on ne compte pas pour des prunes

Transcription

on ne compte pas pour des prunes
On ne compte pas
pour des prunes !
Des jeunes filles font entendre leur voix
« J’aime beaucoup parler mais il y a personne à
qui je peux me confier. Parfois, j’ai comme l’impression que je n’existe pas, qu’on ne me voit pas, personne ne me remarque. L’idée de la brochure, cela
m’a donné envie. Je me suis dit : “Chouette, je serai
dans un petit livre”. Ça me fait du bien de savoir que
même en étant petite, il y a des gens qui savent que
je suis là et qui penseront à moi. »
Noémi, 19 ans
avant-propos
S
i l’égalité entre les femmes et les hommes progresse,
force est de constater que les jeunes femmes et les
jeunes filles sont encore victimes de stéréotypes et
d’inégalités qui limitent trop souvent leur vie scolaire, professionnelle, familiale et sociale.
De plus, quasiment absentes de l’espace public, elles sont
peu consultées pour donner leurs opinions sur le monde
dans lequel elles vivent. Ce manque de visibilité s’accentue
pour celles issues de milieux moins favorisés et d’origines
diverses, souvent mises à l’écart du processus décisionnel.
Le but de cette brochure est donc de récolter la parole des
jeunes filles et de mettre en lumière la richesse de leurs
réflexions, leurs opinions, leurs vécus concernant l’égalité
entre les hommes et les femmes.
En effet, cette brochure ne prétend pas être une étude
sociologique sur le quotidien des jeunes filles mais plutôt
un recueil de témoignages reprenant les extraits les plus
interpellants et les plus récurrents des entretiens réalisés.
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À partir de ces témoignages, la Voix des Femmes tentera de
mettre en lumière les réalités que vivent les jeunes filles et
de développer un travail de sensibilisation.
Nous avons interrogé 13 jeunes filles d’origines culturelles
diverses: albanaise, algérienne, congolaise, dominicaine,
kurde, marocaine, salvadorienne, syrienne et turque.
Certaines sont nées en Belgique, d’autres ont rejoint le territoire il y a quelques années. Elles ont entre 16 et 22 ans et
la majorité d’entre elles est scolarisée dans l’enseignement
secondaire. Parmi elles, plus de la moitié est inscrite au sein
de l’école des devoirs de la Voix des Femmes et participe
pleinement aux activités de notre association. Les autres
sont issues d’une école dans laquelle la Voix des Femmes a
réalisé des animations sur le choix du partenaire.
Lors de la première prise de contact, nous avons été touchées par le grand enthousiasme dont ces jeunes filles ont
fait preuve pour s’exprimer et pour mettre des mots sur leur
vécu et sur la société à laquelle elles aspirent.
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La brochure est illustrée de plusieurs photos accompagnées de slogans qu’un groupe de jeunes filles de notre
association a réalisées lors d’un autre projet.
Tout l’enjeu des animations effectuées lors de ce projet résidait dans le fait de déplacer une souffrance privée vers une
parole publique, une cause collective.
Les noms de collectif qu’elles se sont attribués sont
Jeunesse rebelle et Les indignées.
L’indignation est ici le moteur de changement pour atteindre
une société plus juste en matière d’égalité de droits et de
traitement entre les filles et les garçons.
Les interviews ont été réalisées au cours du mois de juin
2011 par Fouzia Haddache, la responsable de l’École des
devoirs de la Voix des Femmes. Les prénoms ont été modifiés afin de respecter l’anonymat des jeunes filles. Par
contre, le style du langage parlé est conservé, les phrases
sont celles prononcées pendant les interviews.
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L a vie scol aire
Lieu d’initiation à l’autonomie et au sens de la responsabilité,
l’école est l’espace public dans lequel les jeunes filles investissent le plus de temps. Selon elles, la réussite des études est
la clé de leur épanouissement.
De plus, acquérir un diplôme est d’autant plus important que ceci
semble, aux yeux de certaines, être une manière de s’affranchir
de la condition de femme au foyer. La réussite scolaire est associée à la possibilité d’accéder au marché de l’emploi, condition
d’une indépendance à laquelle elles aspirent.
J’ai parfois envie de parler, de me confier. En plus, avec la complicité
que je n’ai pas du tout avec ma mère... parfois j’ai envie de parler à
quelqu’un. On ne peut pas toujours tout confier aux amis, j’aimerais
confier cela à une autre personne, comme à l’école. Je me sens beaucoup mieux à l’école qu’à la maison. L’école, c’est un refuge pour moi,
cela me fait oublier tous mes problèmes. Stéphanie, 17 ans
Je suis en Belgique depuis seulement deux ans et quand je
regarde mes résultats et que je compare avec ceux que j’avais
en Turquie, j’ai envie de tout laisser tomber. Et puis je me dis que
je dois quand même continuer. En plus, je me retrouve toute
seule en classe. Les autres sont tous ensemble. C’est à cause
de la langue que je ne me fais pas des amis. Mais je trouve que la
culture est aussi différente. En Turquie, les amis me disent toujours bonjour, ici en Belgique parfois, ils me saluent et d’autres
fois pas. Evren, 19 ans
Dans le groupe de math 6, on était plus de garçons que de filles
mais ma prof de mathématiques était une femme et elle m’a
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toujours encouragée à faire math 6. Cela m’a permis de rompre avec
certains clichés et cela m’a surtout donné un exemple que c’était
possible d’être femme et douée en mathématiques. Nora, 22 ans
Les filles prennent vraiment les études au sérieux, je trouve. Dans
notre classe par exemple, les garçons disent si j’ai 50%, je suis
content. Moi en tant que fille, même si j’ai 50 %, je veux toujours viser
plus loin, 70, 80 et parfois, j’y arrive mais un garçon avec 50 %, il est
déjà content. La fille s’investit beaucoup plus dans ses études, elle
pense à l’avenir, elle veut montrer qu’elle est capable parce qu’un
garçon, on le valorise beaucoup plus. La fille veut prouver, montrer
qu’elle est aussi capable de faire mieux qu’un garçon. Mopi, 18 ans
C’est une chance qu’on a de pouvoir faire des études. Il y a plusieurs pays où on n’a pas la chance de faire des études, d’avoir
un métier, il faut pouvoir la saisir. Nadia, 17 ans
Je pense, qu’on porte beaucoup d’intérêt à l’école en tant que
fille. On n’a pas envie d’être la femme qui reste à la maison, tout
simplement. Les hommes se disent qu’ils peuvent trouver facilement un métier... ou je ne sais pas. On porte beaucoup d’intérêt
à l’école parce qu’on a envie d’être quelqu’un, d’avoir un statut
social, autre que celui d’une mère ou d’une épouse. Sara, 17 ans
Il faut que la fille, comme le garçon d’ailleurs, soit capable de
fonder son avenir par elle-même et faire sa propre vie. Elle doit
pouvoir être créatrice de sa destinée. Active et non passive, c’est
elle qui crée son propre avenir et ses propres choix. Nora, 22 ans
Pour moi, les études, c’est vraiment important car c’est grâce à
cela que plus tard on pourra acquérir une certaine connaissance,
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des aptitudes. Nous pouvons mieux comprendre le monde, ce qui
se passe dans le monde, les médias, lire les journaux parce que
sinon on fait jamais ça. Et grâce aux études ça va nous permettre
de mieux nous situer dans le monde. Mes parents sont vraiment
enthousiastes! Ils veulent que je continue mes études. Eux n’ont
pas eu la chance de faire des études, donc ils veulent vraiment le
meilleur pour nous. Mes autres frères et sœurs ont un peu décroché,
ils ne sont pas trop dans les études, je suis la seule dans la famille à
l’être donc j’ai toute la pression qui pèse sur moi. Mais ils sont cool,
ils me laissent le choix de faire ce que je veux. Mopi, 18 ans
Je pense que c’est plus important pour les filles de faire des études.
