La peinture des Primitifs à l`âge baroque.

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La peinture des Primitifs à l`âge baroque.
Parcours de visite
La peinture des Primitifs à l'âge baroque
(évolution des techniques et des représentations)
Mariage mystique de sainte Catherine, Niccolo di Tommaso
Parcours réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Service éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts
L’une des particularités des collections du Palais Fesch est de renfermer en leur
sein des œuvres représentatives de chaque siècle, pour une période allant de la fin du
XIVe siècle au début du XVIIIe siècle permettant, ainsi, au visiteur d’avoir un aperçu de
l’histoire de la peinture italienne, du Moyen Age jusqu’à la fin de l’époque moderne.
La Renaissance, en particulier, est donc largement représentée au Palais Fesch.
Peintures des Primitifs (second étage) :
Le nom de Primitifs est donné aux peintres actifs en Italie du XIIe jusqu’au XVe
siècle. Ce terme désigne des peintres qui travaillent sur des panneaux de bois et qui
n’utilisent pas ou peu la perspective.
Ils peignent des personnages très droits, raides, placés généralement devant un fond d’or
selon la tradition médiévale byzantine.
Mariage mystique de sainte Catherine, Niccolo di Tommaso
La technique de peinture des Primitifs est une technique particulière : le support
utilisé est le bois, notamment du peuplier, réputé pour sa résistance et très fréquent en
Italie. Avant de peindre et après avoir lissé le bois, les peintres doivent effectuer une
longue préparation constituée de superposition de couches de colle mélangée à une sorte
de plâtre : le gesso, afin que le bois n’absorbe pas la peinture qui est ensuite déposée.
Jusqu’au XVe siècle, on n’utilise pas la peinture à l’huile mais la tempera, c’est-à-dire de la
peinture à base de pigments naturels mélangés à de l’œuf qui sert de liant.
Le fond d’or quant à lui est obtenu en appliquant de la poudre ou de la feuille d’or (qui est
un matériau précieux qui vieillit très bien) sur une préparation à base d’argile rouge et de
blanc d’œuf : le bol d’Arménie, visible dans le présent tableau. Si le fond d’or permet de
mieux distinguer les décors dans les églises naturellement sombres, son caractère
précieux accentue également la divinité et le caractère sacré des personnages, en les
plaçant dans un cadre presque irréel, distinct de tout espace-temps identifiable. Le fond
d’or rappelle que Dieu est lumière.
Les thèmes abordés par les Primitifs sont, comme durant tout le Moyen âge où l’Église est
la première puissance politique et financière, des thèmes religieux. Les peintures,
essentiellement réalisées sur commande, sont destinées à orner les édifices religieux et
sont généralement réalisées pour s’intégrer facilement dans l’architecture existante (c’est
le cas pour le présent panneau dont la forme rappelle l’architecture de l’église). Pour
l’artiste médiéval, la maison de Dieu doit être une sorte de Paradis ; le fidèle doit y sentir
de toute son âme l’omniprésence de la divinité (fleurs, couleurs, éblouissements d’or).
A ce moment de l’histoire de l’art, l’important n’est pas de représenter les choses ou les
personnages en étant fidèle au réel, mais comme le clergé et le peuple doivent les voir :
divins et puissants.
Le caractère très figé des personnages procède des mêmes principes : s’ils sont aussi
hiératiques c’est pour mieux mettre de la distance entre eux et le monde des hommes.
Ces hommes et ces femmes, pour la plupart des saints, font le lien entre le monde des
hommes et le monde de Dieu ; ils sont dits « intercesseurs ».
Les images jouent donc un rôle extrêmement important au Moyen Age d’autant que la
majorité des gens ne sachant pas lire, c’est aux représentations picturales de les instruire
et de les aider à méditer.
Les personnages devaient donc être facilement identifiables. Pour les distinguer, on avait
pris l’habitude de les représenter avec des symboles, généralement des objets, liés à leur
histoire ou à leur rôle. Ces symboles prennent le nom d’ « attributs ».
