Les conditions artistiques, administratives et historiques de la
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Les conditions artistiques, administratives et historiques de la
Direction Régionale des Affaires Culturelles de Champagne-Ardenne Les conditions artistiques, administratives et historiques de la réalisation des vitraux de Marc Chagall à la cathédrale de Reims. Véronique Pintelon Mai 2004 Remerciements Je tiens à remercier les personnes qui ont permis au projet de se développer. Quelques réponses ont pu être apportées même si quelques zones restent mystérieuses. L’étude suivante a soulevé des questions que d’aucuns n’avait abordées. Sans les conseils et les connaissances de Benoît et Stéphanie MARQ, maîtres verriers de l’Atelier JACQUES SIMON, et leur documentation précieuse, cette étude aurait eu des difficultés à être menée à son terme. En outre, les contributions scientifiques de Madame HAZAN-BRUNET, conservatrice au musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris, de Madame PACOUD-REME, conservatrice au Musée du Message Biblique Marc Chagall de Nice et de Sylvie FORESTIER spécialiste de Marc CHAGALL, ont permis de nourrir les hypothèses soulevées. Les conseils des bibliothécaires de la bibliothèque Kandinsky située au Centre Pompidou et de la médiathèque du Patrimoine ont permis de confirmer certaines notions et d’illustrer le projet par des documents de première main. Un grand merci à Macha DANIEL du Cabinet des Arts graphiques du Centre Pompidou qui a su me diriger dans mes recherches et a eu la gentillesse de reproduire les maquettes pour une iconographie de qualité. Je tiens à remercier encore Madame Meret MEYER-GRABER, la petite-fille de Marc Chagall pour les quelques minutes partagées ; Madame HEIDSIECK et la Société des Amis de la cathédrale de Reims dont la disponibilité et l’enthousiasme ont donné une dynamique supplémentaire à ma recherche. Monsieur FOREST, secrétaire général de la Fédération Régionale du Bâtiment de Champagne-Ardenne, m’a donné la possibilité de consulter les riches archives de l’entreprise, alors mécène du projet. Les ektachromes des maquettes de Chagall, découverts à la Fédération du bâtiment, ont permis le tirage de photographies de grande qualité, gentiment offerts par l’entreprise pour illustrer l’étude. Enfin, je tiens à remercier Dominique PINTELON pour ses relectures attentives ainsi que Monsieur Frédéric MURIENNE, Conservateur Régional des Monuments Historiques de Champagne-ardenne sans qui l’étude n’aurait jamais vu le jour. 2 SOMMAIRE 1 LA PRESENTATION DES VITRAUX DE CHAGALL DANS LA CATHEDRALE DE REIMS. 6 1.1 Description des trois vitraux de la chapelle d’axe du chœur de la cathédrale 7 1.1.1 les maquettes 8 1.1.2 les vitraux en place (actuellement) 13 1.2 Iconographie. 1.2.1 1.2.2 le programme iconographique les innovations de Marc Chagall 15 15 21 1.3.1 1.3.2 l’inauguration la presse 25 25 26 1.3 la réception La spécificité des vitraux de Marc Chagall pour la cathédrale. 2 LES CONDITIONS DE REALISATION DU PROJET 28 2.1 Les « promoteurs » du projet 2.1.1 l’association des Amis de la cathédrale 2.1.2 le comité des Bâtisseurs 29 30 32 2.2 Le budget 34 34 36 2.2.1 le comité des Bâtisseurs 2.2.2 le ministère des Affaires Culturelles (Maurice Druon en 1974) 2.3 La technique 2.3.1 2.3.2 la grande amitié de Charles Marq et de Brigitte Simon avec Marc Chagall : la correspondance le travail en commun autour du projet de la cathédrale de Reims 43 43 45 Une histoire d’individus : amitié et engagement. La dimension du mécénat privé champardennais. 3 LE CONTEXTE ARTISTIQUE 48 3.1 Les vitraux de Chagall : une maturité 49 3.1.1 les premières expériences : la chapelle 53 d’Assy en Haute-Savoie. Maître-verrier : Paul Bony 3.1.2 l’association avec l’Atelier Jacques 55 Simon : de nombreuses réalisations : Metz, New-York, Jérusalem, Angleterre, Suisse, Allemagne… 3.2 Le vitrail dans l’Oeuvre de Chagall 58 3.3 Les vitraux dans la seconde moitié du siècle, tradition et innovation 62 3.3.1 les premières réalisations emblématiques : 63 Matisse à la chapelle du Rosaire, couvent des dominicaines, à Vence, 1949-1951 3.3.2 les réalisations de l’école de Paris : 64 Bazaine, Manessier… : une prédominance à l’abstraction. Conclusion Bibliographie 67 68 3 Avant-propos Aujourd’hui, les vitraux de Marc Chagall sont reconnus internationalement. Ceux de Reims, étonnamment laissés en marge des critiques sur le sujet, ont déclenché en moi un sentiment de curiosité exacerbée. Pourquoi parle-t-on peu des vitraux de la cathédrale de Reims? Sont-ils considérés comme une œuvre mineure ? Quelle place prennent-ils dans l’imaginaire chagallien ? Et dans ceux des visiteurs? Qu’est-ce qui a prévalu à ce projet ? Menée pas à pas vers la découverte de l’artiste et de l’œuvre, je me suis souvent demandée pourquoi la cathédrale m’envahissait d’un sentiment de bien-être. Chagall y était pour beaucoup. Les teintes bleues si raffinées et les expressions des personnages qui l’habitent ont surgi comme une réminiscence. La beauté des esprits incarnés dans ces vitraux donne à chacun la possibilité d’être soi. Le sentiment du sublime et la part de rêve qui le conditionne, s’offrent à chacun des visiteurs. Un peu comme une bulle au milieu du monde moderne, rythmé et bruyant. Car ces vitraux sont du Silence, porté par l’Image. Le message qu’ils véhiculent est à contrario coloré d’impératifs didactiques que l’iconographie confirme. S’il est possible de contempler ces vitraux en surface, leur étude invite à un approfondissement que les considérations autant humaines que politiques viennent asseoir. A la Renaissance, les rois et les grandes familles aristocratiques étaient les commanditaires de l’art qui nous est parvenu aujourd’hui. Les modalités sont-elles bien différentes quand l’Etat ou le Mécénat d’entreprise s’investit dans le champ artistique actuel ? Qui est le Prince ? La lecture de Machiavel nous éclaire à ce sujet. Grâce à certaines volontés, et surtout à la conjonction de ces volontés pour une grande part due au hasard, les vitraux de Chagall éclaire de leur lumière bleutée le chœur de la cathédrale de Reims et nous ravissent de leurs rayons. Véronique Pintelon 4 Introduction : La réalisation du projet Chagall, dans la cathédrale de Reims, pose diverses questions que les vitraux aujourd’hui en place ne soulèvent plus. Trente ans se sont écoulés et la renommée de Chagall ne fait pas douter des débuts difficiles. En effet, en 1968, le Comité des bâtisseurs de Champagne-Ardenne, décide, à l’instar des Vignerons, de passer commande pour des vitraux dans la cathédrale de Reims. Le projet est ambitieux. Dans le sillage des grandes réalisations d’après-guerre permettant la restauration ou la reconstruction des verrières alors détruites, des créations modernes voient le jour. A la base de cette politique toute nouvelle que la France de la seconde moitié du siècle avait tenté d’amorcer par des réalisations phares, le mécénat privé se place en bonne position. Si l’Etat n’hésite pas à entreprendre de grands chantiers, il ne peut être sous tous les fronts. A la suite de cette décision et grâce à la situation de l’Atelier Jacques Simon, le seul atelier de verriers à avoir travaillé dans la cathédrale depuis le début du siècle, on étudie les possibilités. De nombreux liens tissés entre l’atelier et Marc Chagall créent l’idée de cette réalisation. Un artiste de renom, une collaboration qui existe depuis des années, une cathédrale dans laquelle l’atelier a réalisé la quasi-totalité des verrières, détruites lors des bombardements… Autant de facteurs permettant de croire à une réalisation simple. Mais l’artiste est âgé et la cathédrale est une « Grande Dame ». La création de vitraux contemporains est une politique difficile à tenir, surtout lorsqu’il s’agit d’une commande privée pour un édifice public. En effet, la cathédrale classée Monument Historique est un lieu sauvegardé, privilégié. Sa quasi-destruction n’a fait que la rendre plus fragile et de fait, demande plus d’exigence. On le comprend. Le Comité des bâtisseurs, entouré très vite de la Société des Amis de la cathédrale, dont la présidente, la Princesse de Caraman-Chimay tient les rênes, réunit grâce à une souscription une somme importante. L’enveloppe budgétaire, car de projet sans budget il ne peut y en avoir, est donc rassemblée par le Comité des bâtisseurs dont le rôle sera prioritairement celui de trésorier. Les considérations techniques très vite prises en main par Charles Marq, maître verrier ; les relations administratives prises en charge par la Princesse. Enfin, l’artiste préférant réduire ses contacts, ne s’en remet, et ceci de manière très orale, qu’ à Charles Marq. Ce qui explique la rareté des documents le concernant directement. Enfin, après moult retards, les vitraux sont inaugurés le 14 juin 1974. Cette réalisationphare des années 1970 sur le territoire français est symptomatique d’une idée de l’ « art sacré ». A l’heure où les artistes prônent l’abstraction, Marc Chagall s’appuie sur des thématiques bibliques pour créer son œuvre, vite controversée. Le projet qui mit quelques années à voir le jour, donne l’ampleur de la politique à mener et de la communication à instaurer. Les polémiques soulevées alors sont encore aujourd’hui d’actualités. 5 Pourquoi créer des vitraux contemporains dans des édifices gothiques ? Confronter des ères chronologiques si distendues n’est-il pas le reflet d’une nouvelle notion du patrimoine si chère à la France ? Car si l’exception française est un gage de qualité, comment garder nos trésors d’antan dont la modernité s’empare ? La Champagne-Ardenne riche de réalisations en vitrail donne le tempo. La rigueur des choix effectués n’est que la gageure de sa beauté. 6 I. Présentation des vitraux de Chagall dans la cathédrale de Reims 1.1 Description des trois vitraux de la chapelle d’axe du chœur 1.2 Iconographie 1.3 Réception critique de l’œuvre 7 1.1 DESCRIPTION DES TROIS VITRAUX DE LA CHAPELLE D’AXE DU CHŒUR DE LA CATHEDRALE L’histoire de la cathédrale de Reims est importante dans la constitution du projet. En effet, à cause des destructions de la première guerre notamment, qui fit des ravages incroyables tant sur le bâtiment que sur son mobilier, il fallut mener une campagne de restauration. Et bientôt, envisage-t-on des créations qui viennent soutenir la splendeur du lieu et son aura. « Grand chef d’œuvre gothique de Reims, la cathédrale carolingienne, reprise au 12e siècle fut incendiée en 1210 ou 1211. Elle fût aussitôt rebâtie sur de nouveaux plans. Le monument dans son ensemble est du 13e siècle 1». La cathédrale Notre-Dame de Reims est très imposante, autant dans sa dimension que dans sa forme. En effet, long vaisseau de 149 mètres, la nef lui donne une majesté hors du commun. Son plafond très haut lui donne des volumes intérieurs très importants, sans compter que l’édifice ne comporte pas de chapelles latérales. Seules cinq chapelles rayonnent dans le chœur. « Les grandes arcades ont la même hauteur que les fenêtres hautes, qui s’élèvent au dessus de la ligne obscure du triforium. (…) Le souvenir du chevet de Saint Remi se voit dans l’ordonnance des chapelles rayonnantes et dans le passage qui court tout au long des fenêtres inférieures. Mais l’architecture innove dans son élancement, invente la fenêtre « rémoise », dont la structure est indépendante des murs, affine les arcs-boutants… 2». Ainsi, l’architecture de la cathédrale qui impose aux fidèles sa majesté, éblouit également Chagall. A partir de l’observation des vitraux en place dans la chapelle axiale de la cathédrale de Reims, chacun peut se rendre compte du travail très particulier de leurs auteurs : Marc Chagall, l’artiste et Charles Marq, le maître verrier. Toute étude préalable part d’un constat : celui de la spécificité. Quelle est-elle ? Quel est la genèse du projet dans sa dimension artistique ? C’est en étudiant les maquettes et leur élaboration que se donnent à comprendre les intentions de l’artiste. Formes et couleurs prennent un sens et une charge symboliques fortes dans un édifice à la majesté rescapée . 1 2 Encyclopédie Universelle de Larousse Ibid. 8 1.1.1 Les maquettes Plusieurs études successives ont été faites par Chagall pour les vitraux de chœur de la cathédrale de Reims. Le travail préparatoire s’est en effet effectué en plusieurs temps, des esquisses permettant de prendre en considération les lignes de force à la dynamique des couleurs pour aboutir aux dessins définitifs. Aujourd’hui conservées dans les collections Publiques, grâce à la Donation Ida Chagall, deux jeux de maquettes, seuls documents de travail pour cette réalisation, laissent croire que Marc Chagall travailla avec spontanéité et diligence à cette réalisation. Mon hypothèse est tout autre : l’héritage de Marc Chagall fut divisé en trois. Les descendants d’Ida Chagall, marié à Franz Meyer, dont la fille Meret Meyer-Graber dirige aujourd’hui le Comité Chagall, David Mc Neil, fils de Virginia, et Michel Brodsky, de Vava Chagall, sa veuve, disent combien il est difficile de garder des ensembles de dessins. En effet, une esquisse mentionnée (plus bas) n’a pu être retrouvée et laisse croire que d’autres dessins sont peut-être à découvrir, à moins, bien sûr, que Marc Chagall ne les ait détruits. En effet, au dire de sa famille et de ses relations de travail, Chagall est un artiste qui travaille lentement et avec de nombreux repentis. Ainsi, les deux jeux de dessins aujourd’hui visibles, mènent à croire qu’il s’agit de ses deux derniers mouvements de pensée. Le contenu des premiers dessins semble incertain : Chagall a-t-il, comme le mentionne le comité des bâtisseurs (Annexe 39), débuté par les lignes de force qui scandent chaque verrière (ce qui sous-entend un travail en noir et blanc) ou bien a-t-il composé ses maquettes sur les rapports colorés, comme le rapporte Charles Marq (Annexe 130).« Nous montâmes alors dans les parties hautes de l’édifice, et du triforium intérieur, Chagall voulut se pénétrer du caractère des verrières anciennes, en ressentir l’inspiration comme en étudier la grammaire ; je lui fis, pour son atelier de Saint-Paul, un petit panneau qui comportait la gamme des tons anciens de la cathédrale et qu’il voulait avoir sous les yeux en composant les maquettes »3. - les esquisses préparatoires Dans le compte-rendu de réunion du comité des bâtisseurs du 25 novembre 1971 (Annexe 39), mention est faite d’esquisses à l’encre de Chine. Ce premier jet en noir et blanc permet, semble-t-il, de créer les lignes de force des trois vitraux à venir (perceptibles au final dans les photographies noir et blanc de la plaquette d’inauguration –Annexes 133). Pour cette première ébauche, le programme iconographique avait été fixé par Chagall lui-même et 3 Mythes et réalités de la cathédrale de Reims, de 1825 à 1975, Somogy, 2001. Dans Les vitraux du 20e siècle : Marc Chagall, Jacques Simon et Brigitte Simon, par Catherine Delot. 9 représentait, en son centre, Dieu le père avec Abraham à ses pieds. Il s’agissait avant tout d’illustrer les rapports de l’homme à Dieu. Ce thème iconographique ne fut pas retenu. Chagall prit note de la conversion de son thème en trois mouvements: la crucifixion, l’arbre de Jessé et les rois de Judée, le couronnement des rois de France, insistant sur le thème de la filiation. Il sut malgré tout dans les différentes scènes y insuffler ce premier élan. Dans le même document, une note particulière est faite au sujet de l’intervention de Charles Marq. En effet, il aurait choisi les couleurs dont Chagall allait se servir, étant entendu que les vitraux devaient utiliser les gammes de couleurs des vitraux anciens (Annexe 39) ; ce qu’il rapporte dans un autre document (annexes 14). Cette valorisation de la couleur, si déterminante dans la réalisation finale, permet de prendre la mesure de la collaboration de Charles Marq avec Chagall. Une deuxième ébauche est effectuée (Annexe 174). Référencée dans la Documentation de la Collection du MNAM, centre Georges Pompidou, en 1973, celle-ci semble pourtant avoir été terminée dans le courant de l’année 1972. Pour les trois dessins issus du carnet de croquis, la technique mixte utilisée reste atypique pour un tel projet : crayon, encre de chine, aquarelle et collage de tissus et de papiers sur feuille de carnet à dessin. Les secondes esquisses (peut-être y’en a-t-il eu d’autres ?) s’attardent à priori sur les textures et le rythme des couleurs. La répartition des couleurs dans les trois baies au fond bleu intense est rapidement acquise. Les nuances et les tons restent à choisir. Quoique les ensembles soient déjà définis : la vierge, du vitrail gauche, aux teintes vertes, la résurrection dans le panneau central en rouge et les rappels rouge et vert dans le vitrail de droite. Catherine Delot dans Mythes et réalités expose le processus de réalisation : « Chagall cherche ses idées sur la couleur en collant des morceaux de tissu sur de petites maquettes préparatoires, puis il fournit des maquettes plus grandes, de véritables gouaches, avec l’emplacement des masses colorées. Ces tâches figuraient sur un fond bleu les différentes variations qui allaient pouvoir être rendues par l’utilisation de verres plaqués. Chagall ne participait pas nécessairement à la coloration, ni à la mise en plomb provisoire, faisant confiance au maître-verrier»4. 4 Catherine Delot, ibid. 10 Il est en effet question de deux ébauches (Annexes 173 à 181), toutes deux aujourd’hui conservées dans les Collections Publiques, au Cabinet des Arts Graphiques du Centre Pompidou, par dation en décembre 1997, issue de l’héritage d’Ida Chagall. Celles-ci sont en dépôt jusqu’en 2010 au Musée national du Message Biblique Marc Chagall à Nice. Cependant, nous devons constater que quelques-unes des esquisses ne nous sont pas parvenues, puisque est faite mention au moins d’une ébauche en noir et blanc. Ce manque permet de constater que le travail préparatoire a été long et parsemé d’hésitations, peut-être. Charles Marq explique : « Chagall pouvait passer des heures à reprendre les esquisses et à les peindre comme il pouvait ne presque rien toucher. Quand l’accord existe entre le peintre et le verrier, c’est l’œuvre qui dicte ses nécessités. Elle ne préexiste pas, mais d’une certaine manière on lui obéit. C’est une chose vivante qui autorise une certaine liberté. La seule chose qui compte est de respecter le souffle et l’esprit du peintre, la valeur du ton. A partir d’une certaine époque même, tout le travail préparatoire s’est fait à l’atelier de Reims, y compris la peinture, et lui était ensuite porté à Saint-Paul-de-Vence où il résidait et où nous avions délégué un compagnon»5. Les premières esquisses, des collages, permettent de prendre en considération les formes des futurs personnages et l’élan donné par les masses, ainsi que la compréhension des textures, alors révélateurs des différentes lumières possibles. - les différentes occurrences des maquettes dans la correspondance Sans jamais parler de leur style ou de leur nombre, différentes lettres relatent l’avancée du peintre dans l’élaboration de ses maquettes. La première lettre, datée du 24 avril 1969 (annexe 9), du secrétaire de la Société des Amis de la cathédrale, Monsieur Henri Druart, à la Princesse de Caraman-Chimay sa présidente, indique la disponibilité du peintre Chagall pour débuter le travail « au point qu’il pourrait s’attaquer aux maquettes des vitraux de Reims, dès le mois de septembre [1969]. » Cette première lettre marque la naissance du projet artistique dans sa dimension matérielle : le dessin, mais restera sans suite cette année-là. Chagall, le 7 juin 1969 [ Lettre de Chagall à la Princesse de Caraman-Chimay- annexe 10] accepte la commande en spécifiant que la Princesse sera son interlocutrice puisque « après 5 Propos recueillis dans L’atelier Simon. L’avènement des grands peintres, Céramique et verre, n°98, janvierfévrier 1998, par Carole Andréani. 