Laissez Moi Vivre

Transcription

Laissez Moi Vivre
Laissez moi vivre
PRÉFACE
Mon histoire est peu commune, je ne me suis inspiré, ni d’un film, ni d’un roman,
c’est tout simplement l’histoire de ma vie remplie d’amitié, d’amour, d’angoisse et de
désespoir. Tous les faits sont réels, seuls certains noms ont été changés dans le but de
préserver l’intimité des personnes.
Vous me direz, il y a tellement de biographies qui ont déjà été éditées sur le même
thème, mais je suis sûr que vous trouverez la mienne différente ; je ne souhaite à
aucun d’entre vous de vivre tout ce que j’ai enduré.
J’avais envie d’écrire ce livre, non seulement, pour chasser de vieux démons, mais,
également, pour vous faire passer un message d’amour et d’espoir.
J’aimerais dire à tous les gens, qui se reconnaîtront en moi, de ne pas baisser les
bras, car la vie vaut la peine d’être vécue.
N’oubliez pas, si vous êtes désespéré, il y a toujours une lueur d’espoir, une
personne qui vous aime et vous tendra la perche quand vous serez au fond du gouffre.
Chacun, d’entre vous, a une étoile au-dessus de la tête, suivez-la, elle vous guidera
tout le long de votre existence.
Je sais, vous pensez que la vie est injuste et vous vous demandez souvent pourquoi
certaines personnes ont tout et d’autres rien. Arrêtez de vous apitoyer sur votre sort,
dites-vous que tant que le moindre souffle se dégage de votre corps, il faut vous battre
et vous gagnerez ainsi une victoire sur la vie.
Fuyez la solitude, allez vers les autres, il y aura toujours quelqu’un dans votre
entourage, prêt à vous aider. Partagez votre expérience et soyez à l’écoute des plus
fragiles.
Acceptez-vous tel que vous êtes, car, croyez-moi, ce qui compte réellement, c’est ce
qu’il y a au fond de votre cœur.
Je peux vous assurer que, si le futur me réserve d’autres souffrances, je suis prêt à
les affronter, je relèverai la tête encore et encore, jusqu’à mon dernier soupir et si la
mort m’attend à un tournant de mon parcours, je serai heureux d’avoir pu laisser cet
ouvrage à ma famille, à mes amis, et à vous.
Avec toute mon affection.
Emanuel
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Comment décrire dans un si petit ouvrage toutes les joies, les peines, les
souffrances, les douleurs d’un homme qui lutte, depuis plus de 25 ans, contre la mort.
Dans ce condensé, j’essaierai de vous décrire mon incroyable parcours. Frappé par
tant de malheurs, j’ai mené, toutes ces années, un combat acharné pour vaincre la
maladie, motivé par la disparition d’êtres très chers.
J’ai souvent failli y laisser ma peau puis, rassemblant tout mon courage, j’ai essayé
de reprendre le dessus, en puisant l’énergie dans l’amour de mes proches.
Malgré les traumatismes subis par la lâcheté, la méchanceté de certains hommes
côtoyés dans le milieu professionnel, la mort de mon père, l’abandon de ma mère, la
séparation avec l’amour de ma vie et toute la rancœur accumulée par les maladies qui
m’ont si durement éprouvé, jamais ma volonté de vivre n’a faibli.
Je veux continuer la lutte pour prouver qu’avec l’espoir, la foi en Dieu et beaucoup
de courage, il n’est pas impossible de combattre et de vivre avec ces terribles maladies
telles que le sida et le cancer.
Grâce à ma détermination et à l’amour de la vie, j’ai survécu pour pouvoir partager
avec vous les moments heureux et douloureux de mon existence.
Je m’appelle Emanuel.
Je suis né un dimanche 18 octobre 1964 à midi, par une belle journée automnale,
dans un village situé au Nord du Portugal.
Ce jour-là, ma pauvre mère travaillant, péniblement, dans les champs, se rendit à
l’hôpital public pour accoucher d’un petit être qui devra affronter sa vie durant
souffrances et désespoir.
Mes parents étaient très fiers quand leurs voisins et amis, admiratifs devant le joli
bambin, les bombardaient d’éloges.
J’étais le cinquième enfant de la famille, mais aussi le dernier, car ma mère avait
encore mis au monde une petite fille qui, malheureusement, décéda au bout de 16
jours.
Maman aurait bien aimé pouponner, mais le lendemain de ma naissance, elle devait
déjà reprendre son travail, elle n’avait pas le choix car il y avait des bouches à nourrir.
Elle m’a mis à la crèche jusqu’à l’âge de deux mois, puis suite à un drame, je
réintégrai le domicile familial.
C’est à la crèche d’ailleurs que j’ai subi mon premier traumatisme. Pour une raison
totalement incompréhensible, une aide-soignante utilisa une poudre acide à la place du
talc, qui brûla toute la zone de l’anus et du pénis des nourrissons qu’elle était en train
de langer. Le produit étalé produisant son effet dévastateur sur les premiers enfants,
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qui hurlaient de douleur, attira son attention. Il était si corrosif, que chez certains
enfants le pénis était littéralement décharné.
Comme j’étais parmi les derniers, les dégâts étaient moins importants mais je
garderai, néanmoins, une trace indélébile du premier événement tragique de ma vie qui
allait hanter une partie de mon enfance et créer un sentiment de mal-être.
Je vivais à Vizela, petite ville près de Guimaraes, au Nord du Portugal, dans une
maison très rustique, sans électricité, ni eau, encore moins de toilettes.
Le sol de notre humble demeure était en terre battue et l’eau s’infiltrait, en cas de
fortes pluies, par la toiture, peu étanche.
Nous étions à 4 dans un lit, deux, la tête en haut et les deux autres la tête en bas,
pour nous réchauffer mutuellement. Il m’arrivait même de sucer les doigts de pieds de
mes sœurs en guise de tétine. Mon frère aîné dormait sur un matelas posé à même le
sol. Les matelas et les oreillers, remplis de paille, nous piquaient le corps et, souvent,
nous avions beaucoup de mal à nous endormir. Et comme chaque matin, on pouvait
compter les brindilles de paille fixées sur nos cheveux.
Les toilettes se trouvaient à l’extérieur de l’habitation, il ne s’agissait, en fait, que
d’une petite baraque en bois abritant un trou creusé dans la terre où étaient posées
deux planches en bois, accroupis au-dessus de ces deux planches, pendant qu’il
pleuvait, on se couvrait la tête d’un sac plastique pour ne pas être trempés.