Dans l’œuvre de di Tommaso, sainte Catherine est ainsi représentée avec un livre, car elle
était réputée pour être très érudite, mais aussi avec une bague que lui passe le Christ
comme symbole de leur engagement mystique / spirituel. Sainte Catherine est d’ailleurs
souvent représentée avec cet anneau. Sur le panneau de droite, saint Dominique est
aisément identifiable à sa robe noire et la fleur de lis qu'il porte dans la main gauche.
Triptyque de Rimini, Francesco da Rimini ( ?)
Cette suite de panneaux fonctionne comme une bande dessinée, bien qu’elle soit
vieille de près de sept cents ans, et est à ce titre très originale.
Il s’agit d’un triptyque qui raconte en trois images les moments importants de la vie de
Jésus : sa naissance, sa crucifixion, sa résurrection.
Ces trois panneaux ne présentent cependant que l’essentiel : les personnages et l’action ;
rien ne détourne l’œil du spectateur du sujet que l’on veut montrer.
La taille des personnages peut sembler assez surprenante dans la mesure où tous les
personnages sont tous au même niveau. Cependant, elle procède d’une réelle volonté de
l’artiste ; à la fin du Moyen Age, il s’agissait moins de représenter la réalité telle qu’elle
était que de représenter les choses et les personnages tels qu’on se les imaginait. En fait,
plus les personnages étaient grands, plus cela signifiait qu’ils possédaient autorité et
pouvoir.
La peinture révèle donc à quel point la société médiévale était hiérarchisée, l’Église étant
située au sommet de la pyramide.
Peintures de la Renaissance (second étage) :
La Renaissance naît et se développe à Florence au XVe siècle, notamment sous
l’influence de la famille Médicis.
Alors qu’au Moyen Age tout était subordonné à la religion, la Renaissance se présente
comme l’appropriation du monde par l’Homme. La Renaissance c’est un état d’esprit mais
c’est aussi une doctrine : l’humanisme où l’homme se découvre capable d’agir sur son
environnement.
On redécouvre les textes de l’Antiquité considérée comme l’âge d’or de l’humanité. La
Renaissance artistique fait suite à la Renaissance philosophique, notamment par le biais
de l’architecture, la révolution de la peinture n’intervenant qu’après, grâce à des évolutions
techniques comme la mise au point de la technique de la peinture à l’huile vers 1470
(frères Van Eyck). Elle permet aux artistes de se perfectionner dans le rendu des matières
(les tissus, la peau, les cheveux, la lumière puis l’ombre à partir de Masaccio) et de
peindre sur un support différent : la toile (sur laquelle ne pouvait tenir la peinture a
tempera), moins lourde que le bois et moins longue à préparer.
Tous ces facteurs techniques et le contexte historique font évoluer la manière de
représenter. Les artistes cherchent de plus en plus à donner l’illusion du réel.
Les images commencent donc à ressembler de plus en plus à la réalité ; la peinture se
met à la dimension de l’Homme et perd de son aspect surnaturel.
La médecine, notamment par le biais de l’anatomie, fait d’incroyables progrès.
L’observation de la nature et de ses détails, de l’être humain, de son corps et de ses
gestes donne envie de les reproduire fidèlement.
La Vierge et l’Enfant soutenu par un ange, Sandro Botticelli
Un peintre a marqué l’histoire de la peinture et le passage à la Renaissance :
Sandro Botticelli. Son nom était Sandro di Mariano Filipepi. Il est né à Florence en 1445.
Le surnom de botticello (qui veut dire « petit tonneau ») lui a certainement été donné par
son frère aîné à cause de sa petite taille et de ses rondeurs de jeunesse.
C’est dans l’atelier du peintre Fra Filippo Lippi que Botticelli est initié à la peinture. Il ouvre
finalement son atelier dans les années 1470. C’est à ce moment-là que Sandro Botticelli a
peint le tableau du Palais Fesch. Il s’agit donc d’un des premiers tableaux du peintre.
Par la suite, Botticelli reçoit les commandes des familles riches de Florence, en particulier
de la plus puissante d’entre elles : les Médicis. Il continue d’améliorer sa technique, il
cherche à cadrer différemment ses images, à utiliser encore plus la perspective, mais
aussi à multiplier les personnages dans ses panneaux.
