Le Fabuleux Destin du Quotidien

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Le Fabuleux Destin du Quotidien
Introduction
S’il est entendu que les arts s’entremêlent constamment depuis des siècles (à preuve :
la poésie, la musique, la danse, la peinture, l’architecture, le théâtre, la mode, les arts
décoratifs …) pourquoi s’interroger aujourd’hui sur la distinction entre les arts plastiques
et le design ?
Sans doute, une certaine spécialisation, une certaine technicité de plus en plus
prégnantes ne sont-elles pas indifférentes à la question posée mais, si ces distinctions
encombrent notre réflexion voire notre compréhension, ne devrions-nous pas parvenir à
les éliminer devant ce que nous regardons ?
L’usage, la technique, la taille, l’échelle, la fonctionnalité – et tant d’autres éléments –
imposent leurs lois, nous le savons, dans les deux formes d’art, quand bien même nous
admirons les écoles comme le Bauhaus, par exemple, qui les rejetaient ou, plutôt, les
confondaient dans un esprit qui tenait pour vrai que ni l’un ni l’autre ne pouvaient se
comprendre sans la vie à laquelle ils appartenaient et qu’ils aidaient à former : nouvelle !
Les siècles modifient le regard et l’état d’une civilisation transforme sa perception et ses
aspirations.
Soyons certains qu’elles changeront encore.
Cette exposition a pour but de poser cette question qui s’impose aujourd’hui et pour
ambition de constater, de manière parcellaire, l’esprit du temps, où des passages
s’élaborent dans des rejets et / ou des différences se marquent dans des
rapprochements. Les paradoxes et les contraintes, de quelque nature qu’ils soient, sont
toujours porteurs d’intensité : chez les créateurs aussi bien que chez les spectateurs.
Veerle Wenes, Commissaire de l’exposition
Françoise Foulon, Directrice de Grand-Hornu Images
Laurent Busine, Directeur du Mac’s
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L’art a peur de l’objet usuel. Mais quelle est la largeur du fossé qui sépare l’objet banal
de l’oeuvre d’art unique et transcendante ? Sont-ils inextricablement liés, ne peuvent-ils
se passer l’un de l’autre ? Le Fabuleux Destin du quotidien explore le champ de tension
et de dé-tension qui existe entre les deux.
Au départ, le MAC’s et Grand-Hornu Images avaient donné à la commissaire Veerle
Wenes pour mission d’organiser, à l’occasion du 200e anniversaire du site, une
exposition s’articulant autour de la relation entre l’art et le design. Comme Veerle Wenes
peut se réclamer d’un sérieux curriculum dans le monde du design, la combinaison art &
design l’enthousiasma d’emblée. Mais elle ne tarda pas à se rendre compte qu’elle
s’engageait sur une pente glissante. Lorsqu’on explore la frontière entre l’art et le design
surgissent en effet de nombreuses questions triviales telles que : le design peut-il être
élevé au rang d’oeuvre d’art ? Et si oui, quand ? Quand il est produit en un nombre
limité d’exemplaires, quand son prix est prohibitif, quand il est extravagant, quand il est
exposé dans une galerie... ?
Estimant que cette piste était décidément peu intéressante, Veerle Wenes changea de
cap. Elle se pencha alors, entre autres, sur la différence communément admise entre le
design et l’art – une différence qui réside principalement dans le fait que le premier est
utilitaire et l’autre ne l’est pas. Le premier sert à manger, à s’asseoir, à s’habiller, alors
que le second ne sert à rien de tout cela. L’inutilité de l’utile, l’utilité de l’inutile. Or, y
compris sur cette piste, on risque à un certain moment de s’enliser, car l’art a bel et bien
une fonction, en l’occurrence cérébrale. Et inversement, un objet design peut être
parfaitement inutile. La théorie selon laquelle la différence entre l’art et le design se situe
au niveau de l’aspect utilitaire ne tient donc pas non plus.
S’il n’y a pas de différence entre l’art et le design, force est de se demander s’il existe un
rapport entre eux. Qu’en est-il lorsqu’un artiste ou un designer se sert d’un objet utilitaire
pour raconter une histoire inutile, cérébrale, sublime ? Qu’en est-il lorsque l’objet usuel
se met au service de l’art ? C’est ainsi que Veerle Wenes en est arrivée au quotidien :
une évidence pour le designer qui conçoit des objets utilitaires. Mais ces objets peuvent
aussi être « utiles » à l’artiste, en ce sens qu’il peut s’en servir et les manipuler pour leur
attribuer une tout autre fonction, cérébrale et « inutile », comme celle de procurer un
plaisir esthétique au spectateur, de lui faire entrevoir les choses sous un autre angle ou
de lui faire ouvrir les yeux.
Le thème est donc devenu Le Fabuleux Destin du quotidien. Une exposition où le
quotidien sert de moyen de communication, aussi bien dans la sphère du design que
celle de l’art. À un certain moment, la différence entre le design et l’art perd d’ailleurs
tout intérêt : ce qui compte, c’est la façon dont on se sert du quotidien, on le transforme
et le sublime. Pourtant cette exposition fera forcément surgir certaines questions, telles
que : pourquoi réunit-elle malgré tout des oeuvres d’art et des objets design sous la
même enseigne ? Pourquoi tel objet design y côtoie-t-il telle oeuvre d’art, et vice versa ?
Les meubles de Hannes Van Severen sont-ils des oeuvres d’art ou des objets design ?
Les objets design quasiment inutilisables de Bram Boo seraient-ils en passe de devenir
des oeuvres d’art ? Selon la commissaire, toutes ces questions sont dénuées de
pertinence, pour la simple raison qu’elles ne sont plus à l’ordre du jour. On ne peut plus
y répondre. Ici, tout tourne autour du fabuleux destin du quotidien.
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Bien entendu, la commissaire de l’exposition et les directeurs du MAC’s et de GrandHornu Images ont dû faire des choix. Des choix personnels, certes, mais régis par un
seul et même critère : toutes les oeuvres sélectionnées devaient renvoyer au quotidien.
Tout le monde compose avec le quotidien. Mais l’artiste en fait quelque chose
d’inattendu et d’unique. Il crée un nouveau contexte. René Heyvaert, par exemple,
excellait dans ce genre d’exercices. Il était capable de créer une nouvelle atmosphère
avec une simple branche d’arbre. Robert Therrien s’y prend autrement : au début des
années 1990, il s’est mis à décliner des objets empruntés au pop art, mais démesurés,
dans la tradition conceptuelle remontant à Marcel Duchamp. Under the Table (1994)
était une gigantesque table doublée de chaises à l’avenant. Therrien a également
réalisé des assiettes monumentales (No Title (Stacked Plates), 1994) en céramique de
1m50 de diamètre.
Robert Therrien - No title (Stacked Plates), 1994 - Cliché Philippe De Gobert
Face à elles, nous ne sommes même plus des enfants : nous sommes des lilliputiens.
Les assiettes de Therrien sont faites pour des géants. Il en est de même de ses chaises
et table pliantes de No Title (Folding Table and Chairs, Green) de 2007, oeuvre d’une
hauteur de près de 2 m 50.
Michel François jongle avec du verre. Vous voyez des ballons de verre voltiger dans
l’espace ; vous les entendez, mais ne les voyez pas se casser. Cette donne crée une
atmosphère aliénante et évoque la vulnérabilité. Cela vaut aussi pour les béquilles de
Lieve Van Stappen qui, du fait qu’elles sont en verre, se voient amputées de leur
fonction première : celle de soutenir un corps (blessé). On peut aussi conjuguer la carte
du quotidien, de l’agrandissement et de la vulnérabilité, comme Raphaël Buedts qui,
avec des moyens et matériaux pauvres (du bois, de la craie, une ligne au crayon) et un
minimum d’interventions, crée un nouvel objet rigoureusement structuré. Buedts est
notamment connu pour ses « objets mobiliers » qui brillent par leur fonctionnalité
rebelle.
La dimension humoristique est aussi présente. Généralement, le quotidien est peu
propice à déclencher le rire pour la simple raison qu’il rime - souvent, dans notre culture
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«occidentale» du moins - avec médiocrité et routine. Et pourtant l’artiste peut opérer un
glissement de sens. La preuve, le court-métrage de Fischli & Weiss Der Lauf der Dinge
(1987), dans lequel des objets usuels en tous genres se renversent, se mettent en
mouvement, s’incendient et se font exploser mutuellement. Une telle oeuvre donne à
réfléchir sur les objets en soi, mais aussi sur leurs rapports.
Fien Muller joue aussi la carte de l’humour en réalisant des photos abstraites qu’elle
conjugue dans une vidéo avec des éléments empruntés à la vie quotidienne qui
viennent et qui vont : un morceau de salami, un marteau, le pied d’une armoire, une
manique, etc.
L’humour est également au rendez-vous des oeuvres de Richard Artschwager, dont les
Splatter Tables and Chairs sont une réponse cynique au pop art.
Le Fabuleux Destin du quotidien se distingue par l’absence de toute hiérarchie ou
classification des artistes et designers en fonction de la manière avec laquelle ils
abordent le quotidien. Chacun y va de sa propre histoire. Chacun a sa propre approche,
son propre cheminement. Gert Robijns a créé une nouvelle installation : il s’est saisi de
cailloux du lit d’une rivière, y a tracé une ligne de flottaison bleue et les a fourrés dans
des poches de vestes et de pantalons.
L’Atelier de design Blink a réalisé un tapis monumental avec une photo d’un marché aux
puces, d’une beauté sordide. Le marché aux puces est élevé au rang d’oeuvre d’art,
quelque chose de sublime, de transcendant est créé à partir de matériaux pauvres.
Atelier Blink – Tapis Brocante
À l’image des Primitifs flamands qui s’en servaient pour apprêter leurs panneaux, Willy
De Sauter utilise de la craie et de la colle animale pour rendre la beauté sublime de
quelque chose qui en soi n’est pas achevé, mais est prêt à recevoir des couleurs et une
image d’une grande richesse. Richard et Danny Venlet créent des oeuvres d’une grande
beauté avec de vieilles tables en formica. De même, Tejo Remy crée une nouvelle
chaise avec de vieux chiffons ou un nouvel objet avec de vieux tiroirs.
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Tejo Remy - Chest of drawers, 1981 - Cliché Philippe De Gobert
Ici aussi, des matériaux pauvres donnent naissance à un nouvel objet d’une beauté
inégalée en jouant, notamment, la carte de la répétition : la répétition du « laid » pour le
sublimer. Un bel exemple est la splendide mosaïque de Goele De Bruyn, réalisée avec
des dizaines de briques de savon entamées, comme celles qui traînent sur un lavabo,
dans une douche ou sur le bord d’une baignoire, dont les formes, les couleurs et surtout
le parfum ont l’art de réveiller des souvenirs.
Angel Vergara Santiago présente une oeuvre qu’il a réalisée à la demande du MAC’s
pour le cinquième anniversaire du musée. Il a filmé des gens dans les environs du
musée et les a réunis dans une série de petits cadres : des gens sans histoire dans une
rue sans histoire. Par le simple biais de la répétition, l’artiste a transformé un
environnement sans intérêt en un assemblage passionnant de témoignages du
quotidien.
Les photos de Lynn Cohen laissent également transparaître une « fausse beauté » : de
belles photos montrent des intérieurs d’une monstrueuse banalité. Ce ne sont pas des
intérieurs sordides, comme ceux photographiés par nombre de photographes, mais des
intérieurs luxueux trahissant un manque total de bon goût.
Mais il y encore bien d’autres façons de remettre en question le quotidien. Les critiques
que Wim Delvoye émet à l’encontre de notre société de consommation amorphe sont
tellement dérangeantes qu’on est soulagé de pouvoir leur coller l’étiquette d’oeuvres
d’art. Des porcs tatoués dans un séjour. Des bétonneuses en bois sculpté. Et comment
situer les oeuvres d’Art&Language qui décline des objets comme des tables et des
chaises dans un langage hyper intellectuel ? Que faire de la djellaba griffée Nike de
François Curlet ? Et de toutes ces autres oeuvres réunies à l’occasion de cette
exposition ? De tous ces objets dont l’artiste se sert ou, plutôt, qu’il manipule ? À moins
que ce soit l’inverse ?
Marc Ruyters
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Le Design
Définitions
Chaque époque, chaque courant, chaque culture réinvente « sa » définition du design.
Petit Larousse, avant 1989
Design : (dizajn ou design) n.m. (mot anglais)
Discipline visant à une harmonisation de l’environnement humain, depuis la
conception des objets usuels jusqu’à l’aménagement des sites.
Petit Larousse, depuis 1989
Design : (dizajn ou design) n.m. (mot anglais)
Discipline visant à la création d’objets, d’environnements, d’œuvres
graphiques…, à la fois fonctionnelles, esthétiques et conformes aux impératifs
d’une production industrielle.
Petit Robert, dictionnaire de la langue française
Design : (dizajn ou design) n.m. (mot anglais, dessin, plan, esquisse)
Anglicisme.
Esthétique industrielle appliquée à la recherche de formes nouvelles et
adaptées à leur fonction (pour les objets utilitaires, les meubles, l’habitat en
général).
Adj. D’un esthétisme moderne et fonctionnel
Encyclopédie Universalis 1990
Le design a l’avantage de signifier à la fois dessein et dessin.
Dessein indique le propre de l’objet industriel qui est que tout se décide au départ, au
moment du projet, tandis que dans l’objet ancien fait à la main, le projet se différenciait
en cours d’exécution.
Et dessin précise que, dans le projet, le designer n’a pas à s’occuper des
fonctionnements purs, affaires de l’ingénieur, mais seulement de la disposition et de la
forme des organes dans l’espace et dans le temps, c’est-à-dire de la configuration.
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D’où vient le design ?
L’histoire du design est indissociable de celle de la révolution industrielle. Avec la
production mécanisée, commence une nouvelle histoire de l’environnement
humain, écrite par les industriels et non plus uniquement par les artisans et
artistes.
Des balbutiements de la machine à vapeur aux premiers gratte-ciel, elle se
développe en prenant appui sur l’innovation technologique.
