Commentaires sur le Rapport final de l`accident de Sharm El Sheikh
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Commentaires sur le Rapport final de l`accident de Sharm El Sheikh
O.N.A (Bureau d’études des nuisances aériennes) (Association Loi 1901) Christian ROGER 2 rue des Roblines 91310 LINAS ' : 06 11 47 01 74 / 01 64 49 01 83 [email protected] www.nuisances- aeriennes.com Commentaires sur le Rapport final de l’accident de Sharm El Sheikh Christian ROGER Commandant de Bord Boeing 747 Air France ( R ) Ancien Leader de la Patrouille de France Ex Pdt du Syndicat National de Pilotes de Ligne (Air France) Le 1er avril 2006 Le 25 mars 2006, les autorités égyptiennes ont rendu public leur rapport final sur l’accident du Boeing 737 de Flash Airlines, qui avait percuté la mer le 3 janvier 2004, 2 minutes et 33 secondes après le décollage sur la piste de Sharm El Sheikh. Ce rapport avait été précédé le 11 novembre 2004 par un rapport « factuel », qui donnait le contenu de l’enregistreur des conversations CVR (Cockpit Voice Recorder) et de l’enregistreur des paramètres du vol FDR (Flight Data Recorder). Ce délai d’environ deux ans pour produire un rapport d’expertise final sur un accident aérien est normal. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est la volonté manifeste des enquêteurs égyptiens de vouloir diluer les causes réelles de l’accident et les responsabilités de l’équipage dans le fatras des 1313 pages de ce rapport, dans lequel de nombreuses interprétations sollicitant la réalité ont été redressées par les enquêteurs du NTSB (National Transport Safety Board) et ceux du Bureau d’Enquêtes Accidents français (BEA). Le refus d’assumer les responsabilités d’un accident est habituel dans ce pays, mais inacceptable quand on veut attirer les touristes sur les lignes aériennes nationales. Un exemple flagrant de cette réticence à afficher la vérité avait déjà été donné quand les autorités égyptiennes avaient nié qu’un Commandant de Bord d’Egyptair s’était suicidé en octobre 1999 en percutant la mer dans le Golfe Persique avec son Boeing 767, en entraînant avec lui tous ses passagers et l’équipage, bien que l’enquête internationale ait établi ce fait avec certitude. Une association des ayant droits des victimes se trouve en phase avec l’Aviation Civile Egyptienne pour tenter d’impliquer le fonctionnement défectueux de l’avion en faisant fi des faits. On peut comprendre cette démarche, qui vise à pouvoir mettre en cause Boeing, puisque c’est là que se trouvent des possibilités de dédommagement que ni la compagnie aérienne Flash Airline, ni le 1 Gouvernement Egyptien ne peuvent fournir. Mais faudrait-il encore que la réalité démontrée puisse servir cette thèse. Ce n’est pas le cas, comme nous le verrons. Comme le veut la réglementation internationale définie par l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale), la Commission d’enquête égyptienne avait la maîtrise de celle-ci, mais devait y associer le constructeur Boeing, le Bureau d’Enquête Accident français (BEA) et celui des USA, le NTSB (National Transport Safety Board). La participation de ces trois organismes a permis de dégager des conclusions de cet accident qui ne satisfont ni l’ego des égyptiens, ni les intérêts financiers de l’association des victimes, mais qui serrent de très près la réalité des faits, ce qui est l’essentiel dans une telle enquête. Pour ma part, j’avais pour donné dès janvier 2005 une analyse de cet accident qui a été le seul document complet jusqu’à la publication du rapport final du 25 mars dernier. Il m’est agréable de constater que mon analyse se trouve entièrement corroborée par les conclusions du NTSB, qui a fourni un énorme travail d’analyse et par celles beaucoup plus partielles du BEA français (3 pages). Les autorités égyptiennes ont refusé d’inclure beaucoup des remarques faites par le NTSB et le BEA sur le projet de rapport final qui leur avait été proposé en octobre 2005. Du fait de ce refus, les remarques de ces deux organismes ont été reproduites intégralement en annexe du rapport final égyptien, ce qui procure l’avantage de mettre en évidence le mauvais vouloir égyptien à admettre certaines vérités. Pour clarifier l’analyse par le lecteur du présent document, nous traiterons les conclusions des enquêteurs sur deux aspects : • 1°) L’accident a-t-il été causé par une ou des anomalies techniques qui n’auraient pas été maîtrisables par les pilotes ? • 2°) Quel a été le comportement des pilotes durant ce vol de 2 minutes et 33 secondes ? Mais avant de passer à l’examen des conclusions de l’enquête, il est indispensable de rappeler comment s’est déroulé ce vol. Description du vol à l’aide du FDR et du CVR Description sommaire du vol L’avion avait décollé sur la piste 22R (cap approximatif Sud-ouest), à 02.42.33 (heure UTC). Partant vers Le Caire, il était autorisé vers le niveau de vol 140 (14.000 pieds). Le relief imposait une large boucle au dessus de la mer pour repasser à la verticale de l’aérodrome en ayant atteint l’altitude de sécurité de 10.500 pieds en cap vers le Caire. Après un décollage au cap 222°; l’avion a rentré ses volets de décollage et pris le cap 140° pour prendre de l’altitude. Mais au lieu de garder ce cap durant la prise d’altitude, l’avion s’est engagé dans un virage à droite de plus en plus accentué, avec une inclinaison des ailes qui est allée jusqu’à 111° (presque sur le dos) et dans un piqué allant jusqu’à 45°. Six secondes avant de percuter la mer, l’un des pilotes a entrepris un redressement spectaculaire de l’inclinaison, mais c’était trop tard pour éviter l’accident. Entre le moment où les roues quittent le sol et l’impact, il va s’écouler 2 minutes et 33 secondes. Pour bien comprendre le processus qui a conduit aux conclusions finales, il est utile de rappeler les principales phases du vol enregistrées par le FDR (Flight Data Recorder), et le CVR. (Cockpit Voice Recorder). 