11 avoir fini les maquettes, je me propose de vous les présenter avant que vous ne les montriez vous-même à la Commission ». A cette date donc, [Chagall s’] « occupe de ce projet, mais les maquettes n’en sont pas encore prêtes » . Les lettres suivantes qui précisent l’avancée du travail de Chagall ne sont écrites que deux ans après, le projet ayant quelques difficultés à voir le jour. Sans savoir réellement si une première ébauche avait été effectuée en 1969, il est attesté qu’en 1971, grâce à la persévérance des différents partenaires, le projet peut éclore. Dans une lettre de Charles Marq à Monsieur Bernard Vitry, architecte en chef des Monuments Historiques, datée du 17 mai 1971, il est dit que « Chagall pense commencer les maquettes de [c]es vitraux cet été… », qu’il a visité la cathédrale fréquemment durant ses dernières venues à Reims et a « beaucoup pensé déjà à l’échelle et la coloration propre à la cathédrale ». Cette lettre est une demande officielle pour monter des échafaudages et faire les différents calculs qui s’imposent (annexe 30) sans compter la mise au point des couleurs, issues des vitraux anciens dont Charles Marq demande la dépose pour étude. De plus, il est question de la technique de mise au carton qu’emploie le verrier pour la mise à l’échelle : « en effet, comme je travaille sur les maquettes agrandies photographiquement, celles-ci doivent être exactement au 1/10e ». Dans le compte-rendu de la Société des Amis de la cathédrale daté du 1e juin 1971 (annexes 31 à 33), il est bien indiqué que les maquettes devront être soumises à la Commission supérieure afin d’entériner le projet. Les maquettes sont les seuls documents de référence à présenter. Tout le poids de leur persuasion est concentré en trois dessins aux formes et couleurs à l’échelle 1/10e. Le 25 novembre 1971, dans un compte-rendu du Comité des bâtisseurs (annexe 39), on parle d’esquisses faites en noir et blanc dont le sujet avait été circonscrit par Chagall luimême. Cependant, « il [dut] accept[er] de se plier au sujet qui lui était proposé par l’autorité ministérielle ». Le programme iconographique fut donc décidé à ce moment. Nous en reparlerons par la suite. Le 24 janvier 1972 (annexe 47), Charles Marq écrit à la Princesse de Caraman-Chimay que « Chagall [lui] a remis les maquettes pour les vitraux de la chapelle d’axe de la cathédrale de Reims ». Aussitôt, « la fédération du Bâtiment désireuse de ne pas perdre de temps a vu et fait photographier ce projet ». La seconde phase du projet est engagée. Les maquettes devront 12 être présentées à la Commission le 28 février 1972 (lettre du 16 février 1972, du directeur de l’architecture, Monsieur Dussaule à Monsieur Oury, conservateur régional des Bâtiments de France –annexe 51). Un mois à peine s’est écoulé entre la remise des maquettes et leur passage à la Commission. Le 30 mars 1972 (annexe 66), une seconde lettre de Monsieur Dussaule à Monsieur Oury, spécifie que les maquettes ont reçu un avis favorable de la Commission et que le projet peut donc se poursuivre. A partir de là, l’administration ne fera plus barrage pour la réalisation du projet, elle en sera la garante. Le 18 septembre 1972 (annexe 74), Charles Marq écrit : « J’ai été vendredi dernier chez Marc Chagall et nous avons envisagé ensemble la réalisation de ses vitraux qui entrent maintenant dans sa phase concrète ». La troisième phase, celle du passage du dessin au verre, entre en vigueur à cette date. Ainsi, jamais le projet de Chagall n’est critiqué dans sa dimension artistique. Seules les considérations administratives sont avancées. - les maquettes définitives Dès 1972, les maquettes définitives sont faites. Leurs dimensions importantes 105x38, au 1/10 de l’échelle du vitrail, accroissent le sens du détail. Les cernes des personnages et le fond coloré sont bien plus légers que les vitraux terminés. Elles sont faites à la gouache et laissent transparaître une certaine clarté. Elles mettent en valeur l’asymétrie des formes et campent les personnages dans l’espace céleste, démarqués par des cernes franches. Alors que le vitrail final insistera plutôt sur les fondus. Le modelé, lui-aussi, n’apparaît pas du tout, et le travail à la grisaille, la dernière touche de Chagall à son œuvre, avant la cuisson, insistera sur cette restauration. Aucune profondeur n’est donnée plastiquement mais Chagall connaît bien la caractéristique du verre et la présence d’une troisième dimension qui lui est attenante. Ainsi, en prenant en compte le médium-verre, Chagall produit trois dessins aux formes et aux proportions définies, dont les jeux de transparence et de modelé sont exclus. Priorité n’est pas donnée à l’ambiance mais à la précision de détails iconographiques. Les personnages doivent être accompagnés d’objets symboliques pour être reconnus, la fluidité des formes qui s’enchevêtrent et ainsi leurs couleurs donnent lieu à un ensemble construit et soutenu. C’est à partir de ces trois maquettes que le travail du verrier commence. C’est son adaptation des couleurs déjà, puis des formes ensuite, qui le guide. La palette 13 choisie au préalable dans les tons des vitraux anciens laissaient peu d’alternative mais les différents tons de bleu doivent déjà occasionner une recherche et un mariage subtil. 1.1.2 Les vitraux en place (annexes 182 à 194). Dès l’entrée de la cathédrale, le vitrail central de la chapelle d’axe (annexe 182) apparaît dans toute sa lumière bleutée que la blancheur du Christ en croix vient contrebalancer. Cette forme en croix, rappelée en amont par la croix de l’autel, à la croisée du transept, introduit un rythme. De loin, le vitrail paraît petit, intime et intrigant. En s’approchant du chœur, leur présence s’impose. Comme un mystère joué en plusieurs actes, le spectateur est amené à parcourir la nef puis à découvrir le chœur orné de cinq chapelles. Les deux chapelles du chœur sont dédiées dans la partie Nord à Jeanne d’Arc et à Jésus, tandis que les chapelles dans la partie sud le sont à Joseph et Marie. Les trois vitraux de Chagall ornent la chapelle axiale. Les trois baies situées en arc de cercle englobe le spectateur. Chaque lancette mesure pourtant 10 mètres de hauteur sur 1,30 mètres de largeur. Composé de deux lancettes et d’une rosace supérieure chacun, les trois vitraux couvrent une surface de 73,50 m² en totalité. Ces trois baies sont l’occasion de variations tout en verticalité, comme un élan spirituel matérialisé dans l’architecture. Ce dynamisme ascendant est relevé par les tâches de couleurs (notamment les trois tâches rouges dans la baie centrale, offrant un rythme ternaire tout en élan). Tout en courbes et en contre-courbes, les formes s’enchevêtrent comme aspirées par l’éther du paradis. Chaque plomb épouse sensuellement les formes des personnages et donnent à l’ensemble une harmonie secrète et sucrée. « L’unité formelle est renforcée par les fonds bleus aux multiples nuances sur lesquels ressortent des tâches de couleurs »6. « […] Toutes les couleurs se brisent et se fondent les unes dans les autres, se prolongent, s’enrichissent. Elles éloignent ou rapprochent des images insolites et traduisent profondeurs et gouffres de l’alchimie »7. Tout ceci est renforcé par les dispositions architecturales de l’édifice : « L’espace intérieur est baigné d’une lumière homogène, qui ignore les tensions de l’ombre. Ce caractère homogène de la lumière est liée aux données architecturales. Les légères fenêtres […] de Reims s’élèvent en effet dans des plans différemment orientés. Les rayons lumineux qui les 6 Chagall et le vitrail, Clermont-Ferrand, présentation par Gérard Tisserand et Mireille Mentré. Avant-propos de Jean-Louis Prat, dans les couleurs de la poésie, catalogue d’exposition Chagall, Connu et inconnu, Grand Palais, RMN, 2003. 7 14 traversent s’entrecroisent en conséquence, à l’intérieur de l’édifice en des points très situés en avant. Un effet optique est ainsi généré qui rapproche les images et permet une diffusion harmonieuse de la lumière. La logique visuelle alors mise en œuvre conduit à un certain illusionnisme »8. Sylvie Forestier en donne l’appréciation suivante: « Se lève alors, en la mémoire, l’image de son pareil, celui de Reims, illuminé à l’Orient. Corps endormi de Jessé d’où procède, à son sommet la gracile beauté de la Vierge, jeune et printanier rameau. Elle a la même et arienne immatérialité que Notre-Dame de la Belle Verrière, la même circularité protectrice autour de l’enfant. Sève de Vie Eternelle à qui répond l’éternité de l’art9. » C’est peut-être ce qui fit de l’art de Chagall un art pour tous : la sensualité des corps, celui de la Vierge à la poitrine généreuse, le Christ encore enfantin, les personnages, le Peuple en prière, tels des anges colorés en bleu, se fond dans la teinte du ciel. Chaque idée de personnage rendue par une forme ovoïde, un visage et un sourire, nourrit l’ensemble des trois verrières et donnent vie à ce qui est pure forme. Des formes mouvantes donc, délivrant un message, voilà le vœu de Chagall. 8 9 Ibid. p. 34 Dans Chagall, les vitraux, par Sylvie Forestier, Avant-Propos. 15 1.2 L’ ICONOGRAPHIE Comme dans tout lieu de sacerdoce, le clergé doit créer ou du moins approuver le programme iconographique des images qui ornent églises et cathédrales. Lieu de foi et de croyance en la religion chrétienne, qui a ses principes et son histoire, la cathédrale de Reims a cette particularité d’être la cathédrale du Sacre des rois et lui donnent à ce titre, une double couronne placée entre Clergé et Etat. Dans la cas Chagall, il s’est agi différemment. Ordinairement, l’Etat impose le programme iconographique à l’artiste qui doit ensuite produire un travail selon les références citées. Ici, Chagall semble avoir lui-même initié le programme iconographique en insistant sur la filiation. Celui-ci fut légèrement modifié ; y fut ajoutée la baie des rois, dans « Les grandes heures de Reims », dont il est question immédiatement (annexes 2 à 4). Tout le programme fut approuvé par l’Etat, laissant, semblet-il, le Clergé en dehors de la question. Dans deux lettres datées respectivement du 23 et du 27 avril 1974 (annexes 119 et 120), Monseigneur Ménager dit son désir de connaître le programme iconographique établi, avant l’inauguration, au mois de juin. De fait, il n’en a pas eu connaissance auparavant. On en fait la demande à Charles Marq, annexes 118. 1.2.1 Le programme iconographique (annexe 170) « En 1974, Marc Chagall réalise l’ensemble de la chapelle absidiale évoquant l’Ancien Testament, l’Arbre de Jessé et le sacre des Rois de France. Le programme iconographique des fenêtres hautes du chœur, inspiré de celui de Saint Rémi de Reims, glorifie en accord avec le programme sculpté de la Vierge, l’Eglise de Reims et ses évêques. Les apôtres surmontent des églises schématisées symbolisant les évêchés de la province ou suffragants de Reims », indique l’ouvrage du Guide du Patrimoine en Champagne-Ardenne, sous la direction de JeanMaris Pérouse de Montclos10. Le 25 juin 1971, le verrier écrit à Monsieur Jean Feray (annexe 34) que « Monsieur Jacques Dupont [lui] a envoyé les idées iconographiques que vous avez précisé[es] ensemble » et se charge de faire le relais avec Marc Chagall. Ceci est d’ailleurs perceptible dans deux lettres successives datées respectivement les 20 et 24 septembre 1971 (annexes 37 et 38), où Charles Marq accompagne de ses notes un ensemble de livres et documents relatifs au baptême de Clovis et au couronnement de Saint-Louis qu’il envoie à Marc Chagall : « En rentrant, j’ai pensé aux documents que vous m’aviez demandés sur Saint-Louis et au milieu de multiples documents du 19e où Saint-Louis est toujours représenté tenant d’une main la couronne royale et de l’autre sa couronne d’épines… ». « Voici les pauvres documents que 10 Le guide du Patrimoine en Champagne-Ardenne, Hachette, 1995, sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos, Direction du Patrimoine, Conseil régional de Champagne-Ardenne. 16 j’ai trouvé[s] dans le vieil atelier. C’est peu, mais j’espère que ces images pourront mettre en branle votre imagination. C’est peut-être l’image populaire qui est la plus utile. Clovis est souvent représenté dans une cuve baptismale octogonale, à demi-nu, ayant laissé ses armes et son casque à terre, Saint Rémi lui verse de l’eau baptismale où plus exactement l’huile du sacre contenu dans une petite ampoule apportée par une colombe, symbole de l’esprit saint ». Que fait Marc Chagall de ces remarques ? Mais, le flou persiste concernant la réelle fixation du programme iconographique à cette époque ; en effet, dans le compte-rendu du comité du bâtiment du 25 novembre 1971 (annexe 39), il est indiqué que « Marc Chagall avait d’abord conçu un ensemble qui aurait représenté Dieu le Père, et à ses pieds, Abraham, sur le thème des rapports de l’homme à Dieu. Il a accepter de se plier au sujet qui lui est était proposé par l’autorité ministérielle : - le vitrail du centre représentant un Christ en croix - le vitrail de gauche, l’arbre de Jessé et les Rois de Judée - le vitrail de droite, les rois de France et plus particulièrement Clovis, Saint-Louis et Jeanne d’Arc, en raison du sacre de Louis VII. (Mais peut-être s’agit-il plutôt de Charles VII ?) Enfin, la dernière occurrence dans la lettre de Jacques Dupont alors Inspecteur Général des Monuments historiques (annexes 53 et 54) donne son avis à propos des maquettes de Marc Chagall : « il nous semble (…) que les maquettes sont du meilleur Chagall ». Les thèmes iconographiques : Divisé en trois thèmes qui correspondent aux trois verrières, le programme iconographique se déroule comme suit : - « La fenêtre centrale figure l’histoire d’Abraham, premier voyant du Dieu UN, et le Christ, fondements de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les principaux moments de l’histoire d’Abraham occupent la moitié inférieure des deux lancettes : à droite, la vocation d’Abraham (vision de l’Unique), Abraham et les trois anges (vision de la Trinité), Abraham et Melchisédech que couronne le Christ en croix ; à gauche Abraham bénit Isaac alors que Jacob couché à leurs pieds voit en songe la montée et la descente des Anges, messagers d’union entre l’Esprit et la Création, puis au dessus le sacrifice d’Abraham, signe de l’Amour Don Total, que couronne la déposition de croix et le christ dans le rouge glorieux de sa Résurrection. La rosace figure le rayonnement de l’Esprit Saint couronné dans la forme supérieure par la main du 17 Créateur, rejoignant ainsi l’astre de la Vision d’Abraham au bas de la fenêtre et donnant à cette verrière centrale son sens d’Unité. » Intiment persuadé du rôle de médiateur entre l’homme et Dieu, Chagall prête à l’artiste un statut très particulier que vient illustrer ce vitrail. L’histoire d’Abraham, surtout, patriarche auquel Chagall semble s’identifier, permet de décliner une narration autour du rapport de l’homme à Dieu. D’emblée, Marc Chagall avait pensé illustrer par l’histoire d’ Abraham, chère à la religion juive, cette soumission à un Dieu Unique. L’engagement dont fait montre le patriarche permet à Chagall, dont la connaissance biblique est sans mesure, d’illustrer ses idées. Melchisédech, dans la Gn, 14,18, roi de Shalem (identifiée comme Jérusalem) vient nourrir les serviteurs d’Abraham et honore le « Très Haut ». Le grand prêtre dont le pouvoir est légitimé par Abraham sera considéré par la suite comme la figure du Christ sur terre. Son couronnement, illustré dans le vitrail, revêt donc son sens le plus symbolique et octroie à l’exégèse juive toute sa portée. Melchisédech est la préfiguration du christ dans l’Ancien Testament et la mauvaise connaissance de ce personnage dans la Bible permet de multiples interprétations, il est la figuration du Christ-Roi. Isaac, le fils d’Abraham et de Sara, naît tardivement. Il fut le symbole de la croyance de l’homme à Dieu. Dans la Genèse 20,1-8 et 21, Abraham fut éprouvé par dieu qui lui demanda de sacrifier son fils. Malgré son amour, il s’ordonna et fut arrêté au dernier moment par la main de Dieu, qui crut en sa foi profonde. Jacob et Esaü, fils jumeaux d’Isaac et de Rébecca, rivalisent auprès de leur père et de son dieu. Dans la genèse, 28,10-22, Jacob voit en songe celui auquel il ne crut pas jusqu’alors et voua sa vie à l’honorer. Jacob est le père de l’Etat d’Israël et ses douze tribus, ses douze fils. La chute des anges est un épisode « apocryphe ». Insistant avec force sur la filiation d’Abraham, Chagall fait un contrepoint avec le christ, fils unique de Dieu. Cette illustration du Nouveau Testament vient contenir la partie supérieure des deux lancettes, s’appuyant sur la base de quelques extraits de l’Ancien Testament, contenu dans la partie inférieure. Pour le nouveau testament, Le Christ est figuré aux derniers instants de sa vie terrestre et les premiers moments de sa vie céleste : entre la crucifixion, la déposition de croix et la résurrection, qui est aujourd’hui fêtée à la Pentecôte. 