Conçu par Joseph Paxton pour l’Exposition universelle de Londres de 1851, le Crystal
Palace est construit en un temps record de 8 mois à partir d’unités modulaires
standardisées, préfabriquées en usine.
Rupture Industrie/Artisanat
1851 Le Crystal Palace de Joseph Paxton
Bâtiment gigantesque de 563 m. X 263 m. – Hauteur de 36 m.
Il compte 3 300 colonnes de fonte, 2 224 poutrelles et 300 000 éléments de verre.
Cet hymne à la gloire de la nouvelle société industrielle rencontre une très vive
opposition de la part du critique et historien d’art John Ruskin relayé, quelques
années plus tard, par le mouvement Arts and Crafts, dont William Morris est l’une des
figures marquantes.
Le débat ainsi ouvert entre les tenants de la technologie et de l’industrie et ceux qui
défendent une ligne historiciste et la beauté de l’objet unique, se poursuivra tout au long
du XXe siècle et jusqu’à nos jours.
A la fin du XXe siècle, la production industrielle investit tous les domaines de la vie
quotidienne, du bâtiment aux objets courants.
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Avec ses meubles en bois courbés, construits à partir de composants facilement
assemblables par vissage, l’autrichien Michael Thonet démontre que la production de
série peut conjuguer quantité et qualité formelle.
Grande série et grande qualité
1859 Chaise Thonet
Nés avec la révolution industrielle, dégagés de toute référence historique, les Etats-Unis
offrent un cadre idéal à l’essor de mécanisation à grande échelle.
En 1908, Henry Ford, séduit par l’efficacité des dispositifs qui équipent les abattoirs de
Chicago, a l’idée de mécaniser la fabrication du modèle T, première voiture automobile
économique, fabriquée à 15 millions d’exemplaires de 1909 à 1926.
Ford applique les principes d’organisation scientifique du travail développés par Taylor
pour mettre au point la chaîne de fabrication.
1908, la Ford T, première automobile fabriquée en grande série.
Dans l’effervescence des années 20 naissent des mouvements hérités du
cubisme et du futurisme – constructivisme, suprématisme russe, mouvement
hollandais De Stijl – qui vont marquer par leur audace tout le XXe siècle.
Dans toute l’Europe, ces avant-gardes artistiques conjuguent recherche théorique
et confrontation avec le réel.
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Le mouvement hollandais De Stijl, dont Gerrit Rietveld est l’une des personnalités
marquantes, joue un rôle déterminant dans l’avènement de la pensée rationaliste qui
prévaut dans l’avant-garde des années 20 et 30. Les recherches de De Stijl, fondé en
1917 par Théo Van Doesburg, sont indissociables de celles du peintre Mondrian, qui
en est la figure emblématique et prône la radicalisation d’un ordre géométrique,
n’admettant plus que les lignes verticales et horizontales et le strict emploi des couleurs
fondamentales.
L’intransigeance géométrique et chromatique de De Stijl
1917 – Chaise bleu & rouge, Gerrit Rietved, hêtre laqué
Né dans une Allemagne vaincue et appauvrie, le Bauhaus à ses débuts, n’est pas, pour
des raisons économiques évidentes, tourné vers la production en série.
Son fondateur, Walter Gropius, veut surtout former des créateurs capables de concevoir
tout ce qui, en dehors du bâti, concerne la production d’environnement.
La démarche repose sur un cours fondamental, dont l’élaboration et l’enseignement sont
confiés à des plasticiens venus des courants d’avant-garde.
Ce n’est qu’en 1925, avec l’aménagement de la dette de guerre et l’arrivée des capitaux
américains, que le Bauhaus peut s’orienter vers la production industrielle.
Avec, notamment, les meubles à structure tubulaire de Marcel Breuer, il est alors
reconnu comme un haut lieu d’innovation. En 1933, les nazis ferment l’école.
Le Bauhaus, école de la curiosité
1919 : fauteuil Wassily, Marcel Breuer, siège et dossier en toile, tissu ou cuir,
châssis tube d’acier cintré.
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Les années 20 et 30
De l’Europe à l’Amérique, l’entre-deux-guerres oscille entre passion
technologique et nostalgie du passé. En France, à l’épanouissement de l’art déco
répond l’union des artistes modernes, qui s’inscrit dans le mouvement moderne.
En Finlande, Alvaar Aalto réconcilie savoir-faire artisanal et fonctionnalisme
rationaliste. En Allemagne, l’avant-garde qui s’épanouit à l’aube des années 20
devient « dégénérée » à l’avènement du nazisme. Les références antiques de
l’urbanisme d’Albert Speer coïncident avec la naissance d’une voiture de
conception futuriste, la célèbre Coccinelle Volkswagen.
Tous ceux qui, en France, pensent que la modernité et la nécessité d’une large diffusion
passent par une utilisation intelligente et rationnelle des matériaux et des moyens de
l’industrie, se regroupent en 1929 au sein de l’Union des Artistes Modernes (UAM).
Au salon des artistes décorateurs de Paris, en 1930, les piliers du Bauhaus (Gropius,
Breuer, Bayer…) présentent la participation du Deutscher Werkbund.
Le Modernisme, dont le Corbusier est l’un des porte-parole et qui promeut un mode de
pensée rationaliste, prend un essor. Mais rares sont ceux au sein de l’UAM qui, comme
Jean Prouvé, vont jusqu’au bout de la réflexion sur la production de série, en adoptant
le métal comme matériau de base d’une maison et en imaginant que celle-ci pourrait
être fabriquée comme on fabrique une automobile.
Une modernité assumée
1929 : Maison Prouvé, panneaux et
hublots, aluminium et verre, Jean Prouvé
Au lendemain de la crise de 1929, les industriels américains prennent conscience de
l’importance de l’esthétique dans le succès commercial des produits de grande
consommation.
Les premières grandes agences d’esthétique industrielle voient le jour.
Elles proposent au grand public des objets quotidiens inspirés des formes
aérodynamiques des dernières merveilles technologiques – voitures, trains, bateaux,
avions. C’est le Streamline, dont les lignes fluides et lisses coïncident avec la
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généralisation des techniques d’emboutissage de la tôle d’acier et du moulage « en
coquille », d’alliages d’aluminium ou de matériaux de synthèse, comme la bakélite.
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’heure est au retour à l’ordre, aussi bien
dans les pays « démocratiques ». Tout ce qui fait référence au Modernisme est suspect,
voire accusé de dégénérescence. Un peu partout en Europe, on se préoccupe plutôt de
proposer à la masse laborieuse une voiture économique : en Allemagne, Ferdinand
Porsche dessine la Coccinelle Volkswagen, en Italie, on lance la Fiat 500 ; chez Citroën,
le prototype de la future 2 CV est en train de naître.
Sobre et fonctionnel, un design pour les masses
1936 : la coccinelle Volkswagen
L’après-guerre ouvre aux designers de nouvelles voies d’expérimentation et
d’action.
Matériaux, technologies, habitudes de consommation : tout change et les objets
de la vie quotidienne deviennent peu à peu des produits culturels.
La guerre de 39-45 est aussi une guerre technologique, qui donne un élan considérable
à l’innovation, notamment dans le domaine des matériaux.
L’Allemagne possède une longueur d’avance sur ce terrain avec un caoutchouc artificiel
remarquablement résistant mis au point par IG Farben, capable de remplacer le
caoutchouc naturel d’Asie. Aux Etats-Unis, c’est Dupont de Nemours qui triomphe avec
le nylon, une soie synthétique utilisée aussi bien pour la lingerie féminine que pour la
fabrication des parachutes pour l’armée.
Autres matériaux de synthèse qui bénéficient de l’effort de guerre : le polystyrène, le
polychlorure de vinyle, le polyméthacrylate de méthyle (plexiglas), le polyéthylène, le
polyester armé de fibre de verre, le polyuréthane.
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Certains designers s’emparent des nouvelles possibilités offertes par ces matériaux.
C’est le cas de Charles Eames et d’Eero Saarinen. Tous deux imaginent pour leurs
clients respectifs, Hermann Miller et Knoll, des sièges-coques, à base de polyester armé
de fibres de verre.
Forme souple et matériau de synthèse : la rencontre
1959 : Panton Chair, Verner Panton
Le fonctionnalisme dominant n’empêche pas certains designers de défricher un nouvel
univers formel, conjuguant héritage du Streamline et forme libre, grâce aux possibilités
offertes par les nouveaux matériaux et les nouvelles techniques de fabrication.
Ainsi, le Danois Verner Panton reprend-t-il à la fin des années 50, l’idée du siège Zig Zag imaginé avant-guerre par Rietveld dans une version tubulaire, puis proposé dans
un assemblage de planches de bois épaisses.
Panton utilise les techniques de moulage de matériaux de synthèse pour obtenir une
forme nappée unique, faisant office d’assise et de piètement, et d’une extrême fluidité.
1934 : chaise Zig-Zag – Gerrit Rietveld
Roger Tallon approfondit la voie ouverte par l’Industrial Design des années 30, en
donnant aux objets de la vie professionnelle une qualité esthétique qui va de pair avec
la valeur d’utilisation. Il mène également une réflexion de fond sur la cohérence
structurelle du produit.
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« Beauté France », quand la France découvre l’esthétique industrielle
1957 : Caméra Veronic Sem, Rogger Tallon, agence Technès
Fondée en 1955 en Allemagne, l’école d’Ulm reprend et dépasse les ambitions de
l’enseignement du Bauhaus, en développant une pensée rationaliste, qui trouve par
exemple son application dans la collaboration entre Hans Gugelot, enseignant de
l’école et la firme Braun. « Collaborateur scientifique neutre » et « coordinateur
critique », le designer ulmien cherche à donner à l’objet de série un rôle d’acteur
essentiel de la civilisation industrielle.
Exemple : Au japon, Sony s’impose sur le marché international grâce à des appareils
d’une grande qualité technique, d’une grande simplicité de ligne et de volume réduit.
Tandis que la société de consommation fait l’objet d’une remise en question radicale,
c’est la marginalité, musicale, vestimentaire, artistique qui donne le ton. Cet
anticonformisme s’exprime notamment dans la recherche d’un nouveau confort, avec
des meubles bas, au ras du sol ou encore le Sacco, une poche de Skaï remplie de billes
de polystyrène expansé, qui prend la forme du corps lorsqu’on s’y assied créé par les
designers italiens, Piero Gatti, Cesare Paolini et Franco Teodoro pour Zanotta.
Un nouvel art de vivre
1968 : siège Sacco, Gatti – Paolini – Teodoro
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Années 70, 80…
Le design industriel n’échappe pas à une remise en cause généralisée des effets
pervers de la société industrielle. Contre le fonctionnalisme froid, la
postmodernité remet sur le devant de la scène des valeurs oubliées :
historicisme, régionalisme, univers symbolique, voire sacré.
Après la grande rupture des années 60, commence l’ère de la postmodernité. Sur fond
d’énergies alternatives, de recyclage, d’autoconstruction, la contestation dénonce le
fonctionnalisme du design industriel, qui apparaît comme un alibi destiné avant tout à
faire vendre le produit. On voit alors émerger notamment en Italie, des approches
contestataires : antifonctionnalisme, antidesign, nouveau design….
Le « nouveau design » se lance dans des recherches comme celle qui unit production
artisanale et production industrielle de série.
Ainsi les créateurs Elisabeth Garouste et Mattia Bonetti imaginent une table rocher
composée d’un plateau triangulaire en tôle d’acier émaillée, parfaitement réalisable
industriellement, fichée par ses trois sommets dans trois rochers laissés bruts qui
constituent le piétement.
1983 : table basse - Pierre et feuille de métal
Elisabeth Garouste
Mathias Bonetti
En Italie, Andrea Branzi prône l’avènement d’un nouvel artisanat.
En France, l’éclectisme domine : tandis que Garouste et Bonetti évoluent vers le néobaroque, Philippe Starck, qui devient chef de file, développe une démarche globale,
tournée vers la production industrialisée. Elle embrasse tous les aspects du design
(produit, graphisme), mais également l’architecture intérieure et même l’architecture.
Les années laboratoire
1981 : chaise pour les salons Christian Lacroix,
Garouste et Bonetti
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1992 : tabouret – coffre "Bubu"
Philippe Starck pour les 3 Suisses
Relancé par la conquête spatiale, un nouvel aérodynamisme voit le jour. C’est le
retour des lignes courbes dans le design automobile, avec la Ford Sierra, en 1982,
ou la Vesta, modèle expérimental de Renault, ou encore avec le carénage profilé
des motos Honda et Suzuki.
Le phénomène affecte aussi les nouveaux trains à grande vitesse : le TGV
Atlantique dessiné par Roger Tallon retrouve le souffle du design américain dans
sa période héroïque de la fin des années 30. Ces recherches sur la courbe
aboutissent aussi au bio-design dont les formes fluides s’imposent dans
l’industrie automobile et gagnent, avec le travail de Luigi Colani, les appareils
photo (Canon) et peu à peu l’ensemble des objets de la vie domestique.
Nouvel aérodynamisme et bio-design
1994 : réfrigérateur O2, design intégré Zanussi, Roberto Pezzeta
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Réflexions à propos du statut de l'objet
Dans le cadre de cette réflexion autour de l’objet quotidien qui mélange sans
discrimination l’art et le design, il nous est apparu opportun d’évoquer brièvement
la place que l’objet occupe dans les principaux mouvements artistiques du XXième
siècle et de pointer dans l’exposition certaines filiations.
Préambule
Schématiquement, nous noterons qu’au même titre que se développe à la Renaissance
le portrait individuel, se mesure l’espace et se développe le rendu du volume, l’objet
conquiert son autonomie à travers « la nature morte ». Généreuses et sensuelles,
certaines natures mortes seront pour l’artiste l’occasion rêvée de faire montre de sa
virtuosité et sans doute de sa confiance en la vie ainsi qu’il apparaît dans l’œuvre du
bien nommé Breughel de Velours.
