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58 Mode Le Temps Mercredi 14 septembre 2011 COSMÉTIQUE CHANEL Le succès du bio a changé en profondeur le marché de la cosmétique traditionnelle: presque toutes les marques axent désormais leurs recherches et leur communication sur les vertus du végétal, une utilisation respectueuse de la nature, la valorisation de la biodiversité et le commerce équitable. Quels sont les enjeux éthiques, économiques, juridiques et scientifiques de cette tendance? Enquête. Par Valérie Fromont Jardin botanique d’un médecin amchi dans le Ladakh. Chanel a mis en place dans la région différents projets de préservation des ressources naturelles et des savoirs. Lesenjeuxdu pèces et de leurs utilisations. «Pour cultiver ou collecter les ressources naturelles et biologiques, il est nécessaire d’avoir accès aux terrains et à l’emploi des populations locales pour la récolte. L’approvisionnement respectueux signifie qu’à chacune de ces phases, les entreprises impliquées doivent s’efforcer au maximum de conserver la biodiversité, de respecter les connaissances traditionnelles, de s’assurer que chaque employé et fournisseur est rémunéré de manière équitable», résume l’Union for Ethical BioTrade (UEBT), une ONG basée à Genève, qui a pour mission de sensibiliser les acteurs du marché et l’opinion publique à ces valeurs. Ces rencontres entre le Nord et le Sud sont souvent l’occasion de mettre en place des projets de coopération durable. Elles sont aussi, avant tout, un sujet sensible: les bases de l’échange, qui peinent à trouver un cadre légal, sont une source incessante de remise en question: dans quelle mesure l’échange peut-il être le plus équitable possible? Il implique un partage des bénéfices tirés de l’exploitation de ces ressources génétiques, mais aussi – et surtout – un partage des connaissances. Dans le cas d’un échange respectueux, on parle de bioprospection. Lorsqu’il y a abus, il est question de biopiraterie (lire l’encadré p. 61). Ces enjeux sont aujourd’hui centraux dans le débat politique et médiatique. Les consommateurs en ont de plus en plus conscience, comme en témoigne une étude réalisée en 2010 par l’Insee pour le compte de l’UEBT: plus de la moitié des personnes interrogées ont estimé que les entreprises cosmétiques devraient prouver qu’elles acquièrent leurs ingrédients naturels de manière éthique. Plus de 50% d’entre elles déclarent aussi qu’un produit qui contribuerait à améliorer les conditions de vie des producteurs africains serait un argument d’achat décisif. 88% souhaiteraient en savoir davantage sur les pratiques d’approvisionnement utilisées dans le secteur des cosmétiques, et 84% des personnes interrogées boycotteraient même une marque qui ne respecterait pas les principes environnementaux et éthiques. Et ce sont souvent les consommateurs les plus jeunes qui sont le mieux informés et sensibles à ces enjeux. On comprend donc que ces questions soient au cœur de la stratégie et de la communication des marques. Le marketing de la biodiversité Chaque année depuis trois ans, l’UEBT réunit à Paris certains acteurs de l’industrie cosmétique, tels que L’Oréal, Guerlain ou Weleda, autour d’une journée de conférences intitulée «The Beauty of Sourcing with Respect», sur le thème de l’approvisionnement respectueux et de la traçabilité des matières premières. Parmi les différents thèmes abordés se pose la question de savoir comment «marketer» la biodiversité? Comment les entreprises cosmétiques peuvent-elles orienter leur stratégie sans risquer d’être accusées de biopiraterie ou de «greenwashing» – c’est-à-dire d’avoir des revendications écologiques non légitimes destinées à accroître leurs parts de marché? L’agence de communication Futerra, spécialisée dans le développement durable, qui a notamment participé à la campagne de L’Année internationale de la biodiversité en 2010, défend l’idée que la communication est la plus efficace lorsqu’elle se base sur le respect et l’émerveillement que suscite la biodiversité; c’est ce qu’ils appellent le «love-action message». Autrement dit, demander aux gens de célébrer ce qu’ils aiment dans la nature, et leur donner les moyens de le faire advenir. Autre élément important dans la communication: le «storytelling» autour d’un ingrédient. Mettre en avant un ingrédient phare de la formule et raconter son histoire, depuis sa découverte sur le toit du monde jusqu’à la confirmation de ses vertus miraculeuses dans un laboratoire de pointe. Raconter aussi, pour écarter les doutes, la mise en place des principes du commerce équitable pour pourvoir à son approvisionnement. La médiatisation de cas de «pillage vert», notamment dans les années 90 et en particulier dans le secteur de l’industrie pharmaceutique (comme le cas du hoodia et de l’ayahuasca), a contribué à forger des schémas très négatifs dans la représentation de ces échanges Nord-Sud. Des accusations difficiles à combattre, même si elles ne sont pas toutes fondées. Une fable des temps modernes GUERLAIN Que racontent les rituels de beauté, si ce n’est les moyens qu’une époque se donne pour esquisser ses fantasmes? Le désir, ici et maintenant: c’est ce que décline l’infinité de pots de crème et de lotions qui s’étalent dans les salles de