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BELOT MALAN & Associés
AARPI d’Avocats au Barreau de Paris
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VEILLE JURIDIQUE EN DROIT DE LA DISTRIBUTION
Cour d’Appel de Paris, 17 janvier 2013.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 17 janvier 20131, sans être totalement novateur, est
instructif en ce qu’il s’inscrit dans le sillage des rares jurisprudences relatives à l’abus dans la fixation
du prix dans les contrats exclusifs. Il vient en ce sens donner une nouvelle actualité aux arrêts Alcatel
du 1er décembre 1995, dont on rappellera qu’ils avaient dit pour droit que « lorsqu’une convention
prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la
convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus
dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation »2.
Dans le même temps, il se prononce sur la question de la contrepartie aux clauses d’exclusivité
d’approvisionnement dans les contrats de longue durée.
Dans cette affaire, la société A était liée par un contrat d’approvisionnement avec la société C, qui
s’engageait à lui fournir des prestations d’imprimerie et de stockage pour sa documentation
publicitaire. Le contrat contenait une clause d’exclusivité d’approvisionnement en faveur de la
société C, A s’engageant à ne s’approvisionner qu’auprès de cette société pendant toute la durée
contractuelle. Le contrat contenait une liste de prix annexée, mais cette liste ne couvrait pas
l’ensemble des prestations contractuelles. La difficulté venait de ce que ces prestations faisaient
l’objet de devis au cas par cas en fonction des demandes d’A, devis établis par C. C ne disposait pas
de liste tarifaire ni de conditions générales de vente, arguant de ce que pour les prestations en
question, une telle liste de prix n’était pas envisageable, puisqu’il s’agissait de prestations
personnalisées au cas par cas (ex : catalogues établis en un nombre d’exemplaires précis, dans un
papier spécifique et avec telle façon). Après deux années de relations contractuelles sans difficultés
apparentes, A informa son fournisseur qu’il trouvait ses tarifs devisés abusifs par rapport à la
concurrence. De fait, A avait fait établir des devis comparatifs par d’autres prestataires, devis qui
s’étaient révélés en moyenne 30% en dessous du prix devisé par la société C, et pour certaines
prestations à des niveaux de prix bien supérieurs encore. Ayant invité son prestataire à modérer ses
tarifs, ce dernier refusa et fit valoir que son cocontractant était tenu par une clause d’exclusivité, et
ne pouvait donc avoir loisir de s’adresser à la concurrence, du moins pendant la durée contractuelle.
A continua de s’approvisionner chez son cocontractant, mais commença alors à opérer une
diversification de ses fournisseurs, s’adressant auprès de la concurrence pour certaines prestations
basées sur des devis plus compétitifs. C’est dans ces conditions que C assigna la société A, en faisant
valoir que cette dernière aurait violé le contrat qui les liait, plus particulièrement en s’adressant à la
concurrence en dépit de la clause d’exclusivité qui figurait au contrat.
1
CA Paris, 17 janvier 2013, n° 11/08889 ; l’auteur précise qu’il est intervenu dans cette affaire en qualité de
conseil d’une des parties.
2
er
AP, 1 Décembre 1995, Alcatel, D. 1996, p. 13, note M. Jeol ; D.1998, p.1, note A. Brunet et A. Ghozi ; RTDCiv.,
1996, p. 153 , note J. Mestre ; RTDCom., 1996, p. 316, note B. Bouloc; RTDCom., 1997, p. 1, note M . Jeol.
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A ayant été condamnée par le Tribunal de Commerce de Paris à indemniser la société C, le jugement
est infirmé par la Cour d’appel de Paris. Devant cette Cour, A fait valoir plusieurs arguments. En
premier lieu, elle indique que la clause d’exclusivité devait être frappée de nullité, faute de trouver
aucune contrepartie dans le contrat. En second lieu, elle s’appuyait sur la jurisprudence ALCATEL,
pour faire valoir que son partenaire avait abusé de son droit à fixer unilatéralement les prix de ses
prestations contractuelles, ce qui légitimait qu’elle pût s’adresser à la concurrence. La Cour ne lui
donne pas raison sur le premier moyen tiré du défaut de contrepartie à la clause d’exclusivité (I),
mais estime ne revanche qu’il y a bien eu abus dans la fixation du prix, de sorte qu’A n’avait pu
engager sa responsabilité en s’adressant à la concurrence (II).