Jan Brueghel l'Ancien, Un vase de fleurs, 1608
D’autres personnalités, plus graves, méditeront la vanité de l’existence comme en
témoignent de manière saisissante et implacable ces fruits et légumes suspendus dans
ce rai de lumière devant ce rectangle obscur.
Juan Sanchez Cotan, Nature morte, vers 1600
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La simplicité méditative de la vitrine de Jasper Morrison (Cabinet A, 2006), un
designer anglais à la recherche de la quintessence de l’objet, n’est pas sans
évoquer la pureté géométrique des natures mortes du peintre italien Giorgio
Morandi
L’avènement de la photographie libérera les peintres du rendu de la nature et avec la
conquête de l’autonomie de la peinture s’amenuise l’intérêt pour la description de la
réalité.
A contrario les designers font un usage massif de la sérigraphie pour réinjecter la réalité
dans leurs œuvres. L’Atelier Blink, non sans une dose d’humour, choisit un étal de
marché aux puces comme motif imprimé d’un tapis en pure laine.
Le Cubisme
Dans la peinture de Braque et Picasso, représentants majeurs de ce mouvement, la
nature morte occupe une place de choix. Guéridons, chaises, guitares,
compotiers…autant de motifs quotidiens analysés sous « toutes leurs coutures » et dont
les plans successifs se développent en une diffraction de facettes sur la surface
rabattue du tableau. Fragmenté en formes géométriques, l’objet décomposé se fond
dans la continuité de l’espace et perd sa densité Dans cette première période dite
analytique ce qui prime avant tout c’est « la sensation d’un espace tactile en
mouvement ». Les objets ne sont que des motifs idéaux car familiers, des prétextes à
une analyse de la forme dans l’espace. Cette recherche rigoureuse débouche sur une
peinture assez froide et mentale. Aussi, dans la deuxième période dite synthétique, les
peintres (dés 1912) intègrent des fragments de la réalité : morceaux de journaux,
papiers peints, cannage… autant de « greffes de la réalité » qu’ils collent à même la
toile réaffirmant ainsi le réel. Ces surimpressions ne compromettent en rien l’harmonie
du tableau; ces matériaux bruts sont incorporés, prennent dans la composition valeur
d’un noir ou d’un aplat et dialoguent avec les parties peintes ou dessinées comme il
apparaît dans cette Nature morte de Picasso.
Picasso, Nature morte, 1912
Le sculpteur américain Artschwager s’inscrit dans la filiation des cubistes ; il fut
par ailleurs l’élève d’Amédée Ozenfant, l’instigateur, avec Le Corbusier, du
Purisme, un post-cubisme où l’artiste s’intéresse aux objets du quotidien.
Artschwager présente des pièces de mobilier fragmentées et développées sur la
surface et les angles d’un mur, interagissant ainsi avec l’espace qu’elles semblent
parfois décomposer et démultiplier. Au centre de la Splatter Table (1992), pliée
dans l’angle de la salle pont, est inséré une sorte de plat en métal qui réfléchit
l’espace et brouille encore plus efficacement nos repères.
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Le Futurisme
Les membres de ce mouvement artistique et littéraire condamnent le passé et la
tradition esthétique, exaltent l’énergie et la vitesse et s’enthousiasment pour la
« modernité » d’un univers citadin et mécanique : « La splendeur du monde s’est
enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec
son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive…une automobile
rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de
Samothrace. » (Marinetti, Manifeste du Futurisme publié en 1909 en Italie).
Ces artistes revendiquent une approche dynamique de la réalité. Pour eux, l’objet ne
peut plus être une donnée immobile, intrinsèque et isolée: une « nature morte » à
soumettre à l’autopsie. Ce n’est pas l’artiste qui impose à l’objet une métamorphose
dictée par des raisons formelles. L’objet observé n’est pas envisagé comme un prétexte
ou un symbole mais considéré comme un organisme participant de l’existant. Aussi, il
ne peut plus être inséré, ex abrupto, dans une structure « finie », mais il doit être
exprimé dans son prolongement dans l’espace. L’artiste ne doit pas en donner une
transcription statique, conventionnelle et irréelle. Ils conçoivent « la reconstruction
futuriste de l’univers » comme une activité existentielle totale, analogue et parallèle aux
phénomènes de la vie. Cette attitude d’ouverture de l’objet à l’environnement contient
les germes de l’intégration de l’œuvre d’art dans la vie et la participation du
spectateur. « C’est pourquoi, je prévois la fin du tableau et de la statue » écrivait
Severini.
Au niveau du traitement des sujets, ils constatent l’interpénétration de « l’animé » et de
« l’inanimé », l’observation des rapports des objets entre eux pris dans le rythme
dynamique universel. Ils s’attachent à rendre compte de cette énergie et ce
mouvement à travers le développement des phases successives d’une même attitude
ou d’une trajectoire comme il apparaît dans Dynamisme d’une automobile de Luigi
Russolo.
Lugui Russolo, Dynamisme d'une automobile, 1912-1913
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Le Dadaïsme
Dans une Europe ravagée par la guerre, ce mouvement subversif et provocant réunit
des artistes, des écrivains, des musiciens et des intellectuels cosmopolites réfractaires à
la guerre, au système culturel en place et aux valeurs et conventions communément
admises.
La fondation en 1916 du « Cabaret Voltaire » à Zurich par Hugo Ball donna à cette
avant-garde artistique un centre de ralliement et un théâtre où exprimer au travers
d’événements souvent révolutionnaires et bouffons, l’ « esprit dada ». Celui-ci prône le
principe de contradiction, le non-art, l’absurdité, l’intrusion du hasard, le non-sens, la
révolte…
Il revendique un art proche de la vie, dont il cherche à rendre compte du chaos, et la
liberté. Faisant table rase des formes d’art traditionnelles, les artistes empruntent à la
réalité ses matériaux qu’ils assemblent.
Le procédé du collage se prêtait remarquablement bien à l’élargissement du concept
traditionnel. L’assemblage de fragments de photos, d’objets insignifiants et pauvres, de
déchets et de débris, était dirigé contre le culte du génie et la sublimation esthétique de
la réalité ; il trouvait ses alliés dans la spontanéité et le hasard, le choc du banal et la
vitalité de l’anarchie.
En effet, ce procédé permet de manipuler la réalité et de manière déroutante d’associer
des fragments arbitraires empruntés aux domaines les plus divers.
Ils privilégient des éléments banals et quotidiens, des déchets récupérés dans la rue,
trouvés par hasard. Kurt Schwitters est le représentant le plus radical de cette pratique.
Dans ses constructions, les « Merz », il ne contraste plus des formes mais différents
débris ramassés dans les rues de Berlin ou Hanovre et avec lesquels il construit une
immense sculpture qui finira par occuper l’espace entier de sa maison. Il nomme celleci : Le Merzbau
Kurt Schwitters, Merzbau, 1923 - 1936
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Conciliant collage, sculpture et architecture elle constitue une sorte « d’œuvre d’art
totale ».
Cette « sculpture » close sur elle-même, s’éprouve comme une utopie, un système
parallèle à la réalité, mais comme elle imbrique des éléments issus de celle-ci, elle y
renvoie et abaisse la frontière conventionnelle entre l’art et la vie. L’idée d’être plus
proche de la vie détermine la situation de l’objet dans le dadaïsme.
Dada ne durera que quelques années mais ses remises en question influenceront
fondamentalement l’art et la pensée XXième.
Le duo zurichois Peter Fischli et David Weiss s’inscrit dans la démarche absurde et
ludique de Dada avec sa série photographique Equilibrium montrant des précaires
montages d’objets incongrus (1984-1986). Dans la vidéo Le cours des choses (Der Lauf
der Dinge, 1987), la débâcle minutieusement orchestrée des objets, dont les chutes et
les explosions créent des réactions en chaîne, semble prêter vie aux choses.
Le ready-made de Marcel Duchamp
En inventant dés 1913 le ready–made, ou le très célèbre urinoir, R.Mutt alias Marcel
Duchamp radicalise ces idées en élevant au rang « d’œuvre d’art » des objets
préfabriqués.
Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913-1914
Marcel Duchamp, Fontaine, 1917
Ceux-ci, par la simple volonté de l’artiste sont hissés sur le piédestal de l’art et sans la
moindre transformation matérielle de nature esthétique, arrachés à leur contexte banal
et exposés à un public désarçonné et perturbé dans ses attentes esthétiques. Le
processus créateur devient geste : la création de formes et de structures est remplacée
par le choix d’objets préfabriqués d’usage quotidien que l’artiste dépouille de leur
fonctionnalité et auxquels il confère une « aura » qui traditionnellement est réservée à la
création originale et unique de l’œuvre d’art. Énigmatique et insolite, le ready-made est
un « piège » qui incite le spectateur à réexaminer sa conception de la réalité et le
processus créateur. Le spectateur, dans sa rencontre avec le ready-made est sollicité et
contribue à travers sa participation réflexive à l’achèvement de l’oeuvre. Marcel
Duchamp considère que chacun peut être « artiste » et que l’art est indissociable de la
vie. Cette idée utopiste révolutionnera fondamentalement le monde de l’art et sera
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relayée par les mouvements avant-gardistes des années 70 qui placent l’initiative du
« regardeur » au centre de leur réflexion et remettent en cause nombre de fondements
traditionnels.
Notons aussi l’importance du titre donné au ready-made ; celui-ci, souvent humoristique,
ajoute à l’œuvre une dimension verbale et, nécessitant l’interprétation du spectateur, il
l’implique mentalement. Cette dimension littéraire interpellera les surréalistes qui, en ce
qui concerne l’objet, reconnaissent le tribut qu’ils doivent à Marcel Duchamp même si
leur approche plus onirique dépayse plutôt qu’elle ne conteste et provoque.
Ainsi, les designers Sofie Lachaert et Luc d’Hanis se réclament-ils de Marcel Duchamp
lorsqu’ils proposent Marcell (2004) où ils reprennent, en matière d’hommage, presque
littéralement, la cage et les cubes blancs de l’énigmatique Why not sneeze Rose
Sélavy? de 1921
Sofie Lachaert et Luc d’Hanis, "Marcel", 2004
Le plasticien français Mathieu Mercier, par ailleurs Prix Marcel Duchamp 2003, crée en
grillage métallique, une poétique cage à oiseaux (Sans titre, 2004) légère et cabossée,
qui, tel un nuage, flotte dans les airs. L’œuvre offre une tension entre l’aspect
accidentée du métal et la vulnérabilité des oiseaux vivants.
Art & Language sont les dignes héritiers de Marcel Duchamp, père spirituel du mouvement
conceptuel. Dans Sighs Trapped by Liars, on retrouve l’ironie et le questionnement sur la nature
de l’objet d’art. Le spectateur est confronté à une série de toiles assemblées de façon à composer
une table (ou un lit) et des chaises. Sur les toiles sont sérigraphiés différents textes émanant de la
revue Art-Language. Si on lit les textes, les toiles, meubles et couleurs s’effacent au profit du
propos intellectuel ; si on observe les toiles, les meubles, la couleur, on néglige les textes et
l’accès au concept de l’oeuvre n’est plus accessible. Par ce procédé humoristique et
herméneutique, Art & Language met en évidence le fait « qu’une oeuvre, n’est jamais, tout
entière, immédiatement présente à elle-même » et rappelle l’importance voire le primat du
discours sur l’oeuvre en tant que telle (critique acerbe de la « non transparence » de l’oeuvre d’art
et dès lors de l’obligation d’associer celle-ci au langage afin d’être comprise pleinement).
L’objet surréaliste
Poétique, magique, déroutant, l’objet surréaliste associe en des « affinités électives »
fragiles et hasardeuses le familier et l’inquiétant telle que le préconise Lautréamont
lorsqu’il propose « la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d’une machine à
coudre et d’un parapluie ». Dans le domaine de « l’objet inventé », fruit du rêve et de
l’imagination, la part belle est faîte à l’inconscient. Celui-ci émerge dans la troublante
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confrontation d’objets au caractère sexuel gênant que propose Alberto Giacometti, dans
son œuvre L’heure des traces (1930-31), une pessimiste métaphore de la rencontre
amoureuse. Plus aérienne mais toujours aussi énigmatique cette autre « mise en
scène » du même artiste trouble notre imaginaire (Le palais à 4 h du matin, 1933).
L’objet surréaliste subit parfois des métamorphoses. Ainsi dans La persistance de la
mémoire de Salvator Dali, les montres molles se liquéfient sous l’ardeur
Salvator Dali, La persistance de la mémoire, 1931
du soleil ou bien la tasse de Meret Oppenheim se couvre de poils hirsutes.
Meret Oppenheim , Le couvert en fourrure, 1936
Cette transformation de leur apparence familière amuse ou inquiète, mais toujours
féconde l’imagination.
Comme dans les rêves, les objets singuliers s’associent subtilement sans logique
apparente et, muets, proposent des énigmes, ouvrent des brèches sur le champ
mystérieux et infini de l’inconscient. Contrairement aux cubistes qui inspectent toujours
les mêmes objets familiers, le répertoire des surréalistes est vaste comme diverse et
particulière est la vie. En effet, les « tableaux-objets » des surréalistes renvoient à leur
auteur et donnent à voir (presque par effraction) l’émergence de leur inconscient.
Dimension mystérieuse et magique qui exerce sur le spectateur un sentiment
ensorcelant « d’inquiétante étrangeté » comme dans cette œuvre onirique de Max
Ernst : Deux enfants sont menacés par un rossignol.
Max Ernst, Deux enfants sont menacés par un rossignol, 1924
Dans le cadre de leur maîtrise, les aspirants designers de la classe de Sam Baron ont
été invités à imaginer des variations à partir d’un dôme en verre comme celui
qu’utilisaient nos grands-mères pour sauvegarder leurs reliques : bouquet de mariée,
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poupée ou figure de saint (This and That Collection, 2009). De fragiles coupoles de
verre sont ainsi habilement hybridées et transformées en dôme-extincteur, en dômevache, en dôme-guidon de vélo, etc. Ces libres associations rappellent les assemblages
hétéroclites de Pablo Picasso qui, à partir d’un guidon et d’une selle de vélo, crée la
Tête de Taureau.