Dans cette partie du parcours, il peut être demandé aux élèves de donner les
éléments de comparaison entre le Mariage mystique de sainte Catherine et le
tableau de Botticelli qui lui fait face, pour mieux comprendre ce qui distingue l’art
pictural du Moyen Age de celui de la Renaissance.
La Vierge Marie est ici représentée debout, en pied et de profil. Elle n’est plus
assise sur un trône comme une reine (Vierge en majesté).
Elle ne nous regarde même pas, elle ne cherche qu’à apporter son amour de mère à son
enfant. L’enfant Jésus ne s’occupe pas plus du spectateur, son regard est dirigé vers sa
mère. Nous voyons donc que, par rapport aux Primitifs, les peintres du début de la
Renaissance s’attachent davantage à retranscrire les sentiments humains en jouant sur
l’expressivité du visage. Les personnages ne sont plus figés mais témoignent d’une réelle
humanité.
Ainsi, l’enfant n’est plus un adulte en miniature, mais est un véritable bébé. Nous voyons
qu’il est lourd, et un ange adolescent (sans doute Jean Baptiste), reconnaissable à ses
ailes en plumes de paon rehaussées d’or, est venu le soutenir.
La construction n’est plus tout à fait pyramidale mais presque diagonale, ovale, se
rapprochant de la mandorle.
Le décor en arrière-fond est tout à fait novateur et quelque peu énigmatique. Ici, pas de
fond d’or ni de paysage comme dans les autres tableaux de la salle, mais un jardin muré,
généralement associé à la pureté, la virginité de Marie. Le livre posé sur une table derrière
l’ange, s’il témoigne d’une maîtrise encore imparfaite de la perspective, est cependant
assez moderne.
La guirlande placée au-dessus de la Vierge est, elle aussi, tout à fait originale. En fait, il
semblerait que cette guirlande soit inspirée des guirlandes représentées sur les
sarcophages anciens. Ce détail n’en est donc pas un puisqu’il montre l’intérêt que portent
les hommes de la Renaissance, les humanistes, à l’Antiquité.
Le travail des détails, notamment la fluidité des drapés et la transparence des tissus,
témoigne, enfin, de l’évolution dans les manières de peindre.
Tout cela concoure à faire de l’œuvre de Botticelli l’une des œuvres majeures du Palais
Fesch ; elle incarne le passage de l’art du Moyen Age à celui de la Renaissance, un
moment de l’histoire qui se préparait depuis déjà quelques années.
L’humanisme conduit les peintres à aborder des sujets plus proches des
préoccupations humaines, donc plus variés. En plus de la peinture religieuse, ils illustrent
des épisodes de la vie des dieux grecs et romains (mythologie), peignent des natures
mortes (fruits, fleurs et objets) et des allégories (personnages représentant des idées, des
saisons, des vertus …), font également des portraits. Ainsi, c’est à la Renaissance que
naissent ce que nous nommons les genres picturaux, qui sont par ordre décroissant
d’importance : la peinture d’histoire (dont la peinture religieuse fait partie), le portrait, le
paysage, la scène de genre (ou peinture de genre), la nature morte.
Peintures vénitiennes (second étage) :
L’Homme au gant, Tiziano Vecellio, dit Titien
Dans le portrait de l’Homme au gant de Titien, on peut apprécier les nouvelles
façons de montrer les choses et les gens. Le portrait, né à Florence au XVe siècle, devient
un art de cour au XVIe siècle. Titien s’impose comme un portraitiste exceptionnel : ses
portraits mettent en évidence la psychologie, la personnalité du sujet.
En suivant l’exemple de Léonard de Vinci, de sa célèbre Joconde et de son sourire, Titien
travaille surtout sur les regards et l’expression, ce qui rend le personnage presque vivant.
Ce portrait nous donne l’impression que les yeux du jeune homme nous suivent dans nos
déplacements.
Les élèves peuvent ici en faire l'expérience, s'ils se déplacent de gauche à droite,
puis de droite à gauche en fixant toujours les yeux de l'Homme au gant.
Les contours fondus font sortir le personnage de l’ombre vers la lumière, et l’éclat blanc de
la chemise sur le visage permet de le rendre très présent. Il nous parle.