Parfois les hommes ne veulent pas que les femmes travaillent, ils
préfèrent qu’elles restent à la maison pour garder les enfants, pour
préparer le repas et faire le nettoyage. Alors que si la femme a un
métier et a de l’argent et qu’elle ne veut plus rester avec son mari,
elle peut partir et divorcer. Par contre si elle ne travaille pas, elle va
se dire « Je ne peux pas partir, qu’est-ce que je vais pouvoir faire
sans travail ? ». Un métier, c’est la garantie de notre vie. Moi, je veux
terminer mes études, avoir un métier pour ne pas demander à mon
mari 5 euros pour m’acheter un truc. Havin, 17 ans
Moi, mes parents ne veulent pas que je me marie tant que je fais
des études. Ma grande sœur a arrêté ses études en 5e général
juste pour se marier. Du coup, ma mère a imposé une règle pour
moi et ma sœur : « Si j’ai pas de diplôme sur la table, vous ne vous
marierez pas. » Samia, 17 ans
Il faut motiver les filles à poursuivre leurs études, il ne faut pas
les laisser tomber. Les filles qui se marient tôt sans terminer les
études, pour moi ce sont des filles qui sont mal informées et qui
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n’ont qu’une vision de la vie. Je pense qu’il faudrait pouvoir faire
des liens avec des filles qui ont fait des études universitaires
et qui ont réussi leur vie, faire des entretiens avec ces filles-là
pour qu’elles puissent être plus ambitieuses. Elles verront que
finalement, elles aussi sont capables de faire ça. Ces filles sont
alors comme un exemple de réussite pour elles. Nora, 22 ans
Si une fille voulait entamer des études mais que c’était difficile,
c’est dommage, elle aurait pu continuer et s’orienter vers d’autres
sections. Il y a des jeunes qui ne sont pas bien orientés au niveau
scolaire, ils sont vite découragés. Il faut trouver des personnes
qui les encouragent à trouver leur voie. Mopi, 18 ans
Durant mes trois années d’études supérieures je me demande ce
que je vais faire, si on vient me demander la main, je ne dirai peutêtre pas non. Ça dépend qui, si c’est une personne que j’aime, je
dirai oui. Je pense que je continuerai mes études, je ne les laisserai pas de côté mais je ne sais pas si je serai capable de gérer
les deux (vie de famille et études). Yasmina, 16 ans
À l’université, on fait peut-être souvent des discriminations,
cela peut être un obstacle à franchir. J’ai souvent entendu qu’on
faisait ce genre de discriminations. On demande aux élèves :
« Vos parents font quel métier ? », si l’élève dit « Ingénieur » ou
un métier dans le genre, le professeur le laisse passer. Si l’élève
dit « Au chômage », le professeur ne le laisse pas passer. C’est
la tante d’une amie qui m’a dit ça. Elle a fait 4 ans de médecine
et les profs lui demandaient ça pendant les examens oraux. Il
y a toujours des obstacles à franchir, on n’y peut rien, il y a des
discriminations et on ne peut pas éradiquer cela même si c’est
injuste, il faut aller au-delà de ça. Mopi, 18 ans
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Vie familiale
Au sein de la cellule familiale, plusieurs jeunes filles témoignent
d’une certaine inégalité de traitement sur différents points dont
les plus récurrents sont la gestion des tâches ménagères et l’autorisation de sortie. Elles reprochent surtout aux frères d’être
gardiens de traditions, de certains comportements que les jeunes
filles estiment être complètement dépassés.
Par ailleurs, elles rêvent toutes de fonder une vie de famille dans
laquelle la transmission d’une éducation non-sexiste sera favorisée. En effet, elles souhaitent dépasser les stéréotypes qui
figent le rôle de la mère et celui du père afin d’aider à changer les
données qui paraissaient immuables concernant le traitement
filles / garçons.
Depuis longtemps le père représente la loi et la mère la sagesse,
la douceur, etc. Pour l’éducation de l’enfant, la mère défend plus
son enfant que le père. Le père dit : « Je t’interdis de faire ça et
ça ! » et la mère dit : « Oui mais le pauvre / la pauvre, il ne faut pas
lui donner une punition comme ça, c’est trop poussé ». Le père
représente la loi et la mère est plus maman poule. Moi, je pense
que le père doit aussi participer à l’éducation et ne pas seulement imposer des règles. Il faut aussi qu’il ait un échange avec
les enfants, qu’il leur parle, qu’il les aide. Faïza, 17 ans
Selon moi, les rôles doivent être mélangés. Si la mère s’occupe de
la nourriture, de l’habillement et c’est le père qui les sort dehors...
L’enfant va se mettre des images dans la tête: la maman, c’est
ça et le papa c’est ça ! Il faut pouvoir tout mélanger. Parfois c’est
la mère qui doit sortir les enfants et le père qui doit habiller
les enfants. Parce que les enfants dès le début, ils impriment
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ces idées dans leur tête et on voit après les conséquences du
sexisme... Mopi, 18 ans
Mes enfants, je veux leur apprendre tout mon savoir et je veux
les rendre autonomes. Si à 18 ans, ils veulent partir, je les laisserai. J’aimerais les encourager à faire des jobs d’étudiants pour
qu’ils comprennent l’importance de l’argent, qu’ils sachent que
ça ne tombe pas du ciel. Je ferai tout ce que moi je pense être
bon. Jale, 20 ans
Pour moi, la femme et l’homme doivent faire les mêmes tâches!