Pas de papier hygiénique pour aller au WC, de vieux journaux ou de simples
feuilles de choux devaient faire l’affaire.
Par temps humide, on pouvait lire sur nos fesses les titres d’actualité, car l’encre
déteignait, les nouvelles n’étaient pas fraîches car les journaux dataient de quelques
semaines et même plus.
La nuit, nous faisions nos besoins dans un pot placé sous le lit, que nous vidions
tous les matins.
Les tâches ménagères étaient effectuées rapidement, nous ne disposions que de trois
lits dans la pièce principale, de six couverts et de deux marmites dans la cuisine.
D’ailleurs, la pièce qui nous servait de cuisine n’en portait que le nom puisqu’il
s’agissait d’une baraque avec un four en terre conçu essentiellement pour cuire le pain.
Les repas étaient préparés dans des marmites en fonte posées sur les braises ; maman
mettait plus de deux heures à faire cuire une soupe ou tout autre repas, mais c’était
plus souvent de la soupe, la viande était juste pour les grandes occasions, comme pour
Pâques
Pour laver la vaisselle, il fallait chercher l’eau à la fontaine, située à quelques
centaines mètres de la maison, avec des cubitainers que mes sœurs portaient sur leurs
têtes enroulées d’un chiffon. Elles faisaient la navette, une dizaine de fois, les jours de
lessive. Cela les amusait, c’était les seuls moments où elles pouvaient voir leurs
camarades et s’amuser le temps de remplir les cubitainers.
Le baquet, placé, à côté de la maison où trempait le linge nous servait aussi à nous
laver les pieds le soir, avant d’aller nous coucher. Nous nous lavions dans une simple
bassine tous les samedis soirs, pour être propre le lendemain, à la messe du dimanche.
Nous étions pauvres mais maman insistait toujours pour que l’on soit propre le jour du
Seigneur. Quant au reste de la semaine, un simple torchon pouvait faire l’affaire, car il
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nous était impossible de chauffer de l’eau chaude pour nous cinq. En été, il n’y avait
pas de problèmes, l’eau était plus ou moins chaude, mais en hiver, c’était différent et il
fallait des heures pour avoir l’eau chaude.
Et mon père dans l’histoire ? C’est vrai que je ne vous ai pas encore parlé de mon
père, c’était un bel homme assez grand, mince, bricoleur, il démontait n’importe quel
objet et le remontait sans problème, il savait aussi jouer de plusieurs instruments de
musique sans jamais avoir pris un seul cours. Il ne savait même pas lire une partition.
Maman me dit souvent qu’il me ressemblait. Il s’appelait Manuel et pourtant il a bien
fait partie de ma vie, mais malheureusement peu de temps.
Il est mort à 31 ans, je n’avais qu’un an et quatre mois.
Papa n’était pas un mauvais bougre, c’est la maladie qui l’a incité à se rendre à la
taverne du village pour dépenser tout l’argent du ménage en jouant aux cartes.
Les femmes qui franchissaient la porte de l’établissement étaient surnommées « as
mulhers com bigode » ce qui voulait dire « femmes à moustaches ». C’était les seules à
oser affronter leurs maris, malheureusement, maman, trop soumise, ne faisait pas
partie du lot.
Papa, atteint de tuberculose, savait qu’il était en fin de vie, personne n’avait le droit
de lui dicter sa conduite et surtout pas notre mère, qui se faisait souvent battre quand
elle refusait de lui donner de l’argent pour retrouver ses copains.
Il devenait fou et la traînait par les cheveux pour lui faire avouer où elle cachait les
sous. Maman n’a jamais cédé, elle savait, pertinemment, qu’elle devait nous faire
manger et, quand il était en pleine crise, elle se réfugiait chez les voisins pour échapper
à ses coups.
Elle ne lui en tenait pas rigueur, elle était consciente de la souffrance qu’il endurait.
Elle l’aimait malgré les coups qu’elle recevait.
Avant de mourir, il lui a demandé pardon pour toutes les violences physiques et
morales et il s’est éteint dans la fleur de l’âge, assisté par toute la famille sauf moi, le
plus jeune ; n’étant pas autorisé à le voir sur son lit de mort, on m’avait ordonné de
rester sur le pas de la porte en compagnie des voisins.
Maman, démunie, n’avait pas les moyens d’acheter une tombe ; il fut donc enseveli
dans une fosse commune sans nom, pas même une plaque pour marquer son passage
sur la terre. Rien, un immense vide, comme s’il n’avait jamais existé.
Et voilà, ma mère veuve à 29 ans, avec 5 enfants à charge et enceinte, à nouveau.
La vie s’acharna encore sur elle quand elle perdit cette petite fille qu’elle portait.
Maman travaillait dans une usine de textiles, elle était payée en escudos et sa paye
mensuelle était l’équivalent de 5 euros. Il lui était impossible de nourrir une famille de
6 personnes avec une somme si dérisoire. Ayant faim, je la harcelais tous les jours en
lui demandant du pain ; maman était désespérée de ne pouvoir subvenir à nos besoins.
Heureusement, de bons voisins nous offraient des restes de soupe ou du pain dur
que nous faisions tremper dans de l’eau ou du café à base d’orge.
Étant le plus petit de notre tribu, j’étais privilégié. Les voisins me trouvaient drôle et
mignon, ils me surnommaient « Nelinho », petit Nel, diminutif de Emanuel, je recevais
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un morceau de pain ou une tasse de soupe en plus et je ne voulais en aucun cas
partager avec mes frères et sœurs qui étaient aussi affamés que moi.
L’épicier de notre village était, également, un homme généreux qui nous faisait
crédit quand papa était encore en vie ; maman le remboursait consciencieusement,
toutes les fins de mois, lorsqu’elle touchait la paye. Mais le jour où il lui a fait
comprendre qu’il ne pouvait plus lui faire confiance, vu sa nouvelle situation familiale,
elle n’arrêta plus de pleurer. Mes sœurs essayaient de la consoler et moi j’étais bien
triste, ne comprenant pas trop ce qui se passait.
