Approche systémique des jeux pragmatiques communicationnels

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Approche systémique des jeux pragmatiques communicationnels
Université Rennes 2 - Haute Bretagne
Master 2 Langues et Cultures Étrangères et Régionales
Aire Anglophone
Approche systémique des
jeux pragmatiques communicationnels
Colin Fay
Sous la direction de Mr Daniel Roulland
2012
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Remerciements :
Je remercie sincèrement Mr Daniel Roulland,
mon directeur de recherche,
pour son soutien permanent ainsi que pour ses conseils avisés,
sans qui ce mémoire n’aurait jamais pu être porté à terme.
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Table des matières :
Avant-Propos!5
AP.1. Une sémiologie pragmatique!6
AP.2. Les signes!8
AP.2.1. Niveaux du signe!9
AP.2.2. Canaux du signe!11
AP.3. L’intentionnel et le non-intentionnel!13
Introduction!15
I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer!16
I.2. L’incertitude!18
I.3. Problématique!20
A. Origines théoriques!21
A.1. Du code à la pragmatique!22
A.1.1. L'approche Saussurienne!22
A.1.2. La théorie du code!23
A.1.3. L'approche pragmatique!26
A.2. La pragmatique et la pertinence!29
A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole!29
A.2.2. Le modèle inférentiel!32
A.2.3. La pertinence!35
A.3. L'économie cognitive!39
A.3.1. La communication comme système!39
A.3.2. Retour sur l'incertitude!42
A.3.3. Le modèle économique-efficace!45
B. Théorie du système communicationnel!49
B.1. Stimulus et environnement!51
B.1.1. Stimulus et attention sélective!51
B.1.2. L'environnement cognitif direct!54
B.1.3. L’environnement cognitif indirect!56
B.2. Compréhension, production et sens.!58
B.2.1. Compréhension et production!58
B.2.2. Retour sur l'intention!62
B.2.3. Effets contextuels et sens!65
B.3. Un système cybernétique!68
B.3.1. Définition!68
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B.3.2. Rétroaction et autorégulation!72
B.3.3. L'imprédictibilité!75
C. Jeux et enjeux!79
C.1. Le jeu régulier!81
C.1.1. L'équilibre en communication!81
C.1.2. La régularité!84
C.1.3. L'emprisonnement fractal de la régularité!87
C.2. Le jeu créatif!91
C.2.1. Le jeu méta-communicationnel!92
C.2.2. Le cas du mensonge!95
C.2.3. Le jeu ludique!98
C.3. Le jeu interférant !101
C.3.1. Le jeu conversationnel et culturel!102
C.3.2. Lie Catching!105
C.3.3. Le jeu émotionnel et pathologique!108
Conclusion!112
Annexes !118
D.1. Le jeu créatif!120
D.1.1. Le jeu méta-communicationnel!120
D.1.2. Le cas du mensonge!122
D.1.3. Le jeu ludique.!123
D.2. Le jeu interférant !125
D.2.1. Le jeu conversationnel et culturel!125
D.2.2. Lie Catching!126
D.2.3. Le jeu émotionnel et pathologique!128
Bibliographie !130
Bibliographie complète!131
Bibliographie thématique!135
Théorie de la communication!135
Théorie des systèmes!136
Théorie des jeux!137
Psycholinguistique!138
Index!140
4 sur 140
Avant-Propos
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!
AP.1. Une sémiologie pragmatique
« Les délimitations classiques des divers champs scientifiques subissent
du même coup un travail de remise en cause :
des disciplines disparaissent, des empiètements se produisent aux
frontières des sciences, d'où naissent de nouveaux territoires. »
J.F. Lyotard, La condition postmoderne.
!
Ce mémoire est une exploration du système de la communication et de ses
jeux. Avant d'entrer dans le coeur de cette étude, il est important d'établir les limites
disciplinaires qui entourent un tel travail.
!
L'étude de la communication se situe au croisement de deux « sous-
disciplines » des sciences cognitives : la psychologie cognitive et la sémiologie
pragmatique.
!
Les sciences cognitives sont celles qui cherchent à déterminer « comment un
système naturel (humain ou animal) ou artificiel (robot), acquiert des informations sur
le monde qui l'entoure, comment ces informations sont reportées et transformées en
connaissances, et comment ces connaissances sont utilisées pour guider son
attention et son comportement. » (Lemaire,1999:13)
!
L'étude du comportement communicationnel s'inscrit dans un premier temps
dans la psychologie cognitive, science étudiant les mécanismes fondamentaux de la
cognition humaine, i.e. les fonctionnements de « l'intelligence » et de la pensée,
faculté « mobilisée dans de nombreuses activités, comme la perception, les
sensations, les actions, la mémorisation et le rappel d'information, la résolution de
problèmes, le raisonnement (inductif et déductif), la prise de décision et le jugement,
la compréhension et la production du langage, etc. » (Ibid:14) Il pourrait sembler de
prime abord que l'étude du fonctionnement de la communication se situe dans
l'étude de la compréhension et la production du langage, pourtant, les activités qui
entrent en jeu lors de la communication sont plus nombreuses, à un point où toutes
ces activités doivent être prises en compte. De fait, chacune de ces activités agit sur
le système communicationnel, et est également affectée par lui.
!
Cependant, prendre uniquement l'optique de la psychologie cognitive pour
rendre compte du fonctionnement du système communicationnel ne permet pas
d'étudier de façon rigoureuse ce système. En effet, bien qu'il faille les prendre en
6 sur 140
considération, les activités cognitives citées plus haut ne doivent pas être analysées
dans leur globalité, mais uniquement dans leur rapport aux signes qui existent dans
un processus de communication. En d'autres termes, l'autre pan de l'analyse se situe
dans l'étude des signes 1 produits lors de la communication, donc une étude
sémiologique de la communication. La sémiologie est définie par Saussure (1995:33)
comme la « science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle
formera une partie de la psychologie sociale (…). Elle nous apprendrait en quoi
consistent les signes, quelles lois les régissent. » La sémiologie étant une science
des signes de manière générale et notre étude limitant ces signes aux signes
employés lors de la communication, il est important de considérer la sémiologie à
travers le prisme de la pragmatique, c'est-à-dire en tant que « science qui traite des
signes (dans leur rapport) à leurs interprètes. » (Armengaud,1999:36) Cette limite de la
sémiologie à travers une étude pragmatique doit être prise dans le paradigme de la
communicabilité qui est le suivant :
« Axiome 1: le sujet parlant, de par son discours, ne peut pas ne pas communiquer.
Axiome 2: toute communication présente deux aspects, le contenu et la relation, tels
que le second englobe le premier.
Axiome 3: toute communication implique la réciprocité, qui est symétrique ou
complémentaire.
Axiome 4: toute communication actualise le système virtuel des significations et
réalise, en même temps, la dépendance de ce système vis-a-vis des conditions de la
communicabilité. » (Paret cité dans Armengaud,1999:103)2
!
L'étude de la communication proposée ici, portant sur la communication et les
jeux communicationnels, c'est-à-dire sur le fonctionnement et le dysfonctionnement
du système, est donc au croisement, à l'intersection de ces deux disciplines,
restreignant le vaste champs de recherche des sciences cognitives : la psychologie
cognitive étant limitée à la cognition liée à la communication, et la sémiologie aux
signes existants et influents en communication.
1
Nous utiliserons dans cette étude le terme sémiologie pour renvoyer à la théorie du signe. Le terme
signe sera utilisé au sens large de « manifestation sémiotique », c’est-à-dire renverra à une
manifestation d’un ou plusieurs signe(s)
2
Les axiomes de ce paradigme ne sont pas développés plus en profondeur ici, leur importance se
révélera tout au long de ce travail
7 sur 140
!
AP.2. Les signes
« Ce terme signes, présent dans
des vocabulaires très différents (de la théologie à la médecine)
et dont l'histoire est très riche, (de l'Évangile à la cybernétique)
ce terme est par là même ambigu. »
R. Barthes, Éléments de sémiologie.
!
Ainsi, notre communication est peuplée de signes, traités cognitivement. Ces
signes sont, pour prendre une définition très large, une unité, une entité au sein du
système communicationnel qui renvoie, qui réfère à un sens. Chaque signe est
composé de deux plans : « le plan d'expression et (...) le plan des
contenus » (Barthes,1964), renvoyant respectivement au signe en tant qu'entité
physique et au sens de ce signe.
!
Avant de passer au cœur de l'étude des mécanismes du système de la
communication, nous spécifierons d'abord ce que sont ces signes, à travers une
définition des deux pans du signe. Le travail des deux paragraphes qui suivent
permet de donner une définition de l'identité de ces signes, en partant du postulat
que l'existence du signe est conventionnelle, sans pour autant expliquer la nature de
cette convention. Nous suivrons en effet la prémisse scientifique de l'étude d'un
système basée non pas sur une réponse à pourquoi il fonctionne, mais sur une
réponse à comment il fonctionne. Ainsi nous ne verrons pas pourquoi le signe existe,
pourquoi un signe est lié à un sens, mais comment ce signe existe, comment il
fonctionne à travers le système, et comment un signe se lie à un sens. Comme le dit
Douay (2000:66), nous nous intéressons « aux moyens formels, systématisés (...) qui
permettent la communication et non aux choses infinies qui peuvent être
communiquées par leur emploi dans des situations par définition toujours
nouvelles. »
8 sur 140
!
!
AP.2.1. Niveaux du signe
!
Les interlocuteurs communiquent sur deux niveaux. Hermann Parret les
appelle « contenu et relation » (cité dans Armengaud,1999:103). Cependant, pour ne pas
créer un écho qui porterait à confusion avec les dichotomies expression/contenu du
signe, nous allons utiliser une autre terminologie. Le contenu d'Herman Parret est ce
que Gardiner (1989) appelle les choses : il faut ici prendre la notion de « chose »
dans le sens large du terme, celui entendu par Gardiner : il est vrai que notre
discours peut faire référence à du matériel aussi bien qu'à de l’immatériel, et donc le
discours ne fait pas toujours référence aux choses en tant qu'objets concrets. D'un
autre côté, « affirmer que le discours sert à exprimer la pensée, c'est tout simplement
méconnaître le fait que je peux parler du crayon avec lequel je suis en train d'écrire,
de ma maison, de mes livre, etc. » (ibid:27) Il semblerait juste de dire que le discours
exprime des « pensées sur les choses », mais cependant rien ne contredit l'idée
qu'un processus cognitif, qu'une pensée soit elle même une « chose », au sens large
où nous l’entendons ici. En effet, le discours courant nous renvoie continuellement à
l'idée que nous parlons de « quelque-chose », et il n'y aurait rien d'illogique ou
relevant du contresens d'imaginer la production d'une phrase telle que « une chose
est certaine, c'est que je trouve cela compliqué » ou « la réflexion sur ce sujet est
une chose difficile », ou encore « elle a trouvé la solution, je n'avais pas imaginé une
telle chose ».3
!
Affirmer que nous communiquons sur quelque chose pourrait sembler être
l'affirmation d'un rasoir d’Ockham. Cependant, les signes référant aux choses
peuvent revêtir une configuration particulière : les signes peuvent également être
utilisés pour la méta-communication, ou ce qu'Herman Parret ou Watzlawick (1972,49)
appelle relation, c’est-à-dire « la manière dont on doit entendre le message. » De fait,
les locuteurs peuvent communiquer sur des choses, mais aussi sur leur
communication, sur leur interaction, c'est-à-dire qu'ils peuvent communiquer et métacommuniquer. En d'autres termes, conjointement au discours sur les choses dans un
sens large, les locuteurs communiquent leur(s) point(s) de vue, leur(s) sentiment(s)
sur la communication, c’est-à-dire qu’ils communiquent sur leur interaction, sur la
3
Pour un développement complet de ce point, voir Gardiner,1989:27-32,§8.
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relation qu’ils entretiennent l’un avec l'Autre. Nous verrons dans ce travail que cette
méta-communication est liée à l’existence des jeux ainsi qu’aux possibilités
d’ajustements communicationnels : les interlocuteurs en situation de jeu doivent
pouvoir méta-communiquer sur cette situation de jeu, et lorsqu'une communication
sur une chose a échoué, il est nécessaire d'envisager de méta-communiquer afin
d'évaluer les sources de l'échec, en d’autres termes, la méta-communication est ce
qui permet aux jeux communicationnels d’exister, c’est en faisant passer la
pertinence de la communication au niveau méta-communicationnel que l’existence
des jeux est possible et/ou corrigée.
!
D'un point de vue théorique, il pourrait sembler adéquat d'envisager
l'existence d'une méta-méta-communication, c'est-à-dire une communication sur la
méta-communication, ainsi que l'existence d'une méta-méta-méta-communication,
qui serait la communication sur la méta-méta-communication, et ainsi de suite dans
une spirale infinie de niveaux de communication portant sur le niveau précédent. Il
est cependant deux arguments qui viennent contredire cet argument :
!
Premièrement, nous pouvons douter qu'il ait existé ou qu'il existera un cas
empirique dans lequel les interlocuteurs, dans une suite infinie, travailleront à un
niveau infini de communication à propos du niveau inférieur. Deuxièmement, même
si l'on imagine que ces différents niveaux existent, ils reviennent toujours à une idée
d'une communication portant sur une communication de niveau inférieur. Donc,
quelque soit le niveau de méta-communication, il est toujours une communication sur
une communication, et donc entre toujours dans la catégorie de la métacommunication.
10 sur 140
!
!
AP.2.2. Canaux du signe
!
Il serait réducteur de considérer que le système communicationnel traite
uniquement les signes dit « linguistiques » : de nombreux signes de nature « nonlinguistique » entrent en jeu dans le système. Comme le dit Watzlawick (1972:16-47) :
« les données de la pragmatique ne sont pas simplement les mots, leur configuration
et leur sens (...), mais aussi leurs concomitants non-verbaux et le langage du corps,
(...) un composé fluide et polyphonique de nombreux modes de comportement :
verbal, tonal, postural, contextuel, etc. »
!
Afin de rendre compte des signes comme référant aux choses dans
l’acceptation totale de la définition que nous venons de donner, nous devons les
envisager dans tous leurs signifiants, c'est-à-dire à travers l'ensemble des canaux
qu'ils empruntent : locutionnel, élocutionnel et proxémique.
!
La dichotomie locutionnel/élocutionnel4 est une dichotomie que l'on doit à
Gardiner (1989), qui fut ensuite reprise par Douay (2000). Cette dichotomie est
traditionnellement appelée verbal/non verbal : en termes sémiologiques, le
locutionnel est la catégorie des signes qui relèvent des mots, et l'élocutionnel toute la
catégorie des signes qui ne sont pas des mots, regroupant les signes kinésiques (ou
signes gestuels 5), ainsi que le ton de la voix ou l'attitude corporelle. L'utilisation des
expressions « locutionnel » et « élocutionnel » permet d'éviter une classification
péjorative de la catégorie des signes élocutionnels. Il est en effet important, dans une
étude d'un système composé de signes, de ne pas mettre une catégorie de signes
de côté, d'accorder un « statut identique à toutes les catégories de signes de la
langue » (Douay,2000:81), ce qui est atteint via l'utilisation d'une terminologie
« locutionnel/élocutionnel »6. En effet, les signes élocutionnels sont essentiels à la
communication, et pourtant ils sont habituellement relayés au second plan des
études (ce que regrette Gardiner (1989:66) : « les expressions du visage traduisent si
bien l'émotion qu'il eût été dommage de les astreindre à la fonction moins exaltante
de représentation de phénomènes extérieurs »). Ils sont même classés par Gardiner
4
Il existe plusieurs expressions pour référer à cette dichotomie, telles que les « syntaxe locutionnelle
et élocutionnelle » ou « forme locutionnelle et élocutionnelle. » Par soucis de simplicité, nous
utiliserons « le locutionnel et l'élocutionnel »
5
Birdwhistell, dans Winkin (2000), parle de « kinèmes »
6
Pour un développement complet de ce point, voir Douay, 2000, chapitre 3.4 p 81-107
11 sur 140
au premier plan de l'interlocution, puisque lorsque les signes locutionnels sont en
conflit avec les signes élocutionnels, ce sont toujours les signes élocutionnels qui
vont être porteurs de sens. Nous citerons ici la répartition faites par Mehrabian de
ces différents canaux lors de la communication :
!
Bien qu'une répartition aussi nette soit contestable et contestée,
particulièrement en ce qui concerne la précision des chiffres, l'idée générale est celle
que nous adopterons.
!
Cette idée d'une centralité de l’élocutionnel est reprise par Douay (2000), mais
également dans les études sur le mensonge effectuées par Ekman (notamment 2009),
pour qui la détection d'un mensonge s'effectue à travers la détection d'un conflit
locutionnel/élocutionnel, l'élocutionnel étant porteur du sens véritable.
!
Il existe un troisième canal par lequel peuvent transiter les signes intervenant
dans la communication, qui est le canal proxémique. Cette dimension de la
communication fut développée par Edward T. Hall (1968), et est devenue la « branche
de la sémiotique qui étudie la structuration signifiante de l'espace humain. » (Fabbri,
1968:5)
Ce terme réfère à la perception de l'espace interpersonnel en tant que moyen
de communication, et plus précisément en tant que moyen de méta-communication.
De fait, bien qu'il semble que les espaces interpersonnels ne soient pas interprétés
comme des signes à part entière lorsque l'on traite de la communication, ils sont
pourtant très importants, car ce sont eux qui signifient le degré de la relation qu'un
locuteur considère entretenir avec un autre. Cette observation sera notamment
reprise lors de l'étude du jeu interférant culturel, puisque des signes proxémiques
pourront être facteurs d'incompréhension, de « chocs culturels ».
12 sur 140
!
AP.3. L’intentionnel et le non-intentionnel
« On ne peut pas dire non plus qu'il y ait 'communication'
que si elle est intentionnelle, consciente ou réussie »
P. Watzlawick, Une logique de la communication, p.46-47
!
La tradition de l'étude de la communication ne s'intéresse pour la plupart qu'à
l'analyse des productions volontaires. Pour exemple nous citerons ici Douay,
(2000:65) qui dans son ouvrage, écrit que « doit être considéré comme phrase (…)
tout signe (…) ou ensemble de signes manifestement sous-tendu par une intention
pertinente de communication. » (nous soulignons) Ce n'est cependant pas le point de
vue que nous adopterons ici. Effectivement, les signes traités par le système
communicationnel ne sont pas tous intentionnellement produits, ni même
intentionnellement compris, notamment pour les signes qui sont influencés, produits
par l'existence de certaines émotions.
!
Reprenons le point de vue évolutionniste, développé notamment par Darwin
(2001) : selon cette théorie, il fut indispensable pour la survie de l'homme de pouvoir
signaler les émotions le plus rapidement possible. Par exemple signifier la peur à
travers une expression faciale, et ce avant d'en avoir conscience, fut indispensable à
la survie de l'espèce. Les individus les plus rapides à communiquer leurs émotions
furent ceux qui furent le plus enclins à survivre. Toujours selon cette théorie, tout
élément utile à la survie de l'espèce s'est automatisé au court de l'évolution (Darwin,
2001:43).
Ainsi, la signification des émotions étant un élément indispensable à notre
survie, elle fait ipso facto partie de ces processus qui se sont automatisés.
Aujourd'hui, nous avons hérité de cela à travers un contrôle difficile (voir quasiimpossible) de nos émotions, ce qui nous entraîne à signifier non-intentionnellement
sous l'influence de nos émotions. Par exemple, rougir est un signe universel
d'embarras qui est produit de façon non-intentionnelle, pourtant, bien que nonintentionnelle, cette manifestation sémiotique sera traitée par le système
communicationnel : l'interlocuteur comprendra ce signe élocutionnel comme
signifiant l'embarras7. Ce point sera particulièrement important pour l'analyse du jeu
communicationnel dû aux émotions.
7
Voir Darwin, 2001, et Ekman et al., 2003
13 sur 140
!
De plus, il est important de noter que l'apparition d'une émotion peut rompre la
continuité de la communication. L'apparition d'un (ou de) signe(s) soudain(s) peut
sembler n'avoir aucun lien direct avec ce qui le(s) précède quand la production et la
compréhension de ce(s) signe(s) sont directement liées à une émotion ressentie par
l'un des interlocuteurs. Prenons un exemple, développé par Ekman (2003), qui est
celui de la frayeur causée par l'approche imminente d'un accident de voiture.
Imaginons une situation dans laquelle nous sommes en voiture avec un ami. Nous
conversons de choses banales, lorsque soudain une voiture apparaît et semble
rouler à contre-sens, et donc se diriger dans notre direction. Soudain, avant même
que cela soit conscient, le passager a de façon réflexe un mouvement d'appui sur un
frein imaginaire, et la conversation est immédiatement interrompue par une
expression de peur d'un ou des deux interlocuteurs, passant de « oui c'est un très
bon film » à « Oh mon Dieu attention ! », accompagné d’une expression faciale de
peur. La production de la première phrase « oui c'est un très bon film » est
intentionnelle, alors que la deuxième phrase « Oh mon Dieu attention ! » est une
production non-intentionnelle. Pourtant, bien que non-intentionnelle, la production de
la phrase n°2 ne peut pas être rejetée en tant que communication. Cette production
non-intentionnelle est due à une réaction de nos « déclencheurs émotionnels »,
processus réagissant l'analyse infra-attentionnelle constamment exécutée par notre
inconscient, hérité de l'évolution et nous permettant de faire face de façon adéquate
à une situation soudaine.
!
Les signes intentionnels et non-intentionnels sont donc tous deux à prendre
en compte comme influents dans la communication. Malgré un rôle similaire, une
distinction peut être faite entre ces deux types de signes. Cette différenciation est
faite par Grice dans son article Meaning (1957). Il y fait une distinction entre les
signes qui signifient naturellement et les signes qui signifient non-naturellement,
c'est-à-dire entre les signes naturels et les signes conventionnels. Nous reviendrons
plus en détails sur ce point dans le second chapitre de ce travail.
14 sur 140
Introduction
15 sur 140
!
I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer
« Tout refus de communiquer est une tentative de communication ;
tout geste d'indifférence ou d'hostilité est appel déguisé. »
A. Camus, L'étranger.
!
Partons du constat fait par Paul Watzlawick (1972:46) :
« on ne peut pas ne pas communiquer : le comportement a une propriété on ne peut plus
fondamentale : (...) (il) n'a pas de contraire. Autrement dit, (...) on ne peut pas ne pas avoir de
comportement. Or, dans une interaction, tout comportement a valeur de message, c'est-à-dire qu'il est
une communication. (...) Un homme attablé dans un bar rempli de monde et qui regarde devant lui, un
passager qui dans un avion reste assis dans son fauteuil les yeux fermés, (...) ne veulent pas qu'on
leur adresse la parole, en général, leurs voisins “comprennent le message” et y réagissent
normalement en les laissant tranquilles. »
!
Ainsi, même refuser de répondre, c'est communiquer (ou méta-communiquer)8
que l'on ne souhaite pas interagir. Nous nous trouvons dans une configuration où
nous devons communiquer dès lors que nous sommes dans une situation
d'interaction avec un Autre, comme le dit Goffman9 : « chaque fois que nous entrons
en contact avec autrui (...) nous nous trouvons devant une obligation cruciale :
rendre notre comportement compréhensible et pertinent compte tenu des
événements tels que l'autre va sûrement les percevoir. » De ce fait, dans toute
situation d’interaction, les interlocuteurs doivent identifier et choisir les signes qui
seront adéquats pour assurer le bon déroulement de la communication.
!
Cette impossibilité de ne pas communiquer est une propriété qui a été le point
de départ des études psychiatriques sur la communication, notamment la
communication chez les schizophrènes. En effet, l'observation de la communication
chez les schizophrènes a mené à la constatation que les personnes qui souffrent de
ce trouble cherchent à ne pas communiquer, via des formes de « non-sens, silence,
retrait, immobilité (ou silence postural), ou toute autre forme de refus. » (Watzlawick,
1972:48)
Or, ces formes de refus sont elles-mêmes des communications,
communiquant le refus de communiquer. Mais ces formes de communications ne se
retrouvent pas uniquement dans les communications chez les schizophrènes. En
8
Par soucis de concision pour la suite de l'étude, et sauf indication contraire, l’utilisation du verbe
« communiquer » englobera la notion de communication et de méta-communication
9
Goffman, Façon de parler. Cité dans Blanchet (1996).
16 sur 140
effet, la recherche d'une forme de « non communication », selon l’expression de
Watzlawick (1972), est une configuration qui concerne chaque interlocuteur qui
souhaite communiquer qu'il ne souhaite pas communiquer en annulant la
communication, c'est-à-dire en amenant l’Autre à comprendre que l’interlocuteur ne
souhaite pas coopérer, en faisant passer la pertinence de l’échange à un niveau
méta-communicationnel10 . Cette situation est paradoxale car elle amène à
communiquer le désir de « non-communication », à savoir donc qu'il est impossible
de ne pas communiquer, puisque le stade de non-communication passe par un
premier stade de communication.
10
Nous développerons ce point plus en détails dans la partie C.
17 sur 140
!
I.2. L’incertitude!
« Chaque être humain connaît
une frange d'incertitude quant aux
types de messages qu'il émet. »
Y. Winkin, La nouvelle communication.
!
Malgré une communication permanente, nous ne sommes jamais dans une
situation où nous pouvons affirmer avec certitude que notre production
communicationnelle a été comprise de façon juste, c'est-à-dire que nous ne pouvons
jamais avoir l’entière certitude de l'efficacité de notre communication.
!
Pour illustrer cette idée, nous utiliserons par analogie l'expérience de pensée
du « Chat de Schrödinger ». Bien que cette expérience ait été utilisée afin de
démontrer des propriétés de physique quantique, nous pouvons très bien la
transposer pour illustrer notre propos actuel.
!
Imaginez un chat que l'on a enfermé dans une boite. Avec lui se trouve un
flacon de poison pouvant se libérer à tout moment, de façon aléatoire. Tant que la
boite est fermée, les observateurs de l'expérience ne peuvent pas savoir si le poison
a été libéré ou non, si le chat est vivant ou mort, ce n'est qu'une fois la boite ouverte
que l'expérimentateur peut juger des propriétés de ce qui se trouve à l'intérieur11 . Il
en est de même pour la communication : tant que le locuteur n'a pas produit les
signes, ceux ci peuvent être efficaces ou non. Cette idée explique pourquoi les
locuteurs se reprennent, ré-expliquent leurs propos, voir même parfois ne se
comprennent pas : ils ne peuvent garantir de l'efficacité des signes tant qu'ils ne sont
pas produits, donc tant qu'ils ne sont pas interprétables et interprétés, et même après
leur production, les interlocuteurs seront incapables d’affirmer de façon certaine de
l’efficacité ou non de leur production. Cela explique également pourquoi certaines
communications sont inefficaces : le locuteur ne peut pas juger entièrement de
l'efficacité de sa production tant que celle-ci n'est pas effective. En d'autres termes,
le processus cognitif de choix des signes (qui s'effectue pré-production) ne permet
pas de juger de façon certaine des signes qui seront efficaces pour communiquer, le
11
Pour les explications précises de cette expérience, voir Schrodinger, 1992, Physique quantique et
représentation du monde
18 sur 140
jugement d'efficacité significative ne pourra être effectué qu'une fois le jugement
retour (c'est-à-dire le jugement de la compréhension de l'interlocuteur) possible.12
!
Cette notion explique l'existence d’un certain type de jeux communicationnels,
car celui qui produit ne peut rendre compte de l'efficacité des signes qu'une fois
ceux-ci produits, ce qui justifie les processus de réajustement nécessaires à la
communication. Le locuteur aura beau faire preuve de tout le zèle possible, il ne
pourra jamais être entièrement sûr (pendant le stade cognitif pré-production) de
l'efficacité de ses propos. Nous reviendrons sur ce point dans la suite de notre
travail.
!
Ce processus d'incertitude est différent de la notion linguistique d'ambiguïté.
En effet, l'ambiguïté concerne la multiplicité de compréhensions possibles d'un signe
particulier. Or un interlocuteur ne produit jamais de signes ambigus pour lui, c'est-àdire que les signes qu'il produit sont toujours incertains du point de vue de l'efficacité
mais ne sont jamais ambigus au niveau du sens. La production délibérée d'un signe
que l’interlocuteur sait ambigu pour l’Autre ne sera pas ambigu pour l’interlocuteur,
qui le produit dans un but méta-communicationnel.
!
Ce point sur l’incertitude sera très important pour notre propos, nous y
reviendrons donc plus en détails dans la suite de ce travail.
12
Ce jugement retour est possible grâce à un système cybernétique. Cette notion sera développée
dans la partie B.
19 sur 140
!
I.3. Problématique
!
Nous pouvons distinguer deux tâches cognitives lors de la communication : la
compréhension et la production. Le processus de compréhension est celui
permettant, via le processus de l'attention sélective, de combiner code(s), indice(s) et
contexte(s) pour arriver à l'identification du sens, le processus de production est celui
passant du sens aux signes produits.
!
Afin d'aboutir efficacement au but de la communication, les interlocuteurs
doivent s'appliquer au bon déroulement de ces deux tâches. Ce processus
d'application correspond à un effort de pertinence. En effet, si l'on reprend la
définition de la pertinence de Hjørland & Sejer Christensen (2002) « une chose A est
pertinente pour la tâche T lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G, luimême impliqué par T ». Ici, le but G de la communication est la mise en commun par
la création chez l’Autre d’une réaction cognitive, entraînant signe(s) ou acte(s). Les
tâches T sont les processus de compréhension et de production. En communication,
la pertinence est donc l'effort des locuteurs pour optimiser les chances
d'accomplissement des tâches de compréhension et de production.
!
Comment fonctionne le système de la communication ? Quelles sont les
conséquences de la nature de ce système sur l’utilisation qu’en font les
interlocuteurs ? C’est à ces deux questions que cette étude va tenter de répondre.
!
Dans une première partie, nous partirons des prémisses théoriques qui nous
amèneront jusqu'à la théorie que nous développerons et utiliserons ici.
!
La seconde partie sera consacrée à l'analyse des mécanismes du système
communicationnel en tant que système cybernétique, ainsi que sur l'analyse des
deux processus l'articulant, c'est-à-dire les processus de compréhension et de
production.
!
Puis, dans une troisième partie, nous étudierons les cas de jeux dans ce
système, par application et enrichissement de la théorie des jeux.
20 sur 140
A. Origines théoriques
21 sur 140
!
A.1. Du code à la pragmatique
!
!
!
Comme le disent Fuchs et LeGoffic en ouverture de leur ouvrage (1996:15), « il
A.1.1. L'approche Saussurienne
est traditionnel de présenter F. de Saussure comme le "père" de la linguistique moderne. » Nous ne manquerons pas à cette « tradition ». Fondateur de la
linguistique en tant que discipline, Saussure est le théoricien qui a posé les
fondations d'une science de la langue. Fondamentalement non pragmatique, son
modèle théorique repose plus particulièrement sur la séparation de la langue et de la
parole, la langue étant un ensemble de conventions et de règles immanentes, « bien
définies » et « homogènes » (Saussure,1995:31-32) partagées par une collectivité
parlante ; la parole, à l'inverse, est une manifestation individuelle et singulière de
cette langue. Il ressort de cette dichotomie que la langue est posée comme unique
sujet de la recherche linguistique, la parole étant relayée à un rang « secondaire » de
l'analyse linguistique, se basant sur l'idée qu'il « faut se placer de prime abord sur le
terrain de la langue, et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations du
langage » (Ibid:25)
!
De son étude, Saussure exclut le sujet parlant, « la langue étant (...)
indépendante de l'individu » (Ibid:37), mais aussi toute forme de contexte, qui n'aurait
une place que dans l'étude d’une linguistique de la parole. On se retrouve donc face
à une vision de la linguistique envisagée comme l'étude d'une langue-code idéale,
immanente et instrumentalisée, utilisée par des sujets parlants idéalisés, excluant
tour à tour le sujet parlant ordinaire, le contexte ordinaire mondain ainsi que les
usages ordinaires du langage.13 Et, bien que la dichotomie langue/parole paraisse
plus dialectique qu'absolue (la langue n'existant qu'au travers de la parole),
l'exclusion de ces trois derniers est bel et bien présente dans le Cours de linguistique
générale. De cette conception Saussurienne séparant langue et parole, est née la
théorie du code, que nous verrons ensuite.
13
Liste extraite de Eluerd (1995).
22 sur 140
A.1.2. La théorie du code
!
!
!
