Scène 1 - Richard Gotainer
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Scène 1 - Richard Gotainer
EF 3JDIBSE(PUBJOFS&SJD,SJTUZ NVTJRVFEF ²UJFOOF1FSSVDIPO AVANT-PROPOS Pour la plupart des gens, Richard Gotainer est un Primitif, un charmeur de Youki, décalcomaniaque et femme-à-lunettophile à ses heures, grand danseur de Sampa, zigoto shooté à la Danette, au Choco-BN, cavaleur de chipies et de Belles des Champs, buveur-élimineur de Vittel et accro au Banga… Bref, un "chanteur". Cela étant dit (et bien dit), pour moi, Richard Gotainer n'est pas seulement !- cet individu atypique, ce Forgeur de tempos binoclard, artisan de mots ciselés et posés patiemment, un par un, à la main, sur des notes de musique choisies avec soin, voix suave, visage élastique et corps en apesanteur… Non !!! Le connaissant bien et depuis longtemps, je peux vous le révéler aujourd'hui : dans la vie de tous les jours, Richard ne s'exprime pas uniquement en chantant. Pour communiquer, il lui arrive de parler. Et même d'utiliser un stylo et une feuille de papier blanc ! Cette "Goutte au Pépère", écrite à quatre mains, en est la preuve éclatante. Ensemble, nous avons imaginé, noté, déchiré, jeté, essayé, tenté, déliré, partagé des crises de fou rire, avoir beaucoup douté, et ri encore malgré l'avis des médecins du SAMU dépêchés sur place à plusieurs reprises… Ensemble, nous avons écrit, écrit, écrit encore... Sans bien savoir où nous allions, ni même si ce que nous écrivions, cet OVNI, ce truc, ce machin inclassable, aboutirait un jour à quelque chose. Ce "quelque chose" existe maintenant. Il est là, sous vos yeux, entre vos mains moites d'impatience. Lisez, lisez encore ! Et n'oubliez pas que ce texte prend toute sa saveur quand on sait qu'il est interprété par les neuf personnages qu'il met en scène, neuf zigotos, jeunes ou moins jeunes, hommes et femmes, mais incarnés par un seul : Richard Gotainer, mon ami. Eric Kristy 1 POST AVANT-PROPOS Écrire pour Richard c'est encore plus que pour tout autre artiste, rentrer dans sa peau. Vous pensez qu'il vient "s'installer" chez vous, mais c'est lui qui vous invite dans son univers, une sorte de cirque géant fourmillant de personnages colorés. Pendant le travail de composition, Richard était là, présent à mes côtés, comme un complice et un guide prêt à bondir sur la bonne idée musicale, la bonne rythmique. Nous avons passé de très longues heures à faire du travail d'orfèvrerie pour être au final tous les deux satisfaits et heureux de la trouvaille mélodique. Le chantier était "copieux". Il fallait que je trouve un nouveau souffle tout en respectant l'univers déjà si imposant de Richard. J'étais déjà moimême un mordu de ses chansons. Il me fallait simplement contribuer à la construction d'un nouvel édifice "Gotainerien". Quand Richard m'a contacté pour composer la musique de "La Goutte au Pépère", nous avons tout de suite évoqué la nécessité et l'évidence toute naturelle d'écrire pour un orchestre symphonique. L'idée collait parfaitement avec l'esprit dans lequel la pièce a été écrite : un mélange étonnant entre modernisme et classicisme, une sorte d'écrin sublime et sophistiqué pour la farce. Le travail d'orchestration devait être aussi précis que l'écriture du texte. J'ai déjà composé beaucoup de musique symphonique, mais là, de nouveaux enjeux se présentaient à moi. Il fallait, par exemple, que le timbre de voix si particulier et si caractéristique de Richard ne soit pas écrasé par la masse des 55 musiciens de l'orchestre. Cependant, je voulais que chaque chanson sonne comme un petit concerto pour orchestre avec une mise en valeur presque outrée des différents timbres de l'orchestre. Quand j'écrivais mon "score", j'imaginais que chaque instrument était joué par un Richard Gotainer, un peu comme dans "un Américain à Paris" où le pianiste rêve qu'il dirige un orchestre fait de clones de lui-même. Je peux dire que chaque note a été pensée pour être au service du texte. Je garde de cette période de travail de composition le souvenir d'un labeur à chaque fois récompensé par des fous rires et des larmes de bonheur. Étienne Perruchon Les personnages Par ordre d'entrée en scène La Narratrice La Mime La Famille Duchamp : Larzac, le grand-père Johnny, le père Marie-Jo, la mère Kevin, le fils La Famille Deville : Philippe, le père Solange, la mère Marine, la fille Gérard Blédur, le patron de "C'est Bio la Vie" Florence, sa fidèle secrétaire 3 ACTE I Le rideau se lève, découvrant la présence de deux jeunes femmes. Tandis que l'une d'elles décrit le décor, l'autre le mime. Nous sommes dans la pièce principale de la maison. Ici le coin cuisine, avec sa grande table et son frigo américain. Là, le gros canapé moelleux de chez Emmaüs, et un écran plasma dernier modèle. À côté de la porte, l’éternel distributeur de Coca "années-cinquante" et, posé sur un guéridon, l’incontournable machine à sous à tête d'indien. Ici, un PC, là un Mac avec écran plat et tout le toutim . La vieille cuisinière à bois a été convertie en bureau. C'est le coin téléphone-fax-répondeur-photocopieuse-internet. Au moment précis où commence notre histoire, le père, la mère et le grand-père de la famille Duchamp sont en immersion totale dans leur quotidien. La Narratrice et la Mime sortent. Un décor sonore s'installe brusquement. Il est composé de zapping, de sons de jeux électroniques et d'un fond de musique. L'ensemble de cette cacophonie joue assez fort. Johnny Duchamp entre en se roulant une cigarette. Scène 1 Johnny : Marie-Jo, pourquoi tu zappes comme une dingue ? Arrête ! Marie-Jo : On a soixante quinze chaînes, y'a que des trucs débiles… Johnny : Ben, t'éteins la télé et tu t'mets une cassette. Marie-Jo : Éteindre la télé, si tu crois qu' c'est facile ! Larzac : Same player shoots again ! Marie-Jo : Faut qu'y's calme, le pépé ! Larzac : Y sont pas mal foutus, ces flippers en 3D… Marie-Jo : Larzac, tu nous bassines avec tes commentaires… Johnny : Et pis tu baisses le son, c'est trop fort, c'est l'enfer ! Marie-Jo : (Mettant les mains en porte voix) Alerte, on arrête tout, résultats du Loto ! Larzac : Tout le monde à son poste ! Johnny : Faites tomber les lingots ! Voix off : Les résultats totaux du Loto sont offerts par "C'est bio la vie", notre fidèle partenaire. C'est bio la vie c'est naturel Ça donne envie d'avoir des ailes "B", 'I", "O", bio, bio, c'est bio la vie C'est bio la vie rend la vie belle Ça fait bien aller à la selle Et c'est exquis Vive la vie…" "B", 'I", "O", bio, bio, c'est bio la vie Voix off : "C'est bio la vie" c'est formidable en tant que produit. "B", 'I", "O", bio, bio, c'est bio la vie Johnny regarde son billet manifestement perdant. Il le déchire et le jette. Johnny : C'est bio la vie… Qu'est-ce qu'ils ont tous à faire du bio ? Marie-Jo : Le marché est porteur, remarque, c'est pas idiot. C'est ça qu'on devrait faire, y'a plus que ça qui s'vend. On pourrait se goinfrer. Johnny : Tu verrais ça comment ? Marie-Jo : On plante un peu d'salade, j'sais pas moi… des poireaux, qu'on engraisse au fumier et qu'on facture plein pot ! Johnny : Avec c'qu'on a enfoui comme tonnes de salop'ries, on n'est pas près d'en faire, du bio. Ça, moi j'te l' dis ! (Il tape quelques mots sur un clavier d'ordinateur.) Tiens, ça, au moins, c'est pas des délires d'écolos. Y 'a une boîte sur le Net qui propose un boulot : Quinze fûts de Dioxine, six palettes de déchets hospitaliers, (seringues, amputations, pansements), plus deux containers… un peu vieux… y paraît, contenant… ? On n'sait pas.… 5 Larzac : Comme d'hab', évidemment ! Marie-Jo : On peut rien prendr' de plus, impossible, on sature. Larzac : Du côté du ruisseau, ça commence à êtr' dur… Marie-Jo : Les poissons, bon ben ça, c'est de l'histoire ancienne, mais t'as vu les corbeaux ? Larzac : J'sais pas comment qu'y tiennent. On a tout' l'amiante du déblocage de Jussieu, j'sais pas c'qu'on va en faire, à part y foutre le feu. On a tout le mercure de chez Rectal Celsius… Petit mais encombrant, en tant que détritus… Johnny : Y'a pas d'place dans la grange ? Marie-Jo : Mais la grange, elle est pleine ! Remplie de fûts qui puent, j'sais même plus d'où y viennent. Franchement, ta Dioxine, ce s'rait d'la gourmandise. Johnny : C'est quand même un peu bête. Silence. Marie-Jo : Y'aurait bien la remise… Larzac : La remise c'est chez moi ! Çui qui touche ma parcelle, j'y tire, dans le dargif, une cartouche de gros sel ! Ma terre est restée propre, j'interdis d'la salir. J'y fais mes plantations, vous allez m'les jaunir… Marie-Jo : Des plantations, tu parles, une herbe de misère… Johnny : Mais qu'est indispensable à la goutte au pépère. Et la goutte au pépère, c'est sacré, on touche pas. Marie-Jo : Alors, ton chargement… où stocker… ? Je vois pas. Johnny : C'est quand même un peu nul, y filent douze mille du bout… Marie-Jo : … Qui seraient, disons-le, bienvenus malgré tout. Silence Bon ben prends, vas-y, prends, on verra, on s'débrouille. On en foutra dans l'puits, on trouv'ra une magouille… Johnny : Dans le puits ?!? Y'a déjà les carcasses de vaches folles ! Marie-Jo : Ça, ça peut s'arranger d'un vieux coup d'vitriol. Mais à force de rendr' service à tout le monde, un jour, ça va nous r'tomber d'ssus. Larzac : Et c'est bien parti pour ! Marie-Jo : J'te signale au passage que la maigre bordure de pauvr' maïs de quarante centimètres de large censée représenter une honnête culture, refuse de pousser ; et qu'on voit la décharge ! Larzac : Quant à moi, plus question, comme l'année dernière, d'accrocher des fausses pommes sur des vieux arbres morts, pour faire un camouflage, genre "verger la Vie claire". Plus ça va, moi je dis, plus ça se détériore. Limite, je me demande : "Ne s'rait-ce pas plus rentable, de faire de la vraie pomme sur arbre véritable ?" Ce s'rait sûr'ment plus simple d'avoir un terrain clean ! Marie-Jo : Oh l'autre, eh, "clean", je rêve, mais qu'est-ce qu'il y connaît ? Un quart d'heure sans sa goutte et y croit qu'il est "clean" ! Johnny : Si tu savais faire ça, tu crois pas qu'ça s'saurait ? Hein ? Faire pousser des vrais trucs sur des vrais machins ? Quand t'es parti, en Soixante-dix, avec maman, faire, sous des vraies chèvres, pousser des vrais crottins… T'as surtout cultivé l'art des emmerdements ! Dring. Le téléphone sonne. Johnny décroche. Johnny Duchamp j'écoute… Quoi ? (mettant la main sur le combiné) C'est l'notaire. Oh non ! Mince… C'est trop bête… Elle n'était plus toute jeune non plus. Ben, qu'est-ce que vous voulez, c'est la vie. Enfin bon, pour nous ça change rien, puisque c'était prévu… Comment ça ?!… Ah bon ?… Non… Aïe !… Quelle publicité ?! Houla !… J'pense bien. Merci quand même d'avoir app'lé. En revoir. Il raccroche. La mère Deville est morte. Marie-Jo : C'est super !!! Youpi, youhou, champagne ! Et c'est quand qu'on l'enterre ? Silence. Pourquoi tu fais cette tête ? C'est bonnard comme nouvelle ! Comme y'a pas d'héritier, on rachète le terrain pour une poignée de haricots ; la vie est belle. Cette vieille toupie, ça fait dix ans au moins, qu'on attend qu'elle clabote, on va pas s'lamenter ! Johnny : Attends, c'est pas si simple, elle a un héritier. Tu sais, la pub à la télé : "C'est bio la vie". Marie-Jo : Oui, mais j'vois pas l'rapport ? 