
l’acculturation et de l’américanisation des jeunes (Divina Frau
Meigh). Chaque thématique abordée donne lieu à un débat entre
plusieurs intervenants dont les propos sont retranscrits.
Jacquinot, Geneviève, (dir.), Les jeunes et les médias. Perspectives
de la recherche dans le monde, GRREM, Paris : L’Harmattan
(coll. « Débats Jeunesses »), 2002
Réalisé avec le soutien de la commission européenne, de la
commission française pour l’Unesco et de la Fondation de France,
cet ouvrage est conçu comme un « outil de dialogue et d’échange »,
comme le rappelle la présidente du GRREM, Elisabeth Auclaire.
Plus précisément, « face au développement des médias et de leur
place dans la vie des enfants et des familles », l’enjeu consiste à
« réfléchir à leur rôle et à l’éducation aux médias, en se plaçant du
point de vue de l’intérêt de l’enfant, sans laisser le champ libre aux
seuls diktats commerciaux » (p. 11) écrit-elle. Dans l’introduction du
livre, Geneviève Jacquinot rappelle que ce questionnement a fait
l’objet d’un sommet mondial organisé par l’Unesco et le GRREM à
Melbourne, en 199760 dont l’objectif était de diffuser les résultats de
60
Parmi les 42 participants français (sur 156 intervenants), on trouve 8 acteurs du
secteur des médias (le responsable des études et de la recherche du groupe Bayard
Presse (Jean-François Barbier-Bouvet), le président du CSA (Hervé Bourge) et
une chargée de mission (Sophie Jehel), le responsable de France Télévision
(Xavier Gouyou-Beauchamps), une responsable d’études du groupe (M. PérotSanehy), le directeur de la programmation de France 2 (Eric Stemmlen), le
directeur scientifique de l’Observatoire France-Loisirs (Bernadette Seibel), le
directeur adjoint de l’INA (Bernard Stiegler),
15 représentants du monde académique : Un chercheur au CNRS, Dominique
Pasquier (CEMS, EHESS) un agrégé en disponibilité à l’EHESS (Eric Mégret), 3
Mcf à l’université (Divina Frau-Meigs, Université Paris 3, Frédéric Lambert, ENS
Fontenay, Pierre Molinier, Université Toulouse-Le Mirail/ESAV), 3 professeurs
d’université (Maryvonne Masselot-Girard, université de Franche-Comté, Elisabeth
Fichez, professeur en Sic, Université de Lille III, Fayda Winnykamen, professeur
de psychologie, Université Paris V), 2 Mcf d’IUFM (Françoise Minot, IUFM de
Poitiers, Maguy Chailley, IUFM versailles), 4 doctorants et jeunes docteurs (une
étudiante à l’IEP de Paris, un docteur d’université en sciences de l’éducation de
l’universté Rennes 2, une chargée de cours de l’université Paris 8 (Anna EriksenTerzian), une étudiante à l’institut de psychologie de Paris V (Laetitia Veyron). Un
psychiatre, Université Paris VII (Serge Tisseron).
Trois enseignants du secondaire (en lycée et collège, un formateur IUFM
d’Amiens).
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
55
la recherche dans le débat public, autrement dit, de « comprendre
pour agir »61. Le phénomène étudié renvoie au constat que « l’école
n’est plus, en dehors de la famille, le seul lieu où s’élabore l’identité
à la fois individuelle et collective de la jeunesse et où se structure le
citoyen de demain » (p. 15).
Si la seconde partie de l’ouvrage, consacrée aux tendances et à la
diversité des recherches dans le monde est plus volumineuse que la
première, dédiée à l’éducation aux médias, c’est ce premier thème
qui domine. La coordinatrice de l’ouvrage, Geneviève Jacquinot
outre qu’elle soit professeur en sciences de l’éducation et ait publié
plusieurs ouvrages sur les relations entre l’école et les médias, est
responsable du Groupe de recherche sur les apprentissages, les
médias et l’éducation. Parmi les auteurs qui ont contribué à ce livre
figurent aussi le directeur du CLEMI, Jacques Gonnet (qui avait
participé au dossier publié par les Cahiers de la sécurité intérieure
intitulé « Médias et violence »), mais aussi Dominique Pasquier et
Josiane Jouet, (coordinatrices d’un dossier publié dans Réseaux sur
« les jeunes et l’écran »), ainsi que David Buckingham. Rappelant
les travaux existants sur la réception des médias par les jeunes,
Geneviève Jacquinot souligne que trois intervenants lors du forum
ont ouvert des perspectives innovantes. Le psychiatre et
psychanalyste Serge Tisseron a expliqué que la fonction de l’image
était de faire lien entre les expériences sensorielles, affectives d’un
côté et les mots, de l’autre, le décalage entre les deux (que les mots
viennent à manquer ou que la sensation soit trop forte) pouvant avoir
4 représentants d’associations : Un membre de l’association APTE, Jean-Pierre
Véran, directeur adjoint du CRDP du Languedoc Roussillon, le président de
l’UNAF, une documentaliste.
61
Une première conférence avait été organisée en 1985 à Los Angeles, sur le
thème des enfants et des médias, mais sous couvert de se présenter comme
« internationale », elle avait, en réalité, essentiellement rassemblé des Américains.
A Melbourne se sont rassemblés 400 participants dont 150 chercheurs venus de 50
pays différents.
des conséquences pathogènes (ce qu’il appelle un « risque
d’image »). Le philosophe Bernard Stiegler propose, à la suite de
Leroi-Gourhan, de penser la contribution des techniques à la
construction du social. Selon lui, le grand défi du système éducatif
consistant à articuler « les institutions de programmes que sont les
écoles » avec les « industries de programmes » que sont les médias.
Enfin, David Buckingham, spécialiste de l’éducation, suggère
d’analyser et d’interpréter les processus dans leur ensemble, des
producteurs (concepteurs de programmes, hommes politiques), en
passant par l’analyse textuelle (comment ces enjeux contradictoires
apparaissent dans le contenu des programmes, à travers la forme
dans laquelle on s’adresse aux enfants), aux pratiques de l’audience
(comment les enfants regardent la télé…).
Maguy Chailley, « Apprendre par la télévision, apprendre à
l’école », Réseaux, vol. 13, n°74, 1995, p. 31-54
Depuis plus de vingt ans, la question des relations entre les deux
lieux d’apprentissage que sont l’école et la télévision, n’a pas cessé
d’être posée. En France, plusieurs pratiques pédagogiques intégrant
la télévision comme outil se sont développées. L’opération Jeunes
téléspectateurs actifs (cf. infra) a montré que les jeunes
téléspectateurs étaient plus réfléchis et plus critiques qu’on ne le dit,
à l’égard des émissions qu’ils regardent. Les jeunes sont également
très influencés par le modèle scolaire des apprentissages et du
fonctionnement de la mémoire, ce qui les conduit à minimiser le rôle
de la télévision et de l’image comme source de savoir. Plusieurs
auteurs ont souligné les possibilités offertes par l’image pour
apprendre. Selon Geneviève Jacquinot, par exemple, le contact
régulier avec la télévision engendrerait « de nouveaux systèmes de
représentations et un fonctionnement cognitif différent de celui qui
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
56
est à l’œuvre lors d’une transmission d’information par le langage
(oral ou écrit) ». Il importe donc de tenir compte de ces nouveaux
modes de compréhension lorsqu’on enseigne à cette nouvelle
génération. Judith Lazar a elle aussi souligné le développement
d’une culture spécifique, facteur de socialisation pour les jeunes
mais ignorée voire méprisée par l’école… Vingt ans après
l’évocation d’une « école parallèle » appliquée au petit écran
(1973)62, Louis Pocher s’est interrogé sur les effets induits par le
développement des médias audiovisuels sur le rapport au savoir et à
la culture. Constatant que les enseignants refusaient de considérer
ces savoirs médiatiques comme légitimes, l’auteur a prôné une
ouverture de l’école aux médias télévisés et a invité les enseignants à
repérer et à faire usage des connaissances et des compétences des
téléspectateurs63. Pour les auteurs mentionnés, on peut apprendre
grâce à la télévision mais « sans doute autre chose et/ou autrement
qu’avec les modalités d’apprentissage traditionnel ». L’idée de fossé
62
La formulé a initialement été utilisée par G. Friedmann, dans Le Monde, 8-1112 janvier 1966.
63
Dans son livre Télévision, culture, éducation (Paris, Armand Colin, 1994),
Louis Porchet présente l’école et la télévision « comme les deux plus grandes
institutions françaises » : tandis que la télévision travaille tous les registres de la
culture, l’école étend son influence au point de toucher l’ensemble des
générations. Aussi « l’Education nationale est devenue un mastodonte dont la
télévision, à cet égard, est le seul rival ». La première partie du livre de Louis
Porchet est consacrée à la télévision. L’auteur décrit son omniprésence, la
fréquentation libre et assidue des publics puis aborde la façon dont elle remet en
question la frontière entre culture savante et culture cultivée. La deuxième partie
de l’ouvrage décrit la place de l’école, ses fonctions, ses relations avec les publics.
Après avoir passé en revue, dans la troisième partie, les poncifs attribués par
l’école à la télévision (la télévision fatigue, donne de mauvais exemples,
développe la passivité, n’est pas sélective…), l’auteur se penche sur les
« territoires partagés » de l’école et de la télévision. L’ouvrage se clôt par une
forme de plaidoyer en faveur d’un partenariat entre ces deux institutions.
culturel est présente à l’esprit de ces chercheurs. Le CRESAS
(Centre de recherche de l’éducation spécialisée et de l’adaptation
scolaire intégré à l’Institut national de la recherche pédagogique
(INRP) a proposé d’imputer l’échec scolaire à la coupure qui existe
entre la culture de l’école et la culture d’élèves de milieux populaires
dont la télévision constitue l’une des composantes centrales
(CRESAS, 1974). Pour d’autres chercheurs, si l’on n’apprend pas à
la télévision comme à l’école c’est parce que l’on n’est pas dans une
posture d’apprentissage (Chailley, 1989, 1993). Autrement dit, c’est
surtout la manière de considérer le médium et de s’en servir comme
d’un moyen d’apprendre qu’il s’agit de repérer, ceci en lui
appliquant les procédures de « travail » traditionnellement associées
à l’écrit. L’idée consiste à introduire une médiation éducative
comparable à celle qui existe par rapport à l’écrit (p. 35). François
Mariet suggère que ce n’est pas à l’école d’apprendre aux enfants à
apprendre par la télévision mais en leur fournissant l’outillage
nécessaire pour acquérir les savoirs (Mariet, 1989). Bien formé par
l’école, l’enfant est supposé apprendre relativement vite son rôle de
téléspectateur (p. 35). Maguy Chailley y voit là un paradoxe : les
enfants apprennent par la télévision sans savoir qu’ils apprennent, ils
apprennent à l’école en sachant qu’ils apprennent.
A partir d’une enquête réalisée auprès d’enseignants d’école
primaire, elle tente d’approfondir la question des relations entre
école et télévision en termes d’apprentissage réciproques. L’enquête
montre que les acquis langagiers des enfants proviennent
d’émissions télévisées très diverses. Qu’ils soient de milieu
populaire ou de milieu favorisé, les enfants puisent de nombreuses
informations à la télévision. Cependant, ils ne les perçoivent pas
comme sûres (p. 51). L’auteur suggère que l’école les aide à faire le
tri. Plus l’enfant dispose d’un capital culturel élevé, plus il est prêt à
accepter l’idée de la télévision comme moyen d’apprendre (p. 51). Si
la télévision est le seul outil de culture disponible, l’école est perçue
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
57
comme le seul lieu où l’on apprend. L’auteure souligne que le travail
de l’enseignant ne vise pas seulement à faire apparaître les acquis
télévisuels des enfants. Son attitude « est de nature à développer
chez les élèves la conviction qu’on peut légitimement utiliser à
l’école ce qu’on apprend par la télévision et qu’on peut, grâce à
l’école, mieux comprendre ce qu’on apprend à la télévision » (p. 51).
Elle utilise la notion de métacognition qui postule que
« l’apprentissage est d’autant plus efficace que le sujet apprenant
comprend comment il apprend et choisit comment apprendre »
(ibidem). Les enseignants ayant participé à l’expérience ont cherché
à sensibiliser les enfants au fait qu’ils apprennent devant la
télévision, et qu’ils pourraient apprendre davantage. En réalité, des
études ont montré que les connaissances scolaires sont peu
mobilisées devant la télévision qui appartient à la sphère des loisirs.
Critiquant la position de François Mariet, l’auteure suggère de
« travailler » les enfants à la réception télévisée. Elle suggère
d’utiliser des émissions semblables à celles que regardent les enfants
pour les aider à voir en quoi les savoirs scolaires peuvent devenir des
outils de compréhension de ce qu’ils voient à la télévision :
« travailler sur les transferts d’apprentissage entre télévision et école
et école et télévision suppose que s’établisse un climat de
collaboration entre les familles et l’institution scolaire, reposant sur
une adhésion à des finalités communes, en particulier en ce qui
concerne l’éducation du jeune téléspectateur », conclut Maguy
Chailley.
Geneviève Jacquinot, « La télévision : terminal cognitif »,
Réseaux n°74, 1995.
Dans le champ des études sur les médias et l’école, la dimension
épistémologique et cognitive du savoir et de la connaissance a été
négligée, souligne Geneviève Jacquinot. Pierre Chambat et Alain
Ehrenberg ont invité le chercheur à « se déprendre de l’évidence
tellement quotidienne de la télévision » afin de « rendre exotique cet
objet si familier »64. Geneviève Jacquinot propose de faire l’inverse,
c'est-à-dire, de « rendre familier cet objet trop exotique qu’est la
télévision pour l’école » aussi bien dans les problématiques des
chercheurs que dans les pratiques pédagogiques. Chambat et
Ehrenberg ont qualifié la télévision de terminal « moral », en ce
qu’elle est « un miroir dans lequel un groupe d’hommes se
reconnaît » et sur lequel se greffent les stéréotypes les plus divers,
voire les plus contradictoires. Par analogie, la télévision dans ses
rapports au savoir et à l’école peut être considérée comme un
« terminal cognitif ». Elle peut en effet être considérée comme
« objet social », c'est-à-dire, pour reprendre les termes de Chambat
et Ehrenberg, comme « rapport entre des gens qui passe par la
médiation d’un objet dans une situation déterminée », en
l’occurrence ici, « dans la dimension que la télévision entretient avec
le savoir ». La pratique télévisuelle est en effet susceptible d’avoir
une influence sur le rapport au savoir, et en conséquence sur le
rapport à l’école. Or, peu de recherches se sont intéressées au statut
« d’objet cognitif » de la télévision. Geneviève Jacquinot propose
d’appréhender cette dimension cognitive de trois façons : à travers
l’imaginaire de la télévision, à travers les modalités de
consommation télévisuelle et à travers la modalité cognitive propre à
la télévision. Le premier aspect, l’imaginaire de la télévision, se situe
aux antipodes de l’obligation, du temps contraint, de l’activité
intellectuelle, du souci d’efficacité… bref, des valeurs de l’effort et
de la contrainte de résultats dont est porteuse l’école. La télévision
est en effet associée au divertissement. En même temps, cette
opposition aux valeurs de l’école est alimentée par une
représentation de l’apprentissage héritée de l’école obligatoire. Si
64
Pierre Chambat, Alain Ehrenberg, « Télévision, terminal moral », Réseaux,
1991.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
58
bien que ce sont les imaginaires contradictoires qui altèrent les
jugements portés sur la télévision comme source de savoir, par les
parents et par les enseignants, qui expliquent notamment la
dévalorisation attachée à tout ce qui n’est pas l’apprentissage par
l’école. Quelque soit leur âge, les « enfants cathodiques » oscillent,
dans leurs souhaits d’émissions, entre ce qui est de l’ordre de la
distraction et ce qui est de l’ordre de l’éducatif, rappelle Geneviève
Jacquinot, qui s’appuie sur les résultats d’une enquête réalisée en
1991. La légère supériorité de la dimension distractive sur la
dimension éducative et surtout le décalage entre ce qui est souhaité
et les pratiques réelles témoignent de la « mauvaise conscience »
nourrie par un imaginaire de la télévision (qui varie cependant en
fonction des milieux sociaux). Ainsi, « ce qu’un enfant attend et
apprend de la télévision est très lié aux représentations qu’il se fait
de cet objet cognitif », elles-mêmes étroitement « dépendantes du
statut relatif de cet objet dans la société, et différenciellement, dans
sa famille ». Passant en revue les principaux résultats d’enquêtes
mettant en évidence le poids de l’origine sociale dans l’écoute de la
télévision, l’auteure souligne que le spectacle télévisuel comme
pratique de loisir est un facteur de « discrimination culturelle ». De
ce fait, « se contenter de ‘faire entrer la télévision à l’école’ […],
loin de réduire les inégalités ne peut que les renforcer ». La modalité
cognitive, comme modalité de la connaissance, présente trois traits
essentiels, selon l’auteure : elle s’oppose au modèle de l’école, elle
s’inscrit dans le contexte cultuel et médiatique d’aujourd’hui, elle
relève d’un modèle de la connaissance en général « comme
processus interprétatif et relationnel ». Mais la télévision n’est-elle
pas elle-même le résultat du modèle différé du modèle pédagogique
né de Mai 68 ?, de la redéfinition des frontières entre privé et public
ou encore de la remise en question de la primauté de la raison dans
les processus de connaissance de la réalité ? Plusieurs obstacles
s’opposent à la prise en compte de la télévision et à travers elle, de
ces mutations, par les éducateur : les intérêts politiques et
économiques à ne pas savoir, l’illégitimité de ce médias (au regard
de la rareté des recherches réalisées sur la télévision), l’idéalisation
d’un âge d’or, l’ignorance du passé ou encore l’invisibilité (ou la
méconnaissance) des phénomènes à étudier. L’auteur encourage une
approche interdisciplinaire. Elle propose d’interroger non pas les
effets cognitifs de la télévision mais plutôt les effets produits par
l’école sur les enfants « télévisuels ». L’école devrait changer sa
pédagogie en développant de nouvelles aptitudes. Au début, l’école
et la télévision se sont opposés, puis elles ont cherché à se
rapprocher. Pour Geneviève Jacquinot, le temps d’une troisième
position est venu, qui nécessiterait un « véritable tournant à la fois
épistémologique et institutionnel ».