18 Ce vitrail concentre un aperçu de deux croyances envers le Dieu Unique, une croyance légitimée par la famille (la filiation) et une croyance envers une incarnation sans descendance qu’est le Christ, le Messie (la désignation). Ces deux modalités ne se confondent pas mais elles tentent de vérifier un certain rappel entre l’Ancien et le Nouveau Testament, sans juger de la légitimité de l’un ou de l’autre. - « La fenêtre de gauche figure les rois de Juda, arbre de Jessé, origine de la Vierge tenant l’Enfant qui couronne la lancette de droite de cette verrière. En bas à droite, Jessé, couché, à gauche Saül et David tenant sa harpe, puis à droite Salomon sur son trône rendant la Justice. Chagall ne retient que les trois grands rois de Juda afin de laisser à la moitié supérieure de la composition la place de s’épanouir et donner sa vraie dimension à la Vierge et à l’Enfant entourés d’un peuple d’orants dans la lancette de gauche. La rosace figure les prophètes, témoins de l’Esprit et annonciateurs du Messie : Isaïe, Jérémie, Daniel et Jonas avec Job et Moïse, entourant Elie s’élevant sur son char de feu. Dans la forme supérieure le chandelier à sept branches entouré de deux Anges figure la lumière d’Israël. » Partant sur le même principe, le registre inférieur des deux lancettes du vitrail de gauche est occupé par les personnages de l’Ancien Testament, « les trois grands rois de Juda », quant au registre supérieur, il est voué à chanter la gloire de Marie. Salomon fit ériger le premier temple à Jérusalem. Son royaume fut séparé entre deux états, celui d’Israël et de Juda. Son règne succéda à celui de David. Vivant de –970, à –931, il symbolise la magnificence des Rois à laquelle succédèrent la chute et le déchirement du royaume. Saül fut le premier roi d’Israël dont il est question dans les premiers livres de Samuel. Le premier à être désigné par dieu mais dont on ne souvient guère, c’est le roi des promesses non tenues. David, de la tribu de Juda, roi juste d’Israël, épouse en noces la fille du roi Saül. Il est considéré comme le père du Messie. « A Bethléem, bourg de la tribu de Juda, le jeune David, fils de Jessé, reçoit du Prophète Samuel l’onction sainte qui fait de lui le roi choisi par dieu. Admis à la cour de Saül, il joue de la harpe pour le roi et tue le géant philistin Goliath dans un 19 combat singulier »11. Ce personnage permet de faire la jonction à plus d’un titre avec le troisième vitrail : celui de la religion (le Père symbolique de Jésus) et celui du pouvoir (le roi d’Israël, le garant de l’Unité du pays). Sa représentation avec une harpe le désigne encore comme un jeune homme. Ces trois rois, fondateurs du royaume d’Israël et du Judaïsme, qui font d’eux des représentants de la loi divine occupent dans le vitrail de Chagall une part importante. La Vierge et l’Enfant occupent, quant à eux, comme une place à part. En effet, Chagall donne une sensualité à cette femme que la maternité a embellie. Ordinairement, sa représentation offre un visage mélancolique qui préfigure le malheur de la mère, et des hommes plus généralement, ayant l’intuition de la mort du Christ. Cette hypothèse est peu développée par Chagall qui préfère lui donner une dimension fondatrice, mère de la Chrétienté. La représentation des prophètes dans la rosace, messagers de Dieu, fait le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Chagall semble avoir représenté, avec les trois vitraux, tous les âges de la Bible, de 1000 avant JC jusqu’à la mort et la résurrection de celui-ci, en 33 après JC (normalement) sans compter les évangiles, rédigés dans les années qui suivirent, évoqués dans la rosace du vitrail des « Grandes heures de Reims ». - Pour le vitrail de droite, (cf photo), le programme définitif indique : « La fenêtre de droite figure les Rois de France dont Reims est la Cathédrale des Sacres. En bas, à droite, le baptême de Clovis par Saint Remi en présence de Clotilde, au dessus le Sacre de Charles VII en présence de Jeanne d’Arc, en bas à gauche, le Sacre de Saint Louis sur le parvis de la Cathédrale et Saint-Louis sur le trône rendant la Justice. Chagall une fois encore ne retient que ces principaux épisodes de la vie des Rois de France afin de pouvoir exprimer dans le haut de la composition la vocation du royaume terrestre à l’Amour et à la Joie du Monde spirituel, du Royaume des Cieux, avec à gauche en haut l’histoire du Bon Samaritain et à droite la Parabole du royaume des Cieux. La rosace avec, en son centre, l’Agneau, montre les quatre évangélistes sous le symbole apocalyptique avec deux anges sonnant de la trompette, figures de l’Alpha et de l’Oméga. Dans la forme supérieure, la couronne des Rois entourée de l’épée et de la main de Justice figurent le Trône et la Cour Céleste ». 11 Article Universalis David. 20 Nous sommes donc du côté du pouvoir terrestre. Si ce thème était illustré pour les rois d’Israël et le fondement de la religion juive puis chrétienne, dans le Nouveau Testament, ici, il fait référence au pouvoir royal français durant le Moyen-age. Clovis : « Les éclatants succès de Clovis s’expliquent surtout par l’appui que lui prêtèrent les catholiques. Encore païen, il avait épousé une princesse catholique, Clotilde, puis avec toute sa tribu, s’était converti au catholicisme : vers 500 l’évêque Saint Remi l’avait baptisé à Reims »12. Cette dimension liée à la religion et déjà à la ville de Reims a permis de faire un rappel et place d’emblée l’origine de la Ville des Sacres au baptême de Clovis. Par ailleurs, elle permet de faire un lien avec l’Eglise de Saint Remi, située non loin de la cathédrale Notre-Dame. Importance de la fonction étatique, importance de la religion, importance de la ville de Reims. Durant toute la Royauté, le Sacre des Rois était bien sûr légitimé par la Pape. Saint-Louis : Le règne de Saint-Louis est une grande époque de l’Histoire de France. (…) L’Europe entière se tournait vers Saint-Louis, non parce qu’il était un conquérant, mais parce qu’il était un saint. Notre littérature, nos cathédrales étaient partout admirées ». « Il est resté dans l’imagination populaire le roi qui rend la justice lui-même, assis sous un chêne du bois de Vincennes.13 » Jeanne d’Arc : seule femme du Moyen-Age ayant eu un impact sur la vie politique, sa renommée était celle d’une femme pieuse et engagée pour la Royauté. L’épisode où Jeanne emmena Charles VII à Reims pour se faire sacrer, reste dans les mémoires. Cet engagement de la jeune femme pour son pays, au moment de la guerre de cent ans où les anglais tenaient Paris et les régions, rendit son action patriotique. Grands personnages de la royauté moyenâgeuse, Clovis, Saint-Louis et Jeanne d’arc, qui viennent en contrepoint des trois rois de d’Israël, Saül, David et Salomon, permettent de créer une symétrie révélatrice de l’alliance de la religion et du Pouvoir. La symétrie n’est pas tout à fait juste, puisque Clovis n’était pas roi de France. Jeanne d’Arc oeuvra pour la domination de la France sur les Anglais en donnant la possibilité au roi Charles VII de se faire sacrer. Pour autant, elle-même n’a que la seule légitimité de Dieu. Pourquoi ne pas avoir porté un choix sur Charlemagne, par exemple ? Du vitrail de gauche au vitrail de droite, la présence 12 Dans Malet et Isaac L’histoire, tome 1 « Rome et le Moyen-Age, 753 av.JC-1492 ». Marabout histoire, Librairie Hachette, 1958. page 101. 13 Ibid., p.191. 21 de deux femmes, l’une mère du Messie (la Vierge Marie) et l’autre, guerrière et vierge également, donne une aura de pureté à leur représentation. Entouré de rois et de prophètes, elles donnent la parole au Christ du centre, dont le bien-fondé est attesté par Abraham et ses descendants. La rosace contient les quatre symboles des évangiles (le lion, l’homme, l’aigle et le taureau); au dessus les symboles de la royauté (annexes 186 à 189). 1.2.2 Les innovations de Marc Chagall L’iconographie de la Bible, depuis longtemps circonscrite dans les livres d’histoire et de religion, subit quelques transformations sous le pinceau de Marc Chagall, ou pour mieux dire, des adaptations. Si celui-ci fît plusieurs déclinaisons du thème dans son œuvre picturale (peintures, lithographies…), il s’en appropria le sens profond et créa une iconographie particulière. L’œuvre la plus remarquable fut une illustration de la Bible qu’il fit pour l’éditeur Tériade, dès les années 1930. Meyer Schapiro écrit dans Les illustrations de Chagall pour la Bible : « l’Ancien Testament reste pour nous un livre vivant par l’intérêt que nous portons à tout ce qui est moral, social et historique, et ceci indépendamment de nos convictions religieuses. Il forme en effet, avec son mélange de légendes et de vérités, une œuvre historique au sens le plus noble du mot. Il raconte l’histoire d’une communauté et comment se sont formées ses plus hautes valeurs humaines, il raconte ses bonnes et ses mauvaises fortunes et les plus éclatants de ses exploits. (…) Le peintre qui aborde les sujets bibliques le fait dans un état d’esprit très différent des peintres du Moyen-age. Il n’est plus étroitement lié à une signification religieuse précise. Le choix de ses scènes ne doit plus répondre aux exigences d’une religion établie. Il lit le texte par lui-même et réagit à sa façon devant le sens humain ou poétique proposés. (…) Le Nouveau Testament devenait ainsi l’accomplissement, l’aboutissement de l’Ancien. Ainsi le sacrifice d’Isaac correspondait au Sacrifice du Christ… ». C’est dans cette tradition que s’inscrit Chagall. Le modelé d’Isaac à la tête nimbée dans la lancette de gauche du vitrail central au moment du Sacrifice, rappelle le Christ, qui lui fait un contrepoint dans la lancette de droite. L’ange qui arrête de geste d’Abraham peut être celui qui surplombe la crucifixion. De plus, le rouge utilisé pour le vêtement d’Abraham, couleur du sacrifice et du sang, est aussi celui qui sert à Chagall pour la résurrection du Christ 22 en gloire, dans le registre supérieur de la même lancette. Ce vitrail central est intéressant à de nombreux titres. Tout d’abord, Chagall choisit de disposer dans le registre inférieur deux scènes liées aux rêves : le songe de Jacob et le songe de l’Alliance (par Noé). La Bible est livre de rêves ! Chagall est un homme de son temps , il sait se nourrir de ses lectures et de ses rencontres : Freud et L’interprétation des rêves, les surréalistes et l’importance qu’ils accordent à la poétique du rêve. Les correspondances entre l’Ancien et le Nouveau Testament, thèmes de la fenêtre centrale, se font de façon ascensionnelle. Comme une chronologie incertaine, distrayant le sens de lecture habituel des occidentaux, de gauche à droite, Chagall préfère adopter une lecture de bas en haut. Dans la rosace et son vitrail supérieur, la représentation métonymique de Dieu, où la main du créateur évoque, en plus de la symbolique chrétienne du Dieu qui créa l’homme issu de la terre, un rappel de l’artiste créateur, dans lequel se projette Chagall. Les scènes du Nouveau Testament sont enserrées entre la présentation de dieu et les épisodes de l’Ancien Testament. De l’homme et de l’artiste, la représentation de la main opère en toute légitimité. Sans compter l’histoire d’Abraham auquel Chagall s’identifie, le vitrail central avec ses nombreux anges, caractéristiques de l’œuvre du peintre, devient également une déclinaison du thème de la crucifixion. Le Christ en croix apparaît très tôt dans l’œuvre pictural de Chagall, dès 1912, dans Golgotha (huile sur toile, New York, MOMA, Legs de Lillie P.Bliss, 1949). D’emblée, le peintre, de croyance juive, n’hésite pas à illustrer la scène de la rupture par excellence entre juifs et chrétiens : la crucifixion. En plus du rappel de la souffrance de l’homme, cette scène représente pour Chagall une opportunité pour figurer la croyance et la pureté des sentiments religieux ainsi que le dépassement de l’homme en son propre destin. Présente dans toutes les réalisations-vitrail de Chagall pour les églises, Tudeley, Fraumünster (annexes 199 et 200), ou les Nations-Unies, la crucifixion adopte rapidement les mêmes traits : simplicité et spontanéité. La rondeur des membres du Christ, sa juvénilité, donne une représentation douce de ce corps sensé meurtri. Par ailleurs, l’asymétrie introduite dans la lancette donne à voir un Christ privé de sa main gauche. La masse sombre qui orne sa tête demeure l’évocation d’un nimbe sans pour autant le représenter. Enfin, le Christ au corps blanc translucide, est représenté sans stigmates. Le vitrail de gauche, représentation de l’arbre de Jessé, adopte d’autres modèles. La forme végétale, récurrente dans l’iconographie chrétienne pour ce thème, est reléguée, pour faire place à un entrelacs de lignes sur fond bleu parsemé de tâches vertes, seul rappel du motif végétal. La Vierge y adopte une position d’envergure : cette Vierge à l’Enfant est représentée en pied, alors qu’habituellement, elle est représentée assise, trônant, pour faire valoir encore plus la position du Christ roi. Là, non. Elle se plaît à avoir une position souple et 23 gracile et montre toute la jeunesse de son corps. En effet, Chagall lui octroie une féminité hors du commun. Sa sensualité est bien mise en valeur : la rotondité de ses seins, les formes élancées de ses jambes… autant d’attraits liés à une représentation de la femme toute moderne. En bas de cette lancette, Jessé endormi, adopte la même position que son voisin Jacob. Le rêve toujours présent motive la généalogie. La représentation de Salomon sur son trône rendant la justice est elle, tout à fait traditionnelle : à sa droite (sur notre gauche) est représentée une femme jouant avec son enfant, comme l’amorce de la présentation de la Vierge à l’enfant, qui surplombe cette scène. Dans la lancette de gauche, Saül le roi rejeté, a une place importante dans la composition. Sa majesté, attestée par la cape verte qui lui tombe sur les épaules, insiste moins sur son rôle politique que sur sa fonction de père. Il est la base de cette branche généalogique. Son gendre, David qui joue de la harpe, est entouré de rinceaux de feuilles, rappelant les motifs de cathédrale de Metz, permettant une fois encore d’illustrer la métaphore de l’arbre et de la généalogie. Le Peuple, mis au même niveau que Marie, surplombé d’un personnage ayant les bras en croix, offre dans sa multitude une représentation de la population croyante. Enfin, les figures des prophètes qui ont annoncé le Christ dans la rosace, donne à Chagall la possibilité de créer des raccourcis harmonieux et poétiques ; des saynètes se détachent des six lobes de la rosace, montrant Isaïe, Jérémie, Daniel, Jonas, Job, Moïse, entourant Elie, s’élevant de son char de feu. Tous ont une aura très particulière ; seul ou entouré de disciples, chacun des personnages personnifie la bonne parole de dieu. Le vitrail de droite est tout à fait atypique. La représentation des « Grandes heures de Reims » se résument par deux mouvements : le premier purement politique, puisqu’il s’agit de légitimer l’accession au trône par la religion (baptême de Clovis ou couronnement de Saint-Louis); et le second, de choisir parmi les personnes les plus représentatives une politique liée à un engouement pour le christianisme, voire une certaine idolâtrie : Jeanne d’Arc et sa vision de Dieu. Enfin, ce vitrail permet à Chagall de se donner une place pour faire voir toute la virtuosité dont il est capable. En effet au dessus de la scène du « Sacre de Charles VII », un espace est laissé libre. Les formes abstraites qui se cognent dans l’entremêlement des couleurs permettent de montrer un pan de son œuvre future, à savoir la dernière réalisation de vitraux par Marc Chagall alors abstraits : les vitraux du transept à Mayence en Allemagne (annexes 210), qu’il ne voulait initialement pas réaliser. La scène du baptême de Clovis est surtout l’occasion de donner une place d’importance à la personne de Saint Remi. En tiare de couleur ocre-orangée, l’évêque donne avec un geste ample la bénédiction, alors que le corps de Clovis est à demi coupé par le bord de la verrière. Une barbe fournie (symbole ambivalent du barbare ou de l’homme de sagesse, ou peut-être l’un 24 devenant l’autre) vient manger le visage du catéchumène et la position de génuflexion montre sa soumission. Derrière, le peuple de Clovis vient assister et suivre son chef. Le personnage de Saint Remi est important dans la ville rémoise ; son corps est enterré dans la Basilique qui porte son nom. Il fallait mentionner sa présence. Dans la lancette gauche, le sacre de Saint-Louis dans une teinte rose sucrée, présente le jeune roi entouré de hauts dignitaires, très enfantin, au visage petit et rond, sur fond d’église. Au dessus, Saint-Louis rendant la justice. A ce titre, Chagall réintroduit les questions de temps dans la représentation, chères au Moyen-Age. En effet, un même personnage est représenté dans le même espace à plusieurs moments de sa vie. Cette simultanéité provoque des brèches dans la narration et invite le spectateur à s’interroger sur la représentation ellemême. Ces deux scènes de Saint-Louis sont superposées à la parabole du Bon Samaritain. Selon l’Evangile de Saint Luc : « Mais un Samaritain qui était en voyage, arriva près de lui [un homme battu par des brigands], le vit et fut pris de pitié. Il s’approcha, banda ses plaies, y versa de l’huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui.». Ce tableau tout de bleu, donne à Chagall l’occasion d’introduire un animal : un âne semble-t-il, dans sa représentation. Peu d’animaux, pourtant chers à Chagall, investissent le champ de la représentation. C’est ainsi que des anges occupent les lobes des la rosace, accompagnant les évangiles : le taureau de Luc, l’Aigle de Jean, le lion de Marc sans oublier l’homme pour Matthieu. La représentation du Sacre de Charles VII place Jeanne d’Arc de profil, en armures, près de son roi. Derrière lui, le pape lui dépose une couronne sur la tête. Ce geste est renforcé par la disposition des deux corps : le « dépositaire de la couronne » et le « couronné » ne font plus qu’un, laissant au centre la couronne surgir visuellement. Quant à Jeanne d’Arc, sa position de repli, en simple observatrice, sert de garantie à l’événement. Le thème de ce vitrail, de la royauté et de son pouvoir, si difficile à traiter aujourd’hui, n’a pu l’être que dans ce cadre religieux. En effet, si Chagall a traité fréquemment, sinon en continu, les thèmes bibliques, la question de la royauté, ou même de la puissance politique n’a jamais tenté l’homme. La situation de son pays d’origine : la Russie, ne lui a guère donné le goût de la politique. En 1920, il est au poste de commissaire des Beaux-Arts, auquel la jeune révolution russe tente de donner de l’ampleur. Cette mission politique ne l’intéresse que peu de temps. Très rapidement, Chagall démissionne. Son exil ensuite,… A l’inverse des deux autres vitraux, Chagall ici isole les scènes choisies, et exploite les zones de transition en pur espace formel. 25 1.3 LA RECEPTION CRITIQUE 1.3.1 l’inauguration de l’événement Couverte par de nombreux journalistes, l’inauguration des vitraux de Chagall a été l’occasion d’un grand événement artistique mais également politique. Ce fut en effet, grâce à l’organisation du Comité des bâtisseurs, une cérémonie bien orchestrée, où l’archevêque Monseigneur Ménager bénît les vitraux, qui trouvèrent place dès la fin mai. La bénédiction fut accompagnée à l’orgue, par Monsieur Arsène Muzerelle (motif du carton, annexe 194). De nombreux articles donc, relatèrent l’événement dans toute la France, des quotidiens de l’Ouest de la France à des journaux nationaux, tels que le Figaro ou le Monde, ou bien encore des journaux catholiques. En effet, l’événement est d’importance, la pose de vitraux contemporains dans un édifice gothique reste quelque chose de marginal. Qui plus est, le maître est de grande renommée. « Des vitraux bleus pour une cathédrale », « un bouquet mystique pour la France », « Reims accueille Chagall » autant de titres d’articles qui s’écrivent… Quelques-uns d’entre eux, effleurant la polémique autour des vitraux contemporains, ne cessent cependant d’en faire l’éloge. L’artiste également étonne : sa modestie tranche avec la présentation de ses vitraux. Un artiste qui doute malgré son âge avancé. Un artiste dont l’œuvre éblouit et donne un autre regard à l’édifice. - l’organisation de l’inauguration Prise en charge par le Comité des bâtisseurs en son entier, l’organisation de l’inauguration des vitraux de Chagall dans la cathédrale de Reims n’est pas une « mince affaire » : établir les listes d’invités (que l’on peut consulter en annexes 143 à 150 – la liste du Comité des bâtisseurs, la liste de Chagall, la liste de Jean Taittinger et de la municipalité et celle de Charles Marq), convoquant des personnes du monde de l’art mais également de la vie politique. Dès le mois de février 1974, les invitations (qu’il fallut par ailleurs dessiner) sont envoyées. Un échange de correspondance, à la fin du mois de février entre Jean Taittinger, alors Garde des Sceaux et maire de Reims, et René Blondet, président du Comité des bâtisseurs, permet de comprendre la prévoyance qu’il fallut avoir. Ce fut le moment des passations politiques : le ministre des affaires Culturelles Maurice Druon céda sa place à Alain Peyrefitte. Ainsi, c’est l’ancien ministre qui assista à l’inauguration (annexes 109 à 112). L’invitation permet de citer les protagonistes et l’objet de la création. La plaquette de format carré, détail du vitrail axial, plante Abraham et les trois anges dans un nuage de bleu, aux subtilités éclatantes. La représentation d’un œil dans un halo lumineux jaune au registre inférieur qui toise le spectateur devient « une pure invitation à l’extase mystique ». 