L'approche Saussurienne fait des signes de simples moyens d'échanges
d'informations à contenus fixes, effectués entre deux locuteurs par le canal
intermédiaire que serait une langue-code conventionnalisée, plus ou moins
universelle au sein de la collectivité représentée par la communauté linguistique à
laquelle appartiennent les interlocuteurs. Cette conception voit la linguistique comme
l'étude d’un code intrinsèquement conventionnel et au sens immanent, utilisé par des
sujets parlants idéaux possédant chacun une copie identique de ce code. Ce modèle
exclut les sujets parlants de l'étude, car ce qui importe est l'analyse du langage codé,
se situant entre les opérations de codage et de décodage. Dans cette conception, le
sujet parlant « émetteur » encode un message qui sera ensuite décodé par le sujet
destinataire « récepteur ». En utilisant cette langue-code, les signes traduiraient
« une activité mentale » qui préexisterait au langage, c'est-à-dire mettraient du sens
dans des structures appartenant à la langue, et seraient utilisés comme
« intermédiaire(s) entre la pensée et le son. » (ibid,1995:156)
!
Ce modèle du code sera schématisé un peu plus tard par Shannon et Weaver
(1948) :
C.Shanon & W.Weaver, The Mathematical Theory of Communication.
!
Dans cette perspective du modèle linéaire de la communication, celle-ci est
réduite à la simple transmission d'un message qui est codé par la langue et où
l'échange est fait entre un émetteur « parlant » depuis une source d'information,
utilisant un canal pour faire transiter les signaux, signaux potentiellement perturbés
par un bruit extérieur, et reçus par un récepteur qui l'envoie à sa destination, la
23 sur 140
source et la destination étant les processus cognitifs des locuteurs. Ce modèle du
code, également appelé « Théorie de la transmission » ou « Théorie mathématique
de la communication », bien que d'inspiration beaucoup plus ancienne, fut conçu
pour théoriser les systèmes de télécommunications dans la première moitié du
20ème siècle. Il connut pourtant un succès certain dans les sciences humaines et fut
repris par nombreux linguistes, notamment par Jakobson, avec un modèle qui n'est
pas sans rappeler le schéma de Shanon et Weaver, auquel il apporte quelques
compléments :
R.Jakobson, Essais de linguistique générale (1963).
!
Ce schéma est le modèle classique de l'étude de la communication en tant
que codage et décodage, la définissant comme l'étude formelle de ce mouvement
encodage-décodage, échangé entre le « destinateur » et le « destinataire ». Tel deux
tennismen s'échangeant une balle sur un court de tennis, les interlocuteurs sont ici
vus comme s'échangeant à tour de rôle des « bulles de signification ». Dans un tel
schéma, « les messages sont représentés comme des contenus insérés dans des
mots, phrases, textes (contenants), transmis d'un émetteur à un récepteur, puis
décodés par un processus inverse à celui de l'émission. » (Moeschler,1994:16) De
nouveau, ce modèle présente la communication comme le codage d'un message par
un code connu identique chez tous les sujets parlants cette langue, et perpétue la
supériorité du code, de la langue sur le discours, excluant de l'étude de la
communication le sujet parlant en contexte mondain ordinaire ; un modèle où « les
paramètres du sujet et de la variation (ont été) évacu(és) de la "langue", en les
reléguant à la "parole". » (Fuchs&LeGoffic,1996:9)
!
On retrouve ce type d'exclusions dans la grammaire générative, théorisée par
Chomsky, et postulant l'existence d'un « code qui associe une représentation
sémantique à une forme phonologique » (Sperber&Wilson,1989:22) organisant le
24 sur 140
langage en profondeur. Bien que faisant un premier pas vers l'inclusion des
locuteurs, son approche n'en reste pas moins une approche typiquement codique.
En effet, la communication fonctionnerait par une mise en opposition de deux
idiolectes intériorisés par les interlocuteurs, structures appartenant à une languecode intériorisée, dans lesquelles les locuteurs viendraient injecter du sens avant de
le transmettre par le schéma de transmission d'informations. La théorie générativiste
renferme donc bel et bien, malgré ce qui pourrait sembler être un premier pas vers la
pragmatique par l'inclusion du vis-à-vis des interlocuteurs, le modèle de la languecode, qui se retrouverait dans un catalogue de « structures profondes », utilisées par
les locuteurs, sans tenir compte de la situation d'énonciation.
!
Tous ces schémas fondent le sens d'une communication sur sa construction
grammaticale correcte ainsi que dans sa vériconditionnalité, c'est-à-dire qu'un
énoncé ne peut avoir de sens qu'à condition qu'il respecte une grammaire (un code
intériorisé de grammaticalité) correcte, et qu'il exprime des arguments qui puissent
être vérifiés/confirmés, ou falsifiés/infirmés. En d'autres termes, une proposition a du
sens, et donc peut passer le schéma transmettant l'information, si et seulement si
cette proposition est grammaticale et « vraie ». (Eluerd,1985:26-29)
!
Pour utiliser une métaphore sportive, où l'on comparerait l'analyse linguistique
à une analyse d'un match de tennis, on aurait avec cette théorie du code une
analyse qui n'aurait pour objet que l'analyse des mouvements de la balle, de laquelle
serait exclue l'importance des joueurs (qui ne feraient que suivre des règles), ainsi
que l’importance du matériel qu'ils utilisent ou encore du terrain sur lequel ils jouent.
On voit dans ce type de modèle l'exclusion directe de la parole au profit de la langue,
et donc par le même biais du sujet parlant, préférant laisser l'utilisation de la languecode à des locuteurs idéaux théoriques. On constate également l’exclusion du
contexte, l'affirmant comme extra-linguistique et donc ne devant pas figurer au sein
de l'étude linguistique, ainsi que l’exclusion du langage ordinaire. On donne
principalement pour motivation à cette supériorité de la langue l'idée d'un rejet
nécessaire du langage ordinaire qui serait trop complexe et désordonné, nébuleuse
qui ne pourrait satisfaire les exigences de théorisation scientifique, justification que la
pragmatique va prendre à contrepied.
25 sur 140
A.1.3. L'approche pragmatique
!
!
!
La conception pragmatique de la linguistique (terme utilisé pour la première
fois par Morris (1938), la définissant comme l’étude de « la relation du signe14 à ses
interprétants »), s'oriente dans une direction totalement opposée. Comme le résume
Blanchet (1995:9), la question que se posent les chercheurs en linguistique
pragmatique est : « comment le langage (...) produit de la signification, c'est-à-dire
des effets, dans le contexte communicatif de son utilisation par les locuteurs. » C'est
la conception qui sera suivie dans notre travail.
!
Malgré son opposition théorique, il serait incorrect de dire que la pragmatique
s'est développée en réaction à la linguistique du code. En effet, les linguistes de
cette école de pensée exposent leurs idées depuis la même période, « en même
temps, mais avec un développement retardé. » (Eluerd,1985:31) Nous pouvons
regrouper dans cette approche des théoriciens tels que Pierce (1958), Wittgenstein
(1921) ou Gardiner (1932)15 , et à leur suite Morris (1938), Ducrot (1980), Austin (1962)
ou encore Searle (1972), cette liste étant bien sûr loin d'être exhaustive. Les
prémisses de ces études se situent dans une non-acceptation de la dichotomie
langue/parole, qui imposait une supériorité hiérarchique de la langue sur la parole,
excluant de ce fait le langage ordinaire, le contexte mondain, ainsi que le sujet
parlant ordinaire. Cette opposition théorique n'invite pas à défaire la hiérarchie et à la
renverser, mais plutôt à la prendre comme non pertinente dans l'étude de la
communication de par son décrochage théorique de la réalité empirique. Plutôt que
de postuler la base de l'étude de la communication sur l'étude d'une langue-code
parfaite et idéale, utilisée comme intermédiaire entre deux sujets parlants idéaux,
cette approche pose ses fondations dans l'étude des actes de langage ordinaires,
utilisés en contextes réels par des sujets parlants ordinaires.
14
Nous rappelons que l’usage que nous faisons du terme « signe » est à prendre au sens large, c’està-dire en tant que manifestation sémiotique d’un ou plusieurs signes.
15
Égyptologue de formation, à l'influence sous-jacente sur le développement de la pragmatique, son
ouvrage The Theory of Speech and Language fût publié à Oxford en 1932. Il y développe une analyse
des « actes de langage ordinaires », à contrecourant des théories de l'époque. Nous pouvons
considérer a posteriori son ouvrage comme pionnier dans l'analyse linguistique pragmatique.
L'ouvrage que nous utiliserons et citerons ici est l'ouvrage traduit et introduit par Douay, publié en
1989 aux Presses Universitaires de Lille
26 sur 140
!
Comme nous venons de le dire, la linguistique pragmatique, au travers d'une
critique de l'artificialité des théories et des exemples canoniques de la linguistique
« classique », pose ses fondations dans l'étude du langage ordinaire. Cette prise de
position en faveur du langage ordinaire suppose des fondations théoriques aux
antipodes de celles de la théorie du code, notamment en ce qui concerne l'obtention
du sens. Puisqu'elle impose une relation stricte dans le signe entre le signifiant
(matière acoustique) et le signifié (concept), la théorie du code impose l'obtention du
sens à travers le signe aux seules conditions que l'énoncé soit grammaticalement
correct, ainsi que possiblement réfutable ou confirmable, le sens reposant donc sur
la vériconditionnalité de l'énoncé. Le rejet de la centralité de la vériconditionnalité est
fondamentale à la pragmatique, et se retrouve notamment dans la Théorie des actes
de langage, développée dans un premier temps par Austin (1962), et à sa suite par
Searle (1972). Nous pouvons retrouver dans cette théorie l'opposition entre les actes
à valeur descriptive, qui eux sous-tendraient une idée théorique de
vériconditionnalité, et les actes à valeur performative, qui eux ne sous-tendraient pas
cette idée : ces derniers sont des manifestations sémiotiques qui, par leur
énonciation, accomplissent un acte. Ils ne sont ni vrais, ni faux et ne décrivent rien,
ils existent uniquement au travers de l'accomplissement performatif par le sujet
parlant. Ce point de vue sur les conditions de vérité est également réfuté par Ducrot
qui, parmi d'autres, affirme que « ce dont parle le locuteur existe réellement ou non
ne change rien au fait qu'il en parle et qu'en parlant, il fait comme si cette existence
allait de soi. » (Eluerd,1991:103) Cette affirmation admet donc que le sens d'une
proposition ne se trouve pas dans ses valeurs de vérité mais dans l'usage qui en est
fait, dans l'habitude que cet usage crée. Ainsi, « une expression du langage n'a de
sens que dans la mesure où nous pouvons en faire un certain usage. » (ibid:144) Le
sens à travers l'usage n'exclut bien sûr pas l'importance de la vérité dans la langue,
mais cette vérité n'est pas obtenue par une vérité immanente dans la relation
signifiant/signifié, mais par l'usage qui est fait d'une forme sémiotique, par le jeu de
langage au travers duquel le signe existe dans le langage ordinaire. Comme le dit
Gardiner (1989:257) « le discours fait référence à des choses réelles et imaginaires
avec une stricte impartialité. » Ce qui légitime l'existence discursive d'un signe est
son acceptation mutuelle d'existence à l'intérieur du discours, non pas les conditions
de vérité auxquelles il satisferait.
27 sur 140
!
Cette légitimation du sens par l'usage plutôt que par une justification logique
est très importante. En effet, la linguistique pragmatique ne s'intéresse pas aux
conditions de vérité d'un signe comme renfermant « le » sens : dans l'optique
pragmatique, ce sens est obtenu à travers l'usage qui est fait au sein de la
communauté linguistique par les usagers du langage dont il est question. Cette idée
est très importante pour notre développement lorsque nous aborderons l'étude des
jeux de langage : les jeux de langage ne trouvent pas leur sens (ou leur non-sens) à
l'intérieur de la confrontation des conditions de vérité du signe, mais dans une
confrontation de l'usage, de l'habitude qui existe de ce signe. Lorsqu'un locuteur se
trouve face à un signe qui lui parait ne pas faire sens, ce n'est pas parce qu'il ne
parvient pas à obtenir le raisonnement logique et/ou vériconditionnel qui sous-tend
cette séquence particulière, mais bien parce qu'il n'arrive pas à faire converger le
signe reçu avec une habitude, un usage de ce signe.
!
Pour reprendre l'analogie sportive, l'approche pragmatique prend le contrepied
de ce qu'était la théorie du code. La pragmatique vient pour analyser non pas le
déroulement d'un match idéal entre deux joueurs idéaux mais le déroulement d'un
match effectif, c'est-à-dire non pas l'analyse des coups qui suivraient des codes de
jeux, idéalisant les mouvements des joueurs en les définissant selon leur vérité ou
non, mais l'analyse des coups qui existent dans le déroulement réel d'un match, et
donc l'analyse des actes durant le match, légitimés en tant que coup par leur
existence, et non pas par leur concordance effective ou non à un code qui
préexisterait au jeu, ou par leur déroulement idéal.
!
Ainsi, la langue-code, parfaite et idéale, outils hypothétiquement adéquat à
l'étude linguistique, se légitimerait par une capacité à faire face aux prétendues
imperfections du langage ordinaire. Cependant, ce langage ordinaire n'est-il pas celui
qui est parfait, et le langage idéal porteur d'imperfection, puisque c'est ce même
langage parlé ordinaire qui a survécu et s'est adapté tout au long de l'évolution
humaine, ayant permis à l'homme de faire face aux innombrables situations de la vie
quotidienne et de se développer intellectuellement ? N'est-ce donc pas, si l'on suit
cette idée, la langue-code idéale que nous devrions considérer comme imparfaite,
puisque incapable d'envisager une utilisation empirique ? Nous envisageons que
cela est le cas, et la suite continuera d'aller dans ce sens.
28 sur 140
!
A.2. La pragmatique et la pertinence
« It is not what you said that matters
but the manner in which you said it. »
William Carlos William.
Note : alors qu'il s'agissait d'un déroulement et un renversement de point de vue théorique dans la
partie A.1, nous donnerons ici non pas un changement, mais un affinement de la théorie pragmatique.
Dans la dernière partie, nous développerons notre propre modèle.
!
!
A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole
!
Nous avons vu que la théorie du code, reposant sur l'opposition langue/parole,
engendre un certain nombre d'exclusions. Par la prise de position en faveur de
l'analyse du langage ordinaire, la théorie pragmatique vient mettre fin à cette
opposition, et donc aux exclusions qui lui était inhérente. C'est la fin de ces
exclusions que nous verrons ici.
!
La théorie pragmatique se base sur un rejet de la notion de monologue, c'est-
à-dire une prise en compte de l'ensemble des interlocuteurs. Fondamentalement, « il
n'y a de pragmatique possible qu'avec la prise en compte effective des
interlocuteurs. » (Eluerd,1985:189) Gardiner (1989) pose rapidement cette prémisse
dans son ouvrage, dès le §7, intitulé « L'origine sociale de l'acte de langage :
l'auditeur » dans lequel il soutient que « le développement du langage suppose
nécessairement un emploi délibéré de sons articulés dans le but d'influencer la
conduite d'autrui. » (25) Nous pouvons en effet douter que le langage ne serve qu'à
l'expression d'une vie mentale intérieure et personnelle. En effet, pourquoi l'homme
utiliserait-il un discours aussi complexe pour exprimer quelque chose que ses
pensées suffisent à exprimer pour lui-même ? Pour reprendre la question posée
juste avant cette partie, le langage ordinaire est celui qui a fait face aux innombrables
situations humaines, celui qui a permis de passer, au cours de l'évolution, des cris
primaires au langage complexe qu'on connait à l'homme d'aujourd'hui. C'est donc
dans un but coopératif de développement social et collectif que l'homme utilise le
discours. À travers l'approche pragmatique, communiquer n'est plus utiliser un code
pour transmettre une information sur les pensées qui sont propres à un individu,
29 sur 140
mais bel et bien prendre part à un discours dialogique en vue d'influencer un
interlocuteur, au travers d'un effort réciproque de coopération pour faire émerger une
inter-compréhension, une mise en commun du sens. Ainsi, le langage a pour fonction
première, non pas d'exprimer les « méditations intellectuelles » de l'individu, mais
d'entrer en contact avec l'Autre. Comme le souligne Gardiner (1989:24) : « dans bon
nombre de cas, on ne parle de rien en particulier. » Le langage est donc
fondamentalement dialogique, le dialogisme étant, selon la définition de Jacques
(1979 cité dans Douay,2000:36) « la distribution effective de l'énonciation sur deux
instances énonciatives, lesquelles sont en relation communicative actuelle. » Avec la
théorie pragmatique, l'essence du langage est la communication, cette
communication passant par l'entrée en interaction de deux (ou plusieurs) individus
qui ne sont plus émetteur et récepteur mais interlocuteurs, interactants ou encore coénonciateurs, cette même interaction étant le but premier de la communication : audelà de la communication sur les choses, l'homme communique également, et
parfois uniquement, afin d'entrer en contact avec l'Autre. De ce fait, le but de
certaines communications se trouve dans l'entrée en contact et dans l'établissement,
la modification et/ou l'affirmation d'une relation sociale avec autrui. Pour résumer, ce
qui pousse un individu à la parole, ce n'est pas uniquement la transmission
d'information(s) concernant l'expression de ses pensées, mais bien majoritairement
l'entrée en contact avec autrui dans une situation interactive de communication
ordinaire, le positionnement d'un acte de langage individuel vis-à-vis de celui de
l'Autre. Il devient impossible d'ignorer l'importance qu'a le contexte dans l'interaction.
!
Ignorer le contexte dans lequel le signe se produit revient à prêter à toute
manifestation sémiotique un lien immanent entre le signe et le sens auquel il renvoie,
inséparable et irréductible, indépendant de tout contexte, définissant le signe comme
un signe-étiquette posé sur chaque chose. C'est l'optique inverse que la théorie
pragmatique suit, qui est l'optique selon laquelle tout acte de langage « a lieu dans
un contexte défini par des données spatio-temporelles et socio-historique. » (Fortin,
2007:111)
La prise en compte du langage ordinaire dans cette théorie suppose
d'accepter que chaque signe, dans son énonciation ordinaire, est dépendant du
contexte dans lequel il se trouve, en ce sens qu'il est influencé par le contexte, et en
même temps le modèle. Le signe n'apparait plus comme transparent, ce n'est plus
un signe-étiquette, car « potentiellement, tout mot qui est prononcé peut faire
30 sur 140
référence à l'univers entier. » (Gardiner,1989:51) Cette importance du contexte se
trouve dans l'analyse que Benveniste (1966) fait des pronoms personnels : si l'on ne
considère pas le contexte dans lequel apparaît la communication, à quoi renvoient
les pronoms je et tu ? En effet, les pronoms personnels ne peuvent être classés dans
la catégorie des signes-étiquettes, puisque ce sont des signes qui renvoient à un
« extra-linguistique » constamment renouvelé dans chaque contexte, tout comme le
sont des signes tels que ici et maintenant. Ducrot, quant à lui, distingue la phrase
comme « être linguistique abstrait » de l'énoncé « occurrence particulière, unique,
(...) réalisation concrète de la phrase dans une énonciation » (Ducrot,1979 cité dans
Eluerd,1985:97).
Nous retrouvons un développement plus radical chez certains
penseurs avec un refus de l'existence possible d'un sens littéral qui existerait « hors
contexte ». Ce rejet d'un sens littéral « hors contexte » qui existerait au sein de la
langue, abstrait indépendant de toute circonstance contextuelle, se rencontre chez
Gardiner, à une période antérieure à la théorie de Ducrot, et à la suite de Ducrot
chez Searle. Dans son article Le sens littéral, traduit dans Sens et expression en
1982, Searle annonce qu'il contredira « l'idée que, pour toute phrase, le sens de la
phrase peut être interprété comme le sens qu'elle a quand elle est prise hors de tout
contexte. » Searle, et Gardiner avant lui, défendent l'importance du contexte dans la
création du sens, puisque ce sens est obtenu via la mise en relation des signes et
des informations d'arrière plan, en d'autres termes, le signe sert de complément aux
éléments d'arrière plan, et avec le signe, les interlocuteurs « ne disent pas tout »,
mais uniquement ce qui est nécessaire pour compléter cet arrière plan, chacun
mettant en place une stratégie inférentielle de compréhension. C'est cette stratégie
inférentielle qui sera développée dans la partie suivante.
!
Pour continuer l'analogie sportive, considérer l'étude du langage au travers du
prisme de la pragmatique revient à analyser l'échange des deux joueurs d'un match
de tennis, en analysant leurs coups réels, empiriquement effectués sur un court de
tennis particulier, en envisageant que les conditions de jeu influencent la façon dont
jouent les deux adversaires/partenaires et qu’aucun coup ne peut se faire hors du
terrain. Cela revient aussi à envisager que chaque joueur adapte son jeu en fonction
du terrain et des conditions de jeu dans lequel il se trouve, mais aussi de la façon
dont il souhaite que son coup atteigne son adversaire/partenaire.
31 sur 140
!
A.2.2. Le modèle inférentiel
!
À la suite de l'étude pragmatique et de la fin de la dichotomie langue/parole, la
prise en compte du sujet parlant et du contexte fut approfondie par Grice et les
théoriciens à sa suite, avec le concept de coopération, d'inférence ainsi que les
maximes conversationnelles. On retrouve chez Gardiner un développement qui n'est
pas sans annoncer les théories ultérieurement développées par Grice.
!
Gardiner (1989) donne un rôle aux signes qui est différent de celui du rôle qui
leur est donné dans la théorie du code. À l'inverse d'un signe-étiquette vu comme
l'expression d'une pensée, l'existence d'un signe est envisagée comme un indice
nécessaire pour compléter le vide communicationnel laissé par le contexte. En
d'autres termes, le signe est utilisé afin de combler ce que le contexte d'interaction
ne « dit » pas :
Les mots sont choisis après une évaluation très précise de leur intelligibilité ; plus la chose dont on
parle est éloignée, plus on devra fournir d'indices afin de permettre son identification. En revanche, si
la situation est la même pour le locuteur et pour l'auditeur du point de vue temporel et spatial, un seul
mot ou indice suffira souvent à l'identification. (...) Les mots ne sont que des indices, la plupart des
mots ont un sens ambigu et, dans chaque cas, la chose-signifiée doit être découverte dans la
situation, par l'intelligence vive et active de l'auditeur. (1989:51,§16,nous soulignons)
!
Il est important de noter dans cet extrait la notion d'indice et d'intelligence vive
et active de l'auditeur. On retrouve à travers ces deux idées l'importance de la
situation d'énonciation dans la communication : dans un contexte précis, les
interlocuteurs ne codent pas une pensée en un signe transparent pour le transmettre
à l'Autre qui viendra le décoder. Ici, l’interlocuteur produit le signe en tant qu'indice de
sens, complétant la situation d'énonciation, afin que l’Autre découvre, infère la chosesignifiée. C'est-à-dire qu'une situation contextuelle fournit des indices, qui, s'ils ne
sont pas suffisants pour la communication, vont être complétés par des signes.
Prenons un exemple concret. Deux amis sont chez l'un en pleine discussion. Celui
qui est reçu a terminé son verre. Celui qui reçoit va donc lui en proposer un nouveau.
Il peut le resservir directement, mais aussi lui proposer, par un simple signe
élocutionnel montrant la bouteille ou encore en lui disant « Un autre ? » Ici, nous le
voyons bien, nous ne sommes pas dans une situation de phrases ou de signes qui
pourraient être vus comme elliptiques, où le complément serait fourni par des signes
tronqués. Au contraire, ce qui fournit le complément, c'est le contexte. Tout dans le
32 sur 140
contexte est indice de ce que l'hôte souhaite signifier, et le signe qu'il produit est un
complément d'indices de ce que la situation d'énonciation ne possède pas. Dans la
conception de Gardiner, ce qui guide la production d'un signe, ce n'est pas la
transformation d'une pensée en signe(s) via un code, mais bien une « visée
communicative » (Douay,2000:45) du signe. Ce qui légitime l'utilisation d'un signe est le
fait que l'interlocuteur reconnaisse que le locuteur communique à travers ce signe.
Les interlocuteurs sont dans une situation de coopération pour trouver un accord sur
le sens, plutôt que dans une situation de codage-décodage.
!
Ainsi, Gardiner souligne, bien avant Grice, l'importance de la coopération dans
la communication. Nous retrouvons cette notion chez Grice, qui la formalise
notamment dans deux de ses articles Meaning (1957) et Logic and Conversation
(1975). Dans son premier article, il développe l'idée que le sens est obtenu grâce à la
reconnaissance par l'interlocuteur des intentions communicatives du communicateur.
Il y fait la distinction entre les signes signifiant naturellement et ceux signifiant nonnaturellement, c'est-à-dire produits intentionnellement et non-intentionnellement. Ce
qui fait qu'un signe puisse signifier non-naturellement, donc par convention, c'est
l'effort du locuteur pour rendre explicite son intention de produire un effet à travers ce
signe, et en retour la reconnaissance par l'interlocuteur de cette intention de
communiquer, c'est-à-dire une capacité à communiquer et à méta-communiquer (à
communiquer que l'on communique).16 Nous retrouvons également chez Grice
(1975), l'approche des signes comme indices de l'intention communicative : lorsque
un auditeur reconnait l'intention qu'a le locuteur de communiquer, il va chercher à se
représenter ce que le locuteur veut communiquer. Les interlocuteurs possèdent la
capacité de se représenter ce que Grice (1975) appelle les « implicatures
conversationnelles ». Nos conversations n'étant pas « une succession de remarques
décousues », mais un « effort coopératif » 17, l'interlocuteur a donc toutes les raisons
de s'attendre à ce que le locuteur lui fournisse les indices nécessaires, qui, une fois
mis en parallèle avec le contexte, l'amèneront à la compréhension du sens. D'après
Grice, ce « principe coopératif » trouve en lui l'accord des interlocuteurs sur un
16
17
Nous avons déjà abordé cette question dans l'avant propos AP.2.
Grice,1975:45: « Our talk exchanges do not normally consist of a succession of disconnected
remarks, and would not be rational if they did. They are characteristically, to some degree at least,
cooperative efforts. »
33 sur 140
certain nombre de principes, appelés maximes conversationnelles, qui sont au
nombre de quatre : la quantité (faites que votre contribution contienne autant
d'informations que nécessaire, mais pas plus), la qualité (faites que votre contribution
soit vraies), la relation (soyez pertinent) et la manière (soyez clair)18. Partant de la
présomption que chaque interlocuteur est implicitement en accord sur ces maximes,
et que la violation d'une maxime aura un effet particulier producteur de sens, tout
signe est donc indice qui permet à l'interlocuteur d'inférer ce que le locuteur a voulu
signifier. Par exemple, si la réponse à la question « À quelle heure viens-tu ? » est
« Dans l'après-midi ! » le premier pourra inférer de la réponse du second que celui-ci,
adhérant au principe de coopération, ne donne pas plus d'informations car il ne les
possède pas et n'est pas capable de donner une heure précise. Il infère donc, en
mettant le signe en relation avec le contexte, et à travers les maximes
conversationnelles, ce que le locuteur a voulu signifier. Pour résumer, les deux
interlocuteurs coopèrent implicitement pour se comprendre à travers l'acceptation de
l'implicature que composent les quatre maximes, cette implicature conversationnelle
qu'est le principe de coopération étant un accord sur un ensemble de « principes de
conversation » à respecter dans le discours.
!
Le modèle que nous venons de voir est appelé « modèle inférentiel » puisqu'il
base l'obtention du sens sur l'action de reconnaissance par l'interlocuteur des indices
laissés par le locuteur, indices qui, une fois mis en parallèle avec le contexte et
l'ensemble de l'implicite du discours, permettent d'inférer des conclusions qui sont
logiquement impliquées par le contexte, selon ce modèle, « communiquer, c'est
produire et interpréter des indices. » (Sperber&Wilson,1989:13)
!
Fondamentalement, ce qui distingue l'analyse gricéenne des autres théories,
c'est de suggérer que la reconnaissance de l'intention de communication puisse
suffire à l'existence d'une communication, et donc qu'il puisse exister une
communication uniquement inférentielle. Sperber et Wilson, dans leur ouvrage La
Pertinence (1989), vont reprendre ces théories développées par Grice et Gardiner,
mais ne retenir qu'une seule des quatre maximes, englobant toutes les autres :
« soyez pertinent ».
18
Nous n'avons pas développé les sous-maximes propres à chacune, qui sont des explicitations de la
maxime générale.
34 sur 140
!
!
A.2.3. La pertinence
!
De Grice, Sperber et Wilson, garderont plusieurs principes : le principe
d'expression et de reconnaissance de l'intention communicative, le principe
d'inférence ainsi que celui de coopération. Cependant, ils ne reconnaissent pas à ce
principe de coopération un ensemble strict de maximes qui seraient partagées par
les interlocuteurs, mais au contraire voient ces maximes comme pouvant se résumer
à une seule d'entre elle : « Soyez pertinent ». De plus, on ne retrouve pas dans leur
travaux une distinction aussi nette entre le modèle du code et le modèle de
l'inférence. En effet, « la communication verbale met en jeu à la fois des processus
de codage et des processus inférentiels. » (ibid:13) Dans leur théorie, ils reprennent le
modèle inférentiel de la communication développé par Grice, afin de l'insérer dans
une théorie qui reconnait la communication comme intégrant du code, mais en tant
que partie intégrante d'un système inférentiel, et donc un système où la
compréhension est une phase de décodage d'une forme logique linguistiquement
codée, livrant des possibilités d'interprétation, qui, une fois enrichies par le contexte,
permettent à celui qui comprend d'inférer des conclusions hypothétiques sur
l'intention communicative du locuteur19 . Comme ils l'écrivent (ibid:55) : « les
hypothèses de Grice peuvent constituer le point de départ d'une telle analyse
théorique. À cet égard, la principale faiblesse des hypothèses de Grice n'est pas de
définir la communication de manière trop vague, mais d'en proposer une explication
trop pauvre. » En effet, le modèle gricéen, bien qu’entièrement pragmatique, est
toutefois lui aussi critiquable, puisqu'il revient à considérer qu'un joueur joue en
analysant uniquement les intentions de jeu de son partenaire. La théorie de la
pertinence remet aussi en cause la nécessité de suivre des maximes aussi strictes,
ainsi que l'utilisation délibérée d'une violation ou d'une déviance d'une ou plusieurs
maxime(s) afin de produire du sens. Ce qui fait sens, ce n'est pas le respect ou non
19
Sperber&Wilson (2004) :« An utterance is a linguistically coded piece of evidence, so that verbal
comprehension involves an element of decoding. However, the linguistic meaning recovered by
decoding is just one of the inputs to a non-demonstrative inference process which yields an
interpretation of the speaker's meaning. » Wilson&Sperber (1993:1) : « a modular decoding phase is
seen as providing input to a central inferential phase in which a linguistically encoded logical form is
contextually enriched and used to construct a hypothesis about the speaker's informative intention. »
Il est important de constater ici que le décodage ne concerne pas un signe-étiquette, mais bien une
forme logique. L'inférence suppose une capacité humaine méta-représentationnelle : les
interlocuteurs sont capables de se représenter les représentations mentales de l'Autre.
35 sur 140
de ces maximes, mais plutôt la coopération mutuelle pour signifier de façon optimale
la pertinence d'un énoncé.20
!
La communication humaine est donc un processus guidé par une recherche
de la pertinence optimale. La recherche de la pertinence n'est pas propre à la
communication, mais à l'ensemble des processus cognitifs humains. Dans
l'ensemble, tout processus cognitif humain cherche à optimiser sa pertinence. Un
input est maximalement pertinent lorsqu'il crée un maximum d'effets pour un
minimum d'effort cognitif. Ce qui fait la pertinence d'un stimulus au sein de la masse
de stimuli disponibles est ce rapport effet/effort, à savoir que plus un stimulus a
d'effets et moins il nécessite d'effort cognitif de traitement, plus celui-ci sera pertinent.