Joseph Meyrowitz, « La télévision et l’intégration des enfants »,
Réseaux n°74, 1995, p. 55-88.
Joseph Meyrowitz fait partie des auteurs qui sont souvent cités par
les chercheurs ayant travaillé sur les publics adolescents. La thèse
principale de Joseph Meyrowitz est que la télévision rend plus
poreuses les frontières entre le monde des enfants et celui des
adultes, dans la mesure où elle donne aux premiers l’occasion de
percevoir celui des seconds. En s’intéressant aux effets qui peuvent
accompagner le passage d’une « situation fondée sur les livres » à
une « situation fondée sur la télévision », Joseph Meyrowitz suggère
que « l’orientation générale actuelle des conceptions sur l’enfance et
l’âge adulte est peut-être beaucoup plus liée à l’évolution des médias
qu’on ne pourrait peut-être le penser » (p. 58).
Dans le passé, la connaissance que l’enfant avait du monde était
déterminée par l’endroit où il vivait et par les lieux où on lui
permettait de se rendre. Le monde extérieur était filtré par la famille,
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
59
ce qui explique la fascination exercée par les visiteurs qui
apportaient dans le foyer des informations nouvelles. Le processus
de socialisation était constitué d’étapes, auxquelles était rattaché un
type d’information autorisé. La télévision, tend à rapprocher les
adultes et les enfants, à l’inverse du texte imprimé qui crée des
« espaces » où les adultes peuvent communiquer sans risquer d’être
surpris par les enfants. Aussi, ce qui a profondément changé avec la
télévision, écrit l’auteur, « c’est le mode de circulation de
l’information dans le foyer ». La télévision « court-circuite les filtres
de l’autorité parentale et atténue la portée de l’isolement physique de
l’enfant sous le toit familial » (p. 59). La famille n’a plus le
monopole de l’éducation des enfants qui trouvent dans les émissions
de télévision d’autres sources d’information. Autrement dit, « la
télévision supprime les barrières qui plaçaient auparavant des
individus d’âges ou de compétences différentes dans des situations
différentes » (p. 62). Non seulement les enfants sont capables de
regarder des émissions pour adultes mais en plus, c’est celles qu’ils
préfèrent. Les enfants veulent en fait, à travers ces programmes,
connaître l’univers des adultes. Alors qu’avec les livres les adultes
pouvaient cacher certains secrets et leur principe même de
dissimulation, la télévision dévoile des secrets d’adultes et révèle
qu’il y a eu dissimulation (p. 67). Or l’importance de la
« dissimulation secrète » dans l’interaction adulte-enfant est un
thème récurrent dans la littérature destinée aux parents. La télévision
contribue à démystifier les parents, en montrant leur fragilité, par
exemple, alors même qu’ils doivent se montrer solides face aux
enfants. L’école opère également une gestion du secret, en révélant
progressivement, des éléments de connaissance du monde
environnement, en fonction des classes et des âges. « A chaque
niveau de leur éducation, les enfants apprennent des secrets qu’ils ne
doivent pas partager avec les adultes » (p. 74). Le système scolaire
de répartition des classes d’âge répond à des règles strictes que la
télévision remet en question. D’une part, les élèves savent à présent
des choses que leurs enseignants ignorent et d’autre part, la
télévision aurait, aux yeux de Meyorwitz, « sapé les comportements
publics des éducateurs », par des révélations d’ordre privée (p. 75).
Buckingham, David, Children talking television. The making of
television literacy, London, Washington, D.C: The falmer press,
199365.
Le travail de David Buckingham constitue une référence pour ceux
qui s’intéressent non seulement à la question de l’éducation aux
médias mais aussi au thème des effets dans la mesure où il aborde
les deux aspects. Cette recherche a émergé dans une période cruciale
du développement de l’éducation aux médias, en Grande Bretagne :
d’un mouvement avant-gardiste porté par un petit groupe de
personnes, l’éducation aux médias s’est rapprochée du courant
éducatif dominant. Du coup, plusieurs chercheurs ont revisité les
travaux de leurs aînés. Les défenseurs de l’éducation aux médias
souscrivaient à un modèle de diffusion du savoir des chercheurs vers
les enseignants puis vers les étudiants. Du coup, les questions
d’apprentissage et de pratiques de l’enseignement en classe ont été
largement ignorées. Dans sa conclusion, David Buckingham revient
sur la posture de l’éducation aux médias en Grande Bretagne,
posture politique plus explicite, à ses yeux, que l’approche en
apparence neutre du programme « d’alphabétisation télévisée » aux
Etats-Unis. L’auteur rappelle que l’éducation aux médias a souvent
été perçue par ses défenseurs comme un moyen d’opérer des
changements politiques radicaux à la fois dans la conscience des
élèves et dans le système éducatif lui-même, c’est à dire comme un
65
David Buckingham est enseignant en Education à l’Institut d’éducation de
l’Université de Londres.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
60
processus de démystification. Par contraste, la seconde position, plus
récente, cherche à valider voire à célébrer des aspects de la culture
des élèves traditionnellement exclus des programmes scolaires.
L’éducation aux médias est ainsi perçue comme un moyen de
renverser les notions de culture haute et de culture populaire, et de
favoriser ainsi des relations plus égalitaires entre enseignants et
élèves. Dans cette perspective, les textes populaires sont perçus non
pas comme les supports d’une idéologie réactionnaire mais comme
des sources de plaisir subversif qui défient et perturbent le statu quo
éducatif et politique. Cette vision a souvent été critiquée comme
étant une forme de populisme superficiel. Du point de vue des
élèves, la première posture peut être perçue comme une attaque à
leurs plaisirs et à leurs préférences. Plusieurs études ont montré que
les élèves des classes populaires percevaient l’enseignement comme
des tentatives de la part des enseignants issus de classe moyenne
pour leur imposer leurs valeurs et croyances (Cohen, 1988, Dewney
and Lister, 1988). La deuxième position qui suggère que les relations
de pouvoir dans la classe peuvent être facilement abolies juste par le
fait de changer le contenu du programme elle aussi fait l’objet de
plusieurs critiques (Buckingham, 1990). Ces études ont montré qu’il
n’y avait pas de raison de penser qu’enseigner les émissions de jeux
ou des poètes affecterait les relations entre étudiants et élèves. Alors
que la position de démystification ne parvient pas à renforcer les
relations de pouvoir entre étudiants et élèves, la version
« progressiste » de l’éducation aux médias court le risque de laisser
les élèves à leur point de départ. Les enfants retirent peu de profits
en termes d’apprentissage de l’étude des médias populaires (p. 286).
Le but de ce livre consiste à informer les enseignants qui cherchent à
développer l’éducation aux médias à l’école en partant du plaisir que
les enfants retirent de cette activité.
Alors que les débats sur l’influence néfaste de la télévision sur les
enfants font rage, David Buckingham se propose d’interroger les
notions « d’influence » et « d’effets » qui fondent ces discours
anxieux. Contre l’idée d’une télévision toute puissante agissant sur
des victimes impuissantes, il montre comment les enfants produisent
du sens et tirent plaisir de la télévision, à travers l’observation de
discussion en petits groupes.
Il s’agit d’une recherche pluridisciplinaire qui allie les théories et des
courants issus des médias et des Cultural studies, de l’anglais, de la
psychologie, de la sociologie, de la linguistique et d’autres secteurs.
Une partie des conclusions de cet ouvrage sont tirées d’une enquête
sur le développement de l’alphabétisation télévisée à l’enfance et
l’adolescence, financé par le conseil économique et social de la
recherche de la Grande Bretagne.
Après avoir évoqué les discours sur les effets des médias sur les
jeunes, et mis en évidence leur caractère récurrent, David
Buckingham montre que ces débats fournissent une explication
causale à des problèmes complexes. Aussi, selon lui, « blâmer la
télévision peut servir à détourner l’attention des causes possibles du
changement et du déclin, causes qui pourraient être plus proches de
la maison et bien plus douloureuses à examiner » (p. 8)66.
Rechercher des explications plus complexes à ces phénomènes
reviendrait à reconnaître certaines contradictions et limites de ces
institutions (telles que l’église et la famille)67. Ces travaux présentent
66
Par exemple, Mary Whitehouse a constamment perçu la télévision comme une
des principales explications du déclin de la religion et des valeurs familiales
traditionnelles de l’après-guerre (Tracey et Morrison), 1979. Ses attaques contre la
BBC et de ses représentants les plus « populistes », comme Sir Hugh Greene et
Michael Grade ont été motivées par une inquiétude plus générale au sujet de la
sécularisation de la société britannique.
67
Ian Connell (1985) a montré que blâmer les médias faisait partie de la
mythologie de la gauche. Concevoir l’échec du socialisme à gagner le soutien des
masses comme étant le résultat de la manipulation médiatique renvoie à la
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
61
plusieurs limites, selon David Buckingham. Ils n’apportent pas de
preuves tangibles de ce qu’ils avancent. Dans la plupart des cas, une
analyse de la télévision en elle-même, généralement en termes
statistiques, est perçue comme une preuve suffisante de ses effets.
En outre, l’intérêt se porte essentiellement sur les effets négatifs de
la télévision…
Ce qui passe à la trappe, ici, c’est la question de savoir pourquoi les
enfants privilégient la télévision et le plaisir qu’ils peuvent en retirer.
Or, tout se passe comme si cela ne pouvait être qu’expliqué en
termes d’addiction du média ou comme une conséquence de
l’irresponsabilité parentale. David Buckingham montre qu’une partie
des critiques de télévision pourraient apparaître comme un retour en
arrière à une vision proche de l’idéal victorien de l’enfance pure (ce
qui, pour un autre auteur, Barker, cache en réalité, une crainte des
enfants des milieux populaires perçus comme des monstres
potentiels [Barker, 1989]). Dans tous les cas, les enfants ne sont pas
totalement conçus comme des êtres sociaux, ce qui a eu pour
conséquence de réduire les enfants au silence.
Que ces enquêtes aient été financées par le budget de la santé
mentale, aux Etats-Unis, montre que ce problème a été
principalement appréhendé en termes pathologiques. Malgré les
ressources intellectuelles et économiques considérables qui ont été
investies dans la recherche sur les effets de la violence télévisée, ses
résultats ont été peu concluants. Les raisons sont autant liées aux
limites des méthodes employées qu’à la façon dont le
questionnement scientifique de départ a été formulé, souligne David
nécessité douloureuse de regarder certaines contradictions et faiblesses des
stratégies propres à la gauche. Martin Barker (1984) explique que les débats et la
législation au sujet des « vidéos sales » (« nasty videos ») ont surgi en réponse au
besoin du gouvernement conservateur d’imposer l’image d’un parti de la loi et de
l’ordre, à la suite de l’agitation sociale qui culmina avec les troubles des banlieues
de 1981.
Buckingham (p.10). Exceptés les travaux d’Himmelweit et de
Schramm et alii qui soulignent le poids des variables qui
interviennent telles que la famille ou la classe sociale et affichent
une certaine prudence à l’encontre des visions les plus alarmistes
circulant dans le débat public, la plupart des recherches depuis cette
date se sont appuyées sur la notion d’effets directs (p.11). Utilisant
des modèles comportementaux, leurs auteurs ont tenté d’identifier
les différentes façons à travers lesquelles un stimulus violent
produirait une réponse agressive. Or comme plusieurs critiques l’ont
exprimé, « les expériences classiques en laboratoire tendent à
mesurer des réponses artificielles à des stimuli artificiels dans des
situations artificielles » (p. 11). Surtout les limites majeures de ce
courant dérivent de son incapacité à définir la signification de la
violence à la télévision comme dans la vie quotidienne. Dans ces
études, en effet, la violence est surtout définie en termes d’actes
d’agression physique, laissant de côté la violence psychologique ou
institutionnelle. Elle est également perçue comme une catégorie
homogène, ignorant les différents types de violence et de contextes
dans lesquels elles prennent part. Enfin, les catégories de
classification de la violence télévisée sont élaborées par les
chercheurs et non à partir des définitions des publics alors même que
ces dernières peuvent se baser sur des critères très divers voire
contradictoires68. En isolant la violence d’autres aspects de la
télévision et l’agression d’autres aspects de la vie sociale, les
chercheurs ont effectivement échoué à expliquer ces phénomènes.
68
Dorr et Kovaric (1980) ont montré que les définitions de la violence des enfants
ne coïncidaient pas forcément avec celles des parents. Murdock et McCron (1979)
ont souligné la nécessité de replacer les comportements d’agression et de
consommation télévisée dans les processus culturels et sociaux plus larges.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
62
L’auteur utilise la notion d’alphabétisation69 pour faire le lien entre
le thème de l’éducation aux médias et la recherche sur les publics. Il
s’intéresse surtout, à travers cette notion, aux relations entre les
processus linguistiques et cognitifs et les pratiques sociales
spécifiques. Autrement dit, l’alphabétisation n’est pas réductible à
un ensemble de compétences isolées du sens que chaque
téléspectateur produit ou des structures institutionnelles et sociales
qui l’enserrent.
David Buckingham souligne également la fonction sociale de la
télévision, en montrant que ce que nous pensons de la télévision et
comment nous l’utilisons dépend des contextes et de la façon dont en
parle avec les autres (p. 39), que ce que nous en disons dépend de
nos interlocuteurs, du contexte, ce que nous aimerions qu’ils pensent
de nous, du type de relations nous souhaitons établir avec eux. La
télévision, comme les discussions sur le temps qu’il fait, fournissent
un discours qui sert tout simplement à établir et à maintenir une
communication (p. 40). Ces discussions autour de la télévision
varient en fonction des milieux sociaux. Pour les parents, les
enseignants et les classes moyennes, parler de la télévision montre
que l’on est responsable.
La première partie de l’ouvrage expose le contexte de la recherche et
les termes du débat puis annonce la perspective théorique choisie par
l’auteur : celle de l’alphabétisation télévisée. La deuxième partie
aborde, à travers les résultats de plusieurs enquêtes réalisées auprès
d’enfants et de parents d’élèves, la façon dont l’ont peut donner du
69
Sur la transposition de la difficulté de transposer la notion d’alphabétisation en
France, cf. l’article de Jacques Gonnet, in Jacquinot Geneviève (dir.), GRREM,
Les jeunes et les médias : perspectives de la recherche dans le monde, Paris,
l’Harmattan , 2002.
sens aux discussions télévisées. La troisième partie porte sur les
compétences identifiées comme constituant un « ordre supérieur » de
l’alphabétisation, l’expression étant empruntée aux recherches
psychologiques sur le développement de l’enfant qui distinguent un
state d’alphabétisation fonctionnelle, acquis en bas âge et un stade
« supérieur » ou d’alphabétisation critique qui correspond à un âge
plus avancé (p. 131).
Cette présentation se focalise essentiellement sur la deuxième partie
dont la majeure partie des résultats ont été obtenus à l’issue d’une
expérience pilote qui s’est déroulée dans une école primaire de l’Est
de Londres, en 1989. 47 enfants de 8 à 11 ans étaient interviewés par
groupes de 4 ou 5, en faisant varier la composition de ces groupes
(en termes de genre, de « race » et de milieu social).
L’un des premiers enseignements de cette expérience c’est que le
dispositif d’enquête produit des effets sur les résultats, (ce que David
Morley n’aurait pas pris en compte dans son enquête sur le public de
Nationwide). Dans la situation d’entretiens, les enfants, désireux de
répondre aux attentes du chercheur-adulte, ont tendance à offrir un
discours relativement critique à l’égard de la télévision. En petits
groupes, en revanche, ils n’adoptent pas tout le temps un discours
« adulte » car en interagissant aussi avec leurs pairs, ils s’adressent à
des publics différents. Il en découle que « ‘décoder’ la télévision est
en lui-même un processus et pas seulement un effet d’autres
processus sociaux » (p. 46).
Les enfants savent que le Cosby show est une fiction. Ils l’apprécient
en tant que comédie mais aussi dans la mesure où ils peuvent en
retirer une grille de lecture sur le monde social. Le succès de cette
série vient du fait qu’elle oscille entre la volonté de « faire rire » et
celle de « faire réfléchir à ce qui se passe » (p. 48). DB suggère
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
63
d’observer de plus près la façon dont les gens utilisent le langage au
cours d’interactions. Les catégories ne sont pas fixées, elles sont
négociées. Dans cette perspective, les enfants devraient être
appréhendées comme des participants actifs de leur propre
socialisation. La définition de soi et des autres joue un rôle vital dans
ce processus.