26 Les discours furent travaillés bien en amont. Trois discours furent tenus par la Princesse de Caraman-Chimay (annexes 160 à 161)mettant l’accent sur l’histoire de la cathédrale et de ses destructions. Jean Taittinger (annexes 154 à 159) décida de faire valoir la renommée de l’artiste et de lui rendre un hommage chaleureux. Enfin, René Blondet (annexes 152 et 153) fit de cette réalisation l’apanage du Mécénat français et de quelques entreprises en particulier. Les métiers d’art recouvraient enfin leur prestige par le biais de cette réalisation. Quant au protocole (annexe 151), la disposition des places dans l’église fut parfaitement circonscrite dans un document consultable en annexe. 1.3.2 la revue de presse L’inauguration faite le 14 juin 1974 convoqua beaucoup de journalistes. La présence de certaines personnes fut très médiatisée, notamment l’ambassadeur de Russie, Monsieur Tchervonenko. Rolf Lemoine, du Figaro, (annexes 237) dans son article « Trois vitraux de Chagall bénis à Reims » montre peu d’engouement pour la réalisation de Chagall. Il lui préfère « les admirables rosaces du grand portail, où brûlent mille gemmes serties dans les chatons de pierre ». Mais ce n’est pas tout. Les détracteurs sont nombreux, même s’ils ne sont pas virulents. J.E Lapp, de l’Agence économique et financière des 28 et 29 juin 1974 (annexes 235, 236) soulève la polémique du vitrail contemporain en en questionnant la légitimité : « la majesté des pierres et l’éblouissant vitrail (rosace centrale) que l’on a restauré s’accommodent mal du vitrail du Champagne et de celui de Chagall, offert par les bâtisseurs ». Critique somme toute généraliste ! Martine Voyeux, quant à elle, écrit dans le Quotidien de Paris du lundi 24 juin 1974 (annexe 231), que « la charpente de plomb(…)alourdit le jeu dans l’apesanteur spécifique de ses peintures. La grande tâche bleue s’en trouve à la fois alourdie et pas assez rythmée. D’ailleurs, Chagall joue justement sur la puissance de la couleur au détriment de la forme. (…) Il faut absolument aller voir tout près de là, dans l’église Saint-Jacques, les vitraux de Vieira Da Silva et de Sima qui, eux, répondent mieux à la technique du vitrail ». Dire du travail de Chagall qu’il n’est pas fait pour les vitraux est somme toute passer à côté de son travail ! Enfin, le quatrième exemple, par Jacques Michel, du Monde, dans un article daté du 15 juin 1974 (annexe 234), est lui plus enthousiaste : « Vitraux atmosphériques. De la lumière et de l’air circulent dans cette couleur toute pure. On y passerait la main pour y saisir un peu de 27 ce monde en lévitation, comme des poissons rouges dans un bocal. Le Chagall des vitraux fait penser aux grands « tissus » de peinture toute crue et fraîche de Monet dans les Nymphéas. C’est une œuvre de maturité qui respire un certain bonheur d’être et de peindre ». Ainsi, les compte-rendus du jour de l’inauguration sont-ils révélateurs des critiques sousjacentes qui existent depuis le début du projet. - Des avis partagés En effet, au moment de la naissance du projet dès 1970-1971, le quotidien local L’Union daté du 7.04.1971 (annexe 222) fait un état de ses ressorts. Sans que celui-ci soit encore réellement défini, il est déjà question de la participation de Chagall pour la création de vitraux dans la cathédrale sans avoir l’emplacement exact ni les fonds permettant sa réalisation. Le projet est, on le sait d’emblée, « une offrande des corporations du bâtiment ». Ayant décidé lors d’une réunion datée du 19 janvier 1972 du lancement de la souscription (Voir le Compte-rendu de réunion de la même date- annexes 44 à 46), l’événement est médiatisé. Les différentes réponses dans la rubrique « Nos lecteurs ont la parole » du journal L’Union est assez édifiante (annexes 223 à 229). On peut y lire des critiques plus ou moins fondées : les vitraux de Chagall à la charge des contribuables, puisque financés par les Monuments historiques, ce qui est faux ; les valeurs de l’art dans un modernisme décadent - l’art décadent de Chagall- », l’oubli des techniques du passé, … Autant de préjugés…A contrario certains défenseurs se font jour et la réponse faite, point par point, dans cette rubrique à un lecteur est caractéristique. Pour autant, le projet ne souleva pas de polémiques profondes et intéressa peu les rémois (selon certains anonymes). Enfin, Monsieur Robert Neuville (annexe 230) préfère écrire en son nom propre au Comité des bâtisseurs sa désapprobation. Un acte de courage ! Ainsi, le projet de création de vitraux de Marc Chagall pour la chapelle d’axe de la cathédrale de Reims ne fait pas l’unanimité. C’est la raison pour laquelle sans doute le projet a mis longtemps à émerger. Mais voyons comment celui-ci a été mené. 28 II. Les conditions de réalisation du projet 2.1 Les « promoteurs » du projet 2.2 Le budget 2.3 La technique 29 2.1 LES « PROMOTEURS » DU PROJET Initié semble-t-il par Charles Marq, soutenu par le comité des Bâtisseurs et par la Société des amis de la cathédrale, le projet de création de vitraux contemporains dans la chapelle d’axe de la cathédrale de Reims est, dès l’origine, associé au nom de Marc Chagall. L’idée « de poursuivre dans la tradition du Mécénat l’œuvre de rénovation des Vitraux de la cathédrale de Reims »14 a abouti à une aventure unique. De la naissance du projet15, apparue dans un courrier de Paul Voisin à Charles Marq, le 11 novembre 1968 (annexes 516), à la réalisation des vitraux, inaugurés le 14 juin 1974, six ans s’écoulent. Six ans où le projet va évoluer pour aboutir à la création que l’on connaît et que l’on peut admirer aujourd’hui. Différents notables constituent alors la vie intellectuelle rémoise et s’inquiètent du rayonnement culturel de la ville. Ainsi, Monsieur Jean Taittinger, Maire de Reims et à ce moment garde des Sceaux, dont la famille est très liée à la région, Monsieur Paul Voisin, Président d’honneur du Club des maîtres d’Ouvrage, Monsieur René Blondet, Président de la Fédération du bâtiment et la Princesse de Caraman-Chimay, Présidente de la Société des Amis de la cathédrale de Reims. La ville de Reims, en grande partie détruite durant les années de guerre est restée en peu en deçà de la vie culturelle. La proximité de Paris semblait être un atout, elle se révélait un obstacle. C’est donc par des projets spécifiques que la scène rémoise va se démarquer. D’autres personnalités, bien sûr, viendront œuvrer pour ce projet. Car, le vitrail de Marc Chagall a pu être réalisé, sinon grâce à l’enthousiasme de quelques personnes, du moins à certaines associations (dont ces personnes faisaient partie) formant ce qu’on appelle un mécène pluriel et riche d’intentions. En outre, depuis 1957, Marc Chagall vient régulièrement à Reims, travailler dans l’atelier Jacques Simon à la réalisation de ses vitraux (pour lesquels un paragraphe sera consacré entièrement dans la troisième partie). Charles Marq alors soucieux du bien-être des artistes qui fréquentent son atelier, fait visiter sa ville, et, bien sûr, la cathédrale. Présenté par Charles Marq, le projet est défini ainsi (annexes 130) : « Depuis [1957], Chagall n’a pour 14 Premier paragraphe du « Comité des bâtisseurs », plaquette d’inauguration. Occurrence a été faite de l’exposé du projet par Monsieur Blondet du Comité des bâtisseurs à sa fédération en 1966, 1967 mais aucun document ne vient étayer cette hypothèse. 16 transcription de la lettre manuscrite de Paul Voisin à Charles Marq, datée du 11/11/68 « Mon cher Charles, J’ai tenu J.C Chimay au courant de notre conversation. Elle est à première vue favorable à l’idée Chagall mais doit essayer de connaître quelle sera la réaction des Beaux-Arts. Toutefois, elle pense qu’il serait bon, psychologiquement, de prévoir le déplacement des vitraux actuels si c’est possible, plutôt que leur simple destruction –quitte à ce que ce soit cette dernière solution qui prévale finalement. Mais il serait bon que le coût de ce déplacement figurât dans le budget. Du reste J.Bernard l’idée Chagall est accueillie avec ferveur. Dès que j’aurai votre devis, je poursuivrai mes démarches. Amitiés, P.Voisin ». Monsieur Bernard, étant le président de la Maison de la Culture. 30 15 ainsi dire pas cessé de concevoir ou de réaliser des vitraux, passant ainsi une part de sa vie à Reims. (…) C’est sans surprise qu’il accueillit donc la demande de la Fédération du bâtiment de la région Champagne-Ardenne et de la Société des Amis de la cathédrale de Reims, de réaliser les vitraux de la chapelle axiale de la cathédrale »17. Mais l’origine du projet reste floue : de qui, du Comité, de la Société des Amis de la Cathédrale, du verrier ou de l’artiste, émane-t-il ? En fait, peu importe, le projet est porté rapidement par tout un ensemble. La collaboration soutenue entre Marc Chagall et Charles Marq semble avoir créé l’opportunité de pourvoir en verrières contemporaines le bâtiment gothique. C’est en effet parce que Marc Chagall s’exerçait depuis quelques années au vitrail, qu’il connaissait bien la ville, qu’il avait vu jouer les lumières de la cathédrale à toutes saisons, que « tout allait de soi ». C’est ce que ne manque pas de rappeler la Princesse de Caraman-Chimay à Monsieur Blondet dans une lettre datée du 13 février 1969 (annexes 7 et 8), le projet étant à peine esquissé. Soumis rapidement au service des Monuments Historiques, le projet passait de commission en commission toutes les étapes de son acceptation et de sa réalisation. Il trouva au sein du ministère de la Culture et ses protagonistes en région, les soutiens dont il eut besoin pour se réaliser. Œuvre de mécénat privé, les trois baies pourvues des vitraux de Marc Chagall furent le fruit d’une conjoncture favorable, entre l’ouverture du Clergé à des propositions artistiques d’envergure, une volonté des Monuments historiques encore un peu timide mais notable, et l’investissement de capitaux privés pour un art de qualité par les mécènes locaux soucieux d’embellir leur ville. 2.1.1 La Société des Amis de la cathédrale (la S.A.C.R) « Il y eut (…) l’immense investissement émotif autour des cathédrales d’Arras, de Noyon et surtout de la cathédrale de Reims au moment des bombardements de 1916, et tout au long de sa lente « reconstruction »18 ». La création de la Société des Amis de la cathédrale de Reims en est une conséquence. 17 Plaquette de présentation, Chagall à Reims, par Charles Marq J.P Babelon et A.Chastel, La notion de Patrimoine, Collection Opinion, édition Liana Levi, 1994. Première parution dans Revue de l’art 49/1980. p.88/89. 31 18 Fondée en mai 1917, sous les auspices du Président Poincaré et du Cardinal Luçon, la Société des Amis trouve sa raison d’être dans la restauration de la cathédrale, en organisant des collectes pour sa reconstruction. S’y organisent rapidement conférences et éditions dans la perspective d’une connaissance plus scientifique réunissant les plus grands spécialistes sur le sujet. Les objectifs de l’association sont présentés dans l’article 2 des statuts : « L’association a pour but : « D’aider à la conservation et à la restauration de la Cathédrale de Reims et de ses dépendances, De réunir les souvenirs historiques et nationaux qui s’y rattachent, de contribuer à maintenir et à développer le caractère artistique du mobilier et de la décoration intérieure de la Cathédrale de Reims ainsi que la partie musicale des fêtes qui y sont célébrés, mais à l’exclusion de toute ingérence dans l’organisation de la célébration du Culte ».19 La seconde guerre ralentit les restaurations des vitreries, débutées par Jacques Simon en 1937. 1954 fût l’année de réalisation du « Vitrail du Champagne », commandé par le Mécénat des Vignerons et Maisons de champagne pour la cathédrale de Reims. La campagne de restauration et de création autour des vitreries s’organisait. « Présidente des Amis de la Cathédrale depuis 1950, la Princesse Jean de CaramanChimay, petite-fille d’Albert de Mun, mit toute son énergie à faire renaître le goût du mécénat dans le monde des Affaires. Elle entraîna l’adhésion des Vignerons et des Maisons de Champagne et même de leurs agents à l’étranger. Ouverte également à la foule innombrable des amateurs de nos vins, la souscription rassembla des dons venus des provinces de France et d’une douzaine de pays étrangers. (…) Pour le Vitrail du Champagne, [dont la conception et la réalisation sont confiées à Jacques Simon] il s’inspira des vitraux de corporations du Moyen-Age, mêlant les travaux et les jours des donateurs à la représentation de leurs saints patrons et aux scènes bibliques. Il tira parti du symbolisme du vin pour livrer une méditation sur l’Eucharistie. L’ensemble comprend trois lancettes de dix mètres de hauteur surmontées de trois oculi de 2,40 mètres de diamètre. (…) 19 Ce paragraphe est tiré du mémoire de DEA de Yann Harlaut, intitulé Ruines et résurrection de la Cathédrale de Reims (du 4 septembre 1914 au 10 juillet 1938), soutenu à l’université de Reims en 1999. Il est consultable en partie sur Internet sur le site http:/catreims.free/his020html 32 Et comme par miracle, la souscription lancée par les Vignerons et Maisons de champagne n’ayant pas été épuisée par cette commande, le reliquat permit de faire un deuxième vitrail que réalisa Brigitte Simon-Marq, fille de Jacques, en 1961. Il est piquant de relever que ce qui restait du Vitrail du Champagne servit à une verrière de l’Eau vive…C’est en effet le thème traité dans la fenêtre occidentale du bras sud du transept, au dessus des fonts baptismaux. L’artiste prit son inspiration dans la tonalité des grisailles des fenêtres hautes ; ces vitreries des croisillons (XIIIe siècle) étaient sans doute destinées à laisser passer suffisamment de lumière pour éclairer le sanctuaire. L’interprétation moderne retient la fraîcheur des gris bleutés en leur donnant le dynamisme d’un fleuve sur lequel souffle l’Esprit ».20 « Les sociétés de protection attestèrent, entre les deux guerres, puis après 1950, l’attention d’un certain public intellectuel aux vicissitudes du patrimoine. Leur développement a été lent ; elles n’ont touché que des secteurs limités ; elles ont probablement souffert de leur diversité, n’ayant jamais pu se fédérer comme il eut été nécessaire d’un point de vue de pure stratégie politique »21. A cet égard, la scène rémoise et son investissement notable dans la réalisation et/ou la restauration des vitraux, va à l’encontre d’un tel propos. Réunion et fédération permettent l’implication des mécènes privés. En effet, grâce aux actions portées par la S.A.C.R et budgétées par les membres qui la constituent bientôt, la possibilité de tels projets est envisagée et soutenue durant les deux décennies qui précèdent la création des vitraux de Marc Chagall. La princesse de Caraman-Chimay à Monsieur Blondet dans une lettre du 25 décembre 1970 (annexes 22 à 25) montre quel investissement elle a pu avoir dans le projet et quels sont les rebondissements et les hésitations qui le caractérisent. Le soulagement de voir accepter la proposition du Comité des bâtisseurs par tous les protagonistes donne lieu à un courrier le 8 avril 1971 à Monsieur Blondet (annexes 26 et27) pour enfin le lui confirmer et remercier parallèlement Mademoiselle Nicole Hébert qui a semble-t-il appuyé grandement le projet. 2.1.2 le comité des bâtisseurs La situation économique favorable notamment liée au vin de Champagne n’est pas tout dans la région, puisque le monde du bâtiment décide de procéder à une collecte et de 20 Ces indications sont reportées dans l’article « Organisations professionnelles du Champagne », consultable sur Internet http:/www.umc.fr/orga_prof/mecenat_vitrail.htm 21 Babelon et Chastel, ibid. 33 financer un nouveau projet22. A l’image du vitrail du champagne, les bâtisseurs portent leurs intentions de mécénat sur le vitrail. Ce sera pour la réalisation des vitraux de Chagall. Ceci est confirmé dans une lettre de Monsieur Blondet à la princesse de Caraman-Chimay, le 1e juin 1970 (annexes 19 et 20). Les membres qui constituent le comité des bâtisseurs est à consulter en annexe 43. La première mention du projet est faite dans la lettre de Paul Voisin, président d’honneur du Club des maîtres d’ouvrage à Charles Marq, le 11/11/68 (annexe 5). L’idée Chagall est seulement envisagée. Le devis est envoyé une semaine plus tard par Charles Marq à Monsieur Paul Voisin (annexe 6), où il est question de deux enveloppes : une s’élevant à 200 000 FF au cas « où la maquette serait réalisée par nos soins, mais au dessus dans le cas où Marc Chagall interviendrait dans ce travail, car la technique que j’emploie pour ses réalisations est plus complexe 23». Durant l’année 1970, une correspondance soutenue entre la présidente de la Société des amis de la cathédrale et Monsieur Blondet est entretenue. La princesse informe notamment les futurs commanditaires de l’avancée du projet et la démarche à suivre pour la rendre officielle (lettre du 21 « mai »1970, annexes 17 et 18 ). Le 15 décembre 1971, une lettre d’Henri Druart à René Blondet (annexe 40), suivie de deux autres lettres de « bâtisseurs » parle de la naissance du Comité des bâtisseurs (annexes 41 et 42). La structure administrative va légitimer le projet et René Blondet œuvre dans ce sens pour asseoir le projet qui lui est cher. Lors de sa présentation à la Commission supérieure des Monuments historiques, il est bien précisé que le projet, porté en son ensemble par l’artiste Marc Chagall et le verrier Charles Marq, sera réalisé pour la chapelle d’axe de la cathédrale de Reims, et financé en totalité par le Comité des Bâtisseurs à cette condition (annexes 53 et 54). Présenté dans la plaquette de l’inauguration (annexes 129 à 142), le comité est constitué par un ensemble d’entreprises et de syndicats (annexe 141) : 22 23 - Syndicats des carrières et Matériaux de Construction de Champagne-Ardenne - L’Office régional du Bâtiment Champagne-Ardenne Fait relevé par Catherine Delot dans Mythes et réalités lettre de Charles Marq à Paul Voisin datée du 18 novembre 1968. 