bains, les supermarchés, les parfumeries, les spas, les instituts de beauté du monde entier. Comme une urgence à se réinventer sans cesse. L’histoire de la beauté est fascinante; elle raconte les métamorphoses des civilisations, ses ruptures, ses canons d’hier balayés d’un coup de pinceau, ses aspirations à se reconnaître dans de nouvelles icônes. Après une période de surenchère technologique, la cosmétique renoue aujourd’hui avec le fantasme de l’ingrédient miraculeux, celui qui embellit comme par magie. Qu’il s’agisse d’une fleur qui pousse dans l’Himalaya entre 2000 et 3000 m d’altitude, d’une variété rare d’orchidée ou d’une pomme suisse, la Uttwiler Spätlauber, les ingrédients végétaux sont dans l’air du temps. Ils incarnent un faisceau d’aspirations diverses, parfois inconscientes, que l’industrie cosmétique a su capter et ne cesse de décliner dans différents produits. Le succès du bio, ces dix dernières années, a changé en profondeur le marché de la cosmétique traditionnelle. Aujourd’hui, presque toutes les marques, de luxe ou de grande distribution, ont axé leurs recherches et leur communication sur les vertus du végétal, une utilisation respectueuse de la nature, la valorisation de la biodiversité et le commerce équitable. Les substances actives à base végétale dominent le marché des ingrédients. «Il existe deux tendances actuellement dans la cosmétique, constate Eric Gooris, le directeur des laboratoires Clarins. La première consiste à mettre en avant la plante dans son utilisation ancestrale, sa beauté, sa rareté. La seconde consiste à rechercher ce qu’il y a comme substance active dans l’extrait de plante. On va jusqu’à rechercher les fractions actives en le purifiant. Cela s’avère souvent compliqué car le monde végétal est d’une très grande complexité» (lire son interview p. 61). Les extraits naturels utilisés en cosmétique proviennent souvent de la biodiversité indigène de pays en développement. Dans cette quête de l’ingrédient miraculeux, les laboratoires sont conseillés par des ethnobotanistes, des chercheurs qui explorent la flore du monde entier pour rapporter des espèces susceptibles d’être testées. Dans leur prospection d’ingrédients, les ethnobotanistes peuvent s’appuyer sur les connaissances acquises par les communautés locales au sujet des es- La réserve exploratoire de l’Orchidarium Guerlain, en Chine, au cœur du Yunnan, œuvre en faveur de la protection de certaines espèces menacées. Pour l’UEBT, intégrer la biodiversité dans une stratégie de communication, ce n’est pas seulement informer les consommateurs au sujet des différentes actions de l’entreprise, c’est aussi un moyen d’élever le niveau de conscience et d’information dans la population. Les efforts déployés par les marques dans ce sens contribuent en tout cas à faire de la biodiversité et du commerce équitable un facteur de discernement dans l’acte de consommation. Le Temps Mercredi 14 septembre 2011 Mode 59 CLARINS COSMÉTIQUE A Madirobe, sur l’île de Madagascar, l’association Jardins du monde promeut l’utilisation de plantes médicinales pour soigner les populations défavorisées. Chanel, qui avait créé en 2006 Sublimage, un soin régénérant autour de la vanille de Madagascar, a lancé en 2010 Sublimage Essence Cellulaire Détoxifiante, une extension de la gamme qui puise son pouvoir et sa légende dans la fleur d’or d’Himalaya – presque une fable des temps modernes. Une trentaine de pages de dossier de presse raconte l’histoire de ce «nouvel or vert», sur le mode du «storytelling»: «De l’aventure: la découverte d’une terre inconnue. De la passion: celle de l’innovation. Une mission: la détoxification cellulaire. Des héros: des chercheurs passionnés. Une héroïne: une fleur princesse. Un happy end: une peau qui renaît.» L’or vert a été trouvé dans un monde où «la nature a des superpouvoirs», sur un arbre rare et précieux qui pousse à 3000 m d’altitude, sur les contreforts de l’Himalaya. C’est donc au Ladakh que Xavier Ormancey, directeur de recherche en ingrédients actifs chez Chanel et passionné d’ethnobotanique, a découvert cette fleur centrale dans la médecine amchi, la médecine traditionnelle tibétaine. «Nous sommes en altitude, avec moins d’oxygène, directement exposés au soleil, aux ultra-violets, au froid, à l’absence d’eau, explique Xavier Ormancey. Les rares plantes qui arrivent à se développer ici déploient des stratégies, des mécanismes très particuliers d’adaptation. C’est ce qui était intéressant du point de vue du botaniste ou du phytochimiste que je suis, car ces plantes contiennent des trésors moléculaires qu’on ne trouve nulle part ailleurs.» Dans le dossier de presse, on peut lire que la fleur d’or d’Himalaya augmente le métabolisme cellulaire, mais possède également des vertus détoxifiantes. Pour ne pas affaiblir ce pouvoir biologique, les fleurs fraîches sont distillées sur place, immédiatement après la récolte. L’extrait primaire est ensuite envoyé en France pour être affiné et épuré selon une technique de polyfractionnement, dévelop- pée par Chanel, qui permet de cibler et de concentrer les molécules actives. C’est là, au point exact de rencontre entre la recherche de pointe et les légendes ancestrales que se constituent les mythes modernes. La communication autour de