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Aurélie DONNE
Section Service Public
Promotion 2008
Mémoire de Master 1
La politique du logement sous le
Gouvernement Chaban-Delmas :
Vers l’avènement d’un nouvel
urbanisme
(21 juin 1969 - 5 juillet 1972)
Séminaire Histoire de la France
du XXème siècle
Sous la direction de M. Gilles RICHARD
1
Remerciements
Je tiens à remercier :
M. Érik Neveu, Directeur de l’Institut d’Études Politiques de Rennes,
M. Gilles Richard, Directeur des études et professeur d’Histoire contemporaine, qui m’a
souvent aidé à y voir plus clair dans mes recherches,
Les membres du service de documentation de l’UMP pour m’avoir fourni des
renseignements sur les personnages politiques cités dans ce mémoire,
Les membres de l’Union Nationale des Fédérations d’Organismes d’HLM qui, de la
même manière ont bien voulu m’aider à comprendre les sigles et l’organisation de ces
organismes,
Le personnel des archives départementales de Rennes,
Le personnel des bibliothèques de l’IPAG, Rennes 2 et de l’IEP,
Ma colocataire, Esther, pour son soutien moral de chaque instant, ainsi que ma famille.
2
Sommaire
Remerciements...................................................................................................................................... 2
Sommaire.............................................................................................................................................. 3
Introduction.......................................................................................................................................... 5
CHAPITRE 1 : La situation du logement en France (juin 1969-février 1970)...................................... 8
CHAPITRE 2 : Une politique conjoncturelle de réduction de l’habitat insalubre portée par RobertAndré Vivien (1970-1971).................................................................................................................... 36
CHAPITRE 3 : Une politique du logement subordonnée aux priorités économiques du gouvernement
............................................................................................................................................................. 54
CHAPITRE 4 : Le « nouvel urbanisme » (1970-1972) ....................................................................... 83
Conclusion.......................................................................................................................................... 92
Annexe 1 : Discours de Jacques Chaban-Delmas à l’Assemblée nationale, 16 septembre 1969........ 97
Bibliographie.................................................................................................................................... 101
Index ................................................................................................................................................ 103
Table des matières............................................................................................................................ 105
3
« La vie même vaincue provisoirement
demeure toujours plus forte que la mort. »
Martin Luther King
À Clément.
4
Introduction
« Si la ville attire la misère et la pauvreté, c’est aussi parce qu’elle symbolise la
modernité, l’espoir, la liberté », peut-on lire dans le livre Misère urbaine : la faim cachée.
Dans la période dite des « Trente Glorieuses », période « faste » du développement de
la France qui rattrapait son retard face aux grandes puissances de l’Après-guerre, ceci était
d’autant plus vrai. En effet, les villes françaises, lieux de développement économique
industriel et tertiaire attira les populations des campagnes, mais aussi les populations
immigrées venues profiter de la prospérité. Cependant, ce n’était pas sans souffrances,
puisqu’un salaire n’est rien s’il ne peut combler les besoins essentiels et vitaux.
La Reconstruction de la France au sortir de la deuxième guerre n’avait pas permis de
combler les besoins en logements qui, dans une période de croissance démographique et
économique forte étaient très importants. La pauvreté, pour nombre de foyers français, se
traduisait alors par l’absence de logement décent. Ce qui poussa l’Abbé Pierre à lancer son
appel de Février 1954.
Par la suite, et tout au long des années 1960, était enfin né l’espoir que la pénurie de
logements pourrait se résorber, grâce à une politique de construction verticale et dense, et que
bientôt, l’on pourrait substituer la qualité des logements à leur quantité, qui avait jusqu’alors
primé.
À la fin des années soixante, la France, en marche accélérée vers la société urbaine,
comptait trente-cinq millions de citadins, soit environ 70% de sa population. Les
gouvernements successifs avaient eu beaucoup de mal à assurer un développement
harmonieux des cités, à construire des appartements dont les prix ne soient pas prohibitifs et
faire en sorte que les centres ne soient pas réservés à des bureaux ou aux classes privilégiées.
Plus de deux décennies après la fin de la guerre, la misère n’avait pourtant toujours pas
disparu et se logeait aux portes des grandes villes. Loin d’être invisible, peut-être s’en était-on
accommodé : elle touchait désormais moins les « Français » et plus les « immigrés ».
Marginalisés voire soupçonnés de refuser la « modernité », qu’ils étaient paradoxalement
venus chercher, ils n’étaient pourtant pas les seuls à souffrir d’un parc immobilier bloqué et
saturé. À une époque où la croissance était telle et où, même les classes ouvrière
commençaient à avoir accès à la « société de consommation » en formation, la persistance de
la misère dans le logement devenait inadmissible. À quoi bon avoir une télévision si l’on n’a
pas l’eau courante ?
Dans le cadre de ce mémoire, je souhaitais travailler sur des problématiques urbaines.
En effet, dans la perspective de poursuivre mes études dans un master 2 spécialisé en
urbanisme dans les pays en voie de développement, il me semblait intéressant d’étudier dans
un premier temps l’urbanisme en France. Par ailleurs, ayant voyagé en Amérique Latine lors
de ma troisième année d’IEP, l’importance des bidonvilles entourant toutes les grandes villes
des différents pays que j’ai visité, m’avait beaucoup impressionnée. Pour exemple, à Caracas,
capitale du Venezuela, les montagnes entourant la ville, couvertes de petites baraques de
briques rouges, ressemblaient à mes yeux à des mosaïques inorganisées. Ce sont pour la
plupart des maisons en dur, certes, mais l’instabilité du terrain fait craindre, à chaque pluie,
des éboulements et des morts ; l’absence de raccordement au circuit d’eaux usées pose des
problèmes de salubrité, de vermines… ; le positionnement de ces « bidonvilles », à flanc de
5
montagne, entérine la ségrégation sociale, voire raciale, par une ségrégation spatiale (certaines
personnes n’en sortent pour ainsi dire jamais), toutes trois, facteurs de conflits sociaux et de
violence. Les choses sont cependant en train d’évoluer rapidement dans ce pays qui a
longtemps été soumis à un libéralisme dur et sans vergogne.
Cependant, il est nul besoin d’aller à l’autre bout du monde pour connaître ce genre de
situation. La France aussi a eu ses bidonvilles et ses taudis, il suffit de remonter un peu dans
l’histoire, et finalement pas si loin que cela, pour s’en rendre compte, si tant est que l’on
puisse affirmer que cette situation ait définitivement disparu de notre paysage.
Mon directeur de mémoire, M. Richard, à qui j’avais proposé de m’orienter sur les
« problèmes des banlieues et des grands ensembles » - thème Ô combien d’actualité après la
« crise des banlieues » de novembre 2005 et la décision du ministre de l’Intérieur de l’époque
de « passer les cités au karcher » -, m’a un peu prise à contre-pied en me proposant une
période durant laquelle le gouvernement avait justement décidé de mettre un terme à cette
politique des « grands ensembles ». Cette période, marquant aussi un retournement de
conjoncture internationale et le début – glorieux en termes de croissance économique – de la
fin des « Trente Glorieuses », est celle de l’arrivée au pouvoir du Président Pompidou suppléé
par M. Chaban-Delmas en tant que Premier ministre. J’ai donc étudié trois années de
gouvernance : du 21 juin 1969, date de la formation définitive du Gouvernement ChabanDelmas au 5 juillet 1972, lorsque celui-ci remit sa démission au Président, lequel avait
toujours affirmé qu’un Premier ministre ne devait pas avoir la même longévité au pouvoir que
le Président lui-même.
J’ai donc mobilisé différentes sources pour étudier la politique de ce gouvernement en
matière de logement essentiellement. Après avoir tenté de me concentrer sur la seule politique
de résorption des bidonvilles à travers la lecture d’ouvrages généraux, je me suis rendue
compte qu’elle ne pouvait être traitée indépendamment de la politique de construction de
logements, car cette seconde était l’essence même de l’existence de la première.
Par la suite je me suis concentrée sur l’étude des archives du journal Le Monde
relatives à la période. Qu’il m’a fallu compléter par l’étude d’autres périodiques sur certains
points de mon analyse, tels que Le Figaro ou encore l’Express et l’Humanité.
En parallèle, j’ai choisi d’étudier le Journal Officiel de la République Française pour
former mon analyse sur les textes de loi passés en matière de logement durant la période, ainsi
que l’année politique des années 1969 à 1972.
En réalité, cette période était d’autant plus intéressante pour moi, qu’elle me permettait
de traiter aussi de la question des bidonvilles et de leur résorption, tout en m’ouvrant sur
d’autres problématiques auxquelles je n’avais pas soupçonné d’avoir besoin de me confronter
telles que la question de l’immigration, de la place des étrangers dans la société française, de
la réponse apportée par la droite au pouvoir aux événements de « mai 68 »…
Cela m’a aussi permis de me confronter aux bases fondatrices de notre société et du
paysage urbain actuel, ainsi qu’à la question de la « modernité » vue par M. Pompidou et ses
ministres. L’urbanisme est en fait une question hautement politique et idéologique. C’était
vers une nouvelle forme urbanisme que ce Gouvernement cherchait à tourner le pays, une
nouvelle organisation des villes, doctrine décidée en milieu de période et qui marque une
rupture entre « l’ancienne société », marquée par la persistance de l’habitat insalubre et des
6
bidonvilles et la « nouvelle société » désirée par M. Chaban-Delmas dès sa prise de fonction.
Cette nouvelle société devait mettre un terme au contexte ayant accouché des événements de
mai 68 et répondre aux préoccupations nées de ces derniers. Par ailleurs, je me suis rendue
compte que mon sujet était aussi largement lié et soumis aux choix économiques du
Gouvernement.
Ainsi, il s’agissait de s’interroger sur les raisons ayant rappelé au Gouvernement sa
responsabilité en matière de traitement de la question des bidonvilles, comment cette question
fut-elle appréhendée et pourquoi ? Mais aussi, il fallait comprendre la politique de fond menée
en matière de logement par ce même Gouvernement : qui la décidait, la menait, quelle étaitelle et à quoi était-elle subordonnée ? Peut-on finalement dire que ce Gouvernement a décidé
de mettre en œuvre un nouvel urbanisme et mis un terme aux traces de l’ancienne société ?
Pour y voir plus clair, il fallait donc, dans un premier temps, comprendre les échecs du
passé en envisageant l’évolution de la politique du logement des années précédent la période
étudiée. Puis, étudier les raisons de l’existence des bidonvilles, leur organisation, la vie au
sein de ceux-ci. En bref, dresser une sorte de bilan de la situation du logement en France en
1969. Par la suite, il convenait de remettre en perspective les événements ayant conduit à la
prise en charge de la question du logement insalubre par le Gouvernement. Il convenait enfin
de décrypter l’action menée par les cabinets ministériels face à ce problème.
Dans un second temps, il ressortait qu’une lame de fond conduisait la ligne politique
du Gouvernement en matière de logement. Sur fond de volonté de libéraliser l’économie pour
faire face à de nouveaux enjeux économiques européens et mondiaux, le Gouvernement était
tiraillé entre sa tendance libérale et les revendications sociales. Il choisit de considérer le
logement comme tout autre secteur de l’économie, conduisant à un désengagement et à une
nouvelle façon de penser la politique sociale tournée exclusivement vers les plus démunis.
Enfin, la doctrine du nouvel urbanisme, liée elle aussi à cette volonté de libéraliser le
secteur du logement, allait encore un peu plus loin : elle visait à apaiser les tensions en offrant
aux Français ceux dont ils rêvaient et en décongestionnant le tissu urbain.
7
CHAPITRE 1 : La situation du logement en France
(juin 1969-février 1970)
En juin 1969, lorsque M. Pompidou fut investi de son mandat de Président de la
République, la crise du logement n’était toujours pas résolue, le niveau de vie des Français
s’améliorait mais les logements, pour environ un tiers d’entre eux, n’étaient toujours pas dotés
des principaux éléments de confort sanitaire (eau, toilettes, salle de bain). D’autre part, durant
les années 1950, la prospérité économique liée à la reconstruction de l’après-guerre avait
entraîné l’arrivée d’un grand nombre d’émigrés. Ces flux de migrants étaient venus s’ajouter à
une population en mal de logement et les étrangers n’eurent d’autre alternative qu’une
installation dans des baraques en périphérie des grandes villes. La politique mise en œuvre au
cours des années soixante pour tenter de résorber ces taudis et de construire des logements en
grand nombre n’avait pas mis fin à la crise. Le début de l’année 1970 marqua la prise en
charge, une nouvelle fois, de la question des bidonvilles par l’opinion publique puis par les
pouvoirs publics.
I)
La politique antérieure n’a pas résolu la crise du logement
en France
Les années cinquante avaient vu se développer l’habitat collectif. Dans un contexte de
crise du logement grave au sortir de la guerre, il avait fallu construire vite et en grand nombre
pour répondre aux besoins des populations, les constructeurs avaient réussi à convaincre les
politiques, usés par la guerre, de se lancer dans ce type d’urbanisme. Cependant, à la fin des
années soixante, ce type de constructions, commençait à être remis en cause et par ailleurs,
n’avait pas mit un terme à la crise, qui sévissait encore, d’autant plus que la jeunesse née de
l’après-guerre commençait à entrer sur le marché du logement et étaient soucieux de
rechercher un minimum de confort et de qualité en la matière. De fait, en 1969, il existait
encore des bidonvilles en France. L’opinion tentait de se convaincre que ce type d’habitat ne
concernait plus que les travailleurs immigrés, venus en France pour « fuir la misère
économique de leur pays ». Plus qu’ils n’avaient besoin de la France, la France avait besoin
d’eux pour soutenir sa croissance, mais elle était incapable de leur permettre de se loger
décemment.
Ainsi, les politiques successives menées par l’État n’avaient pas réussi à construire un
nombre suffisant de logements pour faire face à la croissance démographique du pays : les
objectifs du Vème Plan notamment n’avaient pas été atteints car ce Plan avait été dicté par un
impératif de promotion de l’initiative privée dans la construction.
A) Le Vème Plan
Le Vème Plan (1966-1970) avait pour objectifs principaux la recherche d’un essor
industriel rapide et d’une modernisation de l’appareil économique de la France, pour faire
face à la concurrence internationale naissante, ainsi que le progrès social, par le biais du
développement des équipements collectifs et la fixation de normes indicatives de prix et de
salaires dans le but de juguler les tendances inflationnistes.
Malgré une crise du logement persistante depuis la fin de la deuxième Guerre
mondiale, la construction de logement et l’amélioration de l’habitat ne faisaient pas parti des
objectifs essentiels du Plan. Toutefois, il fixait des objectifs en matière de réhabilitation
urbaine et de construction.
8
En matière de réhabilitation urbaine, la politique de l’État durant cette période, se
concentra sur la restauration du patrimoine à caractère historique et sur les rénovations
urbaines. Le Vème Plan fixait un objectif d’amélioration de 200 000 logements par an pour
1970, la seule mesure destinée à favoriser cet objectif étant l’établissement de normes
minimales d’habitabilité (définies par le décret en Conseil d’État n° 68-976 du 9 novembre
1968 fixant les conditions d'application de la loi n° 67-561 du 12 juillet 1967 1 relative à
l'amélioration de l'habitat). Cet objectif d’amélioration, au début du mandat de Georges
Pompidou, était loin des réalisations effectives2 : ce chiffre, fixé de façon forfaitaire par la
commission de l’habitation au Plan, ne semblait en effet pas même réalisable lors de
l’adoption du Vème Plan selon cette même commission, qui déclara, en novembre 1969, qu’elle
« ne pensait pas, en fait, que l’on [pût] dépasser le chiffre annuel de 100.000 [logements
rénovés] »3. M. Montjoie, commissaire général au Plan, indiqua toutefois que « le
recensement de 1968 [avait] révélé que l’amélioration [de l’habitat] était beaucoup plus
rapide qu’on ne [l’avait supposé] : de l’ordre de 150 000 logements par an »4.
Cependant, ces améliorations ne touchèrent pas spécialement les régions les plus
nécessiteuses ; l’exemple de la métropole Lille-Roubaix-Tourcoing était criant pour expliciter
ce fait : 82 000 logements étaient considérés comme vétustes et à détruire ou à remplacer sur
les 300 000 que comptait l’agglomération lilloise. De 1959 à la fin de l’année 1969 les
opérations de rénovation n’avaient touché que 8 500 logements5.
Jusqu’en 1970, l’État avait mis à la disposition des propriétaires et des élus un arsenal
de moyens, réglementaires et financiers, pour favoriser l’entretien du patrimoine existant avec
une logique explicitée dans les différents Plans : « le prix de marché des loyers doit permettre
de dégager des moyens nécessaires à l’entretien, voire l’amélioration des logements ».
Le Vème Plan définissait aussi des objectifs en matière de construction de logements
neufs qui ne furent pas atteints non plus. D’une part, il préconisait que le rythme de
construction épousât celui des besoins, évalués à partir d’une « réalité démographique ». Le
chiffre de 480 000 logements réalisés à l’échelle nationale avait été posé comme objectif pour
19706 ; ce chiffre tenait compte de la progression démographique, des besoins de
remplacement du patrimoine immobilier existant, de la croissance économique ainsi que des
changements pouvant affecter les équilibres de population. Les enveloppes de crédits pour les
constructions devaient être réparties de façon régionale par des commissions spécialisées en
fonction de tous ces critères.
La réalité fut toute autre : d’une part, les objectifs nationaux de construction ne furent
pas atteints (480 000 logements mis en chantier en 1969 mais seulement 434 300 en 1968,
435 000 en 19677) mais surtout, pour ce qui était du secteur de la construction non aidé par
1
La loi du 12 juillet 1967 relative à l’amélioration de l’habitat, toujours en vigueur, pose les rapports entre
locataire et propriétaire pour l’exécution de travaux pour adapter les locaux d’habitation à des normes de
salubrité, sécurité, équipement et confort. Elle posait aussi réforme des prêts et subventions accordés pour
l’amélioration de l’habitat, de l’organisation du Fonds national d’amélioration de l’habitat, de l’allocation
logement et de l’allocation loyer. Toutes ces réformes ainsi que les normes d’habitabilité prévues par la loi
devaient être définies par décret en Conseil d’État.
2
« M. Vivien prépare la réunion de deux « tables rondes » spécialisées », Le Monde, 2/08/1969, rubrique La vie
économique, p.15.
3
« Il n’est pas assuré que l’objectif du Vème Plan sera atteint, écrit le commissaire au plan », LM, 9 et 10/11/1969,
p.27, rubrique la vie économique.
4
Idem.
5
Georges Sueur, « Lille métropole autour de Lille Roubaix Tourcoing », LM, 23/10/1969, p.17.
6
« Il n’est pas assuré que l’objectif du Vème Plan sera atteint, écrit le commissaire au plan », LM, 9 et 10/11/1969,
p.27, rubrique la vie économique.
7
Jacques Chièze, « Grâce à l’accélération de la construction chère, près de 480 000 logements auront été mis en
chantier cette année », LM, 12 et 13/10/1969, p.25, rubrique l’Actualité économique.
9
l’État, les investisseurs privés choisirent de construire densément dans les régions ou le
capital pouvait fructifier plus rapidement comme par exemple dans les régions touristiques,
propices aux résidences secondaires, opérations fortement rémunératrices8.
Ainsi, les taux de construction par département pour 1 000 habitants en 1968,
révélaient de nombreuses anomalies dans la répartition des constructions : les départements à
faible population bénéficiaient souvent de forts taux de construction contrairement aux
départements très peuplés du nord de la France, dont le tissu urbain dense était
particulièrement vétuste9.
B) Retour sur les grands ensembles
Les constructions dites de « grands ensembles » qui virent leur avènement entre les
années cinquante et là fin des années soixante, commencèrent rapidement à être remis en
cause dès le milieu des années soixante. Les classes moyennes qui en avaient profité au départ
commençaient à les déserter : leur mode de construction et les matériaux utilisés en faisaient
un habitat qui se détériorait relativement rapidement ; l’isolement mais paradoxalement aussi
la promiscuité qui régnaient dans ce type d’habitat ne correspondaient apparemment pas aux
désirs des Français.
1) Un habitat en obsolescence
La mise en place d’une véritable politique de construction à partir du milieu des
années 1950 avait donné la priorité aux HLM et aux logements sociaux sur les appartements
de luxe et l’accession à la propriété. A partir des années 1950, les « grands ensembles »,
imaginés sous la plume d’architectes modernistes tels que Le Corbusier (inventeur de « l’unité
d’habitation » dans les années 1920 et architecte de la Cité Radieuse de Marseille, dite « cité
du fada », inaugurée en 1952) ou encore Eugène Beaudoin (la Cité de Rotterdam à Strasbourg
en 1953), devinrent la panacée du confort. A la suite de l’appel de l’Abbé Pierre de février
1954, l’habitat collectif de type « tour » ou « barre » en éléments préfabriqués en béton
s’imposa comme étant la seule solution pour pallier le manque ou la vétusté des logements en
France. L’objectif était de construire vite et en grande quantité.
Les classes moyennes qui occupaient encore les habitats collectifs commençaient à
aspirer à des logements plus confortables. Les immeubles de ce type se dégradaient en effet
très rapidement du fait de leur construction. Peut-être ces immeubles n’étaient-il pas fait pour
durer se demandaient certains. Mais surtout, les attentes des Français évoluaient rapidement
dans un contexte de croissance, de gains de productivité et de hausses de salaires, même pour
les classes ouvrières ; selon le gouvernement Chaban-Delmas, et en particulier M.
Chalandon : les classes moyennes étaient désireuses d’acquérir leur logement, il fallait
développer l’accession à la propriété et construire des logements plus en phase avec les
attentes des ménages, la désertion des grands ensembles et surtout les conditions de vie dans
ceux-ci, poussèrent les journalistes à inventer, dès les années 1960, le concept de
«Sarcellite ».
8
Jacques Chièze, « C’est souvent dans les régions où les besoins sont les plus urgents que l’on construit le moins
de logements », Le Monde de l’économie, 26/08/1969, p.1.
9
Idem. Les départements du Nord (2,4 millions d’habitants) Pas de Calais (1,2 millions d’habitants) avaient des
taux de 4 à 6 logements construits pour 1.000 habitants. Les Alpes-Maritimes et le Var (1,2 millions d’habitants
à eux deux) avaient reçu 2.260 primes à la construction aux particuliers en 1968 et s’étaient vu accorder 36.383
permis de construire contre 1.705 primes et 24.872 permis de construire pour les départements du Nord et du
Pas-de-Calais réunis.
10
2) La « Sarcellite »
Situé dans le département du Val-d’Oise, Sarcelles est une commune qui a vu naître,
en 1956, le premier grand ensemble, dit de « première génération »10, conçu, par les
architectes français Jacques Henri Labourdette et Roger Boileau, comme une ville11. Situé à
vingt kilomètres de Notre-Dame de Paris, brouillon des futures « villes nouvelles », ce grand
ensemble a inspiré par la suite grand nombre des cités de banlieue françaises. 12 368
logements furent construits pour le compte de la SCIC12 et ses filiales. La ville, qui ne
comptait qu’environ 8 000 habitants au début des années cinquante, en avait, en 1970, environ
40 00013 ; la population de Sarcelles, en général jeune, en partie d’origine immigrée dont
notamment une importante communauté juive d’Afrique du Nord arrivée en 1962 14 valut à la
cité des remarques cinglantes, révélant un colonialisme raciste latent, dans les journaux
lorsque le concept de « Sarcellite » fut inventé : « Une des causes du malaise existant ici est
dans la nature hétérogène, internationale, d’une population qui n’a pas encore eu le temps de
s’adapter »15, ou encore : « Vous pouvez imaginer ce qui se passe dans les caves lorsque les
enfants et les adolescents, garçons et filles, s’y rassemblent. Les gangs d’enfants règnent par
la terreur sur ceux qui répugnent à s’y embrigader, avec ou sans blousons noirs. »16
Depuis sa construction et encore dans les années soixante-dix, le grand ensemble avait
déjà connu de nombreux problèmes sanitaires et techniques : rats, électricité, effondrements
d’escaliers, entre autres.17
La « Sarcellite » fut un concept inventé et utilisé par les journalistes, à la suite de la
tentative de suicide d’une habitante, mère de quatre enfants. Défini dans Le Monde comme
étant « l’affection frappant les femmes des nouveaux ensembles résidentiels », une
« mélancolie irrépressible qui les conduirait à se déprendre de la vie et, dans les cas
extrêmes, à agir très concrètement pour qu’elle ne soit pas désespérément longue », la
« Sarcellite » aurait été le syndrome des habitants des grands ensembles dû à l’ennui né de
l’environnement urbain des grands ensembles : le béton, la promiscuité, l’exclusion, le
manque de transports en commun, de possibilités de loisir, de commerces, d’emploi dans les
alentours, le désœuvrement des femmes et des enfants, qui y restaient pour beaucoup toute la
journée, la fatigue des hommes qui passaient beaucoup de temps dans les transports en
commun pour rejoindre leur lieu de travail.
Selon le maire communiste de l’époque, Henri Canacos (élu en 1965, en poste
jusqu’en 1983), la « Sarcellite » était un mot qui cachait le faux problème « de l’allergie au
béton, de l’ennui de vivre en grand ensemble, ou [symbolisait] les erreurs des urbanistes, les
manques de constructions sociales ou les bénéfiques opérations des promoteurs, la sarcellite
existait. Il allait falloir combattre ce mythe. Il allait falloir détruire la sarcellite en
améliorant les conditions de vie des Sarcellois. »18
10
Caractérisé par un urbanisme de longues barres horizontales, le long des rails implantés pour les grues de
chantier, sans recherche architecturale
11
Jean-Pierre Clerc, « Du côté de Sarcelles, une certaine patine », LM, 24/12/1970, p.20.
12
Société Centrale Immobilière de la Caisse des dépôts et consignations, créée en 1954 par François BlochLainé, président de la Caisse des dépôts et consignations de 1952 à 1967, pour faire face aux besoins de
logements en France.
13
LM, 24/12/1970, p.20, Du côté de Sarcelles,…, par J-P.C.
14
Jacques Moran, « Sarcelles, une banlieue (pas tout à fait) comme les autres », L’Humanité, 3/05/2006, rubrique
Société.
15
L’Aurore, 9/02/1965 cité dans Henri Canacos, Sarcelles ou le béton apprivoisé, 1979, Éditions sociales
16
Le Figaro littéraire, 28/11/1959 cité dans H. Canacos, Sarcelles…, 1979, Éditions sociales
17
J-P.C., « Du côté de Sarcelles, une certaine patine », LM, 24/12/1970, p.20.
18
H. Canacos, Sarcelles…, 1979, Éditions sociales.
11
Déjà en 1970, les choses semblaient aller en s’améliorant : les habitants avaient « fini
par apprivoiser les lieux »19 et une personne sur deux accédant à la propriété à Sarcelles était
un ancien locataire du grand ensemble20 ; cependant, bien que de nombreux projets,
notamment de commerces, eussent déjà été envisagés, il n’y avait toujours pas d’emploi sur
place. M. Canacos se battit, dès son élection, pour développer les équipements publics et les
commerces « omis » par les promoteurs et permettre la naissance d’une véritable ville 21 en
améliorant les conditions de vie et l’environnement urbain des habitants.
La croissance économique avait permis d’améliorer le niveau de vie des Français.
Pour soutenir l’accroissement du PIB, il avait fallu faire venir des ouvriers de l’étranger pour
combler les places vacantes dans les usines car le salariat français était déjà en voie de
tertiarisation. Nombre d’étrangers, du fait de la crise du logement, et de la rétention des
logements sociaux par les classes moyennes, furent contraint de vivre dans des taudis ou des
bidonvilles.
C) Les bidonvilles et la place des immigrés en France
La géographie des taudis de la Région parisienne, au début des années 1970, n’avait
pas varié depuis un siècle ; les mêmes noms de communes revenaient souvent : Saint-Ouen,
Gennevilliers, Aubervilliers, Montreuil-sous-Bois, Saint-Denis, Clichy, les 18e et 19e
arrondissements de Paris, etc. Les bidonvilles, conséquences de la croissance économique
combinée à la crise du logement, avaient déjà provoqué de nombreuses campagnes de presse
et l’indignation de l’opinion publique. À partir des années 1960, l’immigration changea de
structure : les entrées de migrants firent un bond et les populations entrant en France pour
travailler n’étaient plus en majorité des Européens mais plutôt des Nord-Africains et des
Africains22. En 1968, la proportion d’étrangers dans la population française était de 5,28%,
soit environ 2,621 millions de personnes, en 1972, on estimait la population étrangère en
France à 3 200 000 personnes dont la moitié d’actifs et en 1975, ils étaient 6,54% de la
population française, soit 3,442 millions. En termes de catégories socioprofessionnelles, les
étrangers représentaient 6,1% des ouvriers en 1954 et 14,1% en 1975. Les événements de
« Mai 68 » avaient déjà permis de mettre à jour la situation des travailleurs étrangers en
France, du moins au sein du monde ouvrier.
1) Les apports de « Mai 68 » et des accords de Grenelle
pour les travailleurs étrangers
« Mai 68 » fut un événement marquant pour la société française, certes, mais aussi
pour les travailleurs étrangers en France, et notamment leur place au sein de la société
française. En effet, « Mai 68 » est l’un des événements qui marqua la prise de conscience par
les Français des conditions de vie faite aux immigrés et qui permit, d’une certaine façon, la
reconnaissance des immigrés au sein du monde ouvrier par la classe ouvrière elle-même.
Les travailleurs étrangers furent très longtemps considérés par les autres ouvriers
comme des « casseurs de grève ». Privés de nombreux droits (obligation de neutralité
politique, liberté d’association soumise à la discrétion du ministère de l’intérieur, pas le droit
d’être élu délégué du personnel avant 1975 même lorsqu’ils sont majoritaires au sein du
salariat de l’entreprise…) et mal protégés, les travailleurs étrangers étaient en effet plus
sensibles aux menaces de renvoi ou d’expulsion qu’au combat syndical pour de meilleures
19
J-P.C, « Du côté de Sarcelles… », LM, 24/12/1970, p.20.
Idem.
21
J.M., « Sarcelles, une banlieue (pas tout à fait) comme les autres »L’Humanité, 3/05/2006, Société.
22
Maryse Tripier, L’immigration dans la classe ouvrière en France, 1990, L’Harmattan.
20
12
conditions. Lors des événements de mai et juin 1968, on observa un mouvement revendicatif
important de la part des travailleurs immigrés dans les usines dans lesquelles ils étaient
majoritaires au sein du personnel, comme par exemple dans les usines Renault de BoulogneBillancourt. Au contraire, dans les usines où ils n’étaient pas en grand nombre, ils
continuèrent généralement le travail23.
Avant mai 1968, le prolétariat français et migrant ne se connaissait pas et, selon Y.
Gastaut, les gauchistes pénétrèrent le monde des immigrés en grande partie grâce mai 1968,
bien que les syndicats y eussent déjà mis le pied : dès 1964, la C.G.T. avait ouvert plusieurs
permanences en langue portugaise et arabe dans des bidonvilles24.
Les événements débutèrent à l’université de Nanterre, achevée d’être construite en
1965, à deux pas du bidonville de « la Folie ». C’est ici que les étudiants de gauche prirent
contact avec les travailleurs immigrés dès 1965 et se rendirent compte de la misère dans
laquelle vivaient les gens du bidonville.
En « Mai 68 » se forma un mouvement spontané d’étudiants en faveur de ces
populations. Ils envahirent les taudis pour pousser les immigrés à aller manifester ou
simplement pour leur fournir des provisions et subvenir aux désagréments liés aux grèves et
des cessations de paiements. Les premiers contacts ne furent pas toujours faciles à nouer, et
nombre d’immigrés, de crainte de faire les frais des événements, décidèrent de quitter la
France (en deux semaines 10 000 Portugais quittèrent le pays) en espérant revenir une fois le
calme revenu25. Nombre d’étrangers ayant pris par aux manifestations de mai et juin 1968
furent par ailleurs expulsés sur décision du ministère de l’intérieur ou sur décision de justice
pour cause de manque de neutralité politique.
« Mai 68 » ouvrit la brèche dans laquelle s’engouffra l’extrême gauche dès 1969, et
jusqu’à la résorption des bidonvilles, pour lutter pour les droits des travailleurs immigrés et
l’amélioration de leurs conditions de vie, considérés comme le revers de la médaille de la
société capitaliste. Cette vision fut d’ailleurs plus tard relayée par l’administration : selon
Pierre Verdier (inspecteur de l’action sanitaire et sociale), le bidonville était la preuve de
l’égoïsme, de la négligence de la société française et de son incompréhension devant d’autres
coutumes26.
Par le biais des accords de Grenelle (conclus le 27 mai 1968), les travailleurs étrangers
bénéficièrent de la valorisation du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) de 35%
(comme les autres salariés) bien que certain eussent été payés en dessous du salaire
minimum27. Les autres salaires furent augmentés en moyenne de 10%. Ils bénéficièrent aussi
de la mensualisation des salaires et des conventions collectives adoptées suite aux événements
de « Mai », notamment en 1969. Il semblait cependant que les conventions collectives eussent
été moins bien appliquées dans les usines où les nouveaux immigrés étaient nombreux 28.
Cependant, à y regarder de plus près, les hausses de salaires suivant les accords de Grenelle
furent totalement compensées par l’inflation qui s’en suivi (sous la présidence de Georges
Pompidou, l’inflation était en moyenne de 5 à 6% par an), si bien que les spectaculaires
hausses de salaires de 1968 n’eurent pas pour conséquence la hausse du pouvoir d’achat des
ménages.
23
Maryse Tripier, L’immigration dans la classe ouvrière en France, 1990, L’Harmattan.
Claire Lévy-Vroelant et Anne-Véronique Blin, Logements de passage, formes, normes, expériences, 2000,
L’Harmattan
25
Claire Lévy-Vroelant et Anne-Véronique Blin, Logements de passage, formes, normes, expériences, 2000,
L’Harmattan
26
« Aurons-nous toujours des bidonvilles ? » LM, 2/01/1971.
27
« Usines-bagnes et foyers cercueils », Revue Africasia, n°8, du 2/02/1970 au 15/02/1970 ; « ils sont 50 000 en
France », LM du 4 et 5/01/1970, indiquent que la plupart des travailleurs africains ne gagnaient pas plus de 600F
par mois (hors ceux qui travaillaient en usine ou dans des services municipaux)
28
Maryse Tripier, L’immigration dans la classe ouvrière en France, 1990, L’Harmattan.
24
13
2) L’existence d’un « sous-prolétariat » immigré
« La main-d’œuvre immigrée est une bonne affaire », titrait le chapitre quatre du livre
des travailleurs africains en France29. Dans cet ouvrage, un article publié dans la revue
Front30, expliquait très bien les mécanismes économiques poussant les populations des pays
semi-industriels ou en développement à émigrer vers les pays industrialisés, ainsi que ceux
poussant les pays d’accueil comme les pays d’émigration à accepter ces flux migratoires. En
1969, à une époque où les pays européens parlaient déjà de « pillage de cerveaux » lorsque
leur élite migrait vers les Etats-Unis, ils pillaient quant à eux la main-d’œuvre des pays
« sous-développés » ou « semi-industrialisés » selon les expressions utilisées dans la période
étudiée. Par ailleurs, on estimait qu’environ 80% des étrangers vivant en France y étaient
entrés de façon clandestines.
a) La migration
L’immigration n’est pas un phénomène nouveau datant de l’après-guerre : les
populations ont toujours migré. On peut, pour exemple, observer les phénomènes migratoires
du XIXème siècle et de la première mondialisation pour s’en convaincre : les pays les plus
avancés, à savoir, ceux du vieux continent, l’Europe, exportaient leur surplus de maind’œuvre vers le nouveau continent ou les colonies. C’était en majorité une immigration de
peuplement ; l’immigrant partait avec sa famille pour s’installer dans les colonies. Ceci
permettait au capital d’exporter ses surplus de production vers les périphéries et maintenir
ainsi la croissance.
Au contraire, l’immigration dite « moderne » qui s’intensifia dans la période des
« Trente Glorieuses », selon l’expression de Jean Fourastié, - on en vit les prémices en France
à partir des années 191031 -, était un flux migratoire allant des pays sous-développés et semiindustriels vers les pays les plus avancés. C’était une migration économique ou politique (si
l’on prend les cas, par exemple, de l’Espagne ou du Portugal), principalement de maind’œuvre (jeunes hommes le plus souvent célibataires ou laissant leur famille dans le pays
d’origine). En ce qui concerne la période allant de 1969 à 1972, la majorité des migrants
arrivant en France étaient originaires des anciennes colonies Françaises (surtout d’Afrique et
de Madagascar).
Cependant, selon Vincent Joly, historien spécialiste de l’histoire de l’Afrique à
l’Université de Rennes 2, les raisons des migrations d’Africains vers la France n’étaient pas
toujours un moyen de quitter la misère économique. En effet, dans l’Ouest de l’Afrique par
exemple, avant la colonisation française, les travailleurs migraient souvent pour des raisons
sociales : il pouvait s’agir de migrations saisonnières, pour aller travailler dans les pays
voisins (voire dans la métropole durant la période coloniale) ; aller travailler à l’étranger
pouvait aussi constituer un rite de passage, ou encore un moyen payer la dote ou l’impôt
(notamment l’impôt colonial lors de la domination Française). Les premiers travailleurs
africains à venir en France avaient été des Kabyles dès 1915, durant la période coloniale, pour
des raisons autres que la « misère économique ».
29
Union Générale des Travailleurs Sénégalais en France, Le livre des travailleurs africains en France, cahiers
libres 172-173, François Maspero, éditeur sur les presses de l’Imprimerie Laballery et Cie, achevé d’imprimer en
mai 1970.
30
Front n°3, novembre 1969 cité dans Le livre des travailleurs africains en France, déjà cité.
31
en 1911, les Italiens devinrent le premier groupe d’étrangers en France, ils constituaient alors 36% des
immigrés et 1% de la population française. Ils venaient soutenir la croissance économique de la France qui était
bien supérieure à celle de l’Italie.
14
M. N’Dongo, Sénégalais d’origine et directeur de l’U.G.T.S.F.32, accusait, quant à lui,
le système d’imposition, instauré notamment au Sénégal, d’être la cause de la fuite des
hommes vers la France : en effet, ce système voulait que les foyers sénégalais payassent un
impôt par tête d’individu ; que le foyer posséda un revenu (ou des biens) ou non et que la
famille comportât cinq, dix ou quinze personnes, l’impôt devait être payé pour chacun.
Quelque soit la raison du départ, le documentaire de Yamina Benguigui, Mémoires
d’immigrés, rappelait que l’immigration, synonyme de déracinement et perte de repère, n’était
absolument pas quelque chose d’anodin dans la vie d’une personne, homme, femme ou
enfant. Il ne faut pas oublier le drame personnel que représente la migration lorsqu’elle est
subie.
Les pays riches voyaient l’arrivée de travailleurs étrangers sur leur sol comme une
« aide internationale des pays riches envers les pays sous-développés ». De la même manière,
le travailleur étranger arrivant en France, ne percevait pas l’immigration comme une
exploitation de lui-même ou de son pays d’origine mais comme une « faveur » des pays
riches.
b) La main-d’œuvre, une « marchandise » économiquement rentable
N’était-ce pourtant pas l’inverse ? En effet, en laissant s’évaporer leur main-d’œuvre
la plus productive, des « hommes tout faits », c'est-à-dire de jeunes hommes en âge de
travailler, les pays sous-développés fournissaient une aide considérable aux pays développés,
comme le faisait remarquer Alfred Sauvy, économiste, « sur le plan strictement économique,
un pays aurait tout intérêt à réduire sa natalité et à laisser entrer des hommes tout faits »33.
En effet, le coût de formation d’un jeune jusqu’à 18 ans, donc à un degré de qualification
simple, revenait à 9 ou 10 années de travail selon les calculs de A. Sauvy. Une année de
travail en 1969 s’élevait à environ 5 000 dollars en France (calculé selon le produit national
brut par tête de la population active). En ajoutant à cela le fait que les travailleurs étrangers
étaient « sélectionnés » par la France en fonction de leur âge (compris entre 20 et 45 ans en
général ; on estimait que 76% des Algériens travaillant en France en 1961 avaient moins de
35 ans34) et de leur condition de santé (les pays d’accueil imposaient un contrôle médical à
l’entrée des immigrants), ils bénéficiaient beaucoup moins de la sécurité sociale que les autres
travailleurs mais y laissaient pourtant de 15 à 25% de leur salaire 35. Par ailleurs, le coût
d’installation d’un étranger était bien moins élevé que celui d’un travailleur national.
Il était réservé aux travailleurs étrangers des emplois subalternes, permettant ainsi à la
population nationale de se consacrer à des tâches relativement plus qualifiées. Les travailleurs
étrangers avaient « un statut de main-d’œuvre flottante, interchangeable et réglable selon les
besoins [du marché du travail] des pays capitalistes avancés36 » par le biais des
règlementations et des accords avec les pays d’origine. Par exemple, la convention francosénégalaise sur la circulation des personnes du 21 janvier 1964 traduite en droit Français par
le décret 64-254 du 14 mars 196437, permettait à la France de réduire voire interrompre
l’immigration de façon unilatérale. Elle donna lieu à quelques refoulements à l’entrée du port
de Marseille mais ne fût pas vraiment respectée dans les faits. Imposant un certificat de
32
Union générale des travailleurs sénégalais en France
Théorie générale de la population, 2 volumes, P.U.F., 1963 et 1966, dans le Livre des travailleurs africains en
France déjà cité.
34
R. Descloitrez, Le travailleur étranger, O.C.D.E., 1967
35
Charles Caporale, membre de la direction générale de la C.E.E dans Revue de l’Action sociale, juin 1965 dans
le livre des travailleurs… déjà cité.
36
Le livre des travailleurs… déjà cité
37
JO 20/03/1964, cité dans le livre des travailleurs… déjà cité
33
15
contrôle médical (des mesures prises en avril 1968 instauraient aussi l’obligation d’une visite
médicale pour toute nouvelle embauche soit dans le pays de départ, soit par l’intermédiaire de
l’Office National d’Immigration38) ainsi qu’un contrat de travail pour pouvoir aller travailler
dans le pays cosignataire, la loi finit par être contournée : les Africains passaient en qualité de
touristes ou de façon clandestine, la situation étant relativement facile à régulariser une fois
sur place. Selon M. Jeanneney : « l’immigration clandestine elle-même n’est pas inutile car si
l’on s’en tenait à l’application stricte des règlements et accords, nous manquerions peut-être
de main-d’œuvre »39, sans compter que la situation irrégulière des travailleurs constituait, pour
des employeurs peu scrupuleux, un moyen de faire pression sur ceux-ci en cas d’engagement
ou de revendication politique ou syndical.
En moyenne, à compter 600 000 travailleurs arrivant tous les ans dans les pays
industrialisés, Le Front, dans sa troisième parution, estimait à 40 milliards de dollars ce
« cadeau annuel des pays pauvres aux riches ».
Selon les chiffres de l’ONI, en 1970, 309 301 étrangers étaient rentrés (officiellement)
en France dont 135 058 saisonniers et 80 950 parents.
Par ailleurs, il était supposé que les pays exportateurs de main-d’œuvre retiraient un
fort bénéfice du rapatriement des salaires de ses expatriés. En réalité, la part des salaires
rapatriée au pays d’origine n’était qu’une somme relativement infime par rapport au capital
que représentaient les travailleurs étrangers pour les pays industrialisés. Les transferts
officiels d’épargne représentaient tout de même pour certains pays un poste non négligeable
de leurs recettes en devises (pour exemple, ces transferts avaient permis à l’Italie de couvrir
5% de ses importations et 15% de sa balance commerciale entre 1946 et 1957).
c) La structure de l’emploi des travailleurs immigrés
Les travailleurs étrangers, selon leur pays d’origine ne vivaient pas dans les mêmes
conditions et ne travaillaient pas dans les mêmes domaines. Les travailleurs africains, venant
souvent des campagnes ou sans qualification pour les travaux industriels, formaient la maind’œuvre dite banale. Des pourcentages approximatifs peuvent donner une idée de la
répartition géographique de ces derniers à la fin des années 196040 :
60% étaient implantés en Région parisienne, 25% à Marseille et en Provence, 5% en
Seine-Maritime, 3,5% dans le Nord et en agglomération bordelaise, 3% en agglomération
lyonnaise.
On peut aussi donner une idée de leur répartition par secteur d’activité en utilisant les
statistiques de l’U.G.T.S.F.41 :
Parmi les 6.154 emplois obtenus par l’Union entre 1961 et 1970, 45% étaient dans
l’industrie automobile, 20% dans l’industrie textile, 15% dans les docks, 15% dans la voirie et
5% des employés furent placés en tant que « gens de maison ».
Les travailleurs africains vivant en région parisienne, quant à eux, en 1965 et 1966,
travaillaient42 à 48,5% dans les industries métallurgiques, 9,8% dans les industries
alimentaires, 8,1% dans les industries chimiques. Chacune des autres branches était inférieure
à 5%.
38
O.N.I.
Cité par Droit et Liberté, N° 271, mars 1968 dans le livre des travailleurs… déjà cité
40
Le livre des travailleurs… déjà cité
41
Union Générale des Travailleurs Sénégalais en France, créée en 1961 par des travailleurs africains confrontés à
des problèmes d’accueil, d’hébergement mais aussi à l’ostracisme, au racisme et la discrimination au sein des
entreprises.
42
Selon l’enquête de M. Couturier de 1967 en exploitant les renseignements concernant les emplois successifs
des visiteurs du centre médico-social Bossuet, Paris 10e. Dans Le livre des travailleurs… déjà cité.
39
16
Le plus souvent employés en tant que manœuvres ou ouvriers spécialisés, ces
travailleurs, s’ils possédaient une qualification professionnelle – ce qui était, par ailleurs,
fréquent – n’étaient jamais employés à ce niveau de compétence. Ils n’étaient souvent pas non
plus payés au niveau de salaire correspondant à leur emploi.