34 - L’union régionale Champagne-Ardenne des négociants en matériaux et bois - Le syndicat des Artisans et des Petites entreprises du Bâtiment Champagne-Ardenne - L’union des Architectes Champagne-Ardenne - Maîtres d’Ouvrage Son président René Blondet centralise les informations qu’il redistribue ensuite aux différentes instances. Mais c’est surtout la partie financière qui lui incombe et c’est pourquoi, Charles Marq lui fit des compte-rendus fréquents sur les avancées du projet. Les lettres datées respectivement du 3 mai 1972 et du 18 septembre de la même année (annexes 73 et 74) le font voir assez clairement. Monsieur Blondet ne manqua pas d’envoyer une lettre le 24 mars 1972 à Chagall (annexe 65) pour l’assurer de son admiration. La réunion de ces entreprises en une association unique permet de dégager des fonds importants pour la mise en oeuvre d’un tel projet. Administrativement, cela facilite beaucoup les démarches. La hauteur de l’investissement financier et la communication créée autour de cet événement ont par ailleurs motivé les donateurs. Catherine Delot dans Mythes et réalités parle de la souscription qui fut engagée. Le mécénat très développé dans les pays anglosaxons est ponctuel en France à ce moment. Une réalisation d’envergure et de qualité permet de faire-valoir la dimension culturelle, d’une entreprise, d’un ensemble économique et d’une région. Si les mesures fiscales de l’Etat sont encore fluctuants en 1974, elles permettent malgré tout à des entreprises privées de déduire de leurs impôts 10/OO de la somme investie en 1972 (annexe 58) et 30/OO en 1973 (annexe 94). Les documents joints dans le bulletin de souscription sont intéressants de ce point de vue. L’investissement du Comité des bâtisseurs crée donc une action valorisante à tous les points de vue : artistique (avec l’intervention d’un des plus grand artiste du 20e siècle), historique (qui trouve sa place dans un monument historique), culturelle (qui se penche sur des problématiques situées entre modernité et histoire), financière (qui donne la mesure de la réussite des entreprises concernées)…. Lors de la réunion en date du 20 février 1974 (annexes100 à 103), le procès-verbal mentionne l’organisation de la journée d’inauguration, qui revient bien entendu, au bénéficiaire du projet, c’est-à-dire le Comité du bâtiment pour son œuvre de mécénat. 2.2 LE BUDGET 2.2.1 le comité des bâtisseurs - l’engagement La somme des devis fournis par Charles Marq est définitivement fixée à 300 000 FF, dans un courrier à Monsieur le Président du Comité des Bâtisseurs, le 18 septembre 1972 (annexe 74). 35 Il va de soi, que chaque opération est évaluée par le maître verrier. Un contrat est donc fait entre les deux parties : le payeur, le comité des Bâtisseurs et le payé : le maître verrier qui se charge ensuite d’honorer les factures aux tiers (les fournisseurs, la main d’œuvre – les compagnons et les manutentionnaires…). Les documents relatifs au budget sont très peu nombreux. Le récapitulatif des versements successifs est visible sur une feuille manuscrite de Charles Marq (annexe 128). Par ailleurs, des contributions indirectes furent faites notamment par l’Union nationale des chambres syndicales de couverture et de plomberie de France pour la réfection des plombs (lettres du 4 et du 9 mai 1974 –annexes 121 et 122) dont le coût fut évalué le 6 mars 1974 par Charles Marq (annexe 115) et accepté le 11 du même mois par les partis concernés (annexe 116). - la souscription et les donateurs (annexes 58 à 63). Les archives de la Fédération du bâtiment ont permis de faire ressurgir les démarches successives attenantes à l’opération. Le lancement de la souscription à la suite de la création de l’association du Comité des bâtisseurs, créée à cette seule fin, est engagé dans le courant de l’année 1972. Le 14 février 1972 (annexes 44 à 46), une réunion du Comité pose les jalons des différentes phases de réalisation concernant la souscription. A ce titre est créée une plaquette de présentation, très élaborée permettant de prendre connaissance des maquettes de Marc Chagall, qui furent photographiées dès leur réception à l’atelier Jacques Simon. De nombreuses plaquettes furent envoyées aux donateurs (lettre du 17 mars 1972 à Monsieur Nigron est un exemple –annexe 56) avant la conférence de presse faite le 20 mars 1972 pour promouvoir le projet. L’Union du 21 mars 1972 en fit le rapport (annexe 64). Une liste établie à partir du registre du commerce fait état de toutes les entreprises liées au bâtiment dans la région. Les contacts sont effectués par la Comité des bâtisseurs dont l’affaire est suivie avec régularité. Une secrétaire attitrée est mise en poste pour suivre le dossier et établir une certaine unité dans la constitution des dossiers. Des relances furent effectuées et les médias engagés : la lettre du 11 avril 1972 et l’article qui y est adjoint nous montre à quel point le sujet est sensible (annexes 67 à 70). Une lettre (datée du 19 septembre 1972 –annexes 75 et 76) de Monsieur Druart à la Princesse de Caraman-Chimay nous renseigne sur les premières donations : en effet, la moitié de la somme a été réunie lors de la première souscription. Faisant un point sur l’avancée du projet, le comité des bâtisseurs lors d’une réunion le 4 octobre 1973, dont le compte-rendu date du 22, décide la relance (annexes 86 à 89). A ce moment, la somme de 180 000 francs a été réunie. 36 Les lettres de novembre et décembre 1973 (annexe 95) montrent de quelle ténacité le Comité des bâtisseurs fait preuve. Le nombre des donateurs s’élèvent au final à 243, ayant versé entre 50 et 50000 francs pour le projet. De multiples entreprises de la région se sont mobilisés mais également des particuliers. La somme totale des dons monte à 357 582, 60, francs. Les dons s’étalent entre mars 1972 et septembre 1974. Un journal des règlements fut tenu mois par mois avec tous les règlements successifs. Tous les noms des donateurs et les sommes correspondantes sont circonscrites. - les acomptes Une fiche récapitulative des différents acomptes présente (annexe 128) : Les demandes Les réceptions 100 000FF 19/1/73 100 000FF 14/11/73 80 000FF 03/01/74 80 000FF 25/02/74 50 000FF+8000FF 04/01/74 8 000FF 15/03/74 50 000FF 10/05/74 30 000FF 30/04/74 30 000FF 25/06/74 32 000FF 32 000FF Comme nous pouvons le constater, entre les demandes et les réceptions des acomptes, peu de temps s’écoule. Le maître-verrier a sans doute apprécié cette souplesse. Une lettre datée du 3 janvier 1973 confirme le versement à Charles Marq de 100 000 francs en règlement du premier acompte (annexe 78). Un bordereau daté du 19 juin 1974 fait mention du dernier versement (32 000FF- annexe 36), en règlement du vitrail Marc Chagall, sur la banque corporative du bâtiment et des travaux publics. Ainsi 300 000 francs furent versés pour la réalisation du vitrail. Chaque versement a été consigné et la comptabilité a été tenue avec une certaine flexibilité dans les archives de l’atelier Simon.. 2.2.2 Le ministère des Affaires Culturelles - La présentation La mobilisation du Ministère des Affaires Culturelles est importante dans la réalisation du projet. Son action se mesure dans différentes phases de sa réalisation sans être directe. Le rôle de consultation tenue par l’Etat est majeure. 37 Le jeune ministère, dont la création est confiée en 1959 à André Malraux, est de façon incessante amenée à définir ses priorités durant ses premières années. « L’organisation de l’administration centrale est complétée par la mise en place de comités régionaux des affaires culturelles (1963), de conseillers régionaux à la création artistique (1965) et des trois premiers Directeurs régionaux des Affaires Culturelles (1969), réformes qui amorcent la déconcentration du ministère »24. Essayant de définir les moyens d’action les plus adaptés aux situations qui se font jour, le ministère commence dès la fin des années soixante à rayonner en région. Les différents ministres de la Culture (aux titres qui diffèrent sensiblement durant ces années) qui se succèdent pour la période qui nous concernent, de 1970/1971 à l’inauguration du 14 juin 1974, ne portent pas tous le même intérêt à l’entreprise : Sous les présidences de la République de Charles de Gaulle, réélu en 1965, de Georges Pompidou en 1969 et de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, sont nommés : André BETTENCOURT, le 19 octobre 1970 (Premier ministre : Jacques Chaban-Delmas) Jacques DUHAMEL, le 7 janvier 1971 (Premier ministre : Jacques Chaban-Delmas) Maurice DRUON, le 5 avril 1973 (Premier ministre : Pierre Messmer), Tous les trois, ministre des Affaires Culturelles Alain PEYREFITTE, le 1er mars 1974 (Premier ministre : Pierre Messmer), Ministre des Affaires Culturelles et de l’environnement Michel GUY, le 8 juin 1974 (Premier ministre : Jacques Chirac), Secrétaire d’Etat à la culture Quant à André Malraux, il fut un grand ami de Marc Chagall, qu’il soutint à maintes reprises. De la présentation des maquettes de la synagogue de Jérusalem à Paris, à la commande du plafond de l’Opéra de Paris, l’ancien ministre des Affaires culturelles prenait à cœur les initiatives tournées vers la cathédrale de Reims : il fut parmi quelques-uns à soutenir Brigitte Simon pour la réalisation de ses vitraux dans la cathédrale de Reims, dans le courant de l’année 1971. 24 Citation tirée du site du Ministère de la Culture « Historique du ministère de la Culture : création et développement d’une administration. www.culture.gouv.fr/culture/historique/rubriques/creationnministere.htm 38 La présence de Maurice Druon lors de l’inauguration des vitraux de Chagall a été relatée dans la presse, par tous les quotidiens locaux et nationaux. La présence du ministre à l’inauguration avait été annoncée dans une lettre du Maire de Reims, Monsieur Taittinger à Monsieur Charles Marq, maître-verrier, en date du 27 février 1974 et en divers endroits (annexes 109 à 112). Cet arrière-plan politique permet de comprendre les difficultés du ministère de la Culture pour initier des projets de ce type ; en effet, même si le projet s’apparente à une commande publique (en bénéficiant des échos de la réalisation de Chagall, commande publique pour la cathédrale de Metz), le projet fut porté par le mécénat local privé. Malgré tout, la cathédrale Notre-Dame de Reims, qui est classée Monument historique et donc « propriété de l’Etat » (Monument historique : édifice, objet mobilier ou autre vestige du passé qu'il importe de conserver dans le patrimoine national pour les souvenirs qui s'y rattachent ou pour sa valeur artistique25 ) devient l’écrin des futurs vitraux. J.P Babelon et A.Chastel, dans La notion de Patrimoine, le définissent ainsi : « l’expression « Monument historique » apparaît, semble-t-il, pour la première fois dans le prospectus d’Aubin-Louis Millin, dans son recueil d’Antiquités nationales (1790) : « C’est aux monuments historiques que nous nous attachons principalement. » Monuments signifie ici édifices mais aussi tombeaux, statues, vitraux, tout ce qui peut fixer, illustrer, préciser l’histoire nationale. »26 C’est à ce titre que chaque décision dut être approuvée par le Ministère. - L’Etat et le vitrail Le vitrail contemporain a quelque chose d’atypique, tant il se place à mi-chemin entre modernité et tradition. Il déplace ainsi le discours des conservateurs entre conservation et création. Les vitraux, considérés comme objets mobiliers, sont liés aux monuments historiques dans lesquels ils sont posés (c’est souvent le cas sans en être une condition) et créent des impératifs autant administratifs qu’historiques. A juste titre ! En effet, afin de conserver les monuments en leur état originel, ou le paraissant, sans créer d’anachronisme non consenti dans les restaurations ou les réhabilitations, ou les revendiquant comme 25(c) Larousse. 39 créations, l’Etat a crée des commissions afin de ne pas défigurer nos édifices religieux ou civils dans le but de recueillir et de transmettre des témoignages architecturaux et artistiques passés. Il faut donc, par le biais de démarches administratives lourdes, faire le constat de l’état de la cathédrale et établir le bilan des travaux à engager. En effet, la conservation du monument imputée à l’Etat, qui doit être le garant de l’histoire et de la mémoire du lieu, est l’une des priorités ; en l’occurrence, ses parti-pris dans les changements de support, de technique, d’iconographie ou de structure, demande une lisibilité et une méthode élaborée. L’importance de la cathédrale de Reims n’est plus à relever. Cathédrale des Sacres et grande icône de l’art gothique, il est bien sûr inconcevable d’opérer de façon empressée des modifications sur sa structure. Pour autant, la modernité de certains conservateurs des Monuments historiques ont permis la création de vitraux contemporains, dont Chagall, à ce jour, est le dernier dépositaire à Reims. La question de l’anachronisme soulevée au paragraphe précédent donne à réfléchir sur les édifices de demain. Si dans un édifice gothique se trouvent des vitraux du 20e siècle, quelle qualité doit-on garantir à ces réalisations ? La rigueur et la connaissance de professionnels trouvent toute sa justification. A la différence du 19e siècle qui favorisait les pastiches, de plus ou moins bonnes qualités, la seconde moitié du 20e et le début du 21e siècle donnent droit à la création tout en respectant l’esprit de l’édifice. Paul-Louis Rinuy insiste sur le fait qu’ « en ce domaine, plus qu’en tout autre, la qualité du résultat tient assurément à l’ampleur des risques qui ont été pris »27. Différents protagonistes entrent en jeu. Ils seront les garants du bon déroulement du projet Chagall. Monsieur FROIDEVAUX, inspecteur général des Monuments Historiques Monsieur ANDRE, architecte des bâtiments de France Monsieur OURY, directeur de l’Architecture Monsieur DUSSAULE, sous directeur des Monuments Historiques Monsieur Bernard VITRY, architecte en chef des Monuments Historiques Monsieur Lucien LEPOITEVIN, conservateur régional des Monuments Historiques de Champagne-Ardenne Monsieur André GUEUX, vérificateur des bâtiments civils, palais nationaux, Monuments historiques et service d’architecture de la préfecture de Paris 26 J.P Babelon et A.Chastel, La notion de Patrimoine, Collection Opinion, édition Liana Levi, 1994. Première parution dans Revue de l’art 49/1980. 27 « Le vitrail, une théologie incarnée », par Paull-Louis Rinuy dans Les couleurs du ciel, vitraux de création au 20e siècle dans les cathédrales de France. Centre international du vitrail, éditions Gaud, 2001. 40 Monsieur Jean FERAY, inspecteur principal des Monuments historiques Monsieur Jacques DUPONT, inspecteur général des Monuments historiques. De nombreux rapports vont émailler le cours du projet, relatant ses hésitations et ses avancées. Sur la plaquette de présentation le jour de l’inauguration, figurent différentes parties présentant chacun des protagonistes et le contexte de la réalisation : - Chagall à Reims par Charles Marq - Programme de la journée du 14 juin 1974 - L’iconographie des vitraux de Chagall pour la cathédrale de Reims - Le renouveau du vitrail à Reims - Naissance du vitrail - Reims : une politique culturelle affirmée - Le comité des Bâtisseurs Nous nous intéresserons ici à « Reims : une politique culturelle affirmée », exposant de façon claire la politique municipale tournée vers le spectacle vivant. Le résumé des différentes actions culturelles de Reims dans les premières décennies du siècle tend à montrer que la ville se dote de structures culturelles, en 1961, comme la maison de la Culture présentée par André Malraux, et, en même temps se tourne vers le patrimoine, dans des actions aussi diverses que la restauration du cryptoportique ou la réhabilitation du Palais du Tau, dont l’ouverture devait coïncider initialement avec l’inauguration des vitraux de Chagall en 1973 (annexe 91). Ce qui ne fut pas possible. Les réalisations de Foujita et de Vieira Da Silva devaient également contribuer à l’introduction de l’art contemporain dans une politique malgré tout tournée vers l’histoire et le patrimoine. L’art du vitrail se trouvait être la consécration d’un compromis entre l’un et l’autre et permit, grâce à son innovation, de créer des chefs d’œuvre aujourd’hui reconnus et valorisés. Cependant, il faut constater que la politique culturelle rémoise se tourna vers le spectacle vivant qui reçut une des plus grandes parts du budget annuel et aboutit à la création de salles de théâtre, du conservatoire de Musique… Cet « essor économique intensif » permit en toile de fond à des projets comme celui de Chagall de voir le jour. C’est dans ce contexte où l’effort culturel relève de l’identité que la municipalité accueillit, en la personne de Monsieur Taittinger, alors Maire de Reims, son plus vif défenseur. 41 - L’approbation de la Commission Après l’approbation du projet par les différents protagonistes, en date du 30 mars 1972, annexe 66, l’accord évolue en différentes phases : la proposition de Chagall (motivée par le Comité des bâtisseurs et par l’association des amis de la cathédrale) devient moteur du projet de réalisation de vitraux dans la chapelle d’axe de la cathédrale. Auparavant, aucune proposition n’avait émergé dans ce sens, même au sein du ministère. Des vitraux étaient en place, personne ne pensait à les changer. Dans un premier temps, une demande est faite pour la dépose des vitraux en place, en date du 25 juin 1971 (annexe 34), à l’inspecteur des Monuments historiques, Monsieur Jean Feray. Ces vitraux, que Monsieur Steinheil, cartonnier des vitraux du peintre verrier Coffetier28, avait fait en 1861, représentent, pour les trois fenêtres de la chapelle d’axe, l’arbre de Jessé, la Vie de la Vierge et les Miracles de la Vierge. Ainsi, priorité avait été donnée au cycle marial. Le rapport du ministère, en date du 6 avril 1973, et présenté par Monsieur Bernard Vitry, indique le coût de « la Dépose de vitraux actuellement en place et pose des vitraux de Marc Chagall dans les trois baies de la chapelle d’axe de la cathédrale – pose de nouvelles ferrures -. », annexes 80 à 83. Soutenue, nous allons le voir, par le ministère des affaires Culturelles, qui aurait pu opposer son droit de veto, étant propriétaire de l’édifice, la création de ces vitraux génère malgré tout différents problèmes. Le nombre de fenêtres confiée à l’artiste varie la première année entre deux et trois. *cf, courrier du 26 novembre 1970 –annexe 21. L’emplacement des vitraux fut également discuté : le comité des Bâtisseurs avaient présenté à l’artiste la possibilité de travailler pour les trois fenêtres de la chapelle d’axe, l’Inspecteur Général des Monuments historiques, Monsieur Jacques Dupont, quant à lui, voulut un temps déplacer Chagall dans les chapelles latérales. Cependant, l’artiste tint fermement à garder l’emplacement initial. Jacques Duhamel, ministre des Affaires Culturelle, trancha la question en donnant à Chagall la confirmation de l’emplacement de la chapelle d’axe (annexes 31 à 33). - les travaux complémentaires En prenant en compte le coût des travaux liés à la dépose et à la pose des vitraux de Mr Steinheil et Marc Chagall s’élevant à la somme d’environ 80 000 FF, pris en charge par l’Etat, d’autres travaux s’imposent et ajoutent des frais importants. Cette somme doit être 28 Cette précision m’a été apportée par Mme Martine Callias-Bey, de l’Inventaire des vitraux, que je tiens à remercier. 