Sublimage Essence n’oublie rien et détaille tout: les légendes tibétaines, la médecine amchi et sa transmission, la préservation des plantes médicinales, la biodiversité du Ladakh, la vulnérabilité des femmes dans cette région, la nécessité de procéder à une cueillette raisonnée. Et ce ne sont pas que des mots. En partenariat avec la Ladakh Society for Traditional Medicines, Chanel a mis en place des projets de préservation des ressources naturelles et des savoirs. Cent cinquante plantes médicinales ont été recensées, un herbier et une base de données informatiques ont été créés. C’est aussi la mise en place de sites de conservation, de jardins botaniques, et des essais de mise en culture biologique de plantes médicinales. La formation et la transmission sont à l’honneur. Outre la publication d’un livre sur les plantes médicinales et leurs propriétés, en anglais et en ladakhi, le financement d’un doctorat en botanique d’un étudiant indien, ce sont une trentaine de nouveaux amchis qui ont été formés, dont plus de la moitié sont des femmes. Des marques, des plantes et des hommes Emblématique de l’importance prépondérante de ces enjeux au cœur de l’industrie cosmétique et des nouveaux axes de communication, Sublimage de Chanel est un exemple parmi tant d’autres. Il serait impossible de faire l’inventaire des marques qui n’ont pas pris cette direction, mais citons quand même quelques exemples. Chez Guerlain, c’est l’orchidée qui est depuis plusieurs années à l’honneur. La firme parisienne a créé une plateforme qui se divise en trois pôles de recherche: agro- CHANEL marchévert Récolte de la fleur d’or d’Himalaya. Les fleurs fraîches sont distillées sur place avant que l’extrait primaire ne soit envoyé en France dans les laboratoires Chanel. biologie, phytochimie et protection de la biodiversité. Dans sa réserve exploratoire du Yunnan, en Chine, Guerlain s’est engagée dans un programme de préservation et de protection des orchidées, et de réintroduction de certaines espèces menacées. Sysley, précurseur en phytocosmétologie, vient d’inaugurer son centre de recherche certifié Haute Qualité Environnementale, afin de réduire au minimum les impacts sur l’environnement extérieur. José Ginestar, le directeur scientifique de la marque, insiste avant tout sur la qualité des extraits naturels de plantes, «qui font l’objet d’une sélection très sévère. Nous travaillons dans la plupart des cas directement avec le producteur ou le laboratoire d’extraction. Nous accordons beaucoup d’importance à la traçabilité de la plante, à l’origine et au processus de récolte.» Decléor, la marque spécialiste d’aromathérapie cosmétique et qui travaille notamment avec les huiles essentielles pour la gamme Aromessence (des sérums 100% naturels sans conservateurs), est évidemment très sensible aux questions d’approvisionnement: un million de fleurs de jasmin sont par exemple nécessaires pour extraire un litre d’huile essentielle… A Madagascar, où Decléor recueille, par le biais de petits producteurs, des actifs et huiles essentielles qui interviennent dans 25% de ses formules, l’entreprise a mis en place des programmes de reforestation de la vallée du Masindray et d’électrification solaire des écoles, entre autres… On pourrait encore citer Clarins, Shiseido, La Mer, Nuxe, Chrisitan Dior, Kiehl’s, L’Occitane, Kenzo, Weleda, Caudalie, Origins, Estée Lauder, Biotherm, The Body Shop – lui aussi pionnier dans ce domaine. Tous mettent en avant dans un produit l’utilisation d’une plante spécifique, si possible lointaine et mystérieuse, et des engagements «responsables» pour protéger les équilibres naturels et la diversité biologique, renforcer les relations à long terme avec les pays dont sont issus les extraits naturels en contribuant au développement local, à la création d’emplois et au partage des savoirs. Plus surprenant, des marques comme Nivea ou Garnier, qui ont bâti leur empire sur la grande distribution, ont durant cette année 2011 lancé des lignes vertes: Pour Nivea, la gamme Pure and Natural contient 95% de composants d’origine naturelle, et certains ingrédients bio comme l’huile d’argan, l’aloe vera, la camomille et l’huile de jojoba. Les recherches du laboratoire se sont concentrées sur le fruit de bardane, qui stimule la production de collagène, et dont les extraits utilisés sont eux aussi issus de l’agriculture biologique. L’assortiment pour bébés est lui aussi complété par des produits Pure and Natural. Garnier a mis sur le marché Bio Active, six produits certifiés bio Ecocert, à base de criste-marine et d’aloe vera: la première pousse dans les roches et les falaises exposées aux vents et aux embruns, la seconde est capable de survivre dans des milieux semi-désertiques. La marque met également en avant des principes de responsabilité environnementale dans le développement de ses produits et dans sa chaîne de production, des ingrédients traçables, des emballages écologiques: «La protection de la biodiversité et l’équité dans les échanges sont au premier rang de nos priorités», peut-on lire dans la communication de Garnier à propos de Bio Active. Les dossiers de presse ne se ressemblent pas, mais mettent pour la plupart en avant des principes identiques. Alors, pourquoi tant d’énergie déployée