L`un sans l`autre

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L`un sans l`autre
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L’un sans l’autre
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Nathalie Z.
L’un sans l’autre
Témoignages et réflexions autour du deuil périnatal d’un jumeau
Lulu
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Q
uand j'ai commencé à écrire sur le cheminement du deuil de mon fils
Pierre, je ne savais pas tout ce que cela allait donner. Revenir sur mes
sentiments, sur ce que nous avions vécu me faisait avancer. Je voulais
montrer la difficulté qu'est la perte d'un enfant à naître, l'attitude de
l'entourage, les étapes du deuil (déni, colère, tristesse, culpabilité...) et les
conséquences transgénérationnelles des deuils non faits. La mort de notre fils
a réveillé des évènements enfouis dans nos familles dont nous ignorions
l'existence. J'ai souhaité également donner la parole à mon mari, levant ainsi
un tabou sur le ressenti du papa trop souvent oublié.
La mort in utero d'un bébé quel que soit son terme est un sujet tabou
dans la société. La mort de son enfant n'est pas dans l'ordre des choses. La
mort, au lieu de la vie, gêne et dérange la société qui préfère étouffer, oublier
ce drame. Depuis quelques années des associations, le personnel médical, des
psychiatres s'unissent afin de dénoncer ce tabou. Cette réalité qui dérange
obère le travail indispensable de deuil des parents. Mais le combat pour faire
évoluer les mentalités est long et difficile pour les parents endeuillés.
Le deuil périnatal d'un jumeau est un deuil particulier puisque la vie
et la mort se retrouvent mêlées dans un jeu insidieux de cache-cache. Qui de
la mort ou de la vie va triompher ? Cet équilibre est complexe à atteindre
pour les parents qui ont perdu un jumeau. En outre, la mort périnatale d'un
jumeau est un sujet rare et peu connu. Les parents se retrouvent alors
démunis face aux questions particulières que suscite ce deuil.
J'ai écrit ce livre pour Pierre et Sarah afin de leur manifester tout cet
amour qui me brûle le coeur et pour tous les parents endeuillés à qui la
société refuse la reconnaissance de leur bébé mort in utero.
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Je voulais remercier tout d'abord mon époux Rémi qui a été présent
à chaque instant. Il a été ma force, mon soutien. Nous avons pu partager nos
ressentis dans l'écoute et le respect mutuel. Ce que nous avons vécu, aurait pu
nous engloutir, nous détruire. Mais aidés et entourés, nous avons réussi à
surmonter l'injustice la plus extrême qu'est la perte de son enfant.
Je remercie également ma maman qui par son expérience m'a
écoutée, consolée ainsi que mon papa qui m'a fait réfléchir et avancer dans
mon deuil. Mes remerciements chaleureux vont vers toutes les personnes qui
m'ont encouragée et aidée pour la rédaction de mon livre.
Je remercie aussi toutes les personnes qui ont été présentes : mes
frères ; Marc et Yves, Audrey et ses parents, Sandra et ses parents, ma
Grand-Mère, nos familles, tous nos amis, Soeur A-M, le Père Denis, les
psychologues, le personnel médical ainsi que toutes les personnes qui ont
pensé et prié pour nous.
Mes remerciements vont également à tous les parents et aux
jumeaux esseulés qui ont accepté de participer à mes réflexions sur le deuil
d'un tout petit. Extrêmement touchée et émue par leur confiance, je leur
envoie toutes mes pensées les plus affectueuses. Et enfin, merci à vous,
lecteur, de consacrer votre temps à cet ouvrage, qui j'espère vous éclairera
sur le deuil périnatal d'un jumeau.
À mon fils, à ma fille, aux prochains, à ma soeur...
À toutes les mamans et à tous les papas qui ont perdu un ou des bébés...
À ma mère et à ma belle-mère…
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L’attribution des prénoms des personnages décrits dans ce livre est purement
fictive.
Toutes ressemblances avec des personnes vivantes ou décédées, sociétés ou
institutions ne seraient que fortuites.
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Partie 1 : Mon témoignage
Une grossesse de rêve………………………………………………………15
La descente aux enfers……………………………………………………...23
Cocktail explosif ; colère, désespoir et impuissance……………………….37
Renaissance ………………………………………………………………...85
Partie 2 : Mes réflexions sur le deuil de l'enfant
à naître et la particularité du deuil périnatal d'un jumeau.
Le deuil périnatal d'un jumeau ; déchirement entre perte et attachement…101
L'enfant de remplacement ; la tentation à portée de main………………...125
Reconnaître le bébé mort-né ; un tabou dans la société…………………...127
Le personnel médical ; quel accompagnement ?..........................................141
L'arbre généalogique ; chacun à sa juste place…………………………….147
Les conséquences transgénérationnelles des deuils périnataux non-faits ;
ces bébés passés sous silence……………………………………………...153
Sarah, une jumelle esseulée ; vivre pour deux ou vivre à moitié ?..............159
L'entourage face à une réalité qui dérange………………………………...179
L'épreuve de la prématurité ; il manquera toujours quelque chose... ……..189
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Partie 3 : Ressentis et analyse du papa
Les évènements et ma perception au fil de l'eau…………………………..203
Mon cheminement…………………………………………………………213
Mon message………………………………………………………………241
Annexes
Lettre à Pierre……………………………………………………………...249
Situation législative des enfants nés sans vie lors du décès de Pierre……..251
Situation actuelle des enfants nés sans vie…………………………….......254
Vrais ou faux jumeaux ?...............................................................................255
Bibliographie………………………………………………………………257
Quelques associations de parents endeuillés………………………………259
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Partie 1 : Mon témoignage
C
ette première partie retrace le déroulement de ma grossesse, ainsi que
mon long cheminement du deuil de mon fils. Ce chemin, semé
d'embûches, de doutes, a été malgré tout parsemé de lumières d'espoir.
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Chapitre 1 : Une grossesse de rêve
La découverte de ma grossesse : un moment d'intense bonheur conjugal.
Je nous revois assis sur le lit tenant une feuille A4 pleurant de joie :
j'étais enceinte ! Le résultat de la prise de sang nous révélait la bonne
nouvelle. L'émotion nous submergeait ; c'était si beau ! Je portais le fruit de
notre amour. Nous attendions cela avec une telle impatience.
Nous étions le vendredi 24 février 2006. Fous de joie, nous
annoncions ma grossesse à nos familles.
Tout semblait si beau. Je me sentais transportée par une force
inconnue : j'avais dans mon ventre un petit bout de chou qui allait
transformer nos vies à tout jamais.
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Les semaines d'après furent merveilleuses. Je n'avais pas de nausées et nous
étions si heureux, évoquant avec émotion l'avenir. Mes parents nous avaient
offert un livre sur la grossesse que nous dévorions avides de connaître
l'inconnu.
Nous attendons des jumeaux : une joie indicible
Mais un premier nuage pointa le bout de son nez le lundi 20 mars. Je
perdais un peu de sang, signe éventuel d'une fausse couche. Mon époux me
rassurait en me lisant un paragraphe de l'ouvrage, J'attends un enfant de
Laurence PERNOUD. Néanmoins, je téléphonais à la gynécologue qui me
prit en urgence.
Rémi travaillant, j'y allais seule. Dans ma tête tout se mélangeait
avec fureur : le bébé était-il mort ? Que va-t-il se passer ? Souffre-t-il ?
Pourquoi ? Qu'ai-je fait de mal ? Etant extrêmement attentive à ce que je
mangeais, à mes activités...C'était injuste ! Mes pensées floues allèrent à ma
grande soeur décédée in utero, à ma mère...
Enfin, la porte s'ouvrit et ce fut mon tour. D'une voix blanche et
retenant mes larmes, je lui exposais la situation. C'était la première fois que
je voyais ce médecin. Très vite sa douceur et son écoute me rassurèrent. Elle
m'ausculta : le col était bien fermé. Alors je m'allongeais pour l'échographie.
« Tiens, c'est une grossesse gémellaire ! Et tout va bien ils sont bien
accrochés ! » s'exclama-t-elle. Ce fut le choc : je portais non pas un bébé
mort, mais deux enfants en vie et tout était parfait. Je ne pouvais plus les
retenir, les unes après les autres, les larmes coulèrent le long de mes joues,
c'était tout simplement incroyable ! Je voyais deux petites poches où à
l'intérieur j'admirais mes bébés. Je regardais en gravant ces images
fantastiques de ces deux petits êtres au fond de mon cœur.
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L'un mesurait 15,8 mm (de la tête aux fesses) et l'autre 16,8 mm. La
gynécologue me demandait si nous avions des jumeaux dans la famille.
J'acquiesçais sachant que ma mamie avait eu une soeur jumelle décédée dans
l'année suivant sa naissance.
La date prévue de l'accouchement était pour le 5 novembre. J'étais
enceinte de 8 SA. Je n'en revenais pas, j'avais du mal à réaliser la réalité. Elle
me prescrivit un arrêt de travail.
Comme un automate, je sortais de son cabinet. Je tenais
précieusement l'échographie entre mes mains encore tremblantes. Tout se
bousculait dans ma tête : des jumeaux ? Comment cela est-il possible ?
Quelle fierté ! Comment les éduquer ? Faut-il les séparer ? Quelle est la
différence entre les vrais et les faux jumeaux ? Seront-ils dans la même
classe ? Doit-on les installer dans la même chambre ?
Tant de questions !
Sans réfléchir, machinalement, je pris le bus pour aller à mon travail.
Mes yeux ne quittaient pas l'échographie, preuve que je n'ai pas rêvé, que
tout cela était vrai. Deux, ils étaient deux ! Arrivée à mon lieu de travail
j'éclatais en sanglot. Mon directeur croyait que je m'étais faite agresser. Et là,
je dis « J'attends des jumeaux ». Il ignorait bien évidemment que j'étais
enceinte ! Les collègues furent formidables et n'étant pas en mesure de
travailler, je rentrais chez moi.
Ce fut avec une impatience certaine que j'attendais mon mari. Enfin
il arriva. J'étais assise sur le lit et arborant un large sourire je lui dis
simplement tout en lui tendant l'échographie : « Ils sont deux ! ». Rémi
n'avait pas
tout de suite compris...en lui montrant la photo son visage
s'illumina. C'était magique ! Nous avons aussitôt annoncé l'incroyable
nouvelle à nos proches.
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Après avoir repris nos esprits, nous devions penser à un tas de
choses, comme de trouver un appartement assez grand.
Je me sentais si bien. J'avais hâte de revoir mes bébés et de pouvoir partager
cela avec leur père. Le prochain rendez-vous était prévu pour le 30 mars.
J'avais l'impression que rien ne pouvait m'atteindre. Ce sentiment de
toute puissance était une sensation inconnue. Je caressais mon tout petit
ventre en leur parlant. Je leur disais combien nous étions heureux qu'ils
aillent bien et que notre amour envers eux était infini.
Le 31 mars, j'étais à 10 SA. Pendant que la gynécologue analysait
nos bébés sous tous les angles, je les regardais de toutes mes forces. Ils
étaient si beaux !
Il s'agissait d'une grossesse bi-amniotique, bi-choriale. On pouvait
les voir bouger. Leurs petits corps ondulaient doucement. C'était incroyable à
admirer. La gynécologue me fit le certificat de grossesse. L'un des jumeaux
mesurait 28,4 mm et l'autre 26,6 mm. Tout était parfait : les bébés se
portaient à merveille et je me sentais épanouie.
Les semaines d'après, je commençais à avoir les petits maux de la
grossesse : les nausées et la fatigue. Je me souviens que je ne supportais plus
l'odeur du dentifrice, ni des pommes de terre cuites à la vapeur. Mais, durant
ma grossesse je n'avais vomi qu'une seule fois.
Ce qui était déconcertant, c'était de voir que je ne maîtrisais plus
rien : les odeurs, les aliments...Etre enceinte signifiait aussi de devenir
quelqu'un d'autre, d'accepter de ne plus contrôler son corps. Mais contrôle-ton vraiment son corps ? Tous ces sentiments étaient
bien étranges et
nouveaux.
Lorsque que l'on décide de devenir parents, beaucoup de questions se
posent. Comment a-t-on été accueilli par ses parents ? Quelle relation
entretient-on avec eux ? Vais-je reproduire le schéma familial dans lequel j'ai
grandi ? Quelles valeurs va t-on transmettre ?
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En devenant parents, on bouscule l'ordre et nos parents reculent d'un
cran dans l'arbre généalogique. Les parents deviennent grands-parents, les
enfants ont le statut de parents, les frères et sœurs deviennent des oncles et
tantes...Comment gérer tous ces bouleversements ?
Malgré toutes ces réflexions qui sont, à mon avis nécessaires, je
m'inquiétais pas mal des problèmes d'éducation liés à la gémellité.
Etrangement, avoir une grossesse à risque ne me faisait pas peur. J'avais
confiance. Et puis rien ne pouvait m’arriver !
Nous donnions des nouvelles à nos parents en leur décrivant
l'évolution semaines par semaines des bébés. Bref, une grossesse idéale...
Au travail mes collègues étaient aux petits soins. Les blagues allaient
bon train sur notamment la virilité du papa.
Être enceinte confère un statut spécial, mais attendre des jumeaux
(de façon spontanée) vous donne une image vraiment particulière dans la
société. Les jumeaux ont toujours fasciné les civilisations. Malédiction ou
bénédiction, les naissances de jumeaux intriguent et interpellent les sociétés.
De nombreuses légendes impliquent des jumeaux (Rémus et Romulus,
Castor et Pollux...).
Prochain rendez-vous : le 21 avril, je suis à 13 SA. De la tête aux
fesses les jumeaux mesuraient 76 mm et 74 mm. On les voyait bouger ; hop
une petite main qui s'agite, une jambe qui s'étire...C'était magnifique à
regarder.
Le reste du corps s'allonge ; les bras plus vite que les jambes. On
distinguait nettement l'avant-bras, le coude, les doigts dont l'extrémité se
durcit pour former les ongles. À l'intérieur de l'organisme, le foie s'est
considérablement développé. Le rein définitif apparaît. L'intestin s'allonge et
s'enroule. L'ossification du squelette se poursuit par celle de la colonne
vertébrale. Les muscles et articulations se développent.
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La gynécologue nous expliqua qu'elle allait calculer l'épaisseur de la clarté
nucale des enfants. Je savais ce que cela signifiait...La mesure de la clarté
nucale est une technique échographique d'estimation du risque de trisomie
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cette mesure et qui possède le logiciel capable d'en déduire le risque de T21.
Si l'épaisseur de la clarté nucale avoisine les 3 mm, d'autres examens
complémentaires seront pratiqués afin de dépister cette anomalie…
Et ouf, la clarté nucale était parfaite, à savoir 2 mm pour les deux. Et
nous repartions avec de belles images dans nos têtes. Je ne sais pas si vous
pouvez vous représenter le bonheur qui nous enveloppait : nos petits bébés se
portaient à merveille ! J'avais l'impression qu'une force m'entraînait dans un
tourbillon de joie. Certes, j'avais quelques inquiétudes quant à l'éducation à
donner, mais j'avais le sentiment que mon coeur allait exploser devant mon
amour pour mes petits bouts. Avec Rémi, nous plaisantions sur les achats en
double, le nombre de couches par jours, les biberons à préparer...Cela ne
nous faisait pas peur. J'étais sereine, heureuse dans ma maternité.
Nous fêtions Pâques avec mes beaux-parents et ce fut un bon
moment ; je revois encore, avec tendresse, mon beau-père jouer avec un
pendule essayant de connaître le sexe des ses premiers petits-enfants. Ce
quatrième mois s'annonçait serein. En effet, j'étais quand même contente
d'avoir franchi les trois premiers mois car comme beaucoup de gens, je
pensais que les fausses couches ne se produisaient qu'au début de la
grossesse.
Après de nombreuses recherches pour un nouvel appartement, nous
emménagions, début mai, dans un beau 4 pièces lumineux et spacieux. Il y
avait deux jolies chambres d’enfants. Nous nous sentions bien dans notre
nouvel appartement. Cela nous changeait de notre petit studio !
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Le 19 mai : j'étais à 17 + 5 SA. La gynécologue nous proposa de voir
le sexe des enfants. Nous avions bien évidemment réfléchi à cette question.
Savoir ou pas ? J'ai regardé Rémi, il m'a souri. Le premier jumeau était une
fille, quant au deuxième, il n'arrêtait pas de serrer les jambes et de se
positionner de telle façon qu'il était impossible de savoir. Nous plaisantions
car il voulait garder son mystère et faire durer le suspense. En effet, avec ma
grossesse bi-choriale et bi-amniotique, nous pouvions avoir : deux filles ou
deux garçons ou encore une fille et un garçon !
Un des souvenir qui restera gravé dans mon cœur, c'était de les voir
communiquer entre eux : l'un faisait une culbute et l'autre lui répondait par un
petit salut de la main et un petit coup de pied. La membrane qui les séparait
était très fine et bougeait au rythme de leurs mouvements. Ils se touchaient
presque. Puis un des jumeaux leva sa main vers sa bouche et suça son pouce.
La gynécologue nous dit alors que cela était assez rare de voir ça à l'écran,
alors on en a profité. Mon mari demanda au médecin s'ils avaient conscience
de l'un et de l'autre. Sa réponse fut positive. Bien évidemment il ne s'agit pas
de la même conscience que nous, mais ils sentent la présence de l'autre et ils
perçoivent notamment leurs battements cardiaques.
« La grossesse te va si bien ! » me disait une collègue. En effet,
jamais de ma vie je ne me suis sentie aussi bien que lorsque j'étais enceinte.
À ce stade, les bébés découvraient le sens du toucher : ils percevaient
nos caresses et s’amusaient à effleurer la paroi utérine avec leurs pieds…À la
fin de cette semaine, ils mesuraient environ 16 cm chacun.
C'était la dernière fois que nous les voyions tous les deux vivants...
Au travail, les collègues étaient attentifs à mon état. Je me souviens
que Thomas plaisantait en me demandant où allais-je trouver de la place dans
mon ventre pour les jumeaux. Je ne travaillais plus que pendant deux heures ;
de 16h à 18h pour aider les enfants à faire leurs devoirs.
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Mon ventre s'arrondissait et nous parlions à nos bébés. Je ressentais
de drôles de petites bulles qui montaient à la surface du ventre. Je les sentais
bouger ! C'était bizarre, étrange. J'avais un peu de mal à distinguer si c'était
ma digestion qui travaillait ou bien les mouvements de mes jumeaux.
Je regardais les deux chambres vides de notre appartement, et
j'imaginais déjà mes petits bouts dans leurs berceaux. Nous regardions les
annonces pour acheter notamment une poussette double. Et bien
évidemment, nous réfléchissions aux prénoms...Nous avions également
abordé ensemble les différentes préparations à la naissance et la question de
la présence du père à l'accouchement. Rémi souhaitait bien sûr être là, mais il
appréhendait un peu. Je savais qu'il ne fallait pas le forcer. Il devait faire
comme il le sentait. Nous étions dans un état d'euphorie.
Nous avions demandé à nos parents comment ils souhaitaient que les
jumeaux les appellent : grand-père et grand-mère pour mes parents et papi et
mamie pour ceux de mon mari.
Quelques jours avant le rendez-vous chez la gynécologue, je faisais
des cauchemars où nous devions choisir l'un des deux bébés pour sauver
l'autre. Un autre cauchemar m'angoissa : je me voyais en train d'accoucher et
il fallait en sauver un car leurs cordons s'étaient entremêlés...
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Chapitre 2 : La descente aux enfers
« Il y a un problème...»
Le mercredi 14 juin, je suis au début du cinquième mois : 20 SA +3
Notre vécu de l'échographie illustrait très bien la problématique du docteur
Roger Bessis, Qui sommes-nous avant de naître ? , à savoir que les parents
viennent pour voir leur enfant et que l'échographiste essaye de diagnostiquer
des éventuelles anomalies. Lorsque nous allions chez la gynécologue, c'était
dans l'optique de voir nos bébés et d'autant plus que tout allait si bien.
Le médecin me demanda si je les sentais bouger. Je lui répondais que
les mouvements étaient à leurs débuts et que je ne savais pas discerner lequel
des deux bougeait. Elle nous fit écouter les deux cœurs dont un battait moins
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vite. Après m'avoir pesée et auscultée, je m'installais pour l'échographie.
Nous étions tous tout sourire. La sonde tomba d'abord sur la petite fille et
l'ausculta sous tous les angles. Puis la gynécologue dit en plaisantant :
« Passons au second candidat ! » et l'image de l'autre bébé apparut sur
l'écran.
Il ne bougeait pas. Il était tout recroquevillé sur lui-même. Ses bras étaient
croisés contre sa poitrine et ses jambes repliées sur lui. Aucun mouvement
n'émanait de son petit corps.
La gynécologue était abasourdie et son silence me faisait peur. Puis
elle articulait d'une voix blanche « Il y a un problème... » . Mon cœur battait
si fort que j'avais mal à la poitrine. Mais que se passe t-il ? Je veux savoir ! Je
voyais flou et j'avais l'impression d'étouffer. Je lui demandais
« Il est
mort ? » « Je sais pas. Mais il y a quelque chose d'anormal. »
Elle nous expliqua que son appareil n'était pas assez performant pour
voir ce qu'il y avait exactement. Après un coup de téléphone passé à l’hôpital
pour obtenir un rendez-vous avec un professeur, elle essaya de nous rassurer.
Mon mari lui demanda, si à ce stade, on pouvait faire quelque chose. Mais
rien. Il n'y avait rien à faire. Nous devions aller à l'hôpital le lendemain
matin.
Quand nous sommes sortis de son cabinet, nous sommes tombés
dans les bras de l'un et de l'autre. Je n'y croyais pas. Assommés, nous restions
un long moment dans la voiture, nous serrant bien fort l'un contre l'autre,
avant de repartir. Dès notre arrivée à l'appartement, nous nous sommes
allongés pour déverser nos larmes.
Hébétés nous reprenions nos esprits au fur et à mesure, et commencions à
échafauder les hypothèses les plus folles concernant l'examen du lendemain.
J'étais en train de faire un mauvais rêve. « Je vais me réveiller dans un
instant. » me disais-je pour me rassurer.
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Je téléphonais à ma mère pour lui dire en sanglots ce qui nous arrivait. Je
passais la plus mauvaise nuit de toute ma vie. J'entendais encore les deux
cœurs qui résonnaient au fond de moi. Je parlais à mes bébés et à celui qui
avait un problème, je lui disais que je l'aimais, qu'il devait s'accrocher, qu'il
devait vivre...
J'avais du mal à réfléchir, à me concentrer.
« Décès sur J2 »
Jeudi le 15 juin : Nous avions rendez-vous avec un Professeur. Dans
la salle d'attente, il y avait un autre couple dont la maman avait un
magnifique ventre. Leur petit garçon de cinq ou six ans jouait. J'essayais de
ne pas penser, de ne pas réfléchir...Attendre...Les secondes vous paraissent
interminables...Attendre...J'avais l'impression que ce n'était pas moi, là, assise
la tête contre l'épaule de Rémi. C'était comme si je me voyais dans un film.
Attendre...
Enfin, ce fut notre tour...
Le Professeur posa la sonde sur mon ventre et tomba tout de suite sur
le deuxième jumeau : « La grossesse est interrompue. Décès sur J2 »
NON ce n'était pas possible ! Il ne peut pas être mort ! Pourquoi ?
À ce moment précis de ma vie, je sus que quelque chose en moi était mort.
Une partie de moi s'était éteinte avec la mort de mon bébé. Mon cœur de
mère se brisa en mille morceaux.
Voyant ma réaction le Professeur me dit alors « Vous passez d'une grossesse
gémellaire à une grossesse simple. ». Je crus devenir folle à cet instant. Et il
continua « Vous savez les jumeaux, c'est une grossesse à risque, il y a plus de
complications et puis cela donne beaucoup de travail. Son corps va se
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papyracer, s'aplatir et à terme il n'y aura plus rien. » J'avais envie de hurler,
de crier ma rage. Mais je n'ai versé que des larmes en silence.
Je le regardais, mes yeux embués de larmes. Puis, je me tournais vers mon
mari, je lus son désespoir sur son visage.
Concernant la petite fille, il n'y avait pas de risque. Des médecins prenaient
ses mesures. Tout allait très bien pour elle.
Le diagnostic posé, le Professeur nous laissa là avec une dame qui
semblait désolée. Mon époux demanda si nous pouvions rester quelques
instants dans une salle pour souffler avant de reprendre la route. Alors, seuls,
nous avions éclaté en sanglots. Je pleurais et je voyais que Rémi se retenait
pour me consoler. Puis nous sommes sortis de la pièce, toujours seuls.
« Il est mort ! » racontais-je à ma mère. Elle qui avait vécu cela, me
voyait souffrir de la perte de mon bébé. Je savais qu'auprès d'elle j'aurai cette
écoute si nécessaire quand on perd son enfant.
Nous nous sentions si seuls. Ma mère nous proposa de venir, ce que
nous avons accepté avec soulagement et une gratitude infinie.
Je ne voulais plus voir personne. Comment continuer ma grossesse avec un
bébé mort et un bébé en vie ?
Pourquoi est-il mort ? Qu'ai-je fait de mal ? Pourquoi nous ? Quelle
injustice ! Je n'ai pas été capable de sentir que mon bébé était décédé. Quelle
mère étais-je ? Je n'ai pas su le protéger ! N'était-il pas bien dans mon
ventre ? ! Pourquoi ? Pourquoi ? ?
Le fruit de notre amour était considéré comme une chose, un objet. Mais il
s'agissait d'un être humain que nous aimons infiniment ! Comment peut-on
parler ainsi d'un tout petit innocent ? La rage que mon bébé ne soit pas
reconnu me faisait souffrir intensément. Comment faire le deuil d'un rien ? !
La première personne à qui je me suis confiée par lettre était mon
père. Je lui écrivis tout ma douleur, toute la colère face à ce qu'était mon petit
pour les autres. Avec Rémi, nous étions bien évidemment d'accord pour que
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notre enfant ne soit pas un secret, ni un sujet tabou. Cela nous était naturel et
nous décidions que notre fille serait au courant qu'elle a eu un jumeau.
Je pleurais et je culpabilisais aussitôt car ma fille devait sentir mes
peurs, mes angoisses et je m'en voulais. Alors je lui parlais avec tout l'amour
que je lui portais en lui expliquant que ce n'était pas de sa faute si je ne suis
pas bien, mais que je pleurais la mort de son jumeau.
Je ne voulais plus être enceinte. Je voulais arrêter tout et que l'on
recommence. Je n'aimais plus ce gros ventre qui me faisait tant souffrir et
l'instant d'après ma fille me donnait des petits coups. Je lui parlais que je
craignais de la perdre elle aussi. Elle devait s'accrocher. J'avais si peur qu'elle
aussi meure ou se laisse dépérir.
Je refusais les visites et les coups de téléphone. Je remercie encore
toutes les personnes qui ne m'ont pas fuit durant cette période.
Ma mère me proposa de trouver un objet qui symboliserait son existence
dans notre petite famille. Cela pouvait être une plante ou un objet qui serait
son coin à lui, un lieu où nous pourrions nous souvenir de lui. Je refusais sa
proposition car au fond de moi je ne supportais pas l'idée de porter un bébé
mort et je n'admettais pas la réalité.
J'étais passée du bonheur total à l'insupportable en une journée.
Je voulais qu'on me rende mon enfant, que l'on me dise que ce n'était pas
vrai, que les médecins s'étaient trompés, que tout ceci n'était qu'un mauvais
rêve.
Il fallait tenir pour notre fille. Petit à petit je pus ressortir dehors.
Alors bien sûr les gens dans la rue demandaient gentiment « C'est une fille ou
un garçon ? », « C'est pour quand ? »
Que dire ? Pendant des mois je disais avec fierté que j'attendais des jumeaux
et que voulez-vous dire à présent ? Si je disais « Une fille » mon coeur
saignait intensément car j'avais l'impression de trahir le jumeau décédé.
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Et si je répondais « des jumeaux dont l'un est mort », les gens allaient être
intrigués et me presser de questions. Ce qui était intenable.
Je n'aimais plus mon ventre, lui qui n'a pas su garder cet enfant en vie.
« Pense à ta fille » me disait l'entourage. Mais quoi que je fasse ce n'était pas
bon : si je pensais à elle, alors je culpabilisais pour l'autre et si je pleurais le
bébé mort, je m'en voulais. Un sentiment de dévalorisation et de culpabilité
me dévorait. Alors que je savais pertinemment que je n'avais rien fait de mal
Avec époux, nous décidions de demander au prochain rendez-vous
gynécologique
prévu
le
vendredi
7
juillet
un
accompagnement
psychologique.
Malgré que la situation soit bien difficile à vivre, des remarques
infantilisantes nous avaient été faites. Je trouvais ces réflexions déplacées
compte tenu du contexte. J’étais bien attristée et me demandait ; quelle image
avait-on de moi pour qu’on me dise certains commentaires. Devrais-je me
battre pour me faire respecter en tant que maman ?
Portant un bébé mort j’avais besoin que l’on me soutienne dans ma capacité
d’être mère et non l’inverse.
Je m'étais remise en question me demandant si je ne devenais pas parano.
Mes beaux-parents étaient très gentils et demandaient de mes
nouvelles par téléphone, se souciant de mon état. Leur attention et leur
gentillesse me touchaient infiniment.
Les jours passaient, d'une lenteur insupportable. Je m'en voulais de ne pas
trouver une sérénité, car je portais aussi la vie. Cette petite vie qui ne
demandait qu'à grandir et qui me comblait profondément. Devais-je
m'accrocher à ma fille et oublier le bébé mort ? Comment arriver à cet
équilibre ? Avec l'aide infiniment précieuse du papa, je retrouvais tout
doucement le sourire. Nous nous écoutions et nous nous soutenions
mutuellement. Nous ne faisions plus qu'un, unis aussi dans la plus grande des
douleurs, celle de perdre un enfant que on l'aime déjà si fort.
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Toutefois, je vivais dans l'angoisse permanente de perdre le bébé
vivant. Cette crainte, ancrée en moi, m'empêchait de savourer ma grossesse.
Je voulais revenir en arrière, ou faire une pause afin de mieux reprendre.
Mais ce que j'ignorais, c'était que le deuil d'un jumeau est un deuil
extrêmement complexe, long et coûteux en énergie.
Ma maman rentra en Bretagne.
Le vendredi 7 juillet : 23 SA + 5.
Le cinquième mois se terminait. Nous avions fait la demande d'être
accompagnés psychologiquement. La gynécologue était très à l'écoute. Elle
téléphona à un des psychologues de l’hôpital, afin d'obtenir un rendez-vous
qui fut fixé pour le 13 juillet en consultation externe.
Je questionnais le médecin s'il existait un moyen pour reconnaître le
bébé mort (un papier, n'importe quoi, mais quelque chose pour signifier qu'il
avait existé et qu'il faisait partie de notre famille).
Toute désolée, elle nous expliquait qu'elle ne connaissait pas les aspects
juridiques, mais que la psychologue pourra nous éclairer. En tant que
gynécologue, elle n'avait jamais eu un cas comme le nôtre, alors qu'elle
suivait environ une à deux grossesses gémellaires par an.
J'appréhendais le moment de l'échographie. Qu'allait-on découvrir ?
Et en même temps, je ressentais le besoin vital de voir ma petite fille en vie
et de constater que tout allait bien pour elle. Aurais-je toujours des
sentiments complètement contradictoires ? Le médecin faisait tout pour me
rassurer. Elle m'ausculta et trouva le col fermé mais un peu mou. La sonde
passa sur mon gros ventre et l'image de ma fille apparue immédiatement. Elle
était magnifique et bougeait pas mal. De la tête aux pieds, elle mesurait
environ 25 cm et pesait près de 500 g. J'en avais les larmes aux yeux ; elle
s'accrochait à la vie. Ma fille était si belle ! Et c'était elle qui m'obligeait à ne
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pas baisser les bras, à me battre. La sonde passa sur le bébé décédé. J'avais
besoin de le voir. Il était toujours recroquevillé sur lui-même. Il semblait si
petit, si fragile. La gynécologue, sur notre demande, essaya de voir quel était
son sexe. Mais ce fut en vain. Après la brutalité de l'annonce de la mort d'un
des jumeaux, la douceur de ma gynécologue me fit un bien fou, même si mes
questions restaient sans réponses.
Comme mon col était un peu mou, j'avais pour recommandation d'être au
repos.
L'hospitalisation : je vais accoucher
Lundi le 10 juillet, je commence le sixième mois. Je suis donc à 24 SA +1.
À 14h, je prenais une petite douche et en m'essuyant, je remarquais des pertes
brunâtres. Paniquée, je téléphonais à Rémi qui me recommanda de contacter
la gynécologue en attendant qu'il vienne.
Par téléphone, le médecin m'interrogea si je sentais mon ventre se durcir. Ne
ressentant rien, elle me conseilla tout de même de me rendre aux urgences.
Mon mari me rejoint rapidement.
Aux urgences, je fus examinée sous toutes les coutures. Mon corps
ne m'appartenait plus.
Mon col était ouvert à un doigt et des contractions apparaissaient nettement
sur le monitoring. À l'échographie, on distinguait le jumeau mort glissant
vers le bas, sa tête appuyait sur le col. Jamais je ne pourrai oublier cette
image. On m'installa immédiatement dans une salle de naissance puisque
j'étais en plein travail. C'était la salle Botticelli. Il y avait une rupture
prématurée des membranes (RPM) sur le bébé mort. J'en « voulais » au bébé
décédé : pourquoi es-tu mort ? Tu ne pouvais pas rester tranquille dans mon
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ventre ? Pourquoi veux-tu sortir maintenant ? Je pensais ça et en même temps
je culpabilisais d'avoir ces pensées. C'était insupportable psychologiquement.
Tout le monde s'agitait autour de moi. À 24 SA, la jumelle avait peu de
chances de vivre. Moi, je me laissais faire, anéantie. Je ne maîtrisais plus
rien. Le monde s'écroulait autour de moi. On me fit des piqûres de
corticoïdes activant la production de surfactant, pour donner le maximum de
chances de survie au bébé vivant. J'entendis une autre maman accoucher et le
cri de son bébé m'arracha le coeur. Mon mari était toujours à mes côtés. Sans
lui, je n'y serai pas arrivée, sa présence m'était vitale.
Toute l'équipe médicale était très gentille. Je revois encore le regard plein de
compassion d'un des docteurs.
Je laisse la parole à Rémi : « La nuit fut longue. Les contractions se
rapprochaient et s'amplifiaient. Nathalie s'épuisait et supportait difficilement
la douleur devenue intenable. Si quelques paliers de stabilité dans l'intensité
des contractions nous donnaient un peu d'espoir, les graphiques étaient
implacables. Je n'avais pas d'ordre de grandeur quant aux valeurs enregistrées
par l'appareil, mais la tendance était nette. A posteriori, lorsque mon épouse a
réellement accouché, je me suis rendu compte que les contractions à leur
paroxysme (chiffrées entre 70 et 80) étaient similaires à celles proches de la
délivrance pour d’autres mamans. La venue au monde de nos bébés me
paraissait inéluctable, même si je m'accrochais à un fol espoir. Les scénarios
quant à la naissance, les difficultés que pourraient rencontrer Nathalie, les
chances de survie du bébé, trottaient dans ma tête. La fatigue me gagnait et je
ne savais plus trop si je n'étais également pas malade, tellement j'étais dans
un état second. »
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Je priais comme une folle, espérant que les contractions allaient
s'arrêter, puisqu'il n'y avait rien d'autre à faire. Les médecins nous avaient dit
qu'ils laisseraient faire la nature.
Puis, à 3h du matin, les contractions s'arrêtèrent. Ils m'installèrent
alors dans une chambre avec une autre mère. Je ne me sentais pas bien et face
à mon désespoir, je fus transférée dans la chambre 70 prévue pour les
moments très critiques. Nous avions téléphoné à nos parents pour leur
annoncer que j'étais hospitalisée avec une menace d'accouchement
imminente. Ma mère nous demanda si elle pouvait venir et prit le train
immédiatement.
Mardi le 11 juillet : 24 SA + 2 :
La situation était extrêmement critique. En effet, je pouvais
accoucher à tout moment, car le bébé mort appuyait sur le col. En outre, le
lendemain de mon admission, les médecins nous expliquaient qu'on avait
découvert une infection et qu'à ce stade, ils ignoraient encore ce que c'était.
Le risque était que cette infection touche le bébé vivant et / ou mon utérus.
Je devais prendre ma température toutes les quatre heures et j'avais
une prise de sang matin et soir pour calculer le taux de CRP. En fonction de
son niveau et de son évolution, il était possible de suivre la progression de
l'infection. Donc si celle-ci se déclarait plus forte, l'accouchement serait
provoqué.
En un mot, tout pouvait arriver.
En effet, soit le bébé mort pouvait sortir et le travail s'arrêter là, soit
les deux bébés pouvaient naître en même temps. Nul ne savait ce qui allait se
passer. L'équipe médicale n'avait vu qu'un autre cas comme le mien, mais le
jumeau décédé était sorti et la grossesse avait pu se poursuivre jusqu'au bout
pour l'autre bébé.
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Toutefois, un nouvel élément était apparu, à savoir que nous avions
la possibilité de reconnaître notre enfant mort puisque c'est la date de
naissance et non pas celle du décès qui compte. La cadre du service nous
expliqua extrêmement bien les modalités de cette possibilité qui s'offrait à
nous. Deux cas de figure existaient : soit nous choisissions d'organiser des
funérailles, soit l'hôpital prenait en charge le corps. Dans ce cas, les cendres
de notre enfant auraient été dispersées dans un des cimetières municipaux où
une stèle est érigée, mais il n'y avait pas de possibilité d'installer une plaque
nominative. D'un commun d'accord nous souhaitions profondément donner à
notre bébé des obsèques. Pour nous, la question ne se posait même pas. De
plus, nous avions le choix d'inscrire le bébé mort dans le livret de famille.
Mes parents nous avaient proposé de participer financièrement aux frais
d'obsèques afin que la question du financement ne soit pas un obstacle. Nous
étions très touchés par cette délicate attention.
Nous avions eu la visite de la psychologue qui nous avait écouté et
qui avait répondu à nos questions. Cependant elle devait partir en congé
pendant trois semaines et nous proposa alors d'être suivis par une collègue.
Après cette visite, un pédiatre du service de réanimation néonatale
nous expliqua comment notre fille allait être prise en charge dans ses
services, puisque je pouvais accoucher à n'importe quel moment. Il nous
exposa les différentes étapes de son travail suite à la naissance d'un bébé
prématuré et la philosophie de l'équipe par rapport à la survie des très grands
prématurés. Pendant qu'il parlait, j'avais du mal à me concentrer. C'était
comme si mon esprit était parti ailleurs, loin de l'agitation qui régnait autour
de moi.
Pour tenir le coup psychologiquement, je me suis mise dans une sorte
de bulle tout en étant terriblement consciente de l'extrême gravité de la
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situation. Mais c'était comme si ses paroles ne m'atteignaient pas, comme si
un bouclier autour de moi me protégeait de la réalité. Le pédiatre précisait
qu'à ce stade, si notre fille ne se battait pas pour survivre, ils ne
s'acharneraient pas sur elle. En effet, 24 / 25 SA est la limite de la viabilité
dans les faits. À ce stade, le taux de survie des bébés est de 50 %. Mais ceux
qui survivent ont des séquelles assez graves. Compte tenu de cela, l'équipe
pédiatrique essaye de voir quelle sera la qualité de vie de ces enfants.
Toute l'équipe médicale ne me cachait pas qu'il y aurait peut-être
deux cercueils à mettre en terre...Je le savais et d'un côté je le refusais. Tout
allait trop vite, je n'arrivais plus à suivre. J'étais dans un tourbillon d'horreur.
J'avais l'impression d'être au bal de la Mort et que dans sa danse macabre elle
essayait de me séduire et de m'entraîner dans sa course folle.
On me proposait que quand j'accoucherai, le bébé mort pourrait être
enveloppé dans un petit drap que je pouvais broder. Je souhaitais faire
quelque chose pour lui, alors cette proposition me convenait parfaitement.
J'avais ainsi l'impression d'être utile.
Le personnel médical me disait que chaque heure passée était une
grande victoire pour ma fille. Les minutes jouaient et je devais tenir.
C'était un combat entre la vie et la mort. Mais comment tenir alors que je ne
contrôlais plus rien ?
Ce qui me faisait également souffrir, c'était que je ne pouvais pas caresser
mon ventre pour toucher ma fille, puisqu'il ne fallait surtout pas que les
contractions reprennent et mon utérus ne devait pas être stimulé. N'importe
quelle mère aime caresser son ventre et moi je ne pouvais pas. Tout ce que je
pouvais faire c'était lui parler, lui dire combien je tenais à elle et que sa vie
nous était infiniment précieuse.
Avec mon époux, nous nous étions mis d'accord pour demander à
nos parents deux services. D’une part, nous leur demandions de prévenir
notre entourage de la situation, et d’autre part, de se renseigner pour les
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obsèques (frais, possibilités, fleurs...). Nous déléguions ces tâches avec une
confiance infinie envers eux. C'était trop dur pour nous à ce moment là et
nous avions absolument besoin de nous reposer sur des gens de confiance.
J'avais fait ces deux demandes à nos mamans respectives qui étaient
à mes côtés à l'hôpital. Toutes les deux acceptèrent. J'étais loin alors
d’imaginer tout ce que ma grossesse allait réveiller de souffrances cachées.
Tenir à tout prix !
Tous les matins, le monitoring me permettait d'entendre le cœur de
ma fille. Cela me rendait folle de joie de l'écouter et d'un autre côté, je
n'entendais qu'un seul cœur battre. Le monitoring n'était placé sur mon ventre
que quelques minutes afin de ne pas trop stimuler l'utérus.
Les infirmières m'expliquaient que quand j'atteindrai les 26 SA, j'aurai le
monitoring pendant une demi-heure.
Tenir. Il fallait absolument tenir. Heureusement, les contractions avaient
disparu. Je ne pouvais me lever que pour aller aux toilettes. Les pertes
brunâtres qui s'écoulaient quotidiennement constituaient le bouchon
muqueux ainsi que les membranes du jumeau mort.
Dans ma tête, tout se bousculait. Une véritable tempête soufflait sous
mon crâne. Je me sentais si fragile, si démunie, si impuissante. Je
m'abandonnais totalement dans les bras des gens qui étaient présents.
Ce jour là, je recevais de la visite : une amie de la famille qui me dit
d'une voix convaincante que ma fille allait vivre et qu'elle sera une jolie
petite fille. Cela me faisait du bien de l'entendre et en même temps je trouvais
qu'elle était gonflée de me dire cela puisque les médecins étaient très
sceptiques quant aux chances de survie de ma fille. Mais sa conviction que la
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vie allait l'emporter, m'insuffla du courage car j'en avais besoin. J'étais très
contente de voir Sandra. Sa visite me faisait un bien fou.
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Chapitre 3 : Cocktail explosif ; colère, désespoir et impuissance
Jeudi le 13 juillet : 24 SA + 4.
Je tiens toujours. Chaque heure passée était une véritable victoire
contre la mort qui hantait mes pensées et qui voulait emporter ma fille. Le col
restait stable et les contractions étaient sous haute surveillance. J'avais
l'impression de flotter dans un monde irréel. Pourtant, je sentais bien
l'aiguille de la prise de sang pour vérifier la CRP pénétrer ma chair et je
sentais bien les sondes du monitoring sur mon ventre. J'avais l'impression
que ce n'était pas moi, là, allongée dans le lit, mais une autre.
Une belle surprise m'attendait : Elodie une tante de Rémi et sa fille
Estelle étaient venues me rendre visite. Elles arrivaient alors que l'équipe
médicale m'annonçait que je changeais de chambre.
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Ils m'installèrent dans une chambre individuelle puisque ma situation était
complexe. Elodie me demandait ce qui se passait croyant que le bébé mort
était sorti. J'étais très surprise d'apprendre qu'elle n'était pas bien au courant,
alors que nous avions expressément demandé aux parents de Rémi de
transmettre l'évolution des évènements à sa famille pour ne pas que l'on
répète cent fois la même chose. L’écoute et la gentillesse de la tante Elodie
me firent beaucoup de bien. Cette visite me touchait profondément.
Autant à l'annonce de la mort d'un des bébés, je ne voulais voir
personne, autant là, j'avais un besoin vital de ne pas me retrouver seule et
d'être entourée.
Rémi et moi, nous nous interrogions. Nous ne voyions rien venir sur
la prise de renseignements de ses parents auprès des pompes funèbres
concernant les obsèques de leur premier petit-enfant. Nous étions loin, mais
très loin d’imaginer ce que signifiait leur comportement...Et que, en fait, nous
leur avions demandé l'impossible...
David, un cousin était venu me rendre plusieurs fois visite. J'étais très émue
par sa présence et sa gentillesse.
Sandra se rendait quasi quotidiennement à l'hôpital. Je savais que je pouvais
compter sur elle. Généralement, je lui racontais les nouvelles d'un point de
vue médical et après j'avais plaisir à l'écouter. Nous parlions de choses et
d'autres et cela me faisait du bien.
Marc, mon grand frère venait dès que son travail le lui permettait. Sa
présence m'apaisait infiniment.
Lundi 17 Juillet : 25 SA +1
J'étais dans ma chambre en compagnie de ma mère, quand, assez
dans la précipitation, les infirmières vinrent me chercher en m'expliquant
qu'un médecin souhaitait me pratiquer une échographie afin de vérifier la
quantité de liquide amniotique. Paniquée, je me tournais vers ma maman en
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demandant si elle pouvait assister à l'examen. J'étais terrifiée car cette
échographie n'était pas du tout prévue et Rémi n'était pas là. Nous attendions
quelques minutes dans un couloir, puis ce fut mon tour. Anxieuse, je
regardais l'écran ; ma fille était si mignonne. Admirer ses petites mains, ses
pieds, sa tête me donnait l'envie de la prendre dans les bras, de la câliner.
Tout allait bien pour la jumelle. Les mesures étaient bonnes. Cela me fit du
bien de la voir. Elle bougeait pas mal. Le jumeau décédé était toujours en
bas et sa tête appuyait sur le col. Le médecin avait essayé de voir son sexe,
mais en vain. Nous étions prévenus que lorsque j'accoucherai, il n'était pas
sûr du tout que le sexe de l'enfant serait visible compte tenu de son état.
Je sentais confusément que j'aurai toujours en moi ces sentiments les plus
extrêmes puisque je portais la vie et la mort en moi.
À ce stade, le bébé vivant mesurait 28 cm de la tête au talon pour 560 g.
Quand Rémi rentra du travail, je lui racontais que j'avais eu une échographie.
Il était très déçu de n'avoir pas pu être présent. Et moi, je m'en voulais de
n'avoir pas pensé à demander une photo de l'échographie.
Les jours passaient les uns après les autres donnant une impression
de déjà vu. L'infection étant stabilisée, les prises de sang s'espacèrent. Avant
le petit déjeuner, une aide-soignante me prenait la tension qui était en général
bien basse. Son sourire et sa douceur me réveillaient doucement. Ma mère
qui logeait chez nous arrivait vers 8 heures. Entre 9 heures et 11 heures,
l'équipe médicale faisait la tournée des chambres (qui étaient au total 22).
Je pouvais poser toutes, absolument toutes, les questions que je voulais.
J'appréciais énormément l'attitude bienveillante de toute l'équipe. Ils me
répondaient avec franchise : quand la situation était critique, ils ne me la
cachaient pas. J'avais besoin de savoir. La psychologue venait me voir une à
deux fois par semaine. Elle avait interrogé ma mère qui lui expliquait qu'elle
m'aidait par la présence et la prière. Je regrette profondément que la
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psychologue n'ait pas pu discuter avec certaines personnes car elle aurait
sûrement décelé que quelque chose les empêchait de reconnaître notre bébé
mort. Je lui confiais que je ne comprenais pas le comportement d’une partie
de notre entourage : pas une seule carte, pas un seul coup de téléphone pour
prendre des nouvelles. Je pleurais énormément car certains ne semblaient pas
manifester beaucoup d'intérêt à la situation. Elle essayait de me rassurer et
me préconisa de ne pas trop me focaliser là-dessus.
Mais j'avais mal au fond de moi, car je constatais que c'est dans
l'épreuve que le cœur des gens se dévoile. Je me confiais également à Sœur
A-M. Nous priions ensemble pour mes bébés. Sa joie de vivre me redonnait
courage et le sourire me venait tout naturellement quand elle franchissait le
pas de ma porte. Ces moments passés avec elle, m'enveloppaient de fraîcheur
et de douceur.
Heureusement je n’étais pas entièrement délaissée, des proches
m’avaient extrêmement bien entourée. Mes amies, certaines personnes de la
famille étaient venues me voir. Je ne remercierai jamais assez tous ceux qui
ont été présents pendant cette épreuve, tous ceux qui se sont manifestés d'une
façon ou d'une autre.
J'attendais avec impatience mon époux qui arrivait vers 17h30 après
son travail. Nous passions alors un moment en amoureux bien mérité. Quand
il était là, je me sentais protégée. Ces moments de tendresse nous faisaient un
bien incroyable. Nous ne faisions plus qu'un en esprit. La séparation du soir
était très dure. Mon cœur se déchirait au dernier baiser que nous échangions.
Il partait vers 20h30 avec ma mère. Heureusement, je me retrouvais très peu
de temps seule puisque mes amies dont Audrey ou mon frère passaient le soir
après leur travail.
Les enfants d’Hélène m'avaient offert des dessins qui décoraient ma
chambre. J'étais profondément attendrie par cette délicate attention,
notamment le joli dessin d’Amélie qui n'occultait pas la mort d'un des deux
40
bébés. Posées sur une petite table, des fleurs trônaient et donnaient une petite
touche de vie et de couleur. J'étais entre ces quatre murs 24 heures sur 24.
Dès 9 heures, on baissait les stores de la fenêtre tant le soleil tapait. On
étouffait dans ma chambre alors Rémi m'acheta un petit ventilateur. Avec ma
mère, nous passions le temps à faire des sudokus. Je commençais à avoir un
bon niveau ! Quand les infirmières de nuit faisaient leur tournée le soir vers
21 heures, elles plaisantaient en me surnommant « madame sudoku ».
Je ressentais le besoin de demander à ma maman de me raconter plus
précisément l'histoire de ma sœur aînée. La vie trop brève de ma sœur n'était
pas tabou dans la famille et je l'ai toujours su. Seulement le travail de deuil
que je devais accomplir pour mon bébé faisait remonter à la surface ces
évènements passés. Ma mère avait pu faire le deuil de son premier bébé
mort-né et elle pouvait donc m'accompagner dans ce long et difficile chemin.
Hélène m'offrit un jour un petit poussin en peluche pour ma fille. Il
s'agit d'un sacré clin d'œil de la vie puisque ma fille choisira à l'âge de 8 mois
ce poussin pour doudou parmi toutes les peluches offertes par la suite. Cela
m'avait troublée.
Pour m'aider à percevoir que j'avais fait du chemin, la sage-femme
cadre me proposa de créer une sorte de calendrier, où chaque jour de passé
serait marqué d'une croix. Alors ma mère me fabriqua un semainier que
j'accrochais au mur.
Quelques personnes m'inscrivaient des petits mots d'encouragement et j'y
notais parfois mes impressions. Audrey y avait marqué « On croit tous en toi,
en vous trois ! Et la vieille " tante Audrey " fait de gros bisous au petit
bout ! »
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Le jeudi 27 juillet : 26 SA + 4
Je franchissais enfin le fameux cap des 26 SA. La jumelle mesurait
environ 30 cm de la tête aux pieds pour un poids de 650 grammes. Tous les
matins, les sages-femmes m'installaient le monitoring. Ce moment me
stressait car quand la sonde avait du mal à se positionner sur le cœur de ma
fille, les secondes me semblaient interminables et j'entendais déjà dire : « Son
coeur s'est arrêté. » Ma fille avait souvent le hoquet. J'avais le droit de
toucher mon ventre, mais je devais limiter le toucher. C'était très dur car je
craignais qu'elle m'en veuille ou qu'elle perçoive cela comme un abandon.
Hélène, ma mère et la psychologue m'incitaient à lui parler, pour qu'elle sente
que je ne l'abandonne pas.
Le traitement contre l'infection était efficace puisqu'elle s'était stabilisée.
Néanmoins, la situation était toujours critique.
Je bénéficiais des massages de la kinésithérapeute et des soins de
l'acupunctrice.
Ma chambre était toujours animée par les nombreuses visites et la
table devenait trop petite pour recevoir toutes les fleurs que les gens
m'offraient. Le jour de ma fête, j'avais eu la chance d'être entourée par les
miens. Mon père avait fait le voyage. Mes beaux-parents étaient également
présents et tout se passait très bien, ma belle-mère avait cuisiné un délicieux
gâteau au chocolat. Audrey m'apporta des tournesols en me disant que c'était
comme si le soleil venait dans ma chambre puisque je ne pouvais pas sortir.
Je ne me souviens plus comment cela est venu dans la discussion, mais ma
belle-mère racontait son premier accouchement et on percevait tout son
bouleversement même des années après. Je commençais tout juste à
percevoir tout ce que ma grossesse faisait remonter comme émotions dans la
famille.