42 débloquée au moment de la pose des vitraux de Marc Chagall dont la date fluctue jusqu’au dernier moment. On cherche à croiser plusieurs évènements, notamment avec l’inauguration du Palais du Tau. Cf. lettre 6nov.1973 Suite à la demande de Marc Chagall, un rapport, produit le 21 février 1974 (annexes 104 à 107), mentionne « le remplacement de l’autel et du dallage ainsi que des emmarchements de la chapelle d’axe de la Cathédrale ». En effet, il avait souhaité, avant même la mise en place des vitraux, les mettre en valeur par la réfection du sol de la chapelle ; quant à l’autel, il ne fut jamais réalisé. Marc Chagall eut à cœur de proposer une sculpture d’autel. Le projet resta lettre morte. Monsieur Bernard Vitry indique dans son rapport, qu’« étant donné la renommée du peintre Chagall, il est évidemment impossible de refuser le don de ses sculptures »29. Et donc de concéder les travaux liés à l’environnement des vitraux et de l’autel. L’enveloppe budgétaire s’élève à environ 142 000 FF. Pendant que l’environnement des vitraux est pris en charge par le Ministère des affaires culturelles, la réalisation proprement dite des vitraux l’est du mécénat privé. En effet, en dernière instance pour l’année 1974, la « réfection de l’installation électrique de la Cathédrale de Reims » [Rapport du 8 novembre 1974, par Bernard Vitry –annexes 124 à 127], devient urgente. Le système électrique « qui n’a subi depuis 1939 qu’un entretien sommaire »30 est en très mauvais état. Par ailleurs, un document bien postérieur peut expliquer pourquoi la réfection a eu lieu à cette époque : dans une lettre datée du 8 décembre 1978 ( annexes 163 à 165)de l’Inspecteur Général des Monuments historiques à Monsieur le Directeur du Patrimoine, un état des lieux des vitraux de la cathédrale est fait où il est fait mention que « le beau vitrail de Chagall (…) a le défaut d’être trop sombre ». Ainsi, la lumière artificielle doit-elle pallier au déficit de la lumière naturelle, que filtrent difficilement les vitraux de Chagall. Le coût du système électrique s’élève à environ 464 000 FF. La réalisation du projet Chagall a demandé un investissement important dans l’élaboration de différents cadres : administratifs (les autorisations et les descriptions des lieux suivis des travaux visant à une conservation scrupuleuse) et matériels (architecturaux, électriques, mais aussi les grilles de protection des vitraux ) pour recevoir et apprécier les vitraux de Chagall à leur juste mesure dans la cathédrale Notre-Dame de Reims. Le projet n’est en définitive pas financé par l’Etat mais les sommes engagées sont à la hauteur de la commande. Recevoir dans un écrin de valeur un bijou de valeur. 29 30 Avis de l’inspecteur général dans le rapport daté du 21 février 1974. Rapport du 8/11/74 43 2.3 LA TECHNIQUE Suscitée par une première collaboration (pour la réalisation de vitraux de la cathédrale de Metz) qui vit le jour dans le cours de l’année 1957, l’amitié de Marc Chagall et de Charles Marq a été décisive dans le projet de la cathédrale de Reims. Grâce à cette connivence, le projet va se dérouler dans une parfaite coordination entre l’artiste et le maître verrier. 2.3.1 La grande amitié de Charles Marq, Brigitte Simon avec Marc Chagall - Historique de l’atelier Jacques Simon La présentation de l’Atelier Jacques Simon de Reims est faite dans la plaquette de l’inauguration. Son investissement dans l’art du vitrail bien sûr, la création de nouvelles techniques liées au travail du verre permettant une plus grande souplesse des formes et des coloris, ses travaux dans la région, en France et aussi à l’étranger, lui assurent une grande renommée. Les nombreux artistes qui fréquentent les planches de l’atelier donnent l’occasion de réfléchir, de penser, de bouillonner, de créer un foyer vif de la culture contemporaine au sein de la ville de Reims. Chagall est bien sûr de ceux-là. La technique « La technique n’est rien que la façon dont l’artiste utilise un matériau et c’est l’œuvre achevée qui laisse apparaître sa facture », Charles Marq31. Attaché à la présentation des divers moyens techniques qui permettent son élaboration, le comité du Bâtiment, dont les matières et les techniques sont synonymes de progrès et de gains, écrit une page, dans le livret de l’inauguration intitulé « la naissance du vitrail ». On peut y lire les différentes phases de réalisation : de la maquette de l’artiste à son agrandissement (photographique – ce qui n’est pas toujours le cas -), qui admet la découpe des verres, rassemblés ensuite par des plombs, passés à la grisaille par l’artiste avant la cuisson (annexe 138). « Le peintre exécute de nombreux dessins et esquisses avant de fournir une maquette définissant formellement le rythme des ombres et de la lumière. Puis vient le carton à grandeur d’exécution, déterminant le tracé des plombs, la grandeur des verres à découper et les valeurs colorées aux tonalités chaudes et froides auxquelles Chagall sut donner une si 31 Dans Sylvie Forestier Chagall, les vitraux, Paris, Méditerranée, 1987, 1996. 44 grande unité. En accord avec le peintre, le verrier intervient dans le choix délicat des verres et le tracé des plombs que Chagall considérait comme « les os » de la verrière »32. Demandant un soin extrême, sans parler d’une utilisation de produits dangereux et corrosifs (acide…), la réalisation technique n’accepte pas d’erreur. Dans la lettre à Monsieur Paul Voisin datée du 18/11/68 (annexe 6), Charles Marq indique bien que « la technique que j’emploie pour ses réalisations est plus complexe ». Dans le devis de septembre 1972 (annexe 74), il mentionne cette « réalisation à l’atelier des vitraux en verres plaqués, dont une partie réalisée spécialement pour ce travail, entièrement gravés à l’acide fluorhydrique, peints et cuits… ». « Le peintre précise son dessin en peignant à la grisaille. Les grisailles sont des oxydes se présentant sous forme de poudre qui, mélangées à du vinaigre d’alcool, s’incorporent au verre dans la cuisson. Allant du trait noir au lavis le plus léger, pouvant être « enlevé » avec la hampe du pinceau, il participe à l’intensité colorée de chaque verre et en modifie la translucidité »33. C’est ce dernier travail, que la lettre du 24 février 1972 (annexes 53 et 54) relate, qui est déterminant dans l’appréciation des vitraux, chef d’œuvre de Marc Chagall, lettre qui a valeur de contrat : la dernière touche de l’artiste qui fait valoir ce chef d’œuvre dans sa dimension unique. L’appréciation d’un tiers est à prendre en considération : « Peu d’artisans auraient pu rendre l’art d’un Chagall, sans le trahir, au travers du vitrail, art de la lumière par excellence. Ici, le verrier, lui-même artiste, a su créer dans les verrières tout le message de Chagall. Jamais les structures de plomb n’ont entravés la lisibilité de l’écriture des œuvres que Chagall nous donne à voir et à méditer. Les tracés de ses plombs –dus à Charles Marq- ont toujours déroutés les verriers traditionalistes et bien plus encore les verriers décorateurs. C’est peut-être Jean le Moal qui a le mieux perçu, dans ce domaine, l’apport de Chagall, dont il dit : « il a débarbouillé l’art du vitrail », sous-entendant par là qu’il lui a donné un sang neuf, une liberté parfois déroutante, ce qui le distancie d’une réelle intégration architecturale réalisée à partir d’un graphisme strict pratiqué par les décorateurs sans âme. »34 32 Dans Chagall et le vitrail, Clermont-ferrand, Musée des Beaux-arts, 1993. « Chagall et le vitrail dans les édifices religieux », par Chantal Bouchon. 33 Chagall et le vitrail, Clermont-Ferrand, id. 34 p. 133, Le vitrail contemporain « Comme un chant de lumière », par Jean-Marie Géron et Albert Moxhet, La Renaissance du livre, Dexhia, 2001. 45 2.3.2 la réalisation des vitraux Les différentes étapes sont reportées dans les correspondances. En date du 24 janvier 1972 (annexe 47), Charles Marq écrit à la princesse de Caraman-Chimay que Chagall lui a remis les maquettes, pour lesquelles, rappelons-le, il n’a pas été rétribué. Aussitôt, elles ont été photographiées, pour permettre une plus grande facilité de manipulation et de travail. Il est spécifié que l’atelier doit terminer des travaux en cours avant de débuter ces vitraux. Le 3 mai 1972 (annexe 73), Charles Marq indique à Monsieur Blondet, Président de la Fédération du Bâtiment de la région C.A : « je reviens de Saint-Paul de Vence où j’ai vu monsieur Marc Chagall et de Saint-Just-sur-Loire où nous avons étudié la composition des tons spéciaux pour la réalisation des vitraux de la chapelle d’axe de la cathédrale de Reims ». Par ailleurs, Charles Marq avance une date pour la pose des vitraux éventuelle en automne 1973 (annexe 97); délai qui ne sera pas tenu (date qui coïncide avec l’inauguration du Palais du Tau). En date du 14 novembre 1973 (annexe 92), dans une lettre au président du Comité des bâtisseurs, Charles Marq indique qu’une première baie est terminée tandis qu’une seconde reste à peindre par le maître. En décembre 1973 (annexe 96), il ne reste que des finitions à faire par Marc Chagall, qui malgré son âge avancé, vient à Reims régulièrement mais difficilement. - les échanges Les relations établies entre Chagall et Charles Marq ne se bornent pas à la technique. Des impressions sont échangées : ainsi, dans la plaquette d’inauguration, Charles Marq écrit : « Chagall admirait la pure rigueur de Reims, unique par son unité, mais avec esprit, il me disait aussi en ressentir le « caractère officiel » et la froide ordonnance temporelle des cérémonies royales ». Dans les lettres datées respectivement des 20 et 24 septembre 1971 (annexes 37 et 38), Charles Marq, après l’avoir informé du déroulement des vitraux de Nice, envoie à Chagall des informations sur Saint-Louis et Clovis (avec des détails iconographiques, succincts, certes, mais) qui comptent ; sur Saint-Remi, également. Et ce travail n’est plus seulement celui d’un maître verrier chargé d’assurer la mise en plomb d’un motif, mais d’un travail commun, à quatre mains. 46 Le maître verrier se déplace également, à Saint-Paul de Vence pour s’entretenir avec le peintre qui a alors, en 1974, 87 ans. Les différents aller et retour entre Saint-Paul et Reims disent bien la complicité et le besoin de contact qu’il y a entre les deux hommes. Charles Marq dans Les vitraux de Chagall, 1957-197035 écrit : « Rentré à l’atelier j’essayai la gamme de tons, cherchant désormais dans le verre cette souplesse, cette continuité de la lumière. Ainsi, peu à peu, je fus amené à faire fabriquer une gamme complète de verres plaqués qui permettaient une modulation à l’intérieur d’un même verre. Par la gravure à l’acide on obtient ainsi un dégradé de valeur dans un même ton jusqu’à l’apparition du blanc pur dans la couleur, cela sans l’intermédiaire de serti noir de plomb. Cette lumière, que l’on découvre, est pour moi la vie même du vitrail, car c’est le blanc qui fait vivre la couleur, la détermine, la définit, limitant le mélange optique et jouant en tout lieu le rôle de ton de passage comme le noir le fait par le moyen de la grisaille. D’après la maquette, première proposition du peintre, Chagall attend alors ma propre proposition, faite cette fois de verres et de plombs. Et lorsqu’il dit : « Maintenant, montrezmoi ce que vous savez faire ! », c’est bien de l’exigence de la liberté qu’il s’agit, de cette fois dans nos pauvres mains, capables, si Dieu le veut, de laisser passer la création. Il nous montre humblement que son génie est plus grand que lui, si grand qu’il peut aussi habiter les autres. Comme j’admire cette manière au-delà de lui-même lorsqu’il arrive à l’atelier. Mon travail est là, vitrail dont chaque point le concerne mais dont il n’est pas encore responsable. Avec quelle force il entre dans cette réalité dispersée, balbutiante, squelettique. « Je prends tout », comme il dit, ne s’attardant pas à la critique, mais sachant qu’il peut faire siennes toutes ces formes, ces couleurs qui lui sont encore étrangères. Il harmonise les verres, examinant, corrigeant, ne touchant qu’à quelques points essentiels, amis avec une étonnante précision. Et peut-être son amour de la France tient-il profondément à cet esprit de clairvoyance qu’elle lui apporte dans l’irrationnel. Maintenant, le vitrail est « à faire ». Le verrier, comme la terre d’Adam a façonné le verre, les masses, les formes possibles, le poids de couleur nécessaire, mais le vitrail est là comme un être sans vie attendant le premier souffle. (…) Chagall travaille alors sous nos yeux éblouis. Il entre dans l’atelier avec l’exactitude d’un artisan qui sait quel travail permet qu’il sorte quelque chose, quelquefois aussi avec la précision de ces funambules qu’il aime et qui, là-haut, volent dans l’apesanteur par la grâce d’un immense travail quotidien. 35 Les vitraux de Chagall 1957-1970, Postface de Charles Marq, chez A.C Mazo éditeur, Paris, par Robert Marteau, 1971. 47 Artisan trouvant la vie au contact des matériaux, comme au contact des fleurs, des poètes ou des pauvres hommes. Matériaux qui, dit-il, est un talisman,… toucher ce talisman est une question de sentiment. L’idée dit toujours trop ou trop peu et l’intellect, pour lui, est resté à la porte de l’atelier. Dans l’âme, il y a une intelligence, mais dans l’intelligence il n’y a pas toujours d’âme. Il peint. La grisaille, par le seul pouvoir de la valeur et du trait, lui permettant maintenant, de tout justifier… (…) Et dans ce va-et-vient incessant le vitrail prend naissance et trouve peu à peu sa forme. Il n’y a là ni sujet, ni technique, ni sentiment, ni même sensibilité…seulement un mystérieux rapport entre la lumière et l’œil, entre la grisaille et la main, entre l’espace et le temps… comme biologique, comme moléculaire, devenant visible en rythme, couleur, proportion. Et quand le verre sembla avoir reçu son poids exact de grisaille, sa juste quantité de vie, la main s’arrête comme tenue par une autre main. Mais toute forme qui n’a pas reçu tout le sang du peintre, meurt, se flétrit, se fane, se dissout. Ah, ce n’est pas le coloriage, çà ! Pas question de rouge et de bleu làdedans…Trouvez votre couleur et vous avez gagné. La grisaille s’étend par nappes, par accents, ordonnant, orchestrant par la valeur, jusqu’à l’instant où se perçoit cette sonorité de la couleur-sensation. Lumière…Vous la tuez ou elle vous tue, ce n’est que cela. Lumière qui traverse directement l’œuvre à peindre, qui l’anime et la fait vivre, mais qu’il faut dompter, diriger, tenir prisonnière du verre, laisser vivre à sa juste place ». Cette élégie magnifique du vitrail et plus particulièrement du vitrail de Chagall permet de faire comprendre toute la magie de cet art. Sans compter toute la virtuosité de l’artiste et du verrier. Charles Marq écrivit ces phrases quelques années avant la réalisation des vitraux de Reims, où il donne surtout à voir la complexité de l’art du vitrail et la confiance que l’artiste et le verrier se donnent mutuellement. Par ailleurs, la connaissance profonde de Chagall et de sa manière lui permet de savoir quelles seront ses prérogatives, ses envies, ses effets. En cela, la richesse de l’expérience a valeur de connaissance. Grâce au contexte économique favorable, qui permet la croissance du mécénat privé local, et l’essor culturel rémois qui favorisa leur investissement, le projet de Marc Chagall aboutit malgré quelques atermoiements à l’inauguration des vitraux le 14 juin 1974. L’Etat, les associations, le maître verrier permirent à Chagall de créer une nouvelle fois des vitraux venant orner cette fois l’édifice des Sacres. Cependant, ce projet ne fut pas isolé ; ni dans l’œuvre de l’artiste qui fit de nombreux vitraux, ni parmi ses contemporains qui s’exercèrent à cet art. 48 III. Le contexte artistique 3.1 Les vitraux de Chagall : la maturité 3.2 L’œuvre de Marc Chagall 3.3 Les vitraux dans la seconde moitié du siècle, innovation et tradition 49 3.1 LES VITRAUX DE CHAGALL : LA MATURITE (D’après l’œuvre Chagall, les vitraux, de Sylvie Forestier, aux éditions Paris Méditerranée, 1996, édition française). « Le vitrail, ça a l’air tout simple : la matière, la lumière. Pour une cathédrale ou une synagogue c’est le même phénomène : une chose mystique qui passe par la fenêtre »36. Une « chose mystique », est-ce cela qui rend si mystérieux cette technique et lui confère une aura que peu de média (pluriel de médium) peuvent se prévaloir de revendiquer ? Une technique qui appelle d’emblée une spiritualité excluant dans un premier temps les motifs et les couleurs mêmes ? Un art qui se veut entier, exclusif, pour soi. Pourquoi Chagall décide-t-il de se pencher sur cet art, aux aspects un peu désuets, au renouveau tardif mais amorcé depuis quelques décennies ? La réalisation des vitraux de la cathédrale de Reims s’inscrit dans la continuité du travail de Marc Chagall mais en marque également l’évolution, perceptible depuis les réalisations antérieures. En effet, celui-ci débuta sa carrière de peintre verrier, pour laquelle il ne sut plus s’arrêter, à l’aube de ses soixante-dix ans pour la chapelle d’une église en HauteSavoie. Décoration moderne pour un édifice moderne… Quelques prémisses avaient été perçues, son intérêt grandissait. La visite de la cathédrale de chartres en 1952 que rapporte Franz Meyer, a donné une impulsion presque primitive à l’artiste resté jusque là devant son chevalet. Le bestiaire évoqué dans les vitraux lui rappellent sans ironie ses propres créations où l’animal tient une place primordiale. Premier élan du cœur ! Dans le même temps, Chagall travaille à Vence à la chapelle désaffectée du Calvaire. Son enthousiasme débordant lui fait créer dix sept tableaux monumentaux. Ceux-ci ne seront jamais réalisés pour la chapelle dont le projet fut abandonné mais logeront dans ce qui sera Le Musée du Message biblique Marc Chagall de Nice, quelques dizaines d’années plus tard. Grâce à sa grande renommée et à sa volonté de quasi-missionnaire, Marc Chagall décide d’offrir ses réalisations sans le moindre retour financier. C’est ce qui permit la commande de nombreux vitraux, tant par l’Etat que par le clergé, tant par des mécènes collectifs privés que par des grandes familles (les Rockfeller par exemple), en France comme à l’étranger. Cette variété des commanditaires permit une pluralité de réalisations. Chagall eut à cœur d’honorer toutes les commandes. Cette internationalisation offre un rayonnement peu 36 Cité par Jacques Sorlier, 1979. 