En dernier lieu, bien que ce point n’ait pas été abordé par la Cour, on s’intéressera à la question de
l’insertion de la jurisprudence ALCATEL dans l’exigence légale de négociation annuelle des prix posée
par l’article L.441-6 du Code de commerce, qui se posait en l’espèce quasiment sous une forme
épurée (III). Enfin, l’arrêt apporte une illustration intéressante d’une consultation de la CEPC par
l’une des parties en cours d’instance (IV).
I.
Le défaut de contrepartie à la clause d’exclusivité
A faisait valoir que l’exclusivité d’approvisionnement qui lui était imposée ne trouvait pas de
contrepartie dans son engagement, de sorte que le contrat était nul et qu’il ne pouvait donc lui être
reproché de l’avoir violé. C’était s’appuyer sur un courant jurisprudentiel sûr qui, dans les contrats
d’approvisionnement, en particulier les contrats dits « de bière », a établi que celui qui s’engage à
acheter un certain volume à titre exclusif, est en droit d’obtenir une contrepartie en échange de cet
engagement. La contrepartie doit exister, les tribunaux s’attachant à définir si elle n’est pas dérisoire
par rapport à l’engagement d’exclusivité. Ainsi, dans un arrêt du 8 février 2005, la Cour de cassation
devait estimer s’agissant de l’engagement d’un brasseur de se porter caution (simple) d’un prêt
souscrit par un débitant, lié à lui par une clause d’approvisionnement exclusif, que la Cour d’appel
avait a bon droit pu annuler le contrat pour défaut de cause, dans la mesure ou « appréciant les
contreparties au jour de la formation du contrat » elle a pu estimer que « l’engagement pris par le
brasseur était dérisoire »3.
S’appuyant sur la notion de cause, certains juges du fond n’ont pas hésité à comparer les prestations
réciproques en les valorisant sous leur appréciation monétaire, afin d’identifier une éventuelle
disproportion entre les prestations de chaque partie. Ainsi dans un arrêt du 4 mai 2009, la Cour
d’appel de Bordeaux devait annuler un contrat d’approvisionnement exclusif pour défaut de cause,
estimant que « Au regard des modalités mêmes de calcul de la réclamation de la société Elidis, le
3
Com., 8 février 2005, Bull., IV, n° 2 ; D. 2005, p. 1085, note T. Lambert, et 2836, note S. Amrani et B.
Fauvarque-Cosson ; D. 2006, p. 512, note D. Ferrier ; RTDCom., 2005, p. 825, note B. Bouloc. V. aussi CA
Versailles, 16 septembre 2004, n°2003-01025 : « L’engagement de caution d’un brasseur en faveur d’un
débitant de boissons ne peut constituer la cause de l’engagement d’approvisionnement exclusif souscrit par le
second qu’autant qu’il est établi que le cautionnement aurait pu être mis en œuvre en cas de défaillance du
débitant emprunteur. Dès lors que l’avantage économique et financier accordé au débitant devait consister en
un prêt bancaire obtenu grâce à l’intervention et à la caution du brasseur, l’obtention de ce prêt en dehors des
interventions et garantie contractuellement prévus démontre suffisamment que l’engagement
d’approvisionnement contracté par le débitant est dépourvu de cause en l’absence de contrepartie réelle de son
engagement » ; Com., 14 octobre 1997, n°95-14.285, D. 1998, p. 333.
