André Roz - Ville de Pontarlier

Transcription

André Roz - Ville de Pontarlier
André Roz,
lumineuse mélancolie
Dossier pédagogique à destination des
enseignants
Route des Etraches en hiver, 100 x 81 – 1932 – Coll. Part.
Exposition au Musée de Pontarlier
9 novembre 2012 – 3 mars 2013
André Roz est un personnage incontournable de la vie artistique pontissalienne, marquée par
la tenue chaque été du Salon des Annonciades. Avec Robert Fernier, André Charigny et Pierre
Bichet, il est peut-être l’un des peintres de l’école dite « comtoise » les plus connus du XXe
siècle. Ses œuvres sont, pour la plupart, conservées dans des collections particulières et
donc inaccessibles aux publics. Le legs de trois toiles par Madame Locher-Gurtner,
l’acquisition dans une vente aux enchères d’une vue de Pontarlier, le renouveau d’intérêt
pour l’étude du paysage et enfin la volonté de faire rayonner le territoire, tous ces facteurs
ont encouragé l’organisation d’une nouvelle manifestation consacrée au peintre : « André
Roz (1887-1946), lumineuse mélancolie ».
Quant aux œuvres, il a été difficile de les replacer dans leur contexte et dans une
chronologie. En effet, les dates ne sont pas toujours établies avec certitude : quelques
tableaux portent une étiquette qui les identifie, pour les autres, il s’agit de recouper le titre
de l’œuvre avec la liste des toiles exposées au Salon des Annonciades chaque année.
L’exercice est complexe car l’homogénéité des sujets représentés et des intitulés ne
permettent pas toujours de reconnaitre un tableau avec certitude. Enfin, beaucoup de toiles
ont été vendues à l’étranger, en Suisse notamment et leur trace a été perdue.
Après lectures et observations des œuvres, il semblerait que les trois termes qui reviennent
fréquemment pour évoquer l’art de Roz soient mélancolie, sensibilité et poésie.
Un peintre dans la
grande guerre
(1887 – 1946)
.
Flandres ou Soldat de 14 – 1917 – Aquarelle
• Biographie
« Et l’on connaîtra par quoi cet homme a mérité de survivre »
Raymond Oursel
André Roz nait à Paris en 1887 de parents franc-comtois d’origine modeste. L’enfance du
peintre est marquée par de nombreux séjours en Franche-Comté pendant les vacances où il
rencontre sa future femme, Adrienne Griffon.
La guerre de 14 – 18 vient interrompre sa carrière artistique débutante. Pendant 4 ans, il
saisit avec beaucoup de sensibilité et de réalisme, dans des aquarelles et des croquis,
l’horreur de la guerre. Il gardera de cette expérience au front une santé fragile (il est
tuberculeux) qui l’oblige à quitter Paris en 1918 pour un climat de montagne. A 31 ans,
citadin aux allures de dilettante, il s’installe à Pontarlier.
La vie sociale des Roz s’organise autour de l’église Saint-Bénigne. La prospérité du commerce
de vin de Madame Roz permet à André d’adopter un mode de vie bourgeois. Adrienne joue
un rôle important dans la carrière artistique de son mari. Elle pourvoit aux besoins du
ménage tandis qu’il se consacre entièrement à son art, aménage son atelier dans le grenier,
couvre les murs de livres, de toiles et d’esquisses. Il possède une voiture et déambule dans la
ville toujours tiré à quatre épingles.
En 1924, il fonde le Salon des Annonciades avec Robert Fernier, Robert Bouroult et André
Charigny. Multipliant les expositions, il présente régulièrement des œuvres au Salon des
Artistes Français et reçoit en 1932 la médaille d’or pour le Mercredi des Cendres (achat de la
ville de Paris). Il expose aussi en Suisse (Lausanne et Genève) et illustre en 1936, Farinet,
l’œuvre du romancier suisse Ramuz.
En 1940, sa maladie l’oblige à fréquenter à nouveau le sanatorium ; c’est là qu’il se lie
d’amitié avec Raoul Dufy. Ils auraient réalisé ensemble une toile intitulée Grappe de
Chanaan.
En 1941, il est nommé adjoint au maire de la ville par le Gouvernement de Vichy. Ses
obligations l'amènent à côtoyer les autorités allemandes. Il reçoit dans son atelier deux
officiers, un critique d’art et un sculpteur qui réalisera un buste de Roz en 1942.
