Lumière sur les dessous
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Lumière sur les dessous
lumières INTÉRIEURES Avec leur rayon lingerie, inauguré à la fin de l’année dernière, les Galeries Lafayette démontrent que pour doper ses ventes, l’éclairage compte autant que l’architecture intérieure. Le concept joue la sobriété et la clarté, pour générer le sentiment de liberté et de bien-être et favoriser le shopping. GALERIES LAFAYETTE Lumière sur les dessous plexiglas et les voilages transparents dématérialisent cloisons et supports de présentation. Les faux plafonds laissent percevoir le minimum d’équipements techniques. Photo Bruno Delamain Lumière et architecture en symbiose aris, 4 novembre 2003 : les Galeries Lafayette inaugurent le plus grand rayon de lingerie féminine européen au troisième étage de leur magasin parisien. Si l’on se souvient de l’ambiance terne, étouffante et vieillotte de ce rayon, on ne peut qu’être surpris de sa transformation. Autour de la superbe coupole 1900 en vitrail, il développe ses 2 600 m2 – il en mesurait 2 100 auparavant – dans une ambiance claire, sobre et aérée. Discrètement, rigoureusement structuré, il se déploie, en teintes blanches et coquille d’œuf, autour d’un espace central rouge rectangulaire, où s’exposent les créateurs de nouvelles marques : le Red Hot Boulevard. Couleur sensuelle, s’il en est, qui évoque ouvertement les lieux érotiques les plus chauds. Là, sur des canapés aux teintes vermillon, sont allongés des mannequins langoureux et sexy. Le mobilier en P 26 LUX n° 226 - Janvier/Février 2004 Traversant le rayon, le Red Hot Boulevard, aux couleurs sensuelles, est surligné par des gorges lumineuses qui abritent des tubes fluorescents gainés de rouge. « Nous avons entamé, dès 2000, la modernisation du magasin, raconte Cécile Buhagiar, architecte d’intérieur aux Galeries Lafayette. Nous avons travaillé une image contemporaine des Galeries et aménagé l’espace pour mettre l’accent sur les produits plutôt que sur le lieu. La distribution des allées vise à rendre la circulation confortable. La présentation des produits ne se fait plus dans des “bergeries” – ces meubles derrière lesquels une vendeuse responsable d’une marque dépliait la lingerie pour les clientes. La lingerie est présentée sur cintres, regroupée par marques dans des zones ouvertes et, plus rarement, dans des “boutiques”. La cliente doit se sentir libre de faire son shopping comme elle l’entend. » Un autre public est aussi visé par ce décor : les partenaires des femmes, qui, dès l’inauguration, les ont souvent accompagnées. « Les salons d’essayage sont même conçus de telle sorte que, de la première cabine, la femme puisse, si elle le désire, montrer sa tenue à son partenaire. » Mais ce décor ne suffirait pas sans le secours d'un éclairage élaboré. « Si l’on n’investit pas dans l’éclairage, affirmet-elle, on perd la moitié de l’impact visé par l’innovation architecturale. Alors que la situation inverse n’est pas vraie. » C’est donc en symbiose que les architectes et le concepteur éclairagiste Philippe Almon ont élaboré le cahier des charges et mené le projet. Des contrastes pour créer l’appétence Il s’agit d’éclairer le produit et non le décor, et d’appuyer le sentiment de liberté, d’aisance voulu par l’architecture intérieure. Le concept est basé sur deux principes : créer des contrastes, utiliser des températures plus froides pour obtenir des niveaux d’éclairement élevés (800 à 1 200 lux). Il s’applique à l’en- Photo Bruno Delamain lumières INTÉRIEURES Le concept d’éclairage vise à créer des contrastes pour “détacher” le produit. geant destiné à créer une diversité d’émotions et à générer un contraste fort avec les lumières plus statiques. Un succès commercial fulgurant semble du rayon, quelles que soient les marques. « Quelques marques de luxe comme Dior ou La Perla développent leur propre concept lumière, signale Cécile Buhagiar. Mais nous voulons un éclairage homogène, sans personnalisation particulière. Nous avons donc circonscrit, pour ces marques, leur concept propre à l’éclairage du mobilier. » Le contraste vise à détacher la marchandise : « Il crée l’appétence, donne de l’attrait au produit exposé », résume Philippe Almon. Ce contraste est fourni par l’association de sources