50 commun à ses vitraux, mettant en avant ses avancées, ses évolutions, sa vision quasiuniverselle. Renforcé par son ouverture religieuse, mêlant en partie les différents cultes pour aboutir à une définition globale de la spiritualité, cet universalisme fait de lui un citoyen du monde n’ayant de Dieu que le sien. Malgré ses origines juives et sa pratique semble-t-il soutenue, Chagall travailla indifféremment dans les églises et les cathédrales, les synagogues ou les temples. Cependant, ce sont principalement les églises et les cathédrales, les lieux de la chrétienté qui seront ses lieux de prédilection, sans doute parce que cette croyance permettait au contraire des autres, de figurer Dieu, qui fit l’homme à son image. Une possibilité de plus pour son art en figures. Une seule synagogue reçut ses vitraux, commande particulière qui permit à sa virtuosité de s’exprimer en représentant objets et animaux. Seule la spiritualité compta et il l’affirma jusque sa mort. Celui que tout le monde vit comme un artiste modeste et discret se voulait créateur et missionnaire. « Chagall ne s’y est pas trompé, qui a fait sienne cette forme d’art si profondément occidentale. L’artiste le plus singulier du 20e siècle, quelque part « suspendu entre Chine et Europe », a reconnu dans le vitrail le mode achevé de sa rêverie personnelle »37. Dans son harmonie intérieure, le vitrail résonne comme une quête de soi. « Après ses séries d’eaux-fortes, Chagall connaissait les subtils effets de lumière obtenus par la morsure de l’acide »38. Et c’est dans cet art qu’il trouva la plénitude de l’artiste, comme une consécration de ses attentes d’artiste complet, peintre, lithographe, sculpteur, mosaïste et « peintre en vitrail ». Attiré par la monumentalité des réalisations, la commande d’André Malraux pour le plafond de l’Opéra honorée dès 1964, lui en avait donné le goût. Cette spécificité de transposer les dessins des maquettes souvent au 1/10 sur des verres atteignant quelques mètres de hauteur, anime rêve et grandeur. En outre, la collaboration avec Charles Marq et Brigitte Simon, plus souterraine, plus instinctive, permit aussi un nombre important de réalisations. Leur entente autant artistique qu’amicale, donna naissance à de nombreuses réalisations : Chagall permit en effet à Charles Marq de transcrire son idée du vitrail ; et il est en effet remarquable de comparer maquettes et vitraux terminés pour prendre la mesure de cette transcription. Les couleurs profondes et 37 38 Sylvie Forestier Chagall, les vitraux, avant-propos, Paris-Méditerranée, [1987], 1996. Chagall et le vitrail, Clermont-Ferrand, 1993, p.29 51 joyeuses, la dimension céleste et spirituelle qui caractérisent tant « leurs » vitraux, sont la conséquence d’une relation d’amitié profonde et d’une entente artistique parfaite. C’est ce duo qui permit à Marc Chagall de créer des vitraux jusqu’à la fin de sa vie. La réalisation posthume de Mayence (qu’il n’a jamais voulu voir à ses débuts) fut une preuve de cet engagement profond. Le vitrail est en effet pour Chagall une consécration de l’artiste face à la matière, de l’homme face à Dieu. Dans une interview de la « revue de la mairie » (annexes 217 à 221), Chagall insiste sur le travail, condition de tout homme social. « Vous savez, quand on est âgé comme ça, c’est l’âge qui travaille. Il faut bien travailler, alors je travaille ». Ce sacerdoce, qui est celui de tout homme cherchant sa place dans le monde, donne l’occasion à Chagall de situer son travail de peintre verrier dans un prolongement philosophique et même plus existentiel. Ce genre d’œuvre est donc la conclusion, même si parallèlement il travaille à des toiles et à des lithographies, de son œuvre dans son ensemble, comme une réalisation personnelle ou pour mieux dire un aboutissement. Marc Chagall réalisa de nombreux vitraux comme la quête de l’impossible perfection. Il fit une déclinaison des thèmes incontournables pour ce type d’édifice : la crucifixion en est un. La grille de lisibilité d’un vitrail est inférieure à celle de la maquette qui la conditionne. C’est pourquoi la différence qui s’insinue entre le dessin préparatoire, ou pour mieux dire la maquette, et le vitrail final, hormis les proportions bien sûr démultipliées, ne relève pas seulement de la forme et des couleurs mais des équivalences et des rythmes instaurés. L’œuvre de Chagall est à ce titre révélateur. Lui qui avait pour habitude de travailler ses maquettes avec des morceaux d’étoffes aux formes, couleurs et textures si prononcées, qu’il contrebalançait souvent avec un dessin à l’encre en noir et blanc. Il mettait ensuite en couleurs le squelette de son dessin, inspiré par les masses colorées de l’esquisse en collage de tissus. Enfin, une dernière étape pour arriver à la maquette finale (annexes 201 à 204). De façon générale, Chagall travaille lentement. L’exemple des nombreuses esquisses de la synagogue de Jérusalem est représentative de l’évolution de son travail (annexes 197 et 198). Des interrogations, des changements, jamais vraiment de fonds, mais des détails qui viennent selon lui surajouter du sens et créer l’harmonie. Enfin, après cuisson des vitraux, le travail de peinture à effectuer sur le verre est un travail de longue haleine, donnant au final l’aspect en trois dimensions ainsi que le rythme et la vie à chacun d’eux. Ce travail de grisaille est très 52 important pour Chagall qui s’applique très minutieusement. Sur la fin de sa vie, les vitraux mis en plomb provisoire, lui étaient amenés à Vence pour plus de commodités. Il s’agissait de faire voyager les vitraux et non plus le maître que son grand âge immobilisait de plus en plus. Chronologie de la réalisation des vitraux de Chagall : 1957 Chapelle d’Assy, baptistère de Notre Dame de toute Grâce, en Haute-Savoie. Deux vitraux représentant l’Ange au chandelier et l’ange aux huiles saintes. 1962 Première fenêtre du déambulatoire de l’abside Nord de la cathédrale de Metz, Les prophètes Moïse, David et Jérémie dans les trois lancettes de la fenêtre, surmontée d’une rosace où prend corps le Christ en croix. 1962-1964 vitrail de la fenêtre du transept Nord de la cathédrale de Metz, Le Paradis ou le vitrail de la Création en quatre lancettes aux teintes dominantes jaunes. 1963 vitrail du chevet de la chapelle de Pocantico Hills, dans l’Etat de New-York, Le Bon Samaritain, dédié à J.D Rockfeller 1964 vitrail pour le Siège de l’Organisation des Nations-Unies à New York à la mémoire de Dag Hammarskjöld, La Paix 1965 suite des vitraux, les Prophètes des murs sud et Nord de la chapelle de Pocantico Hills 1966 vitrail La Crucifixion , de la Chapelle Tudeley, dans le Kent, dédié à Sarah d’Avigdor-Golsmid 1967 vitraux du triforium du nord de la cathédrale de Metz, représentant les vitraux très atypiques dans la manière de Chagall, à savoir des fleurs et bouquets sur fond très clairs. 1968 vitraux du chœur de l’église de Fraumünster à Zürich 53 1971-1972 vitraux pour la salle de concert du Musée National du Message Biblique Marc Chagall, à Nice 1973-1974 vitraux de la chapelle d’axe de la cathédrale de Reims 1976 vitraux de la chapelle des cordeliers à Sarrebourg, La Paix 1977 suite des trois fenêtres doubles dédiées aux Arts, dites America Windows –les fenêtres pour l’Amérique- de l’art Institue de Chicago, et réalisés pour le bicentenaire des Etats-Unis. 1978 Vitrail de David de la cathédrale de Chichester, aux teintes rouges prononcées. 1979 fin du programme de la chapelle des cordeliers à Sarrebourg 1978-1982 vitraux de la chapelle du Saillant en Corrèze 1978-1985 ensemble monumental des vitraux de l’église Saint-Etienne, à Mayence 3.1.1 la première expérience : le baptistère de Notre-Dame de toute Grâce, sur le plateau d’Assy, en Haute-Savoie, 1957 (annexe 195). Si cette expérience fut en effet la première de Chagall concernant les vitraux, elle ne fut pas la plus marquante. Cette réalisation se fit avec la collaboration du maître verrier Paul Bony, avec lequel il ne travailla qu’à cette occasion. Commande du Père Dominicain Marie-Alain Couturier, pour qui le renouveau de l’art religieux s’imposait, les vitraux de la chapelle d’Assy s’inscrivent dans un travail d’ensemble de plus grande envergure. Edifice moderne, créé par l’architecte Maurice Novarina, de nombreux artistes furent appelés pour diverses réalisations : vitraux, mais aussi sculptures, autel, mosaïques, mobiliers…Chagall lui-même effectua également bas-reliefs et mosaïque pour cette église. Le Père Marie-Alain Couturier fit appel aux plus grands représentants de l’art moderne. Il écrivit dans la revue « L’art Sacré » les principes qu’il faisait siens et qu’il tentait 54 de diffuser autour de lui, en France et également à l’étranger. « Ce dominicain fut le rénovateur de l’art sacré en France, en menant un combat exigeant contre les formes académiques et sulpiciennes de l’art religieux, dont il ne cessa de dénoncer le moralisme simplificateur »39. C’est sous l’impulsion du chanoine Devemy et grâce au Père Couturier que le projet de la construction de l’église d’Assy fut lancé en 1937 et donna lieu à un concours d’architectes. Pendant la guerre, il s’exile au Canada. En 1941-1942, il fait de fréquents séjours à New York et rencontre des artistes qui ont fui l’Europe : Léger, Zadkine, et sans doute Chagall. « L’exil lui permet de mûrir ses convictions, et de retour à Paris, en 1945, il reprend pour le mener à son terme, le chantier de l’église Notre Dame de toute Grâce. Léger, Bazaine, Rouault, Braque, Lurçàt, Lipchitz, Germaine Richier participent avec enthousiasme à cette aventure. Chagall avait promis au Père Couturier de décorer le baptistère. De 1950, date à laquelle l’église est consacrée, à 1957, après la mort du Père Couturier, Chagall y travaille »40. Paul Bony (1911-1982) et son épouse Adeline Hébert-Stevens (1917-1998), héritière de l’atelier de vitrail parisien, furent les collaborateurs du Père Couturier et de la revue « L’art Sacré », dès ses débuts en 1937. C’est dans ce cadre que la rencontre avec Le père Couturier aboutit à la création de vitraux par des artistes contemporains, comme Braque, Rouault, Matisse…Et c’est en toute simplicité que Chagall et lui furent amenés à travailler ensemble pour la réalisation des vitraux de la chapelle d’Assy. Le baptistère se trouve dans une petite chapelle latérale à la nef, éclairée par deux fenêtres. En sus des vitraux qu’il effectua, Chagall fournit une céramique murale et deux basreliefs. D’autres artistes créèrent des vitraux dans l’église : Georges Rouault et Bazaine. Les vitraux de Chagall à Assy: « La conception d’ensemble de la décoration du baptistère repose sur un parti-pris monochromatique. (…) Les deux vitraux restituent avec bonheur la maquette originale traitée en lavis délicat. La grisaille exprime la fluidité du dessin que rehaussent quelques rares accords de rouge ou de jaune. Le double mouvement des figures, deux anges, qui convergent d’un même 39 40 Ibid., p.19 Ibid. p.20 55 élan vers la cuve baptismale, se déploie en toute liberté, symbole du mystère de la Naissance à l’Esprit. Dans la lumière sereine de l’espace intérieur, la pesanteur semble anoblie. Le verre ici assume avec plénitude sa nature « d’être de transparence ». Ainsi, d’emblée, Chagall perçoit-il la vocation propre du vitrail et son rapport à l’espace auquel il est consubstantiellement lié. Espace architectural lui-même finalisé par sa fonction, espace sacramentel et liturgique, dans le cas d’une église, d’une synagogue ou d’un temple ; espace commémoratif ou [célébratif] dans le cas d’un musée ou d’une salle de concert. Mais de toute manière espace collectif, espace fait pour la communauté des hommes . Ce premier essai, mis en œuvre par le verrier Paul Bony, sera en 1958 suivi du travail fait pour la cathédrale de Metz », en collaboration, cette fois, avec Charles Marq. Le contexte de cette réalisation est à replacer sous divers auspices : - l’installation de Marc Chagall à Vence en 1950 et l’influence de ses voisins : Picasso et Matisse - la réalisation de Matisse de la chapelle du Rosaire, inaugurée en 1951, et qui marqua bien entendu Chagall et activa son intérêt porté à la monumentalité. - Enfin, la reprise du travail inauguré par Ambroise Vollard en 1931 et terminé en 1956, sur l’Illustration de la Bible. Ainsi, peintre de la maturité, Chagall réunit dans cette première réalisation les tenants de son travail : des motifs (récurrents dans son œuvre) comme l’ange, une dimension mystique (très importante dans son œuvre) qu’occasionne le lieu même de l’église, une croyance (en la bible qu’il connaît bien), une monumentalité nouvelle que ses divers travaux n’avaient pas trouvés jusque là. Ce vitrail monochromatique, en grisaille, n’est cependant pas entièrement représentatif du travail de Chagall qui évolue par la suite vers des créations colorées et bruyantes. Ce premier essai lui permet de prendre en considération un savoir-faire et des techniques jusque là ignorés. La lumière est bien sûre centrale mais comment l’utiliser ? 3.1.2 L’association avec Charles Marq et Brigitte Simon Dans le courant de l’année 1958, Chagall rencontre Charles Marq de l’atelier Jacques Simon avec qui il travaillera jusque la fin de sa vie. Sans être mécontent du travail de Paul 56 Bony, qui réalisa les vitraux de Matisse à la chapelle du Rosaire, Chagall lui préféra Charles Marq qui lui fut présenté par Robert Renard. Leur première réalisation commune s’avère d’une dimension tout autre : la cathédrale de Metz et sa monumentalité gothique. Mais surtout, il faut prendre en compte les évènements du passé qui ont caractérisé le monument. C’est ainsi que débuta une complicité entre l’artiste et la maître verrier ainsi que la femme de celui-ci : Brigitte Simon, issue de la grande famille de maîtres verriers de Reims. Jacques Simon, son père, travailla ardemment dans la cathédrale de Reims et fut le grand restaurateur de l’édifice. La complicité de Chagall et de Brigitte fit son chemin, en sourdine. Si l’on évoque plus le lien qui unit les deux hommes, c’est oublier l’importance des femmes dans cette expérience :Valentine Brodsky devenue Vava Chagall et Brigitte Simon, la femme de Charles Marq. Sans compter l’œuvre de Brigitte Simon qui elle-même créa des vitraux. - la cathédrale de Metz (annexe 196, détail) Commande de l’architecte en chef de la cathédrale de Metz, Robert Renard, et donc de l’Etat, « pour combler les vides de la vitrerie ancienne »41, cette réalisation s’étale de 1958 à 1968 et comptent la création de dizaines de fenêtres : la deuxième fenêtre de l’abside nord, puis la première de la même abside, la fenêtre ouest du transept nord et les seize fenêtres du triforium du transept nord. Une réalisation d’envergure. « La facilité déconcertante avec laquelle l’artiste s’est adapté à l’architecture préexistante signale une adéquation profonde entre son langage personnel et l’ordre médiéval. Au-delà de son primitivisme, dont on a souvent taxé le peintre, existe une analogie structurelle entre la hiérarchie des formes architectoniques de la cathédrale gothique s’engendrant l’une l’autre et la génération des formes et des figures organisant l’image qui est spécifique de l’œuvre de Chagall »42. Les sujets traités sont La Création, le sacrifice d’Abraham, Moïse et les tables de la Loi, le roi David, Les prophètes, Adam et Eve chassés du Paradis, tous de l’Ancien testament, référence absolue pour le peuple juif et que Chagall connaît très bien. Mais son propos se généralise bien au delà : la croyance de dieu par l’homme. « L’ordre médiéval mis en œuvre dans l’architecture de la cathédrale privilégie en effet une direction. Le plan cruciforme introduit un déséquilibre volontaire des parties qui 41 42 Ibid. p.21 Ibid. p.23 57 s’organisent elles-mêmes dans leur rapport à l’axe principal, celui qui conduit la nef centrale, de l’Occident à l’Orient, du portail royal au chœur. La cathédrale appelle un mouvement, une [ambulation] rectiligne, qui est une approche sensible du mystère divin. Chagall l’avait compris : on a vu précédemment comment, du transept au déambulatoire, se découvre au regard la succession des épisodes du récit biblique, révélant une conception d’ensemble liée à la liberté de la marche, image de la liberté de l’homme au cœur du nécessaire »43. Ainsi, Chagall prend en compte la structure de l’édifice et évite de figer les scènes en invitant le public à les découvrir en marchant et à formuler une narration en ajoutant image après image, comme dans un livre. Cette possibilité n’est offerte à Chagall que dans la mesure où le programme se déploie sur plusieurs baies. - La synagogue de la clinique universitaire de Jérusalem (annexes 197, 198, 211). Commandés par le professeur Myriam Freund, présidente de la Hadassah44, à Chagall, les vitraux de la synagogue furent l’occasion pour l’artiste d’exprimer un message différent. « Oeuvrer pour la synagogue de Jérusalem devenait un mode d’accomplissement intime, d’ordre plastique et d’ordre mystique »45. Selon les rites de la religion juive, le lieu sacré de la synagogue ne revêt pas les mêmes fonctions que les églises et cathédrales. La liturgie n’y est pas exclusive, c’est avant tout un lieu de rassemblement, où la communauté prend sens. Les thèmes du voyage et de l’exil au cœur de cette religion devient un des motifs de sa définition et de sa représentation. C’est pourquoi fut choisi le thème des douze tribus d’Israël. Aucun personnage n’est représenté, seuls fleurs, animaux et objets composent les motifs des vitraux de la synagogue. Floralies et bestiaire deviennent l’occasion de créer des dessins virtuoses et chantants. Ceux-ci eurent un grand retentissement ; André Malraux eut à cœur de les faire exposer au musée des arts décoratifs à Paris. 43 Ibid. p.25 Hadassah : organisation américaine des femmes sionistes. 45 Ibid. p.26 44 58 Les éléments chromatiques qui structurent l’ensemble du cycle donne à voir, de façon claire, sa composition iconographique. Cette symphonie de couleurs et de motifs sera jouée et déclinée par la suite dans ses nombreuses réalisations, pour un merveilleux chant. L’architecture de la synagogue, qui diffère complètement de l’édifice gothique, semble tracer un autre parcours dans l’œuvre de Marc Chagall. Seule synagogue à être pourvue de ses vitraux, il mit dans cette création tout son attachement à la religion et à la croyance en Dieu, que la Terre Sainte lui proposa. Sans connaître pour autant le pays de sa croyance, (Chagall y fit un premier séjour en 1931 mais ne revint que très ponctuellement à Jérusalem), Chagall joua avec la force et la luminosité de ce pays. Sans compter l’expérience qu’il fit de l’exil, et son amour de la France, qu’il fit bientôt sienne, il compta désormais avec le voyage et les cultures plurielles. Son œuvre de vitrail en est le reflet. - Sylvie Forestier dans son catalogue raisonné des vitraux de Marc Chagall distingue ensuite plusieurs ensembles : 1) Pocantico Hills, Tudeley, Sarrebourg (annexes 207 et 208), Le Saillant 2) Zürich, Reims, Chichester (annexe 205), Mayence (annexes 209 et 210) 3) Nice, New York, Chicago (annexe 206) Les vitraux évoqués auparavant ont une valeur archétypale, ils ont permis à Chagall de se situer face à l’art du vitrail et d’en comprendre les ressorts : la priorité du lieu, ses formes et sa disposition, mais encore la distillation de sa lumière et son intensité prennent une part considérable dans l’élaboration des maquettes. Pour la première série, l’architecture est reléguée à sa fonctionnalité tandis que les valeurs symboliques de représentation sont assurées par les vitraux en leur entier, sans commune mesure. A l’inverse, la seconde série prend corps dans l’architecture, « Chagall retrouve l’antériorité objective d’une architecture dont il ne peut ignorer la loi »46. Quant à la troisième série, elle a pour caractéristique de s’émanciper complètement de l’architecture tout en se donnant tout entier à lire, dans un même jet. Les vitraux chantent leur autonomie complète. Si chacune des séries a ses spécificités, elle donne à voir un ensemble de l’œuvre de Marc Chagall dont quelques signes persistent. 