Picasso, Tête de Taureau, 1932
Le Nouveau réalisme
Sous la houlette du critique d’art Pierre Restany, se réunissent une dizaine d’artistes
d’horizons et de talents divers qui signent le 27 octobre 1960 le manifeste du Nouveau
réalisme proposant « une nouvelle approche perceptive du réel ». Leur production très
variée se consacre à une véritable « rhétorique » de l’objet dont ils explorent toutes les
virtualités.
Nous retiendrons les accumulations d’Arman qui entassent des morceaux explosés
d’un objet ou des collections d’objets d’une même catégorie ;
Arman, Miaudulation de Fritance, 1962
les emballages de Christo qui camouflent des objets quotidiens
Christo, Empaquetage,1961
mais aussi spectaculairement des monuments entiers,
Christo, Le Reichtag Empaqueté, 1995
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les collages d’affiches lacérées de Jacques de la Villeglé, Hains et Rotella, qui
révèlent la poésie de l’espace urbain ;
Jacques de la Villegle, # 74 rue de Bretagne, 1979
les compressions de tôles, de voitures ou de ferrailles diverses que le sculpteur César,
avec l’aide d’une presse industrielle, réduit à l’état des blocs rectangulaires ; les
tableaux-pièges de Daniel Spoerri qui figent pour l’éternité les restes d’un repas dans
ses « natures mortes en relief », versions contemporaines des « vanités » ;
Daniel Spoerri, Prose Poems, 1959-1960
les nanas de Niki de Saint-Phalle ;
Niki de Saint-Phalle, Nanas, Hannover, 1973
les ludiques machines inutiles de Jean Tinguely
Jean Tinguely, Méta Harmonie IV, Fontamorgana, 1970
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les assemblages de Martial Raysse
Martial Raysse, Soudain l'été dernier, 1963
et, plus excentrique, la participation d’Yves Klein qui co-fonde le mouvement et poursuit
sa recherche personnelle de « dématérialisation de l’objet ».
Le mouvement qui se réclame de l’esprit « zéro » de Dada et de la veine critique de
Marcel Duchamp et réagit contre le formalisme abstrait, pratique le « recyclage
poétique ».
« Les nouveaux réalistes considèrent le Monde comme un Tableau, le Grand Œuvre
fondamental dont ils s’approprient des fragments dotés d’universelle signifiance. Ils nous
donnent à voir le réel dans des aspects de sa totalité expressive. Et par le truchement
de ces images spécifiques, c’est la réalité sociologique toute entière, le bien commun de
l’activité des hommes, la grande république de nos échanges sociaux, de notre
commerce en société qui est assigné à comparaître. », extrait de Pierre Restany, À 40°
au-dessus de Dada, préface au catalogue de l’exposition, Galerie J, 8 rue Montfaucon,
Paris, du 17 mai au 10 juin 1961.
Le Pop Art
« Populaire, éphémère, jetable, bon marché, produit en masse, spirituel, sexy, plein
d’astuces, fascinant et qui rapporte gros. » telle que la qualifie, non sans humour, le
peintre anglais Richard Hamilton, cette tendance populaire emprunte ses matériaux à la
culture de masse. Le terme est inventé à la fin des années cinquante par le critique d’art
Lawrence Alloway pour désigner le groupe anglais et sera repris par la branche
américaine.
Les années soixante, aux Etats-Unis comme en Europe consacrent le triomphe de la
société de consommation et le pouvoir médiatique des images publicitaires. Multiplié par
les affiches et reproduit en grande série l’objet envahit le champ du réel. S’appuyant sur
la culture populaire de leur époque et partageant souvent sa foi dans le pouvoir de
l’image, les artistes posent sur celle-ci, un regard paradoxal, souvent à mi-chemin entre
fascination et contestation. Promu au rang de vedette par cette société matérialiste,
l’objet est rarement utilisé tel quel par les artistes Pop ; il est agrandi, répliqué
mécaniquement, façonné en trompe l’œil, altéré…
Ainsi transformé, il peut inquiéter et révulser comme dans les « répliques » de mauvais
goût de Claes Oldenburg.
Claes Oldenburg, Floor Burger, 1962
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ou vertigineusement hypnotiser comme la série de visages de la star de cinéma
Elisabeth Taylor (Ten Lizes, 1963) qu’Andy Warhol, par procédé sérigraphique, multiplie
et « déréalise » dés 1962.
Andy Warhol, Ten Lizes, 1963
À travers cette forme de production mécanique, le concept d’authenticité et le statut de
l’artiste sont implicitement réévalués.
Le sculpteur américain Robert Therrien exploite la veine Pop avec ses empilements
d’assiettes et de casseroles (Sans titre, 1994 et Sans titre, 2008). Ses sculptures
respectent le matériau d’origine des objets quotidiens mais leurs proportions
gigantesques engendrent une œuvre spectaculaire qui déstabilise le spectateur et le
projette dans un conte de fée digne d’Alice au Pays des merveilles.
Mythologies personnelles
Développant les modalités précédemment abordées, les attitudes envisagées perdurent
aujourd’hui se développant sous des formes diverses et originales liées au contexte et
à la vie de l’artiste. Nous ne pouvons toutes les décliner, mais à titre d’information nous
noterons toutefois le travail d’Edward Kienholz et Christian Boltanski.
Edward Kienholz, Back Seat Dodge ‘38’, 1964
Christian Boltanski, Réserve, 1990
L’installation de Gert Robijns (Sans titre, 2009) témoigne d’un parcours personnel. Au
gré des hasards, l’artiste belge a récolté des cailloux et a lesté les poches d’une veste et
d’un pantalon de ces pierres chargées du poids des cheminements.
Dématérialisation de l’objet.
Au même titre que l’abandon de la peinture rétinienne au début du XXième siècle, la
réévaluation de l’objet fait partie de la démarche d’artistes qui, dès la fin de années
1950, veulent repenser son statut. L’art vidéo, la performance et l’art informatique sont
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des expressions de cette dématérialisation de l’art. Yves Klein « sculpte le feu et l’eau »
et « manipule les forces du vide » (Le manifeste de l’hôtel Chelsea, 1961). Son
expérience du vide (exposition Le vide pur et simple, 1958) est une expérience
cosmique.
Le dialogue sensible des œuvres du sculpteur belge Willy De Sauter (Sans titre, 2008)
avec leur environnement expérimente la dématérialisation du tableau par l’action de la
lumière dans l’espace. Reprenant la technique des panneaux des Primitifs flamands, De
Sauter polit des surfaces enduites de craie et de colle animale. Les couches de
préparation blanche réfléchissent la lumière et provoquent autant d’échos avec l’espace
ambiant.
Dans le contexte de la dématérialisation et de l’artificialisation croissante du matériau,
dés la fin des années 1950, les artistes mais aussi les designers seront amenés à
reconsidérer le statut de l’objet et notre rapport à la société de consommation.
Certains designers contemporains pratiquent la dématérialisation en critiquant la
production d’objets. L’« ex-designer » Martí Guixé remet en cause une société de
consommation outrancière et travaille davantage sur les concepts que sur les matériaux
et les formes. Avec sa série de chaises taguées Respect Cheap Furniture (2009)
réalisée avec des chaises de jardin bon marché achetées en Turquie, il offre une
nouvelle forme de Design adaptée à une société « ex-industrielle » plus soucieuse de
l’environnement. Le designer italien Martino Gamper produit des meubles de manière
libre et intuitive à partir de mobilier existant, souvent dans la rue même ou lors de
sessions filmées. Dans Stanze e Camere (2009), il recycle l’ameublement conçu en
1961 par Gio Ponti pour un hôtel de Sorrento.
Martí Guixé, Respect Cheap Furniture, 2009
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Objet ou œuvre ?
Selon le Vocabulaire esthétique d'Etienne Souriau, le mot objet renvoie à deux définitions
distinctes : un sens philosophique en opposition au sujet et un usage courant où il est
question d'une chose matérielle. Si ce dernier emploi est aujourd'hui le plus fréquent, il n'est
pas forcément le plus évident. Ce n'est qu'au XVIIIème siècle que le terme objet commence
à se référer dans l'usage général à une chose concrète.
Dans le domaine du champ artistique, l'objet recouvre plusieurs réalités. Les tableaux et les
sculptures sont bien des objets comme le rappelle Pierre Francastel : « un tableau se situe
dans notre entourage familier comme un meuble ; il se déplace, il se manie, il s'entretient, il
s'échange, il s'altère » (Francastel, 1956), mais c'est certainement avec Marcel Duchamp et
l'apparition du ready-made qu'il prend une nouvelle dimension et trouve une place
spécifique au sein des arts plastiques.
Pour autant l'objet artistique ne se limite pas au ready-made pas plus qu'il n'est circonscrit à
un champ artistique particulier. Les arts décoratifs créent et fabriquent des objets singuliers
depuis un long temps déjà. Au XXème siècle, la perméabilité des frontières entre les
différents domaines artistiques (arts plastiques, arts décoratifs, art de la scène entre autres)
impose une nouvelle définition de ce concept. En même temps qu'il désigne la chose créée
et fabriquée, le mot recouvre des pratiques et des pensées sinon opposées du moins très
différentes. Interroger l'objet, c'est interroger la multitude d'acteurs, de situations et de
concepts qui s'entrecroisent, interfèrent, s'agrègent et quelquefois se contredisent.
Industriel, artisan, artiste-décorateur, ensemblier, designer ou encore artiste, la liste est
longue des personnes qui travaillent autour de cette notion.
Bref, l'objet est bien plus qu’un serviteur muet et anonyme qui meuble notre quotidien….
L’exposition « Le Fabuleux Destin du quotidien » invite à découvrir le potentiel d'expression
offert par son caractère concret, matériel, poétique quand il est abordé d'un point de vue
artistique. Au moyen de questions ouvertes, les visiteurs se familiariseront à différents types
d'expériences auxquelles nous confronte l'objet, de sa conception à un possible
détournement (fabrication, transformation, exposition, représentation, reproduction). Cette
démarche permet aux enseignants d’amener leurs élèves à : prendre conscience que les
objets de notre quotidien peuvent porter une dimension esthétique ; construire une réflexion
sur la place de l’objet dans la société de consommation et sur le développement durable ; à
développer leur créativité.
Comment déterminer la frontière entre arts plastiques et arts appliqués ? De toute évidence,
elle est brouillée. Si l'on considère que l'utilité de l'objet fera la différence, on se heurte à des
dizaines d'exemples qui nous renvoient au point de départ. Jeff Koons met des objets en
vitrine, ils perdent leur utilisation et s'exposent dans des musées, la forme du presse citron
de Philippe Starck est sculpturale et enfin le siège des frères Campana est inutilisable !
Philippe Starck, Presse-fruit, 1987
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La médiation comme passerelle entre art et design
La médiation se définit comme l’ensemble des actions permettant la mise en relation
des œuvres de l’art et de la culture avec des publics. Cette approche aide à construire le
regard ou l’écoute, qui n’ont rien d’inné. Elle a été pensée comme mode de rencontre
entre des œuvres d’art et un public.
En effet, pour décoder une œuvre, une compréhension et des clés de lecture constituent
des pré-requis nécessaires. Tant pour resituer chaque œuvre dans une tradition, dans
un contexte, d’en saisir la technique que pour apprécier la maîtrise de l’artiste, etc. La
médiation construit une relation entre l’œuvre et le public en fabriquant un récit qui
s’inspire au plus près des véritables problèmes que l’artiste s’est posés quand il a
réalisé son œuvre. Ce qui est intéressant, c’est de découvrir la démarche par laquelle
l’artiste a posé son point de vue, a établi la vérité qui est la sienne. A partir des récits qui
structurent les œuvres, le visiteur peut et même se doit d’élaborer son propre
cheminement, suivre sa propre déambulation. Et donc de se rendre capable
d’argumenter sur le plaisir ou le déplaisir qu’il éprouve à regarder ces œuvres !
Mais on peut s’interroger sur ce que devient le médiateur et sur ce qu’est l’acte de
médiation lorsque l’objet vers lequel le médiateur conduit le public s’inscrit dans la vie
quotidienne, tel qu’une chaise (sculpture de Raphaël Buedts), une baignoire gelée
(création du designer Wieki Somers) ou une djellaba signée Nike (François Curlet)…
quand les frontières entre œuvre d’art et objet de design ont été volontairement
brouillées comme dans l’exposition « Le Fabuleux Destin du quotidien ».
Dans l’exposition « Le Fabuleux Destin du quotidien », qui rapproche des œuvres d’art
contemporain et objets de design, on propose aux visiteurs de parcourir le cheminement
qui fut celui de l’artiste, de l’auteur, du designer. C’est ce cheminement qui intéressera
le public en le plaçant ainsi au cœur même de ce qu’est le processus de création. Loin
de travailler sur le résultat (ce qui est la démarche la plus habituelle de l’enseignement)
on travaillera sur le processus.
Les œuvres ne seront pas seulement perçues comme des outils d’information mais
servent surtout du fait de leur présentation dans un lieu spécifique comme le musée, à
fabriquer de la communauté entre les gens. L’œuvre d’art permet donc à chacun de se
représenter en tant qu’appartenant à une communauté, de dialoguer et de confronter
des idées. Les médiateurs sont des interprètes. L’exposition est une mise en scène.
Alors que l’œuvre d’art est si éloignée qu’il revient au médiateur de la rapprocher du
public, l’objet de design est trop proche de son usager. Il faut donc lui enlever son usage
pour le mettre à distance et faire apparaître en elle ce qui en fait le sens ; non pas le
sens de son usage immédiat mais le sens qu’il prend quand on le regarde comme un
tableau, une sculpture. Il faut lui retirer sa valeur d’usage, lui gommer sa fonction pour le
considérer comme une valeur symbolique et poétique, nous éclairant sur ce qu’il dit de
son créateur et de son usager.