Mes sœurs avaient de superbes cheveux longs, elles y tenaient comme à la prunelle
de leurs yeux. Mais un soir, pendant leur sommeil, maman les a coupés pour les
vendre à des gitans. Le lendemain matin, elle leur a expliqué, en larmes, qu’elle
n’avait pas le choix, elle ne savait plus comment nous nourrir. Le temps passait,
maman n’arrivait pas à joindre les deux bouts, nous grandissions, mais son salaire
restait le même, les voisins nous aidaient comme ils le pouvaient. Pour eux aussi
c’était dur, ils avaient des nombreux enfants à charge, et puis maman ne voulait pas
qu’on ait pitié de nous, à aucun moment, elle ne voulait pas qu’on nous regarde de
haut, elle était fière de ses enfants.
Maman se rendait compte qu’il fallait trouver rapidement une solution. Elle pensa
que s’expatrier en France lui permettrait de trouver un travail mieux rémunéré. Un
soir, lorsque j’étais couché, elle discuta avec mes sœurs ; les mettant au courant de sa
décision, elle leur annonça qu’elle souhaitait confier les plus petits à sa belle-mère.
En me réveillant un matin, elle était partie. Mes sœurs m’avaient affirmé qu’elle
s’était rendue au marché, mais elle n’est jamais revenue. Je l’attendais paisiblement
tout en croyant la voir arriver, comme chaque fois qu’elle allait faire son marché, mais
elle n’est jamais revenue.
C’était un samedi au mois de mai.
Le choc a été si brutal que j’ai commencé à bégayer. Je n’arrivais plus à formuler
correctement une seule phrase.
Pourquoi maman m’a-t-elle abandonné ? Je ne comprenais pas, je n’avais que 4 ans.
Me voilà aussi séparé de mes deux grandes sœurs, maman leur avait trouvé un
travail avant de partir.
Vous pouvez vous imaginer le courage et l’angoisse de notre mère en arrivant dans
ce pays inconnu dont elle ignorait la langue, la France, elle qui n’avait jamais quitté
son village. Comment a-t-elle fait pour venir seule, il lui a fallu du courage pour nous
laisser. Partir se sacrifier pour nous, que cela a été dur. Maman, tu nous aimais
tellement que tu avais agi ainsi.
Elle se rendit à Strasbourg et ne sachant où aller, dormit sous les ponts. Elle erra
dans les rues et, par pur hasard, rencontra une Portugaise qui lui proposa de l’héberger.
Cette personne lui trouva un emploi et la fit embaucher pour faire le ménage dans
des bureaux où on l’exploita à fond ; elle travaillait environ 15 heures par jour pour le
SMIC.
Maman ne connaissant pas la valeur du franc, sa logeuse malhonnête lui soutira un
maximum d’argent. en lui faisant croire que c’était normal et en lui inventant une
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histoire ou n’importe quoi. Lorsque ma mère en prit conscience, elle lui régla son
compte en la traitant de tous les noms d’oiseaux. Elle lui avait même giflé, ma mère
était tellement en colère car elle savait que chaque sou était compté, pour notre survie,
car elle devait envoyer chaque mois de l’argent à sa belle-mère, là où elle nous avait
placés.
Elle demanda sa carte de séjour à la préfecture de Strasbourg et épaulée par d’autres
familles portugaises, réussit finalement à louer un studio rue Sainte-Madeleine, près du
centre-ville.
Elle commença, enfin, à avoir une vie décente mais fut vite rattrapée par le passé.
La solitude lui pesait énormément, elle pensait à ses enfants restés au village et fut
rongée de remords.
On m’a raconté qu’elle a souvent songé à attenter à ses jours en se jetant à l’eau,
mais, finalement, elle ne supportait pas l’idée que ses enfants puissent être orphelins.
Donc, ma sœur Émilia et moi partîmes vivre chez grand-mère. Céleste et Mina
avaient à l’époque 11 et 9 ans quand elles furent embauchées comme servantes dans
des familles bourgeoises.
Mon frère Antonio, l’aîné de la famille, travaillant à l’usine de textiles, resta seul
dans la maison. Il avait 15 ans et put s’en sortir grâce à nos généreux voisins qui lui
apportaient à manger le soir.
Ma grand-mère paternelle avait mis au monde 6 enfants et n’était pas ravie de
devoir s’occuper de nous. Pas très affectueuse, elle devenait, après quelques mois,
exécrable avec ma sœur et moi. Elle touchait pas mal à la bouteille, mais en cachette,
afin que mon grand-père ne s’en rende pas compte. Elle a commencé à boire lorsque
son plus jeune fils, parti combattre en Angola, n’était pas revenu de la guerre et le
décès de mon père n’avait pas arrangé les choses. L’alcool l’aidait à oublier. Il fallait
lui pardonner, le fait de perdre, brutalement, 2 enfants était douloureux.
Son fils, tué en Afrique, était mon parrain, mais je n’ai jamais eu le bonheur de le
connaître. Lui non plus, tout comme mon père, il avait promis de revenir sain et sauf,
mais malheureusement, il n’est jamais revenu. Si, il est revenu, mais dans un cercueil,
pour être enterré à Vizela !
Tous les soirs, elle nous faisait réciter 40 « Ave Maria » pour, soi-disant, sauver les
âmes des défunts. Quand elle s’endormait, pour finir plus vite nos prières, nous
avancions sa main sur le chapelet qu’elle égrenait.
Mon grand-père était un homme bon et généreux qui nous aimait beaucoup.
Très silencieux, replié sur lui-même, il subissait les sautes d’humeur de son épouse.
Grand-mère nous faisait travailler, durement, ma sœur et moi. Il fallait récolter le
maïs, faire les vendanges, traire les vaches, nourrir les cochons.
Elle nous répétait, sans relâche, que toute nourriture se paye. À 4 ans et 6 ans, ma
sœur Émilia et moi travaillions déjà comme de bons petits fermiers. À l’époque, tous
les enfants travaillaient, beaucoup d’entre eux n’allaient même pas à l’école.
Mais un jour, sans aucune raison, elle décréta qu’elle n’avait plus la patience, ni la
force de s’occuper de nous et nous fûmes placés chez notre grand-mère maternelle.
Grand-père n’approuvait pas, il voulait nous garder, mais lassé par les éternelles
plaintes de son épouse, il abdiqua.
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Mon autre grand-mère était veuve et, également, mère de 10 enfants. Ayant perdu
son mari 7 années auparavant, elle, non plus, n’avait pas été épargnée par la vie.
Heureusement que quelques fils, déjà mariés, n’étaient plus à sa charge. Ma mère,
émigrée, ne lui causait pas de problème particulier, mais elle lui manquait
terriblement.
