Christian Poveda MARAS, MON AMOUR
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Christian Poveda MARAS, MON AMOUR
8tg PovedaOK:PolkaMag 4/08/09 17:24 Page 114 polka écran Christian Poveda MARAS, MON AMOUR CHRISTIAN POVEDA SALVADOR, 28 MAI 2007 La Liro et El Bamban le jour de leur jugement pour extorsion de fonds. Ils seront finalement acquittés après avoir passé huit mois en prison. C’est une longue plongée dans l’univers cruel des « maras », ces gangs armés qui sévissent en Amérique centrale mais aussi en Californie et au Mexique. « La Vida loca », le beau film de Christian Poveda qui exposait l’an dernier à Visa pour l’image, sort en salles le 30 septembre. Une œuvre traversée par des scènes de tendresse et d’amour familial. CHRISTIAN POVEDA El Dark (Le sombre) condamné à plus de cent cinquante ans de prison pour 3 meurtres avec préméditation. Il est aussi considéré comme le principal instigateur du massacre de 21 détenus dans la prison d’Apanteos, le 11 janvier 2007. 114 I polka magazine #6 automne 2009 I 115 8tg PovedaOK:PolkaMag 4/08/09 17:24 Page 116 polka écran Page de gauche CHRISTIAN POVEDA SALVADOR, FÉVRIER 2006 Portrait de famille: El Bamban, Cesarito & La Liro à la Campanera. CHRISTIAN POVEDA SALVADOR La Liro donne le sein à Daniela, son second enfant, née le 9 novembre 2008 fille d’El Chicle, son nouveau compagnon. CHRISTIAN POVEDA SALVADOR La Liro, Cesarito et El Bamban. Bien que nous soyons dans l’univers d’un crime organisé ultra-hiérarchisé, un modèle inconscient d’existence familiale traditionnelle réunit les anciens enfants des rues. 116 I polka magazine #6 8tg PovedaOK:PolkaMag 4/08/09 17:24 Page 118 polka écran “ La Liro porte le chiffre 18 sur son visage comme une condamnation à mort par Alain Mingam I l pleut de chaudes larmes sur les joues du petit Cesarito, comme ces orages qui soudain inondent les ruelles défoncées de la Campanera à Soya- pango, banlieue de San Salvador, capitale du pays le plus meurtrier d’Amérique latine : le Salvador. Ces cités cul-de-sac, d’une pauvreté absolue, sont les territoires des « maras », ou bandes, « Mara Salvatrucha (MS) » et « 18 » qui sèment la terreur dans tout le pays à l’image des gangs qui, dans les années 70, ont gangréné depuis LosAngeles toute l’Amérique centrale. Elles ont fait 3 174 morts en 2008 au cœur de ces no man’s land de la désespérance sociale. Jour et nuit pendant seize mois, Christian Poveda a parcouru ces impasses de la violence au quotidien pour réaliser «La Vida loca» un documentaire de 90 minutes déjà primé à Angers, Mexico, Cuba etVienne. Cesarito vient de voir ses géniteurs l’abandonner aux bras de sa grand-mère maternelle, qui va assurer la garde du jeune orphelin des prisons. Car sur les marches du tribunal qui vient de les juger pour extorsion de fond, son père, El Bamban – le tatoueur le plus prisé du gang dont il est membre depuis l’âge de 12 ans – et sa mère, La Liro, 19 ans, qui porte le chiffre 18 telle une condamnation à mort, se sont embrassés une dernière fois, tendrement résignés, comme esseulés, poignets menottés au milieu des policiers dans l’estafette qui va les conduire, lui au pénitencier pour hommes d’Apanteos, elle à la prison pour femmes d’Ilopango. Christian Poveda le confirme : « Dans un pays où on enregistre une moyenne de 11 homicides par jour, la prison est la seule issue proposée afin d’enrayer le crime. En 2008, il y a approxima118 I polka magazine #6 tivement 22500 personnes privées de liberté dans 19 centres pénitenciers construits pour loger une population maximale de 8000 individus.» Un mal endémique qui ronge la société américaine avant de se répandre en Europe pour engendrer demain des centaines de petits Cesarito. Il voit dans les yeux de sa mère comme la toile de fond d’une profonde tristesse existentielle. Car la jeune maman a trop conscience de la fragilité, de la précarité de ces moments de tendresse d’une famille qui ne peut être «traditionnelle» ou normale. La Liro, selon l’allitération hispanisante du surnom anglais qui lui fût donné – « La Little One», la petite – , est un cas unique et elle ne le sait que trop. Pour s’être «dégonflée» lors de l’assassinat ordonné d’un membre de la bande adverse, la MS. Lors de ce rite d’initiation obligé « son manque de courage» a causé la mort du «pandillero » ou compagnon qui l’accompagnait et l’a condamnée à avoir le visage marqué à vie du nombre 18, marque indélébile d’une punition qui la désigne à l’ennemi. Il lui a fallu l’autorisation des chefs du gang pour demander à Christian Poveda de masquer, à l’aide de Photoshop, le chiffre de son appartenance au gang sur une photo où elle pose avec Cesarito. Une attention toute filiale destinée à entretenir sa mère, exilée à Houston lorsqu’elle avait 1 an, dans l’illusion d’une vie normale, qui ne le sera jamais. La Liro s’est confiée à Christian Poveda devenu Salvadorien de cœur: «Vais-je pouvoir amener Cesarito à l’école? Car je ne sais pas ce qui va m’arriver d’ici là. Si mon fils entre dans la “Pandilla”, ce sera sa décision», dit-elle. El Bamban et la Liro sont aujourd’hui séparés. Elle a eu une petite fille avec un autre membre du gang, « El Chicle » (le chewing-gum), récemment incarcéré pour au moins vingt ans. Elle vit terrée chez elle par peur d’être arrêtée et séparée de ses deux enfants et survit grâce à l’aide de quelques amis et d’un peu d’argent – 100 dollars – que lui envoie sa mère depuis les EtatsUnis. El Bamban est détenu depuis le mois de mai accusé de plusieurs meurtres. Ancien journaliste, nouveau président du Salvador, depuis le 1er juin dernier, Mauricio Funès a pour mission d’éradiquer cette violence pour ne pas faire de tous les Cesarito du présent les assassins de demain. CHRISTIAN POVEDA SALVADOR, AVRIL 2007 Un moment de bonheur familial traditionnel lors d’un déjeuner dans une pizzeria du quartier de San Miguelito. Photo de gauche CHRISTIAN POVEDA SALVADOR, AVRIL 2007 El Bamban, grand maître du tatouage dans l’exercice de son art. Les tatouages permettent de se reconnaître. Ils déclinent le nom du gang, dévoilent sa mythologie, rendent hommage à une mère, même quand elle a abandonné ses enfants, flirtent avec Eros et, bien sûr, tentent d’apprivoiser la mort. CHRISTIAN POVEDA, LE SCORSESE DU DOCUMENTAIRE S elon l’Organisation mondiale de la santé, le Salvador a un taux de criminalité «épidémique», avec une moyenne au cours des dernières années, de 55 crimes pour 100000 habitants. A La date du 22 juin, soit sur les 6 premiers mois de l’année, il y a eu 2026 meurtres, 471 de plus qu’en 2008 pour la même période. Cela équivaut déjà à 63% du nombre d’homicides perpétrés en 2008. De retour dans le pays désigné comme le plus violent du monde, Christian Poveda nous offre un film « La Vida loca » au plus près de ce phénomène de société ultraviolent. «Infiltré» dans la vie du gang «18», il manie la caméra avec un sens de la proximité qui lui permet de se faire littéralement «oublier» par les chefs de bande comme par les «pandilleros». Il y a quelque chose en lui d’un Scorsese du documentaire auscultant les noirceurs de l’âme humaine, chères à Norman Mailer dans le jardin des USA. S’interdisant la moindre caricature, mais sans complaisance aucune, son regard fait de tous les acteurs d’un scénario criant de vérité, filles et garçons, les héros tragiquement ordinaires d’une inhumanité jamais révélée pour renvoyer une société devant ses responsabilités. L’œil de Christian Poveda est aussi acéré que la pointe de l’aiguille, qui cisèle sur leur peau comme ses images sur la pellicule, tous les signes tatoués de leur appartenance à cette famille de substitution qu’est le gang. Pas de violence gratuite à l’écran, le réalisateur nous fait vivre ce qui reste d’humanité sous le vernis des tatouages et la réalité de la mort qui rôde. Pour imprimer ou incruster à jamais dans notre conscience de passionné de «cinéma vérité» la marque indélébile d’un voyage jusqu’alors impossible au bout d’un nouvel enfer au quotidien. Celui d’une violence pour la violence des « desperados » d’une société, stars anonymes et victimes consentantes de la chronique d’une mort annoncée. Jamais immersion dans l’interdit A.M. ne fut si totale. • automne 2009 I 119
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