7 Johnny : Ben, l'héritier… c'est lui ! Larzac : Cool, un écolo, ça va nous changer un peu. Johnny : Larzac, c'est pas l'moment ! Marie-Jo : … C'est vrai, y gave, ton vieux. Scène 2 Kevin : Salut p'pa, salut m'man, va y'avoir d'la visite. Y'a des gens, au village, qui cherchent où on habite. Johnny : Comment ça, y'a des gens ? Kevin : immatriculés soixante-quinze… Un type et deux nanas Johnny : Merde, les voilà ! Oh, putain, les Deville, ils arrivent, on est cuits ! Marie-Jo : Mais qu'est-ce que tu racontes ? Johnny : On est cuits, je te dis. C'est Deville qui a fait cett' pub à la télé : "La vie c'est bio machin", alors faut pas s'leurrer : ce mec est un barjot d'écolo pur et dur ! Larzac : Avec le pin's marqué : "Touche pas à ma nature" ! Johnny : S'il découvre notr' manège et nos petits trafics M'étonn'rait qu'il trouve ça vachtément biologique ! Le bail arrive à terme, on doit le renouv'ler ; Avec un fou du bio, on peut se le carrer. Il débouche un bouteille et se verse un verre qu'il boit cul sec. Marie-Jo : Johnny, vas-y mollo, , tu vas dire des bêtises. Larzac : Il va nous foutr' dehors. Marie-Jo : (fatiguée) Larzac ! Tu nous les brises. Johnny : Je n'vois qu'une solution. Kevin, à mobylette, tu fonces à l'épicier ach'ter d'la toile cirée, un paquet d'chicorée, trois bérets, des gaufrettes et du papier tue-mouches. On va s'les ambiancer, les parigots… Larzac, arrête de jouer à ça, Va plutôt démonter la parabole du toit. Larzac sort. Johnny se ressert un verre et boit. Tout ce trafic de merde a fait d'nous des pourris. Marie-Jo : Lâche la goutte au pépère. Tu sais plus c'que tu dis. Scène 3 La Narratrice et la Mime entrent. La pièce a totalement changé d'aspect. L’écran plasma, la photocopieuse, le fax, tout a disparu. Sur un buffet de cuisine en Formica, un chien en plâtre marque l’arrêt en fixant, non loin de là, une ballerine en coquillage posée sur le napperon de la télé. La cuisinière à bois a repris du service. Une grande horloge comtoise a pris la place du distributeur de Coca.. Une lumière blafarde projette sur le mur, l'ombre géante d'un ruban de papier tue-mouche. La Narratrise et la Mime sortent. Marie-Jo guette à la fenêtre Marie-Jo : Attention, les voilà ! Johnny : À ch'val ev'rybody ! Chaussant un béret Larzac : (Chaussant un béret) Tout le monde à son poste. Kevin : (Chaussant un béret) C'est parti, mon kiki ! On frappe à la porte. À partir de maintenant, les Duchamp parlent tous avec un fort accent paysan. Marie-Jo : Qu'est-ce que c'est ? Kevin : Qu'est-c'est t'ça ? Johnny : Nom de Dieu, qui va là ? On frappe à nouveau. Larzac : Tirez la bobinette, la chevillette cherra. On refrappe à la porte 9 Johnny : Entrez donc ! Philippe : (passant une tête) · On voudrait pas déranger… Johnny : Entrez, ça fait des courants d'air ! On veut pas vous manger ! Philippe : Entrant. Voici ma femme Solange, ma fille Marine, et moi, je suis Philippe Deville. C'est l'notaire qui m'envoie. Ma pauvre tante est morte, je suis son héritier, J'aurai quelques papiers à régulariser. Il fait le tour de la pièce en regardant partout. Pour ne rien vous cacher, cet héritage m'embête, c'est source de soucis… j'ai autre chose en tête. Comme vous êtes locataires, on laisse tout en l'état, y'en a pour cinq minutes, vous signez, on s'en va. Johnny : Vous z'allez pas partir sans quelque chose eud'chaud dans l'ventre, quand même ? Ben, ôtez-y donc vos pal'tots. Solange : C'est gentil mais on n'va pas trop trop s'attarder. Philippe : finissez vot' repas, j'vous prépare les papiers. Johnny : Ben, assoyez-vous… (À Kevin)··· Tiens gamin donne donc des chaises. Marie-Jo : Pour signer des papiers, moi j'dis, faut s'mettre à l'aise. (La louche à la main, s'adressant à Solange) Madame, une ch'tite louchée ? Solange : Sans façon, non, merci. J'ai déjà eu du mal à finir mon Bounty. Marie-Jo : Des légumes qu'ont poussé sous du crottin d'cheval, rien que du naturel, ça peut pas faire de mal. Larzac : Donne z'y donc un canon, ça va tout y rincer. Marine : Surtout pas, j'la connais, elle va dégobiller. Johnny : Bon ben, j'insiste pas, (à Philippe) vous non plus… ? Philippe : On va pas trop traîner, faut qu'on rentre à Paris. Marie-Jo : Hô ! Larzac : Ma foi ! Non merci. (Hélant Larzac, la louche à la main) (Tendant son assiette) Marie-Jo : Voiiilààà… (Versant la louche dans l'assiette) Larzac : Top !… eh oué ! (Posant son assiette) Johnny : Tu… ? (Proposant du vin à Larzac) Larzac : Oh ben ça… ! ((Tendant son verre. Johnny le sert) …Popopop ! Johnny : Ben ? Larzac : Et ouais ! Johnny : C'est sûr que… Larzac : C'est comme ça ! Johnny : Hô ! Marie-Jo : Ma foi ! Johnny : Voiiilààà… Marie-Jo : Top… Eh oué ! Tu… ? Johnny : Oh ben ça… ! …Popopop ! Marie-Jo : Ben ? Johnny : Et oué… Marie-Jo : C'est sûr que… Johnny : C'est comme ça ! Philippe : Les traditions orales autour d'un vieux bouillon ; Y'a qu'ça d'vrai, moi j'vous l'dis. C'est vous qu'avez raison. Au moins, vous vous parlez, vous n'êtes pas abrutis comme nous avec nos fax, le net et tout l'fourbi. Marine : Ça, pour communiquer, c'est sûr, ils communiquent. Mais ne se parlent plus, c'est ça qu'est dramatique… La musique démarre. 11 Johnny : À la campagne, on s'parle… Pas qu'un peu… C'est tout l'temps… Marie-Jo : Ça, pour parler… pour sûr, on s'parle à tout bout d'champ. Johnny : Le soir, c'est pas télé, la bave aux commissures. Pour un oui, pour un non, ça cause dans les masures. Johnny : Hein, l'pépère qu'on s'parle ? Larzac : Je veux, mon n'veu, et comment ! Johnny : Plus souvent qu'à not'tour, encore… Marie-Jo : … C'est très fréquent. Johnny : Manquerait plus qu'on pourrait plus s'parler ! Larzac : Marie-Jo : Ben ! V'là aut'chose ! Tiens, j'voudrais bien voir ça. Johnny, Marie-Jo et Larzac : On veut causer ?… On cause. Johnny : Celle-là, ce s'rait l'bouquet, manqu'rait pus qu'on s'parle pus… Et pis pendant qu'on y est, on s'bouch'rait l'trou du cul ? Marie-Jo : Ben ça, y f'rait beau voir. Johnny : On entend de d'ces trucs ! Non mais, j'te d'mande un peu ! Marie-Jo : Si c'est pas malheureux ! Johnny, Marie-Jo et Larzac : Si c'est pas malheureux ! Johnny : Hein, l'pépère qu'on s'parle ? Larzac : Je veux, mon n'veu, et comment ! Johnny, Marie-Jo et Larzac : Plus souvent qu'à not'tour, encore… C'est très fréquent. La musique s'arrête. Philippe : Il va se mettre à l'écart et sort un Dictaphone. Je n'vois pas pour l'instant, mais notons : (Il enclenche l'enregistrement du Dictaphone) "Gros délire sur accent du terroir"… (Il ferme le Dictaphone) Ça peut toujours servir. (Cachant sa bouche de la main pour parler en douce à Solange.) J'te dis pas les rougeauds, sévères les culs-terreux… Solange : (Parlant aussi en loucedé) Over plouqués à mort, top rustiques… Philippe et Solange font de grands sourires aux Duchamp, comme si ces derniers ne comprenaient pas. Philippe : hypra gueux… (Regardant par la fenêtre) Si vous êtes paysans, simple curiosité, pourquoi donc, sur vos terres, ne voit-on rien pousser ? Johnny : c'est-à-dire que voilà, nous, c'est un peu spécial, On pratique une culture… qu'est… typiqu'ment locale. Mari-Jo : C'est "un" espèce de plante, minuscule mais très chère, qu'est très aromatique… Larzac : …et qui pousse à l'envers. Johnny : Comme on voit rien du tout, on s'dit : "Tiens, c'est bizarre"…! Mais dites… on fait quand même… sept cents grammes à l'hectare ! Philippe : Sept cents grammes ?!? Johnny : À l'hectare ! Oui, je sais, c'est énorme. Et comme il en faut peu, c'est même énorme énorme. Un téléphone sonne. Philippe : Je vous prie d'm'excuser, un coup d'fil attendu. (Au téléphone) Allô, Florence… alors… mon mail… vous l'avez r'çu ? Blédur, qu'est-ce qu'il en pense ?… Comment ça "énervé" ? Il l'a lu, vous êtes sûre ?…Comment ça, "c'est à chier" ? "Vulgaire" ?… Mais pas du tout. Une femme, au ralenti, qui court nue dans les blés, c'est bourré d'poésie. Allô, passez-le moi… comment ça, "pas m'parler" ? Passez-le moi, j'vous dis… comment ça "m'rhabiller" ? Il éteint son portable. (À Solange) Va falloir (À Johnny) qu'on y aille, Blédur fait des histoires. Alors, Monsieur Duchamp, on le signe ce papelard ? Johnny : Oui, c'est ça, signons-le. Et tiens, pour fêter ça, on va boire un ch'tit coup autour d'une bonne chopine. Vous deux, Larzac, Kevin, à la cave avec moi. Marie-Jo, mon bichon, fais péter la terrine. 13 Marie-Jo : (en loucedé et sans accent à Johnny) Si tu signais d'abord, ce s'rait pas plus malin ? (Reprenant son accent et parlant un peu fort pour être sûr d'être bien entendue) Ces bonnes gens sont pressés, elles ont peut-être un train ? Johnny : (En douce et sans accent à Marie-Jo) J'aime pas les voir rôder avec leurs gros museaux. J'vais leur faire la totale, y r'viendront pas d'sitôt. Moi quand j'enfume, j'enfume. J'enfume pas à moitié. Johnny sort par la porte du cellier, suivi de près par Marie-Jo, Kevin et Larzac. Les Deville restent seuls. Scène 4 Marine : Si c'est d'la vraie terrine, moi j'veux bien la goûter. Solange : (À Marine) Tu veux nous embringuer dans une soirée vinasse à fumer des gousses d'ail ? Marine : Là, maman, tu m'agaces. Solange : T'as goûté à six heures, t'as pas faim, c'est pas vrai ! C'est pour me contrarier. Marine : Tu peux m'lâcher, s'te plaît ? Ces gens et leur terrine, tu trouves pas ça super ? Découvrir des coutumes, respirer le grand air ? Solange : Le grand air ? Mais ma fille, non mais t'as vu l'odeur ? J'en ai la gorge qui pique, ça m' brûle, j'ai des hauts le cœur… Marine : Ça sent bon la campagne. (Elle inspire à pleins poumons) Le "Vrai", ça sent le "Vrai" ! Ces gens sont des "vrais" gens, tu comprends, des gens "vrais" ! Solange : La seule chose qui est "vraie", c'est qu'c'est une infection. Ça pue, c'est infernal… Philippe : Là n'est pas la question ! Faut qu'on se casse d'ici, et pis plus vite que ça, si j'veux pas qu'mon Blédur me l'colle in the baba. Si j'trouve pas une campagne géniale de toute urgence, on va perdre le budget. Ça peut couler l'agence. Marine : Et toi, à part ta pub, tu t'intéresses à rien. Tu t'adresses à des gens, regarde-les, au moins ! Ces gens sont des vrais gens qui mangent des vraies terrines, et ces gens-là sont là, (elle tape du pied) … pas dans les magazines ! Philippe : Le folklore, c'est sympa, mais ça va cinq minutes. J'ai des choses plus pressées que visiter des huttes. Marine : Comment tu parles de ces gens-là, c'est du racisme ! Hyper méga sectaire ! Mais c'est de l'ostracisme ! Solange : Prends-le sur un aut' ton, on est quand même ton père. Et d'où te viennent soudain ces humeurs de fermière ? La belle rusticité d'un éphèbe à béret, n'est-ce pas ça, par hasard, qui nous la travaill'rait ? Marine : N'importe nawac ! D'abord il est moche et pèquenot… J'aime pas quand y'm'regarde avec ses gros sabots. Solange : Faudrait savoir. Je croyais qu'c'étaient des vrais gens ! Marine : Et alors, c'est possible, vrais et moches en même temps ! Philippe : Elle est pas là l'idée, Marine : J'en ai marre Philippe : Y faut rester groupés et s'arracher d'ici. Ça suffit ! Scène 5 La lourde clenche de la porte du cellier bascule. Marie-Jo, Kevin et Larzac, les bras chargés de bouteilles et de miches de pain, entrent en procession. Johnny : La vraie de vraie terrine, l'authentique, la voilà, servie dans sa terre cuite, sous sa vraie couche de gras. Et vous savez c'que c'est ???