2 Le FDR Il a été repêché par la Marine Française après 13 jours d’immersion dans la Mer Rouge. C’est un modèle moderne, qui enregistre les paramètres numériques du vol, à mémoire solide, qui n’a pas été endommagée. Sa mémoire comporte les paramètres des 25 heures dernières heures de vol, qui ont été transcrites sous forme de listings. Le CVR Il a été repêché par la Marine Française 14 jours après l’accident. C’était un modèle à enregistrement par bande magnétique. La durée totale restituée est de 31 minutes et 15 secondes, conforme aux normes internationales. Le CVR enregistre les conversations des pilotes et de toutes les personnes présentes dans le cockpit, les communications des services du contrôle aérien, ainsi que les bruits d’ambiance au cockpit (alarmes, bruits divers). Les conversations du cockpit alternent des propos tenus en arabe et d’autres en anglais. La Commission a présenté en écriture arabe les propos tenus en cette langue, en donnant également leur traduction en anglais. Quelques mots sont signalés comme indéchiffrables. Quelques propos sans relation avec le vol ne sont pas reproduits (plaisanteries). Les heures des évènements ci-dessous sont exprimées en temps UTC (heure du Méridien de Greenwich). En heure locale, il est 04h42.00 quand l’avion décolle. 02.13.53 : Début de l’enregistrement rapporté par la Commission d’enquête. Durant les minutes qui suivent, le copilote du vol (First-Officer ou F/O) discute avec le pilote en observateur sur ce vol de leurs débuts de carrière respectifs. Aucune parole n’est rapportée émanant du Captain (CPT), ce qui suppose qu’il était silencieux, assis à son poste ou, plus vraisemblablement, qu’il entre au cockpit en même temps que le Chef de cabine à 02.18.13. 3 02.18.58 : le CPT demande au Copilote de lire la check-list (C/L) de préparation du poste de pilotage. Le décollage aura lieu 21 minutes plus tard. Ce délai est dans les normes usuelles d’opération, tout comme l’exécution de la C/L. 02.26.22 : après quelques échanges de propos sans relation avec le vol, le F/O demande la MTO du Caire, qui lui est donnée par la Tour à 02.29.03. 02.30.22 : le mécanicien sol entre au cockpit et un dialogue a lieu avec le CPT : CAPT : « Avez-vous vu cela » ? Mécanicien : « Oui, je pourrais faire quelque chose, mais je ne veux pas y toucher ». CPT : « Spécialité électrique » ? Mécanicien : « Oui » CPT : « Comme c’est déjà arrivé » ? Mécanicen « Oui » CPT : « Sur un autre avion » ? Mécanicien : « Exact » On s’étonne que la Commission d’enquête n’ait pas investigué sur ces propos sibyllins, en interrogeant le mécanicien d’escale pour savoir de quoi il s’agissait. 02.31.28 : le Chef de cabine vient donner au CPT le nombre de 135 passagers à bord. Le CPT lui indique que le vol se fera à 28.000 pieds et durera environ 50 minutes. 02.32.02 : le F/O demande à la Tour l’autorisation de mettre en route, qui lui est accordée et la checklist avant mise en route est effectuée. 02.34.11 : Mise en route des réacteurs. 02.36.48 : Début de roulage vers la piste 22 droite. Durant le roulage, les volets de décollage sont sortis à 5°. Le CPT vérifie le débattement de la gouverne de direction et le F/O celui des ailerons et de la profondeur, (le CPT ne peut faire ce test, car il a la main gauche sur la commande de la roulette de nez et la droite sur la manette des gaz). 02.38.05 : la Tour donne la clairance de sortie : « Destination Le Caire, montée initiale au niveau de vol 140 (14.000 pieds ou 4.300 m), Transpondeur radar sur code 1673 » 02.38.44 : la check-list avant décollage est effectuée normalement, à l’exception du briefing de décollage. Dans une compagnie aérienne sérieuse, avant chaque décollage, le pilote aux commandes décrit sa trajectoire de sortie et rappelle ce qu’il devra faire si une panne grave est constatée. Ce rappel est considéré comme essentiel à la sécurité du vol dans toutes les compagnies aériennes bien structurées. Dans le cas du vol 604 de Flash Airlines, à l’interrogation du F/O « Take off briefing », le CPT répond « Standard briefing God willing » (Briefing standard, si Dieu le veut ». Ce peu de professionnalisme se confirme quand il demande quelques secondes plus tard au F/O de lui confirmer le niveau de vol autorisé (Niveau 140), qui a été donné par la Tour quelques instants auparavant, qu’il a entendu et qu’il aurait dû énoncer dans son briefing de décollage ! 4 Signification des indications portées sur le graphique ci-dessus : Roll angle = Inclinaison / Aileron Pos = Braquage aileron / Pitch Angle = Angle de piqué / Vertical Accel = Nombre de « G » d’accélération verticale / A/P WARN = Alarme déconnection Pilote Automatique / Computed Air Speed = Vitesse en nœuds / Magnetic Heading = Cap magnétique 5 02.42.00 : le Captain est aux commandes. Il lâche les freins de l’avion sur la piste 22R (Cap 222°) et l’accélération commence, pour un vol qui percutera la mer Rouge 3 minutes et 6 secondes plus tard. Les roues décollent de la piste à 02.42.34. L’avion sera en l’air 2 minutes et 33 secondes. Lors du lâcher des freins, la position des manettes des gaz TO/GA (Take Off – Go around) a été affichée, mais elle ne tient que 2 secondes enclenchée. C’est une anomalie qui s’est déjà produite sur les vols précédents et qui n’empêche pas l’affichage manuel de la poussée de décollage. 02.43.11 : A 1.500 pieds en montée, à une vitesse de 185kt, l’avion entame un virage à gauche vers le cap 140°, pour effectuer une prise d’altitude sur la mer, de façon à repasser à la verticale de la côte avec l’altitude minimale de sécurité de 10.500 pieds pour aller vers le Caire sur une route 306° (Nordouest). Durant le virage, le CAPT ordonne la rentrée des volets en passant 1.900 pieds. 