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Les musées d’objets (arts décoratifs, écomusées, musées techniques…) ont toujours eu
du mal à faire reconnaître leurs collections comme dignes d’intérêt auprès des
conservateurs de musées d’art qui tiennent souvent les commissions d’achat des
collections publiques. Mais si l’on regarde les musées archéologiques, n’a-t-on pas sous
les yeux des objets de design simplement déplacés dans le temps, rendus «beaux» par
leur simple éloignement temporel ? Un vase grec n’acquiert-il de la valeur que parce
qu’il date du 5è siècle avant Jésus-Christ ?
L’objet de design n’est-il alors pas à considérer dans la difficulté que nous avons
toujours pour appréhender ce qui est contemporain, comme on l’a pour l’art
contemporain ? N’a-t-on pas d’autre solution pour le rendre regardable que de l’inclure
dans un patrimoine ? La question de la compréhension du contemporain n’est-elle pas
au cœur de notre regard sur les objets de design, en ce que nous n’avons pas encore
les interprétations qui en sont données par les critiques, historiens, épaisseurs de
discours qui mettent à l’écart, distancient, fabriquent du discours sur lequel on peut
s’appuyer pour comprendre ?
Cette exposition et les visites qui y sont associées suscitent l’interrogation et le débat,
contrarient l’imposition de vérités et de valeurs toutes faites.
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Différents types de visites guidées
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Animation pour les maternelles : Les contes pour enfants
Nous vous proposons d'emmener vos petits élèves en promenade au Musée.
Cette activité ludique et créative leur donnera l'occasion de découvrir autrement et
activement ce monde sans doute encore inconnu. Les animatrices, munies d'un "panier
aux surprises", guident les jeunes enfants dans les salles d’exposition afin de les
sensibiliser à certains objets exposés. Les objets contenus dans ce mystérieux panier
(pot de confiture, réveil, livre d'images etc...) évoquent de manière significative certains
aspects des œuvres exposées, tels que formes, couleurs, matières...
Cette balade-découverte s'achève par un atelier actif inspiré par l'une des pièces
exposées : le tapis "Brocante de salon".
"Une fois, il y a bien longtemps...", "Un jour, c'était au beau milieu de l'hiver...", "Il y avait
autrefois...", "Jadis..."... Que de promesses d’histoires à venir, que de voyages
imaginaires et de fraîcheur dans ces quelques formules consacrées ! Le sablier est
retourné. La pendule des temps passés tourne à l'envers ; nous voilà projetés dans un
autre univers, celui des contes de fées, des fables et des légendes. Cendrillon, Barbe
Bleue, la Belle au Bois Dormant, le Petit Chaperon Rouge, Peau d'Âne... Ils sont tous là,
ces personnages qui nous ont fait frissonner, rêver ou pleurer ; ils sont là en nos
mémoires comme s’ils avaient vraiment existé. C'est toute une imagerie qui resurgit à la
simple évocation de leurs noms. Et c'est en enfant émerveillé, en adulte attendri, que
l'on aborde cette exposition : «Le Fabuleux Destin du quotidien »
Nous proposons, au travers d’extraits de contes bien connus et d’histoires (livres, BD,
supports visuels et audio-visuels) de sensibiliser les jeunes enfants aux objets exposés
(œuvres d’arts et pièces de design) et d’ « ouvrir », de susciter l’imaginaire afin de
d’éveiller des points de départ à des réalisations et des créations personnelles et
collectives.
Pendant la visite de l’exposition, les enfants auront l'occasion de laisser leur esprit
voguer sur les eaux de l'imaginaire. Ainsi cette promenade se déroule-t-elle comme une
comptine qu'on murmure à l'oreille pour découvrir des œuvres et des objets curieux.
C'est magique ! Malicieux. Au cours de ce parcours poétique, un autre monde se
dévoile peu à peu…
Brocante de salon à partir de l'œuvre des designer de l'Atelier Blink
Lecture de l’histoire : « La table, les trois chaises et le petit tabouret » de Jean-Louis
Sbille et Dominique Maes. Cette histoire est destinée à créer un contexte imaginaire en
appui de l’activité pédagogique proposée
Résumé : Il était une fois une table‚ trois chaises et un petit tabouret qui menaient la
belle vie dans une chambre d'enfants. Quand les enfants grandirent‚ ils furent donnés à
d'autres enfants. Encore une fois‚ ils participèrent à leurs jeux‚ devenant bateaux‚
vaisseaux spatiaux‚ château fort… Puis ces enfants là grandirent eux aussi. Un beau
jour‚ la maison fut vidée‚ puis abattue. Les petits meubles échouèrent à la décharge.
Leur vie était-elle finie ?
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Activité pédagogique destinée aux classes maternelles dans le cadre de l’exposition
« Le fabuleux destin du quotidien » visible au MAC’S, Grand-Hornu
Objectifs :
- Par la découverte de l’œuvre « Brocante de salon » des designers : Atelier Blink.
Les enfants sont amenés à verbaliser leurs observations, leur surprise et/ou leur
intérêt.
- Les enfants sont invités à évoquer les noms, les formes, les matières des objets
reconnus sur le tapis (enrichissement du vocabulaire) et à les situer les uns par
rapport aux autres (à droite de, à gauche de…) et dans l’espace plan du tapis (en
dehors, dans, dans le coin, au centre, tout en bas…)
- Cet exercice doit amener les enfants à s’approprier (ou se réapproprier) l’univers
d’une œuvre et à l’intégrer dans leur propre univers par le biais du langage ; ce
qui contribue à renforcer la conscience de soi par rapport à l’objet reconnu mais
cependant insolite car présenté dans un contexte différent de celui de la maison
et de la classe.
- L’activité créative doit permettre aux enfants de recréer le modèle exposé en
respectant la vision personnelle de chacun de la mise en scène d’éléments
disparates concourant à une composition cohérente qui leur appartiendra.
Activités proposées (au choix) :
a) Les enfants vont choisir un objet qui leur plaît dans la malle aux trésors mise à
leur disposition par l’animatrice. Cette malle contient toutes sortes d’objets
hétéroclites (pièces de dînette, poupées, petits vases, vieux jouets… Bref ce
qu’on peut trouver sur des tapis de brocante).
• Avec l’aide de l’animatrice et de l’institutrice, les enfants recomposent un
tapis de brocante collectif dont les éléments peuvent être déplacés,
associés ou dissociés pour produire des effets différents (impression
d’ordre ou de chaos)
• Cette composition sera photographiée entourée de ses petits créateurs.
• Autre version : chaque enfant compose son petit tapis de brocante (ce qui
implique que la malle ait suffisamment d’objets à offrir). Les petits tapis
sont photographiés individuellement avec leur brocanteur. Toutes les
photos sont ensuite assemblées en une fresque ou un seul tapis à exposer
en classe.
b) Les enfants reçoivent une feuille A4 de papier fort ou de carton léger et de la
colle blanche.
• Avec l’aide des animatrices et institutrices, des photos de jouets sont
découpées dans des catalogues mis à disposition des enfants.
• Les enfants composent ensuite leur tapis d’images selon leur fantaisie.
• Ces tapis seront plastifiés et pourront servir de sets de table pour les
enfants ou être exposés en classe.
33
Animation pour le niveau primaire : Tiroirs à mémoire à partir de Téjo Rémy
Tous ces tiroirs empilés les uns sur les autres sont en bois recyclé et sont retenus par
une sangle de déménageurs.
Le designer néerlandais Téjo Rémy qui fait partie de l’association de designers Droog
Design s’est inspiré du roman Robinson Crusoe pour créer ce meuble fait à partir de
vieux tiroirs dont plus personne ne voulait.
«Je me suis toujours demandé ce qu’on pouvait fabriquer d’autre que ce qui existait
déjà, confie-t-il. Je crois plus que jamais en l’idée qu’il est possible de créer son propre
paradis chez soi avec ce qui nous est directement accessible.»
Ce meuble chaotique est à contre courant de la création des années 90, des capacités
de la production industrielle. C’est cela qui fait son originalité.
Elle-même objet, la boîte, conçue pour contenir, protéger, ranger d’autres objets, peut
nous charmer autant par le mystère de ce qu’elle cache que par son aspect. Avouonsle, nous avons tous cédé à la tentation de collectionner des boîtes mêmes vides pour le
plaisir de les aligner, de les contempler, de les manipuler.
Espace secret et intime, ce meuble constellé de tiroirs-boîtes s’offre à notre curiosité.
Perçons-en les mystères. Imaginons et tissons au fil de nos découvertes l’histoire
fantasmagorique de son propriétaire. Les objets, extraits du quotidien, associés de
34
manière arbitraire et aléatoire aux tiroirs construiront son histoire, sa vie dans un récit
improvisé.
Poésie et imagination seront mises à contribution pour cette animation interactive
qui se construit de façon spontanée en fonction des choix et des réactions des
enfants.
Objectifs
Durant la visite guidée :
Attention, observation, mémorisation des objets.
Les enfants sont invités à s'exprimer sur les objets qui les attirent : travail de
verbalisation et d'imagination à partir de leur sensibilité (subjectivité).
Après la visite :
Travail des 5 sens : l'exposition permet au travers des œuvres présentées une
expérience sensorielle particulière.
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Animation pour le niveau secondaire : Art ou design ?
Une armoire découpée, un vase de cire fabriqué par
des abeilles, une table et des chaises faites de toiles,
…. Les objets présentés dans Le Fabuleux Destin
du quotidien nous interrogent, nous questionnent.
Si cette table est faite avec un châssis de tableau,
est-elle utilisable ? Ce vase de cire peut-il contenir
des fleurs ? Et cette garde de robe découpée,
comment y mettre des vêtements ?
Toutes ces questions amènent à la grande réflexion
de cette exposition : est-ce de l’art ou du design ?
Après une visite commentée des créations, chaque
élève sera invité à réfléchir sur ce propos. Une
question simple, un dessin, quelques mots voilà qui
devrait donner non pas une opinion, mais un débat
riche en idées.
Cette activité se conçoit comme une première
initiation au questionnement et plutôt que de fournir
des réponses toutes faites, elle débouche sur un
dialogue pour jongler avec les idées et regarder audelà des apparences.
Art portable….
S’interroger sur le sens des choses n’attend ni une seule solution, ni une bonne
réponse, ni une réponse factuelle, pas plus que technique ou scientifique. Cette
animation est un outil de réflexion pour amener à se poser des questions, à
débattre en classe, en atelier philo ou à la maison.
Le débat débute par une question ou une affirmation universelle, il se nourrit des
interventions des élèves (du général au particulier, du particulier au général). L’idéal est
de conclure (si on peut conclure un débat philosophique !) sur une pensée universelle.
On peut aussi partir d’une question sur un fait particulier et montrer que cette
interrogation a une dimension universelle.
Sans développer ni expliciter les concepts d’art et de design de manière restrictive, les
animateurs alimentent le débat de nombreuses notions qui débouchent à chaque fois
sur plusieurs alternatives.
L’animateur guide, accompagne, aide à reformuler, à relier les idées, à synthétiser.
Il s’agit avant tout d’aider les élèves à initier une véritable réflexion, à exprimer leur
pensée et à identifier les sources de leurs représentations. Le débat met en scène une
réflexion individuelle et collective. Il a une dimension réflexive (Pourquoi je pense cela?),
une dimension herméneutique (déchiffrer et interpréter des phénomènes du monde) et
une dimension pédagogique (se confronter à l’autre et à ses idées).
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Objectifs : Questionnements philosophiques, esthétiques, éthiques.
-
Une création est ce qui est « beau ».
Une création est unique.
Une création est « faite à la main ».
Une création a de la valeur.
Une création a un créateur.
Une création est « ce qui est dans un musée ».
Une création est un luxe, elle est inutile.
Une création est une représentation du monde.
Une création doit-elle imiter la réalité pour être belle ?
Une création doit-elle toujours être belle ?
Un créateur sait-il toujours ce qu’il veut dire lorsqu’il crée ?
Les créateurs veulent-ils toujours dire quelque chose ?
As-tu le droit d’interpréter et de comprendre autre chose que ce qu’a voulu dire le
créateur ?
Un ingénieur est-il un créateur lorsqu’il invente des machines ?
Les créateurs ont-ils beaucoup d’imagination ou perçoivent-ils le monde
différemment de nous ?
Peut-on être un créateur sans créer ?
Un créateur doit-il aussi créer ce qui risque de choquer ?
L’art est-il toujours obligé d’être sérieux et profond ?
L’art sert-il plutôt à inventer la réalité ou à lui donner un sens ?
Un objet a-t-il toujours une fonction, doit-il « servir » à quelque chose ?
Une création doit-elle être conçue pour l’éternité ?
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Notices biographiques des artistes
présentés dans l'exposition
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Art & Language
Collectif anglais fondé en 1968 par Terry Atkinson, Michael Baldwin, David Bainbridge et
Harold Hurrell.
ART & LANGUAGE est le nom d’un groupe d’artistes ainsi que celui d’une revue fondée en
1969. Tenants de l’art conceptuel et influencés par les sciences humaines, la politique, la
philosophie, etc. ils réfléchissent sur le sens critique qui anime toute production artistique.
Selon leurs préceptes, la pensée prévaut sur l’objet. Analytiques vis-à-vis de leur travail, ils
brocardent l’art de leurs prédécesseurs sur le mode de l’ironie et du contre-pied. En
parodiant les styles et en détournant les procédés ou les techniques, ils posent le problème
de la production et de l’exposition de l’art.
L’installation Sighs Trapped by Liars (littéralement « Soupirs attrapés par des menteurs »)
est un meuble (lit ? table ? et 4 chaises), construit avec des surfaces de couleurs vives
cachant chacune deux pages d’un livre ouvert dont les textes, extraits de la revue « ArtLanguage », sont plus ou moins lisibles. Le spectateur est confronté à ce qu’il voit et ne voit
pas : une œuvre d’art qui pose des questions sur l’art, comme une énigme.
Richard Artschwager
Né en 1923 aux États-Unis. Vit et travaille à New York.