Une autre expérience menée cette fois à partir de dessins animés,
auprès de groupes masculins et féminins montre que les identités
sexuées ne sont jamais fixées, mais négociées et établies au cours
des interactions. Contre l’image d’une télévision toute-puissante et
du risque inverse d’exagérer le pouvoir de liberté du public, l’auteur
suggère ainsi de reconnaître ce que les lecteurs apportent aux textes
et de rendre compte de ce qu’ils en retirent (p. 59).
Le quatrième chapitre repose sur des discussions de 45 minutes avec
des enfants interrogés par groupes de cinq, à l’écart de la classe. Il
leur était demandé ce qu’ils aimaient à la télévision, puis quelques
temps plus tard, ce qui leur déplaisait. Plusieurs résultats
apparaissent. Premièrement, parler de la télévision peut être une
façon de définir à soi et à l’autre son identité. L’âge joue un rôle
essentiel dans la définition de soi comme l’atteste le fait que les
programmes sont ainsi classés selon qu’ils s’adressent aux enfants
ou aux adultes. Les différences sexuelles constituent aussi un facteur
de distinction important. A l’inverse, la classe sociale et la race
jouent un rôle plus discret. Ce constat n’est pas homogène. Parmi les
enfants de classe moyenne, où les enfants d’étrangers sont peu
nombreux, les « différences raciales » n’existent pas, alors qu’en
banlieue, l’identité raciale est souvent mise en avant. Cela peut
traduire, outre le fait qu’il y ait beaucoup d’enfants noirs, des intérêts
à proclamer ces différences. Autrement dit, la façon dont certaines
différences sont mises en avant dépend de l’anticipation des profits
(ou des pertes) à les proclamer (p. 87).
Le chapitre 5 s’intéresse aux relations entre les parents, les enfants et
la télévision. Celles-ci se caractérisent par des luttes de pouvoir et de
contrôle (p. 102). Regarder la télévision en famille est souvent une
zone de tension et de conflits considérables (p. 102). Les discussions
menées avec des parents d’élèves montrent que tous condamnent la
télévision ; évoquer son propre plaisir à regarder la télévision
apparaîtrait comme un signe de discrédit (Peter Fraser, 1990). En
faisant cela, ils montrent qu’ils répondent à la définition de « parents
responsables ».
La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à la question de
l’alphabétisation télévisée. L’auteur montre que ces compétences
sont sociales dans la mesure où elles sont négociées et produites
dans le processus de conversation enfantine. Le dernier chapitre
porte sur les implications de la télévision, du langage et de
l’apprentissage pour l’éducation aux médias. Le courant dominant de
recherche sur les enfants et la télévision voit les enfants comme des
téléspectateurs plus ou moins incompétents. DB montre au contraire
que même le plus jeune des enfants présente un haut degré de
sophistication dans les jugements qu’il porte à la télévision. Il
demeure néanmoins un fossé dans leur connaissance. Les enfants ne
comprennent pas tout à fait le fonctionnement des émissions de
télévision, ils ne s’interrogent pas sur la portée politique de certains
programmes ni les éventuels biais contenus dans les informations.
Les enfants plus âgés néanmoins sont plus réflexifs et offrent des
jugements mieux informés et considérés. Sur la base de ces résultats,
DB émet la possibilité de construire un modèle de développement
qui identifierait une série d’étapes à travers lesquelles les enfants
acquérraient une compréhension de la représentation. De même, il
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
64
suggère d’apprendre aux enfants de 8 ou 9 ans comment fonctionne
la télévision. Au lieu d’encourager les enfants à résister à la
publicité, il serait plus productif pour eux d’étudier les fonctions
économiques des industries culturelles. Il invite les éducateurs à
identifier les manques, dans le savoir des enfants et leur permettre de
développer leurs compétences et leur compréhension. Il suggère
également de prendre en compte le contexte social et interpersonnel.
Les compétences de téléspectateurs ne peuvent être séparées des
dimensions sociales et affectives des relations que les enfants
entretiennent avec la télévision. Pour finir, David Buckingham
suggère aux enseignants d’encourager les enfants à analyser ce qu’ils
lisent, regardent à la télévision qu’il s’agisse de littérature populaire
ou de haute culture.
Mireille Chalvon, Pierre Corset, Michel Souchon, L’enfant
devant la télévision des années 1990, Paris : Casterman, 1991.
Ecrit par des « professionnels de la télévision »70 comme ils se
présentent eux-mêmes, ce livre a pour objectif de « créer un climat
favorable au dialogue » et à la réflexion autour de la télévision entre
parents, éducateurs et enfants. Plus qu’une entreprise de
réhabilitation de la télévision, ce livre constitue une réhabilitation
70
Ancienne responsable des émissions pour la jeunesse de France 3, Mireille
Chalvon est productrice de programmes pour enfants et responsable des émissions
de fiction et des dessins animés. « Elle a publié plusieurs compte rendus d’études
et de colloque dans le cadre de l’Union européenne de radiodiffusion » est-il fait
état, dans cet ouvrage. Pierre Corset travaille depuis 1967 au service de la
recherche de l’ORTF puis à la Direction de la Recherche de l’INA et a publié Les
Jeunes et la télévision, Paris : La documentation française, 1991. Michel Souchon
est rédacteur en chef adjoint de la revue Etudes et directeur des études à la
présidence A2-FR3. Il a publié Petit écran et grand public (Documentation
française, 1980) et La Télévision des adolescents, op. cit.
des chercheurs qui travaillent à la télévision. L’ouvrage est une sorte
de compilation de ce qui se dit sur le sujet, dans le milieu de la
recherche et dans la vie courante. Autrement dit, la teneur
proprement scientifique du livre est absente, puisqu’il n’y a ni
hypothèse, ni véritable démonstration, ni enquête. Le fait qu’elle
plaise aux enfants constitue pour les auteurs, une raison suffisante
pour ne pas la négliger. Dans la première partie, les auteurs exposent
les possibilités offertes par ce média tout en abordant ses limites.
Puis, l’écoute télévisée est resituée dans l’ensemble des pratiques
socioculturelles. Conscients que « loin de combler les vides et de
réduire les inégalités culturelles, la télévision contribue, au contraire,
à les augmenter », les auteurs s’intéressent au rapport des adultes à
ce médias enfin à la façon dont former les téléspectateurs actifs.
Méthodologie
La première partie
s’appuie sur
les résultats du système
d’audiométrie individuelle Médiamat (Médiamétrie) sur l’ensemble
de l’année 1989 et l’enquête 8-16 ans (Médiamétrie-Diapason) sur
les jeunes de 8-16 ans (1987-1988). Dans le premier, un appareil,
placé dans 2300 foyers français, enregistre, avec une horloge
intégrée, l’état physique du poste de télévision (allumage, extention,
changement de chaîne). Une boîte est remise aux personnes du foyer
qui s’en servent pour signaler leur présence dans la pièce où se
trouve le téléviseur allumé. L’enquête 8-16 ans a été conduite entre
juin 1987 et mars 1988, sur 3000 jeunes représentatifs des jeunes de
cet âge, en trois vagues successives.
Principaux résultats
Les auteurs montrent que la télévision sert en partie à meubler des
temps libres que l’on ne peut occuper à l’extérieur, comme le montre
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
65
le fait que les durées d’écoute sont plus importantes en hiver qu’en
été. Revisitant la littérature sociologique sur les rapports de l’enfant
à la télévision, les auteurs insistent sur les conditions de réception de
la télévision. Les effets supposés ou réels de la télévision sur certains
comportements des enfants dépendent d’un ensemble de facteurs
externes. On est « renvoyé, lorsqu’on veut étudier la télévision, à
tout ce qui n’est pas elle, au milieu où elle s’insère et qui
conditionne sa réception », écrivent-ils (p. 17). Les auteurs se basent
sur les travaux de Schramm et d’Himmelweit qui constituent à leurs
yeux, les enquêtes les plus sérieuses et les plus prudentes.
Observant que les enfants regardent davantage les programmes pour
adultes que ceux qui leur sont destinés, les auteurs se demandent si
l’existence de programmes spécifiques est justifiée.
Ils retracent dans les grandes lignes, les étapes de la création des
services Jeunesses, ainsi que les des émissions phares (« L’île aux
enfants » (1973), « Goldorak » (1978), « Candy » (1979), Disney
Channel » (1984)…). Ils constatent la disparition d’émissions d’éveil
et de documentaires et le retour récent du « soft » (illustrées par des
séries fondées sur la famille et l’utilisation de héros célèbres ou issus
de bandes dessinées connues). Ils soulignent la position de ces
services qui, dans tous les pays, sont les « parents pauvres » des
chaînes de télévision (p. 54). S’ils représentent 20% de tranches
horaires d’une chaîne, les budgets ne dépassent pas 10%. Aux
productions nationales, constituées pour des raisons budgétaires,
principalement, d’émissions en plateaux, se sont substituées les
coproductions. Ces dernières, souvent européennes et/ou
internationales ont permis, dès 1985, une réduction de la
participation des chaînes (de l’ordre de 30%) aux programmes
Jeunesses. Autre aspect économique de ce secteur, les droits dérivés
des dessinés animés jouent un rôle considérable dans le financement
des séries de même que l’ordinateur a permis lui aussi de réduire les
coûts des dessins animés. Les auteurs abordent ensuite des aspects
plus sociologiques de la réception télévisée, en s’intéressant d’abord
au rôle de ce médias dans les relations familiales puis dans le
processus de socialisation de l’enfant. « La télévision court-circuite
la médiatisation personnelle de l’éducateur », soulignent-ils (p. 69).
Le fait qu’elle représente pour ces éducateurs, un phénomène
nouveau, explique aussi l’attention qui est portée sur elle, au
détriment d‘autres médias mieux connus (affiches, Walkman,
Bandes dessinées…). Les auteurs proposent de modifier le rôle de
l’éducateur, pour qu’il soit moins dispensateur de connaissance et
davantage chargé d’aider les jeunes à se les approprier en un savoir
cohérent (p. 75). « On ne forme plus l’enfant pour l’introduire
ensuite dans la société. C’est la société qui vient à lui précocement
par l’intermédiaire de la télévision. Il faut apprendre à y vivre sans
l’accepter passivement » (p. 74). C’est à la condition que l’éducateur
s’intéresse aux émissions que l’enfant regarde, les prenne en compte
pour parler avec lui, que la télévision deviendra un outil de
socialisation qui n’échappera pas totalement à l’éducateur. Car que
propose la télévision à l’enfant ?. Elle lui fournit des modèles et
contribue « pour une large part, à constituer les réservoirs de signes
sociaux où il puisera pour s’exprimer et pour analyser les
comportements de ceux qui l’entourent » (p. 77). « En présentant
comme normal ou naturel un monde où un enfant semblable au
téléspectateur a tel type de comportement ou d’attitude […] la
télévision fait jouer un mécanisme subtil d’imposition de normes
sociales […] Cette imposition de normes, cette délimitation implicite
des rôles et des statuts, la télévision les pratique dans toutes les
sphères de la vie sociale : de l’espace familial aux domaines des
relations internationales » (p. 84). Aussi la distance s’avère-t-elle
nécessaire avec ce média. Autre aspect de la télévision traité par les
auteurs : l’information. Source « inépuisable d’informations, c’est
plutôt « par surabondance » qu’elle pêche. Les enfants, ou bien se
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
66
passionnent pour le sujet ou bien adoptent une attitude indifférente ;
ceux qui sont âgés de plus 14 ans préfèrent des informations précises
sur leur vie quotidienne : la vie scolaire, l’orientation, les débouchés,
le chômage ou les loisirs (p. 90). Au passage, on notera que le ton
des auteurs est ici plus critique. Les informations télévisées sont
souvent décontextualisées, les commentaires supposent que les
éléments factuels permettant de comprendre les situations soient
connus du public. En outre, le fait d’avoir une image détermine en
grande partie l’importance consacrée à tel ou tel sujet. Le système
narratif imposé par la télévision ne permet pas de rendre la
complexité des situations. La télévision a également tendance à
personnaliser les situations : au lieu d’expliquer les raisons du
chômage, on demande son avis à un chômeur ou un ministre, de
parler de la construction de l’Europe, on présente une photo de
famille des responsables politiques (p. 95). De même, l’information
devient un feuilleton romanesque, avec des acteurs connus (ibidem).
Après avoir montré que l’information télévisée n’était pas adaptée
aux jeunes, en dépit des expériences qui ont été faites avec des
jeunes sur la réalisation d’un journal, les auteurs se demandent sur la
télévision aide à l’apprentissage du langage. Or, les enseignants
affirment que les enfants ne s’expriment pas plus facilement
oralement qu’autrefois (p. 101). La télévision montre les objets plus
qu’elle ne les nomme, de sorte que le langage devient presque
superflu (p. 102). De même, les images données toutes faites par la
télévision ne risquent-elles pas de « ‘fossiliser’ les possibilités
d’abstraction de l’enfant » ?, s’interrogent les auteurs (p. 103). Ils
invitent les éducateurs à faire raconter aux enfants ce qu’ils ont vu
sur le petit écran afin « qu’ils prennent l’habitude de passer de
l’objet ou de l’événement, aux mots et aux phrases » (p. 104). Aussi,
les auteurs suggèrent que l’école intègre les apports de la télévision :
« dans la mesure où la télévision sera consommée comme un pur
passe-temps et où l’école continuera à sélectionner par le lu et l’écrit
les apports culturels acquis à la maison, elles joueront en faveur des
plus favorisés et au détriment des autres. Si au contraire l’école
intègre les apports de la télévision en apprenant aux enfants à les
situer, à les classer, à les critiquer, elle redonne les mêmes chances à
tous » (p. 114). Le livre plonge ensuite dans l’évasion - refuge.
« L’enfant qui est entravé par de nombreux interdits et limité dans
ses capacités trouve une occasion d’évasion en menant par
procuration les aventures des autres […] Et alors qu’il est difficile de
résoudre des problèmes trop brûlants et trop immédiats de la vie
quotidienne, la télévision offre une distance qui les rend
apparemment supportables et faciles à résoudre [ …] L’enfant trouve
ainsi dans les émissions de fiction des occasions d’alimenter ses
fantasmes, d’exprimer et de sublimer ses pulsions », soulignent les
auteurs (p.117) qui passent en revue les différents types de fictions.
Le problème des fictions est davantage celui de leur surabondance
qui oblige les enfants à s’identifier à plusieurs héros à la fois (p.
127). Les auteurs soulignent alors la fonction du retour plateau et/ou
de la publicité qui permet à l’enfant de faire une pause avant de
passer à un autre personnage. Un des dangers des fictions tient dans
le fait que les enfants sont amenés à la confondre avec la réalité, ce
qui, selon les auteurs, tient en partie au fait que les réalisateurs
aiment mélanger des faits réels aux récits. Inversement, la télévision
empêche de s’impliquer dans la vie réelle dans la mesure où elle
informe des risques qu’il y aurait à le faire (p. 131). Les auteurs
abordent ensuite l’impact des discours inquiets des adultes sur les
enfants. « Le regard anxieux et culpabilisé que posent certains
parents sur leur enfant, heureux et tranquille devant l’écran, risque
de le perturber autant que les images plus ou moins traumatisantes
qui s’y succèdent » (p. 137). Les jeunes parents qui ont été élevés
par la télévision ont en effet moins de réticences. Les auteurs
suggèrent aux parents de s’interroger sur leurs attitudes de peur. Ils
les invitent à sélectionner les programmes, mais aussi à les
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
67
démystifier, en expliquant comment sont faites les émissions. Les
parents devraient également expliquer aux enfants confrontés aux
spots publicitaires, qu’il existe d’autres critères de choix, de leur
montrer le caractère mensonger des slogans. L’ouvrage se clôt sur
l’idée de « former un téléspectateur actif ». Une meilleure
compréhension de son attitude a pour objectif de lui permettre de
tirer un meilleur profit culturel de cette activité. Mais cette formation
à devenir des spectateurs actifs devrait concerner aussi bien les
enfants que les adultes, concluent les auteurs.
François Mariet, Laissez-les regarder la télé. Le nouvel esprit
télévisuel, Paris : Calmann-Levy, 1989.
A travers ce titre provocateur, l’auteur rompt ave les positions sur les
effets supposés ou réels de la télévision sur les comportements des
enfants. Constatant le désert conceptuel des travaux sur la télévision,
l’auteur suggère de la considérer comme un média différent des
autres et d’adopter une approche compréhensive qui s’appuie sur ce
que les enfants peuvent en dire. Le livre a pour but de « réconcilier
l’école et la télévision ». L’auteur qui se place dans une perspective
internationale se présente comme un partisan du libéralisme
audiovisuel, seule garantie, à ses yeux, de la démocratie. « La
télévision commerciales est ce qui se rapproche le plus de la
démocratie télévisuelle » écrit-il (p. 21). En effet, avec cette
télévision, le pouvoir revient au peuple, pour ainsi dire. Il invite des
parents et les éducateurs à laisser les enfants regarder à la télévision,
ce qu’ils souhaitent, quand ils le souhaitent, car interdire cette
pratique « ne fera que la grandir à leurs yeux » (p. 19). L’auteur
prend le contre-pied de ce qu’il appelle les « cinq postulats des
téléphobes ». Le premier part du principe qu’il existerait une autorité
supérieure – l’Etat, des parents et des enseignants, des spécialistes
du conseil en éducation que l’auteur regroupe dans la catégorie des
« intermédiaires culturels » - qui pourrait dire ce qui est bon pour
nous. Or, ces porte-parole sont des usurpateurs, pour l’auteur, dans
la mesure où ils n’ont pas été élus. Contre le second postulat selon
lequel la télévision doit être nationale, l’auteur plaide pour une
télévision sans frontières. Contre le troisième postulat sur l’existence
d’un conflit entre l’école et la télévision, l’auteur souligne que
chacun poursuit des fins différentes et que la télévision n’est pas
responsable de la dégradation de l’école. Contestant le quatrième
postulat sur l’influence du contenu des émissions sur les enfant et le
fait d’y répondre entre contrôlant ce contenu, l’auteur suggère de
laisser les enfants « transformer notre culture à leur convenance avec
les outils de culture dont ils disposent » (p. 23). Enfin, contrairement
à l’idée que les enfants constituent un public à part qu’il faut
protéger, il propose de les considérer comme des « décideurs qui
comptent » et de les « laisser choisir la télévision, comme tout le
monde » (p. 24). François Mariet suggère de ne pas considérer la
consommation télévisuelle enfantine de façon globale. Il met ainsi
en évidence trois modes d’audience différentes : la « télé-passion »
est caractérisé par une attitude attentive et exclusive ; la « télétapisserie » ne requiert pas d’attention particulière et accompagne
souvent d’autres activités ; enfin, la « télé bouche-trou » se regarde
faute d’avoir d’autres occupations. Cette forme de télévision « est un
indicateur de l’ennui et parfois de la déprime des adolescents » (p.