A la libération, dans le climat houleux de l’épuration, on lui reproche son adhésion aux
valeurs pétainistes. Accusé de collaboration, il est incarcéré à la prison de Besançon puis
acquitté à l’issu d’un procès dont il sortira blessé moralement, touché par le manque de
confiance des Pontissaliens. L'artiste quitte alors le Haut-Doubs et n’y reviendra que
quelques mois avant son décès. A cette occasion, il réalise une ultime toile : Adieu Jura.
Buste d'A. Roz réalisé en 1942 signé H. Hopp
• Quatre ans de guerre
« Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ;
Plonge – toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours ;
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours. »
A.Lamartine « extrait – Méditations poétiques - Le vallon » 1820
A. Roz réalise de nombreux croquis ou aquarelles témoignant avec réalisme de ces années
douloureuses : scènes d’exode, scènes de vie au front, et peines des combattants.
L’Exode est animé d’un mouvement contradictoire : les silhouettes noires des civils fuient
précipitamment quand les soldats montent au front en rangs serrés à l’arrière-plan.
Roz peint également le Soldat de 14, blessé, assis contre un arbre, au milieu d’un paysage
apocalyptique. Il donne une seconde version de cette œuvre à l’huile, et l’intitule Le Feu,
certainement en référence au roman du même titre écrit par Henri Barbusse, publié en 1916
et lauréat du prix Goncourt.
Dans Les Tranchées, les squelettes d’arbres décharnés rappellent les bombardements, alors
que les soldats enterrent leurs morts, dont les tombes s’alignent de plus en plus nombreuses.
1. L'exode – 1917 – Aquarelle
2. Flandres ou Soldat de 14 – 1917 – Aquarelle
4. Les tranchées – 1917 – Aquarelle
3. Le feu – 1917 – Huile sur toile
Le journal Courrier de la Montagne du dimanche 7 octobre 1917 rend hommage au courage
du sergent du 21e régiment de génie :
« A été cité à l’ordre du régiment, le sergent Roz André, du 21 e génie,
gendre de M. Griffon, négociant en vins : « chargé de diriger le centre
optique de la division pour les opérations du 16 et 17 août, a effectué
les reconnaissances et rempli les fonctions de chef de poste, dans des
conditions rendues très difficiles par le bombardement. S’est déjà
signalé sur l’Aisne en assurant le service du centre optique de la cote
120, sous de tirs violents et continuels de l’ennemi. »
Présent lors des combats du Chemin des Dames, il vit les bombardements aux premières
loges.
André Roz sort de cette période profondément traumatisé dans sa chair (il revient
tuberculeux) et dans son âme. Déçu par la société, il semble rejeter le monde moderne en
s’installant à Pontarlier, loin des modes et du vacarme parisien.
Là, il s’implique dans la Fédération des sociétés d’anciens combattants de l’arrondissement,
comme président, généreux donateur et organisateur de galas de charité.
Il est alors peu enclin à fraterniser avec l’ancien ennemi et s’indigne dans la presse lorsque la
Société des anciens combattants organise un congrès où sont invités « les anciens
combattants boches » :
« Après un échange de discours, orateurs français et allemands se sont
embrassés !!! Familles françaises qui pleurez les vôtres tombés dans une juste
guerre, auriez-vous pu croire qu'une année après le drame immense, des
Français seraient capables d'aller chercher nos ennemis aux mains encore
rougies du sang de vos soldats pour leur donner, dans une étreinte théâtrale,
l'accolade du pardon fraternel ! »
Extrait de la lettre publiée par Roz en 1921 dans le Journal de Pontarlier
Sa position vis-à-vis des Allemands ne s'assouplit qu'après plusieurs années, lorsque pèse la
menace d'une seconde guerre. Voici l’allocution qu’il prononce, en 1938, à l’occasion d’un
banquet ; il espère « qu'au souvenir de ceux qui sont tombés il y a 20 ans et qu'après avoir
trouvé un terrain d'entente fait de concession et d'estime réciproque, les hommes de toutes
les nations réconciliés pourront à nouveau se tendre la main. »
• De la guerre à la peinture comtoise
« Il aimait la solitude de son Jura. Il y a dans les toiles
une atmosphère parfois oppressante, l’attente
anxieuse d’un monde en suspens » Raymond Oursel
André Roz baigne depuis 1919 dans le climat artistique fécond de la Franche Comté, où
depuis Courbet prospère une école de peinture marquée par les œuvres de Zingg, Pointelin
puis Fernier et Charigny avec lesquels il fonde en 1924 le salon des Annonciades. Ce salon a
permis de rendre compte de la réalité d’une école comtoise attachée à la représentation de
la montagne et la vie rurale.