Au bas de la hiérarchie des emplois et des salaires, maintenus dans une situation
précaire, premiers touchés par le chômage et parfois même payés de manière dérisoire par
rapport aux salaires pratiqués en France, victimes de licenciements abusifs qu’ils ne pouvaient
faire reconnaître par les prud’hommes par manque de preuve, premières victimes d’accidents
du travail ( en 1973 étaient 9,4% de la pop active mais représentaient 22,3% des accidents du
travail graves), les travailleurs étrangers participaient pourtant, comme les travailleurs
nationaux, à la croissance économique de la France.
3) Les conditions de vie dans les bidonvilles
Les populations immigrées en France vivaient, pour grande partie (les populations
arrivées depuis un certain temps en France, intégrées ou pouvant avoir progressé dans la
hiérarchie sociale vivaient dans les mêmes conditions que les Français d’origine – nous nous
intéresserons ici, bien évidemment, aux populations récemment installées, non encore
« intégrées », à bas salaires ou bas niveau de qualification), dans des conditions qualifiées
d’infrahumaines, différentes selon les pays d’origines et la situation familiale : « les
Espagnols et les portugais [habitaient] des appartements le plus souvent vétustes ou des
cabanes de chantier, […] les Nord-Africains et les Yougoslaves [connaissaient] des abris de
fortune et se [partageaient] les bidonvilles, les travailleurs Africains, ne [résidaient] que très
rarement de façon individuelle. Ils [habitaient] dans ce que l’on [appelait], sans doute par
ironie, des « foyers ». Ce terme [n’aurait] d’ailleurs pas [du] être employé car il [prêtait] à
confusion et pourrait laisser croire que l’on [avait] réellement construit ou aménagé des
foyers à l’intention des travailleurs africains.43 »
Ce découpage, bien qu’artificiel, représentait tout de même une certaine réalité : les
travailleurs étrangers se regroupaient effectivement selon leur pays d’origine. Les populations
françaises elles-mêmes avaient pratiqué ce genre de regroupement, selon la région d’origine,
lors des grandes vagues d’exode rural et d’industrialisation du pays ; on peut notamment citer
l’exemple des bretons qui furent nombreux à aller travailler en Région parisienne, lorsque la
campagne bretonne se mécanisa et que les mains des enfants n’étaient plus nécessaires pour
travailler la terre. Les migrants bretons s’étaient eux aussi retrouvés entre eux, en
communauté, sans compter qu’eux aussi avaient eu à faire face à la barrière de la langue.
Les bidonvilles, habités le plus souvent par les familles, portugaises (comme à
Champigny-sur-Marne par exemple) ou maghrébines (comme à Argenteuil, par exemple
jusqu’à la fin de l’année 1969) en majorité, sont définis comme un ensemble plus ou moins
vaste d’habitats précaires constitués de matériaux de récupération (tôles, cartons, bidons…).
Le terme de bidonville, dont l’origine n’est pas certain, peut-être rattaché aux habitats
d’urgences d’après guerre semblables à des demi-bidons renversés sur le sol. Les terrains
étaient occupés illégalement et il arrivait que d’anciens « propriétaires » de l’un des
baraquements, le loua, souvent à des sommes exorbitantes, à de nouveaux arrivants. Il
n’existait aucun statut d’occupation du sol : tout était fondé sur l’illégalité. La perception des
loyers, l’achat éventuel d’une baraque n’avait aucun fondement juridique.
43
Le livre des travailleurs… déjà cité
17
L’existence des bidonvilles fut reconnue officiellement en France dès le début des
années 1950. En 1966, le ministère de l’intérieur fit le premier recensement44 pour estimer
l’ampleur du phénomène ; année pour laquelle le recensement indiquait que 90% des résidents
en bidonvilles se trouvaient en Région parisienne, en région Provence-Alpes-Côte-D’azur et
dans le Nord, avec, respectivement les proportions suivantes : 62,15%, 18,83% et 7,83%. Les
deux tiers de la population recensée en bidonville se trouvaient à : Champigny (14 025
personnes), Nanterre (9 737), Marseille (7 806), Saint-Denis (4 803), Lille (3 800), La
Courneuve (2 355), Gennevilliers (2 292), Toulon (2 203). Les nationalités recensées dans ces
bidonvilles étaient les suivantes : Nord-Africaine (à 42%), Portugaise (20,6%), Française
(20%), Espagnole (5,5%), le reste (soit 11,9%) était des Africains, Yougoslaves et toutes
autres nationalités confondues. On recensa cette année-là environ 75 000 personnes vivant en
bidonvilles.
Cependant ce chiffre semble fortement sous-évalué car ce premier recensement, d’une
part fut réalisé durant les mois d’été et, d’autre part, ne prenait pas en compte les petits îlots
isolés, moins visibles, ou vivaient parfois quelques dizaines de familles et d’isolés. Il ne tenait
pas non plus compte des « bidonvilles verticaux » et ne portait que sur les chiffres officiels de
l’immigration (sous-évalués par rapport à l’immigration totale).
Les conditions de vie au bidonville, sont difficilement traduisibles en mots, de
nombreux témoignages peuvent cependant être mobilisés pour tenter d’exprimer les
conditions dans lesquelles vivaient leurs habitants, comme par exemple celui d’un militant
« gauchiste » de génération 72 qui écrivait ainsi en 1969 :
« Le bidonville, un cloaque sordide, architecture de caisses et de tôles, qui abrite des milliers
d’étrangers, noirs ou basanés. Les services de voirie ont renoncé à ramasser les ordures, qui
s’amoncellent en strates sédimentées, formant un sol meuble, spongieux, marécageux à la
première ondée. Les enfants jouent avec les immondices dans les travées ou aucune voiture
ne [s’aventurait], par crainte de s’embourber définitivement.45 »
S’ajoutait à cela l’absence d’électricité, d’eau courante (qu’il fallait aller chercher « à
la pompe »), de gaz ; le sol en terre battue dans les baraquements où toute la famille vivait et
dormait dans la même pièce le plus souvent…
Dans de telles conditions, les maladies étaient fréquentes (Tuberculose…) ainsi que la
surmortalité infantile. Sur ce point, l’exemple des courées du Nord, habitat bidonvillisé, était
éloquent : la mortalité infantile atteignait 50 pour mille avant 1 an (contre 20 pour mille pour
la moyenne française). Selon les chiffres officiels, en 1969, à Roubaix, il restait environ 900
courées dans lesquelles vivaient 30 000 personnes (Roubaix comptait alors 150 000 habitants)
dont environ 10 000 Nord-Africains (l’un des quartiers de courées, nommé la Guinguette,
était surnommée la Médina : 80% de ses habitants étaient Nord-Africains) et beaucoup de
Portugais. Elles avaient été construites entre 1870 et 1900 lorsque l’industrie textile s’était
développée46. La description que fit F. Grosrichard – journaliste à Le Monde – des courées de
Roubaix était aussi explicite pour décrire les conditions de vie des gens vivant là :
« Deux rangs de maisons basses accolées les unes aux autres se font face ; une langue
de terre de quelques mètres de largeur les sépare où s’accumulent les détritus, des matelas
crevés, des bouteilles, des ferrailles et des planches s’entassent à quelques pas des portes.
[…] Une baraque délabrée abrite une fosse d’aisance collective pour les cent ou deux-cent
habitants de ces maisons dont la pièce du rez-de-chaussée a une superficie de dix mètres
carrés et celle de l’étage douze mètres carrés environ… Pour accéder à la courée il faut
44
Cité dans Mehdi Lallaoui, Du bidonville aux HLM, au nom de la mémoire, (diffusion Syros), 1993
Yvan Gastaut, L’immigration et l’opinion en France sous la Vème République, Le Seuil, mars 2000
46
François Grosrichard, « Dans les ghettos de Roubaix », LM, 21/06/1969, p.21, La vie économique.
45
18
suivre un étroit boyau noir percé à travers la maison en front de rue, le long duquel coulent
les eaux usées. On découvre alors un décor de cauchemar. Ce bambin malingre en haillons,
les pieds nus, semble surgir d’une page d’ « Oliver Twist ». Du fond de la maison vient la
voix forte de l’ouvrier qui a trop aimé sa cervoise ». Elles furent considérées comme des
bidonvilles, grâce à un avis du Conseil d’État, en 1969.
Dès le début des années 1960, les pouvoirs publics, inquiets de l’ampleur que
prenaient les bidonvilles, multiplièrent la surveillance et la répression notamment la
répression sanitaire, par le biais des « brigades Z », dépendantes du Service d’Assistance
Technique (SAT, créé en 1964, regroupait des conseillers sociaux de la préfecture de police
de Paris, qui enquêtaient dans les bidonvilles escortés de policiers), qui empêchait l’extension
du bidonville et toute rénovation des baraquements, ce qui avait pour conséquence la
détérioration rapide des baraquements et des conditions de vie toujours plus misérables. Les
équipes, composées de trois à huit policiers munis de masses ou d’arrache-clous parcouraient
les ruelles en quête d’une construction à détruire. Face à ces abus de pouvoir, les habitants ne
pouvaient en rien s’opposer. De plus, la discrétion officielle des municipalités était la règle au
sujet de l’action des policiers47. Vivre en bidonville posait aussi de nombreux problèmes visà-vis des administrations, certaines refusaient purement et simplement les renouvellements de
papiers par exemple (carte de séjour, d’identité…), pour cause de défaut d’adresse.
A côté de cette misère, il y avait une vie dans les bidonvilles : des cafés, des
marchés… l’entraide et l’échange permettait d’améliorer le quotidien.
Photo du bidonville de la Folie,
Nanterre
4) Les garnis, des bidonvilles verticaux
Comme nous l’avons précisé précédemment, les gens vivant dans ce que l’on appelait
soit des « garnis », « taudis », ou encore « bidonvilles verticaux » soit des « foyers », étaient
principalement des « célibataires » et, pour beaucoup, en 1969, Africains. « Célibataires » en
réalité nombre ne l’étaient pas vraiment ; ils étaient venus en France seuls, laissant leur
famille derrière eux. Les « garnis » (« taudis » ou « bidonvilles verticaux ») pouvaient être
des caves, des combles, des maisons (abandonnées et squattées ou louées), des immeubles
insalubres, d’anciens hôtels-restaurant loués à une multitude de célibataires. Ce que l’on
47
Yvan Gastaut, Les bidonvilles, lieux d’exclusion et de marginalité en France durant les trente glorieuses,
cahiers de la Méditerranée, vol.69-2004 : être marginal en Méditerranée (XVIème-XXIème siècle) http://cdlm.revues.org/document829.html
19
nommait des « foyers » étaient de véritables foyers de travailleurs, construits, aménagés ou
loués par des associations pour les travailleurs étrangers, par les municipalités et les pouvoirs
publics, ou encore par les employeurs ; mais à y regarder de plus près, certains ces « foyers »
n’étaient que d’autres cloaques sordides gérées par des « humanistes » peu regardant sur les
conditions de vie dignes de l’Homme dans une société dite « civilisée ».
Ici encore, les hommes se regroupaient selon leur pays d’origine. Le livre des
travailleurs Africains en France résuma bien ce phénomène : « en arrivant en France, les
travailleur retrouvent des camarades ou des parents de leur village. En effet, la plupart
d’entre eux ont toujours vécu au sein de la grande famille africaine qui englobe non
seulement les parents et les enfants, mais les grands-parents, oncles, tantes, cousins, etc. […]
Ce type de famille remplie plusieurs fonctions : non seulement c’est la cellule économique de
base adaptée au travail de la terre, mais elle joue aussi un rôle social en prenant en charge
ceux de ses membres qui ne peuvent travailler (enfants, vieillards, infirmes, etc.). […] Pour
beaucoup d’Africains, dire : « il vient de mon village » était l’équivalent de : « il est de ma
famille. ».48 »
Pour comprendre les conditions de vie des travailleurs africains en France dans les
foyers ou garnis, encore une fois, nous nous en remettrons aux commentaires que purent en
faire de nombreux journalistes dans les colonnes des périodiques de l’époque. Il y eût de
nombreux scandales en 1969 relatifs aux conditions de vie des travailleurs africains dans les
« foyers ». Deux en particulier marquèrent la presse à partir de l’été 1969 : la situation des
travailleurs au foyer d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et dans un des foyers de Saint-Denis
(Seine-Saint-Denis).
A Ivry-sur-Seine, une ancienne chocolaterie avait été transformée en foyer pour
travailleurs africains (en majorité Sénégalais, Malien, Mauritaniens et Ivoiriens) comportant
environ 550 lits et paillasses mais où pouvaient certainement résider entre 600 et 700 hommes
(certains travaillant dans des usines pratiquant les « 3 x 8 », les lits pouvaient servir à deux
occupants à la fois). Les conditions d’hygiène et de sécurité étaient quasi inexistantes : quatre
robinets d’eau froide (dont deux d’eau potable) et cinq WC (sans chasse d’eau) et une cuisine
seulement étaient à la disposition des locataires, les draps étaient changés que tous les 40
jours en moyenne et des poêles à charbon, émanant des gaz dangereux, servaient de
chauffage. Chaque homme ne disposait en moyenne que de deux mètres carrés d’espace. Peu
de lumière rentrait dans cet espace confiné dont les fenêtres, calfeutrées, ne s’ouvraient pas
pour la plupart, du moins lorsqu’il y en avait dans la pièce 49. Le loyer s’élevait à 40 francs par
personne (soit une rente mensuelle de plus de 25 000 francs par mois pour le propriétaire50), et
la caution (rarement restituée) était de 150 francs à l’entrée au foyer. Le gérant souhaita
augmenter le loyer à 60 francs par mois. Les locataires, excédés par les conditions de
logements initièrent une grève des loyers, pour revendiquer non seulement que le prix du
loyer n’augmentât pas mais aussi pour qu’ils pussent gérer de façon collective leur lieu
d’habitation en s’adressant directement au propriétaire et non par l’intermédiaire, jugé abusif.
Ils revendiquaient aussi, et peut-être même surtout, le logement décent qu’on leur avait
promis il y avait de cela des années 51. Des suites de cette grève, l’eau et l’électricité furent
coupées. La municipalité finit par mettre en œuvre un dispositif de camions-citernes pour les
approvisionner en eau.
48
Le livre des travailleurs… déjà cité. p.32
« Victimes des marchands de main-d’œuvre ils s’entassent dans les dortoirs de la honte », La vie catholique,
2/07/1969.
50
Fred Hermantin, avocat à la cour et membre du secrétariat national du MRAP, « Et pourtant, ils sont des
hommes » LM, 24/07/1969, p.9, rubrique la situation des travailleurs étrangers en France, libres opinions.
51
« Le logement des travailleurs africains, « quatre robinets pour 700 locataires » », LM, 25/06/1969, p.7,
rubrique Région parisienne.
49
20
Au foyer situé au 36, rue Pinel à Saint-Denis, géré par l’Association de solidarité des
travailleurs africains (ASSOTRAF), en mai 1969, le gérant décida, de la même façon,
d’augmenter le loyer de 70 à 80 francs par mois. Cette décision fût mal accueillie car le
responsable des relations avec le gérant avait auparavant demandé à ce dernier de faire
quelques réaménagements pour améliorer les conditions de vie des locataires, lesquels se
plaignaient de l’exiguïté des locaux (les hommes étaient, en effet, parqués à seize dans des
chambres de cinq mètres sur cinq) mais aussi du coût des communications téléphoniques
(supérieures aux prix pratiqués dans les cafés), de l’état des douches, du fait que les draps
n’étaient changés que tous les 40 jours, et de l’obligation de manger dans une cantine (et donc
de payer à chaque repas) alors qu’ils auraient préféré se préparer à manger eux-mêmes. Ainsi,
à la suite de la hausse de loyer, les hommes entreprirent, comme à Ivry, une grève de loyer.
M. Bathily, ouvrier aux usines Renault de Boulogne-Billancourt et responsable des relations
avec le gérant – M. Alix – au nom des locataires, fut accusé de menace de mort sur ce dernier
en date du premier juin 1969. Un fonctionnaire, qui était présent ce jour et avait assisté à la
scène, donna une signification moins forte aux propos de M. Bathily. Le 20 juin 1969, M.
Alix affirma avoir une nouvelle fois été menacé par M. Bathily, qui allait le rencontrer pour
lui payer les loyers en retard. Un autre homme confirma alors les propos de M. Alix. Bien que
M. Bathily affirmasse que cet homme n’était pas présent ce jour-là, il fut inculpé et écroué.
Ayant la nationalité française, il ne fut pas menacé d’expulsion mais deux de ses camarades,
considérés comme les meneurs du mouvement de revendication, furent expulsés par décision
de justice52.
Ces deux exemples illustraient clairement les conditions de vie dans lesquelles étaient
parqués les travailleurs africains en France ainsi que la froideur des pouvoirs publics envers
ces hommes. D’ailleurs, les seuls immigrés africains étaient, au début de l’année 1970,
environ 50 000 en France dont 20 000 en seule Région parisienne. Six à sept mille étaient
hébergés dans des foyers « officiels », 2 000 dans des logements privés acquis, 1 500 dans des
hôtels, 1 500 dans des foyers non-officiels (centres privés non homologués par les services de
police) et 8 000 étaient considérés comme des « populations flottantes » par les services de
préfecture53, autrement dit, n’étaient pas recensés. Il arrivait en moyenne 1 000 Africains en
France chaque année.
Tout ceci nous ramène, par ailleurs, au fait que les travailleurs étrangers, considérés
comme des « machines », étaient une sorte de « variable d’ajustement » pour l’économie
française (manipulable, passible d’expulsion lorsqu’ils revendiquaient des droits). Variable
que ni les pouvoirs publics ni l’opinion publique française ne cherchaient à défendre. Me Fred
Hermantin, membre du secrétariat national du MRAP, s’en indigna dans les pages du Monde,
en dénonçant « une dizaine de cas identiques dans la Région parisienne, une centaine en
France. » Il ajouta : « est-ce possible dans un pays dont la législation est par ailleurs si
méticuleuse pour l’établissement d’une surface corrigée ? […] Protester contre cette
situation et se voir ensuite expulsé ou menacé dans sa liberté. Être contraint d’accepter la vie
sordide des taudis, des bidonvilles ou l’expulsion. Est-ce la seule alternative qui puisse être
décemment offerte à des dizaines de milliers de travailleurs immigrés ? […] Certains s’en
accommodent avec bonne conscience. Il ne s’agit que d’ouvriers Africains, Nord-Africains,
Portugais. Est-il besoin de loger décemment les balayeurs de nos cités ou les manœuvres
étrangers alors que les familles françaises sont encore mal-logées ? À quoi bon se
52
« Les incidents au foyer africain de Saint-Denis « l’ouvrier écroué demande sa mise en liberté provisoire » »,
LM, 24/07/1969, p.9, rubrique la situation des travailleurs étrangers en France.
53
Le livre des travailleurs…, p.66, déjà cité, et « ils sont 50 000 en France » LM, 4 et 5/01/1970, p.7.
21
préoccuper du sort de ces étrangers, alors que par ailleurs, nous dit-on, des chômeurs
français attendent un emploi ? »
En effet, à une époque ou le chômage commençait à poindre, arrivaient aussi les idées
reçues sur le fait que les étrangers « volaient » le travail des Français et que la solution au
chômage pourrait être trouvée en renvoyant tous les étrangers chez eux. Bien sûr, cette idée
était déjà largement fausse à l’époque : le niveau de qualification des ouvriers français les
poussant déjà à refuser les postes de manœuvres ou d’ouvriers spécialisés – dangereux, peu
qualifiés et mal payés – qu’occupaient la plupart des travailleurs étrangers en France.
Ainsi, la crise du logement sévissait toujours lors de la prise de pouvoir du Président
Pompidou. Les populations les plus touchées étant les ménages les plus défavorisées dont les
travailleurs étrangers. Le premier gouvernement formé par M. Chaban-Delmas, le 20 juin
1969, composé de personnalités de l’UDR (Union pour la Défense de la République,
mouvement gaulliste) en majorité, avait désigné Monsieur Albin Chalandon comme ministre
de l’Équipement et du Logement, gaulliste, qui allait avoir à gérer la crise. D’aspiration
libérale, M. Chalandon était partisan du désengagement de l’État en matière économique.
D) Chalandon, ministre de l’Équipement et du Logement
Albin Chalandon, né le 11 juin 1920 à Reyrieux dans l’Ain, avait déjà été désigné
ministre de l’Équipement et du Logement sous le gouvernement de Maurice Couve de
Murville, Premier ministre du général de Gaulle entre le 10 juillet 1968 et le 16 juin 1969. Le
Premier ministre Chaban-Delmas, en accord avec le Président de la République, Georges
Pompidou, lui attribua de nouveau ce poste au sein de son gouvernement formé le 22 juin
1969 jusqu’au 6 juillet 1972.
Fils d’un industriel, Pierre Chalandon, Albin Chalandon, licencié de lettres, commença
sa carrière à l’inspection des Finances avant de devenir membre du cabinet de Léon Blum
(président du dernier gouvernement provisoire avant l’instauration de la Vème République)
entre décembre 1946 et janvier 1947. Il évolua par la suite dans la haute fonction publique en
occupant notamment des postes tels que chargé de mission au ministère des finances (19471948) ou encore membre du comité de réorganisation de l’aéronautique. Il entra dans la vie
politique en 1948 en devenant délégué général adjoint à l’action ouvrière et professionnelle au
RPF. Lors du retour de Charles de Gaulle au pouvoir en 1958, Chalandon devint trésorier
puis, en 1959, secrétaire général de l’UNR54. Il se fit aussi une place dans le monde des
affaires : il fut tour à tour directeur de la BNCI-Afrique (1950-1951), Président-directeur
général (P-d. g.) de la Banque commerciale de Paris (1964-1968), P-d. g. de la Société des
grandes entreprises de distribution (Inno-France, 1962-1963), de la Société d’études, de
réalisations et de documentations immobilière (Serdi, de 1964 à 1968). Il fut aussi
administrateur dans de nombreux groupes (Inno-France, Les Sucreries d’Outre-mer, La
compagnie franco-africaine de recherches pétrolières). En 1967, il fut élu député des Hautsde-Seine (jusqu’en 1976) puis désigné ministre de l’Industrie dans le cinquième
gouvernement Pompidou, sous de Gaulle, formé le 31 mai 1968. Entre 1964 et 1967 il devint
membre du Conseil économique et social.
Ses liens avec les milieux économiques lui valurent de nombreuses critiques,
notamment de la part de l’économiste Alfred Sauvy qui lui reprochait de jongler entre les
casquettes d’entrepreneur et de ministre. D’ailleurs, il fut impliqué dans de nombreux
scandales, notamment immobiliers, durant son mandat en tant que ministre de l’Équipement
54
Union pour la Nouvelle République, parti de soutien à l’action du général de Gaulle, fondé le premier octobre
1958.
22
et du Logement, notamment le scandale Aranda, révélé en 1972. Gabriel Aranda, après avoir
été l’un des conseillers de Chalandon pendant qu’il était en fonction en tant que ministre de
l’Équipement et du Logement, partit avec certains dossiers immobiliers compromettant pour
le pouvoir comme pour les grandes entreprises de BTP (notamment Bouygues), prémices des
grands scandales immobiliers de la période pompidolienne55 qui furent révélés surtout à partir
de 1971 et 1972 (l’affaire de la Garantie foncière ou encore des Abattoirs de la Villette pour
exemple) par les journalistes. D’autre part, en 1970, M. Chalandon attaqua le journal Le
canard enchaîné en justice pour diffamation : le journal avait révélé que le ministre avait des
intérêts dans les entreprises vouées à construire des autoroutes en Région parisienne.
Il écrivit trois ouvrages, notamment économiques : Le système monétaire international
(1966), Les joueurs de flûte, le Rêve économique de la Gauche (1977) et Quitte ou double
(1986).
Plus tard, entre 1977 et 1983, il dirigea ELF Aquitaine puis fut élu député du Nord en
1986 et désigné ministre de la Justice en 1988 ; ce fut son dernier poste ministériel, il reprit
ses activités industrielles par la suite. En 2007, il était présent lors de la prise de fonction de
Rachida Dati, au ministère de la Justice56.
II)
1970 : Point de départ d’une action volontariste de
réduction de l’habitat insalubre
Le gouvernement Chaban-Delmas, après son investiture ne commença pas vraiment
par se préoccuper de la question du logement. En fait, M. Chalandon ayant été reconduit dans
sa fonction ministérielle, continua dans un premier temps à se consacrer au concours de la
maison individuelle, qu’il avait lancé en mars 1969. Par la suite, la dévaluation du mois
d’août 1969 occupa largement l’espace public. Enfin, les préoccupations gouvernementales se
portèrent plus sur la préparation du VIème Plan et sur le budget pour l’année 1970 que sur la
question du logement insalubre et des bidonvilles. Le deux janvier 1970, un drame survint
dans un foyer de travailleurs étrangers. Cet événement, qui émut beaucoup les Français et
provoqua l’indignation face au problème des bidonvilles dans une société en plein « boom »,
fit prendre conscience au gouvernement qu’il fallait annoncer et mettre en œuvre des actions
pour en finir avec ces marques qui entachaient l’image de la France. Une France à deux
vitesse : l’une pauvre et miséreuse, l’autre riche et en pleine expansion.
A) Le drame d’Aubervilliers
Alors que l’hiver connaissait des records de températures négatives en Région
parisienne, le drame qui survint dans la ville d’Aubervilliers rappelait les circonstances qui
avait, en février 1954, poussé l’Abbé Pierre à en appeler aux pouvoirs publics pour résoudre
la crise du logement.
1) Le drame
Vendredi 2 janvier 1970 à neuf heures du matin, au dortoir de « Noirs et NordAfricains » nommé foyer de « la solidarité Franco-africaine » situé au 27, rue des Postes à
Aubervilliers57 (Seine-Saint-Denis), furent découverts les corps de sept travailleurs africains,
intoxiqués au monoxyde de carbone dans la nuit. Cinq étaient décédés, deux dans un état
55
Olivier Toscer, Argent public, fortunes privées, Histoire secrète du favoritisme d’État, Denoël, Paris, 2002
Ezra Suleiman, Les ressorts cachés de la réussite française, Paris, Seuil, 1995, pp. 330-331 ; Who’s who in
France 1993-1994 p. 404 ; dictionnaire des ministres (1789-1989) sous la direction de Benoit Yvert, éd. Perrin,
1990, p.900
56
23
grave. Cette nuit-là il avait fait en moyenne moins trois degrés en Région parisienne. Les
hommes du foyer avaient décidé de se chauffer au bois et au charbon dans un foyer improvisé
avec un couvercle de poubelle (ou un enjoliveur d’automobile) ne pouvant pas se payer le
supplément demandé pour mettre le chauffage. L’électricité, servant à alimenter la chaudière,
avait en effet été coupée par l’EDF ; le propriétaire, peu scrupuleux, ayant eu un retard de
paiement de 2 500 franc envers la compagnie58. Les ouvertures de la salle dans laquelle
dormaient les victimes (quatre Sénégalais et un Mauritanien)59 étaient toutes calfeutrées,
empêchant l’air de se renouveler. Ce drame, arrivant dans la première nuit de la nouvelle
année, marqua particulièrement l’opinion et la presse. Il fût exploité jusqu’au mois de février
1970 et en particulier lors de l’enterrement des cinq jeunes gens le 13 janvier, par la presse,
les associations, les partis de gauche et les syndicats pour dénoncer l’exploitation des
travailleurs étrangers et leurs conditions de vie. Ce drame était le symbole, en jour de fête, que
tout n’allait pas pour le mieux dans la société française et il permit de mettre l’accent sur le
fait que cette situation, loin d’être isolée, pouvait entraîner de nouveaux drames et de
nouvelles morts à chaque instant. Il fallait prendre le problème à bras le corps et lutter pour la
survie, car c’était un véritable problème de santé publique qui était alors soulevé, des hommes
et des femmes qui vivaient dans des conditions similaires.
2) Le traitement médiatique du drame
Ce drame permit de remettre à l’agenda médiatique les différents drames liés aux
conditions de vie des travailleurs immigrés, la situation des 700 locataires de la chocolaterie
d’Ivry-sur-Seine ressurgît dans la presse : le propriétaire des lieux, au mépris d’une décision
de justice lui intimant de rétablir l’eau et l’électricité, coupés depuis six mois déjà, cherchait à
leur faire quitter les lieux en les privant de toute hygiène et sécurité60. Se posa principalement,
dans la presse française, la question de la responsabilité du drame d’Aubervilliers mais aussi
des responsabilités pour les conditions de vie des immigrés et des français vivant dans des
taudis, bidonvilles ou autres de façon plus générale.
Le journal Le Monde Parla d’un nouveau « drame de la misère », du à ce que l’on
appelait, « selon un euphémisme pudique », « l’insuffisance des structures d’accueil ». Le
journal dénonçait surtout « l’exploitation » qui tenait en quelques chiffres : « cinquante noirs
[…] entassés dans cinq chambres de quelques mètres carrés payaient un loyer de 70 francs.
Assurant ainsi un revenu mensuel de 3 500 francs au propriétaire […] bien connu des
services de police »61.
Le Monde accusait le propriétaire des lieux tout en soulignant l’incapacité des
pouvoirs publics, qui connaissaient pourtant la situation, à intervenir pour éviter ce genre de
drame, comme l’indiqua le Maire d’Aubervilliers, André Karman, Communiste : « nous ne
pouvons rien contre ces propriétaires qui prennent en main les travailleurs étrangers, les
héberge, s’occupent de tout, pour leur plus grand profit personnel. Prêts à fournir aussi bien
57
Le foyer avait été ouvert en octobre 1968, le propriétaire affirmait en janvier 1970 n’avoir commencé à
percevoir des loyers que depuis les six mois précédents les faits par le biais du gérant, Sénégalais. L’argent des
loyers avait, selon les deux hommes, servi à effectuer des réparations diverses. Jean-Maurice Mercier « La mort
des cinq travailleurs africains à Aubervilliers. Qui est responsable ? », LM, 4 et 5/01/1970, p.1 et 7.
58
Jean Maurice Mercier, « La mort des cinq travailleurs africains à Aubervilliers. Qui est responsable ? », LM, 4
et 5/01/1970, p.1 et 7
59
« A Aubervilliers. Sept Africains sont intoxiqués dans le dortoir d’un foyer d’hébergement. Cinq morts », LM,
3/01/1970, p.16.
60
« Ni eau, ni électricité pour sept-cent locataires d’un foyer de travailleurs africains », LM, 3/01/1970, p.16.
61
Jean Maurice Mercier, « La mort des cinq travailleurs africains à Aubervilliers. Qui est responsable ? », LM, 4
et 5/01/1970, p.1 et 7
24
de la drogue que des prostituées à leurs locataires. Nous attirons bien l’attention de la police
mais elle ne peut que constater un état de fait et surveiller plus ou moins bien ce qui se passe.
Ses pouvoirs ne lui permettent pas de faire fermer ces foyers.62 »
Le gérant Sénégalais du foyer, M. N’Dao, par ailleurs président-secrétaire général et
trésorier de l’association Solidarité Franco-africaine, disait ne pas se sentir responsable pour
le drame d’Aubervilliers. Pour l’anecdote, si M. N’Dao cumulait pour ainsi dire toutes les
fonctions au sein de l’association Solidarité Franco-africaine, c’était parce que les autres
fondateurs de l’association, en désaccord avec lui, avaient quitté le navire.
Les autres organes de presse n’étaient pas plus tendres pour qualifier le drame : Le
Figaro, titra « un drame aussi révoltant que tragique », article rédigé par Robert Bruyer, qui,
de la même façon, blâmait les gérants et propriétaires de ces foyers, des « nouveaux négriers »
peu scrupuleux et soulignait l’incapacité des pouvoirs publics.
Le journal l’Express, sous la plume de Jean-François Khan, proposa un tour d’horizon
des taudis de la Région parisienne, en décrivant les différents sites tels que Saint-Ouen, SaintDenis ou Ivry :
« Le foyer c’est tout d’abord un débarras ou s’entassent des flippers cassés et des
matelas pourris. Puis c’est une cour cernée de hauts murs, où traînent des gamelles emplies
de couscous. Un trou béant, noir et gras, s’ouvre dans un mur : la cuisine. En haut, dans un
coin de l’ancien entrepôt, on a aménagé un dortoir, long couloir noir, toutes les verrières
sont bouchées, où sont entassés une soixantaine de lits de fer, superposés. La literie est d’une
couleur et d’une matière indéfinissables. Autour des lits sont entassés des hardes de toutes
sortes apparemment destinées à protéger les intimités. Ici et là des chemises immaculées sont
exposées comme des trophées. »63
Finalement, c’était surtout dans les journaux de gauche que la critique se faisait plus
forte et moins timorée, en soulignant la responsabilité des entreprises utilisant de la main
d’œuvre étrangère dans la survenue de ce type de drames, de la politique d’immigration, de
l’absence d’action des pouvoirs publics plus que leur incapacité à agir et s’en prenaient même
parfois à la presse nationale.
Le journal Combat64 souleva la question de la politique de l’immigration par le biais
de l’évocation du drame. Selon la rédaction, il fallait une « politique d’ensemble de
l’immigration ». Le journal du mouvement de Résistance éponyme, auquel participaient
encore de grands noms de l’élite intellectuelle française de gauche, dénonçait aussi la société
de consommation « avec ses basses besognes que personne ne [voulait] plus accomplir à part
ces étrangers sans argent ».
La revue Le Paria65, quant à elle, accusait le « capitalisme assassin ». Elle rappelait que lors
de l’hiver 1969, les taudis avaient fait des dizaines de morts 66. La presse nationale et
« bourgeoise » était en accusation : « la presse a tout d’un coup redécouvert le problème des
62
Jean Maurice Mercier, « La mort des cinq travailleurs africains à Aubervilliers. Qui est responsable ? », LM, 4
et 5/01/1970, p.1 et 7
63
Jean-François Khan, « Des négriers dans la ville », 12/01/1970
64
Rubrique dans la presse française LM, 4 et 5/01/1970, p.7.
65
Le Paria, n°1, samedi 17 janvier 1970, dans Le livre des travailleurs… déjà cité
66
Le journal recensait, pour la semaine du 10 au 17 janvier 1970, 13 morts (cinq travailleurs portugais à
Bordeaux et cinq autres à Grenoble, un couple de portugais à Pau, un Turc mort et deux dans le coma dans la
Meuse) du fait de leurs conditions de logement, en plus d’accidents n’ayant pas fait de victimes à Argenteuil et
Saint-Denis.
25
immigrés et du logement », « quand il y a des bagarres avec les flics, les bourgeois se
réveillent. Tout d’un coup, le journaliste d’Europe 1 ne parle plus des affaires de cœur de
Sheila. « Ce foyer d’Ivry, c’est Auschwitz à la porte de Paris », dit-il ». Il accusait les
euphémismes hypocrites de la presse nationale tels que « drame de la misère », ou encore la
banalisation des faits (« faits divers ») par les journaux tels que France soir.
Pour ce journal, les « nouveaux négriers, sinistres crapules » n’étaient pas les seuls
« assassins », et il fallait chercher la responsabilité des faits dans « tout le réseau de dictature
et de surexploitation des travailleurs français et surtout immigrés » : « sociétés immobilières,
patrons d’hôtels-taudis et de foyers-prisons n’en [étaient] que les derniers maillons. Car il y
[avait] aussi les extorqueurs de fonds en tout genre : transporteurs de bétail humain,
pourvoyeurs de vrais et de faux papiers la solde des Renault, Citroën et autres, office
national de l’immigration le flicail, et bureaucratie préfectorale, etc., en passant par les
municipalités P.« C. »F. qui se [servaient] des subventions diverses, bons de gaz, colis, etc.
pour étouffer les révoltes et maintenir leur pouvoir. Tout ce système [était] nécessaire aux
patrons pour s’enrichir, mieux exploiter en opposant Français et Immigrés, la classe ouvrière
de France. Ce qu’il [fallait] viser, [c’était] le capitalisme ! »
Le journal Droit et liberté 67 dans son article « cinq travailleurs africains sont morts
asphyxiés », le journal indiqua que « peu à peu, des bidonvilles verticaux [s’ajoutaient] aux
dizaines de bidonvilles voyants dont M. Debré avait prévu, en 1964, la disparition en 6 ans. Il
[régnait] en ces endroits une atmosphère que seule la misère [pouvait] faire supporter. »
Droit et liberté se posait aussi la question de savoir si les morts d’Aubervilliers n’étaient pas
plutôt la conséquence d’une politique globale qu’un scandale accidentel. Les « horribles
négriers » n’étaient pas les seuls responsables, et, citant le communiqué diffusé par le MRAP
après le drame d’Aubervilliers, le journal soulignait la lourde part de responsabilité des
pouvoirs publics : « il [était] inadmissible, […] que l’économie nationale, qui [tirait] des
travailleurs étrangers les avantages que l’on [connaissait], ne leur [consentît] pas des
conditions de vie pour le moins décentes. »
Citant ensuite les propos de M. Michel Massenet (directeur de la Population et des
migrations) après le drame d’Aubervilliers, qui indiquait que l’immigration africaine était la
dernière « immigration sauvage » (entendre, la dernière immigration non règlementée par des
traités ou accords bilatéraux entre la France et les États africains), le journal souligna le fait
que des accords interétatiques n’étaient pas un moyen permettant à coup sûr d’améliorer les
conditions d’hébergement des immigrés considérant que « la crise du logement, si elle
[atteignait] particulièrement les immigrés, [était] une crise nationale. », et que la situation des
Algériens, bien que soumise à un accord et réglementée, ne semblait pas avoir beaucoup
évolué.
B) Les réactions
Au regard des normes de vies qui commençaient à s’imposer et auxquelles
commençaient à accéder les ouvriers nationaux et étrangers arrivés avant les années 1960
(augmentation surface du logement, acquisition de neuf, hausse de la part des dépenses pour
le logement dans budget familial, déségrégation…), les conditions précaires du logement des
immigrés contrastaient de façon criante, symbolisant l’écart entre les différentes strates
ouvrières68. Au-delà des réactions dans la presse, les différents partis et syndicats cherchaient
aussi des responsables.
67
68
« Droit et liberté », 15/01/1970, dans Le livre des travailleurs… déjà cité
Maryse Tripier, L’immigration dans la classe ouvrière en France, 1990, L’Harmattan.
26
1) Les gauches et l’accusation du patronat
Dans la suite immédiate de l’événement, les gauches, et en particulier les groupuscules
« gauchistes », profitèrent de la médiatisation du problème du logement des immigrés pour
lancer une offensive envers le capitalisme et la société de consommation.
Le samedi 10 janvier 1970 eut lieu l’enterrement des cinq travailleurs africains morts
dans l’incident d’Aubervilliers. A cette occasion, le MRAP et les syndicats CGT et CFDT de
la Région parisienne, appelèrent à un rassemblement pacifique pour assister à la levée des
corps à l’institut médico-légal de la place Maras dans le douzième arrondissement de Paris.
Plusieurs centaines de personnes y assistèrent (notamment le Préfet de police de Paris, M.
Grimaud, André Karman, député-maire communiste d’Aubervilliers, MM. les consuls du
Sénégal et de la Mauritanie, ainsi que l’écrivain algérien, M. Kateb Yacine) et l’inhumation
des corps à Thiais rassembla environ un millier de personnes69.
Les jeunes de la gauche prolétarienne (mouvement maoïste), présent à la levée des
corps, comme l’indiquait leur tract, n’étaient pas venus ni pour se recueillir, ni pour « verser
des larmes sur leurs camarades assassinés » et transformèrent, selon Le Monde, la cérémonie
en meeting politique en appelant à la « lutte contre les patrons et le capital »70. Plusieurs
personnalités firent des interventions remarquées, tel que Jean Paul Sartre, qui indiqua : « la
mort des travailleurs africains illustre le scandale de la société française, qui utilise à son
profit une main-d’œuvre sous-payée », ou encore Michel Rocard, secrétaire national du PSU,
qui soulignait le fait que « cette tragédie [était] le résultat d’une certaine logique du
capitalisme. Pour y mettre fin, il [fallait], selon lui, une mobilisation générale des
travailleurs ». Les manifestants gauchistes accompagnèrent le cortège funèbre jusqu’à ce que
les forces de l’ordre fissent leur apparition et interpelassent 37 personnes71.
Au même moment, deux autres événements se déroulaient ailleurs : à Paris dans le
seizième arrondissement, au siège du CNPF et à Ivry, dans la « chocolaterie-dortoir » puis à
l’appartement de son propriétaire.
Des militants de gauche, occupèrent en effet le siège du CNPF pour dénoncer
l’exploitation des travailleurs étrangers par le patronat. En effet, Maurice Clavel, s’exprimant
sur la question de savoir pourquoi ils avaient occupé le siège du CNPF et non pas le ministère
du Travail, indiqua que le « ministère [du Travail] [était] un rouage de l’État » alors que le
CNPF était « le maître de l’État »72.
En parallèle, à Ivry, les 700 travailleurs africains du foyer occupèrent leur local en
compagnie de nombreuses personnalités de gauche et de journalistes. Certains se dirigèrent
ensuite vers l’appartement des propriétaires, M. et Mme Morael, résidents à Ivry, pour tenter
de leur faire entendre raison et notamment leur suggérer de rétablir l’eau et l’électricité dans
l’ancienne usine pour éviter un nouveau drame. Les propriétaires renvoyèrent la balle au
gérant (qui était, selon eux, seul responsable pour rétablir l’eau et l’électricité) et aux pouvoirs
publics. Les témoignages de personnes ayant été présentes sur les lieux se recoupant, on peut
par ailleurs ajouter que la famille Morael tint des propos outrageusement racistes et
antisémites tels que « Hitler avait raison » ou encore que les « nègres » devaient déguerpir
car les « blancs » du quartier n’en voulaient pas73 ; propos qui furent activement dénoncés par
69
« Après le drame du « foyer » d’Aubervilliers, des manifestations ont marqué les obsèques des victimes, 37
personnes interpelées », LM, 13/01/1970, p.20.
70
« Après le drame du « foyer » d’Aubervilliers, des manifestations ont marqué les obsèques des victimes, 37
personnes interpelées », LM, 13/01/1970, p.20.
71
Idem.
72
M. Clavel, « Après le drame du foyer d’Aubervilliers » s’exprimant dans la revue Combat, le 13/01/1970.
73
Assemblée de Comités d’Action, de Comités de base de la Région parisienne. « Ivry : cinq ans pour construire
une unité de combat », Supplément au n°1 du journal Le Paria, 17/01/1970, et Michel Leiris (écrivain et
27
les organisations antiracistes74 dans les jours qui suivirent. Les forces de l’ordre finirent par
intervenir, sommées par le cabinet du Préfet de police. Le commissaire présent sur les lieux
indiqua aux manifestants que la police connaissait la situation dans le dortoir depuis des mois
mais qu’elle ne pouvait en l’occurrence rien faire, car il s’agissait d’une propriété privée75.
Suite à ces deux manifestations (occupation du CNPF et visite au propriétaire de la
« chocolaterie-foyer »), vingt et une personnes furent arrêtées et gardées à vue durant vingtquatre heures dont, Michel Leiris, Jean-Pierre Faye (poète, écrivain et philosophe), Jérôme
Peignot (poète, écrivain et essayiste), Maurice Clavel (écrivain, journaliste et philosophe) ou
encore Marguerite Duras (écrivaine et dramaturge). Cette dernière insista d’ailleurs pour que
dans sa déposition figura qu’elle protestait contre « les conditions de vie et de mort des
travailleurs immigrés »76.
Les syndicats CGT et CFDT ainsi que l’Humanité, organe de presse du PCF,
dénoncèrent alors la manipulation du deuil par les gauches qui faisaient d’un drame humain
un moyen politique pour dénoncer le capitalisme. Ils ne furent pas les seuls à porter ce
jugement, Jacques de Montalais, dans La Nation, eut la plume acerbe pour dénoncer
« l’exploitation d’un drame » par « des gauchistes dont Marguerite Duras, J-P. Sartre et
Maurice Clavel », qui avaient eu « l’impudeur de tirer profit de ce douloureux drame, au lieu
de baisser la tête comme nous tous ». Selon l’auteur, « ils [entendaient] faire croire que
c’était le capitalisme qui [créait] [ces drames] et que le communisme n’en [connaissait] point
de semblable.77 »
2) Le CNPF et l’accusation de la politique de
l’immigration :
Le CNPF, quant à lui, se défendit de tirer profit de la situation des travailleurs
étrangers, par le biais de son porte-parole78. La centrale patronale accusa le manque de
« réglementation précise » comme étant la cause des problèmes actuels du logement des
étrangers. Les patrons se dédouanèrent en indiquant que « le chef d’entreprise [n’avait] pas à
exercer une discrimination vis-à-vis des travailleurs étrangers en leur posant des questions
sur leur mode de vie ou leurs conditions de logement », c’était un « problème politique », car,
en 1968, 223 000 travailleurs étrangers étaient arrivés en France sans contrat de travail et
seulement 93 000 étaient arrivés en règles par l’intermédiaire de l’ONI. La main-d’œuvre
d’Afrique francophone était libre de circuler vers la France sauf celle venant de Mauritanie,
du Mali et du Sénégal dont les ressortissants ne pouvaient venir qu’avec un contrat de travail
mais, selon le CNPF, cette modalité était facilement détournée et la normalisation sur place
s’effectuait aisément.
« Ce n’est pas nous qui avons préconisé la venue des Portugais clandestinement à
travers les Pyrénées, et des maliens dans les cales des bananiers. Nous avons besoin de maind’œuvre étrangère, mais dans des conditions normales. Nous ne pouvons pas contrôler les
arrivées anarchiques, selon les pulsions irrationnelles », ajouta le porte-parole. Le CNPF
préconisait alors un renforcement du rôle de l’ONI (organisme qu’il avait pourtant combattu
pendant de nombreuses années, l’accusant de lenteur et de formalisme) car il obligeait les
ethnologue), « Chez les Maliens d’Ivry-sur-Seine », LM, 13/01/1970, p.20.