ponctuelles à faisceau étroit et de sources “molles”. Au-dessus des surfaces centrales, des sources HI PAR multiples (deux lampes aux iodures métalliques par appareil, 2 x 35 W), orientables et encastrées, éclairent de façon ponctuelle les produits. Elles apportent le relief et contrastent avec des downlights fluocompacts (2 x 18 W) qui fournissent l’éclairage général. Ces niveaux élevés d’éclairement visent par ailleurs à consolider le travail sur le confort et sur la bonne visibilité des produits. « C’est une tendance générale dans les boutiques de luxe, venue du Japon, qui pèche d’ailleurs par excès, note Philippe Almon. Ici, nous cherchons d’abord à créer une respiration, à éviter la confusion. Car la boutique est immense, contient beaucoup de produits, accueille beaucoup de femmes. » Ces deux objectifs fondamentaux dans le projet, lisibilité d’un grand espace et bien-être des clientes, Philippe Almon les a traduits par la conception particulière de la trame d’éclairage autour des surfaces centrales d’exposition : les appareils sont disposés en périphérie des zones de présentation des produits. « Les PAR sont installés en bord d’allées, et orientés sur les produits, les portiques, les mannequins, comme si l’on éclairait des surfaces verticales. La verticalité délimite visuellement – et virtuellement – les espaces, permet de se repérer, comme si chaque zone était une boîte lumineuse, une boutique, précise-t-il. Les circulations, en revanche, ne sont pas spécifiquement éclairées. » Selon le même principe, le rayon lingerie se détache à son tour des rayons voisins grâce à des gorges lumineuses périphériques qui redessinent au plafond son pourtour. « Le travail sur les gorges est très important. C’est un traitement graphique du plafond, qui lui donne de l’énergie. En même temps, les gorges sont des facteurs de différenciation. Ainsi le Red Hot Boulevard, qui est le cœur “sexy” du rayon, est bordé de gorges lumineuses, abritant des tubes fluorescents gainés de rouge. Il ressort à la fois grâce au dessin du plafond et grâce à la lumière. » Son plafond est par ailleurs animé par un éclairage de couleur chan- Quant aux températures plus froides choisies pour cette réalisation, elles s’entendent par comparaison avec l’éclairage général précédent du rayon : elles sont passées de 2 600 K à 4 000 K. « Elles apportent plus de clarté, estime Cécile Buhagiar. Même si 4 000 K est une température relativement chaude, les allées plus grandes, les sols blancs, les plafonds (remontés à 3,40 m), contribuent à accentuer la luminosité et créer la sensation de respiration. » On leur reconnaît aussi la faculté de réveiller nos neurones endormis. Dernières touches “anecdotiques”, les salons d’essayage disposent d’un éclairage jour/nuit, dispensé par deux tubes fluorescents (2 700 et 4 500 K) fixés de chaque côté du miroir. « Nous nous sommes d’abord fait plaisir, s’amuse Cécile Buhagiar, mais les femmes trouvent ça très bien. » Les caisses sont signalées par un luminaire suspendu translucide de type boule. Détail important et non des moindres : le concept joue sur l’optimisation des moyens mis en œuvre : une seule température de couleur, trois types de lampes en tout et pour tout. « Cette sobriété est un facteur clé pour faciliter le réapprovisionnement et donc la maintenance, et générer des économies », précise Philippe Almon. Quant aux économies sur la facture énergétique, le concepteur lumière estime que le remplacement des lampes halogènes par des lampes PAR et le passage de 50 à 35 W devrait en générer quelques-unes. Depuis l’ouverture du rayon, son succès ne se dément pas. « Les ventes ont monté tout de suite, confie Cécile Buhagiar. Le chiffre d’affaires de l’espace est en augmentation de plus de 20 %, avec un taux de fréquentation du rayon lié à cette hausse. En trois semaines, nous avons atteint l’objectif de 6 mois. » Succès éphémère, dû à la nouveauté ? « Je ne crois pas, répond-elle. Une nouvelle architecture et un nouvel éclairage dopent toujours les ventes. Je pense que ANNE LOMBARD cela va durer. » > Maître d’ouvrage : Galeries Lafayette > Conception lumière : Philippe Almon, Ph. A Concepteurs lumière et design > Fournisseurs : Philips (PAR Mazda), Zumtobell (downlights) LUX n° 226 - Janvier/Février 2004 27