Roz présente en moyenne vingt toiles par an jusqu'en 1944. Deux salons se distinguent : celui
de 1931 où André Roz n'accroche que quatre œuvres sur les cimaises de la chapelle et celui
1942 où il apporte trente-neuf tableaux.
• Qu’est-ce qui poussent Roz et sa génération vers le régionalisme ?
L’intérêt des peintres ou des écrivains pour le régionalisme est à lier au traumatisme de 14 –
18. La guerre a imposé à cette génération une nouvelle appréhension d’un monde qu’il faut
reconstruire dans l’après guerre. Dans ce contexte, on assiste dans les années 20 à :
 un rejet de la société industrielle et urbaine qui s’offre à Paris
 un retour à la ruralité, emprunte de pittoresque, synonyme de santé, et où les valeurs
d’avant 1914 sont encore préservées
 un besoin de spiritualité face au choc de la guerre favorisant un « réveil religieux »
 un retour au figuratif et au réalisme dans la peinture
 l’affirmation du nationalisme ; théorisé par Maurice Barrès, il a une grande influence
sur Roz et sa génération.
Ces facteurs encouragent plusieurs écoles de peinture locales ainsi que des courants
littéraires régionalistes.
Dans cette veine, on retient François Mauriac, Maurice Genevoix avec le Raboliot, Henri
Pourrat avec Gaspard des montagnes, et, emportés par un esprit de révolte, Jean Giono ou
encore Charles-Ferdinand Ramuz. Pour ce dernier, écrivain du Valais suisse, Roz illustre
Farinet ou la Fausse Monnaie en 1936. Ils partagent ensemble une pensée commune, ainsi
que le souligne Raymond Oursel : « La philosophie de Ramuz rejoignait, ou mieux, exprimait,
par des moyens presque semblables, celle-là même qu’André Roz, au hasard quotidien de ses
enquêtes, avait su découvrir : l’amer et nostalgique dégoût des faux plaisirs du monde, la
sauvagerie des hautes natures et de l’âpre grisaille des hivers, les hommes ployés que cette
fatalité ronge, mais qu’un coin d’aurore suffit en leur cœur à garder de la désespérance et qui
tiendront, dans leur défi silencieux, jusqu’à la fin des temps. »
• La renommée de Roz dépasse les frontières comtoises
Il expose à Lausanne et à Genève ce qui le fait connaitre en Suisse romande. Il garde contact
avec les sociétés d’artistes de la capitale : le Salon des artistes français et le Salon d’automne
créé en 1903 par Franz-Jourdain pour faire connaitre de jeunes artistes et promouvoir
l’Impressionnisme auprès du grand public. Roz appartient aussi à la société des peintres de
montagne, créée en 1898, sous le patronage du Club Alpin Français. Il y retrouve Jules Adler,
et un de ses élèves, le peintre franco-italien Clément Castelli, mais aussi d’autres artistes
comtois, comme Paul-Elie Dubois et Jules Zingg. Ils exposent tous ensemble en mars 1930.
Il envoie régulièrement des œuvres à Paris où il rencontre un certain succès, puisque son
travail est gratifié de nombreuses récompenses : en 1930, il remporte une médaille d’argent
pour son œuvre le Dégel, au Salon des artistes français – en 1931, Roz est lauréat de
l’Académie des Beaux-arts pour sa toile Hiver à Pontarlier – en 1932, le Mercredi des cendres
est récompensé par la médaille d’or du Salon des artistes.
Les collectivités achètent plusieurs toiles à l’artiste pour enrichir les collections publiques et
préparer l’ouverture de futurs musées. Le Mercredi des Cendres est acquis par la Ville de
Paris en 1932. Mouthier et la vallée de la Loue est un achat de l'Etat, actuellement déposé au
Musée du Baron Martin à Gray. Le Musée de Luxeuil obtient Le Petit Poucet en 1934. L'Eglise
de Montbenoit, devenue propriété de l'Etat, est exposée au Musée du Luxembourg avant de
gagner les collections du Musée d'art moderne qui ouvre en 1947.