C’est un partage : on fait tout à deux. Et l’éducation des enfants
aussi à deux, c’est super important. Le père doit avoir une place
dans l’éducation des enfants comme la mère. Ils doivent participer à deux, je trouve. Par exemple, chez moi, mon père cuisine et
ma mère aussi. Je n’ai jamais vu mon père ne rien faire avec un
journal en main. Mon père fait le ménage et tout. Sara, 17 ans
Les parents donnent l’exemple. Si les enfants voient le père faire
un simple bisou puis « Maintenant va jouer »... Alors que son rôle
ce n’est pas juste d’appeler un enfant et lui faire un bisou, c’est
aussi de changer son lange, le laver. Quand je vois dans ma famille,
les hommes avec leurs enfants : c’est « Oh mon chou, tu veux
un jeu ? Je vais te l’acheter » et puis c’est tout. Moi je serai plus
attentive à tout ce qu’il fait, comment il grandit, à son développement. Jale, 20 ans
Dans la famille de mon père, tous les hommes cuisinent, ils aiment
ça. Ma mère ne cuisinait pas, c’est mon père qui s’en chargeait. Je
suis habituée depuis que je suis petite à voir mon père cuisiner.
Stéphanie, 17 ans
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Parfois les maris rentrent tard du travail. Quand j’étais petite et
que je vivais en Afrique, mon père travaillait en Hollande et ma
mère en Belgique, il ne rentrait que le weekend à la maison, ma
mère restait seule avec mon petit frère et elle était enceinte. C’est
dur. Moi je ne voudrais pas ça. Victoire, 18 ans
Il doit y avoir une équité dans tout ça. J’ai acquis beaucoup de
connaissances sur les stéréotypes sexistes et aujourd’hui, je ne
pense pas me marier avec un mec trop macho. Si un jour je cuisine,
l’autre jour, c’est lui qui doit cuisiner. S’il me dit « Je ne sais pas
cuisiner » et bien moi aussi je ne suis pas cuisinière, désolée. On
est tous nés comme ça, après on apprend.
Ils disent qu’ils ne savent pas cuisiner mais les chefs cuisiniers,
c’est que des hommes ! Mopi, 18 ans
Pour moi, il n’y a pas de différence à faire entre les filles et les
garçons. Tout ce que je suis capable de faire, mon mari aussi est
capable de le faire. Même s’il dit qu’il n’est pas capable, tout ça
s’apprend. Par exemple, moi je ne suis pas du tout douée pour
la cuisine mais quand j’essaie quelque chose et que je le fais
plusieurs fois alors je le réussis. C’est une question de volonté.
Jale, 20 ans
Quand on est à table et que mon petit frère a fini de manger, il me
dit : « Ramasse ! ». Moi je lui dis « Non, c’est toi qui ramasses ».
Il me répond : « Mais non, le ménage, ce n’est pas pour les garçons ». Je lui fais comprendre que lui aussi doit pouvoir participer
aux tâches ménagères. Ce n’est pas parce que c’est un garçon
qu’il ne peut pas le faire: il a des mains et des pieds! Il a dix ans
mais il fait le macho. En plus, c’est le seul garçon, il est un peu
gâté. Mon père dit « Laisse le, ce n’est pas grave ». Nadia, 17 ans
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Pour les tâches ménagères, mon frère dit toujours : « Oh mais je
ne sais pas faire ! ». Comme c’est le petit, il est plus chouchouté
que moi. Mais moi, j’impose des limites. Si lui, il ne fait pas ça
et bien moi non plus je ne le ferai pas, c’est tout. Ça se passe
aussi dans d’autres domaines. Si lui rentre à 2 heures du matin,
et bien moi aussi je rentre à deux heures du matin. Nos parents
nous fixent des heures ou bien ils nous appellent quand on doit
rentrer. Ça a toujours été équitable tant chez la fille que chez le
garçon. Sara, 17 ans
La différence entre les filles et les garçons ! Je ne veux pas du tout
la voir pour mes enfants ! Laisser mon garçon partir et ma fille tu
restes à la maison, tu nettoies la maison: ça je déteste. Toi, t’es un
garçon, tu ne dois pas faire le ménage, tu restes assis... comme
mes parents l’ont fait. Je ne le supporte pas! Par exemple, avec
mon frère, je fais son lit pendant que lui est là en train de regarder
la télé. Et quand je le dis à ma mère. Elle me dit : « Lui c’est un
garçon, c’est à toi de le faire ». Ça m’énerve on est tous les deux
des êtres humains ! Ce n’est pas notre sexe qui doit déterminer
notre tâche. J’essayerai de ne pas faire les mêmes erreurs que
mes parents ont faites. Jale, 20 ans
Même mon frère, quand je lui dis : « C’est toi qui as mangé donc
c’est toi qui dois débarrasser », il me dit « Non » et il ne le fait pas.
C’est une habitude. Il me dit que c’est pour les femmes. Ça fait des
années qu’on parle de ça mais ça ne change rien. Mon père ne lui
dit rien parce que lui même ne fait rien. Ce qui me dérange, c’est
lorsqu’ils boivent quelque chose, ils le laissent sur la table. Je leur
dis qu’ils peuvent l’amener à la cuisine, mais ils ne le font pas. Moi,
si j’avais des enfants, je ne ferais jamais de différence avec mes
filles et mes garçons. Ça vient de l’enfance, si depuis qu’ils sont
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petits, on les éduque, après ils apprennent. Il faut faire ça quand
ils sont petits. Mais si à partir d’un certain âge, on les oblige à
faire quelque chose, ce n’est pas évident pour qu’ils apprennent.