Pour qu'un stimulus soit pertinent, il faut que l'effort cognitif qu'il entraine soit justifié
par l'effet cognitif qu'il crée. Ainsi, tout système cognitif humain cherche à optimiser la
pertinence, non pas par choix, mais suite à son évolution. La communication,
processus majoritairement cognitif, ne déroge pas à cette règle. Lors d'un échange
interlocutif, est considéré comme pertinent tout input dans le système qui, après
avoir été mis en relation avec son arrière plan cognitif ainsi qu'avec le contexte
d'énonciation, permet une inférence chez un interlocuteur et crée les effets cognitifs
désirés, également appelé « effets cognitifs positifs ». Lorsqu'ils communiquent, les
interlocuteurs sont dans un système coopératif où chacun fait un effort pour
comprendre et pour se faire comprendre. Ainsi, connaissant la tendance de chacun à
maximiser la pertinence, ils sont amenés à produire un signe qu'ils considèrent
comme assez pertinent pour permettre à l'Autre de faire appel aux informations
d'arrière-plan de la situation d'interlocution et d'inférer la conclusion souhaitée, c'està-dire qu’un interlocuteur est supposé produire un stimulus assez pertinent (à
l'intérieur de ses limites d'aptitudes et de préférences) pour être relevé et traiter
cognitivement le plus simplement possible par l’Autre. En même temps, un
interlocuteur, sachant que l’Autre coopère pour fournir un stimulus aussi pertinent
que possible, va en contrepartie choisir celui qui lui semble le plus pertinent dans la
situation de communication comme indice des conclusions à inférer, en suivant un
chemin de moindre effort. La compréhension s'effectue donc à travers l'inférence de
conclusions depuis un nombre de reconstructions à partir d'hypothèses qui tiennent
20
Sperber&Wilson (2004) : « The central claim of relevance theory is that the expectation of relevance
raised by an utterance are precise enough, and predictable enough, to guide the hearer towards the
speaker's meaning. »
36 sur 140
au contenu de la production, mais aussi aux prémisses contextuelles et à ses
conclusions. De ce fait, tout énoncé produit dans la communication communique
avec lui la présomption de sa pertinence optimale. Selon Sperber et Wilson (1989:11),
le but de la communication est de modifier l'environnement de l'Autre, en amenant
« le second dispositif à construire des représentations semblables à certaines des
représentations contenues dans le premier », son ressort principal reposant sur la
reconnaissance par l'interlocuteur de l'intention communicative du locuteur. En
d'autres termes, une communication est une communication lorsqu'elle sous-tend un
désir d'être ostensiblement inférentielle, i.e. lorsqu'elle est « ostensivo-inférentielle ».
Ainsi, une communication est réussie lorsque l'interlocuteur reconnait que le locuteur
produit des signes ostensivo-inférentiels.
!
Pour poursuivre l'analogie, l'analyse du jeu de deux tennismen doit prendre en
compte ce que les joueurs envoient, mais aussi la façon dont ils l'envoient, le terrain
sur lequel ils jouent, les handicaps de chacun, etc., toute « passe » d’un joueur étant
la combinaison de ces différents facteurs. Certaines communications sont codées,
d'autres existent sans qu'aucun code ne puisse les déchiffrer : l'ensemble étant guidé
par le processus d'inférence, optimisé par la recherche d'une maximisation de la
pertinence, le contenu communiqué par une production allant au delà de ce qui est
linguistiquement encodé21 . Dans le modèle de Sperber et Wilson, ce qui est
linguistiquement codé ne fait pas appel à un codage-décodage comme nous
pouvions le trouver dans les théories du code : les deux interlocuteurs ne possèdent
pas chacun une copie identique d'un code dont ils se serviraient pour coder et
décoder un signe. Ce qui est codé dans ce modèle, c'est un signe faisant appel à un
savoir encyclopédique propre à chacun, ainsi, chaque signe fait potentiellement
appel au savoir encyclopédique de l'interlocuteur qui, à l'aide du contexte, va réduire
ces informations encyclopédiques de façon à ne faire ressortir que le sens qui sera
pertinent en contexte.
!
Dans ce modèle, la communication est guidée par le processus de pertinence,
qui se définit comme la recherche de l'optimisation des processus intrinsèques à la
21
Sperber&Wilson,2004 : « The explicitely communicated content of an utterance goes well beyond
what is linguistically encoded. »
37 sur 140
communication, à savoir la compréhension et la production. La communication est
vue comme essentiellement collaborative, c'est-à-dire que chaque interlocuteur est
supposé fournir un effort relativement maximal afin de pouvoir s'inter-comprendre.
Cet effort d'inter-compréhension va donc amener le locuteur à produire un stimulus
qui est optimalement pertinent (dans les limites de ses capacités et de ses
aptitudes), et l’Autre, s'attendant à ce que l’interlocuteur lui fournisse un stimulus
optimalement pertinent, va inférer du stimulus qu'il reçoit que la conclusion qui lui
semble la plus pertinente est celle que l’interlocuteur a voulu lui communiquer, la
pertinence optimale d'un stimulus se trouvant dans un effort cognitif se justifiant par
un effet cognitif équivalent. On y retrouve un rappel de la théorie du code, en ce sens
que la théorie de la pertinence prend le code comme une partie des inputs du
processus inférentiel, mais, au contraire de la théorie du code dans laquelle le signe
est vu comme une étiquette, ce qui est encodé dans la théorie de la pertinence est
une forme logique permettant de renvoyer à une entrée d'informations contenue
dans le savoir encyclopédique d’un interlocuteur, et c'est une fois cette forme
encyclopédique enrichie par le contexte que le sens apparait.
!
Le point essentiel pour notre propos, traitant de la communication et de ses
jeux, est l'importance de l'inférence dans l'échange interlocutif. En effet, envisager la
communication comme dirigée par le processus d'inférence permet d'envisager que
les résultats des processus cognitifs à l'oeuvre dans la communication ne sont pas
identiques chez les deux interlocuteurs : la compréhension consiste à une
reconstruction d'hypothèses sur l'acte de production, une reconstruction des
processus cognitifs de l'Autre selon des critères qui sont propres à chacun. Ainsi, une
représentation mentale par un interlocuteur ne sera jamais reproduite à l'identique
chez l'Autre. Ce qu’engage la communication, c'est d'oeuvrer à fournir des indices
afin d'optimiser la reconstruction par l'autre d'hypothèses sur ses représentations
mentales, mais malgré tout le soin que peut prendre un locuteur pour optimiser cette
pertinence, il ne sera jamais certain de la réussite de la communication, c'est-à-dire
certain que la conclusion à laquelle arrivera l'Autre est exactement celle qu'il voulait
lui faire inférer.
38 sur 140
!
A.3. L'économie cognitive
!
!
!
Comme nous venons de le voir, dans le modèle pragmatique ainsi que dans le
A.3.1. La communication comme système
modèle inférentiel et la théorie de la pertinence, les interlocuteurs communiquent par
interaction, c'est-à-dire que leurs décisions de communication sont influencées par la
présence et la nature de l'Autre, mais également par le contexte spatio-temporel
dans lequel se déroule la communication. Ces particularités correspondent aux
caractéristiques d'un système selon la définition de Von Bertalanffy (1973:32&17), qui
le définit comme un « ensemble d'éléments en interaction les uns avec les autres (...)
formé de parties en (...) interaction" fortes" ou "non linéaires".» La communication est
plus particulièrement un système ouvert, c'est-à-dire un système qui entretient une
relation continuelle entre ses éléments et les éléments de son environnement (ou
contexte).
!
Avant d'aborder ce qui fait les caractéristiques de ce système, nous ferons
dans un premier temps un point sur les interlocuteurs engagés dans celui-ci. Comme
nous l'avons vu dans ce chapitre, le modèle pragmatique et ensuite son affinement
par la théorie de la pertinence fait disparaitre la vision d'une communication basée
sur le modèle d’un code utilisé de façon mécanique par des « hommes-robots »
utilisateurs de signes-étiquettes dans un va-et-vient entre émetteur et récepteur. Le
modèle de la pertinence, qui vient contredire la vision de la théorie du code, ne sera
pourtant pas totalement adéquat pour notre propos. Même dans la théorie de la
pertinence, nous retrouvons l’idée d'un échange alterné entre « communicateur et
auditeur », qui, bien qu'affirmant que la production et la compréhension sont des
processus simultanés, laisse toujours la place à un échange théoriquement alterné
entre deux (ou plusieurs) locuteurs. Ce n'est pas cette vision que nous suivrons. De
fait, il est essentiel de concevoir que la compréhension et la production, les deux
processus intrinsèques à la communication, sont des processus simultanés, non pas
que l'un comprend alors que l'Autre produit, mais bien que les deux processus ont
39 sur 140
lieu chez chaque interlocuteur de façon simultanée. En effet, nous avons vu dans
l'Introduction22 qu'il était impossible de ne pas communiquer. Ainsi, nous sommes en
continuelle position intérieure dans la communication, c'est-à-dire que nous somme
toujours en train de communiquer : ce n'est pas parce que nous ne sommes pas en
train de « parler » que nous ne sommes pas en train de communiquer : un
interlocuteur se doit de produire un signe pour signifier à son interlocuteur qu'il est
(ou non) dans un processus actif de compréhension de ce que l'Autre produit, un
interlocuteur n'est donc jamais dans une position neutre de non-communication en
tant que simple « auditeur ». En même temps, si celui « qui parle » n'est pas en
même temps « auditeur », il ne pourrait pas être activement attentif à ce que produit
son interlocuteur, de simples notions comme « se faire couper la parole »
n'existeraient pas, puisque à quoi bon couper la parole à un producteur si celui-ci ne
le remarquera pas, n'étant pas en position « d'auditeur » ? Ainsi, il existe un rôle de
« communicateur » et d' « auditeur » si l’on s’en tient au seul caractère phonique de
la communication, c'est-à-dire un qui produit un signe locutionnel et l'Autre qui
écoute ce signe, mais dans une étude de la communication il n'y a pas de place pour
une telle distinction, puisque comme nous l'avons vu, la communication passe par
des canaux qui peuvent être autres que locutionnel. C'est pourquoi, pour la suite de
cette étude nous préférerons le terme interlocuteur pour désigner un sujet se
trouvant engagé dans le système communicationnel, et ainsi nous éviterons les
confusions que laisseraient apparaitre l'utilisation des termes cités précédemment.
!
De plus, ne pas penser les sujets engagés dans le système comme étant
simultanément en production et compréhension active contredirait deux des
principes fondateurs du système de la communication : le principe de totalité ainsi
que le principe de rétroaction ou d'adaptation, le second découlant
fondamentalement du premier. La totalité dans un système suppose « qu'une
modification d'un des éléments entraînera une modification de tous les autres, et du
système entier. » (Watzlawick,1972:123) Ainsi, changer n’importe quel élément à
n’importe quel moment modifie le système, que cet élément soit un interlocuteur ou
une production sémiotique. Cette totalité entraine les interlocuteurs à devoir
22
Introduction I.1. L’impossibilité de ne pas communiquer
40 sur 140
s'adapter aux modifications du système, et ce par le principe de rétroaction23 . En
effet, si un interlocuteur ne comprenait pas en même temps qu’il produit, comment
pourrait-il en adapter sa pertinence ? Nous trouvons empiriquement nombre
d'interlocuteurs qui énoncent « Tu m'écoutes ? » ou encore « Tu as l’air ailleurs ».
Sans un processus d'adaptation possible à travers une compréhension simultanée à
la production, l'interlocuteur ne saurait pas s’adapter à l’Autre. L'idée d'un système
en tant que totalité nous rappelle également qu'au sein d'une interaction, l'influence
n'est pas unilatérale : un élément A influence un élément B tout autant que l'élément
B influence l'élément A. En communication, tout interlocuteur produit en fonction de
l'Autre, à savoir qu'un interlocuteur A influence l'interlocuteur B tout autant que
l'interlocuteur B influence l'interlocuteur A. Le principe de rétroaction, que nous
venons d'effleurer, est facteur d'une recherche de l'équilibre du système par les
interlocuteurs, c'est-à-dire qu'ils cherchent à ce que la mise en commun par la
communication se déroule via une pertinence optimale. Cette recherche de l'équilibre
est effectuée par recherche d'une pertinence optimale. Nous verrons par la suite à
quoi correspond la pertinence et quel est l'équilibre recherché. Le fonctionnement de
la rétroaction au sein de ce système autorégulateur (ou autopoïétique) sera abordé
en détail dans le second chapitre.
!
Un autre principe inhérent au système de la communication est le principe
d'équifinalité, c'est-à-dire que dans ce système « le même état final peut être atteint
à partir de conditions initiales différentes ou par des chemins
différents. » (VonBertalanffy,1973:38) Il existe donc plusieurs moyens pour un
interlocuteur d'arriver à ses fins, ce qui l'entraine à devoir effectuer des choix, des
décisions au sein de l'ensemble des moyens à sa disposition. Ces choix sont motivés
par la tendance à la recherche d'un équilibre au sein du système. Avant de
développer dans le second chapitre de ce travail plus en détail les processus de
production et de compréhension, nécessaire à la rétroaction du système qu'est la
communication, ainsi que l'influence de son identité en tant que système ouvert
(dans le sens d'une ouverture influençant et influencée par ses environnements),
nous reviendrons dans les deux parties terminant ce premier chapitre sur l'incertitude
liée à l'équifinalité, ensuite sur les processus cognitifs de pertinence mis en place afin
de faire face à cette incertitude.
23
Ce principe sera développé plus en détail dans le Chapitre II.
41 sur 140
!
!
A.3.2. Retour sur l'incertitude
!
Comme nous l'avons vu dans la partie A.2.3., le principe fondateur gouvernant
la cognition lors de la communication est celui de l'inférence.
!
Ainsi, les interlocuteurs ne décodent pas un message qu'ils « reçoivent », ils
infèrent des conclusions tirées du parallèle fait entre les prémisses présentes dans le
contexte et les indices laissés par l'un (ou chacun) d'entre eux. Comme le disent
Sperber et Wilson (1989:27), à propos de l'opposition entre l'inférence et le décodage,
« un processus inférentiel a pour point de départ un ensemble de prémisses et pour
aboutissement un ensemble de conclusions qui sont logiquement impliquées ou, au
moins, justifiées par les prémisses. Un processus de décodage a pour point de
départ un signal et pour aboutissement la reconstitution du message associé au
signal par le code sous-jacent. » Inférer, si l'on reprend la définition du Nouveau
larousse encyclopédique (1994), c'est « tirer quelque chose comme conséquence
d'un fait, d'un principe. » De ce fait, la communication est un processus déductif,
c'est-à-dire dans lequel les communicateurs partent de leurs prémisses pour tirer des
conclusions, l'ensemble des prémisses qu'il existe à un énoncé constituant son
contexte. Cependant, comme nous l'avons déjà abordé dans l'Introduction24 , les
conclusions auxquelles arrive chaque communicateur ne peuvent être déduites de
façon certaine : bien que partageant un contexte mondain potentiellement manifeste
pour les deux, les prémisses des deux interlocuteurs ne sont jamais entièrement
semblables, c'est-à-dire que les deux interlocuteurs ne possèdent pas un « savoir
mutuel » qu'ils partageraient de façon certaine. Un interlocuteur ne sait jamais si les
conclusions post-compréhension que l’Autre va tirer de sa production seront les
conclusions souhaitées, et en même temps, un interlocuteur ne peut arriver à être
certain que les conclusions tirées de sa compréhension sont celles auxquelles
l'interlocuteur produisant a voulu arriver. Ce que chacun forme, grâce à ses capacités
méta-représentationnelles (capacités de se représenter les représentations de
l'Autre), ce ne sont que des hypothèses sur le processus cognitif qui ont amené
l'Autre à cette communication particulière. Ainsi, la communication est un mécanisme
24
Voir Introduction I.2. L'incertitude
42 sur 140
assurant « un succès tout au plus probable, mais non certain. » (Sperber&Wilson,
1989:33)
!
Nous ne pouvons contredire que dans toute communication, ce que souhaite
chacun, c'est se faire comprendre, et donc réduire au maximum la divergence
potentielle entre les conclusions auxquelles la production veut emmener la
compréhension et les conclusions auxquelles arrivent effectivement la
compréhension. Inconsciemment, le système déductif utilisé par les interlocuteurs
est donc amené à effectuer des choix parmi l'ensemble des hypothèses possibles.
Ces décisions sont guidées par le processus de pertinence. Selon la définition de
Hjørland et Christensen (2002), « une chose A est pertinente pour la tâche T
lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G, lui-même impliqué par T ». De
ce fait, toute hypothèse est pertinente pour un locuteur lorsque, en tant que résultat
du processus d'inférence, elle lui apparait comme augmentant les chances d'arriver à
la minimisation de la divergence des conclusions souhaitées et effectives. Les
interlocuteurs n'ayant jamais des prémisses homogènes, chacun produit et
comprend en fonction d'une pertinence qui lui est propre, mais aussi en fonction de
celle qu’il suppose à l'Autre, c'est-à-dire que chaque production est porteuse de sa
pertinence optimale, et que chaque interlocuteur produisant est mené à penser que
l'Autre possède les prémisses nécessaires pour tirer les conclusions souhaitées.
!
Nous avions abordé dans l'Introduction l'analogie que nous pouvions faire
entre cette incertitude de la communication et l'expérience de pensée du chat de
Schrödinger : un chat est enfermé dans une boîte, et à un moment aléatoire, un
poison peut se renverser dans la boite. Ainsi, tant que la boîte n'est pas ouverte,
nous ne pouvons juger que de la probabilité que le chat soit encore en vie ou non, un
expérimentateur voulant ressortir au moment « pertinent » un chat vivant ou mort ne
peut que juger des probabilités de l'état de celui-ci avant d'ouvrir la boîte. Il en va de
même pour la communication. Tant que le signe n'est pas produit, le locuteur ne peut
que suivre des hypothèses, qui l'amèneront à produire l'énoncé aux probabilités de
pertinence les plus grandes. Pour ce qui est de la compréhension, l'interlocuteur est
amené à reconstruire des hypothèses sur le raisonnement qui a amené l'Autre à
choisir ce moment précis pour ouvrir la boite, ou cet énoncé comme porteur de
probabilités de pertinence les plus grandes. On retrouve dans cette idée le concept
43 sur 140
économique de « l'incertitude stratégique », qui est « l'incertitude qui découle de
l'interaction des agents, l'environnement est tel que chaque individu doit anticiper le
comportement des autres pour prendre sa propre décision. Ici ce n'est pas la "trop
faible" rationalité des agents qui est source d'incertitude mais au contraire leur trop
parfaite rationalité. » (Viviani,1994:112) Nous retrouvons cela dans notre sujet :
l'incertitude au sein de la communication est due au fait que, par essence, la
communication est une interaction au sein d'un environnement, et que chacun prend
des décisions de communication, en anticipant par hypothèses et décisions sur les
hypothèses et décisions de l'Autre. Ainsi, ce qui amène de l'incertitude dans la
communication n'est pas « l'irrationalité » des décisions d'un interlocuteur, mais au
contraire le fait que, rationnellement, un locuteur est conscient qu’il ne lui est
possible que d'anticiper et jamais prédire, il ne peut que créer des hypothèses et
jamais des certitudes.
!
La communication est un processus complexe dans lequel chaque échange a
pour résultat un ensemble d'hypothèses sur les intentions de l'Autre, mais aussi sur
le résultat de l'efficacité de la production de chacun. Les interlocuteurs cherchent à
ce que l'Autre reconnaisse leur intention communicative, mais aussi à ce qu'il arrive
à certaines conclusions. Se basant sur l'inférence et non sur le décodage25, la
communication laisse chacun dans une situation d'incertitude face à l'efficacité
effective des processus cognitifs de l'Autre. Cependant, cherchant à comprendre et à
se faire comprendre, les interlocuteurs utilisent un système qui est auto-régulé, à
savoir un système cybernétique permettant le feedback. Nous verrons cette notion
dans le chapitre II. Avant de voir cette notion, nous développerons le fonctionnement
de la pertinence dans le système.
25
Décodage selon la définition de la théorie du code
44 sur 140
!
!
A.3.3. Le modèle économique-efficace
!
Comme nous venons de le voir, la communication est un système dans lequel
sont engagés des interlocuteurs. Une des propriétés de ce système est qu'il répond
au principe d'équifinalité, c'est-à-dire qu'un état particulier du système peut être
atteint depuis des conditions initiales différentes mais aussi via des utilisations, des
« voies » différentes. Ainsi, il peut atteindre un état qui est indépendant des
conditions initiales depuis lesquelles il évolue, et donc un état dû à des influences
environnementales ou à une production spontanée par et dans le système. De ce
fait, les interlocuteurs doivent faire des choix d’utilisation, guidés par le processus de
pertinence, afin de choisir parmi les différentes hypothèses à leur disposition afin
d'arriver aux conclusions souhaitées ; en d’autres termes, un utilisateur du système
va produire des indices et inférer des hypothèses qui vont être optimalement
pertinents. Nous allons ici développer les critères qui font cette pertinence.
!
Selon Sperber&Wilson, la pertinence est un processus d’optimisation de la
communication par production d’un signe créant le maximum d’effets contextuels, un
effet contextuel étant la conclusion d’une « déduction utilisant comme prémisses
l’union d’informations nouvelles P et d’information anciennes C. » (1989:168) Ainsi, un
effet contextuel est la création d’une conclusion prenant pour prémisse la jonction
d’une information nouvelle avec une information plus ancienne. C’est la création de
d’effets contextuels maximales que recherche les interlocuteurs à travers un
minimum d’effort cognitif, c’est-à-dire qu’une « hypothèse est d’autant plus pertinente
dans un contexte donné que ses effets contextuels y sont plus importants (et) (...)
que l’effort nécessaire pour l’y traiter est moindre. » (ibid:191) Ce n’est cependant pas
tout à fait la terminologie que nous utiliserons. Comme nous l’avons vu, notre vision
de la communication est celle d’une interaction totale écartant l’idée d’un tour de
parole quelconque. Or, pour rendre compte de cette interaction totale, nous nous
devons d’utiliser une terminologie qui répond des deux processus de compréhension
et de production de façon égale.
45 sur 140
!
Comme nous l’avons vu précédemment, les interlocuteurs possèdent une
capacité cognitive de compréhension inférentielle depuis les indices laissés par la
production. Une pertinence non-optimale n’est pas due à une incapacité de
compréhension (car, rappelons le, tout interlocuteur possède la capacité cognitive
inférentielle lui permettant de comprendre les indices), mais à une économie lors de
la production d’indices qui est trop forte de la part d’un interlocuteur. De ce fait, nous
considérerons que tout interlocuteur est capable de comprendre une production si et
seulement si cette production produit efficacement, c’est-à-dire si elle produit assez
d’effets contextuels pour sa compréhension. C'est à la production qu'il « incombe de
ne pas se tromper et de savoir quels codes et quelle information contextuelle (l'autre)
est à même d'utiliser dans le processus de compréhension. » (ibid:73)
!
Ainsi, envisageons un exemple, qui sera bien sûr schématique : si un
interlocuteur A produit à un autre interlocuteur B le signe locutionnel S suivant : « J'ai
vu le dernier King dans la boutique en bas de la rue », il est évident que A
présuppose que le signe-indice « King » est suffisamment efficace pour que la
compréhension mène B à la conclusion souhaitée par A, à savoir que pour référer au
dernier ouvrage de Stephen King, Dôme, il peut faire l’économie d’indices
supplémentaires à King. Cependant, si B n’arrive pas à la conclusion à laquelle veut
le mener A, ce n’est pas parce qu’il n’arrive pas à fournir l’effort nécessaire à la
compréhension, mais bien parce que A a été trop économique dans sa production de
signe, c’est-à-dire que A n’a pas produit assez d’indices pour que B comprenne, à
savoir qu’ici, B peut comprendre que le dernier King est Duma Key, si B ne connait
pas l’existence de l’ouvrage plus récent Dôme, voire même que King est la
chanteuse Diana King. Schématiquement, pour que B comprenne A à travers S, il
faut que A fournisse un nombre n d’indices à B pour être assez pertinent pour la
compréhension par B. Or, si B ne comprend pas A, ce n’est pas par effort trop élevé
lors de la compréhension, mais bien parce que A envisage que B comprendra avec
moins d’indices que n, et est trop économe dans sa production pour être efficace.
!
Ce modèle permet également de rendre compte des communications qui sont
dans un premier temps source d'incompréhension : quand un locuteur n'est pas
familier avec l'interlocuteur, il suivra d'abord sa propre économie cognitive, avant de
l'adapter s'il s'aperçoit que cette économie est trop grande par rapport à l'efficacité
46 sur 140
nécessaire à une compréhension juste. De fait, le modèle coût/effet ne rend pas
compte de façon juste de ces incompréhensions en considérant que les
incompréhensions et ambiguïtés sont dues à un coût trop élevé par rapport à l'effet :
encore une fois, ce modèle ne prend en compte que le niveau compréhension et pas
le niveau production, n'expliquant pas pourquoi la production du locuteur engendre
un coût trop élevé, c'est-à-dire que la théorie coût/effort développée par Sperber et
Wilson analyse la pertinence dans une optique de la compréhension verbale. Notre
terminologie s'adaptant aux deux processus de la communication, elle nous paraît
donc plus adaptée pour rendre compte de la communication en tant qu’interaction
ainsi que de ses jeux. À travers la notion économie-efficacité, nous pouvons rendre
compte des ambiguïtés de façon juste.
!
Ces ambiguïtés existent uniquement dans le processus de compréhension, en
effet, considérer que l'on puisse produire des énoncés ambigus pour nous même est
une idée fausse qui ne se retrouve jamais dans la conversation réelle, en d'autres
termes, lorsque nous communiquons, nous « savons ce que nous voulons dire »,
nous ne produisons jamais d’énoncés non pertinents pour notre propre
compréhension. En d'autres termes, l'énoncé n'est jamais ambigu pour celui qui le
produit. Comment est-il possible que celui-ci deviennent ambigu avec la
compréhension ? Ce phénomène apparaît lorsque celui qui produit suit sa propre
économie cognitive sans envisager (ou sans connaître) l’équilibre nécessaire pour
arriver à être efficace, c'est-à-dire en suivant son propre sens du signe, sans
envisager les informations potentiellement nécessaires à la compréhension par
l’Autre.
!
Pour résumer, nous ne contredisons pas le développement fait par Sperber et
Wilson, nous nous permettons de le reformuler. La terminologie utilisée par ces
derniers ne permet pas d’envisager un point de vue totalement interactionnel,
puisqu'elle renferme toujours l'idée d'un « communicateur » produisant ce qu'il
envisage comme pertinent pour la compréhension par « l'auditeur » en fonction de
coûts et d'effets cognitifs. Or, cette idée contredit ce que nous avons vu
précédemment. Est pertinent en communication ce qui optimise les tâches de
compréhension et de production, la pertinence ne peut donc recouvrir le seul
processus de compréhension, mais se doit de recouvrir les deux processus, ce que
47 sur 140
fait la terminologie économie-efficacité, les deux processus devant être économiques
et efficace, l'économie s'effectuant pour soi et l'efficacité pour l'entièreté du système.
!
Ainsi, la compréhension est indissociable de la production, et ces deux tâches
cognitives sont dirigées par la notion d’inférence, c’est-à-dire que l’on produit et l’on
comprend en posant des hypothèses sur les capacités cognitives
représentationnelles de l’Autre. Chaque interlocuteur partage la supposition que
l’Autre est pertinent dans sa production, qu’il utilise optimalement les moyens à sa
disposition pour maximiser la compréhension, et va ainsi, par économie, utiliser ses
capacités inférentielles pour comprendre ce qui lui est le plus directement accessible,
car « même si dans le processus de compréhension les données et les hypothèses
dont on pourrait en principe tenir compte sont innombrables, les seules dont on
tienne compte en fait sont celles qui sont directement accessibles. » (ibid:105)
L’interlocuteur qui produit envisage que sa production est économique pour éviter le
superflu mais aussi qu'elle va produire assez d’effets contextuels (c'est-à-dire être
assez efficace) pour que la compréhension-économique arrive aux conclusions
voulues. Nous soutenons l’idée que tout interlocuteur est capable de comprendre
une production à condition que celle-ci produise assez d’effets contextuels pour être
comprise. Ainsi, selon notre terminologie, si une incompréhension survient, ce n’est
pas parce que la compréhension demande trop d’efforts, mais bien parce que la
production a été trop économique. De ce fait, un signe est pertinent lorsqu’il crée un
équilibre entre l’économie et l’efficacité, c'est-à-dire lorsque la production fait
l'économie du superflu en restant assez efficace pour permettre à la compréhension
d'arriver aux conclusions souhaitées.
!
Nous rappelons que la communication recouvre la communication ainsi que la
méta-communication, il en va ipso facto de même pour la pertinence. Un signe peut
être non pertinent à un niveau communicationnel mais pertinent à un niveau métacommunicationnel : un interlocuteur peut vouloir communiquer une « noncommunication », c’est-à-dire communiquer qu’il ne souhaite pas communiquer, ou
encore l’informer qu’il est capable de fournir une économie cognitive que l’Autre ne
peut pas fournir, afin d’affirmer une supériorité de ses capacités cognitives ou encore
afin de signifier qu’il connait mieux un sujet que l’Autre. Ainsi, une production peut
sembler trop économique, mais cette économie peut être elle même pertinente, car
l’effet contextuel visé se situe à un niveau méta-communicationnel.
48 sur 140
B. Théorie du système
communicationnel
49 sur 140
!
Nous venons de voir comment la communication ne pouvait se satisfaire de
l’approche de la théorie du code, fondée par Ferdinand de Saussure. De par
l’imposition d’une supériorité de la langue sur le langage, la théorie de la
transmission crée une inévitable exclusion de la situation communicationnelle ainsi
que des interlocuteurs, ce qui sera pris à contrepied par les théories pragmatiques,
s’attachant à l’étude du langage dans ses conditions de performances empiriques,
plutôt que dans une vaine tentative de description d’une langue-code utilisant des
signes-étiquettes et transitant entre deux interlocuteurs idéaux.
!
!
Bien au contraire, ce travail suivra l’approche de l’étude pragmatique de la
communication, c’est-à-dire l’étude de la communication telle qu’elle est utilisée par
les interlocuteurs de façon empirique. Plutôt que de concevoir les signes comme des
étiquettes renvoyant à une entrée d’un code dont chaque interlocuteur aurait une
copie, les signes seront dans notre travail vus comme des indices permettant aux
interlocuteurs d’inférer ce que la situation d’interlocution ne suffit pas à communiquer,
les interlocuteurs s’accordant tacitement pour que leur communication soit
maximalement pertinente, c’est-à-dire que l’économie cognitive de chacun soit
maximale, dans la condition que celle-ci ne vienne pas mettre un frein à l’efficacité
générale du système.
!
Ainsi nous avons vu que la communication était un système dans lequel les
interlocuteurs sont engagés, c’est-à-dire qu’ils font partie d’un ensemble de signes
en constante interaction, dans lequel ils échangent des hypothèses et forment des
conclusions hypothétiques et inférentielles sur les signes qui les entourent. Nous
allons dans cette seconde partie développer plus en profondeur ce qui fonde ce
système, ainsi que le fonctionnement interne des éléments qui le composent.
50 sur 140
!
B.1. Stimulus et environnement !
!
!
!
Nous vivons au quotidien entourés d'un nombre incalculable de « choses »
B.1.1. Stimulus et attention sélective
sur lesquelles nous pouvons potentiellement communiquer : objets concrets,
émotions, idées pour le futur, souvenirs, etc. Comme le dit Gardiner (1989:62),
« quand nous sommes éveillés, notre esprit n'est jamais au repos. Nos pensées et
nos rêveries poursuivent tranquillement leur cours, ne s'interrompant que lorsqu'un
événement extérieur ou un souvenir intéressant viennent solliciter notre attention. »
!
Notre étude se base sur la prémisse théorique que notre recherche ne tend
pas vers une réponse au pourquoi nous choisissons de communiquer sur telle ou
telle chose puisque « dans une pragmatique de la communication humaine, il est
parfaitement hors de propos de demander pourquoi un individu a de telles
prémisses » (Watzlawick,1972:96), mais sur comment nous communiquons sur cette
chose. Comme nous l'avons vu dans l'introduction, il est indéniable que nous
communiquons toujours sur « quelque chose ». Ainsi, afin d'utiliser un terme
générique pour renvoyer à ce « quelque chose », nous emprunterons à la théorie
béhavioriste le terme de stimulus afin de référer à ce qui engendre, ce qui stimule la
production de signe, « l'événement (S) qui provoque une réaction (R) » (Dubois,
1994:442),
ce qui renvoie à « la situation extralinguistique qui suscite chez un locuteur
une réaction verbale, ainsi que la matière acoustique ou graphique qui provoque une
réaction, verbale ou non, de la part d'un locuteur. » (Mounin,2004:306) Notre étude
étant une étude sémiologique, nous appellerons stimulus toute situation extrasémiotique et matière sémiotique qui suscite une réaction chez un interlocuteur.
Selon notre conception, les stimuli peuvent être à la fois intrinsèques ou extrinsèques
au système communicationnel.
!
Cependant, même si le terme y est emprunté, il est important de souligner que
le stimulus auquel nous faisons référence n'est pas celui du modèle béhavioriste
traditionnel stimulus-réponse (ou modèle S-R), dans lequel le stimulus est considéré
51 sur 140
comme un événement extérieur au système à l’origine d’une manifestation à
l’intérieur de celui-ci. Ici, le stimulus est la « chose » qui a la capacité de stimuler un
processus communicationnel, cette « chose » pouvant être de façon équivalente
intérieure ou extérieure au système, c’est-à-dire de nature très diverse tant qu’elle
peut potentiellement stimuler un processus au sein du système. Comme nous
l’avons vu dans le premier chapitre, la communication est un système ouvert (en
constante interaction avec son environnement) dans lequel les interlocuteurs sont
continuellement engagés. Le stimulus ne peut donc pas être un événement, une
« chose » entièrement extérieure au système qui engendrerait, provoquerait de
manière systématique un processus à l'intérieur d'un système, puisque les processus
intérieurs au système sont continuellement actifs, et de façon autonome. Ainsi, « le
stimulus ne cause pas un processus dans un système par ailleurs inerte, il ne fait
que modifier les processus dans un système actif autonome. » (VonBertalanffy,1973:214)
En d’autres termes, le stimulus ne cause pas les processus, mais a une potentielle
influence sur ces processus autrement autonomes.