Léda et le cygne, Véronèse (atelier de)
Cette œuvre du vénitien Véronèse est la représentation d’une scène mythologique.
On voit là encore le goût des peintres de la Renaissance pour l’Antiquité.
Comme on le sait, Zeus n’était pas insensible aux charmes féminins. Un jour, pour séduire
Léda, femme d’un roi grec, Zeus se transforma en cygne pour la séduire. De ses amours
avec le dieu, Léda conçut deux enfants (ou quatre, suivant les légendes), les Dioscures
Castor et Pollux, qui naquirent dans un œuf.
De nouveau, on constate que la peinture à l’huile donne un rendu bien différent : elle
permet des effets de matière qui accentuent l’imitation du réel, comme le montre l’effet
billant de la tenture. Le corps de Léda est lui-même criant de vérité.
Véronèse a très souvent traité de thèmes mythologiques. Il s’agit pour lui de faire
apparaître l’Olympe au côté de la République de Venise. Il lance, ainsi, un avertissement
aux autres États italiens et européens. Cette Léda, bien en chair, dont la chevelure blond
vénitien est ornementée de bijoux, révèle en fait l’opulence de la société vénitienne.
Peintures de la fin du XVIe siècle (second étage) :
Cette pièce est intéressante dans le sens où elle témoigne d’une diversification des
sujets abordés dans la peinture pendant la Renaissance et de la naissance des genres
picturaux.
Vases à fruits et fleurs et un perroquet, Anonyme
lombard ou romain de la fin du XVIe siècle
Paysage, Matthijs Brill (attribué à)
Scène de bataille, Antonio Tempesta
Peintures caravagesques 1 (second étage) :
On distingue souvent deux grandes périodes dans la Renaissance.
Si la première partie de la Renaissance, qui court de 1453 à 1563, se veut comme le
triomphe de l’Homme, la prise de conscience de sa place au centre du monde et, donc, se
traduit par un certain recul de la religion, les crises du début du XVIe siècle (Savonarole,
sac de Rome, crises scientifiques), notamment l’avènement du protestantisme, ont comme
conséquence le retour en force de l’Église romaine. Dans une Europe déchirée par les
guerres de religion, on craint en effet d’être allé trop loin dans la modernité et l’innovation,
on se tourne donc vers des valeurs plus traditionnelles et plus rassurantes. C’est la
Renaissance « tardive ».
Les personnes éminentes de l’Église catholique se réunissent lors du Concile de Trente
(1545-1563) pour trouver des solutions aux problèmes soulevés par le protestantisme et
tenter de ramener les fidèles en son sein.
L’art est imaginé comme l’une de ces solutions. L’art a souvent été vu comme un moyen
puissant d’instruction et d’enseignement, et les autorités ecclésiastiques pensent
nécessaire de créer des images fortes, symboles de la puissance de l’Église. Les sujets
religieux font leur grand retour dans la peinture grâce au style baroque, avec le souci
constant d’être le plus fidèle possible aux Écritures.
Le terme baroque vient du mot portugais « barroco », qui désigne une perle irrégulière. Il
signifie donc du contraste, de l’audace, du naturel, une plus grande liberté et, selon
certains, de l’incohérence, par rapport aux formes équilibrées et symétriques de l’art de la
première Renaissance.
L’art baroque, sorte d’application artistique de la Contre-Réforme, naît à Rome en 1630
avant de se diffuser dans le reste de l’Europe.
Caravage fait partie des premiers artistes de la Contre-Réforme. Il est l’un des
précurseurs du style baroque.
Très vite, le napolitain qui s’illustre par le réalisme frappant de ses tableaux, reçoit des
commandes du clergé afin de réaliser des œuvres qui susciteront à coup sûr l’intérêt des
fidèles.
Avec la technique du clair-obscur, Caravage donne une tension dramatique à ses
représentations, et la beauté de ces tableaux naît de leur brutalité. Tout est fait pour
frapper l’imagination et provoquer mimésis et compassion.
Nous sommes ici dans l’une des deux pièces consacrées aux œuvres caravagesques,
c’est-à-dire inspirées par l’œuvre de Caravage.