Grand-mère témoignait son affection à toute la famille, même ses brus trouvaient
leur belle-mère très discrète et compréhensive.
Elle disait avoir beaucoup de peine pour nous, notre mère ayant dû nous quitter
pour gagner sa vie. Elle ne supportait pas que notre famille soit séparée et aurait bien
aimé nous accueillir tous chez elle, malgré le peu de moyens financiers dont elle
disposait, mais malheureusement, sa maison était trop petite.
Je crois que l’un de mes souvenirs les plus pénibles remonte à 1969.
Pendant notre séjour chez notre grand-mère, j’ai partagé la chambre de mon oncle
âgé de 19 ans.
Je dormais dans son lit et tous les soirs, il me demandait de le masturber ou alors il
mettait son sexe entre mes cuisses et faisait des mouvements de va-et-vient jusqu’à
éjaculation. Souvent, je devais faire des choses qui me font encore mal de vous en
parler et surtout de les écrire, des choses que l’on n’a pas le droit de faire à un enfant,
des choses qui vous restent gravées pour le restant de votre vie.
Il me réveillait la nuit, je le sentais se frotter contre mon dos et ses grosses mains
calleuses m’agripper quand il arrivait à l’orgasme. J’avais tellement envie de crier, il
mettait sa main sur ma bouche pour éviter tout bruit. De petites larmes coulaient de
mon visage, je frissonnais de tout mon petit corps. Du moins, à mon âge, j’avais à
peine 5 ans, je ne comprenais pas, j’ai cru tout d’abord que c’était une réaction tout à
fait normale d’une personne adulte, mais j’appréhendais le moment où il fallait se
coucher.
Tous les jours, je lui lavais les pieds avant de regagner la chambre et il me regardait
fixement avec un air de dire :
« Petit, ce sera ta fête tout à l’heure ! »
Je me blottissais dans notre lit, tenaillé par la peur, en attendant que mon oncle
arrive pour me faire subir ses sévices. Papa, pourquoi tu n’étais pas là à ce moment-là,
pourquoi tu nous as quittés si tôt, maman où es-tu ?
Le lendemain matin, pour se faire pardonner, il m’offrait un bonbon ou une petite
pièce de monnaie pour me faire comprendre que j’en aurais d’autres si j’en parlais à
personne.
Je n’ai jamais dévoilé ce lourd secret à personne.
Ma sœur aînée, en lisant mes notes, me confia qu’elle se faisait également harceler,
mais elle ne répondait pas à ses attentes, lui répétant tout le temps :
« Si tu me touches, je crie et je dis à grand-mère ».
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Nous venons de revivre la scène tous les deux ; des larmes amères coulent
silencieusement sur nos joues.
Il n’était pas le seul, d’autres voisins abusèrent, pourquoi ? Je pense qu’il savait que
je n’avais plus de père, donc plus facile et ne risquait pas des représailles. À leurs
yeux, j’étais un orphelin, un pauvre orphelin, les gens faisaient ce qu’ils voulaient de
nous. Nous étions pauvres et souvent, nous n’avions pas grand-chose à manger, je
devais les masturber dans un coin loin des regards des voisins pour un simple bonbon,
ou une miche de pain. Mon Dieu comme c’est triste de n’avoir rien à manger et d’être
à la merci des personnes plus aisées et sans scrupule !
Les jours se suivaient, monotones et laborieux. Il fallait ramasser le bois dans la
forêt, chercher de l’eau à la source, travailler dans les champs et ma tâche quotidienne
consistait aussi à laver les pieds de mes 4 oncles.
À force de ne manger que de la soupe aux choux et de boire l’eau de la fontaine, ma
sœur et moi sommes tombés malades. Nous avons retrouvé dans nos selles, souvent
par dizaines, d’énormes vers blancs de 10 à 25 centimètres de long, dont le terme
médical est « ascaris » ; c’était effrayant ! Parfois, les vers étaient si nombreux qu’on
sentait qu’une dizaine de vers voulaient sortir en même temps et qu’on appelait
secours à grand-mère. Celle-ci venait de suite en courant nous les retirer.
Nous avons appris que chez certaines personnes, ils ressortaient même par la
bouche et les étouffaient. Nous avions une peur bleue et je ne me souviens plus du
nom du produit miracle qui a enrayé cette affection. C’était une sorte de sirop au goût
puant, pas très bon, mais efficace tout de même.
Un jour, notre chatte a mis bas, mon oncle a noyé tous ses petits. J’ai choisi le plus
beau que j’ai posé au creux de ma main et, comme par enchantement, après quelques
minutes, le chaton est revenu à lui.
J’étais sidéré, je m’imaginais posséder un pouvoir surnaturel mais c’est tout
simplement parce qu’il était plus résistant que les autres.
À 6 ans, on m’a envoyé à l’école. Les filles y allaient le matin et les garçons
l’après-midi. J’étais très heureux de pouvoir assister aux cours et d’échapper à
certaines tâches quotidiennes. Surtout quand il fallait rester près des vaches à attendre
leurs excréments, pour ensuite les ramasser pendant qu’ils étaient encore chauds, cela
servait à boucher le couvercle du four pour que la chaleur ne sorte pas à l’extérieur,
pendant que grand-mère cuisait son pain. Cela ne sentait pas très bon, mais le pain
était délicieux.
Au cours primaire, j’apprenais à lire et écrire le portugais. Je me présentais à l’école
avec comme seul matériel, une ardoise et une craie. On ne disposait pas encore de
livres ou de crayons ni d’encre. Non, on n’était pas au Moyen Âge, juste dans les
années 70, mais bien sûr, nous étions au Portugal.
La maîtresse avait tous les droits, elle nous menait à la dure, comme elle avait fait
des études et nous transmettait son savoir, elle était une personne respectable et
respectée par les gens du village.
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Aucun parent ne venait réclamer quand elle battait un élève et je ne pense pas que
beaucoup d’enfants osaient se plaindre chez eux quand elle les sanctionnait, de peur
d’être punis une deuxième fois.
Pour chaque faute commise, elle nous prenait la main et nous frappait avec sa
grande règle en bois. Nous serrions les dents pour ne pas pleurer, sinon la punition
était plus sévère ; elle nous demandait alors de mettre la main en forme de bec de
cygne et tapait de toutes ses forces sur le bout des ongles. La douleur était atroce.