02.43.35 : Le F/O annonce « Flaps up No Light », ce qui indique qu’il n’apparaît pas de lampe sur l’indicateur, indiquant qu’un Slat est sorti. Il faut signaler que le FDR donne durant tout son fonctionnement l’indication du Slat N°1 « Mid extended », y compris au parking, durant l’escale. Les enquêteurs découvriront que cette indication figure sur les 25 heures d’enregistrement du FDR et qu’il s’agit d’une anomalie du FDR et non pas d’un bec de bord d’attaque sorti, (bug informatique ou capteur défectueux). Le CAPT demande alors la check-list après décollage, ce qui est dans les normes. 02.43.55 : L’avion est établi au cap 140° et le CPT demande au F/O la connexion du Pilote Automatique (PA), 02.43.58 : Mais il se ravise 3 secondes plus tard en exprimant : « Not yet ». Mais le FDR montre que le PA a été enclenché à 02.43.58 par le F/O, qui a réagi avant l’ordre du CAPT « Not yet », à qui il confirme en annonçant « Autopilot in command Sir » à 02.44.00. 02.44.01 : Une seconde après la confirmation par le F/O de l’enclenchement du PA, le CAPT pousse une exclamation en arabe, dont la traduction n’a pas été donnée par la Commission d’enquête, pour une raison inconnue, et une seconde encore plus tard, le Pilote Automatique se déconnecte à 02.44.02. Ce Pilote Automatique aura été enclenché durant 3 secondes 02.44.18 : le CPT s’exclame « See what the aircraft did ! », (Regardez ce qu’a fait l’avion !). L’avion est alors en montée régulière, à une vitesse stable de 200kt, poussée des réacteurs stable, les ailes presque horizontales et il passe 4500 pieds, A cet instant, le pilote automatique (PA) a sauté depuis 16 secondes, pendant lesquelles nous n’avons aucun moyen de savoir si le CAPT pilote l’avion manuellement, ce qui serait normal, ou s’il le laisse aller à sa guise, ce qui serait surprenant. L’inclinaison est passée de 7° vers la gauche à 12° vers la droite, ce qui ne justifie pas une telle exclamation d’étonnement du CAPT. 02.44.27 : le F/O répond au CPT : « Turning right Sir » (Il tourne à droite) 02 44 37 : Exclamation du CPT : « How turning right ? », et dans le même temps où il s’étonne, il accentue largement sa pression sur son volant pour virer à droite et, bien entendu, le roulis va s’amplifier. 02.44.41 : Le CPT annonce « OK Come out ». Cette expression est exprimée en anglais, ce qui élimine tout risque de mauvaise traduction de l’arabe. La meilleure traduction est « OK – On en sort ». Mais en réalité, la position des ailerons enregistrée par le FDR montre que le CPT donne seulement un coup de volant à gauche d’une durée de 2 secondes, qui ne ramène même pas les ailerons au neutre, et qu’ensuite, il remet du volant à droite qu’il va conserver constamment, en accentuant ainsi l’inclinaison de l’avion vers la droite. 6 De ce fait, l’inclinaison va s’accroître inexorablement et 17 secondes plus tard, elle culminera à 111°. 02.44.41.5 : le F/O annonce « Over bank » (inclinaison trop forte). Elle est de 41°. 02.44.41.7 : (2/10 de seconde plus tard), le CPT demande « Autopilot » Inclinaison = 50°. 02.44.43.4 : CPT réitère sa demande « Autopilot ». Inclinaison 53° 02.44.44 : F/O : « Autopilot in command » Deux anomalies criantes dans ces deux dernières secondes: • Le CPT demande au F/O de brancher le Pilote Automatique, alors que l’inclinaison à cet instant est de 50° et que le Pilote Automatique ne peut s’enclencher à cette inclinaison. D’autre part, la connexion du PA implique qu’il n’y ait pas d’effort sur les commandes, alors qu’à cette seconde, le nombre de « G » subi par l’avion est de 1,3 G, au lieu de 1 en vol horizontal, donc avec un effort sensible sur la gouverne de profondeur, qui interdit la connexion. • Le F/O annonce « Autopilot in command » sans doute en même temps qu’il appuie sur le bouton, alors qu’il n’aurait du faire cette annonce qu’après vérification de l’allumage de la signalisation du Pilote Automatique. Bien entendu, aucune trace de connexion du PA ne figure sur les paramètres du FDR, puisqu’il ne pouvait s’enclencher, les conditions nécessaires n’étant pas réunies. 02.44.46 : Le CPT réclame à nouveau « Autopilot », sans plus de chance de le voir se connecter (inclinaison = 56°). 02.44.48 : F/O : « Over bank – Over bank-Over bank ». Inclinaison = 69° 02.44.50 : CPT: « OK ». Mais il accentue encore sa pression sur son volant pour un virage à droite, à l’inverse de ce qu’il faudrait faire. 02.44.52.8 : F/O: « Over bank ». Inclinaison = 90° 02.44.53.4 : CPT « OK, Come out », « OK - On en sort », mais il ne diminue que légèrement le braquage des ailerons durant 2 secondes sans passer en virage à gauche. 02.44.56: F/O : « No Autopilot commander » (pas de PA en fonctionnement) 02.44.58: CPT : « Autopilot » A cette seconde, l’inclinaison culmine à 111° à droite. Les enquêteurs ont reproduit le vol sur un simulateur de Boeing. Pour un pilote de ligne, le tableau de bord que voient les pilotes à cette seconde est une vision d’horreur, si l’on considère que : • L’avion est en train de passer sur le dos. • L’altitude est de 4080 pieds, mais avec un angle de piqué de 35° et le taux de descente est au maximum du cadran (6.000 pieds par minute). En fait, l’avion tombe à 20.000 pieds par minute, 100m de verticale par seconde, c'est-à-dire deux fois plus vite qu’un parachutiste en chute libre. • La vitesse est de 285 nœuds et va encore augmenter pour atteindre 416 kt à l’impact, alors que la limite est de 340kt. C’est dans cette situation déjà inexorablement perdue sans recours que le CPT demande une dernière fois au copilote de brancher le Pilote Automatique, comme un homme qui se noie appelle une bouée de sauvetage. 