Peintre, sculpteur, photographe, concepteur de mobilier et dessinateur, Richard
Artschwager est un artiste inclassable. L’objet déstructuré est un sujet majeur de sa
création. Dénué de toute fonctionnalité, Splatter Table consiste par exemple en des formes
géométriques éclatées et joue sur l’antagonisme, au cœur de la démarche de l’artiste, entre
un matériau naturel (le bois) et un matériau synthétique (le formica). Artschwager
s’intéresse à l’ambivalence de la relation image/matériau : « c’est une image de quelque
chose en même temps qu’un objet… ».
Atelier Blink
Atelier créé en 2006 à Bruxelles par Émilie Lecouturier et Céline Poncelet.
L’Atelier Blink se présente comme un « producteur d’idées nouvelles en matière de design
de produits et d’architecture d’intérieur » dont l’objectif est de penser différemment le réel.
De la conception à la réalisation, leurs projets sont traités en étroite collaboration avec
graphistes, architectes, photographes, etc.
Brocante de salon – tapis en laine imprimé d’un décor noir et blanc d’étalage de vaisselle
au marché aux puces – joue avec l’art du trompe-l’œil. Moelleux et doux, il donne pourtant à
voir des objets froids et fragiles (sur lesquels l’on peut toutefois marcher sans danger). En
2008, L’Atelier Blink a reçu pour cette pièce le label « Henry van de Velde », décerné par
Design Vlaanderen
Dinie Besems
Née en 1966 aux Pays-Bas. Vit et travaille à Amsterdam.
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Designer de bijoux, Dinie Besems s’intéresse à la méthodologie numérique qui permet la
répétition et l’agrandissement des formes. Les bijoux ont pour elle une valeur potentielle, ce
sont des moyens de communication. Puisqu’il dégage de la poussière et laisse une trace
sur les vêtements des personnes qui le portent ou qui l’approchent, le collier en craie Chalk
Chain est un parfait exemple de sa démarche qui interroge et réinterprète la signification du
bijou et la relation qui se tisse entre son appropriation personnelle et sa valeur sociale.
Bram Boo
Né en 1971 en Belgique.
Designer autodidacte, Bram Boo est le fils du peintre belge Bram Bogart.
La dérision affichée de son mobilier est née d’une réflexion entre art, architecture et design.
Les lignes de force parfois extrêmes qui caractérisent ses meubles peuvent engendrer
plusieurs utilisations possibles. Si la forme est issue de la fonction, c’est à l’usager de définir
ce à quoi il destine son meuble. Sa démarche de création s’élabore autour d’un
questionnement sur l’usage de l’objet au quotidien, sur sa fonctionnalité et sa flexibilité. Le
bois est devenu, au fil de ses créations, son matériau fétiche et sa marque de fabrique.
Bram Boo renverse les règles du design contemporain afin de créer de nouvelles émotions
et de provoquer l’étonnement chez le spectateur.
Desk Overdose (bureau « overdose ») propose, par un agencement désordonné d’unités
de stockage, une pléthore de rangements possibles.
Andrea Branzi
Né en 1938 en Italie. Vit et travaille à Milan.
Andrea Branzi a suivi une formation d’architecte à Florence. Entre 1964 et 1974, il fait partie
du groupe d’avant-garde Archizoom. Il est l’un des co-fondateurs de la Domus Academy,
célèbre école internationale de design de Milan. Dans les années 80, il fait partie du groupe
Memphis fondé par Ettore Sottsass. Créateur, designer, architecte, mais également auteur
de nombreux ouvrages sur l’histoire et la théorie du design, il a reçu en 1987 le prestigieux
« Compasso d’Oro » en récompense de ses contributions dans le domaine du design.
Actuellement, il est professeur et président du département « Design et intérieur » de la
faculté Polytechnique à Milan.
Service Silver and Wood est un service à thé de six pièces en argent massif et bouleau.
Traitées avec les techniques les plus simples, les créations en argent et bois d’Andrea
Branzi font souvent référence à des formes archétypales voire primitives. D’aspect
sculptural, l’ensemble, empreint de naturalisme, confond, tout en modestie, matériaux
précieux et brut.
Raphaël Buedts
Né en 1946 et décédé en 2009 en Belgique.
Sculpteur, peintre et dessinateur, Raphaël Buedts a une formation d’architecte d’intérieur.
Du début des années 70 jusqu’au milieu des années 80, il réalise des meubles au caractère
sculptural et poétique où la fonctionnalité devient de moins en moins importante. Ses
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« objets mobiliers » sont des pièces brutes, rudimentaires, offrant une fonctionnalité rebelle.
Au fur et à mesure, il abandonne la conception de meubles pour se concentrer sur la
sculpture. Il privilégie le bois mais utilise aussi du tissu, du plomb, de la brique, de la pierre
ou même des coquillages. S’il intervient de façon minimale sur la matière, il utilise aussi un
langage de signes complémentaires.
Paysage prend ainsi l’apparence d’un tabouret recouvert partiellement de plâtre, d’encre de
chine et d’acrylique mais laisse entrevoir encore par endroits l’écorce du bois à peine
dégrossi. Buedts « sculpte des coupures, des égratignures pour fractionner la matière et en
révéler l’âme ».
Raphaël Charles
Né en 1979 en Belgique.
Après des études en architecture, Raphaël Charles se dirige vers le design. En
expérimentant les matériaux, il conçoit des objets poétiques toutefois non dénués de
fonction. Son tapis, intitulé 20/30, est à la frontière entre design et intervention plastique. Il
impose une présence plastique forte, tel un sac de pépites déversées à même le sol. La
mention « 20/30 » fait référence à un calibre de charbon. Le tapis a l’air d’être composé de
combustibles fossiles rugueux mais est en réalité composé d’éléments en mousse
confortables. Intrigante et non dénuée d’ironie, cette pièce repose ainsi sur un
bouleversement sensoriel entre ce qui est reconnu et ce qui est réellement perçu.
Lynne Cohen
Née en 1944 aux États-Unis. Vit et travaille au Canada.
Dès les années 70, Lynne Cohen photographie, sans mise en scène, des vues d’intérieur
marquées par l’absence de tout individu : des salons, des bureaux, des clubs, des salles de
réunion,… Le soin apporté par l’artiste à la composition et à la précision technique de la
prise de vue confère à ces photographies une acuité et une clarté qui captent chaque détail.
Pour parachever son travail, elle les encadre dans du formica, dont la couleur et la texture
font écho à des éléments particuliers dans l’image. L’usage du grand format invite le
spectateur à interpréter à sa façon ces espaces délaissés mais néanmoins habités d'une
présence humaine latente.
François Curlet
Né en 1967 en France. Vit actuellement entre Bruxelles et Paris.
Actif depuis une vingtaine d'années, François Curlet développe une œuvre protéiforme dont
la démarche singulière résiste à toute forme de classification. S’appropriant tant des
éléments du réel que des modes de signification, des stratégies économiques et
publicitaires et des démarches artistiques, ce « génie-farceur », avec notre connivence,
mixe et « rejoue » ces sources d'inspiration sur le mode du détournement pour dénoncer les
absurdités et incongruités du réel.
À la manière des ready-made, l’artiste n’hésite pas à recycler des objets courants de notre
quotidien qu’il réinterprète pour nous déconcerter et nous questionner ; comme dans
41
Djellaba Nike où il ajoute le sigle de la marque « Nike » sur une traditionnelle djellaba,
télescopant ainsi deux univers à priori antagonistes.
Goele De Bruyn
Née en 1963 en Belgique.
Depuis une dizaine d’années, Goele De Bruyn fabrique des simulacres d’objets quotidiens à
partir de matériaux banals qui contrastent avec la matière première de l’objet : vêtements
pour enfants réalisés à base de serpillières, petits bonbons en papier mâché, bavoirs en
savon, … Ces installations, comprenant des dessins, des peintures et des sculptures, font
souvent référence à l’enfance (et aux angoisses qui y sont liées) et produisent chez le
spectateur un sentiment d’inquiétude.
Poursuivant ces notions d’innocence et de purification, elle a collecté, entre 1998 et 2009,
les restes de savons de quarante artistes. Assemblés en fonction de leur couleur et de leur
forme, ces savons, telle une mosaïque incomplète, forment l’installation Les Mains sales.
Willy De Sauter
Né en 1938 en Belgique. Vit et travaille à Tielt.
C’est en observant et en analysant avec attention l’architecture environnante que Willy De
Sauter trouve les formes, les lignes et les volumes qu’il isole et développe afin de créer une
nouvelle réalité. Dans ses oeuvres (tableaux, sculptures et installations) principalement
monochromes (blanc ou noir), il questionne les rapports oeuvre/espace mais apporte aussi
une réflexion sur la peinture. Ainsi, dans l’installation Sans titre (2008), il agence de grands
panneaux de bois sur des tables rappelant l’imbrication de bâtiments dans une ville et
propose un travail tout en finesse sur la lumière en appliquant sur le bois différentes
couches de craie et de colle jusqu’à ce que la surface polie puisse refléter la couleur et les
ombres de l’espace environnant. Par ailleurs, ce traitement
soigneux rappelle
indéniablement la couche de préparation blanche que déposaient les primitifs flamands sur
la toile afin de permettre à la lumière d’émaner du fond du tableau à travers les couches de
peinture à l’huile. Austère et douce à la fois, l’oeuvre de Willy De Sauter n’est d’autre part
pas sans rappeler le travail des artistes minimalistes.
Wim Delvoye
Né en 1965 en Belgique. Vit et travaille à Gand et à New York.
Particulièrement connu pour son installation Cloaca (2000), une impressionnante « machine
à caca » proche du laboratoire scientifique, Wim Delvoye s’intéresse à la banalité, à la
trivialité. De façon habile et insidieuse, il prend plaisir à détourner des objets de la culture
populaire et à utiliser des images existantes afin de faire surgir une réflexion sur l’homme
d’aujourd’hui. Citons par exemple ses carrelages réalisés à partir de photographies de
charcuterie, ses cochons tatoués ou encore ses radiographies de baisers ou d’actes
sexuels. Ainsi, « haute culture » et « basse culture », bon goût et mauvais goût se
confondent imperceptiblement dans son œuvre comme dans l’installation présentée dans
l’exposition « Le Fabuleux Destin du quotidien » composée de pelles sur lesquelles sont
42
peints des blasons et d’une bétonneuse en bois réalisée en Indonésie dans un faux style
baroque. Par ce procédé d’hybridation, Wim Delvoye opère un mélange entre fabrications
industrielle et artisanale.
Hubert Duprat
Né en 1957 en France. Vit et travaille dans l’Hérault.
Les Tubes de larves aquatiques qu’Hubert Duprat réalise dès 1980 sont dignes d’un
travail d’orfèvre. Ces petits objets précieux ne sont pourtant pas l’œuvre de la seule main
de l’homme. La phrygane, insecte de l’ordre des trichoptères ressemblant à un papillon de
nuit, s’échine au fond des rivières à confectionner un étui de quelques centimètres dans
lequel elle loge durant sa vie larvaire. La construction protectrice est faite de sable, de petits
graviers, de brindilles, de coquilles de planorbes ou autres escargots aquatiques. Hubert
Duprat a substitué à ces pauvres matériaux des paillettes d’or, des éclats de turquoises ou
d’opales, des lapis-lazuli, des rubis, des saphirs ou des perles baroques.
Il met ici en évidence les notions de distanciation de l’artiste à l’œuvre et de métamorphose.
Les recherches photographiques qu’il développe à la même époque, procèdent d’une
préoccupation semblable : expérimenter des phénomènes de mise en forme tant naturels
qu’artificiels.
Lionel Estève
Né en 1967 en France. Vit et travaille à Bruxelles.
Lionel Estève joue avec l’espace, la couleur et la perception sensorielle dans des
réalisations aussi discrètes que fragiles, souvent inspirées par la nature. Chacune de ses
sculptures peut se définir comme un dessin spatial où les couleurs circulent. Prenant des
formes variées et faisant penser à des fioles d’alchimistes, des urnes, des vases ou à
d’autres récipients, les trois flacons de Sculpture about Space, constitués de verre et de
peinture, sont percés d’un oculus à travers lequel le spectateur est convié à observer une
réalité infinie, un monde onirique, psychédélique.
Fabrica Team
Créé en 1994, Fabrica est le centre de recherche de Benetton sur la communication, situé à
Trévise.
Fabrica n’est ni une école ni une agence de publicité mais un laboratoire de création
appliquée. Son défi est celui de l’innovation et de l’internationalisation, animé par le souci de
conjuguer culture et industrie par le biais de la communication et cela, non pas uniquement
via les formes publicitaires habituelles, mais par d’autres moyens que sont le design, la
musique, le cinéma, la photographie, l’édition et internet. Fabrica a décidé de parier sur la
créativité de jeunes artistes-expérimentateurs du monde entier invités, après une sélection
rigoureuse, à réaliser des projets de communication concrets, sous la direction artistique
d’experts dans les différents secteurs et disciplines.
This & That est une collection de dix cloches en verre réalisée par les jeunes designers de
Fabrica, d’après une idée originale du designer Tak Cheung. Produites par « Secondome »,
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ces pièces associent des objets de la vie quotidienne (un guidon de vélo, un ballon, un
extincteur, un marteau, une bouteille en plastique, …) à la beauté raffinée du verre soufflé.
Peter Fischli & David Weiss
Peter Fischli est né en 1952 et David Weiss en 1946, en Suisse.
Formant un duo atypique héritier de Dada, Fischli & Weiss proposent une oeuvre riche et
multiple évoquant avec humour la banalité, le quotidien, le monde qui nous entoure. Ils
utilisent des supports artistiques variés allant de la sculpture à la photographie en passant
par le film, l’installation vidéo ou encore la sculpture et le livre illustré. La vidéo Der Lauf der
Dinge réalisée en 1987, sans doute leur travail le plus connu, montre la réaction en chaîne
de différents objets (chutes, déroulements de ficelles, réactions chimiques) placés les uns à
la suite des autres. Équilibre, série de 82 photos noir et blanc et couleur créée entre 1984
et 1986, nous présente d’hétéroclites échafaudages d’objets quotidiens à l’équilibre instable.
Ces photographies témoignent de l’importance de la dimension du plaisir et de
l’expérimentation dans leur démarche.