!
Jusqu’ici nous avons couplé la définition du stimulus avec une idée de
potentialité, de capacité. Cela est dû au fait qu’il existe deux types différents de
stimuli : les stimuli manifestes et les stimuli effectifs.
!
Les stimuli manifestes sont des stimuli potentiellement effectifs, c’est-à-dire
que ce sont de potentielles informations dans un processus inférentiel. Pour
reprendre la définition de Sperber et Wilson (1989:65), un stimulus « est manifeste à
un individu à un moment donné si et seulement si cet individu est capable à ce
moment là de représenter mentalement ce (stimulus) et d'accepter sa représentation
comme étant vraie ou probablement vraie. (...) Être manifeste, c'est donc être
perceptible ou inférable. » Encore, nous ne nous soucions pas des conditions de
vériconditionnalité : un stimulus est manifeste lorsque le contexte fournit
potentiellement assez d'indices pour permettre à un interlocuteur d'inférer une
conclusion depuis ce stimulus, suite à la mise en parallèle de ce stimulus avec
d’autres informations existant dans le contexte. Le stimulus représente « toute chose
communicable ; la question de savoir si tel (stimulus) est vrai ou faux, valable, non
valable ou indécidable n’entre pas en ligne de compte. » (Watzlawik,1972:49) En effet,
52 sur 140
nos sens peuvent nous tromper, et les hypothèses sur lesquelles se basent
l’inférence sont relatives à l’interlocuteur qui les fait. Ainsi, un stimulus manifeste est
un stimulus depuis lequel un interlocuteur est capable d'inférer, un stimulus effectif
est un stimulus depuis lequel un interlocuteur infère effectivement.
!
La transition d'un stimulus manifeste à un stimulus effectif est conduite par
l’attention sélective. Bien que nous vivions entourés de choses et de signes, ceux-ci
ne se transforment pas tous en information, c'est-à-dire que bien que nous soyons
entourés de stimuli manifestes, ils ne deviendront pas tous effectifs, et donc ne
seront pas tous utilisés dans une inférence. Deux interlocuteurs à la terrasse d'un
café peuvent discuter de leurs vacances au ski sans communiquer sur le goût du
café ou le look du serveur. Ainsi, la boisson ou la tenue du serveur sont des stimuli
manifestes, tout comme le sont leurs souvenirs du séjour en montagne, c'est-à-dire
que les interlocuteurs peuvent potentiellement communiquer sur l'un comme sur
l'autre, mais pourtant pas sur les trois en même temps. Un choix est effectué parmi
tous ces stimuli manifestes. C'est l'attention sélective qui permet cette sélection, ce
choix du stimulus manifeste qui deviendra un stimulus effectif. Ce processus de
sélection est un processus permettant l’économie de l'effort cognitif que créerait
l’obligation d'avoir à traiter tous les stimuli manifestes, traitement qui serait
impossible aux vues de notre fonctionnement cognitif par lequel « nous ne pouvons
pas traiter de façon élaborée tous les stimuli qui se présentent à nous
simultanément. » (Sieroff,1992:4) L’attention sélective permet au système de ne choisir
que le stimulus pertinent. Effectivement, l’ensemble des stimuli est manifeste à un
niveau infra-attentionnel, et l’attention sélective est le processus de choix, parmi
l’ensemble des environnements, du stimulus manifeste saillant, et donc pertinent, qui
deviendra stimulus effectif.
53 sur 140
!
!
B.1.2. L'environnement cognitif direct
!
Ainsi, les stimuli sont des phénomènes qui existent au sein de l’environnement
du système. Les théories linguistiques utilisent généralement le terme de
« contexte » pour référer à « tout ce qu'englobe l'horizon de la situation ; le fait que
ce soient des hommes qui se parlent et s'écrivent, (...) le moment et le lieu comme
les raisons qu'ils ont de communiquer et de communiquer ainsi. » (Eluerd,1985:13)
Notre travail prenant le tournant de l’étude systémique, nous préférerons le terme d’
« environnement », terminologie utilisée dans cette approche. L’environnement du
système communicationnel est défini comme l’ensemble des stimuli qui sont
manifestes aux interlocuteurs, c’est-à-dire leurs environnements cognitifs.
!
Il est important de noter que l’interaction du système communicationnel avec
son environnement est informationnel : en d’autres termes, nous communiquons sur
et non pas par les environnements. Ces environnements étant eux-même des
informations sur des perceptions du monde, et non pas le monde, la communication
est une production et une compréhension d'informations sur des informations. En
effet, comme le souligne Bateson (1980:73), « c’est ma perception de la chaise qui est
vraie du point de vue de la communication, et ce sur quoi je suis assis n’est pour moi
qu’une idée, un message que je crois vrai. » En d’autres termes, les stimuli ne sont
pas les choses, mais bien des informations de ce qui est perçu sur ces choses :
quand un interlocuteur communique sur la température de la pièce, sur la phrase
qu'a produit son interlocuteur ou sur le souvenir de ses dernières vacances, il
communique sur les informations perceptibles et perçues sur ces choses, et non pas
par ces choses. Cela permet à la communication d'utiliser un processus unique pour
le traitement de niveaux de perception différents : les stimuli peuvent être une
perception d’une chose comme un perception d’un signe ou d’un élément existant en
mémoire, et pourtant, ils sont tous traités de la même façon, dans une boucle infinie
de production et de compréhension d'information(s) sur de l'information.
!
De cela découle le fait que, comme le disent Gauducheau et Cuisinier
(2004:334), « l’(environnement) ne préexiste pas à l’interaction mais il est coconstruit
par les individus au cours des échanges. » En d’autres termes, à l'inverse de la
54 sur 140
conception traditionnelle de l’environnement qui est faite dans les théories
linguistiques, celui-ci n’est pas prédéterminé et donné au système, en ce sens que
c’est la perception continuellement renouvelée des interlocuteurs qui le crée. Celui-ci
est donc dans un continuel renouvellement, une continuelle reconstruction et
modification de lui-même.
!
Bien qu'uniforme, nous pouvons diviser l’ensemble de l’environnement en
deux sous-environnements. Ces deux sous-environnements ne sont pas entièrement
séparés puisqu'ils n’ont pas de frontières imperméables : le processus inférentiel
utilise des stimuli d’un environnement en comparaison et en combinaison à des
stimuli de l’autre environnement. Le premier de ces sous-environnements cognitifs,
que nous allons développer dans un premier temps, regroupe la catégorie des stimuli
appartenant à l’environnement cognitif direct, au sens d’un environnement
directement perceptible par les interlocuteurs, c'est-à-dire ce que constitue
l'ensemble des informations nouvelles utilisées dans le processus inférentiel.
!
L’environnement cognitif direct peut se diviser en deux sous-environnements.
Le premier de ces environnements est l’environnement situationnel. C’est ce qui est
qualifié dans la tradition linguistique comme « monde », ou comme
« extralinguistique ». Cet environnement regroupe l’ensemble des perceptions sur
les éléments, les situations du monde extra-communicationnel. Dans un
environnement étant partie de l’espace-temps, l’environnement situationnel est
l’espace, c’est-à-dire l’ensemble des entités physiques se situant spatialement à la
portée de la perception sensorielle des interlocuteurs : le lieu dans laquelle ils se
trouvent, les sons qu’ils entendent, la température, etc.
!
L’environnement cognitif direct est également composé des signes créés par
le système, ce que la tradition appelle « contexte littéral ou cotexte : l'environnement
verbal ou écrit de l'énoncé. » ( Eluerd,1985:13) En d’autres termes, c’est
l’environnement crée par l’existence sémiotique directement présente dans la
communication que sont les stimuli produits, et donc également à la portée
sensorielle des interlocuteurs.
55 sur 140
!
!
B.1.3. L’environnement cognitif indirect
!
Le second sous environnement est l’environnement cognitif indirect. Il est
composé des présuppositions et du savoir encyclopédique des interlocuteurs, c’està-dire l’ensemble des hypothèses en mémoire, plus ou moins accessibles au niveau
attentionnel. Cet environnement compose l’ensemble des prémisses indispensables
à l’existence de la compréhension inférentielle 26, traditionnellement appelé
« présupposés ». Cet environnement cognitif indirect regroupe l’ensemble des
hypothèses, des présuppositions générales acceptées comme vraies dans la
mémoire du système, c’est-à-dire dans la mémoire conceptuelle27 des interlocuteurs,
mais aussi l’ensemble des conclusions qui découleraient d’une potentielle inférence
prenant pour prémisses une ou plusieurs de ces hypothèses. Comme le disent
Sperber et Wilson (1989:67), «un individu possède non seulement le savoir représenté
dans son esprit mais aussi le savoir qu'il est capable de déduire du savoir dont il a la
représentation. » Par exemple, à l’heure actuelle, il ne fait aucun doute que JeanPaul Sartre n’a jamais dirigé un magazine sur internet. C’est une conclusion
inférentielle qui nous est manifeste, et donc accessible, sans pour autant que nous
ayons effectivement effectué cette inférence auparavant. Cette « mémoire
encyclopédique » (Sperber&Wilson,1989), cette « vue unifiée du monde dans lequel (un
interlocuteur) se trouve "jeté" » (Watzlawick,1972:265) est l'ensemble des prémisses
qu'un interlocuteur possède sur le monde en général, et qui guideront son
comportement au court de sa vie ; dans un environnement du système étant
l'espace-temps, la notion d'environnement cognitif indirect renvoie à la variable
temps.
!
Cet environnement regroupe trois formes différentes d’entrées conceptuelles
en mémoires, qui sont les entrées logiques, encyclopédiques et lexicales. L’entrée
logique d’un concept correspond aux règles déductives particulières propres à un
26
« Le rôle (de l’environnement) n'est pas simplement de filtrer les interprétations inadéquats : (il)
fournit des prémisses sans lesquelles les implications ne peuvent tout simplement pas être
inférées. » (Sperber&Wilson,1989:62)
27
Un concept est un élément qui, combiné avec d’autres concepts, structure une hypothèse. Pour un
développement de ce point, voir Sperber&Wilson (1989:134-135)
56 sur 140
certain concept. L’entrée encyclopédique correspond à l’extension, la manifestation
matérielle de ce concept dans le monde. Enfin, l’entrée lexicale comprend les
informations sémiotiques correspondant à ce concept28.
!
Bien que tous deux cognitifs, il existe pourtant un différence fondamentale
entre ces deux environnements : l’environnement cognitif direct est supposé être
communément manifeste aux interlocuteurs qui perçoivent potentiellement les
mêmes informations du monde « extralinguistique »29, alors que l’environnement
cognitif indirect est propre à chaque interlocuteur. L'environnement cognitif indirect
est le passage en mémoire à long terme d'événements individuellement ponctuels
qui sont dans un premier temps stockés dans la mémoire à court terme. Ce qui fait
de l'environnement cognitif indirect un ensemble de représentations ancrées en
chaque interlocuteur, et qui sont par conséquent plus immuables.
!
Pour conclure ce développement sur les stimuli et l'environnement, nous
rappellerons l'importance de concevoir l'environnement du système comme un
ensemble de perceptions, et donc d'informations, c'est-à-dire que, comme le dit
Bateson (1980:48), « il n'y a dans l'esprit que des transformations, des perceptions,
des images et les règles permettant de construire tout cela. » La communication est
une production d'informations sur des informations, critère fondamental faisant du
système communicationnel un système cybernétique. De plus, le fait que l'ensemble
du système cognitif humain traite de l'information lui permet d'opérer à travers un
seul mécanisme de traitement, traitant de l'information et articulant compréhension et
production, qui fonctionnera de façon semblable pour le traitement de tout stimulus.
28
Pour un développement complet de ces trois types d’entrées conceptuelles, voir Sperber & Wilson
(1989:135-145).
29
Nous n’entendons pas par là que les perceptions chez les interlocuteurs sont identiques, mais plutôt
que ce sont des éléments qui ont la potentialité d’affecter la perception de tous les interlocuteurs.
57 sur 140
!
B.2. Compréhension, production et sens. !
!
!
!
Nous reviendrons dans un premier temps sur le principe général guidant la
B.2.1. Compréhension et production
communication qui est le principe d’inférence. Le principe d’inférence est un
processus de mise en relation, inhérent aux systèmes logiques, qui consiste à
« produire de nouvelles informations à partir des informations existant en mémoire
(..) et des informations issues de la situation. » (Richard,1990:15 cité dans
Gauducheau&Cuisinier,2004:337)
La conception de l’inférence attachée aux systèmes
naturels diffère de la conception en logique traditionnelle et est plus pertinente pour
l’étude du système communicationnel. En effet, en logique traditionnelle, l’inférence
est conçue comme un processus de mise en relation de prémisses axiomatiques
permettant la création d’une ou plusieurs conclusion(s) basée(s) sur les valeurs de
vérité des prémisses. Ainsi, la conclusion tire sa vérité de la vérité des prémisses.
Cependant, nous l’avons vu dans le chapitre précédent, les valeurs de vérité n’ont
pas lieu d’être en communication. Les prémisses du processus inférentiel déductif
d’un interlocuteur, processus qui est propre au système communicationnel, ne sont
pas axiomatiques mais hypothétiques : l’information ancienne qui existe dans la
mémoire des interlocuteurs n’est pas composée d’axiomes mais d’hypothèses
factuelles, c’est-à-dire d’hypothèses sur le monde acceptées comme vraies par un
interlocuteur. Il en va de même pour les informations nouvelles : comme le disent
Sperber et Wilson (1989) ou encore Gauducheau et Cuisinier (2004:335) « les états
mentaux, et plus généralement la vie mentale d’autrui, correspondent à des états
internes qui ne sont pas directement accessibles, explicites. » Ainsi, la
communication est articulée autour d’hypothèses sur les représentations mentales
d’autrui, sur le raisonnement qui a amené l’Autre à une production, c’est-à-dire une
« estimation (...) des motifs d’autrui, donc des hypothèses concernant ce qui se
passe dans son esprit. » (Watzlawick,1972:40) De ce fait, la compréhension comme la
production basent leurs déductions sur un ensemble d’hypothèses et non pas sur
des vérités axiomatiques, ce qui a pour effet d’entrainer une valeur d’incertitude au
sein du système, puisque la force d’une conclusion se base sur la force de
58 sur 140
prémisses hypothétiques. Nous allons ici voir comment fonctionnent les processus
de production et de compréhension.
!
Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre de ce travail, la
compréhension et la production sont deux processus simultanés. Le choix de
développer la compréhension avant la production est un choix arbitraire et inévitable
qu’il faut prendre comme tel.
!
Nous verrons d’abord le fonctionnement de la compréhension inférentielle.
Celle-ci est le processus de déduction inférentielle permettant à un interlocuteur de
déduire des conclusions hypothétiques à la suite de la combinaison d’informations
nouvelles et d’informations anciennes en mémoire. Ce processus de compréhension
inférentielle est un processus cognitif global, et non local : les prémisses de
l’inférence peuvent faire partie de toutes les informations conceptuelles dont dispose
la mémoire d’un interlocuteur, il est capable d’utiliser « librement n’importe quelle
information conceptuelle. » (Sperber&Wilson,1989,103)
!
Le but de ce processus de compréhension inférentielle, c’est-à-dire de
déduction, est de créer des hypothèses nouvelles au sein du système, ces
hypothèses nouvelles, conclusions d’une inférence conjuguant information(s)
nouvelle(s) et ancienne(s), sont en rapport avec « l’histoire » du système et
permettent de confirmer ou d’infirmer des hypothèses qui étaient déjà présentes au
sein de celui-ci.
!
L’information nouvelle traitée par le système est un stimulus effectif, c’est-à-
dire celui qui résulte du filtrage inconscient30
effectué par l’attention sélective,
permettant de faire un choix parmi l’ensemble des stimuli manifestes, pour
sélectionner le stimulus saillant, à savoir le stimulus qui sera le plus pertinent31. C’est
ce stimulus maximalement pertinent qui sera traité par l’interlocuteur, et ce parce que
la production sous-tend une idée de pertinence optimale. Ainsi, un interlocuteur
s’attend à ce que l’Autre coopère et à ce que chacun produise un stimulus qui sera
30
Comme le disent Sperber et Wilson (1989,28) « dans des circonstances ordinaires, les auditeurs
n'ont aucun mal à choisir un (...) sens ; ils ne se rendent même pas compte qu'ils ont eu un choix à
effectuer. »
31
Sperber&Wilson (2004) « What makes an input worth picking out from the mass of competing
stimuli is not just that it is relevant, it is that it is more relevant than any alternative input available to us
at the same time. »
59 sur 140
optimalement pertinent, et de ce fait, c’est le stimulus qui apparaitra comme
optimalement pertinent qui sera choisi en tant que stimulus saillant, et qui deviendra
information nouvelle d’un processus déductif.
!
Nous verrons dans un second temps le fonctionnement du processus de
production sémiotique. La production sémiotique est un processus de signification,
c’est-à-dire de mise en signe d’indices, de création de stimuli manifestes. Un
interlocuteur produit une « modification de l’environnement destinée à être perçue »
dans le but de « fournir des données susceptibles de confirmer ou d’infirmer
certaines hypothèses. » (Sperber&Wilson,1989,51&111) Nous produisons des signes pour
communiquer avec autrui, et c’est au processus de production qu’il incombe la
responsabilité de la pertinence du signe : un interlocuteur se doit de produire, en
restant dans la limite de ses préférences et de ses capacités, une sémiotique qui
sera optimalement pertinente pour le bon déroulement du système.
!
Cette production ne déroge pas à l’influence qu’exerce l’inférence dans le
système et cette inévitable influence impose à chaque interlocuteur une capacité
méta-représentationnelle : un interlocuteur se représente des hypothèses sur les
représentations mentales de l’Autre, et produit la sémiotique qui lui semble la plus
pertinente pour amener l’Autre à la conclusion souhaitée, c’est-à-dire qu’un
interlocuteur produit une manifestation sémiotique contenant assez d’indices pour
être efficace, mais pas plus. Ainsi, l’inférence productive possède comme prémisses
les hypothèses factuelles d’un interlocuteur et les représentations qu’il se fait des
représentations mentales de l’Autre. C’est à travers cette méta-représentation que
l’interlocuteur produisant choisit la sémiotique la plus pertinente. Ainsi, la production,
dans le sens que celle-ci prend dans la communication, est une production de
signes-indices en tant qu’informations sur un stimulus effectif et dans le but que ces
signes deviennent eux-même stimuli manifestes.
!
Selon Sperber et Wilson, la communication toute entière n’existe que si elle
est ostensivo-inférentielle, c’est-à-dire qu’il n’y a communication que si les stimuli
actifs dans le système sont ostensifs, à savoir intentionnels et produits dans le but
d’être ostensiblement des signes communicatifs. Nous contesterons ce point dans la
60 sur 140
partie directement suivante, dans laquelle nous développerons qu’une inférence peut
se baser sur des signes non-ostensifs. En d’autres termes, la production n’est pas
nécessairement intentionnelle, en ce sens qu’un signe peut être manifeste, voire
compris sans pour autant avoir été ostensif de la part de l’interlocuteur produisant.
Ainsi, nous allons développer l’idée que la compréhension ne prend pas pour
information nouvelle un signe nécessairement ostensif.
!
Pour résumer, au sein du système, la production produit un signe-indice qui
est un stimulus manifeste et dans le but de le faire stimulus effectif. Ainsi, la
production est un processus de formation d’un output, ensuite potentiellement
utilisable par le processus d’input qu’est la compréhension. Nous verrons dans la
partie qui suit en quoi un stimulus non-intentionnel peut être un input au même titre
qu’un stimulus intentionnel.
61 sur 140
!
!
B.2.2. Retour sur l'intention
!
Parmi l’ensemble des penseurs que nous avons abordés au sein de ce travail,
le premier à avoir travaillé sur la distinction entre l'intentionnel et le non-intentionnel
est Grice (1957). Il y introduit la distinction entre les significations « naturelles » et les
significations « non naturelles », les secondes étant traditionnellement appelées
« conventionnelles ». Selon Grice, un signe signifie « naturellement » lorsqu’il signifie
de lui-même, comme un rougissement signifie de lui même l’embarras. Pour qu’un
signe puisse signifier « non naturellement », il est nécessaire qu’un interlocuteur
communique à travers ce signe son intention de communiquer à travers celui-ci.
!
Sperber et Wilson reprennent l’idée développée par Grice sur la signification,
mais adoptent un point de vue discriminant quant à la distinction entre ces deux
types de signes. En effet, ils réduisent la communication aux phénomènes qu'ils
qualifient d' « ostensivo-inférentiels », c'est-à-dire qu'ils considèrent que les signes
des interlocuteurs ne sont communication qu'à condition de sous-tendre une volonté
de communiquer à travers ces signes, et donc qu'ils soient produits à dessein de
communication. Alors que nous suivrons leur point de vue sur la centralité de
l'inférence en communication, il n'en sera pas de même pour la nécessité du
caractère ostensif des signes. En effet, nous pouvons nous interroger sur les
fondements d’une conception d’un système inférentiel traitant uniquement des signes
ostensifs : un signe produit de façon non-intentionnelle est un stimulus manifeste et
peut très bien être une information nouvelle à l'origine d'une inférence et donc
créateur d'effets contextuels, au même titre qu’un stimulus intentionnel. Par exemple,
rougir à la suite d'une question est une phénomène non-intentionnel, et à sa suite un
interlocuteur peut arrêter la conversation, voir changer de sujet si il constate
l'embarras de l’Autre : ici le rougissement est un signe pertinent dans la
communication. Il est également le produit d’un processus inférentiel : imaginons un
interlocuteur qui est embarrassé par un dysfonctionnement de sa prononciation
l'entrainant à mal prononcer certains mots. Si il possède dans sa mémoire la
prémisse : « toute situation où j'estropie un mot est embarrassante » et que ce même
interlocuteur estropie malencontreusement un mot dans une situation particulière,
l’information nouvelle : « je viens d'estropier un mot » lui fera inférer la conclusion
qu'il se trouve dans une situation embarrassante. Son embarras se signifiera de
62 sur 140
façon incontrôlable par un rougissement. Or, pouvons nous vraiment dire que
l'interlocuteur sous-tend une intention de communiquer par ce rougissement ? À
l'inverse, peut-on vraiment dire qu'il ne communique pas à travers ce signe ? Un
interlocuteur qui rougit ne considère pas qu’il produit de façon ostensive, mais
cependant il ne pourra pas nier que cette sémiotique communique, et à ses côtés
l'interlocuteur agira et adaptera son comportement en fonction du signe qu'il
comprendra comme signe d'embarras : il pourra volontairement ignorer le signe ou
même changer de sujet pour quitter la situation que l'Autre a signifié comme
embarrassante.
!
De plus, nous pouvons nous interroger sur la limite définissable entre
l'intentionnel et le non-intentionnel. Existe-t-elle vraiment ? À quel moment peut-on
arrêter de considérer qu'un signe a été produit de façon intentionnelle ? Dans sa
quasi totalité, la communication est un phénomène spontané mêlant des signes de
toutes natures, mais par quels critères peut-on réellement séparer les uns des
autres ? La distinction est relativement simple à faire pour l'exemple que nous avons
pris un peu plus haut, le rougissement étant un signe qu'il est quasiment impossible
de produire volontairement, et donc d’utiliser de façon ostensive. Cependant, ce n'est
pas le cas de tous les signes. Considérons un instant la catégorie des signes
élocutionnels classés dans la catégorie des signes « emblèmes » et des signes
« illustrateurs » 32. Les emblèmes sont des signes élocutionnels culturellement
marqués et partagés par les membres d’une culture précise, utilisés « à la place »
d’un mot et qui peuvent être produits volontairement (ils le sont d’ailleurs dans la
majorité des cas), mais également involontairement. Ils peuvent être involontaires
notamment lorsque que l’interlocuteur essaie de cacher une de ses émotions mais
qu’elle transparait au travers d’un emblème33. À l’inverse, les illustrateurs sont
idiosyncratiques et sont une ponctuation élocutionnelle personnelle propre à chaque
individu34 . Leur cas est particulièrement intéressant pour notre propos. L’illustrateur
est un signe élocutionnel qui a pour fonction de ponctuer, d’illustrer la parole qui lui
32
Notre traduction des termes « emblems » et « illustrators »
33
Ekman parle de « leakage »
34
Pour un développement plus complet, voir Ekman (2009:99-108), Ekman (2003), Johnson & al.
(1975)
63 sur 140
est concomitante, servant à mettre de l’emphase sur un mot ou une phrase, de
dessiner dans les airs pour améliorer la description locutionnelle, etc.35 Néanmoins,
doit-on classer les illustrateurs dans la catégorie des signes intentionnels ou dans
celle des signes non-intentionnels ? Ces signes ne sont pas conventionnels, puisque
propres à chacun, mais en même temps ne signifient pas naturellement. Ils jouent un
rôle dans le système communicationnel sans que l’on puisse définir de façon
certaine si ils sous-tendent une intention de communiquer à travers eux, i.e. on ne
peut trancher de façon définitive sur leur intentionnalité effective ou non.
!
Nous achèverons donc ce point par la conclusion qu'il n'est pas pertinent de
se poser la question de l'intentionnalité lorsque l'on étudie le système
communicationnel : tout signe, intentionnel ou non-intentionnel, est stimulus
manifeste et donc potentiellement effectif, c'est-à-dire que tout signe peut-être à
l'origine d'une inférence, et se doit d'être considéré dans l'étude du système.
L’activité dans le système existe que le signe soit intentionnel ou non-intentionnel.
Pour l’illustrer, Grice (1957:383) prend l’exemple du froncement de sourcil : si un
interlocuteur fronce les sourcils de façon spontanée, l’Autre va inférer qu’il existe une
source de mécontentent entrainant le premier à froncer les sourcils. Mais si ce même
interlocuteur fronce intentionnellement les sourcils pour signifier à l’Autre qu’il est
mécontent, ce dernier va arriver aux mêmes conclusions que le cas premier36 . Ainsi,
l’intentionnel et le non-intentionnel se mêlant et agissant tous deux dans le système,
nous ne pouvons pas envisager que la communication ne puisse se faire qu’avec
des signes ostensifs.
35
Ekman (2009:105) « emphasis can be given to a word or phrase, much like an accent mark or
underlying; the flow of thought can be traced in the air (...) the hands can draw a picture in space or
show an action repeating or amplifying what is being said. »
36
Grice (1957:383) « If I frown spontaneously, in the ordinary course of events, someone looking at
me may well treat the frown as a natural sign of displeasure. But if I frown deliberately (to convey my
displeasure), an onlooker may be expected, provided he recognizes my intention, still to conclude that
I am displeased. (...) In general a deliberate frown may have the same effect (...) as a spontaneous
frown. »
64 sur 140
!
!
B.2.3. Effets contextuels et sens
!
Avant de passer à l’approfondissement de la définition de la communication
en tant que système, nous aborderons la définition nécessaire d'un concept qui ne
fait pas consensus au sein des écoles linguistiques, et qui est la définition du terme
« sens ».
!
Selon notre conception, un signe « a du sens » pour un interlocuteur lorsqu'il
crée un effet contextuel, c'est-à-dire lorsque ce signe est une information nouvelle
contextualisée dans des informations anciennes, i.e. lorsque ce signe est
l'information nouvelle d'un processus inférentiel. Le signe étant par définition toujours
nouveau, il est de ce fait indéniable que l'idée du sens se trouve liée à l'existence
d'information(s) ancienne(s) : un interlocuteur ne pourra pas trouver du sens dans
une communication s'il se contente uniquement de nouvelles expériences de signes.
Avec Eluerd (1985:29), nous considérons que « le sens renvoie non au contenu ou à
l'objet mais à l'usage, à l'habitude », ou à la redondance, comme l'appellent
Watzlawick (1972:27-34) et Bateson (1980:155-182), amenant avec elle l'idée d'une
récurrence à travers la continuité. Ainsi, nous concevons le sens comme une
composition empirique, un ensemble appris de modèles, de patterns cognitifs relatifs
aux configurations des expériences communicationnelles passées. Pour un
interlocuteur, un signe a du sens si il peut être utilisé dans une inférence prenant
pour prémisse un pattern de son environnement cognitif indirect. Cependant, nous
devons être prudents et ne pas prendre la tournure générativiste : ces patterns de
sens ne sont pas des structures fixes intériorisées comme on retrouve dans les
grammaires génératives, elles sont variables, individuelles, et peuvent changer et
être changées. En d'autres termes, ces prémisses ne sont pas des règles
intériorisées immuables, mais au contraire apprises, acquises, et potentiellement
confirmables, infirmables et modifiables. Encore moins notre vision du sens ne rejoint
la vision de la théorie du code qui défend l'idée d'une relation immanente entre le
sens et le signe-étiquette qui lui serait imposé. En définitive, le sens, dans la vision
qui est la nôtre, sous-tend l'idée d'un pattern (ou modèle) appris d'habitudes,
d'événements redondants d'apprentissage.
65 sur 140
!
L'idée d'un sens à travers une redondance de modèles de communication,
que nous appellerons patterns, appelle l'idée d'un apprentissage par les
interlocuteurs. Nous allons ainsi voir comment procède cet apprentissage et pourquoi
il est nécessaire. Si l'on s'en tient aux théories classiques comme celles de Pavlov,
l'apprentissage implique une répétition d'un certain pattern jusqu'à l'obtention de
l'identification d'un signe à un sens. Malgré quelques cas particuliers où il en va
autrement pour la communication humaine grâce à une capacité d'apprentissage de
second niveau37, la majeure partie de l'apprentissage suit cette idée de répétition et
d'habitude.
!
À travers le temps, la communication est un phénomène fondamentalement
récurrent sur l'ensemble de la vie d'un homme. Comme nous l'avons développé plus
tôt, ces expériences de communication se trouvent guidées par la recherche d'une
pertinence optimale. Sur l'ensemble infini des signes productibles par un
interlocuteur à tout moment, il existe une chance quasi nulle de produire le signe
pertinent si celui-ci est produit à tout hasard. Il lui est donc nécessaire de pouvoir
déterminer le sens qui sera le plus pertinent dans le contexte particulier d'une
communication, et c'est grâce à l'apprentissage que cette pertinence est atteinte. En
effet, à travers le temps, les interlocuteurs font l’expérience de patterns optimalement
pertinents, ainsi, afin de faire face aux expériences futures, les interlocuteurs gardent
en mémoire ces patterns optimalement pertinents, c'est-à-dire qu'ils ont la
« possibilité de stocker des adaptations antérieures pour s'en servir éventuellement
plus tard. » (Watzlawick,1972:29)
!
Cependant, chaque nouvelle expérience de communication, étant un
confrontation des sens de chacun, peut potentiellement modifier un ou des pattern(s)
et le(s) remplacer par un ou d'autres plus pertinent(s) chez l'un ou chez les deux
interlocuteur(s), et ce par la capacité humaine d'apprentissage de second niveau.
Ainsi, un sens peut être bouleversé en une seule expérience qui balaie l'ensemble
des expériences passées de ce sens pour le remplacer par un usage plus pertinent.
Par exemple, la plupart d’entre nous a déjà fait l'expérience d'un mot dont nous
faisions mauvais usage, avant d'un jour nous faire corriger par un interlocuteur qui
nous semblait digne de confiance. Ainsi, dans ce genre de situation, la nouvelle
37
Cas dans lesquels l'homme peut acquérir un sens sans pour autant qu'il soit nécessaire que celui-ci
lui soit répété car il possède une capacité d'apprentissage de second niveau, c'est-à-dire que tout
homme a appris à apprendre.
66 sur 140
norme sera retenue car nous l’acceptons comme plus pertinente pour son usage
futur dans des communications avec l'ensemble des interlocuteurs respectant cette
norme.
!
Nous pouvons faire une analogie entre la communication et une partie
d'échecs. Dans une partie d'échecs, chaque coup a un sens particulier qui n'est pas
inhérent à la nature de la pièce, mais bien à l'apprentissage d’un modèle d'utilisation
de cette pièce. Ainsi, imaginons qu'un joueur ai toujours été confronté à un modèle
de jeu où le fou se déplace comme le cavalier et inversement. Dans cette situation,
un joueur autre connaissant les règles canoniques des échecs considérera que
déplacer le cavalier en diagonale « n'a aucun sens », car il ne correspond pas à son
expérience du déplacement de cette pièce. Il pourra également le signaler au
premier, qui malgré son expérience récurrente de ce type de déplacement, pourra
adapter son système de jeu au changement pointé par le premier.