• Les raisons du succès ?
L'œuvre d'André Roz obtient les faveurs du public en Franche-Comté, bien sûr, mais aussi à
Paris et en Suisse. Sa peinture figurative fait l'éloge de la nature, de la campagne et de ses
traditions. Dans un monde profondément marqué par la guerre et les changements de la vie
moderne, de plus en plus urbaine, sa rigueur grave quelque chose de rassurant. Et ce,
d'autant plus que la peinture des avant-gardes parisiennes et de l'abstraction russe est
décriée, car parfois incompréhensible pour les spectateurs.
Pour aller plus loin sur Roz
•
La naissance d’une vocation
Montrant des prédispositions pour le dessin, Roz entre à l’Ecole Boulle, école supérieure qui
dispense, depuis 1886, des formations aux métiers de l’art, notamment ceux qui touchent au
travail du bois. Le jeune apprenti se destine alors à une carrière d’ébéniste.
Cependant il suit en parallèle les cours de l’Académie Julian* où il découvre les recherches
artistiques (mouvement Nabis – fauvisme) des anciens étudiants, devenus des artistes
reconnus. Mais Roz aime avant tout l’art de Nicolas Poussin, de Watteau, de Puvis de
Chavannes avant de s’ouvrir à l’impressionnisme. Manet, Renoir, Degas le séduisent puis
Maurice Utrillo et Albert Marquet, peintres de sa génération. De son passage à l’Académie,
André Roz a laissé deux études, dessinées dans l’atelier, au milieu des plâtres et des autres
élèves. Il y devient le disciple de Jules Adler* (1865-1952), peintre naturaliste originaire de
Haute-Saône, surnommé le « peintre des humbles ». Ses leçons marquèrent profondément
le jeune peintre.
Académie Julian - Cette école d’art privée formait des artistes de toute l’Europe, les préparait à concourir
au prix de Rome et les introduisait dans les Salons parisiens. L’enseignement relevait de la tradition
académique qui cherchait à se rapprocher des canons antiques de la perfection. Le dessin était d’abord
appris d’après gravure, puis d’après l’étude des plâtres et c’était seulement ensuite que les étudiants
pouvaient s’essayer au modèle vivant.
Jules Adler - Cet artiste est connu pour être un historien austère et véridique de la vie populaire. Il sait
émouvoir le spectateur par la vérité d’expression des visages et des mouvements. Il se fait le poète des
souffrances des malheureux de la révolution industrielle.
• Les thèmes chers à l’artiste
Ils sont relativement constants pendant toute sa carrière et représentent Pontarlier et ses
alentours, avec quelques incursions suisses de temps à autre. Paysages de montagne sous la
neige fondante du dégel, scènes de vie quotidienne, moments de sociabilité et vues de la
petite ville, Roz ne s’éloigne donc jamais vraiment de Pontarlier pour peindre, hormis en
1937-38 lorsqu’il voyage en Italie s’appropriant Venise et Côme. Il a laissé également
quelques vues de Besançon, Dijon et Lyon, mais ses sujets restent volontairement
traditionnels et liés à la vie rurale.
Le palais de justice en hiver – 61 x 46 – huile sur toile – Coll. Part.
A. Roz montre un indéniable attachement à la Franche-Comté et c’est ainsi qu’il la décrit :
« La contrée […] est délimitée, à l’ouest, par les vallées fertiles de la Saône et du Doubs, à l’est
par les monts Jura. Au-dessus des longues falaises rocheuses de cette chaîne, s’étend une
vaste région où les forêts de sapins, alternant avec les plateaux dénudés, coupés de cours
d’eau rapides, composent un paysage d’une grandeur austère et parfois d’une désolation
infinie ».
Mouthier – 1934 – huile sur toile – 73 x 60 – Musée de Gray
« Son climat est rude. L’hiver dure six mois pendant lesquels, poussée par une bise aigre, la
neige qui tombe en abondance bloque souvent les chemins. Le printemps n’est qu’un hiver
prolongé, maussade et humide, avec sur le sol de grandes plaques de neige glacée qui fond
lentement. L’été très court, lui succède presque sans transition ».