De manière décalée, leurs créations révèlent une certaine poésie du quotidien.
Michel François
Né en 1956 en Belgique. Vit et travaille à Bruxelles.
Depuis 1981, Michel François travaille la sculpture à toutes les échelles et à travers tous les
médiums dont la photographie, la vidéo et l’installation.
Ses oeuvres concernent la représentation du vivant sous toutes ses formes et sousentendent un élargissement des frontières de la création contemporaine à toute une série
d’activités non encore répertoriées parmi les catégories de l’esthétique. Travaillant
directement avec ce qui lui est matériellement et affectivement proche, il associe curiosité et
jubilation des matériaux hétérogènes issus du quotidien ou prélevés lors de ses voyages et
rencontres. Ce sont des piles d’affiches que le passant peut emmener avec lui, des listes
d’attente à remplir par les visiteurs, ... Soit, une manière d’emmagasiner et d’échanger qui
fait écho aux pelotes, aux trousseaux, aux empilements, etc., appartenant encore à son
vocabulaire de sculpteur. Affirmant une position critique face à l’ordre hiérarchique du
monde, son travail met particulièrement en tension le caractère aérien, fragile et évanescent
des formes (La vidéo Apparition d’un verre) avec une certaine réalité physique de la
matière, soumise à la pesanteur, à l’attraction et au danger (Domestic).
Martino Gamper
Né en 1971 en Italie. Vit et travaille à Londres.
Designer de renommée internationale, Martino Gamper a une formation de menuisier. Sa
démarche combinant art, design et artisanat se penche particulièrement sur les aspects
psycho-sociaux du design de mobilier. En créant des « situations » qui intègrent les
matériaux, les techniques, les individus et les espaces, il favorise les rencontres et la
discussion. Attiré par les espaces sous-utilisés (les angles par exemple) et les objets
délaissés (meubles jetés dans la rue), il les utilise au profit d’une production disparate,
d’installations in situ (Site Specific Installation) et d’événements spéciaux. Derrière chacun
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de ses objets, on trouve une histoire dont les matériaux, les gens, les endroits sont les
acteurs. Pour lui, l’objet de design ne doit pas être sacralisé : c’est l’expérience, l’utilisation
qui fait l’objet.
Martí Guixé
Né en 1964 en Espagne. Vit et travaille entre Barcelone et Berlin.
Martí Guixé a suivi une formation de designer d’intérieur et industriel.
Sa personnalité se situe aux antipodes du designer conventionnel. Véritable visionnaire, il
observe et analyse le monde à travers les comportements, les gestes de chaque individu et
les objets quotidiens utilisés, transformant le tout pour inventer les produits indispensables
du XXIe siècle. Ses créations, agrémentées d’un brin d’humour, sont des prises de position
dans notre société de consommation et la surproduction d’objets qu’elle génère.
Actuellement, il travaille sous le label « Ex-designer » pour des enseignes commerciales
célèbres.
Faisant partie de son travail « Stop Discrimination of Cheap Furniture » (initié en 2004),
Respect Cheap Furniture, est composée de chaises en plastique banales sur lesquelles
Martí Guixé a inscrit à la peinture le slogan « Respectez les meubles bon marché ». Il prend
ainsi la défense de cette chaise monobloc ayant mauvaise réputation dans le monde du
design alors qu’elle répond pourtant à des critères essentiels : bon marché, robuste et
pratique.
d’Hanis & Lachaert
Sofie Lachaert, née en 1958 et Luc d’Hanis, né en 1953 en Belgique forment le duo
« d’Hanis & Lachaert ».
En 2000, Sofie Lachaert ouvre sa propre galerie d’art à Tielrode. Avec son compagnon, Luc
d’Hanis, elle développe de nombreux objets poétiques ainsi que des installations théâtrales.
Leur travail interroge les frontières entre l’art et le design et recherche l’expression simple et
efficace de l’objet quotidien en lui donnant une nouvelle signification, transcendant sa
beauté intrinsèque, la rendant inattendue.
Les Anamorphosis sont des objets de porcelaine et d’argent qui présentent chacun une
anamorphose, soit la déformation réversible d’une image à l’aide d’un système optique.
Marcell Sugar Cage (2004), cage à la porte ouverte contenant des morceaux de sucre,
associe la fonction première d’un sucrier à une notion d’histoire de l’art en faisant référence
à l’œuvre de Marcel Duchamp Why not sneeze Rose Sélavy ?, véritable cage à oiseau
remplie de morceaux de marbre, dans laquelle sont glissés un thermomètre et un os de
sèche.
René Heyvaert
Né en 1929 et décédé en 1984 en Belgique.
René Heyvaert est architecte avant d’être artiste.
45
La simplicité de son travail reflète son histoire et sa personnalité. Son œuvre inclassable est
marquée par l’art conceptuel.
Il travaille sur des objets trouvés ou sur des objets du quotidien et les porte au sein de la
sphère de l’art en les privant de leur fonction. À travers des interventions minimales, il agit
sur les matériaux (carton, planches, métaux) pour leur imprimer une forme différente et
remet en question la fonction des objets usuels.
En 2006, une rétrospective au SMAK lui accorde une reconnaissance…posthume !
Donald Judd
Né en 1928 et décédé en 1994 aux États-Unis.
Artiste plasticien mais aussi théoricien et historien de l’art, Donald Judd s’attache au rapport
qui existe entre l’oeuvre et l’espace : « la sculpture crée l’espace et définit la nature
dynamique de celui-ci ». Son vocabulaire formel est réduit au maximum et une même
importance est accordée à chaque partie constituante de l’oeuvre : la forme, la couleur, la
matière, l’espace et l’ordre. Ses oeuvres se déclinent sous forme de modules (boîtes, piles,
formes rectangulaires) assemblés et installés à des distances régulières et réfléchies.
L’artiste recherche la clarté et l’unité et s’attelle à effacer au maximum toute trace d’un
travail artisanal, allant jusqu'à faire usiner ses pièces afin de les débarrasser de tout affect
inutile à la lisibilité de l’oeuvre. Tout au long de sa carrière, il s’est montré assez critique
quant à la commercialisation de l’art et les manières souvent inappropriées d’exposer des
oeuvres dans les galeries et les musées. Naturellement, une réflexion sur l’architecture et le
mobilier prolonge ses recherches plastiques. Encore aujourd’hui, de nombreux artistes et
designers revendiquent l’influence de cet artiste majeur du XXe siècle.
Bertrand Lavier
Né en 1949 en France. Vit et travaille à Paris.
Artiste autodidacte, paysagiste de formation, Bertrand Lavier s’intéresse au rapport entre art
et réalité, s’interrogeant sur le statut de l’œuvre d’art.
Ses créations démontrent un goût du détournement d’objets qu’il étend d’ailleurs à l’espace
public, s’appropriant panneaux publicitaires ou routiers, terrains de sport ou façades
d’immeubles. En 1980, il inaugure sa série des objets repeints : poste de radio, appareil
photo, extincteur, ventilateur, piano, table, … et même automobile ou bateau qu’il repeint,
en respectant les couleurs d’origine, d’une peinture acrylique épaisse donnant à voir
généreusement sa touche qu’il appelle avec humour « à la Van Gogh ». Melker 5 appartient
à cette logique. Il s’agit d’un tissu d’ameublement sur lequel l’artiste intervient en repeignant
une partie à l’identique, marquant son passage par une couche de peinture épaisse. En
1984 apparaît une nouvelle série, celle des objets superposés (par exemple un réfrigérateur
sur un coffre-fort) – un artefact posé sur un autre artefact – , le situant ainsi dans la lignée
de Duchamp qui, en 1913, avait placé une roue de bicyclette sur un tabouret.
Le travail de Bertrand Lavier soulève des interrogations, des doutes dans notre esprit à
propos de la différence entre peinture et sculpture, entre réel et imaginaire, entre copie et
original. Bref, il consiste en une mise en doute radicale des catégories artistiques. Il dit :
« Contrairement à ce que disait Duchamp, ce n’est pas le regardeur qui fait le tableau, c’est
l’œuvre qui influence le regardeur »
Tomáš Gabzdil Libertiny
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Né en 1979 en Slovaquie.
Tomáš Gabzdil Libertiny étudie le design industriel mais aussi la peinture et la sculpture. Il
crée son propre studio de design, le « studio Libertiny », à Rotterdam. Ses idées suivent
celles du mouvement « Droog Design », collectif néerlandais de designers fondé en 1994
par Gijs Bakker et Renny Ramakers et dont les principales caractéristiques sont l’utilisation
économe des ressources, l'utilisation de matériaux de récupération, une certaine forme
d'humour et une recherche constante de la nouveauté.
Pour réaliser The Honeycomb Vase « Made by bees », il a mis au point une structure de
ruche en forme de vase, comme un échafaudage dont une colonie d’abeilles est venue
s’emparer pour y installer son essaim. Une semaine plus tard, les 40.000 abeilles sont
parvenues à « fabriquer » ce vase. L’idée est celle d’un retour aux sources puisque ce vase
contiendra les fleurs dont se sont nourries les abeilles pour produire leur miel. Il s’agit d’un
exemple de « bio création » dont il qualifie la technique de « prototypage lent ». À propos de
son œuvre, il dit : « J’ai été intéressé par la contradiction de la société de consommation
actuelle en choisissant de travailler avec une matière apparemment très vulnérable et
éphémère : la cire d’abeille ».
Mathieu Mercier
Né en 1970 en France. Vit et travaille à Paris.
Après des études à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Bourges et parallèlement à son
cursus à l’Institut des Hautes Etudes en Arts Plastiques de Paris, Mathieu Mercier
commence à réaliser ses premières œuvres en 1993. En 2003, il est lauréat du prix
« Marcel Duchamp », ce qui lui permettra d’exposer au Centre Pompidou.
Il se consacre principalement aux objets du quotidien via des ready-made et installations.
Isolant les objets ainsi réalisés de tout contexte décoratif ou meublant, il en ôte tout
caractère utilitaire afin de se consacrer uniquement à leur aspect artistique. La mise en
œuvre d’une géométrie intuitive et inscrite dans les matériaux, les rapports d’échelle, le
mélange des secteurs généralement distincts dans leur finalité que sont l’art, le design et
l’architecture, sont autant de méthodes qu’il utilise pour conférer un rôle subversif à l’activité
artistique. Son travail est empreint d’une réflexion critique aiguë du consumérisme. Ainsi, sa
cage à oiseaux (Sans titre), par sa forme inhabituelle, interroge l’uniformisation de nos
sociétés contemporaines et montre l’intérêt de l’artiste pour le bricolage qui offre une
alternative au façonnage des goûts opéré par l’industrie à travers les produits de la grande
distribution.
Jasper Morrison
Né en 1959 en Angleterre. Vit et travaille entre Londres et Paris.
Très rapidement après ses études (Polytechnic Design School de Kingston et Royal College
of Art de Londres), son travail est remarqué par de grandes maisons de production, ses
créations minimalistes et rigoureuses allant totalement à contre-courant de l’esprit de la fin
des années 80. Depuis, les lignes pures, légères et simples de ses créations sont autant
appréciées des grandes maisons d’édition que du grand public.
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Cabinet A est une vitrine telle qu’on peut en voir dans les musées d’archéologie. A
l’intérieur, 15 pièces créées en édition limitée pour l’exposition à la Galerie Kreo à Paris en
2006. Elles prennent pour modèle des pièces antiques photographiées dans des musées
archéologiques de par le monde. Les formes, qui ont été reconstituées en 3D, ont été
coulées en résine blanche. L’ensemble est élégant et pur, équilibré et quasi ascétique. En
s’approchant, on découvre que ces pièces ne sont pas destinées à être utilisées car les pots
sont obturés. Contenants sans possibilité de contenance, ces volumes pleins et faits d’un
seul bloc peuvent faire références aux natures mortes de l’Italien Morandi. Ces objets sont
présentés comme des pièces de musée (le titre de l’œuvre signifie « vitrine ») et sonnent le
glas d’un design devenu trop superficiel à ses yeux.
Reinhard Mucha
Né en 1950 en Allemagne. Vit et travaille à Düsseldorf.
Reinhard Mucha conçoit depuis les années 80 des sculptures monumentales dont les
formes sont dérivées du mobilier et de l’architecture industrielle. Divers objets trouvés in situ
(bureau, chaise, lampe, ventilateur, miroirs, tubes fluorescents,…) complètent ces pièces
relevant d’opérations de mise en scène, de montages et de démontages. Évoquant des
lieux publics (bars), des lieux de stockage (magasins d’usines) ou de spectacles (fêtes
foraines), l’univers de Mucha s’inscrit aux frontières des notions de production et de
dépense. Univers réels et fictionnels se mêlent dans ses installations éphémères dont la
matérialité et le volume confèrent une impressionnante présence. Le thème du voyage est
central dans son œuvre, plus particulièrement le voyage en train. Il donne d’ailleurs souvent
des noms de stations de chemin de fer à ses œuvres comme pour la pièce Hagen–
Vorhalle dont le titre est tiré du nom d’une ville située dans le sud de la Ruhr, en Rhénaniedu-Nord-Westphalie, connue pour sa gare de triage.
Fien Muller
Née en 1978 en Belgique. Vit et travaille à Gand.
D’abord photographe, l’artiste pratique aussi la vidéo. Actuellement, son travail interroge la
frontière subtile entre les deux média. Ses premiers clichés, de style documentaire, rendent
compte de la vie de tous les jours et de son caractère machinal, aléatoire et répétitif.
Son travail est centré sur la nature morte – en mouvement ou fixe – et sur une recherche
constante de la simplicité et de la pureté tant dans la forme que dans le contenu. Dans la
vidéo, Bewegend Stillleven 2 (« Nature morte en mouvement 2 »), divers objets banals du
quotidien apparaissent et disparaissent dans le coin d’une pièce aux murs blancs. Le point
de vue de la camera est fixe et l’œuvre semble constituée de photos animées. Elle reflète
bien les recherches menées par l’artiste sur la forme, la couleur et la composition.
Tejo Remy
Né en 1960 aux Pays-Bas. Vit et travaille à Utrecht.