Comme tous mes copains de classe, j’ai eu ma dose de coups de bâton et comme
tous les copains de classe, on pissait dans nos slips tellement cela faisait mal, et dire
qu’elle prenait son pied, en nous tapant dessus. Plus on criait, plus elle souriait,
l’éducation est différente par rapport à celle d’aujourd’hui où c’est plutôt les élèves qui
agressent les profs.
À 16 heures, nous mangions un oignon cru avec du gros sel et du pain. De temps en
temps, un concombre remplaçait l’oignon… pas de tartines de Nutella ni de Kinder
Surprise ; cela peut prêter à sourire, mais c’était beaucoup plus nourrissant que ce que
nous proposons de nos jours aux enfants.
Je me sentais vraiment bien avec mes camarades de classe, mais malgré cela,
certains élèves se moquaient de moi dû à mon bégaiement ; la maîtresse était moins
revêche avec moi, c’était peut-être lié à mon handicap. Je me souviens avoir reçu une
carte postale de maman qu’elle avait envoyée pour mon anniversaire, c’était la
cathédrale de Strasbourg. Ni moi ni les autres élèves n’avions jamais vu une église
aussi haute – qui, à notre avis, faisait plus de 40 fois la taille de l’église de notre
village – je me souviens l’avoir vendue pour une banane, un fruit que je n’avais pas
encore goûté.
La plupart des élèves se rendaient à l’école pieds nus. La seule paire de chaussures
dont nous disposions était réservée aux messes du dimanche et au catéchisme.
La messe du dimanche, c’était sacré ! Il fallait être « convenable » pour se rendre à
l’office. Comme à l’école, Monsieur le curé frappait les enfants désobéissants de sa
baguette, en bois, mais il avait plus de force que la maîtresse.
Ce saint homme ne supportait pas qu’on lui tienne tête. Quand il passait dans les
rangs, il fallait lui baiser la main et lui demander sa bénédiction, Dès qu’il arrivait à
ma hauteur, je me recroquevillais comme si j’avais des choses à me reprocher, mais
c’était uniquement parce que j’avais très peur de son bâton ; je le soupçonnais de
cacher son instrument de torture sous la soutane.
Pour les fêtes de Pâques, à partir du vendredi saint, nous étions autorisés à cueillir
les fleurs du jardin pour rassembler les pétales. Nous réalisions un magnifique tapis
fleuri devant le seuil de notre porte, que Monsieur le curé piétinait en nous apportant
ses grâces et en bénissant toute la famille. Il empochait avant de repartir une
enveloppe, contenant un petit billet que grand-mère avait soigneusement préparé ; les
gens moins fortunés n’y glissaient que quelques pièces.
C’était aussi le seul jour de l’année où nous mangions de la viande, le plat
traditionnel de Pâques était du « cabri » un vrai régal ! Je gardais précieusement les os
pour jouer, car je n’avais ni voiturette, ni petit train, ni soldats de plomb.
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Avec un morceau de bois et un élastique, j’avais façonné une fronde pour tirer sur
les oiseaux qui dévoraient nos épis de blé et de maïs. Je sais, ce n’était pas bien, mais
nous n’avions pas le choix, il fallait sauver le peu de récolte que grand-mère avait,
c’est elle qui nous faisait vivre.
La maison de grand-mère était drôlement construite. De grosses pierres en granit,
non scellées par du ciment, étaient entassées les unes sur les autres ; la lumière du jour
pouvait filtrer à travers les interstices.
La cuisine était la pièce principale de notre maison à Vizela, un four en terre cuite
trônait au milieu de la pièce avec quelques marmites en fonte. Seules les toilettes
avaient meilleure allure, car ici, la planche trouée n’était plus au ras du sol, mais
déposée sur une structure en bois, ce qui était quand même plus confortable. En guise
de papier hygiénique, nous n’utilisions plus de choux, mais du papier journal que mes
oncles achetaient, les nouvelles étaient d’actualité, pas comme chez nous.
À mesure que les jours passaient, mes pensées allaient, de moins en moins, vers
maman ; je m’étais habitué à ma nouvelle vie chez ma grand-mère que je considérais
de plus en plus comme ma mère. J’étais heureux ! Je pensais être adopté comme un
enfant qui est accueilli dans une nouvelle famille. Petit à petit, le souvenir de maman
s’éloignait de mes pensées. Mais, un mercredi matin, en allant chercher de l’eau à la
fontaine, je vis au loin, une femme très différente de celles du village. Quand elle se
rapprocha, je constatais qu’elle portait une jolie robe colorée, de belles chaussures et
avait une coupe de cheveux impeccable. Elle ne ressemblait pas du tout aux femmes
portugaises vêtues uniquement de robes noires, ni d’un foulard sur la tête.
Intrigué, je me demandais qui était cette belle inconnue ?
Elle arbora un large sourire ; je la fixais, d’un air hébété, en me retournant pour voir
si elle ne s’adressait pas à une autre personne, que me voulait-elle ? Quand elle se mit
à me parler doucement :
« Nelinho, Nelinho ! »
Mais comment cette femme connaissait-elle mon prénom, mais qui est-elle ?
Soudain, je me suis mis à trembler de tout mon corps, ma joie était si immense que je
me suis pissé dessus ; cette fois-ci pas de douleur mais de joie, c’était elle ! Je l’avais
reconnue, oui c’était bien elle. Ma maman était de retour ! En relatant ce souvenir, ma
joie était telle que j’en ai encore les larmes aux yeux ! C’était le plus beau jour de ma
vie !
J’ai couru vers elle pour me blottir dans ses bras ; m’étreignant de toutes ses forces,
elle répétait en sanglotant :
« Mon fils, mon petit-fils, mon Nelinho, comme tu as grandi. »
Les mots s’étouffaient dans ma gorge :
« Oh ! maman tu m’as tellement manqué, j’ai cru ne plus jamais te revoir ma
maman chérie. »
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À ce moment, j’aurais voulu que le temps s’arrête, que nous restions enlacés tous
les deux pour l’éternité. Je m’agrippais à elle et je ne voulais plus la lâcher.
Elle me prit dans l’un de ses bras et de l’autre, empoignant sa lourde valise – qui
n’était pas en carton comme la valise de Linda da sousa et se dirigea vers la maison de
ma grand-mère. Moi, de là-haut, j’étais si fier, je regardais mes camarades qui
m’enviaient jalousement, mes petits yeux brillaient de mille feux, mon petit cœur
battait vite, l’émotion était trop forte.