À partir de 27 SA, j'avais le droit de choisir chaque jour entre une
douche assise ou un petit tour dehors en fauteuil roulant. Rémi m'aidait pour
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la douche. En plein été, je savourais intensément ce moment. J'avais même
le droit de me rendre à pied de la douche à ma chambre ! La toute première
fois où j'ai pu marcher, ma tête me faisait mal. Lorsque vous êtes enfermés
dans une chambre depuis des semaines, le fait de sortir vous est
paradoxalement au début désagréable. J'avais du mal à m'habituer au
changement. J'avais l'impression que les murs bougeaient. Je m'accrochais
alors au bras de mon mari. Quand je choisissais de me promener en fauteuil
roulant, un souvenir me restera toujours gravé dans mon esprit à savoir le
regard des gens. J'avais le sentiment d'être une bête curieuse : une femme
enceinte dans un fauteuil n'est pas courant. Quand le regard des gens devenait
trop insistant, l'envie de faire des grimaces me démangeait.
Ma mère était repartie en Bretagne. Sa présence m'avait rassurée car
je savais qu'elle était passée par le même chemin que moi et le fait de pouvoir
parler ou de sentir l'empathie me donnait l'envie de me battre. Ayant vécu
cela, elle pouvait me comprendre. J'avais une chance incroyable que ma mère
ait pu faire le deuil de ma sœur ; son expérience m'apprenait beaucoup.
Les parents de Rémi passaient quelques jours chez nous et me
tenaient compagnie. Je me sentais bien. Nous bavardions tranquillement. Je
racontais ma naissance et notamment la présence de mon père qui m'avait
coupé le cordon. Très rapidement, sa maman reparlait de son vécu des
grossesses et en l'écoutant, je ressentais toute son émotion concernant la prise
en charge de ses accouchements. En tant que femme et mère, je la plaignais
de tout mon cœur car elle semblait avoir souffert.
J'avais confiance en eux et j'avais partagé en toute sincérité ma
douleur par rapport à la mort du bébé. Mon beau-père me répondit gentiment
par une métaphore : « Tu vois, c'est comme dans la nature, sur les pommiers
au printemps, il y a des fleurs qui donneront des fruits et d'autres pas. C'est la
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nature. Il y a une sorte de sélection naturelle. C'est pour ça qu'il n'y a pas de
deuil à faire et qu'il ne faut pas dépenser. ».
Mon cœur de maman saigna. Que se passait-il ? Pourquoi me disait-il cela ?
Pourquoi maintenant et à moi ? J'aurai dû crier, hurler, faire venir la
psychologue, mais je restais muette de douleur et complètement paralysée.
C'est à cet instant là que tout s'est écroulé et que la colère monta en moi. Je
ne comprenais pas du tout pourquoi il m'avait dit cela. Alors j'en parlais à
mes amies, à mes proches, à Sœur A.-M. et à la psychologue afin d'essayer
de comprendre. Tout le monde essayait de me rassurer en me disant qu'ils
étaient âgés et qu’ils étaient d’une autre génération. La psychologue
m'expliqua qu'autrefois, les hommes étaient écartés de la grossesse de leur
épouse et que mes beaux-parents n'avaient pas ou peu connu l'échographie.
Sœur A-M. ainsi qu'Hélène affirmaient la même chose que la psychologue
« Ils sont maladroits. » entendais-je de tout côté.
Mais, moi, je sentais bien que ce n'était pas des maladresses. Tout le
monde m'en a dit un jour ou l'autre. Effectivement qu'aurais-je dit si cela était
arrivé à une amie, une collègue ? J’aurai très certainement prononcé des
maladresses et blessé les gens devant une situation si délicate. Néanmoins,
pour moi il y a un fossé entre une parole malheureuse et leur attitude. Déjà,
ce qui n'était pas normal, c'est qu'ils n'avaient pas effectué les recherches sur
les funérailles et faisaient comme si de rien n'était, comme si je ne leur en ai
jamais parlé. « Ils ont peut-être oublié » me disait-on. Mais comment peut-on
oublier les obsèques de son premier petit-fils ? « Ils se sont mal exprimés »
argumentait-on. Peut-être. Aurais-je mal compris ? Les gens me
préconisaient de ne pas me focaliser sur ces paroles. Alors, j'ai essayé de me
raisonner. Mais au fond de mon cœur, je savais bien que cela traduisait
quelque chose, mais j'ignorais encore quoi.
Ma souffrance n'était pas que psychologique. Afin de stabiliser
l'infection, un traitement m'avait été prescrit. J'avais des antibiotiques à
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avaler mais aussi deux fois par semaine des ovules qui me brûlaient
affreusement durant deux bonnes heures, comme si une bestiole me rongeait
de l’intérieur. Mais qu'importe, pour sauver ma fille, j'étais prête à souffrir.
Mes bras commençaient à être garnis de bleus à force de subir les prises de
sang. Chaque lundi matin, mes urines étaient analysées et j'avais des frottis
régulièrement. Je salue encore aujourd'hui toute l'équipe médicale qui a été
d'une compassion exemplaire. Grâce à eux, je n'étais pas qu'une chair
meurtrie. J'étais une maman respectée.
Le lundi 1° août : 28 SA +1
Je tiens toujours. Une échographie était programmée ce jour-là. Mon
époux avait pu s'organiser pour être présent. Je me réjouissais à l'idée de voir
ma fille. J'étais fière et j'avais hâte que Rémi constate qu'elle était jolie
comme un cœur. Mais en même temps, je savais que l'échographie me
mettrait devant la réalité, à savoir que je porte en moi un bébé mort. La
jumelle pesait 1,100 kg pour environ 35 cm. Je revois encore le docteur me
dire : « Vous savez, vous revenez de loin ! » Les médecins étaient très surpris
que je tienne bon.
J'avais confié à la psychologue que je rêvais que le coeur de l'autre
jumeau se remettait en route. C'était un espoir insensé, fou, qui m'habitait
malgré tout, puisque je refusais sa mort. C'était pour ça que j'avais besoin de
parler de l'organisation des obsèques de façon concrète. Cela m'obligeait à
accepter la réalité. En outre, comme d'un point de vue médical, personne ne
savait ce qui allait se passer, ce n'était même pas sûr que je puisse assister
aux funérailles de mon bébé. En effet, celui-ci pouvait sortir seul mais j'aurai
pu continuer la grossesse pour la jumelle en étant toujours alitée.
Vivre chaque jour en ignorant ce qui pouvait se dérouler m'était
insupportable.
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Heureusement, en atteignant les 28 SA, j'avais franchi un cap. Ma fille, si elle
naissait, avait beaucoup plus de chances de survie.
Mes parents ainsi que mon petit frère Yves m'envoyaient des cartes postales
régulièrement avec lesquelles je décorais ma chambre. Savoir que d'autres
personnes pensent à vous, ne vous oublient pas, donne de la paix au cœur.
Certaines personnes de ma famille, avec lesquelles j'avais peu de contacts,
manifestèrent leur affection. Ma tante Brigitte, ma cousine Isabelle me
montraient leur intérêt et compatissaient à ma souffrance. J'en étais
profondément touchée. On ne se rend pas toujours compte de ce que la mort
d'un bébé va engendrer comme attitude de la part de l'entourage.
La visite de Stéphanie m'enveloppa de fraîcheur. Son sourire et sa gentillesse
m'apaisaient. Elle m'offrit des cadeaux pour ma fête. J'étais touchée par son
attention. Nous bavardions gaiement. Son père venait de temps en temps me
dire un petit bonsoir quand il terminait son travail. J'étais émue de tant de
sollicitude.
Audrey venait régulièrement et nous discutions de tout et de rien ! Cela me
faisait tellement de bien de pouvoir parler, penser à autre chose qu'à mes
bébés.
Mon père m'envoyait régulièrement de tendres lettres. C'était si bon
de se savoir entourée ! « Pour l'heure, il te faut courageusement avaler les
jours après les autres. Petites doses d'amour maternel ajoutées l'une après
l'autre. Tu n'es pas une future maman, tu es déjà maman. Je me réjouis de ce
que tu sois bien entourée; et que tu sois dans un service dont le personnel est
plein de délicatesse (...). Te voilà donc, ma chère fille, à devoir lutter contre
les éléments contraires, afin de donner la vie. Et avec quelle passion, quelle
joie, quel enthousiasme tu nous parlais sans cesse de tes bébés dans ton petit
ventre. (...). Quoi qu'il en soit, ton amour ne s'était pas divisé, il s'était
multiplié, car ainsi est l'amour maternel, et il a ceci de commun avec l'amour
de Dieu, il ne se divise pas; il se multiplie. Et te voilà depuis ce terrible
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moment à souffrir de cet amour. Comme pour ta chère maman, la blessure va
rester un certain temps avant de se refermer. Etre en même temps le
réceptacle de la vie pour le bébé vivant et le tombeau pour celui qui est mort
doit certainement être une chose difficile à vivre. Mais l'âme féminine a des
ressources extraordinaires. »
Mon père avait très bien saisi toute la souffrance qui m'animait, à savoir
porter en moi un bébé mort et un bébé vivant.
Une fois seule avec la maman de Rémi, nous parlions de choses et
d'autres. Je lui confiais que je pourrais être à nouveau enceinte de jumeaux
sachant qu'il s'agissait d'une grossesse gémellaire spontanée. Sa réaction me
troubla profondément puisqu'elle me répondit « Tout ce que je vous souhaite
c'est de ne pas avoir de jumeaux. » Encore une fois, je ne comprenais pas
pourquoi elle me disait ça. Moi, tout ce que je souhaitais c'était d'avoir des
enfants en vie et en bonne santé. Je ne partageais pas son avis : si une mère
perd son fis, alors on va lui dire « Tout ce que je te souhaite c'est de ne pas
avoir de garçon » ? ! Quel non sens ! Je ne compris que bien plus tard
pourquoi elle avait répondu cela...
Laure, une tante, ainsi que son fils Damien étaient venus me rendre
visite. Ce jour là, il y avait également la maman de Rémi. J'étais
profondément touchée par cette visite. Je leur expliquais en toute sincérité
que nous avions choisi d'organiser des funérailles pour le bébé mort. Je leur
confiais ma crainte car j'avais la possibilité de voir mon enfant après
l'accouchement, mais compte tenu de son état physique, je ne savais pas si je
me sentirai assez forte.
« Il ne faut pas le voir ! N'y pense pas ! Faut oublier ! » Je cherchais des yeux
un soutien de ma belle-mère, mais rien. Celle-ci expliqua à Laure que ma
mère nous influençait pour les funérailles, que c'était son idée et qu'il ne
fallait pas qu'on dépense pour l'enterrement, qu'on devait garder notre argent
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et elle ajoutait que son mari Michel m’avait parlé de façon poétique d'un
pommier. J'étais obligée d'entendre à nouveau la comparaison du pommier.
Encore un fois, j'étais paralysée croyant rêver. Je n'ai pas eu la force de
réagir. Pourquoi disait-elle ça ? Pourquoi tenter de me faire changer d'avis ?
Il s'agit de son premier petit-enfant ! J'étais révoltée. La colère m'envahit
intensément.
Laure m'avait apporté une très jolie décoration florale et au moment de partir
Damien me dit avec un ton plein de compassion « Courage ». Jamais je
n'oublierai son regard rempli de sollicitude.
Complètement perturbée par le comportement de la maman de mon
mari, je me confiais immédiatement à Rémi qui ne sut que dire, à nouveau à
mes proches ainsi qu'à la psychologue. Tout le monde était bien gêné pour
trouver une explication. « Ils n'ont pas les mêmes valeurs, elle a de la bonne
volonté, mais ne se rend pas compte de ta souffrance, elle ne voulait pas faire
du mal, ils sont maladroits dans leurs propos, ne te focalise pas sur eux...»
Aucune explication ne m'aidait à comprendre pourquoi ils étaient comme ça.
Dans le travail de deuil, la colère est une étape importante. Toute ma
souffrance devait trouver un exutoire. Cela ne pouvait pas être l'équipe
médicale vu qu'ils étaient à l'écoute, mais ce fut alors inconsciemment une
partie de l'entourage. La mort de son bébé est une réalité d’une telle violence,
d’où la nécessité d’évacuer l’intensité des émotions.
La situation, d'un point de vue médical, s'étant un peu stabilisée,
j'avais le droit de me lever pour prendre le petit déjeuner dans le réfectoire
avec d'autres mamans.
J'étais toute contente de pouvoir bouger un peu plus. Mais mon
enthousiasme fut vite freiné. En effet, j'étais scandalisée d'entendre des
mamans se plaindre, par exemple, de ne pas pouvoir descendre en bas pour
fumer. Une autre critiquait le personnel médical qui l'avait grondée parce
qu'elle s'était levée pour prendre une douche : cela faisait trois jours qu'elle
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n'en avait pas pris. Les écouter me dégoûtait, alors je m'organisais afin de
prendre mon petit déjeuner avant elles.
J'avais eu la visite de la maman d’une amie. Elle m'avait ramené des
bonbons. Ah, décidément, ma réputation de gourmande n'était plus à refaire !
Cela m’avait fait bien plaisir de la voir. Et j'étais très touchée de sa visite.
Je n'en peux plus !
Ma mère devait revenir pour le lundi 21 août. J'avais de plus en plus de mal à
gérer la situation. Tout allait de travers : la reconnaissance de la mort du
jumeau avait engendré des discordes dans les relations familiales. Je me
sentais trahie, trompée. Encore une fois quelque chose échappait à mon
contrôle.
Heureusement, mes proches me rendaient visite quotidiennement. Le
téléphone me permettait d'être en lien avec ceux éloignés. Je savais que je
faisais partie de toute une chaîne de pensées et de prières, et cela me faisait
un bien fou de ne pas me sentir seule à porter toute cette épreuve. Cela était
vital pour mon moral. Mais les jours passaient et je ne voyais pas le bout,
j'étais sensée tenir jusqu'au 5 novembre. Savoir que mon bébé mort était en
train de macérer en moi, dans mon corps depuis des mois était insupportable.
Je refusais toujours son décès.
Mais en même temps, j'en étais consciente puisque je parlais de sa mort assez
facilement. Néanmoins, c'était comme si j'évoquais l'histoire d'une autre
maman.
Plus les jours passaient, plus la jumelle avait de chances de vivre. Je
craignais en permanente de la perdre, elle aussi. Lors d'un rendez-vous avec
la psychologue, je ne me sentais vraiment pas bien du tout. Mon moral
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flanchait et je m'en voulais d'avoir des pensées négatives. Je pleurais sans
m'arrêter. Tout à coup quelqu'un frappa à la porte ; c'était mon frère Marc.
Elle me dit alors qu'elle allait nous laisser car rien ne vaut la présence d'un
frère qu'on aime. Marc sortit quelques instants de ma chambre et la tête
d'Yves apparue dans l'embrasure de la porte. Mes larmes de tristesse se
mélangeaient à celles de la joie de voir mon petit frère ; c'était une très belle
surprise qu'il m'offrait. Il rentrait tout juste de son job d'été d'animateur dans
une colo. Je ne m'y attendais pas du tout. Cela me faisait un bien fou de voir
que mes proches m'entouraient dans ces moments de douleur. La bonne
humeur de mes frères me redonnait le sourire.
Dimanche 20 août : 30 SA
Je revois encore l'équipe médicale faisant la tournée des patientes me
dire pour m'encourager « Ça y est, vous êtes à 30 SA. C'est bien. Maintenant
il y a un 3 devant.»
Cependant, le taux de CRP n'était pas bon et je frôlais le chiffre 28.
À partir de 30, le risque étant trop élevé, la naissance des deux enfants aurait
été déclenché.
Je ne me sentais pas très bien. Je commençais à ressentir des
douleurs dans le dos. Cela me lançait. Je devais tenir absolument. Une
échographie était prévue pour le vendredi 25 août. Rémi pouvait s'organiser
pour être présent.
Les médecins me confirmèrent que je pouvais assister à mon premier cours
de préparation à la naissance. J'étais impatiente de commencer, car j'avais
alors l'impression enfin d'être active, de pouvoir faire quelque chose.
J'attendais donc avec enthousiasme le lendemain pour les cours.
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Lundi 21 août : 30 SA +1
Ma maman avait pris le train le matin afin d'arriver en fin d'aprèsmidi. J'étais soulagée de savoir qu'elle allait être là, à mes côtés. Mon dos me
faisait souffrir et les médecins n'étaient pas étonnés vu que j'étais alitée
depuis un bon moment. La kinésithérapeute était venue me masser. Sa
gentillesse et son savoir-faire me faisaient du bien. On me donna un coussin
allongé, spécialement conçu pour soulager mon dos.
J'étais très contente de pouvoir assister à mon premier cours de
préparation à l'accouchement. Celui-ci devait débuter à 16h30. Or à 14h, une
infirmière me chercha pour m'y emmener. J'étais surprise par le changement
d'horaire. Je n'étais pas prête, je n'avais pas mis mes lentilles puisque j'étais
censée y aller pour 16h. Mais l'aide-soignante avait l'air sûre d'elle, alors je
me préparais rapidement. La sage-femme qui dispensait ces cours était bien
évidemment au courant de ma situation. J'arrivais en chaise roulante dans la
salle de cours où d'autres mamans non hospitalisées étaient déjà présentes. Le
cours était sur le point de commencer quand la porte s'ouvrit sur une autre
maman en fauteuil roulant Une fois que tout le monde fut installé, la sagefemme proposa que nous nous présentions brièvement. Les mamans
donnaient leur âge et racontaient si c'était leur première grossesse.
Lorsque mon tour arriva, je ne voulais surtout pas exposer ma situation ;
alors j'expliquais juste que j'étais hospitalisée (sans préciser la cause ni
depuis combien de temps) et que c'était ma première grossesse. La maman
hospitalisée était assise à côté de moi et racontait qu'elle attendait des
jumeaux, une fille et un garçon, qu'elle était à 30 SA et que son séjour à
l'hôpital était dû à une menace d'accouchement prématuré depuis la 24ème
semaine. Elle était fière de porter des jumeaux (vivants) et d'avoir tenu. Les
autres mamans étaient admiratrices. Moi, en l'entendant j'avais envie de
hurler toute ma souffrance. Mon cœur brûlait de douleur ; il me faisait mal.
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J'avais l'impression qu'il allait sortir de ma poitrine. Mais je restais là, à rien
dire, à faire comme si cela ne m'atteignait pas. Puis, la sage-femme
commença ses explications. Elle nous distribuait des fiches concernant notre
projet de naissance. La sage-femme posait des questions auxquelles la
maman des jumeaux répondait correctement sachant notamment ce qu'étaient
des contractions. J'étouffais. Mes yeux commençaient à s'embuer. Je voyais
trouble. Alors je craquais. J'éclatais en sanglot en criant « mon bébé, je pense
à mon bébé mort ! ». La sage-femme se précipita vers moi et me mis à l'écart.
Les mamans me regardaient sans comprendre. Entre deux sanglots, je criais
ma souffrance à la sage-femme de voir que l'autre maman avait, elle, au
moins ses deux bébés en vie. Elle essayait de me consoler et appela
immédiatement une aide-soignante afin que je sois ramenée dans ma
chambre.
Une fois dans ma chambre, j'enfouissais ma tête dans mon oreiller et
les larmes coulaient dans cesse. On me demandait si je voulais voir la
psychologue ; j'acceptais et elle arriva rapidement. Elle écouta mon cri de
douleur d'avoir entendu la maman des jumeaux heureuse et fière comme je
l'étais avant ce fichu 14 juin. Je téléphonais en larmes à mon mari et il me
promit de venir le plus vite possible après son travail.
Il arriva vers 17h30 avec ma maman. Je laissais mes sentiments éclater.
Dans les bras de Rémi, je me sentais protégée.
Ma nuit fut difficile. Mon dos me lançait terriblement. À 4h du
matin, la douleur devenant insupportable, j'appelais une infirmière. Celle-ci
m'installa le monitoring pendant quelques minutes afin de vérifier si je
n'avais pas de contractions. Les tracés étaient normaux. On me donna un
cachet pour dormir.
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La naissance de nos deux bébés : je ne veux pas accoucher !
Mardi 22 août : 30 SA + 2
Après une bien mauvaise nuit, le matin fut difficile. Néanmoins, mon
dos était moins douloureux. Je n'avais presque plus mal. Cependant, une
infirmière m'expliqua que le taux de CRP n'était pas bon et que je devais
rester à jeun jusqu'à nouvel ordre. Vers 10h une aide-soignante m'autorisa à
prendre mon petit-déjeuner. Yves et Marc arrivèrent à ce moment-là et nous
allions ensemble au réfectoire pour manger. Lorsque je m’assis sur la chaise,
je ressentis comme une sorte de pique dans mon dos. Je leur expliquais que je
préférais m'allonger dans mon lit et prendre mon petit-déjeuner ainsi. Marc
porta le plateau et commençait à me faire des tartines. Mais je ne me sentais
pas très bien ; je mangeais peu. Yves devait repartir et Marc l'accompagna à
son train. Ma maman arriva vers 10h45. Les douleurs dans le dos reprenaient
de plus belle. Je n'en pouvais plus. Je lui demandais d'appeler une infirmière
qui me posa le monitoring sur le ventre. Rien. Pas de contraction enregistrée.
À 12h30 mon mari arriva pour manger avec moi, ce qu'il faisait
depuis quelques jours. Je ne pouvais rien avaler. Je n'avais pas d'appétit.
J'avais si mal. Mon époux, inquiet de mes douleurs, sonna une infirmière.
Une sage-femme, me voyant me plier en deux et respirer de façon intense,
m'annonça qu'elle allait m'examiner. Rémi était en train de prendre son
yaourt. Je me levais péniblement du lit et suivais la sage-femme. Elle
m'ausculta et me dit « Vous êtes en plein travail ! Vous allez accoucher ! Le
col est ouvert à 3 cm. C'est normal que vous aviez mal : avec des
contractions pareilles vous auriez pu hurler deux fois plus fort ! ». L'aidesoignante qui nous avait accompagnées alla chercher mon mari. Je ne voulais
pas accoucher. Pas maintenant. Pas comme ça. Je n'y croyais pas.
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Je me laissais faire. Je fus emmenée dans la salle de naissance Monet en
chaise roulante, mon mari à mes côtés.
Dans ma tête tout était vide. Je ne voulais plus penser, je ne voulais plus rien
ressentir.
Pour la plupart des mamans, l'accouchement est un événement
attendu avec impatience. On dit bien un « Heureux événement » pour cette
occasion. C'est une rencontre avec son bébé après neuf mois d'attente. Mais
pour moi, accoucher signifiait être séparée de mes bébés. J'étais très
malheureuse d'accoucher : ma fille sera une grande prématurée. Mon bébé
mort ne criera pas à sa sortie. Alors non, je ne voulais pas accoucher, je ne
voulais pas pousser. Pourtant mon corps me faisait tordre de douleur. Mais il
était trop tard pour une péridurale. Tout le monde s'agitait autour de moi. Une
perfusion était posée et le monitoring enregistrait des contractions. J'avais si
mal ; mon corps se coupait en deux. La peur m'envahissait : la peur de ne pas
y arriver, la peur de ce qui va se passer, la peur que ma fille meure, et la peur
que je meure aussi. On m'installa un champ pour ne pas voir le jumeau
décédé, car je ne le souhaitais pas maintenant. Je serrai intensément la main
de mon époux et j'entendais sa voix qui m'encourageait. Sans lui, je n'aurai
pas réussi. J'avais chaud, je transpirais, la soif se faisait ressentir.
Ma mère m'avait acheté un spray rafraîchissant pour le jour où j'accoucherai.
Mon mari alla le chercher dans la chambre. Pendant ce temps, j'avais subi
deux contractions, et à cet instant je pensais intensément à la maman de Rémi
qui avait accouché toute seule. Moi, je savais que mon époux allait revenir et
qu'il serait présent. Je pensais à elle, aux accouchements qu'elle avait vécu
seule.
Je n'en pouvais plus ; je n'avais plus de force pour pousser.
Encore aujourd'hui, j'entends la voix du papa dans le creux de mon
oreille m'encourager. La sage-femme me donnait des indications pour la
respiration que je suivais scrupuleusement.
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Puis j'entendis « Poussez une dernière fois très fort ! C'est la dernière fois ! ».
Alors je poussais de toutes mes forces croyant que mon ventre allait se
déchirer en deux. Je sentais la tête de la jumelle sortir. Il était 16h20. Elle
était si belle, si petite ! La sage-femme me l'approcha quelques secondes au
dessus de mon ventre et je criais « Ma fille ! C'est ma fille ! ». Elle fut tout
de suite emmenée pour les soins. Rémi l'accompagna. Pour moi, ce n'était pas
encore terminé. Le jumeau mort est né à 16h35. Je n'avais plus de
contractions. Le médecin appuyait plusieurs fois sur mon ventre afin
d'expulser le placenta. C'était extrêmement douloureux. C'était comme si on
m'ouvrait le ventre. La sage-femme ainsi que le médecin se réunissaient dans
un coin de la salle et j'entendis « Le placenta reste accroché...» La sagefemme tourna la tête de mon côté et je croisais son regard. Elle y avait vu la
panique et le désespoir. Et dans les siens, je voyais de la douceur et de la
compassion. Alors ils m'expliquèrent qu'ils allaient m'endormir pour sortir le
placenta et me recoudre car mon périnée s'était déchiré. On me posa un
masque sur le visage. Je ne voulais pas respirer, j'avais peur de ne plus jamais
me réveiller. Je plongeais mes yeux dans le regard de l'anesthésiste et j'y
lisais de la compassion.
Je me réveillais en pleine crise de spasmophilie. Mon mari, présent,
était impressionné. L'équipe médicale le rassurait en lui expliquant que les
crises de spasmophilie se déroulent généralement lorsque l'accouchement
était très difficile nerveusement. Pour me calmer, je fus à nouveau endormie.
Quand j'ouvris les yeux, il était 21h. J'étais seule. J'avais mal partout.
Je ne savais pas ce que je faisais là. L'accouchement avait-il réellement
existé ? Où sont mes enfants ? Ma fille est-elle vivante ? Je relevais la tête et
je regardais mon ventre. Il était toujours gonflé ; je posais ma main dessus
mais il était vide. J'appelais Rémi, une infirmière arriva. Je lui dis que j'avais
faim et soif. Elle me répondit qu'on allait me réinstaller dans ma chambre.
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La situation était pour moi irréelle, impossible ; je ne pouvais pas avoir
accouché.
Dans ma chambre, il y avait une magnifique plante accompagnée
d'un petit mot de Marc et d'Yves pour la naissance de Sarah. Je me jetais
affamée sur le plateau repas. Je téléphonais à la maison car ma maman, mon
époux et mes deux frères étaient rentrés se restaurer.
Rémi arriva rapidement. Nous avions la possibilité de voir notre fille à tout
moment. Il me racontait ce qui c'était passé. Elle avait ouvert les yeux
pendant les premiers soins et son regard avait plongé dans celui de son papa.
Sarah pesait 1,300 kg et mesurait 38,2 cm. Il m'annonça que le bébé mort
était un garçon qu'on appela Pierre, Charles en hommage à nos grands-pères
respectifs et afin de l'inscrire dans l'histoire familiale.
Mon mari m'expliqua le fonctionnement du service de réanimation
néonatale. J'étais impatiente de la voir, de la serrer contre moi, de lui dire
combien je l'aimais.
Ce fut en fauteuil roulant, à cause de ma déchirure périnéale, que je
rendais visite à ma fille. La présence de Rémi me rassurait.
Nous ne faisions plus qu'un dans cet instant magique. Le protocole d'hygiène
était extrêmement strict. Avant de pénétrer dans la zone où étaient les bébés,
il fallait passer par un sas. Les parents bénéficiaient d'un casier au nom de
leur enfant afin d'y laisser leur veste, sacs à main...Pour l'hygiène, il fallait
éviter d'avoir les ongles longs, les cheveux pendants et de porter des bijoux.
Une feuille affichée sur la porte expliquait en détail les précautions
obligatoires à prendre avant d'entrer dans le service. On mettait d'abord des
protections sur les chaussures, puis on se lavait énergiquement les mains
avant d'enfiler une blouse à usage unique ainsi qu'une charlotte.
C'était rassurant de voir le sérieux du protocole d'hygiène. Mais cela faisait
peur aussi...
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Quand j'entrais dans la salle, tout de suite une puéricultrice me dit :
« C'est vous les parents qui êtes les premiers acteurs, nous, nous sommes
juste là pour l'aspect médical, mais c'est vous le plus important ». Je
n'oublierai jamais ses paroles, car quand vous accouchez d'un enfant sans vie
et d'un bébé prématuré, vous vous sentez nulle, incompétente, bref vous vous
dites être une mauvaise mère. Alors nous dire cela, nous remettait dans notre
rôle de parents. Notre place de papa et de maman était valorisée. Après s'être
à nouveau lavé les mains et mis un masque sur le visage, mon époux poussa
ma chaise roulante juste à côté de la couveuse de Sarah. La puéricultrice
baissa la couveuse de hauteur afin que je puisse voir ma fille. Ma petite
princesse était là, toute petite ! Son petit corps était transpercé de tas de fils et
de capteurs. Mon cœur se serra en la voyant ainsi. Sa peau était rouge et très
fine. Je l'ai trouvé très jolie malgré tout cet appareillage impressionnant.
J'avais du mal à réaliser que ma fille était née. La puériculture m'expliqua le
fonctionnement des fils et machines qui entouraient Sarah.
Elle avait respiré toute seule à la naissance, néanmoins elle était
intubée car cela la fatiguait énormément.
Trois électrodes, sortes de gommettes autocollantes, étaient fixées sur sa
poitrine : pour la mesure du rythme cardiaque et de la fréquence respiratoire.
De plus, sa pression artérielle était surveillée à l'aide d'un minuscule brassard
attaché à son bras ainsi que sa température corporelle. Un petit capteur, placé
sur son pied, émettant une lumière rouge, vérifiait en permanence
l'oxygénation du sang. Par le cathéter, posé à son bras gauche, Sarah recevait
notamment du glucose. En effet, le personnel médical nous avait expliqué
que si elle manquait de sucre, elle serait en hypoglycémie. Son cerveau
risquait alors d'en souffrir puisque ses propres réserves étaient insuffisantes.
De la caféine passait également par le cathéter afin de traiter ses apnées. Pour
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lui rappeler le cocon de l'utérus et lui donner un sentiment de sécurité, un
lange était enroulé autour d'elle créant ainsi une sorte de petit nid.
Dans la pièce où Sarah était, il y avait cinq autres bébés, la plupart
placés dans des couveuses. Il faisait très chaud. L'atmosphère était étouffante.
Ici ou là, des alarmes se déclenchaient brusquement faisant accourir une
infirmière, des chiffres clignotaient sur l'écran appelé scope. Je me sentais
oppressée, mal à l'aise. Mon cœur allait exploser. J'avais très mal de la voir
ainsi, si petite, si fragile, sans défense...Mes bras me démangeaient. L'envie
de la prendre tout contre moi était intense, même intenable. Je ne pouvais que
la dévorer des yeux. La puéricultrice nous expliqua que nous pouvions ouvrir
les hublots afin de la caresser si on le souhaitait. Alors, tremblante, ma main
pénétrait dans la couveuse. Enfin, j'entrais en contact avec ma fille ! Ce fut
intense en émotion. Je souffrais de la voir dans cet état et je craignais qu'une
seule chose : qu'elle ne veuille pas vivre. Je lui parlais doucement en lui
expliquant pourquoi elle n'était plus dans mon ventre, combien nous
l'aimions et que sa vie nous était infiniment précieuse.
Mais j'étais extrêmement épuisée par ce que je venais de vivre, alors nous
sommes partis. Il était 1h du matin.
Rentrée dans ma chambre, je ne savais que penser. Tout était en
bataille dans mon cœur. Nous avions conçu deux enfants, mais un seul était
vivant. Exténuée, je m'abandonnais dans les bras de Morphée.
Mercredi 23 août : La rencontre avec mon fils ; un moment intense
Je ne réalisais toujours pas que j'avais mis au monde mes enfants. Je
recevais les félicitations de tout le monde. Mais je n'étais pas heureuse. La
seule chose qui me satisfaisait c'était d'avoir pu accoucher par les voies
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naturelles et sans péridurale. Ainsi j'avais été active en tant que maman.
J'avais participé à la naissance de mes bébés. Je les avais mis au monde.
Sarah se portait très bien. Elle se battait comme une lionne. Mes bras
étaient douloureux de ne pas pouvoir la porter et mon cœur saignait de la
séparation brutale. Je craignais qu'elle me rejette à cause de mes pensées
négatives. Heureusement, l'équipe médicale me rassura sur ce point. La
toucher était si important même si ce n'était que du bout des doigts.
Les médecins nous expliquaient ce qui allait se passer pour elle :
scanner pour vérifier qu'il n'y ait pas d'hémorragie au cerveau, vérification de
la fermeture du canal artérien...Ils nous précisaient que le canal artérien relie
l'artère pulmonaire et l'aorte chez le bébé in utero. Quand le bébé naît à
terme, l'adaptation du système circulatoire se traduit par la fermeture
spontanée et définitive de ce vaisseau dans les heures qui suivent la
naissance. Les conséquences de la non fermeture de ce canal sont
nombreuses : difficultés digestives, baisse de la production d'urine par les
reins, augmentation du travail respiratoire, surcharge de travail pour le cœur,
hémorragie pulmonaire.
Des médicaments et une transfusion en globules rouges favorisent la
fermeture du canal. Si cela ne marche pas, une opération est nécessaire. Ils
nous expliquaient également que le parcours pour un grand prématuré était
long et souvent en dents de scie ; Il fallait qu'on se prépare à vivre des
semaines très déstabilisantes avec des hauts et des bas.
Sarah avait la jaunisse. C'était dû à l'accumulation d'un pigment jaune, la
bilirubine normalement éliminée par le foie. Le traitement de sa jaunisse était
de la photothérapie. Une rampe puissante de lumière fut alors installée audessus de sa couveuse. Sarah portait un petit masque de protection sur les
yeux. Lors de ses séances de photothérapie, on ne pouvait pas voir son joli
petit visage.
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Je voulais l'allaiter, alors une aide-soignante me montra comment
tirer mon lait. Tout était inconnu pour nous.
Très vite se posa la question si nous voulions voir notre fils. Je ne
savais pas. Rémi ne se sentait pas prêt. Mais moi, j'hésitais. J'avais peur de
son aspect physique, alors une dame qui s'occupait des bébés morts me
décrivit comment était mon petit garçon. Plus elle parlait, plus je ressentais le
besoin de le voir. Le voir m'obligeait à ne pas nier sa mort, à ne pas le
confondre avec Sarah : Pierre est Pierre et Sarah est Sarah. Et je voulais lui
dire adieu ou plutôt au revoir. Je respectais la position de mon mari et je lui
demandais juste de m'accompagner jusqu'à la pièce où je verrais notre fils.
Rémi s'arrêta devant la porte et la dame me fit m'asseoir. Elle alla chercher
Pierre. Pendant ce temps, j'essayais de vider ma tête...Quand la porte s'ouvrit,
la dame tenait dans ses bras un lange bleu qui enveloppait mon bébé. Elle le
tenait comme lorsque l'on berce un enfant. Jamais je n'oublierai cette image.
Je ne sais pas si elle s'est rendue compte que j'étais bouleversée de constater
que le corps de mon petit garçon était respecté dans sa dignité humaine.
Qu'on le considérait comme un bébé et non comme une erreur de la nature. Je
m'étais levée et elle le déposa délicatement sur une table. Elle déplia tout
doucement les tissus et sur un des coin il y avait une étiquette avec le nom et
le prénom de notre fils. Cela a peut-être l'air de rien, mais un nom et un
prénom lui donnaient une existence humaine. Mon bébé n'était pas un
dossier, un numéro quelconque. Elle me proposa de m'approcher.
Tremblante, je respirais un bon coup, consciente que c'était la dernière fois
que je le verrai.
Je l'ai trouvé très beau. Et j'étais fière d'être sa maman. Un sentiment
d'apaisement envahit mon cœur. Mon fils était magnifique. Il était un bébé,
un beau bébé. Il était sur le dos, la tête tournée vers la porte à droite et sa
main gauche était posée sur sa poitrine. Son bras droit était le long de son
corps et ses jambes longues et fines. Je ne pouvais pas voir ses yeux, mais je
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distinguais leurs emplacements ainsi que celui de sa bouche et de son nez. Ce
qui me troublait c'était ses mains et ses pieds qui ressemblaient étrangement à
ceux de Sarah. Je m'attendais à qu'il soit plus petit, plus déformé. Certes, la
mort avait fait son œuvre, mais il était propre, lavé et il était beau. En silence,
je lui disais tout ce qu'une maman peut chuchoter dans le creux de l'oreille de
son enfant, à savoir que je l'aime, que son papa l'aime, que nous sommes
heureux d'être ses parents et que sa vie trop brève nous avait rempli de joie et
que nous ne l'oublierons jamais. Je lui disais que sa soeur jumelle se battait
pour vivre et je lui demandais pardon de n'avoir pas su le garder en vie et de
lui en avoir « voulu » d'être mort. L'émotion me submergeait et je demandais
à la dame s'il avait souffert. Elle me répondit d'une voix très douce : « On ne
sait pas, mais il a dû partir doucement ». Sa réponse apaisait mon cœur
tourmenté. Je me torturais l'esprit puisqu'on ignorait la cause de son décès.
Les médecins nous préparaient à ce que l'on ne sache jamais.
La dame me prit dans ses bras car je commençais à pleurer. Mais ces
larmes me faisaient du bien. Elle me demandait si elle pouvait ramener le
bébé et faire entrer mon époux. J'acquiesçais, infiniment reconnaissante de
son attitude. Je me sentais légère, sereine d'avoir vu mon fils et je me
blottissais tout contre Rémi.
Après quelques instants dans ses bras, nous retournions dans ma chambre où
nous retrouvions ma mère en train de discuter avec Sœur A.-M. Celle-ci nous
demandait quand nous comptions organiser les obsèques de Pierre. En effet,
nous hésitions entre le vendredi 25 août et le lundi 28. Nous avions 8 jours
pour les faire. Mais le jeudi 24, c'était l'anniversaire de Rémi et je penchais
plutôt pour le lundi, ce qui nous permettait de prévenir les gens afin qu'ils
puissent s'organiser s'ils souhaitaient venir. Nous voulions que tout notre
entourage, les amis, la famille soit présent car Pierre est notre fils et fait donc
partie de la famille. Nous nous décidions alors pour le lundi 28 août. La
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cérémonie allait être organisée par le père Denis à la chapelle de l'hôpital.
Nous chargions nos parents respectifs de prévenir les uns et les autres.
Je tirais mon lait pour Sarah. Cela était primordial pour moi et l'équipe
médicale m'encourageait car ce n'était pas facile. J'étais fière de rapporter le
petit biberon au lactarium. Cependant ma fille ne reçu mon lait que 3 jours
après sa naissance. En effet, mon lait était analysé afin de vérifier qu'il n’était
pas infecté. Pendant ces trois jours, elle avait bénéficié du lait d'une autre
maman anonyme qui avait fait le don de son lait.
Lorsque nous arrivions dans le service de réanimation néonatale, une
puéricultrice répondait à nos questions et j'étais touchée qu'on ne nous
cachait rien. Elle nous proposait de faire les soins à notre fille. Rémi ne se
sentait pas prêt et craignait de lui faire du mal. Elle le rassura et j'acceptais
avec une joie indicible de m'occuper de ma fille. La puéricultrice me guida
dans les soins à effectuer qui consistaient à changer la couche et lui prendre
la température dans la couveuse.
Les médecins nous expliquèrent que les premiers jours de vie des prématurés
étaient importants. Il fallait surveiller les problèmes respiratoires,
neurologiques et digestifs. Les problèmes respiratoires sont essentiellement
la maladie des membranes hyalines (MMH) due à l'absence ou à
l'insuffisance du surfactant et le pneumothorax causé par une grosse bulle
d'air qui écrase le poumon et gêne la respiration. Les problèmes digestifs sont
notamment les œsophagites (inflammation de l'estomac et de l'œsophage), et
l'iléus fonctionnel (bouchon qui se forme dans l'intestin du fait de son
immaturité et de son manque de tonus pour l'évacuer).
Sarah ne s’en sortait pas trop mal. J'avais tellement envie de l'avoir
tout contre moi. Quitter le service était un véritable déchirement physique.
On m'encourageait à rapporter un mouchoir qui aurait mon odeur et que l'on
installerait dans la couveuse afin que Sarah sente mon odeur. Cela me faisait
un bien fou de voir que l'on œuvrait au maximum pour le lien mère-enfant.
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Mais je me sentais toujours aussi nulle ; je craignais que mon odeur rappelle
à ma fille des mauvais moments (mort de son frère, ma souffrance, mon
angoisse de la perdre...). Heureusement je fus rassurée par l'équipe médicale
et mes proches.
Jeudi le 24 août : l'anniversaire de Rémi
J'étais attristée ; pour la déclaration de nos deux enfants à la mairie,
Rémi n'était accompagné que de ma mère. Ses parents n'étaient pas présents
pour cette démarche. C'est avec mes parents que mon mari a fêté ses 25 ans.
Avec mon père, qui arrivait de Bretagne et ma maman, nous avions essayé
d'organiser une petite fête pour les 25 ans de mon époux dans ma chambre
d'hôpital. Tout était prêt pour lui faire la surprise : cadeaux emballés, gâteau
au chocolat...L'émotion de Rémi était visible.
Nous étions très touchés car Sandra avait pensé à son anniversaire et lui
avait offert du miel et du chocolat.
Nous allions voir notre fille plusieurs fois par jour. Sarah perdait du
poids, ce qui était normal. Mais on voyait à vue d'oeil qu'elle maigrissait et
c'était bien impressionnant. Elle n'avait plus que la peau sur les os.
J'avais besoin de la voir, de la toucher. Elle me manquait terriblement. Cette
séparation me faisait souffrir intensément. Mais je savais qu'il existait une
douleur plus grande : celle de perdre son bébé. Alors je me raccrochais à elle.
Néanmoins, ce qui me faisait également mal, c'était que les gens ne me
parlaient plus trop de mon petit garçon. C'était comme si il n'y avait plus que
Sarah, comme si je ne devais me focaliser que sur elle. Or la réalité de la
mort de mon bébé était si récente. Et je n'osais pas trop dire que je pensais
aussi à lui.
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Pendant qu'une sage-femme m'examinait, elle me demanda « Et
votre petit garçon, vous l'avez appelé comment ? » Sa question me mit du
baume au cœur. Par cette petite question, elle donnait une existence à mon
fils. Et encore une fois, je mesurais à peine l'ampleur de la particularité du
deuil d'un jumeau, à savoir ce va-et-vient entre deux extrêmes, la vie et la
mort. Ces deux notions cohabitaient en moi et je percevais tout juste la
difficulté que cela engendrait.
Ma mère me tenait au courant du nombre de personnes qui
pourraient être présentes lundi pour les obsèques de notre fils.
J'étais sensée changer de service et être installée dans le service des
accouchées et non plus dans celui des grossesses pathologiques. Cependant
compte tenu de ma situation, j'avais eu la possibilité de rester dans ma
chambre. Cela aurait été insupportable de voir les autres mamans avec leurs
bébés dans les bras.
Vendredi 25 août : je tiens ma fille pour la première fois dans mes
bras !
Ce jour là restera gravé au plus profond de mon cœur. En effet, à l'occasion
d'un soin particulier à effectuer en dehors de sa couveuse, on me proposait de
la prendre quelques instants avec moi. Je m'installais alors bien droite dans
un fauteuil et les infirmières me la déposaient délicatement dans mes bras.
Pendant qu'une puéricultrice tenait les tuyaux de Sarah, Rémi prenait des
photos de cet instant magique. Elle était si légère et si fragile. Qu'est-ce
qu'elle était belle ! Je lui chuchotais combien je la trouvais jolie, combien je
l'aimais et qu'elle me manquait follement. Je mourais d'envie de l'embrasser.
Mais je ne pouvais pas. Et je savais que le jour où je pourrais le faire n'était
pas encore arrivé. Je n'osais à peine respirer tellement j'avais peur de mal
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faire. Puis il fallait la remettre dans sa couveuse. C'était si dur de devoir me
séparer d'elle. Mais j'étais heureuse d'avoir pu la serrer tout contre moi.
Le Père Denis était venu dans ma chambre afin de discuter avec nous de la
cérémonie des funérailles. Immédiatement nous nous sentions compris par
cet homme d’Eglise. Sa foi rayonnait autour de lui et ses paroles
m'apaisaient.
Une surprise m'attendait : il s'agissait d'un coup de téléphone de
Bruno, un cousin. Il m'expliquait qu'il aurait bien été présent pour
l'enterrement de notre fils, mais il travaillait lundi et ne pouvait donc pas se
joindre à nous. J'étais très touchée et je lui demandai si ses parents pourront
se déplacer car j'avais besoin de connaître le nombre de personnes présentes.
Il me répondait que ses parents ne voulaient pas venir car ils n'avaient pas
connu le bébé et ils ne l'avaient pas vu. Pour eux, il ne faisait pas partie de la
famille. Ce n'était pas la peine. À ces mots mon cœur de mère se révolta. Je
bouillonnais de colère face à cette non reconnaissance de Pierre.
Néanmoins, je remerciais Bruno de sa franchise et lui exprimais ma gratitude
pour sa volonté de considérer notre bébé comme un humain.
Si les gens ne pouvaient pas venir cela n'était pas grave. Mais tout ce
dont nous avions besoin, c'était de voir que l'entourage était avec nous en
pensées. Ne pas se retrouver seuls face à la douleur de la mort de son enfant.
Ne nous fuyez pas ! Ne nous laissez pas seuls ! Je ne comprenais pas
l'attitude de ma belle-famille, à savoir que les parents de mon mari n'étaient
pas sûrs de venir pour les obsèques de notre fils, sans nous préciser une
raison. Quand je demandais à Rémi si ses parents allaient venir afin de
s'organiser, il me répondait navré et le regard triste : « Je ne sais pas ». Il
s'agissait de l'enterrement de leur premier petit-fils !
Je commençais à ranger mes affaires car je partais enfin de l'hôpital
pour rentrer chez nous le lendemain. Je n'en pouvais plus de ces murs, mais
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d'un autre côté je m'éloignais de ma fille. Et cela était douloureux car j'avais
l'impression de l'abandonner.
Samedi le 26 août : enfin je rentre à la maison !
L'équipe médicale avait été exemplaire. Alors pour montrer ma
gratitude, j'avais confectionné une petite carte afin de bien les remercier.
Cela faisait drôle de quitter cette chambre dans laquelle j'avais vécu tant
d'évènements. Une terrible impression d'abandonner ma fille me saisit. J'étais
maman de deux enfants et je quittais la maternité les bras vides.
Désespérément vides. Je savais que je ne verrai plus mon fils et que ma fille
allait être loin de moi. Pourtant nous avions l'immense chance d'habiter tout
près du CHU.
Rémi embarquait les affaires de ma chambre jusque dans la voiture
pendant que je l'attendais assise sur le lit.
Lorsqu'il revint, son visage était bouleversé et il me racontait qu'il avait
rencontré dans le couloir le papy du petit Kilian. Celui-ci était dans le même
service que Sarah. Le petit garçon venait de mourir. Son poids de naissance
était de 490 g, mais nous ignorions à quel terme il était né. J'étais sous le
choc…En sortant de l'hôpital nous avions discuté avec la mamie et la tante
du petit Kilian. Je suis persuadée maintenant que les mêmes souffrances
unissent plus que les mêmes joies.
Ce week-end était particulier. Avec mon mari, nous savourions ces
moments d'intimité après ces longues semaines de séparation. Nous nous
retrouvions enfin.
Nous étions dans un autre monde ; puisque nous allions enterrer notre fils
lundi. J'avais encore l'impression que tout cela était irréel et que j'allais me
réveiller encore enceinte de mes deux bébés vivants. Mais non. Mon ventre
était dégonflé, il ne portait plus la vie. Je me sentais si vide, si inutile.
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Les parents de Sandra nous avaient envoyé un splendide bouquet de fleurs
blanches accompagné d'un petit mot. J'étais très touchée de voir que les gens
étaient avec nous, que nous n'étions pas seuls dans notre souffrance.
Tante Elodie nous avait écrit une magnifique carte pour la naissance de
Sarah, mais aussi pour Pierre. Mon frère qui ne pouvait pas être présent à
l'enterrement nous confia qu'il prierait pour Pierre. Leslie, une tante de Rémi
nous écrivit une jolie carte nous affirmant toute son affection. Hélène et sa
famille avait rédigé un petit mot, rien que pour notre petit garçon : « Cher
Pierre, Charles, à travers ces quelques lignes nous voulons te dire : merci.
Car tu es venu parmi nous pour un petit temps et tu es reparti très vite, trop
vite. Seul Dieu connaît la vérité. Nous te demandons à toi qui es déjà au Ciel
de protéger ta famille et aussi tous ceux qui vivent chaque jour un départ
précipité. Merci à tes parents pour cette magnifique cérémonie de départ vers
notre père du Ciel et de la terre. » Tout cela me touchait profondément. Car
l'indifférence de certains face à la mort de notre fils, nous faisait sombrer
dans une douleur indicible. Faire comme s'il n'avait pas existé, comme si ce
n'était rien, comme si il avait été une erreur de la nature nous brisait le coeur.
Alors toutes les personnes qui ont manifesté sincèrement d'une façon ou
d'une autre de l'intérêt pour Pierre nous ont été d'une aide précieuse.
Infiniment précieuse.
L'enterrement de notre fils : l'à Dieu à Pierre : 28 août 2006
Finalement, les parents de Rémi ainsi que son frère Antoine furent
présents. J'espérais profondément que leur présence était un signe, qu'ils
avaient changé d'avis et qu'ils le considéraient comme notre fils, leur premier
petit-fils.
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Nous étions extrêmement touchés par la demande de mon père de
lire un petit texte pour Pierre pendant la cérémonie. Cette délicate attention
nous réchauffait le cœur.
Avant la mise en bière, mon époux se rendit chez les pompes
funèbres afin de leur remettre une médaille pour Pierre et d'apporter le petit
tissu qui allait l'envelopper pour l'éternité. J'y avais brodé son prénom avec
du fil doré. J'étais très fière d'avoir réalisé quelque chose pour lui.
Juste avant la cérémonie, nous déposions au lactarium mon lait que
j'avais tiré pour Sarah. La vie et la mort se côtoyaient encore. Quel
paradoxe ! Je venais apporter la nourriture signe de vie et nous allions
enterrer notre fils.
Quand nous entrions dans la petite chapelle de l'hôpital, posé sur le
sol, il y avait le cercueil de notre fils. En voyant ce cercueil si petit cela me
bouleversa. Je n'avais pas beaucoup pleuré ces temps-ci et là, toutes les
larmes jaillirent et ruisselèrent le long de mes joues telles un torrent en furie
sortant de son lit dévalant les pentes d'une montagne.
Nous ne remercierons jamais assez toutes les personnes présentes. La
cérémonie du Père Denis était très belle, simple et si émouvante. Nous lui
avions demandé de prier pour le petit Kilian et sa famille. En fin de
cérémonie, nous pouvions toucher le cercueil et le bénir. Nous étions
éprouvés. J'avais du mal à rester debout ; mes jambes me lâchaient. Alors je
m'agenouillais près du cercueil et ma main se posa sur le bois. Je craquais.
C'était si dur ! Pourquoi nous endurions de telles épreuves ? Qu'avons-nous
fait pour mériter cela ? Quelle injustice ! Je n'avais qu'une envie : c'était
d'ouvrir le cercueil, de prendre mon bébé contre moi et de m'enfuir loin de
tout.
Puis, nous nous sommes relevés et les gens les uns après les autres
bénissaient ce petit cercueil. Ce fut au tour de Rémi de craquer. Alors comme
il l'avait fait pour moi, je le consolais. Dans cette douleur indescriptible qu'est
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la perte de son enfant, notre couple était soudé par cette force qui nous
habitait. Nous nous consolions mutuellement. Je ne voulais pas m'offrir en
spectacle, mais notre souffrance était si vive et notre blessure saignait
abondamment.
Puis, la cérémonie achevée, je tombais dans les bras d’Hélène et de Sandra.
Les parents d’une amie partageaient notre souffrance et elle nous dit : « Il
vous manquera toujours, il sera à jamais dans votre cœur, la douleur et le
manque est là, mais courage la blessure va se cicatriser avec le temps. » Cela
m'avait profondément touchée et remuée.
Nous nous rendions au cimetière pour la mise en terre. J'avais
l'impression que je n'y arriverai pas. Il pleuvait et l'air était frais.
Nous déposions chacun une rose blanche sur le cercueil. Une dernière
bénédiction..., un dernier regard...
Je ne pleurais plus. Le ciel le faisait pour moi. La pluie tombait
comme pour nous chasser du cimetière. C'était étrange, nous venions
d'enterrer notre bébé et un sentiment d'apaisement m'enveloppait. Je me
sentais sereine et satisfaite de moi, comme lorsque l'on a achevé une tâche
qui nous était demandée. Je souriais; nous avions fait quelque chose pour
notre fils : nous l'avions reconnu aux yeux de la société, de la famille, de
notre petite famille.
Séparée de ma fille : l'épreuve de la prématurité
Le mois de septembre était ponctué par nos visites quotidiennes à
notre fille. Le troisième jour Sarah s'était désintubée elle-même. Les
médecins nous expliquèrent que cela était bon signe, qu'elle avait envie de se
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battre pour vivre. Ils n'avaient pas essayé de l'intuber à nouveau, voyant
qu'elle se débrouillait assez bien.
Un jour, après être sortie de sa chambre, je me suis écroulée par
terre, tellement le stress de ces quelques jours était intense.
