Tracteurs agricoles - Travail et sécurité

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Tracteurs agricoles - Travail et sécurité
actu en images
Tracteurs agricoles
Du vent
dans les cabines
Travail & Sécurité 09 - 07
© Serge Morillon/INRS
Une étude menée par l’INRS en convention avec la MSA (1) a permis
de caractériser objectivement l’efficacité des cabines de tracteurs utilisées
en agriculture pour la protection des exploitants pendant la pulvérisation
de produits phytosanitaires. Enquête et reportage.
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Du vent dans les cabines
temps mis en solution, épandus
par pulvérisation sous pression.
Les volumes de “bouillie” (ou
mélange de produit phyto­
sanitaire et d’eau) employés
dépendent du végétal à trai­
ter. Ils varient généralement de
100 litres à l’hectare pour les
cultures “basses” (céréales, oléa­
gineux,…) à près de 1 500 litres
à l’hectare en arboriculture.
Une tendance se confirme de
réduction des quantités de
phytosanitaires pulvérisées sur
les cultures, plus économique,
meilleure pour la santé des uti­
Poussières
et gaz nocifs
Unité
de filtration
Ventilation/
Surpression
© Serge Morillon/INRS
Les produits à épandre
se présentent sous forme
de poudre qu’il faut diluer
afin d’obtenir une « bouillie ».
Principe d’une cabine ventilée de tracteur
© Idé pour l’INRS
L
es risques encourus par
les exploitants agri­coles
lors de l’application de
produits phytosanitaires
sont connus depuis de nombreuses années. Ces produits
remplissent des rôles précis :
fongi­cides, pesticides, insecticides… Ce sont souvent des
agents chimiques étiquetés
toxiques, nocifs ou irritants,
dont l’utilisation sans précautions entraîne des risques d’intoxication aiguë ou chronique
(cf. encadré). Jean-Paul Larrat,
ingénieur-conseil à la Caisse
centrale de la Mutualité sociale
agricole (1), confirme : « Les pro­
duits utilisés pour le traitement
des cultures sont la plupart du
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Phytosanitaires :
des risques sous
surveillance
F
ace aux risques
d’intoxications que
présente l’usage des
produits phytosanitaires,
la MSA a lancé plusieurs
actions.
• Le réseau Phyt’attitude
est composé de 70 équipes,
réunissant médecins du
travail, conseillers en
prévention et assistants.
Il recense et analyse les
intoxications (essentiel­
lement aiguës) liées aux
produits phytosanitaires.
Les médecins et
pharmaciens exerçant
en milieu rural sont invités
à contacter le réseau en
cas d’intoxication – ou de
suspicion d’intoxication –
de l’un de leurs patients.
Numéro vert (gratuit) :
0800 887 887.
© Serge Morillon/INRS
• La MSA a initié, avec l’aide
des universités de Caen et
de Bordeaux-II, ainsi que
du Francim (réseau des
registres des cancers),
un protocole d’étude
épidémiologique sur le lien
entre l’utilisation de
certains phytosanitaires
et l’apparition de cancers.
Cette étude, « Agrican »,
ne livrera pas ses premiers
résultats avant 2008-2009.
Pendant cette phase de préparation de la « bouillie », il est important de se protéger
des risques d’intoxication aiguë, grâce à des équipements de protection individuelle.
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Du vent dans les cabines
lisateurs comme pour la pré­
servation de l’environnement.
Mais cela demande de très bon­
nes compétences techniques et
une plus grande prise de risque
en ce qui concerne la protec­
tion des cultures. Toutefois, les
conditions météo, par exemple,
comme celles de cette année,
peuvent obliger à utiliser des
quantités plus importantes de
“phyto” contre les moisissures.
De plus, certaines techniques
d’application des produits, qui
font appel à de puissants ven­
tilateurs, dispersent plus large­
ment les produits, notamment
dans l’environnement de travail
de l’opérateur. » Conséquence
pour celui-ci : il est exposé au
produit, avec des risques de
pénétration cutanée, respiratoire, etc. « Si l’agriculteur veut
éviter de se retrouver sous une
“douche phytosanitaire”, précise l’ingénieur de la MSA, le
meilleur moyen de prévention
dont il dispose est un envi­
ronnement immédiat clos et
protégé. » Comme une cabine
ventilée, par exemple. Une
solution qui semble de loin la
meilleure en termes de prévention. « Le port des EPI (2) lors de
l’épandage pose de nombreux
problèmes, continue Jean-Paul
Larrat. D’abord, il ne procure
pas une protection aussi sup­
portable que l’atmosphère
assainie d’une cabine close.