Havin, 17 ans
Quand j’étais petite, je vivais au Congo chez ma tante, j’étais la
seule fille et il y avait 11 garçons chez ma tante. On faisait le
tour de chacun pour faire la vaisselle, laver la maison, couper la
pelouse dans les champs. C’est ma tante qui faisait une liste pour
que tous les garçons et moi participions à toutes les tâches sans
différence. Victoire, 18 ans
Mon frère ne participe jamais aux tâches ménagères. Il dort
comme il veut, il mange quand il veut, il rentre quand il veut. Il
ne fait rien et nous demande même de lui préparer à manger. On
partage la même chambre et il ne la range jamais. Il va bientôt
avoir 14 ans. Quand il doit s’habiller, il demande à ma mère : « Où
est mon pantalon, mes chaussettes ? ». Il ne fait rien seul. C’est
à cause de mes parents, ça. Ils disent : « Nous avons un garçon,
il est très important. C’est lui qui va continuer à transmettre
notre nom de famille ». Nous, on se réveille le matin, on fait le
petit déjeuner, lui se réveille après nous, il vient au salon et nous
demande de lui préparer à manger parce qu’il a faim et nous dit :
« Qu’est ce que vous attendez, pourquoi vous restez ? ». Moi, je
ne me lève pas, jamais. Je lui dis que je ne suis pas sa mère. C’est
à cause de mes parents, depuis qu’il est né, mes parents le considèrent comme un roi. Evren, 19 ans
Depuis que je suis petite, je fais les choses des femmes, je m’occupe des enfants, de la maison, du mari de ma mère. Je fais le
travail d’une femme. Quand on a 9, 10 ans, on n’est pas à notre
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place, ce n’est pas vraiment notre rôle, ce n’est pas à nous de le
faire. Je ne peux pas dire que c’est l’enfer mais ce n’est quand
même pas la belle vie. Ce n’est pas la vie que j’aurais voulu vivre.
Je ne peux pas dire que je ne suis pas bien chez moi mais il y a
juste que parfois, je ne peux même pas me plaindre, je n’ai pas
le droit. Moi, je suis une jeune fille qui aimerait profiter de la vie,
je ne veux même pas dire que j’aimerais tous les jours aller en
boîte. J’aimerais au moins une fois sortir, boire un café. Mon frère,
lui, sort tout le temps, quand il veut aller au cinéma, ma mère
lui donne de l’argent, quand il va chez son copain, elle le laisse.
« salope ». Puis, on a peur du regard des gens, de l’entourage. Moi
je trouve cela vraiment dommage. Sara, 17 ans
Une fille de bonne famille est une fille qui ne sort pas, qui va à
l’école. De l’école à la maison, qui est pieuse et religieuse, qui
sait faire la cuisine, qui nettoie, qui aide ses parents, qui ne va
pas en opposition de l’autorité des parents. C’est une fille qui ne
s’oppose jamais. Un garçon de bonne famille, c’est un garçon qui
ne boit pas, qui ne fume pas, qui ne traine pas dans la rue avec
une bande. Faïza, 17 ans
Noémi, 19 ans
Je me sens Turque et Belge. Mais plus Belge parce que j’ai vécu
ici. Je me permets de faire des sorties avec des garçons alors
qu’en Turquie dans les villages, ce n’est pas trop ça. Mais je vois
que la Belgique a changé la vision des choses de mes parents : ils
sont plus relax. Je me sens mieux ici, je peux sortir ! Mopi, 18 ans
On ne me laisse pas sortir, souvent si je vais partir quelque part,
mon père m’accompagne. Moi, j’aimerais bien sortir avec des
amis, me promener mais c’est difficile parce que mon père n’aime
pas. Quand j’étais en Afrique, je me promenais où je voulais parce
qu’il n’y avait pas mes parents, je vivais avec ma tante qui travaillait. Victoire, 18 ans
J’ai des copines qui doivent rentrer à 20h maximum et les garçons, leurs frères sont dehors jusque 4 heures du matin. Ils
peuvent sortir en boîte alors que les filles non. C’est un peu bête
de la part des parents de penser comme ça. Et injuste surtout
pour la fille. On a peur souvent pour la fille, qu’elle se fasse violer.
On a peur aussi qu’elle sorte du bon chemin, qu’elle devienne une
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Après la 7e année, je rêve de faire une école supérieure ailleurs,
pas à Bruxelles. Je rêve de ça ! Mais hors de question pour mes
deux parents. Mais je n’ai pas envie de terminer ma vie comme ça
à rester à la maison. Moi, j’ai besoin de découvrir, je suis quelqu’un
qui veut tout voir, qui veut tout visiter, tout comprendre, m’ouvrir
au monde, voir d’autres personnes, connaître d’autres endroits,
vivre avec des jeunes pour mieux comprendre l’actualité d’aujourd’hui mais mes parents me mettent toujours des murs. Je ne
peux pas voir autre chose. Je veux vraiment mais je ne pense pas
que je puisse... je ne sais pas si c’est une question de capacité
mais je n’arrive pas à m’opposer, être contre les idées de mes
parents. En plus, je leur ai expliqué pourquoi j’avais envie de partir
et ils m’ont dit : « Ah tu pars pour sortir les nuits en discothèque
hein, tu vas faire des bêtises, comme ça tu vas changer toutes les
semaines de copain », mais rien à voir ! Laissez-moi juste découvrir. Mon idée reste là mais je ne peux pas aller plus loin pour dire
que je pars. Je n’y arrive pas. Jale, 20 ans
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Vie affective et sexuelle
Toutes les jeunes filles rêvent de rencontrer le grand amour même
si cela ne semble pas être une nécessité immédiate. En effet, les
témoignages montrent que la réussite des études et l’accès au marché de l’emploi priment avant toute chose. Leur réalité de vie semble
repousser par exemple la possibilité d’un mariage au-delà de la fin
des études et parfois même au-delà de l’entrée dans la vie active.
Par ailleurs, dans le domaine de la sexualité, elles dénoncent une
injustice : ce qui semble être valorisé pour les garçons ne l’est pas
pour les filles. En effet, les filles qui sortent avec un ou plusieurs
garçons sont considérées comme des filles faciles alors que les
garçons qui ont eu plusieurs aventures sont plutôt considérés
comme des séducteurs et ont une réputation valorisée. De même
que pour les relations sexuelles avant le mariage, qui sont jugées
négativement pour une fille et positivement pour un garçon. Les
jeunes filles condamnent cette injustice et tentent de chercher
les sources de ces différences de traitement.
Pour moi, l’amour, c’est deux êtres qui ont confiance l’un envers
l’autre, qui s’aiment, qui ne font plus qu’un. C’est deux êtres totalement d’accord qui ne font plus qu’un. C’est pour cela qu’il y a
cette idée d’alliance. Sara, 17 ans
Cela fait presque 2 ans que je ne suis pas sortie avec quelqu’un
et je me sens plutôt triste. Parfois, cela fait du bien que quelqu’un
te dise combien tu es importante à ses yeux, combien tu représentes pour lui. Noémi, 19 ans
Par rapport à l’origine, qu’il soit Marocain, Turc, Français, Belge
ou Allemand... moi cela ne me dérange pas. La personne idéale
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doit être une personne que j’aime énormément, à qui je peux me
confier, qui accepte ce que je suis et ce que je voudrais être. C’est
aussi une personne qui a la notion d’égalité des sexes. Et surtout
pas macho, ça je ne supporte pas du tout! Pour moi, un macho
c’est : « Moi, je suis l’homme, tu n’es que la femme ». Ça je ne supporte pas, il n’y a rien à faire ! Sara, 17 ans
J’ai une amie qui a raté plusieurs fois à l’université, elle a 24 ans et
sans diplôme, sans rien. Son ultime recours pour se sentir valorisée, c’est le mariage. L’école est censée te donner une place dans
la société et si elle ne remplit pas son rôle, pour certaines jeunes
filles, c’est le mariage qui doit prendre ce rôle. Nora, 22 ans
Pour moi, l’amour, c’est la deuxième place. La priorité, c’est
d’abord ce que j’ai envie d’être et après avec qui j’ai envie d’être.