Designer et architecte d’intérieur, Tejo Remy est membre de « Droog Design ». Ses
œuvres, qui allient matériaux anciens et techniques avant-gardistes, relèvent de la
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réutilisation et de la réappropriation. Au travers de sa création, il entrevoit ainsi une seconde
vie pour les matériaux et s’interroge sur le détournement d’objet.
Inspirée par le célèbre roman « Robinson Crusoé », Chest of Drawers est une commode
sans forme fixe composée de tiroirs récupérés empilés les uns sur les autres et reliés par
une sangle de déménageurs. Elle est livrée en kit : les tiroirs se combinent et s’échangent à
volonté. « Robinson arrive sur une île et ne peut seulement construire qu’avec les matériaux
disponibles sur la plage ou dans les bois. C’est l’esprit de ce meuble : produire de nouvelles
choses à partir de matériaux existants (…) Je me suis toujours demandé ce qu’on pouvait
fabriquer d’autre que ce qui existait déjà. Je crois plus que jamais en l’idée qu’il est possible
de créer son propre paradis chez soi avec ce qui nous est directement accessible », dit-il.
Gert Robijns
Né en 1972 en Belgique. Vit et travaille à Borgloon.
Gert Robijns exploite des situations de la vie de tous les jours, mais le fait de manière telle
que le visiteur devient tout à coup conscient de son rapport physique à son environnement.
L’œuvre existe donc en interaction avec le visiteur. Une association d’images, de sons et
parfois même d’odeurs y contribue. L’artiste veut créer une expérience, jouer avec les
attentes du spectateur et interroger les limites de la réalité. Il considère le musée comme un
lieu baigné d’atmosphère où subsistent le souvenir et l’écho des œuvres. Gert Robijns
compose avec l’espace, intégrant sa spécificité et, à travers d’imperceptibles manipulations,
s’attache à en modifier l’apparence convenue afin que les choses redécouvertes révèlent à
nouveau leur présence singulière. Chez lui subsiste suspendue la possibilité de la « nonexistence » de l’œuvre, en même temps, réelle et imaginaire, banale et mystérieuse.
Souvent, les matériaux qu’il choisit sont « pauvres » mais tellement poétiques.
Scholten & Baijings
« Scholten & Baijings » est une collaboration entre Carole Baijings, née en 1973 et Stefen
Scholten, né en 1972 aux Pays-Bas.
Les deux designers travaillent ensemble depuis 2000. Les thèmes récurrents de leur travail
sont les références à la nature et la relation d’un objet avec son environnement. Ils
investissent aussi les territoires de l’artisanat et explorent la tradition hollandaise. Truly
Dutch (qui signifie « vraiment Hollandais ») est une collection de meubles de style
typiquement hollandais conçue par le duo et réalisée par des artistes et artisans
(sérigraphie, tressage du saule, soufflage du verre). Elle a été produite en collaboration
avec le Zuiderzee Museum à Enkhuizen aux Pays-Bas. Elle se compose de 5 éléments de
mobilier qui sont une interprétation contemporaine de chefs-d’œuvre du Zuiderzee Museum.
La confrontation entre les pièces historiques et les développements de Scholten & Baijings
révèle une continuité étonnante dans l’histoire du mobilier.
Wieki Somers
Née en 1976 aux Pays-Bas. Vit et travaille à Schiedam.
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Jeune designer, Wieki Somers est membre occasionnel de « Droog Design ». Diplômée
2000, elle installe son studio dans un bâtiment industriel dans la petite cité portuaire
Schiedam, dans la banlieue de Rotterdam. Devant ses fenêtres, il y les quais, la mer ;
univers qui influence ses créations à base de cordage, de nasses à poissons, d’images
méduses,... La nature l’inspire, « cette nature où tout est imprévisible et pourtant
logique », dit-elle.
en
de
un
de
si
Son approche jubilatoire de la céramique a pris effet lors de ses séjours répétés au EKWC
(European Ceramic Work Center) au sud des Pays-Bas. Ce laboratoire où l’on invite les
artistes et les designers en quête d’applications nouvelles autour de la céramique fut idéal
pour cette tête chercheuse. Fascinée par ce matériau, elle ose tout avec d’étonnants objets
qui naviguent entre le familier et l’étrange (Frozen Bath). Pour elle, il y a dans tout matériau
ou toute technique une histoire cachée qui attend d’être révélée.
Diane Steverlynck
Née en 1976 en Belgique. Vit et travaille à Bruxelles.
Un an après sa sortie de La Cambre en 2002 où elle étudie le design textile, Diane
Steverlynck lance son propre studio à Bruxelles. Proche du design, elle garde toujours en
tête la surface et la structure textiles. Son travail se construit autour de principes comme la
surface, la structure, la flexibilité, l’échelle et le pliage. Si la conception textile reste sa base,
la créatrice tient à ne pas s’enfermer dans une catégorie précise.
La jeune femme, férue d’anthropologie, se montre très concernée par l’utilité de ses
créations, utilité pratique mais aussi sociale et poétique.
Elle s’intéresse, via la réutilisation, à la double vie de l’objet qui lui apporte un supplément
poétique.
Ses créations ne se donnent pas au premier regard, mais invitent à la réflexion. Au-delà de
l’évidence, il y a comme la nécessité d’un second regard pour mesurer la profondeur de ce
qu’elle propose. Double est un petit miroir oval. Le biseautage de miroirs est généralement
utilisé pour encadrer, isoler et fermer notre image. Diane Steverlynck l’utilise ici, au
contraire, pour doubler notre reflet.
Robert Therrien
Né en 1947 aux États-Unis. Vit et travaille à Los Angeles.
Sculpteur, photographe et dessinateur, Robert Therrien joue, depuis le début des années
90, sur le changement d’échelle des objets. Il est préoccupé par l’ambiguïté spatiale, la
place du spectateur et sa perception de l’objet. Ainsi, comme dans l’histoire d’Alice au pays
des merveilles, il crée des tables et des chaises démesurées à côté desquelles le
spectateur se sent tout petit, comme un enfant. Superpositions d’assiettes géantes en
céramique (No Title/Stacked Plates) ou amas d’énormes casseroles et poêles (No
Title/Pots and Pans III), l’empilement constitue un de ses modes de présentation favori. S’il
modifie l’échelle de ces objets familiers, l’artiste conserve par contre scrupuleusement leur
texture et leur couleur, leur conférant ainsi une « inquiétante étrangeté ».
Hannes Van Severen
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Né en 1979 en Belgique. Vit et travaille à Evergem.
Fils du designer Maarten Van Severeren et petit-fils du peintre abstrait Dan Van Severen,
Hannes tisse des connexions entre réalité et imaginaire. Ses sculptures, dont le point de
départ est toujours un objet existant, passées par le filtre de son imaginaire prennent alors
des formes toutes nouvelles. Pour ce faire, il a recours aux objets (une armoire flamande
traditionnelle, un banc public,...) qu’il détourne de manière à faire apparaître l'absurdité de la
réalité qui nous entoure. Harmonies nouvelles et rapprochements incongrus révèlent alors
les possibles fonctions imaginaires de ces nouveaux objets, à moitié reconnaissables, car
basculés dans un monde aux règles inintelligibles.
À travers la sculpture ou la vidéo, son travail s'attache à dévoiler la part subjective de la
réalité ou à lui faire perdre toute évidence objective.
Sans titre montre les parties d’un mobilier fictif. Les éléments composés dans la même
matière et dans la même couleur semblent faire partie d’un ensemble. Pourtant, ce
« mobilier », bancal et fragile, ne saurait fonctionner. Van Severen brise le volume des
meubles en les sectionnant. L’artiste aime particulièrement transformer des armoires dont il
aime les proportions humaines et l’aspect fermé. Pour créer ses sculptures, il cherche sur
eBay des images de meubles qu’il retravaille avec Photoshop. Une fois la bonne forme
trouvée, il achète l’armoire et finalise la pièce dans son atelier.
Lieve Van Stappen
Née en 1958 en Belgique. Vit et travaille à Gand.
Lieve Van Stappen réalise des installations intimes dotées d’une grande émotion. Elle utilise
des matériaux divers (marbre, acier, cheveux, …) avec une prédilection pour le verre, le
cristal et le pyrex. Des dessins forment la base de son travail.
Fascinée par la mort et la vie, la perte et le deuil, le passé et le présent, son œuvre traite de
la vulnérabilité, de la douleur, du souvenir, de l’amour et dénonce la violence domestique
envers les femmes et les enfants. Ainsi, Béquilles, en verre, illustre parfaitement la notion
de fragilité et semble dédiée aux victimes anonymes.
Danny et Richard Venlet
Danny Venlet est né en 1958 en Australie. Il vit et travaille entre la Belgique et l’Australie.
Designer à succès, il crée son atelier à Bruxelles, « Venlet Architecture d’intérieur ». Il
conçoit l’intérieur d’espaces publics et privés, y compris le mobilier. Ses objets, qu’il veut
ludiques, esthétiques et poétiques, sont le résultat d’une interaction entre l’art (la sculpture)
et la fonctionnalité.
Richard Venlet est né en 1964 en Australie et vit et travaille à Bruxelles.
Il explore la relation entre l'être humain et l’espace dans lequel il se trouve et ce, dans le
contexte architectural du lieu d’exposition. Il travaille en outre dans les disciplines de la
vidéo et des arts visuels.
À première vue, Double Take a l’apparence d’une table de cuisine plutôt ordinaire et
pourrait être utilisée comme telle. Mais le piètement en acier inoxydable peut être placé en
dessous de la table afin que l’objet puisse aussi être accroché au mur, attirant l’attention sur
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l’impression située sur la surface plane. Cette image montre la surface d’une table trouvée
par Danny Venlet. Érodée par le temps et ses utilisateurs, cette vieille table contraste avec
la nouveauté de la table sur laquelle elle a été imprimée et révèle le destin inévitable de tout
meuble.
Angel Vergara Santiago
Né en 1958 en Espagne. Vit et travaille à Bruxelles.
Depuis la fin des années 80, Angel Vergara questionne les mécanismes qui régissent le
champ de la pratique artistique. Sur le mode relationnel, il ne cesse d’interpeller le public
pour l’introduire avec humour et gravité au sein de la création. En 2007, le Mac’s, qui fêtait
son cinquième anniversaire, lui a commandé une pièce pour l’occasion. Les Voisins, nos
amis est le portrait filmé des habitants de la cité entourant le site du Grand-Hornu. Il retrace
la relation qui s’est tissée entre le musée et son voisinage. Dans le face à face, le
spectateur se tient immobile, en place et lieu de « l’œil de l’artiste » et évite de rentrer dans
le champ visuel ; sage précaution qu’outrepasse Angel Vergara en interposant sa main, lors
de la prise de vue, entre l’objectif et le sujet. Cette main glisse à la surface de
l’image, modèle un visage, articule un paysage, masque les protagonistes,… En même
temps, le spectateur détaille le tableau qui, par enchantement et imperceptiblement,
s’anime. Devant ces tableaux vidéo, l’observateur est tenu à distance et, à travers ce
simulacre de la peinture, visualise l’acte de représenter.
Franz West
Né en 1947 en Autriche. Vit et travaille à Vienne.
Connu pour ses œuvres tridimensionnelles (sculptures, œuvres in situ, installations), Franz
West est aussi créateur de performances, de graphismes et d’affiches. Sur certains socles
de ses sculptures, nous pouvons lire les instructions suivantes : « Veuillez prendre la pièce
et exécuter ainsi votre mouvement ergonomique. Ensuite remettez S.V.P. la pièce à sa
place ». C’est le cas pour ses « Paßstücke » (comme il aime à les définir) – formes
indéfinissables de gypse, de papier mâché – qui invitent le spectateur à toucher, saisir,
s’asseoir ou se coucher.
Bien que le terme « Paßstück » n’a pas vraiment d’équivalent en français, le mot
« adaptateur » serait une traduction correcte. Même si le corps adopte la sculpture par des
poses difficiles, exubérantes, reposantes ou mécaniques ; la manipulation ne constitue pas
le sujet en soi. C’est la rencontre, la relation physique, l’usage qui constituent l’essence de
son oeuvre. Des pièces de mobilier comme Habsburger Stuhl questionnent aussi la
frontière entre l’objet d’art et l’objet d’usage courant.
L’artiste voudrait que le public puisse s’asseoir, ou transporter une œuvre, sans se
rendre forcément compte qu’il s’agit d’art. La fonction en elle-même n’est pas mise
en scène. Au contraire, la présence d’un socle désigne la sculpture. L’esthétique de
Franz West ne repose donc pas sur la fonctionnalité mais sur l’usage. Ludwig
Wittgenstein, un philosophe viennois que l’artiste a beaucoup lu, résume
parfaitement son acte créatif : « Ne posez pas la question de la signification, mais
celle de l’usage ».
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Table des matières
Introduction...................................................................................................................... 1
Le Design ........................................................................................................................ 6
Définitions................................................................................................................. 6
D’où vient le design ? ............................................................................................... 7
Réflexions à propos du statut de l'objet ......................................................................... 16
Préambule .............................................................................................................. 16
Le Cubisme ............................................................................................................ 17
Le Futurisme .......................................................................................................... 18
Le Dadaïsme .......................................................................................................... 19
Le ready-made de Marcel Duchamp ...................................................................... 20
L’objet surréaliste ................................................................................................... 21
Le Nouveau réalisme.............................................................................................. 23
Le Pop Art .............................................................................................................. 25
Mythologies personnelles ....................................................................................... 26
Dématérialisation de l’objet. ................................................................................... 26
La médiation comme passerelle entre art et design ...................................................... 29
Différents types de visites guidées ................................................................................ 31
Animation pour les maternelles : Les contes pour enfants ..................................... 32
Animation pour le niveau primaire : Tiroirs à mémoire à partir de Téjo Rémy ........ 34
Animation pour le niveau secondaire : Art ou design ? .......................................... 36
Notices biographiques des artistes présentés dans l'exposition.................................... 38
Table des matières ........................................................................................................ 53
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