Les gants, masques, etc., de
protection sont vite gênants,
tant physiquement que pour
l’image associée au danger
que suggère aux spectateurs,
voisins ou clients, le fait de
les porter. Il ne s’agit pas pour
autant de les bannir. Il faut
plutôt réserver leur utilisation
aux phases de préparation, de
nettoyage et de maintenance
du matériel, phases lors des­
quelles leur port est tout à fait
indispensable. Il semble cepen­
dant que des progrès doivent
être faits par les agriculteurs
pour la maîtrise des procé­dures
d’habillage et de déshabil­
Des cabines ventilées dans de nombreux secteurs
L
a société Brotec France fabrique des systèmes de pressurisation équipant les cabines de
nombreux engins. Ses principaux clients, leurs secteurs d’activité et les risques associés, sont :
• démolition : risque poussières (amiante, etc.) ;
• dépollution, traitement des déchets : risque chimique et incendie – explosion (hydrocarbures,
dégagements de méthane, H2S, etc.) ;
• mines et carrières : chargement et déchargement de produits à poussières fines ;
• industrie chimique : travaux en environnement confiné ;
• compostage : risque chimique (dégagement d’ammoniaque).
Le principe de fonctionnement est le suivant : les filtres adaptés aux toxiques sont installés dans
un caisson prélevant l’air ambiant. L’air est filtré et injecté en cabine sous une légère surpression,
sans risques pour le conducteur.
Une campagne d’essais est en cours, dans un laboratoire de l’INRS.
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lage et pour le net­toyage des
EPI après leur utilisation. »
Pour fournir un environnement à la fois sain et permettant des conditions de travail
optimales, la cabine doit assurer une excellente épuration
de l’air introduit, et être climatisée. Henri Clerc, de la société
Buisard, fabricant de cabines
de tracteurs, explique : « Il ne
sert strictement à rien d’ins­
taller une bonne filtration sans
une bonne climatisation. Sur
les tout premiers modèles, la
climatisation était inexistante
ou inefficace, et les exploitants
finissaient par ouvrir les fenê­
© Serge Morillon/INRS
© Serge Morillon/INRS
© Serge Morillon/INRS
Plus de 99 %
de filtration
tres, ce qui faisait perdre tout
le bénéfice des filtres. Les fabri­
cants ont alors travaillé sur un
concept réunissant les deux
objectifs. Les derniers et futurs
modèles sont très satisfaisants
de ce double point de vue. »
Les cabines sont très légèrement pressurisées, de l’ordre
de plus 20 Pascals environ (3).
« De même, un débit minimal
doit être assuré afin d’éliminer
le plus rapidement possible
les polluants susceptibles de
pénétrer dans l’habitacle, par
exemple lors de l’ouverture
d’une porte au cours du traite­
ment, ou d’une contamination
apportée par l’opérateur », souligne Denis Bémer, chercheur
au département Ingénierie des
procédés du centre de Lorraine
En haut, à gauche, lors de la phase d’homogénéisation de la « bouillie »,
le viticulteur laisse la porte de sa cabine ouverte, le port des EPI est donc
nécessaire. Aussi, un débit minimal d’air épuré doit être assuré, afin d’éliminer rapidement les polluants...
Ci-contre, le système de ventilation ici se trouve sur la cabine : il faut
changer le pré-filtre toutes les 100 à 200 heures.
Ci-dessus, le tracteur, muni de ses 8 buses, est prêt pour l’épandage.
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Pour en savoir plus...
• Documents MSA et INRS
- Risque phytosanitaire – Comment choisir sa cabine ? MSA,
Réf. 10645, 2003, dépliant.
- Phyt’attitude – Signalez-nous vos symptômes. MSA, Réf.
10877, 2006, dépliant Phyt’attitude – Synthèse de 18 mois
d’observations (janvier 2004 à juin 2005). Réf. 10947, 2006.
- J’entretiens et je règle mon pulvérisateur (en coédition avec le
Cemagref). MSA, Réf. 9850, 2006.
- Traitements phytosanitaires. Appareils de protection
respiratoire et filtres. Comment choisir ? MSA, Réf. 10318, 2001.
- L’applicateur de produits phytosanitaires. INRS, ED 867, 2001.
Utilisation des produits phytosanitaires en agriculture tropicale.
INRS, ED 870, 2001.
- Dossier web – Étiquetage des substances et préparations
chimiques dangereuses. Mise à jour : juin 2007.
Consultable sur le site : www.inrs.fr
- Prévention et port des EPI. L’utilisation de produits
phytosanitaires. INRS, NS 213, 2002.
- Affiches INRS : AD 632 ; AD 633 ; AD 634.
- Audiovisuels et multimédias : Les conseils du professeur
Chimico (DM 0315) ; Carré orange (DV 0322) ; Cartoon orange
– Napo et les produits chimiques (DV 0304).