49). Cette télévision s’immisce dans les moments laissés vacants par
d’autres activités, ce manque devant être pris en compte par les
acteurs de l’animation socioculturel. Supprimer l’ennui supprimerait
en effet cette sorte de consommation télévisée (p. 50). Ainsi, la
télévision apparaît comme une pratique compétant d’autres activités
ou s’y substituant. L’auteur montre ensuite que les enfants sont des
consommateurs plus avertis qu’on ne le pense. Ils savent regarder la
télévision tout en faisant plusieurs choses ce qui conduit l’auteur à
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
68
indiquer que « la télévision, c’est la liberté recouvrée du spectateur »
(p. 57). Les enfants maîtrisent les possibilités techniques de la
télévision, contrairement aux parents. L’auteur associe les discours
visant à contrôler l’usage de la télévision comme un discours de
classe, un sondage paru dans le magazine catholique La Vie
indiquait la prédominance des écologistes et des catholiques parmi
ceux qui souhaitent que leurs enfants leur demandent l’autorisation
de regarder la télévision. L’auteur passe en revue les différentes
mesures d’audience aides à la télévision, en en soulignant les limites,
pour chacune d’elles. Réaffirmant le caractère irremplaçable de
l’école, François Mariet insiste sur le fait qu’elle ne peut ignorer
pour autant la télévision (p. 189). De fait, l’école doit fournir aux
enfants le moyen de ne pas se noyer dans le flot télévisé car « l’école
seule transmet les moyens de comprendre et d’évaluer ce que dit la
télévision […] C’est l’école qui rend la télévision éducative »
(p. 200). L’auteur suggère de déplacer le questionnement. Ce n’est
pas tant la façon dont les enfants regardent la télévision qu’il faut
interroger que ce qui les y conduit, à savoir l’état de l’offre des
équipements scolaires, culturels. Le travail réalisé par les structures
de promotion de la lecture, s’il est efficace, devrait détourner
l’intérêt des enfants pour les émissions de télévision. Il s’oppose à ce
que l’école sorte de son rôle traditionnel, en proposant d’enseigner la
BD ou d’apprendre la télévision (p. 203). La télévision n’empiète
pas sur le temps de l’école car la durée de télévision qui s’accroît,
c’est la télévision tapisserie. Or, si la télévision n’a pas
fondamentalement modifié les objectifs de l’enseignement, elle a
transformé la culture, les dispositions et les attentes des enfants et de
tous ceux qui apprennent en général (p. 219). L’auteur se lance dans
une critique du rythme scolaire des apprentissages « archaïque et
inadaptés » que la télévision et d’autres technologies ont fait vieillir.
Judith Lazar, Ecole, Communication, télévision, Paris : PUF,
1985
L’auteure reprend l’hypothèse selon laquelle l’enfant se trouve aux
prises avec « deux cultures fondamentalement différentes », l’une,
« livresque, admise, citée comme référence, l’autre, télévisuelle,
contestée, cependant universelle » (p. 19-20). Refusant de
reconnaître la culture télévisuelle, l’école refuse de l’intégrer dans
son programme. Or, si la culture télévisée est « plus proche de
l’univers des enfants que la culture classique » (p. 20), elle exige une
formation préalable. N’est-ce pas à l’école de remplir ce rôle ?
Plus qu’une pratique de loisirs, la télévision est un « phénomène
social » dont il faut désormais tenir compte, souligne l’auteure.
Selon Judith Lazar, l’entrée de l’ « école parallèle » dans la vie
nécessite un mode d’emploi. La télévision présente en effet certains
dangers : elle confronte l’enfant au monde des adultes (cf.
Meyrowitz), s’adresse à tous au même moment, impose son rythme
(p. 32). En outre, l’école n’est pas garante de la démocratie
culturelle. Non seulement le taux d’échecs scolaire est fortement lié
à l’origine sociale, mais aussi l’école, « loin d’atténuer les
inégalités », les accuse (p. 25), souligne Judith Lazar. S’il existe une
division du travail entre l’école, lieu « sérieux » et la télévision, lieu
de divertissement, l’école a pris conscience de ne plus être le seul
lieu d’éducation et d’instruction. Judith Lazar mobilise des travaux
de psychologie, de sémiologie et de sociologie pour asseoir son
propos. Elle explique par exemple qu’« un fossé entre les
génération » s’est creusé, « les parents restant soumis à la suprématie
de l’hémisphère gauche alors que leurs enfants commencent à faire
l’expérience d’un hémisphère droit dominant » (p. 29-30). L’auteure
passe en revue les caractéristiques de ces deux institutions. Contre le
jugement des pédagogues sur le rythme trop rapide de la télévision
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
69
Judith Lazar souligne que c’est l’école qui est lente alors même que
« le rythme de la maturation biologique s’est accéléré dans les pays
industriels » (p. 33). De même, à la différence du verbal qui « affecte
essentiellement les centres supérieure de notre vie intellectuelle et
psychique », […] les informations [télévisées] atteignent la
sensibilité sans obéir nécessairement aux inflexions de jugement »
(p. 29). Autre différence pointée par l’auteure : l’école apporte un
« savoir érudit plus ou moins abstrait », la télévision « transmet la
réalité, la possibilité, le tangible » (p. 33). Enfin, l’école renvoie à la
« culture cultivée » tandis que la télévision est plus « populaire » (p.
34). Judith Lazar étudie le rôle de la télévision dans le processus de
la socialisation. Si l’école a succédé à la famille comme lieu de
socialisation, l’arrivée de la télévision a augmenté la « complexité de
la socialisation » (p. 70). Les enseignants sont réticents à considérer
les médias comme un instrument d’apprentissage pourtant prisé par
les jeunes. Ces derniers sont conscients du fait que la télévision peut
leur fournir des informations que ni l’école, ni leur famille ne
pourraient leur proposer, c’est à dire des informations directement
liées « à la vie ». La télévision occupe une place importante dans les
loisirs des enfants qui s’atténue à l’adolescence où les activités à
l’extérieur sont privilégiées. L’audiovisuel occupe la troisième
position derrière le sport et le cinéma. Si l’activité télévisée concerne
tous les milieux, elle est légèrement plus faible dans les milieux
favorisés. Passant en revue les programmes télévisés destinés aux
jeunes, Judith Lazar déplore le refus des éducateurs de considérer la
télévision comme un média éducatif, laissant ainsi le terrain libre à
une télévision qui « manque de courage » et vit « dans la hantise de
devenir impopulaire » (p. 113). Et rappelle que les « gens de
télévision » sont aussi responsables de la formation des goûts et de
l’éveil du sens critique que les enseignants de l’école (ibidem).
Après avoir passé en revue les principales critiques adressées à la
télévision - la passivité, l’effacement de la frontière entre le monde
réel et le monde imaginaire, la peur – l’auteure souligne que ce
média sert de bouc émissaire, « de déversoir aux différentes tensions
existantes dans la vie scolaire des enfants » (p. 124), rejoignant par
là les conclusions d’Himmelweit et de son équipe. Judith Lazar se
penche ensuite sur les préjugés concernant l’image. Celle-ci,
contrairement aux apparences, n’est pas accessible tout de suite à
tout le monde. Elle est à la fois ambiguë et polysémique (p. 132). La
télévision « possède, fabrique un langage d’image qui a ses règles,
ses rythmes, son temps propre. Ce langage crée un nouvel espace,
une nouvelle réalité qui s’ajoute à la réalité antérieure » (p. 148),
souligne l’auteure. C’est non seulement un flux, mais aussi une
fiction permanente. En outre, elle possède le pouvoir « de lier le
téléspectateur au monde, de le lui expliquer, de le rendre cohérents »
(p. 149). La télévision présente un terrain particulièrement propice
aux stéréotypes. L’auteure définit ce terme « l’ensemble des
opinions et des croyances acquise par un individu à l’égard d’un
autre individu ou une idée, sans que son opinion soit fondée sur le
savoir » (p. 152). Entre 8 et 12 ans, l’enfant a tendance à refuser tout
ce qui s’écarte de la règle ; ce qui est beau c’est pour lui ce qui se
rapproche le plus des stéréotypes (p. 153). L’auteure pointe un
« risque d’assimilation stéréotypé » de ce qui est perçu de la
télévision, « en l’absence de toute forme de critique et de jugement »
(p. 154). En outre, « la force de la télévision vient du fait que ce
qu’elle donne à voir du réel semble le réel, et non pas une image du
réel » (M. Chalvon, P. Corset, M. Souchon, L’enfant devant la
télévision, Paris : Casterman, 1977, p. 77). L’ouvrage se clôt sur les
résultats d’un questionnaire distribué à 92 élèves de cinquième,
plutôt masculins (65% des répondants sont des hommes) et d’origine
populaire (59% des pères sont ouvriers et employés). Il ressort de
cette enquête un manque de formation en matière d’image. L’auteure
invite l’école, qu’elle compare à une « structure périmée », à
« s’adapter » aux transformations induites par l’arrivée de nouveaux
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
70
médias, ceci, à l’heure où l’enfant entre à l’école avec une pratique
télévisuelle. » Elle redoute que la télévision, loin de combler les
inégalités culturelles, ne les amplifie. Selon elle, seule l’école peut
« briser la pauvreté culturelle » (p. 174). Elle invite l’école à
enseigner les techniques de domestication de l’image, et de sortir de
son « comportement hostile » qui, selon elle, « met en danger tout le
système scolaire » (p. 175).
Evelyne Pierre, Jean Chaguiboff, Brigitte Chapelain, Les
nouveaux téléspectateurs de 9 à 18 ans. Entretiens et analyses,
Paris : INA/La documentation française, (coll. « Audiovisuel et
Communication »), 1982.
Financée par le fonds d’intervention culturelle, avec le concours des
ministères de Agriculture, de la Culture, de l’Education nationale, de
la Solidarité nationale, de la Jeunesse et des sports, avec le soutien
de l’Office culturel pour la communication audiovisuel, cette
enquête s’inscrit dans le cadre d’un programme expérimental sur la
formation « du jeune téléspectateur actif ». Ce programme propose
aux parents, enseignants, animateurs socioculturels, de « prendre en
compte dans leur tâche de formation, la place que la télévision tient
dans la vie quotidienne des enfants et des adolescents et de
développer chez eux un comportement actif en leur donnant les
moyens d’accéder à une réelle autonomie dans cette nouvelle
pratique culturelle » (p. 7). Il s’agit de « cultiver » le regard que le
jeune porte sur l’écran en introduisant dans l’enseignement scolaire
et dans les activités socioéducatives « une pédagogie de l’usage de la
télévision de masse » (p. 8). Ce programme repose sur deux
hypothèses : la première postule qu’une initiation à un nouveau
mode de lecture de la télévision modifie le comportement du jeune ;
la seconde, que cet apprentissage aura des effets sur les autres
apprentissages du jeune et modifiera ses relations avec son
environnement. A l’issue de deux années d’expérimentation, le
service des études et de la recherche du ministère de la Culture a
constitué une équipe de chercheurs extérieurs aux institutions pour
mener une étude sur les changements intervenus chez les jeunes.
Jean Chaguiboff travaille à l’Université Paris 1 sur la psychologie de
la culture, Brigitte Chapelain est chargée de recherche à l’Institut
national de recherche pédagogique. Evelyne Pierre a mené plusieurs
expériences pédagogiques autour de programmes télévisés dans
différents pays.
Méthodologie
Lors de la phase exploratoire, les chercheurs ont réalisé des
entretiens avec des élèves dans des établissements scolaires de la
région parisienne centrés autour de la télévision. Une série
d’entretiens de 3 heures a ensuite été réalisé auprès des jeunes, pris
individuellement ou en petit groupe, complétés par des entretiens
avec des parents et des éducateurs interrogés sur leur conception du
rôle de la télévision, de leurs attentes quant aux effets du projet, de
leurs principes éducatifs. La deuxième phase de l’enquête a porté sur
la façon dont les journées « JTA » étaient perçues par ces élèves. La
troisième phase avait pour objet d’étude les changements induits par
ce programme. Les chercheurs ont choisi de multiplier les
observations afin d’obtenir un « ensemble de cas aussi diversifiés
que possible » qu’il s’agisse de la taille des villes, des types
d’habitat, du niveau scolaire ou encore de la profession des parents.
L’enquête a porté sur des enfants âgés de neuf ans et plus. Deux
élèves par classe (une fille et un garçon) ont été interviewés. 143
enfants et adolescents ont participé à des entretiens dont 92 tout au
long des trois phases (les auteurs avaient conduit des entretiens avec
des jeunes ayant suivi des séances JTA dans d’autres lieux que les
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
71
dix points d’enquête retenus). La plupart des séances JTA se sont
centrées sur l’analyse sémiologique de feuilletons, de publicités…
D’autres ont été consacrées à la formation de jeunes aux techniques
de production audiovisuelle.
Principaux résultats
Le premier chapitre dresse un état des lieux de la place de la
télévision dans la vie quotidienne des jeunes à partir du matériau
recueilli. La réception télévisée est collective. Elle est au centre de
rapports de pouvoir et fait l’objet de restrictions pour les jeunes. Si
l’autorité des parents est reconnue par les enfants, elle est moins bien
acceptée par les plus âgés (p. 31). On constate également que les
choix masculins l’emportent souvent sur les choix féminins.
En général, les jeunes choisissent leurs programmes en fonction de
leurs goûts qui sont également déterminés par l’offre des
programmes. La presse magazine télévisée grand public et le bouche
à oreille sont les deux sources d’information des jeunes. Le thème de
l’histoire et le nom des acteurs influent sur ces choix. Les plus âgés
lisent plus attentivement les critiques que les plus jeunes. Leurs
préférences vont aux films, aux dessins animés, aux émissions pour
enfants, aux documentaires sur les animaux pour les plus jeunes, aux
séries américaines, aux documentaires sur les pays lointains et les
événements historiques pour les plus âgés. Autre enseignement de
l’étude, pour la plupart des jeunes, la télévision est un remède contre
l’ennui (p. 39). Elle constitue une présence, permet d’oublier les
soucis. L’enquête montre également que la réception se prolonge à
travers les conversations. Pour les 10-12 ans, elles consistent surtout
à réactiver le souvenir de moments agréables passés devant la
télévision. L’enjeu consiste à se remémorer ensemble les meilleurs
moments. Les 14-18 ans sont plus sensibles aux différences de goûts
et de caractère et les conversations ont pour but de connaître
l’opinion des autres. La télévision produit plusieurs effets sur les
jeunes. Elle suscite des activités de jeux chez les 10-12 ans qui
tentent de reproduire des activités de bricolage, de cuisine, des
séquences de bagarres, de cascades vues à la télévision. La
consommation télévisée produit aussi des effets sur la lecture. Les
jeunes de 10 à 12 ans apprécient les livres tirés de leurs feuilletons
préférés ou qui ont fait l’objet d’une adaptation cinématographique.
Pour les plus âgés, la lecture est vécue comme une activité
indépendante de la télévision et de l’école (p.54). La télévision leur
offre des perspectives nouvelles en ce qui concerne le métier qu’ils
veulent exercer plus tard (p. 59). L’enquête montre que le « monde
émotionnel de l’enfant est fortement nourri de ce qu’il voit à la
télévision ». La principale émotion est la peur, puis vient la tristesse
pour les plus jeunes, les plus âgés restant très pudiques dans
l’expression des émotions, adoptant une apparente indifférence.
C’est également dans la télévision que les jeunes puisent certaines de
leurs connaissances et de leurs références (p. 67). Par contraste, les
14-16 ans se détournent de la télévision et sont plus critiques vis-àvis de l’image que donne la télévision du monde extérieur. « Ils
semblent vivre la télévision de manière conflictuelle » (p. 74) dans la
mesure où ils lui reprochent de ne pas « être au service de leurs
problèmes et de leurs centres d’intérêts » (p. 74).