Sacrifice d’Isaac, Matthias Stomer (attribué à)
Le sacrifice d’Isaac est une scène tirée de l’Ancien Testament et est, sans doute,
l’un des thèmes bibliques les plus représentés au XVIIe siècle.
Dieu, pour éprouver Abraham, lui ordonne de sacrifier son fils Isaac, conformément à
l’usage de certaines tribus de Palestine de consacrer à Dieu leur premier-né. Abraham
obéit mais, au dernier moment, Dieu, voyant la dévotion sans borne de son serviteur,
envoie un ange qui arrête le sacrifice. A la place de l’adolescent, Abraham sacrifie un
mouton. Abraham devient donc un exemple à suivre pour tous les catholiques : en se
donnant complètement à Dieu, on acquiert pleinement sa reconnaissance.
D’origine hollandaise, Matthias Stomer a vécu plusieurs années en Italie. Ses tableaux
présentent des personnages aux attitudes théâtrales, au regard fixe, dans un clair-obscur
artificiel et contrasté, influencé par Caravage.
Dans les représentations du thème du sacrifice d’Isaac, c’est toujours cet instant
extrêmement tragique qui est choisi par les peintres, cet instant précis où le couteau va
transpercer l’enfant et où intervient l’ange. Un moment qui reste figé dans le temps et
l’espace mais donne une vision d’un futur proche par la présence du mouton.
Le regard perdu d’Abraham, complètement dépassé par les événements, totalement
soumis, semble hagard et ne faisant plus partie de la réalité. Isaac, quant à lui, est
représenté tout à fait résigné ; il accepte sans broncher son destin. Son corps nu est
éclairé, notamment sur la poitrine là où le couteau aurait du frapper. D’ailleurs, la
composition s’inscrit dans deux diagonales se croisant exactement à cet endroit précis de
la poitrine. La construction est jolie, les personnages sont proches et les corps plus
importants que les paysages. Le plan serré accentue le côté dramatique de la scène.
On aperçoit cependant un second plan qui donne au tableau des zones de respiration.
L’œil peut être « détourné » du drame par l’esquisse d’un paysage et par la présence des
deux serviteurs et de l’âne, d’ailleurs mentionnés dans les Écritures.
Peintures caravagesques 2 (second étage) :
Martyre de Saint Pierre, Luca Giordano
Par humilité envers la Passion du Christ, saint Pierre demanda à être crucifié la tête
en bas.
Il n’y a cependant que très peu de détails concernant le crucifiement de saint Pierre. On
ne sait par exemple s’il a été fixé sur la croix par des clous ou par des cordes, et la liberté
est laissée aux artistes pour les représentations. La mort de saint Pierre a lieu sans
témoins, il est souvent entouré de bourreaux qui s’acharnent sur lui, et on voit parfois des
anges autour de sa tête.
Toutefois, on l’aura compris, l’intérêt premier de cette œuvre réside dans la dramatisation.
Cette toile de Luca Giordano rappelle fortement l’art de Caravage : clairs-obscurs
dramatiques, trivialité des visages de mauvais garçons des bourreaux.
Une dizaine de personnages animent le tableau et deux d’entre eux, vus de profil,
encadrent la scène : le corps dénudé et tout en tension de saint Pierre est éclairé par une
lumière violente et se détache du fond sombre d’un brun violet. Toute la gamme
chromatique tourne autour des tons bruns, roux et violacés. Par son attitude, l’homme qui
se trouve à l’extrême gauche fait penser à un autoportrait.
Martyre de saint Sébastien, Luca Giordano
De l’avis des spécialistes de la peinture napolitaine, ce Saint Sébastien est un chefd’œuvre de la jeunesse de Luca Giordano.
Saint Sébastien était centurion. Dénoncé parce qu’il était chrétien, il fut condamné à être
transpercé de flèches. Ce martyre ne lui donna pas la mort, et il fut soigné par la veuve
Irène. Une fois guéri, saint Sébastien reprocha à l’empereur Dioclétien sa cruauté. Celui-ci
le condamna à nouveau. Il fut flagellé, et cette fois il ne survécut pas. En art, on distingue
les deux martyres, et c’est le premier que les artistes choisissent de représenter car il est
plus populaire, même s’il n’est pas fatal.
