AU REVOIR DIANE Nous venons d`apprendre - Saint-Leu-la
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AU REVOIR DIANE Nous venons d`apprendre - Saint-Leu-la
AU REVOIR DIANE Nous venons d'apprendre le décès de Diane Deriaz. Elle avait 86 ans. Nous ne croiserons plus sa frêle silhouette aux vêtements chatoyants et aux chapeaux brillants de fantaisie. C’était une personnalité de Saint-Leu où elle habitait depuis 1932. Celle qui voulut troquer son vrai prénom (Jeannine Raymonde) par celui de Diane, avait raconté ses souvenirs dans un ouvrage publié en 1988 chez Albin Michel "La tête à l'envers, Souvenirs d’une trapéziste chez les poètes". Lawrence Durrell, qui l’avait poussé à rédiger ses mémoires dès 1961, en assura la préface vingt-sept ans plus tard ! Son livre fut même traduit en japonais, langue qu’elle apprit à la suite de différents séjours au pays du soleil levant. Rappelons que Diane fut un temps hôtesse de l’air de la Japan Airlines et que cela lui permit de rayonner dans le vaste monde ! Jeune femme d’une grande beauté, sportive née dans une famille de lutteurs et d’haltérophiles, elle fut trapéziste dès l’âge de huit ans, travailla chez Pinder et Tabarin, lança le catch féminin en 1952 jusqu’à ce qu’une chute lui interdise la poursuite de son art. Elle évoquait ainsi son enfance saint-loupienne et la découverte de sa vocation sportive : « J’allais avec mes parents assister aux concerts de l’harmonie municipale …Je découvris le cinéma en allant dans le somptueux cinéma de Saint-Leu [cinéma casino avenue de la Gare] où l’on réservait ses places comme au théâtre et où, après les attractions de l’entracte avec Georges Guétary et Paul-Émile Deiber, j’éprouvai l’un des chocs de ma vie en voyant Sessue Hayakawa dans « Forfaiture »… J’avais sept ans et demi [1934] quand, au cours d’une kermesse, je vis un numéro extraordinaire sur le toit de l’école de filles : Un acrobate en smoking… Il s’appelait Edmond Rainat… Cet homme, qui venait de m’éblouir était un vieux monsieur de 63 ans…Il habitait Saint-Leu, pas très loin de chez nous… Un an après notre rencontre, j’avais huit ans et demi, Rainat voulait faire de moi une professionnelle… Un journal m’appela « la Shirley Temple du trapèze »…On avait installé un trapèze dans notre jardin [près de la place des Martyrs de la Libération]. Entre le marronnier et un mur, mon père fixa la barre de soutien… Pendant trois ans je fus applaudie et pelotée dans les kermesses… Mais Rainat fut tenu de partir… Fini l’entraînement dans son jardin qui longeait une voie ferrée et où plongeaient les regards des conducteurs de locomotives qui ralentissaient en nous voyant… » Elle raconte aussi comment elle connut la famille Larronde en 1936: « Je traversais un long désert quand, à l’école, j’éprouvai un coup de foudre, un coup d’amour, cette chose merveilleuse et épouvantable. Pour une petite fille, de deux ans plus jeune que moi… Myriam Larronde…C’est un miracle qu’elle, puis son frère, qu’elle me présenterait un mois après, m’aient acceptée comme amie… Les Larronde allaient devenir ma deuxième famille, non ma vraie famille, et Olivier le grand amour de ma vie …Ils m’ouvrirent les portes de leur demeure, à trois cents mètres de chez moi…[rue Cognacq-Jay] Le père [Carlos Larronde]…était, avant tout poète…Olivier…ses maîtres étaient les poètes et les œuvres. ..Grâce à lui, à douze ans [1938], j’ai lu Lautréamont…Ses poètes préférés étaient Baudelaire, Verlaine, Nerval, Artaud, Cocteau…Olivier connaissait et adorait les surréalistes… Une tragédie s’abattit sur la famille Larronde en 1939. Carlos, âgé de cinquante ans environ, eut une attaque cérébrale…Il mourut… Olivier hurla pendant trois jours et trois nuits…Le choc subi préparait sans doute les crises d’épilepsie qui l’affecteraient plus tard… Deux ans après, le destin frappa de nouveau…Olivier me rejoint. Mimi était morte. Mimi c’était Myriam… Ma passion pour Myriam s’est reportée sur Olivier… » Olivier Larronde, le poète oublié, qui vécut son adolescence dans notre ville et dont une rue porte le nom depuis 1985. Celui qu'elle avait connu petit garçon et qu’elle appelait avec tendresse "Mon bel Olivier". « Pour moi, c’était un prince, radieux, gai, qui jouait sur les mots avec une rapidité un peu semblable à la vitesse des patins à roulettes sur lesquels nous nous envolions. » Dans un entretien qu’elle