En la voyant, cette dernière éclata en sanglots, elle me posa par terre et elles
s’étreignirent longuement.
J’ai couru de toute la force de mes petites jambes vers le village en criant :
« Ma maman est revenue, maman est revenue, na na na ! »
En quelques minutes, la maison fut envahie par les voisins désireux de voir l’enfant
prodigue.
Grand-mère déboucha le vin, sortit les grosses miches de pain et le bon jambon
fumé qu’elle conservait, précieusement, pour une occasion exceptionnelle et l’offrit à
tous ces gens venus souhaiter la bienvenue à sa fille chérie.
Maman avait apporté des cadeaux pour les personnes qu’elle affectionnait
particulièrement, et aussi des bonbons et du chocolat qu’elle distribuait aux personnes
présentes.
Dans le paquet qu’elle m’avait remis, j’avais découvert une chose extraordinaire :
une petite boîte qui, dès qu’on la secouait, émettait un cri de vache.
Une boîte qui faisait « MEUUUH ! MEUUUH ! » Quelle merveilleuse surprise !
J’étais tétanisé, c’était la première fois qu’on m’offrait un véritable jouet.
Curieux, je voulus voir ce qu’il y avait à l’intérieur de la boîte, je l’ai démontée et
soudain… plus rien… En 10 minutes, j’avais cassé le jouet. Je l’ai remonté comme si
de rien ne s’était passé en faisant croire que c’était un défaut de fabrication. J’étais
déjà agile de mes mains, tout comme mon père.
À midi, ma sœur Émilia revint de l’école. Elle fut prise de panique en voyant cet
attroupement, elle craignait un nouveau malheur. En apercevant maman, elle se réfugia
dans ses bras en pleurant à chaudes larmes et sauta de joie quand celle-ci lui remit son
paquet contenant une poupée ; pour elle aussi, c’était son premier cadeau.
Le lendemain matin, maman apporta les cadeaux à ses deux filles aînées qui
travaillaient toujours pour ces deux familles bourgeoises. J’ignorais ce qu’elle avait
apporté pour elles, pour mon frère aîné… c’était une montre si mes souvenirs sont
bons.
Nous étions tous heureux d’avoir retrouvé notre mère, malheureusement, le bonheur
n’allait pas durer.
Nous l’ignorions encore, mais quinze jours plus tard, elle devait repartir pour
Strasbourg.
Un après-midi, à l’école, le vrombissement du moteur d’un taxi arrêté devant notre
établissement attira mon attention. Soudain, j’aperçus maman, recroquevillée sur la
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banquette arrière, qui me cherchait du regard à travers les carreaux de la salle de
classe, j’avais compris qu’elle voulait partir sans me dire au revoir.
Mon sang n’a fait qu’un tour, enjambant la fenêtre, j’ai couru, couru pour la
rejoindre mais… en vain ; la voiture a démarré en trombe et de toutes mes forces, je
me mis à crier :
« Maman, maman, reste avec moi, je t’en prie maman, ne t’en vas pas, ne me laisse
pas, maman… »
Maman demanda au chauffeur d’accélérer, la séparation était encore une fois, dure à
supporter, j’avais du mal à comprendre pourquoi une mère abandonne-t-elle ainsi ses
enfants. Seulement plus tard, j’ai compris qu’elle n’avait pas vraiment le choix.
Bientôt, je ne vis plus que le petit mouchoir blanc qu’elle agitait.
Ma vie bascula à nouveau, j’étais effondré, après avoir couru plus de 300 mètres. La
maîtresse vint me chercher et me ramena dans la salle de classe et pour une fois, au
lieu de me frapper, elle me serra dans ses bras pour me consoler. Elle aussi était
maman et comprenait mon désarroi, même une petite larme lui coulait de son visage.
J’ai pleuré deux jours sans interruption et mon bégaiement s’accentua encore. Ma
grand-mère me réconforta de son mieux, en disant :
« Emanuel, mon petit, ne t’en fais pas, ta maman est repartie uniquement pour te
trouver une belle maison, elle reviendra bientôt et t’emmènera en France, ne pleure
pas, mon petit. »
Je l’écoutais sans rien entendre, car mes pensées étaient pour maman. Pourquoi ?
Pourquoi m’a-t-elle encore abandonné ? Je ne savais même pas où elle était, je savais
juste qu’elle était repartie en France, c’est où la France ? Je pensais que c’était au bout
du monde.
À partir de ce jour-là, je n’étais plus le même, quelque chose me manquait, j’avais
compris qu’une fois encore elle m’avait quitté, aimait-elle ses enfants, pour agir ainsi ?
J’essayais de comprendre le pourquoi et le comment sans aucune réponse, mais je ne
savais qu’une seule chose, qu’elle me manquait terriblement.
Mon oncle, cet homme pervers, dont les attouchements se faisaient plus rares parce
qu’il avait trouvé une femme pour calmer ses ardeurs, a projeté de se marier. J’avais 7
ans à l’époque.
Son mariage s’est fait discrètement car grand-mère n’avait pas pu lui payer de
grandes agapes. Nous étions enfin, ma sœur et moi, débarrassés de cet individu
machiavélique et ma plus grande joie c’était d’avoir un lit à moi.
Grand-mère, quelques mois plus tard, reçut une lettre de maman en lui disant que
cette fois-ci, elle venait pour nous chercher tous et nous ramener en France. Le jour où
grand-mère nous apprit la nouvelle, j’étais devenu heureux, souriant, plus rien n’avait
d’importance.
Rien qu’à l’idée de savoir que maman reviendrait nous chercher, mon cœur
tressaillait de joie. Mon frère Antonio avait déjà quitté le Portugal pour la rejoindre à
Strasbourg, elle lui avait trouvé un emploi dans le bâtiment.
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Et un jour, ce jour tant attendu est enfin arrivé.
C’était au mois de juin 1972, Oh ! Je n’oublierai jamais cette date gravée pour
toujours dans mon esprit, maman était revenue. Elle avait tenu sa promesse.
Il fallait faire très vite car elle avait versé une certaine somme (importante, sans
doute) à un passeur pour nous emmener, clandestinement, en Espagne où nous devions
la rejoindre, après qu’elle ait traversé la frontière.
Le temps de boucler nos valises, enfin une valise pour nous 4, et de dire au revoir à
la famille et aux amis les plus proches, nous voilà fin prêts pour l’aventure.