… Ben, c'est du pâté d'faon. Le faon, le p'tit d'la biche ; Comme un cerf, mais enfant. Ça, j'vous garantis, vous m'en direz des nouvelles. Surtout çui-là, dites, c'était une p'tite fumelle… Il sort un canif de sa poche et commence à faire des tartines. Le mâle, si vous voulez, s'rait plus fort en odeur. Mais là, vous allez voir, ça y fond comme du beurre. Il tend une tartine. C'est fin, le faon, c'est sûr, mais c'est dur pour y tuer. Larzac : En r'vanche, ça, faut r'connaître, facile à attraper. Marie-Jo : Mais la pauvre pitchounette, mais quand â vous voit v'nir, â vous d'mande des caresses, â pense pas à s'enfuir. Larzac : Mais pardon, le regard, juste avant d'y mourir ! 15 Deux grands yeux innocents, c'est ça qu'est dur à t'nir. Johnny : Confectionnant une tartine. Faut en avoir, moi j'vous l'dis, pour saigner c'te pauvre bête. Il tend la tartine. Le pâté d'faon, c'est pas du pâté de tapette. Marie-Jo : La bête, elle est gentille, mais quand même, a s' défend; La première chose à faire, c'est d'y casser les dents. Larzac : Mais, la plupart de temps, y'a pas b'soin du fusil. Un p'tit coup d'Opinel, le pitchoune, il est cuit. Johnny : Le fiston, hein gamin ? Lui, travaille au coup d'poing. Le faon fait pas un pli, hein l'gamin, t'y tues bien ? Il s'attaque à une troisième tartine. C'est la méthode ancienne, comment j'pourrais vous dire, qu'est très bonne pour la viande, ça empêche d'y durcir. Comme la bête est surprise, elle prend pas le coup d'sang qui la f'rait s'contracter. Il tend sa tartine. Ben… automatiqu'ment. Kevin : Ho, le père, tais-toi donc, tu vois pas qu't'indisposes la fragile mad'moiselle ? Johnny : Mais pas du tout, on cause. Moi, comme je dis toujours, quand c'est fait proprement, y'a pas plus délicat, plus fin qu'la viand'eud d'faon. C'est tellement d'une tendresse, ça peut s'manger tel quel, nature, dès sa naissance, simple, à la croque au sel, à la sortie d'la mère, juste encore un peu chaud. C'est fameux quand c'est tiède, les bébés d'animaux. C'est mon fils, hein bonhomme ?… qui en est très friand. Marine : Elle lâche sa tartine en crachant. Mais enfin, c'est horrible, mais vous êtes écœurants ! Kevin : (Oubliant son accent paysan) Je vous jure, mademoiselle, n'allez surtout pas croire… Johnny : Fiche-moi ton camp, grande saucisse, ou bien tu vas voir… Kevin : Je ne suis pas du tout… Johnny : Arrête donc tes sornettes ! Ou tu prends une taloche su'l'coin d'la margoulette. Marie-Jo : Alors, monsieur Deville, on y signe ce papier ? Philippe : La bouche pleine, une tartine à la main. Ça, c'est une bonne idée ! J'allais vous l'proposer. Marine : Mais qu'est-ce que c'est qu'ce trip, c'est quoi ce plan pourri ? Qu'est-ce que c'est qu'ces gogols qui se tapent du bambi ? Philippe : Qui mâche en tenant sa tartine du bout des doigts Ma chérie, je t'en prie, ces gens sont fort aimables; Le présent qu'ils nous font est des plus estimables. Solange : Qui se suce le bout des doigts. Notre fille, mon amour - je connais ses valeurs -, peut aimer le pâté et vomir les chasseurs. Marine : Maman t'es à la masse, y faudrait atterrir. C'est armoire leur pâté, c'est craignos, je veux dire. Philippe : Finissant sa tartine. Sans doute une coutume, le geste est amical; Ils ont mis tout leur cœur dans ce joli bocal. Solange : (À Johnny) Monsieur, je vous en prie, n'en prenez pas ombrage, ma fille n'y connaît rien en peuplades sauvages. Kevin : On est pas des sauvages, je ne suis pas péqu'not… Johnny : (lui coupant la parole) T'arrête ou bien, ou quoi ?… (Faisant les gros yeux à Kevin) Vas-tu t'taire grand nigaud. S'adressant à Philippe. Alors c'te signature, un jour, on va s'la faire ? Philippe : (Il avance papier et stylo) Vous signez là et là, vous paraphez derrière… (Il hésite un instant, réfléchit, se ravise.) Mais, bon sang, c'est bien sûr. Ça m' parait évident. Excusez-moi mon brave, je vous d'mande un instant… (Il reprend le papier puis se met à l'écart pour parler dans son Dictaphone) J'ai failli pas la voir, je l'avais sous le nez, je crois qu'cette bande de ploucs, m'a filé une idée. (Il ferme son Dictaphone) Johnny : Bon alors, on signe plus ? Parc'que c'est pas tout ça, mais pendant qu'on discute, le travail se fait pas. Marie-Jo : Il est bien tard. On a encore des bêtes à tuer. Larzac : R'marquez, si vous restez, ben comme ça, vous verrez. Marine : Ça va pas r'commencer ? Solange : Philippe, qu'est-ce qu'on attend ? 17 Philippe : Pourquoi donc, toujours, vouloir tout précipiter ? On va prendre son temps, bien sûr qu'on va signer. (il déambule dans la pièce en appréciant le décor.) Moi, j'me sens bien ici, j'y pass'rais bien la nuit. Après tout j'suis chez moi, si j'en crois ces écrits. Solange : Passer la nuit ici ? Mais Philippe, tu délires ! Marine : Combien d'animaux morts devrons-nous voir souffrir ? Philippe : Il examine les papiers et s'adresse à Johnny. Dites-moi, d'après les plans, j'ai deux belles chambres d'amis ? C'qui s'rait vach'ment super, c'est d'préparer nos lits. (À Kevin) Alors, le grand benêt, avec la bouche ouverte, y's'bouge, les bagages y vont pas sortir tout seuls de la voiture. Y ramène les deux valises vertes et la grosse sacoche bleue. (À Larzac) Il est gentil, l'aïeul, c'est lourd, y va l'aider. (À Marie-Jo) Pour le p'tit déjeuner : Du thé. Épargnez-nous les soupes et les potées. Johnny : J'me sentais d'y signer, dommage, j'avais la pêche. Philippe : (Mettant une main rassurante sur l'épaule de Johnny pour mieux le pousser vers la sortie) On voit ça d'main matin, tranquill'ment, à la fraîche. La porte se referme, laissant les Deville seuls. Scène 6 Solange : Tu n'devais pas rentrer à Paris pour bosser ? Marine : Il veut sans doute rester pour finir le pâté. Philippe n'écoute pas. Il sort son portable et compose un numéro. Philippe : Allô Florence, passez-moi Blédur, qui… que quoi…? Comment ça, il est pas là ? Mais si, il est là. Mettez le haut-parleur, fort, je veux qu'il m'entende, qu'il sache que je peux faire quadrupler ses commandes. Pour la prochaine campagne, j'ai une nouvelle idée; Un concept imparable, Blédur, vous m'écoutez ? Je sais que vous êtes là. Gérard, faut qu'on se voie… Comme ça, au téléphone, c'est un peu délicat. Faudrait que je vous montre, c'est mieux si vous veniez. - voyez avec Florence pour les coordonnées Alors, vous êtes d'accord, je vous attends demain ? Allô ?… Florence ?… Gérard ?… y'a personne ?… y'a quelqu'un ?!? La communication semble coupée. Il ferme son portable. Je crois qu'il a compris, le con n'est pas idiot. Solange : Tu peux nous expliquer… Marine : … même en gros, le topo ? Philippe : Y'a eu la mère Denis, y'a eu Don Patillo, pourquoi pas ces gnafrons pour faire vendre du bio ? Ils sont un peu patauds, ça les rend authentiques. Leur côté bas d'plafond, ça rajoute au rustique. Écoutez-moi les filles. Ouvrez vos étiquettes : De ces quatre pécores, je vais faire des vedettes. Blédur arrive demain, il va être emballé, jamais il n'aura eu plus belle publicité. Noir Scène 7 Au loin, le clocher sonne deux heures. Une chouette hulule. La Narratrice passe une tête. La Narratrice : Toute la maison dort, sauf Kevin qui est redescendu à la cuisine pour y boire du Yop. Kevin : La campagne, ça sent bon, eh ben chez nous, ça chlingue. La nature c'est la vie, eh ben nous, on la flingue. J'en ai marre des chlorures, des nitrates, du Diesel. J'en peux plus d'asphyxier au milieu des poubelles, là où pas une ortie s'aventure à pousser, là où mêm' les serpents ne viennent plus siffler. Je me sens sale, je me sens moche, je me dégoûte, je suis l'assassineur de la terrestre croûte. Johnny : (entrant en baillant et se grattant.) Qu'est-ce que c'est qu'ce vacarme ? T'arrives pas à dormir ? Moi non plus, c'est pareil, j'arrête pas d'réfléchir. C't espèce de zigoto d'héritier de mes deux, y nous mijote un truc. Ça cocotte le foireux. Kevin : Bon, moi, c'est décidé, j'arrête de faire guignol. Je retire mon faux nez… Plus d'accent agricole ! Johnny : T'arrêtes rien du tout, sinon de déconner. On n'a pas d'autre issue que celle de continuer… Quant à l'accent pécore, j'te trouve un peu sévère; C'est le parler des gens qui cultivent la terre. Y'a pas de honte à ça, c'est même un grand honneur, 19 que d'avoir le phrasé du noble laboureur. Kevin : Mais faire le laboureur, moi je n'demande que ça, sauf que nous on la nique, la terre, on laboure pas. L'auguste paysan, le geste du semeur, mais… quand tu veux, j'achète. On commence à quelle heure ? Il marque une pause Un tueur de bambi, non mais de quoi j'ai l'air ? Cette fille m'a regardé comme si j'étais Hitler. Johnny : Ah je vois ! Le garçon a des bouffées d' chaleur ! Il a d' la tourterelle dans le collimateur. Kevin : J'espère que tu plaisantes. Qui, elle, une tourterelle ? J'dirais plutôt une taupe. Johnny : Comment tu parles d'elle ? Kevin : C'est une petite merdeuse, une p'tite bourge à la con, pas mal gaulée, j'admets, mais qu'a rien dans l'citron. Johnny : Elle est pire que jolie, elle est belle cette fille, rien qu'à passer près d'elle… on part dans la vanille ! Kevin : On part dans la vanille ?!? Non, et pis quoi encore ? T'as d'autres voyages en vue ? Tu comptes faire le Vercors ? Johnny : Mais c'est qu'y s'rait jaloux ! C'est qu'y pourrait vous mordre ? Kevin : Moi jaloux ? je s'excuse, permets-moi de se tordre. Ce genre de p'tit modèle, c'est pas mon gabarit. J'la sens pas bien sous l'homme. J' parierais qu'on s'ennuie. Johnny : Va pas nous la salir, avec tes crudités. Y'a des mots à bannir, quand on parle des fées. Kevin : La tourterelle, les fées, tu crois pas qu'tu t'emballes ? Faut qu't'arrêtes la vanille, vieux, tu vas t' faire du mal. Johnny : T'as vu les grands yeux bleus qu'elle a ? Kevin : Ils sont marrons. Johnny : Eh ben, quand on s'y plonge, on voit des papillons. Et ses longs cheveux blonds, … Kevin : Ils sont courts et châtains, Johnny : … autour de son minois, ils font comme un écrin. Regarde bien la poule, et vois-y l'hirondelle. Cette fille est une perle, c'est un cadeau du ciel. Elle est belle, elle est fine, drôle et intelligente ; Je suis tout à fait prêt à m'en faire une parente. Kevin : C'est donc ça, vieux grigou, qui t'amène aux manettes ? Tu veux qu'j'arrange le coup en m'tapant la Ginette ? Balisant pour le bail, tu t'mets à délirer qu'on jouerait sur du v'lours si j'ambiance la mousmée. Johnny : Cette façon de parler, faut que tu la dégraisses. T'as pas les mots qu'y faut pour causer des princesses. Marine : Elle se lève pour sortir du coin noir où elle était embusquée. Pourquoi donc dégraisser, c'est bon quand y'a du gras. Des gros mots bien juteux, ça vous étoffe un gars. Tout seul dans son calcif, un garçon c'est fragile, ça dit des cochoncetés pour y faire son viril, ça cause de bistouquette, mais dans l'fond, c'est un tendre. Faut sentir la vanille, êtr' une quille pour comprendre. Johnny : (Reprenant subitement son accent pour sauver le coup) Nom de d'là, mais personne ne dort dans c'te masure ! C'est-t'y pas la pleine lune, des fois, qui nous triture ? Marine : Vous donnez pas cette peine, j'étais là dès l'début. Vous êtes des imposteurs, et j'ai tout entendu. J'ai du mal à cerner c'que vous manigancez, et pourtant, quelque part, vous m'avez rassurée. Dans toutes vos cochonneries, j'suis sûre qu'y a eu triche : Votre fameuse terrine, c'est