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chiffre d’affaires auquel s’engageait la société brasserie de l’Europe au titre des 169.000 cols s’élevait
à la somme de 252.376 Euros hors taxes (…) Cet engagement est manifestement disproportionné
avec celui de la société Elidis qui s’engageait tout au plus à fournir à la société Brasserie de l’Europe
une terrasse d’une valeur de 6.000 Euros hors taxes, qui n’était que mise à disposition (…) qu’ainsi la
valeur de l’engagement contractuel de la société Brasserie de l’Europe était plus de quarante fois
supérieure à celui d’Elidis, en l’absence totale de risque de la part du brasseur, de sorte que le contrat
était manifestement déséquilibré (…) »4. On se trouve ici à la limite d’un contrôle de l’équilibre
contractuel par le biais de la cause, dont on sait qu’il est normalement prohibé dans la mesure où il
revient à contourner la règle selon laquelle la lésion n’est pas une cause de nullité5. Il eût sans doute
été préférable à la Cour de constater que la contrepartie était dérisoire – sans relever que le contrat
était déséquilibré – pour que son arrêt s’inscrive parfaitement dans le courant analysé plus haut et
puisse recourir à la notion de cause.
Le cas d’espèce - sans être un contrat de bière tout en présentant les caractères du contrat
d’approvisionnement exclusif, ce qui justifiait que les jurisprudences précitées puissent lui être
étendues - était assez illustratif de cette situation. En effet, sans s’être engagé sur un volume d’achat
précis, les besoins de la société A en catalogues et en stockage étaient importants, de sorte que le
volume prévisible d’approvisionnement était considérable, ce qui était d’ailleurs reflété par le
volume effectivement commandé les deux premières années du contrat. C faisait valoir qu’A avait
obtenu en contrepartie le financement d’un logiciel de gestion de stocks, lui permettant de connaître
en temps réel l’état de ses stocks chez C. Ceci n’était pas contesté par A, qui faisant cependant valoir
que ce logiciel avait coûté à C, factures à l’appui, la somme de 6.000 Euros, à mettre en rapport avec
l’engagement d’achat sur la période contractuelle, qui sur la base du volume déjà commandé et des
besoins planifiés, s’élevait à près de 800.000 Euros, soit un rapport de 1 à 130. La disproportion était
manifeste. Restait à savoir si la contrepartie était pour autant dérisoire.
La Cour ne sanctionne pas le contrat en l’espèce, estimant que l’exclusivité n’était pas dénuée de
contrepartie. On pourra trouver l’appréciation de la Cour un peu minimale sur cette question. Sans
véritablement s’expliquer, elle considère qu’il existait une contrepartie. Pour ce faire, elle ne procède
pas à une évaluation monétaire des prestations réciproques, mais relève que le logiciel avait été mis
au point pour répondre à des besoins spécifiques de la société A, et que si par la suite C l’avait mis à
la disposition d’autres de ses clients, ce logiciel constituait néanmoins bien une contrepartie à
l’exclusivité. Cette analyse est manifestement prudente, la Cour n’ayant sans doute pas voulu
s’aventurer dans un contrôle de la valeur des prestations réciproques qui l’aurait sans doute
conduite à opérer un contrôle de l’équilibre contractuel, contrôle trop risqué au regard des canons
traditionnels interdisant au juge de s’immiscer dans une appréciation de la valeur des prestations
réciproques.
Reste qu’il paraît difficile en effet d’évaluer la réalité de la contrepartie en faisant totalement
abstraction d’une valorisation des engagements de part et d’autre. Il ne suffit pas en effet de
constater l’existence d’une contrepartie qui existera pratiquement toujours – sauf exceptionnel cas
d’école – encore faut-il vérifier si elle est suffisamment sérieuse pour justifier l’engagement
4
5
CA Bordeaux, 4 mai 2009, n° 07/01547.
e
Terré, Simler, Lequette, Les obligations, 10 éd., n° 354.
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d’exclusivité, engagement souvent lourd et porteur de conséquences pour celui qui s’y engage,
comme l’illustre le cas d’espèce. C’est bien ainsi que raisonnent les tribunaux lorsqu’ils recherchent si
le contrat n’est pas dénué de cause, à l’instar de l’affaire Chronopost, relativement aux clauses
limitatives ou exclusives de responsabilité, où les juges devaient s’interroger sur le montant en
valeur de la limitation de responsabilité pour estimer que celui-ci étant dérisoire au regard du prix
payé par le client pour le bien ou la prestation, le contrat était dénué de cause. En posant l’exigence
d’une contrepartie à l’engagement d’exclusivité, les tribunaux ne peuvent s’affranchir de mesurer la
valeur relative des prestations chaque partie. La motivation de la Cour, bien que compréhensible,
n’emporte donc pas totalement la conviction sur ce point et l’ont peut regretter qu’elle n’ait pas été
plus audacieuse. Elle aurait pu s’appuyer sur un courant doctrinal sensible à un contrôle de l’équilibre
économique de la relation contractuelle6.