7 A cette seconde, l’un des deux pilotes agit extrêmement fort sur le volant de gauchissement pour redresser l’avion vers la gauche. L’inclinaison passe de 111° à 78° en une seconde (33° de mouvement en 1 seconde) et atteint 14° à droite 5 secondes encore plus tard. Normalement, le taux de roulis maximum donné par Boeing pour un plein débattement de gouverne d’ailerons est de 15° par seconde. C’est dire que le taux de roulis de 33° enregistré en 1 seconde est très élevé. Il a été rendu possible du fait du braquage violent exercé le pilote qui avait les commandes et parce que la vitesse était élevée (320kt). En même temps que le redressement des ailes, le pilote aux commandes essaie de diminuer l’angle de piqué en tirant sur le manche et ceci apparaît sur le FDR, qui voit passer le nombre de « G » de l’avion de 0.8 G à 3.96 « G ». Mais cette manœuvre n’a pas pu être effectuée avec suffisamment de vigueur, puisqu’il fallait auparavant redresser l’inclinaison de l’avion. Les données du FDR ne permettent pas de savoir si c’est le CAPT ou le F/O qui a entrepris cette manœuvre de redressement. Les Egyptiens considèrent que c’est le CPT qui fait cette manoeuvre désespérée et le NTSB ne se prononce pas. Pour ma part, je suis certain que c’est le copilote qui prend enfin les commandes. A cet instant où l’avion est presque sur le dos, le fait que le CPT demande au copilote de brancher le Pilote Automatique montre à l’évidence qu’il est complètement largué et qu’il ne voit d’issue à son problème de trajectoire que par le biais du Pilote Automatique. Il ne comprend plus ce que lui indique son tableau de bord et il est selon toute probabilité incapable d’effectuer la manœuvre salvatrice qui est entreprise avec beaucoup d’efficacité, mais trop tardivement. 02.44.58.8 : Observateur: « Retard power –Retard power – Retard power » (Réduisez les gaz) Cet observateur est un pilote de 42 ans qui allait commencer son instruction chez Flash Airlines et qui avait déjà volé comme copilote sur jets d’affaires aux USA. Il voit un avion en piqué prononcé, une vitesse excessive et qui augmente et c’est avec bon sens qu’il demande de réduire la poussée des moteurs 02.45.01.5: CPT : « Retard power » Les paramètres du FDR appelés « Thrust lever angle » correspondent à la position des manettes des gaz des réacteurs gauche et droit. Le FDR montre que ces manettes ont bien été placées en position « Tout réduit » 2/10 de secondes après l’annonce « Retard power » par l’observateur, donc par une action réflexe immédiate d’un des deux pilotes. 02.45.04.3 : CPT: « Come out ». « On en sort ». Cette expression montre une fois de plus que le CPT n’est plus dans la réalité et qu’il ne peut être celui qui a quasiment redressé l’avion. Certes, le redressement horizontal des ailes de l’avion était pratiquement terminé (14° à droite), mais l’altitude était alors de 524 pieds (160m) et l’angle de piqué était de 35° et l’impact se produisait 2 secondes après cette annonce incongrue. 02.45.05.9: F/O: “No God except…..” Le F/O a compris que le crash était inéluctable. 02.45.05 : Bruit: “Whoop” similaire à une alarme sonore de proximité du sol donnée par le GPWS (Ground Proximity Warning System) 02.45.06 : Fin de l’enregistrement. L’avion a percuté l’eau avec une vitesse de 416kt, soit 770km/h, sous un angle de piqué de 24° et une inclinaison de 19° à droite. 8 Partie 1 Sur les possibilités de défaillances techniques de l’avion Nous nous appuierons essentiellement sur les remarques faites par le NTSB sur le projet de rapport final produit par la Commission d’enquête égyptienne. Pour ceux qui l’ignorent, il faut souligner la confiance que l’on peut accorder au NTSB dans les analyses d’accidents aériens. Son indépendance totale a été notamment démontrée dans la lutte opiniâtre menée cet organisme durant des années contre Boeing, pour faire admettre à ce constructeur sa responsabilité totale dans deux crashs de Boeing 737 provoqués par une mauvaise conception de la commande hydraulique de la dérive de cet avion. Ayant ainsi démontré qu’il ne pouvait être suspecté de partialité nationaliste au profit du principal constructeur aérien des USA, le NTSB peut être gratifié de la même rigueur et indépendance d’appréciation pour l’enquête menée sur l’accident de Flash Airlines. L’ensemble des enquêteurs a trouvé un consensus pour éliminer certaines causes possibles de l’accident Durant l’enquête, l’équipe constituée de représentants des Egyptiens, Français et ceux des USA (NTSB et Boeing) ont adopté une méthodologie qui a envisagé divers scénarios. La plupart d’entre eux ont pu être éliminés quand il existait des certitudes évidentes admises par tous les enquêteurs. • Les réacteurs fonctionnaient correctement. • Il n’y a pas eu de sortie intempestive d’un bec de bord d’attaque. Le FDR montre qu’un bec de bord d’attaque serait resté sorti en permanence dans une position de demi sortie. En fait, cette anomalie se retrouve tout au long des 25 heures d’enregistrement et résulte donc d’une panne de l’enregistrement de ce paramètre sur le FDR. • Il n’y a pas eu de braquage intempestif de la dérive de direction, (un tel braquage avait été à l’origine de deux crashs de B 737 aux Etats-Unis). Le FDR montre que la position des pédales sous les pieds des pilotes et la gouverne elle-même sont restés à une position voisine de zéro. • Il a été constaté que le mouvement des volants des pilotes n’avait pas été enregistré par le FDR. Cette anomalie a été jugée sans importance, car les simulations faites chez Boeing ont montré la corrélation qui existait entre les mouvements des gouvernes et l’inclinaison de l’avion, ce qui confirme implicitement le fonctionnement normal de ces volants des pilotes. L’équipe a examiné ensuite les scénarios restants pour déterminer lequel était le plus vraisemblable pour expliquer cet accident. Il y a eu alors une nette divergence entre d’un côté les enquêteurs Egyptiens et de l’autre ceux du NTSB, du BEA français et de Boeing. Pour se défausser des responsabilités de l’équipage, les Egyptiens se sont efforcés de tenter de mettre en cause la possibilité d’un mauvais fonctionnement de l’avion. Le NTSB s’est employé à démontrer que les causes possibles techniques avancées par le MCA (Commission d’enquête égyptienne) pour expliquer le crash ne pouvaient être retenues : 1°) Hypothèse d’un déroulement du trim d’aileron Le trim d’aileron permet de déplacer le point neutre des gouvernes de commande des ailerons et de garder ainsi les ailes horizontales quand le pilote lâche les commandes. Il est électrique et actionné par deux boutons situés le pylône d’instruments situé entre les deux sièges des pilotes. Il faut actionner ensemble ces deux boutons pour que le contact électrique se fasse, ce qui interdit tout déroulement du trim résultant d’un contact intempestif. 