Le second chapitre traite du rôle de la télévision dans les
apprentissages. Les jeunes conçoivent mal de mélanger ce qui
instruit de ce qui divertit, l’école et la télévision remplissant chacune
l’une de ces fonctions (p. 90). Le jeune construit son savoir à partir
de différentes sources : l’enseignement des parents est pour les
enfants, avant tout lié à la vie pratique alors que pour les
adolescents, il est lié aux règles de conduite (p. 92). L’école dispense
des connaissances et des aptitudes qui serviront dans la vie adulte
active (p. 94). La télévision joue un rôle de « fenêtre ouverte sur le
monde ». A dix-onze ans, les enfants disent apprendre des choses sur
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
72
les animaux, l’espace et la médecine, mais surtout sur la vie en
général. La télévision donne aussi accès au monde des adultes.
De façon générale, les connaissances acquises par la télévision sont
fortement liées à leur propre existence : « contrairement à l’école qui
leur paraît dispenser un savoir théorique et abstrait, la télévision est
fortement enracinée dans la vie » (p. 99). Pour les auteurs de
l’enquête, l’expérience JTA peut faire évoluer la conception qu’a le
jeune de l’apprentissage. Du fait qu’aux yeux des enfants, les
enseignants sont jugés comme étant relativement incompétents en
matière de télévision (p. 109), les séances consacrées à la réception
télévisée fournissent un cadre plus égalitaire dans la relation maître à
élèves. Les élèves y voient un espace d’expression qui tranche avec
le silence qui leur est demandé en classe (p. 110) ; en outre, elles
rompent aussi avec la monotonie de la vie scolaire. Cependant, une
partie des participants associent des cours de décryptage des médias
comme une perte de temps, sauf pour ceux qui souhaitent s’orienter
vers des métiers liés aux médias. Malgré cela, les auteurs de
l’enquête maintiennent l’idée que la réflexion menée en séance JTA
doit pouvoir se poursuivre chez soi, de façon presque naturelle (p.
114).
Le troisième chapitre qui traite de « l’évidence de l’image et ses
avatars » est subdivisé en deux parties, la première consacrée aux
enfants de 10-11 ans, la seconde, aux adolescents. A une série de
questions - comment marche la télévision ? Qui fait la télévision ?
comment sont fabriquées les émissions - visant à évaluer leur
connaissance de la télévision s’ajoute un questionnement sur la
« vérité » proposée par le petit écran. Les enfants se caractérisent par
une absence de distance critique vis-à-vis de la télévision qui leur
apparaît chargée d’intentions éducatives comme le sont le milieu
familial et scolaire. Pour eux, l’image fait voir le monde réel. Les
adolescents sont plus critiques, même si leurs explications
demeurent partielles (p. 170). A partir de 13-14 ans, les adolescents
se distancient de leur entourage, dans leurs jugements. Ils sont
conscients que la recherche d’audience détermine l’offre de
programmes télévisés. L’information télévisée n’est pas
transparente, elle est triée, contrôlée en particulier par la hiérarchie.
La télévision fait aussi l’objet de pressions de la part des milieux
sociaux privilégiés. L’information n’est pas l’événement mais un
point de vue sur l’événement (p. 192). Enfin, la télévision peut
transformer la réalité pour convaincre. Constatant les effets
bénéfiques des journées JTA sur le jeune téléspectateur désormais
armé face à la réception télévisée, les auteurs suggèrent de mener la
même expérience auprès des enfants de moins de neuf ans.
III. Les autres questionnements
1) La question de la légitimité culturelle
Le débat sur la légitimité culturelle traverse lui aussi les recherches
sur les adolescents et la télévision. Qu’un chapitre entier d’un
ouvrage collectif dirigé par Olivier Donnat et Paul Tolila, sur Les
publics de la culture, (Presses de Science Po, 2003, p. 73-118), soit
consacrés à la « ‘culture jeune’ et [aux] publics juvéniles »,
rassemblant les contributions de Dominique Pasquier, Hervé
Glevarec, Sylvie Octobre, en témoigne. Plusieurs auteurs y remettent
en cause les théories de la légitimité culturelle proposées en
particulier par le sociologue Pierre Bourdieu dans La distinction
(1979).
Pour Jean-Paul Fabiani, par exemple, la frontière entre le populaire et le savant n’a
plus de sens, depuis un quart de siècle. Autrement dit, si l’on pouvait décrire la
situation en termes de légitimité, il y a trente ans, aujourd’hui, cela ne marche
plus. L’obsolescence de ce schème interprétatif est ici à mettre au compte du
changement social. La légitimité serait brouillée par « la crise du modèle de
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
73
l’homme cultivé, aussi bien par le développement des industries culturelles ou par
les effets de l’élargissement du cercle des objets reconnus comme susceptibles de
faire l’objet d’une action culturelle publique » (p. 308). Le fait que les travaux
sociologiques sur la culture aient plutôt tendu récemment à remettre en question
l’efficacité de la coupure entre culture savante et culturel populaire est lié à
plusieurs éléments. Le foisonnement de recherches sur les pratiques des groupes
dominés est indissociable de la contestation universitaire de l’ordre culturel établi,
elle-même liée aux bouleversements morphologiques survenus dans l’université.
Que le projet de réhabilitation perce la majeure partie de ces études illustre la
participation de la recherche en sciences sociale au processus de « déhiérarchisation » de la culture, toujours selon Fabiani (p. 315).
Cette réflexion renvoie aux travaux des chercheurs du Center of
contemporary cultural studies (CCCS, créé en 1964) tels que ceux de
E. P. Thomson71 (1988), qui se sont intéressés à la question des
hiérarchies culturelles. La culture est envisagée comme un « processus
global, un ensemble de pratiques « entremêlées à d’autres pratiques
sociales » (Hall, 1986)72. C’est à travers ces pratiques que les
significations sont exprimées et construites socialement et
historiquement. Cette définition a engendré un déplacement de la
recherche vers des objets peu légitimes comme la culture rock, les
romans roses (Radway, 198773), la télévision, les subcultures des
adolescents amateurs de rock, les jeunes apprentis, les téléspectateurs
… Pour ces chercheurs, il s’agit de fonder une analyse politique des
cultures et pratiques culturelles, souligne Brigitte Le Grignou, une
« interrogation sur les rapports de pouvoir, les mécanismes de
résistance, la capacité à produire d’autres représentations de l’ordre
social légitime » (Mattelart, 199674).
Richart Hoggart, La culture du pauvre,. Etude sur le style de vie des classes
populaires en Angletesse, Paris : Minuit, 1970 (1957 pour l’édition originale).
Un des premiers exemples de ce type de travail ethnographique et « résistant » est
l’ouvrage de Richard Hoggart, fondateur et directeur du CCCS, de 1964 à 1970,
publié en 1957 : La culture du pauvre… Il s’agit d’une étude de la classe ouvrière
« de l’intérieur », par un chercheur qui en est issu. L’auteur analyse les
changements entraînés par l’arrivée des moyens de communication modernes
(presse populaire et radio) sur les modes de vie et les pratiques des classes
ouvrières, dans la famille, le travail, les activités de loisirs. Il met en évidence la
capacité de résistance des classes populaires qui opposent leur propre logique
culturelle à celle de l’industrie culturelle. Cette culture est structurée par une
opposition entre « eux » et « nous », le foyer et le monde extérieur. Ces
représentations fonctionnent comme un filtre de tout ce qui vient de l’extérieur du
groupe et notamment de la culture commerciale. Les changements induits par les
médias ont été assimilés à travers le système de valeurs des ouvriers Cette
assertion remet en question l’idée d’un effet direct des médias sur les populations
supposées vulnérables et, en particulier, l’idée d’Adorno selon laquelle les médias
introduiraient une confusion entre le monde réel et le monde représenté. Richard
Hoggart montre que les gens du peuple voient dans la littérature une évasion sans
conséquence. Il récuse également l’idée d’une identification du public populaire
aux personnages (Hoggart, p. 295). Ces milieux ont une attention « oblique » ou
distraite des médias qui consiste à « savoir en prendre et en laisser », mais aussi
« à ne pas s’en laisser compter ». L’intérêt pour les médias des chercheurs du
CCCS s’affirme dans les années 1970, parallèlement à un travail théorique sur les
notions d’idéologie et d’hégémonie, opposant le courant structuraliste et
culturaliste. Dans cette double perspective théorique, les médias sont considérés
comme producteurs et comme vecteurs d’idéologie, appareils idéologiques, selon
la terminologie althussérienne, instruments de l’hégémonie, dans les termes de
Gramsci.
71
E.P. Thomson, La formation de la classe ouvrière britannique, Paris,
Gaillmard/Seuil, 1988 [1963 ].
72
Hall, « Cultural studies : two paradigms », in M. Collins et alii, Media, Culture
and Society. A critical reader, London, Sage, 1986, p. 39.
73
Radway, Reading the romance. Women, patriarchy and popular literature,
Lonson, Verso, 1987.
74
Armand et Michèle Mattelart, Penser les médias, Paris, La Découverte, 1986, p.
22.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
74
Pasquier, Dominique, Cultures lycéennes. La tyrannie de la
majorité, Paris : Autrement, 2005.
L’ouvrage de Dominique Pasquier sur les « cultures lycéennes »,
exemplifie la façon dont la problématique de la légitimité culturelle
s’est imposée dans les études sur les publics adolescents. La
sociologie de la culture tend à occulter les pratiques liées aux
médias, sous prétexte qu’elles sont peu nobles, alors même que ces
dernières ont augmenté, souligne-t-elle en introduction. Depuis les
années 1960, le rapport à la culture consacrée s’est distendu, y
compris chez les plus diplômés. Le modèle proposé par Pierre
Bourdieu, dans La distinction qui observait une homologie entre
univers culturels et milieux sociaux – ne se vérifie plus
statistiquement, écrit l’auteure.
établissement de banlieue qui recrute dans des milieux sociaux
défavorisés, il propose peu de filières générales. Le troisième est un
établissement mixte d’enseignement général et technologique de la
banlieue sud avec un recrutement social diversifié. Le terrain a été
effectué en deux temps. Un questionnaire, rempli sous la
responsabilité des enseignants, a été diffusé auprès de 944 élèves de
tous les niveaux et de toutes les filières. Il portait sur les pratiques
culturelles et les pratiques de communication. Une soixantaine
d’entretiens semi directifs ont ensuite été réalisés auprès de 20
lycées de l’établissement parisien et de 45 élèves du lycée de la
banlieue sud. Ces entretiens insistaient sur les pratiques de
sociabilité des jeunes. Les lycéens devaient décrire avec qui, dans
quel contexte, ils faisaient telle ou telle pratique.
Dominique Pasquier suggère d’analyser la question de la culture
chez les jeunes avec d’autres outils que ceux de la transmission entre
les générations.
Principaux résultats
Méthodologie
Selon Dominique Pasquier, les jeunes se situent à la croisée de
plusieurs évolutions, l’une concerne la famille – avec le passage du
modèle de l’autorité à celui du contrat -, la seconde porte sur la
massification scolaire, la troisième renvoie aux transformations des
pratiques culturelles des jeunes. On assiste, selon l’auteur, « à des
formes d’autonomisation de plus en plus marquées, et même, à la
naissance de pratiques propres aux jeunes générations actuelles » (p.
26). Cette affirmation s’appuie sur plusieurs éléments : le fait que les
jeunes aient leurs propres stations de radio, représentant de surcroît
un secteur économique puissant, la multiplication télévisée des
programmes pour des publics spécifiques (M6 qui s’adresse aux
moins de 25 ans atteint 10% des parts de marché, sans compter les
chaînes du câble et satellite destinées à la jeunesse [une dizaine], et
La réflexion de Dominique Pasquier sur la transmission culturelle
dans les contextes de mixité sociale différents, est plus centrée sur
les classes moyennes et supérieures. Dominique Pasquier s’intéresse
non à une tranche d’âge mais à une étape dans la scolarité : le lycée.
De même, il ne s’agit pas de tous les médias mais plus
spécifiquement des nouveaux modes de communication à distance
(téléphone portable, Internet) car ils sont peu pris en compte dans les
études sur les jeunes. L’enquête s’est déroulée en 2001-2002 dans
trois lycées généraux et technologiques de Paris et de sa grande
banlieue. Le premier, un lycée général situé à Paris, recrute des
enfants de milieux « extrêmement privilégiés » ; le deuxième est un
Une « crise des transmissions culturelles » entre générations
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
75
les programmes jeunesse des chaînes hertziennes). La presse
magazine se spécialise sur des tranches d’âge de plus en plus courtes
(35 titres d’adressent aux dix-douze ans)75. Les jeunes sont encore
très largement présents dans le secteur des technologies
digitales (jeux vidéo, ordinateurs, téléphone portable – 64% des 1119 ans en ont un (« Baromètre jeunes », Médiamétrie, déc. 2002).
Or, de cet univers, « le livre est le grand absent […] et les parents,
les principaux exclus » souligne D. Pasquier (p. 27) qui conclut que
« la culture juvénile existe depuis longtemps, mais elle n’a jamais
autant échappé au contrôle des adultes ni n’a jamais été aussi
organisée par l’univers marchand » (ibidem).
Dès lors, pour cette auteure, les médias sont un objet pour étudier
concrètement la transformation des relations entre générations.
D’une part, les modes de pratiques expriment un état des rapports au
sein de la famille (ce qui permet à partir de leur pratique et contexte,
d’analyser les dynamiques familiales). On peut aussi étudier la
manière dont les pratiques construisent les relations plutôt qu’elles
ne les expriment (pourquoi le fait de braver les interdits ou de
s’isoler dans leur chambre sont autant de moyens pour lui de
construire son identité personnelles face à ses parents ou à ses
sœurs ?).
L’histoire des pratiques médiatiques depuis les années 1950 est
marquée par un double mouvement de privatisation et
d’individualisation qu’il convient de distinguer, souligne Sonia
Livingstone (Young people and new media, London : Sage, 2002).
Le premier processus qui consiste à transférer des pratiques qui
s’opéraient avant dans des lieux publics dans le cadre domestique
remonte à l’après-guerre. Plusieurs indices attestent du repli sur
l’intimité domestique (déclin des bals, baisse de la fréquentation des
cafés). La télévision a joué un rôle important dans ce mouvement
75
Jean-Marie Charon, La presse des jeunes, Paris : Editions La Découverte, 2002.
(Himmelweit et al. montre comment la TV est utilisée par les mères
de famille pour empêcher que les enfants jouent dehors et que les
pères ailleurs au pub). Simon Frith associe le développement de la
culture rock, à la fin des années 1950, à celui de la « culture de la
chambre »76. Le processus d’individualisation, qui remonte aux
années 1980, va dans le sens d’une spécialisation des lieux et des
modes de pratique au sein du foyer (p. 29). Il va de pair avec l’essor
des programmes audiovisuels, la baisse des équipements et leur
miniaturisation. La progression des usages individuels est plus forte
chez les jeunes qui ont presque tous un appareil d’écoute musical,
par exemple. Cet équipement varie néanmoins en fonction de
l’origine sociale : 14% des lycéens d’origine sociale favorisée ont un
téléviseur personnel contre 52% des jeunes issus de milieux
populaires (p. 30). Le téléphone portable a individualisé les
communications avec l’extérieur, dépossédant les parents du
contrôle des réseaux amicaux de leurs enfants. Pour toutes ces
raisons, les pratiques des médias qui étaient à la fois collectives et
dirigées par les parents n’ont plus cours. Dans les familles
populaires, demeurent des pratiques collectives autour de la
télévision qui est un lien fort entre la mère et les enfants surtout
lorsque celle-ci est ouvrière (p. 31). De même, dans les usages
d’Internet, les enfants de milieux défavorisés se connectent plus
souvent avec leurs frères, sœurs et amis que les autres (« Baromètre
Jeunes », Médiamétrie, 2002). Sonia Livingstone a analysé cette
individuation comme une réaction des parents à la crainte de
l’insécurité dans les lieux publics (London, 2002). En fait, ce modèle
correspond plus aux Etats-Unis et en Angleterre qu’en France.
Autre situation « inédite » induite par l’essor de ces médias auprès
des jeunes, « la transmission des apprentissages et des usages
76
Simon Frith, Sociology of rock, London : Constable, 1978
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
76
s’effectue en sens inverse, des enfants vers les parents », surtout
pour les milieux populaires. Les parents sont confrontés à un autre
problème : l’impossibilité de contrôler le contenu des médias
traditionnels et/ou individuels. Les interdictions portent sur les
programmes regardés en famille, le soir (p. 36) et sur le temps passé
à utiliser les médias. L’argument du coût limite également les
pratiques médiatiques.
Revenant sur les théories de Pierre Bourdieu, Dominique Pasquier
souligne que c’est l’éclectisme qui domine les pratiques puisqu’on
peut aimer « le foot et la philosophie » (p. 39). Observant que les
bons élèves se recrutent aussi bien chez les joueurs de jeux vidéo et
les fans de séries télévisuelles, elle indique « qu’aucune enquête ne
permet de mettre en évidence un rapport de causalité directe entre
une plus ou moins grande réussite scolaire et une plus ou moins
grande propension à avoir des pratiques culturelles légitimes » (p.