La chaleur et l'atmosphère du service de réanimation néonatale étaient
étouffantes. Je suffoquais, oppressée par cette ambiance stressante et
écrasante. Une infirmière et mon époux me relevèrent ; un verre d'eau me fut
tendu. L'équipe soignante m'entourait et leur gentillesse me touchait
profondément.
Cinq jours après sa naissance, ma fille était transférée dans le
deuxième service à savoir les soins intensifs. Elle se débrouillait très bien
compte tenu de sa grande prématurité. Elle était traitée pour une anémie et fut
transfusée. Le personnel médical avait mis en place tout un protocole
antidouleur pour les prématurés : (tétines trempées dans de l'eau sucrée,
pommade anesthésiante, position confortable pour le prématuré...).
Un meuble de rangement était à proximité de sa couveuse. Chaque
bébé possédait une commode. Le dossier de l'enfant y était posé, permettant
ainsi aux parents de voir notamment l'évolution du poids et les éventuelles
désaturations (baisse du taux d'oxygène dans le sang). Tous les jours, en
arrivant dans le service, je regardais la courbe de poids de ma fille.
De plus, l'équipe était attentive à nos questions et nous encourageait à la
prendre dans nos bras dès que cela était possible, à pratiquer le peau à peau.
Sarah faisait de temps en temps des « bêtises » à savoir qu'elle oubliait de
respirer. Ces apnées étaient fréquentes. Alors les alarmes des machines
retentissaient bruyamment dans sa chambre et une infirmière arrivait en hâte
pour la stimuler. C'était très impressionnant. Quand ma fille s'arrêtait de
respirer, j'avais l'impression que mon cœur s'arrêtait aussi. J'avais si peur,
j'étais angoissée à l'idée qu'elle ne respire plus jamais. Heureusement, notre
fille grossissait correctement et se battait comme une lionne.
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En tant que maman de prématuré, on se sent terriblement
impuissante. Ce sont les machines qui effectuent le travail que vous n'avez
pas su faire. On ne peut pas prendre son enfant dans ses bras comme on le
désire ; il faut l'accord du personnel médical.
On se sent démunie, inutile. Trouver sa place de parents au milieu des
machines, des fils, du bruit des alarmes nous rappelle cruellement la fragilité
de la vie. Bref, cela n'était pas évident à vivre.
Je rends hommage au travail réalisé par l'équipe médicale car elle a
su nous donner notre place de parents, nous valoriser et nous redonner
courage face à cette épreuve.
Je suis consciente que si je n'avais pas été soutenue et valorisée dans
mon rôle de maman, j'aurai certainement rejeté ma fille ou du moins un
problème d'attachement entre mère et enfant se serait posé. Avant de vivre le
deuil de mon fils et la prématurité de ma fille, je croyais que l'instinct
maternel, en tant que tel, existait. Or, mon vécu m'a fait prendre conscience
que le sentiment maternel s'élabore progressivement en fonction de la
personne, du contexte, du vécu. C'est un processus complexe qui se met en
place progressivement.
Mon esprit était préoccupé par l'état de santé de Sarah. Je me
focalisais sur elle et j'en oubliais un peu le deuil de mon fils.
Ma déchirure périnéale se cicatrisait et je pouvais commencer à m'asseoir
comme avant. Néanmoins, pendant un mois, le sport m'était déconseillé.
Nous pratiquions le « peau à peau » dès que cela était possible depuis
le 30 août. Ces instants de contact charnel avec notre fille étaient magiques.
C'était si intense de sentir sa peau contre la mienne, de pouvoir lui murmurer
tendrement tout ce qu'une maman peut dire à son bébé. Quand Sarah était
contre ma poitrine, j'avais mal au ventre, comme si celui-ci sentait qu'elle
devait encore y être.
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Lorsque nous devions rentrer chez nous, nous lui disions au revoir le
coeur serré et elle ouvrait ses si beaux yeux à ce moment comme pour nous
supplier de rester encore.
Elle ne régulait pas encore sa température, mais cela venait
progressivement. Je continuais de lui apporter quotidiennement mon lait que
nous déposions au service. Au tout début, elle prenait par sonde gastrique 8
fois 2 ml de lait par jour. Puis les quantités augmentaient rapidement. Le lait
était stocké dans une grosse seringue électronique dont l'alarme très bruyante
annonçait la fin du repas.
Sarah portait un petit masque nasal. L'air enrichi en oxygène était apporté
dans ses narines en permanence, car ses petites alvéoles n'étaient pas encore
entièrement enduites de surfactant. Cette substance produite par les poumons
matures permet de fixer l'oxygène. Pour les prématurés, il faut donc enrichir
l'apport en oxygène.
Puis, une enceinte en forme de cloche à fromage en plexiglas
appelée « cloche de hood » fut installée à l'intérieur de sa couveuse.
Son usage, d'abord limité à quelques minutes, s'est progressivement
prolongé. Cela l'aidait à devenir de plus en plus autonome pour respirer.
Tant que Sarah avait le cathéter, les risques d'infections étaient importants. Il
offrait en effet une porte d'entrée aux germes. L'hygiène était donc vitale et le
port du masque sur le visage obligatoire.
Le 15 septembre, le cathéter étant retiré, nous avions le droit de faire
des bisous. Enfin j'embrassais ma fille sur le front ! J'en avais les larmes aux
yeux tellement j'attendais ce moment avec l'impatience que vous pouvez
imaginer !
Nous pouvions vêtir Sarah dans sa couveuse d'un petit body. C'était magique
de l'habiller ! On sentait qu'elle aimait le contact avec le vêtement.
Mais un jour, on nous annonça que Sarah allait être installée en
isolement car le bébé qui était à côté d'elle avait contracté une infection très
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contagieuse. Des mesures d'hygiène draconiennes furent mises en place.
J'avais très peur et les médecins étaient peu bavards.
Il fallait attendre les résultats pour savoir si notre fille était, elle aussi,
infectée. Ce fut terrible à vivre. Tout de suite je m'imaginais le pire. Ce fut
l'angoisse totale jusqu'aux résultats heureusement négatifs. Les médecins
nous avaient prévenus des hauts et des bas qui parsemaient la vie des
prématurés. Vivre au jour le jour, ne sachant pas ce qui allait se passer en
franchissant la porte du service était psychologiquement épuisant. Je me
sentais si vieille à 24 ans !
Fin septembre, Sarah arrivait au troisième et dernier service à savoir
la médecine néonatale. Sa respiration devenait de plus en plus stable et
sachant réguler sa température, sa sortie de la couveuse était envisagée. Enfin
nous tenions le bon bout ! Elle allait bientôt être à la maison ! Toutefois,
Sarah était encore branchée aux machines afin de vérifier si tout allait bien.
Nous partagions la chambre avec un autre bébé et sa maman. Ce qui était dur
à vivre aussi, c'était le peu d'intimité. L'autre bébé désaturait souvent et le
bruit des alarmes me faisait à chaque fois sursauter. Comment créer une
relation mère-enfant quand des infirmières courent partout, des alarmes
retentissent de plus belle...?
J'étais encouragée pour la mettre au sein. Mais elle avait du mal à
téter. Cela me brisait le cœur de ne pas pouvoir allaiter correctement. J'en
souffrais beaucoup. Téter au sein lui demandait beaucoup d'efforts. Les
médecins nous expliquèrent que le réflexe de succion-déglutition
n'apparaissait que vers la 33 / 34 ème semaine. Pour savoir quelle quantité
elle prenait à mon sein, je la pesais avant et après la tétée. Les puéricultrices
nous apprenaient à nourrir notre puce au biberon rempli de mon lait. Ces
instants passés avec ma fille dans mes bras en train de lui donner le biberon
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me comblaient de bonheur. Ces rares moments d'intimité me rendaient un
peu plus sereine.
Un beau jour l'équipe nous apprenait qu'elle était dans un petit lit !
Adieu couveuse ! En effet, je téléphonais chaque matin afin de savoir si elle
avait passé une bonne nuit. Nous pouvions passer un coup de téléphone pour
demander des nouvelles autant de fois que nous le voulions. Tout était fait
pour que notre place de parents soit respectée.
Sarah portait à présent des vêtements et un charmant petit bonnet rose. Elle
était si belle !
Une puéricultrice me montrait comment lui faire son bain ; petit à petit mon
rôle de maman prenait de l'importance et je pouvais serrer ma fille dans mes
bras sans passer à chaque fois par une infirmière.
Une fois, j'avais ma puce contre ma poitrine, et je me suis mise à pleurer, à
penser à son frère. Une infirmière vint me voir et entre deux sanglots je lui
dis: « Il me manque ! ». Elle m'écouta, posa sa main sur mon épaule. Une
autre infirmière m'apporta une tisane. Qu'il était apaisant de se sentir
soutenue, écoutée et non jugée !
Néanmoins certaines personnes de notre entourage me dispensaient des
recommandations concernant la prise en charge de ma fille me mettant ainsi
dans une position infantilisante. Or, j'avais plutôt besoin que l'on me valorise,
que l'on m'encourage dans cette épreuve. Le soutien de l'entourage était
primordial pour nous aider à retrouver notre estime en tant que parents.
Je souffrais énormément de ces réflexions. Je ne trouvais pas cela
normal. Pourquoi certaines personnes ne m'encourageaient-elles pas comme
le faisaient d'autres ? N'avaient-elles pas vu notre douleur à la mort de
Pierre ? Ne voyaient-elles pas que nous étions dans un état de grande
fragilité ? Que pensaient-elles de moi ? Croyaient-elles que j'étais une mère
indigne ? Je ne comprenais pas la situation. Et puis pourquoi m'emportais-je
pour des petites remarques ? Que m'arrivait-il ? Cherchais-je la petite
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bébête ? Alors ma colère grandissait face à l'attitude de certains membres de
notre entourage.
Nous savions que la sortie de l'hôpital approchait à grands pas et
j'étais toute excitée à l'idée d'avoir ma puce avec moi. Sarah devait atteindre
les 2 kilos et boire son lait au biberon correctement pour envisager son
départ.
Avec Rémi, nous effectuions chacun à notre tour les soins. J'étais toujours
émue de voir ma fille dans les bras de son papa. C'était très touchant de le
voir en train d'apprendre à lui donner le biberon.
J'étais très heureuse que Sarah aille bien, mais mon cœur saignait de
l'absence de son frère jumeau. Le deuil périnatal d'un jumeau est bien
difficile puisque la vie et la mort se retrouvent liées. En effet, le jumeau
esseulé vous rappelle sans cesse le manque de l'autre. Ils étaient deux, mais il
n'en reste plus qu'un de vivant. Et cependant, vous portez vos deux enfants
dans votre coeur à jamais.
Mon travail de deuil s'était suspendu avec la prématurité de Sarah.
Nous étions bouleversés par le témoignage d'un membre de la
famille qui nous confiait spontanément qu'elle avait perdu aussi un bébé vers
17 SA et qu'elle avait subi des réflexions de l'entourage « ton mari va t'en
faire d'autres..., il n'était pas viable..., tu le connais pas..., oublie, tu es
jeune...» Personne ne nous avait parlé de ce qu'elle avait vécu. J'étais très
touchée de sa confiance. Cela me troublait de voir que le deuil de notre fils
faisait remonter des évènements bien enfouis dans le cœur des gens.
Sarah sort de l'hôpital : une joie indicible !
Le vendredi 6 octobre : Départ de l'hôpital !
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Ce jour était comme une seconde naissance. Nous étions extrêmement émus
de la ramener chez nous après ces si longues semaines de séparation. Nous
mesurions les étapes franchies avec des sentiments de soulagement et de
tristesse sachant que notre fils ne grandira jamais près d'elle.
Enfin, je ne sortais pas de l'hôpital les mains vides !
J'étouffais de joie à l'idée de m'occuper de ma fille, comme n'importe
quelle maman. Le trajet de l'hôpital à l'appartement s'était effectué dans une
ambiance de bonheur intense. Sarah dormait paisiblement dans son siège
auto. Elle paraissait si petite ! À sa sortie de l'hôpital elle mesurait 44 cm
pour 2,040 kg. Les médecins nous avaient donné des indications précises
pour son suivi en tant que grande prématurée. J'avais du mal à réaliser que
Sarah était enfin avec nous. Elle m'avait tellement manqué ! La séparation
avait été brutale et longue. Quand elle était hospitalisée, je me demandais si
un jour elle sortirait de là. S'occuper d'elle n'était que du bonheur. Plus de
machines, plus de blouses blanches, plus de couveuse, plus de désaturations.
Nous étions enfin réunis chez nous. Tout se passait très bien. Sarah était un
bébé très gentil. Nous savourions chaque seconde avec elle car nous
mesurions la chance qu'elle soit vivante et en bonne santé. Nous étions pris
dans un tourbillon de vie et de joie.
Cependant, Sarah n'arrivait toujours pas à téter mon sein et je
commençais à constater avec désespoir que mon lait diminuait. Je passais
plusieurs heures à le tirer et j'en avais de moins en moins. Tout doucement
la fatigue, le stress m'enveloppaient insidieusement. Pour moi, c'était
tellement important de pouvoir l'allaiter. Je n'arrivais plus à suivre la
demande de ma fille.
Le 11 octobre nous avions pris rendez-vous chez une pédiatre
spécialisée dans la prise en charge des prématurés, recommandée par
l'hôpital. Sarah pesait 2, 222 kg et mesurait toujours 44 cm. Tout allait bien
pour elle. Néanmoins la pédiatre nous donna des conseils très stricts afin de
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protéger notre fille le mieux possible. Nous étions rassurés de constater que
la pédiatre était rigoureuse. Elle nous conseillait de prendre du lait maternisé.
Pour la Toussaint, nous étions allés nous recueillir sur la tombe de
notre fils. Ma mère souhaitait participer à l'achat d'un bouquet pour son petitfils. Nous étions touchés par cette délicate attention. Sandra nous offrit une
superbe décoration pour la tombe de Pierre ainsi qu'une jolie bougie rouge.
En outre, nous avions reçu une carte de Sœur A-M. nous conviant à la
célébration de la Toussaint. Une pensée particulière pour Pierre et Sarah
accompagnait l'invitation à la messe du 2 novembre. J'étais extrêmement
sensible à tous ces gestes. J'avais tellement peur qu'on oublie mon fils, qu'on
tourne la page si facilement. Mais je ne me sentais pas prête du tout à
retourner à l'hôpital. J'en avais honte.
J'appréhendais un peu la visite de mes beaux-parents, étant donné
leur déni de leur premier petit-fils qui me révoltait au plus profond de mon
coeur de maman. Rémi leur demanda des nouvelles des membres de la
famille. Il fut surpris car certains de ses proches ne semblaient pas être au
courant de ce qui nous était arrivé.
Engluée dans ma colère : révolte, doute, culpabilité
Nous étions complètement désemparés face à l’attitude de certaines
personnes qui se comportaient comme si Pierre n’avait jamais existé. Mon
mari ne comprenait pas ces réactions. Moi je bouillonnais de colère
d'accepter ce silence autour de la mort de notre petit garçon. Nous étions
dans un état de grande fragilité et nous avions besoin de paix, de tranquillité.
Nous devions nous recentrer sur Sarah et le deuil de Pierre. Ma colère
s'amplifiait et mon deuil n'avançait pas. Je sentais mon couple en danger,
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notre parentalité mise à mal et j'allais devoir me battre, pour faire respecter
notre parentalité au lieu de faire mon travail de deuil.
J'étais désespérée : je devais me battre pour ma fille et pour la
reconnaissance de mon fils. En effet, certaines personnes réagissaient comme
si rien ne s'était passé, comme si je n'avais accouché que d'un seul enfant.
Mais comment faire le deuil d'un rien ? Si notre enfant n'est pas reconnu,
comment partager notre souffrance, notre cheminement ? Pour nous, il était
évident que Pierre ne serait jamais tabou dans notre famille. Mais comment
les gens allaient réagir lorsque Sarah posera des questions ? Si elle exprime
le manque de son frère jumeau et que pour eux il n'est qu'un amas malformé
de cellules, quelle sera leur attitude ?
Toutes ces questions nous interpellaient et nous nous sentions si
seuls. Heureusement, je pouvais m'exprimer avec ma mère et elle m'écoutait.
Son expérience m'apprenait énormément.
J'étais révoltée, car pour moi nous faisions un beau cadeau à mes
beaux-parents en leur permettant de devenir grands-parents. J’étais fière à
l'idée que nous serions les premiers à devenir parents. Mon père me dit un
jour : « Mais ce n'est pas une course ! ». Sur le moment, je n'ai pas compris
pourquoi il disait cela. Je ne le compris que bien plus tard...
Le 7 novembre, dans la boîte aux lettres, je trouvais un papier de la
PMI (Protection Maternelle Infantile) qui nous proposait un rendez-vous
pour le lendemain chez nous avec une puéricultrice, afin de discuter des
questions du genre : horaire des biberons, rythme du bébé, développement
psychomoteur...Cela me paraissait bizarre que la PMI veuille nous voir juste
pour évoquer des problèmes de couches et de biberons. Pourquoi
s'intéressait-elle à nous ? Mon époux s'arrangea pour être présent ce jour là.
La puéricultrice était gentille. Nous discutions de choses et d'autres. Puis elle
nous demanda quelle était la cause de la prématurité de Sarah. Rémi
l'interrogea alors sur ce qu'elle savait déjà. Elle nous répondit qu'elle ne
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possédait aucun élément et pour nous le prouver, elle feuilleta son petit
dossier. Mais pendant qu'elle feuilletait, nous avions aperçu l'acte d'enfant
sans vie de Pierre au milieu d'autres papiers. Elle nous questionna sur le deuil
de Pierre afin de connaître si sa mort sera tabou ou pas, s'il avait sa place
dans notre famille...Elle nous approuvait totalement dans notre démarche de
reconnaître notre fils et nous recommanda d'en parler à Sarah.
En fait, elle voulait vérifier comment nous nous sentions par rapport
à ce que nous avions vécu. Pas un seul instant nous n'évoquions les biberons,
le sommeil du bébé...Je pensais qu'elle aurait voulu visiter la chambre de
Sarah afin de constater que le matériel était bien aux normes. Et bien non. Je
trouvais ça très bien qu'il y ait un suivi pour les parents, que la PMI vérifie
qu'ils ne soient pas déprimés et que l'enfant ne soit pas en danger. En outre, la
puéricultrice était ferme par rapport à la reconnaissance de Pierre.
Pour elle, c'était primordial de l'avoir inscrit dans notre livret de famille et
d'avoir organisé des obsèques. Nous avions ainsi un lieu pour nous recueillir.
Cela m'avait fait du bien de constater que notre besoin vital de reconnaître
notre fils était encouragé par la PMI. J'aurais voulu que les gens qui
ignoraient notre petit garçon soient présents à cet entretien.
Ma fille me remplissait de joie. Elle était très gentille et c'était un
vrai bonheur de s'occuper d'elle. Je la trouvais si jolie et si douce. Je
savourais chaque instant passé avec elle. Mais je ne pouvais pas m'empêcher
de penser que j'aurais dû m'occuper de deux bébés au lieu d'un. Quand j'étais
submergée par la colère, j'expliquais à Sarah pourquoi j'étais comme cela et
qu'elle n'y était pour rien. Pour nous, c'était très important dans l'éducation
que nous voulions donner de dire les choses, de ne pas les cacher. De toute
façon les enfants sont des éponges émotionnelles et perçoivent le ressenti des
parents.
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Les mois passaient et ma colère me dominait toujours. Je n'arrivais
pas à avancer. Mon esprit se focalisait sur les gens qui ne reconnaissaient pas
notre fils.
Ce qui me faisait peur, c'était que je rêvais d'être enceinte, mais
enceinte de jumeaux. Je m'imaginais très bien la scène chez la gynécologue
lors d'une première échographie. Je la vois me dire : « Tout va bien, le bébé
est parfait. » Mais en constatant qu'il n'y en a qu'un seul, je grimace de
déception. Ce rêve me perturbait. Je voulais refaire ce qui avait échoué et
cette fois-ci le réussir. Cela avait duré plusieurs mois et j'avais honte de mes
sentiments. Comment osais-je penser cela ? Il ne s'agissait pas d'un
concours ! Je me dégoûtais.
Fin novembre, Sarah fut hospitalisée en urgence suite à une détresse
respiratoire dûe à un troisième épisode de bronchiolite. Cette nouvelle
séparation brutale me rappela la prématurité de ma fille que j'avais voulue
oublier.
Tout me revenait dans la figure et ces quelques jours d'hospitalisation étaient
très douloureux à vivre. Eh oui, ma fille était un bébé à la santé fragile, oui
elle n'était pas née à terme, oui ses petits poumons étaient fragiles.
Heureusement, Sarah se battait et elle pu sortir rapidement.
Les mois passaient, Sarah grandissait très bien. Sa joie de vivre illuminait
nos journées. Mais ma colère ne me quittait pas.
Nous continuions à recevoir des cartes de naissance pour Sarah. Mais
pas un mot sur Pierre. Rien. Le néant. C'était comme s'il n'avait pas existé.
Or, le 22 août deux enfants étaient sortis de mon ventre ! ! Comment les gens
pouvaient-ils nier l'existence de notre petit garçon ? Alors on me disait que
les gens avaient peur de gaffer, qu'ils ne savaient pas comment réagir...Mais
moi, je me disais que ces explications étaient un peu faciles. En effet,
aujourd'hui, il y a Internet, des livres...Si j'avais eu une amie qui avait vécu
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cela, je me serais documentée afin de savoir comment me comporter au
mieux. Mais j'avais si mal.
En tant que grande prématurée, Sarah avait un suivi strict. De
nombreux examens de contrôle ponctuaient les mois : vérification de
l'audition, des yeux, du développement psychomoteur, du cerveau...
Heureusement, tout se passait très bien malgré quelques frayeurs à cause de
son hydrocéphalie externe. Mais je vivais très mal psychologiquement ces
examens. Cela me rappelait sans cesse la prématurité de ma puce et donc
mon incapacité à l'avoir gardée dans mon ventre jusqu'au bout.
Je me focalisais sur l'attitude de certains membres de notre
entourage. Leur absence de soutien, ou leurs recommandations indécentes me
mettaient hors de moi. Mon époux, plus fataliste, se résignait. Et cela
m'irritait grandement de ne pas le voir se battre de toutes ses forces. Je ne
supportais pas qu'il baisse si rapidement les bras.
Mon couple : tensions, déchirements
J'étais perdue. Nous avions l’impression de ne plus être sur la même
longueur d’ondes. Que nous arrivait-il ? J'avais perdu mon fils et voilà que
mon couple (toute ma vie) était en difficulté.
Il y avait forcément une explication. Mais mon mari était
complètement dépassé par les événements. J'étais seule et je devais me battre
seule.
J'avais l'impression que personne ne me comprenait même plus mon époux.
Je n'arrivais plus à pleurer pour mon fils tellement ma colère était grande.
Les réflexions d'autres parents qui se plaignaient de leur bébé (il ne fait pas
ses nuits, j'en ai marre..) m’étaient insupportable. Comment pouvaient-ils
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dirent ça ? Ils ne se rendaient pas compte de la chance qu'ils avaient d'avoir
un bébé vivant en bonne santé près d'eux.
Cependant, je réalisais que j'avais tout de même progressé dans mon
cheminement. En effet, je souhaitais avoir d'autres enfants et mes envies
d'être seulement enceinte de jumeaux étaient en train de changer. J'avais pris
conscience que la grossesse suivante serait une autre aventure et que la santé
du bébé était le plus important. Néanmoins, je sentais que ma fragilité serait
grande pendant cette extraordinaire expérience qu'est l'attente d'un enfant et
que le soutien de l'entourage deviendra primordial.
Il se trouve que des faits divers concernant des infanticides étaient à
la une des journaux. Un immense sentiment de dégoût m'envahissait
profondément. Comment une mère peut-elle en arriver à tuer son enfant ?
Cela me donna envie d'en savoir un peu plus sur les dénis de grossesse et ce
qu'on appelle l'instinct maternel. Tout cela me remuait et je prenais
progressivement conscience que je cheminais dans mon deuil. J'avais besoin
de comprendre un peu mieux le lien mère-enfant.
Audrey m'avait offert, Pleurer l'enfant qu'on n'a jamais connu, de
Kathe WUNNENBERG. Cette délicate attention m'avait profondément
touchée. Je le dévorais avec l'espoir d'y voir plus clair. Un chapitre était
consacré à la colère et aux réflexions de l'entourage. Cela me rassurait, car je
voyais que je ne devenais pas folle, que je ne devenais pas parano.
Ce premier livre sur le deuil périnatal, même si je n'adhérais pas à certaines
réflexions, me permettait de cheminer tout doucement et je me rendis compte
que le travail de deuil était long, semé d'obstacles.
Un cousin de Rémi nous invita chez lui le dimanche du premier tour
de la présidentielle. Nous nous réjouissions de le revoir. C'était une belle
après-midi. La promenade dans la forêt m'apaisait. C'était agréable de se
retrouver dans un cadre de verdure. Il nous demanda l'histoire de la grossesse
en expliquant qu'il ne savait pas grand-chose. Il savait juste qu'un incident
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s'était passé. Je ne comprenais pas. Rémi non plus. Comment cela se faisaitil ? Nous étions étonnés qu’il ne semblait pas être au courant de ce qui nous
était arrivé
Calmement, je racontais ce qui s'était passé depuis le 15 juin. Je
parlais tranquillement. Je maîtrisais mes émotions car c'était la première fois
que je revenais sur ma grossesse. En plus, ce que nous avions vécu était rare
et j'expliquais tout car je ne voulais pas que des zones d'ombres persistent.
Son cousin était tout désolé. Je lui ai parlé en vérité en lui disant que je lui en
avais voulu pour son silence. Cela m'avait fait un bien fou d'être en vérité,
d'être sincère.
L'incompréhension face à l'entourage
Cependant nous n'avions pas échappé aux réflexions bien
maladroites. « Ça change la vie un bébé hein ? C'est beaucoup de travail et
un grand bouleversement dans le couple : on passe de deux à trois...» Dans
une grossesse normale, ce genre de chose est tout à fait vrai. Mais dans notre
cas, j'avais trouvé ça un peu lourd, d'autant plus que les gens qui ont
prononcé ces mots n'avaient manifesté que de l'indifférence vis-à-vis de notre
fils.
J'avais très mal, car certaines personnes ne se rendaient pas compte
que nous avions besoin d'encouragements au lieu de nous infantiliser. Elles
n'avaient pas compris que la grande prématurité de Sarah était aussi une
douloureuse épreuve. Quand on accouche d'un enfant prématuré, ce n'est pas
vous les parents qui avez le savoir. Ce sont les médecins. Vous êtes
dépossédés de votre bébé. Alors le fait tout simplement de poser des
questions, vous place dans votre rôle de parents qui avait été chamboulé par
83
la prématurité. On vous met ainsi en position de savoir et cela vous valorise
dans votre capacité à être une bonne mère.
Pendant une promenade avec les parents de Rémi en juillet, sa
maman posa une question : « Est-ce que la mutuelle a remboursé les frais
d'obsèques ? ». Un silence lourd plana. Rémi, complètement déstabilisé,
bafouilla « Heu..., une partie, mais ce n'est pas ça l'essentiel, ce n'est pas
important. » Intérieurement je hurlais de douleur. Mais tout le monde faisait
comme si de rien. J'étais paralysée, bouche bée. Pas un seul mot pour savoir
comment on va par rapport à la mort de Pierre. Pourquoi avait-elle posé cette
question ?
Après leur départ, mon époux et moi avons pleuré toutes les larmes
de nos corps. Nous étions dans les bras de l'un et de l'autre et nous criions
notre souffrance de voir la petite vie, si petite mais ô combien précieuse, de
notre fils ignorée. Pourquoi ne voulaient-ils pas reconnaître que même s'il est
né sans vie, il est notre fils et que notre amour pour lui est infini et que son
absence est si dure à vivre ! Pourquoi n'avaient-ils toujours pas compris ?
Cela faisait presque un an que mes enfants étaient nés !
Nous avions tellement espéré qu'ils changeraient ! Personne n'allait me faire
croire que cette question était une maladresse. Non ! Cela cachait quelque
chose...
J'étais révoltée de constater qu'un an après, nous étions toujours
incompris. Et je ne trouvais vraiment pas ça normal. Ma colère était à son
comble et je m’inquiétais de son prolongement.
Pourquoi je n'arrivais pas à me défaire de cette fichue de colère ? À nouveau,
je demandais à Rémi du temps pour digérer toutes ces émotions. Il ne me
comprenait pas. Nous nous enfoncions dans un trou sans fin de tensions dès
que l'on abordait ses parents. J'étais désespérée. Nous sombrions. Mais,
n'étant pas une fataliste de nature. Je ne voulais pas baisser les bras.
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Chapitre 4 : Renaissance
Reconstruction de notre couple : Rémi, un père qui se bat pour la
reconnaissance de son fils
C’est en communiquant en profondeur que mon mari et moi nous
nous retrouvions.
Nous savions que sa maman avait subi une « fausse couche ». Mais nous
ignorions quand et comment cela était arrivé.
Je suggérais à mon mari de le lui demander. Car il ignorait tout un pan de son
histoire familiale.
Rémi reprenait confiance en lui. J'essayais de lui montrer qu'il était
un bon père car son estime était sacrément descendue. Il s'était senti
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totalement dépassé par la tournure qu'avaient prises nos relations avec
l'entourage.
En rentrant d'une promenade familiale en août, mon époux me
rapporta la discussion qu'il avait entretenue avec certaines personnes.
Il avait expliqué : « Nathalie et moi sommes très reconnaissants
envers les personnes qui sont venues à l'hôpital. Mais avec toutes les
épreuves qu'on a dû subir : le décès de Pierre et la prématurité de Sarah, ce
n'était pas toujours facile. En plus, on a dû batailler pour les remarques qu'on
a eues concernant la reconnaissance de Pierre. C'est comme si on considérait
qu'il n'a jamais existé. Nous avons entendu tant de remarques indécentes
concernant notre fils. Ça nous a pris beaucoup d'énergie, d'autant plus qu’on
n’avait pas besoin de ça. ». Personne ne parlait. Rémi continuait et affirma
d'une voix claire « Pierre, pour nous c'est notre fils et on ne peut pas
l'ignorer. C'était un beau bébé. Nathalie l'a vu. Il ressemblait à Sarah, mais en
plus petit. Ce qui nous a fait mal, c'est qu'on nous dit qu'il était malformé,
que la nature avait fait son travail de sélection. Aucune malformation n'a été
détectée et sur le rapport d'hospitalisation il est écrit : " naissance d'un petit
garçon normal " » On lui rétorqua : « Ça doit malheureusement arriver
souvent ce genre d'accident, accident dans le sens chose qui n'arrive
normalement pas. De nombreuses mères ont dû vivre cela. »
Rémi répondit que : « Dans les trois premiers mois, c'est vrai qu'il y a des
" fausses couches ". Le décès de Pierre est arrivé plus tard. Et notre cas était
rare. »
Les gens avaient l'air surpris que la perte d'un bébé in utero soit rare.
Mon époux continua : « Pour nous, c'était important de le reconnaître, que ça
ne soit pas tabou pour notre deuil et pour la construction de Sarah. ».
Certaines personnes semblaient écouter attentivement ses affirmations, mais
d'autres par leurs mimiques manifestaient ainsi leur désapprobation.
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On lui dit : « Honnêtement, je ne sais pas ce que j'aurais fait si c'était arrivé à
ma femme, mais je pense qu'on n'en aurait pas reparlé, sauf si ma femme me
le demande. Ça peut-être dangereux à l'adolescence de savoir qu'il y a eu un
bébé mort. C'est une période où l'on réfléchit beaucoup. »
Rémi objecta : « Effectivement, c'est ce qu'on disait il y a 20 ans, On s'est
bien documenté là-dessus. On a vu plusieurs psychologues de l'hôpital et on a
eu le même son de cloche. Quand on ne le dit pas, l'enfant peut s'en rendre
compte bien plus tard (discussion de famille, indiscrétion...). Et là, c'est bien
pire car l'enfant pourra culpabiliser et croire que c'est de sa faute (pourquoi
ses parents lui ont-ils caché la vérité ?) C'est vrai qu'il se peut que l'enfant ne
s'en rende pas compte. Mais alors, on prend un grand risque, car la vie intrautérine laisse énormément de traces. Ce dont il faut tenir compte, c'est que
Sarah a eu un frère jumeau et qu'elle a eu des contacts étroits avec lui : sentir
son cœur battre, recevoir les coups de pieds...Même si son cerveau n'était pas
mature, elle a eu une perception plus ou moins consciente de Pierre. Si on le
lui avait caché, elle pourrait développer plus tard des problèmes relationnels
sans savoir pourquoi. Le tabou ne donne jamais rien de bon. »
Puis Rémi raconta la visite de la puéricultrice de la PMI. On lui
ajouta : « Là, je comprends ; tout le monde ne fait pas forcément comme
vous. Mais à partir du moment où c'était connu comme grossesse gémellaire
et qu'il y en avait deux, vous ne pouviez plus considérer qu'il n'y en a plus
qu'un dans le ventre. Et c'est normal que vous ayez fait un enterrement. »
Une personne jusque là muette répliqua « Pff, l'enterrement, c'est un rite » Et
une autre lui répliqua : « Oui, c'est un rite. Dans notre culture, c'est la
tradition d'enterrer les morts...On ne cache pas les cadavres ! » et s'adressant
à mon mari : « Vous avez bien fait de faire comme ça. »
Rémi me rapporta toute la discussion. Il était épuisé nerveusement, mais sa
fierté d'avoir enfin osé dire ce qu'il pensait était grande. Il se sentait soulagé,
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libéré d'un poids trop longtemps sur ses épaules. Il était satisfait de lui et son
estime se reconstruisait. J'étais bouleversée et touchée par certaines paroles.
Besoin de se renseigner : Internet, livres, émissions
Nous avions décidé de nous abonner à internet. Nos recherches
concernant le deuil périnatal se révélaient fructueuses. Nous constituions tout
un dossier sur le deuil périnatal d'un jumeau. Cela était réconfortant de voir
que d'autres parents souffraient des réflexions de la part de l'entourage qui a
tendance à banaliser et minimiser le deuil d'un enfant mort-né. J'allais très
souvent sur des sites d'associations de parents endeuillés, mais le courage de
me lancer pour écrire me manquait. Je ne me sentais pas encore prête à me
dévoiler. J'avais besoin de temps...Je salue la création de toutes ces
associations qui font un travail remarquable et extraordinaire d'écoute, de
partage et de soutien.
Nous étions assoiffés de savoir, de comprendre le cheminement du deuil si
particulier d'un bébé.
Progressivement je prenais conscience que je n'avais pas tout à fait
fini le deuil de ma grande sœur. Le besoin d’éclaircir certains points se faisait
ressentir. Je questionnais à nouveau ma mère qui me répondait sans
problème. J'avais besoin de savoir.
Les remarques de mon père prenaient tout leur sens quand il m'avait répliqué
« Mais ce n'est pas une course ! » Je sentais confusément depuis longtemps
que j'avais besoin d'être la première à faire quelque chose (première à vivre
en couple, première à me marier, à avoir des bébés.). C'était comme si je
devais gagner ma place. Je portais le même premier prénom que ma grande
sœur. Sa vie et sa mort n'avaient jamais été cachées, ma mère nous en a
toujours parlé. Elle avait toujours eu sa place dans notre famille (notamment
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par la prière...). Maman me racontait dans quelles circonstances elle s'était
rendue compte qu'elle n'avait pas accepté la mort de son premier enfant. Et
que son deuil s'était achevé 15 ans après. À cause d'une faute de la maternité,
concernant la prise en charge du corps de ma grande sœur, nous ne
possédions pas de sépulture. Je n'avais pas de lieu pour me recueillir. Et cela
me manquait. J'aurai tellement aimé voir une photo d'elle, avoir une trace de
sa petite vie, un lieu pour me recueillir.
Mais à l'époque, la perte in utero d'un bébé était totalement tabou et
la souffrance des parents était étouffée. Il ne fallait surtout pas en parler. Je
remarquais que dans mon carnet de santé, il n'y avait rien d'écrit sur ma
soeur. Je questionnais ma maman à se sujet. Elle m'expliquait que quand elle
attendait mon grand frère, elle entendit Françoise DOLTO qui préconisait
d'en parler aux enfants suivants, afin que la mort de ce bébé ne devienne pas
un secret de famille. Elle avait inscrit dans le carnet de santé de mon grand
frère le prénom de sa fille. Mais à l'époque de ma naissance, son médecin lui
expliqua que les enfants venant après une « fausse couche » étaient
considérés à problèmes. Alors pour moi et pour mon petit frère, elle renonça
à mentionner notre soeur.
Ceci montre à quel point, la mort in utero d’un bébé était totalement
tabou. Il ne fallait surtout pas en parler. C’était considéré comme quelque
chose d’honteux à cacher à tout prix, comme si perdre son bébé était
déshonorant et le travail de deuil impossible à faire. Nous regrettions que
toutes les personnes de notre entourage ne se réjouissaient pas de cette
évolution des mentalités.
Souhaitant partager nos recherches sur le deuil périnatal et plus
particulièrement du deuil d'un jumeau, nous envoyions les dossiers à nos
proches dont les parents de mon mari.
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Nous partions en vacances début septembre en Bretagne et nous
pensions que ses parents auraient eu le temps de lire les dossiers étant, en
plus, à la retraite.
À notre retour, serein, Rémi questionnait sa maman sur ce qu'elle pensait de
la documentation. Elle évitait de répondre comme si elle fuyait la discussion.
Durant deux mois nous espérions qu'ils s'intéresseraient à nos recherches.
Mais en vain. Notre déception fut immense. Nous ne comprenions plus rien.
Nous avions tendu la main, remplis d'espoir que les choses changeraient.
Mais concernant la reconnaissance de notre deuil, c'était le néant. Le vide
absolu.
Le deuil d'un enfant mort-né est un deuil très difficile, mais ce qui
fait le plus mal, c'est que l'entourage étouffe la douleur. « Il ne faut pas y
penser...oublie...tu en auras d'autres...ça arrive, c'est la nature...». Le pire c'est
l'indifférence : faire comme si rien ne s'était passé. Pourtant les mamans
endeuillées ont porté ce bébé en elle, l'ont aimé, l'ont senti bouger en elle. Et
le père... qui pense au chagrin du papa ? Tout le monde demande « Comment
va ta femme ? » mais qui se soucie de lui ? Un père ne peut pas pleurer son
enfant voyons ? ! Que peut-il ressentir ? Certes, les papas ne ressentent pas
les évènements de façon charnelle comme les mamans, mais ils souffrent en
silence de la mort de leur bébé. Nier la souffrance, nier la nécessité de faire le
deuil de ce bébé pour la mère et pour le père est une grande erreur. Un enfant
se fait à deux. Donc ce sont les parents qui doivent faire ce deuil nous
affirmait une pédopsychiatre rencontrée par hasard. Je dirais même que toute
la famille doit faire le deuil de ce petit. Car sinon les conséquences des deuils
non faits seront lourdes et elles risques de se perpétuer d'une génération à
l'autre. Je suis persuadée que si ma maman n'avait pas pu faire le deuil de son
premier bébé, elle n'aurait pas pu faire le deuil de son premier petit-fils. Elle
n'aurait pas pu nous aider, nous écouter.
90
En octobre, nous décidions de participer à « La fête des Anges
2007 » créée par une maman endeuillée. En souvenir des bébés décédés, des
lâchers de ballons sont organisés chaque premier samedi du mois d'octobre
aux quatre coins du monde. Par l'intermédiaire d'autres parents endeuillés, un
ballon bleu accompagné d'un petit mot pour Pierre s'envolait dans le ciel
parisien aux côtés de dizaines d'autres à la mémoire de ces tous petits partis
trop tôt. Quelques jours plus tard, une des mamans nous envoyait des photos
du lâcher de ballons organisé près de Paris. J'étais très fière d'avoir fait
quelque chose pour mon bébé. C'était un peu notre façon de ne pas l'oublier
et surtout de pouvoir lui exprimer tout notre amour. C'était la première fois
que nous faisions quelque chose pour notre fils. Cela nous avait rempli
d'émotions. Pendant que Rémi tapait le petit texte pour Pierre, une grosse
boule se coinçait dans ma gorge asséchée par les sentiments. Je n’ouvrais à
peine la bouche, car je sentais que si je prononçais un mot, j'allais éclater en
sanglots et je ne voulais pas pleurer.
Voici ce que nous avons écrit ensemble : Pierre, voici plus d'un an que tu
nous a quitté. Tu nous manques et nous ne t'oublierons jamais. Ta sœur
jumelle Sarah respire le bonheur de vivre et nous savons que tu veilles sur
elle. Nous te portons tous les trois dans notre coeur. Nos pensées les plus
tendres volent vers toi à l'image de ce ballon. Ton papa et ta maman."
En lisant Stéphane CLERGET, Quel âge aurait-il aujourd'hui ? Le
tabou des grossesses interrompues, je me suis rendue compte que la colère
envers les personnes qui ne reconnaissaient pas mon bébé était une étape du
deuil périnatal. Progressivement, mais assez rapidement, ma colère diminuait
en intensité. La tristesse commençait à se faire sentir.
Pour la Toussaint, Marc nous offrit une magnifique décoration
florale pour la tombe de Pierre. Nous étions extrêmement touchés par cette
délicate attention. Son coeur en or avait très bien compris que Pierre était son
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neveu, et par ce geste, il montrait que notre fils faisait partie de la famille et
qu'il ne n'oubliait pas. Nous lui en serons éternellement reconnaissants.
Mes parents m'apprenaient que ma mamie (grand-mère paternelle)
avait donné naissance à un enfant mort-né. C'était son premier bébé. Mon
père l'ignorait. C'est sa grande soeur qui révéla ce secret à la Toussaint 2007.
C'était incroyable de constater comme ma grossesse et le décès de Pierre
réveillaient des choses endormies depuis longtemps chez les uns et les autres.
Combien de femmes, de mères ont souffert en silence ? Combien ?
J'avais besoin de me recentrer sur le deuil de mon fils et d'avancer.
Progressivement, mon regard changeait sur ma belle-mère. Je la voyais
comme une victime des mentalités de son époque.
Avec Rémi, nous nous sentions très unis. Nous avions cheminé et
notre couple se renforçait. Nous nous passionnions à propos de la législation
concernant les enfants nés sans vie et le combat pour faire reconnaître ces
touts petits nous animait. Nous partagions nos ressentis. Enfin, nous
pouvions aborder la mort de Pierre plus sereinement. Nous dévorions des
livres traitants du deuil périnatal. Nous lisions ensemble et cela nous donnait
la possibilité d'exprimer nos sentiments et de comprendre nos émotions.
Nous suivions avec passion les conséquences des trois arrêts de la
Cour de Cassation à propos des enfants nés sans vie. Nous regardions toutes
les émissions traitant de ce sujet. Mon époux ressentait le besoin de faire
quelque chose. Il écrivit alors aux journalistes et racontait son vécu de père et
plaidait pour une reconnaissance élargie des enfants nés sans vie. C'était plus
fort que lui. Il devait agir. Nous étions complètement bouleversés par ce qui
se passait. Il contactait un maximum de personnes ayant un pouvoir de
décision, afin de les sensibiliser à la reconnaissance des enfants nés sans vie.
Il se battait. Son combat était pour Pierre et pour tous les autres enfants qui
n'existaient que dans le coeur de leurs parents. Il passait beaucoup de temps à
lire, à se renseigner sur les dispositions législatives et à écrire. Les personnes
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avec qui il a souhaité partager son combat l'admiraient et trouvaient son
combat noble et courageux.
Cela avait été un déclic pour lui. L'amour qu'il portait envers son fils
se sentait à travers chaque mot qu'il utilisait. C'était un brillant hommage de
l'amour paternel. Petit Pierre, tu as le père le plus merveilleux !
Les conséquences transgénérationnelles des deuils périnataux nonfaits
« Ma mère a perdu des jumeaux avant moi et un autre bébé après
moi ! » me lançait bouleversé Rémi en rentrant d'une visite chez ses parents.
Seul avec sa maman, il ressentit tout à coup, sans savoir pourquoi, un
immense besoin d'en savoir un peu plus sur la « fausse couche » qu'elle avait
subie.
J'étais complètement chamboulée. Je me suis mise à pleurer dans ses
bras. J'avais du mal à réaliser ce qu'il venait de m'annoncer. Il me racontait
leur discussion.
J'avais si mal pour elle. Trois bébés ! Elle a perdu trois bébés ! ! Ses
jumeaux étaient morts in utero et elle avait perdu l'autre bébé au début de la
grossesse. Mon coeur souffrait pour elle. Moi, j'ai perdu un bébé, mon mari
était là, à l'accouchement, ma famille, mes amies m'avaient soutenues,
l'équipe médicale m'avait bien entourée, la société reconnaissait mon fils.
Mais elle, elle avait dû endurer tout ça toute seule. Désespérément seule.
Nous étions complètement retournés par cette découverte.
Tout s'éclairait d'un seul coup. Je comprenais beaucoup de choses
dont sa réaction « Tout ce que je vous souhaite c'est de ne pas avoir de
jumeaux ». J'éclatais en sanglots en pensant à la détresse, au désespoir qui
93
avaient enveloppé ma belle-mère. J'aurais voulu la consoler, la prendre dans
mes bras, lui dire que je comprends sa douleur, que je suis là pour l'aider...
Ils ne pouvaient pas reconnaître Pierre puisqu'ils n'avaient pas pu
faire le deuil de leurs trois bébés. Nous leur avions demandé l'impossible ! Le
fait que nous avions choisi de reconnaître Pierre (obsèques, inscription dans
le livret de famille...) leur faisait remonter tout ce passé enfoui et non digéré.
Ils ne pouvaient pas non plus lire la documentation sur le deuil périnatal. De
leur temps, on leur avait dit « Ce n'est rien...n'y pensez pas...ils étaient mal
formés...vous avez déjà d'autres enfants...de toute façon les jumeaux c'est du
travail...c'est mieux ainsi...oubliez ! Passez à autre chose... ».
Alors comment voulez-vous qu'ils comprennent pourquoi nous donnions à
Pierre sa place dans la famille, malgré nos nombreuses explications ? Quelle
bêtise commettions-nous en organisant l'enterrement ! Pourquoi mettre de
l'argent pour un amas de cellule ? Quelle erreur ! Il faut oublier voyons !
Mais, nous comprenions une chose indispensable. Ce n'est pas parce
qu'ils n'avaient pas pu faire le deuil de leurs trois petits bouts de choux, que
cela devait nous empêcher de faire le nôtre. Il s'agissait de leur histoire, de
ses grossesses et nous devions absolument démêler ces évènements.
Les conséquences des deuils périnataux ou de toute « fausse couche »
s'étaient transmises d'une génération à l'autre.
Tout comme moi, Rémi était l'enfant suivant. Cela nous avait
marqué dans notre enfance. Comment accueillir l'enfant d'après si la mort de
son frère ou de sa soeur est tabou ? Enfant consolateur ? Enfant de
remplacement ? Comment faire quand l'existence même de son bébé n'est pas
reconnue par la société ?
94
Adieu colère, bonjour Tristesse
Ma colère était entièrement partie. La tristesse prit sa place dans mon
cœur. Je travaillais sur moi et grâce aux lectures je compris le pourquoi de
ma colère. Stéphane CLERGET explique que « tel un animal blessé, il s'agit
de montrer les dents pour qu'on cesse de vous faire du mal...» Ma colère
m'avait fait sortir de ma torpeur après la mort de mon bébé. « Elle permet de
prendre conscience de la réalité des faits et de commencer à y faire face. ».
Inconsciemment, je cherchais un coupable. Cela ne pouvait pas être mon
époux, ni l'équipe médicale. Une partie de l'entourage remplissait
malheureusement le rôle de coupable.
Monique BYDLOWSKI explique : « d'autres, à tort ou à raison ont la force
d'accuser l'entourage, et leur énergie parfois procédurière et souvent
déraisonnable déconcerte. C'est la fureur de celles qui ont perdu l'enfant. ».
Ma colère, parfois justifiée, était inconsciemment ma façon de me battre, de
ne pas me laisser engluer dans une mélancolie qui m'aurait fait sa
prisonnière.
La tristesse « tarde parfois à venir quand le déni ou la colère lui
bloque la porte...». Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait : pour mon
anniversaire je ne me sentais pas bien. Je ne voulais pas faire de fête et je
boudais. Ma mère m'ouvrit les yeux en me disant que je me refusais d'être
heureuse, je m'interdisais le bonheur. Cela me fit un petit choc, mais en
réfléchissant, je prenais conscience qu'elle n'avait pas tort. Accepter d'être
triste m'aidait dans mon processus de deuil. Notre cercle de connaissance
s'était restreint, mais je ne me sentais pas encore prête à aller vers les autres.
Je me sentais très fragile. La colère était une sorte de carapace et en
l'enlevant, je me retrouvais bien démunie.
95
Mon père me recommandait de sortir, de voir du monde. Cela
m'énervait et je lui répondais que je ne pourrai pas supporter des réflexions
banalisant la mort de mon bébé. Cela était encore trop tôt pour moi. Il me
répliqua « Mais tu ne vas pas t'enfermer à cause des bêtises que pourraient te
dire des gens ! » Eh bien si ! Durant cette période, j'étais beaucoup trop
fragile. Ma blessure était encore à vif. Je voulais respecter mon rythme de
cicatrisation avant de me lancer vers « la réappropriation de la vie ». Cette
période de tristesse durait quelques semaines.
Puis l'envie et le besoin d'écrire se faisaient sentir.
Cicatriser
Peu de temps après la mort de mon fils, je détestais l'expression faire
le travail de deuil. Je n'en comprenais pas le sens. Et pourtant, il est vrai que
le deuil est un vrai travail. Cela demande de faire des efforts, du temps, de
l'énergie. Pour moi, le deuil est un chemin semé d'embûches. De nombreux
trous sillonnent la route, on peut faire demi-tour, tomber lourdement, avancer
à grands pas, reculer, franchir un ravin, escalader une montagne, s'arrêter à
cause de la fatigue, regarder en avant, en arrière, se retourner et constater le
chemin parcouru.
Je me mettais à penser à notre petit garçon avec une grande sérénité.
Nous parlions de lui avec une tendresse infinie. Cela est si doux de pouvoir
évoquer son fils sans colère et sans s'effondrer de douleur. On m'avait
expliqué que j'aurai à vie cette blessure, mais que cette plaie devait se
cicatriser. Et que si l'on appuyait dessus, cela ne devait pas me mettre dans
des états de souffrances intenables. Ma cicatrice fait partie de moi, je la
garderai toute ma vie, Pierre me manquera toujours. Il ne s'agit pas de
l'oublier, mais de pouvoir le situer dans notre vie et de continuer à vivre.
96
Monique
BYDLOWSKI
définit
ce
qu'est
le
travail
de
deuil : « L'aboutissement d'un deuil normal n'est en aucune façon l'oubli du
disparu, mais l'aptitude à le situer à sa juste place dans une histoire achevée,
l'aptitude à réinvestir pleinement les activités vivantes, les projets et les
désirs qui donnent de la valeur à l'existence. »
97
"[...] rire avec un cœur qui aura toujours un petit à pleurer, chanter
avec une voix qui gardera une tendresse pour lui, danser avec des
bras qui auraient aimé le bercer...mais en même temps, aimer la
vie pleinement ! [...] Isabelle Mézerac
98
Partie 2 : Mes réflexions concernant la mort d'un tout petit et plus
particulièrement le deuil périnatal d'un jumeau
M
on travail de deuil m'a amené à réfléchir sur les problématiques liées
au deuil périnatal d'un jumeau.
Avec Rémi, nous avons dévoré ensemble pas mal d'ouvrages sur le deuil d'un
tout petit. Or, la complexité de la perte d'un jumeau in utero y était peu
évoquée.
J'espère que mes réflexions permettront de faire mieux connaître la
particularité du deuil d'un jumeau décédé in utero ou peu après la naissance
et d'aider les parents qui vivent un tel drame.
J'ai décidé de donner la parole à des parents endeuillés et aux jumeaux
esseulés. Leurs témoignages si poignants vous bouleverseront. Ils partagent
avec vous leur vécu, leur cheminement, leur deuil. Un grand merci à eux.
99
100
Chapitre 1 : La mort périnatale d'un jumeau ; déchirement entre perte et
attachement
E
n 2006, l'année de mon premier accouchement, 2% des grossesses
gémellaires se sont terminées comme la mienne, à savoir la naissance
d'un enfant vivant et d'un enfant sans vie. (INSEE) Ce décès plonge les
parents dans un désarroi important.
De plus en plus de professionnels soulignent l'existence d'une continuité
avant et après la naissance. Sigmund FREUD affirmait d'ailleurs : « Il y a
beaucoup moins de discontinuité que l'on ne croit entre la vie avant la
naissance et celle après la naissance. »
Benoît BAYLE explique que « l'histoire périconceptionnelle et prénatale
appartient à part entière à la biographie de l'être humain ». Allant dans sens,
le docteur Roger BESSIS affirme que « nul n'arrive vierge à la naissance. Ce
qui l'a précédée peut peser sur son existence. »
101
Comment accueillir en même temps la vie et la mort ?
De nombreux psychiatres, psychologues (Benoît BAYLE, Stéphane
CLERGET, Pierre ROUSSEAU, Muriel FLIS-TREVES...) insistent sur la
difficulté du travail psychique des parents vivant l'épreuve de la perte
périnatale d'un jumeau. Ceux-ci doivent supporter la coexistence des
sentiments les plus extrêmes à savoir la joie de la naissance du jumeau vivant
et la douleur qui accompagne le deuil du jumeau mort avec son lot de révolte
et de tristesse.