Mercredi des Cendres – huile sur toile - 1932
Les troupeaux, l’exploitation des forêts par une population de bûcherons, de transporteurs
de bois, achèvent de donner à cette province un visage d’une intense et forte poésie dont la
description est devenue le thème favori des artistes. »
Les bûcherons – 1936 – huile sur toile – 198 x 142 – Musée de Pontarlier
Une grande majorité des paysages d’André Roz représentent le dégel, quand l’interminable
hiver n’en finit toujours pas et que le printemps se fait désirer. Ce moment tout particulier
symbolise l’espoir des jours meilleurs, l’attente angoissée du retour du soleil. Ces neiges
fondantes de dégel sont typiques de l’art des peintres du Salon des Annonciades : Fernier,
Charigny, Zingg, Jouffroy puis Bichet et Bourgeois.
Effet de neige à Pontarlier – huile sur toile collection particulière
Fantaisie du pont du canal – 1930 – 105 x 82
Collection particulière
Roz s’intéresse plus particulièrement aux routes et aux rivières qui introduisent le
mouvement dans ce Jura immuable. Les cours d’eau comme les chemins sont bordés
d’arbres et de montagnes et ouvrent le regard vers le lointain. Ces paysages de liaison sont
chers aux Impressionnistes tels que Monet, Pissarro ou encore Sisley. De nombreux ponts sur
le Drugeon, Doubs, le canal de Pontarlier occupent les œuvres de Roz. Ils constituent un
véritable motif, par leur forme significative. Le peintre travaille l’eau et ses différents reflets,
son aspect fuyant et insaisissable, dont le cours est traversé par un pont aux grandes
enjambées : ouvrage de l’homme, ouverture sur le monde, lieu de passage et de transition.
Les fermes et les petits villages constituent un autre motif récurrent dans les paysages de Roz
et plus largement des peintres paysagistes comtois. Ils représentent des lieux banals,
anecdotiques et intemporels mais néanmoins reconnaissables par les habitants. Le titre peut
donner une indication géographique en précisant le nom de l'endroit, mais surtout les
éléments topographiques sont suffisamment précis pour être identifiables. Cette campagne
française, rurale, immuable rassure le citadin insécurisé par le changement, l'ancien soldat
dégouté par la guerre. Elle sert de refuge et d'évasion, puisqu'elle serait à l'abri de l'homme
et de ses corruptions.
Roz a une attirance particulière pour les églises. Cet engouement vient-il de ses croyances
religieuses catholiques ? Nait-il de la forme caractéristique des clochers francs-comtois qui
singularise la région ? L’église se pose en marqueur paysager fort qu’on observe aussi chez
d’autres peintres de l’Ecole comtoise. (Zingg avec Neige aux fourgs, de Fernier, L'Hiver à
Sombacour, aux Rousses, Après la neige. Goux-les-Usiers, Dégel à Nods et Jouffroy dans
Mathay en hiver, par exemple.)
St- Pierre – La Cluse et le château de Joux – huile sur toile – 50 x 61 – Musée de Pontarlier
Il y a une fierté à peindre la Franche-Comté, cette région âpre et lointaine, boudée par les
artistes jusqu'à Courbet et totalement ignorée des Impressionnistes. Roz explique :
« Une légende qui avait cours autrefois dans le monde des ateliers prétendait que le Jura
n’était pas pictural, qu’il était intraduisible. Cela était vrai en partie parce que, pour exprimer
le caractère de cette région sévère il faut y travailler longtemps, il faut y vivre. Cette terre ne
livre son secret à ses fidèles qu’après beaucoup d’amour et d’obstination ; il faut, comme
disent les vieilles gens de Franche-Comté « acheter le pays » et pour l’acheter, souffrir mille
maux et mille peine
Les paysages d’André Roz sont souvent habités de petits personnages perdus dans
l’immensité de la nature : bûcherons dans la Coupe de bois de 1933, paysans du Labour aux
Etraches, les faneuses en Valais, bergers, éleveurs et commerçants des Marchés et autres
Foires, chasseurs, promeneurs du Petit Poucet, du Mercredi des Cendres, patineurs sur le
Doubs… c’est-à-dire habitants et travailleurs de la montagne. Ces silhouettes impersonnelles
apparaissent écrasées par leur environnement : montagnes, forêts ou architectures. Leur
taille s’explique peut-être par la spiritualité du peintre qui met en avant la misère de
l’homme et de sa condition.