74
Par exemple le Mouvement contre le racisme anti Arabe, « Protestation du MRAA », LM, 14/01/1970 p.29
Actualité économique et sociale.
75
Idem.
76
Michel Leiris, « Chez les Maliens d’Ivry-sur-Seine », LM, 13/01/1970, p.20.
77
« Après le drame du foyer d’Aubervilliers, revue de presse », LM, 13/01/1970, p.20.
78
M.A., « Le CNPF se défend de tirer profit de la situation et souhaite un contrôle plus strict », LM, 14/01/1970,
p.29, rubrique actualité économique et sociale.
28
travailleurs à être dotés d’un contrat de travail assorti d’un logement pour pouvoir passer en
France. Ces logements étaient construits ou financés par les entreprises employant de la maind’œuvre étrangère, ou par des organismes travaillant à la construction de foyers grâce au « un
pourcent patronal79 » comme par exemple l’OCIL (l’Organisation des Comités
Interprofessionnels du Logement, principal organisme receveur du 1% patronal et dont 8%
des logements qu’il construisait en Région parisienne – seulement – étaient occupés par des
travailleurs étrangers).
En passant par l’ONI, un chef d’entreprise pouvait « obtenir » des travailleurs
étrangers en quinze jours dans le meilleur des cas. Le CNPF proposait aussi un renforcement
des contrôles des étrangers entrant en France, ainsi que la fixation d’un contingent
d’immigration pour chaque pays. La conclusion de l’exposé était simple : « si on maintient
une politique de libre circulation, il faut en accepter les conséquences et mettre en place des
moyens d’accueil. Mais il ne faut pas laisser aller les choses comme on l’a fait depuis des
années, sinon on aboutira à une situation inextricable. »
Il était ici question d’accuser les immigrés, surtout clandestins, d’être la cause de leur
propre misère, bien que participant à la croissance du pays et aux profits des entreprises, on
leur refusait un logement décent. Cependant, la crise du logement étant un problème national
empêchait aussi les « Français » (qui représentaient encore 20% de la population des
bidonvilles en 1966) de se loger correctement ; l’argumentaire mettant en cause l’immigration
ne pouvait être objectivement recevable.
3) Les « marchands de sommeil » au banc des accusés
Nous avons déjà beaucoup parlé de l’exploitation des travailleurs étrangers qui existait
que ce soit dans l’emploi ou dans le logement. Mais qui étaient ces gens qui exploitaient la
misère des travailleurs immigrés en leur proposant des services d’hébergement indignes dans
une société française en pleine expansion, ces « marchands de sommeil » pour qui
l’immigration était une manne financière intarissable ?
Il n’y avait pas de « profil type » du « marchand de sommeil » néanmoins deux
catégories de personnes étaient souvent citées et ressortaient comme étant les principaux
exploiteurs de logements de travailleurs immigrés ou de taudis ou encore de bidonvilles.
Il y avait tout d’abord des Français, souvent d’ancien colons ayant vécu en particulier
en Afrique qui, une fois rentrés en France, profitèrent de leur expérience de « l’Africain »
pour fonder une association et ouvrir un « foyer » grâce aux financements du Fonds d’Action
Social (FAS) ou du Fonds d’aide et de coopération (FAC)80. En 1962, il n’existait que deux
associations françaises travaillant avec les deniers du FAS, en 1970 il y en avait plus d’une
centaine. Le plus souvent, à défaut de construire un véritable foyer, ils rachetaient ou louaient
des locaux souvent en mauvais état, qu’ils aménageaient en dortoir81.
La seconde catégorie la plus citée de « marchands de sommeil » était travailleurs
étrangers eux-mêmes, gérants de « foyer » du même type ou de pavillons délabrés transformés
en dortoirs. Ces exploitants de « foyers » étaient en général définis comme de « braves
gens », souvent enclins à des considérations humanitaires, ou en tout cas, n’ayant pas
forcément de mauvaises intentions. Cependant, bien sûr, il existait aussi de vrais
« professionnels » exploitants des travailleurs étrangers et en faisant un commerce bien rôdé :
lorsque les plaintes du voisinage devenaient trop nombreuses, le pavillon était revendu et
l’expérience renouvelée ailleurs82.
79
Le 1% patronal sera expliqué plus loin.
Le livre des travailleurs… p.76 (déjà cité)
81
Le livre des travailleurs… p. 78 (déjà cité)
80
29
Certains étrangers, s’étant fait exploiter pendant des années, copiaient leur ancien
« négrier », comme par exemple à Aulnay-sous-Bois, où s’étaient formé des minibidonvilles : un travailleur étranger ayant acheté un pavillon, construisaient des « cahutes »
dans le jardin, et les louaient. Immédiatement habitées, elles ne pouvaient plus être détruites.
Les pavillons voisins perdaient alors de leur valeur et étaient rachetés par d’autres
« négriers », qui louaient les cabanes au prix fort83.
Le FAS, créé en 1958 et alimenté par les cotisations sociales des travailleurs étrangers
et de leurs patrons, remplaçait la Sécurité Sociale pour les étrangers vivant en France. A
l’origine, il avait été créé pour les travailleurs Algériens (il fut élargi aux autres travailleurs
étrangers en 1964) dans le but d’améliorer les conditions des immigrants. Ses fonds étaient
désormais affectés à la construction de logements et de foyers pour travailleurs étrangers. De
1959 à 1967, le FAS avait financé 50 013 lits et places en foyers d’hébergement et 7 000
logements. Les programmes annuels du FAS étaient d’environ 100 millions de francs mais
avec le concours d’autres ressources financières, notamment privées, les actions menées
atteignaient les 300 millions de francs annuels, dont 80% étaient destinés au logement. Ainsi,
il était prévu qu’entre 1970 et 1972, selon M. Massenet, directeur de la population au
ministère du Travail, 80 000 lits fussent en service et 1 500 logements livrés par an84.
4) Le temps des revendications
Les principales centrales ouvrières, profitèrent des semaines suivant le drame
d’Aubervilliers pour faire passer plusieurs revendications dans la presse et au gouvernement
sur les différents problèmes soulevés par le drame.
Elles réclamaient évidemment dans un premier temps des sanctions contre les
« responsables » du drame et contre les « marchands de sommeil » en général. Il fallait aussi
revoir le contrat de travail des immigrés en mettant en place un « droit au logement » mis à
disposition par l’employeur et intégré au contrat de travail. Les travailleurs logés en foyer
devaient par ailleurs avoir le droit de participer à la gestion et à l’animation de leurs locaux
d’hébergement85. La CGT, comptant « des dizaines de milliers de travailleurs immigrés dans
ses rangs » entendait aussi pouvoir défendre ces « travailleurs parmi les plus défavorisés »
dans leurs droits syndicaux mais aussi sur les questions de politique migratoire décidées au
niveau étatique86.
Les travailleurs étrangers eux-aussi, et notamment les Sénégalais, profitèrent
du scandale provoqué par la mort des cinq travailleurs africains à Aubervilliers pour tenter de
poser leurs propres revendications. L’U.G.T.S.F. proposait ainsi de mettre en œuvre, en
Afrique, les moyens nécessaires à endiguer l’hémorragie humaine. Les mesures à viser étaient
les suivantes : développer et moderniser l’agriculture ; mettre en place un service civique pour
des travaux d’intérêt national (construction de routes, puits…) et pour l’alphabétisation des
adultes (par les étudiants et intellectuels) ; lutter contre la fraude pour redonner confiance aux
investisseurs et créer des emplois ; exiger la transformation sur place des matières premières
82
Michèle Andréani, « Pour le plus grand profit de quelques propriétaires, de misérables foyers pour travailleurs
étrangers prennent peu à peu la relève des bidonvilles » LM, 7/01/1970, p.1 et 25.
83
Michèle Andréani, « Pour le plus grand profit de quelques propriétaires, de misérables foyers pour travailleurs
étrangers prennent peu à peu la relève des bidonvilles » LM, 7/01/1970, p.1 et 25.
84
Le livre des travailleurs…, p.66 extrait d’un article du journal Droit et liberté
85
« Après le drame d’Aubervilliers, la CGT réclame des sanctions sévères contre les marchands de sommeil »,
LM, 8/01/1970, la vie économique, p.27.
86
« La CGT désire être reçue par le Premier ministre » LM, 18/02/1970, la vie économique et sociale, p.28,
immigration.
30
(permettant ainsi de créer des emploi et de former des travailleurs grâce aux transferts de
technologies).
Des solutions pour améliorer les conditions des travailleurs sénégalais en France
étaient, de la même manière, définies par l’Union : réviser les accords bilatéraux entre les
deux États ; réorganiser le Consulat du Sénégal ; assurer des logements décents (mais
l’U.G.T.S.F. ne précise pas comment faire) ; étendre les avantages sociaux aux familles
restées au pays ; assurer aux étrangers le même taux d’allocations familiales que pour les
Français ; faciliter les démarches administratives qui empêchaient bien des travailleurs de
toucher la petite part d’allocation familiale qui leur était normalement allouée (13 francs par
enfant) ; étudier l’utilisation des ressources touchées par les caisses de retraite
complémentaires grâce aux travailleurs étrangers, qu’ils ne percevaient pas lorsqu’ils
rentraient au pays ; réviser la gestion du FAS (en y associant plus de parties telles que les
travailleurs immigrés, syndicats, États d’origine… pour mieux contrôler l’ensemble des
foyers construits) ; assurer la promotion professionnelle des travailleurs ainsi que leur
formation ; …
La CFDT, quant à elle, insista sur le fait que les conditions de vie des travailleurs
immigrés étaient une conséquence des conditions de travail que de nombreuses entreprises
leur faisaient subir de façon éhontée87. Le syndicat en profita, par ailleurs, pour dénoncer la
politique du logement et la politique urbaine du gouvernement de manière globale qui allait
avoir, à terme, pour conséquence l’inadaptation des logements au niveau de vie des ménages.
Elle estimait en effet que la politique du pouvoir en place était orientée « vers le seul profit
des intérêts capitalistes » et restait silencieuse sur le coût de la spéculation foncière ou de
l’activité des intermédiaires (comme les banques par exemple). À cette heure et par la
politique menée, « le gouvernement [créait] les conditions qui lui [permettraient] de justifier
le recours au secteur privé pour la réalisation des infrastructures et la satisfaction des
besoins individuels des ménages. »88
5) De l’émoi à l’oubli : traitement événementiel de la
question des conditions de vie des travailleurs étrangers
« L’oubli de l’injustice est pire que l’injustice », écrivirent Robert Buron et Madeleine
Trébous, dans un article du Monde, le 13 janvier 1970. Selon eux, l’opinion, « émue et
indignée », « [oubliait] vite ce genre de drame » qui « [éclaboussait] notre bonne conscience
de temps en temps » jusqu’au drame suivant. Les bidonvilles et logements de fortune étant
situés en banlieue, « le Parisien » ne les voyait pas, peut-être en avait-il entendu parler, mais
il ne connaissait pas les horaires et les emplois de ces hommes, leur pays d’origine, leur
culture, les conditions d’insalubrité dans lesquelles ils vivaient ni même le nombre de ces
travailleurs89. « Déjà on ne s’intéressait à la banlieue que lorsque l’incendie pouvait-être
matière à sensation ! »90, souligna Mehdi Lallaoui et, en effet, nombre de populations
sinistrées, pour cause d’incendies dans des baraquements ou des bidonvilles, étaient jetées à la
rue sans grande chance de trouver un relogement convenable et sans que les journaux n’en
fassent plus qu’une brève dans la rubrique « faits divers ». Mais lorsqu’il y avait mort
87
« Après la visite de M. Chaban-Delmas, les causes qui ont amené la création des bidonvilles subsistent, écrit le
« Times » », LM, 15 et 16/02/1970, p.7 politique.
88
« CFDT : dans 15 ans, les logements ne trouveront plus preneur parce qu’inadaptés au niveau de vie moyen »
LM, 11/02/1970, La vie économique, p.29, construction.
89
Robert Buron et Madeleine Trébous « Après le drame d’Aubervilliers, L’oubli de l’injustice est pire que
l’injustice », LM, 13/01/1970, p.20.
90
Mehdi Lallaoui, du bidonville aux HLM, au nom de la mémoire (diffusion Syros), 1993
31
d’homme, l’opinion s’apitoyait, les pages des journaux se remplissaient, les prises de position
pleuvaient.
Le drame d’Aubervilliers avait eu le « mérite », si l’on peut s’exprimer ainsi, de faire
prendre conscience à l’opinion française du sort qu’il était fait aux travailleurs immigrés et du
fait qu’ils étaient indispensables à l’économie française. M. Massenet souligna d’ailleurs ce
caractère indispensable le 14 janvier 1970 à la télévision : « Avec une population active de
40%, comment pourrions-nous assurer en France un niveau de vie de la population, sans
l'abaisser, assurer la retraite des vieux..., la charge qu'impliquent les étudiants..., les
investissements sociaux pour les enfants, sans l'immigration! »91. Il s’agissait maintenant de
ne pas oublier cette tragédie et de travailler à ce que cette situation s’améliorât.
C) La prise de conscience du gouvernement : « j’ai vu ce matin
un bidonville […] Cela n’a fait que renforcer ma détermination
de donner un coup d’accélérateur très sérieux pour [leur]
disparition » (Chaban-Delmas)
Les attentes des Français et les pressions, venant surtout de la part des gauches, envers
le pouvoir se faisant pressantes, le gouvernement devait parler et agir vite pour en finir avec
les bidonvilles, dont la disparition avait déjà été annoncée en 1964 puis en 1966 par la loi
Debré. Ceci s’intégrait cependant parfaitement dans le programme d’action qu’avait annoncé
M. Chaban-Delmas lors de son discours devant l’Assemblée nationale du 16 septembre 1969.
En effet, M. Chaban-Delmas avait annoncé l’avènement d’une « nouvelle société », intégrant
une idée de « changement dans la continuité ». C’était un programme d’action tourné vers la
modernisation de la machine économique et sociale de la France : « C'est la transformation
de notre pays que nous recherchons, c'est la construction d'une nouvelle société, fondée sur
la générosité et la liberté. », disait-il. Comment transformer la société sans faire cas des taudis
et des bidonvilles qui symbolisaient l’anti-modernité ? Ainsi, M. Chaban-Delmas décida de se
rendre dans des bidonvilles de la Région parisienne pour montrer le volontarisme du
gouvernement face à cette question.
1) La visite de Chaban-Delmas dans les bidonvilles et des
garnis de la Région Parisienne
Plus d’un mois après le drame, le 12 février 1970, obligé par les critiques et l’émotion
à donner des signes d’action imminentes, M. Chaban-Delmas, Premier ministre, fit une visite
impromptue à Aubervilliers et dans les 12e et 19e arrondissements de Paris pour constater les
conditions de logement des travailleurs étrangers en Région parisienne92. Il déclara ainsi à la
presse que93 : « Les garnis posent des problèmes d’insalubrité : j’ai vu une cave où
s’entassent plusieurs dizaines d’Africains dans des conditions intolérables. Dans la banlieue
parisienne c’est là les conditions d’hébergement de 5 000 hommes sans famille alors
qu’ailleurs nous avions réussi à en loger convenablement 60 000. Je vais prendre les mesures
pour que commence dès demain, je dis bien dès demain, l’élimination de ces garnis. Nous
avons 70 foyers en construction, nous en sommes à 5 000 places dans la Région parisienne et
5 000 pour le reste de la France. Je compte que d’ici à la fin de l’année nous aurons éliminé
91
Emission les dossiers de l’écran ORTF 14/01/1970
« Après une visite a Aubervilliers, M. Chaban-Delmas : il faut en finir en 1972 avec les bidonvilles », LM,
13/02/1970, P.24 (dernière page).
93
« Après une visite a Aubervilliers, M. Chaban-Delmas : il faut en finir en 1972 avec les bidonvilles », LM,
13/02/1970, P.24 (dernière page).
92
32
plus de la moitié de ces cas inacceptables : mon action vise à ce que, fin 1971, il en soit fini
avec cette situation. »
« A la différence des garnis où vivent généralement des isolés, on trouve dans les
bidonvilles des familles entières : j’ai vu ce matin un bidonville le long d’un canal à un
endroit appelé « le chemin de hallage », dans la boue avec les bruits incessants des pelles
mécaniques, des camions qui y vont et y viennent. Il y avait là des centaines de familles ; les
hommes étaient au travail il restait les femmes avec une multitude d’enfants. C’étaient en
majorité des méditerranéens. Il y avait longtemps que je n’avais vu un tel spectacle. Cela n’a
fait que renforcer ma détermination de donner un coup d’accélérateur très sérieux pour la
disparition des bidonvilles. Depuis 1964, moment ou M. Debré avait fait voter une loi, on a
pu engager sérieusement leur résorption. On a pu en faire disparaître plus de 200, mais il est
nécessaire d’accélérer le mouvement car il reste encore une bonne cinquantaine de milliers
de personnes qui vivent dans ces conditions. Dès maintenant, je vais faire prendre les
mesures nécessaires de tous ordres, pour qu’on augmente la cadence cette année afin d’en
finir dans le courant de 1972 avec les bidonvilles. A la place des bidonvilles, il s’agit de
construire des logements solides et dignes. Une politique de logement adaptée à ces
situations est nécessaire ; c’est ainsi que certaines modifications pourront être apportées à
l’allocation-logement. Les nombreuses études entreprises depuis des mois vont déboucher sur
des décisions. L’idée est d’habituer les populations des bidonvilles à accepter de payer un
loyer modeste pour être logées décemment alors que jusqu’à présent elles ne payaient rien. »
Par ailleurs, il souligna qu’il se posait un problème de salaire puisque 70% des
travailleurs étrangers étaient manœuvres et 30% ouvriers spécialisés. Ce qui laissait à penser
qu’une partie d’entre eux n’étaient pas encore payés au SMIG. Chaban-Delmas annonça donc
qu’il allait lancer une vérification de cet état de fait au niveau national. La situation physique
et sanitaire de ces travailleurs fut aussi abordée par le Premier ministre, qui insista sur le fait
qu’ils étaient des proies faciles pour la maladie et la dégradation physique. Enfin, selon lui,
difficultés psychologiques seraient le problème le plus dur à surmonter car les « Africains […]
groupés par ethnies […] ne [voulaient] pas se séparer ». Chaban-Delmas ne voulait pas
« faire une opération de police mais une opération de persuasion » pour remédier à ce
« problème », en utilisant des « animateurs » venant des mêmes pays d’origine que les
intéressés pour les convaincre de sortir de « leur situation misérable » même s’ils n’avaient
prévu de rester en métropole que pour une courte période.
Il conclut en disant qu’il parlait là, en réalité, « de la nouvelle société car ce dont il
[s’agissait c’était] de liquider les séquelles de la précédente. »
2) Les réactions et les mesures prise dans les suites
immédiates de la visite de Chaban-Delmas à
Aubervilliers
Tout de suite après le drame d’Aubervilliers, des membres de la classe politique
avaient déjà pris position, à l’instar de M. François Mitterrand, Député non-inscrit de la
Nièvre94, pour la réouverture du « dossier des bidonvilles » et « des foyers de toute espèce,
qui [proliféraient] dans les grandes communautés urbaines ».
Après la déclaration du Premier ministre, les députés de l’opposition revinrent sur la
question de la suppression des bidonvilles, par la voix de Léon Feix notamment, député
communiste du Val-d’Oise. Il rappela, lors d’une question orale au gouvernement, qu’en
94
Demande du député au ministre de l’intérieur lors d’une question orale avec débat à l’Assemblée nationale
dans « Après la mort des cinq Africains à Aubervilliers, Mitterrand : « il faut ouvrir le dossier des
bidonvilles » », LM, 7/01/1970, p.25.
33
1966, Michel Debré s’était donné trois ans pour faire disparaître les bidonvilles de la banlieue
parisienne, ce qui était en 1970, loin d’être chose faite. Pourtant, le groupe communiste avait
fait par trois fois des propositions de loi tendant à terminer ce travail, en 1968 et 1969, qui
n’avaient pas suscité d’intérêt. Il apostropha le Premier ministre en lui suggérant qu’il ne
s’agissait plus seulement de s’intéresser en mots au problème du logement des travailleurs
immigrés et au problème de l’immigration en général : des mesures devaient être prises et des
actions effectivement menées95.
La CFDT, ajouta que pour qu’eussent été efficaces les mesures annoncées par ChabanDelmas dans son discours du 13 février 1970, il eut fallu aussi prendre en compte la
« promotion [salariale] des travailleurs migrants » et non seulement leur relogement96 ; sans
quoi, on n’aurait que remplacé les bidonvilles par d’autres logements qui à leur tour
deviendraient des taudis, avec le temps, dû au manque de moyen financiers des travailleurs.
Les élus locaux aussi réagirent, à l’image de David Weill, conseiller non-inscrit de
Paris, qui affirmait que l’Administration sous estimait les besoins des travailleurs étrangers.
En effet, 1 684 nouveaux lits seulement étaient prévus pour 1970 et 1971 pour la ville de Paris
(alors que l’on estimait à 10 000 le nombre de travailleurs étrangers vivant dans Paris dont 3 à
6 000 travailleurs africains97). Par ailleurs, les foyers étaient souvent construits dans des
« zones à part » ce qui n’était pas, selon lui, un facteur d’insertion sociale des travailleurs
étrangers. Ce conseiller proposait donc de demander une participation financière plus
importante des entreprises au logement des travailleurs étrangers ainsi que la création d’un
organisme chargé de la répartition de la charge du relogement entre les différentes communes
de la Région parisienne98.
La question des taudis en France eût même un retentissement au niveau international.
Le Times écrivit un article concernant ce problème de politique intérieure de la France, disant
que les taudis parisiens étaient « parmi les pires d’Europe et certainement les pires d’Europe
du nord ». Selon le journal anglais, le gouvernement français avait beau avoir annoncé, de
temps à autres, des mesures visant leur disparition, les bidonvilles avaient persisté car les
facteurs économiques et sociaux ayant permis leur apparition se perpétuaient99. Il ne s’agissait
alors plus d’un simple problème de politique sociale interne, cette situation avait un impact
sur l’image de la France au niveau international. Ce « rayonnement » international de la
France, pour lequel le Général de Gaulle avait tant travaillé, était en péril. Il était résolument
temps d’y remédier. D’autant plus que « l’agitation gauchiste » 100 et les morts dans les
taudis101 continuaient.
95
« Deux questions orales des élus communistes de la Région parisienne », LM, 15 et 16/02/1970, Politique.
« Après la visite de M. Chaban-Delmas, les causes qui ont amené la création des bidonvilles subsistent, écrit le
« Times » », LM, 15 et 16/02/1970, p.7 politique.
97
3 000 selon l’Administration, 5 à 6 000 selon les associations d’aide. « L’Administration sous-estime les
besoins des travailleurs immigrés, déclare un conseiller de Paris », LM, 4/03/1970, p.10, l’actualité économique
et sociale.
98
« L’Administration sous-estime les besoins des travailleurs immigrés déclare un conseiller de Paris», LM,
4/03/1970, p.10, l’actualité économique et sociale.
99
« Après la visite de M. Chaban-Delmas, les causes qui ont amené la création des bidonvilles subsistent, écrit le
« Times » », LM, 15 et 16/02/1970, p.7 politique : titre de l’article du Times en date du 14/02/1970 : « Le
nouveau prolétariat de la France »
100
« À Paris, des commandos gauchistes attaquent deux bureaux du service d’assistance aux travailleurs
étrangers », LM, 22 et 23/02/1970, p.9, Agitation, Tract : « Sous le nom de service d’assistance technique se
cache une police spéciale pour la répression des travailleurs immigrés. Par la répression et le racisme le SAT
travaille pour l’impérialisme français. Les patrons surexploitent les travailleurs immigrés. Le SAT se charge de
les mater [...] »
101
« Dans un baraquement du Val-d’Oise, quatre enfants meurent dans un incendie », LM, 1 et 2/03/1970, p.10
faits divers, (famille d’origine espagnole ; commune de 22 000 habitants dont 2 200 étrangers vivant dans ces
conditions)
96
34
Des mesures, en quelques sortes d’urgence, furent immédiatement prises notamment
en Région parisienne pour tenter d’éviter de nouveaux drames et améliorer la vie des
travailleurs étrangers, en attendant des décisions étatiques conséquentes. Le Préfet de police
de Paris, M. Grimaud, ordonna l’obligation d’affichage des consignes de sécurité en cas
d’incendie dans tous les immeubles, pour faciliter le travail des pompiers102. Par ailleurs, le
syndicat des transports parisiens était en train d’étudier la possibilité d’accorder des tickets
demi tarif à toute personne dont ressources ne dépassait pas le plafond prévu par le fond
national de solidarité103. Le SMIC (ayant remplacé le SMIG le 2 janvier 1970 par décret du
Premier ministre Chaban-Delmas) fût augmenté de 2,75% au premier mars 1970 (il n’était
normalement augmenté qu’en juillet), ce qui montrait une préoccupation pour le pouvoir
d’achat des bas salaires104.
102
« Lutte contre les incendies, l’affichage des consignes de sécurité est rendue obligatoire dans tous les
immeubles », LM, 20/02/1970, p.10, rubrique Région, Région parisienne.
103
« L’Administration sous-estime les besoins des travailleurs immigrés, déclare un conseiller de Paris », LM,
4/03/1970, p.10, l’actualité économique et sociale.
104
« Le SMIC est augmenté de 2,75% à partir du premier mars », LM, 28/02/1970, p.21, l’actualité économique
et sociale.
35
CHAPITRE 2 : Une politique conjoncturelle de
réduction de l’habitat insalubre portée par RobertAndré Vivien (1970-1971)
Sous la tutelle de M. Chalandon, ministre de l’Équipement et du Logement, travailla
M. Robert-André Vivien en tant que secrétaire d’État au Logement. Membre de l’UDR, il
avait auparavant travaillé sur des questions relatives à la prostitution, à l’information et aux
affaires culturelles ou encore au travail. A priori, son curriculum vitae ne le destinait pas
particulièrement à se consacrer aux questions de logement. Il fut en particulier chargé de
mener à bien une politique de résorption de l’habitat insalubre en révisant les moyens mis à
disposition par les textes législatifs existants pour atteindre les objectifs fixés par le chef du
Gouvernement, qui visait la disparition des bidonvilles de la Région parisienne pour 1972 et
souhaitait « que l’autre France, celle des pauvres, soit réintégrée dans la France entière »
pour que « les malheureux […] soient amenés à vivre en s’épanouissant »105.
I)
« Les bidonvilles ne sont qu’un aspect d’un problème plus
vaste : l’habitat insalubre » (Robert-André Vivien)
M. Robert-André Vivien, ancien résistant, voulut mener un combat contre les
bidonvilles en prenant en compte ceux-ci dans une perspective moins restrictive que ce qui
avait pu être fait auparavant ; en effet, il voulait s’attaquer non pas seulement aux bidonvilles
traditionnels mais aussi aux bidonvilles verticaux et à l’habitat insalubre, surpeuplé ou encore
dépourvu de confort, de manière plus générale.
A) Robert-André Vivien, secrétaire d’État au Logement
Robert-André Vivien naquit le 24 février 1923 à Saint-Mandé (décédé le 8 mai 1995),
dans la Seine. Fils de Louis Vivien et Aline Deshayes, il reprit en 1947 l’industrie textile de
son père à Paris (Société Anonyme Ets. Vivien). Il avait auparavant fait ses études au groupe
Paul Bert à Saint-Mandé puis à l’institut Pointeau. Il devint conseiller municipal de SaintMandé dès 1947 (il le fut jusqu’en 1964) puis conseiller général (de 1959 à 1988 puis
conseiller général honoraire à partir de 1988) du Val-de-Marne. Il devint député de l’Union
pour la Nouvelle République (UNR) de la 46ème circonscription de la Seine de 1962 à 1967
puis député RPR du Val-de-Marne (7ème circonscription) entre 1967 et 1969. Il fut aussi
secrétaire général de la fédération UNR-Union démocratique du travail, président de la
fédération UDR du Val-de-Marne et membre du bureau exécutif de l’UDR entre 1967 et
1974, ainsi que membre du comité central du l’UNR puis de l’UDR et enfin du RPR à partir
de 1959. Il fut rapporteur international de la commission de l’information, de l’éducation et
des affaires culturelles de la conférence des parlementaires de l’OTAN entre 1963 et 1967.
Son œuvre littéraire se résuma à deux opus : solution au problème de la prostitution en 1960
et jeunesse, État et politique, un essai de 1967.
Ancien Résistant, rentré dans les Forces Françaises Libres à 18 ans (il participa aussi,
en tant que volontaire, à la guerre de Corée dans les années 1950), il était défini comme un
gaulliste pur et dur. Il obtint la consécration de son action politique et de son dévouement au
Général lorsqu’il devint Secrétaire d’État au Logement dans le gouvernement Chaban-Delmas
105
« M. Chaban-Delmas : il faut que la société se transforme », Le Monde, 14/07/1970, p.6, Politique.
36
(1969-1972). Georges Pompidou entendait faire de la fonction de secrétaire d’État le « banc
d’essai » des futurs ministres. Doté d’un caractère en « acier trempé » et connu pour ses
nombreux « coups de gueule » à l’Assemblée (notamment lorsque la gauche arriva au
pouvoir), il entretint des rapports tendus avec son ministre de tutelle, Albin Chalandon, ainsi
qu’avec les ministres de la Culture et de l’Environnement (poste ministériel créé en 1970), qui
l’empêchèrent de développer ses compétences en matière d’architecture et de sites. En
décembre 1971, il demanda même à être relevé de ses fonctions. Il ne fut pas réintégré au
gouvernement Messmer (juillet 1972) lorsque le gouvernement Chaban-Delmas tomba. Après
cet épisode gouvernemental, il se consacra aux médias, domaine dans lequel il devint expert
en passant des directions de groupes aux commissions parlementaires et vice versa.
Respecté par toute la classe politique (des élus communistes et même M. Marchais
répondirent présent à son enterrement en 1995), il était pourtant un grand pourfendeur de la
gauche qu’il souhaitait « déloger piton par piton », il prit position contre les nationalisations
et pour l’école privée lorsque M. Mitterrand prit le pouvoir. En Mai 1968, il resta convaincu
que de Gaulle et Pompidou allaient rétablir la situation. Comme toute sa vie (avant sa mort, il
rédigeait ses mémoires qui auraient dû être intitulées tout est une guerre), il mena la lutte
contre les taudis comme une nouvelle bataille106.
B) Diagnostic de l’habitat insalubre en France en 1969
2,2 millions de logements dépourvus du confort élémentaire et à réhabiliter
substantiellement ; 11,3 millions de résidences principales à mieux équiper (8,55 millions
n’avaient ni douche ni toilettes, 2,8 millions avaient des toilettes mais pas de douche) sur un
total de 15 559 000, dont 73% dans des communes rurale et 47% qui n’avaient pas de WC
intérieurs (dont 69% sont en zones rurales) ; 1 870 000 logements dépourvus d’eau courante
(dont 1 700 000 en zone rurale) ; 7 millions de logements considérés comme étant en dessous
du seuil d’habitabilité (touchait surtout les familles nombreuses et les personnes âgées) ; en
Région parisienne, on comptait 20 000 « mal-logés prioritaires »107… Voilà ce à quoi avait à
faire face le gouvernement Chaban-Delmas. Au total, un effort devait être fait sur 13,5
millions de logements, soit 87,1% du total des résidences principales108. M. Vivien avouait
lui-même que 52% des logements français avaient été construits avant 1915 109 et qu’un quart
des logements parisiens avaient été construits avant 1871110. L’amélioration de l’habitat ne
correspondait qu’à 16% des travaux du secteur du bâtiment et n’employait que des petites
entreprises ou des artisans du secteur alors que seules les grandes entreprises avaient les
moyens de réaliser ce genre de travaux rapidement.
A titre d’exemple, en 1968 en Bretagne, zone en retard au niveau de l’équipement des
logements du fait de son habitat dispersé, seulement 76,7% des logements étaient pourvus
d’eau courante (ce qui correspondait à la moyenne française de 1962) et seulement 40% des
106
Who’s who in France 1993-1994 ; Dictionnaire des ministres (1789-1989) sous la direction de Benoit Yvert,
éd. Perrin ; Henri Paillard, « Les obsèques de Robert-André Vivien, Jacques Chirac : « une existence peu
commune » », Le Figaro 13/05/1995 ; Laurence Diknine, « Robert-André Vivien (RPR-94) s’est tu, le hussard
de Chirac, grand pourfendeur du socialisme, est mort lundi », Libération 10/05/1995 ; Alain Peyrefitte, « La
mort de Robert-André Vivien, un gaulliste par conviction, » Le Figaro 10/05/1995.
107
Jean-Pierre Clerc, « La longue patience des mal-logés », Le Monde, 27/05/1970, p.15, La vie de la Région
parisienne.
108
Jacques Chièze, « Comment améliorer assez vite les 2 200 000 logements dépourvus de confort élémentaire »,
Le Monde de l’économie, 27/09/1969, supplément au n° 7680, p. II.
109
Jacques Tournouer, « logement et urbanisme : les rapporteurs, les orateurs et le gouvernement déplorent
l’amputation des crédits », LM, 16 et 17/11/1969, p.10 et 11, les travaux parlementaires.
110
« Le quart des logements parisiens ont été construits avant 1871 », LM, 23 et 24/08/1970, p.12.
37
logements avaient des WC individuels111. Le Préfet du Morbihan avait pourtant bon espoir de
voir toute la région dotée d’eau courante pour 1975112.
L’amélioration de l’équipement des logements avait porté sur 150 000 logements par
an de 1962 à 1968 et plus souvent sur des logements définis par la loi de 1948 comme étant de
catégorie II que sur des logements de catégorie IV pour deux raisons : les habitants des
logements de catégorie II avaient en général plus de ressources que ceux des catégories IV et,
le plus souvent, les logements de catégorie IV les plus vétustes avaient été détruits. Jacques
Chièze, journaliste spécialiste des questions de logement dans le journal Le Monde, accusait
l’absence de cadre juridique approprié pour résoudre le problème de l’habitat insalubre. Il
existait bien la loi du 12 juillet 1967 portant l’amélioration de l’habitat mais, peu connue du
public, elle lui semblait par ailleurs insuffisante. Cette loi définissait les rapports entre
locataire et propriétaire pour l’exécution de travaux pour adapter les locaux d’habitation à des
normes de salubrité, sécurité, équipement et confort. Elle posait aussi réforme des prêts et
subventions accordés pour l’amélioration de l’habitat, de l’organisation du Fonds national
d’amélioration de l’habitat, de l’allocation logement et de l’allocation loyer 113. Selon J.
Chièze, le principal obstacle à l’amélioration de l’habitat était d’ordre psychologique : les
locataires se méfiaient des entreprises des propriétaires.
II)
L’abrogation de la loi de 1964 sur les bidonvilles dite « loi
Debré » par la loi du 10 juillet 1970 dite « loi Vivien »
La question des bidonvilles avait déjà été prise en charge par les gouvernements au
milieu des années soixante notamment en 1964 et en 1966. En 1970, une nouvelle fois les
textes se rapportant à l’habitat insalubre et aux bidonvilles furent modifiés car considérés
comme insuffisants. En quoi étaient-ils insuffisants et qu’est-ce que le nouveau texte proposat-il de mieux ? Selon M. Vivien, la loi Debré avait permis de lutter contre les bidonvilles qui
étaient de façon générale en voie de résorption, « mais ceux-ci ne constituent qu’un aspect, le
plus spectaculaire sans doute, d’un problème plus vaste, celui de l’habitat insalubre. Il existe
dans de nombreuses agglomérations des logements, souvent groupés en îlots, qui
s’apparentent étroitement aux bidonvilles, et qui exigent des solutions analogues à celles qui
leur sont appliquées […] La population [de ce type d’habitat] ne saurait être jugée moins
digne d’intérêt que celle des bidonvilles proprement dits. »114 Voilà ce qui avait motivé la loi
du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la suppression de l’habitat insalubre.
A) La « loi Debré »
La loi n° 64-1229 du 14 décembre 1964, intitulée « loi tendant à faciliter aux fins de
constructions ou d’aménagement, l’expropriation des terrains sur lesquels sont édifiés des
locaux d’habitation insalubres et irrécupérables, communément appelés « bidonvilles » » fut
modifiée le 12 juillet 1966 par la loi n° 66-507, préparée par Michel Debré, alors ministre de
l’économie et des finances, qui apposa ainsi son nom à ce texte.
Si la loi de 1964 avait été révisée en 1966, c’était car elle n’avait pas été assez efficace
pour résorber les bidonvilles.
111
En 1962, la moyenne nationale des logements équipés en WC individuels était de 40% ; en 1971 elle était de
51,8%
112
« En 20 ans les PACT ont rénové 300 000 appartements », LM, 4/06/1971 p.39, Les problèmes du logement.
113
Loi n° 67-561 du 12 juillet 1966 relative à l’amélioration de l’habitat, JORF du 13/07/1967, p.7019-7020.
114
Lettre de M. Vivien sur la destruction des bidonvilles, publiée dans Le Monde, 23 et 24/08/1970, p.12.
38
Elle prévoyait en effet que tout terrain sur lesquels étaient utilisés à des fins d’habitation des
locaux ne répondant pas aux normes d’hygiène de sécurité et de salubrité, pouvaient être
expropriés au profit de la commune (ou à défaut, de la collectivité concernée) dans un but de
construction ou de tout objet d’intérêt collectif relevant d’une opération d’urbanisme. Le
préfet pouvait ordonner, sur demande du maire ou du représentant de la collectivité intéressée,
la prise de possession du terrain visé. La charge financière de cette acquisition revenait alors à
la collectivité demandeuse.
L’arrêté préfectoral, ayant valeur de déclaration d’utilité publique et d’arrêté de
cessibilité, avait pour mission de constater le caractère du terrain, définir l’opération qui y
allait être faite, délimiter le périmètre à exproprier, fixer le montant de l’indemnité du
propriétaire (après évaluation par les services du domaine à la valeur du terrain un an avant la
prise de l’arrêté) et, enfin, fixer la date de prise de possession du terrain par la collectivité. Cet
arrêté, par ailleurs, devait obligatoirement proposer un relogement, durable ou provisoire, aux
occupants des locaux insalubres (qu’ils soient locataires, propriétaires ou occupants sans
titre), et fixer une indemnisation pour le déménagement s’il n’était pas assuré par
l’administration ou les entreprises chargées de l’opération. Le refus par ces personnes du
relogement proposé, permettait leur expulsion sans indemnités. Cependant, pour éviter
l’expropriation, les propriétaires pouvaient proposer au préfet un programme détaillé
d’aménagement et de construction, qui devait être exécuté dans les 18 mois (24 au maximum
sur justification), s’il était agréé par le préfet. Enfin, l’indemnité des propriétaires pouvait être
réduite si ceux-ci avaient, au cours des cinq années précédent la publication de l’arrêté
préfectoral, tiré profit de la location des installations insalubres pendant une durée totale d’au
moins un an.
Cette loi avait été prise pour une durée de dix ans115, elle fut pourtant modifiée un an et
demi plus tard, le 12 juillet 1966. Les modifications apportées au texte révèlent les difficultés
auxquelles s’était confrontée l’administration dans son application.
En effet, désormais, l’expropriation du terrain ne se faisait plus seulement au profit
d’une commune (ou collectivité concernée), mais pouvait aussi être poursuivie au profit de
l’État ou d’un établissement public. Le préfet, après avis du maire, décidait, par arrêté, de la
prise de possession du terrain, dont l’État supportait désormais la charge financière de
l’acquisition, sauf si le maire ou le représentant de la collectivité concernée avait fait la
demande au préfet de prendre l’arrêté (auquel cas la charge financière de l’acquisition
revenait à la commune ou la collectivité concernée comme dans la loi de 1964). Ainsi, il est
probable que bon nombre de terrains comportant des bidonvilles n’avaient pas été expropriés
pour cause de manque de moyens des communes pour assurer l’indemnisation des
propriétaires.
De plus, grâce au nouveau texte, les terrains contigus ou voisins du terrain visé,
pouvaient aussi être expropriés si cela était nécessaire à l’opération visée par la déclaration
d’utilité publique. D’ailleurs, l’opération visait désormais : la construction de logements
sociaux (ou, toujours, « tout autre objet d’intérêt collectif relevant d’une opération
d’urbanisme ») et le terrain pouvait donc n’être cédé qu’à une collectivité locale, un
organisme d’HLM ou encore une Société d’économie mixte en vue de cet objectif. Cette loi
était donc marquée d’un caractère plus social que la précédente.
Jusqu’à l’achèvement de l’opération, et durant une période de huit ans au maximum, le
même terrain pouvait être utilisé pour l’édification de logements provisoires (ou de la
réalisation d’équipements annexes). Si ces équipements provisoires ne pouvaient être édifiés
sur le terrain concerné en vue du relogement transitoire des occupants, des terrains nus
pouvait être réquisitionnés, après avis du maire de la commune concernée par la réquisition.
115
JORF du 15 décembre 1964, pages 11139 et 11140.
39
La disposition sur la possibilité de réduire l’indemnisation aux propriétaires
expropriés, au cas où des revenus avaient été tirés de la location des locaux insalubres, était
maintenue et étendue aux locataires qui auraient tiré un revenu de la sous-location de ces
mêmes locaux.
Enfin, les alinéas trois et quatre de l’article six, portant sur les moyens de recours
contre l’arrêté préfectoral, étaient abrogés116.
La loi Debré avait permis, dans ses deux formes, la résorption de nombreux
bidonvilles (plus de 200 selon M. Chaban-Delmas117), bien qu’il en restât. Cependant, elle
avait peiné à lutter contre la prolifération des « bidonvilles verticaux », pas aussi visibles que
les bidonvilles « traditionnels ». La loi protégeant et sacralisant la propriété privée – droit
naturel et imprescriptible de l’Homme selon la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen – il fallait utiliser des moyens détournés pour obtenir l’évacuation des occupants des
foyers clandestins et autres taudis : demander, par exemple, aux services départementaux un
arrêté d’interdiction d’habiter pour infraction au code de la santé publique ou au code
d’urbanisme, pour cause de transformation d’un immeuble en garni. Mais cette procédure
détournée, en plus d’être longue, pouvait se révéler inefficace car elle n’envisageait
évidemment pas le relogement des occupants118. C’est ainsi que l’arrêté d’interdiction
d’habiter prévoyait qu’il prendrait effet au départ des occupants. L’unique intérêt de cette
procédure était qu’elle permettait de contrôler qu’un lit inoccupé, ou dont le locataire était
parti, n’allait pas être reloué. Par ailleurs, une infraction au code de l’urbanisme pouvait
condamner le propriétaire à une amende de 150 000 francs (au maximum)119, ce qui pouvait, à
la rigueur, être dissuasif à force de répétition.
Par ailleurs, la loi Debré avait souvent été critiquée car elle ne prévoyait pas de
moyens financiers suffisants pour résorber les bidonvilles. D’autre part, elle fut pervertie et le
plus souvent utilisée dans le sens inverse de son énoncé : on détruisait un bidonville lorsqu’il
y avait un projet d’urbanisme nécessitant l’expropriation du terrain (comme par exemple le
tracé d’une route) et non l’inverse. On notait encore en 1969 plusieurs exemples de cette
altération de la loi : dans le Val-d’Oise, à Argenteuil, ou encore à Aix-en-Provence.
Dans le premier cas, environ un millier de personnes, Nord-Africaines en majorité,
vivant dans un bidonville furent expulsées sur ordre du juge et sur demande de la Société
d’Économie Mixte (SEM) d’Argenteuil. Cette dernière avait été fondée en 1964 pour
l’aménagement d’une Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) de 340 hectares sur le territoire de
la commune (y étaient prévues deux zones d’habitation et une zone industrielle). Pour
desservir la ZUP, il fallait créer une route la reliant à la RN192 (Paris-Pontoise). Le bidonville
incriminé se trouvait au milieu de la desserte prévue. Ses habitants avaient été recensés en
1963 et pour une grande part relogés depuis (par l’organisme d’HLM d’Argenteuil et la
SONACOTRA120), mais d’autres immigrants s’y étaient installés depuis. Il accueillait
désormais 83 familles, qui avaient un mois à compter du 30 juillet 1969 pour quitter les
lieux121. Le maire d’Argenteuil, Victor Dupouy, communiste, voulait les reloger de façon
provisoire dans une ancienne usine de désaffectée dans la commune, mais celle-ci était en
voie de démolition. Début septembre 1969, il n’y avait toujours pas de solution de relogement
116
JORF du 13 juillet 1966, pages 6025 et 6026.
« Après une visite à Aubervilliers, M. Chaban-Delmas : il faut en finir en 1972 avec les bidonvilles », LM,
13/02/1970, P.24 (dernière page).
118
Michèle Andréani « Pour le plus grand profit de quelques propriétaires, de misérables « foyers » pour
travailleurs étrangers prennent peu à peu la relève des bidonvilles », LM, 7/01/1970, première page.
119
Idem.
120
Organisme construisant des foyers-hôtels pour travailleurs immigrés
121
« Jugement en référé à Pontoise, un millier d’immigrants devront quitter un bidonville d’Argenteuil », LM,
01/08/1969, p. 11, Régions.
117
40
pour les expulsés. Après des accrochages entre les militants communistes et les militants
« gauchistes » d’Argenteuil autour de la question de l’expulsion et du relogement de ces
personnes, la préfecture de Pontoise annonça que le relogement ne pouvant pas se faire dans
la commune-même, se ferait tout de même dans le département, il restait des places en foyer
pour les célibataires et les familles pourraient être relogées dans des logements HLM type
PSR (Plan Social de Relogement), 90 étaient en construction dans le département mais non
achevés, certains seraient affectés au relogement de ces expulsés. Aucune solution provisoire
ne fut alors annoncée122.
A Aix-en-Provence, en décembre 1969, un bidonville fut détruit pour, de la même
façon, laisser le passage à une voie routière reliant une Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) au
centre de l’agglomération. Les 80 familles, soit environ 450 personnes allaient être relogées
immédiatement dans des HLM ou des cités de transit123.