Me déterminer socio-professionnellement et ensuite avec qui,
j’ai envie de faire mon chemin, avec qui j’ai envie de continuer. Il
faut pouvoir déterminer ce que l’on veut être et puis, être avec
quelqu’un. Il est important d’avoir une place, être stable avant
d’entamer quelque chose. Sinon, c’est juste une petite amourette,
jouette. Il y a des filles qui se disent : « Je n’existe pas si je ne
suis pas en couple ». Comme si l’existence de leur vie en dépendait. Les filles qui pensent comme ça devraient ouvrir les yeux.
Construire sa propre identité, c’est quand même plus vital parce
que rien qu’en te construisant, en ayant une place dans la société,
en ayant un métier, tu te valorises plus. Sara, 17 ans
Le mariage sera peut être un jour une étape de ma vie mais je ne
veux pas fonder ma vie sur ça. Je n’attends pas le mariage pour fonder ma vie. Je me dis que ça viendra ou ça ne viendra pas mais cela
ne va pas changer ma vie. Ce n’est pas un but en soi. Nora, 22 ans
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Il faut pouvoir avoir une vie de couple et une vie sociale. Ça doit
être un équilibre, il ne faut pas négliger tout ça. Ma sœur, je
constate que sa vie de couple a pris une grande ampleur alors
que sa vie sociale, ce n’est pas trop ça. Si un jour, sa vie de couple
casse, elle n’a plus de vie sociale. Sa vie est complètement centrée sur lui. Ça me fait peur quelque part.
Je ne me presse pas pour me mettre en couple, j’aimerais devenir
plus mature avant de m’engager. La rencontre doit être naturelle, je
ne dois pas me mettre à la recherche de l’homme idéal. Mopi, 18 ans
Je pense que dans notre société, on éduque les filles et les garçons
de manière différente. Une fille, on lui dira plus qu’elle va se marier,
qu’elle va avoir des enfants, « Prépare-toi à ton rôle de maman ».
Tandis qu’un garçon, on lui inculque de travailler. Mais sur ses relations à lui, on ne cherche pas à comprendre. Ses antécédents, on
s’en fout un peu. Mais la fille, on insiste plus sur sa sexualité à préserver, sur le bonheur à fonder plus tard. Et si elle veut ce bonheur,
elle doit se préserver et rester pudique. Nora, 22 ans
Les garçons qui sortent avec plusieurs filles sont des beaux
gosses et les filles qui sortent avec plusieurs garçons sont des
salopes. C’est vrai que c’est inégal, les garçons font ce qu’ils
veulent et les filles ont des contraintes. Je pense que ça vient de
la tradition, parce qu’on parle plus des filles que des garçons. C’est
à dire que les filles doivent rester à la maison, doivent être vierges,
doivent se préserver pour leur futur mari et on ne mentionne pas
les garçons. C’est pour ça qu’ils ont plus de liberté. Faïza, 17 ans
Au bled, j’ai déjà entendu... des filles qui me disent qu’il y avait
un garçon qui était un peu aisé, il avait loué un appart et chaque
mois il payait le loyer. Il sortait avec une fille depuis des mois
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et l’invitait chez lui. Les parents de la fille ne savaient pas, elle
disait qu’elle partait à la bibliothèque, qu’elle se promenait avec
des copines mais en fait elle avait des rapports avec ce garçon.
Une fois sa mère l’a suivie et a toqué à la porte. C’est le garçon qui
a ouvert la porte et elle a vu sa fille. La mère a tiré sa fille par les
cheveux. Ensuite la fille ne s’est pas mariée, tout le monde commençait à parler d’elle en disant que c’est honteux. Et le garçon
n’a rien eu. Et quand j’ai demandé à la fille qui me racontait cette
histoire pourquoi le garçon n’a rien eu, elle m’a dit que c’est parce
que c’est un garçon et que ce n’est pas comme une fille. C’est tout
ce qu’elle a pu répondre ! Ce n’est pas juste. Faïza, 17 ans
Pour un garçon, ne plus être puceau, c’est une fierté, à partir de
là, il se sent homme. Alors qu’une fille, elle doit garder sa virginité,
si elle ne l’a plus, ce n’est pas une fille bien, c’est une fille facile.
Le fait d’entendre que cette fille là n’est pas bien, on entend ça
tous les jours à l’école. Les garçons veulent une fille pure, qui n’a
pas de réputation, qui ne sort pas trop à gauche et à droite. Alors
que le garçon, lui tranquille, il a bien profité de la vie et la croque
à pleines dents. On ne le juge pas sur ses conquêtes. Alors que
lui, il va se renseigner à gauche et à droite pour savoir ce que vaut
cette fille là. Et sa valeur, c’est sa virginité. C’est triste. Nous aussi
on pourrait juger les garçons aujourd’hui, on ne le fait pas et ils
ont bien de la chance d’ailleurs. Nadia, 17 ans
Juger une fille parce qu’elle a eu des relations sexuelles, je trouve
cela complètement paradoxal. Pourquoi, on jugerait une fille qui a
des relations sexuelles et qu’on valoriserait un garçon qui en a ?
Pourquoi ? Je ne trouve moi même pas de réponse à part que ce
soit lié à la religion et à la culture. J’ai une amie qui habitait à côté
de l’école et elle se faisait insulter de tous les noms. Moi, j’étais là,
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je la défendais, c’est normal puisque c’est mon amie. Et même, on
n’a pas à juger une personne parce qu’elle a fait telle ou telle chose,
quoi. On n’a pas le droit de juger une personne. Qui sont ces filles
et ces garçons pour juger cette fille ? Je trouve cela trop méchant,
trop cruel. Ils ne pèsent pas la lourdeur de ce qu’ils disent. C’est
trop blessant, trop insupportable pour cette fille.
Avoir des relations sexuelles, c’est humain ! De là à la traiter de
pute ! C’est trop, qui sont ces personnes pour la juger comme ça ?