à informer les consommateurs sur ces questions? Aïny, une marque cosmétique née en 2006 «visant à ré-enchanter le monde en valorisant la diversité des cultuSuite en page 60 60 Mode Le Temps Mercredi 14 septembre 2011 COSMÉTIQUE Suite de la page 59 res, des végétaux et des sciences», a créé un logo qui trône sur ses produits aux côtés des labels Cosmébio et Ecocert et clame: No Biopiracy! Il indique ainsi en substance que la marque respecte les peuples et leurs connaissances, qu’elle établit des partenariats avec des organisations autochtones, qu’elle s’engage à reverser 4% de son chiffre d’affaires aux peuples du Pérou et d’Equateur comme droit d’utilisation de leurs savoirs traditionnels et à ne déposer aucun brevet lié aux plantes. Aïny, bien sûr, travaille dans la logique du commerce équitable avec les groupes de producteurs et de cueilleurs en achetant les plantes à un prix juste et en les accompagnant dans la défense de leurs droits. Avec son logo, Aïny a mis le doigt sur ce que beaucoup de firmes cosmétiques s’emploient à combattre: l’assimilation à des pratiques de biopiraterie (lire l’encadré p. 61). Recherche dans les laboratoires Sysley, à Paris, précurseur en phytocosmétologie. Si on connaît la plupart des plantes à fleur, on ne connaît souvent que 5% de leur composition chimique… «Lesconnaissancesseperdentparmanque d’auto-estime» ces: une variété de rose dite Rosa moschata, l’argousier, l’échinacée, la mauve, le calendula, l’ortie blanche, l’aneth et le lupin blanc. Sophie Guillon, directrice des opérations pour Valmont, explique sa position: «Notre philosophie, ce n’est pas la nouveauté à tout prix. Nous aimons les valeurs sûres: Valmont, c’est la tradition suisse. On utilise des plantes qui, en général, ont déjà fait l’objet de nombreuses études et qui ne sont pas si différentes de celles des recettes de grand-mère. En revanche, on va le faire de façon originale. Nous sommes conseillés par les biochimistes de Mediplant pour la sélection des plantes les plus appropriées sur tel ou tel sol. Une fois qu’on a ces données, on transmet ces fiches signalétiques à Valplantes, une coopérative de paysans bio en Valais réunis à la base par Ricola. Les plantes sont alors cultivées en hauteur (mais pas trop sans quoi elles gèlent) afin qu’elles stimulent leurs défenses et qu’elles aient davantage de propriétés antioxydantes et antiradicalaires. Et pour finir, nous poursuivons le processus avec Alpaflor (à Vouvry, toujours en Valais). Ce sont des gens amoureux de leur métier qui nous font nos extraits de plantes de manière extrêmement pure et artisanale.» L’amour et le soin des plantes: qu’elles poussent dans l’Himalaya ou en Valais, c’est toujours de cette sève-là que naissant les espoirs de beauté. Jean-Pierre Nicolas, ethnopharmacologue, met son énergie au service des liens entre les communautés humaines et leur environnement végétal. Avec l’ONG qu’il a fondée, Jardins du monde, il promeut l’utilisation de plantes médicinales afin d’améliorer la santé des populations ayant difficilement accès à la médecine et aux médicaments conventionnels. Il est également le premier lauréat du Prix ClarinsMen Environnement, et déniche des plantes pour répondre aux recherches de la marque. Le Temps: Lorsque vous êtes en mission et que vous arrivez sur place, quelle est votre approche? Jean-Pierre Nicolas: Lorsque des gens ont des difficultés pour se soigner, je commence par les rassurer en leur disant qu’ils ont tout ce qu’il faut sur place. Je privilégie toujours l’autonomie des populations, tout en les aidant à prendre conscience que ces ressources qu’ils ont à disposition doivent être utilisées de manière responsable. Quand je vais vers les gens, je n’apporte rien ou presque. Je suis là pour raviver les savoirs, les techniques traditionnelles. Souvent, les connaissances se perdent par manque d’auto-estime. Nous nous intéressons particulièrement aux femmes, qui sont les premiers agents de santé de la famille. Lorsqu’on leur demande si elles connaissent telle ou telle plante, elles disent que non, qu’il faut aller voir le chaman là-bas au bout du village… Il suffit d’aller faire un petit tour avec elle pour se rendre compte qu’elles connaissent un tas de choses, car ce sont elles qui font les potions. Une fois que l’on a redonné confiance aux femmes, le tour est joué, car elles vont pouvoir suivre les recommandations qu’on leur fait concernant la santé. GUERLAIN Mais votre métier, c’est aussi de découvrir de nouvelles plantes… On ne va pas tant à la recherche de plantes que de nouvelles façons de regarder la nature. On observe, on réfléchit, il y a beaucoup de créativité. Certaines plantes sont utilisées aussi bien au Honduras qu’au Burkina dans des régions arides, et nous regardons les différentes façons qu’ont les populations de les utiliser. Dans le Yunnan, un projet de «Rainforest Farming System» soutenu par Guerlain permet de valoriser tous les étages de la végétation, du sous-sol aux branches. Comment ciblez-vous les régions avec lesquelles vous travaillez? La démarche première de Jardins du monde, c’est d’aider les populations. Nous partons des gens et de la réalité. Nous nous intéressons aux régions qui sont en difficulté et c’est à partir de ce moment-là que nous nous