9 Il n’existe pas d’indicateur de position pour le trim d’ailerons. Mais l’action sur ces boutons de commande du trim d’ailerons entraîne : • Si les volants ne sont pas tenus par les pilotes, au sol ou en vol : l’action sur le trim va entraîner la rotation du volant des manches pilotes et ne passe pas inaperçue. • En cas de vol en pilotage manuel, le volant va avoir tendance à s’incliner et le pilote aux commandes va sentir cet effort sur son volant. • Si l’avion est en pilote automatique : ce dernier va contrer l’action du trim, mais quand on va débrayer le PA, l’avion va partir aussitôt en inclinaison du côté où il est trimé. Lors de la Check-list de préparation du poste de pilotage effectuée au parking par les deux pilotes, il avait été vérifié que ce trim d’aileron était au neutre. Si tel n’avait pas été le cas, les volants n’auraient pas été au neutre. Mais supposons que cela soit passé inaperçu. Dans ce cas, dès que l’avion aurait été en vol après le décollage, il aurait eu tendance à s’incliner du côté trimé et le CPT qui pilotait manuellement durant ce décollage s’en serait aperçu. On peut prendre aussi l’hypothèse qu’après le décollage, une action intempestive ait été faite sur ce trim. Une telle action est très improbable. Elle n’a pu être le fait du copilote, car les corrections de trim sont toujours effectuées par le pilote aux commandes. Quant au Captain, il aurait pu effectuer une légère correction à l’aide du trim d’aileron, mais en aucun cas garder le trim appuyé plus d’une dizaine de secondes, ce qui aurait été nécessaire pour obtenir une forte inclinaison de l’avion. Reste l’hypothèse tout à fait improbable d’une action intempestive faite par l’observateur, assis entre les deux pilotes. En supposant que ce soit le cas, le CPT qui pilotait manuellement l’avion aurait bien senti que l’avion avait tendance à s’incliner et la présence de ce trim intempestif ne lui interdisait pas de garder les ailes horizontales en contrant ce mouvement parasite. Les essais faits sur le simulateur de vol chez Boeing ont montré aux enquêteurs qu’il suffisait d’appliquer 7kg d’effort sur le volant des pilotes pour contrer ce mouvement intempestif et garder les ailes de l’avion horizontales. Le NTSB souligne que le MCA a établi dans son rapport qu’aucun déroulement de trim d’ailerons ne s’était produit avant l’engagement du pilote automatique. Après que le pilote automatique a été désengagé, les débattements d’ailerons enregistrés par le FDR ont été supérieurs au taux de 0,6° par seconde que peut produire un déroulement du trim d’ailerons, ce qui montre qu’il s’agissait de mouvements d’ailerons commandés par les pilotes et non pas par le trim d’ailerons. 2°) Hypothèse d’un Pilote Automatique qui serait resté connecté Pour expliquer ce braquage des ailerons à droite, on doit aussi étudier l’hypothèse d’un Pilote Automatique qui serait resté enclenché de façon parasite pour le canal aileron. A la seconde 02.44.00, l’engagement du Pilote Automatique (PA) a été effectué dans des conditions normales de vol (altitude 3.500 pieds, assiette en montée à 17°, vitesse 210kt, ailes horizontales et sans d’effort sur les commandes). Mais le PA se déconnecte 2 secondes plus tard, ce qui peut être le résultat de deux actions différentes : 10 Le CPT a appuyé volontairement sur le bouton de déconnection situé sur son volant de commande. • Ou bien le PA s’est déconnecté parce qu’une condition de son maintien en fonction n’était plus assurée. Cela arrive notamment si un problème électrique ou hydraulique est constaté par les calculateurs du PA. Mais les paramètres du FDR ne portent pas trace d’une anomalie qui pourrait expliquer cette déconnexion par la non satisfaction de la fonction maintien enclenché du PA. • Les enregistreurs de vol ne permettent pas de discerner entre ces deux possibilités de déconnexion, car dans les deux cas le PA saute et l’alarme sonore retentit de la même façon. Toutefois, je pense que c’est le Captain qui a appuyé volontairement sur son bouton de déconnection, parce qu’il vient de constater un problème. Cette hypothèse s’appuie sur les expressions « Not yet » exprimée par le Captain 2 secondes après avoir ordonné le branchement du PA et « Exclamation remark » faite 3 secondes plus tard en arabe par le Captain, non traduite par les enquêteurs, qui laissent à penser qu’il vient de constater un problème. Dans ce cas, il est normal qu’il déconnecte son PA, comme le fait tout pilote dans ce cas. Mon hypothèse est partagée par le NTSB qui a démontré que c’est le Captain qui a déconnecté lui même le PA. En effet, si le PA s’était déconnecté sous l’effet de la non satisfaction d’une condition de maintien, cette déconnection serait intervenue avec un délai minimum de 3,695 secondes. Or le FDR montre que la déconnection est intervenue 2,136 secondes après l’engagement du PA, d’où il résulte avec certitude que c’est bien une action volontaire du Captain sur son bouton « Disconnect » qui a fait sauter le PA. Ce PA est ensuite resté déconnecté jusqu’à la fin du vol, malgré les demandes du Captain faites à son copilote, car les conditions d’enclenchement n’étaient pas satisfaites (effort sur les commandes). Ce qui est certain, c’est que cette déconnection du PA n’a pas échappé aux deux pilotes. D’une part, l’alarme sonore est très forte et particulière et d’autre part, le CPT demande au F/O de lui brancher le « Heading select », qui lui permet de récupérer sur son horizon artificiel une aiguille qui lui indique