Sara, 17 ans
Un garçon qui a des rapports sexuels, c’est un garçon qui a de
l’expérience. C’est n’importe quoi. Si la fille n’a pas fait l’amour,
c’est qu’elle attend peut-être la même chose du garçon !
Dans la société actuelle, une fille veut être la dernière fille avec qui
un garçon doit sortir et un garçon veut que la fille soit la première.
C’est toujours comme ça ! Mopi, 18 ans
l’Europe ! Je peux sortir, je peux m’habiller avec un jeans serré. Ce
n’est pas la fin du monde, on ne me dira rien. » Et l’homme, il se
dit : « J’ai été chercher une pure, je veux qu’elle soit pure ! ». Je
trouve cela bizarre d’aller en chercher là-bas alors qu’il y en a ici.
Sara, 17 ans
Si un garçon me demande si je suis vierge ou pas, je le remballe
directement. Ça peut être sa vision des choses mais alors je lui
répéterai la même question, et ça sera à lui de me répondre.
Moi, je ne lui dois rien du tout, il ne doit rien attendre de ma part.
Nora, 22 ans
Avant, dans notre culture, si on attrapait une fille avec un garçon
avant le mariage, on leur disait qu’on allait les enterrer vivants.
Il y a des garçons qui couchent avec beaucoup de femmes et
lorsqu’ils se marient, ils veulent une vierge. Entre temps, lui il a
« déviergé » les autres filles. C’est égoïste ! Pour moi, la virginité,
ça ne veut rien dire. Mon père me dit que c’est à moi de décider si
je souhaite rester vierge ou pas avant le mariage. Je n’aimerais
pas que mes parents décident pour moi, j’aurais l’impression de
ne pas vivre. Victoire, 18 ans
Pourquoi les garçons vont chercher une fille du Maroc ? Ces
mariages tombent souvent à l’eau après deux ou trois ans parce
que culturellement ils ne s’entendent pas bien. L’homme a vécu
ici, la femme vient ici et ses yeux s’ouvrent, elle se dit : « Ah c’est
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Vie professionnelle
Toutes sont animées par une soif d’indépendance et l’accès au
marché du travail semble être la condition pouvant l’assouvir.
Néanmoins, elles partagent leurs craintes et témoignent des obstacles qu’elles pourraient rencontrer tels que la discrimination à
l’embauche, l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes,
la difficulté de concilier la vie professionnelle et la vie familiale.
C’est important d’avoir son propre argent parce que je ne dépends
que de moi, c’est un pas vers l’indépendance. Me dire que j’ai pu
y arriver malgré mes échecs, c’est valorisant.
Il faut se dire qu’on est capables, qu’on est égales aux hommes
et qu’on a les moyens. Moi, je ne serais pas d’accord de rester à
la maison et de dépendre du mari.
Dans ma famille, toutes les femmes travaillent, je n’ai pas
d’exemple autour de moi de femmes qui dépendent de leur mari.
Stéphanie, 17 ans
Je voudrais travailler parce que pour moi, c’est super important,
c’est grâce à cela que je vais pouvoir m’acheter une maison,
construire mon avenir et m’épanouir socio-professionnellement.
Le travail déterminera mon bonheur. C’est aussi une façon de me
valoriser, me donner un place dans la société. Je pense que si
j’étais à la maison, en train de m’occuper des enfants, je ne serais
pas du tout heureuse. Pour moi, le travail fait partie du bonheur.
Sara, 17 ans
Dans notre société, il y a de plus en plus d’hommes qui sont à la
maison, c’est à dire des hommes au foyer. Ça devient de moins
en moins tabou de dire que les hommes peuvent faire des tâches
destinées aux femmes auparavant. Les femmes deviennent de
plus en plus indépendantes, elles travaillent de plus en plus et
restent donc de moins en moins à la maison. Faïza, 17 ans
Je voudrais sonner une petite alarme aux femmes qui dépendent
de leur mari, leur dire : « Montrez-vous, réveillez-vous, travaillez, montrez qui vous êtes ». Ce n’est pas grâce à l’homme que
la femme vit et peut se nourrir. Elle peut faire des choses et ne
pas seulement dépendre de sa famille, de son mari. Elle existe en
dehors du couple. Nadia, 17 ans
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Je n’aimerais pas être à la place de ma mère, elle ne fait rien du
tout, elle est à la maison. Je n’ai pas envie de ressembler à ma
mère, être femme au foyer. J’ai vraiment envie de faire quelque
chose qui me plaise et travailler. Yasmina, 16 ans
Être femme au foyer, c’est fastidieux, c’est fatiguant. C’est un
travail à part entière. On ne devrait pas les priver de salaire. La
femme qui choisit de s’occuper de ses enfants et de son mari, a
tout aussi le droit à un salaire et à une reconnaissance pleine.
Nora, 22 ans
Je trouve que c’est plus difficile pour les femmes. L’homme quand il
travaille 8 heures par jour, il dit qu’il a travaillé alors quand il rentre
à la maison, le repas est prêt, il boit son thé, il regarde la télé puis il
dort. Il peut se reposer. La femme, elle travaille puis elle prépare le
repas, fait le nettoyage, la vaisselle et emmène ses enfants au lit.
Elle n’arrive pas à se reposer. Je le vois avec ma mère. Mon père, lui,
ne fait pas beaucoup de choses. C’est une inégalité. Havin, 17 ans
C’est pas parce que je suis une femme que je dois faire un mitemps, mon mari aussi a le devoir de s’occuper de ses enfants.