posons la question de savoir quels pourraient être les termes d’un échange équitable. Cela dit, lorsque nous travaillons avec Clarins, nous ne misons jamais sur des plantes lointaines juste pour le plaisir de l’exotisme. Nous privilégions avant tout les plantes européennes: nous pensons local, développement durable, bilan carbone. Si nous sélectionnons finalement une plante lointaine, nous la pro- Oui, comme récemment par le département des médecines traditionnelles de Mongolie. Il existe làbas des groupes de femmes qui ont des difficultés à vendre leur argousier. Nous avons étudié cette possibilité chez Clarins, mais malheureusement elle n’est pas intéressante car de l’argousier, il y en a plein les Alpes. Nous avons en revanche décidé de protéger 104 000 hectares de taïga avec le soutien de Clarins. Nous allons étudier certaines plantes qui s’y trouvent et nous verrons le résultat dans cinq ans. Si certaines nous intéressent, elles pourront être produites par les femmes de la région. Ces recherches en laboratoire ne sont jamais inutiles car même si elles ne servent pas directement pour la mise au point d’un produit, elles retournent ensuite sur le terrain. CLARINS Il arrive que la plante miraculeuse ne se trouve pas forcément sous une pierre à l’autre bout du monde. Parfois, elle pousse simplement dans le jardin du voisin. Dans ce cas, les choses sont plus simples. La rêverie végétale étend ses rhizomes dans l’esprit des consommateurs tandis que les questions de droit des peuples autochtones, de partage des bénéfices, de transport et d’approvisionnement ne se posent pas, ou dans une moindre mesure. C’est le cas de la pomme Uttwiler Spätlauber, dont peu de gens avaient entendu parler jusqu’à ce qu’elle atterrisse en couverture du Vogue USA. Et pour cause: Michelle Obama herself en est fan. Cette ancienne variété de pomme suisse, devenue rare aujourd’hui (tout de même), était connue pour son exceptionnelle capacité de conservation mais son goût amer l’avait peu à peu évincée des étals au profit de variétés plus sucrées. Le fait qu’elle ne se ride pas ni ne perde de son goût au fil du temps a intéressé les chercheurs des laboratoires suisses Mibelle Biochemistry, une filiale du groupe Migros. Après quatre ans d’étude, les chimistes en ont isolé la substance active, baptisée PhytoCellTec Malus Domestica, dont le pouvoir régénérant sur l’épiderme serait exceptionnel. Cette formule a été vendue à des dizaines de firmes cosmétiques et on retrouve donc les vertus de la Uttwiler Spätlauber dans des soins coréens, chiliens, australiens, américains, français, et bien sûr suisses. On la trouve dans la ligne Zoé Effect vendue à la Migros, dans le mascara Virtuôse de Lancôme ou dans la gamme Skin Ergetic de Biotherm. Toujours en Suisse, la marque de cosmétiques Valmont a, elle aussi, su tirer parti des richesses de son environnement en mettant les plantes locales à l’honneur. Elle cultive dans son jardin phyto-alpin valaisan huit espè- SYSLEY La plante d’à côté L’ethnopharmacologue Jean-Pierre Nicolas. duisons selon des principes équitables. Les populations locales sont associées à la culture et elles en retirent des bénéfices économiques. Cela peut passer par la mise en place d’une école ou l’introduction d’un réseau hydraulique. De quelle manière les dérèglements climatiques orientent-ils vos recherches? La sécheresse ou les pluies très importantes peuvent appauvrir les cultures, et les gens n’ont pas assez à manger. La plante médicinale étant un moyen de se faire de l’argent, la pauvreté pousse alors les populations locales à prendre ces plantes dans la nature et à les vendre à l’extérieur pour se faire de l’argent. Après, tout cela part on ne sait où, sur Internet par exemple… Nous leur apportons les financements pour protéger la forêt et leur apprendre à utiliser les plantes. Chez Jardins du monde, l’aide que nous apportons passe beaucoup par la conscientisation et la formation: ce sont des valeurs immatérielles et c’est très dur de trouver des financements pour cela. Par exemple, nous leur apprenons à faire de la cueillette raisonnée, à n’utiliser que les feuilles – la partie renouvelable de la plante – et non l’écorce et encore moins les racines. Vous arrive-t-il d’être sollicités pour apporter de l’aide dans une région particulière? Qu’apprenez-vous des populations locales et comment se passe cet échange? Tout d’abord, il faut gagner la confiance des populations. Si vous allez là-bas avec la bouche en cœur demander des informations sur les plantes, on vous accusera de biopiraterie et on vous donnera de fausses informations. Avant, je faisais de la formation pour le secteur pharmaceutique mais j’ai arrêté car l’éthique n’y était pas. C’est une industrie où bien souvent ce travail de prospection est caché. D’autant plus que dans la cosmétique, nous n’avons pas besoin de quantités industrielles. La plupart du temps, nous pouvons nous appuyer sur deux ou trois communautés pour la production car on a surtout besoin de régularité. Pour la pharmacie, on compte en tonnes; pour la cosmétique en kilos. En tant que botaniste, ce que j’apprends des autochtones sur les plantes, c’est avant tout la subtilité des mélanges. Et en tant qu’anthropologue, on est toujours surpris de