39). Pourtant, dans une étude antérieure, elle montrait bien que par
exemple, la pratique des jeux vidéo était plus marquée dans les
familles d’origine populaire. Pour réussir à l’école, il ne serait plus
besoin de posséder ce « curriculum caché » dont parlaient Pierre
Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans Le Héritiers. Dominique
Pasquier se contredit lorsqu’ elle indique que c’est moins en termes
de pratiques que d’approches de savoir et de respect des hiérarchies
que la « réussite scolaire continue d’entretenir des liens plus forts
avec la culture consacrée » (p. 41). Dans le petit noyau de
pratiquants intensifs (qui représente près de 20 % des pratiques de
chaque type d’activité, p. 40), elle montre que les consommateurs
intensifs de jeux vidéo ou de télévision, entretiennent souvent une
mauvaise relation à l’école alors que chez les gros lecteurs de livres,
le rapport à l’école est meilleur que la moyenne77. Dans le lycée très
sélectif socialement, « ma relation transmise à la culture cultivée est
très forte, mais elle n’interdit pas forcément des formes de
relâchement culturel assumé » (p. 43). Les lycéens de banlieue sont
issus de milieux défavorisés, connaissent des parcours scolaires
« chaotiques » et vivent dans un environnement où l’offre culturelle
est pauvre. Il ressort qu’en grande banlieue, « la culture consacrée
transmise d’une génération à l’autre a bien du mal à se maintenir
sous la poussée des phénomènes de socialisation intergénérationnels
qui lui sont contraires » (p. 44). L’exemple de la musique montre ces
différences : 29% des lycéens de Boileau citent la musique classique
comme genre musical favori contre 3% des élèves de banlieue. A
l’inverse, le rap et le R’n’B sont très écoutés en banlieue mais
quasiment absents des choix parisiens. Pour les deux groupes,
« l’affichage de goûts est contraint par l’entourage générationnel, au
pont que la transmission verticale peut-être totalement contrecarrée
par la sociabilité horizontale » (p. 46). Chacun a une représentation
de l’autre : pour les lycéens de banlieue, par exemple, les amateurs
de musique classiques sont les bourgeois. Le rapport au livre est
également très différent. Dominique Pasquier reconnaît l’avantage
que constitue la culture du livre en termes de réussite scolaire mais
réfute l’idée qu’elle « donne des profits de distinction sociale à ceux
qui la possèdent » (p. 52). Les élèves de Boileau constituent une
réelle exception au sein de leur génération et de leur milieu
d’origine. En dehors du cadre scolaire, il n’est pas aisé e convertir ce
capital culturel en classement social. Néanmoins, la lecture des
livres, si elle a perdu de son pouvoir distinctif, elle continue de
fonder, chez les lycéens qui lisent, le sentiment d’avoir un univers
culturel plus riche que celui de ceux qui regardent beaucoup la
télévision » (p. 55).
77
Patrick Longuet a montré que les joueurs intensifs de jeux vidéo étaient plus
nombreux à être de mauvais élèves (« Les enfants et les jeux vidéo », Revue
française de pédagogie n°114, 1996).
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
77
La place centrale de la sociabilité dans la culture juvénile
C’est parce que le livre est un mauvais support de sociabilité qu’il
est délaissé, et non pas parce qu’il est concurrencé par la télévision,
soulignent Christian Beaudelot, Marie Cartier, Christine Detrez. Or,
l’une des caractéristiques de la culture juvénile, selon Dominique
Pasquier, c’est la place de la sociabilité. Il en découle que les objets
culturels qui ne procurent aucun profit de sociabilité sont de moins
en moins acceptés dans les cultures juvéniles. Le livre « est trop
difficile à intégrer dans le calendrier des interactions : les
programmes de radio ou de télévision sont consommés au même
moment et chacun, serait-il seul devant son poste, anticipe les
échanges qu’ils susciteront le lendemain sur le lieu scolaire » (p. 56).
Autrement dit, « c’est la culture populaire qui fournit le matériau de
la sociabilité du quotidien », comme l’écrit Paul DiMaggio78.
Les médias : supports de l’affirmation de l’identité
Les supports médiatiques sont des « supports de l’affirmation des
identités [...] Ce sont des formes culturelles communes, qui suscitent
des discussions et tracent les contours des réseaux sociaux » (p. 58).
Ces produits culturels, proposés au même moment à tous, incitent les
jeunes à prendre parti par un dégoût, une adhésion. Dominique
Cardon et Fabienne Granjon ont montré le rapport étroit entre
réseaux de sociabilité et pratique culturelle79. Contrairement aux
réseaux de liens forts où les amitiés ne sont pas forcément remises
en cause par des différences de préférence culturelle, il existe une
forte pression à la conformité dans les réseaux de liens faible. Si les
lycéens cultivent à la fois un grand nombre de liens faibles et un
petit nombre de liens forts, tous sont soumis aux jugements des
autres sur la scène du lycée. Les contraintes qui pèsent sur les
préférences culturelles sont beaucoup plus fortes au niveau des
réseaux de liens faibles que dans celui des liens forts. Faire partie
d’un groupe, c’est en effet aussi montrer qu’on en fait partie. « Si les
lycéens associent effectivement des réseaux sociaux à des pratiques
culturelles, ils relient ces mêmes pratiques à des mises en scène de
soi […] Il existe une stylisation des goûts qui tend à radicaliser les
appartenances culturelles en public […] « Coupe de cheveux,
vêtements, accessoires, le moindre détail est travaillé : il est destiné à
communiquer quelque chose des goûts musicaux, des pratiques
sportives et des préférences télévisuelles ou cinématographiques »
(p. 61). Ces phénomènes de stylisation, liés à la sphère des loisirs, ne
sont par nouveaux. Ils ne sont pas aussi ritualisés ou codifiés que les
sous-cultures étudiées par les chercheurs anglo-saxons, en particulier
souvent à travers leur ancrage local, marqué par un recrutement
social relativement homogène (les gangs). En outre, ces travaux
s’intéressent souvent aux cultures les plus spectaculaires, violentes et
masculines. Les filles, en revanche, sont davantage étudiées dans les
sous-cultures des classes moyennes (hippies) et dans les souscultures les moins machistes (les mods)80. Dominique Pasquier
souligne que les sous-cultures se jouent souvent dans le cadre
domestique à travers les cultures fans et sont souvent dépréciées
parles hommes. Les femmes sont marginalisées par les hommes qui
pointent leurs préférences culturelles pas assez innovantes et une
approche trop passive de la culture de l’autre.
78
« Classification in art », American Sociological Review, vol. LII, n°4, 1987, p.
444.
79
Cardon, Dominique, Granjon, Fabien, « Eléments pour une approche des
pratiques culturelles par les réseaux de sociabilité », in Olivier Donnat et Paul
Tolila (dir.), op. cit.,
80
Sur ce point, cf. Angela Mac Robbie et Jenny Garber, « Girls and Subcultures »,
in Ken Gelder, Sarah Thornton (dir.), The subcultures reader, Londres, Routledge,
1977.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
78
La musique est la pratique culturelle la plus importante au moment
de l’entrée dans l’adolescence (p. 67). La musique classique et le
jazz, quasiment absents, dans les milieux populaires, s’opposent
ainsi au le hip-hop, rap ou R’n’B, très écoutés dans ces milieux. Les
classes moyennes s’alignent plus sur les préférences des classes
populaires que sur celles des classes favorisées (p. 68). Ici, « les
effets de l’origine sociale apparaissent beaucoup plus importants que
le sexe » (p. 69), à la différence des goûts en matière de lecture ou de
programmes de télévision. A Boileau, les goûts musicaux (classique,
jazz, rock) s’affichent peu. Le style est sobre. Dominique Pasquier
trouve difficile de comprendre la cohérence des modes
vestimentaires et de les relier à des phénomènes de stylisation
culturelle (p. 71). En grande banlieue sud, les styles sont différents :
coiffure tondeuses, basquettes de marque, survêtement, pantalon
baggie. « Tous ces vêtements ont quelque chose à dire », écrit
l’auteure. Le rap apparaît comme une « musique totale » qui permet
d’exprimer un idéal physique, une vision des rapports
hommes/femmes et un engagement politique (p. 72). Il semble par
ailleurs au détour d’une citation d’entretien ce soit le rap qui soit
« tyrannique » (p. 75). Dans la sociabilité juvénile, « la culture de
rue jouit d’un très grand prestige » (p. 75). En outre, souligne David
Lepoutre, elle s’exporte bien, « puisqu’elle se vend et qu’elle
rapporte beaucoup d’argent » (Lepoutre, 1997, p. 431). Cette
diffusion de la culture des cités est en effet aussi fortement
orchestrée par les médias (p. 78). Cela remet en question, selon
Dominique Pasquier, les thèses de la diffusion des modes du haut de
l’échelle vers le bas.
Les lycéens tiennent un discours critique à l’égard de la télévision
qui apparaît, par ailleurs, comme un support de sociabilité plus
féminin que masculin. Elle se prête mal à l’affirmation de valeurs de
virilité, souligne l’auteure, en dépit des films d’actions, etc. (p. 80),
elle est vécue « par les garçons comme un média de référence
dangereux sur la scène sociale » (p. 81) dans la mesure où « elle
menace leur identité masculine » (p. 82). Enfants, les garçons sont
fans d’héros télévisuels puis ils s’en détournent au profit du sport,
des jeux vidéo, de la musique. Inversement, c’est à la préadolescence
que les filles ont des pratiques télévisuelles intenses. A
l’adolescence, en revanche, la télévision est évoquée de façon plus
distante et critique par les filles. Pour les lycéens, la télévision est
plus un bruit de fond. Les garçons la délaissent pour les jeux vidéo.
Tout se passe comme si cette pratique jouissait d’un statut supérieur
à la télévision, compte tenu de son caractère plus masculin, souligne
Dominique Pasquier (p. 89). Alors que « les activités des jeunes
filles sont assez faiblement diversifiées » (p. 96), les mangas, jeux de
rôles, le cinéma, le football, les jeux vidéo font partie des loisirs
masculins. Si « le dénigrement de la sentimentalité féminine n’est
pas un phénomène nouveau, tout laisse à penser qu’il s’est
aujourd’hui durci » (p. 104). Cette ségrégation est cependant plus
marquée dans les milieux populaires que bourgeois : à Boileau, par
exemple, les jeux vidéo et les séries sentimentales sont peu regardées
par les deux sexes. L’auteure conclut qu’en « cinquante ans, nous
sommes passés d’une culture ‘classique’, où les discriminations
sociales étaient fortes et les discriminations sexuelles relativement
faibles […] à une culture dominée par les médias de masse dont
l’accès est bien plus démocratique, mais où se dessinent des clivages
sexuels sans cesse plus apparents » (p. 104). L’apparition des
« machines technologiques » comme les ordinateurs, classés comme
masculins, aurait contribué à accentuer la séparation d’avec les goûts
féminins. Cette ségrégation est accentuée par le jeu des filières
(médico-social pour les filles, technologique industrielle pour les
garçons).
La partie suivante est consacrée aux modes de communication à
distance. Les jeunes des milieux populaires ont des liens forts fondés
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
79
sur une solidarité de quartier, car la mobilité résidentielle est souvent
faible (en réalité, elle l’est pour une partie seulement des habitants).
La sociabilité des classes moyennes « apparaît plus diversifiée
socialement et plus libre formellement » (p. 109). Ils changent aussi
plus fréquemment de lieux d’habitation et d’établissements.
Autrement dit, à la mixité des beaux quartiers s’opposerait la
ségrégation des quartiers populaires sous le poids notamment, des
jeunes de culture maghrébines.
Autre résultat de l’enquête : les jeunes sont des gros consommateurs
de téléphone portable (surtout pour les textos) et d’Internet. Ces
moyens de communication correspondent à des situations sociales
particulières et ne sont pas investis de la même charge émotionnelle.
Les modes de communication sont également liés à un passé familial
qui diffère selon les milieux. Chez les milieux défavorisés, les
relations ont lieu moins à domicile que dans les lieux publics et
l’échange écrit « ne fait pas partie de la culture familiale » (p. 120).
De même, dans les familles populaires, le téléphone est davantage
considéré comme un instrument pouvant régler des situations
d’urgence qu’un support de conversation. Enfin, si les jeunes
d’origine populaire sont davantage équipés en portable, cela tient
aussi au fait que les pères ouvriers ne disposent pas d’une ligne fixe
au travail. Ces jeunes utilisent davantage un paiement à la carte que
le forfait. Les jeunes de milieux favorisés sont équipés plus
tardivement. Leurs parents souhaitant exercer un contrôle sur les
fréquentations, sont en revanche moins regardant sur les factures en
ce qui concerne Internet. La pénétration d’Internet dans les familles
populaires reste encore très faible.
d’Internet de certains modes d’interaction caractéristiques des
classes ouvrières et plus particulièrement de celles issues de
l’immigration » (p. 139). Ces vannes et ces insultes qui sont une
forme ritualisée de la gestion des rapports de force dans la culture de
rue est vécu sur le mode de l’injure, pour les lycéens de milieux
favorisés.
Pour conclure, plusieurs affirmations sur lesquelles reposaient les
travaux de Pierre Bourdieu, dans les années 1970, seraient remises
en question par l’enquête sur les lycéens, écrit Dominique Pasquier.
L’enquête montre aussi que les pratiques des moyens de
communication, comme par exemple, le téléphone sont sexuées.
Pour certains chats de drague, où le langage de la rue est largement
pratiqué, l’auteure y voit là « une transposition dans l’univers
Philippe
Coulangeon,
« Lecture
et
télévision.
Les
transformations du rôle culturel de l’école à l’épreuve de la
Par exemple, la transmission culturelle verticale dans les milieux
favorisée n’est pas automatique mais se maintient au prix d’un
effort. En effet, la culture entre pairs peut neutraliser les acquis que
les parents tentent de transmettre. Par ailleurs, l’école a perdu sa
capacité à agir comme instance de légitimation culturelle au profit
des médias (en particulier la télévision ou la radio) et de la société
des pairs. En outre, chez les lycéens, la culture dominante n’est pas
la culture de la classe dominante mais la culture populaire (p. 162).
S’appuyant sur une citation d’Anna Arendt, qui suggère que
« l’enfant affranchi de l’autorité des adultes est soumis à une
‘autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la tyrannie de
la majorité’ »81, Dominique Pasquier observe qu’au lycée, une
norme souvent imposée par des garçons pèse sur les pratiques
culturelles et que face au groupe des pairs, les individus peinent « à
s’exprimer comme des individus-sujets ».
81
Arendt Anna, La crise de la culture, Paris : Gallimard, 1986, p. 233.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
80
massification scolaire », Revue française de sociologie, 48-4, 2007,
p. 657-691.
L’auteur s’intéresse aux effets de la généralisation de l’accès au
second cycle de l’enseignement secondaire au cours des années 1980
et 1990 sur la transformation des styles de vie. Le double impact
culturel de la massification scolaire dans le domaine de la culture
savate et celui de la culture de masse, est envisagé à travers
l’évolution de deux indicateurs : le nombre annuel de livres lus et le
nombre hebdomadaire d’heures passées devant la télévision. Fondée
sur les pratiques culturelles des Français du ministère de la Culture
de 1981, 1988 et 1997 et sur celles de l’enquête sur les pratiques
culturelles et sportives des Français réalisée par l’INSEE en 2003,
l’analyse tente de mesurer les effets structurels de la massification
scolaire et les effets des transformations du rôle culturel de l’école
proprement dit. Elle tente ensuite de mettre en évidence la
composante générationnelle des évolutions observées.
Entre 1981 et 2003, le nombre de bachelier a augmenté de façon
exponentielle : de 25% d’une tranche d’âge, en 1980, cette
proportion atteint 60% à la fin du XXe siècle. Cette massification
qui s’est surtout concentrée entre 1985 et 1995, est à l’origine de
tensions sur le marché du travail où les générations sorties du
système scolaire font l’expérience d’une plus grande précarité et de
rémunération plus faibles que leurs aînés pourtant moins diplômés
(Chauvel, 199882 ; Baudelot, Establet, 200083). Dans le domaine des
pratiques culturelles, on pourrait s’attendre ce que la population soit
plus éduquée et, par le fait d’un séjour prolongé au contact de la
« culture cultivée », à une distance plus grande à l’égard des
distractions et de la culture populaires (p. 659). Différents auteurs
ont souligné le poids du capital culturel dans la formation et la
transmission des inégalités scolaires. Pourtant, l’analyse
contemporaine des inégalités scolaires tend à mettre en lumière
l’impact des facteurs occultés par l’attention portée aux ressources
proprement culturelles. Des travaux ont souligné l’impact des
inégalités de revenus et des conditions de logement sur les
performances des élèves du primaire et secondaire (Goux, Maurin,
200084). De toutes les catégories socio-économiques, le niveau
d’études est celle donc l’impact prédictif sur la nature et la fréquence
des pratiques culturelles demeure le plus prononcé et le plus
significatif. Mais la fonction sociale de l’école ne se réduit par pas à
la transmission des savoirs scolaires, en effet, l’expérience scolaire
article des processus d’apprentissage et des mécanismes de
socialisation qui mettent en jeu l’influence du groupe des pairs sur la
formation des normes culturelles. De sorte que la relation
pédagogique correspond davantage à une relation à trois – l’élève, le
maître, le groupe, dans laquelle se forment et se transmettent
normes, dispositions et attitudes, qu’à une relation du maître à
l’élève (p. 662). Les données concernant la lecture et l’usage de la
télévision suggèrent un recul de la lecture qui se concentre
principalement sur les bacheliers et les diplômés de l’enseignement
supérieur et un renforcement de la télévision dans les générations
scolarisées dans les années 1980 et 1990. Dans le même temps, els
plus diplômés voient au fil des générations leurs comportements se
rapprocher de ceux des catégories les moins diplômées, pour la
lecture comme pour la télévision. Ces évolutions peuvent être lues
comme le signe d’une perte d’autorité culturelle de l’école aussi bien
que comme le signe d’une réduction des clivages culturels au sein
des générations de la massification scolaire.
82
L. Chauvel, Le destin des générations. Structure sociale et cohortes en France
au XXe siècle, Paris, PUF, 1998.