pas du bébé biche. Johnny : (persistant à parler avec l'accent) J'l'ai ram'née du Mammouth, aux dernières commissions… (Se ravisant pour perdre l'accent et faire profil bas.) … c'est du pâté d'autruche qu'était en promotion. Marine : De l'autruche ? Quelle horreur ! J'trouve que ça n'a pas d' goût. Comme viande alimentaire, j'préfère le kangourou. Kevin : Si vous allez par là, mijotée tout doucement, y parait qu'la girafe, ça surpasse l'éléphant. Marine : Vous, ça vous va très mal de donner des leçons. Kevin : Je n'fais que souligner certaines contradictions; Vous pleurez sur les biches et mangeriez du renne. Marine : On peut s'taper des huîtres et sauver les baleines; S'empiffrer de brochettes sans flinguer les mouflons. Faut pas confondre élevage et extermination. Un faon dans la forêt, moi, j'en ai jamais vu, 21 j'trouvais pas opportun d'en mettre un au menu. Kevin : Puisque c'était d'l'autruche, la discussion est close. Marine : Ah, ça vous arrangerait, qu'on passe à autre chose. Vous n'êtes que des menteurs, vous n'êtes pas des vrais gens. Et puis, j'suis pas une taupe. Kevin : (Embarrassé) Je… désolé… (Il recule) vraiment… Gêné, Il sort rapidement. Johnny : C'est vrai qu'on a un peu forcé sur le rustique, mais c'était, comment dire, pour faire plus sympathique. Marine hausse les épaules et quitte la pièce. Et pis, il a dit "taupe", il a pas dit "trumeau", et "taupe", en tant que mot, moi, j'trouve ça rigolo. La musique démarre. Johnny, seul en scène, chante. Asticot, ouistiti Chalumeau, zigouigoui Bigoudi, artichaut Les mots sont rigolos Pistache et cacahuète Saucisse, rutabaga Pour se fendre la binette Des mots marrants, y'en a Le mot cacatoès De par son allégresse Lorsqu'il est bien placé Tue la morosité Pissenlit, pipistrelle Ou cucurbitacée On en trouve à la pelle Des mots qui font poiler Capuche Râteau Mouillette Berlue Merlan Fouchtra Cageot Purin Burette Poireaux Bigleux Nougat La pâte de Jujube À son simple énoncé Limite ça fout les flubes À quel point t'es plié Tam-tam, tohu-bohu Plumeau, barbe à papa Pouët pouët, turlututu Calypso, charabia Caribou, pétaudière Robinet, salami Pour se fendre la caf'tière Un mot souvent suffit Abscons, sucette, cache-col Tartine, suppositoire Y'a des choses de haut vol Pour s'allumer la poire toupie, cachou, bidule Sémaphore, testicule Les mots, venez mes beaux Gondoler mes boyaux Bigorneau, patchouli Ragoût, talus, grumeau Quolibet, cagibi Manganèse, mikado Kangourou, cacatois Sushi, Titicaca Ils viennent du monde entier Les mots nous chatouiller Pipeau, cabas, virole Cornichon, roubignolles Tutu, papou, gigot Tatami, cacao Bar- tabac, clafoutis Tabou, zoulou, boubou Rotoplo, riquiqui 23 Cha cha cha, roudoudou Cornemuse, pédoncule Bougie, nichon, gourdin Abyssal, tentacule Biglotron, marloupin Capsule, bidon, béret Bagnole, pistou, pétard Lippu, baigneur, plumet Crépu, cocon, plumard Quetche, beurre, flux, taxe Blâme, grue, poule, bloc Miche, cul, broc, max Tige, bulle, toque Bouse Flaque, bugne, flou, nase Muse, baie, touffe, pique Boule, plume, base Tome, putch, lard, bique Tu lâches du chiwawa C'est la crise assurée T'envoie chipolata T'es sûr des retombées Les mots font du chahut Ils aiment se bousculer Quand ça balance velue C'est du poil à gratter Babouche Rabot Cuvette Lubie Barlu Choux fleur Bignole Tango Braguette bidet Citrouille Gicleur Les mots c'est du bonheur Noir Voix de la Narratrice : Réveillé, sans doute par le bruit, Philippe, lui aussi, est redescendu. À la faveur de la nuit, tapi à croupetons dans l'ombre d'une lessiveuse, il a tout vu, tout entendu. Scène 8 Philippe : (Sortant de sa cachette) Qu'est-ce que c'est qu'ce micmac ? C'est quoi ces faux péquenots qui nous jouent "farce attaque" ? Johnny : Reprenant son accent pour sauver le coup. Nom de d'là, mais personne ne dort dans c'te masure ! C'est-t'y pas la pleine lune, des fois, qui nous triture ? Philippe : Arrêtez avec ça, par pitié n'en j'tez plus. Halte à tout, bas les masques, vous êtes confondus. J'le crois pas, ces idiots, comme y'm cassent ma cabane, mon projet, d'un seul coup, comme il part en banane. C'est toute ma stratégie que vous flanquez par terre. Blédur arrive demain, de quoi vais-je avoir l'air ? Mon idée était forte, sûr, il l'aurait ach'tée ; Cinquante patates, au moins, vont me passer sous l'nez. Scène 9 Larzac : Entrant Qu'est-ce que c'est ? Vous avez des problèmes eud' patates ? C'est d'la belle de Font'nay, d'la bintje ou ben d'la rate ? Parc'que nous, l'an passé, on a eu l'doryphore, et où va l'doryphore, la patate va pas fort. Philippe : Assez de comédie, votre fils a tout dit. Larzac : Il a dit pour les fûts ? Philippe : Quels fûts ? Larzac : Les fûts. Philippe : Quoi "fût" ? Johnny : Il a pas parlé d'fûts. Philippe : Ah si, "fût", il l'a dit. 25 Larzac : J'ai dit… Johnny : … la pomme de terre n'est plus vraiment c'qu'elle fut, comme légume féculent. Larzac : (Qui s'obstine à garder l'accent paysan) En tant que tubercule. Philippe : Je vous somme de cesser cet accent ridicule. Johnny : OK, OK, OK, c'est bon, on arrête tout. On est des cornichons? Du cul, nous sommes des trous. Au départ, on s'est dit, on va leur faire une blague. Larzac : On pouvait pas savoir qu'ils aimaient pas les gags. Y faut s'mettr' à leur place. Quand t'es propriétaire, tu prends pas des comiques pour cultiver ta terre. (La musique démarre. Il chante) Tant pis, ça ne fait rien, tant pis, nous partirons, nous quitt'rons le pays pour une vie d'errance, nous irons par les routes, traînant nos baluchons, sous un ciel bas et lourd, dans une plaine immense. Avec mon pauvre père, ma femme et notre enfant, blottis l'un contre l'autre, dans la vieille carriole, Larzac : tirée par un mulet, souffreteux, ahanant, Johnny : nous vivrons de pain sec et de l'eau des rigoles. Et quand viendra le jour, où le père harassé se couch'ra sur le flanc, le manger nous devrons. Larzac : Vous aurez du chagrin, mais d'un autre côté, ça chang'ra des racines et d'la soupe aux chardons. Johnny : Et puis viendra le temps où j'me mett'rai à boire, où j'oblig'rai le gosse à attaquer des vieilles, pour prendre les sous cachés dans leurs boîtes de boudoirs et me les rapporter pour payer mes bouteilles. Marie-Jo : (Entrant en chemise de nuit coiffée d’un bonnet à l'ancienne) Pour payer ses bouteilles, pour payer ses bouteilles… Et puis au bout du bout, quand on aura plus rien, on chip'ra des cartons pour construire un bordel, où je vendrai mon corps aux soldats, aux marins, pour ach'ter au mouflet, son orange à Noël. Johnny : Enfin viendra la fin, Larzac : qui tomb'ra en hiver. Marie-Jo : Moi, j'aurai la vérole, Papy s'ra à Cochin. Johnny : Des sacs poubelle aux pieds, vêtus de serpillières, Marie-Jo : nous irons à Fleury, dire bonjour au gamin. Johnny : Tout ça, me direz-vous, risque de mal tourner. Johnny, Marie-Jo et Larzac : (En chœur) Mais la mort arriv'ra, pour nous, comme un cadeau. On trouv'ra nos dépouilles sur le pavé mouillé, qu'on jett'ra en pâture aux chiens et aux corbeaux. Johnny : Notre enfant orphelin… Philippe : Ça va, ça va, ça va ! (La musique s'arrête) Le message est passé… On a compris… Ça va ! (Il marque un temps pour réfléchir) Votre petite mise en scène, en fait, on y a cru. J'vois pas pourquoi Blédur n'y croirait pas non plus. Larzac : Je comprends pas tout bien, mais j'entrevois le pire. Marie-Jo : Larzac, laisse-le parler ! Johnny : Qu'est-ce que vous voulez dire Philippe : Mon client vient demain, et j'avais dans l'idée de lui vendre un projet plein d'authenticité, avec des paysans, des poulets, des cochons; Un truc qui sent la terre, l'humus, le champignon. Scène 10 Solange : (Entrant, très agitée.) Ah, ça sent ça, l'humus ? Vous avez d'la quinine ? Quelque chose ?… Des boules Quies spéciales pour les narines ? Parc'que pardon, l'humus… combiné au grand air !… J'ai pris deux Témesta, j'arrive pas à m'y faire. Philippe : Rev'nons à nos moutons. Solange : Des moutons, je crois pas. J'la sens plutôt "furet". J'verrais plus des putois. Philippe : Mon amour, tu m'emmerdes, c'est p't'êtr' pour ça qu'ça pue. 27 Larzac : Oh oui, c'est sûr'ment ça, parc'qu'ici, y'a pas d'fût. Philippe : (Il prend Solange à part) Solange, t'as pas l'air de t'rendr' compte, mais c'est la guerre. On s'retrouve à la rue, si je loupe cette affaire. Solange : Sans blague ! Ça fait trente ans, depuis que j'te connais, campagne après campagne, que ta guerre, tu la fais. Alors toi, crapahute au pays des macaques, bats-toi si ça t'amuse, moi, j'fais pas les bivouacs. Philippe : Solange, me fais pas ça, j't'en supplie, pas maint'nant. Marine : (Entrant) C'est vrai, il a raison, maman, c'est pas l'moment. Solange : Toi, on t'a pas sonnée. J'm'adressais à papa. Et qu'est-c'que tu fais encore debout à c't' heure-là ? Tu t'es lavé les dents ? T'as rangé tes affaires ? T'as pas roulé, j'espère, en boule, ton pull-over ? Marine : Si si, comme d'habitude. Et pis ma p'tite culotte, j'l'ai mise toute chiffonnée dans un paquet d'biscottes. Philippe : Bon, maint'nant, ça suffit. Toi, Solange, tu la fermes. Tu commences à m'courir velu sur l'épiderme. Toi, ta bataille à toi, c'est ranger la maison, avec mal à la tête et des palpitations. Tu parles d'une aventure ! Solange, t'es un boulet. Ton tilleul, ta verveine, c'est ça qui sent mauvais. Bon, maint'nant, tu dégages ou j'vais dire des gros mots. J'veux bien qu'tu sois malade, mais moi, j'ai du boulot. Philippe : (Gardant le cap, il s'adresse aux Duchamp) Votre bail, je le signe, à une seule condition : Demain, vous continuez à me faire vos couillons. Kevin : En ce qui me concerne, je n'joue plus les simplets. Il est hors de question que j'remett' un béret. Marine : Mais si, hé, c'est top cool, trop fendard, hé, le plan ! Philippe : Toute façons, c'est comme ça, et pis pas autrement. On ressort les bérets, on remet son fichu, on tape la grande plouquerie, un léger cran au d'ssus. Il sort ACTE II La Narratrice et la Mime entrent. La Narratrice : La pièce principale est maintenant éclairée par quelques chandelles, une lanterne à huile en fer forgé et au mur, deux torches. Une chouette est clouée au-dessus de la cheminée. L'ombre des oignons en tresses fait une étrange danse sur le salpêtre des murs. Des chapelets de saucisses courent sur les poutres pendant qu'ici et là, des trains de lard fumé suintent. Des poules picorent un peu partout. Et sous l’évier, une chèvre met bas. Scène 1 Blédur et Florence entrent Blédur : C'est quoi au juste, ici ? un repère de trappeurs ? Florence : Le trou du cul du monde si j'en juge à l'odeur. Marie-Jo : Entrant Piou piou, piou piou piou piou, c'est l'heure de la gamelle. Picorez mes cocottes, c'est rien qu' du naturel. Blédur : Pardonnez-moi, ma brav' femme, juste un renseign'ment. Je cherche monsieur Deville. Marie-Jo : Vous êtes monsieur Froment ? Céréale ?… euh… Semoule ?… ou queut'chose dans c'goût-là. Blédur : Blédur, Gérard Blédur. Marie-Jo : Monsieur Blédur, c'est ça. J'allais vous dire Gruau… ( Se donnant une petite tape sur main en affectant la colère contre elle-même) Grosse bête !