Camille, maman de Nadège et Rémy décédé in utero à 8 mois
explique bien cette complexité des sentiments qu'engendre la mort d'un des
jumeau : « Au début, j'ai dû me faire violence parce que je culpabilisais visà-vis de Rémy d'être heureuse avec Nadège, et puis je culpabilisais vis-à-vis
de Nadège d'être malheureuse pour Rémy. Alors j'ai appris à vivre avec ces
deux très forts sentiments qui sont si opposés. Et si parfois j'ai un coup de
cafard et que les larmes me viennent alors que Nadège est dans mes bras, je
lui explique juste que je pense à Rémy et que je suis un peu triste qu'il ne soit
pas là avec nous. Par contre je lui parle aussi de son frère à d'autres moments
pour ne pas qu'elle ne m'entende évoquer son frère qu'avec les larmes aux
yeux. »
Comment investir la grossesse si les parents savent qu'un des bébés a
un problème et qu'il risque de mourir dans le ventre ? Comment garder un
juste équilibre affectif envers les deux bébés ?
Une maman décrit bien cette problématique : « C'est un médecin au cours
d'une consultation qui m'a dit que nous avions trop investi affectivement le
bébé décédé et que du coup nous pensions peu à l'autre bébé, qui lui allait
bien. Le lendemain je recevais mon premier coup de pied. »
102
Doit-on être fort pour le bébé en vie ? Que risque t-on à vouloir être
fort ? Le deuil en sera t-il retardé ? Est-ce un bon moyen de se protéger ? On
se dit que le bébé vivant a besoin de nous, qu'il a déjà vécu pas mal de
choses, alors on ne peut pas hurler son désespoir. Une maman
affirme : « Oui, il faut être forte pour le jumeau esseulé : cela n’est déjà pas
simple pour lui alors si en plus on se laisse trop aller…Mais je déteste que
les gens me le disent et ne pensent qu’à ma fille…»
Une autre maman dont une des jumelles est décédée à la naissance souligne
cette dualité des sentiments : « On était très tristes de ne pas avoir notre fille
avec nous, mais tellement heureux d'avoir quand même sa soeur...C'est vrai
que ce n’est pas facile à gérer d'être heureux et malheureux à la fois...»
Christelle a accouché de Benjamin et de Baptiste à 26 SA mais Benjamin est
décédé à la naissance en 2007. Elle explique également la complexité du
deuil d'un des jumeaux : « Moi, je n'acceptais pas la réalité, je ne voulais ni
de Baptiste trop fragile, ni de Benjamin décédé. J'ai mis un ou deux jours à
réaliser. Mais j'avais très peur de m'attacher à Baptiste, peur que lui aussi me
quitte. »
Elodie est la maman de Louka et Léo nés à 31 SA + 5. Léo est décédé un
mois après la naissance dûe à la prématurité. Elle m'a répondu : « Pour nous,
Louka a été le soleil de nos journées et la raison de se lever le matin, du jour
où est décédé Léo. La fin d'hospitalisation à été très difficile car Louka est
encore resté en réanimation et soin intensif pendant un mois après et branché
sous moniteur. Les chiffres étaient insupportables et la moindre petite désaturation ou autre chose nous plongeait dans la crainte de redescendre aux
enfers et de perdre notre deuxième fils (...). Une fois sortis de l'hôpital, nous
avons ressenti un grand soulagement de se retrouver enfin réunis. Mais nous
ne ramenions à la maison qu'une partie de notre famille. D'autres
appréhensions sont apparues (...). Aujourd'hui, avec le temps, on a appris à
103
relativiser et à vivre avec le manque de notre petit Léo, même si à chaque
étape que franchit Louka, on ne peut s'empêcher de regretter que Léo ne soit
plus là. »
Laurence, maman d'Ulysse et Arthur décédé in utero à cause d'un pincement
sur le cordon relate aussi cette complexité des sentiments : « Pour ma part,
je me souviens que lors de l'annonce du décès, j'ai ressenti comme un
tourbillon : je ne savais plus quoi penser. Je me demandais si j'allais le voir.
Je voulais ne pas le voir, ne pas savoir...Mon souvenir c'est un bain de
complexité et de sentiments ambivalents, la perplexité. Je dois dire que c'est
l'équipe médicale qui a remis un peu d'ordre dans le chaos, tout d'abord mon
gynéco. Il a annoncé la nouvelle et nous a dit ce qui allait se passer
médicalement (...). L'équipe médicale m'a installée dans la salle
d'accouchement pendant que mon mari devait mettre une tenue médicale
adéquate (...). Une fois la péridurale posée, la sage-femme est venue me
parler et elle m'a dit quelque chose de capital pour moi. Elle m'a dit " vous
allez devoir faire un grand écart entre vos sentiments, accueillir aussi Arthur,
le voir, le toucher ". Je suis donc partie sur cette idée. Je pense que j'étais un
peu sur " pilote automatique ". Je pensais évidemment intensément au bébé
survivant puisqu'on ne savait pas si il était en danger. J'étais sidérée au point
de ne pas savoir pleurer et je mobilisais mes forces pour le travail que j'avais
encore à faire. J'ai gardé toute mon énergie pour Ulysse. A l'accouchement,
nous avons accueilli les deux bébés. J'ai eu mes jumeaux dans les bras et je
pense que je me souviendrais toute ma vie de cette merveilleuse sensation de
les avoir eu tous les deux. Par la suite, c'était un peu compliqué. J'avais peur
de pleurer devant Ulysse et il était véritablement collé à moi durant tout mon
séjour en maternité. J'avais peur de plein de choses, qu'il se laisse mourir, que
je n'ai pas assez de lait. Et c'est très bien passé pour Ulysse. »
Maman de jumeaux nés à 36 SA, Caroline témoigne aussi de la difficulté à
vivre la dualité des sentiments face au décès de son fils quelques jours après
104
la naissance : « Pour ma fille je veux que la vie soit belle, même si c'est vrai
que des fois je n'arrive pas à ne pas pleurer devant elle, mais je lui
explique...Quand elle ne faisait pas ses nuits je n'osais pas dire que j'étais
fatiguée, de peur que les gens disent ou pensent " comment elle aurait fait
avec deux !! " Des fois, je me suis sentie coupable d’avoir quand même un
bébé !!! (...). Aujourd’hui quand je regarde Clémence, je ne peux pas
m'empêcher de me demander où en serait Raphaël. » Et elle explique : « Au
niveau de la dualité des sentiments, je voulais rajouter quelque chose : aux
gens qui disent ou qui pensent " il lui en reste un ", j'ai envie de leur répondre
: ils préfèrent perdre leur père ou leur mère ? Et quand leur père ou leur mère
part, accepteraient-ils qu'on leur dise " ça va, il t'en reste un sur les deux " ???
On a besoin de sa mère et de son père et bien nous, on devait avoir deux
bébés en même temps ! »
Muriel FLIS-TREVES note la complexité des sentiments quand un
des jumeaux décède : « Ils ont à faire face à des sentiments et des tâches
psychologiquement opposés, d'une part le travail de deuil vis-à-vis du disparu
et d'autre part le travail d'attachement envers l'enfant en vie, attachement
commencé pendant la grossesse mais, alors, envers deux enfants. »
Camille, maman de Nadège et Rémy décédé in utero confie : « Gérer
la dualité de l'accueil de Nadège et de la mort de Rémy est très différente
pour mon mari et pour moi. Quand j'ai appelé mon mari de la maternité pour
lui dire que j'allais être opérée en urgence puisque un des bébés était mort,
instantanément il m'a dit qu'il fallait qu'on pense à celui qui était en vie et que
ça allait aller. Moi, quand j'ai entendu ça, je me suis sentie rassurée. Je
ressentais une telle culpabilité vis-à-vis de lui, du fait que le bébé était mort
dans mon ventre. Et puis il y a eu l'urgence de l'accouchement, quand je suis
remontée dans ma chambre j'ai eu la merveilleuse image de mon mari qui
avait notre petite Nadège dans ses bras. C'était si extraordinaire qu'elle soit
105
enfin avec nous après notre long parcours pour réussir à avoir un enfant.
Mais moi j'avais mis au monde deux enfants et il n'y en avait qu'un avec
nous. »
De nombreuses questions se posent quand on a perdu un jumeau in
utero. Les parents s'inquiètent du ressenti de cette mort pour le bébé vivant.
Laurence, maman d'Ulysse et d'Arthur s'en préoccupe : « Mes principales
interrogations sont le ressenti qu'il a par rapport à sa naissance et à son
" individualité ". Aura-t-il un manque à combler ? » Une autre maman dont la
jumelle a vécu deux mois auprès de son frère mort s'interroge : « A t-elle eu
peur de vivre à côté d'un bébé mort et dans une maman qui pleurait
beaucoup ? Quel risque pour son avenir ? »
La focalisation sur le jumeau vivant :
La mort périnatale d'un jumeau et l'accueil de son frère vivant
soumettent les parents à des mouvements psychiques extrêmement forts:
accueillir le bébé décédé et son jumeau en vie.
L'entourage a tendance à se et à vous focaliser sur le jumeau vivant. Bien
évidemment, celui-ci nécessite de l'amour, de l'attention (d'autant plus quand
il est prématuré ou que sa santé est préoccupante).
Mais comment être disponible quand le coeur hurle de douleur ? Si vous
pensez au jumeau vivant, vous culpabilisez d'oublier son frère décédé et vice
et versa. Je crois comme Suzy FRECHETTE-PIPERNI (infirmière
spécialisée dans le deuil périnatal) que l'équilibre réside dans le fait de
pouvoir donner du temps uniquement consacré à son bébé vivant et de
prendre du temps pour pleurer, crier sa souffrance pour l'autre jumeau. Et
surtout de pouvoir en parler. Mais cela demande le regard bienveillant de
l'entourage puisque celui-ci peut se dire « elle est gonflée de pleurer l'autre.
106
De quoi se plaint-elle ? Son bébé est en bonne santé. Faut qu'elle s'occupe de
lui. Il est mort, ça sert à rien de penser à lui, ça ne va pas le faire revenir...»
Voici le témoignage d'une maman qui a subi une IMG sur l'un des
jumeaux et a accouché du bébé mort deux mois après l'IMG. La grossesse a
continué malgré tout pour l'autre bébé, une petite fille qui est née 1 mois et
demi après. Elle a donc accouché deux fois de jumeaux comme elle dit. Elle
raconte : « Pour le premier accouchement, je n’ai pas réalisé et je n’ai pas
pensé au bébé mort mais plus au bébé vivant (...). On n’a pensé qu'à elle,
comme si elle était singleton et non jumelle (...). Pendant tous ces instants, je
n’ai jamais pensé à mon fils. Il était mort depuis le 7 octobre 2007 et je n’ai
donc pensé qu’à ma fille : trop peur qu’elle arrive à 6 mois de grossesse, trop
de risques de séquelles neurologiques. » Sa fille est née à 36 SA. Elle était
donc prématurée. « J’étais complètement focalisée sur elle. Ce n’est que
lorsque j’ai dû penser qu’elle " est sortie d’affaire " et en parfaite santé et que
j’ai cessé de m’angoisser pour elle, soit deux mois et demi après mon second
accouchement. J'ai alors commencé à penser sans cesse à mon fils, à pleurer.
Cela n’a fait que s’aggraver à ce jour. »
Michèle, maman de Marine et de Natacha décédée in utero à 32 SA il y a 22
ans, m'a expliqué : « Oui je me suis focalisée sur la survie et non pas la vie de
Marine. Oui nous nous sommes raccrochés à elle, la vie. Non je n'ai pas
accueilli tout en même temps, je n'ai eu que le vécu avant césarienne, et
ensuite je n'ai pas pu voir ma fille vivante avant le troisième jour. »
Certains parents, dont la souffrance n'était pas reconnue ou n'ont pas
pu l'exprimer ne peuvent pas travailler leur deuil. Le bébé vivant est au
centre de toutes les préoccupations. La perte du jumeau n'est alors pas
abordée. Est-ce une façon de se protéger ? De tenir le coup ?
C'est ce que je pensais en sortant de la maternité les bras vides quand nous
avions rencontré la famille du petit Kilian. Au moins, me disais-je, je ne
107
pouvais pas me laisser-aller puisque Sarah avait besoin de moi. La vie de ma
fille m'obligeait à ne pas déprimer. Ces raisonnements ne sont pas faux, mais
ils peuvent vite déraper en obérant la souffrance de la perte d'un des bébés.
Dans ce cas, des années après, les parents se rendent compte en s'effondrant
qu'ils n'ont pas fait le deuil de leur petit.
Chantal, maman de jumelles dont l'une est décédée il y a 22 ans à cause du
cordon ombilical à 34 SA raconte : « Au début, on est dans " l'euphorie "
d'avoir " sauvé " un enfant ...d'avoir échappé au pire...on se trouve toutes les
bonnes raisons pour trouver finalement la situation pas si grave que cela...le
manque s'installe après...enfin, c'est comme cela que je l'ai vécu...est-ce de
l'instinct de survie et de protection ? (...). Comment peux-tu dire " je souffre "
à une personne qui te répondra : ah bon, tu souffres ! Je ne te comprends pas,
tu en as un!!! Tu imagines les problèmes que tu aurais eu avec et puis tu sais
les jumeaux c'est compliqué à élever etc. etc..........ma pauvre ! Comment tu
aurais fait!!!! (...). J'ai mis 16 ans pour l'accepter et le comprendre...et encore
je peux même mettre 18...»
Une autre maman constate amèrement : « Tout le monde se focalise sur la
jumelle en vie, c'est bien moins traumatisant que de penser au bébé mort.
Pour eux cet enfant a à peine existé, sinon sur un écran d’échographie. »
De plus, je pense que quand les parents sentent le chagrin monter en
eux, il ne faut pas qu'ils hésitent à parler simplement au jumeau survivant :
« Tu sais, si nous ne sommes pas bien, ce n'est pas à cause de toi. Nous
pleurons la mort de ton frère. Il nous manque. Mais tu sais, nous sommes très
heureux que tu sois là. Tu nous es infiniment précieux. ». Parler ainsi au
jumeau vivant d'une part permet de prendre l'habitude d'évoquer le bébé mort
naturellement et d'autre part cela apaise les parents et l'enfant.
108
Le jumeau vivant : une consolation ?
Il existe deux écueils à éviter concernant le deuil périnatal d'un
jumeau. Tout d'abord, le jumeau décédé ne doit pas être idéalisé. En effet, si
le jumeau esseulé pleure beaucoup ou est turbulent, la maman peut imaginer
que le jumeau mort aurait été un bébé gentil et souriant. Ensuite, la deuxième
difficulté (d'autant plus que l'entourage la favorise) c'est que le jumeau
esseulé fasse office de consolation. Il est investit de la mission de consoler
les parents. Ainsi, destiné à occuper la place d'un autre, l'enfant consolateur
et réparateur doit s'affranchir du fantôme qui l'habite afin de pouvoir exister.
Mais quand l'enfant consolateur va grandir et voler de ses propres ailes, les
parents vont se retrouver seuls. Ils seront démunis car on leur retirera ce qui
les faisait tenir debout ! Tout s'écroule à ce moment là. La tentation peut être
grande de garder auprès de soi cet enfant.
Maryse DUMOULIN et Catherine LE GRAND SEBILLE expliquent
qu' « Avec la mort d’un des jumeaux, l’image du disparu ne se dissipe pas.
Elle est comme entretenue par l’enfant vivant, qui prête son visage à celui qui
manque.»
Une maman explique : « C’est vrai que le jumeau présent rappelle sans cesse
qu’il en manque un. C’est plus difficile non pas d’oublier, mais de tourner la
page…Hier, j’avais ma fille dans un bras, et je n’ai pu m’empêcher de
m’imaginer avec son jumeau en même temps, dans l’autre bras. J’ai même
fait le geste…Je dois me ressaisir…»
Le jumeau vivant ne console pas la perte de l'autre. Ce n'est pas une demi
souffrance. On pleure la perte de son bébé et pas d'un demi bébé. Comme si
perdre un des jumeaux n'était qu'une perte à moitié !
Camille, maman de Nadège et Rémy décédé in utero à 8 mois confie de
façon touchante : « Au début, j'ai eu peur de trop " m'accrocher " à elle pour
109
me consoler de l'absence de Rémy. Je me suis dit que ce n'était pas son rôle,
qu'elle était trop petite et trop fragile pour avoir cette " charge ". Et puis mon
gynécologue m'a dit qu'il ne fallait pas que je me retienne et que je n'aimerai
jamais trop mon bébé, alors je me suis laissée aller à aimer ma petite Nadège
autant que je pouvais, et en parallèle j'ai autant aimé mon petit Rémy. Je fais
la part des choses, il y a Nadège qui est là avec moi et dont je profite tant que
je peux, et puis il y a Rémy que je pleure chaque jour. Tout l'immense
bonheur que me donne Nadège à chaque instant n'enlève rien à l'immense
peine que j'ai pour la mort de Rémy. »
Une autre maman dont la jumelle est morte in utero à 30 SA témoigne :
« Pour mes parents, j'ai eu un fils le 24 août 2004 et le reste est à oublier,
c'est ce que l'on me répond si je prononce le prénom de ma fille. Ils ne
comprennent pas pourquoi c'est si difficile à vivre! Ils pensent que ce n'était
rien alors que je l'ai vue et c'était bien mon bébé. Je leur en veux car personne
ne m'a jamais soutenu. On m'a juste dit tu as une grande fille et un fils
maintenant bats toi pour eux et oublies que c'étaient des jumeaux. Mais je ne
pourrai jamais. »
Porter en soi le jumeau mort :
Quelques fois, la grossesse se poursuit malgré que l'un des jumeaux
soit décédé in utero. La maman porte donc dans son ventre un bébé mort et
un bébé vivant.
Moi, je ne voulais plus être enceinte, je ne voulais plus continuer. Et en
même temps je vivais dans l'angoisse permanente de perdre ma fille. Face à
ce genre de situation, la maman réagit comme elle le peut avec sa sensibilité,
son histoire, son vécu. J'ai noté l'existence de deux grandes dérives.
Premièrement la diminution de l'investissement psychologique et affectif sur
110
le bébé vivant, avec son lot de culpabilité et la possibilité d'un problème
d'attachement mère-enfant. La deuxième difficulté est la focalisation sur le
jumeau survivant puisque le décès d'un des bébés est une réalité trop dure. Le
déni semble apporter une protection pour tenir le coup psychologiquement.
Cette attitude peut engendrer une difficulté à commencer le travail de deuil,
qui peut se retarder, voire ne jamais se réaliser. Une maman qui a vécu cette
situation raconte « Certes, j’avais la vie et la mort en moi, mais je ne me suis
pas vue comme un tombeau. J’ai été soulagée (même si j’étais triste) après
l’IMG, et je me suis focalisée sur ma fille. Je savais qu'il était mort et était
en moi, mais c’était comme un rêve, et je me forçais à ne penser qu’à elle. »
Dans ce cas, le retour à la réalité peut être brutal et très douloureux.
Une autre maman témoigne de façon bouleversante : « Ce n'est que
maintenant (6 mois après) que je suis terrifiée à l'idée d'avoir pu porter la
Mort en moi. M'a t elle trouvé à son goût ? Reviendra t-elle me prendre un
autre enfant ou moi ? Je ne sais pas. Mais cela me glace le sang. J'évite d'y
penser. J'ai dit à certaines personnes qu'un des bébés était mort juste avant
l'accouchement, car dire qu'on a porté un cadavre terrifie les gens. Vous
portez quasiment la poisse, pire la Mort donc vous êtes devenus une
succursale. Même les pompes funèbres sont moins morbides que vous, et
puis parce que un bébé mort à 4 mois pour certaines personnes ce n'est pas un
vrai bébé. »
Lors des échographies, le personnel médical en général évite de
montrer le bébé mort à l'écran. C'est ce qu'explique une maman dont l'un des
jumeaux est décédé in utero au cinquième mois « Aux échographies
suivantes, on évitait de me le montrer. »
111
Que dire aux gens ?
Que dire aux gens que l'on rencontre quand on porte des jumeaux
dont l'un est décédé ou va mourir ? Face à cette question douloureuse, une
maman m'a répondu : « je sais que j’aurais dit la vérité et donc créé un
malaise chez l’interlocuteur puisque la mort d’un bébé dérange…Or, moi,
j’ai un besoin vital de crier au monde que j’avais des jumeaux et que l'un est
mort. »
Camille, maman de Nadège et Rémy relate tristement : « J'ai prévenu
mes amis les plus proches au téléphone (...) Pour des personnes moins
proches, par exemple mes collègues de travail, j'ai envoyé un texto : "
Nadège est née le 2 janvier 2008 à 23h58, malheureusement, son frère Rémy
est né sans vie." Mon mari qui a envoyé des photos par mails rapidement
pour prévenir un grand nombre de nos amis a été maladroit, il a joint aux
photos un texte très simple du genre : Nadège, 3kg350, née le 2 janvier 2008
à 23h58. Sans aucune autre information. Je vous laisse imaginer les
interrogations de nos amis qui ont reçu ce mail et qui me savaient enceinte de
jumeaux. »
Une autre maman ayant porté l'un de ses jumeaux décédé de nombreuses
semaines confie : « Quand nous avons su que nous attendions des jumeaux
après un an d'infertilité, nous avons sauté de joie ! Deux bonheurs, mon Dieu
c'était inespéré. À l'écho du troisième mois nous avons su qu'un des deux
bébés n'allait pas bien. Nous avons totalement surinvesti affectivement ce
bébé. C'est tout juste si nous pensions à l'autre et ce décès nous a plongé dans
une douleur immense. Pendant ma grossesse, j'ai évité de pleurer et d'être
triste de la mort de mon bébé (entre 4 et 5 mois de grossesse). J'ai vécu pour
ma fille vivante, qui me donnait de sacrés coups de pieds quand je me laissais
aller à la tristesse. J'ai caché la perte de ce bébé à mes collègues de bureau.
C'était trop dur pour moi d'avouer avoir " perdu " un bébé, j'ai donc fait
112
semblant de porter deux bébés en vie pendant un mois environ.
Heureusement j'ai vite été en congé. Ce n'était pas vraiment la solution, mais
cacher la vérité m'a protégée. Je répondais joyeusement que tout allait bien,
et si on me disait que je n'étais pas si grosse pour deux, j'évitais la question.
Donc je me mentais à moi-même. Je pleurais souvent, mais à chaque fois
j'expliquais à ma fille pourquoi sa maman était triste et qu'en aucun cas c'était
de sa faute. »
Et l'IMG ?
Quand l'IMG sur un des jumeaux est envisagée, les parents se
retrouvent devant des questions extrêmement douloureuses. « Pour l’IMG en
particulier, je réfléchis beaucoup sur le fait de donner la mort, par
amour…De quel droit ai-je pu décider de la vie de mon fils ? Je me console
en me disant que je devais sauver ma fille…» me disait une maman.
Si l'IMG a été pratiquée pour sauver un des jumeaux, faudra t-il le dire à
l'enfant ? Comment faire pour que le jumeau esseulé ne se sente pas
responsable du décès de son frère ? Verra t-il ses parents comme des
personnes toutes puissantes, qui ont le droit de vie et de mort ?
Si une IMG doit être pratiquée lors d'une grossesse gémellaire,
médicalement, deux cas de figures existent : soit l'IMG sur un des jumeaux
se fait juste avant la naissance des bébés, soit en cours de grossesse.
La maman garde alors en elle ses deux bébés dont l'un est décédé. Cette
situation comporte des risques d'accouchement prématuré et d'infection. De
plus, porter un bébé mort et un bébé vivant est extrêmement complexe à
vivre comme nous l'avons vu. Un accompagnement psychologique peut
s'avérer utile.
113
Lors d'une grossesse gémellaire, quand l'un des deux meurt, que devient
le corps du jumeau décédé ?
Le devenir du corps est une question essentielle et dépend du moment du
décès. En effet, si le jumeau meurt à moins de 14 SA, son corps et son
placenta vont être totalement absorbés par le placenta de l'autre. À
l'accouchement, il ne restera plus aucune trace. Si le décès arrive entre 14 et
20 SA, on peut constater à l'accouchement dans le placenta une sorte de
boule dure. Et lorsque le jumeau meurt à partir de 20 SA il devient un «fetus
papyracaceus», un foetus tout à fait aplati et desséché. Son corps et son
placenta sont visibles après l'accouchement.
Les faire-part : que doit-on annoncer ?
De plus, les parents dont l'un des jumeaux décède, se posent alors la
délicate question du faire-part de naissance. Que faut-il annoncer ? Quels
mots utiliser ? Faut-il réaliser un seul faire-part ou deux ?
Je souhaitais que l'on envoie des faire-part de naissance de Sarah et de décès
pour Pierre. Marc s'était gentiment proposé de nous les réaliser par
ordinateur. Malheureusement, nous n'avions rien fait. Rémi ne se sentait pas
prêt pour les faire. Et sa maman nous déconseilla d'en envoyer.
Avec le recul, je pense que concevoir des faire-part mentionnant la naissance
des deux bébés et annonçant le décès de l'un d'eux peut être une bonne façon
de présenter la situation. Ainsi prévenu, l'entourage peut adresser ses
félicitations d'usage et ses condoléances. Et c'est surtout une manière de
114
présenter la réalité et de faire exister ces bébés trop souvent passés sous
silence. J'ai donc demandé aux parents ce qu'ils en pensaient.
Laurence, maman d'Ulysse et d'Arthur m'a répondu de façon
touchante : « Pour moi, il n'est pas envisageable de faire des faire-part
séparés à cette occasion. Ils ont été liés dès leur conception, ont eu une vie
foetale ensemble. Pourquoi les séparer alors que l'un a vécu la mort de
l'autre ? (...) Nous avons fait un faire-part en mettant les deux prénoms dans
une fleur, puis nous avons fait un préambule en disant " à la joie de pouvoir
accueillir nos jumeaux s'est opposée la fatalité en les séparant à tout jamais
peu avant leur naissance ". Nous avons présenté les deux prénoms avec la
mention " à jamais dans nos coeurs " pour Arthur et " Ulysse entame son
beau voyage celui de la vie entouré de sa famille et de ses amis " avec leurs
poids respectifs et l'heure de naissance. »
Mais de nombreux parents m'ont confié qu'à ce moment-là, leur souffrance
était telle, qu'envoyer des faire-part était trop compliqué.
Certains parents choisissent de ne pas de mentionner le décès d'un
des jumeaux souvent pour ne pas porter préjudice au nouveau-né.
Une maman m'expliqua qu'ils : « n'avaient pas envoyé de faire-part de décès,
car les gens (les proches, la famille) qui étaient au courant de la grossesse
gémellaire ont su très tôt la mort d'un des jumeaux (enfin pas les collègues de
bureau). Pour le faire-part de naissance de notre fille, nous avons choisi de ne
pas porter dessus la naissance de son jumeau. Nous souhaitions l'accueillir
comme il se doit et de ne pas lui faire porter plus tard sur son faire-part
inconsciemment notre tristesse de la perte de son jumeau. Bref un faire-part
rien que pour le bébé en vie. »
Une autre maman, dont l'une des jumelles est décédée à la naissance, m'a
répondu : « Nous, on a annoncé la naissance de notre fille, et puis on a mis :
115
" ma petite soeur, ..., nous a quitté, mais veille sur moi de son petit coin de
paradis ". »
Camille, maman de Nadège et Rémy décédé à 8 mois de grossesse m'a confié
: « Pour le faire-part, là aussi, c'est une étape difficile. Moi j'avais acheté de
quoi les faire moi même (...). J'avais prévu de mettre deux ours sur la
couverture et une photo à l'intérieur avec le texte. Dans un premier temps je
me suis dit que je ne pouvais pas envoyer de faire-part. Et puis il y a Nadège,
elle, elle est là et je suis heureuse de l'avoir dans ma vie chaque jour. Donc
j'ai pensé à elle et j'ai fait les faire-part comme je l'avais prévu, avec mes
deux ours sur la couverture. Pour moi c'était un petit hommage à Rémy. J'ai
eu un cas de conscience parce que nous avons mis dedans une photo faite à la
maternité sur laquelle nous sourions auprès de Nadège. Pour moi elle m'a
semblée et me semble encore, indécente. Nous avons envoyé des faire-part
avec une photo où nous sourions alors que Rémy n'est pas avec nous.
J'ai du mal avec cette pensée, même si je sais que j'ai le droit d'être heureuse
avec Nadège. »
Chantal, maman de Sophie et Virginie m'a répondu : « Nous avons envoyé
des faire-part mais uniquement pour annoncer la naissance de Sophie ; on
pensait à tort que c'était mieux pour tout le monde. Je crois que c'est
important si ce n'est nécessaire de mettre les deux enfants sur le faire-part. Ce
serait à refaire, c'est sûr que l'on mettrait nos deux enfants. »
Après avoir interrogé quelques mamans, je me suis demandée ce qu'en
pensaient les premiers intéressés à savoir les jumeaux esseulés.
Sépia, une jumelle esseulée de 32 ans m'a répondu face à cette
épineuse question : « L’idée qu’un faire-part de naissance soit à la fois un
faire-part de décès, je vivrais ça très mal, à la place de l’enfant survivant.
Comme si ma naissance était à jamais associée à la mort de mon jumeau. Par
contre, envoyer un faire-part de décès, au moment d'une fausse couche, me
paraît être une très bonne idée pour les parents qui en ressentent le besoin. Ça
116
me paraît une bonne façon de faire reconnaître un enfant décédé. Si le
moment de la mort de l’enfant correspond au moment de la naissance de son
jumeau, je pense qu’il vaut mieux envoyer deux faire-part. Quitte à les glisser
dans la même enveloppe. »
Stéphane, jumeau esseulé de 43 ans confirme : « Je pense qu’il est nécessaire
de dire les choses et même au-delà de la famille. Peut-être que les choses
peuvent se faire en deux temps, parce qu’il ne faut pas gâcher la fête du
nouveau-né. Attendre quelques jours, quelques semaines selon le cas. Il faut
bien séparer les choses mais ne surtout pas les négliger (...). Une cérémonie
est indispensable, tant pour l’enfant que pour la mère. Ce sont probablement
les plus touchés par cet événement, même si certaines mères sont dans le déni
et n’y prêtent pas cas. »
Fleur, une jumelle esseulée pense : « Mes parents ont envoyé des faire-part
ne mentionnant pas Brigitte. Au final le mieux serait sans doute d'en parler,
pour faire exister, peut être deux faire-part puisque ce sont deux existences
différentes...Après ce serait dans le meilleur des mondes mais les réactions
des autres sont tellement dures...À chacun de voir selon son cœur...»
Pauline dont la soeur jumelle Julie est décédée 7 jours après leur naissance
prématurée il y a 21 ans m'a répondu : « Envoyer un seul faire-part
mentionnant le prénom du jumeau décédé est une bonne chose. »
À cette question, Marine, 23 ans, dont sa jumelle Natacha est décédée à 32
SA in utero m'a dit : « Alors là, je ne me suis jamais posé la question ! Je
devrais demander à ma mère...Mon avis est qu'il faudrait envoyer un fairepart avec une pensée pour le bébé disparu. Cela me semble essentiel dans la
reconnaissance du deuil périnatal. »
On voit bien que ces réponses si touchantes sont diverses, mais un
élément les regroupe, à savoir la nécessité de mentionner le jumeau décédé.
117
Et si les parents n'ont pas eu l'énergie pour envoyer les faire-part, je
suggère que lors de la naissance du prochain enfant ou à l'occasion d'un
baptême, le prénom du bébé mort soit éventuellement cité ou une petite
bougie allumée, juste en mémoire du bébé décédé. Il n'est jamais trop tard
comme le montre Elodie, la maman de Léo et Louka : « Pour notre part nous
n'avons fait ni faire-part de naissance ni faire-part de décès. Nous n'en
n'avons pas eu le temps. Nous avons envoyé un courriel à nos plus proches et
un coup de fil à ceux qui n'ont pas Internet, pour le décès de Léo et son
enterrement (...). Avec l'accouchement prématuré nous n'avions pas envie de
faire de faire part car c'était beaucoup trop de souffrance de les voir si petits
et arrivés si tôt. J'avais fait une petite carte avec photo pour la bonne année.
Maintenant que tout ça est derrière nous, je vais faire de nouveau une petite
photo de Louka, pour ses un an, en guise de faire-part. »
Quel prénom ?
Les parents doivent-ils donner le prénom initialement choisi quand
un des bébés décède in utero ? Garder un prénom que l'on affectionne pour
l'enfant suivant, est-ce une bonne idée ? Ne risque t-on pas alors de tomber
dans la dérive d'enfant de remplacement ?
Une maman répond : « Comme nous ne savions pas le sexe du bébé, nous
avons dû choisir un prénom autre que ceux que nous avions choisi. En fait
nous en avions seulement un pour un garçon, mais je n'ai pas voulu le
donner, ce sera pour notre prochain bébé sans doute. »
Carole, jumelle esseulée explique que sa jumelle n'a pas de prénom : « Ni ma
jumelle, ni le jumeau de mon frère n’a de prénom, et je n’ai jamais eu envie
de leur en donner, car pour moi c’est aux parents de donner les prénoms. »
118
Quel comportement adopter ?
Je me suis posée la question suivante : quelle attitude devrait avoir
les parents vis-à-vis du jumeau en vie ? Existe-il une meilleur façon de gérer
la situation ?
Caroline maman de Clémence et Raphaël partage mes interrogations sur
l'attitude à adopter : « On essaye d'élever Clémence comme une jumelle,
mais bon, je n'en lui fais pas du bourrage de crâne en lui répétant 30 fois par
jour qu'elle a un frère jumeau (...). Des fois je lui montre les photos...J'ai peur
de l'avenir, des différentes questions que Clémence pourrait me poser ou bien
de l’adolescence où elle me balancerait à la figure " c'est moi qui aurait dû
mourir "! ...j'ai peur de l’avenir, vraiment peur...peur d'être maladroite...»
Une autre maman s'interroge également sur le ressenti de sa fille : « Le plus
dur est de penser à ce qu'elle peut ressentir et si elle en souffre ou en souffrira
plus tard. » Et elle ajoute: « Je considère ma fille comme une jumelle
esseulée et je pense tous les jours à ce qu'elle ressent, même si pour l'instant
elle n'en parle pas. Elle demande des fois à aller voir sa soeur au cimetière
mais je ne sais pas si elle comprend bien que c'est sa jumelle qui est là. »
Elodie m’a répondu : « Louka est et sera toujours un jumeau esseulé. Nous
l'élèverons avec le souvenir de son frère mais sans le poids que cela
implique. Nous essaierons. Il a partagé sa vie in utero avec lui et a vécu un
mois à ses côtés. Pendant l'hospitalisation je leur parlais beaucoup de l'un et
de l'autre et je les encourageais à s'envoyer des forces pour se battre. Ils ont
même dormi dans la même couveuse. À jamais il lui manquera son frère,
physiquement et psychiquement.»
Camille, maman de Nadège et Rémy confie de façon bouleversante la
problématique du comportement à adopter au sein du couple parental : « Mon
119
mari m'a dit : On fera comme s'il n'avait pas existé. Nadège est là et elle est
vivante, on ne lui dira jamais rien. » Le témoignage touchant de Camille
montre les divergences de points de vue entre le père et la mère. Mais quelle
doit-être l'attitude des parents ? Comment savoir si l'on ne se trompe pas ?
J'ai donc interrogé les jumeaux esseulés pour savoir comment les
parents devraient se comporter afin d'aider au mieux leur enfant. Sépia m'a
répondu : « Je pense qu’il faut en parler dès le départ. Lui expliquer ce qui
s’est passé. Sans insister particulièrement. Mais en laissant une porte ouverte
pour que ce soit le ressenti de l’enfant, ses questions qui soient abordées et
non ceux des parents. Pour ne pas faire porter trop à l’enfant. Ne pas lui faire
porter ce qu’on redoute qu’il ressente (mais qu’il ne ressent pas forcément).
Ou lui faire porter ce que l’on ressent soi-même. Par exemple, lui dire chaque
année, le jour du décès de l’enfant: « Aujourd’hui, cela fait tant d’années que
ton jumeau est mort. Te rappelles-tu comment ça s’est passé ou veux-tu que
je te l’explique ? Si tu veux me parler, me poser des questions, me dire
comment tu te sens par rapport à tout cela, je suis à ton écoute, tous les jours
de l’année. Si tu veux que nous fassions quelque chose de spécial, pour lui,
aujourd’hui ou un autre jour, on peut en parler. »
Sarah, une jumelle esseulée de 21 ans préconise : « que les parents d'un
jumeau esseulé doivent parler le plus tôt possible à leur enfant. Ma mère
m'en a parlé à 11 ans, j'aurais vraiment aimé qu'elle m'en parle plus tôt. »
Carole, jumelle esseulée de 20 ans pense que : « Les parents doivent
déjà en parler entre eux, et savoir comment en parler avec leurs enfants. Déjà
en parler à l’enfant survivant (je n’aime pas ce terme…) ainsi qu’aux autres
frères et sœurs si il y en a, sans pour autant qu’ils aient de la pitié ! Si cela
m’arrivait un jour, j’en parlerais à l’enfant dès sa naissance, pour qu’il sache
qu’il n’est pas seul. Toujours lui en parler un peu, sans l’inonder de nos
pensées. Eviter le sentiment de culpabilité que les jumeaux esseulés peuvent
souvent ressentir. Que l’enfant se sente entouré et compris, c’est le plus
120
important pour moi, qu’il soit comme tout les autres, bien que cette perte
fasse qu’il est unique. Même si certaines vérités sont dures à entendre, les
parent se doivent d’être francs avec leurs enfants et d’amener certaines
choses calmement, à un moment choisi et que les deux parents soient autour
de l’enfant. En fait, c’est ce que j’aurais voulu que fassent mes parents pour
mon enfance, plutôt que de mentir et nous cacher les choses…»
Fleur une jumelle esseulée m'a répondu : « Comme ils le sentent
avec leur cœur et non pas selon l'avis des autres qui souvent n'y connaissent
rien... Bien sûr quelques points sont fondamentaux : ne pas essayer de le
cacher, faire exister le disparu...Et puis s'accorder du temps pour faire son
deuil et ne pas cacher sa souffrance. C'est avec des parents sereins qu'un
jumeau survivant peut grandir sereinement. »
Stéphane, jumeau esseulé affirme : « Comme à mon habitude, je ne porterai
pas de jugement ni ne donnerai de conseil. (...). Je peux juste parler de mon
vécu et de ce qui m’est nécessaire. La seule chose que je pense indispensable
est de faire une cérémonie en l’honneur de l’enfant décédé. »
Marine, dont la jumelle Natacha est décédée à 32 SA
préconise : « Rien d'extraordinaire. Juste en parler, écouter, dialoguer, tout
simplement. Les premiers temps sont sûrement difficiles mais il faut avoir le
courage de le faire. Il ne faut pas rater la marche car après certaines choses
peuvent être irréversibles. Quand je vois toutes mes difficultés alors que
pourtant je l'ai toujours su et qu'on en a toujours parlé librement, alors je
n'imagine pas les conséquences pour les enfants à qui on n’en parle pas. »
Allant dans ce sens, Pauline dont la jumelle Julie est décédé 7 jours après
leur naissance confirme la nécessité qu’incombe les parents de parler, faire
exister le jumeau décédé.
121
Qu'est ce que le deuil ?
Face à cette délicate question, je me suis adressée aux parents endeuillés
ainsi qu'aux jumeaux esseulés. Petites pierres précieuses, posées les unes
après les autres, leurs réponses nous éclairent sur cette problématique par des
témoignages poignants.
Une maman : « C'est une ombre de larmes qui planera toute sa vie
sur une mamange. Une ombre plus ou moins présente selon les jours...»
Une autre maman : « Au jour d’aujourd’hui, oui, je me sens changée.
Une part en moi est morte. J’ai lu dans un ouvrage que le deuil ne se finit
jamais…Je pense que c’est vrai. J’espère juste que cela va se calmer, cela va
se calmer, forcément. Je n’aurai pas les larmes qui montent aux yeux sans
arrêt toute ma vie et que je ne serai plus obsédée par lui toute la journée
comme maintenant. Parfois je me dis aussi que cette histoire est
un
« boulet » que je vais traîner toute ma vie, car à chaque moment heureux, j’ai
une pensée pour lui, je me dis qu’il n’est pas là et donc cela gâche le
moment… (...). Il faut que j’apprenne à vivre avec l’absence de mon fils. (...).
On peut le différer mais tôt ou tard il nous rattrape et je pense qu'il est
souhaitable de le vivre le plus tôt possible, non pas pour oublier, mais pour
tourner la page et vivre avec ...Chacun fait son deuil à sa manière, comme il
le peut. »
Laurence : « Pour moi le deuil, c'est pouvoir faire une place adéquate
à une personne tant aimée qui devrait être à nos côtés mais qui est décédée.
C'est trouver un équilibre avec cette mort qui est et restera inacceptable et le
fait de devoir continuer à vivre. C'est vivre avec cette mort à côté sans être
étouffé et sans la minimiser. »
Chantal : « C'est pouvoir vivre l'absence, la naissance dans la paix
TOUT en acceptant que cette paix soit, ponctuellement troublée par des
moments d'émotion. Avec le temps, ces moments d'émotion se raréfient.
122
Peut-être un jour disparaissent-ils complètement ? Je n'en suis pas là. Je peux
ressentir une émotion très forte (...). Faire le deuil d'un jumeau, c'est guérir de
tout ce qu'il y a autour de cette naissance et de cette mort, ce qui rend peutêtre les choses encore plus compliquées que pour un enfant seul. C'est faire le
deuil aussi de la naissance parfaite, de tout ce que l'on n'a pas connu avec
l'enfant vivant. Ce que je trouve aussi compliqué, c'est qu'au fond de moi,
quand la mort était tabou, quand la tristesse me submergeait, je ne pouvais
pas m'empêcher de me secouer en me disant, tu as une fille merveilleuse
alors stop. Je crois que ça ne permet pas au travail de deuil d'avancer ou de se
faire. Par contre ça m'a permis de rester debout et de l'être tout de suite .C'est
mon expérience de vie…J'ai besoin d'y réfléchir encore...La mort de Virginie
m'a rendu très dure à la souffrance d'autrui, je n'avais pas de compassion.
J'étais insensible à tout y compris envers moi-même sauf quand je
" m'apitoyais sur mon sort " quand je pleurais Virginie. Le jour de la
naissance il y a eu quelques larmes mais très peu. Ce jour-là, c'est plutôt une
carapace que je me suis forgée. Dans un deuxième temps, la carapace s'est
fissurée .Le travail de deuil a pu commencer. Ce mot " travail de deuil "
m'était incompréhensible mais en fait, c'est vrai que c'est un vrai travail, un
travail sur soi et ça demande du temps et de l'énergie. »
Une maman pense que faire son deuil : « C'est arriver à gérer au quotidien la
perte d'un être qui nous a été cher, arriver à continuer de vivre, à manger,
dormir, travailler, rire, s'occuper de sa petite famille sans être sans arrêt en
train de pleurer cette personne. C'est arriver à y penser de manière positive,
sans regretter, voir le bien pour elle d'avoir rejoint le paradis et ne pas penser
égoïstement à notre malheur qu'elle nous ait quitté. Enfin ce sont de bien
belles paroles tout çà, même si la vie continue comme on dit...»
Caroline maman de Clémence et Raphaël : « Pour moi faire le deuil
c'est accepter avec le temps l'inacceptable ! Réussir à vivre avec ce manque,
123
cette déchirure au fond de nous...Ce trou béant qui ne se refermera jamais,
que les autres ne voient pas. »
Voici à présent, quelques réponses de jumeaux esseulés :
Sepia : « Pour moi, le deuil c’est cicatriser une blessure. Il reste une
trace, mais on ne souffre plus. Dans le cas de mon jumeau, je dirais que c’est
lui laisser sa juste place et prendre vraiment la mienne. C’est apprendre à le
connaître. Apprendre à apprivoiser ce que ça me fait qu’il ne soit plus là.
Apprendre à le laisser vraiment partir. Laisser une trace de lui, hors de moi. »
Pauline : « Le deuil, c'est apprendre à vivre tout seul, apprendre à se
suffire à soi-même. Apprendre à dépasser cela, à ne pas oublier, mais
apprendre à être du bon côté de la barrière....»
Carole : «Question bien difficile… c’est le temps qu’il faut pour accepter le
départ d’une personne et ne plus être triste pour elle.»
Stéphane : « Le deuil c’est passer au travers de sa douleur pour vivre
plus sereinement. Le deuil n’est pas oublier, c’est exactement le contraire. Le
deuil c’est pardonner l’absence de l’autre, c’est se pardonner pour s’enlever
la culpabilité qu’on peut ressentir d’être toujours vivant et pas l’autre…Le
deuil c’est dire à l’autre qu’on l’aime et qu’il peut partir sur son chemin.
C’est lui dire que je penserai toujours à lui et que je sais qu’il est là pour moi
quelque part. C’est lui souhaiter bonne route et lui dire qu’on se rejoindra un
jour… Mais pas aujourd’hui…Le deuil c’est donc créer une nouvelle relation
entre soi et l’autre qui est parti. »
124
Chapitre 2 : L'enfant de remplacement ; la tentation à portée de main
D
ans le cas de la perte d'un bébé, l'enfant suivant a d'autant plus de
risque de devenir l'enfant de remplacement si les parents ne
parviennent pas à se détacher de l'image du bébé mort et la tentation est
grande d'identifier ce nouvel enfant à celui qu'ils ont perdu. Pouvoir parler du
défunt et le différencier de son aîné peut éviter la confusion entre les deux
enfants. Monique BYDLOWSKI montre la nécessité pour les parents
d'effectuer cette différenciation. Celle-ci doit être largement facilitée par la
reconnaissance de la société et de l'entourage du bébé mort (un prénom, une
sépulture, l'inscription dans le livret de famille, la constitution de traces de sa
courte vie...). Mais lorsque les parents sont confrontés au deuil périnatal d'un
jumeau cette différenciation est d'autant plus complexe à réaliser. Le jumeau
esseulé rappelle sans cesse son frère disparu. La confusion des deux bébés
125
peut engendrer alors des troubles de l'attachement et des troubles
psychologiques pour le jumeau vivant.
C'est pourquoi, évoquer le jumeau mort sans tabou, lui donner sa place dans
la fratrie (à sa place de décédé) est vital pour le bon développement des
relations familiales. Roger BESSIS explique que : « Jeune ou âgé, malade ou
bien portant, vivant ou mort, le fœtus prend position dans le discours médical
en même temps qu'il s'inscrit dans la généalogie, dans l'histoire de sa
famille. »
En effet, Benoît BAYLE affirme que « La tentation est grande pour
les parents de faire l'économie du deuil de l'enfant mort en identifiant le bébé
actuel au précédent: dans ce cas, l'enfant actuel risque de ne pas connaître
une identité propre. Mais aussi, s'attacher au bébé actuel peut signifier pour
les parents l'oubli de l'enfant mort, ce qui ne manque pas de réveiller leur
culpabilité à l'égard du disparu. »
Le travail de deuil du bébé décédé est mieux pris en compte depuis
quelques années par les professionnels de santé. En effet, « De nombreux
témoignages de parents et de soignants l’attestent, notamment dans la
prévention de l’apparition de troubles psychopathologiques dans la fratrie
déjà née et aussi à naître. Ce sont, depuis les deux dernières décennies, des
travaux de psychiatres et de psychanalystes sur le deuil périnatal, qui ont
amenés des équipes de maternité, et celle de Jeanne de Flandre à Lille en
particulier, à modifier les pratiques de prise en charge des familles lors d’un
décès périnatal afin de prévenir les deuils compliqués ou pathologiques. Il
s’agit d’amener les parents à accueillir leur nouvel enfant, même s’il est mort
ou s’il va mourir, même s’il est prématurissime et / ou malformé, à l’inscrire
dans l’histoire de sa famille pour permettre de mieux s’en séparer et
d’entamer le deuil. » L'enfant suivant hérite donc de cette situation de deuil.
Ce qui s'est passé in utero fait partie de son histoire. Prendre conscience de
cela permet à chacun de trouver sa place dans la structure familiale.
126
Chapitre 3 : Reconnaître le bébé mort-né ; un tabou dans la société
E
n 2006 le taux d'enfants nés sans vie était d'un peu moins de 1% des
naissances totales. Le deuil périnatal est fort heureusement peu
fréquent. Néanmoins, ce chiffre ne prend pas en compte les bébés nés en
dessous des 22 SA. Toutes mes pensées vont vers les parents à qui la société
leur refuse la reconnaissance de leur bébé.
Mourir avant de naître : un deuil qui fait peur
La perte de l'enfant à naître est un véritable traumatisme pour les
parents que l'entourage (médical et familial) ne doit pas banaliser. Monique
BYDLOWSKI affirme : « selon différentes études, la mort néonatale et
127
surtout la mort foetale intra-utérine réalisent les conditions idéales pour la
constitution d'un deuil pathologique et pour plusieurs raisons. »
J'évoquais précédemment l'importance de la possibilité de reconnaître le bébé
mort. Nous, nous avions « la chance » d'avoir pu choisir pour Pierre. Mais je
n'oublie jamais que s'il était sorti avant les 22 SA ou que s'il avait été seul,
nous n'aurions pas pu prendre en charge son petit corps. De nombreuses voix
s'élèvent afin que la reconnaissance des tous petits soit élargie, afin que leur
mort ne soit plus un tabou dans la société.
Toute perte d'un bébé même survenant très tôt dans la grossesse doit
faire l'objet d'un deuil au même titre que le deuil d'un être cher, nous avait
affirmé une pédopsychiatre. Mais comment faire le deuil d'un rien, d'un non
évènement ? Combien de couples souffriront encore en silence ? Les
conséquences transgénérationnelles de deuils non faits vont-elles enfin être
reconnues ? Ces secrets de famille concernant les enfants morts-nés, ces
« fausses couches » font partie de l'histoire familiale qu'on le veuille ou non.
Le docteur BESSIS raconte que lors de certaines consultations ces tabous
refont surface : « Parfois, il faut dessiner l'arbre généalogique, retracer la
vraie histoire de la famille, évoquer ceux qu'on a aimé, ceux qu'on aime
moins, ceux que l'on a oubliés, ceux dont hier encore on ignorait tout. »
Monique BYDLOWSKI explique que la non reconnaissance de ce qui s'est
passé, le non-dit sur la mort de l'enfant à naître engendre des sentiments
complexes qui laissent la mère dans une situation intenable. « L'enfant qu'elle
a attendu va rester emmuré en elle, il est non accouché, non séparé. S'il n'y a
eu ni rituel ni condoléances des proches, souvent embarrassés, la jeune mère
sans enfant va continuer de l'attendre, en silence, et à l'insu de tous. » Par
mon vécu et celui de nos deux mamans, je suis persuadée que c'est le manque
voire l'absence de reconnaissance des enfants nés sans vie qui complexifie le
deuil. Quand quelqu'un perd un membre de sa famille, l'entourage lui adresse
les condoléances d'usages (carte, présence à l'enterrement...), mais pour un
128
bébé mort-né (et ne parlons pas des « fausses couches ») personne n'adresse
des condoléances. Et pire, les gens minimisent la perte « ce n'est pas
grave...vous êtes jeunes... et puis ce n'était pas vraiment un bébé...fais-en un
autre...»
Laurence, maman d'Ulysse et d'Arthur confirme que le deuil
périnatal est encore tabou : « Je pense que notre société en général éprouve
des difficultés dans l'appréhension de la mort. Pour moi, il n'y a pas de
reconnaissance si ce n'est par les personnes concernées ou ayant été touchées
par cela. Pour moi, il a été impossible de reprendre le travail après mon
congé de maternité. Rien n'est prévu, mon gynéco a mis dépression
postnatale. Il faut du temps pour faire son deuil, ce n'est pas en terme de mois
mais d'année qu'il faut compter. Le temps du deuil n'est malheureusement pas
rentable dans notre société. L'existence de forums et de livres est quelque
chose d'important, mais les mentalités sont fort encrées et je pense que pour
beaucoup perdre un enfant in utero est quelque chose de négligeable alors
que c'est tout le contraire. » Muriel FLIS-TREVES souligne la difficulté
qu'est le deuil d'un bébé à naître « Deuil d'enfant jamais vu, jamais tenu dans
les bras. Le désespoir est intense et parfois mal compris par l'entourage qui le
vit comme un non événement. Cette incompréhension pousse la femme à nier
d'elle-même l'ampleur de sa détresse ». Quand la société ne reconnaît pas le
bébé, il n'y a pas de trace de son existence. Rien. Absolument rien. Les
parents peuvent alors se demander s'ils n'ont pas rêvé, tellement tout cela
semble irréel.
Stéphane CLERGET dénonce cette banalisation de l'entourage
concernant la perte de l'enfant à naître par notamment l'emploi du
vocabulaire : « Le terme même de fausse couche invite au déni.
" Fausse" comme si rien ne s'était passé et que tout cela n'était pas vrai, pas
réel en quelque sorte. ». C'est pour cela que je mets des guillemets pour le
terme de fausse couche. Je préfère dire la perte de l'enfant à naître. Si Pierre
129
avait été un bébé singleton, sa mort aurait été considérée comme une fausse
couche ! Comment peut-on dire cela à une mère qui sent lors de
l'accouchement son bébé sortir ? Actuellement, on considère une « fausse
couche » jusqu'à 22 SA. Saviez-vous qu'une mère qui perd son bébé à 17 SA
accouche par les voies naturelles, subit les contractions comme n'importe
quel accouchement à terme ? Seulement, elle, elle met au monde un bébé
mort. Alors si vous lui parlez de fausse couche, je trouve ça absurde. Et ce
délai de 22 SA ; quel non sens ! Alors une mère qui perd son bébé à 21 + 5
SA, c'est une fausse couche et celle qui le perd à 22 SA, c'est un deuil
périnatal ? ! Stéphane CLERGET souligne cette absurdité et est favorable à
ce que le deuil périnatal englobe les « fausses couches ».