La force de cette scène, qui n’est aucunement naturaliste, réside dans sa construction à
partir d’un clair-obscur très contrasté où c’est moins le corps qui est représenté que la
manière dont il renvoie la lumière ; le fond est noir, la lumière, violente, détache le corps
blanc du personnage, donnant des aspects argentés sur le visage. De plus, la rareté et le
raffinement des couleurs qui ne se devinent qu’après quelques minutes d’examen (le bleu
sombre du drapé, la paupière rougie ou la branche jaune), accentuent encore la morbidité
de la représentation.
Le saint Sébastien de Giordano est bien un manifeste de la peinture baroque : tout est fait
pour donner une intensité dramatique maximale au tableau.
Nous sommes donc loin des représentations religieuses de la fin du Moyen Age car,
si le souci de montrer la grandeur des personnages religieux et saints reste le même, les
moyens pour les représenter ont profondément évolué.
Les personnages sont désormais des hommes avant que d’être des personnages saints,
et c’est ça qui est censé toucher le spectateur.
L’art baroque, initié par Caravage, connaît des évolutions et des variantes, suivant les
époques et les lieux. Toutefois, il se caractérise par le mouvement, le chatoiement des
couleurs, la profusion des personnages que contrarie une très grande rigueur dans la
construction.
Grande Galerie (second étage) :
Joseph racontant son songe à ses frères et Joseph reconnu par ses frères, Giovanni
Battista Gaulli, dit Baciccio
Nous avons ici deux pendants, ce qui est assez rare dans un musée.
Ces deux tableaux importants sont l’œuvre de Baciccio, élève de Bernin, l’un des plus
grands représentants de l’art baroque.
Ces deux tableaux traitent de deux épisodes de l’histoire de Joseph, tirée du Livre de la
Genèse. Joseph, fils de Jacob, est l'arrière petit-fils d'Abraham.
Joseph était le fils préféré de son père et, par conséquent, suscitait la jalousie de
ses frères ; un jour, il fit deux rêves qu’il leur raconta et qui augmentèrent leur jalousie à
son égard. Pour se débarrasser de Joseph, les frères le vendirent à des marchands qui
l’emmenèrent en Égypte, puis firent croire à leur père qu’il avait été dévoré par une bête
féroce.
La composition de ce tableau est somme toute assez simple : la scène se déroule au
premier plan où sont regroupés les personnages. Le personnage principal, Joseph, est
situé au centre de la scène et semble absorber toute la lumière. Les onze autres
personnages sont groupés par deux ou trois, et leurs regards convergent vers Joseph. A
l’arrière plan se trouve le paysage, occupant la même surface que les personnages.
En revanche, l’attitude de chacun des personnages est très étudiée : le personnage
central, Joseph, alors âgé de dix-sept ans, a une gestuelle signifiant qu’il est en train de
parler : il réclame l’attention de son auditoire par sa main droite levée ; il raconte l’un de
ses songes, et ses révélations conditionnent les attitudes attribuées à chaque membre du
groupe : tous les gestes sont étudiés pour exprimer la perplexité, la colère, la surprise,
l’étonnement, l’agacement. Joseph est mieux habillé que les autres, ce qui témoigne de
son statut particulier dans l’histoire.
Quant au paysage, il prend autant de place que les personnages ; Baciccio utilise
successivement des tons vert sombre, brun et ocre, puis pour montrer l’éloignement, la
chaîne de montagnes prend le ton vert-bleu, pour finir au dernier plan totalement bleue,
presque confondue avec le ciel.
L’œuvre est somme toute très classique avec ses plans distincts. Cependant, les gestes
des personnages, le rendu des drapés très tourmentés et le chatoiement des couleurs
sont emblématiques de la peinture baroque.
La fin de l’histoire nous est racontée par le second tableau.
En Égypte, Joseph interpréta un rêve qu’avait fait le Pharaon. Ce dernier eut alors la
possibilité de prendre ses dispositions pour éviter la famine qui toucha tous les pays
voisins, et, pour cette raison, il plaça Joseph sous sa protection. Comme tous les peuples
venaient s’approvisionner dans ce pays, Joseph retrouva ses frères qui se prosternèrent
devant lui en le reconnaissant ; Joseph invita alors toute sa famille à vivre auprès de lui
dans son nouveau pays afin de s'occuper des troupeaux du Pharaon. Le tableau
représente l’épisode des retrouvailles.