• L’influence de Raoul Dufy
En 1940, en convalescence au sanatorium de Grasse, Roz fait la connaissance de Raoul Dufy,
grand peintre coloriste, associé au fauvisme. Le rapport à la couleur de son nouvel ami et la
lumière provençale transforment profondément la palette de l’artiste. Les deux artistes
auraient même peint à quatre mains une toile intitulée la Grappe de Canaan, épisode de
l’Ancien Testament où Moïse, pendant la traversée du désert, envoie en Terre promise deux
éclaireurs qui reviennent avec une grappe de raisin miraculeuse. Après ce bref séjour dans
les Alpes Maritimes, les deux hommes entretiendront une correspondance.
De retour à Pontarlier en 1941, Roz introduit des couleurs vives et complémentaires dans ses
toiles. Les gris subtils sont relayés au second plan pour des touches plus éclatantes. Le
peintre reprend la lumière et le motif de Cézanne avec sa série de Baignades aux bords du
Doubs.
Baignade au bord du Doubs – 1943 – collection particulière
• Le refus des avant-gardes parisiennes
En 1943, André Roz publie un article « De Courbet à l'Ecole Franc-comtoise » intéressant
pour comprendre son rapport avec l'art de son temps. Il refuse clairement les avant-gardes
parisiennes et les nombreux courants en -isme qui ont fleuri au début du XXe siècle :
impressionnisme, cubisme, futurisme, dadaïsme... Roz a même des mots très durs pour ces
mouvements et affirme que les artistes comtois s'ils en ont eu connaissance, ont su s'en tenir
éloignés :
« Ils [les artistes comtois] ont profondément ressenti, entre les deux guerres, la
perversion des idées dont les arts eux-mêmes ont été atteints, mais justement, ils n’ont
pas eu besoin pour triompher du pessimisme qui en résultait, de se livrer avec frénésie
aux spéculations intellectuelles qui ont conduit la peinture à une véritable impasse. Ils
ont considéré avec une grande méfiance ces mouvements divers appelés
Impressionnisme, Cubisme, Dadaïsme, Surréalisme et n’en ont tiré, pour l’incorporer à
leur œuvre, que les éléments dictés par la prudence. N’avaient-ils pas conscience aussi
du néant auquel aboutiraient finalement toutes ces tentatives dont Picasso, théoricien
trop subtil et sorcier cruel a précipité la chute ? »
Le traumatisme de la guerre et le rejet de la modernité expliquent en partie la résistance face
à ces avant-gardes, dites « décadentes », produites par une société de jouissance. On assiste
alors, dans les années 20 à un retour vers le réalisme.
Ce « retour à l’ordre » de l’entre-deux guerres est d’abord un retour à la figure, un hommage
au classicisme. En 1905, les Impressionnistes, auparavant critiqués, dominent le monde
artistique de leur gloire, ce qui n'a pas manqué d'influencer le jeune homme de 18 ans.
André Derain et son style figuratif triomphent en 1919. Roz choisit de s’inscrire dans cette
lignée et de peindre le paysage sur le vif, de manière réaliste. Alors que ses aquarelles de
guerre sont très classiques, une fois installé à Pontarlier, il travaille sur les impressions
données par la lumière naturelle et l'atmosphère en fonction des heures de la journée et des
saisons. Il brosse ses tableaux par des touches rapides et évocatrices. Degas et Cézanne
trouvent grâce à ses yeux : il reconnaît l'art du premier dans une conférence et s'approprie la
maxime du deuxième : « Il faut que je m'appuie sur Rome ».