… t'as confondu. Ben, assoyez-vous là, à c't'heure, y tard'ra pus. Elle crache dans ses mains et commence à tourner une barate. Johnny : Entrant Du groin au troufignon, dans l'cochon, tout est bon. Marie-Jo : Avec les bonnes choses qu'on y donne à boulotter, crénom, ce s 'rait beau dommage que ça soye pas bon. 29 Johnny : Les bestiaux, chez nous autres, c'est pas du trafiqué. Du naturel, rien que du naturel. Marie-Jo : Pour sûr ! Jamais un granulé, rien qu' des bonnes épluchures. Johnny : Toi, au lieu d'bavasser, surveille donc ta baratte; Tu vas y faire tourner. Marie-Jo : Tais-toi donc, l'acrobate. Johnny : Avec de la bonne crème comme ça, ce s'rait pêcher que d'y louper l'beurre, dame ! Tiens, ça m'donne des idées. Le beurre, l'argent du beurre et… le cul d'la crémière. (Il se précipite sur sa femme.) Viens voir un peu par là, toi, coquine de fermière, que j'te tartine l'anneau. Marie-Jo : (Reculant) Arrête donc d'faire le fou. Non mais ! Grand dégoûtant. Tu vas m' souiller les d'ssous. Johnny : Ben quoi, c'est la nature. Va pas faire ta sucrée. Une p'tite saillie, vite fait, su' l'coin d'la tab'. Allez ! Marie-Jo : Bas les pattes. Fiche-moi donc tranquille, mon beau cochon. Johnny : Allez ! Marie-Jo : Et pis d'abord, pouah, tu sens l'saucisson. Johnny : Et alors, t'aimes pas ça l'saucisson, ma cochonne ? T'as pas toujours dit ça ? Viens là que t'amidonne. Scène 2 Philippe : La main sur la poignée de la porte restée ouverte, tousse et siffle pour calmer le jeu. Il entre. Mais c'est ce cher Blédur et sa fidèle Florence, elle est v'nue avec vous, comme on a de la chance. (En aparté aux Duchamp.) Vous, allez-y mollo… N'en faites pas des kilos. Servez des tranches plus fines. Freinez sur les impros. Blédur : Ah, enfin, vous voilà. Philippe : Vous avez bien roulé ? La route a été bonne ? Vous avez admiré comme la campagne est belle, et beaux ces paysans aux pratiques authentiques comme au bon temps d'antan. Blédur : Dites-moi, mon p'tit Deville, qu'est-ce qui se passe ici ? C'est la quatrième dimension ? Les misérables ? Retour vers le futur ? La chaumière en folie ? Florence : C'est quoi ces effusions de biodégradables ? Blédur : Ça veut dire quoi au juste ce sketch moyenâgeux ? Philippe : Ouvrez vos écoutilles, étonnez-vous les yeux. Ici, c'est le royaume des produits du terroir. On cueille à la serpette, on désherbe au sarcloir. Tout est fait à la main. Johnny : Si on nous laissait faire, on f'rait nous-mêmes, au doigt, les trous dans le Gruère. Philippe : Palpez-moi cette ambiance, imprégnez-vous des choses, captez cet univers (Il parcourt l'endroit en faisant des grands gestes et en respirant à plein poumons.) et ensuite… on en cause. Il tape deux fois dans ses mains. La musique démarre. Marie-Jo : (Chantant) La nature au naturel Tra lali lalère C'est la santé dans mon écuelle Trou lala itou Johnny : Dans mon panier j'ai un radis Tra lali lalère Qu'a poussé dans du bon terreau Dans mon panier J'ai un poireau Tra lali lalère Qu'a jamais connu la chimie Johnny et Marie-jo : La nature au naturel Tra lali lalère C'est la santé dans mon écuelle Trou lala itou 31 Larzac : (sentencieux) La terre, faut la traiter dans le style troubadour : Pour lui toucher la motte, faut y causer d'amour. Marie-Jo : Dans mon panier J'ai une tomate Johnny: Tra lali lalère Aussi jolie qu'une fraise des bois Marie-jo : Dans mon panier J'ai un p'tit pois Kevin Tra lali lalère Qu'a jamais connu les sulfates ! Kevin, Johnny, Marie-jo, Larzac : La nature au naturel Tra lali lalère C'est la santé dans mon écuelle Trou lala itou Pont musical Larzac : (Reprenant en solo) La nature, on connaît Marie-jo : On suit ça de très près Kevin, Johnny, Marie-jo, Larzac La nature, on connaît, on suit ça de très près Marie -Jo : Y'a pas d'meilleur engrais… Larzac : Y'a pas d'meilleur engrais… Johnny et Marie-Jo : (En chœur) Y'a pas d'meilleur engrais… Kevin, Johnny, Marie-jo, Larzac Que çui des cabinets !!! Que çui des ca… bi… nets !!! Tout le monde reste figé comme dans un final de music-hall. Silence. Scène 3 Philippe : (S'adressant fier de lui à Blédur) Alors ? Hein ? Balèze, non ? Ça cravache. Hein ? Non ? Hein ? Votre prochaine campagne, j'vous dis pas le coup d'poing. (Il tape dans ses mains. Les autres sortent.) Ces gens sont des vrais gens ; y'a plus qu'à les filmer. Le coup est imparable. Emballez, c'est pesé ! Blédur : Dites-moi, mon p'tit Deville, ça fait combien de temps, environ, que vous n'avez pas vu des vrais gens ? Y faut sortir un peu, visiter du pays. Florence : Y sont plus comme ça, les paysans d'aujourd'hui. Philippe : Faudrait voir terminé, là, ce n'est qu'une maquette très brute de décoffrage. Faut encore qu'on répète. Florence : Croyez-vous que la ménagère de cinquante ans, ça la fasse fantasmer, un bouseux dégoûtant qui viennent se trémousser sur une chanson idiote ? Blédur : En plus, je vous dis pas, ici, comme ça cocotte. J'suis sûr que sur un film, on la verrait, l'odeur. Florence : C'qu'il faut leur raconter, à nos consommateurs, c'est des jolies histoires, il faut les faire rêver. Blédur : Quand ils achètent mes céréales, mon riz soufflé, mes biscottes au gluten, mes yaourts aux ferments, c'est comme si je leur vendais des médicaments qui empêchent de mourir. Vous saisissez l'idée ? Philippe : Non seulement je saisis, mais vous me rassurez. Cett' petite mise en scène, à caractère agraire visait à démontrer ce qu'il ne faut pas faire. Cette direction-là est beaucoup trop… terroir. Là d'ssus on est tous super d'accord. Oh la la ! Comme on dit en jargon, c'était un repoussoir. Ah oui oui, non non non, houla, bahhh, surtout pas ! Blédur : Abrégeons, je vous prie, cette démonstration; Alors… c'est quoi, au juste, votre proposition ? Philippe : Pour moi… vos produits… sont comme des… médicaments, vous me suivez ? Qui empêchent les gens de mourir. C'est là le clem central de tout mon raisonnement, l'axe de ma stratégie… vous… voyez c'que j'veux dire ? Blédur : (Soudain très attentif) Continuez, vous commencez à m'intéresser. Et ces médicaments, comment vous les vendez ? Philippe : Je reconnais bien là votre esprit de synthèse, car c'est exactement la question qui se pose. 33 Blédur : Justement, j'vous la pose. Ça fait même bien, à l'aise, six bons mois que je vous la pose et la repose. Alors faudrait vous décider à accoucher. À cause de vous, j'ai pour trois briques d'achat d'espace qui démarrent dans trois jours. Et qu'est-ce que j'vais montrer ? Un vieux spot, qui depuis trois ans, passe et repasse. Florence : Ça y'est, les gens l'ont vu ; faut montrer autre chose ! Philippe : (Vachement d'accord avec tout ça,) Mais oui, absolument, faut un nouveau projet ; Une idée qui dépote, bordel, y faut qu'on ose ! Et si on demandait à Johnny Hallyday de dire « Que bio la vie », déguisé en courgette Blédur : Vous devriez, avec ce sens de la harangue, faire des animations dans les supermarkets. Philippe : (Saisissant la balle au bond pour reprendre du poil de la bête) Vous m'avez coupé l'herbe sur le bout de la langue. A-ni-ma-tion. Eh oui, c'est ça, la bonne idée ! On s'rait plus efficaces en dessin animé. Il reprend l'avantage. C'est un épis de blé qui s'appell'rait Toto, sympathique, rassurant, moderne, décontracté, - ce qui n'empêche en rien un côté rigolo donc, notre ami Toto, à un moment donné, tout ça dans un décor très toon, très dynamique, au détour du chemin, il rencontre un poireau qui s'est fait sulfater… et là, façon "comique", s'engage un p'tit dialogue. Le poireau :"J'ai bobo !" Gros plan sur mon Toto, qui saute dans une cocotte; tout en chantant : "Je suis un bon médicament qui empêche de mourir." Incrust, jingle, packshot. Voix off "C'est bio la vie", dit par des voix d'enfants. Silence. Moi, j'l'ai app'lé Toto, c'est pas définitif. J'ai parlé d'un poireau, on peut mettre un rosbif ! Quand on est créatif, on a toujours le doute, mais pour un premier jet, j'trouve que ça tient la route. Nouveau silence, rompu par Blédur. Blédur : Sacré Deville ! Je peux vous poser une question ? Pourquoi vous n'ach'tez pas une petite camionnette pour partir en tournée de canton en canton, vendre un peu d'épicerie, des clous, de la ruflette. Philippe : L'idée d'la camionnette, c'est dingue parc'que hier, comme quoi c'était dans l'air, comme quoi le monde est p'tit, j'y ai pensé. Ça ferait un film du tonnerre. "La bio-camionnette"… mais quelle idée d'génie ! Blédur : Deville, vous êtes un âne, vos idées sont crétines, (Il prend l'accent paysan l'instant d'une phrase) et votre agence eud' pub, je crains qu'a soye has been ! Florence, on se dépêche, il est tard, nous rentrons. Laissons ce "créatif" fumer comme un étron. Blédur et Florence sortent. Scène 4 Johnny : (Entrant) Y'aurait, comme qui dirait, du mou dans le jingle… Philippe : Alors vous, un mot d'plus, et je vous casse toute la gueule. Johnny : J'y connais pas grand-chose, mais j'vous ai vu à l'œuvre; Si c'est ça vot' métier, j'peux vous faire la manœuvre. Des histoires de Toto en dessin animé, fallait me l'dire avant, moi j'en est des tapées ! Philippe : Si j'étais à vot' place, j'évit'rais d'faire le cake, j'la mett'rais en sourdine, je fermerais mon bec. Parc'que si papinou n'achète pas ma campagne, vous et moi, c'est du kif, on se retrouve en pagne. Pour moi, c'est la faillite, pour vous, mon pied au derche. Alors, soyez malin, (Il s'approche de Johnny, qui est entré, et lui tend la main) saisissez cette perche. Vous faites c'que vous voulez, mais Blédur doit rester. (Johnny lui serre la main.) Johnny : Vous l'aurez d'main matin (Il sort un canif de sa poche) au petit déjeuner. Il sort Philippe : Ce coup-ci, attention, je sors ma botte secrète. Je dégaine le joker pour client casse-burettes… On entend le sifflement de pneu qui se dégonflent. Scène 5 Blédur entre en trombe. 35 Blédur : Vous n'devinerez jamais ce qui vient d'se passer ! J'arrive à ma voiture, j'ai les quatre pneus crevés ! Florence entre. Florence : Les quatre pneus à la fois ! Philippe : Ça, c'est pas ordinaire. Johnny : Avec autant de trous, ça doit faire courant d'air ! Blédur : Les quatre pneus en même temps, fâcheuse coïncidence… Johnny : Je dirais "mauvaise pioche", c'est la faute à pas d'chance. Blédur : Vous n'pourriez pas m'aider ? Vous n'avez pas un cric ? (Il prononce "cri") Johnny : Hein ? Comment ça un cri ? Blédur : Ben oui un cric. Un cric ! Johnny : (goguenard) Moi, j'en ai plein, des cris, qu'est-ce qu'il lui f'rait plaisir ? Le cri de la hulotte ou ben çui du tapir ? Ou le cri d'la maman quand j'y fais bien reluire. Ou le râle du Michelin, au moment qu'il expire ? Blédur : Cric comme broc, cric comme croc, un cric avec un "c"… J'ai demandé un cric, un cric pour réparer. Johnny : J'y ai bien des rustines, mais je crains qu'a soyent sec. Et j'ai pas d'chambre à air d'la roue qui va avec… Crever un samedi soir, déjà, c'est pas marrant… En plus, en rase campagne, c'est carrément rageant. Florence : Une idée rigolote : Si on dormait ici ? Blédur : Il n'en est pas question, nous rentrons à Paris. Florence : Se rouler dans le foin, sous le toit d'une grange… Blédur : Vous croyez qu'j'suis d'humeur à m'vautrer dans la fange ? Johnny : C'est vrai, elle a raison, le foin c'est confortab', c'est romantique de coucher à la belle étab'. Marie-Jo : (en catimini) Si tu veux t'retrouver avec Greenpeace au cul, t'as qu'a leur dire tout d'suite où sont planqués les fûts. Florence : (se pressant sur Blédur) Oh oui, tel du bétail, couchés à même la paille, Et vous par dessus moi qui fouissez mes entrailles… Blédur : (Se dégageant de l'étreinte de Florence.) Je veux rentrer chez moi, dormir dans un vrai lit. (à Johnny) Monsieur, soyez gentil, appelez-moi un taxi. Johnny : Un taxi ? Kézako ? Y'a pas d'ça par ici. Blédur : Un tacbar, un tacot, un tax' avec un "i". Johnny : C'est quand même formidable, v'là quelqu'un d'éduqué, qu'aurait, comme qui dirait, du mal à imprimer. On a beau y prévenir, lui répéter cent fois… Ici, c'est la campagne, des taxis… y'n n'a pas Chanson : C'qu'est bien à la campagne C'est que tout est rural Y'a rien aux alentours (Bruit d'une mouche) En r'vanche, à la campagne Pour ach'ter son journal Y faut monter au bourg (Chant d'un coq lointain) C'qu'est bien à la campagne C'est qu'on a d'la bonne air Eud'l'air y'n n'a des tas (Bruit du vent) En r'vanche à la campagne Y faut qu'ce soye bien clair Des tacots, des tacbars, des tax avec un "i" y'n n'a pas y'n n'a pas Y'n n'a pas, des taxis… (Noir) Scène 6 Philippe : Bon alors, qu'est-ce qu'y foutent, y sont toujours pas l'vés ? 