!
Ainsi, de prime abord, rien n'empêcherait un interlocuteur de produire des
signes aléatoires jusqu'à ce qu'il trouve le signe adéquat, si ce n'est que cette
démarche mettrait indéniablement en péril la recherche d'efficacité et d'économie du
système. Fonctionner de cette manière engendrerait un besoin en temps et en effort
considérable pour communiquer sur n'importe quelle chose. C'est cette faiblesse que
l'apprentissage à travers le temps vient corriger. Comme nous le dit Bateson (1980:45)
« l'erreur est toujours psychologiquement coûteuse », de ce fait l'apprentissage
permet d'éviter d'avoir à faire face à un processus d'essais et d'erreurs qui pourrait
être très long et très couteux en effort cognitif. De plus, l'apprentissage permet aux
interlocuteurs d'accepter certaines hypothèses et certains sens comme vrais, ce qui
leur permet d’éviter d'avoir à réexaminer continuellement toutes les prémisses. Mais
le système ne peut obtenir de changement adaptatif à travers l'apprentissage qu'à
condition que l'interlocuteur puisse percevoir et juger en retour sa production, en
d'autres termes, afin d'apprendre, il lui est indispensable qu'il existe un processus de
rétroaction au sein du système. C'est ce que nous allons voir dans la dernière partie
de ce chapitre.
67 sur 140
!
B.3. Un système cybernétique !
!
!
B.3.1. Définition
Jusqu'ici, nous avons développé que la communication était un système dans
lequel les processus principaux de production et de compréhension sont
inséparables et influencés l'un par l'autre. De plus, ce système est un système
ouvert, à savoir influencé par son environnement, et par conséquent dépendant de
l'espace-temps. Ainsi, aucun signe n'est indépendant de ce qui le précède, ni
d'ailleurs de ce qui le suit. Comme nous l'avons vu dans la première partie, nous ne
considérons pas qu'il puisse exister de tours de parole échangés entre un
communicateur et un récepteur, et de ce fait, tout signe produit devient lui-même un
nouveau stimulus et est perceptible, pas seulement pour l'Autre, mais aussi pour
celui qui l'a produit. Ainsi, la production, créatrice d'outputs, est simultanée à la
compréhension, traitant les inputs, les deux étant entièrement inter-dépendants : tout
output est un nouvel input. Ce phénomène, traditionnellement appelé rétroaction,
permet au système d'optimiser sa pertinence et aux interlocuteurs d’être dans une
constante phase d’apprentissage.
Ce type de système correspond à un système cybernétique, c'est-à-dire un
système où tout output est immédiatement réinjecté en tant que nouvel input. Toute
production sémiotique produit un stimulus qui sera manifeste (à la condition que
l'Autre puisse percevoir cette production), c'est-à-dire que tout output devient un
input potentiel, qui, dans la grande majorité des cas, deviendra effectif. De cette
manière, tout output influence les inputs suivants, une production qui semblerait sans
rapport avec ce qui lui est antérieur est tout de même influencée par ce qui précède
puisque la perception de rupture est due à cette production antérieure. Cette notion
de « réinjection » de l'output dans le système est appelé feedback, ou rétroaction, qui
est la « commande d'un système au moyen de la réintroduction dans ce système des
résultats de son action. (...) La langue peut être ainsi conçue comme un système
autorégulateur. » (Dubois,1994:201) Cette autorégulation est un processus qui existe
afin de faire face aux jeux de la communication, de réajuster la mise en commun
68 sur 140
communicationnel qui peut être divergente. Comme le disent Sperber et Wilson
(1989:311), « lorsqu'il y a des problèmes de communication, (l’interlocuteur) doit
essayer de découvrir quelle fausse image de lui a permis à (l’Autre) de penser que
son énoncé serait optimalement pertinent. » Ainsi, lorsqu'une incompréhension
intervient dans la communication, c'est-à-dire lorsque la pertinence est divergente,
chaque interlocuteur se doit de découvrir quelle(s) hypothèse(s) les ont amené à
cette situation.
!
Ainsi, la communication est un système cybernétique, et plus précisément un
type particulier de système cybernétique. Nous partirons d'une définition générale du
système cybernétique, que nous affinerons jusqu'à pouvoir définir le système
communicationnel.
!
VonBertalanffy (1973:20) donne une première définition de la cybernétique
comme : « la théorie des systèmes contrôlés fondés sur la communication (transfert
d'informations), système-environnement et interne au système, et sur le contrôle
(rétroaction) de la fonction du système en ce qui concerne l'environnement. » Cette
première définition réfère à ce qu'il convient d'appeler la « première cybernétique »,
et réfère aux systèmes dans lesquels existe une idée de circularité, c'est-à-dire
systèmes dans lesquels il existe un retour d'informations, ou contrôle rétroactif, dicté
originellement par un observateur extérieur au système. Un parfait exemple d'un
système de la première cybernétique est le thermostat d'un radiateur : c'est en
contrôlant la chaleur sortante qu'il ajuste sa température pour arriver à la
température désirée. Celle-ci, qui est le but à atteindre par le système, est fixée par
un élément qui est extérieur au système. Cette extériorité de la norme est étrangère
au fonctionnement du système communicationnel, c’est pourquoi la définition de la
première cybernétique n’est pas entièrement adéquate à l’étude de ce type de
systèmes.
!
Ainsi, il convient de perfectionner, voir de reformuler cette définition du
cybernétique pour un système vivant comme le système communicationnel. Ce type
de système est étudié par ce qui est appelé la « seconde cybernétique »,
69 sur 140
redéfinissant la nature même du système étudié. C'est ce que nous allons voir par la
suite.
!
Alors que la première cybernétique avait pour but l'étude et le
perfectionnement des machines38, la seconde cybernétique prend pour objet d'étude
le vivant. Dans ce changement de paradigme, le système obtient un statut différent :
le système est autonome, autoréférentiel39 , auto-organisateur et auto-régulateur.
Moreno (2004:137) définit les systèmes étudiés par la seconde cybernétique comme
« les systèmes abstraits capables de générer de nouvelles formes d'organisations
non prédictibles trivialement par un observateur ou apparaissant comme tel. » Dans
ce type particulier de système, l'observateur ne peut plus être extérieur au système,
au contraire, il lui est intérieur : le système est auto-produit, il s'organise selon des
éléments qui lui sont internes et agit en fonction de lois et de règles qui lui sont
intérieures et qu'il génère, agissant « par lui-même et pour lui-même, il est à la fois
source et destinataire de ses actions. » (ibid:141) Le système, selon la seconde
cybernétique, est autopoïétique. Voici la définition qu'en donne Varela (1989:45) :
Un système autopoïétique est organisé comme un réseau de processus de production de composants
qui (a) régénèrent continuellement par leur transformations et leurs interactions le réseau qui les a
produits, et qui (b) constituent le système en tant qu'unité concrète dans l'espace où il existe, en
spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau.
Ces systèmes particuliers, adaptés à la description des systèmes humains, sont des
systèmes autonomes adaptatifs : alors qu'ils n'échangent pas avec leur
environnement, ils sont pourtant capables de s'y adapter. Ainsi, ces systèmes sont
autonomes mais pourtant s'insèrent dans des métasystèmes de plus grande
envergure.
!
La définition que nous venons de donner du système selon la seconde
cybernétique en tant que système autopoïétique adaptatif, c'est-à-dire autonome,
auto-référentiel et auto-organisé, correspond aux caractéristiques du système
communicationnel : la communication est une mise en commun entre deux (ou
plusieurs) interlocuteurs selon des règles générées par le système, et c'est cette
38
Il convient tout de même de remarquer nombreuses applications de la première cybernétique au
vivant par l'école de Palo Alto et les penseurs qui y sont associés.
39
La genèse de ce théorème est donnée à Von Foester reprenant Maturana dans une de ces
conférences : « anything said is said by and to an observer. »
70 sur 140
production qui crée, qui régénère continuellement le système, le contrôle étant
exercé au travers de la compréhension par et pour les interlocuteurs qui sont à
l'intérieur du système en autonomie par rapport à son environnement, cette
autonomie étant adaptative : lorsqu'ils communiquent, les interlocuteurs
communiquent sur leur environnement et non pas par leur environnement, il n'existe
donc pas d'échange direct entre le système et son environnement. Cette adaptivité
du système autonome en fait un système dit « social », c'est-à-dire qu'un système
est composé d'un ensemble de sous-systèmes et est partie intégrante de
métasystèmes, ou métaréseaux. En d'autres termes, chaque système s'adapte en
fonction des autres systèmes qui composent son environnement : par exemple, il est
indéniable que le système communicationnel soit bien inséré dans d'autres systèmes
que sont le système social, historique, religieux, etc., ce qui ne l'empêche pas de leur
être autonome. De cela découle l'importance de la prise en compte d'une hiérarchie
dans l'étude des systèmes : l'auto-organisation du système se fait grâce à la
formation de configurations spécifiques, de patterns organisateurs émergeant à un
niveau macroscopique par répétition d'interactions à un niveau microscopique, en
d'autres termes, « à partir d'un ensemble d'interactions microscopiques (...) une
forme apparemment simplifiée d'organisation apparait. » (Moreno,2004:138) 40
!
Ainsi, la communication est un système autopoïétique, i.e. qui s'auto-produit,
s'auto-organise et s’auto-régule, en fonction d'éléments qui lui sont intérieurs. Nous
avons vu que l'organisation dans le système est effectuée par un contrôle
d'informations par feedback, ce feedback étant devenu au travers de la seconde
cybernétique le concept d'autorégulation. Nous allons voir cette autorégulation plus
en détails à travers son application au système communicationnel.
40
On retrouve cette idée dans la littérature sur la schizophrénie la définissant comme pattern de
communication résultant non plus d'un choc ponctuel mais de la répétition d'interactions
« schizophrénogènes. » Voir notamment Watzlawick (1972) et Bateson (1977-1980)
Nous reviendrons sur cette idée dans le troisième chapitre du présent travail.
71 sur 140
!
!
B.3.2. Rétroaction et autorégulation
!
Ainsi, comme le disait Poty (2006:182), « la communication est un jeu qui
trouve en lui même son équilibre. » Cet équilibre se maintient par un contrôle en
retour de la production du système. Ce contrôle est appelé rétroaction ou feedback
dans la première cybernétique, et s'est précisé pour devenir autorégulation dans la
seconde cybernétique. Nous verrons ici ce qu'est le feedback et la précision
qu'apporte le concept d'autorégulation.
!
Le processus de feedback, selon la définition première qu'en donne
VonBertalanffy (1973:164-176) est le « processus circulaire dans lequel une partie de
l'extrant (output) est reconduit dans l'intrant (input) en tant qu'information sur le
résultat préliminaire de la réponse : le système est ainsi auto-régulé ; ceci au sens du
maintien de certaines variables ou du guidage vers un but choisi. » Ce processus
permet à l'agent producteur de recevoir de l'information sur les effets de sa
production. En d'autres termes, un contrôle est effectué sur le système par
transformation d'une partie de l'output en informations devenant nouvel input :
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
Output
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
!
Input
informatif
Schéma traditionnel de la rétroaction
Tout output créé une nouvelle information sur lui-même devenant input.
!
Il existe deux types de rétroactions, la rétroaction négative et la rétroaction
positive41. Nous verrons d'abord la rétroaction négative. Celle-ci « réduit l'écart de ce
qui sort par rapport à la norme fixée » (Winkin,2000:26) i.e. réduit la déviation, le jeu qui
pourrait exister lors de la communication, par une série de corrections successives
41
Les termes anglais, peut-être plus parlants, étant respectivement « deviation counteracting
feedback » et « deviation amplifying feedback »
72 sur 140
afin d'arriver à la stabilité du système. On peut parler de convergence, où la
rétroaction permet de faire converger l'output effectif et l'output défini par la norme du
système. La rétroaction positive a l'effet inverse, puisqu'elle augmente l’écart entre
l'output effectif et l'output défini par la norme, provoquant une situation d'asymétrie,
où « la même information agit comme une mesure de l'amplification de la déviation
de ce qui sort. » (ibid)
!
La transposition de ce phénomène au système communicationnel se doit
d'apporter des modifications dans la définition de la rétroaction. Comme nous l'avons
vu, les interlocuteurs communiquent sur des stimuli appartenant à leur
environnement cognitif, c'est-à-dire qu'en tant que système autonome, la
communication ne se fait pas par l'environnement mais sur l'environnement. La
communication est un échange par production d'informations sur les stimuli et non
pas un échange par les stimuli. Étant donné que fondamentalement, un modèle de
rétroaction permet à l'agent qui produit de recevoir un retour d'information sur sa
production, toute rétroaction dans le système communicationnel, étant retour
d'informations, est un nouveau stimulus manifeste. La communication est donc
foncièrement cybernétique, à savoir qu'un output est nouvel input sans changement
de statut42. En d'autres termes, il n'y a pas de transformation d'un partie de l'output
en nouvel input, l'output est un nouvel input, ce qui permet une autorégulation plutôt
qu’une rétroaction.
!
Nous avons vu que la rétroaction permet un contrôle du système par
régulation de la déviance par rapport à la norme. Mais étudier le système
communicationnel rend le schéma basique de la cybernétique inadapté. En effet, on
constate que le schéma basique n'est que le schéma de la théorie de la transmission
auquel une boucle de retour est ajoutée. Or, nous avons vu dans le premier chapitre
de ce travail que nous ne pouvons pas utiliser ce schéma dans une étude de la
communication. C'est pourquoi nous préférerons l'utilisation du concept d’
« autorégulation » plutôt que rétroaction, pour renoncer à l'idée d'une action en
42
À l'inverse d'un système cybernétique comme le thermostat, dans lequel l'output est une production
de chaleur et l'input une information sur cette chaleur, l'output et l'input n'ayant donc pas un même
statut, la communication est un système où le statut de l'output et celui de l'input reste inchangé.
73 sur 140
retour par boucle sous-tendu par la rétroaction et adopter un concept sous-tendant
l’idée d’une régulation autonome par production continue d’informations.
!
Nous ne remettons pas en cause la nécessité d'un contrôle du système,
permettant à un interlocuteur d'évaluer la pertinence de sa production. Un
interlocuteur souhaite, par la communication, une mise en commun avec l'Autre.
Cette mise en commun, pour être optimale, doit passer par une pertinence
maximale. Un interlocuteur doit ainsi pouvoir juger de la pertinence de sa production,
et ajuster au fil du temps sa production en fonction de la déviation par rapport à la
norme et sur lequel il est informé. Comme nous l'avons vu, les interlocuteurs ne
partagent pas de savoir mutuel sur le monde, mais chacun possède un ensemble
d'hypothèses sur le monde et sur l'Autre. Ainsi, afin d'optimiser au maximum la
communication, le système doit leur permettre d'infirmer ou de confirmer leurs
hypothèses, par régulation temporelle, puisque « l'ensemble des agents fait des
erreurs dans la perception de l'environnement et ne corrige les erreurs qu'avec le
passage du temps. » (Viviani,1994:111) Cependant, l’autorégulation du système
communicationnel permet un contrôle à travers le temps qui n'existe pas dans le
schéma traditionnel de la rétroaction. En effet, le système est un système autonome
et donc contrôlé par des règles qui lui sont propres, et à la différence de la
rétroaction, l'autorégulation sous-tend l'idée que la norme n'est pas dictée par un
agent extérieur au système, mais bien par le système lui-même, et pour lui-même, ce
que nous retrouvons dans le système communicationnel : la norme, et donc la
déviance, est dictée par des règles générées par et pour le système.
!
Tout output étant un nouvel input sans modification de son statut à l’intérieur
du système autonome, l’autorégulation permet donc l’existence de métacommunication par information sur l’information, processus fondamentalement autorégulateur, afin de faire face à l’imprédictibilité inhérente au système, que nous allons
voir dans la partie suivante.
74 sur 140
!
!
B.3.3. L'imprédictibilité
!
La communication, même existant dans des conditions optimales, a une
probabilité d'échec. Nous allons voir ici que, aux vues des propriétés du système et
de ses éléments, cette probabilité d'échec est inévitable. Nous avons déjà abordé à
plusieurs reprises qu'il existe une imprédictibilité due au fait que le système
communicationnel ne peut en aucun cas être considéré comme un système traitant
des informations absolues, ceci étant dû au fonctionnement inférentiel des processus
cognitifs humains utilisés lors de la communication. Ce qui affecte le système
cybernétique, puisque l'autorégulation s'en trouve touchée dans sa nature : le
contrôle effectué dans le système n'est pas un contrôle par information absolue, mais
une nouvelle hypothèse. Nous verrons dans la dernière partie de ce chapitre en quoi
l'identité du système joue sur son imprédictibilité.
!
L’imprédictibilité est une propriété des systèmes dynamiques non-
déterministes, c’est-à-dire les systèmes dans lesquel à un moment donné T, il est
impossible de prédire de façon certaine quel sera l’état du système à un moment
ultérieur à T. Pour ce type de système, l’évolution est non-linéaire, c’est-à-dire qu’elle
ne suit pas une périodicité et encore moins un « trajet » qui serait fixe, où chaque
effet relèverait d’une certaine proportionnalité aux conditions de T. Dans ces
systèmes, un changement minuscule sur une de ses conditions à un temps T pourra
avoir des conséquences gigantesques imprévues à un temps T’, ce sont des
système où « le fait de jouer modifie les règles du jeu. » (Gleick,1989:46)
!
Le système communicationnel répond à ces critères : tout nouveau « coup »
redéfinit le jeu et toute déviation ou perturbation à un moment donné pourra prendre
des proportions insoupçonnées au moment de la production de cette déviation. Ainsi,
le statut inférentiel des processus communicationels fait qu’il n’existe jamais de
savoir mutuel absolu, et de ce fait, toute communication est sujette à hypothèses et
donc à une possible déviation de la mise en commun des sens entre interlocuteurs.
Nous ne reviendrons pas sur l'inférence, point amplement développé précédemment,
mais allons voir dans cette partie en quoi le statut autonome du système renforce
l’activité inférentielle et ipso facto l’imprédictibilité du système.
75 sur 140
!
Comme nous l'avons vu, le système communicationnel est un système
entièrement autonome : l'interaction avec son environnement est informative. Nous
avons également vu qu'il était auto-référentiel, ce qui signifie que « le système est
basiquement un système d'observation de sa propre utilisation. » (Roulland,2010:75)
Ainsi, pour fonctionner, le système autopoïétique ne peut utiliser que ses propres
éléments, et de ce fait la communication ne peut fonctionner qu'avec des patterns qui
lui sont internes. Nous avons aussi vu que ces patterns fonctionnent au travers de
choix parmi un ensemble d'hypothèses, lesquelles étant sélectionnées pour leur
probabilité la plus grande. Or, la probabilité de ces éléments n'a pas de valeur
quantitative, il nous est impossible de choisir une échelle de 0 à 100 afin de définir ce
qui fait qu’une hypothèse est plus probable qu'une autre. Pour reprendre l'exemple
que nous avons utilisé dans la première partie des deux amis en pleine discussion
autour d'un verre, il est difficilement concevable que l'homme qui reçoit face à son
ami au verre vide fonctionne sur des prémisses du type « Il y a 80 % de chances
pour que mon ami souhaite que je le resserve. » Cependant, il lui est possible de
juger qu'il est plus probable qu'il souhaite se faire resservir (hypothèse A) plutôt que
de rester le verre vide (hypothèse B). Ainsi, il est capable de juger que A est plus
probable que B, mais le choix entre ces deux hypothèses n'est pas un choix
quantitatif : c'est au travers d'un jugement comparatif que s'exécute ce choix, en
comparant les hypothèses et en choisissant celle qui a plus de « force » 43 qu'une
autre, celle-ci se définissant par l'histoire cognitive et subjective d'une hypothèse
chez un interlocuteur. Ainsi un élément n'existe qu'en comparaison à l'existence de
tous les autres qui ne sont pas lui et se compare aux autres en fonction de sa force,
elle même relative et subjective44. Pour revenir à notre point sur l'imprédictibilité, tout
observateur s'aventurant à vouloir prédire le système ne peut que devenir partie de
ce système, toute approche sur le langage ne peut qu'utiliser le langage, et de
surcroît, cet interlocuteur ne peut envisager le contrôle qu'en adoptant l'intérieur du
43
Selon Sperber et Wilson (1989:123-125), la « force de nos hypothèse correspond à la probabilité
qu'elles soient vraies, (...) une représentation du degré de confirmation d'une hypothèse n'(étant)
jamais qu'une autre hypothèse, (...) basée sur un jugement comparatif. »
44
L'opposition des deux types se fait ainsi : une comparaison quantitative est objectivement gradable,
ainsi nous pouvons dire que Rennes est plus loin de Paris que de Nantes, et ce en donnant des
chiffres précis à l'appui, à savoir qu'il y a 250 km de plus pour aller à Paris. Une comparaison
qualitative, elle, nous permet de dire qu'un costume nous va mieux qu'un autre, mais pas « à quel
point » il nous va mieux, une comparaison qualitative se base toujours relativement à un autre
élément de la classe.
76 sur 140
système, puisque l'autorégulation est gérée par le système seul selon un
fonctionnement qui lui est propre, en dehors de toute intervention extérieure. De
cette contrainte naît l'imprédictibilité, car tout observateur, s'il veut prédire de façon
juste, doit prendre part au système et donc au jeu des inférences et des hypothèses,
et inévitablement à un jugement de probabilité subjective, ce qui le conduirait,
fondamentalement et paradoxalement, à ne plus pouvoir prédire.
!
Donc, aucune prédictibilité objective d'un observateur extérieur ne peut
exister, ce par le fait qu'aucun observateur ne peut être extérieur au système.
Admettons donc cette contrainte d'intériorité et supposons qu'une détermination
intérieure au système veuille être faite. Nous verrons ensuite en quoi le statut
autonome du système communicationnel dans son rapport à son environnement
temporel renforce son imprédictibilité et empêche cette détermination intérieure.
!
Nous commencerons, par convenance logique et méthodologique, par
analyser le rapport au temps passé. Comme nous l'avons développé plus haut, le
sens donné dans une communication est guidé par les hypothèses sur le monde de
chaque interlocuteur. Or aucun interlocuteur ne possède les mêmes hypothèses sur
le monde qu'un autre, le savoir mutuel n'existe pas. L'expérience, et donc la mémoire
des interlocuteurs diverge immanquablement, ce qui les amène à donner des sens
différents aux signes. Comme le disent Sperber et Wilson (1989:32), « chaque individu
tend à développer un savoir qui lui est propre. Des expériences de vie différentes
produisent nécessairement des savoirs différents. »
!
Poussons la réflexion plus loin et admettons un instant qu'un des
interlocuteurs possède un savoir absolu sur le passé de l'Autre dans le temps
présent. Malgré le lien insécable qui existe entre le passé et le temps présent, ce
savoir sur notre passé est entièrement relatif, c'est-à-dire qu'à tout moment
d'interlocution, le passé, par définition, n'est plus. Ce qui subsiste, c'est une
perception présente, relative à la situation de communication actuelle, de
manifestations passées du système, et donc elle-même perception informationnelle
de ces expériences passées. Ce sont des informations sur le passé qui demeurent,
informations qui, par essence, ne sont pas absolues. En effet, comme le souligne
Bateson (1980:55) : « dans le présent, ne subsistent que des messages relatifs au
77 sur 140
passé, c'est cela que nous nommons souvenirs et cela, nous pouvons à chaque
instant les recadrer et les moduler. »
!
Qui plus est, l'inférence présente se base sur des informations anciennes
relatives, mais cette relativité existe également pour toute information nouvelle. En
effet, bien que partageant un environnement potentiellement communément
manifeste, il est impossible de prouver catégoriquement que la perception sensorielle
de l'environnement direct du système est semblable chez tous les interlocuteurs. Il
semble au contraire qu’il soit logique d’adopter l’optique que la perception sensorielle
est subjective et donc relative à l’individu qui a cette perception.
!
Enfin, le système communicationnel étant indépendant du système temporel,
le premier se trouve être entièrement imprédictible sur le long terme. Le futur, de
nature, n'est pas un état obtenu mais un ensemble de possibles. Très
schématiquement, imaginons une communication où un interlocuteur veut partir du
point A pour arriver au point Z. Pour cela, il imagine une chaine partant de A pour
faire inférer B, de B pour faire inférer C, et ainsi de suite jusqu'à Z. Cependant, nous
savons qu'aucune communication n'est absolue mais hypothétique, et que
l'interlocuteur ne possède aucune certitude d'arriver à amener l'Autre à B, ni même à
C, etc. Il est probable qu’apparaisse une déviation, une perturbation qui amènera
l'Autre à inférer B', ensuite C", et ainsi de suite sans peut être que l'interlocuteur
n'arrive à son but Z.
!
Cette imprédictibilité sur le long terme est une expérience courante, théorisée
depuis le développement par John Locke de la notion d' « association des idées »,
qui correspond au phénomène que nous rencontrons lorsque dans une conversation
nous nous retrouverons à un stade de la conversation, auquel, après coup, nous
n'aurions jamais envisagé pouvoir arriver.
78 sur 140
C. Jeux et enjeux
« Je me demande si je ne suis pas en train
de jouer avec les mots.
Et si les mots étaient fait pour ça ?»
Boris Vian, Les bâtisseurs d'empire.
79 sur 140
!
Nous avons vu jusqu'ici que la communication était un système, fonctionnant
sur le principe d'une recherche de pertinence optimale à laquelle coopèrent les
interlocuteurs, cette pertinence permettant une économie cognitive et un bon
déroulement de la mise en commun qu'est la communication.
!
Non-linéaire et imprédictible, le système ne peut atteindre la pertinence
optimale de façon continue, et au contraire avance par « bonds » d’un état d’équilibre
à un autre, passant pas des stades de déséquilibre. Or comme nous le dit Bateson
(1980:45) « l'erreur est toujours psychologiquement coûteuse », et de ce fait il y aura
toujours un gain, inévitablement subjectif et relatif, à éviter ces erreurs. C'est à ce
niveau qu'intervient la théorie des jeux. La théorie des jeux est « l'étude du
comportement rationnel des individus en situation de conflit45 », c'est-à-dire l'étude
des décisions rationnelles d'individus se trouvant dans des situations de choix les
menant à des gains. Plus particulièrement, la communication est une situation de jeu
coopératif évolutionnaire, coopératif car il est un jeu dans lequel les interlocuteurs
peuvent s'accorder, se coordonner sur la stratégie rationnelle optimale maximisant
leurs gains et évolutionnaire car les joueurs adaptent leur comportement tout au long
du jeu en fonction de l'histoire de ce dernier. Ainsi, le jeu est rythmé par des
décisions rationnelles prises par les individus. Une décision est dite rationnelle
lorsqu'elle maximise les intérêts de la personne qui la prend. Dans le cas de la
communication, la rationalité est collective, c'est-à-dire que l'intérêt de chacun est de
maximiser le gain de tous. Cette optimisation du gain collectif est obtenue via la
coopération pour l'atteinte de la pertinence maximale, c'est-à-dire pour l'atteinte d'un
équilibre.
!
C'est cet équilibre et la régularité qui en découle que nous verrons dans la
première partie. Nous verrons ensuite en quoi cet équilibre, obtenu par coopération
et raisonnement par régulation d'erreur(s), autrement dit par équilibrage, peut être
source de jeux à d'autres niveaux, à savoir source de créativité et d’interférences.
45
Un conflit existe sous trois conditions : tout joueur peut influencer l'issue du jeu, aucun joueur ne
peut contrôler unilatéralement le jeu, et chaque joueur apprécie différemment les résultats possibles.
(Petit-Robin,1998) Cette situation de conflit correspond aux conditions de la communication.
80 sur 140
!
C.1. Le jeu régulier
!
!
!
Ainsi, nous avons posé que les interlocuteurs coopèrent pour une recherche
C.1.1. L'équilibre en communication
d'équilibre. Un équilibre apparaît dans le système lorsque tous les interlocuteurs sont
subjectivement dans une position de pertinence optimale, i.e. une situation dans
laquelle les gains de tous sont maximisés.
!
Avant de voir ce qui caractérise cet équilibre, nous verrons ce qu'il convient
d'appeler gain. Lorsqu'il communique, un interlocuteur produit afin d’amener l'Autre à
une certaine conclusion suite à une compréhension inférentielle, en d'autres termes,
il cherche à l'amener à trouver du sens dans sa production. De plus chacun souhaite
que la communication s’effectue à travers une pertinence optimale obtenue lorsque
l'économie cognitive est maximale dans les limites de l'efficacité du système. Ainsi,
nous pouvons considérer qu’un interlocuteur maximise ses gains lorsqu'il peut faire
preuve d’une économie cognitive maximale, c’est-à-dire une configuration dans
laquelle il peut faire l’économie d’efforts qui seraient inhérents à des expériences
d’essais-erreurs, expériences dans lesquelles il produirait et comprendrait un surplus
de signes et/ou dans lesquelles il devrait rectifier une insuffisance sémiotique
antérieure.
!
Cependant, nous avons vu que la communication est une mise en commun
durant laquelle les individus coopèrent au bon déroulement, ce qui fait du système
un jeu coopératif dans lequel les décisions rationnelles des protagonistes ne sont
pas faites dans le but de maximiser les gains individuels, mais dans celui de
maximiser les gains collectifs, c’est-à-dire que l'augmentation du gain de chacun ne
se fait qu'au travers de l'augmentation du gain collectif. Ainsi, le gain est maximal
lorsque pour être efficace, chacun fait preuve d'une économie cognitive optimale.
C'est pour cela que nous avons envisagé la définition de la pertinence à travers une
recherche d'une économie maximale dans la limite de l'efficacité du signe : un
interlocuteur ne cherche pas à maximiser ses gains personnels, auquel cas il lui
suffirait d'optimiser son économie cognitive individuelle au maximum, ce qui
81 sur 140
cependant lui ferait prendre le risque de compromettre l'efficacité générale du
système. Au contraire, cette économie doit se faire relativement aux limites
d'efficacité du système, c'est-à-dire que le gain individuel grâce à l'économie
cognitive doit se faire dans la limite où cette économie reste assez efficace pour
maximiser le gain collectif. Pour résumer, une situation de pertinence optimale, visée
par les interlocuteurs, est une situation de gain maximal qui n’apparait que lorsque
chacun fait preuve d’une économie cognitive relativement maximale, à la condition
qu’aucune économie cognitive ne compromette l'efficacité générale du système.
!
En d'autres termes, le jeu communicationnel a pour but d'arriver à une
situation où la communication est optimalement pertinente pour l'ensemble des
interlocuteurs engagés dans le système, c'est-à-dire où chacun maximise ses gains.
Cette situation correspond à ce qu'il convient d'appeler un « équilibre de Nash »,
équilibre correspondant à une situation dans laquelle « aucun joueur ne peut obtenir
un gain supplémentaire en changeant unilatéralement de stratégie. » (Eber,2004:16)
C'est cet équilibre qui est visé en communication. Nous pouvons considérer que la
communication atteint son équilibre lorsque la mise en commun se fait de façon
optimale, c'est-à-dire que chaque interlocuteur infère du sens depuis les productions
de l'Autre dans une économie cognitive relativement maximale, et donc une situation
dans laquelle tous les interlocuteurs sont subjectivement en position de pertinence
maximale et dans laquelle changer de stratégie unilatéralement ne permettrait pas
d’augmenter leurs gains. Il est important de souligner que le gain n'est pas individuel
mais collectif. Ainsi, un équilibre de Nash en jeu coopératif comme la communication
est atteint lorsqu'aucun des protagonistes n'a possibilité d'augmenter le gain collectif
via un changement unilatéral, c'est-à-dire qu'un interlocuteur pouvant augmenter son
gain personnel au détriment du gain collectif ne ferait pas tendre le système vers une
position d'équilibre mais au contraire vers une position de déséquilibre, la recherche
d'une augmentation de gain individuel par augmentation de l’économie cognitive
individuelle se ferait au détriment du gain collectif et donc au détriment de l'efficacité
du système. En d'autres termes, il ne serait plus pertinent.
!