René FRYDMAN, dans Mourir avant de naître, 1997 évoque également cette
non reconnaissance : « N’être ou naître, peut-on envisager l’un sans l’autre ?
Naître ou n’être. On ne peut naître de rien, mais quand l’être se constitue-til ? Sans naissance pas d’existence juridique, sociale ou administrative, mais
avant la naissance, il y a déjà une existence, une présence dans le cœur de
celle qui porte cette promesse et l’expérience prouve qu’il n’y a pas de
parallélisme entre l’intensité de ce sentiment et le développement anatomique
du fœtus. »
Souvent les parents entendent : « Mais vous ne l'avez pas connu !
C'est mieux comme ça. Toi, au moins tu l'as pas connu...c'est pas comme s'il
avait un an ! » À ce genre de réflexions, je laisserai la parole à Roger
BESSIS « Quelques soient les circonstances de sa mort, malformation
incompatible avec la survie, accident périnatal, mort in utero, interruption
médicale de grossesse, le foetus a inscrit sa marque au sein de la famille et de
son histoire. » Pierre n'était pas un inconnu ni pour son père, ni pour moi.
Grâce à l'échographie, les parents peuvent rencontrer leur bébé à travers
l'image. Nous lui avions parlé comme à sa sœur et surtout nous lui avons
donné cet amour infini qui nous submerge encore aujourd'hui. Oui, j'ai connu
130
mon fils ! Suzy FRECHETTE-PIPERNI affirme que le chagrin de la perte du
bébé mort-né n'est pas proportionnel au terme de la grossesse mais à
l'intensité de l'amour que lui portent ses parents. Geneviève DELAISI
dénonce également le tabou qui entoure la mort d'un bébé avant de naître :
« Une des souffrances les plus vives des parents (chez les mères comme chez
les pères) est, en effet, la non perception de la mort périnatale comme perte
d'un enfant; le non évènement que cette perte représente souvent pour
l'entourage, qu'il soit médical ou familial. »
« Tout ce passe comme si selon la formule du psychanalyste J. ALLOUCH,
le deuil d'un bébé non né se présentait comme le paradigme du deuil : moins
aura vécu celui qui vient de mourir, plus sa vie sera restée une vie en
puissance, plus dur sera le deuil. »
Entre le papa et la maman
J'ai peu évoqué la différence de ressenti entre le père et la mère face au deuil
de leur bébé. Or, il existe des différences puisque l'homme et la femme sont
psychologiquement différents. À cette différence des sexes, se rajoutent
l'éducation, les valeurs et la sensibilité de chacun.
Rémi et moi étions très unis lors de la mort de notre fils. Nous étions
d'accord pour la prise en charge des obsèques et pour l'inscrire dans l'histoire
familiale. Malheureusement, il arrive que le couple parental ne soit pas
d'accord concernant l'attitude à adopter à propos du bébé décédé. Camille
confie de manière bouleversante : « Mon mari n'a jusqu'alors jamais souhaité
aller sur la tombe et il dit qu'il n'ira jamais parce qu'il a Nadège et que de
toute façon ce bébé était mort avant de naître. J'ai essayé de lui expliquer
qu'il était notre enfant comme l'est Nadège. Mais il ne voit pas les choses
131
comme ça. C'est particulièrement difficile pour moi de l'entendre nier
l'existence de Rémy, je puise des forces tout au fond de moi pour ne pas lui
en vouloir. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir supporter cette
distance qu'il a mise entre Rémy et lui. »
Certes, la maman ayant porté l'enfant en son sein ressent les évènements de
façon plus charnelle, mais les pères, malgré le poids de l'éducation ressentent
les émotions et ont perdu eux aussi leur bébé. Simplement eux, on leur
accorde moins d'importance. On concède à une mère de pleurer son petit au
début, mais un homme ne doit pas pleurer ! Leur laisse-ton assez de temps
pour exprimer leurs émotions ? L'entourage n'a t-il pas tendance à se
focaliser sur la maman ? Ne leur demande t-on pas d'être forts pour soutenir
leur femme ? Quand j'ai demandé aux mamans endeuillées la différence de
ressenti entre elle et le papa, la plupart m'ont répondu que le père souffre
souvent en silence et qu'il était à leur côté dans ce long chemin qu'est le deuil
de son enfant.
J'étais extrêmement touchée par la réponse du mari de Laurence qui témoigne
de façon si émouvante : « En tant que papa, au choc s'ajoute la solitude.
L'évidence médicale impose qu'il soit fait tout ce qui est nécessaire pour
accompagner maman et le petit survivant. Papa, quant à lui, il est seul
d'abord dans le couloir en attendant les préparatifs de l'opération. Puis on lui
demande de réconforter maman, mais il est effondré et donc il pleure encore
et encore. Ensuite tout comme son épouse, il accueille ses enfants : d'abord la
vie ensuite la mort encore chaude et à la fois si proche de la vie. Sauf qu'il n'y
a pas de tonus et c'est donc cette réalité morbide qu'il faut étreindre avec
amour. Il faut lui donner les seules caresses qu'il aura reçu et finir par lui dire
au revoir avant d'accompagner encore quelques moments maman qui est face
à ses devoirs de maman et se réjouir du nouveau né. Ensuite il faut rentrer,
particularité du papa, c'est que le lieu de travail est proche et on y travaille 24
heures sur 24 et donc un petit passage pour avertir les collègues puis à
132
nouveau il s'en retourne seul. Et rentre chez les siens seul, afin de dormir
avant de commencer la journée en annonçant la triste nouvelle à toutes les
personnes concernées. Ensuite commencent les tâches liées au deuil et sa
matérialité, soit en ce qui nous concerne, la crémation. Encore une fois, c'est
seul que papa est allé faire les démarches (frais et réservations,...). Une
chance que certaines personnes se sont manifestées pour nous accompagner
(oncle et tante de Laurence et assistance sociale/psy), étrange absence des
parents... de nos jours, même le deuil semble être devenu égoïste chez
certains. »
L'importance du rituel
Roger BESSIS souligne qu'escamoter le bébé ne fait pas disparaître
le drame. La famille, complètement démunie, se retrouve sans réalité tangible
pour commencer son deuil. Monique BYDLOWSKI dénonce également cette
absence de réalité, de preuves tangibles. D'où la nécessité de mise en place de
rituels autour de la mort de ces touts petits : « Sous ce terme de rituel, on
englobe les gestes, cérémonies, conservations d'objets, inscription officielle
permettant de donner à l'enfant disparu une place au monde des vivants
parmi lesquels il n'a pas eu le temps de se situer. Il s'agit de faire exister le
mort, par des preuves tangibles (aussi tangibles qu'une stèle funéraire) dans
une réalité et non dans le seul souvenir de ceux qui l'ont directement connu. »
En outre, elle ajoute que « le rituel permet d'éluder la négation pure et simple
de l'existence, même brève du disparu, d'éviter l'attente de son retour. »
« Nous comprenons bien, à entendre les familles défuntes, combien l’activité
rituelle soulage, allège le poids de l’affliction, quand elle est rendue possible
et compréhensible. Les rites ont cette fonction irremplaçable d’inscrire
133
l’événement du décès dans la durée des survivants, et dans le cycle des
trépassés. Chacun l’a dit à sa manière : savoir où se trouve ce petit enfant
mort, c’est permettre à la mort de quitter le domaine de l’innommable et de
l’irreprésentable. » soulignent Maryse DUMOULIN et Catherine LE
GRAND SEBILLE
Monique BYDLOWSKI affirme qu' « instituer un minimum de rituel
assurant la réalité de la naissance est donc une mesure certainement
nécessaire mais insuffisante. Pourtant, la réflexion sur le destin psychique de
ces femmes au malheur trop souvent sous-estimé fait évoluer les mentalités
médicales depuis quelques décades. »
Chantal, 22 ans après le décès d'une de ses jumelles, explique :
« Nous avons donc décidé de donner à Virginie sa place et j'ai entamé des
recherches pour savoir où elle était (...). Nous avons fait refaire le livret de
famille et nous avons pu faire graver son nom sur la plaque au jardin du
souvenir. »
Michèle, maman de Marine et Natacha confie : « Nous n'avons pas de lieu
pour se recueillir puisque nous avons fait don de son corps à la médecine. Il
semblait que cela pouvait rendre service et faire avancer les recherches pour
les naissances futures (...). Mais j'ai découvert très récemment qu'il était
devenu nécessaire à Marine d'avoir un lieu en mémoire de Natacha. Elle a
planté un arbre pour sa soeur. J'aurais pu y penser plus tôt ! (...). Si nous
avions eu affaire à du personnel plus psychologue, les choses auraient pu être
différentes. »
Sepia souligne l'importance des rituels pour le travail de deuil : « Je pense
que c’est important que chaque mort, quelque soit son histoire, ait sa juste
place. C’est important pour les vivants, aussi. Sans doute que si cela avait
existé depuis que je suis toute petite, j’aurais eu une autre approche de tout
ça…Et que penser du fait que mon jumeau ait fini à la poubelle ! ? C’est
injuste pour lui. »
134
Stéphane, jumeau esseulé, explique également l'importance d'avoir un lieu de
recueillement : « C’est de la même importance que pour le décès d’un être
que tout le monde a vu au grand jour, un enfant, une mère, un grand-père ou
un ami. Un lieu de recueillement permet de concrétiser son existence, sa
présence, aux yeux de tous. Il permet de faire le deuil et de conserver la
mémoire. C’est un lieu qui permet le " détachement " des corps, de le mettre
à l’extérieur de soi, de créer une nouvelle relation à soi et à son jumeau. »
Elodie maman de Louka et Léo explique : « Pour nous c'est très important
que Léo soit sur notre livret de famille. D'autre part, encore aujourd'hui,
j'éprouve beaucoup le besoin de parler de lui et du temps que nous avons
passé ensemble. Il fait partie de notre vie. Il est vrai qu'on aimerait des fois
un peut plus d'indulgence de la part des gens face aux décès de nos
enfants. »
Pendant de nombreuses années le corps des bébés morts-nés était vite
caché et les parents n'avaient pas la possibilité de le voir. Des tranquillisants
étaient à la rigueur administrés aux mères afin d'engourdir leur peine. On
préconisait aux parents de refaire rapidement un bébé. On ne parlait pas de ce
qui s'était passé. D'ailleurs que c'était-il passé ? Rien. Il n'y avait rien eu.
Heureusement, les mentalités ont évolué suite aux problématiques
engendrées par les complications psychologiques des décès périnataux :
- troubles psychologiques chez de nombreux parents.
- difficultés relationnelles dans beaucoup de couples.
- perturbations importantes chez les autres enfants jusque dans leur vie
adulte.
Une meilleure compréhension de la particularité du deuil périnatal a
amené le personnel médical et par la suite l'entourage familial à changer de
comportement. Cependant, tout ceci demande du temps et de l'énergie pour
faire évoluer les mentalités et la société.
135
Faut-il voir le corps de son bébé mort ?
Aujourd'hui, l'équipe médicale propose aux parents de voir leur bébé.
J'estime qu’il n’y a pas de règle générale. En effet, chaque parent est unique,
chaque deuil l'est aussi. La meilleure attitude est de proposer sans mettre de
pression. Le personnel médical doit décrire l'état physique de l'enfant afin
d'éviter tout choc aux parents. Si la malformation du bébé est visible, il
pourra être habillé. Dans mon vécu, mon fils avait macéré durant 10
semaines en moi. Je pense que si je n'avais pas été préparée
psychologiquement à son aspect physique, j'aurai été horrifiée et la vision de
mon fils m'aurait perturbée. J'ai regardé mon bébé avec mes yeux et mon
cœur de maman. Et cet instant magique restera gravé à tout jamais dans mon
cœur. Je ressentais le besoin de le voir. Rémi ne le souhaitait pas. Respecter
au maximum la position de chacun est primordiale. Si les choses sont bien
faites, les parents qui ont pu voir leur bébé disent qu'il était très beau et qu'ils
ne le regrettent pas. Le refus de voir le bébé peut s'apparenter à une attitude
de déni afin de se protéger de la souffrance. Pour moi, voir mon fils
m'obligeait à entrer en contact avec la réalité et surtout de pouvoir l'identifier.
Je pense que si l'aspect physique de Pierre avait été moins marqué, j'aurais
proposé aux proches de la famille (grands-parents, oncles) de faire
connaissance avec lui. Ma maman avait demandé au personnel si elle pouvait
voir son petit-fils. Cela lui avait été refusé. Je n'ai su cela que plus tard.
Une maman de jumeaux dont l'un est décédé in utero vers 16 SA
s'interroge sur la possibilité de voir le jumeau mort à la naissance de ses deux
bébés à terme : « Je ne sais pas encore si je vais vouloir voir son corps. Mon
homme me dit que ça va me traumatiser. C'est le risque. Il m'a dit aussi que
j'aurais besoin de tout mon mental pour accueillir correctement sa sœur.
Personnellement, je préfère souffrir un bon coup et ne pas avoir des années
de regret derrière. Je me dis que je pourrais peut être le voir quelques jours
136
après la naissance, car je veux donner la priorité à un accueil " normal " à sa
soeur. On me dit que cette image de corps rabougri me hantera. Moi l'image
qui me hante déjà c'est ce petit corps sur un écran qui ne vit plus et qui me
tourne le dos. » Une autre maman a pu voir son bébé et affirme : « J’ai une
preuve de son passage sur terre…C’était déjà un petit bébé bien formé…»
Camille, maman de Nadège et Rémy témoigne de cette rencontre avec son
fils décédé : « La sage-femme est venue nous proposer de voir Rémy et de
l'habiller avec les vêtements prévus pour lui. J'ai tout de suite dit oui, mon
mari ne s'est pas prononcé. Et il est arrivé, il était tellement beau, je l'ai pris
dans mes bras (...) »
Chantal raconte « L'équipe médicale m'a fortement déconseillée de la voir.
Ça faisait trois jours qu'elle était décédée. Je suis allée dans leur sens, j'ai fait
confiance. C'est une erreur pour moi. En la voyant, le déni n'aurait plus été
possible. Et ça m'a terriblement manqué de ne pas lui avoir dit au revoir. Je
culpabilise encore aujourd'hui de cet acte d’abandon. Pour moi, le plus
difficile à faire, c'est de trouver la paix par rapport à nos décisions. Ce n'est
pas la mort par elle-même qui a été le plus difficile pour moi à accepter, mais
plus notre attitude, nos décisions et particulièrement la mienne. Je ne suis pas
certaine d'être guérie de cette culpabilité. »
Le personnel de l'hôpital réalise des photos de l'enfant mort, mais ce
sont des clichés médicaux. Nous possédons des photos de Pierre que j'ai
regardées. Mais comme on me l'avait dit, elles ne sont pas du tout
esthétiques. Je regrette seulement que nous n'ayons pas pensé à demander à
faire des photos de lui étant bien présenté comme je l'avais vu (lavé...). Une
maman était, elle aussi, déçue par la qualité des photos : « Depuis, j’ai
réclamé une photo avant l'autopsie à l’hôpital. Je l’ai eue mais elle m’a
déçue : elle ne correspond pas à l’image de mon souvenir. Il est beaucoup
plus abîmé. Aussi je l’ai rangée. Je sais qu’elle est là : c’est suffisant…»
137
La constitution de traces de l'existence du bébé décédé
Je pense qu'il est essentiel que les parents puissent posséder des traces de la
petite vie du bébé décédé (une mèche de cheveux, les empreintes de pieds et
de mains, le bracelet de naissance, des photos...).
Etant une enfant « d'après » et sans trace d'existence de ma soeur,
cela m'avait inconsciemment marqué. Ne pas avoir de lieu de recueillement
me manque. Et en tant que maman endeuillée, la moindre preuve de
l'existence de Pierre m'apaise, me fait du bien et s'est révélée nécessaire pour
ce long chemin sinueux qu'est le deuil.
Une maman confirme ce besoin primordial de détenir des traces : « Nous
avons tout gardé : les échographies, les comptes-rendus de l'hôpital, de
l'autopsie. Et s'il veut les consulter je lui montrerai, mais pas avant qu'il ne
soit assez mûr. Par contre, je n'ai pas encore récupéré les photos de sa soeur,
je le ferai un jour. Mais je ne pense pas que je lui montrerai. »
Laurence, maman d'Ulysse et d'Arthur affirme : « Concernant les traces de
vie, la sage-femme m'a donné, quelques heures après l'accouchement, une
enveloppe avec deux empreintes d'Arthur (main et pied) ainsi qu'une mèche
de cheveux. Des photos ont été prises aussi et remises par notre médecin. »
Elle ajoute de façon émouvante que dans leur jardin, les cendres de leur fils
reposent sous un arbre : « qui a la particularité d'avoir la couleur pourpre
tranchant ainsi avec les autres arbres du jardin. Une de nos amies nous a
apporté une harpe éolienne qui fait une belle musique dans cet arbre. J'ai fait
également un petit poème que j'avais écrit sur le forum, que j'ai imprimé et
mis sous cadre dans la salle à manger. Je pense qu'il est important qu'Arthur
ait sa place pour que chacun puisse l'évoquer lorsqu'il en ressent le besoin. »
138
Sarah, une jumelle esseulée de 21 ans explique : « J'ai une échographie (...)
que je garde précieusement. Je n'ai pas vraiment de lieu pour me recueillir,
mais lorsque je suis devant la tombe familiale, je pense beaucoup à elle. »
Fleur insiste sur l'importance des traces de l'existence du bébé mort : « les
objets, les échographies et le livret de famille sont importants parce qu'au
milieu du quasi silence ils sont la preuve de son existence. »
Marine affirme : « Oui j'ai un lieu pour me recueillir mais cela ne fait pas
longtemps...En fait le corps de Natacha a été donné à la science...Donc elle
n'a pas de sépulture. Ma mère a pris conscience récemment que l'absence de
lieu de recueillement avait sûrement été quelque chose de difficile pour moi,
et pour elle. Mais elle n'y avait jamais vraiment pensé. Alors le jour de mon
22ème anniversaire, ma mère m'a offert un figuier que l'on a planté ensemble
dans le jardin en la mémoire de Natacha. Oui, elle est inscrite sur le livret de
famille. C'est toujours une grande émotion pour moi quand je le regarde ou
quand je vois sur mon carnet de santé -Marine- 1er jumeau- mort du 2è
jumeau in utero- J'aurais tellement voulu une photo d'elle...On ne sait pas s'il
y en a une dans le dossier médical. J'en parle depuis longtemps avec ma mère
mais on n'a pas encore entamé les démarches et pourtant il le faut, j'en ai
besoin...»
Pauline m'a confié de façon très touchante que c'est quand elle a pu voir des
photos de sa soeur Julie que son deuil a pu commencer : « Mon deuil a
débuté quand j'ai pu voir une photo de Julie. J'aurai voulu avoir des objets à
elle. Quand j'ai eu les preuves de son existence, cela a " légalisé " mon
chagrin : je n'avais pas rêvé, car je me disais que finalement tout cela est
faux. J'ai pu m'autoriser à être triste, c'est important d'avoir le droit d'être
triste. Il faut s'autoriser les choses : tu as le droit de pleurer, de ne pas être pas
bien...et aussi de vivre tout simplement ! » Le corps de sa jumelle a été donné
à la science et elle n'a donc pas de lieu pour se recueillir. Dans le jardin de
139
Pauline, un arbre a été planté pour chaque enfant. Or Julie n'a pas son
arbre...Pauline m'a montré l'importance d'avoir des traces de la petite vie du
jumeau décédé.
Pierre : un ange ?
Certaines personnes aiment dire que ce petit bébé devient un ange. Certaines
mamans se surnomment « mamanges ». Personnellement, je n'aime pas
utiliser cette expression. Un ange, dans l'imaginaire collectif, est une créature
mi-divine et / ou mi-humaine. Souvent on dit que les anges n'ont pas de sexe.
Or le décès d'un tout petit qui meure avant de naître est un événement
tellement tabou que sa réalité même peut être mise à rude épreuve. Le terme
d'ange, malgré sa douceur et la tendresse qui s'y rattache, accentue un peu ce
côté irréel qui fait souffrir de nombreux parents. Si une tante décède on ne dit
pas d'elle qu'elle devient un ange ! Alors pourquoi le faire pour un bébé
décédé in utero ? N'est-il pas un membre à part entière de la famille ? Pour
l'entourage, une mamange n'est pas tout à fait une vraie maman, donc, si on
n'est pas une vraie maman, ce n'était pas un vrai bébé, et il n'y a donc pas
besoin de le pleurer autant puisque ce n'était pas un bébé ! Or, les parents
revendiquent la parentalité à part entière. Nous sommes les parents de notre
enfant né sans vie et nous le serons à tout jamais.
140
Chapitre 4 : Le personnel médical ; quel accompagnement ?
A
ujourd'hui, les pratiques ont beaucoup évolué et la prise en charge des
parents ne se fait plus de la même façon. Le personnel médical s'est
rendu compte des conséquences dramatiques des deuils enfouis, étouffés. On
recommandait à la mère de retomber le plus rapidement possible enceinte. Sa
souffrance était minimisée, voire n'avait pas lieu d'être. Et la mort du bébé
n'était tout simplement pas évoquée.
Magalie DELAHAY, sage-femme explique : « La maternité est certainement
de tous les services hospitaliers celui où l’on s’attend le moins à être
confronté à la mort. Et pourtant elle fait partie du quotidien des équipes qui y
travaillent. La pathologie et les malformations fœtales ainsi que la mort
fœtale in utero sont des situations qui nécessitent une prise en charge
adaptée. L’équipe est alors amenée à devoir accompagner des femmes, des
couples, des familles à une fin de vie, celle de leur enfant. »
141
L'équipe médicale est présente tout au long de la grossesse. Elle est
donc aux premières loges quand il y a un problème. Alain LAFFY,
gynécologue, souligne « L’annonceur, qui est en première ligne, se trouve au
pied du mur. Acculé, il ne peut fuir ses responsabilités. C’est l’un des acteurs
du drame qui va se dérouler sous ses yeux et c’est lui qui va recueillir et
prendre de plein fouet les premières réactions de la mère ou du couple. C’est
lui qui sera le témoin privilégié de ce grand moment de désespoir, dont
l’explosion va revêtir des aspects très divers. »
Les parents comprennent souvent qu'il y a quelque chose d'anormal
en regardant l'expression du visage du médecin. Les mots prononcés à ce
moment-là vont se graver pour toujours dans le cœur des parents. Dix ans,
vingt ans après ils se souviennent des mots prononcés. Pour nous, l’annonce
a été très brutale et c'était comme si ce n'était pas grave puisque pour l'autre
bébé tout allait bien. « Et puis les jumeaux c'est du travail hein ? ! » Mais
j’appris plus tard que lorsqu’un des jumeaux décède in utero, il y a de très
fortes probabilités que l’accouchement se déclenche dans les deux semaines
après le décès de l’un d’eux. J’aurai donc mis au monde mes jumeaux vers
22 SA et Sarah serait morte lors de l’accouchement. La position du praticien
était donc très délicate. Dans cette situation, quels mots utiliser ? Avec le
recul, je mesure la difficulté à faire de telles annonces.
Comment donc annoncer le décès d'un bébé in utero ou la détection
d'une anomalie ? J'ignore s'il existe une bonne façon de faire.
J'imagine la souffrance du médecin qui sait et qui doit l'annoncer aux
parents. Il sait qu'il va provoquer la douleur la plus cruelle qui soit : la mort
de son enfant. Les médecins n'aiment pas l'échec et se sentent bien démunis
face à ce genre de situation. Ils sont formés à sauver des vies mais comment
faire quand un bébé meure avant de naître ? À cette question Alain LAFFY
répond « Il n’existe effectivement et malheureusement ni attitude codifiée, ni
cadre rigide, ni recette miracle propres à gérer ce problème, et que tout
142
repose en définitive sur le binôme soigné soignant, où chacun réagit en
fonction de son passé et du rapport qu’il entretient personnellement avec la
mort » Le fait que le professeur qui nous a appris la mort d'un des jumeaux
semblait considérer le bébé mort comme un rien, une erreur de la nature,
nous fit souffrir violemment. N'avait-il pas saisi que nous les aimions tous les
deux ? « Que les spécialistes aient tendance à penser que cet œuf n’est qu’un
amas de cellules, que la nature fait bien les choses en ne laissant pas évoluer
ces grossesses qui, le plus souvent, donneraient naissance à des enfants
anormaux, c’est un discours qui se tient, certes, mais qui ne correspond en
rien à ce que vivent les parents. » affirme Alain LAFFY.
Si j'avais su, à ce moment là, que nous pourrions lui donner un
prénom officiellement, lui donner sa place dans notre famille, cela n'aurait
certes pas atténué ma douleur, mais cela m'aurait fait du bien. Ma
gynécologue nous écouta, compatissante, mais elle ignorait les dispositions
législatives qui permettent aux parents de reconnaître leur bébé mort-né.
Je pense qu'il serait bon que le personnel médical soit bien au
courant des textes régissant ce domaine. Lors de mon hospitalisation en
urgence pour menace d'accouchement prématuré (MAP) et rupture
prématurée des membranes (RPM) sur le jumeau décédé à 24 SA, nous avons
été informés de la possibilité de reconnaître notre petit. Cela m'avait
énormément apaisée et rassurée. Nous pouvions faire quelque chose pour
lui ! La société le reconnaissait ! Je savais que les enfants nés après un enfant
sans vie vivent difficilement l'absence de traces de leur aîné pour l'avoir vécu
moi-même. Cela m'a toujours manqué pour ma sœur. Aucun endroit pour me
recueillir. Aucun lieu dédié à sa mémoire.
La prise de conscience des équipes médicales à propos de la prise en
charge des mort fœtale in utero amena à repenser toute une pratique
médicale. L'accouchement par les voies naturelles notamment fut privilégié.
143
En effet, « En mettant cet enfant au monde, la femme devient mère. Elle se
fait le passage de cet enfant vers le monde extérieur. Cette perception de
l'enfant qui sort de son corps par les voies naturelles signe la fin de la
grossesse, la " délivrance". L'enfant est né, même mort, elle a pris conscience
de sa naissance. » explique Alain LAFFY.
Pendant toute la durée de mon hospitalisation, l'attitude de l'équipe
médicale était formidable. J'étais écoutée dans ma souffrance, conseillée pour
certains aspects, entourée par des professionnels compétents et respectée
physiquement et psychologiquement. Je crois qu'on ne pouvait faire mieux.
Compte tenu de l'aspect physique de mon petit garçon, le personnel médical
aurait pu très bien me déconseiller de le voir. Or, tout cela a été fait dans le
plus grand respect et j'en garde un souvenir rempli d'émotion. En outre,
j'appréciais le fait que l'on ne me cachait pas la vérité. Certaines personnes ne
souhaitent pas connaître la vérité et cela est à respecter. Ce qui doit être
difficile pour l'équipe hospitalière c'est de s'adapter en fonction de chaque
patiente. De nombreuses mamans témoignent de l'attitude compatissante du
personnel hospitalier : « Plus tard, il est venu me voir, prendre de mes
nouvelles, il avait les larmes aux yeux…Je le remercie aujourd’hui pour sa
compassion …» raconte une maman qui venait accoucher de son bébé mort
par IMG.
Camille confie : « Lors de mon séjour à la maternité, l'équipe médicale a été
tout simplement extraordinaire. J'ai été très entourée et j'ai bien ressenti qu'ils
partageaient ma peine (...). J'ai laissé pour toute l'équipe médicale un petit
mot dans lequel je leur disais toute ma reconnaissance pour leur gentillesse et
leurs attentions multiples. »
Une autre maman explique : « Nous avons été très bien soutenus par
le personnel du CHU, autant le jour de l'annonce qui a été faite de manière
très délicate, autant pour la suite. » Laurence a été également très bien
entourée par le personnel médical.
144
Le vécu de Chantal a malheureusement été différent : « L'annonce a été faite
par une personne qui pratique des doppler. Il était très doux, très humain.
Ensuite, je ne sais plus...sauf qu'ils ont réfléchi pour savoir ce qu'ils faisaient
pour Sophie. Et donc ils ont décidé de la faire naître par césarienne en soirée.
Ensuite, très peu de choses sur Virginie. Obsèques ou pas, déclaration sur le
livret de famille ou pas, autopsie ou pas. Nous ne pensions qu'à Sophie,
j'étais folle d'inquiétude de perdre mes deux filles. Je n'ai pu voir ma fille
Sophie que 5 jours après la naissance. Elle était sortie de la réanimation mais
restait encore branchée. On ne savait pas si des séquelles allaient lui
rester...J'ai accouché un 30 juillet alors le personnel médical tournait au
ralenti, les regards étaient fuyants. On m'avait isolée et ça c'était bien mais je
ne voyais personne en fait ou le minimum. Par contre, le médecin qui me
suivait est venu me voir la première nuit. Il avait une tête horrible, un regard
très triste et m'a dit qu'il était désolé que ça se termine comme ça. Je l'ai
rassuré, un peu le monde à l'envers...Depuis, j'ai essayé de le retrouver pour
lui dire que j'avais trouvé sa démarche courageuse et que je le remerciais
mais impossible de trouver sa trace. Quelques jours plus tard, j'ai eu la visite
de la psychologue. La seule chose qu'elle m'a dite, c'est que nous aurions des
problèmes avec notre fille à l'adolescence. J'ai trouvé l'intervention minable à
tout point de vue, humainement et professionnellement parlant. »
On le voit bien, l'équipe médicale joue un rôle primordial depuis
l'annonce de la malformation ou de la mort du bébé jusqu'aux suites de
couches. Fort heureusement, la prise en charge des décès périnataux s'est
radicalement changée. Je salue encore tout le personnel hospitalier qui nous
a accompagné dans notre peine.
145
146
Chapitre 5 : L'arbre généalogique ; chacun à sa juste place
I
l est primordial que ces petits bouts de choux soient à leur juste place dans
l'histoire familiale.
Roger BESSIS raconte que lors des consultations les parents ainsi que
l'équipe médicale sont amenés à dessiner l'arbre généalogique. En effet, le
bébé décédé y a son rameau au même titre que les autres membres de la
famille. Geneviève DELAISI affirme que : « La construction d'un arbre
généalogique classique dans les conseils génétiques est également très riche
d'un point de vue psychologique. Nous l'utilisons fréquemment dans le
travail d'équipe avec le médecin foetopathologiste, en organisant ces
consultations en binôme pour faciliter la prise en charge du travail de deuil
des parents qui perdent un bébé avant la naissance. L'histoire familiale qui se
déplie, se déploie ainsi, sur plusieurs générations, des deux côtés (maternel et
147
paternel) peut être lue à la manière d'un génogramme, sorte d'arbre
généalogique affectif. C'est un fascinant " roman familial " où sont dessinés,
mis en scène les fantasmes de filiation, les " trous " dans la généalogie. » En
effet, la mort et la reconnaissance de notre fils ont mis en lumière dans nos
familles respectives des « trous » comme le dit si justement Geneviève
DELAISI. Ces « trous » dans l'arbre généalogique ont eu des répercussions
sur les générations suivantes. J'y reviendrai dans le chapitre suivant.
Plusieurs mois avant que j'arrête la pilule, ma grand-mère maternelle
m'avait envoyé ses recherches sur l'arbre généalogique du côté de son mari.
J'étais infiniment touchée de voir que ma sœur aînée y était inscrite avec ses
prénoms. Cela m'avait soulagée qu'elle ait sa place dans notre famille et que
moi, je figurais à ma juste place. Je n'avais pas usurpée sa place de première
fille dans le cœur de ma famille.
Lors de la perte périnatale d'un jumeau, la tentation est immense et si facile
d'escamoter totalement le jumeau mort. Dans ce cas, le jumeau esseulé
prendra la place d'un autre, de son frère mort, ce qui peut engendrer des
troubles psychiques.
Je questionnais les jumeaux pour savoir s'ils souhaitaient que leur
jumeau fasse partie de l'arbre généalogique. Une jumelle me répondit : « Oui
j'aimerais qu'elle y soit. J’aimerais qu'elle soit reconnue comme un membre
de la famille et pas seulement comme " l'autre bébé ". J'aimerais qu'on se
souvienne d'elle, parce que même si elle n'a vécue qu'un tout petit mois, ça a
suffit à me marquer à vie. Alors j'aimerais qu'on ne l'oublie pas, qu'on ne
fasse pas comme si rien ne s'était passé. » Alain LAFFY estime qu'il est
primordial : « Dans la mesure du possible, d’organiser pour lui des
funérailles et de l’inscrire sur le livret de famille, afin qu’il fasse pleinement
partie de la famille et qu’il ait sa place dans l’arbre généalogique. D'avoir
existé permet de faire le deuil de cet enfant mort, permet aux parents d'en
parler en le prénommant, entre eux et avec la fratrie et les enfants à naître. »
148
Une maman me disait : « Nous voulons avoir un autre enfant je ne dis pas un
deuxième, je dis un autre, pour ne pas dire un troisième, car si je dis
troisième les gens vont me demander où est le deuxième. »
Laurence, maman d'Ulysse et Arthur m'a expliqué : « Maintenant, j'ai fait
tout un cheminement et chacun des jumeaux a sa place. Ulysse est devenu le
troisième (il a deux frères aînés) et Arthur a sa place également. »
J'ai demandé à Marine, dont la jumelle Natacha est décédée à 32 SA, si sa
sœur a sa place dans l'arbre généalogique : « Oui bien sûr elle y a sa place,
parce qu'elle a vécu près de moi pendant 30 semaines. Ne pas la reconnaître
serait la tuer une seconde fois...» Sa maman Michèle m'a précisé : « Oui elle
a sa place, mais dans un cercle familial restreint. Natacha figure sur le livret
de famille en temps que deuxième jumeau né sans vie. »
Camille confie : « Rémy est inscrit sur notre livret de famille, il est notre
enfant au même titre que Nadège et nos futurs enfants, il fait partie de notre
histoire. » Elle a ressenti le besoin d'écrire à ses deux enfants : « J'ai acheté
deux cahiers pour écrire à chacun de mes enfants combien je les aime. Il ne
se passe pas un jour sans que je dise à Nadège que je l'aime et que j'aime son
frère. Et j'espère que, où qu'il soit, mon amour est assez fort et grand pour lui
parvenir. »
Une autre maman me répondit : « Nous avons désiré incinérer notre fille
dans l'intimité, seuls mon mari et moi, une bénédiction a précédé. Pour nous,
elle fait entièrement partie de la famille et elle sera pour toujours ma petite
deuxième. Je suis persuadée que de pouvoir en parler librement aidera son
frère jumeau à se construire malgré ce manque qu'il ressentira souvent mais il
n'y a que moi qui lui en parle, car mon mari n'y arrive pas. ».
Christelle s'insurge de la non reconnaissance de son fils Benjamin : « Il est
inscrit sur le livret de famille, mais je n'ai pas pu lui donner de nom de
famille, car il est appelé " enfant sans vie ", donc il n'a pas droit à un nom. Je
149
trouve ça injuste ! Pourquoi mon fils n'existerait pas ! Il a vécu quand même !
C'est la moindre des choses de pouvoir le faire reconnaître. »
Elodie maman de Louka et Léo souligne l'importance que Léo ait sa place
dans l'histoire familiale : « Pour nous, Léo a une place à part entière dans
notre famille. Il a rempli mon ventre et notre vie de joie le temps qu'il était
avec nous. Et c'est très important pour moi que cela ne soit pas un sujet tabou
mais une période de joie, mais difficile, que nous avons partagée avec notre
famille au complet. »
Une maman de jumelles dont l'une est décédée à la naissance a accouché
d'une troisième petite fille récemment. Elle précise : « Disons que pour nous,
A.... est bien sûr notre troisième fille, puisque c'est comme ça sur le livret de
famille. Mais pour les gens ce n'est que la deuxième. Pas facile à gérer...(...)
Les gens ne savent pas forcément et on n'a pas toujours envie de raconter
notre histoire...Alors oui, elle fait partie de notre arbre généalogique, mais
c'est pas facile pour la faire reconnaître comme telle, puisque personne ne la
connue. »
Stéphane, jumeau esseulé, m'a répondu : « Il est important qu’elle figure dans
l’histoire familiale parce qu’elle y a sa place. Elle n’est pas une quantité
négligeable. Elle a eu une existence sur terre et aura toujours une place dans
nos cœurs. Elle fait partie de l’humanité au même titre que Jeanne Calment.
Ce n’est pas la durée de vie qui fait la valeur des hommes, c’est la place
qu’ils ont dans le cœur des autres. »
Pauline m'a raconté que dans la cuisine de sa grand-mère, il y avait un arbre
généalogique où sa soeur jumelle y était inscrite. Elle préconise : « Il faut
simplement en parler comme n'importe quel autre membre de la famille : un
grand-père décédé, un oncle...Savoir qu'elle a existé, me rassure sur le fait
que j'existe. ».
Fleur explique à propos de sa jumelle : « Elle a sa place dans l'arbre
généalogique mais malheureusement pas dans l'histoire de la famille
150
puisqu'on en parle jamais. Oui c'est important, c'est en la faisant exister qu'on
la détache de moi. Ainsi je n'ai plus à porter la mémoire pour deux, ni à
vivre pour deux, ni à m'identifier par rapport à elle...Je pense que tout aurait
été plus facile si on l'avait fait exister sans lier forcément son existence à ma
naissance. Enfin c'est dur à expliquer...Et puis on ne peut pas faire le deuil de
quelqu'un qui n'existe pas...»
J'étais bouleversée et émue par toutes ces réponses...Elles montrent à
quel point le bébé décédé doit avoir sa place dans l'arbre généalogique afin
que chaque membre de la famille soit à sa juste place.
151
152
Chapitre 6 : Les conséquences transgénérationnelles des deuils périnataux
non-faits ; ces bébés passés sous silence.
N
otre histoire illustre malheureusement à merveille cette problématique
engendrant de nombreuses conséquences. La mort de Pierre et surtout
notre choix de le reconnaître, de l'inscrire dans notre histoire familiale, a mis
en lumière l'existence de sept bébés dans notre entourage. Ces enfants, dont
et Rémi et moi ignorions tout, ont été portés en silence par des coeurs brisés
durant de nombreuses décennies.
153
L'histoire familiale se répéterait-elle ?
Encore il y a quelques jours, nous venions d'apprendre que la grandmère paternelle de Rémi avait, elle aussi, perdu un bébé. Nous ignorons
encore l'âge de Michel quand sa petite soeur est née, mais il s'en souvient
d'après sa femme. Le père de Michel aurait dit : « De toute façon ce n'était
qu'une fille. » Et le petit Michel fut marqué de voir sa mère tout de noir vêtue
ainsi que ce petit cercueil qui l'avait impressionné. Lui avait-on bien expliqué
ce qui se passait ? Lui avait-on laissé le temps de s'exprimer ?
À l'époque, le ressenti des parents n'était pas pris en compte, alors le ressenti
des frères et soeurs, n'en parlons même pas. Comment Michel pouvait-il faire
le deuil de la petite soeur dans ces conditions ? Et une fois devenu papa, il
perd trois bébés dont il ne peut en faire le deuil et une fois devenu papy, il
perd son premier petit-fils dont le deuil n'a pas plus raison d’être.
Quant à la maman de mon mari, elle a perdu trois petits bouts de
choux, trois bébés qu'elle a portés en son sein. Sa souffrance, étouffée sous
une chape de plomb, a été réveillée par la reconnaissance de la mort de notre
fils ; son premier petit-fils. En effet, à la mort de Pierre, elle était très
gentille, soucieuse de mon état. Ce n'est que lors de mon hospitalisation en
urgence que nous avons appris la possibilité de reconnaître le bébé décédé.
C'est exactement à ce moment là que les difficultés sont apparues.
Reconnaître notre fils mettait en lumière qu'elle n'avait pas reconnu ses
propres bébés.
Et ma mamie ? Son premier bébé était un enfant mort-né en 1932.
Etait-ce une fille ? Un garçon ? A-t-il un prénom ? À quel terme est-il mort ?
154
Y a-t-il une trace de sa petite vie ? Comment ma tante a t-elle fait pour garder
ce secret si longtemps ?
Le fait de reconnaître Pierre comme notre premier fils a dû
interpeller notre entourage qui progressivement lève le voile sur des années
de silence, de non-dit.
Nous voyons bien qu'au travers de notre histoire, les conséquences
des
deuils
périnataux
passés
sous
silence
peuvent
empêcher
la
reconnaissance de la souffrance pour les générations suivantes.
Quand va-t-on prendre conscience que le deuil d'un tout petit est
certes un deuil parental, mais aussi un deuil familial ? Je pense que lorsque la
mort d'un tout petit survient, il serait important que l'équipe médicale, dont la
psychologue, propose un soutien à la famille et notamment aux grandsparents puisque ceux-ci ont perdu un petit-enfant. Leur demander ce qu’ils
ressentent, comment font-ils pour aider les jeunes parents...?
Moi, je ne suis pas psychologue et pourtant, je savais bien que ce que
m'avaient dit mes beaux-parents n'était en rien de la maladresse. La suite de
l'histoire, m'a donné raison puisqu'ils n'avaient tous les deux pas pu faire le
deuil de ces tout-petits.
La prise en compte de l'histoire familiale ne doit en aucun cas être
négligée. Il en va de la survie psychologique des familles, de l'équilibre des
couples ! En effet, face à l'incompréhension de certaines personnes, notre
couple a été mis en difficulté et nous avons failli couper les ponts avec
certaines d'entres elles. Combien de mères, de pères, d'enfants ont subi la
tyrannie du tabou autour de ces petites vies ! ? Quand va-t-on arrêter ce
carnage ? !
155
Un deuil parental et familial
Je suis persuadée que les parents ne sont pas les seules personnes à devoir
faire le travail de deuil du bébé mort. En effet, la mort de mon fils m'avait
révélé que j'avais eu du mal à me positionner par rapport à ma soeur aînée.
Ainsi, c'est tout l'entourage familial (grands-parents, oncles, tantes...) qui doit
faire le deuil de ce petit être attendu. Toute notre famille (celle de Rémi et la
mienne) attendait deux enfants pour le 5 novembre. Deux bébés sont nés,
mais l'un d'eux est mort.
Nous souhaitons ardemment avoir d'autres enfants et nous appréhendons la
grossesse suivante. Les personnes, considérant notre petit garçon comme une
erreur de la nature, comme un amas de cellules, ne vont pas réussir à
comprendre que le prochain enfant sera le troisième et pas le deuxième. Ils ne
vont pas saisir également que si le prochain est un garçon, qu'il sera notre
deuxième garçon et pas le premier. Quelle sera leur réaction ? Comment se
comporter face à la négation de l'existence de Pierre ? Et si ma prochaine
grossesse est une grossesse gémellaire ?
En interrogeant Chantal sur le deuil des grands-parents, elle m'a
expliqué que leur attitude variait énormément selon les familles : « aucun
mot sur ce qui s'était passé, aucune allusion à Virginie. J'ai parlé donc 16 ans
après. Et ma belle-mère m'a aussi parlé de tout ce qu'elle avait ressenti et a
désiré venir au cimetière avec moi. J'y suis allée une fois avec elle toute seule
(je n'oublierai jamais ce moment). Elle a beaucoup pleuré à cette époque, m'a
t-elle dit, et ce jour là aussi d'ailleurs et elle m'a demandé pardon. Mon beaupère est décédé avant nos démarches. Elle était très choquée à l'époque aussi
qu'elle ne soit pas baptisée, persuadée que notre fille errait dans les
limbes...Avec mon mari, nous sommes retournés une autre fois avec elle. Ma
156
mère est complètement dans le déni, a reconnu nous avoir laissé vivre " ça "
tout seuls mais que pour elle, Virginie était une fausse couche. Pour mon
père, idem. Je lui ai expliqué que de perdre un enfant à 34 semaines n'était en
rien une fausse couche, qu'on en sort pas indemne mais ça s'est arrêté là...»
Une autre maman m'a confié : « Je ne sais pas, je pense que ça doit être plus
dur pour eux, c'était la première fois qu'ils devenaient grands-parents, je
pense qu'ils s'inquiètent surtout pour nous. »
Laurence maman d'Ulysse et d'Arthur confie : « Je pense que le deuil des
grands-parents est particulier. Nous avons vécu ce deuil en famille étant
donné que tout notre entourage proche a assisté aux funérailles. Malgré tout,
le partage de ce deuil, n'est pas évident et dépend à mon avis de la relation
que tu as avec tes propres parents. Pour ma part, je pense que je n'ai pas eu
beaucoup de soutien, chacun restant un peu cloisonné dans son ressenti. »
Caroline, maman de jumeaux dont le petit garçon est décédé
quelques jours après la naissance, souligne la difficulté du deuil des grandsparents : « Une fois, mon père a raconté mon histoire parce qu’il a eu et a
encore très très mal. C'était son premier petit-fils et même petit-enfant. On lui
a répondu " pourquoi elle se plaint ta fille, il lui en reste un ! !" Comme si un
enfant remplace un autre ! »
157
158
Chapitre 7 : Sarah, une jumelle esseulée ; vivre pour deux ou vivre à moitié ?
M
ais en fait, elle a grandi à côté d'un cadavre » me dit un jour une
amie.
Je n'avais pas vu les choses de ce point de vue. Mais qu'a pu ressentir Sarah
dans mon ventre quand Pierre est mort ? Elle ne devait plus percevoir les
battements de son coeur, il ne répondait plus à ses coups. Il ne bougeait plus.
Son corps flottait comme une masse dure près d'elle. Elle devait ressentir ma
tristesse, mon désarroi, malgré que je lui explique la situation.
Quelles sont les conséquences de la perte d'un jumeau in utero ? Comment
va-t-elle vivre cela ? Quelles seront ses questions et interrogations concernant
son frère ? Comment y répondre ? Ressentira t-elle le manque de son
jumeau ? Et si nous attendons plus tard des jumeaux à nouveau, comment
réagira-t-elle ? Quand elle sera maman à son tour (ce que nous souhaitons
159
bien évidemment) comment va-t-elle gérer sa grossesse ? Et si elle attendait
elle aussi des jumeaux ? Comment a t-elle vécu le va-et-vient entre la joie
qu'elle soit vivante et la douleur de la mort de son frère ? Quelles traces garde
t-elle de l'absence de Pierre ? La considérer comme une jumelle esseulée
n'est-il pas un risque qu'elle ne se voit que comme une moitié ? Comment
gérer une partie de l'entourage qui ne reconnaît pas son frère jumeau ?
« Briser le lien gémellaire par le décès provoqué ou spontané, c’est anéantir
un lien fraternel reconnu socialement comme indestructible. » affirment
Maryse DUMOULIN et Catherine LE GRAND SEBILLE
Faut-il cacher l'existence d'un jumeau in utero ?
Pour nous, il était évident que Pierre ne serait jamais caché à Sarah.
Pour Pierre et pour Sarah. La confiance est la base de toute relation. Nous ne
nous voyions pas occulter volontairement l'existence de Pierre. Si nous en
avions fait un secret de famille, les probabilités que Sarah apprenne un jour
l'existence de son frère jumeau étaient énormes, puisque non seulement la
famille même éloignée était au courant pour les jumeaux, mais en plus, nos
amis et nos collègues respectifs le savaient. En outre, que répondre à la
question : quelle est la cause de sa prématurité ? Nous ne pouvions pas en
escamoter les raisons.
Comment un enfant peut-il se construire s’il existe un secret, un
tabou concernant ses origines et sa naissance ?
Camille, maman de Nadège et Rémy, se soucie des conséquences de la mort
de Rémy sur sa soeur jumelle : « Je suis préoccupée par les questions que
Nadège me posera et se posera. Il est évident pour moi qu'elle connaîtra
l'existence de son frère, même si mon mari est foncièrement contre pour le
moment. Nous avons un peu de temps devant nous pour qu'il se rende
160
compte de l'importance que ça peut avoir pour elle (...). Je ne veux pas qu'un
jour elle se reproche d'être là alors que lui ne l'est pas. » Et elle précise : « Je
ne sais pas quelles traces ces instants vécus ensemble lui laisseront, mais
j'espère être à ses côtés pour lui dire combien ça a été extraordinaire de vivre
ces moments tellement intenses avec son frère, quelle chance nous avons eu
de connaître ce Petit Amour et quel Bonheur c'était pour moi de les voir
gigoter ensemble sur les écrans des échographes. »
Voici le témoignage de Sepia, une jumelle esseulée de 32 ans dont le jumeau
est décédé à trois mois : « Avec mes parents, il est difficile de parler de ce
sujet. Comme de tout ce qui a trait au passé, d'ailleurs. Les réponses sont très
vagues et le sujet clôt dès que possible. Je crois qu'il serait nécessaire d'en
parler, mais comment forcer mes parents à le faire ? Et si en m'en parlant cela
débloquait souvenirs, ressentis, et conséquences ? Mais pour mes parents
parler du passé c'est se poser trop de questions, c'est rester bloqué dans
quelque chose qu'il faut oublier...Très vite je me sens jugée comme celle qui
se crée des problèmes. »
Aurélia a perdu sa jumelle, trois semaines après une naissance prématurée, il
y a 25 ans. Elle déplore la non reconnaissance de sa souffrance (sa soeur
jumelle est un sujet tabou) et qu'elle s'est toujours sentie à l'écart dans sa
famille, ayant l'impression d'être quelqu'un à part.
Même si cela est très difficile, je pense que les parents doivent le
plus tôt possible (in utero) expliquer la situation simplement avec leur coeur.
Les enfants possèdent très tôt la capacité de sentir les choses et il est
préférable pour leur développement de leur dire ce qui se passe. Leur
imagination est sans limite. Croire qu'en ne disant rien, ou en cachant la
vérité, on les protège, est à mon avis une erreur. Certes les enfants ne doivent
pas forcément tout savoir dans le détail, mais leur expliquer simplement le
161
contexte et le pourquoi des choses est nécessaire à leur construction afin de
devenir des adultes.
Stéphane, 43 ans, explique que l'existence de sa soeur jumelle Stéphanie est
difficilement abordée en famille : « On n’en parle pas en famille (...). Au
début, lorsque j’étais perturbé, j’en parlais à ma mère. C’était anecdotique
pour mes frères et sœurs. Mais depuis que je leur ai dit ces derniers mois
combien je souffrais et que je faisais un travail de deuil, ils m’ont tous
soutenus et ont compris ma démarche. »
France 3 avait diffusé un documentaire à propos des grossesses
multiples en mai 2008. Nous l'avions enregistré. Cette émission était très bien
réalisée et on pouvait constater que même s'il y avait une membrane entre les
jumeaux, celle-ci était si fine et si souple que les jumeaux se touchaient. C'est
ce que nous avions admiré lors des échographies.
L'histoire de la grossesse fait partie de l'histoire de Sarah. Le nier ou le
minimiser serait une grave erreur.
Un sujet peu connu
Le sujet du deuil périnatal d'un jumeau est très peu connu et nous
n'avons pas trouvé d'ouvrage pour les parents traitant uniquement de cette
problématique. Certains articles ou chapitres de livre sur le deuil périnatal
consacrent quelques pages à ce deuil particulier. Néanmoins, il y a un réel
manque d'ouvrages de référence pour les parents endeuillés et pour les
jumeaux esseulés. Il existe cependant quelques études forts intéressantes
concernant les jumeaux solitaires réalisées par des étudiants sages-femmes,
infirmiers ou en psychologie. Il existe un forum pour les jumeaux solitaires et
des rubriques spécifiques dans les forums d'associations de parents endeuillés
très bien faites. Néanmoins, ce sujet est si mal connu. En tant que parents
162
endeuillés, nous avons lu ensemble un certain nombre de livres sur le deuil
périnatal, mais certaines questions ou aspects particuliers à la mort pendant la
grossesse ou peu après la naissance d'un jumeau, restent sans réponses.
Fleur, jumelle esseulée dénonce : « Le deuil périnatal en général n'est pas
reconnu, on passe pour des extraterrestres parce qu'un être qu'on a peu connu
nous manque ! Et les gens n'imaginent pas une seconde que le jumeau
survivant puisse avoir des séquelles...C'était " juste un foetus " non ? »
Je n'aime pas utiliser le terme de jumeau survivant. Celui-ci accentue
encore plus la proximité avec la mort. C'est pour cela que je préfère dire que
Sarah est une jumelle esseulée ou solitaire. Des jumelles esseulées m'ont
expliqué qu'elles aussi n'appréciaient pas le terme de survivant puisqu'il
amplifie ce sentiment de culpabilité d'être en vie qu'éprouvent de nombreux
jumeaux esseulés.
Beaucoup de jumeaux solitaires ressentent cruellement le manque de
l'autre jumeau. Cette absence peut provoquer un mal-être. Ils sont souvent
dans une quête sans fin de la fusion. Ils recherchent cette fusion dans les
relations amicales ou amoureuses, ce qui engendre alors des problèmes
relationnels, puisque le partenaire ne sera jamais le jumeau perdu. Un certain
nombre de jumeaux endeuillés ignorent qu'ils ont eu un jumeau (secret de
famille...). Ils peuvent le découvrir par hasard et être tourmentés par des
questions : pourquoi lui est mort et pas moi ? Pourquoi me l'a t-on caché ?
Une jumelle se révolte : « Je me suis sentie en colère parce qu'on me l'avait
caché pour que JE ne me cause pas encore plus de problèmes avec ça ».