37 Johnny : Elle m'avait l'air bien chaude, la mistinguette, hier… Larzac : (En douce, à Johnny) Si z'ont touché les fûts, y's'sont p't'êt' asphyxiés ! Johnny : J'penche plutôt pour l'option big partie d'jambes en l'air. Solange : (À Philippe, en faisant les cent pas) Philippe, tu comptes finir à peu près vers quelle heure ? Pour savoir jusqu'à quand, j'vais avoir mal au cœur. Silence Marine, vas-y doucement avec la charcut'rie. Prends plutôt un yoghourt. Tu veux qu'j't'épluche un fruit ? Marine : Lâche-moi avec tes fibres et tes ferments lactiques. Tout l'monde n'a pas comme toi, le transit(e) critique. J'ai soif de camembert, j'aspire à l'andouillette. Laisse-moi prendr' des vacances au pays des rillettes. Solange : Pour attraper des plaques toutes rouges plein la figure ? Bon, moi, si c'est comme ça, j'attends dans la voiture. (Elle sort) Scène 7 Philippe : Voyant Florence arriver. Bonjour Florence, Bonjour Gérard. Déjà debout ? Blédur : (La main sur le front) Debout ? Le mot est fort. Johnny : C'est ça, de faire les fous… Florence : Vous avez d'l'aspirine, j'ai la tête en compote, J'suis naze, j'ai mal partout, j'ai chaud, j'ai la tremblote… Johnny : Chez nous on appelle ça, la descente de plumard. Estimez-vous heureuse de pouvoir vous asseoir. Florence : J'peux poser une question à propos de votre étable ? C'est normal cette odeur franch'ment abominable ? Blédur : C'est quoi exactement, les bêtes que vous élevez ? Des cochons vachement morts, des veaux très décédés ? Ça pue énormément ! Florence : Ça, pour ça… ça ramone. Johnny : Ça sent un peu l'fumier… mais ça dérange personne. Blédur : Si ça sentait la bouse, on pourrait s'repérer ! Florence : Ça cogne, c'est pire que tout, j'suis comme sulfurisée ! Blédur : Le fumier, on connaît, mais là, c'est pas humain. Ça vient d'une autre planète, c'est au-d'là du purin ! Philippe : Quelle verve magnifique, et de si bon matin ! Vous prenez des biscottes, j'vous fais griller du pain ? On dit que le hussard sortant d'une levrette, de son œuf coq a bien mérité la mouillette. Blédur : Ce matin, merci bien, j'ai pas trop d'appétit. Donnez-moi un Pam Pam, du Banga, du Kiri… Philippe : (S'adressant à Johnny) Un côté rock'n'roll, une grande simplicité, j'le crois pas le charisme… Qu'est-ce qu'y peut dégagez ! Mais pour la ménagère, ce serait une idole, le grand frère, le copain… Johnny : … une lumière, un symbole… Philippe : (prenant Johnny à témoin) Ce Blédur, quel bonhomme ! Quel seigneur ! Philippe : Quel Monsieur ! Cette façon de bouger… Ses mains, ses pieds, ses yeux ! Blédur : Écoutez, les garçons, je déteste le vélo, et je préviens tout de suite, je ne fais pas les slows ! Philippe : Purée, la répartie ! Vous avez vu l'humour ? C'est le nouveau Coluche… Johnny : … mais en beaucoup moins lourd ! Blédur : Arrêtez, vous m'gênez, vous allez m'faire rougir. Philippe : Et cette humilité, j'suis vert… C'est du délire ! Gérard, soyez gentil, juste pour voir, marchez. Allez-y, quelques pas, un truc à vérifier… Blédur : Enfin, c'est ridicule, où voulez-vous que j'aille ? Philippe : Gégé, je vous en prie, marchez… (Blédur, un peu gauche, obéit) encore, aïe aïe ! (se tournant vers Johnny) À noter, grande aisance, belle façon d'se mouvoir… Johnny : Dans sa locomotion, y'a comme du léopard. 39 Blédur : (un peu gauche en en faisant des tonnes) Là, j'le fais naturel, je mets aucun effet. Philippe : Surtout ne changez rien, c'est pour ça que ça l'fait ! (se tournant vers Johnny) Il est pile poil dedans. Johnny : C'est à halluciner. Philippe : Il est fait pour le rôle… Johnny : … Y'a pas à tortiller… Blédur : Mais enfin, j'vous en prie, qu'est-ce qui y'a, qu'est-ce que j'ai ? Philippe : Vous feriez du cinoche, vous auriez du succès. Blédur : (flatté) C'est vrai qu'étant plus jeune, j'ai un peu tâtonné, d'abord chez les louveteaux, et ensuite au lycée. On montait des saynètes, tout ça sans prétention, j'avais un genre de jeu un peu… "à la Delon"… Philippe : Vous parlez, vous parlez, vos paroles je les bois, et pourtant je vous jure que je n'écoutais pas. Vous avez une façon de présenter les choses, c'est du n'importe quoi et en même temps… ça cause. Johnny : Un exemple limite, vous me dites : "c'est extra, quand on perd ses cheveux, de manger du caca." Bon, comme ça, j'suis d'accord, ça peut paraître idiot, mais si c'est vous qui l'dites, moi j'en bouffe des kilos. Blédur : On ne se refait pas, c'est un peu mon malheur, c'est vrai, j'ai ce défaut, je parle avec mon cœur. Johnny : "Parler avec son cœur"… franchement, fallait oser… Mais comme ça vient de vous, on est hynoptisés. Silence Blédur : Vous croyez ? Philippe : Johnny : Je crois pas, je suis sûr. … Et certain ! J'y ai gobé tout d'suite, pourtant j'y connais rien. Blédur : Amusé. C'est drôle ce que vous dites, parc'qu'à vous écouter, c'est moi qui devrais faire toutes mes publicités. Philippe : Eh ben voilà, on y est, on y vient gentiment ! (Il fait tourner ses doigts autour de ses tempes pour bien montrer que la mécanique s'est mise en route dans la tête) Johnny : Y comprend très vite, mais y percute tout douc'ment… Philippe : (Il ouvre la porte d'entrée pour crier dans le jardin) Marine, le camescope ! Il est dans la voiture ! Duchamp, un tabouret pour notre ami Blédur ! … Je vois ça hypra simple, dépouillerie absolue. Un plan fixe, le rideau, virez-moi ce bahut ! Blédur, face caméra, qui parle avec son cœur… S'il connaît bien son texte, c'est en boîte en une heure ! Noir. Scène 8 Johnny : "Du naturel, et rien qu'du naturel", première. Philippe : Action ! Blédur : Qu'est-ce que j'dois dire ? (chuchotant) Philippe : (chuchotant également en faisant signe que ça continue à tourner) Essayez d'être sincère. Blédur : Oui, ça j'ai bien compris, mais j'ai rien préparé. Philippe : Vous restez naturel, faut pas faire compliqué. Blédur : (Il cherche ses mots.… ne trouve pas) Ça va ? J'suis bien peigné, j'ai pas le nez qui brille ? Philippe : (A la cantonade) On enchaîne, les enfants, allons-y, on enquille ! Blédur : (cherchant toujours ses mots) J'peux dire… que mes produits sont vraiment… délicieux… … et qu'on peut les acheter… en fermant… tous les yeux. Philippe : Mouais… pas mal… Johnny : Philippe : C'est champion ! … Mais on va s'en r'faire une. Johnny : Ça, c'était pour du beurre, ça comptait pour des prunes. Blédur : Dites-moi, à propos de prune, z'auriez pas du cognac ? Quelque chose qui détend, j'ai peur d'avoir le trac. Larzac : Si c'est pour le coup d'fouet, moi j'ai bien quelque chose, 41 mais c'est du virulent, faut respecter les doses. Johnny : Tu travailles du chapiôt ! Pas la goutte au pépère !!! Tu veux nous l'faire danser "Trabadja la mouquère" ? Blédur : De la goutte au pépère ? J'la sens bien votre histoire. Larzac : Ça, pour des gens noués, c'est un bon décoinçoir. Philippe : Les enfants, on lambine, on s'éloigne du sujet. Si Blédur est coinç'man, qu'on lui file un godet. Blédur prend un verre qu'il siffle d'un trait. Blédur : J'm'attendais à d'la gnôle, mais c'est frais au palais. Larzac : C'est bien là qu'est le piège, ça r'semble au Dubonnet. Philippe : (Portant la voix) On se remet en place, on reste concentré. Kevin : Silence sur le plateau, on va se la tourner ! Blédur : R'mettez-m'en un p'tit coup, c'est vrai, ça détend bien ; C'est peut-être pas du raide… mais ça file le gourdin ! (Il boit cul sec et change de ton) Bon alors, on y va ? Qu'est-ce qu'on peut perdre comme temps ! C'est pas professionnel, y'a une heure que j'attends. Philippe : On se remet en place, on n'joue pas les vedettes, on s'méfie des boissons qui font grossir la tête. Blédur : On est metteur en scène, on évite de s'la jouer. On ramène la bouteille, on s'en r'met une giclée. Il joint le geste à la parole. Philippe : (Parlant aux cieux) Jésus, Yahvé, Allah, Gouda, Khrishnou, Vishna, on forme une vraie équipe, on est fort, on y croit. Il se tourne vers Blédur. Alors, on est gentil, on arrête de téter, (Il prend le verre des mains de Blédur pou aller le poser hors de portée) Et on vend sa salade avec sincérité… Moteur demandé ! Marine : Philippe : Johnny : Philippe : Ça tourne. Clap ! Deuxième ! Action ! Un temps Blédur : Est-ce que ce s'rait possib' d'en ravoir un gorgeon ? Philippe : Non, ça, c'est pas possib' ! Silence, on laisse tourner ! Blédur attrape un verre et le siffle, se rajuste, se racle un peu la gorge, adopte une attitude délibérément décontractée, et plante un regard qui se veut très convaincant dans l'objectif de la caméra. Il a l'air un peu allumé. Blédur : Mon cheval de bataille, c'est la bio-qualité. Perles d'avoine soufflées, beau maïs en pétales, On m'appelle Bioman, The King of Céréales. Au travers de sa gamme de produits garantis, "C'est bio la vie", (Il pointe un index droit vers la caméra) pour vous… c'est la sève de la vie. Ceci étant posé, en toute sincérité, (La tête renversée, il aspire bruyamment son verre en tapant sur le fond pour faire descendre la dernière goutte) … si j'fais dans la culture, c'est surtout pour le blé. Il explose de rire. … Ai-je besoin d'préciser, espèce de bande de cons, que quand je parle de blé, il s'agit d'vot' pognon !? Johnny : C'est ça l'inconvénient de la goutte au pépère, Larzac : t'as pas fini ton verre, que déjà t'es sincère. Florence : Ce que veut dire Gérard, dans son langage à lui, c'est qu'il est très content qu'on soit tous réunis. Bon, ceci étant dit, comme on est tous des pros, on va prendre cinq minutes pour lui choisir ses mots. Blédur : Qu'est-ce qu'on en a à foutre, on parle à des blaireaux qui sont prêts à raquer deux cents balles le kilo, des farines de soja, des galettes de mes deux, et toi tu veux leur faire des phrases à ces pouilleux ? Aboulez votre oseille, on sait la faire pousser, faites briller les patates, et surtout faites pas chier. Florence : C'est sans doute par soucis d'aller à l'essentiel, que Gérard prend l'option d'un parler naturel. Blédur : Mais qu'est-ce qu'y croient, les mecs, la bouffe biologique, pour qu'y en ait pour tous, faut des engrais chimiques. Sinon, t'as deux poireaux, trois carottes, un p'tit pois. Et comment je fais, moi, pour acheter mon foie gras ? Comment j'paye mes piscines, sans apport de sulfates ? J'fais quoi d'un jet privé, sans l'appui des phosphates ? Éponger le gogo, c'est ça mon industrie. 