• Quelques clés de lecture
 Les éléments à observer pour comprendre la construction des œuvres de Roz
 des éléments qui structurent l’espace : les arbres / les silhouettes
Ils bordent, encadrent, quadrillent ou sont le pendant d’un pont ou d’une montagne
 des éléments qui introduisent de la profondeur et guident le regard vers l’arrière
plan : les chemins / les routes / les ponts
 la couleur et les effets de lumière :
-une juxtaposition de touches subtiles rend compte des saisons et des différents
moments de la journée – couleurs froides ou sombres rehaussées par une touche de
rouge ou de bleu
-après son séjour en Provence, introduction de nouvelles couleurs, vives et contrastées :
vert / bleu / ocre
 Les éléments pour comprendre l’état d’esprit du peintre
 traumatisme de la guerre
 désillusion sur la société : un homme qui ne croit plus en l’Homme
 intérêt pour la nature qui invite à l’humilité et à la spiritualité
- de nombreuses œuvres montrent l’âpreté d’une nature éternelle qui écrase la misérable
condition humaine (Mercredi des Cendres – Le Petit Poucet)
 un lien ténu entre la poésie et l’œuvre du peintre : les œuvres de Roz ne
manquent de faire penser aux poèmes de Lamartine dans ses Méditations
poétiques, au « Ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle » du Spleen de
Baudelaire ; et l'artiste de citer, dans sa conférence, les yeux « luminaires
d'erreur » de Verlaine, et le cri de Paul Valéry, au début de Variété I « nous
autres civilisations nous savons que nous sommes mortelles. »
 Les dessins
 Nombreux dessins préparatoires et esquisses réalisées souvent en extérieur
Croquis spontanés - comme pour les œuvres de guerre- ou scènes imaginaires
Ils montrent une maitrise parfaite des techniques du dessin au crayon, fusain, mine de plomb
ou à la craie.
Ils sont le complément de sa peinture et peuvent être mis en rapport avec des compositions
précises. Le dessin peut être transposé exactement ou alors servir simplement de données
visuelles susceptibles d’être introduites au fur et à mesure dans la composition.
• Quelques oeuvres
 L’arracheur de Gentiane - huile sur toile - 1929 – Musée de Pontarlier
En 1929, Roz présente l’Arracheur de Gentiane. Cette huile sur toile grand format montre un
« gentianaire » forçant avec son outil, la « fourche du diable », pour récolter les racines de la
plante, dans la campagne pontissalienne. Le tableau fut repris dans une campagne
publicitaire pour la Suze, liqueur apéritive à base de gentiane jaune, dont l’essor est
intimement lié à l’interdiction de l’absinthe en 1915, coup dur porté à Pontarlier, capitale de
la fée verte. Cette réclame assure à la représentation de Roz une certaine renommée.
 Le petit Poucet – huile sur toile – 1934 – 126 X 106 – Musée de Luxeuil
André Roz est certes un peintre paysagiste qui prend la nature comme modèle, mais cela ne
l'empêche pas d'introduire dans ses paysages un message qui les transcende, une certaine
spiritualité. Maurice-Pierre Boye, en 1935, va même jusqu'à mettre en avant le sentiment
religieux fait de terreur et d'humilité qui habite les toiles de Roz. Pour lui, le peintre a une
vision des choses en marge du réel. Dans cette œuvre la petitesse disproportionnée des
figures humaines montre une nature toute puissante, immuable qui écrase la misérable
condition humaine. Cette disproportion entre les sites grandioses et les hommes, d’une part,
et la volonté de traduire le monde des sentiments par des couleurs, d’autre part, se
retrouvent dans les paysages lyriques des œuvres romantiques du XVIIIe et XIXe siècle.
Esquisse pour Le petit Poucet
 La Charité – huile sur toile – 50 X 60 – Musée de Pontarlier
Les années 1937-1938 semblent plus sombres pour l’artiste, et les gris deviennent gris
châtaigne, taupe ou anthracite : la Charité, Saint-Pierre-la-Cluse et le château de Joux. Le
passage d'une couleur à l'autre se fait discrètement par un léger flou. Cependant, une pointe
de rouge, sur un toit, un personnage ou un traineau, amène un peu de vie, et par sa
complémentarité accentue le petit coin de ciel bleu porteur de l'espoir des jours meilleurs.
 Procession à Montperreux – huile sur toile – 105 X 125 – Musée des beaux
arts de Besançon
Les processions sont nombreuses dans l’œuvre de Roz. Elles traduisent à la fois le poids
du catholicisme dans le Haut – Doubs des années 30 (n’oublions pas le rôle joué par
notre région dans la Contre – Réforme catholique) et l’attachement du peintre à la
religion. Dans cette région très rurale, au mode de vie très traditionnel, les processions
sont des moments privilégiés de sociabilité. Ici, le point de vue adopté est celui d'un
membre du cortège.
Contact Musée de Pontarlier / musé[email protected] / Tel - 03 81 38 82 14 / Horaires
d’ouverture : 10 h – 12 h / 14 h – 18 h / Musée fermé le mardi -