accorda au cinéaste Bernard Pavelek en 1991 elle parle du « sublime poète, très difficile, mais magnifique ! »... de « ses poèmes parmi les plus beaux de la langue Française »…Elle poursuit : « Je comprends qu'il ait fallu attendre si longtemps pour que ça fasse un petit "jus", comme ça autour de son œuvre.. » Elle connut toute l'intelligentsia culturelle de l’après-guerre et fréquenta Eluard dont elle fut un temps en 1948 la « muse inspiratrice ». Leur première rencontre est due au hasard. Dans son livre Diane parle d’un recueil de poèmes signé Desroches qui la séduisit, d’une lettre adressée au poète inconnu et d’un rendez-vous où le miracle se produisit : elle le fit rire ! N’hésitez pas à parcourir la vidéo de 1964 sur Eluard accessible sur le site de l’INA pour y retrouver quelques images fugitives de Diane disant que les deux choses que détestait le plus Eluard étaient les hommes et les chevaux et que les deux choses qu’il aimait le plus étaient les femmes et les écrevisses …. Jacques Audiberti, qu’elle rencontra grâce au cinéaste Jacques Baratier, lui dédicaça sa pièce « Jeanne d’Arc » en 1950. « Un grand poète », dit-elle de lui lors du même entretien précité, « un grand rigolard, aussi, asthmatique...qui m'a émerveillé, qui a écrit une pièce superbe, que je lui ai inspirée et qui s'appelle Pucelle, ça c'est un privilège!... « parce que je lui rappelais... Jeanne d'Arc !... J'étais jeune... J'avais un côté "guerrier", très forte, physiquement, et un peu aventurière... J'étais... un peu voyante !... Un peu guérisseuse, révoltée, croyant qu'on pouvait faire des choses difficiles, comme la grande Jeanne, voilà, alors il avait trouvé un sujet d'inspiration et il a écrit une pièce superbe sur Jeanne d'Arc ! …Où Jeanne est dédoublée, il y a deux Jeanne, c'est à dire la Jeanne guerrière et puis une Jeanne sous-jacente, invisible, qui est une paysanne, très simple, qui correspond assez bien à la dualité, enfin à la dualité, aux deux personnes que je suis, en fait il y en a cinquante, probablement, comme tout le monde, on est "Jeckill and Hyde"... Comme vous, probablement... Mais enfin ça c'est évident que, si on me dit : "Comment vas-tu ?", je ne comprends pas très bien, parce que, à quel "tu", s'adresse-t-on ? Il faut dire: "Comment allezvous ?" Parce qu'on est plusieurs, "Comment vas-tu ?" c'est idiot !" Elle joua un petit rôle dans un des films de Baratier « l’Araignée de satin » en 1983 et dans « Rue du Bac » de Gabriel Aghion en 1990. Elle croisa la route de Cocteau, Picasso, Man Ray, dont elle fut le modèle (photo ci-contre), Max Ernst et bien d’autres… Roland Penrose, qu’elle fréquentait depuis Noël 1953, quand il la reçut dans sa propriété de Farley Farm, dite « Maison des Surréalistes » avec, entre autres, Max Ernst, Caroline et Dominique Eluard et qu’elle commença un « ménage à trois » avec lui et son épouse Lee Miller, passa les dernières années de sa vie en sa compagnie. Ils voyagèrent tous deux à travers le monde entre 1980 et 1984, aux Etats-Unis, au Kenya, au Sri-Lanka, aux Seychelles… Dans son essai intitulé “The Lives of the Muses: Nine Women & the Artists They Inspired”, Francine Prose parle d’une “long affair with the trapeze artist Diane Deriaz”… Ses archives avaient en partie disparu il y a quelques années lors d'un incendie dans un appentis au fond du jardin de la petite maison qu’elle occupait rue du Général de Gaulle et qui lui servait aussi à entreposer ses peintures. Elle avait été beaucoup frappée par la perte de nombreuses correspondances originales, perte qu'elle considérait comme irréparable. Je l'avais croisée il y a environ trois semaines et trouvée très affaiblie. Comme je lui demandais des nouvelles de sa santé et lui faisais miroiter" l'arrivée du printemps», elle m'avait répondu "et de ma mort aussi"... Gérard Tardif Nouvel observateur 6 mai 1988 Toi, mon inconnu Poème de Diane Deriaz Toi, mon inconnu Ton cœur a connu Les belles couleurs Des chutes des fleurs Tu sais les secrets De la rose nue Du regard des mains Qui jouent du bonheur Et moi qui suis seule Mon rêve est caché Ma maison est triste L’ami que j’attends A perdu ses formes Tu vas t’y nicher Et crier au fou Si parfois m’entends Mais peut-être un jour Ma rue sera belle Mes gestes connus Te feront moins peur Et tes longs volets Et ma belle échelle Ouvriront leurs yeux Et lieront nos cœurs