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On fait les enfants à deux, donc il faut les éduquer à deux, il n’y a
pas d’autres solutions. Nora, 22 ans
démocratique, on se doit de se battre pour l’égalité des droits,
pour l’égalité des chances, pour l’égalité salariale. Nora, 22 ans
Si le patron est un homme, c’est normal pour lui d’engager un
homme, puisqu’il pense que l’homme sera supérieur. Les femmes
doivent aussi pouvoir accéder au statut de chef, il y aura alors
moins ce type de problème puisqu’elles engageront aussi des
femmes. Havin, 17 ans
La question que je me pose : d’accord je suis de nationalité belge
mais est-ce que s’il y avait une Belge, une vraie Belge d’origine
et moi et qu’on a le même niveau, est-ce qu’ils la choisiront elle
ou moi ? Parce que c’est un domaine où on choisit beaucoup et
cela existe réellement cette discrimination, on a tendance à la
marginaliser alors qu’elle y est. Moi, je me sens sincèrement
belge, je vis ici, je suis née ici. D’accord mes racines sont du
Maroc mais je suis Belge autant qu’une autre Belge. Parce que
ça se voit aussi physiquement, on n’a pas la même couleur de
peau, les mêmes cheveux. C’est difficile de le cacher... et d’ailleurs, je ne le cache pas du tout, c’est juste que parfois on se
sent oppressée. Sara, 17 ans
Je pense que la plus injuste de toutes les injustices qu’il y a entre
les femmes et les hommes, c’est l’inégalité salariale. Les deux
travaillent mais on nous dit que la femme gagnera 20 % en moins,
mais pourquoi ? Ça me choque vraiment. De toutes les injustices,
celle-là c’est l’une des pires. Selon moi, c’est la première injustice que l’on doit changer. Quand on retourne quelques années
en arrière, on constate que c’est l’homme le chef de la famille
mais maintenant la femme commence à augmenter de stade, elle
est presque à l’égalité de l’homme. C’est clair que la femme est
différente de l’homme, point de vue morphologie, psychologique,
biologique mais ils doivent être égaux au niveau du droit. On est
différents mais on doit avoir les mêmes droits ! Mopi, 18 ans
Dans le droit, la femme est égale à l’homme mais dans les faits,
c’est différent. Je pense que les femmes doivent se battre pour
faire valoir leurs droits. Il faudrait que la société se rende compte
qu’il y a des inégalités salariales par exemple. Beaucoup de gens
ne le savent pas ou qui le savent mais qui ne prennent pas en
considération la chose. Mais quand on y réfléchit, on n’est pas
dans une société égalitaire. C’est honteux pour nos sociétés démocratiques qui se disent égalitaires. La femme et l’homme doivent
se battre pour les droits de la femme. On vit dans une société
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Violences
Dans ce dernier chapitre, les jeunes filles se confient et parlent
de mariages forcés, de violences conjugales et familiales qui
touchent leur cousine, leur amie... et parfois elles-mêmes.
Souvent, les filles s’insultent entre elles de salopes, ça j’ai souvent entendu.
Même dans ma classe, il y a une fille qui insulte vraiment comme
ça même pour rigoler : elle dit « Ah ma salope ». C’est vraiment
devenu normal de dire cette insulte. Normalement c’est quelque
chose de pas bien et c’est devenu quelque chose de normal. Je
trouve que si on dit comme ça à son amie « T’es une salope », c’est
vraiment grave ! Mopi, 18 ans
En temps normal personne ne m’insulte dans la rue mais quand
je mets une mini-jupe ça m’arrive qu’on me dise des propos mal
placés dans les trams, le métro par exemple, comme du harcèlement. Quand je suis dans le métro avec une mini-jupe et qu’un
homme s’assied devant moi, il me fixe des yeux en me disant
« Tu es mignonne », etc. J’essaie de ne pas faire attention mais
ça m’énerve. Les hommes d’aujourd’hui jugent la fille d’après
son apparence. Je trouve que chacun est libre de s’habiller
comme il veut. Le garçon, on le juge rarement sur son apparence. Faïza, 17 ans
Certaines de mes copines se font tabasser par leur père et moi
aussi d’ailleurs. Mais comme on le voit aussi autour de nous, on
trouve que c’est quelque chose de normal. Si notre père nous
tape parce qu’il nous a trouvées avec un mec, on trouve cela
normal, ce qui fait qu’on ne va pas déposer plainte. C’est surtout
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ça la cause. D’un coté, c’est trahir les parents. Ils n’arrêtent pas
de nous mettre dans la tête depuis qu’on est petite que si tu te
casses de la maison...tu vas mourir toute seule, être dans la rue.
Ils font en sorte qu’on est obligée de rester à coté d’eux et qu’on
ne peut pas s’opposer à eux. Jale, 20 ans
Une cousine à moi a été forcée de se marier. Enfin, ce n’est pas
vraiment un mariage forcé. Elle même ne sait pas l’expliquer...cela
s’est passé tellement vite. C’était un garçon qu’elle ne connaissait
pas mais que son père connaissait et qu’il lui a présenté. Au début,
elle s’entendait bien avec la personne, elle s’est dit pourquoi pas.
Mais elle s’est vite rendu compte qu’elle ne l’aimait pas. Elle a
découvert des choses qui ne lui plaisaient pas chez ce garçon.
Son père ne voulait pas l’entendre, il a dit : « Tu vas me taper la
honte, on a déjà donné notre parole à sa famille ». Elle n’a pas
osé dire non à son père. Elle en a parlé à sa mère qui était du
même avis que son père. Toute la famille était au courant. Elle
s’est finalement mariée avec lui, il est venu ici, en Belgique, ils ont
habité ensemble et elle a fini par craquer. Elle ne l’aimait pas, elle
ne pouvait pas vivre avec lui! C’était comme un inconnu qui vivait
chez elle. Les parents ont réalisé que c’était un peu de leur faute,
puisqu’ils l’ont poussée à se marier avec, en pensant aux gens,
aux voisins. « Ce sera la honte, ce sera la honte » mais ils n’ont
pas vraiment pensé à la vie de leur fille. Nadia, 17 ans
...On est parti en Turquie pour qu’il me marie et puis je ne sais pas
ce qui s’est passé, mon père a changé d’avis d’un coup, comme ça.
C’est parce que je l’ai tellement supplié, je lui ai dit : « T’inquiète
pas, donne moi encore une chance, je vais réussir mes études, je
te le promets ». J’étais toujours en larmes. En plus, je n’ai même
pas vu le mec, j’allais me marier mais je n’avais même pas vu le
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mec. J’allais avoir 18 ans au mois de février. Et c’était l’été. Et
puis, il m’a dit : « Ok, on va retourner mais si tu ne réussis pas tes
études, tu sais ce qui t’attend ». Et puis en 5e, je me suis donnée
à fond dans mes études et j’ai réussi. Jale, 20 ans
Deux personnes qui se marient et qui ne se connaissent pas, c’est
destructeur. On ne sait pas s’ils vont s’aimer, s’ils vont s’entendre.
Après ils auront des enfants... c’est un peu la tradition tout ça. La
tradition ne permet pas le divorce, c’est toujours des disputes et
des disputes... c’est une vie gâchée ! Mopi, 18 ans
Ce n’est pas juste qu’on marie de force les filles. En Turquie, à
l’Ouest, dans les villages, il y a beaucoup de mariages forcés. Je
vois dans des émissions télé qu’il y a des filles qui ne veulent tellement pas se marier qu’elles se suicident. Je peux les comprendre.
Je n’arrive même pas à imaginer être dans une telle situation.