Certaines phrases de l'entourage peuvent provoquer de véritables angoisses,
par exemple : « Il n'y avait pas assez d'espace pour deux dans le ventre...,
c'est toi le plus fort,...tu as pris toute la place...»
Le jumeau vivant peut alors culpabiliser et se rendre responsable de la mort
de son frère. Il peut aussi avoir des comportements à risque pour tester, défier
163
la vie. Benoit BAYLE montre de nombreux cas de survivants dans cette
situation. Fleur raconte que sa grand-mère lui a dit quand elle était petite :
« ta jumelle était morte parce que ton frère se servait en premier en oxygène
puis toi et il restait plus rien pour elle...». Pendant des années, elle croyait
qu'elle avait tué sa soeur jumelle...
Les conséquences psychologiques sur le jumeau esseulé peuvent être
nombreuses :
- La culpabilité et la colère :
Parce qu'on a eu plus de chance que l'autre ou que l'on estime avoir a pris sa
place et ainsi provoqué sa mort. Le jumeau peut également se sentir coupable
parce qu'il n'a pas aidé son frère à rester en vie. Un sentiment d'impuissance
peut alors se développer. Il pourra ressentir le besoin d'aider les autres à tout
prix, comme pour réparer le passé.
Sépia témoigne : « Je sais aussi que je veux toujours " sauver " mon
compagnon. Et que c'est peut être en voyant que je ne peux pas le faire que
tout chez lui commence à m'exaspérer...Je sais que c'est lié à la peur, à
l'angoisse, à un besoin de tout contrôler. »
Stéphane avait lui aussi ce besoin d'aider, de réparer en quelque sorte la mort
de sa jumelle Stéphanie il y a 43 ans : « Ce que j’ai compris à la suite de cette
constellation familiale faite, c’est que je recherche à réparer la mort de ma
jumelle en aidant ma compagne à guérir de ses blessures d’enfance.
Longtemps j’ai culpabilisé de sa mort. Je crois que je culpabilise de leur
souffrance et me doit de les aider, comme une mission de vie. Le " pire "
dans tout ça, c’est que je me suis même formé à des techniques
thérapeutiques de relation d’aide. Comme si je ne savais pas déjà faire ! ! »
Allant dans ce sens, Carole explique : « Je ne vis qu’à moitié…Ce qui me fait
164
vivre, c’est quand je peux aider les autres. Dès qu’un ami a une baisse de
moral, je vais l’aider, mais en principe on vient directement vers moi ! »
Pauline confirme également ce sentiment de culpabilité : « Pourquoi c'est
moi qui suis toute seule ? Pourquoi c'est moi la plus petite qui aie survécu ? »
Elle confie de façon bouleversante sa colère : « J'ai une grande colère envers
Julie. Je refusais de me dire qu'elle avait une influence dans ma vie. Ma
colère est partie de là. Comment parler d'elle alors qu'elle n'est pas là. C'est
fou ? ! Pourquoi ne s'est-elle pas battue ? C'était elle la plus grosse de nous
deux, pourquoi m'a-t-elle abandonné ? C'est dégueulasse ! Je ne supporte pas
qu'on m'abandonne. J'ai l'impression de ne pas l'avoir assez coachée.
Pourquoi devrais-je continuer ? Autour de la date théorique de la naissance à
deux mois, je me suis laissée dépérir en refusant de m'alimenter. J'ai été mise
sous perfusion. »
Voici le témoignage très touchant de Stéphane : « J'ai longtemps cru l’avoir
tué, ingéré, intégré dans mon corps. J'ai parlé de mes ressentis, de sa
présence, de mes visions. Que je ne savais plus qui était qui…Puis ça c’est
atténué vers l’âge de 20 ou 22 ans. Peut-être est-ce en rapport avec la
rencontre de mon ex-femme ? Elle correspond un peu à l’image que je me
faisais de Stéphanie ? ! Forte devant les autres, et moi seul connaissant ses
vraies faiblesses. » Sa mère souhaitait donner le prénom de Stéphanie à la
fille et appeler le garçon Noël. Mais quand la jumelle est décédée, les parents
lui ont donné le prénom destiné à sa jumelle. Stéphane avait compris qu'il
avait besoin de faire le deuil de sa jumelle : « Tu n’y es pour rien. Je n’y suis
pour rien. Je te laisse partir où tu as choisi d’aller et sache que tu seras
toujours dans mon cœur, tout près… Je veux vivre ma vie en étant à MA
PLACE, comme toi tu es à TA PLACE. Un jour je te rejoindrai, c’est sûr, là
où tu es. Et aujourd’hui je suis vivant et je veux vivre pleinement tout ce que
j’ai à vivre. J’ai à partager mes joies avec tous ceux qui m’entourent et
165
m’autoriser à être Libre, pour enfin vivre une vraie relation d’amour avec la
femme que je rencontrerai bientôt…» Il organisa alors une cérémonie ainsi
qu'une plaque en l'honneur de sa jumelle.
- La solitude et le complexe d'abandon :
Le jumeau esseulé cherche souvent une relation gémellaire autour de ses
proches. Il peut se sentir incompris par les autres. Une jumelle témoigne :
« Pour ma part, je pense très souvent à Camille, et quand tout va mal, je
pense encore plus à elle et je regrette encore plus son absence. Je me dis que
tout serait plus simple si elle était là, que elle, elle saurait comment faire. J'ai
en fait l'impression d'être une moitié de personne, de ne vivre qu'à moitié. Il
manque quelque chose pour que je puisse vivre pleinement. » m’expliquait
Sarah, une jumelle esseulée de 21 ans.
J'ai relevé de nombreux problèmes relationnels (amis, famille et
couple). Sépia témoigne de cette difficulté : « Une incapacité à être bien à
deux. Une tendance à vivre pour l’autre. À vouloir la fusion et à paniquer, à
être terriblement triste (...). Et alors, à me mettre en colère parce que c’est la
seule émotion que je suis capable d’exprimer, surtout en couple. Ce qui met
en péril ma relation. »
Pauline ressent de façon très intense un fort complexe d'abandon : « Il y a un
complexe d'abandon très fort en moi. Je suis persuadée que quand les gens
me quittent, je ne les verrai plus. Je ne supporte pas que l'on me quitte. Je
recherche sans cesse la fusion. Le désir de retrouver son miroir est très
grand ; mais cela peut être une grande qualité. En effet, cela me donne une
très grande capacité d'adaptation aux gens. »
- La fusion et la jalousie :
Marine raconte à propos des relations amoureuses : « J'avais l'impression
d'une énorme contradiction : des colères pour qu'il s'en aille car je ne pouvais
166
pas l'aider (impression d'être inutile, coupable de son mal-être etc.), et à la
fois l'angoisse qu'il me quitte. Comme si je voulais qu'il soit dans la position
de ma jumelle : qu'il parte... mais surtout qu'il revienne ! Qu'il m'abandonne
mais qu'il revienne, comme j'aurais voulu que ma jumelle revienne. »
Sarah témoigne : « J'ai en fait l'impression d'être une moitié de personne, de
ne vivre qu'à moitié. Il manque quelque chose pour que je puisse vivre
pleinement. »
- Un sentiment d'ambivalence entre la vie et la mort :
Sépia analyse les conséquences de la perte in utero de son jumeau : « C’est
fou comme cet évènement semble avoir eu des conséquences sur ma vie
amoureuse, mais aussi sur ma vie de maman. Saviez-vous qu’apparemment,
ce que j’ai vécu à la naissance de mon fils était lié à ça. Ce n’est que quand la
pédopsychiatre m’a fait parler de cet évènement que j’ai pu commencer le
lien avec mon fils. » À la naissance de son bébé, cette jeune femme avait eu
des problèmes relationnels qui avaient nécessité une prise en charge
psychologique.
Certains peuvent avoir des idées suicidaires, signe intense de mal-être.
D'autres peuvent vouloir retrouver le jumeau décédé en imaginant avoir des
relations homosexuelles : « J’ai eu le fantasme de vivre des expériences
sexuelles avec un homme comme si je voulais être elle. »
Carole décrit ce qu'elle ressent au sujet de la vie et de le mort : « Déjà pour
moi, la mort fait partie de la vie. Tout comme la naissance, c’est le début et la
fin de la vie, donc ça en fait partie. Je me passionne pour ce sujet depuis que
j’ai fait ma dépression suite à la séparation de mes parents et où on m’a tout
appris en bloc...»
Fleur analyse sa relation entre la vie et la mort : « Aujourd'hui une relation
assez apaisée, j'ai longtemps tenté la mort et pensé que je ne méritais pas de
167
vivre. Je me sens encore quelques fois " en sursis ". Mais au final, je suis
sereine. En grande matérialiste et épicurienne, je vis plutôt au jour le jour.
Athée, je pense que la vie est un fait biologique et qu'au final, elle est ce
qu'on en fait. Quand à la mort c'est quelque chose d'inexorable qui arrivera
quand elle arrivera. Je ne cherche pas à me préoccuper avec quelque chose
que je ne peux pas contrôler. Enfin c'est en ce qui concerne ma mort, bien
moins dure puisqu'il n'y a pas d'après selon moi. Par contre, j'ai très peur de
perdre un proche parce que je devrai vivre avec cette perte...»
Attendrissante, Pauline témoigne elle aussi de cette ambivalence : « J'ai d'un
coup un terrible appétit d'amour de la vie, et l'instant d'après un grand
désespoir, une envie de la rejoindre...Quand on perd son grand-père, un oncle
c'est logique, c'est dans l'ordre des choses. Mais pour un jumeau, la mort de
son miroir est irrationnelle, illogique. Je vais rarement aux enterrements de la
famille parce que pour moi c'est insensé ; J'ai un dégoût pour tout ce qui
représente la mort. J'ai du mal à croire que je vais la revoir. »
Face à cette ambivalence entre la vie et la mort, Marine observe : « C'est
quelque chose qui me tracasse depuis longtemps, y ayant été confrontée à
deux reprises...Je dois dire que là aussi j'ai des sentiments très ambivalents
vis-à-vis de la vie et de la mort. J'aime la vie, je la croque à pleines dents
parce qu'elle est belle et qu'elle vaut la peine d'être vécue malgré les épreuves
qu'elle nous impose. Et en même temps la mort ne me fait pas peur. Je me dis
qu'il y a un lieu quelque part, paisible, où l'on retrouve les êtres chers que l'on
a perdu. Mais parfois la mort m’envahie, j'ai presque quotidiennement des
flashs où je me vois mourir dans toutes sortes de situations (quand je suis en
voiture, dans le métro, sur un trottoir, dans un magasin...). Ça vient comme
ça et ça repart aussitôt. Je n'ai pas le contrôle dessus. Et la seule chose que je
ressens à ce moment là, c'est l'impression d'être folle et aussi la tristesse que
mes proches pourraient ressentir si je mourrais. Mais pas du tout la peur de
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mourir pour moi, bizarre...Je n'ai presque jamais parlé de ça, ça me fait
peur...»
Être jumelle esseulée et devenir maman
En travaillant sur moi, je me suis rendue compte que l’existence de
ma sœur avait eu des conséquences inconscientes sur mon désir de maternité.
Je m'interroge donc sur les grossesses des jumelles esseulées. Comment
vivent-elles cela ? Appréhendent-elles d'avoir elles aussi des jumeaux ?
Comment gérer alors ? En recueillant les témoignages de jumelles, je me
rendais compte que leur grossesse était un sujet problématique. Devenir
maman à leur tour engendrait pas mal de réflexions. « Parmi mes angoisses,
il y en a une qui revient régulièrement : la peur de tomber enceinte. » confie
Sepia.
À ces questions, Sarah 21 ans m'a expliqué : « J'ai déjà pensé à ma
réaction si j'étais un jour enceinte de jumeaux. Je pense que je serais partagée
entre bonheur et appréhension. J'aurais peur d'en perdre un, et que le
survivant vive ce que j'ai vécu. Je crois aussi que j'aurais tendance à ne pas
les séparer, pour qu'ils vivent la relation que je n'ai pu avoir avec ma propre
jumelle. » Une autre jumelle me répondit : « Oui, j'y ai déjà pensé et je ne
sais pas trop comment je réagirais. D'un côté je serai très heureuse parce
qu'honnêtement j'adorerais avoir des jumeaux. D'un autre côté je serais très
angoissée de perdre l'un d'entre eux, et je pense que je les étoufferais trop à
avoir peur. J'aurais aussi peut être tendance à essayer de leur faire vivre ce
que moi je n'ai pas vécu et je ne pense pas que ce soit bien pour eux. »
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Carole, 20 ans, m'a répondu « J’y ai déjà pensé, car j’ai hâte d’avoir des
enfants, de pouvoir leur donner le bonheur qu’une mère peut apporter et que
je n’ai pas eu dans mon enfance...Je voudrais avoir 3 / 4 enfants assez
proches, pour qu’ils soit très complices. L’idéal serait deux enfants et des
jumeaux pour ma part, qu’ils puissent vivre ce que je n’ai pas pu vivre. Je ne
veux pas vivre leur gémellité, je veux qu’ils vivent un bonheur que je n’ai eu
qu’a moitié. »
Pauline, 21ans, a elle aussi ce désir très fort de maternité : « J'ai très envie
d'être maman, de materner, j'ai envie d'avoir une grande famille, besoin de
donner la vie coûte que coûte. »
Marine témoigne : « L'éventualité d'avoir des jumeaux m'inspire des
sentiments très ambivalents, à la fois une véritable envie car ça doit être
merveilleux (ma mère m'a toujours raconté le souvenir merveilleux qu'elle a
de cette grossesse gémellaire, c'est ce souvenir qu'elle veut garder, pas l'issue
tragique...) et à la fois une peur tenace de revivre de ce que j'ai vécu...»
Fleur nous confie à propos de son désir de maternité : « j'angoisse mais si
c'est un singleton je pense que ça ira. Je me renseigne beaucoup et au final je
suis impatiente. Par contre des jumeaux ou plus, ce sera une angoisse
permanente jusqu'à la naissance. J'espère que ce ne sera pas le cas...»
Certaines jumelles esseulées peuvent être angoissées à l'idée d'être stériles.
« J'ai la terreur d'être stérile ! De temps en temps j'y pense et j'ai des bouffées
d'angoisse. Je crois que je perdrais complètement un sens à ma vie si ça
s'avérait. » avoue l'une d'elles.
Donner la vie, pour certaines, est une sorte de revanche sur la vie, une façon
de réparer ce qui a été cassé. Mais cela peut engendrer des problèmes puisque
le bébé de la jumelle esseulée remplira un rôle soit de réparateur, soit de
remplacement du jumeau perdu voire de l'incarner.
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Sepia raconte de façon poignante l'impact qu'a eu la perte de son jumeau : «
La première question que je me suis posée en tombant enceinte a été
" Combien de bébé(s) ? ". Très vite, on a vu qu’il n’y en avait qu’un. J’ai été
soulagée et un peu déçue, aussi. Mon fils a été conçu à la même période que
moi. La date prévue de l’accouchement était celle de mon anniversaire. Dans
les premiers mois, suite à un voyage trop long, j’ai eu un décollement du
placenta. Je reproduisais un peu le schéma de ma mère… Après ça, j’ai
terriblement redouté la date qui pour moi était celle de la mort de mon
jumeau. La nuit du 27 au 28, j’ai fait un terrible malaise, encore inexpliqué
aujourd’hui. J’ai terriblement mal vécu mon accouchement. Je sais que je ne
voulais pas vraiment faire sortir le bébé, sans doute parce que je n’avais pas
réglé certaines choses avec moi-même. Donner la vie et la mort était
terriblement lié en moi, à ce moment là. Et mon fils a failli mourir, à cause de
moi, deux jours après l’accouchement. J’ai eu des troubles de l’attachement
qui m’ont valu une hospitalisation de trois mois. Mon fils allait mourir si je le
touchais…Ce n’est que le jour où j’ai parlé de mon jumeau à la
pédopsychiatre que cela s’est débloqué en moi. Pire, ce jour-là, je me suis
tournée vers mon fils parce que je me disais qu’il était la réincarnation de
mon jumeau. »
Les jumeaux esseulés et leur fratrie
Une autre problématique se posait à mes yeux : quelles sont les
relations entre les jumeaux esseulés et autres membres de la fratrie ?
Comment notre puce allait accueillir notre prochain bébé ? Et si c'était des
jumeaux ? Sarah, 21 ans, me confia : « J'ai une grande soeur et un petit frère.
Quand on était petits et qu'il y avait des disputes, la plupart du temps c'était
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moi seule contre eux. La naissance de mon frère, lorsque j'avais 5 ans, a
surtout été difficile à encaisser. Du haut de mes 5 ans, je ne supportais pas
mon frère...Il captait l'attention de tout le monde. Et lorsque je faisais des
dessins de ma famille pour ma mère, je ne l'incluais pas, si bien que ma mère
me disait que si je ne dessinais pas mon frère, elle n'accepterait pas mes
dessins. Et au fur et à mesure qu'il grandissait, j'avais l'impression qu'il n'en
avait pas le droit (exemple, lorsqu'il a appris à écrire, à lire etc.). Je n'ai
réalisé que récemment que d'une certaine manière et inconsciemment, je
trouvais injuste que lui soit là, en train de grandir et en bonne santé alors que
ma soeur jumelle n'avait pas eu sa chance. (attention, malgré tout je jouais
quand même avec mon frère). Avec ma soeur c'était une relation soeur aînée
/ soeur cadette toute simple. »
Carole, a un petit frère de 7 ans plus jeune. Tous les deux ont perdu un
jumeau in utero : « Mon frère et moi sommes extrêmement proches, bien que
7 ans nous séparent. Il nous arrive de dire la même chose, de penser pareil,
on s’entend a merveille ! Mon frère, c’est presque comme la jumelle que
j’aurais dû avoir. C’est mon jumeau différé dans le temps (...). J’adore mon
frère et quand il est parti vivre chez notre père, je n’ai pas arrêté de pleurer, et
je n’ai pas pu expliquer pourquoi à ma mère. Dans ma tête, j’avais toujours la
même phrase " j’ai perdu mon jumeau, j’ai perdu mon jumeau, …". Voilà,
j’adore mon frère et je pense que c’est réciproque ! (...). J’avais pas mal suivi
la grossesse de ma maman, comme si j’avais peur que le deuxième bébé parte
aussi. Durant le dernier mois, je préparais des dessins, des jeux et un tas
d’autres choses, pour que le bébé joue avec moi ! Pourtant, à 7 ans, je savais
très bien qu’il n’allait pas jouer avec moi à la corde à sauter et faire des
labyrinthes…Dans ma tête, je pensais que c’était ma jumelle qui allait venir
et quand j’ai vu mon petit frère à la clinique, j’ai été un peu déçue, mais pas
étonnée…Du coup je me suis occupée de mon frère comme si c’était mon
jumeau, mais avec 7 ans d’écart ! »
172
Pauline, 21 ans, a perdu sa sœur jumelle Julie 7 jours après leur naissance
prématurée de 2 mois. Elle décrit ses relations avec sa petite sœur de 2 ans sa
cadette et avec son petit frère : « Je suis très protectrice avec eux. J'ai très
peur qu'il arrive quelque chose. On me reproche de ne pas les laisser grandir.
Avec ma sœur, on est un peu rivales. Je lui en voulais parce qu'elle ne me
ressemblait pas. Par contre, mon frère, je le couve beaucoup. »
L'histoire de Fleur est assez complexe : sa maman attendait des
triplés. Deux filles et un garçon. Malheureusement une des jumelles est
décédée in utero à 36 SA. Concernant ses rapports à la fratrie, Fleur me
répond : « Je suis très complice avec ma sœur aînée mais rien de très
particulier. Elle a toujours été mon exemple, je ne me suis jamais comportée
avec elle autrement qu'en petite sœur, pas de confusion avec Brigitte. Après
j'ai certainement été plus consciente que je peux la perdre, mais cela n'a pas
la même proportion qu'avec mon jumeau. Avec mon jumeau, c'est très
étrange. D'un côté, nous sommes très attachés l'un à l'autre, nous avons
besoin de la présence de l'autre. On souffre quand l'autre souffre...D'un autre,
on se chamaille sans arrêt, on se parle très rarement...On a que très peu de
choses en commun et souvent il m’insupporte sans vraiment que je sache
pourquoi...Mais je l'adore quand même, je ne supporterai pas de le perdre.
L'angoisse de le perdre est bien plus forte qu'avec ma sœur aînée, même si je
suis plus complice avec elle. »
Quelles relations entre le jumeau en vie et ses parents ?
Certains parents peuvent penser que la perte in utero du jumeau n'a
pas d'impact et que ressasser le passé n'est pas une bonne chose. Face à cette
173
attitude, une jumelle solitaire explique que l'on déterre le passé si l'on sent
que les histoires continuent à avoir un impact négatif sur la vie actuelle.
Chaque histoire que l'on déterre pour l'enterrer correctement permet alors de
profiter mieux du moment présent, puisque la blessure est cicatrisée.
J'estime que, tout comme les parents et l'entourage, le jumeau esseulé
doit pouvoir faire le deuil de son jumeau. Deuil possible, si l'existence de son
frère n'est pas tabou, si l'histoire de sa vie est racontée en vérité. La
verbalisation du deuil peut donc s'avérer nécessaire. Une maman expliquait
que lors de la crémation du jumeau décédé elle avait parlé à la jumelle
vivante : « Hier, nous lui avons expliqué pourquoi maman et papa étaient
tristes, ce qu'on avait fait pour son jumeau. Pour nous, tout dire était vraiment
important. Même si elle ne comprend pas nos mots, elle ressent notre
intonation et nos sentiments puissance mille. »
Les parents peuvent se demander s'il faut souvent parler du jumeau décédé. À
cette question, une jumelle solitaire répond qu'il ne faut pas tout le temps en
parler, car sinon il risque de se dire il aurait mieux valu que ce soit lui qui
vive que moi. C'est un équilibre très difficile à trouver.
Marine souligne que le fait que le jumeau esseulé soit au courant le plus tôt
possible n'évite pas certains problèmes.
Or, de nombreux parents qui ont perdu un jumeau se retrouvent
démunis devant le jumeau esseulé et ne savent pas comment s'y prendre pour
lui dire.
Bouleversante, Sépia témoigne de la difficulté à dialoguer avec ses parents :
« D’après les discussions que j’ai eues avec d’autres parents qui ont perdu un
bébé (parfois lors de grossesses gémellaires), j’en suis venue à la conclusion
que ce jumeau n’avait jamais vraiment existé pour eux. Pas besoin d’en faire
le deuil, apparemment. Où alors, ils refoulent complètement ce que cela
suscite chez eux. Ils voudraient que j’en fasse de même, que je n’accorde pas
d’importance à cette histoire. C’est comme s’ils ne m’autorisaient pas à
174
reconnaître mon jumeau et à en faire le deuil. Alors que je suis de plus en
plus convaincue que lui donner sa juste place, c’est me donner ma juste
place. C’est très culpabilisant. Je me souviens de la première fois que j’ai
parlée de cela avec quelqu’un. C’était cette fameuse discussion avec mon
frère (où, pour moi, il m’a appris l’existence de mon jumeau). J’ai le
souvenir, peut-être faux, que mon frère m’a dit : " Ils ne t’en ont jamais parlé
parce qu’ils ne voulaient pas que tu te crées des problèmes avec ça. " Et pour
moi, c’est ça qu’ils pensent : je me crée des problèmes. J’en suis encore plus
convaincue, après l’échange de courriels que nous avons eu. Faire le deuil,
c’est leur désobéir. Ne pas y arriver, c’est leur désobéir également. Cela me
met dans une double contrainte et c’est intenable. En fait, en réagissant ainsi,
ils empêchent ou ils retardent mon deuil…Et je pense même qu’ils rendent
tout beaucoup plus difficile pour moi. »
Carole témoigne de façon émouvante également de cette difficulté à discuter
sur le vécu de la grossesse : « Aujourd'hui, je triais des affaires avec ma mère
et nous sommes tombées sur un livre de suivi de grossesse qu'elle avait. J'en
ai profité pour poser la question. Elle m'a confirmé que j'avais une jumelle et
mon frère un jumeaux. Je lui ai demandé comment elle l'a su. Les médecins
lui ont annoncé les deux fois qu'un jumeau était partit comme ça, avec un
signe de la main vers le bas. Puis elle s'est retournée pour trier d'autres
affaires. Elle n'a pas dit un mot et répondait toujours par des réponses
courtes. Du coup, je n'ai pas voulu insister de peur de la gêner...Pourtant
j'aimerais bien partager ce sujet avec elle, mais j'ai peur...J'aimerais tellement
en parler avec elle, mais je ne sais pas comment m'y prendre. J'ai l'impression
qu'elle évite le sujet à chaque fois et ça me fait mal...» Et elle ajoute : « Je me
suis mise à sa place, et j’ai essayé de ressentir ce qu’elle a pu ressentir depuis
le début de sa première grossesse. Je me suis imaginée qu’elle avait eu
beaucoup de peine et qu’elle n’avait pas fait son deuil. Pourtant quand j’en ai
175
parlé avec elle, ça ne l'a pas gênée. Pour elle, ça arrivait de faire des fausses
couches, donc tant que le bébé n’était pas né, elle ne s’y attachait pas…»
Pauline explique que sa mère a besoin : « d'une relation fusionnelle
permanente que je rejette. J'ai besoin de montrer que j'ai ma vie, de marquer
ma différence. Quand on a perdu un jumeau, on a perdu un miroir. On se sent
très seul. C'est une solitude permanente. Plus on en prend conscience, plus ça
fait mal. Personne ne peut combler cette solitude. On a beaucoup d'amour à
donner et ce trop plein d'amour peut étouffer, car l'autre n'est pas là. »
L'existence de sa soeur est tabou dans la famille : « L'existence de Julie n'est
pas abordée en famille. On n'en parle pas. J'ai dû mener ma petite enquête et
j'ai retrouvé des photos de Julie. On m'a longtemps dit qu'elle était morte à
cause d'une erreur médicale. Or c'était faux ! C'est tellement important d'en
parler, de dire, d'avoir un endroit pour se recueillir. »
Stéphane témoigne de ses relations avec ses parents : « Avec ma mère ça a
été longtemps fusionnel. C’est elle qui m’a adressé à un psychiatre la
première fois il y a 12 ou 13 ans. J’avais 31 ans. Je m’en suis détaché
depuis…Je lui ai dit en particulier ce que je comptais faire cette année pour
ma cérémonie de deuil. Elle ne pouvait se déplacer sur Paris. Je crois que ça
lui aurait fait du bien. En effet, ça lui a fait du bien que je l’appelle après
pour lui dire comment ça s’était passé…»
Fleur explique pourquoi ses parents ont du mal à parler : « Moi, j'ai quelque
part de la chance puisque mes parents ont reconnu l'existence de ma sœur.
Elle est inscrite sur le livret de famille, dans l'arbre généalogique etc. Mais
l'entourage et les médecins n'ont pas dû les pousser à en parler, au contraire.
Si bien qu'eux-mêmes ont intériorisé leur peine. Moi, le peu de fois où ma
mère m'en a parlé, elle m'a dit " J'étais triste, mais je vous avais vous. Toi et
ton frère, donc j'étais heureuse "...Sauf que j'aurais préféré qu'elle se laisse
être complètement triste pour ensuite nous accompagner nous-même dans
notre deuil, le sien ayant été fait...Je ne pense pas que quelqu'un ait dit à ma
176
mère que cela pouvait avoir des conséquences sur nous. Elle n'a pas, à
l'époque,
rencontré
d'autres
parents
de
jumeaux
esseulés,
ni
de
spécialistes...Bref, ma mère ne s'est laissée ni le droit, ni le temps de faire son
deuil. C'est pour ça qu'il est difficile d'en parler, ça lui fait mal encore 20 ans
après...»
Je ne me rendais pas compte que les jumeaux esseulés pouvaient
également avoir du mal à parler avec leurs parents de ce qui s'est passé. « Je
pense que si j'osais en parler à mes parents, ils seraient à l'écoute Surtout ma
maman. Le problème c'est que je n'arrive pas à en parler. Ça me fait trop de
mal, et puis j'ai peur de faire du mal à mes parents. J'ai peur qu'ils
culpabilisent de ne pas avoir vu que je souffrais. » m'expliquait une jumelle.
Fleur avoue : « Je suis incapable d'en parler avec les principaux concernés :
mes parents et mon frère... .» Elle souligne la difficulté de parler avec sa
mère : « il est de plus en plus difficile de dialoguer avec elle. En plus comme
elle n'a pas fait son deuil, je sais que je la ferai pleurer...Mon père ne m'en a
jamais parlé et mon frère non plus. ».
Dépasser cet événement de vie
Le compte-rendu d'un colloque le13 février 2004, ayant pour sujet la
mort périnatale d'un jumeau a été organisé par l’association Vivre son Deuil,
le Groupe d’Aide au Deuil Périnatal de Liège et le C.H.R. de la Citadelle de
Liège. Ce compte-rendu a été rédigé par Chantal RUAUD. Il y est souligné
que : « Pour l'enfant, perdre son jumeau, c'est la perte d'une relation intra
utérine, c'est une rupture. Il devient le jumeau solitaire. Quelles traces peut
avoir cette absence ? Il peut être confronté à une ambivalence : joie d'être en
vie, tristesse de l'absence (présente à chaque événement de vie). Il est
177
confronté à la mort de l'autre et renvoyé à sa propre mort. Est-il complet
quand il est seul ou quand il est double ? Il peut se sentir coupable d'exister,
de vivre en sursis. Perdre son jumeau n'est pas une maladie mais un
évènement de vie, un événement de vie fondateur qu'il lui faudra dépasser. »
Quand j'ai demandé à Marine si elle avait l'impression de vivre pour deux ou
à moitié, elle m'a répondu: «Là encore c'est délicat... Je suis une moitié qui
vit pour deux ! Je ne sais pas trop...Non, je pense me sentir entière, complète.
Quoique il m'arrive souvent d'imaginer que la seule chose qui pourrait
réparer ma blessure, mon manque, ma faille c'est de porter un bébé dans mon
ventre, là je serais entière et complète... À creuser ! C'est quelque chose que
je dois absolument régler avant d'envisager une grossesse, mon bébé devra
être distinct de ma jumelle, je devrais lui donner sa place et sa liberté, pour
l'instant j'ai encore trop peur d'être une maman envahissante, une mère
pathologique qui enferme son enfant et oublie tout le reste, ça me fait peur, je
ne veux pas être comme ça... Sinon oui je croque la vie, je cueille les jours, je
fais mille choses, je vis à 100 à l'heure, je ne m'arrête jamais (c'est le
désespoir de mon mari...), je me dis que si j'ai la chance d'avoir survécu alors
il faut que je fonce, que j'en que j'en profite ! »
178
Chapitre 8 : L'entourage ; face à une réalité qui dérange
C
omme je l'ai déjà expliqué, l'entourage, qu'il soit médical ou familial,
est très souvent l'objet de la colère des parents. Face à l'injustice la plus
extrême : celle de perdre leur enfant, les parents ont besoin que la violence de
l'évènement douloureux sorte d'une façon ou d'une autre.
La colère est une étape du travail de deuil. Les parents se sentent incompris
ce qui les renvoie à leur solitude. Voici le cri de désespoir, cinq mois après la
naissance, d'une maman ayant perdu un jumeau à 31 SA « J'ai envie de crier
autour de moi, on ne comprend pas pourquoi je pleure encore le décès de
mon fils ; c'est mon bébé que j'ai perdu, le frère jumeau de J... et il me
manque. J'ai tellement eu de paroles blessantes dans mon entourage que je ne
sais plus à qui je peux en parler et je me sens tellement seule...»
179
Une autre maman témoigne par rapport à son entourage : « Et comment
peuvent-ils savoir si je devrais être heureuse ou pas ? Au nom de quoi ? Estce qu'ils imaginent seulement ce que je vis ? Non, parce qu'on ne peut pas
l'imaginer, tout simplement. Et pour beaucoup, un bébé que personne n'a
connu, ce n'est rien..., " tu es jeune, tu en auras d'autres "...et j'en passe…»
L'entourage va réagir de différentes façons : des personnes que l'on
croyait proches vont nous décevoir, d'autres que l'on ne connaissaient à peine
vont se révéler compatissantes. Camille, maman de Nadège et Rémy résume
bien cette diversité des attitudes concernant l'entourage : « En fait, il y a les
gens qui ont eu du mal à ce que je leur en parle au début et qui acceptent
mieux maintenant. Il y a ceux qui ignorent cette vie et il y a ceux à qui je
peux en parler comme je veux. Par ailleurs il y a les " indélicats " : ma belle
mère, il y a peu, en me parlant du baptême de Nadège m'a dit " ce n'est quand
même pas parce que tu as eu une petite malchance que tu ne vas pas faire
baptiser ta fille ". Je crois que il n'y a rien que l'on puisse répondre à ça.
Imaginez la blessure pour moi...Je savais que la mort est un sujet difficile,
mais je me suis rendue compte que la mort d'un enfant est très tabou. »
En tant que parents endeuillés, nous avons également à faire le deuil de notre
vie telle qu'elle était. Plus rien ne sera comme avant. Ce que nous avons vécu
nous a changé, et cela peut-être assez difficile à admettre. Il est impossible de
faire comme si rien ne s’était passé. Dans un sens comme dans l’autre. Le
déni de la réalité est pathologique.
Camille explique : « Ca fait partie de moi, je ne serais plus jamais la même,
autant par la présence de Nadège que par l'absence de Rémy. Or il y a bien
plus de personnes qui savent ce que c'est de devenir Maman, que de
personnes qui savent ce que c'est que de perdre un enfant. Personne d'autre
que nous qui le vivons ne peut savoir, ni comprendre je crois. » Les choses
seront différentes. Ce que nous avons vécu, nous a changé. Les relations
180
changent. Plus rien ne sera comme avant : « Nous avons fait le tri dans nos
carnets d'adresses. » résume amèrement une maman.
Une autre maman confiait tristement : « Quand à leur réaction par rapport à
ma fille, c'était comme si j'avais fais une fausse couche. Horrible. Aucun
attachement. J'ai eu des réflexions terribles qui viennent pourtant de ma
grand-mère. Je cite " la nature est bien faite. Elle te laisse un garçon comme
tu as déjà une fille. C'est le choix du roi". Sur le coup j'avais envie de la
gifler. (...) Et mon père me disait d'arrêter de penser à elle, que j'avais un fils
et que la vie continuait. Bien sûr qu'elle continuait la vie mais personne n'a
pensé qu’ il y avait un deuil à faire. J'ai d'ailleurs mis longtemps à le faire car
à part les amis, personne à qui en parler. Et je ne vais pas leur en parler à
chaque visite donc j'ai tout gardé en moi. Avec mon mari nous en parlons
rarement, c'est un peu tabou. »
Christelle m'a répondu : « l'entourage de mon côté a essayé d'être présent, du
côté du papa pas du tout. C'est un sujet tabou. Certains disent que ce n'est
qu'un bébé, que c'est comme une simple fausse couche (...) Certains me
disent c'est pas grave, tu as Baptiste, d'autres encore disent tu en auras
d’autres, tu es jeune. »
Elodie, la maman de Léo et Louka témoigne attristée : « Les réactions ont été
très différentes selon les personnes. Certaines, comme ma mère a crié ou
hurlé en imaginant notre souffrance et celle de Léo, d'autres ne se sont
quasiment pas manifestées. Mais le plus difficile c’est les réflexions des
gens. Ceux qui veulent essayer de comprendre et qui ne comprendront
jamais. « C’est pas grave, vous en avez un autre », ou, « c'est mieux qu'il soit
décédé maintenant vous n'avez pas eu le temps de vous y attacher », « vous
en ferez un autre »...La douleur est déjà difficile à supporter mais chaque
réflexion de ce type nous rend encore plus malheureux. »
Je crois qu'on ne peut pas être plus clair...
181
Et puis, il y a ceux qui restent malgré tout. Cela n'est pas facile pour
eux, car ils sont constamment sur le fil du rasoir. La moindre phrase peut
engendrer des catastrophes. Mais les parents endeuillés éprouveront une
profonde reconnaissance et leur gratitude sera infinie.
Il y a des remarques qui, malgré la bonne volonté, vont déclencher la colère
et la peine:
- « Ce n'est pas grave, vous êtes encore jeunes. »
La jeunesse des parents ne ramènera pas le bébé mort. Et si, c'est grave, notre
enfant est mort ! Ce n'est pas dans l'ordre des choses.
- « C'est moins grave que si vous aviez vécu avec lui. Il vaut mieux ça
maintenant que plus tard. »
J'ignorais qu'il y avait un moment préférable pour perdre son enfant ! Et
même si vous le pensez, demandez-vous simplement si ce genre de réflexion
est judicieuse et peut apporter quelque chose aux parents alors qu'ils
cherchent désespérément la reconnaissance de leur petit.
- « Arrête d'y penser ! Il faut oublier et penser à l'avenir. »
Effectivement l'enfant décédé ne reviendra pas. Mais occulter la réalité est
impossible et avant d'évoquer l'avenir, il convient de vivre le présent.
- « C'est peut-être mieux comme ça »
Ah bon ? Mon enfant est mort et c'est mieux comme ça ! Réfléchissez et vous
constaterez que cela n'a aucun sens.
- « La nature a fait son travail de sélection, il n'était pas viable » « Il aurait
été lourdement handicapé. » Dire ce genre de choses si le bébé était porteur
d' handicap grave ou incurable n'apaise pas les parents et n'atténue pas leur
douleur. Qu'il soit handicapé ou non les parents aiment ce petit qui vient de
mourir. Et le travail de deuil doit être favorisé.
- « Vous en aurez d'autres. »
182
Cela n'est jamais certain... il s'agit de pleurer celui qu'on vient de perdre et de
faire le travail de deuil. Chaque enfant est unique et les prochains ne doivent
pas remplacer le mort.
- « Elever des jumeaux c'est beaucoup de travail. »
C'est vrai, mais nous les aimions tous les deux et nous les voulions tous les
deux.
- « Au moins il t'en reste un. »
Certes, un des deux jumeaux a survécu, mais nous avons perdu un bébé et
notre peine n'en est pas diminuée. Si quelqu'un perd un bras, certes c'est
mieux que de perdre les deux, mais ce bras absent va lui manquer toute sa vie
et je vois mal ses proches lui dire « bah, il t'en reste un sur les deux. »
Toutes ces réflexions étaient très fréquentes dans les années 70 (et
malheureusement encore aujourd'hui) De nombreuses mères les ont
entendues. Elles ont dû endurer leurs souffrances seules. Très seules. Cela
peut expliquer que les mentalités soient longues à changer. Néanmoins, les
problèmes de générations ne justifient pas tout. En effet, bon nombre de
personnes de la génération précédente voire celle d'avant, ont fait preuve
d'une rare intelligence de coeur et d'empathie envers nous.
Mais, alors me direz-vous, quelle pourrait être l'attitude de
l'entourage ?
Je vous répondrais, être présent tout simplement : une main chaleureuse sur
l'épaule, un sourire affectueux, un regard compatissant...
Surtout n'abandonnez pas les parents endeuillés ! Ne leur ajoutez pas de la
souffrance : à celle de perdre leur bébé peut s'ajouter l'isolement.
Les parents endeuillés ne demandent pas de mots de consolations. Tante
Elodie avait très bien compris cela : « Nous partageons votre peine et s'il était
des mots à prononcer pour tenter de vous consoler nous les dirions du fond
du coeur pour adoucir votre douleur. »
183
Si vous souhaitez dire quelque chose, alors dites « Je pense à vous, je ne vous
oublie pas, tu peux me parler, je t'écoute, pleure tu as le droit de pleurer ça
fait du bien...»
Si vous ne savez pas quoi dire ou que vous avez peur de les blesser,
dites le simplement. Ils vous seront reconnaissants de votre franchise. N'ayez
pas peur de parler du bébé mort, de prononcer son prénom. Sachez que les
dates commémorant certains évènements (fêtes des mères, des pères, Noël,
anniversaire de la mort, de la naissance, de l'enterrement...) sont souvent des
moments pénibles pour les parents. Un petit mot pour signifier que vous
n'oubliez pas le bébé décédé donnera beaucoup de paix aux parents.
Laurence, maman d'Ulysse et Arthur m'a expliqué à propos de l'entourage :
« C'était la mauvaise surprise que personne n'attendait. Nos parents ont été
très choqués je pense. Les réactions les plus dures nous les avons subies au
travail lorsque nous nous sommes entendus dire chacun de notre côté " vous
en avez au moins un ". Tout notre entourage a participé aux funérailles. Je ne
pense pas ce cela a été minimisé mais parfois je pense que les autres ont
oublié tandis que pour nous Arthur vit avec nous tous les jours. »
Dans le cas de la perte d'un jumeau, l'anniversaire de la naissance a
un goût bien particulier. En effet, j'avais du mal à fêter joyeusement le
premier anniversaire de ma fille. Sa naissance n'était pas un heureux
événement pour moi. Or ce n'était pas juste pour elle. Je pense qu'il faut alors
prendre le temps de fêter dignement cet anniversaire pour le jumeau vivant et
prendre le temps de penser, de se recueillir pour le bébé décédé. Et là encore,
pour ce jour particulier, l'attitude de l'entourage peut être bénéfique. Par
exemple en adressant un petit mot pour le jumeau décédé. Pour l'anniversaire
de mes enfants, Sandra avait eu la délicate attention de mettre sur son blog,
une petite bougie pour Pierre et Sarah à cette occasion. Cela m'avait
tellement touchée. Audrey nous manifestait une tendre pensée pour ce jour
particulier.
184
Christelle m'a confié de façon très émouvante sa difficulté à vivre
l'anniversaire de ses jumeaux : « Aujourd'hui, c'est leur anniversaire
justement. Pour le moment, ce n'est que larmes et tristesses que mon ange
soit pas là. C'est très dur d'être heureuse pour Baptiste, alors que son frère
n'est pas là. » Concernant l'anniversaire de la naissance de ses jumeaux,
Camille explique : « Sa fête sera éternellement l'anniversaire de la mort de
son frère. Par ailleurs chaque année elle grandira, elle s'épanouira et lui, il
sera toujours mon bébé mort. J'appréhende ce premier anniversaire déjà
depuis plusieurs semaines. Je sais que ce jour là j'aurai un bonheur immense
à voir ma fille avec sa première bougie sur le gâteau que je vais lui faire.
Mais ça ne m'empêchera pas d'être très malheureuse que Rémy ne soit pas là
avec nous. »
Certains parents de jumeaux décident de choisir comme date celle de
l'enterrement pour que l'anniversaire de l'enfant vivant soit totalement
joyeux. Cette position est à respecter.
Témoignage d'une maman de jumeau dont l'un est décédé in utero : « Je sais
à quel point l'arrivée d'un anniversaire est difficile. Les gens et la famille
viennent contents, font la fête, apportent un cadeau, alors que pour moi, ce
jour est jour de souffrance puisque tout le monde l'a oublié. »
Une autre maman m'a répondu : « Pour moi l'anniversaire de la mort de D....
est celle où j'ai appris son décès. Seule sa soeur est " née " pour moi quand
j'ai accouché. C'est cette date qui sera difficile à vivre, c'est la date où mon
monde s'est écroulé, où la vie ne sera plus jamais la même. »
Une autre problématique se pose pour les parents confrontés au deuil
périnatal, à savoir que répondre à la question « Combien d'enfant avezvous ? ». Si je réponds « une fille », je trahis mon cœur et tout ce à quoi je
pense. Mais si je dis « deux enfants », les gens me questionnent tout
naturellement sur leurs prénoms, leurs âges...
185
J'avais questionné ma maman sur cette problématique. Elle
m'expliqua qu'à son époque la mort in utero d'un bébé était extrêmement
tabou. Il ne fallait surtout pas en parler. Ma mère évoquait sa première fille
en fonction du contexte et de la personne. Mais en général, les gens étaient
gênés...
Les parents ont juste besoin de parler de leur bébé mort. Ecoutez-les. Nous
avons peur que notre enfant soit oublié. Un petit mot sincère, une petite carte
met du baume au cœur meurtri.
La mort d'un enfant à naître est un drame injuste pour les parents, mais aussi
pour l'entourage. Et cela gêne...Il est plus simple de vouloir étouffer ce qui
nous gêne trop, plutôt que d'accepter la réalité et de la digérer. Camille,
maman de Nadège et Rémy témoigne de ce tabou : « Une de mes belles
sœurs est venue me voir à la maternité. Quand j'ai commencé à lui parler de
Rémy, elle m'a dit qu'il fallait bien que je comprenne que pour tout le monde
ce bébé n'avait jamais existé. Elle m'a dit avoir prévenu ses enfants mais sans
donner le prénom du bébé. J'ai été profondément blessée par cette façon de
nier l'existence de mon bébé. Une de mes sœurs n'a pas su expliquer à ses
enfants et quand ils ont demandé où était le deuxième bébé elle leur a dit que
en fait, le médecin m'avait fait une blague et qu'il n'y avait qu'un seul bébé.
Pour moi c'est une profonde blessure. »
En outre, l'histoire de ma grossesse a révélé de nombreux secrets de famille
enfuis durant de longues années. La mort de notre fils a fait remonter à la
surface des évènements douloureux portés (ou plutôt supportés) par des
coeurs meurtris. N'avons nous appris que la moitié de l'iceberg ? Combien
encore des drames non-dits vont ressurgir à la surface ? Combien de
personnes ont vu leur existence chamboulée par notre histoire ?
Je veux dire aux parents endeuillés, face aux réflexions qu'ils entendent et qui
les font souffrir : demandez-vous si c'est de la maladresse (qui n'en fait pas ?)
ou si cela cache quelque chose de plus profond. En effet, la maladresse est un
186
manque d'habileté, de tact. Par exemple : « Tu es jeune..., Sarah est vivante...,
Pierre est auprès du bon Dieu...» Mais vouloir nier l'existence et la mort de
l'enfant à naître, peut révéler d'anciens évènements refoulés. Personne, à part
mon beau-père ne m'avait dit « il n'y a pas de deuil à faire. »
187
188
Chapitre 9 : L'épreuve de la prématurité ; il manquera toujours quelque
chose...
L
a prématurité, définie par un terme inférieur à 37 SA, représente 7,5 %
des naissances vivantes dont 1,6 % pour la grande prématurité (avant
33 SA) et 0,9% pour les très grands prématurés (avant 28 SA).
En commençant ce travail d'écriture sur mon cheminement de deuil, je me
suis rendue compte qu'évoquer la prématurité de ma fille m'était très
douloureux. Ce chapitre est resté longtemps vierge. Revenir sur la séparation
brutale d'avec ma fille, m'était presque impossible. Pourquoi ? N'avais-je pas
fait le deuil d'une naissance normale ? Cela voulait-il cacher quelque chose ?
Aujourd'hui encore, je vis très mal cette prématurité.
Quand j'étais hospitalisée, et que je ne devais pas caresser mon ventre, c'était
comme si ma relation avec ma fille s'était mise entre parenthèses. J'ai
189
beaucoup de mal à expliquer cela. Sarah était là bien au chaud en moi, je la
sentais bouger, mais j'étais dans une autre dimension. J'ai encore un tel
besoin que l'on me rassure dans mes capacités de mère, que l'on me montre
qu'on a confiance en moi, que je suis capable d'être une bonne maman...
Accoucher prématurément :
Je n'étais pas heureuse d'accoucher. Je ne voulais pas pousser. Je ne voulais
pas d'une part être obligée de regarder la réalité en face concernant la mort de
mon fils. Et d'autre part, je ne voulais pas que Sarah subisse la prématurité.
Nathalie CHARPAK, pédiatre, souligne dans son livre la souffrance
qu'engendre une naissance prématurée : « Combien de mères ne se sont-elles
pas senties désespérées après un accouchement difficile, quand elles n'ont pu
entrevoir leur enfant plein de tubes qu'à travers la boîte transparente qu'est la
couveuse ? Elles ont eu la sensation de ne rien pouvoir faire et cette sensation
était accentuée par l'attitude du personnel soignant qui leur faisait sentir qu'il
les remplaçait auprès de leur bébé (...). Quelle détresse et quelle culpabilité
ces mamans n'ont-elles éprouvées alors ! »
Ingrid est maman de trois garçons. Ses deux derniers sont des jumeaux nés
par césarienne en urgence à 30 SA. Elle revient sur le vécu de son
accouchement : « J'ai vécu la naissance de mes enfants comme une
extraction, un acte d'une grande violence. J'ai dû mal à définir ce que j'ai
ressenti mais c'est à la limite du viol et du vol de mes enfants. »
190
L'attitude de l'équipe médicale : redonner confiance
J'ai vécu la prématurité de ma fille comme un échec. Encore une fois
j'échouais. Je n'étais même pas capable de « faire des enfants »
normalement ! Je craignais qu'elle me rejette, moi qui n'ai pas été fichue de la
garder au chaud dans mon ventre. Quelle mère indigne étais-je !
Heureusement, l'équipe médicale, comme je l'ai déjà raconté, a été
formidable en me redonnant confiance en mes capacités de maman. Le
personnel médical doit « donner aux parents le sentiment qu'ils sont les plus
compétents et les plus responsables pour sortir d'affaire leur bébé fragile. »
affirme Nathalie CHARPAK.
La prise en charge des prématurés a considérablement évolué. En
effet, jusque dans les années 80, les parents ne pouvaient pas toucher leur
bébé. Ils le voyaient à travers une vitre. « Les mères et les pères ont dû
accepter ce transfert de responsabilité au personnel médical et paramédical.
Le médecin est devenu à cette époque, une sorte d'intermédiaire entre les
parents et leur bébé ; lui pouvait voir et toucher le bébé, eux se contentaient
de le regarder de loin, sans comprendre quoi que ce soit aux tubes et aux
machines qui l'entouraient ; ils souffraient de ne rien pouvoir faire, ils
souffraient en silence. ». Un fort sentiment d'inutilité emparait alors la
maman. À quoi servait-elle ? Que pouvait-elle faire ? Cet enfant était-il le
sien ? C'était un étranger. Le lien mère-enfant n'était pas favorisé. Des cas de
maltraitance ont été diagnostiqués. Nathalie CHARPAK souligne qu'en
« 1972, les conclusions de Marshall H. KLAUS et John KENNEL ont suscité
un grand débat sur les relations mère-enfant. Ces deux pédiatres affirmaient
que le taux d'enfants maltraités était significativement plus élevé chez les
nouveaux-nés ayant été hospitalisés de façon prolongée et que cette
191
maltraitance pouvait résulter de leur séparation avec leur mère dès la
naissance. »
« Désormais, on s'accorde à dire que l'idée d'attachement entre une mère et
son enfant est un processus interactif, nourri de présence et d'échanges, et
enclin aux perturbations s'il est bousculé dans son développement normal. »
La Méthode Mère Kangourou (MMK) se développa en Colombie
dans les années soixante-dix. Il s'agit d'une méthode de portage des bébés
prématurés ou de petit poids de naissance contre la poitrine de sa maman ou
de son papa. « Grâce à la MMK, le rapprochement des parents avec leur
bébé, malade ou simplement fragile, leur permet de ne pas se sentir
coupables pour cette naissance prématurée; il leur donne la certitude d'être
les mieux à même de donner les soins à leur enfant et les rend moins anxieux
en ce qui concerne l'avenir. » précise Nathalie CHARPAK Cette méthode
s'implanta dans de nombreux pays.
Le CHU (maternité de niveau 3), où Sarah était hospitalisée, pratique
le peau à peau et encourage les parents à le faire. Les avantages du peau à
peau sont multiples : le rythme respiratoire est plus régulier (avec moins
d'épisodes d'apnée). Le comportement de l'enfant s'améliore et se stabilise.
Le peau à peau permet de diminuer la sensation de stress intense liée à la
douleur. En outre, par le contact avec le bébé l'alimentation maternelle est
ainsi favorisée.
En pratiquant le peau à peau, la mère développe ainsi sa capacité à prendre
en charge son enfant.
Le personnel hospitalier ne doit pas être le seul à donner confiance
aux parents. L'entourage, qu'il soit amical ou familial doit aussi avoir une
attitude bienveillante envers les parents. Ils ont besoin de vos
encouragements, de votre soutien.
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Etre parents d'un bébé prématuré
La souffrance des parents n’a pas été seulement durant l'hospitalisation de
leur enfant. En effet, les mois suivants, voire les années après, de nombreuses
choses se mettent en place : le suivi médical strict du bébé, le regard des gens
dans la rue devant un bébé plus petit que la normale, une phobie des
microbes, la douloureuse épreuve d'allaiter un bébé prématuré et que
répondre à l'éternelle question « quel âge a-t-il ? ».
Concernant le suivi médical de ma fille, nous avons la chance d'être très bien
guidés par une pédiatre spécialisée dans la prise en charge des prématurés.
Mais à chaque examen de contrôle, mon coeur de maman se contracte
apeurée d'entendre une mauvaise nouvelle. Tous ces examens sont certes
nécessaires mais si éprouvants pour les parents.
Quel âge a-t-elle ? Cette question si anodine, si gentille, est pour les
parents de prématuré une véritable problématique. Si vous répondez en âge
réel (c'est la date de naissance civile de l'enfant), vous vous exposez soit un à
regard suspicieux parce que votre bébé n'a pas le développement
psychomoteur normal, soit vous expliquez que l'enfant est né prématurément
et là, vous vous risquez d'être interrogés sur les circonstances de sa
naissance. Et il n'est pas toujours aisé de pouvoir évoquer ce contexte
souvent douloureux.