Il est cependant probable que la Cour, voyant que le second argument portait, ait souhaité rester
conservatrice sur ce volet du dossier. C’est donc sur le second argument, tiré de l’abus dans la
fixation du prix, que la société A obtient satisfaction.
II.
L’abus dans la fixation du prix
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris est intéressant en ce qu’il vient donner un regain d’actualité à la
jurisprudence ALCATEL du 1er Décembre 1995, qui n’avait donné lieu qu’à un nombre limité
d’illustrations jurisprudentielles, et qui avait dit pour droit que « lorsqu’une convention prévoit la
conclusions de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale
n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du
prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ».
On ne s’étonnera pas, en réalité, que la situation se soit rarement présentée aux Tribunaux7. Il est
rare de pouvoir constater effectivement la réalité de l’abus, tant il est parfois difficile de comparer ce
qui est comparable, le prestataire ou le fournisseur se réfugiant derrière la spécificité de son produit
pour justifier la différence de prix, ou encore faisant valoir que son cocontractant ne démontre pas la
réalité de l’abus.
Là encore, le cas d’espèce se présentait de façon très illustrative, puisque la société A avait pris soin
de documenter précisément les écarts de prix pratiqués entre son cocontractant et les concurrents
de celui-ci, en soumettant à chacun des demandes de devis sur des prestations identiques. L’arrêt
reproduit quelques exemples pour souligner l’écart entre les prix pratiqués par C et ses concurrents,
et pour finalement en conclure que ces écarts étaient suffisamment importants pour mettre en
évidence l’abus dénoncé par la société A.
On sait que, selon l’arrêt ALCATEL, la Cour de cassation a estimé que l’abus dans la fixation du prix
entraîne la responsabilité de son auteur, tenu de réparer le préjudice qui en est résulté. En l’espèce,
la Cour prend soin de souligner qu’A n’a pas subi de préjudice, puisqu’elle a elle-même pris l’initiative
6
C. Thibierge-Guelucci, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats », RTDCiv., 1997, p. 357 ; J.M. Guégen, « Le renouveau de la cause en tant qu’instrument de justice contractuelle », D. 1999, Chron., p.
352 ; D. Bakouche, L’excès et le droit, Thèse Paris II, 2005, n°125.
7
V. p. ex. après l’arrêt Alcatel, CA Versailles, 27 janvier 2000 ; CA Paris, 19 mai 2000, Alcatel c. Fryma, cités par
Ph. Le Tourneau, RTDCiv., 2000, p. 570.
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de s’adresser à la concurrence, en dépit de la clause d’exclusivité contractuelle. La société C est
suffisamment sanctionnée de ne pouvoir obtenir réparation de la sortie anticipée du contrat par son
partenaire contractuel, et de la perte de chiffre d’affaires qui découle de cette sortie anticipée. Il y a
là une forme d’exceptio non adimpleti contractus, la victime se dispensant d’elle-même de ses
obligations contractuelles en réplique de la violation contractuelle consistant pour le fournisseur à
abuser de son droit à fixer unilatéralement les prix contractuels. La situation était assez similaire aux
données factuelles rencontrées dans l’autre arrêt Alcatel rendu par la Cour d’appel de Paris le 19 mai
2000 - précité8 - dans lequel la Cour avait considéré que la rupture anticipée du contrat par la victime
de l’abus ne pouvait être sanctionnée dès lors qu’était constaté l’abus tarifaire pratiqué par Alcatel,
profitant de l’exclusivité d’approvisionnement contractuelle : « cette disproportion, au regard de la
clause d’exclusivité, de la durée du contrat, du type de matériel loué et de sa durée d’amortissement,
ainsi que de l’état du marché, traduit une majoration du prix dans le but d’en tirer un profit illégitime,
caractérisant par là l’abus reproché à l’appelante ; qu’il s’ensuit que la société Fryma, confrontée à la
mauvaise foi de sa cocontractante, était fondée à résilier le contrat pour les motifs exprimés dans sa
lettre du 14 février 1997 ». Dans la présente espèce, A n’avait pas résilié le contrat, mais n’avait pas
respecté la clause d’exclusivité contractuelle, en s’approvisionnant auprès de tiers. La Cour relève
ainsi que « au vu de ces éléments qui caractérisent manifestement un abus de la société C dans ses
propositions de prix, la société A était parfaitement fondée à s’adresser à la concurrence ». On ne se
méprendra pas sur la notion de « proposition de prix » ici évoquée, puisque dans cette affaire, les
prix proposés sous forme de devis n’étaient en réalité pas négociables par A, ce qui était bien le
nœud du problème.