Cette loi, inefficace face aux taudis et aux « marchands de sommeil », fut remplacée
en 1970, dans le cadre de la politique contre l’habitat insalubre du gouvernement ChabanDelmas. Cette loi marqua le véritable commencement de la politique de résorption
systématique des bidonvilles de toute sorte en eux-mêmes et non plus de façon détournée
(pour des raisons de constructions d’infrastructures).
B) La loi Vivien de juillet 1970124
La loi n°70-612 du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la suppression de l’habitat
insalubre, dite « loi Vivien », du nom du secrétaire d’État au logement, abrogeait la « loi
Debré », bien qu’elle reprît quelques unes de ses dispositions. Tout en revoyant certaines
dispositions du code de la santé publique (en son titre premier), la nouvelle loi s’attaquait à la
procédure d’expropriation (titre deuxième de la loi) et enfin posait d’autres dispositions
diverses (dans son troisième titre) dans le but de faciliter la suppression de l’habitat insalubre.
Cette loi ne s’attaquait plus seulement aux bidonvilles dits « traditionnels » mais aussi aux
bidonvilles verticaux.
a) La rénovation du code de la santé publique :
La loi révisait les dispositions du code de la santé publique de la façon suivante : elle
posait que le préfet était tenu de prononcer l’interdiction d’habiter d’un immeuble si un
conseil ou une commission d’hygiène concluait à son insalubrité et l’impossibilité d’y
remédier. Il devait aussi préciser si la mesure prenait effet tout de suite ou après le départ des
occupants, et il pouvait prescrire toute mesure nécessaire pour mettre l’immeuble hors d’état
d’être habitable. Il pouvait par ailleurs ordonner la démolition de l’immeuble et aussi faire
expulser les occupants, aux frais du ou des propriétaire(s), si cela n’avait pas encore été fait
par le(s) propriétaire(s) à l’expiration du délai imparti. Par ailleurs, en ce cas, les propriétaires
étaient passibles de peines civiles.
Si un immeuble était jugé partiellement insalubre par le conseil départemental
d’hygiène et qu’il était possible d’y remédier, celui-ci indiquait la liste des travaux nécessaires
à la réhabilitation de l’immeuble. Sinon, le préfet mettait ce bâtiment hors d’état d’être habité.
Le juge pouvait ordonner sur demande du maire ou du préfet que les travaux nécessaires à la
réhabilitation soient réalisés aux frais des propriétaires si eux-mêmes ne les avaient pas encore
réalisés dans le délai prévu par l’arrêté.
122
« La préfecture cherche à reloger les expulsés du bidonville d’Argenteuil », LM, 3/09/1969, p.12, faits divers.
« Un bidonville détruit à Aix-en-Provence », LM, 23/12/1969, p.17, régions.
124
JORF, 12 juillet 1970, pages 6543 à 6545.
123
41
Le texte introduisait de nouvelles dispositions au code de la santé publique notamment
un article L.43 disposant que : « toute personne qui aura mis à disposition, à titre gratuit ou
onéreux, aux fins d’habitation, des caves, sous-sols, combles et pièces dépourvues
d’ouverture sur l’extérieur et qui n’aura pas déféré dans un délai d’un mois à la mise en
demeure du préfet de mettre fin à cette situation sera passible des peines édictées au dernier
alinéa de l’article L.45 » (à savoir, une peine de six mois à trois ans de prison et/ou une
amende de 2 000 à 500 000 francs). Un article L.43-1 était aussi ajouté au code, disposant que
« le préfet peut […] faire injonction à toute personne mettant à disposition des locaux ou
installations qui, même en l’absence de déclaration d’insalubrité, présentent un danger pour
la santé ou la sécurité de leurs occupants en raison de leur densité d’occupation ou de
l’utilisation qui en est faite, d’avoir à rendre l’utilisation de ces locaux ou installations
conformes aux prescriptions de son arrêté. » Enfin, toute personne faisant obstacle au travail
des inspecteurs de salubrité, pouvaient être passible d’amende de 500 à 5 000 francs, ainsi que
d’une peine de prison (dix jours à trois mois).
b) La révision de la procédure d’expropriation :
L’expropriation d’immeuble, parties d’immeubles, installations ou terrains, ayant fait
objet d’une interdiction d’habiter après déclaration d’insalubrité pouvait-être prononcée par le
préfet. Aussi, l’expropriation des terrains sur lesquels étaient utilisés à des fins d’habitation
des locaux ou installations impropres à cet objet pour des raisons d’hygiène, de sécurité ou de
salubrité, ainsi que des terrains contigus ou voisins lorsque leur utilisation était indispensable
à la réalisation des opérations en vue desquelles la déclaration d’utilité publique était
prononcée. L’expropriation devait avoir pour but la construction de logements ou de tout
objet d’intérêt collectif relevant d’une opération d’urbanisme, dont notamment la création
d’une réserve foncière en application de la loi d’orientation foncière de 1967.
Encore une fois le préfet devait indiquer la collectivité publique ou l’établissement
public au profit duquel était prononcée l’expropriation, les offres de relogement provisoire ou
durable faites aux locataires comme aux propriétaires ; il fixait le montant de l’indemnité et la
date de la cessibilité des locaux ou terrains, ainsi que les indemnités (de déménagement ou
autres). Le terrain exproprié pouvait encore une fois être affecté à la construction de
logements de transit pour une durée maximale de huit ans. Les propriétaires pouvaient euxmêmes se charger de supprimer les bâtiments et installations, remettre en état les sols et
reloger les occupants (dans un délai de douze à vingt-quatre mois) ce qui mettait fin à la
procédure d’expropriation après accord du préfet. L’indemnité d’expropriation était réduite
lorsque les propriétaires ou locataires avaient tiré revenu des locaux ou terrains. Le refus du
relogement qui leur était offert par l’expropriant permettait l’expulsion sans indemnisation des
occupants.
Le préfet pouvait également prononcer l’expropriation des locaux salubres, s’ils se
trouvaient à l’intérieur du périmètre qu’il avait défini et si celle-ci était nécessaire à la
démolition des immeubles insalubres ou encore à l’aménagement de la zone délimitée par luimême. La réquisition de terrains nus d’une commune pouvait être envisagée par le préfet pour
construire des logements de transit, lorsque leur aménagement ne pouvait être fait sur le
terrain exproprié.
c) Mesures diverses :
La loi, dans son troisième titre indiquait que l’État supportait seul le coût de
l’acquisition du terrain sur lequel se situait un bidonville, à moins qu’une collectivité
territoriale en eût demandé l’expropriation.
42
Toute mesure d’expropriation ou de déclaration d’utilité publique concernant des
bidonvilles ou locaux insalubres ayant été prises avant promulgation de cette loi restait réglée
conformément à l’ancienne.
Les décrets d’application de la loi ne furent pris qu’un an plus tard : le 24 juin 1971,
fut pris un décret en Conseil des ministres définissant que l’État subventionnait les opérations
d’urbanisme et notamment les opérations foncières prévues au titre de la loi Vivien, à hauteur
de 70% du déficit prévisionnel de l’organisme constructeur sur l’opération. Et jusqu’à 80%
dans les communes « où [était] présente une importante population d’origine extérieure »125.
Une circulaire du 27 Août 1971 du ministre de l’Équipement et du Logement, destinée aux
préfets rappelait et explicitait les moyens mis à leur disposition pour réduire l’habitat
insalubre ainsi que les fins visées126. Un comité interministériel pour coordonner l’action des
différents ministères dans le cadre de la lutte contre les taudis fut mis en place le 10 juillet
1970.
Lors de l’adoption de ce texte à l’Assemblée nationale, les députés se montrèrent
désolés de la rapidité avec laquelle ce texte avait été préparé mais aussi des conditions
d’improvisation dans laquelle ils avaient été amenés à l’examiner. Certains se demandèrent
même si ce texte n’était pas juste un moyen de montrer les bonnes intentions du
gouvernement plutôt que d’améliorer vraiment les textes en vigueur. Ils critiquèrent aussi
l’imprécision du texte sur les moyens financiers permettant de passer des intentions aux
actions. Le débat sur le texte se montra à plusieurs reprises confus, certains députés quittèrent
même l’hémicycle, d’autres demandèrent le renvoi de la discussion à une date ultérieure
estimant que l’hémicycle n’était pas assez rempli, ce que refusa sans appel M. Vivien.
Le rapporteur M. Mazeaud (député de la majorité, UDR) estima que le texte manquait
de netteté et que finalement, la lutte contre l’habitat insalubre était moins une question de
texte qu’une question de moyens financiers, chose que le projet de loi ne précisait pas. Il se
prononça par ailleurs contre l’abrogation de la loi Debré car, selon lui, ce nouveau texte
risquerait de ne pas aller aussi loin que l’ancien.
M. Vivien assura que ce texte ne faisait que renforcer la loi Debré. Certes, l’État, en
trois ans, avait acquis 118 hectares de terrains bidonvillisés et avait réalisé des opérations
concernant 6 679 familles et 11 378 isolés (au total, c’était 44 000 personnes qui avaient
bénéficié d’améliorations de leurs conditions d’habitation), mais il restait encore plus d’un
million de personnes vivant dans des conditions d’inconfort notoire (dont 550 000 en
meublés, 75 000 en bidonvilles, 460 000 dans des locaux insalubres, vétustes ou encore
surpeuplés). Il précisait qu’une carte de France de l’habitat insalubre allait être dressée,
recensant non seulement les bidonvilles mais aussi tout habitat non-conforme aux normes de
logements, comme par exemple les wagons désaffectés, les péniches, blockhaus, etc. (ce qui
était d’ailleurs intéressant de la part d’un homme qui, deux mois plus tard, proposait le
caravaning comme une solution de logement envisageable127). Il assurait enfin que
l’expropriation serait un moyen de dernier ressort contre les propriétaires n’ayant pas effectué
les démarches d’amélioration nécessaires et que la charge financière de la suppression des
bidonvilles ordinaires resterait à l’État.
Les réactions furent parfois vives à l’instar de celles de M. Claudius-Petit, député
P.D.M. (groupe parlementaire Progrès et Démocratie Moderne, formé de centristes et
125
Décret n° 71-495 du 24 juin 1971 pour l’application de l’article 24 alinéa 2 de la loi n° 70-612 du 10 juillet
1970 tendant à faciliter la suppression de l’habitat insalubre. JORF du 27/06/1971 p.6628.
126
Circulaire du 27/08/1971 prise en application de la loi n°70-612 du 10 juillet 1970 (déjà citée), JORF du
25/09/1971 p.9504 à 9521.
127
« Vivien : le caravaning devient l’une des solutions possibles », LM, 26/08/1970, p.16 La vie économique,
Logement.
43
d’hommes politique de droite non gaullistes) ou encore celle de M. Barbet (député-maire P.C.
de Nanterre).
M. Claudius-Petit, ancien ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, posa la
question de l’accueil des immigrés : il se demandait quand les politiques allaient en finir avec
l’hypocrisie qui voulait que l’on considérât les travailleurs immigrés comme des célibataires
alors que la plupart du temps ils avaient une famille restée au pays. Selon lui, cette loi risquait
d’être un alibi de bonne conscience pour les Français et il souligna le fait que l’attribution de
logements HLM aux étrangers ne se faisait pas, malgré la loi. Selon lui : « nous ne sommes
pas racistes mais nous ne voulons pas avoir une famille algérienne en face de notre porte ». Il
eût des paroles fortes envers les pouvoirs publics qui avaient laissé se construire l’université
de Nanterre au beau milieu des bidonvilles, envers et contre les avis de tous les doyens
d’université : « Nanterre nous empêche de dormir […] la révolte a eu lieu et les bidonvilles
sont toujours là […] on a achevé la construction de la préfecture, on a construit le RER, que
l’on a bâti sur des talus, coupant ainsi l’agglomération, c'est-à-dire empêchant les relations
entre les quartiers. On a créé un univers qui ne peut-être qu’explosif […] et on nous dit qu’il
y a quelque chose qui ne va pas chez les jeunes ! S’il y a quelque chose qui ne va pas c’est
chez les vieux que nous sommes ! ».
Le député-maire P.C. de Nanterre, M. Barbet, prit lui aussi la parole pour souligner le
fait que la loi Debré n’avait pas rempli son rôle. Cependant, le nouveau projet de loi n’était
que de la poudre aux yeux selon lui ; le logement des étrangers ne pouvait être assuré sans une
participation patronale et sans une augmentation de la construction de logements sociaux. Il
accusa le gouvernement de s’attaquer aux effets et d’ignorer la cause car elle masquait « trop
d’intérêts capitalistes et monopolistes ».
Lors du débat sur les articles de la loi, M. Mazeaud intervint de nouveau, il estimait
que les terrains qui allaient être libérés, dans l’état des mesures envisagées, risquaient de faire
l’objet d’opérations financières : « doit-on [dans ce texte] comprendre que l’on cherche à
acquérir à très bas prix des terrains pour les revendre très cher ? » demanda-il128.
III)
La résorption de l’habitat insalubre
Ainsi, la politique de résorption de l’habitat insalubre passait par la suppression
définitive des bidonvilles et des garnis d’une part. Le ministère de l’Équipement et du
Logement avait insisté sur l’importance du relogement des personnes vivant de cette manière.
D’autre part, il fallait aussi mener une action de grande ampleur pour permettre d’améliorer
les logements existants. Tous ne pouvant être éliminés, des moyens étaient mis à la
disposition des propriétaires d’immeubles pour améliorer les bâtiments existants lorsque
c’était possible. Enfin, les rénovations urbaines, c’est-à-dire des opérations immobilières
visant à détruire des « îlots insalubres129 » et à reconstruire des ensembles neufs en lieu et
place, étaient menées soit par le secteur public, soit par le secteur privé toujours dans le but
ici, non pas d’améliorer mais de remplacer le patrimoine immobilier.
A) Le relogement des habitants des bidonvilles
Dans sa circulaire du 27 août 1971 aux préfets, M. Chalandon définit le relogement
des personnes vivant dans des taudis ou des bidonvilles comme étant de « la plus grande
128
Débat parlementaire dans N.-J. Bergeroux, « L’Assemblée nationale adopte deux projets, La suppression de
l’habitat insalubre a fait l’objet d’un débat confus », LM, 12/06/1970, p.7
129
Quartiers ou ensembles de logements anciens vétustes.
44
importance » ; il était la condition sine qua non pour résorber l’habitat bidonvillisé et non
autorisé et éviter que celui-ci ne se reformât ailleurs.
1) « Du bidonville à la cité de transit »
Les habitants étaient censés être relogés le plus possible dans des habitats définitifs
directement. M. Chalandon incita ses préfets à demander aux organismes d’HLM en
particulier de faire des efforts pour affecter une partie de leurs constructions au relogement
des habitants des taudis, il leur conseillait aussi d’utiliser le patrimoine ancien, moins onéreux
à ce même relogement. Les cités de transit étaient normalement affectées, selon la circulaire
du 27 août 1971 relative à la loi du 10 juillet 1970, seulement « au logement provisoire des
familles dont l’accès en habitat définitif ne [pouvait]-être envisagée sans une action socioéducative s’exerçant au premier chef dans cet habitat provisoire.130 ».
Pourtant, à partir de la loi Vivien qui défini le statut des cités de transit, ces dernières
se multiplièrent en France, (il y en avait déjà depuis 1960). Le séjour en habitat provisoire ne
devait pas dépasser une durée de deux ans, dans l’attente d’un logement définitif, mais le
patrimoine HLM restait insuffisant pour accueillir les habitants des bidonvilles détruits et
certains habitants de ces cités, oubliés, et y restèrent parfois jusqu’à deux décennies. Ces
habitats provisoires furent relégués loin des centres-villes et des lieux de travail, le plus
souvent inaccessibles aux transports collectifs, aux commerces et aux structures socioéducatives, bien que la circulaire de 1971 préconisât de ne pas les reléguer dans des zones
exclues. Selon le législateur, elles étaient « destinées aux seules familles présentant des
difficultés d’insertion sociale et qui dès lors, [risquaient] d’être rejetées par les populations
résidant habituellement en logement social »131 mais la plupart des habitants des bidonvilles y
firent un passage bien que certains partissent directement en logement HLM. Là encore, une
action socio-éducative était prévue. Il s’agissait d’un travail d’assimilation sociale : devenir,
comme le disaient les organismes HLM dans leurs contrats de location, un « bon père de
famille », en référence à la famille française. Ce travail concernait en réalité surtout les
enfants (soutien scolaire) et les femmes (cours d’économie familiale, comment entretenir
l’appartement, nettoyer les toilettes…) car l’intégration des hommes se faisait par l’usine 132.
Les familles françaises « socialement perturbées133 », demeurant en bidonvilles, furent logées
dans des cités particulières, financées de la même façon que les cités de transit.
Le plus souvent les propriétaires des cités de transit étaient les préfectures (l’État)
mais elles étaient souvent gérées par des organismes tels que le CETRAFA (centre de transits
familiaux). A l’entrée dans une cité de transit, un contrat était signé entre les organismes
gérants et les familles. Habitat censé être provisoire, ces cités se dégradèrent rapidement mais
se perpétuèrent : les dernières cités de transit furent en effet détruites en 1985.
Les célibataires pour la plupart étaient relogés dans des foyers plus « officiels », qui
parfois se révélèrent être d’autres garnis dans lesquels les hommes vivaient encore à plusieurs
par chambre.
2) Le relogement, une politique de ségrégation ?
130
JORF 25 septembre 1971 p. 9512
Mehdi Lallaoui, du bidonville aux HLM, au nom de la mémoire éd. Syros 1993, p.79 un transit qui n’en finit
plus
132
Yamina Benguigui, Mémoires d’immigrés, documentaire de 1997 et Nicole Bernheim « Vivre en France »,
LM, 22 et 23/11/1970.
133
JORF 25 septembre 1971 p. 9514
131
45
Les communes étaient souvent réticentes à voir s’installer des foyers de travailleurs
étrangers ou des cités de transit sur leurs territoires. Pour elles, ces logements étaient
synonymes de charges et ne rapportaient pas d’impôts. Les maires des cités ouvrières de la
Région parisienne, se battirent pour que les habitants des bidonvilles, les cités de transit et les
foyers de travailleurs étrangers soient répartis dans toutes les communes de la région et non
pas seulement dans les leurs, pour éviter de trop grandes concentrations d’étrangers chez eux.
En effet, des sociologues avaient défini que, au-delà de 10% d’étrangers dans la population
d’une commune, l’on risquait des réactions racistes.
Par ailleurs, l’accès direct aux logements HLM classiques était difficile pour les
habitants des bidonvilles des taudis ou encore des courées, qu’ils soient français ou étrangers,
car les organismes HLM exigeaient également qu’il n’y ait pas une trop forte concentration de
ces personnes dans leurs ensembles, notamment parce qu’ils avaient peur des défauts de
paiement. Pourtant, un arrêté du premier octobre 1968, imposait aux organismes constructeurs
de réserver 6,75% des nouveaux programmes aux familles venant d’habitats insalubres,
d’autant plus que les habitants des taudis pouvaient payer, ils avaient le plus souvent un
emploi et pouvaient comme tout le monde bénéficier des allocations de logement.
Les cités de transit et les relogements des habitants des bidonvilles se firent dans les
communes qui accueillaient auparavant les bidonvilles pour la simple et bonne raison que
c’était ce que la loi prévoyait et que les maires des autres communes refusaient de voir
s’installer chez eux des étrangers. Ainsi, bien loin de lutter contre la ségrégation spatiale
comme il l’avait annoncé, le Gouvernement Chaban-Delmas entérina cette pratique
ségrégationniste, aboutissant parfois déjà à des situations inextricables comme celle de
Nanterre qu’avait déjà décrite M. Claudius-Petit lors du débat sur la loi Vivien. La cité de
transit des Marguerites à Nanterre, en 1972, avait déjà la réputation d’être un berceau de
délinquance juvénile, ses habitants étaient discriminés à l’embauche et les femmes
stigmatisées. L’exclusion spatiale de cette cité, l’impossibilité d’accéder à la société de
consommation et aux valeurs prônées par la République (la réussite au mérite par exemple) en
étaient déjà les causes.
B) Mesures d’amélioration de l’habitat insalubre
En parallèle de la question des bidonvilles, le législateur avait mis à disposition des
moyens pour les propriétaires de rénover leurs immeubles. Le Fond National d’Amélioration
de l’Habitat notamment était le principal organisme national d’aide à l’amélioration de
l’habitat. Il fut réformé en 1971. Par ailleurs, les zones déclarées en tant qu’ « îlots
insalubres » devaient quant à elles être définitivement supprimées pour laisser la place à des
ensembles neufs, ce qui portait à polémique, surtout en Région parisienne.
1) Les moyens mis à disposition des propriétaires et
l’action du Fonds National d’Amélioration de l’Habitat
(FNAH)
Pour les aider à améliorer les équipements des logements, les propriétaires pouvaient
avoir recours à plusieurs organismes et différents types d’aides, subventions ou prêts.
Il était possible de faire un prêt auprès du Crédit foncier de France ou d’une banque.
En zone rurale, par ailleurs, le Crédit Agricole subventionnait ou accordait aussi des prêts à
l’amélioration de l’habitat. Cependant, comme nous le verrons plus tard, la majoration du coût
du crédit et la faiblesse des volumes disponibles en 1969 jusqu’au milieu de l’année 1970
46
rendait plus difficile l’accès au crédit immobilier. La seconde solution proposée aux
propriétaires était le recours à une subvention ou à un prêt du FNAH.
Le FNAH avait été créé par l’ordonnance du 28 juin 1945, pour prévenir les
conséquences néfastes du blocage des loyers sur l’entretien des immeubles. Originellement
appelé « Caisse nationale pour l’amélioration et l’entretien de l’habitat rural et urbain », il
avait été transformé en « Fonds national d’amélioration de l’habitat », et sa gestion avait été
confiée au Crédit foncier de France.
En 1969, le fonds était alimenté par une cotisation des propriétaires de 5% du loyer
perçu sur les logements soumis à la loi de 1948. Les sommes récoltées étaient ensuite
redistribuées sous forme de subventions ou de prêts (à un taux maximal de 4,75% en
septembre 1969).
Un rapide retour en arrière s’impose : la loi du premier septembre 1948 avait été prise
dans le contexte de crise du logement pour éviter la flambée des loyers : le législateur décida
de les fixer par décret, pour les logements construits avant la date d’entrée en vigueur de la loi
et principalement dans les communes de plus de 4.000 habitants.
Ainsi, le loyer d’une location soumise à la loi du premier septembre 1948 était fixé en
fonction de sa surface corrigée134 multipliée par le prix du logement au mètre carré. Chaque
année, au premier juillet, un décret fixait les taux d’augmentation des loyers soumis à ce
régime.
Cette loi posait aussi un droit de maintien dans les lieux du locataire, transmissible par
héritage à son conjoint, ses ascendants et aux enfants mineurs vivant avec lui depuis plus d’un
an. Ce droit de maintien pouvait néanmoins être perdu par le locataire dans certains cas
(jugement d’expulsion, en cas d’expropriation ou d’insalubrité des locaux, si le locataire
disposait d’un autre logement correspondant à ses besoins ou de fonction, s’il se voit attribuer
un logement HLM…), et le propriétaire pouvait récupérer son bien, dans certaines conditions,
pour l’habiter mais en trouvant une solution de relogement pour son locataire, dans des
conditions au moins équivalentes.
Par ailleurs, la loi du premier septembre 1948 instituait une allocation logement dans
le but de compenser les hausses de loyers et d’assurer des conditions de logement décentes
aux locataires.
Cependant, le nombre de logements soumis à la loi de 1948 était en chute car le
gouvernement avait mis en place une politique de libération des loyers depuis quelques
années. Ainsi, les logements restant soumis à la loi de 1948 se dégradaient car les loyers ne
permettaient plus aux propriétaires d’effectuer les rénovations nécessaires. En parallèle, les
logements non soumis à la loi de 1948, donc les plus récents, avaient un loyer plus cher, et les
locataires de logements dont le loyer avait été libéré voyaient parfois le coût de leur loyer
multiplié par deux ou par trois par le propriétaire pour rattraper les cours du marché locatif. Il
y avait donc un double marché locatif en France.
La seconde conséquence de la libération des loyers était le fait que les ressources du
FNAH s’amenuisaient dangereusement, si bien que son concours aux améliorations de
logements était en chute depuis 1967135. Ceci n’aurait pas été très grave si la libération des
loyers avait eu l’effet escompté, à savoir, permettre aux propriétaires de réaliser les
améliorations des équipements des logements grâce aux profits supplémentaires réalisés sur
les loyers, et non plus grâce aux subventions. La réalité était toute autre aux vues du
diagnostic de l’habitat dressé précédemment.
134
La surface corrigée correspondait à la surface réelle de la location pondérée selon les éléments d’équipement
installés par le propriétaire, les normes de confort et d’habitabilité en vigueur.
135
1967 : 161 millions de francs de prêts ; 1968 : 150 millions – J.Chièze « comment améliorer assez vite les
2 200 000 logements dépourvus de confort élémentaire ? », LM de l’économie, 27/09/1969, p. II.
47
Cependant, le FNAH avait souvent été critiqué et accusé de financer trop de choses et
quelque en soit leur prix en négligeant les opérations de modernisation. En effet, en 1969, le
fonds avait encouragé le financement de 487 millions de francs de travaux dont 200 millions
dont 41% pour les ravalements de façades, 34% pour le gros œuvre et seulement 25% pour les
équipements intérieurs. L’aide du FNAH avait quand même porté sur 140 000 logements pour
l’année 1969 (et environ le même nombre en 1970) mais seulement 80 000 logements anciens
avaient été dotés de sanitaires136.
A la fin de l’année 1970, le gouvernement entrepris la réforme du FNAH pour
accélérer les opérations visant à rendre plus habitables les logements anciens. En 1971, par
décret, le gouvernement Chaban-Delmas modifia son fonctionnement pour le transformer en
l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat137(ANAH). La nouvelle agence devait
fonctionner désormais grâce à une taxe de 3,5% sur les loyers de tous les logements achevés
avant le premier septembre 1948 et non plus seulement sur les loyers des logements soumis à
la loi de 1948. Ce qui permettait d’augmenter l’assiette du prélèvement en passant de 2 à 4
millions de logements soumis à la taxation ; les ressources de l’agence devant alors passer de
180 à 250 millions de francs par an. Les propriétaires étaient invités à se regrouper pour
faciliter un travail cohérent des constructeurs et que ces derniers puissent proposer des prix
plus intéressants.
L’ANAH devait avoir une structure plus souple que l’ancien Fonds. Par ailleurs, elle
était représentée au niveau local par des sections départementales. Son président était désigné
par le ministre de l’Équipement et du Logement, et les présidents des sections locales, par les
préfets. L’agence était soumise au contrôle financier de l’État et la gestion de ses fonds était
assurée par le Crédit foncier.
Le ministère de l’Économie et des Finances se montra peu emballé par le projet car il
ne préconisait pas le développement de la parafiscalité et surtout il comptait à ce que
l’amélioration de l’habitat se fit grâce à la libération des loyers. L’Union Nationale des
Propriétaires d’Immeubles (UNPI), quant à elle, dénonça le projet comme étant le premier par
vers la « socialisation des immeubles » en ajoutant qu’il ne règlerait en plus pas les problèmes
de la vétusté des logements.
Pourtant, la réforme allait bien dans le sens de la logique économique puisque 47%
des logements, à la fin de l’année 1970138, avaient été construits avant 1871 et 72% avant
1914 et seul 40% du parc immobilier de tous les éléments dits de confort. Par ailleurs, les
logements neufs restaient encore hors de portée pour environ 5,5 millions de Français (à
savoir les ménages dont les ressources n’atteignaient pas 10 000 francs par an), il valait donc
mieux améliorer le parc existant, ce qui permettait par ailleurs de conserver les centres-villes,
plutôt que de détruire et reconstruire comme c’était le cas dans le cadre des rénovations
urbaines.
C) Les rénovations urbaines à travers l’exemple de la rénovation
du quartier d’Italie à Paris (13e arrondissement)
Engagé dans les années 1960, la rénovation du quartier d’Italie à Paris fût interrompue
au milieu des années 1970. Son objectif était de transformer le 13 e arrondissement de Paris,
comprenant de nombreux îlots insalubres, autour de l’avenue d’Italie. Les urbanistes et
136
Michel Boyer, « une nouvelle taxe sur l’amélioration de l’habitat sera prélevée sur quatre millions de
logements au lieu de deux », LM, 20/11/1970, p.1.
137
Décret n°71-806 du 29 septembre 1971 relatif à l’agence nationale de l’amélioration de l’habitat, JORF du
30/09/1971 p 9717-9719
138
Michel Boyer, « une nouvelle taxe sur l’amélioration de l’habitat sera prélevée sur quatre millions de
logements au lieu de deux », LM, 20/11/1970, p.1.
48
architectes choisirent de réorganiser de façon globale le quartier, au lieu de rénover
simplement les logements insalubres. Dans l’esprit de la Charte d’Athènes de Le Corbusier, il
fallait construire en hauteur pour libérer l’espace au sol. Le Conseil de Paris approuva
l’opération « Italie 13 » le 13 janvier 1966 et la confia au secteur privé. La rénovation urbaine
ainsi envisagée concernait 87 hectares de terrains. Il s’agissait de construire 16 400 logements
ainsi que des surfaces commerciales, des bureaux, des écoles et autres équipements collectifs.
En 1970, le nouveau quartier d’Italie comptait déjà les ensembles « Galaxie » de 1 100
logements et « Italie I » comportant 4 121 logements.
Trois nouvelles tranches de rénovation furent annoncées en 1970 et 1971. Sur 10
hectares, était en passe de se réaliser (en quatre ans) la construction de 2 900 logements, dans
un ensemble nommé « les Olympiades », dont 930 HLM et 560 Immeubles à Loyer Normal
(ILN139), ainsi que quelques équipements (du type centre commercial, crèches, une école
maternelle, un centre sportif et un centre de jeunes)140. Une autre, annoncée en mai 1971141,
prévoyait 4 500 logements dans 14 tours (de 28 et 32 étages), là où on en avait détruit 400, sur
le terrain des anciennes usines Panhard, ainsi qu’un immeuble de bureaux de 25 000 m² et des
centres commerciaux de 23 000 m². Enfin, et toujours en mai 1971, une tour de 230 mètres de
hauteur, nommée « Apogée », était proposée à l’approbation du Conseil de Paris, pour en faire
des bureaux, ce qui devait permettre de créer 20 000 emplois et « donner vie » au quartier
selon les promoteurs142.
L’exemple du 13e arrondissement de Paris, permet de soulever tous les problèmes que
les rénovations urbaines menées par le secteur privé pouvaient entraîner. D’une part, ces
opérations immobilières contribuaient au bourrage du tissu urbain et par ailleurs, délogeaient
les habitants des quartiers insalubres qu’elles détruisaient, en les repoussant le plus souvent
vers les banlieues.
Jean Emmanuel Cornu, directeur de l’institut d’aménagement et d’urbanisme de la
Région parisienne en 1970, dans son étude renouvellement du patrimoine immobilier,
montrait qu’à l’inverse des opérations de rénovation menées par l’État – le plus souvent
déficitaires et portant sur des zones très vétustes – qui ne menaient pas à une densification à
l’excès, les opérations menées par les constructeurs et promoteurs privés dans la Région
parisienne, avaient, selon lui, les caractéristiques suivantes143 :
- Elles portaient surtout sur des quartiers périphériques de Paris comme par exemple
les 15e et 16e arrondissements (où l’on détruisait 4 000 logements par an) ou, pour beaucoup,
sur l’ouest parisien, notamment autour de sites prestigieux (tels que le Bois de Boulogne ou
celui de Vincennes).
- Les opérations étaient les plus nombreuses dans les quartiers où les appartements
étaient d’une taille relativement importante car dans les quartiers où les logements étaient
petits, il y avait une plus forte concentration de personnes et donc plus d’expropriations à
effectuer, plus de relogement à trouver ce qui rendait l’opération plus chère.
- Le choix portait aussi le plus souvent sur des terrains peu occupés et dont la
déconstruction coutait donc moins cher.
139
Les ILN sont des logements dépendants des offices HLM mais dont la qualité et les loyers sont plus élevés
que les HLM traditionnels.
140
« La rénovation du quartier d’Italie, un nouveau programme de 2900 logements est lancé », LM, 6/03/1970,
p.20.
141
« 4 500 logements sont en construction dans le quartier d’Italie », LM, 14/05/1971, p.31.
142
« L’aménagement du quartier d’Italie, une tour de 230 mètres de hauteur pourrait être construite si
l’administration donne son accord », LM, 21/05/1971, p.15.
143
« Huit logements reconstruits pour un détruit, La rénovation privée contribue « au bourrage » des cités », LM,
24/06 /1970, p.17, Région Parisienne.
49
Par ailleurs, les promoteurs convoitaient beaucoup les friches industrielles, les maisons
de maîtres ou encore les immeubles peu habités (du type hôtel particulier) car ce type de
constructions étaient en général synonyme de coefficient d’occupation des sols important ce
permettaient de construire en hauteur et donc, rentabiliser fortement l’opération. Toujours
dans le cadre de la recherche de rentabilité, ils devaient aussi tenir compte des infrastructures,
qui faisaient encore parfois défaut dans la banlieue parisienne, c’est pourquoi nombre d’entre
eux s’étaient recentrés exclusivement sur Paris. Le choix des promoteurs constructeurs portait
plus sur la question de la rentabilité que sur des considérations d’ordre sanitaire et sociales.
Ce qui était en soi normal pour des entreprises privées. Cependant, les rénovations urbaines
menées par le secteur public, quant à elles, étaient déficitaires. On nationalisait les pertes mais
on privatisait les gains.
A Paris, les promoteurs et constructeurs privée avait ainsi construit 97 638 logements
pour 13 353 détruits, et en banlieue parisienne, 105 402 pour 13 092 détruits, soit en moyenne
huit fois plus de logements construits que de logements détruits sur les mêmes terrains. Ainsi,
le tissu urbain se congestionnait, faisant craindre aux experts une aggravation du souséquipement de Paris en particulier.
Le quartier d’Italie, avec plus 16 000 logements prévus était un exemple de ces
opérations immobilières fortement rentables menées dans des quartiers périphériques. Les
équipements tardaient à arriver : en 1971, l’association des habitants du quartier, ADA13,
commençait à s’inquiéter du retard pris dans la construction des équipements ; l’ensemble
Olympiades en construction prévoyait bien un centre sportif mais ce dernier devait être
privé144. En 1972, M. André Voguet, élu communiste au Conseil d’administration de Paris,
dénonça « l’escroquerie » de la rénovation du 13e arrondissement : de nombreux équipements
collectifs avaient été prévu à la réalisation pour cette même année, mais en mars aucun n’était
encore commencé. Il fallait, selon lui « informer les habitants qui [voulaient] acheter ou
louer dans le secteur […] qu’on les [avait] trompés. L’absence prévisible des équipements
[pouvait]-être considérée comme une escroquerie »145.
La seconde conséquence dommageable des rénovations urbaines, surtout en Région
parisienne, était qu’elles construisaient des logements neufs et modernes qui forçaient souvent
les familles à quitter le quartier par manque de moyens pour pouvoir acquérir un logement
dans le nouvel ensemble, bien que cette solution leur fut juridiquement possible. Certains
pouvaient être relogés en HLM, une minorité pouvait se voir proposer un relogement pas trop
éloigné de leur ancien lieu de résidence. Cependant, dans la plupart des cas, il leur était
proposé, par le promoteur (obligé d’assurer le relogement par la loi du premier septembre
1948, sauf si l’occupant souhaitait trouver son nouvel habitat par ses propres moyens ou
refusait le relogement), un logement en banlieue. Ainsi, le domicile s’éloignait du lieu de
travail ; le temps et le coût du transport journalier augmentait. Ceux qui s’y refusaient, ou qui
n’en avaient encore pas les moyens, trouvaient refuge dans d’autres taudis. Selon les élus
communistes au Conseil de Paris, l’insuffisance des crédits de l’État donnait une
« orientation antisociale » à la rénovation urbaine146. De fait, Paris se dépeuplait au profit de
sa banlieue – la capitale était passée de 2 790 000 habitants en 1962 à 2 591 000 en 1968 –,
s’embourgeoisait et vieillissait puisque les ouvriers, artisans et commerçants quittaient,
parfois contraints, la capitale, et les jeunes, qui venaient y habiter pour faire leurs études ou en
début de carrière, la quittaient une fois qu’ils avaient des enfants147.
144
« 4 500 logements sont en construction dans le quartier d’Italie », LM, 14/05/1971, p.31.
« Escroquerie ? », LM, 11/03/1972, p.29, District parisien.
146
« La rénovation urbaine ne doit pas chasser de la ville les plus défavorisés estiment les élus communistes »,
LM, 22/12/1971, p.18.
147
« Le centre de la capitale dépérit tandis que sa banlieue s’accroît », LM, 9/03/1972, p.27, District parisien.
145
50
En ce qui concernait le quartier d’Italie, 5 043 familles devaient être relogées, 60% le
furent dans le périmètre de rénovation en logements HLM et les 40% restant, en HLM encore
mais en banlieue. Pour les élus de Paris, la part des logements sociaux à être construit dans le
quartier d’Italie était trop faible compte tenu des modestes ressources de la majorité des
habitants du quartier : 33,7% de la population pouvait prétendre à un HLM mais 23,5% n’en
avaient pas les moyens148.
Pourtant, selon M. Vivien, l’urbanisme vertical permettait une utilisation plus rentable
des sols, une rénovation plus rapide des ensembles vétustes et l’intégration d’équipements et
de logements sociaux. Il était donc préconisé dans le cadre de la réduction des taudis et des
bidonvilles, du moins jusqu’en 1971.
Photographie du quartier d’Italie aujourd’hui149
IV)
Bilan de la politique de réduction des taudis et des
bidonvilles
En juillet 1970, M. Vivien se félicita du bilan de l’action gouvernementale en matière
de résorption de l’habitat insalubre depuis le début de cette même année : il annonça le
relogement de 1 742 personnes isolées sur 2 407 évacués, et celui de 528 familles (contre
seulement 564 sur toute l’année 1969) dont 334 directement en HLM. De plus, 24 îlots
insalubres avaient été supprimés et la nouvelle loi en plus de la création d’un groupe
interministériel pour la résorption de l’habitat insalubre, laissaient croire au secrétaire d’État
que l’action en 1970 pourrait être trois fois plus importante qu’en 1969150.
En janvier 1971, le journal Le Monde dressa un bilan de l’action de réduction de
l’habitat insalubre menée par le gouvernement. Les crédits du ministère de l’équipement et du
logement avait été fortement augmenté : ils étaient passés de 34 millions de francs en 1969 à
54 millions en 1970 puis à 97 millions pour l’année 1971. Le Fond d’Action Social, quant à
148
Etienne Mallet, « L’aménagement du quartier d’Italie, 87ha livrés à la rénovation privée », LM, 15/04/1970,
p.17.
149
Photo tirée de : http://thbz.org/textes/olympiades-pss/olympiades-vue-generale.jpg
150
« M. Vivien : 24 ilots insalubres ont été supprimés depuis le début de l’année », LM, 12 et 13/07/1970, p.12,
la vie économique, logement.
51
lui, avait été doté de 110 millions de francs pour l’année 1971. Cependant, la loi Vivien et le
groupe interministériel semblaient encore insuffisants face à l’ampleur de la tâche. Selon
certains spécialistes, il aurait fallu un budget de 100 millions de francs sur cinq ans pour
résoudre le problème et achever le relogement des familles et des travailleurs immigrés. Le
recensement que M. Vivien avait demandé de réaliser aux préfets révélait les chiffres
suivants : entre le recensement de 1966 et celui de 1970, le nombre de familles vivant des les
bidonvilles avaient augmenté de 20% et la population des bidonvilles était encore constituée à
30% de français (contre 15 à 20% en 1966). En province, on avait recensé 530 000 personnes
vivant dans des habitations insalubres (dont 20% d’étrangers) dont 70% dans seulement 87
communes de France situées dans 9 départements. En Région parisienne, on estimait le
nombre de personnes vivant dans des logements insalubres entre 350 000 et 450 000. Les
bidonvilles de la Région parisienne recensaient 25 000 personnes, dont 71% d’étrangers
répartis sur une centaine de communes. Sur l’ensemble du territoire, la population des
bidonvilles était d’environ 45 000 personnes, contre 75 000 en 1966 : soit une diminution de
30% en province et de 45% en région parisienne. Cette baisse concernait principalement les
travailleurs isolés. Le nombre de familles vivant dans des bidonvilles avait bien diminué en
province (-30%) mais il avait fortement augmenté en Région parisienne (+20%).
En 1969, on notait la disparition de 52 bidonvilles à Paris et dans les départements de
l’ancienne Seine. Ce chiffre avait été multiplié par deux lors de l’année 1970 passant à 118
bidonvilles rayés de la carte de ces départements. Ceci avait permis l’évacuation de 5 565
isolés dont 4 210 avaient été relogés (contre, respectivement, 3 280 et 2 260 en 1969) et le
relogement de 743 familles. Le problème de l’action gouvernemental était l’arrivée constante
de nouveaux travailleurs et de nouvelles familles qui reconstituaient les bidonvilles au fur et à
mesure de leur suppression. Sur les 77 000 immigrants arrivant en France chaque année, un
dixième, soit environ 8 000, ne trouvaient pas à se loger correctement.
En Juin 1971, Jacques Chaban-Delmas se rendit de nouveau dans un bidonville, à
Nanterre-La Garenne avec M. Vivien, le maire communiste de Nanterre et le préfet des
Hauts-de-Seine pour observer la destruction des baraquements. Trois ans après que ces
baraques eussent contribué au déclenchement de la plus importante grève du vingtième siècle
en France, il se déclara ravi, il avait « assisté à la destruction d’un bidonville à coup de
bulldozer et à quelques mètres de là au départ des autocars emportant femmes et enfants vers
une cité de relogement. [C’était] un spectacle émouvant que de voir en un quart d’heure
s’opérer le changement d’existence de ces familles.151 »
Pour autant, le travail n’était pas terminé, lors de son voyage dans le Nord, le Premier
Ministre dût faire face au fait qu’il y avait encore 40 000 personnes vivant dans les courées
(en 1970, 700 de ces logements de fortune avaient été supprimés, 900 en 1971, à un tel
rythme, on estimait qu’il faudrait 20 ans pour en arriver à l’élimination total des courées du
Nord), ce qui le poussa à annoncer le déblocage de crédits pour le financement de 800 HLM
supplémentaires dans le département152.
Jusqu’à la fin de l’année 1971, on prévoyait l’ouverture de 37 foyers (soit 13 000 lits)
et 16 cités de transit supplémentaires (soit 1 200 logements) alors qu’il aurait fallu 60 000 lits
supplémentaires dans les foyers par an au cours du VIème Plan pour les travailleurs (soit le
nombre de lits qu’il y avait en service en janvier 1971), et 50 000 cités de transit (il y en avait
5 000 en janvier 1971) pour venir à bout du problème des bidonvilles et de l’habitat
insalubre153 en 1975.
151
« M. Chaban-Delmas assiste à la destruction d’un bidonville de Nanterre », LM, 30/06/1971, p.20
« Le voyage du Premier Ministre dans le Nord », .LM, 4/03/1972, p.6.
153
Michel Boyer, « les bidonvilles un an après le pari de M. Chaban-Delmas », LM, 21/01/1971, p.20, rubrique
Région parisienne.
152
52
Communes comptants au moins cents habitants dans des bidonvilles au moment du recensement de 1970154
Parallèlement à cela, le ministère du Travail commença à réguler plus strictement les
entrées de migrants et décida de ne plus régulariser les immigrés clandestins. Pour cela, des
conventions furent passées avec plusieurs pays partenaires exportateurs de main-d’œuvre,
notamment le Portugal (la nouvelle convention internationale de 1971 avec le Portugal fixait
un contingent de 65 000 hommes autorisés à entrer en France chaque année). Les conditions
pour entrer dans le pays devinrent aussi plus strictes en ce qui concernait l’âge, les conditions
physiques etc. Par ailleurs, la répression envers les trafiquants de main-d’œuvre se renforça
aussi. L’immigration clandestine fut dès lors considérée comme un fléau auquel il fallait
remédier en renforçant les contrôles155. En 1974, M. Valérie Giscard d’Estaing, en tant que
Président de la République, mit un terme définitif à l’immigration règlementée.
154
Michel Boyer, « les bidonvilles un an après le pari de M. Chaban-Delmas », LM, 21/01/1971, p.20, rubrique
Région parisienne.
155
Yvan Gastaut, l’immigration et l’opinion en France sous la Vème République, éd. Seuil, 2000, p.59
53
CHAPITRE 3 : Une politique du logement
subordonnée aux priorités économiques du
gouvernement
Les années 1962-1963 marquèrent un changement dans la politique économique de la
France. En effet, la fin de la guerre d’Algérie obligea la France à repenser ses relations,
surtout commerciales, avec les pays d’Afrique. En 1962 aussi le processus de construction du
Marché Commun s’accéléra. Les barrières douanières s’amenuisèrent entre les pays pour les
produits circulant au sein des Communautés Européennes. Le IVème Plan avait pour objectif de
préparer la France à ces changements. En 1963, le plan de stabilisation de Valérie Giscard
d’Estaing marqua une rupture dans la poursuite des politiques économiques156.
Ainsi, à partir de ces années, l’objectif principal était d’accroitre la capacité
concurrentielle de l’économie française et la compétitivité de son appareil industriel. Alors,
les gouvernements successifs mirent en place une politique économique libérale pour
favoriser un bon environnement macro économique et ainsi permettre aux entreprises
d’exporter. Ceci passait par la tentative de maîtriser l’inflation, maitriser les dépenses
publiques voire les réduire pour que la ponction de l’État sur l’épargne soit la plus faible
possible et ainsi laisser plus de capitaux disponibles pour que les entreprises investissent. De
fait, il fallait débudgétiser le plus possible les dépenses en capital de l’État et favoriser
l’épargne des ménages. Le logement n’a pas soustrait à cette logique157.