Mais cet équilibre, bien que visé, ne peut être obtenu continuellement tout au
long de la communication. En effet, les interlocuteurs sont dans un système
82 sur 140
inférentiel et donc dans lequel ils ne peuvent pas juger par avance de la pertinence
des signes, ce qui les amène à coopérer pour limiter au maximum les successions
d'essais-erreurs, l'économie de ces erreurs représentant un gain. C'est pourquoi
l'atteinte de l'équilibre se fait par un processus de tâtonnement, c'est-à-dire par
paliers de déséquilibre marqués d'essais et d'erreurs auto-régulés au travers d'une
coopération dans la recherche de l'équilibre. Dans toute situation communicative, le
processus de rétroaction permet de juger de la justesse du choix de la stratégie de
communication dans la visée de l'augmentation du gain collectif. En effet, avant
d'obtenir l'équilibre de Nash, le système passe par des situations de déséquilibre,
dans lesquelles les interlocuteurs peuvent subjectivement changer la stratégie
adoptée pour augmenter la pertinence de la communication. C'est le statut autorégulateur du système qui permet aux interlocuteurs de juger de la pertinence de
chaque signe, et donc de pouvoir juger si ce signe est celui qui augmente le gain
collectif. Ainsi, le système est capable de s'auto-équilibrer en situation de
déséquilibre. C'est cette situation d'équilibrage qui est créatrice de nouvelles formes
de jeux, que nous verrons dans les deux dernières parties de ce travail. Avant, nous
verrons le statut de l'équilibre sur un plan macroscopique, ainsi que l'enferment que
sous-tend ce statut.
83 sur 140
!
!
C.1.2. La régularité
!
Malgré des configurations toujours renouvelées et uniques de
communications, il est indéniable qu’ « en dépit d'expériences linguistiques
différentes, les enfants élevés dans une même communauté finissent par utiliser des
grammaires très semblables. » (Sperber&Wilson,1989:30) Ainsi, malgré le trouble de
l'imprédictibilité présent dans l'expérience ponctuelle et microscopique d'une
séquence de communication, une certaine régularité émerge au niveau
macroscopique. Cette régularité est nécessaire à la pérennité et à l’efficacité du
système communicationnel. Si le système ne présentait pas une certaine récurrence,
il serait impossible à l'ensemble des utilisateurs du système de l'utiliser de façon
optimale. En d'autres termes, il est indispensable que les interlocuteurs utilisant un
même système de communication partagent une certaine norme afin de pouvoir
communiquer, dans le cas contraire la communication ne serait qu'un amoncèlement
hasardeux de signes aléatoirement produits possédant une certaine probabilité
(quasi-nulle) de pertinence. Sans normes, l’atteinte d’un équilibre ponctuel ne
pourrait être appris et ne permettrait pas l’utilisation future d’un sens pertinent afin de
faire face à des situations communicationnelles nouvelles, avec le même
interlocuteur et/ou avec les autres interlocuteurs utilisant la même norme.
!
La régularité du langage est un jeu particulier. Dans notre conception de la
communication, ce ne sont pas les règles qui font le jeu, mais le jeu qui fait les
règles. C'est par habitude qu'un signe devient sens, qu’un sens devient régularité, et
par régularité qu'il devient règle, et non pas l'inverse. La régularité dans le langage
existe bien avant la norme46, puisque c'est la norme qui décrit ces régularités, elle ne
les impose pas. La transformation diachronique de l’utilisation d’un signe ne se fait
pas par imposition d'une règle, mais bien par utilisation et habitude, un signe ne se
créant ou ne disparaissant pas du système par décret mais bien par usage, devenant
désuet non pas parce qu'une règle en décide, mais bien parce que son usage
disparaît.
46
Notre conception considère normes et règles comme synonymes.
84 sur 140
!
C'est pourquoi la conception que nous faisons de la théorie des jeux se doit
d'être précisée. En effet, selon la conception canonique de la théorie des jeux,
notamment celle développée par Von Neumann, les joueurs sont envisagés comme
de simples « supports rationnels » pour l'étude du déroulement de règles logiques.
Un programme différent, développé par Borel, prend l'optique inverse en partant de
l'étude du comportement des joueurs. En d'autres termes, cette seconde conception
part du comportement des joueurs pour définir les règles et non pas des règles pour
définir le comportement des joueurs. Les règles ne sont plus dictées, au contraire
« les joueurs transforment les données dont ils disposent sur le jeu pour construire
un monde mental de ce jeu. » (Schmidt,2007:61) En effet, les règles du jeu
communicationnel ne sont pas dictées, elles sont une construction normative basée
sur la régularité macroscopique de la fréquence d'usage d'un sens au niveau de la
globalité du système. C'est cette conception que nous suivrons47 .
!
Ainsi, le jeu en tant que règle renvoie à une représentation macroscopique de
l'ensemble des situations d'équilibre de Nash, c’est-à-dire l’ensemble des patterns
pertinents qui existent dans la mémoire du méta-système communicationnel. En
effet, comme nous l’avons vu, les interlocuteurs ont tout intérêt à éviter des situations
d’erreurs, et donc à apprendre et répéter des situations d’équilibres, c'est-à-dire des
situations ponctuelles de pertinence optimale ayant permis un accord sur un sens,
c'est ainsi que « les joueurs se trouvent amenés à construire leurs règles sur la base
de quelques principes communément admis. » (Schmidt,2005:177)
!
Nous avons vu que le jeu communicationnel était un jeu évolutionnaire, à
savoir un jeu dans lequel les joueurs adaptent leur comportement en fonction de la
connaissance qu’ils ont de l’histoire du jeu, ce comportement permettant de déduire
des situations passées celles qui seront les plus avantageuses. De ce fait, en
communication, les interlocuteurs peuvent tirer au moment T des conclusions tirées
de leurs expériences historiques de communication afin de pouvoir sélectionner le
comportement ponctuel qui sera le plus adéquat pour tirer un maximum de gain de la
situation actuelle. Ainsi, il ne leur est pas avantageux de se représenter les situations
de déséquilibre au niveau macroscopique de la régularité, mais au contraire, pour
47
Pour un développement plus approfondi de la différence entre ces deux conceptions, voir Schmidt,
2007
85 sur 140
une pertinence présente optimale, les utilisateurs du système, sur le long terme, ne
considèrent comme constitutifs du système, et donc comme régularité, que les
utilisations de sens effectivement pertinents, au détriment des sens non pertinents
entrainant une situation de déséquilibre. Pour résumer cette idée, comme le dit
Kawamoto (2011:351-352) :
« Parmi tous les éléments produits, c’est seulement les éléments participant heureusement à
l’avancement de l’opération du système qui deviendront éléments constitutifs de ce dernier. Les
frontières de l’ensemble des éléments constitutifs d’un système se détermineront donc uniquement en
fonction du maintien de l’opération, de sorte que l’étendue de cet ensemble varie de façon continue,
d’autant que les éléments produits par le système ne correspondent pas automatiquement à ceux qui
participent à l’opération de ce dernier. »
!
Ainsi, la régularité est un méta-système représentant la tendance, la
fréquence macroscopique du sens des signes, ce que l'on appelle « l'attracteur
étrange » dans l'étude des systèmes dynamiques non-linéaires. Un attracteur
étrange est une forme, une tendance vers laquelle un système dynamique tend, sans
jamais l'épouser, c'est une « trajectoire vers laquelle toutes les autres convergent (...)
sans jamais vraiment se joindre, sans jamais s'intersecter. » (Gleick,1989:204&220)
C'est de cette façon que se comporte la régularité du système communicationnel. La
norme régulière d'un signe est l'attracteur étrange de ce signe, c'est-à-dire la
tendance du comportement d'usage vers lequel tend l'ensemble des utilisations de
ce signe, à différents niveaux dans le méta-système communicationnel. Dans notre
conception, la règle devient méta-motif fractal n’existant que par itérations de sousmotifs, c'est-à-dire qu'une forme générale régulière fractale émerge de l'itération de
manifestations microscopiques turbulentes et imprédictibles. Nous allons voir dans la
partie suivante ce qui caractérise cette nature fractale du système communicationnel,
et son impact sur l'approche du système.
86 sur 140
!
!
C.1.3. L'emprisonnement fractal de la régularité
!
Avant de venir à ce qui fait le caractère fractal du système communicationnel,
nous allons dans un premier temps définir ce qu'est une fractale. Concept développé
par Mandelbrot (1989), une fractale est une figure géométrique qui change selon
l'échelle depuis laquelle on la considère. Imaginons un instant que l'on cherche à
savoir quelle est la longueur du contour de la France. D'un point de vue
macroscopique, la France est un hexagone et donc possède une certaine longueur si
l'on considère ses contours à cette échelle. Si l'on se rapproche un peu, la France
aura un contour plus complexe, ce qui modifiera les mesures premières. Si l'on
continue de se rapprocher et qu'on imagine une mesure faite par un compas d'un
mètre, le contour se fera encore plus complexe et la longueur sera plus longue,
phénomène qui se reproduira si l'on prend un compas de cinquante centimètres, et à
l'inverse si l'on s'imagine regarder la France depuis des milliers de kilomètres dans
l'espace, la France ne sera qu'un point48. Pour résumer, une figure fractale est une
figure dont la nature dépend de l'échelle d'observation envisagée et dont le motif
global dépend des sous-motifs qui la constitue.
!
C'est ainsi que nous devons considérer le système communicationnel, comme
un méta-système comprenant des sous-systèmes, eux-même comprenant d'autres
sous-systèmes, la norme étant un méta-motif tiré d'une certaine régularité dans un
ensemble de sous-motifs, et dont la nature dépend de l'échelle d'observation choisie.
Ainsi, la régularité macroscopique en tant que norme de communication se compose
en fonction d'un ensemble de situations communicationnelles, elles-mêmes
composées d'un sous-ensembles d'interactions, composées d'un ensemble
d'individus, communiquant au travers d'ensembles de signes, eux-mêmes composés
d'ensembles de mouvements unitaires, etc. Ainsi née la forme macroscopique du
48
Cet exemple est repris et adapté depuis Mandelbrot (1989:20-42) et (1983:6) : « s’il s’agit d’une
côte, raccourcir la toise fait qu’on tient compte de "caps" et de "baies" de plus en plus infimes, et que
la longueur mesurée augmente » et Gleick (1989:142) : « l'estimation de la longueur de la côte
anglaise par un observateur à bord d'un satellite sera inférieure à celle d'un observateur parcourant
ses criques et ses plages, qui, à son tour, trouvera un résultat inférieur à celui d'un escargot
escaladant tous les galets. »
87 sur 140
système considérée comme norme, motif d'ensemble créé par l'itération de sousmotifs.
!
De fait, la nature du système communicationnel est fractale. Cette nature
fractale crée un mouvement paradoxal au sein du système : alors que
l'interlocuteur est créateur de la régularité, il lui est impossible, à son niveau
microscopique, d'affecter le mouvement général du système, en d'autres termes, la
dynamique générale du système en tant que norme est créée par les interlocuteurs
mais il leur est impossible de la contrôler. Comme le dit Von Foester (2006) :
« Les individus sont liés les uns aux autres d’une part, ils sont liés à la totalité d’autre part. Les liens
entre les individus peuvent être plus ou moins "rigides", le terme technique que j’emploie est "triviaux".
Plus ils sont triviaux, moins, par définition, la connaissance des comportements de l’un d’eux apporte
d’information à l’observateur qui connaît déjà les comportements des autres. Je conjecture la relation
suivante : plus les relations interindividuelles sont triviales, plus le comportement de la totalité
apparaîtra aux éléments individuels qui la composent comme doté d’une dynamique propre qui
échappe à leur maîtrise. Je conçois que cette conjecture présente un aspect paradoxal, mais il faut
bien comprendre qu’elle n’a de sens que parce que l’on prend ici le point de vue, intérieur au système,
des éléments sur la totalité. Pour un observateur extérieur au système, il va de soi que la trivialité des
relations entre éléments est au contraire propice à une maîtrise conceptuelle, sous forme de
modélisation. Lorsque les individus sont trivialement couplés (du fait de comportements mimétiques
par exemple) la dynamique du système est prévisible, mais les individus se sentent impuissants à en
orienter ou réorienter la course, alors même que le comportement d’ensemble continue de n’être que
la composition des réactions individuelles à la prévision de ce même comportement. Le tout semble
s’autonomiser par rapport à ses conditions d’émergence et son évolution se figer en destin.» (nous
soulignons).
!
De ce fait, les interlocuteurs se trouvent prisonniers de règles du jeu qu'ils
créent et entretiennent, sans pouvoir en retour contrôler la dynamique de ces règles
macroscopiques qui « opèrent comme un code qui conditionne les comportements
des joueurs et façonnent les recommandations de la théorie des jeux. Le code ainsi
tiré des règles du jeu est le résultat de leur interprétation par les joueurs. » (Schmidt,
2007:65)
Toute dynamique individuelle, ou toute situation de jeu49 , ne pourra se faire
qu'en fonction et relativement aux règles du jeu, et toute création ne pourra se faire
que relativement à une norme, en d'autres termes « la langue est en même temps en
variation par rapport à des codes établis et génératrice de nouveaux codes » (Fortin,
2007:111),
cette génération de nouveaux codes, de nouvelles règles étant
insaisissable du point de vue de l'interlocuteur.
49
Nous verrons ces deux formes de jeu dans la deuxième et troisième partie de ce chapitre.
88 sur 140
!
Considérer la communication comme système fractal permet d'expliquer deux
points théoriques, l'un linguistique et l'autre propre à la théorie des jeux.
!
Le premier point sur lequel la conception fractale du système permet de
revenir est la conception initiée par Saussure (1916) d'une dissociation possible entre
synchronique et diachronique, le premier étant « ce qui se rapporte à l'aspect
statique, (...) prim(ant) sur l'autre, puisque pour la masse parlante il est la vraie et
seule réalité » (Saussure,1995:117&128), le diachronique étant négligeable pour le sujet
parlant, car pour lui « la succession (des faits de langue) est inexistante, il est devant
un état. » (ibid:117) Ainsi la langue semble-t-elle évoluer sans que ses utilisateurs ne
puissent en saisir l'évolution. Cependant, cette stabilité apparente est illusoire.
Comme nous l'avons vu le système est dynamique et donc en perpétuel mouvement
de renouvellement par auto-production. L'apparence de stabilité est due à la nature
fractale du système qui engendre l'impossibilité pour l'interlocuteur de contrôler le
mouvement global du système. En d'autres termes, le changement durable sur le
long terme à l'intérieur du système ne se fait que par une infinité de manifestations
microscopiques perçues comme insignifiantes, la forme fractale générale
macroscopique ne semblant pas être affectée par les changements microscopiques
des sous-motifs. Pour reprendre l'image de la mesure des contours de la France, un
changement microscopique comme la modification d'un cap ou d'une baie ne
changera pas la dimension d'une mesure macroscopique, ce qui laisse une
impression de statisme de la forme générale. Pourtant, si les contours de la France
devenaient système dynamique en mouvement constant comme l'est la
communication, c'est-à-dire si quelqu'un entreprenait de changer tous les jours les
caps et les baies, la forme générale de la France donnerait toujours l'impression
d'être statique à un temps T, alors que le changement serait visible entre un temps T
et un temps infiniment supérieur à T. Le mouvement est le même pour les règles du
jeu en communication. De ce fait, la distinction entre diachronique et synchronique
n'est pas pertinente car aucun état statique n'existe, le système est en continuel
mouvement et renouvèlement, le statisme apparent n'est que l'illusion de l'impossible
contrôle de la dynamique macroscopique du système fractal.
!
Cette forme fractale du système nous donne également l'explication du
postulat en théorie des jeux partant des règles pour expliquer le comportement des
joueurs, que nous avons déjà abordé dans la partie précédente. Ainsi, selon cette
89 sur 140
conception, ce sont les règles qui expliquent le comportement des joueurs. Les
joueurs sont donc impuissants face à la dynamique des règles, puisque créer une
nouvelle règle ponctuelle n'affecterait pas la norme macroscopique. Les
interlocuteurs se retrouvent ainsi prisonniers de, pour reprendre l'expression de
Sapir, « ce code, secret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu
par tous. » (1967:46 cité dans Winkin,2000:64) C'est pourquoi l'interlocuteur communique
en répétant des expériences apprises qui lui apparaissent comme règles et qui lui
semblent imposées, puisque s'il veut communiquer il ne peut échapper à ces règles,
et pourtant, ce sont ces manifestations individuelles de communication, combinées à
celles de tous les interlocuteurs partageant la même norme, qui créent et perpétuent
ces règles qui lui semblent imposées.
!
Nous avons vu dans cette première partie ce qu'il convenait d'appeler un
équilibre, et en quoi cet équilibre était créateur de régularité d'un point de vue fractal.
Cependant, cet équilibre n'est pas atteint continuellement, au contraire, le
déséquilibre est présent et le système évolue au niveau macroscopique par paliers
d'équilibre en équilibre, passant par des phases de déséquilibre durant lesquelles les
interlocuteurs entreprennent un processus d'équilibrage. Ce mouvement entre
équilibre et déséquilibre est un processus qui crée deux nouvelles50 formes de jeux :
le jeu en tant que production volontaire de déséquilibre dans le but d'engendrer un
processus d'équilibrage méta-communicationnel qui sera créatif, et le jeu en tant que
déséquilibre involontaire, source d'incompréhension et auquel le processus
d'équilibrage viendra remédier51 .
50
Nouvelles car non considérées dans la Théorie des Jeux
51
L'anglais possède deux mots distincts pour séparer ces deux types de jeux : game et looseness.
90 sur 140
!
C.2. Le jeu créatif !
Ce type de jeu n'est pas considéré dans la théorie des jeux classique, du
moins pas en tant que solution du jeu. Nous allons voir ici comment le jeu en tant
que création de processus d'équilibrage peut être utilisé afin d'augmenter le gain
collectif, c'est-à-dire en quoi la création d'une situation de déséquilibre afin d'entrer
en processus d'équilibrage est le choix le plus rationnel maximisant la pertinence de
l'échange.
!
Ce type de jeu renvoie à une facette de la théorie des jeux appelée « ruse »,
correspondant à « l'aptitude à utiliser à son profit les ambiguïtés qui accompagnent
toute règle du jeu et la marge d'indétermination qu'elle laisse aux joueurs. La ruse
consiste pour l'un des joueurs à créer une asymétrie d'informations à son avantage
qui ne figure pas dans la structure initiale du jeu. » (Schmidt,2007:61, nous soulignons) Le
système de jeu communicationnel, qui est notre sujet d'étude, n'est pas un jeu à gain
personnel, mais un jeu à gain collectif, ainsi la ruse n'est pas source d'avantage ou
de profit en tant que gain personnel, le profit tiré de la ruse est utilisé en tant
qu'avantage dans la maximisation de la pertinence 52, en d'autres termes, l'obtention
d'un état d'équilibre se fait par création d'une asymétrie d'informations. Pour résumer,
à l'inverse des situations habituelles visant directement l'équilibre, ici, c'est le
déséquilibre qui est la solution pour l'atteinte de la pertinence, i.e. si un interlocuteur
veut que l'Autre obtienne le sens voulu dans sa production, la solution la plus
pertinente est de créer ce déséquilibre.
!
Nous verrons ici les trois situations dans lesquelles ce jeu en tant que
déséquilibre est ce qui est visé dans l'échange communicationnel : le jeu métacommunicationnel, le cas du mensonge ainsi que l'usage stylistique.
52
Cela pourrait sembler contre-intuitif de considérer que le gain reste collectif dans certains cas de
communication comme par exemple le cas du mensonge, où l'on pourrait penser que le profit ne
revient qu'à un seul interlocuteur. Or, si un interlocuteur veut que son mensonge fonctionne, il faudra
que sa communication soit pertinente, et donc, selon notre définition, que le gain maximal soit
collectif. Nous développerons cela par la suite.
91 sur 140
!
!
C.2.1. Le jeu méta-communicationnel
!
Une des premières causes de jeux volontaires est celle du jeu utilisé afin de
méta-communiquer, c'est-à-dire l'utilisation du jeu pour communiquer sur la relation
et non de l'information. La création « d'asymétrie d'informations » a pour but ici de
faire changer le plan sur lequel communiquent les interlocuteurs. Comme le souligne
Gardiner (1989:24) : « dans bon nombre de cas, on ne parle de rien en particulier. »
Ainsi, nombre de communications ont une finalité relationnelle plutôt
qu'informationnelle, ce qui fait du langage humain un système bien particulier. En
effet, « la communication humaine se distingue justement des autres formes de
communication par le fait qu'elle n'a pas nécessairement comme finalité
l'information » au contraire, dans nombreux cas « le langage ayant une fonction de
socialisation, le jeu et le contact sont essentiels et ont le pas sur
l'information. » (Yaguello,1981:15&26) Cette fonction méta-communicative, en tant que
communication sur la relation interactionnelle, est permise par le jeu créatif, qui
permet aux interlocuteurs d'exprimer deux sortes de relations : la confirmation ou
l'annulation de l'interaction.
!
Ainsi, « dans la vie courante, une bonne partie des échanges n'ont d'autres
fonctions que d'assurer le contrat social. » ( ibid,26)53
Dans ce type de
communications, il y a asymétrie d'informations en ce sens que si l'on se réfère au
strict contenu de l'échange, il pourrait sembler soit composé de trop d'informations,
soit vide de tout contenu, et de ce fait non pertinent d'un point de vue informationnel.
La fonction de ce type de communication se trouve ailleurs, dans l'établissement et/
ou la confirmation de la relation sociale, c'est pourquoi les interlocuteurs sont mal à
l'aise lorsqu'un vide apparaît dans une interlocution, et pourquoi les conversations
ordinaires regorgent dans leur majorité de sujets qui pourraient à première vue
sembler dénués d'intérêt, ou encore pourquoi il est incorrect d'envisager la
communication comme simple expression d'une pensée. Ainsi, lors d'un dîner de
famille, les anecdotes d'un membre servent-elles vraiment à communiquer une
information sur quelque chose ou le but n'est-il pas d'affirmer et de confirmer le statut
53
Nous ne reviendrons pas sur les théories développées dans la première partie, mais nous
rappellerons que certaines spéculations théoriques envisagent que le langage a pour origine cette
création de contact social. Voir notamment Gardiner (1989:§7)
92 sur 140
social familial dans lequel sont engagés les interlocuteurs ? Lorsqu'une épouse
rentre chez elle et raconte sa journée à son mari, cherche-t-elle vraiment à ce que
celui-ci trouve de l'intérêt dans ces informations sur des personnes qu'il ne connaît
pas ou l'intérêt de chacun se porte-t-il dans une confirmation de la relation
sentimentale qui existe entre les deux ? Nous pourrions trouver nombreux autres
exemples comme ceux-ci et dans chacun nous dirions que la production
communicationnelle paraît non pertinente si nous n'envisageons pas que l'équilibre
puisse se faire au niveau méta-communicationnel. En d'autres termes, si nous
devions considérer la communication uniquement au sens strict, i.e. à son premier
niveau, ce type de jeu serait créateur de « non information », en ce sens que ces
communications sont non pertinentes si nous ne considérons que le niveau
informationnel de la communication.
!
Il existe une seconde configuration dans laquelle ce jeu méta-
communicationnel est utilisé comme processus de création d'un déséquilibre de
premier niveau pour engendrer un mécanisme d'équilibrage de second niveau.
Comme nous l’avons vu dans l’introduction, il est impossible de ne pas
communiquer. Que reste-t-il donc à un interlocuteur qui ne souhaite pas s'engager
dans la relation nécessairement sous-tendue par une interaction ?
!
Watzlawick (1972) développe trois issues possibles à une situation dans
laquelle un interlocuteur A souhaite interagir alors que l'autre B ne le souhaite pas.
La première solution pour B est le « rejet » de la communication, c’est-à-dire la
signification explicite de ce refus, ce qui est une solution contraire aux normes de
bienséance, et qui engagerait malgré tout les interlocuteurs dans une forme de
relation car rejeter explicitement la communication revient à communiquer, le rejet de
l'interaction est donc la création d'une forme d'interaction. La seconde solution est
d’accepter la communication, de se résigner à interagir, ce qui pourra créer chez
l'interlocuteur s'y résignant un sentiment de regret et/ou de faiblesse. La dernière
solution, et c’est celle qui nous intéresse plus particulièrement ici, est « d’annuler » la
communication, une situation dans laquelle « la manière de communiquer frappe de
nullité sa propre communication ou celle de l'autre. L'annulation recouvre toute une
gamme de communications : contradictions, incohérences, ou bien changer
93 sur 140
brusquement de sujet, prendre la tangente, ou bien phrases inachevées,
malentendus, obscurité du style ou maniérisme du discours, interprétations littérales
de la métaphore et interprétation métaphorique de remarques littérales,
etc. » (1972:75) Cette situation est intéressante pour notre propos, car elle correspond
à une situation dans laquelle l'interlocuteur veut créer un déséquilibre qui sera
impossible à équilibrer d'un point de vue communicationnel : c'est d'un point de vue
méta-communicationnel que ce type d'échange trouvera son équilibre et donc sa
pertinence. En d'autres termes, l'interlocuteur utilisant ce processus crée
volontairement du jeu en tant qu'asymétrie d'informations, afin que ses formes de
communication ne soient pas pertinentes pour l'Autre, en créant une forme de
communication dont « le résultat à toutes les chances d'être un pur et simple
charabia » (ibid,77), c'est-à-dire des productions dans lesquelles l'Autre n'arrive pas à
donner de sens d'un point de vue informationnel. Ainsi, en créant un déséquilibre,
l'interlocuteur B fait passer le processus d'équilibrage à niveau métacommunicationnel, niveau dans lequel les productions de celui qui annule la
communication seront pertinentes car elles communiqueront sur la communication,
et plus particulièrement sur le souhait du premier de ne pas être dans cette situation
communicationnelle.
!
Ainsi, dans ce type de communications, l'interlocuteur, prisonnier d'une
situation communicative de laquelle il ne peut s'échapper, cherche à annuler la
conversation en frappant sa communication de nullité significative, un interlocuteur
produit et ne sous-tend pas la communication d'un sens, c'est-à-dire que ces signes
sont non pertinents au niveau communicationnel et à dessein sources d’un
déséquilibre qui sera équilibré une fois que l'Autre trouvera le sens, et donc
l'équilibre par pertinence, au niveau méta-communicationnel.
94 sur 140
!
!
C.2.2. Le cas du mensonge
!
Avant de venir à l'utilisation de ce type de jeu pour permettre le mensonge,
revenons un instant sur l'équilibre, et plus particulièrement sur l'équilibre en situation
de mensonge. Il pourrait sembler contre-intuitif de considérer que le gain est collectif
en situation de mensonge, c'est-à-dire que celui qui ment utilise l'asymétrie
d'informations pour l'avantage collectif. Le gain pourrait sembler individuel. Or, il n'en
est pas ainsi selon notre définition de l'équilibre. L'équilibre doit toujours être un gain
collectif : celui qui ment cherche à ce que l'Autre trouve du sens dans sa production
et donc qu'il la trouve pertinente, or nous avons vu que pour être pertinente, une
communication se doit d'atteindre l'équilibre par maximisation du gain collectif. Ainsi,
nous ne pouvons pas contredire qu'il existe un certain gain, un certain avantage
personnel trouvé par un interlocuteur dans un mensonge, mais celui-ci est d'un ordre
autre que communicationnel (moral, sociologique, etc.) et donc n'intéresse pas
directement notre propos.
!
Le jeu en tant que ruse par création d'asymétrie d'informations peut donc être
utilisé par un interlocuteur afin de mentir. Le mensonge est un choix
communicationnel, conscient et délibéré, d'un interlocuteur souhaitant tromper
l'Autre 54. Un menteur est un « homme aux deux pensées, celle qu'il tient pour fausse
et qu'il déclare, et celle qu'il tient pour vraie et qu'il tait, (...) (c'est-à-dire) le désir de
tromper en parlant contre sa pensée. » (Cavaillé,2004:96) De ce fait, nous définirons le
mensonge comme une communication intentionnellement produite par un
interlocuteur de manière à ce que celle-ci contredise consciemment un pattern qu’il
tient pour vrai dans son environnement cognitif. Est donc considéré comme
mensonge tout signe qui est délibérément produit et qui va volontairement à
l'encontre des patterns tenus pour « vrais » dans l'environnement cognitif de celui qui
produit, en d'autres termes, un interlocuteur qui ment connait la vérité.
54
Ekman,2009:28 : « A liar can choose not to lie. Misleading the victim is deliberate; the liar intends to
misinform the victim. (...) One person intends to mislead another, doing do deliberately, without prior
notification of this purpose, and without having been explicitly asked to do so by the target. »
95 sur 140
!
Il existe deux types différents de mensonges : direct, c'est-à-dire par
falsification, et indirect, par ambiguïté, correspondant aux cas de tromperies. Nous
allons voir en quoi le jeu en tant que ruse est utilisé dans le second, et en quoi le
premier n'est pas un cas de jeu tel que nous l'étudions dans cette partie.
!
Ainsi, la première configuration de mensonge est le mensonge par
falsification. Cette configuration est une configuration dans laquelle l'interlocuteur
présente des informations à l'Autre qu'il sait délibérément fausses 55. Nous ne nous
intéresserons pas à ce cas ici, car ce type de mensonge se fait selon les mêmes
règles qu'une communication dite « vraie » : ce qui diffère ici est une notion de
vériconditionnalité, ce qui, comme nous l'avons vu auparavant, n'a pas attrait à notre
sujet. En d'autres termes, bien que possiblement créateur d'un autre type de jeu, que
nous verrons dans la dernière partie, le mensonge par falsification n'est pas un jeu
en tant que ruse, il n'y a pas d'exploitation de l'ambiguïté relative aux règles du jeu
communicationnel, mais bien une utilisation directe des règles du système.
!
Le type de mensonge qui nous intéresse présentement est le cas du
mensonge comme tromperie, c'est-à-dire le cas où « il ne s'agit pas de tromper
positivement autrui par des signes faux (...) mais de lui dissimuler légitimement une
information à travers l'usage de signes qui ne sont pas faux, même si leur effet est
bien de tromper. L'intention première n'est donc pas de tromper, mais de cacher la
vérité. » (Cavaillé,2004:97)56 Un interlocuteur usant de ce type de ruse se trouve dans
une situation dans laquelle il ment par utilisation d'une ambiguïté propre au système
et à ses règles. Ce type de jeu, permettant la création d'une asymétrie
d'informations, exploite la nature inférentielle, et donc implicative et hypothétique de
la communication. Comme nous l'avons vu auparavant, la communication est
production de signes et la compréhension reconstruction d'hypothèses, d'implications
dont les signes sont les indices.
!
Cette nature inférentielle permet la tromperie de deux façons : dans un
premier temps, la tromperie peut jouer sur la présomption de pertinence d'une
production, et donc sur le fait que l' « on peut être optimalement pertinent sans pour
55
56
Ekman,2009:28 : « (the liar) presents false informations as if they were true. »
Également Ekman,2009,28 : « the liar withholds some informations without actually saying anything
untrue. »
96 sur 140
autant être " aussi informatif que le demande les objectifs de l'échange en cours " :
si, par exemple, on garde pour soi des informations dont la connaissance serait
pertinente aux interlocuteurs. » (Sperber&Wilson,1989:243) Ainsi, ce type de mensonge
est possible par la capacité d'être pertinent sans pour autant communiquer
l'ensemble des informations dont un interlocuteur dispose, c'est-à-dire que lorsqu'un
interlocuteur communique, l'Autre attend qu'il soit optimalement pertinent, et donc
enclin à fournir ce maximum d'informations.
!
Dans un second temps, la nature inférentielle du processus communicationnel
permet la tromperie par production de signes dits « équivoques », c'est-à-dire « toute
communication détournée, ambiguë, contradictoire, tangentielle, obscure ou même
évasive, qui n'est ni un message faux ni une claire vérité, mais plutôt une alternative
à laquelle on a recours lorsque tous deux doivent être évités. » (Bavelas&al.,1990:21 cité
dans Cavaillé,2004:106)
La tromperie devient ainsi une production de signes ambiguës
et polysémiques, permettant la création d'implications trompeuses.
!
Ce type de mensonge est le plus courant dans la communication et ce pour
plusieurs raisons. Dans un premier temps, la tromperie est plus simple que la
falsification57 . De plus, la tromperie n'est pour certains pas considérée comme un
mensonge58, elle est du moins majoritairement vu comme moins répréhensible que
la falsification, ce qui permet d'éviter les dommages moraux associés au mensonge
direct. En effet, dans ce type de mensonge, « l'intérêt majeur est de rendre le
demandeur responsable des inférences erronées et non le répondant, qui pourra
toujours se réfugier derrière le malentendu. » (ibid:109) Malgré leur opposition
flagrante, la falsification et la tromperie sont toutes deux sources d'une troisième
forme de jeu, que nous verrons dans la partie 3 de ce chapitre. Avant, nous verrons
comment le jeu en tant que ruse peut être utilisé dans une troisième perspective.
57
Ekman,2009:29 : « when there is a choice about how to lie, liars usually prefer concealing to
falsifying, (...) it seems lees reprehensible and is much easier to cover afterward. »
58
Ibid:28 : « not everyone considers concealment to be lying. »
97 sur 140
!