J'ai donc demandé à des mamans de prématurés comment elles
réagissaient face à cette problématique. Elodie m'a répondu: « Au début je
donnais son âge corrigé pour éviter justement d'entendre qu'il était petit et
que je sois obligée de raconter que c'était un prématuré et qu'en plus c'était
des jumeaux (...). Maintenant, je donne son âge réel et quand j'ai des
réflexions, soit je ne dis rien, soit j'explique, ça dépend. Mais en général j'ai
193
du mal à ne pas mentionner l'existence de Léo suite à ça. J'aurai l'impression
de vouloir l'oublier. »
Christelle a fait le choix de mentionner les deux âges de son fils : « Je donne
toujours le réel et le corrigé et j'explique. S'il y a des questions, j'y réponds
car je suis très fière de dire comment Baptiste s'est battu ! »
Ingrid, elle aussi confrontée à cette question m'a répondu : « Au tout début, je
répondais l'âge réel, mais ça entraînait d'autres questions auxquelles je
n'avais pas envie de répondre. J'ai rapidement donné l'âge corrigé pour être
plus tranquille. »
J'ai toujours voulu allaiter mes bébés pour des raisons personnelles.
Je ne sais pas si vous avez déjà tiré votre lait avec cette horrible machine
qu'est le tire-lait. Mais pour une maman c'est très pénible : cet embout en
plastique, froid, qui aspire votre sein, cet engin qui vous accompagne partout
car vous l'utilisez 8 fois par jour. Vous n'avez pas votre petit contre la
poitrine, vous n'avez pas sa douce chaleur, son odeur, son sourire. Vous êtes
là, seule, avec cette fichue machine... Mais j'étais si fière de pouvoir apporter
mon lait ! Je pouvais donc faire quelque chose pour ma fille ! Je n'étais pas
inutile ! Malheureusement, l'allaitement au sein n'a pas marché. Je remercie
toutes les personnes qui m'ont encouragée surtout lorsque je voyais avec
désespoir que je produisais moins de lait.
Les parents de prématurés ont eu l'habitude de prendre des mesures
draconiennes concernant l'hygiène à hôpital. En effet, le moindre germe
pouvait être fatal pour la vie du bébé. Sachant cela, les parents peuvent voir
partout des microbes menaçant la vie de leur petit. Il n'est pas toujours
évident de trouver un bon équilibre. Elodie explique : « Au début, personne
ne touchait Louka sans se laver les mains ou se mettre du gel antiseptique.
Nous avons vécu enfermés avec mon mari jusqu'au mois d'avril pour éviter
les personnes malades. Et quand j'allais faire les courses je me changeais et
lavais les mains en rentrant, de peur de ramener des microbes. Maintenant
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c'est derrière nous (...) et aujourd'hui on vit comme avec n'importe quel bébé
d'un an. ». Comme le dit si bien Elodie, progressivement, les choses
redeviennent normales. Mais cela peut prendre du temps.
Un véritable traumatisme
Avoir un bébé prématuré est un véritable traumatisme pour les
parents. Cette épreuve n'est pas à négliger. L'entourage doit être à l'écoute.
Son rôle est d'aider les parents et surtout la mère à reprendre confiance en
eux, en elle. La dévalorisation et la culpabilité (même si l'on y est pour rien)
prédominent. Voilà pourquoi les remarques infantilisantes sont encore plus
insupportables pour les parents de prématurés. Les épreuves les mettent à
terre, ils sont blessés au plus profond de leur chair et leur douleur est intense.
Christelle qui a accouché de ses jumeaux à 28 SA dont l'un est décédé
explique son ressenti de maman : « Je ne me suis pas sentie mère, j'avais
l'impression d'être une étrangère. » Concernant la séparation de son fils elle
dit qu'elle a très mal vécu cette épreuve : « Je ne voulais pas quitter l'hôpital,
je ne le voulais que pour moi, je ne voulais pas que le corps médical le
touche. C'était mon bébé à moi ! »
Face à la séparation brutale de la naissance prématurée de ses
jumeaux à 30 SA, Ingrid confie : « J'ai eu un sentiment d'inachevé. Quand je
suis rentrée chez moi, j'avais retrouvé mon corps d'avant et ma vie. À la
maison, tout était comme avant avec mon mari et mon fils aîné. J'avais
l'impression d'avoir fait un mauvais rêve...Une fois, au CHU, Roman
souffrait tellement que j'ai eu envie (juste l'envie, je vous rassure) de
l'emmener pour qu'on le laisse tranquille. À l'hôpital, nous sommes
dépossédés de nos enfants et c'est dur. Pour cette raison, j'ai essayé d'être la
195
plus active possible dans leurs soins. Je trouvais injuste qu'eux souffrent alors
que moi j'étais en bonne santé. »
Quand une maman met au monde prématurément son bébé, une
avalanche de sentiments déferle dans son coeur. Elle se sent désorientée car
la situation paraît irréelle et les suites de couches sont souvent plus
douloureuses. La mère se sent coupable et se sent jugée par l'entourage. De
plus, elle ressent un fort sentiment d'inquiétude. « Son désarroi est accru par
l'incertitude. Les médecins ne se prononcent pas dans les premières heures
suivant la naissance. » commentent le Dr Claude BEYSSAC-FARGUES et
Sabine SYFUSS-ARNAUD. La mère est déçue voire frustrée. Les sentiments
de colère et de jalousie montent souvent en elle. « Pourquoi moi ? Pourquoi
mon petit ? » Le lien mère-enfant est subitement rompu. Souvent les mamans
disent que cette naissance leur a été volée. Quelque chose s'est cassée en
elles. Une parole qui sert de déclic peut lui redonner confiance en elle, en la
vie, en son petit. Pour moi, ce fut cette puéricultrice qui m'a affirmé qu'en
tant que parents nous étions les premiers acteurs, que Sarah avait besoin de
nous.
Lors d'une naissance prématurée, c'est souvent le père qui découvre
le bébé avant la mère puisque cette dernière est encore retenue en salle
d'accouchement. Le papa est invité à suivre son enfant. En général, il peut
lui parler. Il assiste aux premiers soins. Puis après, il visite le service dans
lequel son bébé va être pris en charge. Et c'est lui, qui va expliquer à sa
femme les règles de fonctionnement du service.
Chantal qui a accouché à 34 SA de Virginie et de Sophie il y a 22 ans,
analyse la prématurité de Sophie: « Je l'ai très mal vécue et mon mari aussi.
J'ai su qu'elle avait été emmenée avec le SAMU à l'hôpital des enfants sur
Tours. Et pendant des années, c'est ma fille que j'imaginais dans les véhicules
du SAMU. J'ai de la compassion aujourd'hui pour les personnes que
j'imagine dedans et je ne peux pas m'empêcher de dire " allez tiens le coup ! "
196
Cette prématurité fut pour moi la coupure du cordon avec elle mais aussi
avec les autres enfants. J'ai compris ce jour là que je n'étais pas indispensable
à ma fille ni à mes enfants, qu'elle allait aussi peut être mourir et que ma vie
allait continuer malgré tout. Ça m'est resté. J'avais aussi très peur des
conséquences de cette séparation, de la mort de sa soeur sur elle. Je me
sentais " dépossédée " mais finalement, ça a eu du bon aussi. Cela a eu des
conséquences sur la suite. Je n'ai pas eu le syndrome " du nid vide " quand
les deux grands sont partis. J'ai récupéré l'espace par exemple. Les chambres
vides ne sont pas restées leur chambre. Je suis très contente quand ils
débarquent mais très contente aussi quand je me retrouve avec mon mari.
Lucie est encore à la maison mais elle passe en terminale et elle est très
indépendante. Ça me va bien. Je n'ai pas fait non plus de dépression post
natale et c'est même quelque chose que j'ai du mal à comprendre. Je suis sûre
que si je n'avais pas eu cette épreuve de la prématurité et de la mort, je n'aurai
pas été la même mère. J'ai compris ce jour là que " ma vie " était à dissocier
de ma vie de mère. Ces " deux vies " si elles peuvent être très proches voir
s'entremêler, sont distinctes. Cela n'empêche pas la souffrance quand un
enfant ne va pas bien mais cette séparation précoce m'a préparée au départ lié
à la vie, en fait. C'est comme ça que je vois cela aujourd'hui. »
Souvent je compare la séparation avec ma fille comme une autoroute
en travaux où un segment de voie manque. Il y a un trou dans le tracé de
l'autoroute. Cela me fait toujours penser au film Speed, quand le bus est
engagé sur l'autoroute et qu'il manque tout un tronçon de voie.
En tant que parents d'un bébé prématuré, on se sent inutile et dépossédé de
son enfant. Il vous est retiré à la naissance, pas le temps de l'embrasser. Vous
pouvez à peine l'apercevoir quelques secondes. Votre ventre retombe sur luimême, inutile, vide. L'accouchement est un véritable déchirement car vous
savez que vous serez séparée de votre bébé. La mort plane à nouveau dans
197
votre coeur. Est-ce que ma fille allait survivre? Aura t-elle des séquelles de
sa grande prématurité ? Encore aujourd'hui, nous ignorons si elle en aura,
puisqu'il faut attendre ses six ans.
Je pense qu'accoucher prématurément doit faire partie d'un travail de
deuil. Cette épreuve doit être digérée dans la vie et l'histoire d'une famille.
Ingrid décrit son ressenti de maman face à la grande prématurité de ses
jumeaux nés à 30 SA : « Je trouve cette situation difficile. Il y a eu plusieurs
étapes. Au début, je culpabilisais en me demandant ce que j'avais mal fait
pendant ma grossesse. Ensuite, je voulais absolument avoir une cause à la
pathologie de Roman mais rien n'a été trouvé dans l'analyse du placenta et les
différentes analyses sanguines. Maintenant, je me dis que c'est comme ça et
j'ai beaucoup de regrets que ma deuxième et dernière grossesse se soit
terminée ainsi. (...) Je reste amère de ne pas l'avoir vécue une seconde fois. »
Et ma fille ? Qu'a-t-elle ressentit lors de sa naissance ? Comment a telle vécu cette séparation si violente ? Elle est passée brutalement de la
chaleur de mon ventre à un monde froid, bruyant. Une agitation régnait
autour d'elle, la laissant sûrement complètement déstabilisée. Son corps était
l'objet de souffrances par la pose des fils, sondes et autre cathéter. A-t-elle
cru que je l'abandonnais à des inconnus ? Quelles traces va-t-elle garder de
sa prématurité ?
Comme pour le cheminement de deuil, j'ai refusé la réalité. Quand
Sarah est rentrée à la maison, je voulais oublier la séparation de la naissance,
la couveuse, les machines, les fils...Je voulais faire comme si rien ne s'était
passé. La réalité était trop dure à supporter à ce moment là. Ce n'est qu'en
novembre lors de son hospitalisation à cause de difficultés respiratoires que
j'ai dû ouvrir les yeux et arrêter de faire l'autruche. Cette prématurité et toutes
ses conséquences faisaient partie de notre histoire. Je ne pouvais pas le nier.
Comme pour le deuil, le doute, la culpabilité et la colère remplissaient mon
coeur de maman blessé. J'étais une écorchée vive. Je devais resituer la
198
prématurité de ma fille à sa juste place, digérer tout cela et continuer de
vivre. Sarah me donnait du courage pour avancer. Sa joie de vivre rayonne et
illumine nos vies. Malgré tout ce qu'elle a vécu, elle est une petite fille
adorable, pleine de vie. Elle la croque d'ailleurs à pleines dents ! Je suis
persuadée que le fait de verbaliser nos émotions et de lui avoir expliqué les
choses, lui apporte cette sérénité, ce bonheur qui illumine son doux visage.
Nathalie CHARPAK conclut : « Quand vous demandez à une mère de vous
raconter comment elle a vécu la séparation initiale avec son nouveau-né, quel
qu'en soit le motif médical et indépendamment du temps écoulé depuis deux
ans ou vingt ans, son récit sera toujours vibrant d'émotion et elle sera
bouleversée par des souvenirs qui restent frais dans sa mémoire et le resteront
probablement jusqu'à sa mort. »
199
200
Partie 3 : Ressentis et analyse du papa
D
écrire l'intégralité de notre histoire, ponctuée de mes ressentis et de
mes réflexions, aurait été tout à fait envisageable. Toutefois, je ne
pense pouvoir apporter plus au travail remarquable de mon épouse Nathalie.
Ce dernier étant complet, d'une grande justesse et me faisant revenir
multitude d'éléments que j'avais refoulés ou tout simplement oubliés. Je ne
souhaite également pas le modifier pour préserver sa spontanéité, garant de
son authenticité.
Je tiens donc à saluer le travail de Nathalie, tant au niveau
psychologique que rédactionnel, car j'en mesure la difficulté.
A mon niveau je souhaite vous faire part de mon analyse, sans
m'attacher particulièrement à la description des faits. Je les compléterai par
mes ressentis de père, dont il est rarement fait cas dans les deuils périnataux.
Plantons le décor. Je suis le benjamin d'une fratrie de trois garçons. Lors de
cette année 2006, je n'ai aucune connaissance de ce qui a trait à la grossesse
201
et aux enfants. Dans ma famille proche, personne n'a eu d'enfant ces
dernières années. Lorsque mon épouse et moi avions exprimé le souhait
d'enclencher une grossesse, j'avançais vers une formidable aventure mais
aussi vers l'inconnu.
Voir le corps de mon épouse se modifier, abriter la vie, serait donc pour moi
un grand chamboulement. Vous me direz que je pouvais m'y préparer du fait
que la grossesse était prévue et que des ouvrages très complets expliquent
son déroulement. C'est exact, mais imaginez ma surprise et ma joie le jour où
j'ai appris qu'ils étaient deux !
Précisions sur l'utilisation du terme “ enfant ” :
J'utilise le terme “ enfant ” quel que soit son développement. En effet je
m'exprime en tant que parent et non en tant que scientifique. Ainsi je laisserai
de côté les dénominations anatomiques telles que foetus et embryon, qui
intéressent plutôt les biologistes. Elles ne présentent guère d'intérêt dans mon
exposé. D'ailleurs je ne connais pas de mère, ni de père, qui disent “ j'attends
un foetus ” ou “ j'attends un embryon ”.
202
Chapitre 1 : Les évènements et ma perception au fil de l'eau
Un cataclysme soudain :
Il est très difficile de vous faire part de façon chronologique de mes
sentiments lors des situations les plus tragiques, à savoir le décès de notre fils
Pierre (nous ne savions pas que c'était un garçon à ce moment là) et lors de
l'hospitalisation de mon épouse.
Comme je l'écris, l'annonce de la grossesse gémellaire est une belle
surprise. Je revois encore mon épouse me présenter l'échographie
représentant deux poches. Si à ce stade, l'humanité de ces deux êtres ne
sautait pas aux yeux, ils ont été, pour ma part, de suite investis comme mes
enfants. Je pense d'ailleurs que l'image est déterminante pour que l'homme
puisse s'investir en tant que père. Lorsque le terme est bas, c'est en effet l'un
des seul signe tangible dont il dispose, le corps de sa femme n'étant pas
203
encore modifié. Toutefois les plus attentifs noteront peut-être des
changements dans le comportement de leur femme.
Mes premiers sentiments sont donc beaucoup de joie mais aussi
d'avoir de nouvelles responsabilités et enfin de me dire que plus rien ne sera
comme avant.
Survient l'annonce du décès d'un des enfants. Je la scinderai en deux étapes :
1) Dans un premier temps, lors de l'échographie de la 20ème semaine, la
gynécologue nous dresse un tableau des plus inquiétants. Le liquide
amniotique de la poche d'un des jumeaux est opaque. Par ailleurs elle n'arrive
plus à déceler d'activité cardiaque de cet enfant. Son pronostic est très
réservé. Le lendemain matin, nous devons consulter d'urgence au service de
gynécologie obstétrique à l'hôpital.
De retour chez nous, mon épouse et moi sommes abattus. Il persiste
le fol espoir que la gynécologue ait mal interprété les images. Nous n'étions
absolument pas prêts à supporter une telle nouvelle. Mais peut-on
objectivement s'y préparer ?
Au terme du 1er trimestre de la grossesse (jusqu'à 14 SA), les principaux
risques de “ fausse couche ” sont écartés. Du moins c'est l'idée que nous nous
en faisions à la lecture d'ouvrages de vulgarisation scientifique. Ainsi, en tant
que père, je me rendais chez la gynécologue essentiellement pour contempler
mes enfants. Ce contact visuel m'était tellement important. Avec le recul je
mesure le décalage entre le professionnel de santé et les parents. Le premier
essaye de s'assurer du bon développement de l'enfant et de détecter
d'éventuelles anomalies. Les parents ont certes le souci de la santé de leur(s)
enfant(s), mais cherchent également à découvrir celui ou ceux qu'ils vont
accompagner pour une vingtaine d'années et qui va (vont) logiquement les
surpasser (à l'échelle du temps).
204
Je ne pouvais donc admettre que l'un des enfants puisse mourir. Confusément
plusieurs questions se mêlaient. Quels risques pour la mère, pour l'autre
enfant ? Y aura t-il des décisions à prendre le lendemain lors de la
consultation à l'hôpital ? Serions nous assez lucides pour prendre les bonnes
décisions ?
Les scénarios les plus improbables se bousculaient.
2) La consultation à l'hôpital constitue la deuxième étape. Après une attente
insoutenable, nous avions été très rapidement fixés. « Vous passez d'une
grossesse gémellaire à une grossesse simple ». L'annonce du praticien fut
implacable, terrible. Le ciel nous tombait sur la tête. L'existence d'un de nos
enfants était balayée par un simple changement de dénomination, l'adjectif
“ simple ” se substituait à “ gémellaire ”. La simplicité de l'annonce ne
renforçait que sa brutalité. Ce n'étaient pas les conjectures plus ou moins
improbables que nous faisions la veille qui pouvaient nous y préparer.
Pour nous rassurer, on nous fait état que la grossesse se poursuivra bien pour
le jumeau survivant. J'emploie ce terme, mais il n'a pas été prononcé par
l'échographiste. En effet ce dernier se focalisait sur l'enfant rescapé, ignorant
l'existence de l'autre. Employer le terme de jumeau, reconnaissance du fait
qu'il y avait deux bébés, serait allé à l'encontre de cette logique. Il nous
indiquait que le corps du bébé décédé allait se papyracer puis même
disparaître. Dernier argument « les grossesses gémellaires sont à problèmes.
Désormais beaucoup de risques sont écartés. » Je ne peux assurer que ce soit
les propos exacts, mais ils en avaient la teneur.
En outre d'une peine immense, je ne savais comment soutenir mon
épouse, étant moi-même accablé. Après l'effondrement, la révolte. L'on
souhaite donner la vie et l'on rencontre la mort. Je me disais que si je n'ai rien
205
fait de particulier pour mériter le bonheur d'attendre des jumeaux, je méritais
encore moins la douleur d'en perdre un. A t-il souffert ? Où est-il
aujourd'hui ? A t-il perçu tout l'amour que nous avions pour lui ? Qu'a t-il
ressenti de sa brève mais précieuse existence ? Mais surtout quelle injustice.
Les enfants ne doivent-ils pas survivre à leurs parents ? N'est-ce pas l'ordre
des choses ?
Ce bouillonnement de questionnements désordonnés teintés de
révolte, n'eût guère le temps de s'épandre. Dans ce genre de situation, il y a, à
mon sens, deux tendances qui s'affrontent. L'effondrement, sous le poids de
la nouvelle sans se relever, ou notre instinct qui pousse à se raccrocher à ce
que l'on peut. Présentement j'étais aspiré par la seconde, notre fille était à
sauver et mon épouse à soutenir.
À ce moment, j'ignorais pourtant que ces deux dernières allaient également
directement être exposées.
Ce lundi 10 juillet 2006, allait m'enfoncer à nouveau dans le cauchemar
duquel j'essayais de m'extirper. 13H30, je suis de retour au bureau suite à un
déplacement professionnel. Je reçois un appel téléphonique de mon épouse.
Elle m'informe qu'en prenant sa douche, elle a constaté des pertes brunâtres.
Je regagne de suite notre domicile pour la conduire aux urgences. L'examen
est implacable, les contractions sont bien présentes et la poche du jumeau
décédé s'est rompue. Chronique d'un drame annoncé.
Plus que jamais il faut se mobiliser pour la survie de notre fille qui en
est à 24 SA, soit grosso modo la limite de prise en charge pédiatrique en
France. La rupture de la poche du jumeau décédé et derechef les risques
d'infection mettent également la santé (voir la vie) et la fertilité de mon
épouse, en danger. Cette épreuve montre que la vie peut vous souffler en
quelques instants tout ce que vous avez de plus précieux. Je me sentais
comme anesthésié par ce qui m'arrivait. Comment tenir lorsque vous pouvez
tout perdre ? Que faire ? Une déferlante de questions sans réponse m'assaille.
206
Qu'adviendra t-il de la santé tant physique que psychique de mon épouse ?
Peut-on survivre à 24 SA ? Avec quelles séquelles ? Notre fille souffre telle ? Y aura t-il une décision inhumaine à prendre ? Pourra t-on encore
avoir des enfants ?
Comment envisager la vie si je les perds tous ?
Comment va réagir l'équipe médicale ? Acharnement thérapeutique ou au
contraire résignation alors qu'il y a quelque chose à faire ? Je craignais
notamment qu'ils ne prennent pas en charge notre bébé, mêmes si certaines
séquelles pouvaient être à mon sens acceptables. Notre société ne laisse en
effet que peu de place aux personnes fragiles ou différentes et ne le pardonne
guère aux parents.
Cette profusion de questionnements et d'angoisses est somme toute
réduite par rapport à la réalité, car limitée par mes souvenirs. L'on ne retient
pas toujours avec justesse ce qui est douloureux car c'est le positif qui donne
envie d'avancer. Enumération incomplète mais fort utile. Il vous est
désormais plus aisé de comprendre que les parents qui connaissent cela n'ont
pas besoin de difficultés supplémentaires pour s'en sortir. J'y reviendrai, mais
ma démarche provient en bonne partie de ce sentiment.
Le sursis :
Durant ce terrible après-midi et en début de soirée, les contractions se sont
rapprochées, l'accouchement devenant inéluctable. Il ne me restait qu'à
soutenir mon épouse, dernière mais combien importante chose que je pouvais
faire, les évènements m'ayant dépassé. J'écris soutenir, mais il s'agit surtout
d'une présence, car que faire ? L'impuissance dans ce genre de situations est
très frustrante.
207
Notre délivrance, si l'on peut s'exprimer ainsi, car ce sera le début d'une
longue période d'attente et de résistance, fut plutôt inattendue. En cours de
nuit les contractions se sont espacées et devenues moins douloureuses, leur
intensité ayant baissée. Que s'est-il passé ? Ni le personnel médical, ni nous
n'avons l'explication. Toujours est-il qu'à ma surprise, le lendemain, cet
accouchement imminent s'était quelque peut éloigné. Etrange paradoxe,
m'étant
toujours imaginé que le jour où ma femme accoucherait serait
merveilleux. Là je priais tous les saints si je puis dire, pour que cela ne se
produise pas, pas à ce moment.
Je me rappellerai toujours la surprise d'une des sage-femme qui nous avait
pris en charge au début de cette fameuse nuit. Lorsque nous l'avions revue,
elle était persuadée qu'elle retrouverait mon épouse dans le service des “
accouchées ”.
La vie au jour le jour :
6 semaines, nous avons tenu 6 semaines ! Le calcul est simple, de 24
à 30 SA, il y a 6 semaines. Cette période reste pour moi des plus floue.
Temps où l'existence est en suspens. Qui n'a pas vécu l'expérience de voir le
temps se ralentir lorsqu'il court un grand danger, notamment lors d'une chute
ou d'un accident de voiture. Au sortir de ces semaines qui auraient pu
représenter 6 minutes ou 6 ans, je suis partagé entre cette sensation que je les
ai visionnées au ralenti et celle d'avoir rêvé, de ne pas avoir été là.
Un de mes rares souvenirs net est cet échéancier, sur lequel, mon
épouse et moi cochions chaque jour écoulé, telle une victoire contre le temps.
Le parallèle pourrait être fait avec le prisonnier qui trace sur les murs de sa
208
geôle des sillons faisant office de calendrier, pour tenir, avec en ligne de mire
l'espoir de s'en sortir.
Ce tableau au demeurant très sombre, était aussi ponctué de belles
éclaircies. Le soutien de certaines personnes de notre entourage nous a fait
beaucoup de bien. Dans mon travail mes supérieurs ont été très
compréhensifs pour me laisser le temps de soutenir mon épouse. Je leur en
serai toujours reconnaissant.
C'est regrettable, mais c'est souvent quand on perd ou quand on risque de
perdre des proches qu'on réalise avec le plus d'acuité l'attachement éprouvé à
leur égard. Plus que jamais j'ai mesuré la force des liens que j'ai tissés avec
mon épouse mais aussi avec mes enfants. Ces quelques mois de grossesse ont
créés des liens que je ne pouvais imaginer avant d'être père. Les séances de
monitoring ou d'échographie, ont été pour moi des moments de rencontre très
forts. Quelles émotions d'entendre les battements de coeur de ma fille, de la
voir se développer. Comme pour ma femme, elle me renvoyait l'image d'une
battante. J'en étais si fier.
Un énorme pincement au coeur aussi de savoir mon fils reposer si
près de ces élans de vie. Sa disparition si subite me faisait craindre de façon
un peu irrationnelle, qu'il en soit de même pour les autres membres de ma
petite famille. Je me disais comment se serait-il développé, comporté ? Ai-je
vraiment eu le temps de partager sa brève existence ? A t-il perçu mon amour
pour lui ? Quoiqu'il en soit je savais qu'il resterait toujours dans mon coeur
de père, en tant que fils.
209
L'accouchement, voyage vers l'inconnu :
Des épisodes de ce fameux 22 août 2006 me restent d'une grande
précision, cohabitant avec des zones d'ombre totale. Je vous ferai donc part
des premiers.
Lors de ma pause méridienne, je quitte mon lieu de travail pour
regagner comme à l'accoutumée mon épouse à l'hôpital. Ma belle-mère nous
a rejoint depuis la veille. Nous débutons notre repas, tandis que nos
préoccupations portent sur les douleurs dorsales dont se plaint mon épouse
depuis 48 heures. Malgré tous les bons soins des sages-femmes, elles ne
désemplissent pas. Je m'en vais ainsi leur en toucher un mot afin de trouver
une solution.
La décision de l'ausculter est prise, ce qui est délicat car son col est
fragile. Aussi bien à notre surprise qu'à celle du corps médical, le col est
ouvert et le travail bien entamé. En réalité les douleurs dorsales étaient
causées par des contractions. L'accouchement est imminent !
Le temps de prendre le livret de famille, le brumisateur et direction la salle
d'accouchement !
Je dois dire que je n'ai pas eu le temps de tergiverser malgré mes
appréhensions à assister à l'accouchement. Les évènements se sont précipités
à une telle vitesse. Ma crainte initiale, de ne pas soutenir certaines images
(sang etc.), a vite été atténuée du fait qu'un champ opératoire a été placé.
Le plus difficile est de se sentir impuissant, voir inutile. Que faire ? N'aura telle pas trop mal ? Ne sera t-elle pas trop épuisée ? Tout va t-il bien se
passer ? Notre fille va t-elle survivre à l'épreuve de l'accouchement ?
Au final je me suis rendu compte qu'être présent était bien la chose la
plus utile que je pouvais faire. J'ai pourtant eu du mal à m'en convaincre sur
le moment. C'est mon épouse qui m'en a fait prendre conscience. M'étant
210
absenté un instant, elle m'a dit à mon retour qu'être seule était terrible. En
dépit que j'appréhendais le fait d'y assister, je suis très heureux d'avoir pris
cette décision.
Je n'ai pas eu l'occasion de beaucoup réfléchir lors de ces moments
très intenses, mais j'ai eu celle d'admirer le courage de mon épouse.
Je me rappelle de la dernière poussée où elle m'a serré très fort la main.
Rapidement est apparue notre fille. Il y a de ces images qui marquent une vie.
Magnifique, elle est si belle !
Après l'avoir présentée brièvement à mon épouse, elle a rapidement été
emmenée par le personnel médical dans une pièce attenante à la salle
d'accouchement, soins oblige de par sa prématurité.
Je passe quelques instants auprès de mon épouse, puis je suis invité à assister
aux soins de ma fille. Dans cette petite pièce, plusieurs personnes en charlotte
et en masque s'affairent autour d'elle. Je la contemple et pour la première fois
me dit-on, ses yeux d'un bleu foncé s'ouvrent au monde et croisent mon
regard !
Quelle force dans cet instant ! Je m'en souviens comme si c'était hier. M'a telle perçu ? Je n'en sais rien mais moi je n'ai pas perdu une miette de ce
moment privilégié. Je suis tellement fier d'être le papa d'une fille aussi
courageuse, aussi battante.
Je compatis pour mon épouse, qui a dû tant avoir besoin d'être auprès d'elle à
cet instant.
Sur le moment j'ai plus pensé à ma fille qu'à mon fils, certainement
dicté par le besoin de se raccrocher à la vie. C'est aussi pour elle qu'il fallait
concentrer nos forces pour la sauver. Je les aime pourtant tous les deux de la
même intensité. Je n'ai pas eu le courage de voir le corps de mon fils, mais je
garderai toujours pour moi les images de son vivant, les échographies. Ce
211
jour, date de naissance de mes premiers enfants, restera
toujours très
particulier.
Lors des prochaines grossesses, il est probable que j'appréhenderai à nouveau
le jour de l'accouchement. Toutefois je souhaiterai vivement être présent,
d'une part pour soutenir mon épouse, d'autre part pour assister à ces moments
privilégiés.
212
Chapitre 2 : Mon cheminement
Etre parents malgré tout :
Nous sommes des parents !
Cette affirmation sous forme d'interjection peut surprendre. Est-il
besoin de l'affirmer, voir de le proclamer ? Dans notre société de
l'information, il ne paraît pas probable que l'Etat Civil et l'ensemble des bases
de données laissent dans l'ombre certains parents.
Et pourtant c'est l'anonymat qui aurait pu nous être réservé, mon épouse et
moi. Oubli aussi bien de l'entourage proche que de la société en général.
Notre histoire montre que la vie de notre fille Sarah n'a tenu qu'à un fil. Que
serait-il advenu si elle n'avait pas vécu au delà du seuil fatidique des 22 SA
ou 500 g (en vigueur à ce moment là) ?
213
Notre parentalité aurait été purement et simplement niée par la
société. Notre fils Pierre, décédé aux alentours de 20 SA ainsi que notre fille
n'auraient pu avoir une quelconque existence officielle dans notre histoire
familiale (pour y voir plus clair n'hésitez pas à lire les explications de mon
épouse concernant les différentes dispositions applicables aux enfants nés
sans vie).
Ce déni de la société s'ajoute souvent à celui d'une partie des
proches. Mais comment leur reprocher leur incompréhension et leur silence,
quand aucun signe de ces existences trop courtes ne peut être matérialisé par
des codes socialement reconnus (inscription dans le livret de famille,
inhumation).
Si l'on admet qu'il n'y a pas d'enfant, il n'y a donc pas de parents. La boucle
est bouclée.
Quelle magie opérait-elle donc au passage de ce seuil de 22 SA ou 500g ?
Aucune dans les faits.
A l'heure où j'écris ces lignes, à la date anniversaire de nos enfants,
les choses bougent. Ce 22 août 2008 nous apporte une belle avancée forte en
symboles. Deux décrets et deux arrêtés parus au Journal Officiel, enterrent
ces fameux seuils de 22 SA ou 500g. Désormais les parents auront la
possibilité d'inscrire leur enfant dans le livret de famille et de procéder à des
obsèques, excepté dans les cas d'IVG ou d'Interruption Spontanée Précoce de
Grossesse (l'on peut aussi dire fausse couche précoce, mais j'ai horreur de ce
terme). Cette belle avancée n'est pas à négliger, même si malheureusement,
un seuil persiste. Ce seuil coïncide à celui de l'Interruption Spontanée
Précoce de Grossesse, qui, si elle n'est pas clairement définie dans le temps,
est assurément nettement inférieure aux 22 SA. En fonction des spécialistes,
il oscille de 14 à 16 SA. Cette mesure épargnera bien des souffrances. Bien
que fragile, elle est aussi porteuse d'espoirs.
214
Je rêve qu'un jour, une société mûre, comprenne enfin que cette
possibilité offerte aux parents, n'entre pas en opposition avec la pratique de
l'IVG. Le progrès n'est-il pas de respecter la construction du sentiment
parental de chacun ? Pourquoi créer cette opposition ?
J'espère ainsi que le temps démontrera le bien-fondé de cette mesure et
dépassionnera le débat. Les fantasmes tombés, les déclinologues et
prédicateurs de catastrophes en tout genre pourront ainsi aller se rhabiller.
a) À partir de quand peut-on se sentir parents ?
Je pense sincèrement que ce sentiment peut éclore à tout moment,
notamment dès la conception. Personnellement je me suis senti père dès que
la grossesse de mon épouse s'est avérée. Il ne s'agit toutefois pas de fixer une
norme, chacun ayant son cheminement propre dans la prise de conscience de
sa parenté.
Il n'y a donc pas de hiérarchie à établir. Les parents qui se
considèrent en tant que tels doivent être pris en compte, quel que soit le
terme de la grossesse. Bien entendu pourvu que celle-ci soit bien réelle.
Concernant ce dernier point, les techniques actuelles (échographies et tests
de grossesse) permettent de lever rapidement le doute.
Le fait d'être parent(s) peut être une réalité biologique, mais est avant tout un
sentiment qui se construit plus ou moins rapidement dans le temps. “ Peut
être biologique ” dans le sens où les parents peuvent aussi être adoptifs. L'on
parlera alors d'un rôle ou d'une fonction, définis par le terme de parentalité.
Ces quelques considérations pour exprimer le fait que la parentalité comporte
de nombreuses composantes sociales, émotionnelles, relationnelles, qui ne
peuvent tenir dans une définition de dictionnaire. Ainsi le fait d'être parents a
215
la même importance en début de grossesse que lorsque votre enfant à 20 ans.
Dans les deux cas le déni de cet état est une maltraitance.
D'ailleurs être parents, au delà de considérations philosophiques ou
conceptuelles complexes, n'est-ce pas des attitudes extrêmement simples.
Avant tout, les parents ne souhaitent-ils pas éduquer, voir grandir, veiller et
suivre l'évolution de leur enfant ?
Cet état se traduit dans les attitudes. Un père qui accompagne sa compagne et
mère de son ou ses enfants pour une échographie, n'a t-il pas ce
comportement ?
En tant que père, j'ai souhaité être présent à toutes les échographies
de mon épouse. Cela ne traduisait-il pas mon statut de père ? Ne voulais-je
pas suivre la santé de mon épouse bien sûr, mais aussi celle de mes enfants,
ainsi que leur évolution ?
Si je ne me sentais pas père, je ne me serai pas rendu aux consultations.
Croyez-vous que si mon épouse aurait consulté pour un simple examen
gynécologique, je l'aurai accompagnée ? Sauf besoin de soutien particulier, je
n'en vois pas l'intérêt. Ma présence à l'échographie est donc bien motivée par
mon nouveau statut, celui de père, qui me confère de nouvelles
responsabilités.
Si la prise de conscience que l'on est parent(s) peut se faire
spontanément, des évènements peuvent la provoquer ou la conforter. Certains
se contenteront du test de grossesse, d'autres vont s'approprier ce sentiment
par l'image.
Pour les hommes, la paternité ne se manifeste pas par beaucoup de
signes tangibles, notamment en début de grossesse. A ce stade, l'échographie
leur offre un merveilleux moyen de rencontre avec leur enfant. Comment nier
l'existence de quelqu'un que l'on a rencontré, que l'on a vu ? Ce moment
privilégié est donc également propice pour se dire : je suis papa ! Visualiser
mes enfants a vraiment donné de la consistance au fait que je me sente père.
216
Quelle belle expérience de voir ces petits êtres évoluer, sachant que l'on en
est, modestement mais un peu quand même à l'origine. Ils sont d'ailleurs déjà
des patients. Le médecin en prend soin, les examinant sous toutes les
coutures. Quelle taille ont-ils ? Leurs petits membres se développent-ils ?
Je ne me voyais donc pas délaisser mon rôle de père, le personnel de santé
s'occupant déjà de mes enfants.
De par sa forme, qui se rapproche de l'humain mature au fil des
semaines, de par ses membres naissants et de par ses mouvements plus ou
moins volontaires, le bébé s'inscrit dans l'affection de ses parents. Certains
membres ont d'ailleurs une symbolique très forte, notamment les mains, les
jambes. En tant que père, comment ne pas imaginer ces petites jambes courir
vers moi, ces petites mains tenir un doudou, ou encore m'agripper ?
Lors d'une échographie, j'ai été marqué par l'un de nos jumeaux qui suçait
son pouce. Je ne sais toutefois si c'était Sarah ou Pierre, car à ce moment là
nous ignorions encore leur sexe.
Cette image renvoie à des sentiments très forts liés à sa propre
enfance, à une représentation de ce que seront ses enfants. Un bébé qui suce
son pouce, n'est-il pas des représentations les plus humaines et les plus
universelles ?
Le revers de la médaille est que cette prise de contact par l'image
peut occulter quelque peu la dimension médicale de la consultation
obstétricale. L'échographiste se focalise, et c'est normal car c'est son métier,
sur les éventuelles anomalies, tandis que le père, voire les parents, souhaitent
avant tout visualiser leur enfant. Le choc en cas d'annonce difficile,
problèmes de santé voir décès, est d'autant plus traumatisant. Mais peut-on
vraiment s'y préparer ? Quand on prend la décision de mettre une grossesse
en route, est-on vraiment dans l'état d'esprit pour se préparer au pire ?
217
En définitive je dirai que le sentiment parental, notamment pour le
père peut se développer selon deux axes : Emotionnel / concret ; Sensoriel /
cérébral. Chacun à son rythme, selon son vécu et sa personnalité, s'approprie
son sentiment parental. Le scientifique trouvera certainement quelque chose
à redire à ces termes, mais je ne prétends pas être exhaustif ou exact. Ils
correspondent à ce que j'ai tiré de mon vécu, avec ma propre perception.
Être parent n'a pas la même signification pour tout le monde et la
parentalité se construit selon une alchimie complexe.
Axe émotionnel / concret :
Prenons l'exemple de l'annonce de la grossesse. Pour ceux qui
penchent du côté concret, le résultat du test, les valeurs de HCG vont être les
faits
déterminants.
Pour
d'autres,
ils
ne
seront
parents
qu'après
l'accouchement, voir même seulement quand le fiston pourra chausser ses
premiers crampons, car là il devient intéressant. En caricaturant, l'enfant doit
pouvoir être touché pour exister.
Pour d'autres, les valeurs inscrites sur une feuille à en-tête de
laboratoire ou la coloration du test n'auront que peu de significations. Ils vont
être portés par tout ce que la parenté et la grossesse leur inspire. La mère va
remarquer des changements dans son humeur, dans son état d'esprit, tandis
que le père va peut-être les percevoir. Les émotions, les ressentis, vont
prendre le dessus. Coloré par ce que l'on a vécu, soi même ou par ses propres
parents, ou encore par ses représentations, c'est alors l'axe émotionnel qui va
prendre le dessus.
Axe Sensoriel / cérébral :
Exemple : Vous attendez des jumeaux dans le cadre d'une grossesse
mono-choriale, mono-amniotique (Une poche, un placenta). Lors de
l'échographie, vous les observez bouger sur l'écran. De façon objective, c'est
l'image qui vous marquera, preuve de l'existence de vos enfants. Si votre côté
218
cérébral prend le dessus, ce sera plus les interprétations de ce que vous avez
observé qui vous marquera. Les deux bébés qui bougent ne jouent-ils pas
ensemble ? Le mouvement du visage n'est-il pas un sourire ? Plus que l'image
de vos enfants, c'est leur posture, qui vous renvoie à des références très
fortes émotionnellement, voir une attitude humanisante. Fort de ces
références, vous pourrez ainsi vous projeter après l'accouchement. Vous
prêterez peut être même des traits de caractère ou de personnalité à votre
enfant. Il bouge beaucoup, il sera très actif, on fera du vélo ensemble etc.
Deuxième exemple : En tant que père vous passez affectueusement
votre main sur le ventre de votre compagne. Vous sentez les mouvements du
bébé. Vos sens se délectent de ce contact tactile. Votre toucher devient la
première interface de contact avec votre enfant, un moyen de le percevoir.
Cette expérience sera sensorielle.
Si vous êtes à dominante cérébrale, vous ressentirez bien sûr avec
bonheur les mouvements de votre enfant. Mais pour vous la symbolique du
contact tactile, manuel sera au moins toute aussi importante que le toucher en
tant que tel. La main n'est-elle pas un membre de contact social ? On serre la
main pour dire bonjour, pour saluer, on l'agite ou on la lève dans une posture
plus agressive, ses mouvements peuvent ponctuer les paroles. Des tels
moments préfigureront aussi pour vous les futures relations avec votre
enfant : temps passé avec lui à jouer, à l'éduquer etc.
Pour conclure sur le développement du sentiment parental et en plus
particulier paternel, je dirai que ces tendances sont souvent liées et plus ou
moins présentes. Il serait artificiel de les cloisonner. Simplement la
proportion de chacune fait que le sentiment parental s'acquiert plus ou moins
tôt et varie dans son contenu. Par ailleurs des éléments d'une part extérieurs
tels que l'entourage ou d'autre part intrinsèques telles que les relations qu'on
avait avec ses propres parents viennent changer la donne où brouiller les
219
pistes. Il n'y a donc pas de règle et il faut respecter la construction du
sentiment parental de chacun. Cet équilibre est nécessaire tant pour le
couple, que pour la famille constituée ou à venir. À 8 semaines de grossesse
certains ne se considèrent pas parents car le petit être abrité dans le ventre de
la femme n'est qu'un amas de cellules, pour d'autres ce sera leur enfant
portant déjà tout leur amour de parents.
Il serait tout aussi vain de forcer les premiers à se sentir parents que de forcer
les seconds à un déni de la parenté / parentalité qu'ils vivent.
b) Qu'advient-il lorsque l'enfant décède in utero ?
Encore trop souvent une chape de plomb se pose lorsqu'un enfant décède in
utero. Il est vrai qu'une telle perte dérange. Il est plus simple pour l'entourage
de faire comme si de rien n'était.
Si l'évolution est admirable en terme de médecine périnatale, les
comportements sociaux évoluent plus lentement. Il est vrai que la médecine
périnatale est jeune tandis que les traditions liées à la mort sont
contemporaines de l'apparition de la civilisation voir même antérieures. Elles
ont donc un passé plus lourd et sont peut-être plus difficiles à dépoussiérer.
Certains parents ne sont donc plus considérés comme tels du fait de
la perte de leur enfant in utero. C'est comme si une punition d'avoir perdu
leur enfant précocement, leur tombait encore dessus. La perte de cet être cher
ne suffit-elle pas ?
Quand le deuil ne devient pas pathologique, on réalise que l'être cher
est unique et ne pourra être remplacé. Il faut donc se faire au sentiment
insupportable qu'il ne reviendra pas. Les personnes ayant des convictions
philosophiques ou religieuses portent l'espoir de le retrouver, mais en tout cas
pas ici bas. Les souvenirs de l'être disparu ainsi que le respect de sa mémoire
ont donc une importance particulière. Dans toute civilisation des rituels pour
entretenir le souvenir et la mémoire des disparus existent. Mais, dans le cas
220
de décès périnataux, les parents sont souvent contestés dans leur statut et
dans la mémoire de leur enfant. Des progrès ont été faits, mais inégalement
selon le terme où l'enfant est décédé. Lorsque le déni social s'installe, ces
parents voient s'ajouter à la perte de leur enfant, la perte de sa mémoire et de
leur statut de parent. Ultime aberration. On devient parents mais on ne peut
pas revenir en arrière. C'est un état qui ne peut se perdre. Viendrait-il à l'idée
de dire à une mère qui a perdu son fils unique de 30 ans dans un accident de
moto “ Il est mort. Vous n'êtes donc plus mère et vous ne l'avez jamais été de
ce fait ”. Dire cela est indécent, ignoble et de surcroît faux.
Malheureusement c'est ce qui se produit encore trop souvent pour les
parents ayant connu un décès in utero de leur enfant.
Notons que cette mère, qui a perdu son fils de 30 ans, aura tout de même la
possibilité d'entretenir la mémoire de son fils en le faisant par exemple
inhumer.
Certains parents dont l'enfant est décédé à moins de 22 SA et de 500g (avant
le 22/08/2008) se sont vus asséner cette remarque et n'ont même pas pu avoir
un lieu de mémoire pour leur enfant. Imaginons leur détresse.
Les décisions que peuvent être amenés à prendre les parents :
Tous les évènements en lien, avec le décès d'un enfant lors de la
grossesse ou son imminence, forcent les parents à des prises de décisions,
souvent dans des délais très serrés.
Celles qui en temps plus apaisés paraîtraient relativement faciles, deviennent
de véritables problèmes en ces situations dramatiques.
Quand elles sont complexes voir inhumaines, la détresse des parents est donc
d'autant plus légitime.
221
Le choc de l'annonce permet rarement d'être lucide. S'il y a bien une décision
que je ne souhaite jamais avoir à prendre, c'est celle de pratiquer une
Interruption Médicale de Grossesse (IMG). D'ailleurs est-ce réellement un
choix ? Je ne crois pas. Dans ces cas le (faux) choix est rarement satisfaisant.
Faut-il prolonger la vie d'un enfant qui risque de souffrir et qui va de toute
façon mourir ? La nature de l'handicap lui permettra t-il d'avoir une vie
satisfaisante ? Pourra t-on résister à l'épreuve ? Obtiendra t-on un soutien de
la société pour affronter l'handicap ?
Ces
décisions
sont
inhumaines
car
elles
dépassent
notre
compréhension. La vie est un phénomène que nous ne maîtrisons pas, en
dépit des progrès de la médecine. Son apparition tellement merveilleuse, sa
disparition tragique. Quelle belle surprise d'attendre des jumeaux, mais aussi
quelle souffrance d'un perdre un. Ce caractère insaisissable de la vie est à la
fois sublime et angoissant. Néanmoins lorsqu'il survient quelque chose,
hormis en cas de négligences particulières, l'on peut se dire que ce n'est pas
de son fait.
La décision de pratiquer une IMG, même si elle est inéluctable et
accompagnée par une décision d'un collège médical, peut donc être très
traumatisante pour les parents. Le fait qu'ils ont participé à la décision, même
si la nature de la maladie ou de l'handicap ne leur a pas laissé réellement le
choix, risque d'entretenir un sentiment de culpabilité.
J'ai choisi de parler de l'IMG car cette situation, relativement bien connue,
représente bien les décisions d'ordre médical. L'on peut dans la même
catégorie évoquer l'opportunité ou pas de tenter des interventions médicales
relativement lourdes en cas de situation très critique.
Je mettrai dans une deuxième catégorie les décisions liées à la
reconnaissance de l'enfant né sans vie. Faut-il l'inclure dans l'histoire
familiale ? Lui donner une sépulture ? Si certains enregistrements à l'Etat
222
Civil ou l'inscription dans le livret de famille peuvent se faire ultérieurement,
le choix de la prise en charge du corps doit se faire très rapidement.
Dans un sens comme dans l'autre, il n'est pas possible de revenir en arrière.
Les conséquences de ces choix s'inscrivent de surcroît dans la durée,
quelquefois au niveau de plusieurs générations. Le devoir d'information du
personnel médical, prévu par les textes, est d'une grande utilité. J'ai à ce sujet
apprécié le fait que mon épouse et moi avons été très bien informés, avec
beaucoup de professionnalisme. Ces conditions sont nécessaires pour prendre
la meilleure décision, celle que l'on pourra le plus assumer. Peser les
conséquences sur les générations futures est capital.
Encore faut-il avoir le choix. Jusqu'au 22 août 2008, les parents
n'avaient pas d'alternative lorsque leur enfant naissait sans vie avant 22 SA
avec un poids inférieur à 500 grammes. Désormais le seuil est plus bas, ce
qui est un immense progrès, mais une limite est fixée par la notion de
“ fausse couche précoce ”. Si cette limite n'est pas précisément définie au
moment où j'écris ces lignes, elle existe bel et bien. Elle peut d'ailleurs
changer au gré des évolutions législatives ou réglementaires, notamment lors
de la révision des lois de bioéthique.
Le problème persiste donc pour les parents qui n'auront pas eu cette
possibilité. Ils devront vivre et assumer une configuration qu'ils n'ont pas
choisie, celle de ne pas inscrire l'enfant dans l'histoire familiale.
J'insiste sur le fait qu'avoir le choix est important, quel que soit le terme de la
grossesse, car les parents devront vivre avec. Ce sont donc eux les premiers
concernés. L'incidence de cette décision portera sur les autres enfants mais
aussi sur les autres générations. Ainsi, autant faire ce peux, que les parents
puissent choisir, en étant à l'aise avec leur décision.
223
Les deux visages du deuil :
Le deuil périnatal est sans doute un des grands tabou de notre société. Il n' y a
somme toute qu'une ou deux décennies qu'il est réellement pris en charge.
Ces progrès sont à considérer, mais demeurent encore bien insuffisants.
Bien souvent, une chape de plomb se pose sur les parents endeuillés et
l'entourage est gêné d'aborder le sujet. Il est tellement plus simple de l'éluder.
Pourquoi ? Dans notre société, la fin de vie en général et le deuil en
particulier, sont peu abordés. Cela peut se comprendre dans la mesure où ces
questions ne sont pas bien réjouissantes. À une époque où la technologie et la
science prédominent, il est gênant de reconnaître notre manque de maîtrise
sur bien des domaines, notamment celui de la périnatalité. Je m'avance peutêtre en disant que dans ce monde de consommation, il ne faut parler que des
pulsions de vie, le reste n'étant pas très vendeur.
Dans une émission sur les enfants nés sans vie, un Député disait très à propos
« Dans notre société on préfère parler d'Eros que de Thanatos ».
Sans verser dans une attraction malsaine vers le morbide, n'y a t-il pas un
juste équilibre ?
En tant que père, et à partir de mon vécu, je me suis posé cette question.
a) Le deuil périnatal n'est pas dans l'ordre des choses :
Si aucun deuil n'est souhaitable, le décès de son enfant n'est-il pas le plus
révoltant ? L'ordre naturel des choses ne veut-il pas qu'il survive à ses
parents ?
Ce sont les premières pensées cohérentes qui me sont parvenues suite à la
perte de mon fils. Cet anachronisme, cette anomalie généalogique traduit la
224
complexité du deuil périnatal. On ne peut s'attendre à déboucher sur autre
chose que la vie. Comment accepter la mort dans ces conditions ?
Le déni de l'entourage et de la société complique encore le tout. J'y reviendrai
longuement.
b) Le père, laissé pour compte :
Dans une grande mansuétude, il est toléré que la mère soit triste quelques
jours, sa grossesse étant écourtée. Passe encore. Mais le père dans tout ça ?
Déjà le considère t-on comme un père ? Bienheureux ceux qui ont cette
chance. Tout au mieux il leur sera demandé des nouvelles de leur épouse.
Comment va t-elle ? Prends bien soin d'elle ! Sous-entendu tu n'as que ça à
faire, pour toi tout va bien. S'il est bien normal et la moindre des choses de
soutenir la maman, le père ne peut-il avoir de la peine ?
Considère t-on toujours l'homme comme une brute épaisse et insensible,
dénué de raisonnement ?
Qu'un père pleure son enfant, surtout quand il est décédé in utero, est encore
trop souvent perçu comme une sensiblerie naïve.
Pourtant l'on comprendra que le même homme pleure la défaite de son
équipe de foot préférée, composée de joueurs gagnant mille fois son salaire
ou encore qu'il soit affecté par une rayure sur le rétroviseur de sa voiture
neuve. C'est vrai que voir son équipe gagner change la vie et perdre une
voiture peut créer une blessure affective terrible. Mais perdre un enfant,
quelle futilité !
Ceci paraît incroyable, mais ce raisonnement est encore trop souvent présent.
Les esprits critiques m'aviseront que c'est la mère qui porte l'enfant,
et que logiquement, le lien est plus fort et l'attachement peut intervenir plus
tôt. Le père ne disposant pas de cette dimension, s'intéresserait bien plus tard
à l'enfant. Une perte précoce ne lui nécessiterait donc de pas faire son deuil.
225
Cette vision des choses ne fait que peu de cas de la construction psychique du
sentiment parental. Si la théorie de ces derniers était exacte, quid des dénis de
grossesse ? Ces évènements tragiques montrent que le fait de porter l'enfant
n'est qu'un aspect de la relation, même s'il est très fort. Le lien physique,
extrêmement important, ne résume pas la relation des parents à leur enfant.
Les sentiments maternel et paternel se construisent à leur rythme, et de
nombreux spécialistes faisant autorité dans ce domaine, s'accordent à dire
qu'il ne s'agit pas d'un instinct. Ainsi des mères et des pères pourront avoir
des difficultés à s'attacher à leur enfant jusqu'à un âge avancé, pour peu que
la construction de leur sentiment parental soit entravée. A contrario, cet
attachement pourra se faire très tôt, tant pour la mère que pour le père.
Je ne nie pas que parenté et parentalité du père et de la mère diffèrent dans
leur construction, mais je considère qu'elles méritent la même considération.
C'est d'ailleurs l'addition de ces différences complémentaires, qui en font des
parents à part entière.