Malgré le contexte de crise du logement et la prise en charge par les pouvoirs publics
de la question des taudis à partir de 1970, le Gouvernement Chaban-Delmas ne dérogea pas à
cette tendance libérale. Le contexte économique global, à l’heure de la mondialisation des
échanges et la crise financière de novembre 1968, le poussa à mettre en place une politique
monétaire et budgétaire de rigueur. Par ailleurs, il tenta de renforcer l’intervention de
l’initiative privée dans la construction et diminua progressivement l’intervention publique
dans le secteur, visant à réserver cette intervention aux seuls ménages défavorisés, qui ne
pouvait accéder aux logements construits par le secteur privé. Cette désétatisation de la
construction se vit à travers les budgets successifs de l’époque et dans le VIème Plan.
I)
Une politique du logement contrainte par des impératifs
économiques globaux
Le Gouvernement dès sa prise de pouvoir choisi de mettre en place des politiques
économiques visant à réduire l’inflation après avoir choisi de dévaluer la monnaie. Dans un
deuxième temps, à partir d’octobre 1970, le retournement du contexte économique mondial
conduit à un changement de cette politique pour soutenir la croissance.
A) La politique monétaire met en difficulté les ménages (Juillet
1969 – Octobre 1970)
En novembre 1968, la mise en lumière de la situation économique de la France avait
eu pour conséquence de fortes tensions sur le marché des changes. Les capitaux désertèrent le
marché français et se réfugièrent sur le Mark que l’Allemagne se refusait à réévaluer. De
156
B. Lefebvre, M. Mouillart, S. Occhipinti, Politique du logement, 50 ans pour un échec, p. 26-27, éd.
L’Harmattan, coll. Habitat et sociétés, 1991.
157
B. Lefebvre, M. Mouillart, S. Occhipinti, Politique du logement, 50 ans pour un échec, p. 26-27, éd.
L’Harmattan, coll. Habitat et sociétés, 1991.
54
Gaulle choisit de ne pas dévaluer le franc et de mettre en place une politique de rigueur
(économies budgétaires, contrôle des changes, encadrement du crédit…). Pour restaurer la
compétitivité des entreprises, le gouvernement Couve de Murville supprima une taxe sur les
salaires et augmenta la TVA en contrepartie (ce qui permettait d’autre part de revenir sur les
hausses de salaires des accords de Grenelle). Georges Pompidou élu, le nouveau
Gouvernement choisit, malgré les oppositions, de dévaluer la monnaie et de mettre en place
un « plan d’accompagnement » mettant quelque peu la construction et les ménages dans une
situation difficile face au crédit.
1) La dévalorisation du franc (9 août 1969) et la mise en
place d’un « Plan d’accompagnement »
Georges Pompidou était partisan de la dévaluation et affirma en août 1969 158 qu’il
avait été persuadé, dès juillet 1968, qu’elle était inévitable. Le 9 Août 1969, le Gouvernement
Chaban-Delmas procéda à la dévaluation du franc de 11,1%. Ceci devait restaurer la
compétitivité externe des entreprises (en baissant les prix des exportations françaises, la
demande devait augmenter) et donc équilibrer la balance commerciale de la France. De
nombreuses oppositions à cette décision s’élevèrent soulignant les risques d’une dévaluation :
la hausse de la demande externe du fait d’une dévaluation pouvait avoir pour conséquence un
regain de l’inflation sur le marché intérieur. Comme le fit remarquer le P.C.F., « la
dévaluation était évitable au prix de mesures énergiques contre la spéculation et pour
consacrer des ressources financières au développement de la production conformément aux
besoins nationaux. ». Le Parti craignait par-dessus tout, les conséquences de l’inflation sur le
pouvoir d’achat des ménages159. Le gouvernement, quant à lui, s’efforça de rassurer l’opinion,
à l’instar du ministre de l’Économie et des Finances, qui déclara : « il ne faut pas croire que
la dévaluation doit s’accompagner automatiquement d’une hausse des prix intérieurs »160, ou
encore du Premier ministre lui-même161, qui, pourtant, quelques mois auparavant, soutenait
encore que « la parité du franc [devait] être maintenue à tout prix »162.
Pour éviter les dérives inflationnistes de la dévaluation, le gouvernement adopta un
« Plan d’accompagnement ». La hausse de la demande externe devait être compensée par une
baisse de la demande interne mais cela sans diminuer le pouvoir d’achat des français de sorte
qu’ils épargnassent plus163 pour permettre aux entreprises d’investir164 et donc, a plus large
échéance, de produire plus. C’est ainsi que le gouvernement mit en place une politique
monétaire restrictive, à laquelle il se refusa de donner le nom de « politique de rigueur »,
contrairement aux commentateurs165 : Le Monde annonça en première page « un plan
d’austérité rigoureux ». Les mesures prises furent nombreuses, notamment l’augmentation du
taux d’escompte de la Banque de France, le 8 octobre 1969 à 8%, le crédit à la consommation
158
« M. Pompidou : depuis juillet 1968, je suis convaincu que la dévaluation était inévitable » LM, 13/08/1969,
p.4, dossier La dévaluation : conséquences.
159
« Le P.C. : La dévaluation était évitable », LM, 13/08/1969, p.4, dossier La dévaluation : conséquences.
160
« M. Giscard d’Estaing : il ne faut pas croire que la dévaluation doit s’accompagner automatiquement d’une
hausse des prix intérieurs », LM, 12/08/1969, p.3 dossier La dévaluation : conséquences.
161
« M. Chaban-Delmas : Les conséquences ne devront pas « peser spécialement » sur les « catégories les plus
défavorisées » », LM, 12/08/1969, p.3 dossier La dévaluation : conséquences.
162
Déclaration de M. Chaban-Delmas le 26 juin 1969 au Palais Bourbon, rapporté dans « Quand M. Pompidou
est d’accord avec… M. Mitterrand », LM, 13/08/1969, p.4, dossier La dévaluation : conséquences.
163
Dans les théories économiques classiques, le revenu des ménages se divise en épargne et consommation. Si
l’on contraint la consommation des ménages, ils devront épargner le revenu qu’ils n’ont pas consommé.
164
Dans les théories économiques classiques, l’épargne nationale permet l’investissement, par le biais des
intermédiaires financiers (banques), notamment des entreprises.
165
Alain Vernholes, « Le gouvernement prépare un plan d’austérité très rigoureux », LM, 16/08/1969, p.1.
55
fut restreint, la durée maximale du crédit ramenée de 21-24 mois à 15 mois 166 et l’apport
personnel fut largement augmenté. Les prix furent bloqués jusqu’au 16 septembre 1969. Au
niveau de la politique budgétaire, l’impôt sur le revenu fut augmenté de 16,2% en 1969 (alors
que les revenus des ménages n’avaient augmenté que de 12,3%) et l’augmentation de la TVA
décidée en 1968 fut maintenue167.
La classe politique s’inquiéta des répercussions qu’une telle politique pourrait avoir
sur la politique du logement qui avait été promise par le gouvernement. Pour M. Laucournet,
sénateur socialiste, la situation du logement social était « dramatique » et les premières
victimes de cette politique allaient être les jeunes ménages. « Alors que les progrès
techniques tendent à diminuer le coût de la construction, la politique financière en provoque
le renchérissement », dit-il168. M. Viron, sénateur communiste, demanda au Gouvernement de
consacrer au logement au moins « autant qu’à la force de frappe »169
2) Le Fonds d’Action Conjoncturel au centre de la
controverse
Pour mener cette politique de redressement de l’économie française, le ministère de
l’Économie et des Finances fit pression sur les budgets de 1970 des différents ministères
dépensiers et notamment sur celui de l’Équipement et du Logement. Il accusa une baisse
globale de 3,7% par rapport au budget de 1969 et ses dépenses en capital diminuèrent de 9%.
Pour la première fois, le ministère envisageait d’avoir recours aux financements privés pour
les infrastructures telles que les autoroutes et les installations portuaires 170. Même des
membres du Gouvernement s’en inquiétaient : M. Robert-André Vivien déplora le manque de
crédits affectés à son ministère de tutelle pour l’année 1970171. La politique monétaire et
budgétaire mise en place obligeait à revoir les priorités de dépense du ministère et à recentrer
sa politique sur les ménages les plus défavorisés172. Selon le député-maire communiste de
Nanterre, M. Barbet, cette politique et ce budget montrait à quel point il ne fallait pas faire cas
aux grandes déclarations telles que celle de M. Pompidou qui avait dit vouloir faire du
logement « la priorité des priorités »173. Un Fonds d’Action Conjoncturel (FAC) fut aussi mis
en place dès le 16 juillet 1969, pour bloquer 5,2 milliards de francs de crédits budgétaires.
Dans le budget d’un état, un FAC est une enveloppe budgétaire contenant des crédits
affectés à différents ministères, mis en réserve en début d’année et votés par le Parlement,
voire institué en cours d’année, dans le but d’engager certaines dépenses en fonction de
l’évolution de la conjoncture au cours de l’année174 (il pouvaient être débloqués en cas de
ralentissement excessif de la croissance par exemple).
166
Les objectifs et les résultats de la politique économique de Chaban-Delmas…, déjà cité
Les objectifs et les résultats de la politique économique de Chaban-Delmas…, déjà cité
168
« Le sénat s’inquiète des répercussions de la politique financière sur le logement », LM, 30/10/1969, p.10.
169
Idem.
170
Jacques Tournouer, « la discussion du budget à l’Assemblée, équipement : la diminution sensible des crédits
inquiète tous les orateurs. » LM, 15/11/1969, p.7
171
Jacques Tournouer, « la discussion du budget à l’Assemblée, équipement : la diminution sensible des crédits
inquiète tous les orateurs. » LM, 15/11/1969, p.7
172
Jacques Tournouer, « la discussion du budget à l’Assemblée, équipement : la diminution sensible des crédits
inquiète tous les orateurs. » LM, 15/11/1969, p.7
173
« M. Barbet (P.C.) : votre politique est celle du grand patronat », LM, 16 et 17/11/1969, p.10 Les travaux
parlementaires et l’actualité politique.
174
Dictionnaire économique en ligne, www.ceneco.fr/dixeco-en-ligne/5_dixeco-de-l-economie/216_fonds-daction-conjoncturel.php
167
56
Des crédits de ce fond furent débloqués de façon sporadique et selon l’opportunité
politique, au court des années 1969 et 1970. En effet, les déblocages de crédits se faisaient
plus selon les pressions auxquelles était soumis le gouvernement que selon l’évolution de la
conjoncture économique globale. On peut noter pour exemple le fait que trois jours après
qu’Albin Chalandon eut annoncé, le 17 octobre 1969, que les crédits pour la démolition des
courées de Roubaix ne seraient pas attribués pour l’année 1969, M. Robert-André Vivien
annonça espérer pouvoir débloquer trois à quatre millions de francs à cet effet en 1970. Entre
temps, M. Provo, maire socialiste de Roubaix et président du Conseil général du Nord, avait
dénoncé la politique du gouvernement en soulignant : « M. Vivien, secrétaire d’État au
Logement, à la suite d’une décision du Conseil d’État, avait annoncé à grand renfort de
publicité que certaines de nos courées seraient assimilées aux bidonvilles. Ainsi donc [après
la déclaration de M. Chalandon], les espoirs d’une solution sérieuse s’évanouissent. A-t-on le
droit de jouer ainsi avec la détresse des mal-logés ? ». Il ajoutait que le gouvernement ne
devait pas attendre des élus du Nord « un silence complice ; nous dénoncerons cette politique
et crierons la vérité, car il est intolérable que ce qui constitue l’un des droits naturels les plus
évidents, […] le logement, soit relégué à l’arrière plan des préoccupations
gouvernementales »175.
De la même façon, en juin 1970, le gouvernement débloqua 125 millions de francs du
FAC dans le but de construire 2 030 logements dans les Pays de la Loire dont 1 130 dans la
seule Loire-Atlantique où sévissait une grave crise du bâtiment et des risques importants de
licenciement176.
Enfin, après le passage de la loi Vivien, 26 millions de francs du FAC furent
débloqués pour la destruction des bidonvilles et le relogement de leurs habitants177. La loi
Vivien ne prévoyant pas les conditions de financement des mesures qu’elle envisageait, les
fonds budgétaires bloqués au FAC permettaient de montrer la bonne volonté du
Gouvernement en attendant de prévoir la suite des événements selon l’évolution de la
conjoncture.
Tout au long de la période, de 1970 à 1972, le FAC revint régulièrement dans les
débats parlementaires, le plus souvent dénoncé comme empêchant de régler les problèmes du
logement en bloquant les crédits de construction, même par les députés de la majorité178. Au
sein du Gouvernement, ce fonds faisait aussi polémique : il opposait le ministère de
l’Équipement et du Logement au ministère de l’Économie et des Finances, un ministère
puissant179 mené par Valérie Giscard d’Estaing, lui-même doté d’un rayonnement fort grâce à
son ralliement centriste-libéral. Ce blocage reflétait d’une part la puissance du ministère de
Valérie Giscard d’Estaing par rapport aux autres et, d’autre part, la détermination du
gouvernement à lutter contre l’inflation mais aussi la volonté de laisser la place aux
investisseurs privés pour financer le logement.
175
« Nord : pas de crédits en 1969 pour la démolition des taudis de Roubaix », LM, 17/10/1969, p.21, l’actualité
économique, et « Pour rénover les courées du Nord, un crédit de trois à quatre millions pourrait être débloqué en
1970 », LM, 19 et 20/10/1969, p.29, La vie économique,
176
« Déblocage de crédits pour 2 000 logements en faveur des Pays de la Loire », LM, 21 et 22/06/1970, p.9,
régions.
177
« 900 millions de francs fournis par le Fond d’action conjoncturel seront affectés à l’équipement, au logement
et à l’éducation », LM, 11/07/1970, p.20, dernière page, Le budget 1970.
178
« Les députés UDR souhaitent le déblocage des crédits du FAC », LM, 4 et 5/10/1970, p.7.
179
En 1966, M. Debré transforma le ministère des Finances en ministère de l’Économie et des Finances,
renforçant ainsi son poids décisionnel au sein du gouvernement
57
3) Le coût du crédit décourageait l’achat, mise en place
des éléments d’une crise immobilière
Les ventes immobilières étaient déjà en recul depuis le mois de juin 1969, lorsque
l’encadrement du crédit avait été décidé (les taux d’escompte de la Banque de France avaient
été portés à 7% le 13 juin 1969). Au mois d’août de la même année, l’on constatait que les
ventes de résidences secondaires se portaient bien contrairement aux ventes de logements
sociaux ou semi-sociaux180. Les ménages ne pouvaient mettre sur la table les 20% d’apport
personnel nécessaire à l’obtention d’un prêt immobilier bancaire. Au même moment, Les
commentateurs s’inquiétaient déjà des probables conséquences de la dévaluation sur les prix
de la construction. En effet, les matériaux de second-œuvre utilisés étaient souvent importés
et la chute du franc faisait augmenter le coût des importations. A moins que les entreprises
françaises développassent la production nationale de ces matériaux, une reprise de la
construction était en passe de faire augmenter le prix des logements neufs quelques mois plus
tard. Ceci aurait eu par ailleurs pour effet de remettre en cause les prix-plafonds des HLM
dont M. Chalandon venait, à l’automne précédent, d’annoncer l’abaissement. D’autre part,
l’expérience du passé montrait qu’à chaque changement important de politique monétaire, le
prix des terrains avait tendance à augmenter181. Les prophéties des experts se révélèrent toutes
fondées.
Les mises en chantier d’HLM locatives diminuèrent de 2,5% entre octobre 1968 et
octobre 1969182. Dans les mois qui suivirent la dévaluation, Certains Offices HLM se virent
refuser par les autorités administratives des autorisations de construction pour cause de
dépassement des prix-plafonds. L’office HLM des Hautes-Pyrénées déplora une augmentation
de 10 à 15% du prix de certains matériaux (notamment du cuivre), ayant pour conséquence un
dépassement quasi systématique des prix-plafonds de 20 à 30%183.
En octobre 1969, les constructions de logement avaient repris une pente ascendante
mais les ventes, qui accusaient déjà un ralentissement depuis la fin de l’année 1968, étaient en
chute. L’écart entre l’offre et la demande globale de logement se retrouvait dans toutes les
grandes villes sauf Marseille. Les taux de crédit, qui atteignaient alors 13%, en étaient la
principale cause. En Région parisienne, le stock de logements à vendre représentait déjà
40 000 unités. Jacques Chièze, journaliste spécialiste des questions de logement au journal Le
Monde, annonçait que « les éléments [semblaient] réunis pour un marasme plus accentué que
celui de 1965 à 1967 »184. Les banques étant dans l’incapacité d’accorder leur soutien au
secteur de la construction (le taux d’escompte de la Banque de France ayant été porté de 7 à
8% le 8 octobre 1969185) choisissaient de sélectionner leurs clients, ce qui laissait les
constructeurs délaissés dans la difficulté. Les prix de la construction augmentant, les frais
financiers étant fixes et les prix des terrains étant supérieurs de 15% aux prix enregistrés
l’année précédente, les prix des appartements ne pouvaient pas baisser et étaient trop
importants par rapport aux moyens dont disposaient les ménages. Les stocks allaient
180
Logements bénéficiant soit d’un prêt ou d’une prime du Crédit foncier, soit des deux.
Jacques Chièze, « Les ventes d’appartements ne semblent pas stimulées. Risque de hausse des prix des
logements et des terrains », LM, 13/08/1969, p.2, dossier La dévaluation : conséquences.
182
J. Chièze, « Grâce à l’accélération de la construction chère, près de 480 000 logements auront été mis en
chantier cette année », LM, 12 et 13/10/1969, p.25, l’actualité économique, logement.
183
« L’Office HLM des Hautes-Pyrénées doit renoncer à certaines constructions », LM, 23/09/1969, p.24,
Régions.
184
J. Chièze, « Augmentation du nombre de logements offerts ralentissement des vents, une crise immobilière
importante semble se préparer pour 1970 », LM, 11/10/1969, la vie économique et sociale, construction.
185
« Malgré la hausse du taux d’escompte, les remboursements des prêts antérieurs ne subiront pas
d’augmentation », LM, 16/10/1969, p.29, l’actualité économique.
181
58
continuer à augmenter, et même M. Chalandon n’excluait pas la possibilité d’une crise
immobilière pour l’année 1970186.
En mai 1970, on constatait encore une baisse de la demande de logement (de 67%
pour les logements anciens et de 57% pour les neufs) en Région parisienne pour autant les
prix ne baissaient pas, seul 17% des vendeurs acceptaient de les réduire, et les terrains, de
plus en plus rares, étaient de plus en plus chers187. En province, la situation était un peu moins
dramatique car la demande et donc les prix du logement n’étaient pas aussi importants que
dans la Région parisienne. Les promoteurs-constructeurs commençaient à craindre pour
l’avenir du fait de la cherté du crédit et à demander l’aide du gouvernement 188. C’est ainsi que,
le 26 mai 1970, le ministère de l’Économie et des Finances annonça la suppression de
l’encadrement des crédits pour les biens d’équipement189. L’encadrement était donc réduit
pour les acquéreurs de logements mais les taux d’intérêts ne diminuant pas, et allant même en
augmentant (M. Giscard d’Estaing voulait en effet augmenter les taux pour inciter les français
à épargner), cette mesure n’allait pas relancer la construction.
La commission de l’habitat au Plan constata que les ménages avaient fait de gros
efforts pour se loger mieux mais, malgré les hausses de revenus, leur solvabilité ne s’était pas
améliorée du fait de la hausse des prix. Une politique du logement ambitieuse, selon la
commission, était nécessaire pour la croissance économique, le progrès social et la
transformation de la société, figée dans ses murs190. Étant dans l’incapacité d’acheter ou de
changer de logement, les ménages devaient rester dans leur habitation. Dans ce contexte, la
politique menée par le Gouvernement en termes de loyers avait toute son importance.
4) La politique des loyers
Une enquête de l’INSEE de mars 1970191 mettait en relief l’insuffisance de l’offre de
logement, dont le taux de disponibilité n’était que de 3% en mai 1968, et surtout en matière de
location. Cette insuffisance de l’offre se révélait par le fait que l’ancienneté des logements
mis en location n’était pas un obstacle à leur location : quelque soit leur taille ou la qualité de
leur équipement, ils trouvaient toujours très vite preneur, d’autant plus que les immeubles les
plus récents pratiquaient des loyers beaucoup plus élevés. On estimait que les ménages les
plus modestes consacraient 20% de leurs ressources à leur loyer, proportion qui tombait à
14% grâce à l’allocation de logement192. Les loyers des logements sociaux de banlieue étaient
évidemment moins élevés mais il fallait y ajouter les coûts des transports, qui, pour la Région
parisienne pouvaient atteindre une centaine de francs par mois. Par ailleurs, En 1970, entre un
million sept-cent mille et un million huit-cent mille logements en location (dont environ
700 000 dans l’agglomération parisienne) étaient encore soumis à la réglementation définie
par la loi de 1948 : leur loyer était bloqué et la revalorisation de ceux-ci se faisait
186
Jacques Tournouer, « équipement : la diminution sensible des crédits inquiète tous les orateurs », LM,
15/11/1969, p.7, la discussion du budget à l’Assemblée.
187
« La mévente des appartements s’accroit dans la Région parisienne », LM, 26/06/1970, p.21, La vie
économique et Sociale, Logement.
188
Michel Boyer, « La cherté du crédit compromet l’avenir constatent les promoteurs et les entrepreneurs », LM,
16/06/1970, p.26, Construction.
189
A.Vernholes, « L’encadrement est supprimé pour les biens d’équipement », LM, 26/06/1970, p.21, La vie
économique et Sociale, Crédits.
190
Michel Boyer, « La commission de l’habitation constate que la hausse des prix a rendu sans effets l’effort
accru des familles pour se loger », LM, 21/02/1970, p.20, la vie économique.
191
Michel Boyer, « Une enquête de l’INSEE met en relief l’insuffisance d’appartements à louer », LM, 29 et
30/03/1970, p.16, La vie économique et sociale, logement.
192
Michel Boyer, « Payer le loyer », LM, 29 et 30/03/1970, p. 16, La vie économique et sociale, logement.
59
annuellement par décret en Conseil des ministres193. Les propriétaires se plaignaient de cette
réglementation, qui les empêchait apparemment de rénover ces logements par manque de
moyens, et qui avait fait naître un marché parallèle de la location en marge du marché
« libre ». Enfin, en vingt ans, les loyers avaient augmenté quatre fois plus vite que les
salaires194, selon la Confédération Nationale des Locataires (CNL), une association de défense
des droits des locataires. En 1968, la proportion de logements à louer à Paris était deux fois
plus faible que dans les villes d’au moins 50 000 habitants, bien que la demande fût très
forte : 7% des ménages qui louaient changeaient d’appartement chaque année195. Cette
enquête concluait en soulignant que la faiblesse du nombre de logements vacants ne
permettait pas la fluidité du marché immobilier nécessaire à la mobilité géographique, alors
que plus de deux millions de personnes étaient amenés à changer de région chaque année et
que, au vu des taux d’intérêts et de l’encadrement du crédit, les accédants à la propriété se
faisaient rares.
La politique de loyer menée par le gouvernement était alors, sinon vitale, du moins
aussi importante que sa politique de construction. Dès le mois de septembre 1969, M. RobertAndré Vivien décida la mise en œuvre d’un groupe de travail, constitué de représentants des
locataires et des propriétaires notamment, pour étudier l’évolution future des loyers. Celui-ci
aboutit à des propositions du secrétaire d’État en matière de politique des loyers en juin 1970,
trois lois furent adoptées par le Parlement en la matière le 9 juillet 1970.
La première, modifiait la loi du premier septembre 1948, relative aux rapports entre
bailleurs et locataires, et empêchait que les loyers libres des logements d’une commune ne
retombassent automatiquement dans la réglementation lorsque la population de la commune
augmentait (les loyers était en effet libre dans toutes les communes de moins de 10 000
habitants). Par ailleurs, elle permettait la transmissibilité du droit au maintien dans les lieux
qui disparaissait dans certains cas auparavant. Enfin, elle protégeait plus particulièrement les
personnes âgées, pour qui les bénéfices de la loi de 1948 restaient en vigueur, en matière de
droit au maintien dans les lieux et de hausse de loyer 196. Cette loi visait donc à laisser toute la
place au marché pour régler les prix des loyers.
La seconde loi prorogeait diverses dispositions transitoires prises en raison de la crise
du logement : elle donnait, dans certaines conditions, des délais aux locataires expulsés, et
permettait également aux préfets de réquisitionner des logements, dans les communes où ne
sévissait pas la crise, certains locaux pour les personnes expulsées197.
Enfin, la troisième loi importante prise en matière de location concernait l’indexation
des loyers, pour qu’elle ne pût être faite que sur l’indice national du coût de la construction. Il
devenait interdit d’indexer les loyers sur l’inflation198. Cette loi, censée protéger quelque peu
les locataires face à la hausse des prix, n’aurait en réalité que peu d’effets au vu du fait que le
coût de la construction lui aussi augmentait fortement du fait de l’inflation et de la
dévaluation de 1969.
193
« Instituée en 1948, la valeur locative serait abandonnée pour la fixation des loyers » LM, 31/01/1970, p. 20,
la vie économique, logement.
194
« Les loyers ne devraient pas augmenter plus vite que les salaires, estime la confédération nationale des
locataires », LM, 12/02/1970, p. 20, la vie économique, logement.
195
Michel Boyer « Une enquête de l’INSEE met en relief l’insuffisance d’appartements à louer », LM 29 et
30/03/1970, p.16, La vie économique et sociale, logement.
196
Loi n° 70-598 du 9/07/1970, portant modification de la loi n° 48-1360 du premier septembre 1948, JORF du
11/07/1970.
197
Loi n°70-599, du 9 juillet 1970, modifiant la loi n° 51-1372 du premier décembre 1951 et prorogeant diverses
dispositions transitoires prises en raison de la crise du logement JORF du 11/07/1970.
198
Loi n°70-600 du 9 juillet 1970, modifiant l’article 79 de l’ordonnance du 30 décembre 1958, relatif aux
indexations, .JORF du 11/07/1970.
60
Dans le cadre de la politique en matière de loyer, la tendance était donc encore au
libéralisme : réglementer pour laisser le marché régler les prix et assurer la protection des
ménages les plus faibles.
B) L’assouplissement de la politique monétaire (Octobre 1970juillet 1972) : relancer la construction?
En octobre 1970, l’encadrement des crédits fut abolit totalement. En effet, dans un
contexte mondial essoufflé, le Gouvernement choisit de soutenir la croissance par la demande
interne et non plus par les exportations, en baisse. Malgré des difficultés, la relance permit de
mettre un coup de fouet aux constructions.
1) Relancer la demande intérieure
Fin Mai 1970, Valérie Giscard d’Estaing prit les premières mesures de réduction de
l’encadrement du crédit bancaire, pour un tiers environ des crédits accordés à l’économie et
notamment les crédits à moyen terme pour l’équipement (qui représentaient 10% des crédits
distribués chaque année environ)199. Il annonça aussi la levée progressive de l’encadrement du
crédit et du contrôle des changes pour la fin de l’année 1970 200 pour « une politique
d’expansion dans l’équilibre ». Cependant, en juillet 1970, la Banque de France releva de
nouveau ses taux et les réserves obligatoires des banques, ce qui n’était qu’une nouvelle
manière d’encadrer le crédit, car l’inflation n’était toujours pas maitrisée (5 à 6% par an) 201.
Ces premières mesures n’eurent qu’un effet très limité sur la construction puisque les
entreprises, déjà fortement endettées, souhaitaient avant tout une réduction de l’encadrement
du crédit à court terme. Pour leur part, les ménages souffraient plus de la cherté du crédit que
de son encadrement202.
Le taux de base bancaire s’assouplit cependant de façon progressive à partir de
l’automne et de l’hiver 1970203 jusqu’à mars 1972 (où il n’atteignait plus que 6,1%)204, le
régime général de l’encadrement du crédit fut abrogé le 23 octobre 1970. Au niveau
budgétaire, la fin de l’année 1970 fut marquée par un abaissement de la pression fiscale sur
les ménages et les entreprises (allègement de l’impôt sur le revenu et de la TVA205) ainsi que
la mise en place de dispositions en faveur des revenus faibles (comme nous le verrons plus
tard). La loi de finance de 1971, dans son solde d’exécution montrait un déficit 206 ce qui
indiquait une volonté de relance de la consommation et de l’investissement par une politique
budgétaire de type keynésienne. Ces mesures, certes opportunes pour la construction, visaient
en fait à relancer la demande interne pour compenser la baisse de la demande externe, car la
croissance mondiale se ralentissait (elle passa de 7,3% au premier semestre 1970 à 4,8% au
199
A. Vernholes, « un tiers des montants des crédits accordés à l’économie échappent désormais à
l’encadrement » LM, 27/06/1970, p.21.
200
Voir paragraphe « le coût du crédit décourage l’achat… » Et Gilbert Mathieu « M. Giscard d’Estaing
confirme la levée progressive cet été de l’encadrement du crédit et du contrôle des changes » LM, 14/05/1970
première page.
201
« La banque de France relève ses taux et réserves obligatoires des banques », LM, 9/07/1970, p.20, la vie
économique, crédits.
202
Alain Vernholes, « Un tiers des montants des crédits accordés à l’économie échappent désormais à
l’encadrement » LM, 27/06/1970, p.21
203
« Le loyer de l’argent a baissé en France pendant les fêtes » LM, 5/01/1971, p.29, la vie économique et
sociale, crédit.
204
Les objectifs et les résultats de la politique économique de Chaban-Delmas… p. 10 déjà cité
205
« Le projet de budget pour 1971 est soumis au parlement », LM, 11/09/1970, p.8.
206
Idem.
61
second semestre puis seulement 2,5% en 1971) et la hausse du nombre de chômeurs
commençait à inquiéter les responsables politiques. Selon Serge Berstein et Jean-Pierre
Rioux, pour Georges Pompidou une telle politique « de fuite en avant » (relancer les
fondamentaux de la croissance : l’investissement et la consommation en vue de moderniser le
pays), semblait indispensable pour maintenir les équilibres sociaux de la France, dans un
contexte international d’instabilité monétaire et de menace sur la croissance mondiale, qu’il
croyait temporaire207.
2) Les effets de la politique économique de 1969-1970 sur
la construction
La politique conjoncturelle mise en place en 1969 jusqu'à la fin de l’année 1970 faisait
craindre de nombreuses faillites dans le secteur du BTP208. Les « grippages » du système
financiers se répercutant rapidement sur l’activité du bâtiment, on observait, en milieu
d’année 1970, les carnets de commandes se dégonfler. L’exemple de la Région parisienne
exprimait les difficultés que certaines entreprises du bâtiment et des travaux publics
éprouvaient du fait du ralentissement de l’activité en 1969 et 1970 : en 1970, 10% des
entreprises de BTP en Région parisienne avaient soit disparu, soit éprouvé des difficultés
financières : 426 entreprises du BTP avaient été en liquidation de biens et règlement
judiciaire, soit 26 de plus qu’en 1969, et 582 avaient disparu pour diverses raisons. Les
constructions mettant en moyenne deux ans à se réaliser, les mesures de 1969 et la baisse des
mises en chantier cette année-là, n’auguraient rien de meilleur pour l’année 1971, laquelle
accusa un déficit de logements achevés. Par ailleurs, pour le seul mois de mars 1971, on
comptait quatre sociétés de BTP de la Région parisienne en dépôt de bilan (l’Omnium
français d’étude et d’entreprises employant plus de 2 000 personnes, Zublin et Perrière,
employant 1 430 personnes, Terraz de Boulogne-Billancourt, 150 ouvriers et enfin ChâteauContini, 200 ouvriers)209. La politique conjoncturelle de 1969-1970 eut donc des répercussions
sur le nombre des constructions achevées durant le reste de la période.
La baisse des taux d’intérêt et la diminution de l’encadrement du crédit à l’automne
1970 ainsi que l’annonce du gouvernement, en janvier 1971, du déblocage de fonds du FAC
pour financer 11 800 logements supplémentaires210 permirent tout de même un nouvel essor
des mises en chantier sur les six premiers mois de l’année 1971.
Au premier trimestre 1971, les mises en chantier avaient été supérieures de 18% par
rapport à la même période de l’année précédente et les achèvements, de 12%. Cependant, les
difficultés marquées de la construction au début de l’année 1970 n’en faisait pas une bonne
année de référence. En comparant alors avec le premier trimestre de 1968, on observait encore
une bonne progression de la construction en 1971 (+9,4% pour les mises en chantier et +9,6%
pour les achèvements). Toutefois, les mises en chantier d’HLM locatives s’étaient tassées par
rapport à cette même année de référence et le secteur non aidé (constructeurs et promoteurs
privés) n’avait augmenté que de 1% (toujours par rapport à 1968). Ainsi, les progrès dans la
construction étaient soutenus par le secteur semi-social. Les bureaux d’études privés ne
semblaient guère optimistes et annonçaient que les mises en chantiers de 1971 et 1972 ne
dépasseraient sans doute pas les réalisations de 1970211. Pourtant l’année 1971 fut marquée
par une bonne reprise de la construction, car le Gouvernement accorda des avantages fiscaux
207
S. Berstein et J-P. Rioux, La France de l’expansion, l’apogée Pompidou (1969-1974), éd. du Seuil, septembre
1995, p. 43-44.
208
Michel Boyer, « Le nombre de faillite pourrait doubler cette année » LM, 15/04/1970, p.29, BTP.
209
« Plusieurs entreprises de construction de la Région parisienne viennent de déposer leur bilan » LM,
13/03/1971, p.35
210
« Le gouvernement annonce deux décisions pour accélérer l’expansion et détendre les prix, » LM, 15/01/1971,
dernière page
62
aux entreprises du bâtiment et développa le système bancaire. L’année 1972 aussi s’annonça
sous de bons hospices, d’ailleurs, la Banque de France, le deux juin 1972, dût rehausser ses
taux de réserves obligatoires de deux à quatre pourcents212 pour tenter d’enrayer
l’emballement du crédit et de maîtriser l’inflation qui était repartie à la hausse (entre 1971 et
1972 la hausse générale des prix des produits de détails annuelle enregistrée fut de 5,5%). La
politique de reprise tournée vers la croissance à tout prix, pari de M. Pompidou, avait
fonctionné.
L’inflation reprit entre 1971 et 1972. Ainsi, les coûts des matériaux grimpèrent encore
mais aussi ceux de la construction en général. Pour maîtriser les prix des sols, et contenir au
moins en partie les coûts de la construction, certains réclamaient une politique foncière plus
efficace.
C) Le refus d’une politique foncière efficace
Le 16 septembre 1969, dans son discours sur la « nouvelle société », le Premier
ministre déclara à l’Assemblée vouloir faire baisser les coûts du logement en augmentant
l’offre de terrains à bâtir, en rénovant les professions du bâtiment et en accentuant la
concurrence entre les producteurs213. L’augmentation de l’offre de terrains à bâtir pouvait
passer par la transformation de terrains non constructibles en terrains constructibles ou encore
par l’acquisition de terrains non bâtis constructibles.
Selon la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967214 toutes les collectivités
locales et les établissements publics ayant compétence en matière d’urbanisme ainsi que l’État
pouvaient constituer des réserves foncières en prévision de l’extension de l’agglomération, de
l’aménagement d’espaces naturels autour des agglomérations, de la création de villes
nouvelles ou de stations de tourisme. Par ailleurs, cette même loi instituait une « taxe
d’urbanisme » au profit des communes ayant rendu public un plan d’occupation des sols, dont
la mise en application devait être définie en 1970. Cette taxe était assise sur la valeur des
terrains non-bâtis susceptibles d’être bâtis et situés à l’intérieur des zones urbaines. En
attendant la mise en œuvre de cette taxe, qui serait prévue ultérieurement, une autre taxe était
instituée par cette même loi, dite « taxe locale d’équipement » laquelle devait permettre aux
communes qui s’étaient vu prescrire un plan d’occupation des sols de percevoir une « recette
extraordinaire » sur la construction la reconstruction ou l’agrandissement des bâtiments de
toute nature. Cette taxe, vouée à disparaître, était fixée à 1% de la valeur de l’ensemble
immobilier. Par ailleurs, elle ne touchait pas les constructions faites dans les zones
d’aménagement concerté et le Conseil municipal pouvait décider de ne pas la percevoir. Cette
taxe foncière ainsi instituée avait donc une faible portée, d’autant plus que toutes les
communes n’étaient pas dotées d’un plan d’occupation des sols (POS).
Sous le Gouvernement Chaban-Delmas, la spéculation foncière faisait rage et
empêchait souvent l’acquisition de terrains dans un but de construction ou d’aménagement
urbain. La loi d’orientation foncière, toujours en vigueur, ne permettait pas d’y remédier. Le
directeur de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et président de la société centrale
immobilière de la caisse (SCIC) lui-même, M. Leroy, souligna le problème en juin 1970 en
indiquant que l’annonce d’une opération d’achat avait pour conséquence de faire doubler les
prix des terrains215. Le vrai problème n’était donc pas tant le manque de terrains mais la
211
« Les bons résultats du premier trimestre ne doivent pas conduire à un freinage de l’aide publique », LM,
12/05/1971, p.33, la vie économique.
212
« La Banque de France relève ses taux pour contrer l’emballement du crédit », LM, 3/06/1972, dernière page.
213
« La déclaration du Premier Ministre à l’Assemblée nationale », LM, 18/09/1969, p.2-3
214
Loi d’orientation foncière n° 67-1253 du 30 décembre 1967, JORF du 3/01/1968, p. 3 à 13
215
« Le directeur de la caisse des dépôts évoque le problème de la spéculation foncière », LM, 5/06/1970, p. 20 la
vie économique.
63
spéculation dont ils faisaient l’objet et leur coût, lequel variait selon l’opportunité et la
région : en 1970, la charge foncière représentait 19,5% du prix de revient d’un logement en
Région parisienne, 14% en province (en moyenne) selon l’INSEE216. Une enquête menée par
l’inspection des finances de mars à juillet 1969 indiquait que les zones où la hausse des prix
des terrains avait le plus augmenté, en Région parisienne entre 1963 et 1969, étaient les zones
éloignée de 50 (qui atteignaient 150 francs le mètre carré) à 70 minutes (60 francs le mètre
carré) de trajet de la capitale217. Les cœurs des villes n’étaient plus les seuls à pâtir de la
spéculation foncière, le développement des banlieues et des programmes de construction de
maisons individuelles faisaient augmenter les prix fortement218.
1) Des mesures toujours questionnées, jamais réalisées
Dès le mois d’octobre 1969, M. Chalandon se dit partisan d’un impôt foncier fort pour
inciter les propriétaires à mettre sur le marché les terrains qu’ils possédaient et ainsi faire
baisser les prix du sol en multipliant l’offre de terrains constructibles. Les gouvernements
précédents s’étaient déjà plusieurs fois confrontés à la question de la mise en place ou non
d’un impôt foncier. Tous avaient refusé ce qui était considéré comme une remise en cause du
droit de propriété.
La question de l’impôt foncier fut surtout abordée au début de l’année 1971, peu avant
les élections municipales, et de nouvelles élections se préparant pour 1973, cette mesure
souffrit du contexte politique.
En Avril 1971, le Gouvernement étudia quatre projets ou propositions de loi, relatifs
aux Zones d’Aménagement Différé (ZAD), à l’expropriation, au certificat d’urbanisme et au
régime de publicité des servitudes publiques. Il aborda aussi la question de l’impôt foncier.
L’ensemble du gouvernement semblait d’accord sur les quatre textes, cependant, la
proposition de M. Chalandon de créer un « impôt foncier, nouvelle formule », basé sur une
dissociation entre le droit de propriété et le droit de construire, ne faisait pas l’unanimité,
Matignon en particulier se demandait si cette mesure était politiquement judicieuse et s’il
n’était pas préférable de donner la priorité aux ZAD, le Président de la République le refusa,
comme il l’avait déjà fait lorsqu’il était Premier ministre.
L’impôt foncier était destiné à la fois à empêcher les propriétaires de retenir leurs
terrains dans l’attente que leurs prix se valorisassent et à permettre aux collectivités locales
d’augmenter leurs ressources. Valérie Giscard d’Estaing notamment y était opposé car il
estimait que cette mesure aurait été à la fois d’une efficacité incertaine mais en plus
impopulaire. Peut-être était-ce aussi parce que sa famille avait fait fortune grâce au foncier.
Selon Matignon, l’impôt aurait du mal à passer au Parlement car de nombreux députés de la
majorité conservatrice, attachés au sacro-saint droit de propriété, auraient pu y faire objection.
Le projet de M. Chalandon reprenait la mesure de l’article 61 de la loi d’orientation
foncière de 1967, à savoir la « taxe d’urbanisme » (sur les terrains non bâtis et susceptibles de
l’être à l’intérieur des zones urbaines) qui n’avait pas encore été mise en œuvre. Elle aurait été
déterminée d’après la valeur du terrain, estimée par l’administration des domaines et soumise
à réévaluation de façon périodique. Elle n’aurait pas été obligatoire, mais si les propriétaires
216
« Un logement neuf coûte moitié moins cher en province qu’en Région parisienne » LM, 26/02/1970 p.28, la
vie économique, construction.
217
J-J. B., « Une enquête de l’inspection des finances sur le prix des terrains à bâtir », LM, 25/12/1970 p.25,
district parisien.
218
J. de Barrin « Concours de la maison individuelle, Fontenay-le-Vicomte attends ses nouveaux villageois » ;
LM, 25/02/1970, p.25, La vie de la Région Parisienne : dans cette ville, les terrains rachetés à 15 000 francs
l’hectare à un fermier pour la construction de maisons individuelles allaient être revendus à 40 000 francs
l’hectare, prix de l’achat au fermier non compris.
64
refusaient de le payer, ils auraient perdu le droit de construire sur leur terrain. Ils auraient
cependant eu la possibilité de racheter ce droit à l’administration.
Selon les premières estimations réalisées, cet impôt foncier aurait pu rapporter environ
un milliard de francs en 1975. Ayant des vertus indéniables, il aurait aussi pu avoir pour
conséquence de faire augmenter les prix lors des ventes de terrains (car le prix de l’impôt eut
été ajouté au prix de vente). Par ailleurs, la pénurie de terrains dans les grandes
agglomérations laissait penser que l’espoir de profit continuerait à l’emporter sur la crainte de
taxation219. L’idée d’un impôt foncier fut totalement abandonnée par le gouvernement en mai
1971, qui choisit plutôt de durcir la procédure d’expropriation et de renforcer la procédure
ZAD220.
L’expropriation fut renforcée pour permettre à la puissance publique de prendre plus
rapidement possession des terrains non bâtis et d’aboutir à une sorte de « gel » des prix des
sols, en les « municipalisant » au fur et à mesure des besoins et permettant au juge de
diminuer le coût de l’expropriation si le terrain avait trop fait l’objet de spéculation.
Ainsi, la seule autre mesure disponible pour l’administration de l’État pour éviter la
spéculation foncière était la procédure ZAD, laquelle, créée en 1962 fût améliorée en 1971
dans l’objectif de parvenir à un million d’hectares de terrains placés sous cette procédure (en
1971, on en comptait 250 000 hectares), et leur durée d’existence fut doublée passant de huit à
seize ans. Les ZAD avaient pour but de constituer des réserves foncières pour permettre des
opérations d’aménagement mais elles étaient aussi utilisées dans le but d’éviter la spéculation
foncière. Par exemple, lors de l’annonce de la mise en chantier de l’autoroute Paris-Pontoise,
le prix des terrains jouxtant le tracé de la voie augmentèrent fortement, car les promoteurs et
constructeurs anticipèrent la possibilité de construire sur les abords de la route. Des ZAD
furent alors créées sur nombre de ces terrains pour éviter que les prix n’augmentent trop.
Ces mesures avaient pour effet la conservation par l’État d’une prérogative de
puissance publique pour maîtriser les coûts des terrains, non maîtrisable par le biais du
marché et d’éviter de toucher au droit de propriété en le taxant.
M. Chalandon expliqua aux promoteurs-constructeurs lors de leur congrès de mai
1971 à Vittel, que l’abandon de l’idée de l’impôt foncier était du au fait que celui-ci aurait
nécessité beaucoup de temps pour être mis en place et être efficace. Le gouvernement
préférait la voie administrative pour lutter contre la spéculation. L’ancien président de la
fédération nationale des promoteurs constructeurs, M. Alain Bréham, regrettait l’abandon de
cet impôt. Il apparaissait en effet comme étant « l’arme ultime d’un urbanisme libéral à la
recherche d’une meilleure efficacité économique 221». Selon M. Bréham, la taxation qui
existait alors, sur les plus-values (créée en 1963) était source de gel et d’enchérissement des
tarifs de l’immobilier222. En mai 1971, le régime fiscal des profits de la construction fut
assouplit223, sans permettre pour autant une baisse des prix des logements.
2) « La baisse des prix par la baisse des coûts »
219
Michel Boyer, « Le gouvernement est divisé sur la nécessité de créer un impôt foncier » LM, 14/04/1971,
p.25, La vie économique, Urbanisme.
220
Michel Boyer, « Le gouvernement renonce à l’impôt foncier mais durcit l’expropriation » LM, 21/05/1971,
p.22, La vie économique, Construction,
221
Michel Boyer, « Les petits arpents des français », LM, 10/06/1971, p.33.
222
« Au congrès de Vittel M. Chalandon conseille aux promoteurs de « faire du social » », LM, 6 et 7/06/1971,
p.20, la vie sociale et économique, construction.
223
« Les constructeurs-promoteurs se regroupent et approuvent la réforme de la fiscalité immobilière », LM,
12/05/1971 p.33, La vie économique.
65
Les mesures administratives prises dans le but de réduire les coûts des terrains et par
voie de conséquences les coûts de la construction ne permettant pas d’augmenter
véritablement le nombre de terrains disponibles, il fallait au gouvernement trouver d’autres
solutions pour réduire les prix et permettre aux ménages de se loger convenablement. M.