!
C.2.3. Le jeu ludique
!
Le dernier pan du jeu en tant que ruse comme création volontaire d'asymétrie
d'informations par exploitation de l'ambiguïté des règles est le jeu de langage tel qu'il
existe selon la définition première du jeu que nous pouvons trouver dans un
dictionnaire : « action de s'adonner à un divertissement qui n'a d'autre but que le
plaisir, la distraction, l'amusement. » (Larousse,Dictionnaire de la langue française,1992) De
nouveau nous nous retrouvons dans une situation où le langage est utilisé dans un
but autre que le transfert d'informations, la communication humaine possédant cette
singularité qu'elle peut être utilisée à des fins uniquement ludiques, fins dont les
manifestations sont nombreuses et dont nous ne pourrions faire une liste exhaustive,
néanmoins des exemples de ces jeux sont les « calembours, rébus, charades,
contrepets, bouts-rimés, comptines, devinettes, mots-valises, mots croisés,
anagrammes, etc. » (Yaguello,1981:13) Ces ensembles de manifestations de jeu sont
ce que Lecercle (1996) appelle le « reste », et qui renvoie à toutes ces manifestations
qui transgressent les règles, qui dépassent les frontières des règles, où ce n'est plus
le locuteur qui communique, mais où le signe existe pour lui-même, résonant en
écho à sa propre nature.
!
Ce type de jeu de langage à but de divertissement, que nous appèlerons par
simplification jeu ludique, ne peut se détacher de son rapport aux règles en tant que
régularité. Le jeu ludique est toujours joué en fonction des règles régulières, il leur
fait toujours écho, exploitant l'ambiguïté qui leur est propre pour les transgresser, et
c'est justement par cette nature ambigüe que le jeu ludique est possible, c'est-à-dire
que « jouer suppose qu'on connaisse les règles et le moyen de les tourner en
exploitant l'ambiguïté qui caractérise les langues naturelles ainsi que la créativité
qu'elles autorisent. » (Yaguello,1981,13) La nature paradoxale des règles régulières leur
donne ce statut ambigüe : bien qu'elles soient du fait de l'interlocuteur, il ne peut les
contrôler et paraissent imposées à lui, et inversement. Ainsi l'un est-il inséparable de
l'autre, comme le dit Yaguello (ibid,31) « le propre du jeu est de conjuguer la
turbulence et la règle, la liberté et la contrainte », le jeu ludique est indissociable des
règles régulières, la turbulence d'un jeu ludique d'un point de vue microscopique
n'est possible que par l'existence d'une certaine constante macroscopique qu'il
98 sur 140
enfreint, sans être capable de la bouleverser complètement. Le jeu ludique, bien
qu'au delà des frontières des règles, reste du langage, i.e. « pour le plus grand plaisir
de (l'interlocuteur), des règles sont violées, localement et temporairement, (...) le
texte est néanmoins reconnaissable à tous les niveaux de l'analyse : l'infraction est
localisée, sur fond de respect global des règles. » (Lecercle,1996:11, nous soulignons)
!
De ce fait cette transgression des règles ne fait pas du jeu ludique son
opposé. Ainsi, tout jeu ludique, bien que dépassant les frontières des règles, bien
qu'appartenant au « reste », est toujours du langage, « au delà de la frontière, il n'y a
pas de chaos linguistique, il y a du langage encore parfaitement intelligible. » (ibid:28)
Les nonsenses de Caroll ou de Lear sont ludiques de par le fait qu'intuitivement, ces
nonsenses sont du langage « malgré tout », et se doivent de rester du langage s'ils
veulent être entendus.
!
Ainsi, l'interlocuteur usant du jeu ludique transgresse les règles qu'il impose
mais qui lui sont imposées, et paradoxalement, de par la nature fractale des règles,
les affirment en les transgressant, et c'est dans ce paradoxe que le jeu trouve son
équilibre. En d'autres termes, le jeu ludique est possible de par l'affirmation de son
identité de jeu, méta-communiquant que les signes ne sont pas à prendre « au pied
de la lettre » mais au contraire en tant que transgressions d'une règle. L'équilibre est
ainsi méta-communicationnel, le caractère ludique du jeu se trouvant dans la
reconnaissance de cette pertinence au second niveau. L'humour d'un mot d'esprit
n'existe que parce que l'Autre reconnaît son identité en tant que jeu, un interlocuteur
ne saisissant pas l'ironie ou l'humour d'une communication d'un Autre mènera très
vite à une incompréhension et la nécessité d'autoréguler, et à celui qui joue de
produire des signes du type « c'est une blague ».
!
Prenons pour exemple le procédé littéraire que l'on appelle une annomination.
L'annomination est un processus consistant à « remotiv(er) un nom par étymologie,
métanalyse ou traduction. » (ibid:74) Ce processus est prolifique en littérature,
notamment lors de la nomination des personnages : que faire de la gardienne
d'orphelinat appelée Mme Mann par Dickens ? Le lecteur ne sent-il pas derrière ce
nom l'incapacité du personnage à tout élan maternel ? Même phénomène pour Mr
Bumble, personnage se voulant de grande classe mais dont le nom n'évoque au
99 sur 140
lecteur qu'une amusante maladresse. Or, par quelle convention, par quelle règle le
lecteur peut-il se permettre d'interpréter que Mme Mann renvoie au nom man et que
Mr Bumble renvoie à bumbling ou à to bumble around ? La convention, la règle
normative veut que le nom propre soit d'un total arbitraire. L'auteur et le lecteur en
viennent à ce « sens » du nom propre par transgression de cette règle d'arbitraire,
créant une étymologie au nom propre qui expliquent les origines et la nature du
personnage. Il en va de même pour le jeu littéraire du mot-valise, fusion arbitraire de
deux mots afin de créer un néologisme. Du poème Jabberwocky de Lewis Carroll
dans Through the Looking-Glass au pianocktail de Boris Vian dans L’écume des
jours, le jeu ludique du mot-valise force le néologisme en exploitant et jouant avec la
capacité du système à créer ses propres éléments et à les modifier.
Ainsi le jeu ludique est-il transgression ponctuelle et microscopique d'une
régularité macroscopique qui, de par sa nature fractale, ne s'en trouve pas affectée.
Tout du moins est-ce le cas de la majorité des jeux ludiques, car il faut compter
certains exemples originellement jeux ludiques et devenus jeux réguliers. Lecercle
(1996:12) prend l'exemple de la phrase de Gertrude Stein « a rose is a rose is a
rose », originellement jeu ludique mais aujourd'hui devenue productive dans la
langue anglaise. En résumé, bien que ponctuelle, de par la nature imprédictible du
système, une forme de jeu ludique peut devenir forme régulière si celle-ci se
manifeste régulièrement et se fait adopter par une communauté parlante.
100 sur 140
!
C.3. Le jeu interférant
!
Nous avons vu dans la partie précédente en quoi le jeu pouvait être utilisé
pour la ruse, c'est-à-dire en tant que création volontaire de jeu. Nous nous
interrogerons dans cette dernière partie sur le jeu involontaire, sur l'incidence des
limites d'aptitudes, propres aux locuteurs mais non sujettes aux choix, dans l'optique
où elles peuvent entrainer une situation d'asymétrie, une situation de « déformation
des messages produite par une divergence sur les postulats qui régissent la
production et la compréhension des messages. » (Winkin,2000:131)
!
Nous verrons ici en quoi la mise en commun par confrontation de sens peut
amener des malentendus59 dans la compréhension et des interférences dans la
production, ces situations de divergence renvoyant à une seconde définition de la
notion de jeu, celle définissant un « défaut de serrage, d'articulation entre deux
pièces d'un mécanisme. » (Petit Robert,2000) Ainsi, nous analyserons ici les situations
dans lesquelles les patterns de sens diffèrent et entrainent des malentendus,
puisque « si le contexte utilisé par (un interlocuteur) ne correspond pas à celui
qu'envisageait (l'Autre), il peut y avoir malentendu. » (Sperber&Wilson,1989:32)
!
Ces configurations communicationnelles sont des configurations dans
lesquelles les interlocuteurs ne jouent pas le même jeu, tout du moins pas selon les
mêmes règles, créant un certain déséquilibre qui engendrera une nécessité
d'équilibrage. Comment deux locuteurs enclins à une recherche d'équilibre par
pertinence maximale peuvent-ils se trouver dans une situation où les signes produits
interfèrent dans l'échange ? Quelles sont ces situations de « divergences de
postulats » qui amènent la communication à ne pas être pertinente ? Nous verrons
dans un premier temps l'interférence mineure, ou conversationnelle et culturelle.
Ensuite, nous aborderons la question du mensonge, sous un angle différent de celui
de la partie précédente 60. Enfin, nous envisagerons l'affect de l'émotionnel et du
pathologique dans la communication.
59
Selon la définition de Mizzau et Galatolo (2000,1), un malentendu est « une divergence
interprétative d'au moins deux interlocuteurs et dont au moins un d'entre eux ne soit pas
immédiatement conscient. »
60
En d'autres termes, nous avons vu en quoi le mensonge peut utiliser le jeu pour exister, dans cette
partie, nous allons voir en quoi le jeu peut se retourner contre l'interlocuteur mentant.
101 sur 140
!
!
C.3.1. Le jeu conversationnel et culturel
Le premier cas, que nous appellerons jeu conversationnel et culturel,
correspond aux asymétries d’informations « dues à la disparité des arrières plans
présuppositionnels, des expériences biographiques, (et/ou au fait que) les locuteurs
appartiennent à des communautés parlantes et à des cultures différentes,
asymétrie(s) qui s'amenuise(nt) dans la confrontation des états de
croyance. » (Armengaud,1999:116) Ce sont des types de jeux, communément appelés
malentendus, qui peuvent être considérés comme mineurs, puisque aisément
régulables par méta-communication sur les signes interférants.
!
La première manifestation de ce type de jeu correspond à ce que nous
appellerons le jeu conversationnel, premier pan de la définition d'Armengaud citée
plus haut. Ce jeu renvoie à l'inévitable différence qui existe entre les mémoires des
interlocuteurs, c'est-à-dire l'inévitable altérité des sens appris par chacun. Autrement
dit, le sens d'un signe peut discorder entre un interlocuteur et l'Autre, et donc
l'interlocuteur produisant peut envisager une compréhension par l'Autre qui dans les
faits divergera de celle prévue. Également, la déviation peut être environnementale.
En effet, « si le contexte utilisé par un (interlocuteur) ne correspond pas à celui
qu'envisageait l'Autre, il peut y avoir malentendu. » (Sperber&Wilson,1989:32) Dans ces
configurations communicatives, il existe une différence entre l'environnement
effectivement utilisé par un interlocuteur et l'environnement d'utilisation prévu par
l'Autre. Enfin, un jeu conversationnel peut trouver sa source dans la nature
homonymique des signes qui la compose, plus particulièrement et plus évidemment
pour le versant locutionnel des signes. Ainsi le signe peut-il être utilisé pour renvoyer
à plusieurs sens par le même interlocuteur, ce qui interférerait à la compréhension
lorsque l'Autre envisagera le signe dans un sens différent de celui que lui prête
l'interlocuteur le produisant61.
61
Le mécanisme du jeu conversationnel dû à l'existence de l'homonymie du signe reste somme toute
équivalent au mécanisme du jeu conversationnel dû à l'existence de sens divergents d'un
interlocuteur à un autre.
102 sur 140
!
Ce type de jeu peut s'étendre à ce que nous appèlerons jeu culturel. Plus
qu'un nouveau type de jeu mineur le jeu culturel est plutôt une continuité du jeu
conversationnel. En définitive, les pans qu'il convient d'appeler conversationnel et
culturel, plutôt que séparés et séparables, représentent les deux extrémités, les
deux bornes du premier type de jeu, le jeu mineur. En effet, il est difficile de tracer
une frontière véritable entre le conversationnel et le culturel. Comme le dit
Gardiner (1989:50) :
« Le locuteur et l'auditeur (...) doivent, en fait, parler la même langue, c'est-à-dire ne pas simplement
s'exprimer dans la même langue, mais aussi employer un vocabulaire compréhensible par l'un et par
l'autre. Un paysan français ne vous comprendra pas si vous lui parlez en anglais, mais il ne vous
comprendra pas davantage si vous employez des mots comme psychanalyse ou binôme, car ni le son
ni le sens de ces mots ne lui sont familiers. »
C'est ce domaine du rapport social qui rend floue la possible séparation de
l'appartenance ou non d'interlocuteurs à la même culture. En effet, peut-on
considérer qu'un ministre français et un agriculteur français font partie de la même
culture ? À l'inverse, avec la globalisation des mass medias, peut-on dire aujourd'hui
qu'un américain et un européen font partie de cultures totalement différentes et
imperméables l'une à l'autre ? La discussion sur ce sujet n'est pas de notre ressort,
mais de ce questionnement nous retiendrons que la séparation possible reste floue,
le tracé des frontières indécidable, c'est pourquoi nous resterons dans une optique
du jeu mineur existant sur un continuum allant du conversationnel au culturel. La
séparation se faciliterait si nous ne considérions que le versant locutionnel des
signes, cependant notre étude porte sur l'ensemble des manifestations sémiotiques,
et il est indéniable que l'élocutionnel puisse avoir un caractère transculturel, ce que
fait remarquer Bateson (1980:126) lorsqu'il s'interroge : « comment se fait-il que les
systèmes paralinguistiques et kinésiques des hommes appartenant à des cultures
qui nous sont étrangères, et même les systèmes paralinguistiques des autres
mammifères terrestres, nous sont au moins en partie intelligibles, alors que le
langage verbal des hommes appartenant à des cultures étrangères nous est
complètement opaque ? »
!
Ainsi nous ne pouvons nier l'existence d'un jeu culturel, inhérent à la
rencontre d'interlocuteurs de « cultures » différentes. À l'autre bout du spectre
des jeux mineurs, l'interférence peut se manifester sur toute forme de signes,
103 sur 140
qu'ils soient locutionnels ou élocutionnels. L'interférence locutionnelle émerge
dans les cas de bilinguisme, dans lesquels un interlocuteur communique avec un
autre alors que les deux ne partagent pas la même langue maternelle. De ce fait,
l'interlocuteur utilisant une seconde langue peut prêter à un signe un sens qui ne
« convient » pas ou calquer des structures de sa langue d'origine qui ne
conviendront pas à la structure de la langue utilisée. Bien que potentiellement
plus universels d'un point de vue statistique, les signes élocutionnels peuvent
souffrir du même jeu. L'utilisation de signes élocutionnels diffèrent d'une
« culture » à une autre et sont d'autant plus sujets aux jeux que ces derniers ne
sont pas acceptés de façon entièrement conventionnelle, et par exemple ne sont
pas enseignés lors des cours de langues étrangères. Pour donner un exemple de
cette divergence, l’index et le majeur en forme de V est utilisé pour signifier
« Victoire » dans les pays européens, alors que ce signe est une insulte en Australie,
un jeu potentiel existe donc entre son utilisation dans une communication entre
européen et australien. Il existe également une divergence proxémique 62 entre
cultures. L’exemple pris par Hall (1968) est celui des Américains venus en Grande
Bretagne. Lorsque des Américains entraient en interaction avec des Anglais, les
premiers trouvaient les deuxième un peu trop familiers par leur rapprochement, et,
reculant pour atteindre une distance confortable, les américains devenaient froids et
distants aux yeux des anglais.
!
Le jeu conversationnel et culturel est donc le premier type de malentendu
inhérent à l'utilisation du système. Ce type de jeu est potentiellement facilement
régulable. Nous allons voir par la suite des jeux qui présentent une régulation plus
difficile.
62
Nous rappelons que la proxémique est la « branche de la sémiotique qui étudie la structuration
signifiante de l'espace humain. » (Fabbri,1968:5)
104 sur 140
!
!
C.3.2. Lie Catching
!
Nous avons vu dans la partie précédente que la nature inférentielle et
imprédictible du système pouvait jouer en l'avantage du menteur, lui permettant de
mentir par tromperie. Nous avons également vu qu'il existe un second type de
mensonge, le mensonge direct, mais celui-ci n'est pas permis par l'utilisation d'un jeu
créatif. Nous allons voir dans cette partie comment le dernier type de jeu, à savoir le
jeu interférant, peut trahir un interlocuteur qui est en train de mentir. Dans cette
partie, les deux types de mensonge seront considérés, car nous nous intéressons
aux jeux créés par l'existence du mensonge quelque soit la nature de ce mensonge,
c'est-à-dire que ces jeux interférants apparaissent de façon égale que le mensonge
soit direct ou par tromperie, puisque que ces jeux résultent de la conscience du
locuteur mentant de son action de mensonge, ce qui est le cas dans les deux
situations de mensonge63. Encore une fois, nous rappelons que notre conception du
mensonge n'est en aucun cas en rapport avec des conditions de vériconditionnalité.
!
Le mensonge est une pratique communicationnelle quotidienne. Les chiffres
des études donnent une moyenne d'environ 1,5 à 2 mensonges par jour (Biland,
2004:22).
Malgré l'existence de jeux interférants dans les situations de mensonge,
nombre de ces mensonges ne sont pas détectés. La raison principale pour laquelle
nous ne détectons pas tous ces mensonges est que nous ne nous en donnons pas
la peine, car pour la plupart ce ne sont que des white lies, des « petits mensonges
ordinaires » (ibid) dont nous ne pouvons nous embarrasser cognitivement de la
détection. En effet, « nous ne pouvons passer notre vie à nous méfier de tout » (ibid),
la base sociale de la communication ne pourrait souffrir d'une constante méfiance
des interlocuteurs. C'est pourquoi la conversation quotidienne ne se soucie pas de la
véracité ou non de la communication : en quelque sorte, les interlocuteurs
« acceptent » le mensonge car l'intérêt de la conversation quotidienne est la relation,
la méta-communication.
63
Nous excluons donc de notre étude les cas de self deceit, de mensonge à soi-même, cas où
l'interlocuteur est inconscient de son mensonge, ce qui n'engendrera pas de jeu.
105 sur 140
!
Bien que quotidiennement impraticable, la détection du mensonge peut
s'avérer utile dans nombre de cas. La détection d'un mensonge passe par le jeu
interférant que peut créer l'impossibilité pour un interlocuteur de contrôler l'ensemble
de ses productions sémiotiques. Ainsi, comme nous l'avons amplement développé
précédemment, nous ne pouvons considérer que la communication ne se manifeste
qu'au travers de signes intentionnellement produits, et de ce fait nous ne pouvons
suivre le point de vue discriminant de Sperber et Wilson (1989) réduisant la
communication aux signes ostensifs, c'est-à-dire utilisés ostensiblement à des fins
communicatives, et sous-tendant et transmettant une intention de communication.
De nombreux signes sont produits de façon non intentionnelle, et plus
particulièrement les signes qui communiquent les émotions ressenties par
l'interlocuteur, qui sont présentes dans l'échange communicationnel. De fait, une
émotion influence la création d'un signe « visible qui atteste de sa présence lors
d'une interaction. » (Biland,2004:59) Tout comme il nous est quasi-impossible de
contrôler nos émotions, il en va de même pour les signes que produisent ces
émotions, et c'est ce contrôle difficile qui est créateur de jeu interférant et qui sera
utile à l'interlocuteur souhaitant détecter un mensonge.
!
En effet, un interlocuteur en train de mentir peut être trahi par une production
involontaire de signes, c'est-à-dire par production involontaire de jeu interférant dû à
la quasi-impossibilité de contrôler l'ensemble des signes qu'il produit. Ce sont ces
signes produits inconsciemment qui créent ce jeu et trahissent l'interlocuteur
mentant64 . Ces signes trahissant sont dans une grande majorité des signes
élocutionnels, de par le fait de la plus grande difficulté pour l'interlocuteur à maîtriser
ces signes65. En effet, comme le fait remarquer Watzlawick (1972:61) « Il est facile de
professer quelque chose verbalement, mais il est difficile de mentir dans le domaine
analogique66. » Ainsi, la tâche de l'interlocuteur cherchant à détecter un mensonge
64
Pease,2005,147 : « The difficulty with lying is that the subconscious mind acts automatically and
independently of our verbal lie, so our body language gives us away. (...) During the lie, the
subconscious mind sends out nervous energy which appears as a gesture that can contradict what
was said. »
65
66
Nous renvoyons au schéma de Mehrabian présenté dans l'avant-propos.
Selon la terminologie de Watzlawick, l'analogique renvoie à ce qui correspond à l'élocutionnel dans
notre terminologie.
106 sur 140
est de s'attacher à déceler dans la production de signes de l'Autre des signes qui se
contredisent les uns avec les autres, soit se contredisant au sein du même canal
(locutionnel/locutionnel ou élocutionnel/élocutionnel), soit des signes d'un canal
contredisant ceux de l'autre (locutionnel/élocutionnel). Ainsi existe-t-il du jeu car
certains signes viennent interférer dans le continuum communicationnel en
contredisant ce que d'autres communiquent, traduisant la vérité dont a conscience
l'interlocuteur mentant. Ainsi, comme le résume Biland (2004:29) : « la difficulté à
mentir tient dans la difficulté à gérer une charge cognitive et émotionnelle lourde
sans que rien ne "fuie", ni dans le discours ni dans le comportement, de l'état réel. »
!
Par exemple, un interlocuteur mentant peut produire ce qu'Ekman (2009)
appelle un emblematic slip. Nous avons déjà vu précédemment ce qu'était un
emblème, ces signes élocutionnels ayant un sens culturellement marqué. Un tel
signe peut être produit de façon involontaire et signifiant une émotion que
l'interlocuteur cherche à cacher.
!
!
Cet étroit lien entre émotion et mensonge fait du jeu interférant, une nouvelle
fois, un jeu entièrement individuel et relatif, autant pour son existence que pour sa
détection. Tous les interlocuteurs ne sont pas égaux face au mensonge, certains
mentent avec plus de facilité alors que d'autres sont de piètres menteurs, et, de
l'autre côté de la barrière, certains détectent les mensonges avec facilité alors que
d'autres sont incapables de les voir. Ainsi est-il du devoir du lie catcher d'avoir
conscience de cette relativité, et de l'impossibilité de détecter un mensonge de
manière absolue67 (tout du moins tant que le menteur ne s'est pas confessé),
notamment pour avoir à l'esprit ses propres préjugés sur l'interlocuteur mais aussi
afin d'éviter de croire à un mensonge ou de ne pas croire en une vérité68.
67
Cette impossibilité de certitude du mensonge rejoint la relativité de la communication, c'est-à-dire
son statut inférentiel et hypothétique, point que nous avons largement développé précédemment.
68
Ces deux erreurs sont répertoriées par Ekman (2009:163) « in disbelieving-the-truth the lie catcher
mistakenly judges a truthful person to be lying. In believing-a-lie the lie catcher mistakenly judges a liar
to be truthful. » Dans le premier cas, un interlocuteur peut interpréter la nervosité de l'Autre comme
étant signe de mensonge, alors qu'en vérité l'Autre est tout simplement nerveux à l'idée de se faire
interroger.
107 sur 140
!
!
C.3.3. Le jeu émotionnel et pathologique
!
Nous venons de voir comment les émotions pouvaient être source de jeu
interférant dans une communication comprenant au moins un interlocuteur mentant.
Nous allons ensuite voir dans cette partie en quoi les émotions peuvent être source
de jeux interférants sans qu'entre en ligne de compte d'interlocuteurs mentant.
Nous allons d'abord voir les troubles simples, les jeux interférants courants,
qu'engendrent les émotions ressenties par les interlocuteurs : il existe pour chaque
situation un arrière-plan émotionnel, les émotions étant indispensables à notre survie
et nous guidant dans nos relations sociales, dans la grande majorité des cas de
façon adéquate. Cependant, certaines configurations émotionnelles amènent les
interlocuteurs à se trouver dans des situations de jeux interférants, les émotions
pouvant potentiellement venir troubler la communication si elles sont ressenties
d'une manière trop intense. Ces cas extrêmes sont des situations dans lesquelles les
émotions sont si présentes qu'elles troublent le processus communicationnel. Ce jeu
peut prendre deux formes, une liée à la production et l'autre à la compréhension. La
première forme de jeu interférant lié aux émotions est l'apparition d'un jeu interférant
émotionnellement avec la production. Dans ces cas particulier, l'émotion est si
présente au sein du système cognitif de l'interlocuteur qu'il ne peut que produire des
signes se rapportant à cette émotion et est incapable de produire des signes autres
de façon cohérente. Comme le dit Yaguello (1981,137) « un locuteur émotionnellement
perturbé peut perdre momentanément l'usage de la parole ou produire un discours
incohérent, agrammatical. » On retrouve par exemple ce type de jeux lorsqu'un
interlocuteur apprend une nouvelle où la surprise est telle qu'il ne peut plus
communiquer, où cela le « laisse sans voix », ou lorsque qu'un interlocuteur est
« pétrifié de peur ». La seconde forme de jeu produite par les émotions sont les
situations où ces dernières mettent l'interlocuteur dans un « état réfractaire » durant
lequel il ne pourra que comprendre et inférer des sens qui confirmeront l'émotion qu'il
108 sur 140
est en train de ressentir69 . Ces situations engendrent un trouble de l'attention
sélective, puisqu'un locuteur dans cette situation ne sélectionnera que des stimuli qui
confirmeront ses émotions, il y aura donc une création de stimuli effectifs biaisées.
!
Ce jeu interférant, lié à un contexte particulier, reste un trouble relativement
mineur et normal70 . Ces périodes de jeu sont de courte durée et, bien que plus
difficile qu'en jeu conversationnel, l'autorégulation est possible.
Il existe ensuite une dernière situation de jeu interférant, plus grave et donc
que nous ne pouvons plus considérer comme simple ou mineure, et qui est liée à
des troubles pathologiques en rapport avec la communication.
!
Prenons dans un premier temps les troubles pathologiques de type
paranoïaque. Le fonctionnement communicationnel de cette pathologie est un
fonctionnement de type de l'état réfractaire, mais à l'inverse du trouble émotionnel
ponctuel, cet état réfractaire de communication est généralisé, l'affect des émotions
sur l'attention engendrant un cercle vicieux71. Ainsi l'interlocuteur atteint de ce trouble
a un mode de fonctionnement suivant lequel tout signe est compris selon un pattern
précis et défini. Comme le dit Winkin (2000:140-141) :
« Celui qui croit que tout le monde est son ennemi émettra des messages et agira significativement en
fonction de sa prémisse. Il affrontera le monde d'une manière qui poussera ce même monde à
confirmer sa conviction. Or, il a acquis cette conviction en premier lieu sous l'effet cumulé des
contextes d'apprentissage qui constituaient antérieurement son flux communicationnel avec certaines
personnes. »
!
À l'inverse d'un trouble lié à une émotion ponctuelle, et autorisant un
réajustement, le paranoïaque se trouve dans un contexte général qui suivra
continuellement le même pattern : le système a du jeu en ce sens que l'interlocuteur
paranoïaque suit continuellement le même schéma, ne cherchant pas à s'accorder
69
Ekman (2003a:39) : « For a while we are in a refractory state, during which time our thinking cannot
incorporate information that does not fit, maintain or justify the emotion we are feeling. (...) When we
are gripped by an inappropriate emotion, we interpret what is happening in a way which fits with how
we are feeling and ignore our knowledge that doesn’t fit.»
70
Rusinek (2004:23) « L'émotion est une forme d'alerte pour l'organisme, il est logique de croire
qu'elle va focaliser une grande partie des processus cognitifs d'un individu vers la cause de cette
alerte. »
71
Ibid (25) : « Si je suis triste et que je fais plus attention aux informations négatives de mon
environnement, je serais certainement de plus en plus triste car plus rien de joyeux ne me viendra à
l'esprit. » C'est ce fonctionnement que nous retrouvons chez le paranoïaque : plus l'interlocuteur a
peur et plus il se concentrera sur des stimuli confirmant sa peur, et ainsi de suite dans un cercle
vicieux pathologique.
109 sur 140
avec son interlocuteur, quelle que soit la production de ce dernier. Ce type de
maladie empêche le malade de faire preuve d'une économie cognitive adéquate :
dans chaque situation, il inférera des sens qui n'ont pas lieu d'être inférés, en effet,
« le paranoïaque, dans sa quête minutieuse du sens, va souvent jusqu'à faire passer
au crible des phénomènes totalement secondaires et sans rapport entre
eux. » (Watzlawick,1972:247)
!
Le jeu interférant peut avoir des conséquences pathologiques lorsqu'il est
répété et donc influant sur l'apprentissage. Comme le souligne Watzlawick (ibid:47)
« (à cause) du malentendu, étant donné certaines propriétés formelles de la
communication, (..) peuvent s’installer les troubles pathologiques qui y sont liés,
indépendamment, et même en dépit, des motivations ou intentions des partenaires. »
La schizophrénie, tout comme la paranoïa, fait partie des maladies pathologiques
ayant pour source ces jeux interférants répétés de manière à influer sur le processus
d'apprentissage. Un interlocuteur schizophrène possède une conception du sens72
qui est biaisée, c'est-à-dire que le processus d'apprentissage du sens s'est trouvé
continuellement ponctué de situation de jeux interférants en tant que malentendus, si
bien que l'interlocuteur n'a pas appris à traiter et à classer les stimuli de façon
correcte, et à un certain stade le locuteur n'est plus capable de faire ces distinctions :
s'en suit une incapacité à distinguer communication et méta-communication, pensée
et souvenirs, rêve et réalité, désir et capacité, etc., c'est-à-dire que l'interlocuteur
schizophrène possède « des troubles profonds de la perception (...) de la réalité,
dans la formation de concepts, dans les affects, et par suite dans tout le
comportement. » (Watzlawik,1972,279)
!
L'exemple de ce type de jeu interférant est ce que Bateson, et à sa suite
l'école de Palo Alto appelle la « double contrainte ». Cette conception renvoie aux
situations d'apprentissage dans lesquelles un individu est puni s'il comprend
correctement et puni s'il ne comprend pas correctement. Ce type de communication
« affirme quelque chose, affirme quelque chose sur sa propre affirmation, (et) ces
deux affirmations s'excluent. Si le message est une injonction, il faut lui désobéir
pour lui obéir ; s'il s'agit d'une définition de soi ou d'autrui, la personne définie par le
message n'est telle que si elle ne l'est pas, et ne l'est pas si elle l'est. Le sens du
72
Dans une conception générale, en tant que l'ensemble des sens.
110 sur 140
message est donc indécidable. » ( Watzlawik,1972:213) En d'autres termes,
l'interlocuteur communique mais en même temps méta-communique en contredisant
ce qui est communiqué, l'interlocuteur produit un malentendu qui entraînera l'autre à
ne pas pouvoir définir le sens sans créer un paradoxe dans sa définition. Quand ce
sens paradoxal recouvre des situations d'apprentissage qui sont vitales pour
l'interlocuteur, le résultat en est potentiellement pathologique.
!
Par exemple, imaginons un parent qui n'aimerait pas son enfant, mais
n'accepterait pas ce sentiment. L'enfant se trouverait puni si il reconnaît que son
parent ne l'aime pas, puisque son parent refuse cette propre définition de la relation.
À l'inverse, ne pas le reconnaître contredirait son interprétation de la réalité, ce qui
serait une première manifestation de punition, et dans un second temps il irait
chercher l'affection de son parent qu'il ne pourrait pas trouver. Dans cette situation,
qui est une situation d'apprentissage, le parent est en position d'autorité sur l'enfant
et la relation qui les caractérise est fondamentale pour les deux, et plus
particulièrement pour l'enfant. Ainsi, l'enfant est dans une situation où l'apprentissage
se fait par jeux interférants, c'est-à-dire qu'il ne sait pas s'il doit faire confiance à ses
interprétations internes, ses compréhensions, ou à la figure d'autorité que représente
son parent.
!
Le symptôme que représente le non-sens schizophrénien est une solution
d'échappatoire à ces situations intenables. En effet, l'enfant ne peut communiquer
sans être puni, or il lui est impossible de ne pas communiquer. Ainsi, s'il veut
échapper à ces situations, la production d'un certain non-sens, d'un certain jeu métacommunicationnel73 devient l'unique échappatoire.
73
Dans le sens que nous avons développé précédemment, c'est-à-dire que la communication n'a pas
de pertinence d'un point de vue communicationnel, cette pertinence est méta-communicationnel.
111 sur 140
Conclusion
112 sur 140
!