Laissons donc aux pères leur paternité dès qu'ils la revendiquent. Ne
leur la volons pas surtout s'ils ont perdu leur enfant. Les mères ont besoin du
père, tout comme l'enfant. Je suis tant reconnaissant à mon épouse de m'avoir
laissé ma place. M'avoir reconnu père de mon fils Pierre que j'ai perdu, me
permet de me sentir pleinement père de ma fille Sarah. J'envisage aussi plus
sereinement la venue de nos prochains enfants, que si j'avais été laissé pour
compte.
Reconnaître le père en cas de deuil périnatal, n'est pas qu'un retour
stérile sur le passé. Fort de cette considération, il ne pourra que mieux
s'investir dans une nouvelle grossesse aux côtés de sa compagne.
J'imagine que cette prise de conscience sera ralentie par le poids de
l'éducation et des mentalités. Il est donc temps de s'y employer dès
maintenant. Les hommes n'ont également pas tendance à exprimer facilement
leurs sentiments. Ils n'en pensent pourtant pas moins.
226
Voici quelques attitudes que je propose, qui peuvent changer beaucoup de
choses.
- Ne pas minorer voir ignorer la souffrance du père et prendre également de
ses nouvelles.
- Ne pas ignorer la paternité d'un père qui se considère comme tel.
- Eviter les mots de consolation pleins de bonne volonté mais souvent
malheureux (C'est pas grave, vous en ferez d'autres, au moins tu ne l'as pas
connu...).
- Ne pas faire comme si l'enfant disparu n'avait jamais existé.
- Se sentir écouté, sans jugement, est certainement le plus réconfortant.
c) De quoi et / ou de qui fait-on le deuil ?
La nécessité de faire son deuil en cas de décès périnatal est de mieux en
mieux reconnue par la société, notamment pour la mère. En outre l'absence
de considération des pères, le problème survient dans que ce l'on inclus dans
la notion de deuil périnatal.
Ce dernier n'est toujours pas mis au même plan que tout autre. S'il est
différent a t-il moins de valeur pour autant ?
La souffrance des parents est trop souvent contenue dans la notion de projet
parental. Perd-on seulement un projet parental ?
Le projet parental est de mener à bien une grossesse, d'élever son enfant, de
partager avec lui ce que l'on s'était représenté et enfin de le mener à
l'autonomie de l'âge adulte. Il peut encore se définir par le nombre d'enfants
que l'on souhaite, la façon de les éduquer et multitude d'autres paramètres.
Ne pouvoir mener ce projet à bien génère une déception bien
compréhensible. Le deuil d'un enfant ne peut toutefois se résumer à la non
atteinte de cet objectif. Si cela était le cas, une perte périnatale n'aurait pas de
227
conséquences si les grossesses suivantes se déroulent bien. On pourrait même
se dire, peu importe le nombre d'essais, importe le résultat. Ainsi le décès
d'un petit garçon serait compensé par la naissance d'un autre enfant de même
sexe.
C'est en validant cette première hypothèse que naissent des
réflexions telle que :
-Vous êtes jeunes, vous en ferez d'autres.
-Vous avez déjà trois enfants, ce n'est pas bien grave.
-Il était certainement malformé, la nature fait bien les choses.
Cette vision purement utilitariste et réductrice me fait bien entendu froid dans
le dos. Chaque être humain est unique et les enfants ne sont pas
interchangeables. Si l'enfant “ d'après ” peu apporter beaucoup de joie aux
parents, il ne remplacera jamais son aîné défunt. La parentalité n'est pas un
bien de consommation et si elle peut être source d'accomplissement pour les
parents elle ne s'y limite pas. De ce fait l'enfant n'est pas une marchandise,
qui viendrait compléter la maison que l'on a construite, entre la cuisine
intégrée et l'adoption d'un teckel. Les parents ne pleurent donc pas que la
perte d'un projet abstrait, mais celle d'un être unique et irremplaçable,
objet de leur désir et de leur amour. C'est cette unicité qui fait d'ailleurs la
valeur de chaque personne humaine.
Ainsi s'il est convenu de reconnaître la perte du projet parental,
admettre la perte d'un enfant in utero dérange. On pousse à oublier, passer à
une grossesse suivante et se recentrer sur les autres enfants, comme si cette
fuite en avant résoudrait le problème. En agissant de la sorte, on initie un
schéma de reproduction, qui sans travail sur soi, frappera plusieurs
générations. Comment des parents qui ont connu le déni peuvent-ils soutenir
leurs enfants qui connaissent à leur tour l'épreuve ? Ils ne peuvent le faire car
cela les forcerait à affronter le deuil qu'ils n'ont jamais pu faire. J'en parle
d'autant mieux que je le vis. Avant la perte de notre fils Pierre, j'étais à mille
228
lieux d'imaginer que ma mère a elle même perdu des jumeaux et mon père
une soeur. Les jumeaux que ma mère a perdus n'ont jamais fait l'objet d'une
reconnaissance. Quant à la soeur de mon père, elle a été inhumée, mais son
existence a toujours été tabou. Au début de la grossesse de mon épouse, nos
relations étaient à l'image de notre enthousiasme de jeunes parents, au beau
fixe. Le décès de notre fils, mais surtout notre volonté de le reconnaître, de
l'inscrire dans le livret de famille et de lui offrir une sépulture décente, a
bouleversé ce fragile équilibre. Au début nous ne pouvions comprendre leur
attitude. A l'éclairage de ce que nous avons appris ci-dessus, le doute se lève.
Faire ce qui n'a même pas été envisageable pour nos parents, a donc
été un séisme dans leur construction. Pour eux il n'y avait pas de deuil à faire.
L'admettre aurait été prendre conscience qu'ils n'ont pas fait le leur.
Comment leur demander un tel effort ? D'un autre côté, nous ne pouvions
nous satisfaire de reproduire ce tabou qui pèsera à son tour sur la fratrie
(notre fille) et sur nos éventuels petits-enfants.
Au delà du projet parental, pour peu que les parents le considèrent
comme tel, c'est bien un enfant qu'ils ont perdu.
Laissons donc les parents, tant mère que père, entamer leur processus de
deuil, en n'effaçant pas de la mémoire collective et familiale leur enfant,
même décédé in utero. Cela évitera bien des complications pour eux-mêmes
et les générations suivantes.
L'histoire familiale :
Qu'est ce que l'histoire familiale ? Si la combinaison de ces deux
mots permet d'en dégager une définition littérale, je n'en percevais pas
vraiment le sens il y encore peu de temps.
229
J'emprunte ce terme aux ouvrages de psychologie ou aux articles que j'ai pu
lire sur papier ou via le web. Je pense donc qu'il doit provenir du domaine de
la psychologie ou devrais-je dire psycho généalogie, ainsi que de la
psychanalyse.
Je ne prétends pas connaître suffisamment ces disciplines pour
expliciter ce terme à la lumière de ces dernières. Toutefois, tout être humain
est concerné par cette notion. Je la présenterai donc au travers du prisme de
mon vécu, le deuil périnatal et plus particulièrement lorsqu'il survient lors
d'une grossesse gémellaire.
Tout homme ou femme provient d'une famille, traditionnelle,
recomposée ou monoparentale qui s'est construite selon sa propre histoire.
Structurante ou destructrice, cette histoire fait partie de nous. Il n'est pas
possible de s'y soustraire, mais l'on peut apprendre à vivre avec, en étant bien
dans sa peau.
Lorsque des problèmes surgissent et qu'ils ne sont pas réglés, ils
peuvent être enfouis et devenir tabous. Il arrive que les conséquences pèsent
sur plusieurs générations, elles sont dites transgénérationnelles. C'est
notamment le cas lors de deuils non-faits.
Connaître notre histoire familiale nous permet de comprendre bien
des choses. Pourquoi mes parents se comportent-ils ainsi ? Comment se faitil que l'on m'ait caché cela ? Avoir connaissance de ces repères offre une vue
claire sur son passé, d'envisager plus sereinement l'avenir. C'est la fameuse
question de nos origines. La passion de la généalogie n'est-elle pas une
émanation de ce désir ?
Certains se donnent tant de mal pour connaître leurs ancêtres, eussent-ils
vécu il y a des siècles. Ce souhait est tout à fait compris aujourd'hui.
J'en viens au deuil périnatal. Réagit-on de la même façon selon qu'il
soit tabou ou qu'il soit abordé librement ? Certainement pas. Un enfant n'a t-il
pas le droit de connaître l'existence de son frère ou de sa soeur, qui plus est
230
lorsque c'est son jumeau ? Ce lien charnel ne doit-il s'exprimer le plus
naturellement possible ? Y poser des mots n'est-il pas plus doux que de se
frotter au mur du silence ? N'est-il pas naturel que ce soit les parents qui lui
apprennent, progressivement, en fonction de sa compréhension, plutôt que
par une indiscrétion d'un tiers, échappée telle une maladie honteuse ?
Notre vécu et celui de ceux qui nous ont précédé est un tout cohérent.
Il ne fait pas tout car notre personnalité, nos actions peuvent changer la
donne. On ne peut toutefois négliger cette influence.
L'on peut donc légitimement se poser la question de la conduite à
tenir, lorsque pareil évènement survient, notamment vis à vis de la fratrie. Le
raccourci de se dire, étouffons cela, et le problème sera réglé, a été longtemps
de mise. Cette option est certainement la plus facile à mettre en place dans
l'immédiat, de surcroît si elle est proposée par l'entourage. Est-ce la panacée
pour autant ? Peut-on raisonnablement penser que le décès in utero d'un frère
et d'une soeur ne concerne pas les membres de la fratrie survivants ?
Le constat est à mon sens sans équivoque. Tous ces évènements ont
changé à tout jamais notre vie, les rapports avec nos proches. Un décès, quel
que soit le stade de la grossesse, bouleverse la fratrie et la parentalité de nos
mère et père. Ce qui se passe ne change t-il pas notre position dans la fratrie
(passage de cadet à aîné), la configuration de notre famille (famille
nombreuse ou enfant unique) voir même la probabilité du fait que l'on
advienne ? Suite à un décès périnatal, certains parents ne déclenchent-ils pas
une nouvelle grossesse qu'ils n'auraient pas décidée autrement ?
Malgré cela, aborder de tels sujets n'est pas évident et n'est peut-être
pas sans risques pour son enfant. C'est les questions que je me suis posées
pour ma fille. Il est normal qu'elle sache qu'elle avait un frère jumeau et
qu'elle connaisse le contexte particulier de la grossesse, qui explique
d'ailleurs sa prématurité. Cette histoire ne lui appartient-elle pas pleinement ?
231
En tant que parent responsable, on ne peut toutefois s'empêcher de penser
aux conséquences d'une telle annonce et notamment sur la forme.
Il ressort qu'une annonce du tout au tout ne peut être qu'un choc. Pour cette
raison je pense qu'il n'y a pas d'âge pour en parler. Ainsi depuis toujours,
notre fille connaîtra son histoire, complétée au fur et à mesure par les mots
qu'elle est en mesure d'entendre et de comprendre. Il ne s'agit pas de ressasser
un évènement tragique ou d'avoir une attirance malsaine pour la mort.
Tout ce que je souhaite, c'est qu'elle sache qu'on ne lui cache rien, qu'elle
peut nous en parler si elle le souhaite et que nous essayerons de répondre au
mieux à ses questions. Mieux vaut la sincérité, que des zones d'ombre
laissant la place aux fantasmes les plus farfelus. A défaut les
questionnements suivants risquent de surgir : si l'on me cache quelque chose,
c'est qu'il y a un problème ? Comment ne pas le penser ? Est-ce de ma faute
s'il est décédé ? Est-ce que je mérite de vivre ? Si je meurs, est-ce que mes
parents m'aimeront encore ?
Je pense qu'il est important de montrer que le frère ou la soeur
disparue, reste toujours dans nos coeurs. En effet un frère ou une soeur est
par définition quelqu'un de très proche. Si l'on traite ce pauvre enfant décédé
in utero avec mépris voir avec déni, que pensera le frère ou la soeur
esseulé(e) ? Si un jour je partais, mes parents m'oublieraient sur le champ, j'ai
finalement peu de valeur à leurs yeux. Ce sentiment peut encore être plus fort
pour un jumeau. N'y a t-il pas de personnes plus ressemblantes que des
jumeaux ? Donner l'impression que l'on traite avec peu d'égards un jumeau
disparu ne peut-il renvoyer ce mépris au survivant, qui doit se dire, que ses
parents ne doivent guère mieux le considérer.
L'excès inverse serait de mettre sur un piédestal l'enfant disparu, la
mort pouvant devenir un modèle de perfection. D'où l'importance d'un deuil
bien fait pour se tourner et se consacrer pleinement aux enfants en vie. Leur
232
donner le regret qu'ils soient en vie car on ne s'intéresse pas à eux, serait
aussi regrettable.
Il convient de trouver le juste équilibre, mais avant tout, de faire
preuve d'humanité. Voici l'esquisse de la réponse qui fuse dans ma tête de
père en questionnement. Rien n'est figé, il faut toujours se remettre en
question et chercher la meilleure solution pour sa famille Néanmoins, je
pense que sans rentrer dans des détails morbides, exprimer l'essentiel à
chacun pour la compréhension de son histoire, est préférable à la chape de
plomb qui couvre chaque tabou. Les secrets sont source de fantasmes et
finissent toujours par tomber. Cependant, à leur chute, la vérité est bien
déformée, rarement à l'avantage de celui qui l'apprend.
Gémellité et deuil périnatal :
La gémellité, quelle surprise que seul le mystère de la vie peut nous
réserver ! Avant d'être père, mon imaginaire s'était toujours porté vers une
grossesse singleton. Donner la vie est formidable, mais deux vies en même
temps, cela m'a parut toujours incroyable.
Les jumeaux ont toujours fait travailler l'imaginaire. Quels liens
peuvent tisser des êtres aussi étroitement liés ? Débuter sa vie à deux, n'est-ce
pas une expérience formidable ? Au fur et à mesure que chaque bébé
développe ses sens, il doit progressivement ressentir voir prendre conscience
de sa mère, mais surtout de son voisin qui grandit comme lui.
Les échanges, se construisant à l'échelle de la motricité, doivent
prendre une saveur unique. Il m'était facile de me le représenter, notamment
en cas de grossesse monochoriale, où les bébés partagent la même poche. En
visionnant certains documentaires, j'ai pu constater qu'en cas de grossesse bi233
choriale, les cloisons des poches sont extrêmement fines. Je garderai toujours
en moi l'image de ces bébés s'échangeant des coups de pieds, ou encore se
blotissant l'un contre l'autre, ayant pour seule séparation une poche plus fine
qu'un cheveu.
En tant que père, j'ai toujours imaginé Sarah et Pierre, bercés par les
battements de leur coeur.
Le décès de mon fils est certainement l'épisode le plus triste de ma
vie, le plus révoltant aussi. Ce choc m'a sans doute anesthésié. Ainsi,
maintenant que j'émerge doucement, certaines questions deviennent de plus
en plus prégnantes.
Comment Sarah a t-elle vécu tout cela ?
Dans l'univers qui l'a hébergé durant 28 semaines, quel cataclysme,
quand le coeur de Pierre s'est arrêté ? Comment a t-elle vécu le fait de ne plus
ressentir ses mouvements ? A t-elle été effrayée par ce corps immobile ?
Quelle place et quelle influence prendront ces évènements intervenus à l'aube
de sa vie ? Je n'ai pas la réponse à ces questions, mais je sais que ceci fait
partie de son histoire.
Je suis persuadé que l'être humain, à défaut d'avoir tous ses sens
développés, est une éponge, un réceptacle à émotions, à ressentis, même au
tout début de son existence. Sinon comment expliquer que certains traits de
notre caractère, nos attitudes, nos forces ou faiblesses se soient forgés si tôt ?
Certes il y a les caractères génétiques de notre espèce, mais ils ne sauraient
tout résumer. Je pense que notre histoire, dès la vie utérine, nous forge et
influence fortement la suite de notre existence. De nombreux scientifiques
sont d'ailleurs d'accords sur le fait, qu'en outre de nos dénominations
anatomiques : embryon, foetus, enfant et adulte, nous sommes un continuum.
Toutes ces étapes de notre existence sont étroitement liées et la précédente a
une influence sur celle qui va succéder.
234
Le décès de Pierre a donc très probablement été perçu plus ou moins
consciemment par notre fille, les caractéristiques de son cadre de vie (le
ventre de sa maman) ayant été fortement modifiées. Mais percevoir quelque
chose ne signifie par forcément le comprendre. N'est-il pas anxiogène d'être
le spectateur aux premières loges d'un événement tragique, d'en subir les
conséquences, mais de ne pas savoir exactement ce qui est arrivé. C'est ce
que Sarah a dû vivre. Subitement plus de signe de vie de son frère, la détresse
de sa mère lorsqu'elle a appris la triste nouvelle. Tout cela a dû se transcrire
par différents signes, modifications du rythme cardiaque de la mère et
sécrétion de substances liées au stress ou à la peine, absence de stimulations
de la part de Pierre. Dans un environnement aussi feutré que le milieu intrautérin, cela a été probablement une révolution.
Pour ces raisons, je salue l'initiative de mon épouse de parler à notre
fille tout au long de la grossesse, de lui expliquer les raisons de son ressenti,
ce qui se passait...
Ces paroles n'ont bien sûr pas été comprises littéralement. Toutefois, parler
n'est-il pas pour un adulte le meilleur moyen de communiquer, de faire passer
ses émotions. Sans avoir compris la signification des mots, d'ailleurs
fortement déformés par la cavité utérine, notre fille a peut-être pu percevoir
au travers de ces derniers le ressenti de sa maman.
Au delà de la vie intra-utérine, les questionnements de notre fille vont se
poser avec plus d'acuité au gré des étapes suivantes. L'enfance, le carrefour
de l'adolescence et enfin l'âge adulte, notamment lorsqu'elle sera amenée à
son tour à être mère, susciteront leur lot de questionnements. Comment
gèrera t-elle son histoire à chacun de ces stades ?
A nous parents d'instaurer une relation de confiance et d'épargner à
notre fille le poids des secrets de famille. A nous de l'épauler pour qu'elle
235
devienne une femme épanouie. En tant que père je sais que je ne pourrai la
protéger de tout et les questions fusent.
Recherchera t-elle a recréer la relation étroite avec son frère dans le ventre
maternel ? Ressentira t-elle un manque ? Grandir aux côtés d'un jumeau doit
donner une tonalité très particulière à la vie. Comment vivra t-elle le fait de
ne pas grandir aux côtés de son frère jumeau ? Je n'ai pas la réponse à toutes
ces questions. Je souhaite cependant lui offrir des bases saines pour affronter
ces défis. Premièrement une filiation claire où elle trouve pleinement sa
place, indépendamment de son frère jumeau. La vérité sur ses origines, pour
qu'elle puisse nous consulter ou nous questionner en toute confiance. Enfin
l'assurance de notre affection, que nous l'aimons pour elle même, en tant que
personne unique.
Le poids des mots :
La devise d'une publication à grand tirage, débute par « Le poids des
mots,...». Si elle est tant connue aujourd'hui, c'est bien qu'elle porte une part
de vérité. Les mots, maillons du langage, permettent d'exprimer, de nuancer,
de colorer nos pensées, nos conceptions, notre volonté, nos humeurs. Ils se
choisissent en fonction de notre interlocuteur, et l'informent sur nous, sur
notre éducation, nos bagages, notre vécu, le message que l'on veut faire
passer...Leur choix est donc très important.
En tant que père, j'ai donc choisi un florilège d'expressions, de
termes, de réflexions qui m'ont ou qui auraient pu m'être adressées, ou encore
que j'ai pu lire, suite au décès de mon fils. Exutoire ou explication de texte, je
souhaite y apporter mon analyse. Certaines me révoltent, d'autres m'attristent,
me font rire jaune ou encore me font applaudir à deux mains. Leur
dénominateur commun est de me faire réagir. La révolution des mentalités
passe aussi par celle du langage.
236
-Fausse couche: Pour symboliser le déni du décès périnatal et le nonévènement qu'on en a fait, je n'aurai pas fait mieux qu'associer ces deux
mots. Dans le même registre je proposerai “ circulez, il y a rien à voir ” ou
encore “ retente ta chance, fais en un autre ”, mais c'est déjà plus long.
Fausse ? C'est vrai que dans les premières semaines de grossesse, il n'y a pas
à proprement parler d'accouchement en cas de décès et d'expulsion du bébé.
Après 16 ou 17 SA, il peut s'agir d'un vrai accouchement, alors que ce terme
est encore employé. Mais limite t-on la grossesse à l'accouchement ? Le
terme “ fausse ” n'est-il pas une façon de nier tout ce qui s'est passé, la réalité
de la perte de l'enfant désiré, aimé et attendu ?
-Deuil du projet parental :
Le terme de deuil est avant tout évoqué pour évoquer le processus
d'adaptation que doit suivre quelqu'un consécutivement à la perte d'une
personne, d'un être cher. Il est très rarement utilisé en d'autres circonstances
(deuil d'une relation).
Lors du décès d'un enfant désiré, même in utero, l'on parle bien du deuil d'un
être cher. Mais d'où vient l'étrange expression “ deuil d'un projet parental ” ?
Fait-on le deuil d'un projet ? Cette expression, prise isolément, n'a pour moi
aucun sens. Evidemment lorsqu'on fait le deuil d'un enfant, on doit également
faire le deuil des projets qu'on avait avec lui. Les deux deuils sont le pendant
l'un de l'autre. Ils ne peuvent être dissociés. Si l'on ne perd pas d'enfant, il n'y
a pas non plus de deuil des projets qu'on avait pour lui.
J'ai avant tout dû faire le deuil de mon fils. Le deuil de ce que j'avais projeté
pour lui en découle. Si quelqu'un a perdu un ami avec qui il aimait faire des
parties de pêche, il va avant tout déplorer la perte de son ami. Il serait
malvenu de le voir se plaindre en premier qu'il n'ait plus de compagnon pour
aller à la pêche. Une telle attitude paraîtrait indécente. Il en est de même pour
237
un enfant né sans vie. Je déplore avant tout la perte de mon fils, et non pas les
parties de foot que j'aurai pu faire avec lui.
Pour éviter toute confusion, je tiens à préciser que je ne minore pas la
détresse des couples qui ne peuvent avoir d'enfants. Je trouve légitime leur
douleur et je compatis entièrement. Je ne les vise absolument pas.
Ma critique de l'expression “ deuil de projet parental ” ne concerne donc que
les cas ou survient un décès in utero.
-C'est moins grave, car vous ne l'avez pas connu :
Je trouve formidable que certaines personnes s'arrogent le doit de mesurer la
douleur des autres. Cela me fait penser à l'infirmière, qui administrant une
énorme piqûre à un patient l'entend crier de douleur et lui adresse, étonnée : “
Je ne comprends pas que vous ayez mal, car moi je n'ai rien senti ! ”
La relation et la rencontre entre les parents et leur(s) enfant(s) sont uniques.
Le suivi de la grossesse n'est-il pas pas déjà un vécu commun entre les
parents et leur enfant ? Cette période n'apporte t-elle pas déjà son lot de
souvenirs ? Chacun, dans son environnement, va vivre à sa façon cette
période, qui se ponctuera de rencontres. L'enfant, au fur et à mesure de son
développement, va percevoir plus ou moins consciemment, ses parents ou du
moins leurs interactions. Les émotions de la mère, ses activités, n'entraînentelles pas des modifications plus ou moins significatives de l'environnement
du bébé : changement du rythme cardiaque, du goût du liquide amniotique,
bercements liés à la marche etc. Encore plus incontestable, les souvenirs
qu'en gardent les parents, notamment en fonction de leur implication.
L'annonce de la grossesse, les premiers signes tangibles, le ventre de la mère
qui s'arrondit, les mouvements dans le ventre et que dire le rencontre
échographique, qui par l'image, marque à jamais : Tous ces évènements
jalonnent l'histoire familiale, ponctuée d'anecdotes qui font que les souvenirs
restent : il suçait son pouce, il avait le hoquet, il jouait avec son cordon, les
238
circonstances particulières dans lesquelles on a appris l'heureux évènement,
les précautions prises pour la grossesse, les coups de pieds qu'il donnait...
Tous ces évènements font que les parents ont connu à leur façon leur enfant.
Cette relation appartient à ceux qui l'ont vécu, à savoir les parents et leur
enfant. Personne n'a donc le droit d'évaluer ou de hiérarchiser leur
souffrance.
-Au moins il vous en reste un ! (Dans le cas de la perte d'un jumeau) :
Il est évident que mieux vaut perdre un enfant que les deux. Toutefois cela
n'enlève pas le deuil à accomplir concernant le jumeau décédé. Un premier
mécanisme de protection consiste à se focaliser sur l'enfant survivant pour
tenir le choc de l'annonce. Il ne fait que reporter, le temps de prendre
conscience que l'être cher est définitivement disparu, le début du travail de
deuil. Ainsi, faut-il vraiment lancer pareille affirmation ? N'est-ce pas une
façon de minorer la peine ou même de dire “ comme il vous en reste un, vous
n'avez pas le droit de vous plaindre ! ” Les as de la Lapalissade me diront,
qu'il n'y a rien de plus exact que cette phrase. Je ne peux leur donner tort,
mais je leur répliquerai qu'au niveau stupidité, ils sont pas mal aussi !
Viendrait-il à l'idée de dire à quelqu'un qui a perdu son père, de lui dire “ au
moins il te reste ta mère ! ” ?
Le registre des expressions cruelles ou stupides est loin d'être épuisé,
mais je ne souhaite pas en faire un livre. Je me limiterai donc à ces quelques
exemples. Que les gens se rassurent, il arrive à tout le monde de dire des
choses blessantes. Je ne dois pas être le dernier à le faire. Tendre à en dire le
moins possible est déjà très appréciable. L'essentiel est de ne plus classer le
décès in utero comme une peine de second ordre. Le reste viendra tout seul.
Une question résume mon propos : Aurait-on dit la même chose en d'autres
circonstances ? (Décès d'un parent etc.). Il est plus difficile de décréter
quelles paroles feront du bien aux parents endeuillés. Je vous ferais donc
239
plutôt part d'attitudes que de phrases formelles. Comme dans tout deuil cela
dépend beaucoup du vécu et de la personnalité de chacun.
L'écoute et la disponibilité ne peuvent qu'être bénéfiques. Les parents
ne sont-ils pas les mieux placés pour exprimer la nature du soutien dont ils
ont besoin ? Proposer une aide dans les démarches que les parents souhaitent
effectuer est également appréciable. Je remercie encore mes beaux-parents
qui nous ont tant soutenus sur le plan financier qu'accompagnés
physiquement. La présence de ma belle-mère lors de l'établissement de l'acte
d'enfant sans vie à la mairie est un des gestes que je n'oublierai pas. Il vaut
bien des paroles. Prendre en considération l'enfant perdu est énorme vu le
contexte de déni encore trop présent dans la société. Mon épouse m'a fait
maintes fois part de la délicatesse et du respect de l'infirmière qui lui a
présenté le corps de notre fils. Une infirmière, qui lui a demandé comment
nous avons appelé notre fils, lui a aussi fait le plus grand bien. Il n'y a rien de
plus réconfortant que ces attitudes. Elles ont fait premièrement beaucoup de
bien à mon épouse, puis dans un second temps à moi, ayant l'assurance que
des personnes nous respectaient et nous comprenaient. Que ce soit un beaufrère, qui a exprimé la volonté de se recueillir sur la sépulture de notre fils,
ou encore un de mes frères, qui m'a signifié sa compréhension, je garde bien
précieusement ces belles marques d'empathie qui font chaud au coeur. Enfin,
très récemment ma belle-mère aidée par mes beaux-frères, a eu l'excellente
idée de concevoir un livre à l'attention de notre fille, la jumelle de notre fils.
Il lui explique de façon très imagée et colorée notre histoire puis la sienne. Je
l'ai trouvé très bien conçu dans la mesure où il est adapté à un enfant,
absolument pas macabre et très positif. Il n'occulte pas la perte de son frère
mais montre aussi notre amour pour elle et surtout que la vie continue. Ce
genre d'attention présente l'immense avantage de prendre en compte aussi
bien notre fille que le fils que nous avons perdu.
240
Chapitre 3 : Mon message
E
crire ces lignes m'est certainement le plus difficile. Comment faire
ressortir en quelques pages, ce que la somme des connaissances
humaines ne peut trancher. Paradoxalement, le sujet que j'aborde est aussi
l'un des plus universel et des plus fondamental. Avoir conscience que nous
pouvons transmettre la vie d'une part, que nous sommes mortels d'autre part,
n'est-ce pas les deux expériences que nous partageons avec tous nos ancêtres,
mêmes les plus reculés ? A défaut de quoi nous ne serions pas là pour en
parler.
-Chez l'être humain, lorsqu'on exerce son rôle de parent, la notion de
parentalité est employée. Ce terme, s'il est relativement récent, décrit des
relations qui ont existées même chez nos ancêtres les plus éloignés. Il a pour
avantage d'avoir un sens très large qui touche de nombreux champs dont les
241
domaines juridiques, de la psychologie et de la sociologie. Il concerne
principalement les relations entre les parents et les enfants, quelle que soit la
structure familiale (traditionnelle, recomposée, monoparentale etc.). Ainsi à
toute époque, l'on peut parler de parentalité s'agissant des relations entre les
personnes qui ont engendré et / ou élevé des enfants.
-Quand la mort survient, notamment auprès de ceux que l'on considère
comme ses semblables, l'on prend conscience qu'on est aussi mortel. Il faut
également se faire à l'idée que l'on ne verra plus les proches disparus, du
moins pas en ce monde pour la plupart des religions. Ce terrible constat peut
causer bien des tourments. L'Homme, ne pouvant s'y soustraire, a bien dû y
faire face.
Quand dans un groupe humain, des personnes disparaissent, celles
qui restent doivent bien continuer leur vie et donc faire le deuil des défunts.
L'humanité, n'a trouvé meilleure solution, me semble t-il, que de mettre en
place des rituels funéraires pour perpétuer le souvenir des personnes
disparues.
Les sujets que j'abordent, le deuil périnatal et notamment le cas des
enfants nés sans vie, ont pour particularité de voir les notions de parentalité
et de deuil être très rapprochées dans le temps.
En effet à peine certains se savent (et se sentent) parents et déjà ils doivent
faire le deuil de leur enfant. Dans certains cas il y a même concomitance, les
parents apprenant en même temps l'existence et le décès de leur enfant.
Les notions de parentalité et de deuil, ainsi que la nécessité de
faire des rituels funéraires pour maintenir le souvenir des défunts par
une reconnaissance sociale, existent depuis l'aube de l'humanité, même si
l'on a pas toujours pu les exprimer par des mots. Elles sont inscrites au plus
profond de nous, je devrai même dire qu'elles sont viscérales.
Pour ces raisons tout ce qui touche à ce sujet déchaîne rapidement les
passions. Le débat ne se limite pas à des considérations scientifiques, mais
242
aussi à des convictions, des conceptions qui dépassent notre compréhension.
L'écueil est de déraper sur les questions de l'essence de l'être humain, son
commencement et sa fin, sa valeur, la définition de la vie etc.
Pour moi ces sujets ne seront jamais tranchés. Pour les adeptes de la méthode
empirique, il suffit de réunir dans une salle close des scientifiques,
philosophes, théologiens, psychologues et sociologues de tous bords et de
leur demander de se mettre d'accord sur ces questions. Il est fort à parier que
mêmes les plus sages en viendront rapidement aux mains...
Ces besoins sont toujours les mêmes aujourd'hui. Mais qu'est-ce donc qui a
changé aujourd'hui ?
- Les nouvelles techniques, notamment l'échographie, permettent aux parents
de prendre de plus en plus tôt conscience de l'existence de leur enfant et donc
de leur parenté. Leur attitude de soin et de protection ainsi que le contact
envers l'enfant se déclinent dans la parentalité.
- La chape de plomb mise en place par les tabous autour des décès périnataux
commence à se fissurer. Les conséquences de ces deuils non-faits sont de
mieux en mieux connues, tant au niveau de leur ampleur que de leur
caractère transgénérationnel.
- Notre société laisse plus de place aux pères et aux mères pour exprimer
leurs sentiments. Doit-on s'en plaindre ?
- Plus en plus de personnes sont pour que les finalités de l'Etat Civil évoluent.
Doit-il être uniquement un outil de surveillance policière comme à sa
création ? Cette fonction n'est-elle pas désuète avec l'évolution des outils,
notamment informatiques ? Ne peut-il pas avoir désormais une vocation plus
sociale ?
Ainsi des parents qui ont perdu leur enfant et qui l'ont reconnu
comme tel, quel que soit le terme de la grossesse, doivent pouvoir vivre leur
parentalité et faire leur deuil. Quoiqu'on fasse, ils se considéreront toujours
243
comme parents et leur enfant sera toujours leur enfant. A quoi bon leur
refuser d'inscrire leur enfant dans le livret de famille ou de suivre un rituel
funéraire décent ? Au mieux ils seront très malheureux, au pire ils
s'installeront dans le déni et cela perturbera leurs relations avec leurs autres
enfants ou leur entourage. Quel bénéfice pour la société ?
Je suis donc partisan qu'il faut respecter les convictions de chacun. Ce n'est
pas par la contrainte que l'on fera changer d'avis quelqu'un.
Je ne sais plus qui a dit “ la liberté de chacun se termine où
commence celle des autres ”. Autrement dit il s'agit de garantir la liberté de
chacun pour peu qu'elle n'entame pas celle des autres.
Quelles contraintes pour la société de permettre une reconnaissance sociale
des enfants nés sans vie ? Quelles atteintes pour d'autres libertés
individuelles ? Les trois arrêts de la Cour de Cassation du 17 février 2008
sont les derniers évènements à avoir déchaîné les passions. Ces décisions, qui
ne font qu'assurer la hiérarchie des normes et le respect des textes en vigueur
depuis plusieurs années, ont généré nombre de fantasmes sur ce sujet qui
prend aux tripes.
- D'un côté certains ont joué, certainement par méconnaissance du sujet, sur
les peurs des gens en brandissant des supposées menaces, notamment sur la
possibilité d'avorter. Ces derniers ont confondu la création d'un statut
juridique avec le traitement digne des corps des enfants nés sans vie ainsi que
leur reconnaissance dans l'histoire familiale. En effet il ne s'agit en aucun cas
de donner un statut juridique à l'enfant in utero. A ce sujet, la même Cour de
Cassation s'est prononcée plusieurs fois, rendant inlassablement des arrêts
ayant la même teneur :
Interprétation stricte de la loi pénale - Homicide involontaire - Victime Enfant à naître (non)
(Assemblée plénière, 29 juin 2001, Bull. n° 8 ; rapport de M. Sargos et
conclusions de M. Sainte-Rose, BICC n° 540, p. 1)
244
Le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une
interprétation stricte de la loi pénale, s'oppose à ce que l'incrimination prévue
par l'article 221-6 du Code pénal, réprimant l'homicide involontaire d'autrui,
soit étendue au cas de l'enfant à naître, dont le régime juridique relève de
textes particuliers sur l'embryon ou le foetus.
En clair l'enfant à naître n'a pas de statut juridique. Notons que ces arrêts
ont été rendus alors que la possibilité d'inscrire dans le livret de famille et
d'inhumer les enfants nés sans vie à au moins 22 SA ou 500 g était déjà
offerte aux parents. Ces dispositions n'ont d'ailleurs pas empêché la pratique
de l'IMG (Interruption Médicale de Grossesse) pour des enfants ayant le
même terme.
J'invite les plus curieux à lire les arrêts rendus par la Cour de Cassation
rendus suite aux affaires Golfier, Grosmangin, Mareva, et Pontonet.
- D'un autre côté certains ont eu une vision idyllique de la situation, estimant
qu'il était désormais possible d'inscrire un enfant né sans vie dans le livret de
famille et de lui offrir une sépulture décente, quel que soit son terme. Ce
constat est tout aussi faux que celui de leurs pendants alarmistes.
Premièrement les arrêts de la Cour de Cassation doivent être confirmés par
une Cour d'Appel. Deuxièmement si cela est confirmé, les parents sont
renvoyés à la situation initiale, c'est à dire “saisir le tribunal de grande
instance à l'effet de statuer sur la question” comme le stipule l'article 79-1 du
Code Civil.
Ceci montre bien que rien n'est gagné. Les parents frappés par le
deuil ont-ils tous la force et les moyens de suivre toute la procédure ? Enfin
ce n'est valable que pour l'inscription dans le livret de famille. Le temps que
le dossier soit traité, il est quasi certain que les délais pour une inhumation ou
une crémation soient dépassés.
245
Cet exposé peut-être un peu lourd, a au moins le mérite de poser les choses.
Permettre une reconnaissance des enfants nés sans vie, ne restreint aucune
liberté. Ce sont juste des possibilités offertes aux parents, grands-parents,
frères et soeurs pour faire leur deuil sans être plongés dans le déni. Il vous est
désormais aisé de comprendre que les parents qui connaissent cela n'ont pas
besoin de difficultés supplémentaires pour s'en sortir. Ainsi ma démarche
provient en grande partie de ce sentiment. De par son capital d'humanité, la
société doit tout faire pour leur apporter son soutien et ne pas leur dresser
d'autres obstacles. Capital d'humanité, car les mesures que j'appellent ne
nécessitent pas des flots de millions, mais la sagesse du législateur, de la
compréhension et surtout un regard nouveau sur la question.
Je sais que le sujet fera encore débat prochainement et ce pour encore
longtemps. Si le seuil de reconnaissance d'un enfant né sans vie venait à être
abaissé, je m'en réjouirais bien entendu. Ce sera autant de souffrances
quelques peu apaisées. Toutefois fixer un seuil est-il pertinent ? Est-ce
humain ? Peut-on fixer la construction du sentiment parental à l'aune des
semaines de grossesse ? Sentiment, qui n'est pas que le reflet d'un projet
parental, mais aussi celui d'une authentique relation humaine.
Ne s'agit-il pas d'une rencontre entre les parents et leur enfant, propre à
l'intimité de chaque famille ? A t-on vraiment le droit de créer une échelle de
valeurs entre des parents qui reconnaissent leur enfant à 8 semaines de
grossesse ou encore d'autres qui ne le considère pas en tant que tel avant de
connaître son sexe, ou encore bien plus tard ?
Chaque famille se construit différemment, selon une logique qui lui est
propre. Cette alchimie nous échappe encore. L'essentiel n'est-il pas de
faciliter leur épanouissement, tout en respectant la liberté de conscience de
chacun ?
246
Pour ces raisons je plaide pour offrir aux parents une reconnaissance de leurs
enfants nés sans vie, quel que soit le terme de la grossesse. Cette
reconnaissance se traduirait par la possibilité :
-D'inscrire l'enfant dans l'histoire familiale (en le faisant figurer dans le livret
de famille).
-De faire un rituel funéraire individualisé (inhumation ou crémation) afin
d'avoir un lieu pour entretenir la mémoire de son enfant.
Je précise bien que ce ne serait que des possibilités, rien n'étant imposé aux
parents. Je suis également partisan que le législateur fixe un seuil pour
l'octroi de prestations sociales. Ce n'est pas en effet ce que recherchent les
parents endeuillés. Ce seuil éviterait également que des mauvaises langues
contestent ces avancées, en prêtant des intentions douteuses à certains.
Je sais très bien que ces dispositions ne résoudront pas tous les
problèmes, mais apporteront énormément. Perdre mon fils a été très difficile.
Heureusement, je sais qu'il repose en paix dans un lieu où sa mémoire est
entretenue avec respect. Je l'ai reconnu comme un enfant dès l'annonce de la
grossesse. Les échographies, devrais-je dire plutôt rencontres, ont renforcé ce
sentiment paternel, notamment quand j'ai pu remplacer “ mon enfant ” par
“ mon fils ”. Comment ignorer ce que j'ai vu et ressenti, du seul fait qu'il soit
décédé prématurément ? A moins d'être schizophrène, cela est impossible. Je
n'ose donc imaginer qu'il aurait pu sombrer dans l'oubli, tel un fantôme
entraperçu, mais dont tout le monde nie l'existence.
Je peux ainsi dire, en connaissance de cause, qu'une inscription dans un livret
de famille et une sépulture digne apportent beaucoup. Je suis serein pour
apporter tout l'amour dont ma fille à besoin et me projeter vers les prochaines
grossesses de mon épouse.
247
J'ai donc une pensée très forte pour les parents qui n'ont pu obtenir la
reconnaissance de leur enfant.
En tant que père, je prie tout décideur de considérer ces demandes
qui ne leur coûteraient rien, sinon un peu de courage, mais dont ils pourront
être fiers. Enfin j'espère que la société fera évoluer son regard sur le deuil
périnatal. L'attitude de l'entourage est tellement importante. Puissent le
maximum de personnes lire ces quelques lignes ...
248
Pierre,
Tu as vécu plusieurs mois dans mon ventre auprès de ta soeur.
Nous étions émus de vous voir tous les deux grandir en moi, de vous voir en
train de jouer ensemble.
Ta vie, trop brève, nous a rempli d'amour. Tu nous as bouleversé à tout
jamais. Nous sommes heureux d'être tes parents et sache que nous ne
t'oublierons jamais.
Ta petite vie nous a comblée de bonheur. Quand nous avons appris ta mort,
notre souffrance était indescriptible. C'était si injuste, si absurde ! La révolte
et la colère nous submergeaient et notre coeur, meurtri au plus profond de
nous, hurlait de douleur.
Te porter en moi te sachant mort m'était insupportable. Je n'acceptais pas la
réalité. Mais accepte t-on vraiment la mort de son bébé ? Il s'agit d'accepter
de vivre avec ce manque.
Notre amour pour toi est infini. Ton existence nous a tant bouleversée. Fruit
de notre amour, enfant désiré, attendu, ton absence sera toujours là, dans
notre coeur.
Mes bras me démangent, tellement l'envie de te serrer tout contre moi est
forte, mes yeux me piquent car je ne te verrai pas devenir un homme, ma
bouche est sèche car je n'ai jamais pu t'embrasser, mes oreilles sifflent ; je
n'entendrai jamais ton rire. Mais mon coeur déborde d'amour pour toi et ta
soeur.
Mon petit garçon, je t'aime si fort et t'avoir connu durant ces quelques mois
m'a transformée.
249
Tu es notre fils, notre premier garçon. Tu es le frère jumeau de Sarah. Tu
fais partie de notre famille pour toujours. Ta mort inexpliquée est une
blessure dans mon coeur de maman. Cette cicatrice fait partie de moi. Je sais
que tu me manqueras toute ma vie.
Enfant sans vie, bébé mort-né, enfant sans nom, ces mots sont froids et durs
comme cette réalité qui dérange la société. Sache que nous nous battrons
toujours pour cette reconnaissance.
Je t'ai mis au monde le 22 août 2006 à 16h35. Tu es né, mais la vie ne
t'animait plus depuis plusieurs mois.
J'ai voulu te voir et ce moment a été intense en émotions. Tu étais très beau.
Un beau petit bébé. Un magnifique petit garçon. J'étais très fière d'être ta
maman.
J'aurai voulu te prendre dans mes bras, déposer sur tes joues un tendre
baiser. Mais, je n'ai pas osé. Alors pardonne-moi. Je t'envoie chaque jour
tout cet amour qui me submerge tel une vague déferlant sur la plage.
Je voulais te remercier d'avoir existé. Ta vie, ô combien précieuse, était un
merveilleux cadeau, un don du Ciel.
Mon petit garçon, tu me manques chaque jour et je sais qu'on se retrouvera
un jour pour l'éternité. Mais pour l'instant, je veux vivre, je veux avoir
d'autres enfants, parce que la vie est plus forte que la mort.
Ta maman qui t'aime infiniment.
250
Situation législative concernant les enfants nés sans vie lors du décès de
Pierre
Quand notre fils est décédé, la reconnaissance sociale des bébés mort-nés
dépendait de la notion de viabilité, celle-ci était définie par une
recommandation de l'OMS datant de 1977. La circulaire de 2001 fixait le
seuil de reconnaissance d'un enfant sans vie à 22 SA ou à un poids minimal
de 500 g. Un des deux critères était
donc nécessaire pour reconnaître
l'enfant.
Il existe plusieurs cas de figures:
1° Si l'enfant naît vivant avec un des deux critères
L'inscription à l'état civil est obligatoire (registre des naissances+des décès).
Un acte de naissance + un acte de décès sont produits par l'officier d'état civil
sur présentation d'un certificat médical attestant que l'enfant est né vivant et
viable.
La dotation officielle d'un prénom est obligatoire ainsi que son inscription sur
le livret de famille.
L'inhumation ou la crémation, à la charge de la famille, est obligatoire. La
mère bénéficie de son congé maternité, et le père du congé paternité.
2° Si l'enfant naît mort avec un des deux critères: (notre cas : naissance de
Pierre après 22 SA)
L'inscription à l'état civil est obligatoire (registre des décès uniquement).
Un acte d'enfant sans vie est produit par l'officier d'état civil sur présentation
d'un certificat médical d'accouchement d'enfant né mort et viable.
La dotation d'un prénom est possible. Si les parents le souhaitent,
l'inscription de ce prénom sur le livret de famille est possible.
251
Si les parents ne sont pas mariés, ils peuvent demander ultérieurement cette
inscription.
Les parents ont la possibilité d'organiser des obsèques pour leur enfant.
Sinon, le corps de l'enfant sera:
−
soit inhumé si l'établissement de santé a pris des mesures spécifiques en
ce sens en accord avec les communes concernées.
−
soit le corps de l'enfant est incinéré dans un crématorium à la charge de
l'établissement de santé. (article R. 44-7 à R 44-9-I du code de la santé
publique)
La mère peut bénéficier de son congé maternité et ce n'est que depuis janvier
2008 que le père a le droit d'avoir le congé de paternité.
3° Si l'enfant naît vivant avec aucun des deux critères
L'inscription à l'état civil est obligatoire (registre des décès uniquement
Un acte d'enfant sans vie est produit par l'officier d'état civil sur présentation
d'un certificat médical d'accouchement d'enfant né vivant et non viable.
La dotation officielle d'un prénom est possible
Les parents ont la possibilité de l'inscrire sur le livret de famille.
Les parents peuvent organiser les obsèques de leur enfant.
Sinon, le corps de l'enfant sera:
−
soit inhumé si l'établissement de santé a pris des mesures spécifiques en
ce sens en accord avec les communes concernées.
−
soit le corps de l'enfant est dans incinéré dans un crématorium à la
charge de l'établissement de santé. (article R. 44-7 à R 44-9-I du code de
la santé publique)
Les parents ne peuvent pas bénéficier d'un congé parental.
252
4° L'enfant naît mort avec aucun des deux critères (- de 22 SA et - 500g)
L'inscription à l'état civil est impossible. Aucun acte ne peut être délivré par
l'officier d'état civil. L'établissement de santé peut néanmoins fournir aux
familles qui le souhaitent un certificat d'accouchement d'enfant né mort et
non viable.
L'inscription sur le livret de famille est impossible.
L'inhumation est très rarement possible.
Le corps est incinéré dans un crématorium, à la charge de l'établissement de
santé selon les dispositions des articles R. 44-7 à R. 44-9-I du code de la
santé publique. Néanmoins, certaines rares communes acceptent d'accueillir
ces corps dans leurs cimetières. Mais cela dépend totalement des communes.
(Si elles sont sensibilisées à la mort d'un tout petit).
Les parents ne bénéficient pas des congés parentaux.
Les trois arrêts de la Cour de Cassation 6 février 2008
Ces trois arrêts de la Cour de Cassation font suite à trois décès d'enfants
morts entre 18 et 21 SA et pesant entre 150 et 400 g. En première instance
comme en appel, les trois familles avaient été déboutées de leur demande
d'inscription à l'état civil de leur enfant au motif que les critères de viabilité
et de poids n'étaient pas remplis.
Ces trois familles ont contesté cette décision. La Cour de Cassation, se
fondant sur une lecture stricte de la loi, a estimé qu'en l'espèce, les autorités
municipales faisaient référence à une circulaire et que la loi ne mentionne
aucun critère de viabilité ou de poids pour inscrire un enfant mort-né à l'état
civil. (Cf. article 79-1 du code civil).
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Situation actuelle de la reconnaissance des enfants nés sans vie
Le Journal Officiel a rendu public deux décrets le 22 août 2008.
Le premier décret dispose qu' « un livret de famille est remis, à leur
demande, aux parents qui en sont dépourvus par l'officier de l'état civil qui a
établi l'acte d'enfant sans vie ». Ce livret de famille comporte un extrait d'acte
de naissance du ou des parents ainsi que " l'indication d'enfant sans vie ", la
date et le lieu de l'accouchement.
Le second décret prévoit que " l'acte d'enfant sans vie est dressé par l'officier
de l'état civil sur production d'un certificat médical dans des conditions
définies " par un arrêté du ministre de la santé, mentionnant l'heure, le jour et
le lieu de l'accouchement. Cet arrêté présente un modèle de ce certificat
médical d'accouchement signé par le praticien concerné.
Dans ce modèle de certificat médical d'accouchement, ne sont en aucun cas
concernées les IVG ainsi que les « Interruptions Spontanées Précoces de
Grossesse » (ISPG) c'est-à-dire les fausses couches précoces.
Ne sont donc concernés que les accouchements provoqués (IMG) ou
spontanés.
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Vrais ou faux jumeaux ?
On appelle jumeaux les bébés ayant partagé le même utérus lors de la
grossesse de leur mère. Il existe trois sortes de jumeaux :
- Les jumeaux dizygotes:
Ils sont issus de deux ovules, émis pendant l'ovulation, fécondés par un
spermatozoïde chacun. Ils possèdent donc chacun leur patrimoine génétique.
Il existe des dispositions génétiques qui favorisent la maturation de plusieurs
ovocytes.
Les bébés auront chacun leur cavité amniotique avec leur propre placenta.
La grossesse sera alors bi-choriale (deux placentas) et bi-amniotique (deux
poches des eaux).
Génétiquement, ils sont comme frères et soeurs et ne se ressemblent pas
forcément.
- Les jumeaux monozygotes
Ils représentent environ un tiers des grossesses gémellaires. Ce sont deux
bébés ayant le même matériel génétique.
Ils sont issus du même ovocyte fécondé par un spermatozoïde
L'oeuf se divise en deux parties pendant les treize premiers jours suivant la
conception. Selon le moment de cette division, l'embryon reçoit son propre
placenta et sa membrane ou bien il doit les partager.
Si cette division se produit dans les trois premiers jours suivant la
fécondation, chaque embryon reçoit son propre placenta et sa membrane
ovulaire. Ils grandissent alors comme des jumeaux dizygotes. Il s'agit alors
d'une grossesse bi-amniotique et bi-choriale.
Entre le troisième et le neuvième jour après la fécondation, la spécialisation
des cellules a tellement avancé que deux placentas séparés ne peuvent plus
être formés. Si la division cellulaire a lieu à ce moment-là, les embryons
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monozygotes grandissent donc dans une cavité amniotique propre à chacun
avec un seul placenta. Il s'agit d'une grossesse mono-choriale (un seul
placenta) et bi-amniotique (deux poches)
Après le neuvième jour, à partir de la fécondation, en cas de division, les
jumeaux partagent la même poche des eaux et le même placenta.
Ma grossesse était bi-choriale et bi-amniotique. Nous ne pouvions
pas savoir si nous attendions des jumeaux dizygotes ou monozygotes. Pour le
savoir il n'y a que la détermination des sexes des bébés qui peut différencier
ces deux sortes de jumeaux. En effet, si l'un des jumeaux est de sexe
différent, alors il s'agit de jumeaux dizygotes puisqu'ils n'ont pas le même
patrimoine génétique. Et si les jumeaux sont de même sexe, alors la seule
façon de savoir s'ils sont dizygotes ou monozygotes est de pratiquer des tests
ADN (en analysant les placentas).
On voit bien que la question de savoir si ce sont des vrais jumeaux
ou pas est bien plus complexe que cela. Voyons à présent la troisième
catégorie de jumeaux.
- Les jumeaux semi-identiques
Ces jumeaux sont rarissimes. Ils sont issus de deux spermatozoïdes fécondant
un seul ovule. Généralement, l'embryon se retrouvant avec trois
chromosomes sexuels, ne survit pas. D'où leur cas exceptionnel car non
seulement cet embryon devait survivre, mais en plus il devait se diviser en
deux pour former des jumeaux. En 2007, Vivienne SOUTER et ses collègues
du Centre médical Samaritain de Phoenix en Arizona ont rencontré des
parents de jumeaux semi-identiques. L'un des jumeaux est né hermaphrodite.
Il possède les tissus nécessaires pour former les testicules et les ovaires.
L'autre jumeau est un garçon. Ils ont été conçus naturellement et sont nés
sans complication. Ces jumeaux possèdent le même matériel génétique du
côté maternel mais ne sont porteurs des gènes paternels qu'à moitié. Ils ne
sont ni monozygotes ni dizygotes.
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Bibliographie
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Entretien avec Maryse Dumoulin «Rassurer la personne endeuillée.»
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foetale : de l'annonce au deuil.
Quelques associations de parents endeuillés confrontés au deuil périnatal
- L'Enfant sans nom – parents Endeuillés
25 rue Carnot
71100 CHALON SUR SAONE
- Petite Emilie
5 rue Lhomme
90200 GYROMAGNY
- Fédération européenne Vivre son deuil
7 rue Taylor
75010 PARIS
- Association Clara
Résidence de l'étoile Boulevard Ricca
84300 SORGUES
- Naître et Vivre
5 rue La Pérouse
75116 Paris
- Apprivoiser l'Absence
6 rue Saint Paul
92200 NEUILLY-SUR-SEINE
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