3.2 L’ŒUVRE DE CHAGALL : THEMES ET MOTIFS. 59 Portrait, octobre 1913, dans les Dix-neuf poèmes élastiques de Blaise Cendrars. Il dort Il est éveillé Tout à coup il peint Il prend une église et peint avec une église Il prend une vache et peint avec une vache Avec une sardine Avec des têtes, des mains, des couteaux, Il peint avec un nerf de bœuf Il peint avec toutes les sales passions d’une petite ville juive Avec toute la sexualité exacerbée de la province russe Pour la France Sans sexualité Il peint avec ses cuisses Il a les yeux au cul Et c’est tout à coup votre portrait C’est toi lecteur C’est moi C’est lui C’est sa fiancée C’est l’épicier du coin La vachère La sage-femme Il y a des baquets de sang On y lave des nouveaux-nés Des ciels de folie Bouches de modernité Des mains, Le Christ Le Christ c’est lui Il a passé son enfance sur la croix Il se suicide tous les jours Tout à coup il ne peint plus Il était éveillé 46 Ibid. p.33 60 Il dort maintenant Il s’étrangle avec sa cravate Chagall est étonné de vivre encore. Blaise Cendrars révèle en lui l’artiste fait de contradictions et de splendeurs. Souvent considéré comme un peintre dont le style difficilement qualifiable a trouvé refuge un temps chez les surréalistes (voir le catalogue d’exposition Chagall surréaliste ? Musée du Message biblique Marc Chagall, RMN, 2001, par Jean-Michel Foray), Marc Chagall a, durant toute sa vie, parcouru sa propre voie sur les chemins de la connaissance. Il a cherché à définir sans cesse la place de l’artiste dans la société. « C’est que la conscience de la position centrale de l’artiste, comme origine et fondement de l’œuvre, s’accompagne chez lui de la certitude que cette composition nouvelle donna aussi à l’artiste une responsabilité à l’égard de la communauté de ceux qui le regardent »47. Cette fonction sociale si chère à son inscription dans l’époque qu’il vécut, lui donna une grande liberté de création : si son style s’est rapidement « fixé », la récurrence de certains thèmes et motifs lui permit de décliner à l’infini, comme une quête de l’impossibilité ou comme un refrain à variations, son œuvre picturale. Enrichie par les rencontres et les amitiés, Marc Chagall créa une œuvre considérable. Sa vie artistique fut aussi celle d’un homme en quête de vérité et d’amour, que sa croyance en un Dieu universel vint symboliser. A l’image de l’artiste de la Renaissance, pour qui la pluralité des supports n’est qu’un moyen d’expression et de questionnement multiple, Marc Chagall travailla le dessin, la peinture, la lithographie, la fresque, la céramique, et bien sûr le vitrail. En adéquation avec ses préoccupations artistiques, le vitrail semble condenser toutes les problématiques de son œuvre, mais n’en est pas moins un des pans dans la multitude de son travail. Afin d’esquisser un profil de l’artiste, voyons quels ont été les thèmes et motifs qui lui ont le plus profité ? - La bible « La Bible joue, dans l’œuvre de Chagall un rôle particulier, essentiel, elle organise sa pensée plastique et détermine sa décision créatrice. Toute la poétique chagallienne en est nourrie. Elle fournira, dans les années à venir, les éléments figurés de l’iconographie que mettra en œuvre le vitrail, tout en accomplissant la dimension prophétique de la vision du peintre »48. 47 Jean-Michel Foray, Chagall et les modernes, in catalogue d’exposition Chagall, connu et inconnu, RMN, Grand Palais, 2003. 48 Ibid, p.18 61 - Le bestiaire : la chèvre, l’âne, le poisson… - Quelques objets : le chandelier à sept branches, la lampe à huile…tout objet lié à la lumière, dont la matérialité trouve chez le peintre l’occasion d’exercices de modulation et dont la symbolique revêt une grande ampleur entre connaissance et mysticisme. - Les femmes (ses propres femmes, La vierge Marie…) qui sont indispensables à l’idée qu’il se fait de la Vie (beaucoup de portraits scandent son œuvre). - L’artiste (dans les autoportraits et les représentations de musiciens, jongleurs…) - Les arts : Le cirque, la musique, la danse… - Les amoureux (le couple et quelquefois les mariages) - Chagall illustrateur : Les Ames mortes de Gogol, les fables de la Fontaine, la bible - Les anges Très rapidement, l’ensemble des thèmes et motifs dessinent un profil indubitablement lié à la recherche d’une définition de l’artiste dans le 20e siècle. Né en 1887 à Vitebsk en Russie, il décède en 1985, en France à Saint-Paul de Vence à l’âge de 98 ans. Aussi couvrit-il le siècle en son ensemble. Marc Chagall dont la modernité est indéniable se place à rebours dans ce siècle où l’art n’a plus de réelle valeur esthétique. Rebondissant sur des thèmes marginaux en ce siècle, et la Bible en fut le plus marquant, Chagall inonde son monde de rêve d’une iconographie religieuse qui le nourrit, et pas seulement juive, puisque très tôt, il peint une crucifixion. Artiste ouvertement croyant à l’heure où « Dieu est mort », Marc Chagall cherche à définir l’artiste dans une fonction bien précise, qui enseigne les valeurs humanistes aux hommes, qui cherche à rapprocher l’homme de Dieu dans un moment où il tend à s’en éloigner, qui cherche la révélation par le biais de formes artistiques. L’artiste est un messager. « En somme, ce que les avant-gardes du début du siècle s’efforcent de déconstruire et de rejeter, Chagall les réintroduit dans sa peinture par le mélange des sources et des modèles »49. « Les œuvres de Chagall sont ainsi souvent des reprises de thèmes classiques de l’iconographie traditionnelle dont elles proposent une sur-illustration. Chagall s’est donc servi des acquis de la modernité pour restaurer ce qu’elle avait refoulé, le sens allégorique des œuvres. Une telle attitude est évidemment fondée sur une foi totale en les pouvoirs de l’image »50. 49 Jean-Michel Foray, Chagall et les modernes, in catalogue d’exposition Chagall, connu et inconnu, RMN, Grand Palais, 2003. 50 Jean-Michel Foray, id., p.53 62 « Cette confusion du visuel et du verbal, qui est à l’origine du rejet de la peinture allégorique par le modernisme, est un des traits caractéristiques de l’art de Chagall. (…) Ses tableaux nous touchent, peut-être d’abord parce qu’ils sont fondés sur une conception positive du rôle de l’art : en l’occurrence, émouvoir et enseigner »51. Le statut de l’image dans la Bible. La question du visuel et du verbal est au cœur des exégèses de la Bible. Si le Verbe a une place primordiale dans la bible, l’Image, en dehors des impératifs iconoclastes ponctuels, vient ajouter du sens. Georges Duby parle de livres quand il définit les peintures murales, vitraux ou tapisseries à l’intérieur des églises. Pour une population analphabète en son temps, les moyens d’apprentissage revêtirent les aspects de l’image et de ses symboles. Marc Chagall s’inscrit dans cette tradition ; son origine russe marquée par l’importance des icônes dans les campagnes pour la foi du peuple, le place, à mi-chemin, entre la réalité et la fiction. L’artiste tire parti de ses avantages. Le statut de l’image dans la bible qu’il a dépassé a pris le pas sur l’interdiction (on non) de la représentation. Il est non plus représentation mais présentation du divin. C’est par ailleurs pour cette raison que l’art du vitrail trouva sa juste place dans son œuvre, à un moment où il cherchait à se rapprocher de Dieu et de la vérité divine. 3.3 L’ART DU VITRAIL DANS LA SECONDE MOITIE DU SIECLE « L’œuvre de Chagall occupe une position tout à fait particulière par rapport au vitrail de son époque, à l’art Sacré, au vitrail des peintres, aux recherches techniques pour obtenir certaines matières, certaines couleurs – dont le « jaune-Chagall » de Saint-Just-sur-Loire »52. Elisabeth Pacoud-Rême dans Marc Chagall, maquettes de vitraux53 « Chagall et le renouveau de l’art sacré en France » resitue l’œuvre de l’artiste dans le contexte artistique. Elle écrit : « Le travail de Chagall pour le vitrail s’inscrit en effet dans un courant significatif du renouveau de l’art sacré en France après la seconde guerre. Pour cerner les contours de ce courant, il convient tout d’abord de préciser quelques termes, comme « art sacré » deux mots qui recouvrent déjà une grande diversité d’œuvre, mélange d’arts et d’arts appliqués. « Sacré » tend à se substituer à « religieux » au cours du premier quart du 20e siècle. « Religieux » se trouve ainsi peu à peu cantonner à une fonction liturgique ; « sacré » est alors utilisé pour ce qui dépasse le religieux, lui est antérieur, en est l’essence et présente un 51 ibid. Dans Chagall et le vitrail, Clermont-Ferrand, 1993. Musée des Beaux-Arts. 53 Marc Chagall, Maquettes de vitraux. RMN, 2000. Musée national du Message Biblique Marc Chagall de Nice. 52 63 caractère primitif et universel. Le mot « renouveau » est à utiliser avec précaution, comme le souligne Bruno Foucart [dans « les éternels résurrections de l’art sacré » dans Art Sacré du 20e siècle en France, catalogue, éditions de l’Albaron, Boulogne 1993] qui relève une volonté exprimée de renouveau pratiquement tous les cinquante ans, depuis le 18e siècle. Le renouveau de l’art sacré après-guerre est cependant caractérisé par le recours aux grands artistes, concernés sans considération de religion. Il résulte de la confluence de plusieurs évolutions : celle des Institutions responsables des Monuments historiques et de leurs interventions ; celle aussi des apports techniques par les maîtres verriers. Ce renouveau est sous-tendu par les mouvements de l’art dans la période, caractérisés par la domination de l’abstraction. Il s’inscrit enfin dans un intérêt architectural marqué par l’éclairage le vitrail, art monumental et décoratif est d’abord destiné à fermer une fenêtre, et il n’est pas surprenant que s’y attache très tôt, des « peintres de la fenêtre » comme Matisse et Chagall. Pour ce dernier en effet, la fenêtre, plus qu’un limite entre le dehors et le dedans, est lieu de relation entre le monde intérieur et le monde extérieur, peut-être où l’homme s’unit au créé, où son regard est irrésistiblement attiré vers le ciel ». Tout est dit, la dimension spirituelle sans distinction de religion. D’autres artistes s’y sont essayés ». 3.3.1 Les premières réalisations emblématiques : Matisse et la chapelle du rosaire du couvent des dominicaines à Saint-Paul de Vence, 1949-1951. L’arbre de vie, un des vitraux de la chapelle du rosaire, s’étend telle une tenture bleue évasée, imprimée de dizaines de formes jaunes graciles et mouvantes, motifs chers à Matisse, tout de suite utilisés dans ses papiers découpés. Ses couleurs, bleu, vert et jaune, donnent une luminosité très méditerranéenne à la chapelle. Matisse ne réalisa pas seulement le vitrail de la chapelle, mais fut amener à créer des céramiques, notamment de Saint Dominique, de la Vierge et du chemin de Croix. En effet, commande des dominicaines qui habitent le Couvent, cet œuvre permit à l’artiste de penser un ensemble (la chasuble également) lié au rite, à la religion, à la spiritualité. La proximité qui liait Chagall (1887-1985), Matisse (1869-1954) et Picasso (18811973), vivant tous les trois à Saint-Paul de Vence ou dans les environs, tous les trois intéressés par la céramique, tous les trois artistes d’une même génération, favorisa la diffusion rapide et la connaissance mutuelle de leurs expériences. Excepté Picasso qui ne fit pas du vitrail un pan de son art, excluant la dimension sacrée mais non l’aspect monumental (il entreprit de pourvoir la chapelle désaffectée de Vallauris de deux grandes toiles représentant la Guerre et la Paix), Matisse et Chagall en firent l’expérience. Matisse, né en 1869, l’aîné de Chagall, attendit l’âge de 80 ans pour exceller dans cet art, en 1947. A peine dix ans après, en 1957, Chagall fit sa première réalisation dans le genre. Largement critiqué pour avoir enfoncé 64 les portes de la maison de Dieu, Matisse eut beaucoup de mal à légitimer cet œuvre tandis que Chagall, connu pour être un artiste religieux n’eut pas de détracteurs aussi fervents. « Que Matisse, sur ses vieux jours cesse pratiquement de peindre et consacre presque tout son temps à une modeste chapelle destinée à quelques sœurs dominicaines ne plaisait pas à grand monde »54. Cependant, quelques-uns s’enthousiasment. Le Père Couturier d’abord, qui cherche à faire une exposition autour de cette chapelle, exposition qui en définitive, et pour de multiples raisons, ne verra pas le jour. Les couleurs dites méditerranéennes les rapprochèrent aussi beaucoup. Enfin, leurs différents, dissemblances et mésententes alimentèrent leur propre style et leur propre investissement. Matisse meurt à Cimiez en 1954. Il ne connaîtra pas les réalisations de Chagall dans ce domaine. La chapelle de Vence est aujourd’hui la chapelle en France la plus connue pour ses vitraux contemporains. 3.3.2 Les réalisations de Bazaine, Manessier… : une prédominance à l’abstraction. L’école de Paris issue de la période de la seconde guerre fut également sourde aux critiques et entreprit de réinvestir les églises et les cathédrales à la suite de Maurice Denis. Maurice Denis (1870-1943), impulsa un renouveau à l’art sacré. Soutenu part son ami Georges Desvallières dans cette entreprise, les années 1920 virent s’épanouir un genre largement oublié. « Une dimension nouvelle lui fut donnée : l’épuration de la forme, la juxtaposition des zones de couleur pour suggérer la profondeur, une nette régression de l’usage de la grisaille pour rendre le modelé caractérisent ses recherches »55. On cherche avant tout la confrontation des couleurs, la création de vagues de couleurs. Le motif n’est plus au centre du message religieux. Robert Renard, pour la cathédrale de Metz invite plusieurs artistes à travailler : en dehors de Chagall bien sûr, JACQUES VILLON œuvra également dans ses murs ainsi que ROGER BISSIERE. JEAN BAZAINE participe à la réalisation de la chapelle d’Assy, en 1942-1943. ALFRED MANESSIER en 1948-1950, crée des vitraux dans une petite église du HautDoubs, celle de Bréseux ; dans la chapelle du Saint-Sépulcre à Abbeville, à Hem dans le Nord. Son œuvre fut important et reconnu. GEORGES BRAQUE lui aussi fit une réalisation à Varengeville, son unique essai en 1954. 54 « Querelle de chapelle. Tension sur la réfection de la chapelle de Vence par Matisse » par Isabelle MonodFontaine, dans le Télérama hors série Dialogue de géants, Matisse/Picasso, septembre 2002. p.70. 55 Dans vitrail, art de la lumière, par F.Perrot, A.Granboulan. 65 GERARD LARDEUR s’étant fait une spécificité de cet art, travailla à Charleville-Mézières mais aussi en maints autres endroits (en Normandie, notamment). RENE DÜRRBACH de 1954-1979 dans l’église Notre-Dame de Mézières. A Saint-Malo, JEAN LE MOAL, MAX INGRAND et MICHEL DURAND travaillèrent à la réalisation des vitraux de 1958-1971. A Nantes, FRANÇOIS CHAPUIS, ANNE LE CHEVALLIER, BRIGITTE SIMON et JEAN LE MOAL conçurent l’ensemble des vitraux entre 1957 et 1988. En 1976, JEAN-PIERRE RAYNAUD réalisa les vitraux de l’abbaye de Noirlac, tout en grisaille. La génération d’artistes, pour qui l’art abstrait était la valeur absolue, a trouvé un marché et des commandes nombreuses (toute proportion gardée) notamment dans les églises et les cathédrales. L’ère du temps avait enfin accepté les conditions de l’abstraction née au début du siècle. Différents profils se tendent : des artistes dont l’œuvre picturale aboutit à la création de vitraux, notamment à la fin de leur vie (Braque par exemple) ou les artistes se faisant une spécialité de l’art du vitrail, en excluant toute autre forme. Cette exclusivité ne retint que des artistes que l’on a souvent considérés comme des peintres de seconde catégorie. Le répertoire ci-dessus, lacunaire, prend en compte les réalisations majeures, antérieures ou contemporaines des réalisations de Marc Chagall à la cathédrale de Reims et permet de voir que la plupart est tournée vers l’abstraction. Ainsi Marc Chagall se démarquet-il de la tendance générale en poursuivant son œuvre de peintre figuratif et magnifie la technique du lavis permettant de modeler les physionomies dans ses réalisations. Cette marginalité lui vaudra d’avoir la commande des bâtisseurs. Dans une lettre (non-signée ), il est indiqué que : « [pour le] Projet de vitraux de Marc Chagall dans la chapelle d’axe. C’est à mon avis le seul peintre contemporain pouvant traiter et exprimer un message religieux en figures ». Ainsi, le choix qui se porte sur lui est motivé pour son style figuratif (rapporté dans le document, annexes 14 et 15, allant à l’encontre à ce moment d’une influence plus générale de l’abstraction parmi les artistes contemporains. 66 Conclusion : La réalisation des vitraux de Marc Chagall à la cathédrale de Reims a été possible grâce à une conjonction de faits : - l’investissement du mécénat privé dans le vitrail contemporain - la mobilisation des pouvoirs politiques, par l’intermédiaire de la Princesse de Caraman-Chimay et de son neveu Michel Poniatowski et grâce à Jean Taittinger, Garde des Sceaux. - La renommée de Marc Chagall et son importance accordée à la figuration - Le travail soutenu de l’atelier Jacques Simon dans la cathédrale Notre-Dame et sa longue collaboration avec l’artiste - Le soutien des Monuments historiques relatif à l’environnement des futurs vitraux. C’est ainsi que ces vitraux, loin d’être œuvre de commande publique comme on l’a souvent indiqué, relèvent d’une dynamique générale, autant institutionnelle que politique. Les personnes qui s’engagèrent dans l’aventure, le firent avec passion. Cet investissement permit de venir à bout des réticences lorsqu’elles se présentaient. C’est ainsi qu’il fallut pour le projet Chagall entre six et sept ans, de l’idée du projet à l’inauguration des vitraux. La circulation des informations, le partage des tâches et les compétences différentes de chacun furent un gage de réussite. 67 Bibliographie sélective : Monographie de l’artiste et catalogues d’exposition: BACHELARD Gaston Marc Chagall, la bible, lithographies 1956-1960 : Galerie Gérald Cramer, Genève, exposition juin, juillet 1962 BAAL-TESHUVA Jacob CHAGALL Marc Marc Chagall, Taschen, Paris, Londres, Tokyo 1998 Marc Chagall, 1887-1985, Musée du Message biblique Marc Chagall, Nice, Paris, RMN, 1998 CHIAPPINI Rudy,… Marc Chagall, museo d’Arte moderna, Skira, Milan, 2001 DAMPERAT Marie-Hélène, FORESTEIR Sylvie, DE CHASSEY Eric L’abécédaire de Chagall, Paris, Flammarion, 1995 DUPONT Jacques, MARQ Charles Chagall, vitraux pour Jérusalem : Musée des Arts décorarifs, Parsi, juin-septembre, 1961 FERNEX DE MONGEX Chantal, PACOUD-REME Elisabeth Chagall et la Bible, Musée des Beaux-Arts, Chambéry, 2002 FORAY Jean-Michel, ROSSINI-PAQUET Françoise Musée national message biblique Marc Chagall, Nice, Album, Paris, RMN, 2000 FORAY Jean-Michel Marc Chagall, il sacro <e> il profano : fra Picasso e Léger : museo d’arte moderna vittoria colonna, Pescara, Carsa, 2002 // Marc Chagall, San Fransisco Museum of Modern Art, 2003 FORESTIER Sylvie Chagall, les vitraux, Paris, Méditerranée, 1996 (seconde édition), 1987 FRESIA Martine Chagall, cirque : du 22 février au 14 avril 2002, Salle d’exposition du quai Antoine 1er, Principauté de Monaco. 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