43 Je suis le Fantômas de la bio-escroqu'rie. (Il entame une danse obscène) Poil, chié, bite, con, couille, cul, topinambour, navet, salsifis, trou des fesses, crotte de nez… (D'un seul coup, il s'immobilise) Prout, bidet… (Il tombe dans le coma) Larzac : Pas d'panique, c'est normal, c'est un effet s'condaire. (Regardant Blédur à terre) Il a fait un peu fort sur la goutte au pépère. Florence : On annule tout, coupez, pouce mouillé, on arrête, on oublie, on efface, donnez-moi cett' cassette. Philippe : Mais Florence, calmez-vous, y'a pas d'mine, tout va bien. J'ai des choses très très bonnes. Notre film on le tient. Florence : Vous voulez plaisanter, il a dit des horreurs. Johnny : C'est vrai qu'il s'est lâché. Il y a mis du cœur. Marine : Ce type est un pourri. Kevin : Y m'donne envie d'vomir. Larzac : Il a tombé le masque, grâce à mon élixir. Philippe : Il est vrai que Gérard, tout à son euphorie, s'est p't'êtr' laissé aller à dire deux trois conn'ries, mais tout ça c'est pas grave. Avec un bon montage, j'ai c'qui faut comme matière pour tous les rattrapages. Florence : Mais le nom du produit, il ne l'a dit qu'une fois. Philippe : un p'tit "copier-coller" va nous arranger ça. Tout est sous mon contrôle; pas d'lézard, y'a pas d' suif. On va faire un film jeune, convivial et festif. Blédur se réveille Blédur : Allo, où en étais-je ? On n'a pas dit d'bêtises ? Marine : (L'œil encore rivé à l'œilleton de la caméra.) C'était tell'ment sensass qu'on n'en a fait qu'une prise. Noir Scène 9 La lumière a changé. On est plus tard dans la journée. Philippe, très dynamique, entre avec un ordinateur portable. Il le pose et l'ouvre. Philippe : Je nous ai fignolé, moi-même sur le portable, un petit trente secondes carrément redoutable. C'est sympa, c'est enlevé, Gérard est convaincant. Florence, venez voir ça sur le petit écran. En plus, c'qui n'gâte rien, la lumière est jolie. (Commentant ce qu'il fait) Je me branche, on se cale… attention… c'est parti. Il tape sur une touche du clavier d'ordi. Sur l'écran défile un montage de plans "très choisis". Blédur : Oseille/ galette/ patate/ poireaux/ carotte/ p'tit pois/ Topinambour/ navet/ salsifis/ mon foie gras/ la bouffe biologique/ on sait la faire pousser/ Mon cheval de bataille/ c'est la bio-qualité/ Ai-je besoin d'préciser/ sans apport de sulfates/ en toute sincérité/ sans l'appui des phosphates/ on s'en r'met une giclée/ "c'est bio/ "c'est bio la vie"/ "C'est bio la vie" "C'est bio la vie" "C'est bio la vie", pour vous, c'est la sève de la vie/ (Le plan se gèle). Philippe : Alors ? Florence : Là, cher Philippe, je vous tire mon chapeau. Ce spot, je dois admettre, fait très bien son boulot. Gérard est très sincère, très pointu, dynamique, et surtout, je dois dire, extrêm'ment sympathique. Philippe : Notre campagne démarre lundi. Florence : Faut pas qu'on traîne. Philippe : Le temps d'faire les copies, lundi c'est à l'antenne. Scène 10 Marine : (Entrant d'un pas décidé.) Papa, c'est trop horrible, j'arrive pas à y croire Ils ont fait d'la baraque, un méga dépotoir. Johnny : Kevin, qu'est-ce que t'as fait ? Kevin : J'ai montré le ruisseau, elle a vu les corbeaux, elle sait qu'on est crados. 45 Johnny : T'as fait ça, malheureux ? Philippe : Marine, qu'est-ce qu'y se passe ? Marine : Il se passe que ces gens sont des gros dégueulasses, d'ignobles trafiquants de produits très chimiques. Ils ont truffé le sol de fûts hypra toxiques. Johnny : Dans ces fûts, si ça s'trouve, y'a p't'êt' des trucs à vous. Votre dernière vidange, vous l'avez fait faire où ? Philippe : Je n'vois pas le rapport, vous noyez le poisson. J'vois pas c'que j'ai à voir avec vos pollutions. Larzac : Je pète, tu pètes, on pète, dans un même ascenseur. Y'a toujours quelque part, retour à l'envoyeur. Philippe : Salir la terre des autres, on n'en a pas le droit. C'est abject, c'est immonde; Et vous faites ça chez moi ! Johnny : Et vous, c'est mieux, peut-être, de faire de la réclame, de vanter des produits que vous savez infâmes ? Blédur : Je ne vous permets pas. Toutes nos fabrications sont un gage de santé. Mes produits sont très bons. Et je vous le rappelle, "C'est bio la vie", c'est moi. J'ai fait du naturel, ma profession de foi. Marie-Jo : Profession de foireux échelle industrielle, plutôt, vous croyez pas ? Blédur : (À Philippe) Pourquoi cette querelle ? Philippe : Ne faites pas attention, Marie-Jo vous taquine. Kevin : On connaît, Fantômas, tes sordides combines. Marine : "Éponger le gogo, c'est ça mon industrie", ça vous rappelle rien ? Philippe : Bon, Marine, ça suffit. (à Johnny et Marie-Jo, en aparté) Vous, les empoisonneurs, je ne veux plus vous voir. Allez faire vos valises. Quittez mon territoire. Blédur : On me cache des choses. Philippe : Mais non, mais pas du tout. Blédur : Pourquoi à mon égard, ces propos aigre-doux ? Florence : Mais qu'allez-vous chercher ? Blédur : Vous parlez tous en code. J'ai l'impression d'avoir loupé un épisode. Florence : S'il y a un épisode que vous avez manqué, c'est le film formidable que Philippe m'a montré. Notre nouvelle campagne, Gérard, ça y'est, on l'a. Philippe : Grande efficacité. On va faire un tabac. Florence : D'ailleurs, mon cher Philippe, y faudrait pas chaumer. On a tout just' le temps de livrer les télés. Passez-moi le master et je fonce à Paris, comme ça, dès d'main matin, je procède aux copies. Elle sort 47 ACTE III Scène 1 Solange : (Entrant toute pimpante) J'sais pas c'que j'ai, c'matin, j'trouve que la vie est chouette. Tiens, si j'en avais une, je jouerais d'la trompette. (Elle ouvre les rideaux) Les batt'ments de nos cœurs font chanter les matins. La vie, bordel de merde, la vache, qu'est-ce que c'est bien. L'amour à la campagne, c'est comme un cheval fou. Marine : (Entrant toute guillerette) Bonjour ma p'tite maman. Solange : à ta moumoune chérie. Viens faire un gros poutou Marine : L'amour, ça t'réussit. Dis donc, toi, t'as la forme. Solange : J'ai une pêche énorme ! Je ne peux pas te dire ce que ton père m'a fait. Moi, j'étais le violon, et lui, c'était l'archet. Il me l'a joué classique jusqu'à minuit et d'mie, après ce fut tam tam, pipeau et bouzouki. Sur des rythmes endiablés aux accents de vaudou, il m'a inoculé sa fièvre du biniou. Puis, au petit matin, à l'heure de l'armistice, il m'a lâché sa meute de trombones à coulisse. Marine : Y'a pas mieux qu'être à deux pour ce genre de musique. Tu sais, pour moi aussi, ce fut une nuit magique. Solange : (Descendant soudain de son nuage) Comment ? Qu'est-ce que t'as dit ? Une nuit magique à deux ? Où est-ce que t'as dormi ? Regard' moi dans les yeux. Hola, t'as une p'tite mine. T'as pas fait des bêtises, au moins ? Et cette tenue ? D'où elle vient cette chemise ? Marine : On est en 2005, faut t'réveiller, houhou. Y'a pas qu'toi et papa qui jouez du biniou. Solange : Marine, ne me dis pas que ce garçon et toi ?… Marine : Et si. Solange : Comment ? Marine : Ben oui. Solange : Mais tu l'connais même pas. Marine : Ben, maint'nant on s'connaît. Faut un début à tout. Solange : Mais enfin, c'est grotesque. Vous êtes allés jusqu'où ? Marine : Tu voudrais quand même pas que j'te fasse un dessin ? Solange : Je rêve ! Vous avez pris vos précautions, au moins ? Marine : Là, ça devient sordide. Solange : T'as fait ta p'tite toilette ? Marine : Maman, le prends pas mal, mais tu m'casses les roupettes. C'est dingue, comment tu fais, dis-moi, t'as un secret, pour systématiquement, être à côté d'la plaque ? Il faut qu'tu t'mêles de tout, que t'en fasses des paquets. Tu pourrais pas des fois me lâcher l'anorak ? La musique démarre. Marine commence à chanter. Pourquoi faut des patins, dans la salle à manger ? Pourquoi absolument, des housses sur les fauteuils ? Pourquoi, tous les mardis, y'a des endives braisées, et tous les vendredis, de la soupe au cerfeuil ? Pourquoi t'évertues-tu à faire des confitures? Toujours deux fois trop cuites ou trois fois trop sucrées. Pourquoi n'a t'on jamais des vrais sacs à ordures, Pourquoi toujours se trimballer ces vieux pochons tout crevés ? Pourquoi, maman, faut-il se taire pendant la météo, si c'est pour dire après, qu'ils n'y connaissent rien ? Pourquoi, quand y marchent plus, maman, garder les vieux stylos ? Pourquoi les cabinets, t'appelles ça le p'tit coin ? Maman, ma p'tite maman, j'pourrai jamais t'changer. J't'adore, ma p'tite maman, mais tu me casses les pieds. Pourquoi, tous les dimanches, au moment du café, tu parles pendant des heures, tout en tripotant des miettes ? Pourquoi t'as décidé qu'en dessous de vingt degrés, Faut mettre des moufles et des cache-nez plus trois grosses paires de chaussettes ? 49 Dis-moi pourquoi, maman, c'est moi qui devrais décider pour qui tu dois voter, si t'en fais qu'à ta tête ? Pourquoi toutes tes photos, maman, elles sont toujours toutes ratées ? Pourquoi, avec la glace, y'a toujours des gaufrettes ? Refrain Maman, ma p'tite maman, j'pourrai jamais t'changer. J't'adore, ma p'tite maman, mais tu me casses les pieds. Quand tu repasses un jean, pourquoi tu fais un plis. Pourquoi tu me tricotes des pull-overs marron ? Pourquoi le bon pain frais, faut le manger rassis, parc'qu'il nous faut d'abord finir les vieux croûtons ? Pourquoi dès le matin, avant même le café, faudrait déjà savoir c'qu'on va manger le soir ? Pourquoi avec papa, quand vous sortez dîner, tu t'colles autour du cou cette étole de renard ? Tout l'monde déteste ça, pourquoi t'achètes des blettes ? Pourquoi tu lis Voici, pourquoi tu lis Gala ? Pourquoi tu laves à fond, les verres et les assiettes, avant d'les mettre au lave-vaisselle ? Ça sert à quoi ? Maman, ma p'tite maman, j'pourrai jamais t'changer. J't'adore, ma p'tite maman, mais tu me casses les pieds. Maman, ma p'tite maman, ma p'tite mère préférée, même quand j'aurai cent ans, j's'rai toujours ton bébé. La musique s'arrête. Marine sort. Scène 2 Philippe : (S'adressant à Johnny par la fenêtre) Dites-moi, Monsieur Johnny, tous ces bidons toxiques, vos carcasses de vaches folles, vos déchets atomiques, simple curiosité, il faudrait combien d'temps pour tout débarrasser, approximativement ? Johnny : Entrant, chargé de valises. Vous savez, ces trucs-là, faut pas trop les remuer. Y'a aucun avantage à les manipuler. Philippe : Oui, mais imaginez que vous n'ayez pas le choix. Johnny : (Posant son fardeau près des bagages) Dans ce cas, je dirais qu'on peut s'faire du tracas. Philippe : Oui mais, d’un autre côté, ces ordures sont à vous. Et puisque vous partez, le mieux c'est d'emmener tout. Solange : C'est quand même formidable ! Vous v'nez bien gentiment dans vot' maison d'campagne, passer un bon moment, et là, vous découvrez une bande de gougnafiers, qui pendant votre absence, vous a tout cochonné. C'est quand même un peu fort ! Philippe : Ne les chargeons pas trop. Ces gens sont raisonnables, ils vont mettre le turbo. Avec de l'huile de coude et d'la bonne volonté, leur p'tit déménagement, en trois jours, c'est réglé. Blédur : (Entrant) La campagne c'est très chouette, j'vais y v'nir plus souvent. Je n'connaissais pas l'coin, mais c'est époustouflant. Un train de pneus d'occase, pour seul'ment mille euros, moi, j'dis, viv' la cambrousse ! Gloire à tous ces blaireaux ! Son mobile sonne. Il décroche Blédur : Allô ?