Chalandon demanda aux entrepreneurs d’accentuer les efforts pour baisser les prix. Par
ailleurs, M. Vivien constata qu’il y avait une forte différence entre les prix du marché et les
prix techniques de la construction. Il fallait selon lui partir des possibilités de financement des
acquéreurs et produire des logements à des prix correspondants. C’était selon lui d’autant plus
nécessaire que le rôle financier de l’État, en matière de construction, au cours du VIème Plan
resterait environ identique à son rôle durant le Plan précédant : de l’ordre de dix milliards de
francs224. La tâche n’était évidement pas facilitée par le contexte économique et le fait que
l’inflation n’était toujours pas maîtrisée, mais en plus n’y avait-il pas un risque de construire
des logements de moindre qualité en suivant les recommandations du secrétaire d’État ?
a) L’accusation du salariat :
La solution la plus simple pour les entrepreneurs de se dédouaner face à la hausse des
prix était d’accuser d’un côté le prix du foncier et de l’autre les salaires. Comme nous l’avons
constaté auparavant, la fin de l’année 1970 fut marquée par la volonté de M. Pompidou de
relancer la croissance interne du pays pour faire face au contexte international, en relançant la
consommation et l’investissement. Les hausses de salaires permirent de relancer la
consommation (l’indexation des salaires sur les gains de productivité eut des effets heureux
sur le pouvoir d’achat des ménages dont le taux d’accroissement annuel était de 5,9% par an
de 1969 à 1973225), la nouvelle politique monétaire et fiscale encouragea l’investissement.
Cependant, la majeure conséquence de ce retournement de politique monétaire fut la reprise
de l’inflation, de l’ordre de 6 à 7% par an226 jusqu’en janvier 1972, mois où les prix de détails
affichèrent leur hausse la plus faible depuis juillet 1970 (3%).
Les salariés du bâtiment et des travaux publics étaient en grande partie des ouvriers
payés au SMIC. La loi du 2 janvier 1970 instituant le SMIC indiquait 227 que ce salaire
minimum « [assurait] aux salariés dont les rémunérations [étaient] les plus faibles, la
garantie de leur pouvoir d’achat et une participation au développement économique de la
nation ». Il n’était, quant à lui, pas indexé sur les gains de productivité mais sur l’indice
national des prix à la consommation et sur la moyenne des salaires : il ne pouvait augmenter
de moins que la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat du salaire moyen constaté, dans
le but d’ « éliminer toute distorsion durable entre la progression du salaire minimum de
croissance et l’évolution des conditions économiques générales et des revenus ». Par ailleurs,
la loi prévoyait sa revalorisation chaque année au premier juillet mais aussi lorsque l’indice
national des prix constaté avait augmenté de 2% au moins par rapport à l’indice relevé lors de
sa dernière revalorisation et dans les mêmes proportions. Du fait de l’inflation, le SMIC fut
revalorisé par trois fois en 1971228. Cette loi avait pour objet d’augmenter significativement le
224
« M. Vivien demande aux promoteurs d’agir sur les prix des logements », LM, 13/06/1970, p.21, La vie
économique et sociale, Construction.
225
Serge Berstein, Jean-Pierre Rioux, La France de l’expansion, l’apogée Pompidou (1969-1974), éd. du Seuil,
septembre 1995, p.191
226
Serge Berstein, Jean-Pierre Rioux, La France de l’expansion, l’apogée Pompidou (1969-1974), éd. du Seuil,
septembre 1995, p.43
227
Loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti et création du salaire minimum de
croissance, JORF du 4/01/1970, p.141-142.
228
« À compter du premier janvier le SMIC sera fixé entre 3,58 et 3,67F », LM, 5/01/1971, p.29, la vie
économique et sociale, salaires ; « Le SMIC serait augmenté d’environ 1,4% le premier avril », LM, 26/03/1971,
p. 36, La vie sociale ; il fut par la suite et selon la procédure normale revalorisé une nouvelle fois en juillet de la
même année.
66
pouvoir d’achat des bas salaires229. Le salariat des entreprises de bâtiment et travaux publics
étant en grande majorité des ouvriers « smicards » - ce secteur employait par ailleurs un bon
nombre de travailleurs immigrés -, le patronat du BTP accusa les hausses de salaire, et donc la
loi créant le SMIC, comme étant l’une des raisons des hausses des coûts des logements neufs.
Cependant, malgré les revendications patronales, le problème du logement ne fût pas
analysé comme étant un problème de salaire (le gouvernement ne revint pas sur sa volonté
d’augmenter le pouvoir d’achat des bas salaires, même si la politique monétaire laxiste en
place laissait filer l’inflation et par voie de conséquence permettait de rogner le pouvoir
d’achat des ménages), ni même comme un problème de prix du foncier (puisque l’impôt
foncier désiré par M. Chalandon ne vit pas le jour), mais plutôt comme un problème propre au
secteur de la construction et notamment des techniques utilisées. En effet, le secteur du
bâtiment n’avait pas encore réussi à « s’industrialiser » véritablement, les travaux de
constructions et de fondations spéciales représentaient encore entre 74 et 84 %230 du prix des
logements, les gains de productivité dans le secteur n’étaient pas très élevés contrairement aux
autres secteurs de l’industrie. Il fallait « moderniser » le bâtiment.
b) Moderniser le bâtiment et développer la recherche pour l’habitat : le « Plan
Construction » :
M. Chalandon demanda plusieurs fois aux promoteurs constructeurs de faire des
efforts pour faire baisser les prix231, il leur proposa aussi de se regrouper au sein de l’IDI
(Institut de Développement Industriel) ou de créer leur propre « IDI du bâtiment »232 ou
encore de faire des commandes groupées à leurs fournisseurs dans le but de faire baisser le
prix unitaire pour les matières premières notamment…
Finalement, au niveau étatique, le gouvernement choisit de lancer un plan de
développement de la recherche pour l’habitat, ou « plan construction », dans le cadre du VIème
Plan, que la presse qualifia notamment de « plan futuriste de Chalandon ». Le but était de
quintupler les efforts de recherche sur le logement à la fin du VIème Plan, pour étudier si les
conceptions des villes et des logements d’alors étaient susceptibles de convenir aux
générations postérieures, trouver les matériaux et les techniques pouvant être utilisées pour
construire de meilleurs logements à moindre coût.
L’une des grandes préoccupations de M. Chalandon était en effet de savoir si les
habitations construites alors pourraient satisfaire à l’évolution des goûts, des exigences et des
revenus des français dans les années à suivre. Sur ce point il était rejoint par la commission de
l’habitation au Plan qui craignait que les logements construits à ce moment soient voués à une
prompte obsolescence aux vues de la rapide évolution des exigences des français en matière
de logement (elles avaient plus évolué dans la décennie 1960-1970 que pendant le siècle
précédent).
Par ailleurs, le plan construction visait à étudier diverses questions en matière de cadre
de vie (intégrer des zones de loisir dans les villes pour éviter la fuite vers les campagnes par
exemple), de qualité, de taille et d’équipement des logements. On allait aussi étudier le
problème de la ségrégation spatiale et par type d’habitat, les classes défavorisées étant rejetées
à la périphérie des villes ou dans les quartiers anciens, de l’habitat des travailleurs étrangers et
229
Serge Berstein, Jean-Pierre Rioux, La France de l’expansion, l’apogée Pompidou (1969-1974), éd. du Seuil,
septembre 1995, p. 56.
230
Selon une étude de l’INSEE rapportée dans « Un logement neuf coûte moitié moins cher en province que dans
la région parisienne » LM, 26/02/1970, p.28 La vie économique, construction.
231
« M. Chalandon demande aux entrepreneurs d’accentuer leurs efforts pour faire baisser les prix » LM,
17/06/1970, p.27, la vie économique, construction.
232
Idem.
67
des ouvriers, qui ne devait pas se retrouver trop éloigné de l’usine ; le problème de la mobilité
géographique qui était mal acceptée du fait du manque de logements et donc des prix233…
Sur les cinq années du plan la recherche sur l’habitat devait être dotée d’un budget de
250 millions de francs234. Le budget du ministère de l’Équipement et du logement de 1971 ne
lui accordait cependant que 3,5 millions de francs235.
En mars 1971, le rapport Barets (du nom du président fondateur de la compagnie
française d’engineering COFEBA spécialisée dans la préfabrication de logements),
commandé par le Premier ministre, proposait des solutions pour industrialiser le bâtiment. Il
constatait dans un premier temps que les logements réalisés tous les ans étaient réalisés sur la
base de trente-cinq mille plans d’appartements différents seulement, ce qui était une prouesse
technique pour les constructeurs mais qui était « subi » par les usagers. Selon ce rapport, les
problèmes du secteur du bâtiment étaient d’une part, qu’il n’avait pas réussi à s’industrialiser
et, d’autre part, qu’il était un secteur trop dispersé (il comptait selon lui beaucoup trop de
professions, de types d’entreprises ou d’organismes parapublics différents), ce qui avait pour
conséquence une dispersion des crédits et donc un faible nombre de logements réalisés en
moyenne – seulement une centaine – par entreprise (ou encore organisme ou cabinet) et par
an.
Il proposait donc de mettre en place un nouveau cadre politico-administratif pour
encourager les innovations dans le secteur par la mise en concurrence des entreprises pour les
obliger à s’industrialiser. Il fallait aussi libérer les entreprises du bâtiment de nombreuses
contraintes juridiques (tel que la « garantie décennale » qui obligeait l’entrepreneur ou
l’architecte à prouver son innocence en cas de dommage, et qui avait, selon l’auteur, conduit à
une trop grande prudence dans les professions) et créer une « industrie de composants », à
savoir, une industrie du logement préfabriqué, ou « en kit ». Selon lui, une telle
industrialisation accompagnée d’une distinction de la construction en trois secteurs (un
secteur expérimental, un secteur industrialisé – qui ferait surtout du logement social – et un
secteur « sur mesure », surtout pour le secteur non aidé) aurait permis de baisser de 20 à 25%
le prix de la construction.
Le plan de recherche pour l’habitat et ce rapport marquèrent la mise en route de
grandes réformes pour l’urbanisme et le logement dans le but de faciliter le désengagement de
l’État dans le secteur en améliorant les conditions, notamment fiscales, des entreprises du
bâtiment, et dans le but de réorganiser le territoire et l’urbanisme français pour le futur.
En mars 1972, après dix mois de mise en route du plan construction, les crédits pour
1 000 logements expérimentaux seulement avaient été débloqués (sur les 3 000 prévus). Sa
dotation budgétaire était passée de 18,3 millions de francs en 1971 à 36,3 millions pour
1972236. On était encore bien loin des 250 millions sur cinq ans avancés par M. Chalandon.
Ce besoin de réformer la construction était aussi conduit par le besoin du
Gouvernement de faire face aux nombreuses critiques s’étaient soulevées contre
« l’urbanisme de dérogation » menées jusqu’alors.
233
Michel Boyer, « Un plan construction pourrait être lancé pour quintupler l’effort de recherche sur l’habitat »,
LM, 15 et 16/03/1970, p.28, La vie économique, logement.
234
Michel Boyer, « 250 millions vont être consacrés en cinq ans à la recherche sur l’habitat », LM, 26/05/1971,
p. 39, le plan construction.
235
Michel Boyer, « Le budget du ministère de l’Équipement et du logement sacrifiera le logement à
l’amélioration du réseau routier et des ports » LM, 27/08/1970, dernière page.
236
Michel Boyer, « Dix mois de plan construction, Dieu est dans le détail », LM, 7/03/1972, p.30, La vie
économique, Logement.
68
3) Un urbanisme « laisser-faire »
La loi d’orientation foncière de 1967 définissait que les villes devaient mettre en pace
des schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) ainsi que des plans
d’occupation des sols. Les SDAU fixaient « les orientations fondamentales de
l’aménagement des territoires intéressés »237, ils déterminaient « la destination générale des
sols, le tracé des grands équipements d’infrastructure, l’organisation générale des
transports, la localisation des services et activités les plus importantes, ainsi que les zones
préférentielles d’extension et de rénovation. » leur approbation se faisait par décret en Conseil
d’État. Les plans d’occupation des sols (POS), quant à eux, visaient à fixer, dans le cadre des
orientations des SDAU, s’il en existait un, « les règles générales et les servitudes d’utilisation
des sols » pouvant notamment comporter des interdictions de construire238.
M. Chalandon, estimait pour sa part que les schémas d’urbanisme et la réglementation
administrative stérilisaient trop souvent les terrains et freinaient la construction 239 et par
ailleurs, qu’il existait un caractère « a priori constructible de la plupart des sols ».
Le 3 janvier 1969, le gouvernement décida de supprimer, du moins partiellement, le
permis de construire qui était selon Albin Chalandon le « symbole de l’abus administratif »240.
Il restait cependant la règle et sa dispense, l’exception (seulement pour les organismes HLM,
les communes dotées d’un POS ou d’un SDAU ainsi que pour les ZAC et les lotissements).
Le 31 mai 1970, un décret fut pris pour alléger le permis de construire dans les autres cas, un
silence de l’administration dans les quinze jours valait alors consentement pour débuter les
travaux241. Rendre les procédures administratives plus simples était bien sûr un moyen de
favoriser des mises en chantier plus rapides et donc de pallier la crise du logement.
Cependant, ceci ne risquait-il pas d’aboutir à un développement anarchique des villes ? Les
schémas directeurs souffraient déjà de nombreuses dérogations, que le concours de la maison
individuelle242 n’avait fait qu’entériner, l’exemple le plus frappant étant celui de la Région
parisienne.
Les estimations de l’époque tablant sur l’arrivée de plus de 4,5 millions d’habitants
supplémentaires dans cette région dans les trente années à suivre, le schéma directeur pour
certains étaient un moyen d’organiser au mieux la région pour accueillir ses futurs habitants.
M. Chalandon refusait pourtant son caractère contraignant au SDAU contrairement aux
Conseils généraux de la Région parisienne, du Conseil d’Administration du District parisien
ou encore du Conseil Consultatif Économique et Social. Le SDAU de la Région parisienne
devait permettre un développement organisé autour des villes nouvelles, mais, dans la
banlieue ouest, les ensembles de logements et les zones d’aménagement concertées se créaient
de toutes parts, sans harmonie et au gré des disponibilités de terrains 243. Selon la CFDT : « Le
nouvel urbanisme révèle son vrai visage en démantelant le schéma directeur de la Région
parisienne, qui tentait, malgré ses insuffisances, d’orienter le développement de cette
région ». C’est la négation de tout effort pour construire un cadre de vie conforme aux
exigences essentielles du développement humain »244.
237
Loi d’orientation foncière, n° 67-1253 du 30 décembre 1967, JORF, 3 janvier 1968, p.3
Idem.
239
Etienne Mallet, « entretien avec M. Doublet, Pour surmonter la crise dramatique des transports en commun, il
faut lancer un emprunt de trois milliards de francs, estime le préfet », LM, 13/05/1970, p.19, La vie de la région
parisienne.
240
Michel Boyer, « Le permis de construire, un mort bien portant », LM, 3/06/1970, p.29, La vie économique,
logement.
241
Idem.
242
Lancé par M. Chalandon en mars 1969
243
P. Lavedan, « Ce ventre mou de la banlieue ouest » LM, 11/02/1970, p.17, La vie de la Région parisienne.
238
69
Enfin, selon Jean Bastié (professeur à la faculté de lettres et de sciences humaines de
Nanterre entre 1965 et 1972, agrégé de géographie, docteur ès lettres et directeur de la Société
de géographie à partir 1995), qui retraça l’histoire de l’urbanisation spontanée dans le journal
Le Monde en date du 11 février 1970, une grande métropole, telle que celle de Paris, était un
organisme très complexe qu’on ne pouvait plus laisser évoluer au hasard comme cela avait été
fait auparavant. Il ajoutait que dans le domaine de l’utilisation de l’espace public, le risque de
laisser la voie libre à l’initiative privée était bien trop grand car les œuvres étaient durables et
erreurs irréversibles. L’initiative privée, concluait-il, ne pouvait se faire que dans un cadre qui
ne devait pas pour autant être paralysant mais tout de même stable pour ne pas aboutir à un
quatrième échec de l’urbanisation libre (il en avait recensé trois précédents) 245.
Cependant, M. Chalandon commençait à la même période à se demander si, dans le
souci d’adapter l’offre de logement à l’évolution des besoins de la demande, il ne fallait pas
tout simplement ne plus construire pour l’éternité et ne créer que des logements dont la durée
de vie serait de 10 ou 20 ans… le consumérisme atteignait potentiellement toutes les sphères
de la vie.
Finalement, pour contrer les pressions des gauches, hostiles à l’urbanisme de
dérogation246, M. Chalandon décida de mettre fin aux exceptions faites aux SDAU au profit
des promoteurs constructeurs et de faire de l’urbanisme « un véritable service public ». Ainsi,
au début de l’année 1972, il se détacha, du moins dans les mots, de sa volonté affichée lors de
sa prise du ministère, qui état une plus forte initiative privée. En ce qui concernait les maisons
individuelles, il abolit l’urbanisme dérogatoire par le biais d’une loi et, après qu’il annonça sa
décision de faire respecter les SDAU, un arrêt du Conseil d’État du 28 janvier 1972 annula un
permis de construire dérogeant au plan d’urbanisme de la ville de Marly-le-Roi. En effet,
l’administration avait autorisé la construction d’un bâtiment non conforme au plan
d’urbanisme de la ville du fait de sa hauteur. Désormais, les dérogations non approuvées par
les plans d’urbanisme devaient être interdite, ce que confirma le ministre Chalandon247.
Les coûts de la construction, et donc des logements, ne cessèrent d’augmenter tout au
long de la période du fait de la hausse des prix des matériaux (dus à l’inflation mais aussi au
fait qu’une partie des matériaux de construction étaient importés) et de la hausse du prix du
sol ; les méthodes administratives de réserves foncières ou d’expropriation ne pouvaient
suffire à contenir. Comme dit précédemment, le Gouvernement et M. Chalandon,
d’inspiration libérale, tentaient de favoriser l’initiative privée dans la construction. Comment
ceci se traduisit-il au niveau du budget de l’État et dans le secteur social ?
II)
Le désengagement de l’Etat dans le domaine de la
construction
244
« CFDT : dans 15 ans, les logements ne trouveront plus preneur parce qu’inadaptés au niveau de vie moyen »,
LM, 11/02/1970, p.29, La vie économique, construction.
245
Jean Bastié, « Les méfaits du laisser faire », LM, 11/02/1970, p.17 Libre opinion.
246
Dans « Le PSU et l’urbanisme, M. Rocard : M. Chalandon exprime à merveille la politique que nous
combattons » LM, 8 et 9/03/1970, p. 8, Politique : PSU rendait compte du fait qu’il existe une nouvelle forme
« d’exploitation capitaliste : la vie urbaine qui attaquait la dignité humaine ». Il dénonçait les constructions
sociales insuffisantes, et les équipements sociaux et culturels sacrifiés à des réalisations plus rentables. « Il y
[avait] de quoi ouvrir un nouveau front de lutte des classes », ajoutait M. Rocard, qui voulait « attaquer ce
système qui [produisait] des villes invivables, parce qu’il était guidé par la recherche de bénéfices et non par le
désir de satisfaire les hommes ». Le PSU voulait lancer une campagne d’action avec le soutien de la ligue
Communiste, d’Objectif 72, LO, entre autres groupements politiques qui lui avait apporté son soutien. PS n’avait
pas manifesté d’intérêt particulier pour leur cause et le PSU avait engagé des discussions le avec le PC.
247
« Les dérogations non approuvées par les plans d’urbanismes devront être interdites, affirme M. Chalandon. »
LM, 19 et 20/03/1972, p.16 équipement et régions.
70
En septembre 1970, M. Vivien, assurant que le logement n’était pas un secteur
sacrifié, rappelait que les lignes de la politique du logement du gouvernement étaient une
meilleure adaptation de la construction aux besoins et la baisse des coûts de production tout
en donnant plus de responsabilités aux constructeurs. Selon lui, le rythme de la construction
de logements HLM était satisfaisant car ce secteur représentait 35% de la construction totale
en 1969. Il souhaitait d’ailleurs revoir les objectifs des organismes d’HLM tout en
modernisant leur structure de production. La priorité était donnée aux programmes de
logements sociaux les plus modestes, les PLR248. Ainsi, il ajoutait que l’effort dans le domaine
du logement était continu et que « l’aide de l’État [représentait] encore plus de 75% de
l’effort de construction, alors qu’elle [n’avait] cessé de décroître à l’étranger »249.
M. Chalandon, quant à lui, assurant que quelques soient les ressources de l’État mises
à disposition du secteur aidé de la construction, elles ne seraient jamais à la mesure des
besoins nationaux en matière de logement. La vraie solution résidait selon lui dans une
meilleure utilisation des ressources nationales, peu lui importait la nature de l’organisme
constructeur, tant que l’on aboutissait à un nombre de logements construits satisfaisant aux
besoins. Les ressources de l’État allaient donc être utilisées au mieux, à savoir être tournées
vers les ménages les plus défavorisés, pour finalement permettre un désengagement de la
puissance publique de la construction et laisser la place au secteur privé.
A) Étude des budgets du ministère de l’Équipement et du
Logement de 1969 à 1972 :
Comme nous l’avons souligné auparavant, le Vème Plan n’avait pas réussi à atteindre
l’objectif de 480 000 logements terminés en 1970. On peut aussi le voir grâce au tableau cidessous recensant les logements terminés par catégorie entre 1969 et 1971 (tableau n°1). Par
ailleurs, le relais des capitaux publics par les capitaux privés qu’avait prévu ce même Plan
n’avait pas obtenu les résultats escomptés. En effet, il était prévu l’achèvement de 160 000
logements non aidés en 1970, le tableau recensant le nombre de logements terminés de 1969 à
1971 encore une fois montre que ce ne fut pas le cas. En effet, le développement du
financement privé250 de la construction, spectaculaire jusqu’en 1969, fut en 1970 marqué d’un
certain tassement : la construction était en 1969 financée à 50,8% par le privé, contre 46,7%
en 1970.
Sur la période, on observe de façon globale une augmentation du nombre de logement
terminés (tableau n°1). Cependant, aux vues des débats parlementaires sur les crédits du
ministère de l’Équipement et du Logement, les députés déploraient de façon générale la baisse
des financements pour le secteur de la construction sociale, surtout pour les HLM locatives, et
un désengagement de l’État dans le secteur de la construction ainsi qu’un décalage de plus en
plus important entre l’offre et la demande de logements sociaux dans certaines villes,
notamment et surtout en Région parisienne251. Comment expliquer ce décalage ?
248
Programme à loyer réduit
Intervention du secrétaire d’État à Limoges, le 14/09/1970, dans « M. Vivien : « le logement n’est pas un
secteur sacrifié » », LM, 16/09/1970, p. 29, actualité économique et sociale, construction
250
Financement des banques, établissements financiers dont le rôle s’était accru dans le secteur immobilier,
développement des crédits à court et moyen terme et mise en place du marché hypothécaire.
251
Michel Boyer, « Dans la Seine-Saint-Denis, le décalage s’accentue entre l’offre et la demande de logement
sociaux » LM, 28/04/1970, p.10, Région parisienne ; Jean Tournouer, « Questions d’actualité au palais
Bourbon » LM, 8/05/1970 p.8, politique ; « Les Sociétés Anonymes d’HLM déplorent le retard de la
construction sociale », LM, 13/03/1970, p.21, l’actualité économique, logement.
249
71
Sachant que les constructions autorisées mettaient en moyenne deux ans à être
construites dans ces années-là, le tableau montrant le nombre de logements terminés n’est
plus valable pour appréhender la politique mise en place par le gouvernement ChabanDelmas. En effet, les logements terminés en 1969 avaient été lancés en 1967 (en moyenne). Il
est donc plus explicite d’observer les mises en chantier de logements entre 1969 et 1973
(tableau n°2) pour comprendre ce dont l’opposition, mais aussi les organismes d’HLM,
accusait le gouvernement. Alors les chiffres sont bien différents et permettent de mettre en
valeur la baisse que subissaient les HLM locatives, ainsi que la forte hausse des constructions
dans le secteur privé (non-aidé) du moins jusqu’en 1971. Les HLM en accession à la propriété
dès 1969 sont en augmentation constante. D’ailleurs, M. Chalandon ne cachait pas sa volonté
de réduire la construction sociale : il fallait selon lui « sacrifier le nombre de logement à leur
qualité sociale »252, c’était-à-dire, construire et réserver les logements sociaux aux classes les
plus défavorisées et faire en sorte que tout le monde puisse devenir propriétaire.
En réalité, si les budgets du ministère de l’Équipement et du Logement avaient été
fortement augmentés au cours de l’année 1970 et pour l’année 1971, c’était dans le cadre de
la politique de résorption de l’habitat insalubre et des bidonvilles. Pour les années allant de
1971 à 1973, le principal effort sur lequel allaient se focaliser les ressources budgétaires du
ministère était le développement des infrastructures, notamment routières et des équipements
collectifs, pour permettre d’augmenter le nombre de terrains disponibles à la construction
privée, et non pas la construction de logements en elle-même.
Les programmes PSR253 et PLR254, plus fortement financés par l’État que d’autres
programmes de logements sociaux, furent mis en avant en 1970 et 1971 surtout (ils furent
programmés respectivement à hauteur de 5 000 et 35 000 logements pour 1971 puis 5 000 et
13 000 pour l’année 1972) au détriment d’autres programmes. Les augmentations budgétaires
dont se targua le gouvernement pour l’année 1972 (plus quatre pourcent par rapport à 1971) et
pour l’année 1973 (en vue des élections législatives qui s’annonçaient, les parlementaires
furent généreux en matière budgétaire) compensèrent surtout la hausse du coût de la
construction bien qu’elles permirent d’augmenter quelque peu le nombre de logements prévus
à être financés par l’État255.
252
Gilbert Mathieu, « Le budget de la construction, des choix courageux s’imposent pour le VI ème Plan », LM,
14/11/1969, p.21, La vie économique.
253
Programme social de relogement
254
Programme à loyer réduit
255
« La construction de 415 000 logements sera aidée par l’État en 1973 », LM, 6/07/1972, p.32, la vie
économique, budget.
72
Tableau n°1 : comparatif des logements terminés entre 1969 et 1971 :
année
type de logement (en milliers)
1969
1970
1971
HLM locatives
121
121,3
128,6
HLM en accession
30
34,1
38,5
secteur non aidé
99
101,4
104
total (dont logements primés ou bénéficiant de
prêts du Crédit foncier et autres catégories
d’HLM)
427
455
475,7
Tableau n°2 : comparatif des mises en chantier entre 1969 et 1971 :
année
type de logement (en milliers)
1969
1970
1971
1972256
1973257
HLM locatives
132
118
117,8
102
105
HLM en accession
35
37,4
47,7
40
50
Logements du secteur non aidé
73,8
122,9
132,5
117
40
40
18
481,7
518,9
520
Programmes PLR et PSR
total (dont logements primés ou bénéficiant de
prêts du Crédit foncier et autres catégories de
logements de type HLM)
258,7
15
Sources : Le Monde 6/07/1972, p.32, la vie économique budget, la construction de 415 000 logements sera aidée
par l’État en 1973 ; L’année politique 1969, 1970, 1971, 1972 (partie documentaire).
256
257
Prévisions en juillet 1972
Dans le projet de budget pour 1973
73
B) Le VIème Plan ou comment moderniser la France sans le BTP
Le VIème Plan fut le premier document de planification qui ne fut pas considéré comme
contraignant mais aussi le dernier (Valérie Giscard d’Estaing abandonna la planification).
Définissant les politiques à mettre en œuvre pour la croissance économique de la France sur la
période 1971-1975, il fut « l’ossature du dessein modernisateur qui [sous-tendait] la politique
d’expansion du tournant des années 1970 »258. Le Premier ministre indiqua d’ailleurs qu’il
serait « la charte du développement économique et social de la France »259. Les mois de mars
à mai 1971 furent riches en commentaires autour du Plan car le gouvernement l’adopta
définitivement à la fin du mois d’avril260 et le Parlement l’approuva par la loi n°71-567 du 15
juillet 1971 (portant approbation du VIème Plan de développement économique et social).
Le VIème Plan cherchait à développer l’industrie, dans la lignée de la volonté du
Président Pompidou261, avant toute autre préoccupation, même avant le logement malgré les
besoins urgents. Il allait tenter de faire en sorte que les Français soient plus nombreux à se
tourner vers ce secteur en y améliorant les conditions de travail, et ainsi diminuer le recours à
la main-d’œuvre étrangère tout en évitant à la France d’avoir un secteur tertiaire trop
important car, selon certains experts, un secteur des services trop considérable pouvait avoir
des conséquences inflationnistes sur l’économie. Ainsi, il fallait assurer la croissance du
SMIC (la formule retenue fût : faire en sorte qu’il n’y eût pas de distorsion entre l’évolution
du SMIC et celle du « progrès de l’économie ») mais aussi développer le travail des femmes
car celles-ci pouvaient représenter une main-d’œuvre non qualifiée peu coûteuse. Par ailleurs,
il prévoyait de diminuer les impôts pour les ramener à environ 20% du PIB, ce qui supposait
un ralentissement de la croissance des charges publiques (les subventions aux entreprises
publiques allaient être diminuées, de même que les créations de postes de fonctionnaires et
enfin, les aides aux personnes devaient être revues pour cibler plus précisément les ménages
les plus défavorisés) 262.
En matière de logement et de cadre de vie, le Plan prévoyait la construction de
560 000 équivalents-logements263 en 1975, soit en moyenne 510 000 logements construits
chaque année (dont au minimum 315 000 logements sociaux) et 540 000 logements achevés
en fin de Plan ainsi que l’amélioration de 210 000 logements par an. Par ailleurs, l’action de
réduction de l’habitat insalubre devait être poursuivie à un rythme accru, le but étant de
reloger 15 000 personnes par an en multipliant les cités de transit et en réservant des HLM et
les logements les plus aidés aux ménages les plus défavorisés le plus strictement possible. Il
envisageait aussi de donner des moyens juridiques et financiers aux communes pour accroître
les espaces verts. La construction de stations d’épuration et la mise en place d’un schéma
national de ramassage et de retraitement des ordures étaient aussi prévus264.
258
M. Bertrand Blancheton, professeur de sciences économique à l’Université Montesquieu-Bordeaux 4, et M.
Hubert Bonin, professeur d’Histoire économique à l’IEP de Bordeaux de (Centre Montesquieu d’histoire
économique-IFReDE-Université de Bordeaux 4), Les objectifs et les résultats de la politique économique de
Chaban-Delmas, Premier Ministre (juin 1969- juillet 1972).
259
« Allocution du Premier ministre à la télévision. », LM, 30/04/1971 p.2.
260
Alain Vernholes, « Après d’ultimes mises au point demandées par M. Pompidou, le Conseil des ministres
approuve le texte définitif du VIème Plan (1971-1975) », LM, 29/04/1971, p.1 et 35.
261
« VIème Plan, Pompidou : c’est dans le domaine de l’industrie que l’effort le plus grand reste à faire », LM,
16/04/1970, p.27, l’actualité économique et sociale.
262
Alain Vernholes, « Après d’ultimes mises au point demandées par M. Pompidou, le Conseil des ministres
approuve le texte définitif du VIème Plan (1971-1975) », LM, 29/04/1971, p.1 et 35.
263
Moyenne entre les logements mis en chantier et les logements terminés dans l’année.
74
Enfin, en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire le Plan rappelait
l’impérieuse nécessité de mettre fin à la pénurie de terrains urbanisables sans vraiment
proposer de moyens nouveaux (juridiques ou financiers) pour y parvenir, bien qu’il
envisageât le développement des infrastructures de transports dans ce but ainsi que
l’augmentation des moyens financiers des communes en vue de faire des réserves foncières.
La procédure des ZAD265 fut améliorée, comme vu précédemment, ainsi que la desserte des
banlieues des grandes agglomérations. Enfin, il indiquait que la Région parisienne resterait
l’un des principaux supports de l’industrie française tout en formulant le souhait de modérer
sa croissance démographique. L’industrialisation de l’ouest du pays restait un objectif
primordial (Bretagne et Sud-ouest), tout comme celui du centre de la France. Les industries
demandant beaucoup de main-d’œuvre allait être dirigées vers ces régions266.
Le VIème Plan reçut de nombreuses critiques, en premier lieu parce qu’il était considéré
comme ayant un caractère trop général et ne comportant pas d’indications suffisamment
précises sur les mesures et les moyens à mettre en place pour atteindre les objectifs fixés267.
Ce n’était qu’un « plan de route », et pour cause : selon Antoine-Pierre Mariano, Valérie
Giscard d’Estaing (VGE) ne croyant pas au Plan, « son équipe [avait] passé de longues
heures à défaire ce que le Commissariat au Plan et Matignon avaient élaboré. Le texte du
Plan [avait] été passé au peigne fin et l’on [avait] gommé plusieurs dizaines de chiffres et de
nombreux paragraphes que le ministère des Finances jugeait trop dangereux. Giscard [avait]
gagné cette bataille du Plan en ce sens qu’il [avait] réussi à en faire un recueil d’idées
générales, qui n’hypothèqueraient en rien l’avenir »268.
Le Conseil Consultatif Économique et Social (CCES) déplora « le manque d’esprit
volontariste qui seul [aurait permis] de mettre en œuvre les options retenues en 1970 lors du
débat sur la préparation du VIème Plan »269 en ajoutant que le Plan était un recul par rapport
aux options qui avaient été auparavant proposées. Selon lui, au vu des besoins nouveaux et de
l’ampleur de la vétusté des logements, l’objectif de 565 000 équivalents-logements était un
minimum irréductible. Il insista par ailleurs sur la nécessité de mettre en œuvre une politique
foncière sur les sols urbanisables et d’assurer des prix d’acquisition et d’aménagement le plus
bas possible (coûts de construction, frais annexes, éviter la spéculation sur le prix du sol,…).
En dehors de la réforme de la procédure ZAD, aucune autre mesure de maîtrise des coûts
n’était en effet proposée. Certains membres du CCES, à l’instar de M. Cusin (activités
diverses), jugeaient : « contradictoire l’idée de Plan et le libéralisme débridé dont il fait
preuve ». En conclusion de son avis sur le Plan, certains membres du Conseil économique
souhaitaient faire figurer un amendement (qui fut finalement repoussé) indiquant que « le
VIème Plan [était] entaché de grandes incertitudes, qui [rendaient] aléatoires les finalités
sociales et humaines du développement économique ».
La commission de l’habitation au Plan, quant à elle, indiquait qu’il y avait un besoin
de construction dans le secteur le plus social pour les ménages les moins solvables. Selon elle,
la volonté du gouvernement de réserver l’aide de l’État aux plus défavorisés ne pouvait
264
Alain Vernholes, « Après d’ultimes mises au point demandées par M. Pompidou, le Conseil des ministres
approuve le texte définitif du VIème Plan (1971-1975) », LM, 29/04/1971, p.1 et 35.
265
ZAD
266
Alain Vernholes, « Après d’ultimes mises au point demandées par M. Pompidou, le Conseil des ministres
approuve le texte définitif du VIème Plan (1971-1975) », LM, 29/04/1971, p.1 et 35.
267
« Le Conseil économique a adopté le projet d’avis de M. Milhau », LM, 29/05/1971, p.40.
268
Antoine-Pierre Mariano, éditorialiste au journal Le Figaro, ouvrage Métamorphose de l’économie française,
1963-1973, Paris, Arthaud, p. 267, dans Les objectifs et les résultats de la politique économique de ChabanDelmas, Premier Ministre (juin 1969- juillet 1972) déjà cité.
269
« Le Conseil économique s’inquiète du manque d’esprit volontariste du projet gouvernemental », LM,
22/05/1971, p.32, VIème Plan.
75
seulement passer par la réforme des aides au logement et le développement des seuls
programmes PLR et PSR, car le secteur immobilier était bouché et, si les classes moyennes
occupaient encore des HLM, c’était parce que les logements de plus haut de gamme
manquaient ou étaient encore trop chers. Par ailleurs, on estimait que 1972 marquerait le
début l’apogée démographique de la France : les jeunes nés dans les années d’après guerre
allaient se marier et déferler sur le marché du logement à hauteur de 50 000 ménages par an
environ. Elle préconisait alors d’accroître le nombre d’HLM prévu dans le budget de 1972 et
d’appliquer plus rigoureusement les plafonds de ressources et les surloyers (voire, en
introduisant la notion de « sous-loyer » pour les ménages les plus défavorisés). Par ailleurs,
elle demandait l’augmentation de 1,8% du nombre de logements achevés en 1975 (soit
520 000 au lieu de 510 000, dont 330 000 logements sociaux au lieu de 315 000) et une
différentiation selon les revenus pour les attributions d’aides. Elle recommandait au
gouvernement d’être plus soucieux de l’affectation des crédits (en supprimant les aides qui
n’étaient plus socialement utiles pour reporter les fonds ainsi dégagés sur d’autres opérations).
Pour réformer le Crédit foncier, elle proposait la suppression des primes à la construction sans
prêt et d’augmenter de 20% le volume des prêts spéciaux. La commission préconisait aussi,
entre autres, la décentralisation de la politique sociale et du logement, la suppression des
catégories d’HLM qui pouvaient être cause de ségrégation (les programmes les plus sociaux
type PLR, PSR)270.
Enfin, son rapport de mars 1971 concluait en soulignant l’impuissance du marché à
assurer le financement privé du logement à des conditions satisfaisantes, l’État devait
introduire plus de concurrence dans le secteur bancaire pour faire baisser le coût du crédit
immobilier (en effet, certaines banques pratiquaient des taux de 12% pour les prêts
immobiliers alors que sur des engagements plus risqués, comme les prêts à l’investissement
des entreprises ou des commerçants, elles ne demandaient que des taux de 8 à 10%)271.
Malgré ces remarques, le Gouvernement hésitait à prendre des mesures fermes dans le
Plan qui auraient pu se révéler impopulaires, telles que l’impôt foncier, ou encore la
suppression de certaines aides comme le préconisait la Commission de l’habitation au Plan.
Comme nous l’avons vu, le logement social baissa dans les budgets successifs dans le but de
les réserver aux classes défavorisées.
C) « Tourner l’aide de l’État vers ceux qui en ont le plus
besoin », le logement social
Dès 1969, cette idée est l’un des chevaux de bataille annoncés par le gouvernement272
dans la déclaration de politique générale de M. Chaban-Delmas. En effet, le budget accordé
au ministère de l’Équipement et du Logement étant volontairement faible, dans le but de
laisser la place au secteur privé de la construction (malgré l’échec connu de cette logique
depuis la fin du Vème Plan), il ne devait plus servir qu’à aider les couches les plus défavorisées
de la population. Cela ne devait pas seulement passer par une aide aux constructeurs privés
mais aussi par une refonte des organismes publics d’HLM, qui fut facilitée par le scandale des
HLM vides et des plaintes contre des coopératives d’HLM273, le développement des
programmes de construction les plus sociaux et la révision de l’allocation logement.
270
« L’aide de l’État au logement doit varier en fonction des revenus, affirme le nouveau rapport de la
commission de l’habitation », LM, 24/03/1971, p.36, le VIème Plan
271
« L’aide de l’État au logement doit varier en fonction des revenus, affirme le nouveau rapport de la
commission de l’habitation », LM, 24/03/1971, p.36, le VIème Plan
272
« La Déclaration du Premier Ministre à l’Assemblée nationale », LM, 18/09/1969, p.2-3.
273
« À la suite de plaintes les Conseils d’Administration de deux importantes coopératives d’HLM sont
suspendus », LM, 21/05/1970, dernière page. (Ils avaient commis des fautes de gestion).
76
1) La réforme des organismes d’HLM
La loi Loucheur de 1928 consacrait l’intervention de l’État dans le domaine de la
construction sociale. Elle visait avant tout à développer ce que l’on appelle aujourd’hui
l’accession sociale à la propriété puisqu’elle programmait sur cinq années la construction de
260 000 logements dont 120 000 en accession, 80 000 HBM, Habitation à Bon Marché, et
60 000 logements à loyer moyen274. La loi du 21 juillet 1950 transforma les HBM en HLM,
Habitat à Loyer Modéré. L’État fut rapidement contraint de limiter ses interventions dans le
domaine du logement social locatif et de rechercher des sources de financements
complémentaires. Ainsi, la loi du 8 mars 1949 permit à l’État de bonifier les prêts privés
consentis aux HLM (les prêts de la Caisse des Dépôts et consignations et des Caisses
d’épargne), la loi Minjoz du 24 juin 1950 autorisa les Caisses d’épargne à prêter aux
organismes une partie du surplus de la collecte du livret A et des retours de prêts. En 1952, les
primes et les prêts du Crédit foncier furent ouverts aux sociétés anonymes d’HLM. Le 9 août
1953, fut instaurée la participation des employeurs à l’effort de construction (« le 1%
patronal »). Enfin, en 1954, l’État diminua de deux à un pourcent le taux d’intérêt des prêts du
Trésor aux HLM en en réduisant la durée de 65 à 45 ans avec un différé d’amortissement et
une remise totale d’intérêts pendant trois ans275.
Une étude menée sur les HLM neuves louées entre le premier juillet 1968 et le trente
avril 1969 dans les villes de plus de 20 000 habitants, avait montré 3 476 logements HLM,
dans différentes régions de France, n’étaient pas loués276. Dans un contexte de crise aigüe du
logement cette affaire ne passa pas sous silence. M. Vivien tenta une première explication en
disant que ces HLM avaient été construits en trop dans des endroits dont le développement
économique avait été surestimé et de fait, on y avait construit plus de logements que ce dont
nécessitait la population. Cette improbable raison ne convînt évidemment pas : pour exemple,
le Nord-Pas-de-Calais, région dans laquelle les conditions de logements étaient loin d’être les
meilleures et où les besoins étaient très importants, avait pourtant 789 logements HLM
vacants. M. Chalandon expliqua cette anomalie par le fait que les logements HLM vides
étaient trop chers par rapport à la solvabilité des ménages277. Par ailleurs, certains organismes
d’HLM furent dissouts au cours de l’année 1970 pour des raisons financières et de mauvaise
gestion278. D’ailleurs, le rapport annuel de la cour des comptes en juillet 1970 dénonça des
malfaçons dans les constructions d’HLM et les nombreux retards qui perturbaient leur
construction279.
Le ministre de l’Équipement et du Logement reprochait aussi à certains organismes
d’HLM de ne pas être assez performant (dans le nombre de logements construits et gérés).
274
Le logement social, Michel AMZALLAG et Claude TAFFIN, Paris : Ed. LGDJ - EJA, coll. "Politiques
locales", janvier 2003, p.58
275
Michel AMZALLAG et Claude TAFFIN, Le logement social, Paris : Ed. LGDJ - EJA, coll. "Politiques
locales", janvier 2003, p.58
276
334 HLM en Aquitaine, 200 HLM en Auvergne, 78 ILN en Bretagne, 200 ILM à Orléans, 450 HLM en
Champagne-Ardenne, 54 HLM en Franche-Comté, 292 HLM en Languedoc, 180 en Lorraine, 789 HLM dans le
Nord-Pas-de-Calais, 773 HLM et ILM en Rhône-Alpes. Les ILN étaient des immeubles à loyer normal c'est-àdire correspondant à ce que pouvait construire le secteur privé mais faits par des organismes d’HLM. Les ILM
étaient des immeubles à loyer moyen, à savoir des immeubles de qualité et de loyer intermédiaire entre les HLM
et les ILN. « Le Sénat s’inquiète des répercussions de la politique financière sur le logement », LM, 30/10/1969,
p. 10, Politique, et Gilbert Mathieu, « Le budget de la construction, des choix courageux s’imposent pour le VIème
Plan », LM, 14/11/1969, p.21, La vie économique.
277
« Le Sénat s’inquiète des répercussions de la politique financière sur le logement », LM, 30/10/1969, p. 10,
Politique.
278
« Les offices HLM de la région Parisienne approuvent les mesures prises à l’encontre de deux d’entre elles »,
LM, 24/05/1970, p.26, La vie économique, région
279
« Le rapport annuel de la cour des comptes », LM, 8/07/1970, p.25.
77
Enfin, il leur était aussi reproché de rechercher la rentabilité au détriment du caractère social
des logements (par le biais de la pratique de surloyers, ce qui avait pour conséquence la
rétention des logements HLM par des ménages dont les revenus dépassaient les plafonds et
donc supposés avoir les moyens de se loger autrement), et donc de ne pas remplir
véritablement la tache sociale qui leur était attribuée : loger les ménages les plus défavorisés,
qui, du fait aussi de leur insolvabilité, étaient obligés de se loger dans des habitats
inconfortables ou surpeuplés. On avait construit des logements HLM trop grands et trop chers
par rapport aux besoins de la population280. Selon la conception que s’en faisait M.
Chalandon, le logement social devait être un logement comme les autres, donc de qualité,
mais il devait être aussi social à savoir accessible aux plus modestes (bon marché), donc
financé par l’État et grâce aux efforts fait pour baisser les coûts de construction 281. Il
préconisait donc, et encore une fois, une « baisse des prix par une baisse des coûts », en
bloquant les prix plafonds des HLM, regroupant les commandes et en incitant les
constructeurs à s’organiser au mieux, même s’il fallait en passer par la réduction de l’aide de
l’État envers ceux qui ne construisaient pas de façon assez économe282.
La loi du 16 juillet 1971, relative aux habitations à loyer modéré et portant réforme du
code de l’urbanisme et de l’habitation, créa les offices publics d’aménagement et de
construction (OPAC), des établissements publics à caractère industriel et commercial. Ils
avaient pour but de réaliser des opérations d’urbanisme et de constructions répondant ou non
aux normes des HLM. Elle tentait aussi de réformer l’appareil de production dont les coûts
étaient considérés excessifs en sélectionnant les organismes HLM les plus performants (ceux
qui géraient moins de 1 500 logements, avaient construits moins de 500 logements et accordé
moins de 300 prêts pendant une période de dix ans à compter du 31 décembre 1961,
pouvaient être dissouts283) et en les mettant en concurrence grâce à l’extension de leurs
compétences : ils pourraient aller travailler partout et non plus se cantonner à un périmètre
défini. La loi devait en outre leur permettre de mieux assumer leurs responsabilités en leur
permettant un comportement plus proche de celui des industriels, en supprimant le contrôle a
priori, et en allégeant la tutelle (exercée par les ministres de l’Économie et des Finances et de
l’Équipement et du Logement) a postériori et, enfin en leur donnant la possibilité de
construire toute sorte de logement et non plus seulement des logements aidés284.