Ainsi que l’avait à juste titre souligné le Professeur Le Tourneau dans son commentaire relatif à
l’arrêt du 19 mai 2000, l’abus résulte d’une conjonction d’indices qui étaient réunis dans l’affaire
Alcatel commentée par lui, à savoir des prix excessifs combinés à des circonstances particulières liées
à la convention litigieuse (existence d’une clause d’exclusivité, durée du contrat), le comportement
du cocontractant (majoration arbitraire, pratiques tarifaires opaques) ainsi qu’au contexte
économique (état du marché, situation de l’entreprise « victime », offres concurrentes, durée
d’amortissement du matériel acheté)9. Les critères étaient également réunis dans l’affaire
commentée, l’abus dans la fixation du prix se combinant une exclusivité d’approvisionnement, à des
pratiques tarifaires opaques (v. ci-après), à des offres concurrentes beaucoup plus avantageuses, le
tout dans un contexte économique global difficile pour l’acheteur qui justifiait une attention toute
particulière attachée au prix pratiqués par ses prestataires.
La jurisprudence sur l’abus dans la fixation du prix, est évidemment à rapprocher de celle relative au
contrôle de l’existence d’une contrepartie à la clause d’exclusivité, ces jurisprudences se croisant
dans la recherche d’un certain « solidarisme contractuel » qui impose à celui qui s’est vu confier le
droit de fixer unilatéralement le prix, de ne pas en abuser10.
L’arrêt apporte enfin un éclairage intéressant sur l’insertion de la jurisprudence ALCATEL dans
l’exigence légale de négociation annuelle des prix posée par l’article L.441-6 du Code de commerce.
8
Note n° 7.
e
V. aussi la synthèse de Ph. Le Tourneau, «Les contrats de concession », Litec, 2 éd. Spéc. n°176.
10
C. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel » : Mélanges Ghestin, JGDJ, 2001, p. 441.
9
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III.
L’insertion de la jurisprudence ALCATEL dans l’exigence légale de négociation annuelle
des prix posée par l’article L.441-6 du Code de commerce
On sait que l’article L.441-6 du Code de commerce pose l’exigence, sanctionnée par l’administration
ainsi que par les tribunaux sous la qualification d’abus dans la relation commerciale, d’une
négociation annuelle des tarifs, opérée par les parties sur la base des conditions générales du
vendeur, qui contiennent ses tarifs. Il est généralement considéré que cette exigence légale n’est pas
différenciée selon que les parties ont pris soin ou non d’insérer leurs relations au sein d’un contrat
cadre, de sorte que dans un tel cas, elles seront tenues de renégocier annuellement les prix quand
bien même le contrat imposerait une certaine durée de relation entre les parties.
Dans ces conditions, l’espace laissé à la fixation unilatérale du prix par l’une des parties sera
nécessairement rare, et ne se rencontrera qu’exceptionnellement.
Lorsque les biens sont standardisés, et qu’il est donc techniquement possible – et donc
théoriquement obligatoire – de proposer ces biens à un prix prédéfini dans des conditions générales
de vente, aucune raison ne devrait justifier qu’il puisse être dérogé à l’obligation légale de
négociation annuelle des prix menée sur la base de ces conditions générales, pas même les
avantages offerts par exemple par le fournisseur à son distributeur et définis dans le contrat cadre de
distribution ou de fourniture. L’exclusivité contractuelle ne devrait pas établir de dérogation à cet
égard.