C’est leur vie, on ne peut pas les obliger à se marier avec des personnes qu’elles ne connaissent pas. Elles ont des droits mais leur
famille ne les écoutent pas, ça ne change rien. Elles ne trouvent
pas d’autres solutions que de se suicider. Si elle fugue et qu’ils la
retrouvent, soit elle se marie de force, soit ils tuent leur fille. Je
pense que les parents restent dans la mentalité d’avant. C’est
impossible de faire autrement, ils ont des lois, des codes entre
eux. Si la fille s’échappe, on la tue. Havin, 17 ans
Si mes parents me forcent à me marier avec un homme, je ne
pourrai pas vivre avec lui! Je dois l’aimer, le connaître. Je veux
me marier pour moi, pas pour mes parents, pas pour quelqu’un.
Je connais une fille dont les parents aimeraient qu’elle épouse
son cousin. Mais elle n’aime pas son cousin, elle dit « C’est mon
cousin, comment je peux me marier avec lui ? ». Ses parents ne
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comprennent pas, ils lui disent « Tu as un cousin, pourquoi aller
chercher une personne étrangère ? », c’est à dire en dehors de
la famille. Evren, 19 ans
Si les mariages forcés touchent plus les filles que les garçons,
c’est à cause de la pureté, je pense. Les filles ont une virginité qui
fait que les parents sont plus sur notre dos. Si un garçon a des
rapports sexuels, c’est tout à fait normal, ils ne vont pas lui dire
pourquoi tu le fais ou lui crier dessus, tout simplement parce que
c’est un homme ! Et la fille, si elle le fait, c’est grave, elle est devenue une pute, une fille facile. Toutes les insultes qui suivent par
rapport à ça. Ça doit être pour ça qu’on marie les filles le plus tôt
possible, pour éviter qu’elles perdent leur virginité. Jale, 20 ans
Une de mes cousines a été victime de violences conjugales. Elle
ne savait pas qu’il se droguait, qu’il était alcoolique. Le jour du
mariage, après la fête, quand ils sont rentrés, il lui a dit « Pourquoi
tu regardais celui-là comme ça ? ». La première nuit, c’était l’enfer !
Un jour, il neigeait vraiment fort en Belgique, il l’a fait sortir de la
maison pieds nus. Elle sonnait partout, elle demandait de l’aide
et plusieurs personnes lui ont fermé la porte. Elle a fini par retrouver notre maison, ses pieds étaient bleus et son corps rempli de
griffes. Ce n’était pas la première fois qu’il la battait mais la famille
lui disait « Patiente encore un peu, ça va s’arranger ». Alors qu’à
un moment donné, quand ça va pas, ça va pas ! Beaucoup de
familles ferment leur yeux en disant à la fille : « Vas y, retourne,
ça va aller, tu vas oublier... ». Mais ça va durer combien de temps ?!
Nadia, 17 ans
Je vois aussi à la télé turque, beaucoup de femmes qui ont
été tuées par leur mari. En fait, ce sont des couples divorcés.
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L’homme revient pour revivre avec elle, elle refuse alors il la tue.
Je pense que ces hommes ont une grande estime d’eux-mêmes,
si la femme n’accepte pas qu’il revienne, il se dit : « Comment ça
se fait qu’elle n’accepte pas ? ». C’est une femme donc il essaie
de la forcer. Les femmes ne sont pas les objets des hommes. Il
n’y a aucune raison valable pour tuer. Havin, 17 ans
Pour moi, déposer plainte, c’est une démarche pour dire non !
Mais si on reste à la maison sans rien dire, il y a personne qui va
nous entendre. Ça va toujours continuer, la situation ne va pas
évoluer. Si il y a plus de violence à la maison, c’est parce qu’on
reste plus à la maison et qu’on est plus entourée par ces gens
là. Et puis même, si on nous agresse dehors, cela ne va pas nous
blesser autant que si c’est des personnes avec qui on vit depuis
des années. Ça ne va pas faire le même effet. Jale, 20 ans
Mais encore...
Au Maroc à Tanger, je trouve qu’il y a eu une évolution : les femmes
commencent à conduire, commencent à travailler dans des restaurants... La mentalité que les femmes restent à la maison
commence à partir de plus en plus. Les individus commencent à
instaurer l’idée que la femme peut travailler comme un homme.
Mais tout dépend des villes, dans les grandes villes au Maroc
et en Algérie, les femmes sont policières ou commissaires. Je
trouve que les mentalités ont évolué depuis les années 90 où les
femmes ne pouvaient pas mâcher une chique et devaient rester
à la maison d’après ce que ma mère m’a raconté. Même chez les
jeunes, les mentalités ont évolué. Faïza, 17 ans
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La société idéale, c’est à dire égalitaire, ne va jamais exister car les
traditions ne vont jamais disparaître. Le plus important, c’est de
prendre conscience de ce qui se passe autour de nous. Comme moi
par exemple, j’ai mes traditions mais j’ai beaucoup plus d’idées par
rapport à ce que je veux plus tard. Une fille qui va toujours à l’école
puis à la maison, à l’école puis à la maison, elle sera toujours dans
certains stéréotypes. Plus tard, son avenir sera déjà tracé. Une
personne qui voit d’autres horizons, qui reçoit d’autres idées, peut
se dire qu’elle peut modifier certaines choses dans les traditions.
Elle pourra tracer son propre chemin. Il faut pouvoir se détacher
des traditions pour voir d’autres idées. Il faut pouvoir questionner
la tradition parfois parce que souvent la place de la femme, ce n’est
pas toujours ça. On peut prendre ce qu’on veut de la tradition mais
aussi refuser ce qu’on ne veut pas. Mopi, 18 ans
Avec les révolutions dans les pays arabes, je pense que cela va
changer. C’est vrai, les gens sont de plus en plus conscients, à
partir du moment où les gens sont conscients politiquement, il y
a moyen de travailler sur nos mentalités. Les politiques des pays
arabes empêchaient beaucoup d’initiatives pour les femmes. À
partir du moment où le peuple veut un changement de société,
c’est possible. En Syrie, les femmes sortent le jeudi pour manifester et les hommes le vendredi car il y a les répressions violentes
du gouvernement ce jour là. Tout individu se voit obligé de sortir
dans les rues, il n’y a pas d’inégalités à ce niveau là. C’est le point
fort de ces révolutions : ce n’est pas une révolution d’hommes,
c’est une révolution d’individus avant tout. Nora, 22 ans
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Merci...
...à toutes les filles qui ont participé à cette brochure
pour leur temps et leur précieuse confiance.
“La Voix des Femmes” asbl
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E.R. Susana Parraga, 20 rue de l’Alliance 1210 Bruxelles • © photos : La Voix des Femmes asbl • Mise en page :
Avec le soutien de :