Baciccio a représenté Benjamin (le plus jeune des frères) au centre de la composition, sur
le même modèle que Joseph dans le premier tableau. L’artiste utilisait en fait souvent le
même personnage dans différents tableaux. Cela pourrait-il s’expliquer par le fait que
Joseph et Benjamin avaient la même mère, contrairement aux autres frères, et que seul
Benjamin éprouva le désir de sauver Joseph ?
La scène est complètement structurée par l’architecture : les personnages sont placés
dans un espace architectural qui laisse voir un paysage par de grandes arcades ouvertes.
Le tableau est construit comme un décor théâtral. Les arcades laissent apparaître un
paysage dans lequel figurent un palmier et la pointe d’une pyramide pour signifier que la
scène se déroule en Égypte.
Le baroque aime le mouvement mais rejette la confusion. En effet, la toile comporte un
grand nombre de figures et, pourtant, elle n’est pas confuse. Là encore, Baciccio a
organisé par groupe de deux ou trois, les personnages, dont les gestes et attitudes créent
une composition ordonnée et précise : les grandes lignes de la composition passent ainsi
par le poignet et la main inclinée du personnage central (devant le pilastre), une attitude
qui relie en fait tous les éléments entre eux.
Les rapports de couleurs sont eux-mêmes très raffinés : Baciccio utilise une palette de
couleurs très variées : bleus brillants, jaunes, roses pâles, verts, bruns, ocres, mauves,
oranges. Baciccio passe d’une couleur à l’autre, parfois très éloignées, avec maîtrise et
virtuosité. C’est ce que l’on nomme les couleurs cangianti.
Sainte Rosalie et un saint évêque intercédant auprès de la Sainte famille pour un
pestiféré, Antonio Gherardi
Ce grand format est un retable d’autel réalisé dans les années 1670 pour une
église. Les personnages aux formes sculpturales s’inscrivent dans une composition
verticale et sont encadrés par d’imposantes colonnes torses. Gherardi, inspiré par l’emploi
du clair-obscur caravagesque, donne à cette œuvre un caractère massif et compact.
Il y a sept personnages représentés dans cet espace restreint par les colonnes, un
huitième apparaît derrière l’architecture à gauche. On note la présence d’un pestiféré, de
saints intercesseurs (sainte Rosalie de Palerme et un saint évêque), de la Vierge et
l’Enfant, de sainte Anne et saint Joseph. Ce rassemblement de personnages importants
pour soutenir le pestiféré dans sa souffrance, montre la force et l’affirmation des dogmes
de l’Église romaine face au protestantisme. La période de la Contre-Réforme correspond
en effet à un retour des saints dans les représentations picturales, tandis que les
canonisations se multiplient et que de nouveaux saints apparaissent.
Par sa composition verticale, Gherardi place les personnages de manière hiérarchique :
en bas de la toile, le pestiféré représentant le monde tragique et quotidien, au-dessus, les
saints intercesseurs, et au sommet, les saints majeurs de la composition.
Gherardi a été marqué par de nombreuses influences dont il a tiré son propre style. Dans
cette œuvre, l’architecture est empruntée à Bernin : on reconnaît les colonnes torses
réalisées pour le baldaquin de Saint-Pierre de Rome. La présence de ces colonnes
renforce le mouvement ascensionnel : comme celui du pestiféré, notre regard est attiré par
les cieux.
Peintures romaines XVIIe siècle (premier étage) :
David, Bernin (entourage de)
Bernin est plus connu pour ses œuvres architecturales et sculpturales que pour ses
peintures. Pourtant, durant quinze ans, il a réalisé environ deux cents tableaux.
Malheureusement, ni signés, ni datés, il n’y a, à ce jour, que quinze tableaux identifiés de
l’artiste, pour la plupart des portraits et des autoportraits.