Pour M. Barbet (P.C.), cette loi était un moyen pour le gouvernement de se désengager
en matière de logements sociaux et de démanteler les offices publics d’HLM. M. Chauvet
(UDR) estimait, quant à lui, que ce nouveau texte rendrait impossible l’action des sociétés
coopératives d’HLM285.
Par ailleurs, M. Chalandon, qui avait demandé aux constructeurs privés de « faire du
social »286 fut exaucé : pour exemple, 35 constructeurs privés de la Région parisienne se
regroupèrent en un groupement d’intérêt économique des constructeurs-promoteurs de la
Région parisienne (CGP) en 1970, et reprirent une société d’HLM en affichant l’objectif de
construire 500 000 logements par an à Paris et dans sa banlieue. Ils espéraient par ailleurs
280
Jacques Tournouer et N.J. Bergeroux, « Questions d’actualité au Palais Bourbon », LM, 31/05/1970 et
1/06/1970 p.8, Politique
281
Idem.
282
Idem.
283
loi n° 71-580 du 16/07/1971 relative aux habitations à loyer modéré modifiant le code de l’urbanisme et de
l’habitation, JORF du 17/07/1971, p. 7055.
284
Jacques Tournouer, « L’Assemblée nationale est saisie de douze textes sur la construction et l’urbanisme, le
projet relatif à l’allocation de logement a été approuvé », LM, 12/06/1971, p.10-11.
285
Idem.
286
« Au congrès de Vittel, M. Chalandon conseille aux promoteurs de « faire du social » » LM, 6 et 7/06/1971,
p.20, la vie sociale et économique, construction.
78
pouvoir bénéficier de dérogations pour ce faire. Divers établissements bancaires, compagnies
d’assurance et organismes collecteurs du 1% patronal participaient aussi à l’opération. En
affichant un intérêt pour le secteur social et sa capacité à faire de « l’urbanisme clé en main »,
le groupe souhaitait avant toute chose se voir confier un rôle de chef de file pour de nombreux
projets encore à l’état de gestation en Région parisienne, comme par exemple l’aménagement
de l’aéroport du Bourget, et était déjà associé aux études et à l’aménagement d’un secteur
d’urbanisation dans la Vallée de la Marne visant à construire 100 000 logements (entre Noisyle-Grand et Lagny)287. Le but de toute entreprise étant de réaliser des profits, était-il
raisonnable de penser que des promoteurs privés pouvaient, mieux que l’État, réaliser des
logements sociaux ?
2) Le développement des programmes PSR et PLR
Après un regroupement progressif aboutissant à la création d’une catégorie unique de
logements sociaux locatifs, les HLMO (HLM ordinaires), à la fin des années 1950, les PSR,
Programmes Sociaux de Relogement, apparurent en 1961. Ils étaient destinés à faciliter la
rénovation urbaine (les terrains étaient apportés par les collectivités locales) et étaient
financés par des prêts du Trésor à 0% sur 53 ans. Les conditions de financement du
programme PSR furent réformés en 1968, il bénéficia dès lors de prêts d’une durée de 45 ans
à un taux de 1%, et d’un différé d’amortissement ainsi que d’une remise totale d’intérêts
pendant trois ans288. Pour les locataires les plus modestes, les PLR, Programme à Loyer
Réduit, furent créés en 1968289. Les PLR, bénéficiaient de prêts à 1% sur 45 ans290 sur 95% de
leur prix de revient291 (contre un prêt de 2,6% sur une période de 40 ans pour les HLM
classiques). Leurs normes étaient identiques à celles des HLM ordinaires et, en 1969, leur
prix-plafond furent abaissé de 10 à 12% par rapport à celui des HLM ordinaires (qui eux
même avaient été abaissé à la même période de 5% mais qu’il avait fallut réévaluer en 1970 et
en 1971 du fait de la hausse des coûts des matériaux conséquents à la dévaluation). Les
budgets de 1970 à 1972, comme nous l’avons vu, avaient été largement amendés en nombre
de programmes PLR et PSR à accorder.
Les logements du programme PLR avaient un loyer inférieur de 20 à 30% en moyenne
aux HLM ordinaires. La ZUP de Surville à Montereau en Seine-et-Marne292, construite entre
1969 et 1971, fut montrée par M. Vivien comme un exemple du genre. Ici avaient été
construit 237 PLR dont les habitants semblaient satisfaits. Le loyer pour un appartement de
trois pièces était de 190 francs (au lieu de 250 pour un logement HLM classique), la
mécanisation de la construction avait permis de compresser les coûts. Cependant les
architectes craignaient de ne pouvoir faire mieux, surtout en Région parisienne, du fait des
coûts des terrains en particulier. Dans cette zone avaient aussi été construits des logements
expérimentaux dont la taille et la forme était prédéfinies mais dont les cellules, à l’intérieur du
logement, pouvaient être aménagées selon la volonté des locataires. Ce type d’appartements
adaptables, construits avec les prix-plafonds ILN (Immeuble à Loyer Normal, catégorie la
plus haute des logements HLM), avaient aussi été fortement préconisés par le ministre de
287
« Des constructeurs privés vont construire des HLM en Région parisienne », LM, 19/02/1970, dernière page.
L’année politique 1969, p.387, partie documentaire, le financement du secteur HLM.
289
Michel AMZALLAG et Claude TAFFIN, Le logement social, Paris : Ed. LGDJ - EJA, coll. "Politiques
locales", janvier 2003, p.58
290
Michel AMZALLAG et Claude TAFFIN, Le logement social, Paris : Ed. LGDJ - EJA, coll. "Politiques
locales", janvier 2003, p.58
291
L’année politique 1969, p.387, partie documentaire, le financement du secteur HLM.
292
« Le loyer d’un trois pièces est de 190 francs par mois dans une HLM à loyer réduit (PLR) » et « PLR = HLM
+ ou – Epsilon ? », LM, 13/05/1970, p.29, Dans le monde des affaires, à Montereau.
288
79
l’Équipement et du Logement dans le but de rompre avec la monotonie des grands ensembles
et de s’adapter aux besoins des ménages.
Photographie de la ZUP de Surville, Montereau, Seine-et-Marne (77)293
En règle générale, plus les aides de l’État étaient importantes sur des programmes de
logements sociaux, moindre était la qualité de ces dits logements. Les logements de ces
programmes, furent largement critiqués comme étant un retour en arrière dans les normes
d’habitation. Une commission d’étude du Plan à l’Assemblée nationale, dont faisait partie M.
Claudius-Petit, s’était notamment penchée sur la question. Dans un rapport rendu en juillet
1970, cette commission avait souligné que dans les années 1962 à 1965 était né l’espoir que la
pénurie pourrait se résorber, et que les efforts, alors tournés vers la quantité, pourraient de
plus en plus prendre en compte la qualité des logements. « On peut mesurer la fragilité de cet
espoir quand on considère les étapes suivantes et en particulier la toute dernière : pour
construire plus vite et à meilleur marché les normes ont été réduites, comme c’est le cas pour
les programmes sociaux de relogement. Il est vain de penser que les logements construits à la
hâte [en ce jour], et acceptés sous la pression de l’urgence correspondront aux exigences du
grand nombre dans vingt ans294 », disait ce rapport. Il concluait sur une note prophétique :
« l’inadaptation radicale des conditions de logement à ce que pourrait être, dans vingt ans, la
vie quotidienne et les échanges sociaux des habitants des villes françaises, provoquera une
nouvelle crise dont les formes peuvent être variées et plus ou moins explosives ; libre à
chacun d’en imaginer les conséquences politiques, économiques ou sociales selon qu’elle
pourrira ou qu’elle explosera.295 »
1) L’allocation logement et la révision du 1% patronal
Principalement porté par Matignon et par M. Vivien, la réforme de l’allocation
logement visait à étendre le nombre d’allocataires, qui était de 1 114 000 en février 1970, à
900 000 personnes supplémentaire, en ciblant en particulier les jeunes travailleurs, les
infirmes et les personnes âgées296. Pour cela il fallut en réviser les conditions d’attribution
mais aussi les conditions de financement.
Le « 1% patronal », selon la loi du 28 juin 1963, était une cotisation patronale de 1%
de la masse salariale servant à financer la construction de logements, pour les entreprises d’au
293
Site internet marne-et-seine.skyrock.com/3.html.
« « Il faut accepter de donner la priorité à certains besoins et à certains groupes », écrit un comité d’étude du
Plan », LM, 7/07/1970, p. 20, La vie économique, Logement.
295
Idem.
296
« M. Vivien : le nombre de bénéficiaires de l’allocation-loyer doit être quintuplé », LM, 11/02/1970, p.29, la
vie économique.
294
80
moins dix salariés. En réalité, elle n’était pas toujours versée par les entreprises à l’État car
celles qui participaient à l’effort de construction de logement (qui construisaient elles-mêmes
des logements ou en faisaient construire par des organismes de leur choix) en étaient
dispensées. A l’heure actuelle, le « 1% patronal » existe toujours en France, désormais à
hauteur de 0,45% de la masse salariale. Il permet de financer des prêts pour les primoacquéreur de logements. Dans la période qui nous concerne, cette cotisation, qui représentait
un total de 1,6 milliards de francs, et qui finançait le secteur de la construction aidé par l’État,
était principalement reversée aux CIL (Comités Interprofessionnels du Logement) qui la
recueillaient à hauteur de 60% environ et se chargeait de construire.
Le gouvernement Chaban-Delmas entrepris la réforme du « 1% patronal » en 1971 de
façon détournée. La loi, en date du 16 juillet 1971, relative à l’allocation de logement pour les
personnes âgées, les jeunes travailleurs de moins de 25 ans et les personnes handicapées,
instituait un « Fonds National d’Aide au Logement » financé en partie par une contribution
des employeurs. De fait, en son article 8, cette même loi réformait le 1% patronal en le
ramenant à 0,9% de la masse salariale à compter du premier janvier 1972, le reste servant à
financer l’allocation de logement ainsi instituée297. On annonça de fait la disparition d’environ
un dixième des CIL de France (ils étaient jusqu’alors 180 dont 70 en Région parisienne).
Les textes du sept novembre 1966 réglementant le 1% patronal furent aussi modifiés
pour éviter la dispersion de la collecte du 1% patronal. En effet, l’organisation et l’action des
CIL furent modifiées. D’une part, les CIL ne pouvaient plus accorder de subventions à des
personnes physiques ou morales298 et l’on restreint le nombre et la nature des organismes
auxquels les CIL pouvaient accorder des prêts : ils n’étaient accordés qu’à des sociétés dont
au moins trois quarts du capital était détenu par un organisme collecteur et des sociétés sous
contrôle, tenues de respecter un plafond de ressources pour la location des logements et de
mettre en place un surloyer si le plafond était dépassé. Ils ne pouvaient plus non plus prêter à
des sociétés privées pratiquant des loyers élevés. Ainsi, le Gouvernement souhaitait favoriser
le secteur de la construction sociale qu’il espérait réserver de façon plus stricte aux ménages à
bas revenus. D’autre part, dans leur organisation interne aussi les CIL se voyaient réformés,
désormais les salariés avaient la moitié des sièges dans les conseils d’administration : la
réforme instaurait une parité en nombre et en pouvoir entre les représentants des salariés et
des employeurs. Un commissaire du gouvernement était désormais nommé auprès des CIL
pour les contrôler. Cette réforme de l’organisation interne des CIL avait été décidée en
concertation avec le CNPF mais sans consulter les CIL eux-mêmes.
La diminution de la contribution patronale à l’effort de construction fut largement
dénoncée par de nombreuses organisations.
La CGT-FO dénonça cette loi qu’elle qualifia d’absurde : selon elle, l’amputation du
1% patronal allait avoir pour conséquence d’empêcher le financement d’environ 30 000
logements sur la durée du VIème Plan. De plus, elle visait à faciliter l’accession à un logement
pour certaines catégories de la population tout en diminuant le nombre de logements
construits pour eux.
L’Union Nationale Interprofessionnelle du Logement (regroupant les CIL et créée en
1968) dénonçait une « régression sociale » car cette loi allait avoir pour conséquence de
diminuer le nombre de logements construits. Ceci allait contre l’objectif d’industrialisation du
VIème Plan, qui devait être précédé de construction de logements car la croissance ne pouvait
se faire sans le secteur du BTP et sans logements pour les habitants. L’Union estimait que
cette réforme allait avoir pour conséquence la perte de 200 millions de francs pour l’année
297
298
Loi n° 71-582 du 16 juillet 1971 relative à l’allocation de logement, JORF du 17 juillet 1971, p.7061-7062,
Sociétés de construction
81
1972 (soit 1 250 millions pour la durée du Plan). Selon l’UNIL également c’était 30 000
logements sociaux qui ne seraient pas construits.
Même le Crédit foncier s’indigna. Il annonçait aussi que la construction de 30 000
logements (à hauteur de financement de 25 000 francs par logement) était menacée par la
réforme. Cette mesure visait aussi l’abandon du financement de 8 000 logements primables
non financés par le Crédit foncier, ainsi que l’abandon de l’amélioration de 15 000 logements
anciens. Par ailleurs, le financement à court terme des crédits pour l’acquisition de terrains et
des crédits d’accompagnement offerts par le Crédit foncier seraient rendus plus difficiles.
Malgré les discours indiquant la nécessité de créer des financements intermédiaires
pour la construction de logements, le gouvernement avait là, remis en cause une ressource
financière importante pour la construction. De fait, cette réforme allait dans le sens de la
libéralisation de la construction, qui ne devait plus être financée par des taxes mais par le
secteur financier. Les taxes allant alors se placer sur le plan de l’aide sociale aux plus
défavorisés.
82
CHAPITRE 4 : Le « nouvel urbanisme » (1970-1972)
Attaqué par les gauches299 dans la politique urbanistique qu’il menait jusqu’en 1970, le
gouvernement Chaban-Delmas, et surtout le ministère de l’Équipement et du Logement,
élabora une nouvelle doctrine d’urbanisme, énoncée en 1970 et définie comme étant un
« nouvel urbanisme ». M. Chalandon exposa sa doctrine : Ce n’était ni une « trop grande
licence de l’initiative privée, ni la démission de la puissance publique ». Il fallait, selon lui
réaffirmer le rôle de la puissance publique mais au niveau qui était le sien, à savoir la simple
définition des cadres juridiques. Le nouvel urbanisme devait tenter d’éviter « l’urbanisme de
classe », pour ne pas « revenir à la ségrégation du XIXème siècle », bien que celle-ci n’eût
toujours pas disparu. Son choix de politique foncière devait d’ailleurs aller en ce sens bien
qu’elle n’ait pas été adoptée.
Le « nouvel urbanisme », c’était aussi des centres urbains aux constructions denses et denses
en emploi, un tissu interstitiel moins intensément rempli, plus vert, avec des pavillons
individuels, les commerces nécessaires à la vie de chaque jour, des usines « vertes » sans
nuisance et des bureaux. Enfin, des zones vertes et des espaces boisés, « définitivement
réservés », sépareraient les zones constructibles entre elles300. Cette doctrine affirmait d’une
part la volonté politique du gouvernement de prendre en compte les questions
environnementales, autour desquelles était né, depuis « Mai 68 », un certain engouement dans
les élites intellectuelles. Engouement repris au niveau européen puisque l’année 1970 fut
déclarée par le Conseil de l’Europe « année européenne de la protection de la nature ». Elle
débuta par la Conférence européenne de la Conservation de la nature, organisée à Strasbourg
du 9 au 12 février 1970 qui institua la déclaration européenne de la protection de la nature
(adjointe à la Convention européenne des Droits de l’Homme) et créa un Fond européen de
lutte contre les pollutions. La France s’aligna, puisqu’en février 1970, fut créée une Direction
générale de la Protection de la Nature au sein du ministère de l’Agriculture et le sept janvier
1971, M. Robert Poujade fut nommé Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de
la Protection de la Nature et de l’Environnement.
M. Chalandon expliqua par la suite plus précisément les points saillants de son action
urbanistique et les enjeux du nouvel urbanisme ; il regroupait quatre « combats » : contre le
gigantisme, contre la congestion, contre la ségrégation sociale, contre l’ennui. « Contre le
gigantisme nous devons bâtir à l’échelle humaine. Cela veut dire que nous mettons l’accent
sur le développement des villes petites et moyennes. Lutte contre la congestion : il ne doit pas
y avoir plus de 150 000 habitants autour d’un centre ; au-delà il faut créer de nouveaux
centres. Le multicentrisme va dominer l’élaboration des schémas directeurs de nos villes de
demain. Les centres seront séparés par de vastes zones de verdures qui constitueront le
poumon des agglomérations. Lutte contre la ségrégation sociale : le multicentrisme empêche
qu’une partie de la population soit repoussée vers des communes-dortoirs. Lutte contre
l’ennui : il faut, d’une part, le cœur de la ville, avec la vraie ville, la rue vivante ; d’autre
299
Dans « Le PSU et l’urbanisme, M. Rocard : M. Chalandon exprime à merveille la politique que nous
combattons », LM, 8 et 9/03/1970, p. 8, Politique : PSU rendait compte du fait qu’il existe une nouvelle forme
« d’exploitation capitaliste : la vie urbaine qui attaquait la dignité humaine ». Il dénonçait les constructions
sociales insuffisantes, et les équipements sociaux et culturels sacrifiés à des réalisations plus rentables. « Il y
[avait] de quoi ouvrir un nouveau front de lutte des classes », ajoutait M. Rocard, qui voulait « attaquer ce
système qui [produisait] des villes invivables, parce qu’il était guidé par la recherche de bénéfices et non par le
désir de satisfaire les hommes ». Le PSU voulait lancer une campagne d’action avec le soutien de la ligue
Communiste, d’Objectif 72, LO, entre autres groupements politiques qui lui avait apporté son soutien. PS n’avait
pas manifesté d’intérêt particulier pour leur cause et le PSU avait engagé des discussions le avec le PC
300
Etienne Mallet, « Dans un document exposant sa doctrine, M. Chalandon affirme son désir de préserver les
espaces verts et d’éviter l’« urbanisme de classe » », LM, 4/07/1970, p.12.
83
part, à la périphérie les maisons individuelles, au contact de la nature. Le Gouvernement a la
volonté de tourner le dos à la politique des grands ensembles, gigantesques boîtes de béton
dans lesquelles chacun s’enferme tristement au retour du travail301. »
La prise en compte de l’environnement et du cadre de vie dans la définition des
schémas d’urbanisme, le développement de l’habitat pavillonnaire ainsi que des villes petites
et moyennes, la majoration du rôle de l’initiative privée dans le logement et, enfin, l’accession
à la propriété, voici les axes majeurs de la politique urbaine choisie par M. Chalandon.
Comment se traduisit cette doctrine « futuriste » dans les textes, dans les actes et dans
l’évolution du paysage urbain de la France ?
I)
L’accession à la propriété, objectif phare du gouvernement
L’adaptation de la production aux besoins exprimés, par une meilleure répartition des
programmes de construction sur l’ensemble du territoire et en favorisant le régime de
l’accession à la propriété et la construction de maisons individuelles, fut annoncée dès la prise
de pouvoir du Gouvernement302. Le développement des maisons individuelles était un bon
moyen pour lui de désengager l’État dans le domaine de la construction d’autant plus que,
selon Henri Lefebvre, urbaniste, « les nouvelles couches de petits propriétaires sont très
utiles à la classe au pouvoir, par exemple sur le plan électoral. Elles sont en fait nécessaires
à la stabilité de l’État »303.
A) Le développement des programmes de constructions
sociales visant à accéder à la propriété
En 1963, le nombre de foyers accédant à la propriété de leur logement ne représentait
que 9,3% de la population non agricole, en 1967, 1,6 million de familles avaient fait un
emprunt pour se loger soit 12% des foyers non agricoles selon l’INSEE. La catégorie sociale
accédant le plus à la propriété depuis 1963 était les ouvriers (38% et 47% pour les seuls
HLM), et 44% des propriétaires de logements anciens étaient également des familles
ouvrières (contre 8% d’employés et 11% de cadres moyens)304. La charge du logement dans le
revenu des ménages variait peu selon que l’on était locataire ou en court d’acquisition, mis à
part pour les logements neufs, pour lesquels il était moins cher d’être propriétaire ou en voie
d’acquisition (7,8%) que locataire (11,5%). Pourtant, l’accession à la propriété, valeur
républicaine s’il en était, était déjà certainement le rêve de toutes les classes sociales, et peutêtre même plus des classes les moins aisées, car la propriété était perçue comme un gage de
sécurité, un moyen de faire face aux aléas financiers, lorsque le futur semblait sombre : le
début des années 1970 marquèrent le début du chômage structurel (bien que le nombre de
chômeurs fût dérisoire).
Les premières mesures consacrant l’intervention de l’État dans le secteur de la
construction sociale visait principalement, comme nous l’avons vu, l’accession à la propriété,
avec le plan mis en place à la suite de la loi Loucheur de 1928. Les Sociétés de Crédit
Immobilier (SCI) travaillant avec les sociétés anonymes d’HLM, ouvertes par le biais de la loi
301
Jacques Tournouer, « l’Assemblée nationale est saisie de douze textes sur la construction et l’urbanisme, le
projet relatif à l’allocation de logement a été approuvé », LM, 12/06/1971, p.10-11.
302
« La déclaration du Premier ministre à l’Assemblée nationale », LM, 18/09/1969, p.2-3,
303
Michel Boyer, « La laborieuse naissance des maisons du concours Chalandon », LM, 31/03/1972, p.8
304
Michel Boyer, « Les ménages français qui achètent leur appartement y consacrent en moyenne 11,4% de leurs
revenus », LM, 27/01/1970, p.24, La vie économique, logement.
84
Ribot de 1908 et de cette même loi loucheur, avait permis à 500 000 personnes d’accéder à la
propriété jusqu’en 1969.
Selon le secrétaire général de l’Union des fédérations d’organismes d’HLM,
l’accession à la propriété était la meilleure solution dans « l’effort d’amélioration de l’habitat
populaire »305.
Comme nous l’avons fait remarquer précédemment, le budget de la construction
sociale dans le budget du ministère de l’Équipement et du Logement gonfla en matière de
logement HLM en accession à la propriété au cours de la période. Par ailleurs, M. Chalandon
voulait rendre effective la législation de 1965 permettant aux locataires de logements sociaux
d’acquérir leur logement, car jusqu’en 1970 très peu en avaient bénéficié. C’est ainsi qu’en
1970, les pouvoirs publics accentuèrent le caractère social des interventions de l’État dans le
domaine de l’accession à la propriété HLM, par la création des « HLMA 1970 ». Le régime
d’accession à la propriété HLM décidée en 1966 fut maintenu, mais le nouveau régime, plus
favorable, présentait des plafonds de ressources plus faibles par rapport au précédent, et des
prix de revient plus forts. Par ailleurs, il offrait un prêt plus important. La durée du prêt était la
même, 25 années, et le bénéficiaire profitait d’une remise d’intérêt de 2,5% du capital
emprunté pendant les cinq premières années, puis de 1% les cinq années suivantes306. En
1970, cette réforme devait s’appliquer à 17 500 logements, soit la moitié des logements HLM
en accession et en majorité pour des maisons individuelle. Elle visait à mettre en œuvre « la
mensualisation du logement », selon M. Chalandon, c'est-à-dire permettre aux familles
modestes d’accéder à la propriété en versant des mensualités environ égales à un loyer. Elle
réduisait aussi l’apport personnel et abaissait les prix-plafonds des HLM en accession à un
niveau environ égal à ceux des HLM locatives. Le prêt bonifié à 4,5% sur 25 années, avec des
annuités progressives, couvrait environ 90% du prix-plafond (contre 60% avec le régime de
1966). Ce nouveau régime visait aussi les maisons du « concours Chalandon307 » : les familles
ayant un revenu de 1 000 francs par mois pouvaient, en province, acquérir une maison sans
apport personnel et en ne versant que 80 francs par mois durant les cinq premières années
(100 francs les cinq années suivantes, 110 francs les quinze dernières) 308.
Ces mesures, spécialement tournées vers les classes populaires visait à les
responsabiliser en les rendant propriétaires mais aussi permettaient le désengagement de l’État
vis-à-vis du secteur social car, les organismes publics ou semi-publics, plus propriétaires de
ces logements, n’avaient plus besoin de prendre en charge leur gestion et leur entretien.
Cette volonté de rendre les Français propriétaires s’attaqua ensuite aux autres secteurs
que la construction sociale : la réforme du Crédit foncier de France de 1972 permit de réduire
et de faciliter les prêts au logement autres qu’HLM.
B) Favoriser l’épargne
Le discours sur la « nouvelle société » de 1969 avait annoncé que le Gouvernement
allait s’efforcer d’encourager l’épargne des ménages en la diversifiant. La politique monétaire
de 1969-1970 par le biais de la hausse des taux d’intérêts directeurs de la Banque de France
avait pour conséquence la hausse des taux des banques privées. Cette politique favorable à
l’épargne était aussi un moyen de développer le financement à long terme de l’économie par
les établissements bancaires dans le cadre d’une politique libérale à l’œuvre depuis 1962305
« Les sociétés de crédit immobilier HLM veulent développer l’accession à la propriété », LM, 13/02/1970,
p.21, La vie économique et sociale, logement.
306
B. Lefebvre, M. Mouillart, S. Occhipinti, Politique du logement, 50 ans pour un échec, ouvrage collectif,
L’Harmattan, collection Habitat et sociétés, 1991, p. 28 à 32.
307
Concours international de la maison individuelle lancé en mars 1969.
308
« La réforme de l’accession à la propriété HLM est publiée au JO », LM, 1/04/1970, p.28, l’actualité sociale,
logement.
85
1963. Le financement du logement n’y échappa pas, les pouvoirs publics mirent en place des
mécanismes propres à assurer l’intervention bancaire en ce domaine, notamment par le biais
de l’épargne-logement, créé par la loi du 10 juillet 1965, qui assurait des ressources stables au
secteur de la construction et accordait des avantages aux épargnants. Mais l’essoufflement de
ce système et la recherche d’une plus grande stabilité des ressources conduisirent à la mise en
place des « Plans d’Épargne logement », PEL, ou des « Comptes d’Épargne Logement »,
CEL, par la loi du 24 décembre 1969, qui retirait à la Caisse d’épargne son monopole en
matière d’épargne-logement. L’ouverture d’un tel compte était subordonnée à un dépôt
minimum et les particuliers y souscrivant devaient effectuer des dépôts périodiques. La
période d’épargne était de 18 mois pour les comptes et quatre ans pour les plans (sur lesquels
les dépôts étaient bloqués durant le temps d’épargne, contrairement aux comptes). Au terme
du contrat, le titulaire pouvait demander un prêt, à un taux préférentiel, pour financer la
construction, l’acquisition ou la rénovation de sa résidence principale. Par ailleurs, l’État
accordait une prime proportionnelle aux intérêts acquis, mais plafonnée à un montant donné.
L’épargne logement permettait aux établissements bancaires d’intervenir directement dans la
distribution des prêts au logement. Ce système se révéla être une ressource stable, à faible
coût et abondante, aux vues du succès que connut ce produit, pour financer le logement309.
Le 24 janvier 1972, le Gouvernement mis en place un nouveau système de prêts qui
devait avoir pour effet de renforcer la concurrence entre les établissements bancaires sur les
attributions de prêts immobiliers : les Prêts Immobiliers Conventionnés (PIC). Les premières
conventions entre le Crédit foncier de France et les banques furent signées en mars 1972310.
Les taux de ces prêts pour les candidats au logement ne devaient pas dépasser les 8,2% et le
Gouvernement attendait que les banques tirassent ces taux à la baisse pour attirer les clients et
donc permettre un plus grand nombre de Français de devenir propriétaires. D’ailleurs, M.
Chalandon et M. Giscard d’Estaing, persuadés de la future réussite de cette invention,
tentèrent tous deux de s’en attribuer le mérite dans la perspective des élections législatives de
1973 et pour se former une image de présidentiable. Cependant, les banques offrant les PIC ne
marchèrent pas dans le jeu du Gouvernement et toutes s’alignèrent sur les taux les plus hauts.
Enfin, et toujours en 1972, le prêt hypothécaire, qui s’était développé à la fin des
années 1960, fut assoupli et fixé uniformément à vingt ans toujours dans le cadre de la
libéralisation des conditions de crédit311. Les sommes des prêts accordés augmentèrent tout au
long de la période pour faire face à la hausse des coûts de la construction, ce qui avait pour
conséquence la hausse des mensualités des ménages.
II)
Le « nouvel urbanisme » : améliorer le cadre de vie des
Français par le désenclavement des grandes villes
M. Chaban-Delmas annonçait déjà, dans son discours sur la « nouvelle société », sa
volonté de voir se développer les métropoles régionales pour rééquilibrer l’aménagement du
territoire entre Paris et la province312. Par ailleurs, le concours de la maison individuelle de M.
Chalandon lancé en mars 1969 visait à permettre de mettre un terme à la politique des grands
ensembles et ainsi individualiser le logement. Tout ceci visait en fait à désenclaver les grandes
villes.
309
B. Lefebvre, M. Mouillart, S. Occhipinti, Politique du logement, 50 ans pour un échec, ouvrage collectif,
L’Harmattan, collection Habitat et sociétés, 1991, p. 28 à 32.
310
« La mise en place des PIC », LM, 8/03/1972, p.30.
311
« La durée du prêt hypothécaire est fixé uniformément à vingt ans », LM, 9 et 10/04/1972, La vie économique
et sociale
312
« La déclaration du Premier ministre à l’Assemblée nationale », LM, 18/09/1969, p.2-3
86
A) « Quel avenir pour les villes moyennes ? »
Le huit Avril 1971, Serge Rechter, maître de conférences à l’Institut d’Etudes
Politiques de Paris, publiait un article dans le journal Le Monde intitulé « Quel avenir pour
les villes moyennes ? ». Le propos était le suivant : en 1962, la population urbaine de la
France était estimée à plus de trente millions d’habitants, dont dix millions se concentrant
dans 180 agglomérations de 20 000 à 200 000 habitants. Les agglomérations comptant plus
restrictivement entre 50 000 et 200 000 habitants, quant à elles, étaient au nombre de 70 et
regroupaient six millions de personnes. L’auteur remarquait ensuite que ces villes moyennes,
et surtout celles qui comptaient entre 100 et 200 000 habitants avaient cru rapidement depuis
1956 laissant les municipalités face à de nombreux problèmes de gestion liés à cette
croissance démographique : il en découlait, entre autres, une juxtaposition rapide de zones
d’urbanisation nouvelles avec les zones anciennes, rendant difficile les rénovations ; le
transport individuel avait le monopole des déplacements puisque les transports collectifs
n’avaient pas eu le temps de se développer… Rechter soulignait aussi que les maires étaient
dans l’impossibilité de gérer ce développement urbain rapide à cause de la pluralité des
communes réunies au sein des agglomérations et de la tutelle sous laquelle étaient placées les
communes, qui empêchaient une politique de la ville autonome. Il terminait sur une note
prophétique et dramatique : ces problèmes des villes moyennes risquaient d’avoir pour
conséquence un désinvestissement urbain et de créer des récessions économiques locales qui
pourraient, à terme, provoquer un renversement de la croissance nationale. Il craignait par
ailleurs que l’exode rural se transformât en un exode des petites villes vers les villes
moyennes puis vers les grandes, créant ainsi des métropoles hypertrophiées au cadre de vie
insupportable, pleines de contraintes physiques et psychiques pour leurs habitants et dont
l’efficacité économique ne serait absolument pas assurée pour autant. Selon lui, dans le Nord,
la Lorraine et le Centre cette tendance se percevait déjà : le taux de croissance des villes
moyennes était en décélération, au profit des plus grosses agglomérations.
Pourtant, le recensement de 1968 avait montré que 109 200 parisiens quittaient chaque
année Paris et sa région depuis 1962 pour aller s’installer en province, et, bien que les
provinciaux montassent à Paris toujours aussi nombreux (environ 120 000 par ans depuis
1962), le solde migratoire intérieur vers la Région parisienne était quatre fois moins important
qu’en 1954313, d’où, sans doute, cette croissance importante des villes moyennes qui,
cependant ne laissait à priori pas penser que la France allait se développer sous forme de
métropoles hypertrophiées puisque la grande ville par excellence, Paris, n’attirait plus autant
qu’avant.
Quand il réexpliqua sa doctrine en juin 1971314, M. Chalandon insista sur le besoin de
développer les villes petites et moyennes, « où la vie est plus facile », tout en assurant un
cadre de vie « à l’échelle humaine » pour leurs habitants. Par ailleurs, leur développement
visait à permettre de déverser le « trop-plein » démographique des grandes villes (zones
favorisant le développement de l’insécurité, la pollution, la spéculation foncière, la vie
chère…) vers ces villes petites et moyennes315. Les « tours » et les « barres » étaient, selon le
ministre, un mode d’urbanisation critiquable car il « casse le paysage urbain ou naturel qu’il
faut sauvegarder ». D’autre part, cet habitat n’était justifié ni par des impératifs économiques
ou financier car la charge foncière dans ces villes n’était pas telles qu’il fallait en arriver à des
313
« L’attraction de la province sur les parisiens s’accentue », LM, 28/03/1970, p.12, Région.
Jacques Tournouer, « l’Assemblée nationale est saisie de douze textes sur la construction et l’urbanisme, le
projet relatif à l’allocation de logement a été approuvé », LM, 12/06/1971, p.10-11.
315
Déclaration du ministre de l’Équipement et du Logement le 12/04/1972, Etienne Mallet, « Politique en faveur
des villes moyennes, une seule cité pilote, Angoulême, est retenue par le gouvernement, déclare M. Chalandon »
LM, 14/04/1972, p.31, Régions et équipement.
314
87
constructions denses. Enfin, il soulignait l’aspiration des habitants de ces villes à vivre dans
des maisons individuelles ou des immeubles de dimension raisonnables316.
Le 25 novembre 1971, un Conseil restreint réuni sous la présidence de Georges
Pompidou, pris diverses mesures concernant l’aménagement du territoire et l’urbanisme
visant à développer les villes petites et moyennes : sur proposition de M. Chalandon, le
Conseil décida de limiter de la façon la plus stricte les habitats en hauteur (aucun immeuble
plus haut que la hauteur courante dans le quartier dans les villes non dotées d’un plan
d’urbanisme, et pas de dérogation accordées en hauteur dans celles qui en étaient dotées) et
les trop grands volumes de construction (pas plus de 60 mètres de long). Les préfets reçurent
l’instruction de financer en priorité les programmes HLM de qualité et les maisons
individuelles en location mais aussi de faire respecter, dans les zones périurbaines, un quota
de 50% de maisons individuelles pour les agglomérations isolées de moins de 20 000
habitants, et de 30% pour les agglomérations de moins de 50 000 habitants317. Par ailleurs,
pour favoriser l’installation des bureaux dans les grandes villes de province et ainsi limiter
leur installation à Paris, le Conseil décida d’étendre le régime d’aide à la décentralisation au
secteur tertiaire.
En 1972, M. Pompidou devait élire cinq ou six villes moyennes pilotes qui devaient
recevoir une aide spéciale de l’État pour mettre en œuvre des expérimentations sur de
nouvelles formes d’aménagement urbain (rues piétonnes et meilleures voies de circulation,
crédits pour la formation de réserves foncières pour mettre en place des équipements
collectifs…), ainsi qu’en matière d’animation culturelle et de développement économique
(régime spécial pour les entreprises s’y installant, amélioration de la qualité esthétique et
environnementale des zones industrielles,…)318. Finalement, une seule ville fut retenue par le
gouvernement : Angoulême319.
B) La maison individuelle, au cœur du « nouvel urbanisme »
Le poids de la maison individuelle dans la production globale de logements avait
décliné environ de 50% au début des années 1950 à 25-30% autour de 1960. Déjà en 1962, la
circulaire du 15 mars signée par le ministre de la Construction Pierre Sudreau « relative à la
maison familiale et à l’urbanisme », bien qu’elle encensât le modernisme des habitats
collectifs, avouait que « la préférence d’une grande partie du public [allait] à la maison
individuelle », en ajoutant qu’ « aucun pouvoir [n’était] fondé à lui refuser cette satisfaction,
si ce [n’était] pour une raison d’intérêt général ». Les recommandations de cette circulaire ne
visaient pas « à empêcher le développement de l’habitat individuel, bien au contraire ». Il
fallait redonner toute sa place à la maison individuelle, d’autant plus que, vecteur majeur de
l’accession à la propriété et stimulant de l’effort des ménages, la maison individuelle se
présentait comme un bon moyen d’alléger l’engagement financier de l’État dans le domaine
de la construction.
L’État ne tarda pas à manifester sa sollicitude en faveur de la maison : en mars 1969,
M. Chalandon, déjà ministre de l’Équipement et du Logement sous le Gouvernement Couve
de Murville, lança le « concours international de la maison individuelle » dont les principaux
316
Circulaire du 30 novembre 1971 relative aux formes d’urbanisation adaptées aux villes moyennes, JORF du
15 décembre 1971 p.12 243.
317
Circulaire du 30 novembre 1971 relative aux formes d’urbanisation adaptées aux villes moyennes JORF du 15
décembre 1971 p.12 243.
318
« Choisies prochainement par M. Pompidou, cinq ou six « villes-pilotes » recevront une aide spéciale de
l’État », LM, 8/03/1972, première page,
319
Déclaration du ministre de l’Équipement et du Logement le 12/04/1972par Etienne Mallet, « Politique en
faveur des villes moyennes, une seule cité pilote, Angoulême, est retenue par le gouvernement, déclare M.
Chalandon », LM, 14/04/1972, p.31, Régions et équipement.
88
acteurs étaient les promoteurs sociaux, publics ou semi-publics (la moitié des maisons
projetées bénéficiaient de financement HLM320). La maison revint au premier plan à partir de
ce moment fondateur, qui était, selon l’expression de M. Chalandon le « coup d’envoi d’un
nouvel urbanisme321 ».
Les prix-plafonds de ces maisons étaient fixés à 60 000 francs en province et 70 000
francs en Région parisienne pour des pavillons de quatre pièces322. Les prix-plafonds au mètre
carré furent cependant revalorisés en 1970 à hauteur de 10% si les logements construits
comportaient des annexes (garages) afin d’assurer une certaine qualité à ces maisons 323.
Chalandon voulait en faire un « urbanisme végétal », à savoir, former des petits villages de
pavillons (entre 250 et 500 pavillons par village) à la campagne. La construction de 57 000
pavillons, dont 97% étaient prévus à la vente324, dans 153 villages (soit une moyenne de 390
maisons par village) répartis sur 40 départements, était prévue entre 1970 et 1972 par
différents constructeurs lauréats du concours. La majorité des projets se regroupaient dans la
Région parisienne (13 400 maisons prévues dans les 6 départements de la proche banlieue), le
Nord-Pas-de-Calais et dans le Midi325. Ces mêmes régions les plus touchées par la crise du
logement, et où les bidonvilles et les étrangers étaient nombreux.
Mais déjà en 1970, les réserves s’élevaient de part et d’autres autour de ce concours :
les urbanistes, soucieux de la meilleure utilisation possible des sols et de la préservation des
surfaces boisées s’inquiétaient d’un possible développement suburbain pavillonnaire dans le
sillage du modèle étatsunien. Les élus locaux craignaient que ceci n’entrainât des charges
supplémentaires pour leurs communes car il aurait fallu équiper ces nouveaux quartiers
résidentiels en équipements collectifs326. Il était à souhaiter qu’à la monotonie des grands
ensembles ne succéda l’isolement de nouveaux villages-dortoirs. Par ailleurs, la qualité de ces
futurs logements individuels était déjà questionnée : M. Nungesser, député UDR, maire de
Nogent-sur-Marne (Val d’Oise) et ancien secrétaire d’État au Logement, souligna les dangers
d’une politique « de bas prix à tout prix », qui avait selon lui conduit à la construction de
logement HLM à peine habitables quelques années auparavant et qui pourrait bien faire « des
maisons individuelles d’aujourd’hui, les bidonvilles de demain »327.
Au-delà des critiques, les problèmes techniques et financiers s’annonçaient déjà en
1970 : les CIL du Nord-Pas-de-Calais, en tant que lauréats du concours s’étaient vu confier la
réalisation de 7 500 logements mais se voyaient dans l’incapacité d’honorer leur contrat du
fait de la diminution des programmes pour 1970. Le ministre, sourd à leurs protestations,
disait ne pas être en mesure de dégager les crédits nécessaires328.
Finalement, ces maisons individuelles souffrirent pour la plupart de retards de
construction : en mars 1972, trois ans après le lancement du concours, seule une maison sur
dix était terminée, les contrats entre les lauréats et l’État n’ayant été signés que fin juillet
320
« Le prix plafond de certaines HLM pourra être majoré » LM, 14/02/1970, p.22, Logement
Michel Boyer, « 60 000 pavillons seraient mis en chantier en trois ans », LM, 16/01/1970, La vie économique,
Logement.
322
« Les sociétés de crédit immobilier HLM veulent développer l’accession à la propriété », LM, 3/02/1970 p.21,
La vie économique, logement
323
« Le prix plafond de certaines HLM pourra être majoré », LM, 14/02/1970, p.22, Logement
324
« Les contrats de programme pour les « maisons Chalandon » seront signés à partir de fin mai », LM,
29/04/1970 p.29, La vie économique et Sociale, Logement
325
« Première liste des »villages de maisons individuelles », LM, 3/02/1970 p.24, La vie économique,
construction
326
Michel Boyer, « 60 000 pavillons seraient mis en chantier en trois ans », LM, 16/01/1970, La vie économique,
Logement.
327
« M. Nungesser : les maisons individuelles de 1970 seront-elles les bidonvilles de 1985 ? » LM, 5/03/1970,
p.28, Régions, Paris.
328
« Les CIL du Nord-Pas-de-Calais s’inquiètent des conditions de réalisation du concours des maisons
individuelles », LM, 5/06/1970, p.20, La vie économique.
321
89
1970. Les élections municipales de 1971 avaient aussi contribué au retard de la mise en route
des chantiers : dans certaines villes, l’élection s’était concentrée autour de l’enjeu « pour ou
contre le village de maisons individuelles ». À la fin de l’année 1971, seulement 30 000
maisons avaient été financées (le programme en prévoyait 43 000 à cette même période). Par
ailleurs, les constructeurs de ces maisons eux-mêmes craignaient pour la qualité de certaines
de ces constructions : en effet, le lancement de différents programmes du même type peu
après le concours, et avec des techniques de construction différentes, faisait des « maisons
Chalandon » de première génération des constructions déjà obsolètes avant même qu’elles
fussent terminées. De plus, entre le temps de la proclamation des résultats du concours et la
réalisation des maisons, leur prix avait déjà augmenté : une chalandonnette à Reims dont le
prix, en 1970, était prévu à hauteur de 67 990 francs, coûtait, en 1972, 76 400 francs, du fait
de la hausse des coûts de la construction.
Enfin, au niveau urbanistique, les maisons Chalandon, pour la plupart installées dans
des petites villes ou des villages en périphérie des grandes agglomérations, avaient posé de
nombreux problèmes aux communes concernées. Par exemple, dans le village de Menucourt
(Val d’Oise), qui en 1972 attendait l’arrivée de 5 000 nouveaux habitants dans 1 000 maisons
individuelles, la question de l’approvisionnement en eau des ces nouveaux habitants se posait
(la ressource étant insuffisante) ainsi que le problème de retraitement des eaux usées (car le
nouveau quartier n’était pas raccordé à la commune). Les équipements sociaux et sportifs
n’allaient pas être construits avant 1975 ; les routes, dans ce village rural, ne permettaient pas
l’augmentation du nombre d’automobiles qu’allait susciter ces nouveaux arrivants, d’autant
plus qu’il n’y avait pas d’emploi prévus sur place ; personne n’avait considéré les possibles
demandes de raccordement téléphonique ; les expropriations qu’avait nécessité la création du
nouveau quartier avait fâché la municipalité avec ses agriculteurs ; enfin, les habitants de
Menucourt trouvaient le nouveau « village » esthétiquement « pas très différent d’une cité
d’urgence »329. Les maisons individuelles furent un autre des scandales immobiliers de la
période pompidolienne.
En février 1972, M. Chalandon lança les « meccamaisons », qui furent la revanche des
grandes firmes du bâtiment sur le concours de la maison individuelle de 1969 réservé aux
constructeurs sociaux. Il s’agissait alors de construire des modèles réduits de maison en
famille, puis d’en passer la commande. On passa alors de la confection de maisons
individuelles à la mesure industrielle : ces « meccamaisons », constituées d’éléments
préfabriqués à assembler sur place étaient réservées aux industriels. En effet, depuis plusieurs
années, des grandes firmes telles que Rhône-Poulenc ou Saint-Gobin-Pont-à-Mousson,
guettaient le marché de l’immobilier sans vraiment oser s’y lancer faute d’être garanties de
séries suffisantes. Ce nouveau concours mettait fin à un autre : le « prêt à habiter », qui,
inspiré des mobile-homes nord-américaines, devait proposer des maisons mobiles en guise de
logement. M. Chalandon ne voulait pas faire des « meccamaisons » des « baraques », car
selon lui il devait être possible en France de construire « des maisons de qualité en béton, en
métal ou en bois, qui ne [fussent] pas des copies d’ancien ou des cubes monotones.»330
C’étaient des modèles de constructions individuelles bon marché qui devaient constituer une
étape dans l’industrialisation du bâtiment. Enfin, et pour mettre un terme définitif aux grands
ensembles, il tenta aussi de développer la construction de maisons individuelles isolées à bon
marché.