le cap à suivre, qui avait disparu lors de la déconnexion du PA. Selon les experts du NTSB, pour que le pilote automatique agisse de façon intempestive sur les ailerons, il aurait fallu que trois anomalies se produisent simultanément sur des systèmes différents. On pourrait alors obtenir un braquage parasite de 60° du volant, en l’absence de réaction des pilotes. Si ce canal aileron était resté connecté, il aurait certes produit une tendance parasite à l’inclinaison. Mais sur le Boeing 737, comme sur TOUS les autres avions de l’ancienne génération, le Pilote Automatique peut TOUJOURS être surpassé par une action du pilote aux commandes et le NTSB a démontré au simulateur que l’avion serait resté aisément contrôlable, puisqu’il suffisait d’un effort de 9 kg sur les volants des pilotes pour contrer un tel braquage. Un éventuel et tout à fait improbable maintien intempestif du PA dans sa fonction aileron ne saurait donc justifier que cet avion soit passé quasiment sur le dos. 3°) Hypothèse d’un grippage temporaire d’un câble de spoiler Les spoilers sont des surfaces mobiles qui se lèvent sur l’extrado de l’aile (le dessus de cellesci) et qui ont deux fonctions : • Lors de l’atterrissage, leur levée casse la portance résiduelle de l’aile et aide à mettre du poids sur les pneus pour mieux assurer leur adhérence et faciliter l’efficacité du freinage. • En vol, ces surfaces se lèvent légèrement pour aider la commande des gouvernes des ailerons qui commandent l’inclinaison de l’avion. 11 Si un spoiler se lève intempestivement ou s’il est bloqué dans une position levée, il va entraîner un mouvement de roulis de l’avion. Le MCA veut soutenir l’hypothèse d’un spoiler qui serait resté bloqué déployé entre les secondes 02.44.36 où l’inclinaison est de 25° à droite et la seconde 02.44.58, où l’inclinaison culmine à 111°. Pour ma part, je fais remarquer que le Captain s’exclame « Regardez ce que fait l’avion » à la seconde 02.44.18. Cette exclamation du Captain montre que cet homme est perturbé ou intrigué par quelque chose 18 secondes plus tôt que l’instant du blocage de spoiler avancé par le MCA. Si un tel blocage de commande de vol s’était produit, le simulateur de Boeing a montré que l’effort pour le contrer aurait été d’environ 23 kg et il est absolument certain qu’un tel évènement aurait entraîné une expression orale des pilotes qui serait présente sur le CVR, sous forme d’exclamation et de réaction orale d’effort. Si le Captain avait enregistré un effort anormal aux commandes, il n’aurait pas manqué d’en faire part au copilote quand celui-ci lui a signalé à trois reprises une inclinaison anormale. Ce qui n’est pas le cas. Il est de fait également que lors des essais sur le simulateur de Boeing, les pilotes enquêteurs ont pu constater qu’ils pouvaient appliquer des forces de 36 kg sur les manches, largement supérieures aux 23 kg nécessaires pour surpasser un grippage de la commande de spoiler. Les Egyptiens objectent que les pilotes enquêteurs étaient avertis lors de leur vol sur simulateur, mais selon moi, il n’existe pas de pilote qui, constatant que son avion s’incline dangereusement ne va pas mettre toutes ses forces pour le redresser, en faisant aussi appel à l’autre pilote pour l’aider. Comme je l’ai souligné dans mon analyse de janvier 2005, le fait de ne pas avoir utilisé le palonnier pour aider à redresser l’avion aurait dû être signalé comme contributif à l’accident par la Commission d’enquête internationale. Cette action sur la dérive de direction aurait été très efficace et cette efficacité a été démontrée, à contrario, lors des accidents de B 737 de Colorado Springs et Pittsburgh, lors desquels les pilotes n’avaient pu contrer un braquage intempestif de la direction, qui avait entraîné l’inclinaison fatale de l’avion. De plus, cette technique fait partie des recommandations de BoeinG. 4°) Hypothèse d’une sortie intempestive d’un spoiler La sortie d’un spoiler n’est pas enregistrée par le FDR. Les Egyptiens voudraient accréditer la thèse d’une sortie intempestive qui aurait provoqué l’inclinaison à droite. Cette théorie est contredite par le NTSB qui objecte que, mais si elle s’était produite, on aurait eu sur le simulateur de Boeing des enregistrements différents de ceux enregistrés par le FDR de Flash Airlines. Une telle panne aurait provoqué un mouvement de roulis additionnel, qui aurait détruit la cohérence « position des gouvernes d’ailerons / Roulis obtenu. Le virage initial de l’avion était un virage à gauche à une inclinaison de 20° pour effectuer sa sortie du circuit d’aérodrome. Le MCA considère que ce blocage de spoiler est survenu lorsque l’avion est incliné de 25° vers la droite. Le NTSB fait remarquer au MCA que l’anomalie du vol a commencé 45 secondes plus tôt, quand l’avion est passé d’une inclinaison normale de 20° à gauche pour sortir de la zone d’aérodrome et qu’il a entamé un virage anormal vers la droite. Le FDR montre que l’avion est resté pilotable durant l’intégralité du vol. Au point culminant de la position anormale de l’avion, l’inclinaison était de 111° et l’angle de piqué de 45°. L’un des pilotes entreprend alors un redressement spectaculaire de l’inclinaison, qui passe de 111° à 14° en 5 secondes. Dans le même temps, l’angle de piqué est ramené à 23°. 