Mes sœurs avaient déjà démissionné de leurs employeurs respectifs et étaient
revenues chez grand-mère.
On pouvait voir, dans nos yeux, une lueur de joie et d’espoir, nous étions confiants,
pensant qu’il ne pouvait plus rien nous arriver puisque nous étions réunis.
Le jour de notre départ, une fine pluie tombait sur le village, mais aussi dans nos
cœurs, mais il pleuvait de grosses gouttes dans le cœur de grand-mère.
Elle était triste à mourir, quelle douleur ! Ses petits allaient quitter le bercail. Je l’ai
serrée dans mes petits bras, je sentais son cœur battre fort. Je lui murmurais tout en
l’embrassant.
« Adeus Bobo Adeus maezinha » (au revoir grand-mère, ne pleure pas grand-mère).
Ayant une énorme tendresse pour elle, j’avais l’âme en peine en la voyant dans cet
état.
« Adeus, meus netinhos que deus vos acompagna. » (Adieu, mes petits-enfants, que
Dieu vous garde, ne m’oubliez pas), nous disait Bobo.
NON grand-mère, je ne t’oublierai jamais, jamais !
Maman ne trouvait pas les mots pour remercier sa mère de ce qu’elle avait fait pour
elle et pour nous, grand-mère lui disait juste :
« Vai minha filha, que Deus te ajuda », (Va ma fille, que Dieu te protège, sois forte
mon enfant, je suis fière de toi).
Maman et grand-mère étaient en larmes, nous aussi, mais nous étions heureux de
partir. Le sentiment d’être partagés entre deux émotions : la tristesse et la joie.
Quelle journée chargée d’émotion !
Une estafette nous déposa à la frontière portugaise. Le rôle du passeur consistait
à nous conduire, à travers la forêt, jusqu’en Espagne, sans nous faire repérer par les
douaniers. Il avait indiqué à notre mère un endroit précis et une heure approximative,
mais, sans scrupule, il nous a abandonnés en pleine forêt.
Cet homme, peu scrupuleux, repartit à la recherche d’autres victimes dans le but
de leur soutirer l’argent qu’ils avaient, péniblement, amassé des années durant pour
pouvoir fuir la dictature de Salazar.
Nous étions désemparés, ignorant quel chemin emprunter. Puis, à un carrefour,
je me suis engagé, au hasard, dans un sentier, suivi de mes sœurs.
Comme par enchantement, nous avons débouché à l’endroit convenu. Maman,
atterrée, croyait fermement que les douaniers espagnols nous avaient reconduits à la
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frontière. Grand fut son soulagement quand elle nous retrouva, après avoir attendu
deux bonnes heures.
Après toutes ces frayeurs, nous avons pris le train pour la France, mais
l’aventure n’était pas terminée.
Nous ne possédions pas de passeports ; maman, angoissée, à l’idée qu’un
policier puisse nous contrôler, nous demandait de nous cacher, à chaque arrêt, moi
sous sa robe, mes sœurs dans l’un des porte-bagages ou dans les toilettes. Les policiers
avaient scruté les wagons à plusieurs reprises, je pense qu’ils nous avaient repérés
mais… finalement, ils se sont éloignés sans mot dire. Certainement avaient-ils eu des
consignes du gouvernement de ne pas faire trop de zèle, nous manquions cruellement
de main-d’œuvre en France.
Après 36 heures de voyage, le train entra dans la gare de Strasbourg. Nous
avions beaucoup de mal à suivre maman, allongeant le pas pour retrouver plus vite
notre frère qui nous attendait à la maison.
Nous restions bouche bée devant les feux rouges, les chiens en laisse, ses
somptueuses voitures, la gigantesque cathédrale. Je me suis souvenu de la carte
postale, c’était la même église, mais là, elle était encore plus belle et plus grande que
dans mes souvenirs.
Saoulés par l’effervescence de cette ville, nous écoutions, attentivement, notre
mère qui ne tarissait pas d’éloges sur cet endroit magique.
Lorsque nous poussâmes la porte de l’appartement, Antonio, que j’avais du mal
à reconnaître nous salua avec une joie contenue.
Enfin… Tous réunis… Après presque 3 années de séparation !
Quel bonheur !
Mon frère était devenu un bel homme, déjà marqué par son rude travail. Je le
trouvais si différent, nous échangions, à peine, quelques mots. Il a toujours été
différent, renfermé, peut-être que la mort de papa l’avait touché, puis la courte
séparation de maman, je ne sais pas, mais quelque chose s’était passé.
Ma mère nous fit visiter, brièvement, l’appartement : une seule pièce, une
cuisine et pas de toilettes à l’étage, elles étaient à l’extérieur, nous en avions
l’habitude.
Mais oh ! Merveille ! Il y avait de l’eau courante et de l’électricité. C’était
incroyable !
Je n’avais jamais vu un robinet de ma vie et je pris un malin plaisir à l’ouvrir et
à le refermer. Maman, en colère, m’ordonna d’arrêter mon jeu en disant :
« Calme-toi, Nelinho, tu n’es plus au Portugal, l’eau se paie en France. »
Ah bon ! je ne savais pas ! au Portugal l’eau coulait sans cesse à la fontaine.
Notre mère avait pris son mois de congé pour avoir largement le temps de tout
organiser. Sa première préoccupation était de nous inscrire dans les écoles, véritable
casse-tête parce que nous ne maîtrisions pas la langue française.
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Nous habitions la Krutenau, non loin de la Faculté de droit et de médecine.
Maman pensant que les enfants de tout âge pouvaient fréquenter cet établissement,
poussa, énergiquement, la porte du directeur pour lui demander de m’accepter dans
l’une des classes.
Ce dernier la fixa, perplexe, se demandant, vu ma petite taille, si j’étais
surdoué et la dirigea gentiment vers la sortie en lui promettant de m’accepter dans…
12 ans. Si j’ai mon bac. Je fus finalement inscrit à l’école primaire Saint-Thomas pour
la rentrée de septembre 1972. Une école située près de la « Petite France ».
L’appartement était beaucoup trop petit pour nous tous. C’était un studio ; nous
avions posé deux matelas sur le sol, l’un destiné à mes 3 sœurs, l’autre à mon frère
Antonio et moi, tandis que maman dormait sur le sofa. Les matelas étaient en mousse,
quelle bonne sensation de n’être plus piqué par les brindilles de pailles, il était
tellement moelleux qu’on avait du mal à sortir du lit.