• Normes et autres documents
- Normes NF U 03-024-1 (homologuée, 2000) et XP U 03-024-2
(expérimentale, 2006). Tracteurs et engins agricoles
automoteurs. Performance des dispositifs d’épuration de l’air
et des cabines vis-à-vis des produits phytosanitaires. Exigences
et essais. Partie 1 : dispositifs d’épuration de l’air. Partie 2 :
cabines à air filtré. Afnor.
- Le point sur l’évolution des travaux de normalisation dans
le domaine des cabines à air épuré destinées aux tracteurs
ou aux engins de pulvérisation automoteurs. Sécuri’Norm,
mars-avril 2007.
- L’index phytosanitaire, 43e édition. Acta, 2007.
de l’INRS. La MSA a signé une
convention avec l’INRS, pour
apprécier les performances des
cabines équipant les machines
agri­coles. Denis Bémer a mené
de 2003 à 2005 cette étude.
Tout d’abord, une campagne
de mesures sur le terrain, pour
caractériser les aérosols utilisés et tester l’efficacité des
cabines dans les différents
contextes : ­« grandes cultures »
avec rampes avant et arrière,
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viticulture et arboriculture.
« Dans tous les cas, nous avons
mesuré une capacité de filtra­
tion des cabines de plus de 94 %
pour la moins efficace ; et plus
de 99 % en grande culture, avec
rampe avant. Les aérosols sont
fins, avec un diamètre médian
compris entre 5 et 15 micro­
mètres, ce qui donne une indi­
cation sur leur capacité à se
disperser dans l’atmos­phère et
le type de filtres appropriés »,
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Les premières cabines ventilées n’étaient pas climatisées. Les exploitants
ouvraient les fenêtres, ce qui faisait perdre tout le bénéfice des filtres.
Les cabines sont désormais toutes climatisées.
© Serge Morillon/INRS
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La campagne de mesures a mis en évidence une capacité de filtration des cabines de plus de 94 % pour la moins
efficace, et de plus de 99 % en grande culture avec rampe avant.
détaille Denis Bémer. Les phases suivantes de l’étude ont eu
lieu dans les laboratoires de
l’INRS. Des tests ont été effectués en vue de mettre au point
une méthode d’essai pour les
filtres. Pour une efficacité opti-
male en agriculture, ceux-ci
doivent être composés de trois
étages. Le premier comprend
le pré-filtre anti-poussières, en
mousse ou plus généralement
en fibres synthétiques polyester. Le deuxième est composé
d’un élément épais, en fibres
synthétiques ou papier, d’une
haute efficacité contre les
aérosols. Et le troisième étage
comprend un charbon actif
pour piéger les gaz et vapeurs.
« Pour une bonne sécurité, il est
conseillé de changer le pré-fil­
tre toutes les 100 à 200 heures,
et les deux autres, solidaires
sur notre modèle, toutes les
500 heures », signale Henri
Clerc. Puis, une méthode de
mesure de l’efficacité des cabines a été mise au point en laboratoire, en collaboration avec
le Cemagref (4). « Ces essais sur
filtres et sur cabines ont mon­
tré la nécessité d’une référence
normative. Nous avons donc
intégré un groupe de travail,
pour la mise au point de nor­
mes européennes », indique le
chercheur de l’INRS. Jean-Paul
Larrat, de la CCMSA, conclut :
« Il existe un “cercle vertueux”
de la norme. Si les normes
deviennent des règles de l’art et
leurs niveaux de perfor­mances
des références réglementaires,
les fabricants ont une série
d’exigences à respecter. Ils
peuvent donc investir dans la
recherche-développement et
les compétences techniques
et commerciales, s’adresser à
des laboratoires certifiés… Ces
travaux européens, auxquels
participe également la MSA,
sont donc du plus grand intérêt
pour la prévention des risques
professionnels encourus par les
agriculteurs. »
1. MSA : Mutualité sociale agricole.
CCMSA, Les Mercuriales, 30 rue JeanJaurès, 93547 Bagnolet cedex.
Tél. 01 41 63 77 77. Site internet :
www.msa.fr
2. EPI : Équipements de protection
individuelle. Voir « Pour en savoir plus... »
3. 1 atmosphère = 1,013 bar =
101 300 Pascals. La surpression créée
dans la cabine est donc infime, de l’ordre
de deux dix-millièmes d’atmosphère, mais
suffisante, d’après le constructeur, pour
en assurer l’étanchéité.
4. Cemagref :Centre du machinisme
agricole, génie rural, eaux et forêts,
4, parc Tourvoie, 92160 Antony.
Tél. : 01 40 96 01 21. Site internet :
www.cemagref.fr
Antoine Bondéelle
Photos : Serge Morillon
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