voir comment les gens en sont venus à sélectionner telle ou telle plante, alors qu’il y a tellement de choix possibles. On ne sait pas du tout quelle est l’origine des savoirs. Cela dépend beaucoup des régions. Par exemple, du côté de la taïga sibérienne, on s’en remet souvent au chaman: ce qu’il montre est une représentation, une mise en scène de la nature. Mais la chose la plus fondamentale, que l’on retrouve partout, c’est l’observation et l’humilité devant la nature. Propos recueillis par Valérie Fromont Le Temps Mercredi 14 septembre 2011 Mode 61 COSMÉTIQUE «Onneparleraalorspeut-êtreplusdecosmétiques,maisdemédicaments» Eric Gooris est le directeur des Laboratoires Clarins. Il explique quels sont les défis qui attendent les scientifiques d’aujourd’hui et de demain dans le domaine du végétal. Le Temps: Quel pourcentage du monde végétal a-t-il déjà été exploré? Eric Gooris: Cinq à 10% maximum. On peut connaître une plante sans connaître sa composition chimique. Nous ne connaissons pas à 100% la composition de tous les extraits qui sont utilisés dans la cosmétique. Nous en avons une «carte d’identité», nous connaissons les grandes familles moléculaires qui sont contenues dans l’extrait. Et nous découvrons de nouvelles plantes tous les jours… Toutes ces exigences excluent la recherche sur de nombreuses plantes. Est-ce un renoncement, pour un scientifique? Oui, mais il faut avant tout travailler sur des choses réalistes. Il existe beaucoup de plantes sur lesquelles vous devez abandonner vos recherches car lorsque vous CLARINS Quels sont les critères sur lesquels vous vous basez pour choisir les plantes sur lesquelles vous allez travailler? Soit on part en piste sans du tout connaître la plante et, là, c’est comme gagner au Loto, soit on part sur des plantes que l’on sait déjà avoir une efficacité et dans ce cas les tests ont beaucoup plus de chances d’être concluants. L’ethnopharmacologue Jean-Pierre Nicolas s’est spécialisé dans la remise en culture de plantes oubliées qui peuvent guérir certaines maladies et aider ainsi les populations défavorisées à se soigner. Cette connaissance des pharmacopées traditionnelles nous oriente dans le processus de sélection. Ensuite, on regarde la connaissance que l’on peut en avoir au niveau bibliographique. Le type de maladies sur lesquelles elles peuvent agir nous permet déjà de classifier la plante et laisse présager de son efficacité sur la division cellulaire ou de ses vertus anti-inflammatoires. L’autre critère primordial, c’est sa facilité d’obtention. Ce n’est pas tout d’avoir une plante qui, sur le papier, est très intéressante. Encore faut-il pouvoir s’en procurer en quantités suffisantes, et la liste des plantes protégées s’allonge de jour en jour. Tout cet aspect d’approvisionnement est complexe car il ne s’agit pas seulement d’en avoir en quantités suffisantes sur le moment. Si l’année suivante vous n’en avez plus, votre produit est par terre. exemple, elle peut très bien ne pas contenir son actif si elle n’est pas récoltée au bon moment. Jean-Pierre Gooris. creusez la bibliographie, vous vous apercevez qu’elles présentent des risques toxiques. C’est impossible d’utiliser ces plantes en cosmétique, ne serait-ce que pour des questions de communication. Si quelqu’un tape sur Internet le nom d’une plante et voit qu’il y a un risque de présence d’alcaloïde, même si notre extrait n’en contient pas, nous aurons de la peine à nous justifier, donc on laisse tomber. Et des plantes qui présentent un potentiel toxique, il y en a beaucoup! La nature est loin d’être sympathique. Quels sont les paramètres dont vous devez tenir compte pour déterminer la viabilité de l’approvisionnement? En Europe, on peut envisager de faire de la culture. Mais dans les pays lointains, il s’agit plutôt de cueillette. Il faut aussi tenir compte de l’impact du climat sur la récolte. On travaille avec des prévisions annuelles qui sont anticipées par les filières locales. On peut tout à fait avoir plusieurs sources d’approvisionnement. Mais si vous achetez une plante qui vient d’Afrique puis que vous la faites venir d’un autre continent, il faut s’assurer que sa composition moléculaire soit identique car elle varie en fonction du climat, du terrain et du degré de maturation. Si vous prenez la Centella asiatica, par Est-ce que vous vous orientez la plupart du temps vers des espèces capables de résister aux milieux hostiles pour traquer les actifs qui ont permis à la plante de résister aux agressions? C’est souvent le cas, même si ce n’est pas systématique. Revenons au cas de la Centella asiatica: un de nos fournisseurs avait fait des tentatives pour la faire pousser dans le Sud-Ouest. Il n’y est jamais parvenu. Elle poussait très bien mais elle ne produisait pas l’actif, car elle a besoin d’un stress de chaleur et d’UV particulier. Lorsqu’elles sont cultivées dans des milieux plus cléments, certaines plantes perdent de leur vigueur. Imaginons que l’on découvre une plante miraculeuse mais qui n’existe qu’en quantités très limitées; existe-t-il des moyens de reproduire ses actifs en laboratoire? Il faut identifier la molécule qui produit cette efficacité, si tant est qu’il n’y en ait qu’une seule et que ce ne soit pas un totum, c’est-à-dire une combinaison