83
Baudelot, Establet, Avoir trente ans e, 1968 et en 1998, Paris, Le Seuil, 2000.
84
D. Goux, E. Maurin, «La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire »,
France, Portrait social, 2000/2001, Paris : INSEE, p. 87-98.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
81
2) Le débat autour des catégories d’âge et d’origine
sociale
Un autre débat traverse le champ de la recherche sur les enfants et
les médias. Il porte sur le poids accordé aux variables d’âge et
d’origine sociale. Pour certains chercheurs, l’âge détermine
davantage l’écoute de la télévision que l’origine sociale. Cet
argument a conduit certains chercheurs à envisager ce média comme
étant plus égalitaire que l’école dans la mesure où il rassemble tous
les milieux sociaux. D’autres chercheurs ont souligné que
l’orientation dominante dans les études sur les relations entre jeunes
et médias consistant à mettre l’accent sur la variable « âge »,
occultait un phénomène, à leurs yeux plus important, celui des
inégalités sociales face à la culture légitime.
Eric Neveu, « Pour en finir avec l’ ‘enfantisme’ », Réseaux, n°9293, p. 175-201.
Le contenu de cet article invite à réfléchir sur la suprématie de la
variable âge sur d’autres variables explicatives comme le milieu
social. Trois raisons centrales peuvent expliquer que la recherche ait
longtemps valorisé l’image de pratiques relativement homogènes,
dans lesquelles les variations tenaient plus aux différences de genre,
d’âge et éventuellement d’habitat qu’aux caractéristiques
socioprofessionnelles des familles, selon cet auteur. Les deux
premières renvoient à une forme d’impensé. Dans les études
fondatrices de la recherche sur les enfants et la télévision, la question
des propriétés sociales de l’enfant, de son milieu, ne les font pas
apparaître comme pertinentes. Les enfants sont considérés sous
l’angle de leur appartenance à une classe d’âge et à une phase du
développement. Ainsi, l’étude pionnière publiée par Himmelweit en
Grande Bretagne en 195885 concluait que l’arrière plan social
exerçait une influence presque négligeable sur les réactions des
enfants à la télévision. Des traits « psychologiques » sont associés
aux enfants gros consommateurs : manque de maturité, aspirations
culturelles et sociales plus limitées, attrait pour les loisirs organisés,
sociabilité plus extravertie et communautaire… manifestent des
parentés avec des dispositions caractéristiques des formes de
sociabilité des classes populaires (que Basil Bernstein met en
évidence à travers son étude du rapport au langage). L’enquête de
Schramm, Lyle et Parker, réalisée trois ans plus tard86 reprend les
conclusions de Himmelweit tout en les nuançant. Les auteurs parlent
de « normes de classes ». L’attention modérée accordée aux
différences de classe dans les travaux des années 1950 et 1960 n’est
pas seulement lié au succès du thème de la fin des classes. Elle est
concomitante du poids de la psychologie dans les recherches sur
l’enfance et du développement tardif de l’intérêt des historiens, des
politistes, des sociologues pour cette question. L’approche
psychologique a contribué à imposer une définition de l’enfance
comme le moment d’une entrée dans l’éducation, plus précoce,
attentive à la stimulation des capacités intellectuelles et des facultés
d’expression. Cette vision scientifique de pur psychisme en
développement s’est accompagnée d’un sens commun sur l’enfance,
innocente. Erik Neveu compare ainsi l’infantisme à l’ouvriérisme,
dans le sens où tous les deux désignent une vision à la fois réductrice
et enchantée du monde de l’enfance et du monde ouvrier. En 1966,
Jean-Claude Chamboredon notait que, « alors que les enquêtes
scientifiques abondent, on ignore tout des différences entre jeunes
85
Himmelweit, H, Oppenheim AN et Vince P, Television and the child : an
empirical study of the effect of television on the young, London, Oxford University
press, 1958 (cf. infra).
86
Schramm W.L., Television in the lives of our children, California, Stanford
University Press, 1961.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
82
liées à la stratification sociale » (Colloque de Darras, 1966)87. Cette
cécité existe également du côté des instituts de mesure d’audience. A
l’inverse, les publicitaires ont prêté plus d’intérêt à l’importance des
différences sociales dans le rapport des enfants à la télévision (Kline,
1995).
Problématique
Cet article revient sur les résultats d’une enquête quantitative
réalisée entre 1986 et 1987. Les termes du débat avaient été formulés
par les travaux pionniers de Michel Souchon. Ce dernier soulignait
l’existence d’un noyau dur de téléspectateurs assidus comme
composante centrale du public en montrant qu’il se recrutait pour
l’essentiel auprès de ceux qui disposaient de faibles ressources
économiques et culturelles : personnes âgées de condition modeste,
ouvriers, employés. Il insistait sur le poids de la CSP dans la
consommation télévisuelle. Or, les études sur les usages de la
télévision chez les enfants ont longtemps ignorés la variable milieu
social au détriment du genre, par exemple, mais surtout de l’âge.
Méthodologie
L’auteur revient sur les résultats d’une étude qu’il a réalisé en
collaboration avec Ouest-France, en 1987 où la variable sociale a été
prise en compte. Un questionnaire était destiné aux enfants, un autre,
aux parents, le tout devant ensuite servir de support à un débat sur
les enfants et la télévision. Une première remarque concerne le
caractère biaisé du matériau recueilli qui ne saurait, du coup,
prétendre à la représentativité. En effet, comme dans toute enquête,
87
Chamboredon, Jean-Claude, « La société française et sa jeunesse », in Colloque
de Darras, Le partage des bénéfices. Expansion et inégalités en France, chapitre
II, Paris : Minuit, 1966, p. 156-175.
les répondants présentent souvent des caractéristiques particulières
qui doivent être prises en compte dans l’analyse des résultats. Ainsi,
ce sont ceux qui se sentent autorisés à répondre aux questions qui
constituent majoritairement l’échantillon, c'est-à-dire, davantage les
élèves en fin de primaire qu’en début de cycle, et les parents cadres
et plus encore enseignants que les ouvriers, les travailleurs
indépendants et les chômeurs, quasiment absents. Parmi les parents
de milieux populaires, ce sont ceux qui ont un niveau de diplôme
plus élevé et qui sont motivés par l’éducation des enfants (les
scolarisations dans le privé des familles ouvrières répondantes le
montrent), qui ont répondu. Ce sont d’ailleurs les répondants de
milieux populaires qui mettent le plus en avant la contribution du
petit écran à la mission d’ « enseigner ».
Principaux résultats
L’un des principaux résultats de cette enquête, c’est l’influence de
l’identité professionnelle et du niveau de scolarisation des parents
sur le rapport de leurs enfants à la télévision. Le choix très restreint
des programmes en 1987 s’explique par l’état de l’offre qui restreint
l’étendue des choix possibles. Autrement dit, la différence dans la
consommation des programmes s’explique par leur faible diversité.
Un des résultats de l’enquête est que les parents connaissent peu les
programmes que les enfants regardent, sauf pour les milieux
populaires (p. 192). Les goûts et les consommations des enfants sont
étroitement corrélés aux variables sociales. Les jeux, les feuilletons
et chansons suscitent davantage l’attention des enfants dans les
foyers de parents peu scolarisés. Le croisement des réponses enfants
et parents montre que leurs jugements sont souvent convergents. Ces
résultats font apparaître que la profession de la mère est moins
essentielle que celle de la mère, le métier de la même, moins décisif
que son niveau de diplôme (p. 195). Plus la profession de la mère est
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
83
élevée, moins les enfants regardent la télévision après l’école. Mais
c’est surtout le niveau de diplôme de la mère qui influe sur la
consommation télévisée. Plus le niveau est élevé, moins ses enfants
consomment de télévision, soit qu’elle exerce un contrôle sur leur
accès au petit écran (ce qui implique aussi qu’elle soit présente), soit
qu’ils aient appris à valoriser d’autres activités que la famille peut
financer. L’augmentation du capital scolaire de la mère coïncide
avec la moindre consommation par les enfants des émissions
dépourvues de tout alibi culturel : feuilletons et séries. Une
exception apparaît cependant en ce qui concerne les mères
détentrices d’un doctorat qui rejoignent le comportement des mères
sans diplômes.
Le premier travail réalisé sur les jeunes adolescents qui a établi
empiriquement la réalité des décalages de programmes a été celui
que Michel Souchon a mené auprès des élèves d’un lycée
« classique » et d’un lycée technique de Saint-Etienne, à la fin des
années 196088. Cette recherche pionnière qui mettait l’accent sur les
différences sociales est pourtant tombée dans l’oubli. Le même sort a
été réservé au travail de Danos et Dioniso, réalisé en 198689.
S’interrogeant sur les raisons qui ont conduit à retenir la variable
« âge » dans l’étude des comportements sociaux et médiatiques,
Vincent Caradec et Hervé Glevarec ont montré que l’intérêt
sociologique pour cette catégorie était apparu dans les années 1960,
en France, soit vingt ans après les Etats-Unis (Réseaux, 2004)90.
Jusque là, et pour les grandes figures de la sociologie française,
comme Emile Durkheim et Pierre Bourdieu, l’âge n’était pas
88
Souchon, M., La télévision des adolescents, Paris : éditions ouvrières, 1969
Danos, Jeanne, Dionisio, Rita, Pratiques télévisuelles des jeunes enfants et
apprentissages fondamentaux, GEDREM ronéoté, 1986.
90
Présentation du dossier concernant l’âge et les médias, publié dans Réseaux,
n°119, 2003, par Vincent Caradec et Hervé Glevarec.
considéré comme une variable centrale. Plusieurs facteurs tels que
l’essor de la scolarisation, l’apparition d’une « culture jeunes » et le
développement des formes de contestation sociale ont accru la
visibilité de la jeunesse et conduit les pouvoirs publics à se
préoccuper des « jeunes à problèmes » et des « problèmes de la
jeunesse ». L’âge adulte, quant à lui, n’a pas été étudié en tant que
thème mais à travers des thématiques comme la vie familiale ou
l’activité professionnelle.
Martine Piriot, Pierre Charbonnel, « Télé-visions. Significations
sociologiques de la télévision, activité de loisirs », Revue française
de pédagogie, n°109, oct.-nov.-déc. 1994, pp. 79-88.
Les auteurs se demandent s’il faut penser que les enfants d’une
même classe ont à peu près les mêmes références et que la télévision
est un facteur de socialisation, comme le suggère Maguy Chaillet91
ou s’il y a d’ores et déjà inégalité sociale devant le petit écran. A
partir des trois modes d’audiences de la télévision proposées par
François Mariet, les auteurs posent une série de questions. Tous les
enfants, quelque soit leur milieu social, regardent-ils avec la même
passion le même corpus d’émission, selon le milieu social ? La
consommation de « télé-tapisserie » subit-elle l’influence des
variables sociologiques âge, sexe, lieu d’habitation, profession et
capital culturel des parents ? Existe-t-il une corrélation entre « la
télévision bouche-trou » et d’autres « activités » ? Les auteurs
émettent l’hypothèse que la « télé bouche-trou » caractérise les
enfants des milieux populaires qui ne peuvent pour des raisons
économiques ou « d’autocensure culturelle » faire d’autres activités.
89
91
Chailley, Maguy, Le petit écran et l’école, Paris, Colin, 1986.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
84
Méthodologie
L’enquête a été réalisée dans 17 écoles publiques de la grande
banlieue parisienne, auprès de 367 élèves de CM2 issus de milieux
sociaux différents. La moitié vit dans un habitat de type urbain,
l’autre, dans un habitat de type « néo-rural ». Si les « villages »
offrent moins de possibilités de loisirs que les villes, ils regroupent
aussi une population plus favorisée, composée de propriétaires. Les
auteurs ont ensuite construit des groupes en référence à la profession
du père, à partir des classifications des PCS de l’INSEE, en associant
celles qui avaient une situation économique et des pratiques
culturelles proches. Le groupe 1 est composé d’enfants d’ouvriers
spécialisés, manœuvres ou de personnel de service aux particulier.
Le groupe 2 compte des enfants d’ouvriers qualifiés, d’employés de
bureau, de fonctionnaires de catégorie C, d’employés de commerce
ou de service aux collectivités. Le groupe 3 rassemble les enfants
dont les pères exercent des professions intermédiaires,
fonctionnaires de cadre B, agents de maîtrise, instituteurs, infirmiers,
techniciens. Le groupe 4 regroupe les enfants de professions
intellectuelles et libérales et ceux des chefs d’entreprise. Les
variables âge et sexe n’ont pas été retenues dans la mesure où elles
n’induisaient pas de différences significatives. Les auteurs ont
ensuite construit des indicateurs. Le premier concerne qui concerne
les activités de loisirs prend en compte les activités régulières et
organisées. Parmi les modes de consommation télévisuelle, la « télépassion » regroupe les émissions que regardent tous les enfants ou
presque. La « télé-tapisserie » se base sur une analyse déductive du
temps passé devant la télévision et consacrée d’autres occupations.
La « télé-bouche-trou » a été construit en opposition à la télé
passion.
Principaux résultats
Il existe une différence significative dans le nombre d’activités
pratiquées selon les divers milieux sociaux : la moitié des enfants
d’ouvriers n’en déclarent aucune contre 8% pour les plus favorisés.
A l’inverse, seuls 2% du groupe 1 pratiquent un maximum d’activité
contre 27% pour le groupe 4. Les auteurs ont reportés ces résultats à
l’offre de loisirs proposées localement, en montrant que l’explication
économique était insuffisante pour expliquer l’absence d’activité
exercée par une partie des enfants étant donné les conditions peu
onéreuses de ces activités municipales. La différence entre urbains et
ruraux est également prise en compte : 15% de ces derniers ont un
taux d’activité maximum contre 7% en ville.
Considérant qu’il existe des « loisirs de classe », pour la plupart des
activités pratiquées de façon régulière en dehors du temps scolaire,
qu’en est-il de la télévision ?, se demandent les auteurs qui montrent
que quelque soit leur appartenance sociale, les enfants de 11 ans
regardent avec la même régularité les mêmes émissions. Autrement
dit, la « télé-passion » ne serait pas « discriminatoire » aux yeux des
enquêteurs (p. 84). A l’inverse, « la télé-tapisserie » est bien un
phénomène social : les cas où la télévision est systématiquement
présente à différents moments de la journée se rencontre
principalement dans les milieux populaires (54% groupe 1 contre
17,5, groupe 4). C’est aussi dans ces milieux que l’on rencontre le
plus fort taux de « télé bouche-trou » (p. 85).
La télévision « bouche-trou » apparaît comme une télévision « de
classe » dans la mesure où elle se rencontre majoritairement dans les
milieux les plus populaires, ceux-là même qui bénéficient le moins
d’activités de loisirs. S’il semble exister un mode d’audience
commun à tous les enfants du même âge qualifié par François Mariet
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
85
de « télé-passion », on ne peut affirmer que tous les enfants ont un
regard uniforme sur la télévision. Les catégories les plus favorisées
sont le plus attentives à exclure la télévision en tant
qu’accompagnement de la vie familiale et des moments de
sociabilité. Dans leur analyse des « bouche-trou », le groupe 2
constitue, par le fait que les enfants pratiques des activités, une sorte
de « marais culturel », « perméable à toutes les influences »,
« reflétant peut-être en cela les modes de vie qui s’imposent à leurs
parents » (p. 87). La façon de regarder la télévision, plus que le
contenu de ce que l’on regard, est donc un facteur de différenciation
sociale. Pour Martine Piriot et Pierre Charbonnel, la télévision
contribue à marginaliser culturellement les enfants les plus
socialement défavorisés (ibidem). Aussi les effets supposés et
souvent dénoncés de la télévision sur les résultats scolaire sont un
artefact dans la mesure. En effet, ce sont ceux qui sont déjà les plus
proches des normes scolaires qui regardent le moins la télévision qui
sont aussi les mieux armés pour en tirer le meilleur parti et
pratiquent des activités plu valorisantes. Inversement, « ce sont les
enfants les plus éloignés des valeurs culturelles de l’école qui
passent, faute de mieux, le plus de temps en compagnie du
téléviseur » (p. 87). Forts de ces résultats, les auteurs mettent en
garde contre l’établissement de corrélations un peu simplistes entre
audience télévisuelle et résultats scolaires (p. 87).
L’approche qui consiste à considérer l’âge comme une variable
explicative des usages des médias, s’est développée avec les
enquêtes quantitatives réalisées à partir des années 1960 par l’Insee,
le ministère de la Culture ou encore Médiamétrie… Depuis les
années 1990, en effet, il semble que le concept de « génération » ait
repris le dessus sur les analyses en termes de classes sociales. Ainsi,
pour Olivier Donnat, la variable ‘génération’ apparaît comme un
facteur explicatif plus puissant que l’origine sociale ou le niveau de
diplôme92 . La montée de l’économie « médiatico-publicitaire » au
cours de ces vingt dernières années a « créé un système concurrent
de distinction », en offrant aux consommateurs « des moyens de se
distinguer à travers des produits culturels sur lesquels ne pèsent pas
les obstacles symboliques qui limitent l’accès à la culture
consacrée ». L’univers des jeunes se distingue très nettement de
celui des aînés, et c’est en particulier chez les adolescents que ce
recul de la culture consacrée est important. Cela indique que l’école
et la famille d’origine ne jouent plus aussi parfaitement qu’autrefois
leur rôle de définition des hiérarchies culturelles. Ce constat, Olivier
Donnat l’élabore principalement à propos de la musique. La lecture
ne serait plus un enjeu majeur dans les stratégies de différenciation
des parents. En effet cette pratique c’est plus aussi valorisée et
légitimée par les jeunes aujourd’hui qu’il y a trente ans. Les valeurs
littéraires sont concurrencées dans l’école par la culture scientifique
et par les médias… L’idée selon laquelle les jeunes après avoir
manifesté des goûts exclusifs au moment de l’adolescence seraient
tentés de se rapprocher des formes culturelles plus classiques et de
renouer avec le goût des parents, trouverait aujourd’hui ses limites.