Une certaine confusion règne chez le chercheur qui entreprend d'entamer une
étude dite « linguistique ». Devant faire face à diverses écoles, fournissant avec
abondance des études théoriques et empiriques aussi diverses que divergentes sur
le sujet, il peut parfois paraître difficile de se positionner au sein de ces écoles. Cette
confusion est propre à la matière, faute d'une ambiguité que l'on peut retrouver au
sein même du mot « linguistique ». Nos dictionnaires eux-mêmes nous perdent, lui
donnant à parts égales le rôle de l'étude de la langue ou du langage. Une
encyclopédie donnera la linguistique comme la « science qui a pour objet l'étude du
langage et des langues » 74, faisant reposer la base de leur définition sur l'étymologie
latine lingua, elle-même aléatoirement traduite langue ou langage.
!
Or, nous savons que la langue n’est pas le langage. L'étude du langage
concerne l'étude des moyens d'expression et de communication que peuvent
partager deux êtres intelligents, l'étude de la langue concerne un supposé code
formel que partagerait les hommes, étant une partie du langage, celui qui peut être
écrit ou parlé. Comme le résume Blanchet dans son ouvrage La pragmatique,
« (serait) langage tout mode de communication, c'est-à-dire tout échange. (...) Parmi
ceux-ci, on admettra que le langage articulé propre à l'humanité et nommée "langue"
est une constituante majeure de la communication. » Dans notre étude, nous
n’avons pas suivi la vision des héritiers de Saussure d’une langue-code idéale,
transitant le long d’un canal entre un émetteur codant et un récepteur décodant. Bien
à l’inverse, notre étude, s’attachant à l’école pragmatique, a étudié le langage en tant
que discours utilisé par deux interlocuteurs, c’est-à-dire que nous avons considéré la
base de la communication dans l’interaction ainsi que dans le processus d’inférence :
il est impossible pour un interlocuteur de se représenter à l’identique les
représentations mentales de l’Autre, ainsi, chaque interlocuteur ne peut que faire des
hypothèses sur les choix qui ont mené l’Autre à communiquer de la manière choisie,
et ce grâce à une interaction continuelle du système et de son environnement. Ces
choix sont guidés par la recherche de la pertinence, à savoir la recherche de création
d’un équilibre entre économie cognitive et efficacité.
74
Nouveau Larousse Encyclopédique, 1994
113 sur 140
!
C'est de cette conception que nous avons nourri notre réflexion, puisant au
sein de l'école pragmatique, insistant sur la linguistique comme l'étude du langage
utilisé par des interlocuteurs dans un contexte interactionnel particulier. En d’autres
termes, notre vision de la linguistique a été l’étude de la communication, celle-ci
étant l’ensemble des moyens qui existent afin de « mettre en commun » ce qui ne
saurait être mis en commun sans communication, communication utilisée et partagée
par deux ou plusieurs êtres intelligents, pour le ou les Autre(s) autant que pour soi,
d'une manière qui relève parfois du code, mais bien souvent d'une toute autre
sphère.
!
Ainsi, en définitive, le système de la communication n’a pas été considéré
comme une partie de tennis mais comme une partie de squash, en ce sens que la
communication ne réside pas dans l'échange alterné de tour de parole comme le
tennis réside en un échange tour à tour. En effet, la communication est un système
cybernétique, c'est-à-dire que tout élément sortant redevient immédiatement un
élément entrant ; tout comme sur un court de squash, tout output est un nouvel input.
La compréhension du signe produit n'est donc pas effectuée par un « auditeur »
uniquement mais aussi par l’interlocuteur qui l'a produit, permettant donc au système
de fonctionner via un feedback, et de s'autoréguler lorsque le système a du jeu (pour
diverses raisons, les interlocuteurs peuvent ne pas avoir une connaissance adéquate
de leurs propres capacités ou de celles de l'Autre, et donc ne pas arriver à l'efficacité
cognitive consécutivement à leurs productions) : si un interlocuteur s'aperçoit qu'il a
été insuffisamment efficace (c’est-à-dire trop économique) pour l’Autre, il peut
« réinjecter » un indice dans le système pour le réguler, tout comme le joueur de
squash peut renvoyer sa balle s'il se rend compte qu'il ne l'a pas correctement
envoyée. Ce système cybernétique est également utile à l’économie cognitive :
réinjecter dans le système tout élément qui en sort permet à celui-ci de créer un
environnement cognitif direct commun manifeste aux interlocuteurs, ce qui leur
permet, puisque chaque signe n'est pas sans relation avec ce qui précède,
d'économiser l'effort cognitif d'avoir à retraiter chaque stimulus de nouveau, tout en
gardant la même efficacité. Le traitement des éléments récents est donc présent
dans cet environnement cognitif direct afin de permettre d'augmenter l'économie
cognitive. Pour résumer, communiquer engage les interlocuteurs dans une partie de
114 sur 140
squash, cette partie pouvant être match ou échange. Deux interlocuteurs (ou plus)
sont face au même mur, au même monde, jouant sur la même surface de jeu, bien
que possédant des compétences différentes. Un joueur joue et s'adapte en fonction
de la balle qu'il reçoit, mais aussi de la manière dont il reçoit cette balle, des
handicaps qu'il connait ou non de l'autre joueur, appris par le passé, ou tout au court
du jeu.
!
Ensuite, nous avons montré en quoi l’approche systémique pouvait être utile à
l'étude du fonctionnement de la communication. Le système communicationnel,
permettant de produire et de comprendre inférentiellement par mise en relation
d’informations sur des stimuli environnementaux appartenant aux environnements
cognitifs direct et indirect, est un système autopoïétique, c’est-à-dire un système qui
est autonome, auto-référentiel, auto-organisé et auto-régulé. Ainsi, le système existe
par et pour lui-même, se produit et s’organise par des éléments qui lui sont internes
et selon des règles définies par lui, communiquant de l'information sur son
environnement, et non pas par son environnement. Son environnement étant
composé d’informations, le système communicationnel est donc fondamentalement
cybernétique, c’est-à-dire un système où tout output est un nouvel input. Son
autonomie fait que ce système ne peut accepter d’observateur qui lui soit externe, à
savoir que tout observateur voulant observer le système ne pourra le faire qu’en
intégrant le système, et donc pour une observation qui ne pourra se faire de façon
absolue. Malgré tout, son autonomie en reste relative, puisque le système est
adaptatif, c'est-à-dire que son organisation interne s'adapte par autorégulation aux
conditions de son environnement, le système étant somme de sous-systèmes et
partie de macro-systèmes. Ce statut, dit « social », est nécessaire à la pérennité du
système, puisqu'en tant que partie d'un méta-système spatio-temporel, il peut
fonctionner de façon optimale par apprentissage continuel de patterns de sens
pertinents.
!
Lorsque des interlocuteurs sont engagés dans un processus interactionnel de
communication, chaque interlocuteur cherche « à se faire comprendre », c’est-à-dire
que tout interlocuteur cherche à ce que sa production soit assez pertinente pour que
l’Autre trouve du sens à cette production, et c’est dans l’obtention d’un sens dans la
115 sur 140
production de l’Autre que le système trouve son équilibre : c’est lorsque les
interlocuteurs sont en accord relatif sur le sens que le système obtient son efficacité
et son équilibre, et lorsque les interlocuteurs ne se comprennent pas qu’il existe un
déséquilibre, quand chacun trouve que la communication de l’Autre « n’a pas de
sens. » Idéalement, l’équilibre entre le sens voulu et le sens compris existerait
continuellement. Cependant, ce n’est pas le cas. La communication est un système
non-linéaire dirigé par la loi de l’imprédictibilité dans lequel il est impossible qu’existe
un constant équilibre. À l’inverse, la communication se fait par « bonds » d’un
équilibre à un autre, en passant par des paliers de situations de déséquilibre,
régulées et contrôlées par la nature autopoïétique du système. Chaque interlocuteur,
en recevant de l’information en retour sur ses productions, peut juger de celles-ci afin
de rectifier la dynamique du système et le rediriger vers un état d’équilibre. En
d’autres termes, lorsque, subjectivement, un interlocuteur ne comprend pas le sens
que veut donner l’Autre à ses productions, les deux se trouvent dans une situation de
déséquilibre, situation créatrice de nouveaux signes afin de réguler le mouvement du
système et de le ramener à un équilibre, équilibre précaire puisque mis en danger
par la continuité temporelle du système. Ainsi le système évolue-t-il par « bonds »
d’un équilibre à un autre, passant par des situations de déséquilibre, se contrôlant
par autorégulation, processus d'auto-équilibrage.
!
C’est cette dynamique de déséquilibre et d’équilibrage que nous avons appelé
« jeux » et que nous avons vu dans le troisième chapitre, en définissant dans un
premier temps ce qu'il convient d'appeler « équilibre ». Ainsi dans ce travail la
conception de la théorie des jeux a été élargie, conception qu'il est nécessaire d'avoir
pour une définition complète du système communicationnel. Nous avons vu
l'importance du jeu régulier, créateur de normes, indispensable à l'existence même
d'un système de communication, suivant la définition traditionnelle du jeu, ainsi que
le paradoxe qu'entraine sa nature fractale. Nous pourrions imaginer que l'existence
d'un langage ne suivant que ce jeu régulier soit possible, à travers l'utilisation d'un
langage purement logique et dont tous les signes seraient relevés de leur ambiguïté,
utopie suivie par nombreux penseurs et théoriciens de la langue en quête de cette
conception uniquement logique. Bien qu'idéal puisqu'il éliminerait tous les jeux
interférants vus dans la troisième partie, ce langage logique existerait au dépend de
116 sur 140
tout jeu créatif vu dans la partie deux, ce qui signifierait sacrifier également tout ce
qui fait la beauté d'une langue, la poésie, la littérature, la rhétorique, etc., ainsi que
l'attrait relationnel que la communication possède. Une langue logique, idéal de la
théorie du code et se détachant de l'usage ordinaire qui est fait du langage, aurait
pour ambition de se séparer de toute ambiguïté, de tout jeu interférant possible.
Cette disparition de tout jeu interférant reste cependant impossible, de par la nature
inférentielle, hypothétique et complexe du système communicationnel, et donc ne
pouvant jamais adopter le schéma de la transmission, schéma canonique de la
théorie du code. De plus, de par la nature dynamique du système, aucune norme ne
pourra s'imposer aux signes, puisque ce sont ces signes qui créent la norme et non
l'inverse. Enfin, de par la complexité extrême du système et de son auto-production
par itérations d'utilisations de signes en contextes d'interactions communicatives, le
jeu interférant conversationnel et culturel ne pourra jamais être évité, deux
interlocuteurs ne pouvant jamais avoir un arrière plan et une mémoire semblable,
ainsi ne pourront-ils jamais avoir un « dictionnaire des sens », une « copie du code »
qui leur serait égale à tous points de vues.
!
Cette utopie d'une langue logique, « bien faite » et vivant uniquement par le
jeu régulier, est un idéal qui remonte aux logiciens du siècle des lumières avec
Descartes ou la Logique de Port-Royal, et que nous retrouvons jusqu'à aujourd'hui
dans les idéaux de langues comme le Simple English. Selon les propos de
Descartes dans sa Lettre à Mersenne, le langage logique serait « une langue
universelle fort aisée à apprendre, à prononcer et à écrire, et, ce qui est le principal,
qui aiderait au jugement, lui représentant si distinctement toute choses qu'il lui serait
presque impossible de se tromper. » (Cité dans Eluerd,1985,19) Cependant ce rêve
d'une langue logique idéale est illusoire, les trois formes de jeu étant profondément
inter-dépendantes et inséparables, permettant à la communication d'exister, et
source de toute sa beauté comme de ses faiblesses. Au sein d'un jeu régulier, le jeu
interférant reste le prix à payer pour l'existence du jeu créatif.
117 sur 140
Annexes
118 sur 140
Nous avons vu dans la troisième partie de ce travail que l'identité du système
communicationnel était source de trois types de jeux différents : le jeu régulier, le jeu
créatif et le jeu interférant. Nous allons dans cet annexe développer des exemples de
jeux créatifs et de jeux interférants. Nous n'illustrerons pas le jeu régulier, le travail
étant fait par nombre de dictionnaires et de grammaires. Qui plus est, de par sa
nature particulière, le jeu régulier est un système macroscopique qu'il est impossible
d'illustrer au travers d'un exemple propre et ponctuel. Pour ce qui est de l'enferment
fractale de cette régularité macroscopique, l'illustration se fait par l'existence des jeux
décrits ci-dessous, et de l'absence d'impact de ces jeux microscopiques et
ponctuelles sur le méta-système.
!
N'adhérant pas à la démarche scientifique de construction d'exemples, nous
avons choisi ici de faire l'analyse d’exemples de jeux empiriques, issues de sources
diverses allant de la littérature au cinéma en passant par des anecdotes politiques.
Les descriptions ci-dessous sont des exemples empiriques qui ont pour fin
l'illustration de nos schémas théoriques, et qui doivent donc être comprises comme
telles. Les développements ci-dessous ne couvrent pas l'ensemble des innombrables
sous-schémas de jeux, mais illustrent la manière dont peuvent être utilisés nos outils
théoriques pour la descriptions de situations concrètes, et également aident la
compréhension des définitions faites dans la dernière partie de ce travail.
119 sur 140
!
D.1. Le jeu créatif
!
!
D.1.1. Le jeu méta-communicationnel
« Puissance du langage :
avec mon langage je puis tout faire :
même et surtout ne rien dire. »
R. Barthes, Fragment d'un discours amoureux.
!
Les extraits suivants sont tirés de la série britannique Yes Minister75. Le
premier personnage est Jim Hacker, nouvellement élu Premier ministre britannique,
le second, aux répliques longues et alambiquées, est Sir Humphrey, un haut
fonctionnaire du gouvernement britannique, adepte de la logorrhée et dont la
philosophie communicative se résume à « the less you intend to do about something,
the more you have to keep talking about it. » Au travers de ce trait de comportement,
la série parodie la tendance des politiciens aux communications complexes pour
ralentir au maximum les démarches du système gouvernemental.
!
Voici deux exemples d'échanges entre les deux :
« Will you give me a straight answer to a straight question?
- Oh well, minister, as long as you're not asking me to resort to crude generalisations
and vulgar oversimplifications such as a simple yes or no, I shall do my utmost to
oblige. (...) Well, minister, if you ask me for a straight answer then I shall say as far
as we can see, looking at it by and large, taking one time with another, in terms of the
average of departments, then, in the final analysis, it is probably true to say that at
the end of the day, in general terms, you would probably find that, not to push too fine
a point on it, there probably wasn't very much in it one way or the other, as far as one
can see at this stage. »
« You mean they'll block it ?
- I mean they'll give it the most serious and earnest consideration and insist on a
thorough and rigorous examination of all the proposals, allied with detailed feasibility
study and budget analysis, before producing a consultative document for
75
Nous empruntons ces exemples à Dickason, 2007, La société britannique à travers ses fictions
télévisuelles le cas des soap opera et des sitcoms, Ellipses.
120 sur 140
consideration by all interested bodies and seeking comments and recommendations
to be included in a brief for a series of working parties who will produce individual
studies which will provide the background for a more wide-ranging document,
considering whether or not the proposal should be taken forward to the next stage.
- You mean they'll block it ?
- Yeah. »
!
Nous pouvons remarquer que les réponses de Sir Humphrey sont des cas de
ce que nous avons appelé le « jeu méta-communicationnel ». Ce dernier use d'un
langage complexe et obscure afin de ne pas avoir à donner de réponse directe, afin
d'éviter tout sujet gênant. Nous voyons dans la première réponse qu'il ne désire pas
répondre simplement à une question simple. Dans le deuxième échange, il cherche à
éviter de communiquer à Jim Hacker que sa proposition va être bloquée, en utilisant
un langage long et alambiqué, ce qui ne semble pas être du goût du Premier ministre
qui finit par lui demander une réponse directe.
!
Dans ces configurations, un interlocuteur se trouve dans une situation où il ne
peut pas échapper à la communication, il ne peut pas ne pas communiquer.
Cependant, pour éviter d'avoir à répondre directement, il utilise une communication
pauvre en contenu mais complexe sur la forme. L'opacité du discours permet à
l'interlocuteur de passer la pertinence sur le plan de la méta-communication, en
communiquant son refus de communiquer. Ce sont des situations constatées par
Watzlawick (1972:76-77) dans des situations réelles de psychothérapies durant
lesquelles le patient se retrouve pris « dans une situation où (il) se sent obligé de
communiquer, mais où (il) veut en même temps éviter l'engagement inhérent à toute
communication. »
!
Ces exemples tirés de Yes Minister ont ainsi un ton comique et parodique,
cherchant à moquer la « langue de bois » pratiquée par les politiciens, utilisée afin de
pouvoir éviter d’avoir à répondre à une question sensible. Nous pouvons cependant
constater que de tel cas existent également dans des situations réelles de
communication courantes, ainsi que dans des communications en situations
médicales.
121 sur 140
!
!
D.1.2. Le cas du mensonge
!
L'exemple ci-dessous est tiré de la série américaine Lie to Me, dans l’épisode
2 de la saison 1, Moral Waiver. Cette série met en scène Cal Lightman et son
équipe, tous professionnels de la détection de mensonge. Dans cet épisode
particulier, Gillian et Eli, deux membres de cette équipe, sont engagés pour découvrir
si les rumeurs concernant un basketteur lycéen populaire sont vraies, basketteur
supposé avoir accepté un pot-de-vin d'une université. Découvrant en analysant les
images du joueur qu'il présente une expression faciale de douleur à chaque match,
le joueur leur avoue souffrir d'arthrite érosive, et donc incapable de suivre une
carrière pro sur le long terme, ce qui explique son acceptation du pot-de-vin, seul
argent qu'il pense toucher de sa courte carrière de basketteur.
!
!
Le mensonge par tromperie se trouve ici au niveau du contrat passé entre le
basketteur et l'université qui lui verse le pot-de-vin. Supposé de bonne foi, le
basketteur dissimule sa maladie, lors de l'échange entre ce dernier et l'université le
désirant, la présomption de pertinence optimale à permis au basketteur d'accepter le
contrat sans pour autant aborder le sujet de sa maladie. Si il était questionné sur ce
point, il pourrait se défendre avec la réponse « On ne me l'a pas demandé. »
!
Cette exemple illustre la possibilité d'« être optimalement pertinent sans pour
autant être " aussi informatif que le demande les objectifs de l'échange en cours " :
si, par exemple, on garde pour soi des informations dont la connaissance serait
pertinente aux interlocuteurs. » ( Sperber&Wilson,1989:243 ) Ici, l'échange
communicationnel ayant pour résultat un contrat sous forme de pot-de-vin résulte du
contrat interactionnel sous-tendant la présomption de sincérité maximale. Ainsi,
l'université originaire du pot-de-vin s'attend à ce que le basketteur lui fournisse
l'ensemble des informations à sa disposition, c'est-à-dire qu'elle fait l'hypothèse que
le joueur est en bonne condition physique, hypothèse restant bien sur du domaine de
l’inférence et de la présomption, et non de la confirmation directe du joueur, qui
exploite cette hypothèse erronée à son avantage.
122 sur 140
!
D.1.3. Le jeu ludique.!
!
« La langue française l'émerveillait encore, à soixante-dix ans,
parce qu'il l'avait apprise difficilement et qu'elle ne lui appartenait pas tout à fait :
il jouait avec elle, se plaisait aux mots, aimer les prononcer
et son impitoyable diction ne faisait pas grâce d'une syllabe ;
quand il avait le temps, sa plume les amortissait en bouquets. »
J.P. Sartre, Les mots.
!
Les exemples littéraires de jeux ludiques avec le langage sont innombrables.
Nous prendrons ici l'exemple des mots-valises, néologismes forcés condensant deux
ou plusieurs morphèmes pour la création d'un nouveau signe. Nous pouvons
remonter la définition des mots-valises à Lewis Caroll et son dytique Alice's
Adventure in Wonderland et Through the Looking-Glass, dans lequel Humpty
Dumpty explique l’origine de ce mot, appelée Portmanteau-word en anglais : « You
see, it’s like a portmanteau - there are two meaning packed up into one word. »76
!
Nombreux sont les écrivains qui à la suite de Caroll s'amuseront avec la
technique du mot-valise, utilisant le jeu régulier définissant la formation de mots pour
en créer de nouveaux, forçant le néologisme pour créer des mots inédits. Nous
analyserons ici le travail d'Edward Lear, auteur reconnu pour ses œuvres de
nonsenses.
De gauche à droite : Le Armchairia Comfortabilis, le Manypeeplia Upsidownia et le Bottleforkia
Ladlecum.
76
Voir Lewis Caroll, Through the Looking-Glass, chapitre VI - Humpty Dumpty
123 sur 140
!
Avec ce jeu ludique de la Nonsense Botanic, Lear joue sur les codes de
l'étymologie des mots anglais à origine latine, en inversant le processus en créant
des mots latins à origine anglaise. Nous retrouvons ici des mots-valises condensant
des morphèmes anglais à des terminaisons latines, jouant sur les codes canoniques
de la botanique utilisant des mots latins pour nommer les espèces, détournés pour
nommer des plantes inventées par l'auteur. Nous pouvons noter le recours aux
terminaisons typiques du latin que sont -ia, -is ou -um, jointes à des mots anglais
comme armchair, comfortable, upside-down, bottle ou encore fork.
!
Ces jeux créatifs sont bel et bien entrepris relativement aux règles régulières.
C'est ici avec l'étymologie que Lear joue, et, bien que création, ces nouveaux mots
sont du langage, c'est par leur ressemblance et leur quasi-appartenance à la
régularité qu'ils sont jeux, c'est parce que leurs consonances latines font écho aux
formations régulières de mots scientifiques qu'ils existent en tant que jeux.
124 sur 140
!
D.2. Le jeu interférant
!
!
D.2.1. Le jeu conversationnel et culturel
« À quoi tu penses ?
Je pense que la barrière de la langue et certains a priori
inavouables m'ont déjà fait prendre une idiote pour une femme intelligente
et une femme intelligente pour une idiote. »
H. Le Tellier, Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable.
!
Au travers d'une anecdote géo-politique, nous allons illustrer le jeu interférant
que peut créer la rencontre de deux interlocuteurs ne partageant pas la même
culture ni la même langue. Nous ne pouvons pas considérer que ce cas est un cas
de jeu dû à un véritable bilinguisme, bien que le jeu interférant décrit ci-dessous s'en
rapproche fortement.
!
Durant sa carrière, le premier ministre japonais Mori reçut quelques cours de
Basic English quelques jours avant de rencontrer le président des États-Unis Barack
Obama à Washington. Le professeur dit à Mori : « quand vous serrerez la main de
Mr Obama, dites “How are you ?“, ce à quoi il répondra “I am fine and you?“. Alors,
vous répondrez “Me too“. Après, les traducteurs prendront la relève. » Cela parait
assez simple, mais pourtant, le jour de leur rencontre, quand Mori rencontra Obama,
il lui dit pas erreur « Who are you?» Mr Obama, bien qu’un peu surpris, répondit avec
humour « Well, I’m Michelle’s husband. ». Ce à quoi Mori répondit « Me too. » Un
long silence gêné s’installa dans la pièce.
!
Cet exemple, bien qu'amusant, illustre le jeu interférant qui peut se créer
lorsqu'un interlocuteur use d'une langue qui n'est pas sa langue maternelle, et qu'il
ne maîtrise pas. Confondant le « How are you? » avec le « Who are you? », Mori
transforme le sens de la question. On voit ici en quoi une non maîtrise de l'anglais
entraîne un jeu interférant, qui ici rend la situation cocasse par le fait que les
interlocuteurs (autres que Mori), comprennent l'erreur de Mori et savent qu'il
souhaitait produire « How are you ? » mais a fait une erreur de prononciation. Ils sont
également conscients qu'il sait très bien qui est Barack Obama, et qu'il n'est pas le
mari de Michelle Obama. La situation décrite ici fait sourire, cependant on pourrait
imaginer les catastrophes géo-politiques que pourraient entraîner de tels jeux.
125 sur 140
!
!
D.2.2. Lie Catching
« I might mimic a passion that I do not feel,
but I cannot mimic one that burns me like fire. »
O.Wilde, The Picture of Dorian Gray.
!
La scène suivante est tirée du film Inglorious Basterds de Quentin Tarantino.
Le film se déroule durant la seconde guerre mondiale. Archie Archox, sur la droite sur
la troisième vignette et sur la gauche sur les vignettes quatre cinq et six, fait partie
d'un commando de soldats Alliés, les Basterds, dont le but est d'éliminer les hauts
dignitaires nazis allemands. Dans cette scène, lui et trois soldats de son commando,
tous les quatre déguisés en soldats nazis, rejoignent leur contact allemand Bridget
Von Hummersmark (à gauche sur la troisième vignette), en prétendant être de vieux
amis. La tension monte lorsque de vrais soldats et officiers nazis commencent à
interroger Archie sur l'étrangeté de son accent. Dans les six vignettes qui suivent, le
major Dieter Hellstorm, de la Gestapo, s'est assis à leur table pour discuter avec le
prétendu général de la Wehrmacht, et avant d'entamer la discutions, passe
commande au barman.
!
!
126 sur 140
!
Vignette 1 : Eric has a bottle of thirty-three-year old whiskey.
!
Vignette 2 : How many glasses?
!
Vignette 5 : You’ve just given yourself away captain...
!
Vignette 6 : You’re no more German than that scotch.
!
Cette illustration de la détection du mensonge par non contrôle d'un signe
élocutionel rejoint le jeu culturel que nous avons illustré dans la partie précédente,
car ici le mensonge porte sur la culture d'origine de l'interlocuteur. Archie Archox
avait jusqu'ici réussi à camoufler son mensonge en prétendant que son accent lui
venait d'un petit village dans les montagnes dans lequel toute la population parle de
la sorte. Cependant, le major Dieter Hellstorm découvre la supercherie lorsque
Archie produit le signe élocutionnel signifiant 3 en levant l'index, le majeur et
l'annulaire, dit « à l'anglo-saxonne », que nous pouvons voir sur la vignette trois et
quatre, ce que le major ne manque pas de repérer et donc finit par découvrir que
l'identité prétendument allemande d'Archie est fausse.
!
Nous retrouvons ici la constatation faite par Biland (2004:29) : « la difficulté à
mentir tient dans la difficulté à gérer une charge cognitive et émotionnelle lourde
sans que rien ne "fuie", ni dans le discours ni dans le comportement, de l'état réel. »
Ici, Archie est dans une situation de stress importante dans laquelle la découverte de
son mensonge est un danger pour sa vie mais aussi pour la mission qui l'amène ici.
Jusqu'à ce moment, il réussissait à couvrir son mensonge, mais on voit qu'un signe
élocutionnel, sur lequel il a peu de contrôle et produit pour signifier 3 de façon quasiinconsciente, le trahit, il y a une sorte de « fuite » de la culture d'origine d'Archie77, le
signe élocutionnel qu'il produit sur la vignette 3 et 4 est un signe devenant un jeu
interférant puisqu'il contredit le continuum du sens jusqu'ici communiqué.
77
Comme le dit le Major Dieter Hellstorm vignette 5, « you gave yourself away. »
127 sur 140
!
!
D.2.3. Le jeu émotionnel et pathologique
« "Curiouser and curiouser!" cried Alice (she was so much surprised,
that for the moment she quite forgot how to speak good English). »
L.Caroll, Alice's Adventure in Wonderland.
!
Dans cette dernière partie, nous allons illustrer le fonctionnement de la
communication d'un interlocuteur paranoïaque à travers l'exemple d'un extrait de film
dans lequel le protagoniste est paranoïaque : The Number 23 de Joël Schumacher.
Dans ce thriller, Walter Sparrow, joué par Jim Carrey, est un employé de la fourrière
municipale d'une quarantaine d'années sans histoire, qui se trouve un jour en
possession d'un étrange ouvrage intitulé The Number 23, ouvrage où l'auteur décrit
comment sa vie est obsédée par le nombre 23. Rapidement, Walter trouve
d'étranges ressemblances entre ce livre et sa vie, et une fascination paranoïaque
pour le nombre 23 s'empare également de lui. Dans cette scène, Walter expose à sa
famille les liens qu'il découvre entre sa propre vie et le chiffre 23.
-Walter, what are you doing?
-Check this out. Walter sparrow doesn't
work. But if I use my middle name...
- Walter.
- 5-1-1-9-7. Isn't that amazing?
- What?
- It's all 23. My birthday-- 2/3, Driver's license, social security number-- Everything. I
was born at 11:12 PM. 11 plus 12. It's like it's imitating my life.
-You can't be serious.
(...)
-I'm sorry, honey.
- Why this color? Why did you choose
this color?
- I don't know, you tell me.
- Red number five, R-E-D is 27, plus five is 32 which is-- You're reaching now.
128 sur 140
- I met you when I was-- 23.
- And the day we met was?
- September 14th.
- 9/14.
- 14 plus 9 is?
- 23! We married october 13th--10/13, 23.
- Honey, I think you're taking this too seriously.
- Wait wait wait Wait wait wait. We live at 1814. I mean, 18 is one plus eight which
equals nine. And nine plus 14 is also 23. 14 is one plus four which equals five. And
five plus 18 is 23 too.
- All right, Robin, Please don't you start this nonsense.
- This is not nonsense! I-I mean, five plus 18 is 23.
- Well, if the book were 27 or 150, You could do the same thing.
- 18 plus 14 is 32. 23 reversed. Spooky, huh?
Nous constatons dans cette scène le délire paranoïaque du protagoniste qui
donne du sens à des phénomènes qui n'ont pas lieux d'être mis en relation, c'est-àdire que « le paranoïaque, dans sa quête minutieuse du sens, va souvent jusqu'à
faire passer au crible des phénomènes totalement secondaires et sans rapport entre
eux. » (Watzlawick,1972:247) Nous constatons que Walter Sparrow suit un pattern de
sens unique reliant chacun des éléments de sa vie, d'une certaine façon cherchant
du sens là où il n'y aurait pas lieu d'y trouver du sens : comme le souligne sa femme
le résultat aurait été le même si leur chiffre avait été 27 ou 150. Le jeu interférant ici
est créé par la nature du délire de l'interlocuteur paranoïaque, qui ne peut que
comprendre en fonction de ce délire, ne trouvant de sens que lorsque celui-ci
confirme la découverte du nombre 23 (il rajoute son middle name dans un calcul
pour que cela convienne). Dans les situations de paranoïa, les interlocuteurs pensent
être en possession d'un sens supérieur au commun, en quelque sorte ils pensent
avoir découvert un sens mystique au monde qui les entoure, et c'est selon ce pattern
de sens que les paranoïaques comprennent l'ensemble des signes qui les entourent.
Ainsi, tout signe sera interprété selon ce sens, quelque soit la communication de
l'Autre. C’est cette existence du délire paranoïaque qui est créatrice de jeu.
129 sur 140
Bibliographie
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Bibliographie thématique
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139 sur 140
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Index
attention sélective : 20, 51-53, 59, 109
autopoïèse : 41, 70, 71, 76, 115
Autorégulation (et rétroaction) : 4, 10, 68, 70, 70-77, 98-99, 109-116
code (théorie du) : 20-50, 88-90, 113-124
Compréhension : 6, 12, 14, 19, 20, 31, 33, 35, 36, 38, 40, 41-43, 46-48, 54, 58-67,
68, 71, 81, 90, 96, 99, 101, 102, 108, 111, 114, 119
cybernétique : 8, 19-20, 44, 57, 68-75, 114-116
économie (cognitive) : 39-48, 50, 53, 67, 80-83, 110, 113, 114
effet contextuel (en tant que sens) : 45-47, 48, 65
environnement : 37, 44, 51, 54-58, 60, 65, 69, 71, 73-78, 102, 113-115
équilibre (et déséquilibre) : 41, 47-48, 72, 80, 81-83, 84-86, 90-95, 99, 101, 113,
115-116
fractal : 86, 87-90, 99, 100, 116, 119
imprédictibilité : 74-77, 78, 84, 116
incertitude : 18-19, 41-44, 58
intention : 13-14, 20, 33-37, 44, 60-64, 94, 95, 96, 106, 110
inférence : 20, 32-48, 53-65, 75-78, 97, 113, 122
jeu créatif : 91-98, 105, 117-120
jeu interférant : 12, 101, 105-110, 117, 119, 125-128,
jeu régulier/règle : 22, 25, 36, 56-57,65-67, 70-75, 81-87, 101, 116, 123
mensonge : 12, 91 95-97, 101, 105-107, 122, 126-127
pathologie : 101, 108-111, 128-129
pertinence : 20, 29, 34-48, 59, 60, 66, 68, 69, 74, 80-85, 91-99, 100, 111-113, 121
pragmatique : 6-7, 11, 22, 25-39, 50-51, 113, 114
production : 6, 9, 12-14, 18-20, 33, 37-51, 54, 57, 58-67, 68-75, 81, 82, 89-97, 101,
106, 108, 110, 111, 114-117
stimulus : 36, 38, 51-58, 59-68, 114
système : 11, 13, 19, 20, 24, 35, 39-45, 46-67, 68-79, 79-120
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