Pour cette raison, l’attribution du portrait du Palais Fesch, qui date de 1999, pose
problème, et l’on n’est plus sûr qu’il s’agisse bien d’une œuvre de Bernin.
Le portrait représente David, le célèbre héros biblique, qui releva le défi du géant Goliath
et le combattit avec sa fronde. Étourdissant le géant avec une pierre, David lui trancha la
tête avec sa propre épée. Après sa victoire, David entra triomphalement dans Jérusalem,
portant la tête sanglante du géant embrochée au bout de l’épée. La représentation du
David est fréquente dans l’art de Bernin, ce qui pourrait justifier l’attribution, d’autant qu’il
semble que l’artiste se soit identifié à ce héros biblique, lui prêtant parfois ses traits.
Bernin répond aux critères mis en place par les artistes du début du XVIIe siècle, qui
consistent à faire paraître dans les traits l’état psychologique du personnage, le reflet de
son âme et de ses pensées. Ainsi, le modèle étroitement cadré se dévoile dans une
position suggérant la surprise, comme s’il avait été saisi sur le vif afin que le spectateur
puisse capter son âme et déchiffrer ses pensées. Il se détache sur un fond sombre et
apparaît dans une lumière caravagesque qui anime la composition. La technique libre
accentue la pénétration psychologique. L’inclinaison de la tête, les yeux dirigés vers
l’extérieur du cadre et le geste en mouvement participent à cette nouvelle tendance du
portrait « vivant », réagissant face au spectateur, initiée par des artistes comme Titien.
Cette œuvre, qui a pu être parfois considérée comme un autoportrait de Bernin, témoigne
non seulement d’un retour aux textes religieux, mais, à plus forte raison, de l’évolution
dans les manières de peindre.
Le départ de Rébecca, Francesco Solimena
Francesco Solimena est l’artiste baroque par excellence, inspiré fortement par
l’œuvre de Luca Giordano à laquelle il ajoute fermeté et contraste dramatique.
Cet épisode, très rarement représenté en peinture, est, encore une fois, tiré de l’Ancien
Testament et fait suite à l’histoire du patriarche Abraham et à celle d’Isaac. En effet,
Abraham envoie son fidèle serviteur Eliézer dans son pays d’origine, la Mésopotamie, afin
qu’il trouve une épouse pour son fils Isaac. Eliézer rencontre Rébecca auprès d’un puits et
reconnaît en elle la future épouse de son maître. Dans cette scène, Rébecca fait ses
adieux à son père Béthouël, avant de suivre Eliézer qui l’emmènera vers son futur époux,
Isaac.
Cette œuvre séduisante est construite comme une scène de théâtre, avec plusieurs plans.
Les gestes et les attitudes des personnages les lient entre eux. Ils s’organisent autour de
Rébecca. Tous les regards convergent vers elle.
Ce tableau, emblématique du mouvement baroque, a un côté très mouvementé : on en
rajoute dans les drapés et dans l’éclat des couleurs, dans le contraste entre ombre et
lumière. Très éclairée, Rébecca est vêtue d’étoffes soyeuses et claires. Eliézer porte une
cuirasse et un large manteau rouge ; il descend les marches, son regard tourné vers la
jeune femme, tandis que sa main gauche tendue à l’opposé, l’invite au départ.
De nombreuses saynètes secondaires accentuent l’aspect théâtral de la scène, tandis que
deux personnages assez énigmatiques (l’homme de dos et la femme à l’ombrelle)
témoignent de la dynamique de la scène. On est sur le départ ; les chameaux attendent …
François Boucher (peintre-dessinateur du XVIIIe siècle) a réalisé un dessin à la sanguine
des deux personnages de dos, qui semblent complètement se détacher de la scène. Le
Palais Fesch a acquis ces dessins en 1999 ; ils se situent aujourd’hui au cabinet des arts
graphiques du musée.
Réalisation : Parcours réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Secteur éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts
Photographies : ©Palais Fesch-musée des Beaux Arts / RMN-Gérard Blot
Toutes les œuvres évoquées dans le présent parcours n'ont pas été reproduites dans le document.
Cependant, afin de préparer au mieux votre visite, elles sont consultables en ligne, sur le site du
Palais Fesch : www.musee-fesch.com.