Une loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et d’action foncière, fut
passée en juin 1971 pour faciliter la construction des maisons individuelles dans toutes les
communes où devait être établi un POS. Cette loi mettait un terme à l’urbanisme de
329
Jean-Louis Saux, « Menucourt (Val d’Oise) préférait ses champs », LM, 31/03/1972, p.8
Michel Boyer, « Chalandon lance les « meccamaisons » ou des jeux de construction pour adultes » LM,
17/02/1972, p. 32, La vie économique, Logement
330
90
dérogation dont les lauréats du concours de la maison individuelle avaient bénéficié en faisant
de la dérogation la règle : le POS ne pouvait plus interdire la construction, sur des terrains
équipés de plus de 1 000 m², de maisons individuelles n’excédant pas un dixième de la
surface de terrain en superficie. Pour les terrains non équipés de 4 000 m², la superficie de la
maison ne pouvait excéder 250 mètres carrés331.
C) Améliorer les grands ensembles vieillissants
Le 23 mai 1972, satisfait des résultats quantitatifs de la construction, M. ChabanDelmas déclarait devant l’Assemblée nationale : « nous pouvons donc maintenant passer à
une nouvelle étape, c’est ce que je viens de décider : l’étape de la qualité »332. En matière de
logements collectifs, l’étape de la qualité se traduisit de plusieurs manières : il fallait rénover
les grands ensembles anciens, ce sur quoi M. Vivien insista333. Dans ce cadre, une enveloppe
de plus d’un milliard de francs était nécessaire pour l’année 1973. Par ailleurs, tout au long
des années 1971 et 1972 les prix-plafonds des logements furent régulièrement relevés dans le
but affiché de permettre aux constructeurs d’améliorer la qualité des nouvelles constructions.
En réalité, bien évidemment, ces hausses permettaient surtout aux constructeurs de pallier les
effets de la hausse générale des prix et même au-delà : puisque entre 1971 et 1972, l’inflation
fut de 5,5% et les prix de la production de logements (tout secteur confondus) augmentèrent
encore plus vite (+6,7% entre 1971 et 1972), du fait notamment de la hausse des prix des
matériaux (+ 7,6% entre les deux années de référence).
Par ailleurs, l’État décida de réserver ses aides financières aux seuls logements
présentant une certaine qualité architecturale et technique. Ceci ne passa pas par une réforme
des prêts mais par le pouvoir discrétionnaire de l’administration : à elle seule d’estimer la
qualité des logements proposés et d’accorder ou non une aide. D’ailleurs, M. Chalandon
décida de bloquer les aides publiques pour quatorze tours d’immeubles dans le quartier
d’Italie car il les estimait non esthétiques. Après des tractations entre l’administration et les
promoteurs, les crédits furent débloqués pour les tours dont la construction avait déjà
commencé : les promoteurs étaient tenus de les peindre avec plus de couleurs… Pour celles
qui ne l’étaient pas encore, ils durent revoir leur dossier et améliorer leurs façades (en leur
donnant plus de matière et de volumes pour en casser la monotonie. Ceci leur coûta 250 000
francs supplémentaires334.
Les grandes villes furent elles aussi soumises à des limitations en matière de
hauteur car les tours cassaient les perspectives. Dans ce but, le ministère choisi de mettre en
place l’obligation pour les organismes constructeurs d’HLM d’équiper les immeubles
d’ascenseurs à partir du quatrième étage335. À Paris, le préfet mis en place un plan de
limitation des constructions en hauteur et de diminution de la densité des constructions
autorisées, pour tenter, s’il n’était pas déjà trop tard, d’éviter de défigurer la capitale. Le
calcul des coefficients d’occupation des sols fut changé dans le cadre de cet objectif336.
331
Michel Boyer, « Une dizaine de projets de loi vont modifier la politique d’urbanisme et de logement »,
29/05/1971, p.39, La vie économique
332
« De la démission de M. Chaban-Delmas à la nomination de M. Messmer, Trois années de politique
économique et sociale », LM, 7/07/1972, p.5
333
Déclaration du secrétaire d’État du 25 mai 1972 « M. Vivien insiste sur la nécessité de rénover les grands
ensembles anciens », LM, 27/05/1972, p.36, La vie économique
334
« L’État réservera son aide financière aux logements de qualité », LM, 7/04/1972, p.24, équipement et régions
335
E.M, « Les construction en hauteur seront limitées dans les petites villes, décide un conseil réuni à l’Élysée »,
LM, 27/11/1971, p.24, Régions ; et « M. Chalandon interdit la construction de tours dans les villes de moins de
cinquante mille habitants », LM, 2/12/1971, p.24, Urbanisme
336
« Plus de tours dans Paris ? Tard mais pas trop tard », LM, 27/06/1972, p.28, équipement et régions.
91
Conclusion
Du Gouvernement Chaban-Delmas, l’histoire retient principalement la croissance du
pouvoir d’achat et la croissance des équipements collectifs. En matière de logement, seule la
réforme de l’allocation étendue à 900 000 personnes supplémentaires fut considérée comme
une avancée. Il y a pourtant un changement global initié par ce Gouvernement au carrefour de
deux époques : l’ère gaullienne et l’avènement du libéralisme que marqua la présidence de
Valérie Giscard d’Estaing.
 Des grands ensembles, des logements sociaux, et des banlieues 
En 1973, Olivier Guichard, désigné ministre de l’Équipement et du Logement,
entérina l’idée de la fin des grands ensembles, pensée sous le ministère de Chalandon, en
interdisant définitivement la construction d’ensemble de plus de 500 logements. Source de
contestation depuis longtemps, les politiques avaient pris conscience du fait qu’ils étaient
devenus des lieux d’exclusion et donc, des foyers potentiels de révoltes populaires.
Cependant, les ensembles existants se perpétuèrent et malgré de nombreuses
opérations de rénovation, voire de destruction pour les plus vétustes des « barres » ou des
« tours », restent, sinon un problème, du moins une préoccupation pour les pouvoirs publics.
Après la « crise des banlieues » de novembre 2005, la question des grands ensembles, des
HLM et des banlieues s’ancre une nouvelle fois dans l’actualité.
En mars 2006, la loi dite « égalité des chances » comprenait une cinquantaine de
mesures et la création de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances
dans le but de permettre un désenclavement des populations des zones urbaines prioritaires
(ZUS, zones désignées par les pouvoirs publics en 1996 pour être les cibles prioritaires de la
politique de la ville337). Suite à celle-ci et jusqu’à aujourd’hui, 2 200 quartiers bénéficièrent de
nouvelles aides, 100 000 enfants ont participé au « programme de réussite éducative » et 140
ateliers santé auraient été institués dans 300 ZUS.
Lors de sa campagne électorale en 2007, M. Sarkozy annonçait un « Plan Marshall »
pour les quartiers les plus défavorisés, qui aboutit à la nomination de Mme Fadela Amara en
tant que Secrétaire d’État à la Ville et la création d’un « Plan Banlieue », dévoilé en janvier
2008. Celui-ci comportait trois axes principaux : « un accompagnement personnalisé des
jeunes sans emploi » qui devraient se voir proposer « de manière systématique une formation
longue débouchant sur un métier », « un renforcement des moyens de lutte contre l’échec
scolaire » et un « plan de désenclavement des quartiers ». Pour la secrétaire d’État, il s’agit de
« faire émerger une nouvelle élite des banlieues ».
Ce qui était vrai hier l’est toujours aujourd’hui : les textes et les objectifs ne sont rien
sans financement. Le projet de loi de finance pour 2008 montrait une régression de 30
millions d’euros sur les crédits accordés aux communes concernées et les ressources pour
financer le plan « Espoir banlieue » sont restées taboues.
Depuis 2003, en matière de rénovation urbaine, l’Agence nationale de rénovation
urbaine (ANRU) a engagé plus de 30 milliards d’euros dans 281 projets et, pour 2008, la
participation financière de l’État ne s’élève qu’à hauteur de 280 millions, en baisse de 15%
par rapport à 2007. Les élus des communes concernées par les projets de réhabilitation
urbaine et par les ZUS déplorent le désengagement des pouvoirs publics et craignent que la
337
Le Décret n°96-1156 du 26/12/1996, donne la liste des ZUS, elles sont au nombre de 751. Voir :
http://i.ville.gouv.fr/divbib/doc/chercherZUS.htm
92
politique de la ville ne soit en définitive remise en cause par le nouveau gouvernement.
François Pupponi, maire socialiste de Sarcelles (Val d’Oise), commune comptant 70% de
logements sociaux, déplorait, en octobre 2007, une aggravation de la situation sur le terrain :
« les moyens annoncés ne sont pas arrivés. De plus avec les chantiers de l’ANRU, on détruit
plus qu’on ne construit. Les loyers vont donc flamber et les plus pauvres partir. L’insécurité,
elle, est repartie de plus belle : l’économie souterraine s’accroît parce que,
fondamentalement, la misère sociale s’accroît. »338.
Plus récemment encore, en mars 2008, Mme Boutin terminait un projet de loi visant à
réduire le nombre de personnes ayant le droit d’accéder aux HLM et privilégier les plus
pauvres. D’autre part, il s’agit aussi de pouvoir pousser vers la sortie les ménages dont les
revenus ont augmenté depuis leur accession aux logements HLM et qui de fait désormais
dépassent les plafonds de ressource. Enfin, ce texte devrait augmenter les surloyers pour les
ménages dépassant ces plafonds. Ce texte montre la difficulté qu’ont les pouvoirs publics à
arbitrer entre le besoin de donner un accès effectif aux logements sociaux aux ménages les
plus défavorisés et une autre nécessité, celle de favoriser la mixité sociale pour éviter la
ghettoïsation définitive des quartiers en difficulté. Ceci dit, le gouvernement en place ne
semble pas beaucoup soucier de cette dernière préoccupation, en témoigne l’abandon de la
carte scolaire. Par ailleurs, la mesure du projet de loi de Mme Boutin, en réduisant le nombre
de personnes éligibles aux logements sociaux, rendrait, selon Le canard enchainé (n°4561 du
26 mars 2008), caduque la promesse du président Sarkozy de construire 100 000 logements
sociaux par an, tout en permettant à l’État de faire des économies.
Le niveau de vie des locataires de logements HLM n’a cessé de baisser : 25% des
nouveaux résidents vivent en dessous du seuil de pauvreté et 60% des occupants
appartiennent aux « catégories très sociales ».
Enfin, les jeunes des zones urbaines sensibles ou encore des lycées catégorisés ZEP
(zones d’éducation prioritaire) bénéficient désormais parfois de mesures de « discrimination
positive ». On a par exemple beaucoup parlé des accords passés entre Sciences Po Paris et des
lycées de ZEP. Ne sachant que penser de ce genre de mesure, on peut néanmoins invoquer
quelques arguments : la « discrimination positive » reste une « discrimination », à savoir une
forme de distinction entre les individus, supposant donc que tous ne sont pas
fondamentalement égaux. Aux Etats-Unis, les lois d’affirmative action allant dans le même
sens en ayant, en plus, un caractère racial, ont parfois mené à des dérives voire à des procès.
On peut notamment citer l’arrêt de la Cour Suprême Université de Californie vs. Bake de
1978 : Bake, un étudiant blanc s’était vu refuser l’entrée à l’université de médecine alors qu’il
était meilleur que d’autres qui avaient été accepté grâce aux politiques de quotas ; il invoqua
une rupture d’égalité. La cour a estimé que l’importance donnée aux critères d’appartenance
ethnique était trop grande et qu’il aurait mieux fallu se baser sur des critères sociaux (de
revenus) ou encore géographiques. La discrimination ethnique étant interdite par la
Constitution française, les critères de discrimination sont géographiques et sociaux.
Cependant, ils renforcent l’idée que dans les ZEP ils y a des « pauvres », « issus de
l’immigration » et donc renforcent d’une certaine façon la stigmatisation des jeunes de ces
lycées.
 De l’immigration et des bidonvilles en France 
En 1974, après le premier choc pétrolier, Valérie Giscard d’Estaing mit un terme
définitif à l’immigration de travailleurs permanents et choisit de mettre en œuvre des mesures
de regroupement familial pour faire venir les familles des immigrés sans vraiment leur laisser
338
Laurent Mouloud, « Où est passé le « Plan Marshall » ? », l’Humanité, 31/10/2007, rubrique société.
http://www.humanite.fr/2007-10-31_Societe_Ou-est-passe-le-plan-Marshall
93
le choix. Cette nouvelle vague d’immigration familiale posa des problèmes dans le sens où les
pouvoirs publics avaient déjà du mal à rendre plus acceptables les conditions de vie des
familles déjà présentes : l’objectif était alors d’améliorer le logement de 10 000 familles par
an, alors que 20 000 nouvelles familles arrivaient chaque année. Ce regroupement familial ne
fut pas le choix des immigrés mais celui de l’État, de fait les conséquences furent parfois
difficile pour les personnes : tout projet de retour devenait impossible.
Le 27 février 1975, M. le Président de la République, Valérie Giscard d’Estaing, se
rendit dans un des bidonvilles de Marseille et annonça des « mesures d’urgence » pour
certaines des familles339. En matière de résorption de ceux-ci, les mesures prises sous le
Gouvernement Chaban-Delmas semblent avoir été davantage suivies d’effet à partir de 1972
et 1973. Le 16 mars 1976, l’un des derniers grands bidonvilles du pays, celui du quartier de la
digue des Français surnommé « Nice-village » fut détruit à Nice. Pourtant, aujourd’hui encore
les bidonvilles n’ont pas totalement disparu. Il s’en forme toujours ça et là, en général
rapidement détruits par les autorités. Cette pauvreté et ce mode d’habitat dont on ne parle plus
en France touche principalement des populations d’Europe de l’Est, et notamment des
Roumains et des Bulgares, dont les pays sont entrés dans l’Union Européenne le premier
janvier 2007. Pour exemple en septembre 2007, un « camp » de Roumains et de Bulgares
(266 personnes) s’installa sur un terrain nu du Conseil général de la Seine-Saint-Denis, à
Bobigny. Ces personnes furent rapidement relogées – car la commune insista pour qu’ils ne
soient pas expulsés – dans des logements provisoires (dans différentes communes d’Île de
France) par le service d’hygiène et de santé de Bobigny. Certaines choisirent de rentrer dans
leur pays d’origine340.
Cet exemple n’est pas un cas isolé et, souvent, les pouvoirs publics prennent la
décision de l’expulsion. L’attrait des pays riches sur les populations des pays en situation de
rattrapage existe toujours. Aux portes de l’Europe affluent des Africains ou des Nord-Africain
notamment séduits par l’« El Dorado » européen. La politique de l’immigration est désormais
gérée au niveau européen via l’espace Schengen, prouvant un consensus existant entre les
pays sur les méthodes à adopter.
 Du Droit au Logement 
Le Droit au logement, proclamé dans la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme de 1948 (sans valeur juridique), est entré progressivement dans le droit Français à
partir des années 1980. Considéré comme découlant des dixième et onzième alinéas 341 du
préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (texte à valeur constitutionnelle), il fut cité
dans la loi Quilliot du 22 juin 1982 puis par la loi Mermaz du 6 juillet 1989. Finalement, c’est
la loi Besson du 31 mai 1990 qui lui donne une véritable réalité juridique. Celle-ci indiquait
que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la
nation » (article 1). L’État doit donc fournir une aide – et non pas un logement à toute
personne qui en ferait la demande – dans les conditions prévues par cette même loi, aux
personnes qui remplissent les conditions pour en bénéficier. En 1995, une décision du
339
Giscard d'Estaing dans le bidonville Michel dans le quartier de Saint-Henri à Marseille, Actualités
Méditerranée, FR3 - 27/02/1975 - 00h02m04s – site de l’INA
340
Reportage par Hayat Boutchich, Lætitia Brevet, Salim Drame, La Cathode, Collectif Regards2banlieue
http://www.truveo.com/Un-Bidonville-en-2007Regards2Banlieue/id/399819017
341
« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « Elle
garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité
matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de
la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler à le droit d’obtenir de la collectivité des
moyens convenables d’existence »
94
Conseil Constitutionnel du 19 janvier, considérait « la possibilité de disposer d’un logement
décent » comme « un objectif à valeur constitutionnelle ». Le Haut Comité pour le logement
des personnes défavorisées a proposé, à partir de 2002, de rendre le droit au logement
opposable devant les tribunaux. Après des incendies en été 2005 dans des immeubles abritant
des mal-logés, le droit au logement opposable est redevenu d’actualité. Il a fait l’objet d’une
proposition de loi de Mme Boutin déposée le 28 septembre 2005 restée sans suite.
Pareillement, en 2006, une proposition du groupe socialiste à l’assemblée est restée lettre
morte.
Le 2 décembre 2006, l’association Les Enfants de Don Quichotte décida d’organiser
un campement de tentes le long du canal Saint-Martin à Paris. Cette initiative fut reprise dans
plusieurs villes de province mais avec une moindre audience. En hiver 2007 encore, Les
Enfants de Don Quichotte et une autre association, le DAL (Droit Au Logement, créée en
1990 à la suite de l’expulsion de plusieurs familles d’immeubles squattés dans le 20ème
arrondissement de Paris) ont renouvelé l’opération et porté à la lumière la question des mallogés et des sans-abris. De nombreuses personnalités publiques se sont d’ailleurs associées à
ce mouvement.
Des suites de ces mobilisations, un texte instituant le droit au logement opposable voté
en mars 2007 entrera en vigueur à la fin de l’année 2008 pour les sans domicile fixe, les
travailleurs pauvres, les femmes isolées avec enfants, les personnes vivant dans des logements
insalubres. Le premier janvier 2012, la loi s’étendrait à toute personne éligible aux logements
sociaux, qui, comme nous l’avons vu précédemment, serait désormais moins nombreux suite
au projet de loi de Mme Boutin de mars 2008.
Martin Hirsch (alors président d’Emmaüs France), actuellement en poste en tant que
Haut Commissaire aux Solidarités Actives contre la Pauvreté dans le Gouvernement Fillon,
avait réagit à la loi de mars 2007 en disant qu’il ne suffisait pas de proclamer le droit au
logement opposable pour que celui-ci devienne effectif. Il fallait, selon lui, d’abord
« privilégier les logements très sociaux et privilégier la solidarité entre les villes pauvres et
les villes riches ».
Le 20 mai 2008, le tribunal administratif de Paris a reconnu le droit au logement
opposable dans une ordonnance rendue au bénéfice d’une famille mal-logée qui contestait le
rejet de son dossier par la préfecture.
 De la propriété et de l’habitat individuel 
Valérie Giscard d’Estaing, lors de son mandat de Président de la République, annonça
vouloir voir les Français devenir « copropriétaires de la France ». L’accession à la propriété,
déjà promue depuis bien longtemps par les gouvernements successifs avait pris un nouvel
essor sous la Présidence de Georges Pompidou et le Gouvernement Chaban-Delmas dans un
premier temps. La propriété, principe ô combien républicain et libéral, inscrit dans la
Déclaration des Droit de l’Homme et du Citoyen de 1789, permet par ailleurs à l’État de se
désengager de la question du logement mais aussi offre une certaine stabilité à la nation,
comme nous l’avons vu. En effet, pour en revenir aux origines de la République française,
durant la Première République, proclamée en septembre 1792, le droit de vote n’était offert
qu’aux propriétaires, réputés être plus responsables que les autres couches de la population.
La propriété rend responsable dans l’esprit libéral et donc empêche les révoltes, permet de
maintenir la stabilité des organes de l’État et de l’économie.
Cependant, encore aujourd’hui, 91% des Français souhaiteraient être propriétaires de
leur logement mais seulement 54 à 55% le sont, situant la France au 13ème rang européen en la
matière. L’habitat dispersé (maisons individuelles) a repris le dessus sur l’habitat collectif,
encore une fois à la suite des actions du Gouvernement Chaban-Delmas et en particulier de
95
M. Chalandon. Ici encore, il semblerait que 91% des Français souhaiterait vivre en maison
individuelle mais seulement 56% vivent de cette manière. On accuse souvent l’habitat
dispersé d’être l’une des causes de la pollution, du fait de la multiplication des trajets
individuels (en voiture) qu’il engendre. On peut soulever une autre limite à l’habitat dispersé :
il isole les individus au sein de la société. Pour autant, peut-on dire que l’habitat collectif
resserre les liens entre les gens et entre les générations ? Déjà sous le Gouvernement ChabanDelmas existait une forme de « racisme anti-jeunes » : deux ou trois drames eurent lieu durant
la période, conduisant à la mort de jeunes qui faisaient trop de bruit sous les fenêtres de
personnes, peut-être à bout de nerfs du fait de la promiscuité des ensembles d’habitation
collectifs.
Finalement l’isolement des personnes n’est pas seulement lié à leur mode d’habitat, les
réponses sont à chercher ailleurs.
Dernièrement, on a vu se multiplier des plans visant à l’accession à la propriété de
maisons individuelles tel que le plan Borloo pour la maison à 100 000 euros ou encore le plan
Boutin pour la maison à 15 euros par jour. Ainsi, les récents gouvernements se préoccupent
encore de permettre aux Français d’acquérir le logement « de leurs rêves », tout en
désenclavant les grandes cités. Ils s’inscrivent ainsi dans la lignée de la conception libérale du
droit de propriété.
96
Annexe 1 : Discours de Jacques Chaban-Delmas à
l’Assemblée nationale, 16 septembre 1969
Mesdames, Messieurs,
Comment s'adresser aux Français sans évoquer le rôle que la France peut aspirer à jouer dans
le monde ?
Le général de Gaulle l'a clairement défini : assurer l'indépendance nationale, condition du
combat pour la paix du monde et pour la solidarité entre tous les peuples.
Mais, il serait illusoire d'affirmer, en ces domaines majeurs, une telle continuité pleine
d'exigences, si nous ne dotions pas la France, des moyens de réaliser nos raisonnables
ambitions.
Or, j'affirme qu'aujourd'hui, plus encore qu'hier, l'action internationale de la France ne saurait
être efficace si l'évolution de son économie ne lui permettait pas d'accéder au rang de
véritable puissance industrielle.
Depuis vingt ans passés, de multiples efforts ont été faits dans ce sens. La France industrielle
a commencé à devenir une réalité. Mais l'ouverture toujours plus large des frontières, la
compétition plus vive qui en découle, nous commandent des changements profonds
d'objectifs, de structures, de moyens et même, et peut-être surtout, de mentalité.
De cette société bloquée, je retiens trois éléments essentiels au demeurant liés les uns aux
autres de la façon la plus étroite : la fragilité de notre économie, le fonctionnement souvent
défectueux de l'État, enfin l'archaïsme et le conservatisme de nos structures sociales.
Notre économie est encore fragile. Une preuve en est que nous ne pouvons accéder au plein
emploi sans tomber dans l'inflation qui nous menace en permanence d'avoir à subir la
récession ou la dépendance.
Pourquoi cette fragilité ? Avant tout, à cause de l'insuffisance de notre industrie.
Or, la faiblesse de notre base industrielle handicape tout notre développement économique.
Sur le plan extérieur, elle est à l'origine de ce que la composition de nos exportations n'est pas
celle d'un pays entièrement développé.
Sur le plan intérieur, elle freine l'indispensable mutation agricole, encourage la prolifération
des services, alourdit les charges de la vie collective et, en définitive, retentit directement sur
notre niveau de vie.
Mais ici l'économie rejoint la politique et le social. En effet, le fonctionnement défectueux de
l'État et l'archaïsme de nos structures sociales sont autant d'obstacles au développement
économique qui nous est nécessaire.
Cette évolution ne se serait point produite si, dans ses profondeurs, notre société ne l'avait
réclamée. Or c'est bien ce qui s'est passé. Le renouveau de la France après la Libération, s'il a
mobilisé les énergies, a aussi consolidé une vieille tradition colbertiste et jacobine, faisant de
l'État une nouvelle providence. Il n'est presque aucune profession, il n'est aucune catégorie
sociale qui n'ait, depuis vingt cinq ans, réclamé ou exigé de lui protection, subventions,
détaxation ou réglementation.
Nous sommes encore un pays de castes. Des écarts excessifs de revenus, une mobilité sociale
insuffisante maintiennent des cloisons anachroniques entre les groupes sociaux. Des préjugés
aussi : par exemple dans une certaine catégorie de la population non ouvrière, à l'encontre des
métiers techniques ou manuels.
Les groupes sociaux et les groupes professionnels sont, par rapport à l'étranger, peu organisés
et insuffisamment représentés. Ceci ne vise aucune organisation en particulier mais les
concerne toutes, qu'il s'agisse des salariés, des agriculteurs, des travailleurs indépendants, des
employeurs : le pourcentage des travailleurs indépendants, des employeurs : le pourcentage
97
des travailleurs syndiqués est particulièrement faible. Tout récemment encore, le malentendu
sur l'assurance-maladie des non-salariés n'a été rendu possible que par l'insuffisance d'autorité
des organisations professionnelles.
La conséquence de cet état de choses est que chaque catégorie sociale ou professionnelle, ou
plutôt ses représentants, faute de se sentir assez assurés pour pouvoir négocier directement de
façon responsable, se réfugient dans la revendication vis à vis de l'État, en la compliquant
souvent d'une surenchère plus ou moins voilée.
C'est aussi parce que j'ai la conviction que nous entrons dans une époque nouvelle, où de
grands changements sont possibles, et qu'en accord avec le Président de la République, avec
le Gouvernement tout entier et je l'espère, avec votre appui et votre soutien, j'ai la volonté
d'entreprendre ces grands changements.
Et pourtant, je suis certain que nous devons aujourd'hui nous engager à fond dans la voie du
changement.
Il y a peu de moments dans l'existence d'un peuple où il puisse autrement qu'en rêve se dire :
"quelle est la société dans laquelle je veux vivre ?" et aussi construire effectivement cette
société.
Le nouveau levain de jeunesse, de création, d'invention qui secoue notre vieille société peut
faire lever la pâte de formes nouvelles plus riches de démocratie et de participation, dans tous
les organismes sociaux comme dans un État assoupli, décentralisé. Nous pouvons donc
entreprendre de construire une nouvelle société.
Cette nouvelle société, quant à moi, je la vois comme une société prospère, jeune, généreuse
et libérée.
Une société prospère, parce que chacune des fins essentielles de notre vie collective suppose
que nous disposions de grandes possibilités matérielles.
Mais si la prospérité conditionne tout, elle n'est pas tout. La prospérité est nécessaire pour
édifier une société meilleure : elle n'est pas suffisante, à beaucoup près, aux yeux de ceux qui
ne manquent pas d'ambitions humaines.
Mais cette société ne sera totalement la sienne, et du coup pleinement la nôtre, que si elle est
plus généreuse.
Nous devons aussi apprendre à mieux respecter la dignité de chacun, admettre les différences
et les particularités, rendre vie aux communautés de base de notre société, humaniser les
rapports entre administrations et administrés, en un mot transformer la vie quotidienne de
chacun.
Rien de tout cela ne sera possible sans un vaste effort d'imagination et d'organisation dans
tous les domaines, visant à la fois l'éducation permanente et le libre accès à l'information, la
transformation des rapports sociaux et l'amélioration des conditions et de l'intérêt du travail,
l'aménagement des villes et la diffusion de la culture et des loisirs. Quelle exaltante
entreprise
!
Elles visent une meilleure formation et une meilleure information du citoyen, une redéfinition
du rôle de l'État, le développement de notre compétitivité, enfin, un rajeunissement des
structures sociales.
Ceci concerne d'abord l'ORTF qui doit conserver son caractère de service public, garant de la
qualité de l'ensemble des programmes. Mais, pour qu'il puisse répondre pleinement à sa
vocation, son autonomie doit être assurée, une compétition véritable doit être organisée en son
sein, et il doit être ouvert à tous.
Pour les collectivités locales, il faut aller dans le sens de la décentralisation et une
consultation de l'ensemble des associations représentatives va être engagée à cet effet.
Pour les entreprises publiques, il s'agit d'en faire de vraies entreprises, en leur restituant la
maîtrise de leurs décisions, ce qui implique que la responsabilité de leurs dirigeants soit
effectivement sanctionnable.
98
En second lieu, nous cesserons de considérer comme intangibles les missions et l'organisation
des administrations.
Ces méthodes, qui feront apparaître les doubles emplois et les missions inutiles, entraîneront
sans doute la suppression d'un certain nombre de services, directions ou organismes
extérieurs.
Simultanément, pour mieux utiliser les personnels de l'État, nous les rendrons plus mobiles,
géographiquement et administrativement.
Notre troisième grand objectif est l'amélioration de la compétitivité nationale.
En premier lieu, l'effort financer en faveur de la formation professionnelle va être notablement
accru.
Par ailleurs, des dispositions particulières seront mises en œuvre en vue du recyclage et du
réemploi des travailleurs.
Le Parlement sera saisi, pour en statuer à sa session de printemps d'une nouvelle loi ramenant
la durée du service militaire à douze mois.
La politique d'aménagement du territoire sera poursuivie vigoureusement.
En ce qui concerne l'agriculture, dans le cadre d'une politique agricole commune dont nous
voulons l'achèvement rapide, nos objectifs sont les suivants : favoriser le développement
d'une agriculture de compétition ayant toutes les chances et capable de supporter toutes les
charges d'une activité industrielle normale.
S'agissant du développement industriel, il faut hisser au niveau mondial quelques groupes
puissants et promouvoir au niveau national le plus possible d'entreprises moyennes
dynamiques.
Pour associer pleinement les cadres au développement des sociétés et les y intéresser, les
dispositions législatives nécessaires vous seront proposées en vue de leur permettre d'acquérir
des actions de leur entreprise, selon des mécanismes comparables à celui des stock-options
employé avec succès dans les pays anglo-saxons.
J'ai déjà dit l'importance que le gouvernement attache à la transformation des relations
professionnelles. A cette fin, il propose d'abord au patronat et aux syndicats de coopérer avec
l'État pour les tâches d'intérêt commun. C'est ainsi que peut être envisagée une gestion
tripartite des services de l'emploi et de la formation professionnelle.
Dans les entreprises nationales, de nouvelles procédures de détermination des salaires seront
étudiées. Elles permettront d'intéresser les travailleurs du secteur public à la fois aux fruits de
l'expansion nationale et au progrès spécifique de chaque entreprise.
Nous devons enfin assurer une solidarité plus active envers les plus défavorisés. Le
gouvernement s'attachera, par priorité, à la revalorisation des bas salaires, d'une part, adoption
concertée d'un nouveau régime pour le SMIG ; d'autre part, programme pluriannuel en faveur
des petites catégories de la fonction publique.
Notre action serait incomplète si elle se limitait aux dépenses sociales et ignorait les autres
formes de redistribution. L'aménagement de l'impôt sur le revenu sera poursuivi en fonction
de trois orientations principales : meilleure connaissance des revenus réels, unification des
bases et des conditions d'imposition, nouveau mode de compensation des charges familiales,
compte tenu des possibilités de chaque famille.
Dans l'immédiat, les mesures prises doivent nous permettre de limiter à quelques mois la
phase d'austérité - toute relative - et de retrouver des bases économiques saines. Qui peut
contester que tout écart, par rapport à la rigueur nécessaire, prolongerait inutilement et
dangereusement les déséquilibres actuels ?
Voilà pourquoi mon appel doit être entendu. Que chacun mesure ses responsabilités !
Le Gouvernement ne tolérera pas que soit porté atteinte à des services d'intérêt général, telles
les perceptions et les caisses mutuelles, alors que là aussi le dialogue a été offert et largement
pratiqué.
99
Mais si, par contre, il s'agit pour certains de prendre appui sur ces revendications pour
contester et menacer les autorités démocratiquement élues, alors le gouvernement légitime, le
gouvernement de la République, saura prouver qu'il est là pour défendre la nation contre toute
aventure.
Au-delà de ces épisodes, c'est la transformation de notre pays que nous recherchons, c'est la
construction d'une nouvelle société, fondée sur la générosité et la liberté.
Pour cela, nous avons besoins de votre confiance active, mesdames, messieurs, comme nous
avons besoin de la confiance et du concours de tous les Français.
100
Bibliographie
Sources :
Le Monde, Juin 1969 – Juillet 1972, bibliothèque de l’IPAG, bibliothèque de Rennes 2.
Le Figaro, Janvier 1970, bibliothèque centrale de Rennes, Les Champs Libres.
L’Express, Janvier 1970, bibliothèque centrale de Rennes, Les Champs Libres.
Le Monde de l’économie, Juin 1969 - Juillet 1972, bibliothèque de l’IPAG, bibliothèque de
Rennes 2.
Journal Officiel de la République Française,
http://www.legifrance.gouv.fr/initRechTexte.do.
Juin
1969-Juillet
1972,
site
L’année Politique, années 1969, 1970, 1971 et 1972, bibliothèque de l’IEP de Rennes.
Ouvrages généraux :
BERSTEIN Serge et RIOUX Jean-Pierre, La France de l’expansion, Tome 2, L’apogée
Pompidou 1969-1974, édition du Seuil, collection Point Histoire, La nouvelle histoire de la
France contemporaine, 1995, 332 p.
JOFFRIN Laurent, Mai 68, une histoire du mouvement, édition du Seuil, collection Point,
2008, 434 p.
BEGAG Azouz, Le gone du chaaba, édition du Seuil, collection Point, 1986, 243 p.
GASTAUT Yvan, L’immigration et l’opinion en France sous la Vème République, édition du
Seuil, XXème siècle, 2000, 624 p.
Ouvrages spécifiques :
BAROU Jacques, Le point sur… l’habitat des immigrés et de leurs familles, La
documentation française, le point sur l’intégration et la citoyenneté, 2002, 93 p.
LE COUÉDIC Daniel, La maison ou l’identité galvaudée, Presses universitaires de Rennes ;
collection Art et société, 2003, 209 p.
LEFEBVRE Bruno, MOUILLART Michel, OCCHIPINTI Sylvie, Politique du logement, 50
ans pour un échec, L’Harmattan, collection Habitat et Sociétés, 1991, 337 p.
LALLAOUI Mehdi, Du bidonville aux HLM, Syros, 1993, 135 p.
LÉVY-VROELANT Claire, BLIN Anne-Véronique, Logement de passage, forme, normes,
expériences, L’Harmattan, 2000, 297 p.
101
TRIPIER Maryse, L’immigration dans la classe ouvrière en France, L’Harmattan, 1990, 332
p.
UGTSF, Le livre des travailleurs africains en France, édition Maspero, collection cahier
libre, 1970, 195 p.
Extraits de Colloques :
BLANCHETON Bertrand, BONIN Hubert, Les objectifs et les résultats de la politique
économique de Chaban-Delmas, Premier ministre (Juin 1969 – Juillet 1972), version du 22
mai 2006.
CROIZÉ Jean-Claude, L’habitat individuel dans les villes françaises, une vue sur le temps
long.
Mémoire :
BRETON Raphaël, L’appel de l’abbé Pierre de février 1954 : de la crise du logement au
traitement médiatique de la question des « mal logés », 2004, 123 p. bibliothèque de l’IEP.
Documentaire :
BENGUIGUI Yamina, Mémoires d’immigrés, Canal + / Bandit 1997, MK2 édition 2004.
Sites internet :
http://www.ina.fr, créé en 2007 par l’Institut National de l’Audiovisuel
102
Index
A
Abbé Pierre.................................... 5, 10, 23
Alix.......................................................... 21
Barbet...........................................................
Raymond..................................44, 56, 78
Bastié...........................................................
Jean...................................................... 70
Bathily..................................................... 21
Beaudoin......................................................
Eugène................................................. 10
Benguigui.....................................................
Yamina...........................................15, 45
Berstein........................................................
Serge........................................ 62, 66, 67
Blum............................................................
Léon..................................................... 22
Boileau.........................................................
Roger................................................... 11
Borloo..........................................................
Jean-Louis............................................96
Boutin..........................................................
Christine.........................................93, 95
Bréham.........................................................
Alain.................................................... 65
Bruyer..........................................................
Robert.................................................. 25
Buron...........................................................
Robert.................................................. 31
Canacos........................................................
Henri.............................................. 11, 12
Chaban-Delmas...........................................
Jacques....6, 7, 10, 22, 23, 31, 32, 33, 34,
35, 36, 37, 40, 41, 46, 48, 52, 53, 54,
55, 56, 61, 63, 72, 74, 75, 76, 81, 83,
86, 91, 92, 94, 97, 102
Chalandon....................................................
Albin... 10, 22, 23, 36, 37, 44, 45, 57, 58,
59, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72,
77, 78, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90,
91, 92
Chièze..........................................................
Jacques.....................9, 10, 37, 38, 47, 58
Claudius-Petit..............................................
Eugène............................... 43, 44, 46, 80
Clavel...........................................................
Maurice................................................28
Cornu...........................................................
Jean-Emmanuel................................... 49
Couve de Murville.......................................
Maurice....................................22, 55, 88
Dati..............................................................
Rachida................................................ 23
de Gaulle......................................................
Charles............................... 22, 34, 37, 97
de Montalais................................................
Jacques.................................................28
Debré...........................................................
Michel.26, 32, 33, 34, 38, 40, 41, 43, 44,
57
Deshayes......................................................
Aline.................................................... 36
Dupouy........................................................
Victor................................................... 40
Duras............................................................
Marguerite........................................... 28
Faye.............................................................
Jean-Pierre........................................... 28
Feix..............................................................
Léon..................................................... 33
Fillon............................................................
François............................................... 95
Gastaut.........................................................
Yvan.........................................13, 18, 19
Giscard d’Estaing........................................
Valérie 53, 54, 55, 57, 59, 61, 64, 74, 75,
86, 92, 93, 94
Grimaud.......................................................
Maurice..........................................27, 35
Grosrichard..................................................
François............................................... 18
Guichard......................................................
Olivier..................................................92
Hermantin....................................................
Fred................................................20, 21
Hirsch...........................................................
Martin.................................................. 95
Jeanneney.................................................16
Joly...............................................................
Vincent.................................................14
Karman........................................................
André............................................. 24, 27
Labourdette..................................................
Jacques Henri.......................................11
103
Lallaoui........................................................
Mehdi.......................................18, 31, 45
Laucournet...................................................
Robert.................................................. 56
Le Corbusier...................................... 10, 49
Lefebvre.......................................................
Henri.................................. 54, 84, 85, 86
Leiris............................................................
Michel............................................27, 28
Massenet......................................................
Michel......................................26, 30, 32
Mazeaud.......................................................
Pierre..............................................43, 44
Messmer.......................................................
Pierre..............................................37, 91
Mitterrand....................................................
François................................... 33, 37, 55
N’Dao...................................................... 25
N’Dongo.................................................. 15
Nungesser....................................................
Roland..................................................89
Peignot.........................................................
Jérôme..................................................28
Pompidou.....................................................
Georges.....6, 8, 9, 13, 22, 37, 55, 56, 62,
63, 66, 67, 74, 75, 88
Poujade........................................................
Robert.................................................. 83
Provo............................................................
Victor................................................... 57
Rechter.........................................................
Serge.................................................... 87
Rioux...........................................................
Jean-Pierre............................... 62, 66, 67
Rocard..........................................................
Michel......................................27, 70, 83
Sarkozy........................................................
Nicolas................................................. 92
Sartre............................................................
Jean-Paul........................................27, 28
Sauvy...........................................................
Alfred.............................................15, 22
Sudreau........................................................
Pierre....................................................88
Trébous........................................................
Madeleine............................................ 31
Viron............................................................
Hector.................................................. 56
Vivien..........................................................
Robert-André.... 9, 36, 37, 38, 41, 43, 45,
46, 51, 52, 56, 57, 60, 66, 71, 77, 79,
80, 91
Voguet.........................................................
André................................................... 50
Weill............................................................
David................................................... 34
104
Table des matières
Remerciements...................................................................................................................................... 2
Sommaire.............................................................................................................................................. 3
Introduction.......................................................................................................................................... 5
CHAPITRE 1 : La situation du logement en France (juin 1969-février 1970)...................................... 8
I) La politique antérieure n’a pas résolu la crise du logement en France............................... 8
A) Le Vème Plan ................................................................................................................8
B) Retour sur les grands ensembles ................................................................................. 10
1) Un habitat en obsolescence ...................................................................................... 10
2) La « Sarcellite »........................................................................................................ 11
C) Les bidonvilles et la place des immigrés en France..................................................... 12
1) Les apports de « Mai 68 » et des accords de Grenelle pour les travailleurs étrangers
....................................................................................................................................... 12
2) L’existence d’un « sous-prolétariat » immigré......................................................... 14
3) Les conditions de vie dans les bidonvilles................................................................ 17
4) Les garnis, des bidonvilles verticaux........................................................................ 19
D) Chalandon, ministre de l’Équipement et du Logement .............................................. 22
II) 1970 : Point de départ d’une action volontariste de réduction de l’habitat insalubre...... 23
A) Le drame d’Aubervilliers............................................................................................. 23
1) Le drame................................................................................................................... 23
2) Le traitement médiatique du drame.......................................................................... 24
B) Les réactions................................................................................................................ 26
1) Les gauches et l’accusation du patronat................................................................... 27
2) Le CNPF et l’accusation de la politique de l’immigration :..................................... 28
3) Les « marchands de sommeil » au banc des accusés................................................ 29
4) Le temps des revendications..................................................................................... 30
5) De l’émoi à l’oubli : traitement événementiel de la question des conditions de vie
des travailleurs étrangers............................................................................................... 31
C) La prise de conscience du gouvernement : « j’ai vu ce matin un bidonville […] Cela
n’a fait que renforcer ma détermination de donner un coup d’accélérateur très sérieux
pour [leur] disparition » (Chaban-Delmas)....................................................................... 32
1) La visite de Chaban-Delmas dans les bidonvilles et des garnis de la Région
Parisienne...................................................................................................................... 32
2) Les réactions et les mesures prise dans les suites immédiates de la visite de ChabanDelmas à Aubervilliers .................................................................................................33
CHAPITRE 2 : Une politique conjoncturelle de réduction de l’habitat insalubre portée par RobertAndré Vivien (1970-1971).................................................................................................................... 36
I) « Les bidonvilles ne sont qu’un aspect d’un problème plus vaste : l’habitat insalubre »
(Robert-André Vivien).......................................................................................................... 36
A) Robert-André Vivien, secrétaire d’État au Logement ................................................ 36
B) Diagnostic de l’habitat insalubre en France en 1969................................................... 37
II) L’abrogation de la loi de 1964 sur les bidonvilles dite « loi Debré » par la loi du 10
juillet 1970 dite « loi Vivien ».............................................................................................. 38
A) La « loi Debré » .......................................................................................................... 38
B) La loi Vivien de juillet 1970........................................................................................ 41
III) La résorption de l’habitat insalubre................................................................................ 44
A) Le relogement des habitants des bidonvilles............................................................... 44
1) « Du bidonville à la cité de transit » ........................................................................ 45
105
2) Le relogement, une politique de ségrégation ?......................................................... 45
B) Mesures d’amélioration de l’habitat insalubre............................................................. 46
1) Les moyens mis à disposition des propriétaires et l’action du Fonds National
d’Amélioration de l’Habitat (FNAH)........................................................................... 46
C) Les rénovations urbaines à travers l’exemple de la rénovation du quartier d’Italie à
Paris (13e arrondissement)................................................................................................ 48
IV) Bilan de la politique de réduction des taudis et des bidonvilles .................................... 51
CHAPITRE 3 : Une politique du logement subordonnée aux priorités économiques du gouvernement
............................................................................................................................................................. 54
I) Une politique du logement contrainte par des impératifs économiques globaux ............. 54
A) La politique monétaire met en difficulté les ménages (Juillet 1969 – Octobre 1970) 54
1) La dévalorisation du franc (9 août 1969) et la mise en place d’un « Plan
d’accompagnement ».................................................................................................... 55
2) Le Fonds d’Action Conjoncturel au centre de la controverse.................................. 56
3) Le coût du crédit décourageait l’achat, mise en place des éléments d’une crise
immobilière................................................................................................................... 58
4) La politique des loyers.............................................................................................. 59
B) L’assouplissement de la politique monétaire (Octobre 1970- juillet 1972) : relancer la
construction? .................................................................................................................... 61
1) Relancer la demande intérieure................................................................................ 61
2) Les effets de la politique économique de 1969-1970 sur la construction................. 62
C) Le refus d’une politique foncière efficace................................................................... 63
1) Des mesures toujours questionnées, jamais réalisées............................................... 64
2) « La baisse des prix par la baisse des coûts »........................................................... 65
3) Un urbanisme « laisser-faire ».................................................................................. 69
II) Le désengagement de l’Etat dans le domaine de la construction................................... 70
A) Étude des budgets du ministère de l’Équipement et du Logement de 1969 à 1972 :.. 71
B) Le VIème Plan ou comment moderniser la France sans le BTP.................................. 74
C) « Tourner l’aide de l’État vers ceux qui en ont le plus besoin », le logement social .. 76
1) La réforme des organismes d’HLM.......................................................................... 77
2) Le développement des programmes PSR et PLR..................................................... 79
1) L’allocation logement et la révision du 1% patronal................................................ 80
CHAPITRE 4 : Le « nouvel urbanisme » (1970-1972) ....................................................................... 83
I) L’accession à la propriété, objectif phare du gouvernement............................................. 84
A) Le développement des programmes de constructions sociales visant à accéder à la
propriété............................................................................................................................ 84
B) Favoriser l’épargne...................................................................................................... 85
II) Le « nouvel urbanisme » : améliorer le cadre de vie des Français par le désenclavement
des grandes villes.................................................................................................................. 86
A) « Quel avenir pour les villes moyennes ? » ................................................................ 87
B) La maison individuelle, au cœur du « nouvel urbanisme »......................................... 88
C) Améliorer les grands ensembles vieillissants .............................................................. 91
Conclusion.......................................................................................................................................... 92
Annexe 1 : Discours de Jacques Chaban-Delmas à l’Assemblée nationale, 16 septembre 1969........ 97
Bibliographie.................................................................................................................................... 101
Index ................................................................................................................................................ 103
Table des matières............................................................................................................................ 105
106