Mais il peut arriver que les biens ou services proposés par le fournisseur ne soient pas standardisés
ou varient en fonction des besoins exprimés par le client. Dans un tel cas, le fournisseur ne peut être
tenu de produire des conditions générales tarifaires, comme le rappelle opportunément la CEPC dans
la présente affaire, dont les conclusions sont reprises par la Cour (v. ci-dessous (IV)). Celle-ci devait
ainsi relever que les prestations objet du contrat n’étaient pas de celles qui pouvaient faire l’objet
d’une tarification dans les conditions générales de vente, puisqu’elles dépendaient des besoins
spécifiques exprimés au cas par cas par le client. L’objet de la prestation était presque celui d’un
contrat d’entreprise, plus que d’une vente, la qualification étant cependant particulièrement
malaisée puisque une partie des biens fournis était uniformisée et standardisée – ce qui aurait dû
rendre obligatoire la négociation annuelle sur une base de prix de fournisseur – et le reste dépendant
effectivement des besoins spécifiquement exprimés par le client. Dans le second cas, il était évident
que le prix des produits et des prestations ne pouvait faire l’objet d’une prédétermination dans les
conditions générales, de sorte que la seule possibilité était bien de laisser au fournisseur la faculté de
fixer unilatéralement les prix, au vu de l’exclusivité qui interdisait à l’autre partie de s’adresser à la
concurrence.
Le cas d’espèce était assez particulier, tant il est rare qu’une partie soit tenue par une clause
d’exclusivité dans un contrat d’entreprise ou un contrat dans lequel les prestations sont définies au
cas par cas en fonction des demandes spécifiques du client. Pour les autres contrats de fourniture,
c’est-à-dire la majorité des contrats portant sur des produits standard, l’exigence légale de
négociation tarifaire annuelle devrait conduire à voir s’amenuiser dans l’avenir les hypothèses de
mise en œuvre de la jurisprudence Alcatel.
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IV.
La consultation de la CEPC pour avis en cours d’instance
Le défendeur, appelant dans cette affaire, avait pris l’initiative de consulter la CEPC en cours
d’instance sur la question soumise aux juges d’appel. La particularité de cette saisine est qu’elle n’est
pas encadrée par les articles L.440-1 et L.442-6-III du Code de commerce. Le premier de ces articles
prévoit dans ses alinéas 3 et 4 la faculté pour un opérateur de saisir la CEPC d’une demande d’avis
sur une pratique commerciale. Les avis rendus sont anonymes et peuvent faire l’objet d’une
publication dans le rapport annuel de la CEPC. Le deuxième de ces textes organise la saisine pour avis
de cette commission par un tribunal en cours d’instance, étant précisé que l’avis ne lie pas le juge.
Le texte ne prévoit rien sur la saisine de la CEPC en cours d’instance par l’une des parties au litige,
cette hypothèse devant être considérée comme admissible en tant qu’elle entre dans les termes plus
généraux de l’article L.440-1.
En l’espèce, le demandeur avait toutefois pris la précaution d’informer la CEPC qu’une instance était
pendante relativement à la question qui lui était soumise, de sorte que la CEPC avait précisé rendre
son avis sous réserve du pouvoir souverain des juges dans leur appréciation des faits de l’affaire.
Reste cependant que la consultation de la CEPC ne relève pas d’une procédure contradictoire, la
Commission étant saisie par l’une des parties sans que l’autre ne soit appelée à faire valoir ses
observations, à l’inverse d’une saisine par le tribunal sur le fondement de l’article L.442-6-III du Code
de commerce, le juge étant dans ce cas vraisemblablement amené à communiquer à la Commission
les écritures et pièces de chaque partie.
Le juge devra donc prendre soin, dans une telle hypothèse, à ne pas appuyer sa motivation sur l’avis
rendu par la Commission, afin d’éviter d’exposer sa décision à la censure pour atteinte au principe du
contradictoire.
Alexandre MALAN
Docteur en Droit
Avocat à la Cour de Paris
Associé (Bélot Malan & Associés)
[email protected]