Dominique Pasquier dans son livre, La tyrannie de majorité (cf.
supra) s’appuie sur les travaux d’Olivier Donnat lorsqu’elle rappelle
que des recherches récentes ont souligné que la « discontinuité
générationnelle qui s’est amorcée dans les années de l’après-guerre
est devenue un fait social majeur » (p. 6). La massification scolaire a
eu pour effet d’étendre l’adolescence à d’autres groupes sociaux, de
92
« Les adolescents présentent, à l’échelle de la population française, une
configuration particulière de compétences, comportements et préférences
culturelles qui constituent un ensemble de traits suffisamment stables et cohérents
pour les distinguer du reste de la population. Dans ce cas, pourquoi ne pas parler
de ‘culture jeune » au même titre qu’on parle de ‘culture cultivée » pour désigner
les activités et les goûts caractéristiques des milieux diplômés’ ». Donnat, Olivier
(dir.), Regards croisés sur les pratiques culturelles, Paris : La Documentation
française, 2003, p. 16.
INJEP, 2008
La réception des programmes télévisés par les adolescents : un état de la question
86
sorte qu’il existe, à ses yeux, « beaucoup plus de points communs
entre les jeunes des différents milieux sociaux que dans les
générations précédentes » (p. 7).
Autre indicateur du succès de cette notion dans les travaux sur les
publics jeunes, la revue du département des études, de la prospective
et des études statistiques du ministère de la Culture et de la
Communication a consacré un numéro à ce thème.
Olivier Donnat, Florence Levy, « L’approche générationnelle des
pratiques culturelles et médiatiques »93, Culture, Prospective,
pratiques et publics, 2007-3, juin 2007.
Cette synthèse réalisée par Olivier Donnat et Florence Lévy,
s’appuie sur une étude du BIPE rédigée par Thierry Fabre et
Florence Pourbaix94. Elle présente les résultats d’une analyse
générationnelle menée à partir de quatre vagues d’enquêtes sur les
pratiques culturelles des Français (1973, 1981, 1988, 1997). Cette
analyse conclut sur la nature générationnelle de la plupart des
évolutions constatées depuis le début des années 1970 : « qu’il
s’agisse de la progression de la culture de l’écran, de la
généralisation de l’écoute de la musique enregistrée ou de la baisse
de la lecture des quotidiens ou des livres, à chaque fois, les
changements ont été initiés par une génération nouvelle, avant d’être
poursuivis et amplifiés par les suivantes » (p. 1).
Cette rapproche trouve sa justification dans le fait que certaines
ruptures dans les comportements culturels, qui peuvent sembler liées
à l’âge, trouvent en fait leur origine dans l’histoire commune d’un
groupe d’individus ayant eu le même âge à la même époque ou dans
l’ensemble de valeurs qui le caractérisent. Par exemple, la
progression de l’écoute de la musique enregistrée ne s’explique pas
par un goût particulier de la jeunesse pour la musique, mais par son
appartenance à une génération ayant connu « une véritable
révolution des conditions d’écoute ».
Problématique
L’approche générationnelle (qui dépasse l’analyse par l’âge),
développée depuis une quinzaine d’années au sein de la BIPE par
Bernard Préel95, s’appuie sur trois principes essentiels :
1) Ce qui unit les membres d’une génération, c’est de vivre la même
histoire au même moment de sa vie ; 2) chaque génération est
« marquée » par ses expériences initiatrices vécues au temps de sa
jeunesse, 3) chaque génération reçoit en héritage les valeurs
transmises par celles qui l’ont devancée, mais au sein des
générations les plus récentes, on vit et on apprend désormais
davantage avec ses pairs qu’avec ses pères (les auteurs parlent de
« mimétisme générationnel »). En outre, une génération est « définie
comme un regroupement d’individus du même âge, partageant les
mêmes valeurs, dont les principales se sont formées autour de 20
ans » (p. 2).
Les auteurs construisent ainsi 9 générations : années folles, krach,
Libération, Algérie, Mai 68, Crise, Sida, Internet, 11 septembre. Les
trois premières sont déterminées par des critères économiques, les
trois autres, par des critères culturels, les trois dernières, par un
contexte technologique (p. 3).
Trois types de génération ont été identifiées : 1) les « pionnières »
qui inventent les éléments de rupture, 2) les « mutantes » qui
connaissent une rupture forte de sensibilités, des pratiques et des
95
93
Cet article est téléchargeable sur le site : http : //www.culture.gouv.fr/deps.
94
Etudes sur les pratiques culturelles et médiatiques à l’horizon 2020, mars 2007.
Dans ses ouvrages Le choc des générations, Paris, La Découverte, 2001 et Les
générations mutantes, paris, La Découverte, 2005.
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goûts, comme ceux qui avaient 20 ans en 1968, 3) les
générations « suiveuses » qui ne font qu’appliquer et diffuser les
recettes de ma génération mutante qui les précède.
L’analyse tente de dégager 1) ce qui est générationnel de ce qui ne
l’est pas, 2) ce qui, dans les liens entre pratiques culturelles et
variables sociodémographiques, évolue au fil des générations, 3) ce
qui, entre pratiques culturelles et générations, change ou qui va
changer.
Méthodologie
Cette recherche statistique et prospective s’appuie sur les enquêtes
sur les Pratiques culturelles des Français lancées tous les dix ans,
depuis 1973.
Afin de ne pas sur interpréter la variable générationnelle, les auteurs
prennent en compte les tendances lourdes qui pèsent sur les
pratiques
culturelles
(évolutions
technologiques,
sociodémographiques,
socio-économiques,
socioculturelles),
indépendamment de la question des générations (qu’ils appellent
« crise », « Sida », « Internet », « Mai 68 »). De même, ils proposent
de croiser le critère générationnel avec d’autres variables (niveau
d’études, genre, catégorie d’agglomération, statut familial).
Du point de vue méthodologique, ce travail comporte un certain
nombre de limites : l’analyse générationnelle est étroitement
dépendante de l’état des données disponibles, or, d’une part, ces
dernières correspondantes à des pratiques déclarées et non observées
et, d’autre part, seules les données qui sont présentes dans les quatre
enquêtes, et dont la formulation est restée inchangée, sont retenues.
Enfin, les dernières données datant de 1997, les pratiques plus
récentes ont été reconstituées à partir des résultats de l’Enquête
permanente sur les conditions de vie (EPCV) de l’INSEE qui, en
2003, portait sur les pratiques culturelles et sportives.
Principaux résultats
La lecture de la presse quotidienne (qui est passée de 55% des
personnes déclarant lire un quotidien tous les jours ou presque en
1973 à 31% en 2003) incarne l’archétype de la variable
générationnelle dans la mesure où aucune autre variable
sociodémographique ne semble vraiment importante à côté de la
variable « génération » (p. 11). Ce recul est perceptible dès les
années 1950, montrent les auteurs. La baisse de la lecture des livres
constitue un deux trait frappant (le taux de lecteurs ayant lu plus de
20 livres au cours des 12 derniers mois est passé de 28% en 1973 à
19% en 1997) car il semble indépendant du sexe, du niveau de
diplôme et frappe toutes les générations. Le taux de lecture étant
fortement corrélé au niveau de diplôme, c’est principalement chez
les gros lecteurs diplômés, que les effectifs ont baissé. Si 32% de la
génération « Crise » lisait plus de 20 livres par an, ils ne sont que
17% parmi les « 11 septembre ». Cette chute est particulièrement
aiguë chez les hommes qui affichent un recul plus précoce (entre la
génération « Mai 68 » et la génération « Crise »). A la différence des
deux pratiques évoquées, « la sortie cinéma [dans la mesure où elle
décroît avec l’âge pour toutes les générations] se caractérise [donc]
par l’absence de tout effet générationnel » (p. 13), et ceci jusqu’à
une date récente. Les sorties au cinéma caractéristiques des 15-25
ans, sont également déterminées par le niveau de diplôme et attirent
davantage les hommes que les femmes (sauf pour les 11 septembre
qui amorce un effet générationnel négatif).
Si elle représente la moitié du public des cinéphiles, la sortie au
théâtre est une pratique stable (entre 12 et 16% entre 1973 et 2003).
Cette pratique dépend du niveau de diplôme, de la taille de
l’agglomération, la variable âge s’expliquant surtout par un effort
scolaire. Comme la sortie au concert de musique classique, le
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spectacle de danse est une pratique peu différenciée en termes de
génération… L’écoute de la musique enregistrée définie comme le
pourcentage de la population en écoutant tous les jours, a connu
depuis les années 1970 une impressionnante montée en puissance,
passant de 9% en 1973 à 33% en 2003. La variable « âge » apparaît
comme étant la plus déterminante (65% des 15-24 ans écoutent tous
les jours de la musique enregistrée en 2003). Comme pour les
lecteurs de la presse quotidienne, l’importance de cette variable est
le signe d’un fait « fondamentalement générationnel », chaque
groupe conservant vis-à-vis de cette pratique l’attitude qu’il avait
adoptée durant sa jeunesse. Mais à l’opposé de la presse quotidienne,
cet effet générationnel est positif. A 20 ans, 20% des membres de
MAI 68 écoutaient quotidiennement de la musique, contre 66% des
11 septembre. La télévision est elle aussi une pratique en progression
constante, la part de la population la regardant plus de 20 heures par
semaine passant de 29% en 1973 à 44% de la population française
adulte, en 2003. Les gros téléspectateurs se recrutent surtout parmi
les plus de 50 ans, c'est-à-dire dans les générations Libération (66%)
et Algérie (56%), les bas diplômes (50%). La part des téléspectateurs
assidus âgés de 30 ans passe de 25% pour Mai 68 à 35% pour la
Crise, puis 39 et 38% pour les générations suivantes. La génération
Crise marque une rupture qui s’explique par le fait que ses membres
avaient 20 ans au moment de l’explosion du PAF et que cet
élargissement de l’offre télévisuelle s’est ensuite accentuée pour les
générations suivantes (p. 21). L’augmentation du degré de pratique a
surtout concerné les « hauts diplômés » et les hommes, c'est-à-dire,
« les sous-groupes historiquement les moins consommateurs » :
depuis la Crise, cette catégorie connaît un effet générationnel positif
jusqu’à atteindre avec la génération Internet, une proportion de
téléspectateurs assidus similaire aux « bas diplômés » (p. 21). Ce
phénomène s’achève avec la génération Internet, les 11 septembre
ayant une pratique de la télévision plus faible (28% contre 32% pour
la génération Internet au même âge). L’écoute de la radio a en
revanche peu progressé la part de consommateurs régulier passant de
29% en 1973 à 33% en 1997. Elle fait apparaître un effet d’âge
positif lié à une augmentation au moment de la retraite. La rupture
en termes de génération intervient avec Internet (25%), annonçant
peut-être un déclin de ce média.
Il ressort de cette étude une montée en charge de l’audiovisuel par
rapport à l’écrit, le fait que le niveau d’études soit de moins en
moins déterminant auprès des nouvelles générations, une
féminisation de pratiques liées à la culture consacrée car plus
délaissées par les hommes que par les femmes. Mais il apparaît aussi
que les pratiques liées à la culture audiovisuelle qui dans le passé
concernaient plus les femmes touchent aussi les hommes.
Annexes
Rapports ministériels
Plusieurs rapports ministériels ont été réalisés, dans les années 1990,
sur les effets supposés ou réels des médias télévisés sur les
comportements agressifs des jeunes. Après le rapport « Boutin » du
nom de la députée des Yvelines, remis en 1994, Enfant et Télévision,
deux rapports ont été remis, en 2002, par Claire Brisset, défenseure
des enfants, au ministre de la justice Dominique Perben, et par
Blandine Kriegel, philosophe, au ministre de la culture et de la
communication, Jean-Jacques Aillagon96.
96
Brisset, Claire, Les enfants face aux images et aux messages violents diffusés
par les différents supports de communication : rapport de Claire Brisset,
défenseure des enfants, à M. Dominique Perben, Garde des Sceaux, Ministre de la
Justice, Ministère de la Justice 2002. Kriegel, Blandine, La Violence à la
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Kriegel, Blandine, La Violence à la télévision : rapport à
M. Jean-Jacques Aillagon ministre de la culture et de la
communication, Ministère de la Culture et Communication,
Paris, 2002.
Blandine Kriegel, s’appuyant sur les travaux de sociologues de la
délinquance, tels que Hugues Lagrange, part du constat d’une
augmentation de la « violence ». Cette expression « violence » est
utilisée dans un sens restrictif dans la mesure où elle désigne
essentiellement la délinquance. S’inspirant des théories de Norbert
Elias sur le passage de la violence physique à la violence
symbolique, elle suggère une remise en cause de ce modèle par la
montée des « incivilités » (qui serait en quelque sorte, un « retour du
refoulé »). Elle s’appuie sur les analyses de Sébastian Roché,
spécialiste des questions « d’insécurité » (et principal importateur de
cette thématique, en France) ainsi que sur ses méthodes - enquêtes
statistiques (d’opinion, souvent) à grande échelle – elles-mêmes
empruntées à la sociologie américaine. Bien qu’aucun travail
scientifique ne soit parvenu à dire s’il existait une relation de cause à
effet entre les contenus médiatiques et les comportements violents
des jeunes, Blandine Kriegel à partir de travaux nord américains
tente de démontrer le contraire. La partie sur la pornographie repose
quant à elle sur le point de vue d’experts issus du secteur médical.
Blandine Kriegel cite encore l’ouvrage que le directeur de la revue
Esprit, Olivier Mongin, a consacré à la violence dans les médias. Le
rapport se clôt sur un propos très général, ponctué de références et de
citations philosophiques sur la Violence, l’Image…
télévision : rapport à M. Jean-Jacques Aillagon ministre de la culture et de la
communication, Ministère de la Culture et Communication, Paris, 2002.
Ce rapport a fait l’objet de plusieurs critiques, de la part du GRREM,
par exemple et de chercheurs. Dans un article publié dans
l’hebdomadaire Le Monde Diplomatique, le psychanalyste Serge
Tisseron reproche l’utilisation détournée des théories de Gerbner, le
recours systématique à des études américaines, c'est-à-dire situées
dans un contexte particulièrement sensible au thème de la violence,
pour affirmer une relation causale entre violence à l’écran et
comportement violent, enfin, une utilisation partiale des auteurs, au
détriment d’autres. « Le texte de la commission Kriegel, écrit-il,
privilégie délibérément tout ce qui peut justifier un accroissement du
contrôle aux dépens d’un encouragement des initiatives qui
contribueraient à faire de la télévision un meilleur miroir de la vie
sociale »97.
Denis Gouvernet, L’impact de la télévision sur les publics jeunes.
Problématiques, réponses et propositions (Marly-le-Roi : INJEP,
1999). Rapport remis au ministre de l’Education, de la Jeunesse
et des Sports.
Ce rapport contient une tonalité très différente de celui de Blandine
Kriegel. Il se compose de deux tomes de plus de 300 pages, le
premier regroupant les principaux avis sur les effets de la télévision
sur les enfants, le second, rendant compte d’expériences
pédagogiques. L’auteure du rapport explique avoir privilégié « la
parole d’universitaires confirmés », c'est-à-dire « reconnus par leurs
pairs et dont les travaux ont fait l’objet de nombreuses
publications ». La France a, à ses yeux, pris beaucoup de retard sur
ce thème, ce qu’illustre le fait que ce sont principalement les
résultats d’audimat qui attestent de la connaissance des attentes du
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Serge Tisseron, « Inquiéter pour contrôler », Le Monde diplomatique, janvier
2003.
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consommateur. Elle exprime le souci d’indépendance de la
recherche, tout en soulignant la nécessité de présenter des approches
contradictoires. Des politiques figurent dans ce rapport : Christine
Boutin, Cluzel, Lionel Jospin, Ségolène Royal, plusieurs d’entre eux
ayant publié un ou plusieurs ouvrages sur ce thème témoignant ainsi
de la dimension fortement politique du débat. Les contributeurs
américains, Gorge Gerbner et son ancienne « fellow », Judith Lazar,
confèrent au rapport une dimension internationale en même temps
qu’un surcroît de légitimité puisque le questionnement est né aux
Etats-Unis. Le rapport s’ouvre sur les points de vue très généraux au
sujet de la télévision, de deux sommités de la sociologie : le
sociologue Dominique Wolton, chercheur au CNRS, Pierre
Bourdieu, professeur au collège de France, et un maître de
conférences, moins connu : Philippe Viallon. Plusieurs de ces
contributions sont des reprises d’articles publiés précédemment dans
des livres ou des revues et non des productions originales. On
retrouve les contributions de Divina Frau-Meigs, Sophie Jehel, Erik
Neveu, Serge Tisseron, Maguy Chailley, Liliane Lurçat, Monique
Dagnaud, Maryvonne Masselot-Girard, Geneviève Jacquinot,
Frédéric Lambert, ainsi que des membres de l’INJEP, Jean-Claude
Richez et Chantal de Linarès.
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