12 Partie 2 Comportement des pilotes Pour le NTSB et le BEA, la raison de la mise en détresse de l’avion provient d’une désorientation spatiale du Commandant de Bord qui s’est combinée avec une passivité anormale du Copilote. De son côté, la Commission d’enquête égyptienne (MCA) conteste ces conclusions américaines et françaises et conclut qu’aucune évidence n’a été trouvée pour expliquer cet accident, en cherchant à impliquer la possibilité de panne de divers systèmes, qui ont été écartées par les enquêteurs US et français. Un Captain insuffisamment qualifié Agé de 53 ans, il avait été pilote de chasse sur MIG (environ 1000 heures de vol) et avait été sous les ordres de Moubarak, lorsque celui-ci était Chef d’Etat Major de l’Armée de l’Air, lors de la guerre du Kippour, avant de prendre la Présidence de l’Egypte. Il avait quitté l’Armée de l’Air en 2000 avec le rang prestigieux de Air Vice Marshal. Son expérience aérienne des avions de transport était d’environ 5000 heures de vol sur C 130 militaire (quadrimoteur à hélices) et 700 heures sur ATR 42 (Hélices). Il totalisait 473 heures de vol sur B 737, qui était son premier jet civil. Dans toutes les compagnies aériennes sérieuses, ce pilote n’aurait jamais été lâché directement comme Commandant de Bord, alors qu’il n’avait aucune expérience sur avion à réaction civil, ni du transport aérien. Il aurait servi comme copilote pendant quelques milliers d’heures de vol avant d’être lâché comme CPT. Lors d’une visite au Caire en mai 2004, j’ai rencontré l’ancien Directeur des Opérations de Flash Airlines, qui est un ancien chef pilote Airbus d’Egyptair. Il avait démissionné de Flash Airlines un mois avant le crash, notamment parce qu’il s’était opposé au lâcher direct de ce CPT sans qu’il ait acquis une expérience comme copilote. Une désorientation spatiale évidente du Captain Les enquêteurs du NTSB et du BEA sont arrivés à la conclusion d’une perte d’orientation spatiale du CPT, que j’avais estimé être la raison la plus probable de cet accident en janvier 2005. Cette désorientation a pu avoir eu comme phénomènes contributifs : Un vol par nuit noire J’avais montré qu’après le décollage, les pilotes survolaient la mer et que la Lune était absente, cette situation éliminant toutes référence visuelle. L’orientation spatiale des pilotes ne pouvait venir que des instruments de bord. Un Commandant de Bord distrait Les experts ont diagnostiqué d’abord une période de distraction provoquée par le changement de mode du FDS (Flight Director System), qui affiche une aiguille verticale sur l’horizon artificiel du pilote et qui lui permet de maintenir un cap. Le Pilote Automatique a d’abord été connecté par le F/O sur ordre du CPT, ce qui a entraîné un changement de mode de fonctionnement du FDS, qui semble avoir troublé le CPT, bien que tout à fait normal. Il a alors déconnecté manuellement le PA, puis demandé au F/O de recycler le FDS de façon à récupérer l’affichage de la barre de guidage sur son horizon artificiel. Après la déconnection du PA, on ne sait pas si le CPT tient les commandes ou s’il laisse l’avion aller à sa guise, car on constate que l’avion prend un angle de montée qui va jusqu’à 22° au lieu de 12° normal et que la vitesse diminue de 35 nœuds en dessous de celle de 220kt que devait 13 maintenir le pilote. Dans le même temps, le CPT laisse partir l’avion en inclinaison vers la droite, ce qui était contraire au schéma de départ prévu qui demandait un virage à gauche. L’avion s’engage un virage lent et continu vers la droite qui culminera à 111° 56 secondes plus tard. 14 secondes plus tard, le CPT s’exclame « Regardez ce qu’a fait l’avion », remarque qui laisse le F/O perplexe, puisqu’il lui faut 9 secondes pour répondre « Il tourne à droite, Monsieur ». L’inclinaison est alors de 20° et le F/O n’a aucune raison à cet instant de manifester une anxiété. Des problèmes de canaux semi-circulaires de l’oreille interne Les réactions du CPT à l’annonce « Il tourne à droite » montrent sa surprise et accréditent l’idée qu’il est désormais en désorientation spatiale et qu’il n’en est pas conscient. Des études ont été conduites par des experts US et du BEA à la demande de la Commission d’enquête égyptienne. L’oreille humaine est pourvue de 3 canaux semi circulaires placés dans 3 directions perpendiculaires. Chaque canal possède des cils qui baignent dans un liquide et sous l’effet des accélérations reçues, ces cils bougent de leur position de référence et transmettent au cerveau des informations permettant à l’homme de se situer dans l’espace. Ce sont des gyromètres donnant des accélérations angulaires. Quand l’accélération est constante, ces cils reviennent à leur position de référence, ce qui fait que dans un virage à taux constant, la sensation est identique à celle d’un vol horizontal. A la sortie d’un virage à taux constant, le signal produit est équivalent à une mise en virage dans le sens opposé, d’où une sensation de position erronée de l’avion. De plus, il existe un effet de seuil et ces sensations ne sont perceptibles que si elles dépassent un certain niveau d’accélération. Lors du vol accidenté, la mise en inclinaison à 111° s’est faite très graduellement n’a pas sollicité les sensations des pilotes, qui n’avaient que leurs horizons artificiels pour se situer dans l’espace. Qui plus est, les canaux semi-circulaires ont du leur donner de brèves sensations qu’ils viraient vers la gauche, alors que l’avion s’embarquait à droite. Ces phénomènes d’oreille ont pour conséquence une mauvaise perception de l’orientation spatiale par le pilote et son seul recours est de se fier à ses instruments et non pas à ses sensations d’oreilles. Dans certains cas, il en a conscience (Désorientation de type 1). Ce phénomène m’est arrivé sur un avion de chasse, en vol solo dans les nuages, un jour ou je volais enrhumé. J’avais la sensation d’être en virage à 60° d’inclinaison, alors que mon horizon artificiel indiquait des ailes horizontales. Je me suis fié à mes instruments et le phénomène a fini par passer en quelques instants. Mais c’est très désagréable, pour employer un euphémisme. Dans d’autres cas, le pilote n’est pas conscient de cette désorientation (Type 2) et c’est ce qui est arrivé au CPT de Flash Airlines, comme en témoigne ses propos : • • • • • Le F/O lui répète : « L’avion tourne à droite » 4 secondes après sa première annonce CPT : « What » CPT : « Ah » CPT : « Turning right ? » CPT : « How – Turning right ? » Ces quatre annonces sont faites en 6 secondes et marquent une incrédulité et pendant le