… C'est vous Florence, alors, où en est-on ? Oh, oh !… Mais j'espère bien qu'on va faire un carton. Juste après le J.T ? Aaah !… j'ai hâte de voir ça. Un pot, ici, ce soir ? Bonne idée, pourquoi pas ? Moi aussi. A plus tard. Il ferme son portable. Bon, moi, j'vais y r'tourner. J'ai vu qu'à cinquante bornes y'avait un vide grenier. A l'adresse de Philippe. Ah, au fait, pour ce soir, pour fêter ma campagne, prévoyez quelque chose autour d'un peu d'champagne. Il sort. Solange : Marie-Jo, mon petit, préparez pour ce soir, Crackers, Apéricubes, Chipsters et tout l'bazar. (Elle prononce les noms de marques avec un fort accent américain) Et là, tu vois Philippe, ce grand mur, on l'abat. Ici on fait un bar… Là une grande véranda… Philippe : On met la pierre à nu, on vire le vieux crépi. Dans la grange, y'a la place pour mettre un jacuzzi. Et pis là, t'as raison, y faut une grande verrière. Solange : Mais comment font ces gens pour vivre sans lumière ? Scène 3 51 Johnny : Marie-Jo, qu'est-ce tu fous ? Marie-Jo : Ben, j'prépare le buffet. Ce soir, y font la teuf. Johnny : La teuf, non mais oh eh ! En quoi ça nous concerne, puisqu'on doit dégager ? Marie-Jo : Fais pas ta tête de lard, ça peut pt'être s'arranger. Un temps Faudrait combien d'camions, pour tout débarrasser ? Johnny : J'avoue qu'j'ai un peu d'mal à bien visualiser. Marie-Jo : Bad trip ? Johnny : No good. Marie-Jo : Johnny : Pas cool ? Très mauvaises vibrations. If you want mon avis : We got it in the fion. Noir. Scène 4 La Narratrice et la Mime entrent. La Narratrice : L’horloge comtoise, les saucisses et la baratte… disparus. La grande table a été poussée contre le mur et recouverte d’un drap blanc. Le plateau de cochonnailles, les cure-dents et les olives y sont avancés. L’écran plasma est éteint mais il a repris sa place d’honneur devant le canapé. Quelques lampions épars donnent un air de fête à la pénombre bleutée de ce début de soirée. Dans la lucarne, la Lune est là, pleine et souriante, qui commence à monter. La Narratrice et la Mime sortent. Solange : Marie-Jo, j'vous en prie, restez pas plantée là. Bougez-vous… aidez-moi… mais non… mais pas comme ça. Qu'est-ce qu'elle est empotée, quelle cruche ! Laissez-moi faire. Tiens, sans vous commander, allez chercher les verres. Philippe : Ah, j'ai hâte de voir ça. J'suis vraiment impatient. Y'aurait pas un chiffon pour nettoyer l'écran ? Solange : Alors monsieur Johnny, lui, il baye aux corneilles ! C'est pas trop lui d'mander d'apporter les bouteilles ? Philippe : (Essuyant l'écran avec un torchon) L'image devrait être bonne, le lumière est jolie. C'est surtout pour le son que j'me fais du souci. J'espère qu'on entend bien, qu'on comprend tous les mots. Solange : (En tapant dans les mains aux oreilles de Marie-Jo) Faudrait couper du pain, mettr' de l'eau dans les brocs. Philippe : Et Blédur, qu'est-ce qu'il fout ? On passe dans un quart d'heure. Solange : (Tapant toujours des mains aux oreilles de Marie-Jo) Marie-Jo, ça lambine, occupez-vous des fleurs ! Scène 5 Philippe : Ah, la voilà enfin, celle que nous attendions, notre future vedette de la télévision. Blédur : (il reprend son pot à lait et regarde autour de lui) Dites-moi, mon p'tit Philippe, ôtez-moi donc d'un doute, Nous n'avions pas convenu de s'faire un p'tit raout ? Philippe : On attendait la pub pour commencer la fête… Solange : Marie-Jo, procédez au lâcher de d'cacahuètes. Philippe : Bon ben, c'est pas tout ça, moi, j'allume la télé. C'est juste après l'journal, il faudrait pas l'rater. Blédur : Au fait, où est Florence ? Philippe : Solange : C'est vrai. Qu'est-ce qu'elle fabrique ? C'est elle qu'a ma bagnole… J'espère qu'y'a pas un hic ! Philippe : Quoi, quoi, quoi ? Qu'est-ce qu'y dit ? J'vous en prie, taisez-vous ! Attention, chut, j'ai l'impression qu'il parle de nous. 53 Un journaliste apparaît à l'écran. Le journaliste T.V : L'entreprise en question s'appelle "C'est Bio la vie". Mais regardez plutôt, c'est pas joli, joli. Une femme apparaît en silhouette pour rester incognito. La femme incognito : Je suis en possession de certains documents; (Elle boit une gorgée dans une fiole qu'elle tient d'une main tremblante) Je connais certaines choses sur certains agissements de certains responsables de certaines industries agro-alimentaires. (Elle reboit une gorgée) J'ai des preuves à l'appui. Blédur : (dans le moniteur) Qu'est-ce qu'on en a à foutre, on parle à des blaireaux qui sont prêts à raquer deux cents balles le kilo, des farines de soja, des galettes de mes deux, et toi tu veux leur faire des phrases à ces pouilleux ? Éponger le gogo, c'est ça mon industrie. Je suis le Fantômas de la bio escroqu'rie. La femme incognito : (Le doigt pointé vers le moniteur) Comme vous le constatez, Elle reboit une gorgée. cet homme est une ordure. "C'est bio la vie", c'est lui… (Elle reboit une gorgée) et son nom, c'est Blédur. Blédur : (le doigt pointé sur l'écran, il exulte) Cette femme n'existe pas. N'écoutez pas c'qu'elle dit ! C'est pas moi, dans ce film. Ils ont pris un sosie. Marine : Moi, je trouve ça génial. Philippe : J'le crois pas, la galère. Solange : Ça sent un peu l'pâté. Kevin : Vive la goutte au pépère ! Le journaliste T.V : Réaction immédiate des services de santé: Interdiction totale de toute publicité. L'usine "C'est bio la vie", devrait être détruite. Quant à Gérard Blédur, il aurait pris la fuite. Blédur : (Pointant du doigt la télé) C'est pas vrai, c'est pas moi, c'est une machination. Détruisez sur le champ toutes les télévisions ! Scène 6 Florence apparaît à la porte. Blédur : Je n'ai jamais dit ça, c'est pas moi ce verrat ! Découvrant Florence. Ah, Florence, vous êtes là. Dites-leur que c'est pas moi ! Marine : Et comment qu'c'était vous ! Blédur : Vous, j'vous ai pas sonnée… Kevin : Blédur, t'es un gros porc Blédur : Espèce de mal élevé. Et qui c'est cette salope avec ses lunettes noires ? Florence : Cette salope, c'était moi. Blédur : Vous! ?! Florence : Moi. Blédur : Non. Florence : Si Gérard. Blédur : Elle est schtarbée d'la tête ! Je vais la déchiqueter ! Qu'on me donne une fourchette, pour que je l'énuclée. Philippe : Il a raison, Gérard, apportez des fagots. On va la calciner, lui concasser les os. Florence : (S'adressant à Blédur) Le spectacle de vous, pataugeant dans la boue, m'était insupportable. J'ai trahi, je l'avoue. (Elle sort de son sac une fiole et boit une gorgée) Vos manières de goret gâchent en vous le félin. Vous sauver de vous-même était mon seul dessein. Je vous aime, Gérard, et cette félonie est le prix à payer pour changer notre vie. L'amour est notre guide (Elle boit), marchons vers lumière. (Elle reboit) Repartons à zéro, sans regarder derrière. Marine : (Elle attrape la fiole, s'en tape une gorgée. Vidangeons nos consciences ! Dégazons nos cervelles ! Kevin : Prenant à son tour la fiole, il boit. Air pur… Azur… Eau claire. Vive la vie nouvelle ! 55 Blédur : Une vie nouvelle, tu parles ! (Il prend la fiole et boit) Dix ans dans un cachot. Florence : Gérard, je t'attendrai vingt-cinq ans, s'il le faut. Tout ce temps devant nous, c'est une chance à saisir, (Elle lui reprend la fiole) une occasion unique (Elle reboit) de tout faire refleurir. Solange : Elle a raison Florence, il faut planter des fleurs, Faire pousser des légumes, (Elle prend la fiole à Florence et boit une bonne lampée) c'est ça le vrai bonheur. Philippe : Solange, soyons lucides, après c'qu'y s'est passé, on est au fond du gouffre, mon agence est grillée. Solange : Ma décision est prise : Moi, je m'installe ici. Pas question une seconde (Elle reprend la fiole et boit) de rentrer à Paris. Marine : J'ai soif de haricots. Je tends vers l'aubergine. J'veux m'rouler dans les blés. (Elle prend la fiole et boit) Jusqu'à faire d'la farine. Philippe : Mais arrêtez d'rêver, le terrain est pourri. (Il attrappe la fiole et boit) Ce s'rait un crime de guerre d'y planter UN radis. Johnny : Le travail de la terre, les semis, les moissons… Savoir planter quelles graines à quel genre de saison. (Reprenant son accent paysan) Nous, tout ça, on sait faire. C'est dommage on s'en va. Sinon, vous pensez bien… Mais enfin, c'est comme ça. Bon, alors, en revoir. Faut pas trop qu'on lambine. (Il prend deux grosses valises) Ce s'rait quand même ballot d'y louper la Micheline. Philippe : Attendez, attendez. On est tous à la rue. Faut voir les choses en face, l'impasse est sans issue. Solange : Sans vous, on ne peut rien. Nous laissez pas tomber. Philippe : Vous êtes ici chez vous. J'vous en supplie, restez. Larzac : Quand les rois des menteurs commencent à être sincères, c'est qu'ils ont dans leurs verres, de la goutte au pépère. Marie-Jo et Johnny lâchent lourdement leurs valises. Johnny : (Il prend un verre, le lève et le regarde, comme fasciné. La musique démarre. Il chante.) Papa, tes plantations, si on en met partout, on fait combien d'bouteilles ? Larzac : Ça peut en faire beaucoup. Johnny: (Il boit son verre cul sec) Une boisson rigolote qui tire les vers du nez, si c'était ça l'idée qu'il fallait cultiver ? Imaginez l'délire aux comptoirs des bistrots. C'est succès garanti à l'heure de l'apéro. J'connais pas un foyer qu'aurait pas sa bouteille. Ne s'rait-ce que pour savoir où est l'argent d'la vieille. Philippe : (Il regarde la fiole à bout de bras) Plus fort qu'une boisson, ce drink est un concept; Si on communique bien, ça peut faire des adeptes. Marine : J'suis sûre que ça march'rait si on s'y mettait tous. Solange : On met tout en commun, on fait comme un kibboutz. Kevin : Nous deux, avec Papi, on s'occupe des cultures. Larzac : Dans la grande tradition du respect d'la nature. Blédur : J'peux vous avoir des prix, sur le fumier chimique. Johnny: Sacré Gérard Blédur, toujours aussi comique ! L'herbe qui sert à faire la bonne goutte au pépère ne supporte rien d'autre que le fruit des waters Une bonne terre se travaille à l'engrais animal, (Posant une lourde main sur l'épaule de Blédur) Larzac : Blédur s'ra responsable de la matière fécale. Marine : J'me charge de l'arrosage. Solange : J'organise la cueillette. Johnny : Moi, j'assure le transport, la gestion des brouettes. Marie-Jo : J'irai chercher du bois pour chauffer l'alambic. Philippe : J'propose un packaging d'inspiration rustique. "Goutte au pépère" écrit en gothique, à la main. 57 Avec un cachet d'cire, comme sur les parchemins. Johnny : Avec des vieux tonneaux, on construit une buvette. (Faisant comme s'il lisait un calicot) "Dégustation gratuite à tous ceux qui achètent." Marine : J'suis au bord de chialer, tell'ment j'ai du bonheur; C'est hyper formidable qu'on soit tous together. Kevin : Du cruchon séculaire jaillit la vérité. Vive la Goutte au pépère qui nous a rassemblés. Solange : Vive la goutte au pépère ! Florence : Vive la vérité ! Philippe, Johnny et Marie-Jo : (A l'unisson) Vive la goutte au pépère qui nous a rassemblés. Marine : La Terre est toute petite, Kevin : en bleu, elle est grandiose. Marine et Kevin : c'est du bleu qu'il nous faut, pour voir la vie en rose. Tout le monde en chœur : Du bleu, ô oui, du bleu, du bleu à haute dose, c'est du bleu qu'il nous faut, pour voir la vie en rose. Tout le monde en chœur : Vive la goutte au pépère ! Vive la vérité ! Vive la goutte au pépère qui nous a rassemblés. Fin