de molécules. On peut alors la reproduire à large échelle grâce à la chimie: c’est ce que fait l’industrie pharmaceutique, mais pas l’industrie cosmétique. On peut également, avec un tout petit bout de feuille, isoler les cellules végétales et les mettre en culture dans des fermenteurs. Vous pouvez faire subir à ces cellules des stress, de la chaleur, de l’agitation, de façon à leur faire synthétiser certains composés, et cela vous permet d’obtenir à la fin un extrait tout à fait spécifique. C’est un nouveau champ d’investigation, qui est aujourd’hui assez lourd et coûteux, mais qui va se moderniser. Il permettrait de se défaire des aléas de la récolte et de produire des extraits tout à fait originaux. Mais cela ne peut bien sûr pas s’appliquer à n’importe quelle plante: ce serait idiot de mettre des cellules en culture s’il n’y a qu’à se baisser pour les ramasser. Comment réaliser un extrait de plante? Ce sont des procédés très complexes et différents pour chaque plante. Les paramètres d’extraction peuvent être nombreux: on va jouer sur la chaleur, le stress, certains solvants. On teste différents modes d’extraction pour savoir lequel conserve le plus d’efficacité. On peut aussi être amenés à isoler les parties qui apportent l’efficacité, c’est-à-dire les fractions actives: c’est très lourd au niveau analytique. On peut ensuite faire purifier l’extrait pour enrichir une fraction active intéressante. Chez Clarins, nous avons ainsi quelques extraits qui contiennent entre 80 et 90% d’actifs. Cela se développera encore avec la modernisation des méthodes d’extraction. Dans une formule cosmétique classique, ce sont plusieurs actifs qui combinent leur efficacité: on peut avoir une action antiradicalaire, la synthèse de collagène et la relance de la division cellulaire, par exemple. Quelle est la plante que vous rêvez de découvrir? Celle qui aurait une action sur le vieillissement de la peau en aidant le derme à se régénérer et cela de façon très visible par l’utilisatrice. Ce ne sera peut-être que dans quelques dizaines d’années. Dans ce domaine, il reste beaucoup de choses à faire. Mais on ne parlera alors peut-être plus de cosmétiques, mais de médicaments. En cosmétique, nous visons l’efficacité, mais nous n’avons droit à aucun effet secondaire. Un médicament comme l’acide rétinoïque va donner une plus belle peau mais crée une inflammation avec de gros effets secondaires totalement interdits dans un produit cosmétique. Est-ce que la manière dont les plantes sont testées a évolué? Quand on teste une plante en laboratoire, on fait ce que l’on appelle des screenings, c’est-à-dire des tests sur culture de cellules ou sur explants de peau. Avec le temps, ils se sont beaucoup sophistiqués, mais il existe de nombreux tests, et l’on ne trouve finalement que ce que l’on cherche. Le fin du fin, c’est de tester un actif sur un certain nombre de gènes. Sachant que le génome comporte quelque 30 000 gènes, on peut faire des tests sur le génome complet, ou plus particulièrement sur certains gènes de l’épiderme. Du moment que l’on est capable de voir l’impact d’un extrait sur tous les gènes de l’épiderme humain, on fait un screening à 360° et on a toutes les chances de cerner sur quel type de gènes l’extrait va agir et pourquoi. L’industrie ne le fait pas systématiquement parce que ce sont des tests très coûteux et compliqués. L’engouement pour le bio a-t-il changé votre manière de travailler? Il y a trois ans, Clarins a racheté la marque Kibio. Le développement de produits bio fait appel à des règles très spécifiques et l’on s’interdit énormément de matières premières. Mais toute cette connaissance que nous avons acquise en formulant du bio profite peu à peu à la marque Clarins. Désormais, lorsqu’on a la possibilité de faire un extrait végétal bio, on le fait. On respecte l’environnement, on n’utilise pas de pesticides, c’est cohérent avec la mouvance actuelle. Si on peut faire des extraits de plantes de manière plus naturelle, il faut le faire. Propos recueillis par V. F. S IN AR CL «Centella asiatica». Luttercontrelabiopiraterie Qui a accès à la biodiversité? Comment la définir? Qui bénéficie de son utilisation? Autant de questions sur lesquelles se penchent différentes institutions internationales pour essayer de mettre en place un régime d’intérêts équilibré entre les divers partis et lutter efficacement contre la biopiraterie. cernant l’accès à de telles connaissances et leur partage lors de leur utilisation. Le protocole a également précisé et étendu la notion de «Ressource génétique», qui s’applique désormais aux composés biochimiques – et non plus aux seules unités fonctionnelles de l’hérédité – des ressources végétales, animales ou microbiennes, utilisées à des fins de recherche et de développement. Malgré ces avancées, la biodiversité et ses usages peinent à trouver un cadre législatif, et surtout à être mise en œuvre. Définir quelles devraient être les relations entre l’homme et la nature, redistribuer les droits et les responsabilités entre les Etats et les sociétés civiles est un véritable casse-tête. diversité biologique, «même si rien ne se passe isolément. Ce sont des efforts de toutes parts, y compris à l’OMC, pour mettre en place un cadre compréhensible et un régime