même temps, le CPT met largement du volant vers la droite ce qui fait passer l’inclinaison à 50° et provoque la première annonce « Overbank » du F/O « Trop d’inclinaison ». De toute évidence, les oreilles de ce pilote lui donnent la sensation d’être en virage à gauche et il ne se fie ni aux observations du copilote, ni à son horizon artificiel qui lui indique pourtant une inclinaison de l’avion vers la droite Si toutefois l’horizon artificiel du CPT n’est pas en panne. Les enquêteurs Egyptiens, Américains et Français n’ont pas étudié cette possibilité que j’avais envisagée dans mon analyse de 14 janvier 2005. C’est un incident certes rare, mais possible d’une panne d’horizon du CPT qui se serait conjuguée ou qui aurait amplifié sa désorientation spatiale. Mais avec ou sans panne d’horizon artificiel, le CPT ne sortira pas de sa désorientation spatiale et continuera à garder le volant en oscillation d’ailerons, avec une large dominante de braquage de ce volant vers la droite et de brefs mouvements vers la gauche, malgré les 3 annonces « Overbank » que lui fait son copilote. Cette difficulté à sortir de cette désorientation était inévitable et les études ont montré qu’il fallait 4 à 18 secondes à un pilote pour produire le pilotage approprié pour sortir de cette situation. Le NTSB et le BEA ont déploré que la Commission d’enquête Egyptienne (MCA) n’ait pas assez investigué sur les problèmes de fatigue des pilotes, car la fatigue est un élément contributif à la désorientation spatiale. Les enquêteurs français ont démontré que le CPT n’avait pas respecté la législation nationale égyptienne, avec 16 jours de travail continu et seulement un jour de repos. Enfin, les deux pilotes avaient un manque de sommeil avec 3 vols de tôt matin pour le F/O et 2 pour le CPT les jours précédents l’accident. Un copilote qui n’a pas assumé son rôle Il avait 25 ans et 800 heures de vol, dont 242 seulement sur B 737. C’était son premier jet et la première fois qu’il servait dans une compagnie aérienne. Beaucoup d’accidents aériens sont survenus du fait d’erreurs faites par le Commandant de Bord et qui n’ont pas été contrées par le Copilote. Pour éliminer ces situations, toutes les compagnies aériennes bien structurées ont créé depuis les années 80 un dispositif d’instruction appelé « Crew Ressource Management » (CRM), qui a pour objet de former les pilotes à réagir de façon optimale lorsque se posent soit des problèmes relationnels entre les pilotes, soit des situations critiques de fonctionnement de l’avion. L’objectif étant, bien entendu, d’améliorer la sécurité des vols. Cette remise en cause du CPT par le F/O peut entraîner parfois des situations de conflit qui peuvent compromettre la sécurité des vols, mais le bilan global est très positif et les cours de CRM apprennent justement aux pilotes à identifier ces situations de conflit et à réagir sainement. La formation CRM n’était pas obligatoire en Egypte, mais elle figurait dans le manuel d’opérations de Flash Airlines, qui prévoyait 12 heures de cours en 2 jours de stage. Mais ni le CPT, ni le F/O n’avaient reçu cette formation CRM. Cet équipage peut être considéré comme un cas d’école exemplaire pour les cours de CRM, tant le manque de cette formation apparaît comme un élément contributif majeur à l’accident. La disparité était énorme entre ces deux personnalités et il en résultait une déférence naturelle du F/O, amplifiée par une forte personnalité du CPT. Ce manque de formation CRM chez le F/O, peut être aggravé par un manque de personnalité naturel, a entraîné chez lui une incapacité à réagir comme il l’aurait dû pour éviter l’accident. Les paroles du F/O sur le CVR montrent qu’il a une pleine conscience de la trajectoire. Il a fait les annonces très correctement, mais à aucun moment ne se montre directif pour suggérer une manœuvre au CPT ou intervenir sur les commandes de vol. Il est ahurissant de ne pas le voir intervenir sur les commandes alors que l’avion est en train de passer sur le dos, sauf, peut-être, lors de la manœuvre de redressement désespérée peu avant l’impact. Un CPT complètement perdu entraîne vers l’abîme un copilote respectueux et déférent. Le NTSB a souligné que dans de nombreux accidents, il apparaît que le stress n’abolit pas nécessairement la déférence à l’autorité qui est existe chez les juniors ! 15 Conclusions finales Pour le NTSB • • • • 1°) Aucune évidence n’a été trouvée d’un mauvais fonctionnement ou d’une défaillance qui ait causé ou contribué à cet accident. 2°) Les mouvements d’ailerons vers la droite qui ont entraîné la chute de l’avion résultent de mouvements commis par inadvertance par les pilotes. 3°) Le Commandant de Bord a été victime de désorientation spatiale durant le virage engagé vers la droite et le Copilote n’a pas assumé la prise de contrôle opportune de l’avion. 4°) L’avion est resté parfaitement contrôlable et réactif tout au long du vol. Le NTSB a souligné que le MCA (Commission d’enquête égyptienne) a conclu également que les mouvements de l’avion sont cohérents avec les mouvements des gouvernes de vol enregistrés par le FDR (Flight Data Recorder). Pour le BEA La note de 3 pages du BEA soutient les principales remarques et conclusions du NTSB et précise notamment les éléments suivants : • • • • • 1°) Les actions des pilotes n’ont pas été appropriées à la situation de détresse rencontrée. 2°) Ni le CPT ni le F/O n’avait reçu de formation CRM 3°) Le CPT n’avait pas reçu l’entraînement nécessaire pour être Commandant de Bord dans le Transport Aérien civil. 4°) La CPT était probablement fatigué par son activité des jours précédents et souffrait d’un manque de sommeil. 5°) L’avion est resté contrôlable durant tout le vol. ********************** ***************** ********* Ce présent document est publié sur le site www.nuisances-aeriennes.com, ainsi que l’intégralité du rapport final Egyptien, assorti des remarques du NTSB et du BEA 16