d’intérêts équilibrés entre les différents partis», poursuit Cathy Jewell. Sans cesse dépassé par l’évolution des connaissances, des techniques et des enjeux politiques, le cadre juridique des accords internationaux peine à englober la complexité et la diversité des situations. «Je ne sais pas si l’on arrivera un jour à sceller un accord car ce sont des représentations politiques, des visions du monde qui s’affrontent sur la transformation du «vivant» en marchandise, des rapports de force entre le Nord et le Sud, nous confie Catherine Aubertin. Il y a tout un contexte La question des brevets Le débat a également lieu sur d’autres scènes que la Convention sur la diversité biologique. Parallèlement au processus de Nagoya se pose la question des brevets qui, elle, relève de la propriété intellectuelle. Actuellement, «les aspects procéduraux sont rationalisés au niveau international par l’OMPI, mais ils sont différents pour chaque pays», note Cathy Jewell du bureau d’information de l’OMPI. Aujourd’hui – et ce ne fut pas toujours le cas, ce qui a occasionné de nombreux dérapages – les brevets portent sur un acte de création intellectuelle, éventuellement à partir d’une substance vivante, mais ne peuvent pas couvrir une plante dans sa totalité. On ne brevette pas un gène, mais les fonctions du gène, et pour un certain nombre d’usages définis. Aujourd’hui, les pays du Sud s’organisent pour exiger que les demandes de brevet s’assortissent d’un certificat d’origine des ressources biologiques. Ce sont des discussions parallèles à la Convention sur la GUERLAIN La biopiraterie se définit par l’utilisation d’ingrédients de la biodiversité ou de connaissances locales sans compensation auprès des communautés. Or, la Convention sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992 au Sommet de Rio, et aujourd’hui ratifiée par plus de 190 Etats, a marqué un tournant dans la lutte contre la biopiraterie. Selon Catherine Aubertin, économiste, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et auteure de plusieurs ouvrages sur ce sujet*, «la Convention sur la diversité biologique a été conçue pour que tous les pays signataires partagent à la fois les efforts et les bénéfices de la conservation des biens et des services fournis par la biodiversité. On comprend que les pays du Sud aient obtenu en contrepartie des deux premiers objectifs – la conservation et l’usage durable – un troisième objectif concernant l’accès et le partage équitable des avantages tirés de l’exploitation des ressources génétiques»**. La dixième conférence des parties (signataires) de la Convention sur la diversité biologique qui s’est tenue à Nagoya, en 2010, a adopté un protocole contraignant autour de l’«Accès et le partage des avantages» (APA). Ce texte a été adopté, mais pas encore ratifié (prévu pour début 2012). Avant d’exploiter une ressource génétique, l’entreprise aura l’obligation d’obtenir une autorisation préalable du pays fournisseur. Le protocole envisage également la mise en place d’un certificat de conformité international comme preuve que l’entreprise aura souscrit à ses obligations de reconnaissance et de partage des éventuels profits. Les ressources génétiques allant souvent de pair avec des connaissances traditionnelles dans les communautés autochtones, le protocole contient également des dispositions con- «La Convention sur la diversité biologique a été conçue pour que tous les pays signataires partagent à la fois les efforts et les bénéfices de la conservation des biens et des services fournis par la biodiversité.» politique en amont de la Convention sur la diversité biologique. Ce fut une rencontre entre les mouvements de revendication autochtones, qui étaient marginalisés, et les mouvements environnementaux internationaux. Certains pays du Sud, et notamment d’Amérique du Sud, qui ont de fortes composantes indigènes dans leur population, ont défendu leurs droits en se présentant comme les gardiens de la biodiversité. La Convention de la diversité biologique a représenté une formidable tribune pour revendiquer la reconnaissance de leurs droits sur leurs ressources et leurs savoirs.» Selon elle, la solution reposerait sur des principes éthiques et des échanges scientifiques: «Il faudrait que les chercheurs et les entreprises aient conscience du contexte social qui entoure l’accès à la biodiversité, et qu’il y ait des partenariats avec les communautés et les chercheurs locaux. Favoriser la recherche et le partenariat scientifiques: ce serait cela, l’échange juste. Faire des conservatoires botaniques, des herbiers. Echanger et construire des savoirs communs, valoriser les produits locaux sur place, même si tous les pays n’ont pas les infrastructures pour lancer des médicaments ou des cosmétiques sur place.» Et dans les faits, c’est la solution vers laquelle se tournent la plupart des laboratoires cosmétiques conscients des enjeux, et désireux de faire preuve d’éthique et de transparence. *Les Marchés de la biodiversité, C. Aubertin, F. Pinton, V. Boisvert (org.) Ed. de l’IRD, 2007. ** Les Compromis de la Convention sur la biodiversité, Encyclopédie du développement durable; Les Editions des Récollets, http://encyclopedie-dd.org/; www.association4d.org/IMG/pdf/ Aubertin_biopiraterie.pdf