Maman profitait de ses derniers jours de vacances pour nous faire visiter
Strasbourg. Elle n’était pas encore très à l’aise dans cette ville, mais connaissait bien
les principaux coins touristiques, tels que la « Petite France » et le « quartier de la
cathédrale ». Nous étions subjugués par tant de beauté.
Elle nous avait fait visiter quelques grandes surfaces, avec des escaliers roulants
et ascenseur, je n’avais jamais vu ça, je pensais que l’on montait au ciel, tout était
différent de notre village de mon pays ; tout était géant, ses lumières, ses vitrines
énormes, j’avais cru être au pays des merveilles, dans un de ses grands magasins, un
étage était consacré à des jouets. Jamais de ma vie, j’avais vu autant de jouets, des
trains électriques, des voitures, ma vache à meuuuuh, elle était la aussi, bien entendu,
il fallait juste regarder, maman n’avait pas les moyens d’acheter quoi que ce soit,
priorité à l’alimentation, c’était le plus important, car elle avait 5 bouches à nourrir.
Elle s’était renseignée pour la location d’un appartement au centre-ville. Un
trois-pièces nous a été proposé, sans salle de bains, ni eau chaude et évidemment pas
de toilettes ; c’était comme au bon vieux temps, les toilettes étaient dans la cour.
L’appartement était situé au 3e étage, ce qui voulait dire que notre petit pot de
chambre, qui servait à toute la famille, nous serait, à nouveau, d’une grande utilité au
cas où elle signerait le bail. C’est ce qu’elle s’empressa de faire et dans la quinzaine
qui suivit, nous déménagions.
Je reviens sur le mot « déménagement », pas vraiment approprié puisqu’il ne
s’agissait de ramener que deux matelas, un peu de vaisselle et quelques habits.
Vous auriez dû voir la tête des passants en nous voyant déambuler, pieds nus,
les matelas sur la tête ; ils se retournaient sur notre passage, impassibles, nous n’y
prêtions pas attention.
Oui, je répète, pieds nus, car comme au Portugal, maman nous autorisait à
mettre les chaussures uniquement pour aller à l’office, le dimanche, jour où nous
avions plaisir à retrouver nos compatriotes. C’est d’ailleurs, grâce à la communauté
portugaise que nous avions pu trouver quelques meubles : table, chaises et surtout une
armoire en plastique qui nous était de grande utilité.
Tout doucement, nous arrivions à acquérir l’indispensable.
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Maman reprit son travail, elle avait trouvé, entre-temps, un emploi de femme de
ménage au rectorat de Strasbourg. Mon frère avait toujours le même emploi de maçon
et les filles et moi, attendions impatiemment, la reprise des cours scolaires dans le but
de me faire de nouveaux amis et d’apprendre le français.
Le temps nous semblait long car notre mère nous interdisait de sortir pendant
son absence, elle avait trop peur que nous puissions nous perdre en ville.
Ma sœur aînée préparait les repas, c’était une très bonne cuisinière et maman,
éreintée après sa longue journée de labeur, appréciait de ne pas avoir à faire bouillir la
marmite pour toute la marmaille ; mon frère, jeune et vigoureux, paraissait moins
éprouvé.
Après le repas et les prières, tout le monde regagnait son lit ; de toute façon,
n’ayant pas de téléviseur, nous n’avions pas d’autres occupations.
J’étais autorisé à descendre dans la rue pour jouer au football avec un petit
voisin, d’origine hongroise, qui habitait au 1er étage. Il était très sympathique, mais
malheureusement, je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait. Sa maman
m’invitait, de temps en temps, à venir partager son goûter – une espèce de gâteau aux
noix que j’appréciais énormément – et à regarder la télévision dans leur salon
superbement agencé.
En voyant les images défiler, mon imagination galopait fertilement ; mais
comment tous ces personnages pouvaient-ils tenir dans une aussi petite boîte ? Je me
posais des questions, conscient qu’il ne fallait pas refaire la même erreur en essayant
de la démonter comme la fameuse « boîte à vache » offerte par maman. Mais j’en
avais vraiment envie, croyez-moi, cela me démangeait.
Mes sœurs connaissaient déjà le petit écran pour l’avoir vu chez leurs
employeurs, elles avaient juste le droit d’y enlever la poussière.
Finalement, le jour tant attendu arriva ! Enfin, la rentrée scolaire ! J’allais sur
mes 8 ans.
Maman me sortit mon costume et mes chaussures du dimanche qui, n’étant plus
adaptées à mes pieds, me serraient terriblement ; mais il n’était pas question d’acheter
une autre paire, ce n’était pas encore prévu au budget.
Elle m’accompagna à l’école, car j’étais encore incapable de m’orienter dans
notre quartier.
Nouvelle déception, en apercevant les autres enfants vêtus de beaux habits aux
couleurs chatoyantes, alors que moi je portais du noir, comme si je devais assister à un
enterrement.
Quand la cloche sonna et que je dus quitter ma mère pour rejoindre notre
maîtresse, tous les mauvais souvenirs d’antan me revinrent ; apeuré à l’idée de ne plus
la revoir, je sanglotai en m’agrippant à sa jupe :
« Maman vas-tu encore partir et me laisser tout seul, réponds-moi, maman ! »
Ma mère, en larmes, comprenant mes angoisses, essaya de me calmer. Elle
avait compris que ses deux subits départs du Portugal m’ont laissé des séquelles
psychologiques.
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« Non, n’aie pas peur Nelinho, je ne partirai plus jamais, je resterai toujours
avec toi, je te le promets, je te le promets mon fils ! »
Un long sourire enveloppa mon visage, je n’avais plus de raison d’avoir peur,
elle disait la vérité.
Je me résignais, finalement, à rejoindre les autres élèves et lorsque la maîtresse
me passa la main sur les cheveux, j’arrivais enfin à me détendre. Mais voyant maman
s’éloigner, un petit doute passa à travers mon esprit, je compte sur toi maman, je te
vois après l’école. Promis !
La maîtresse était très gentille et patiente ; je craignais, cependant, qu’elle ne
cache une règle dans son tiroir comme l’institutrice au Portugal. Mais non pas de règle
ici, on ne tapait pas les enfants, on pouvait les punir dans un coin, mais sans les taper,
sans aucun doute.
Les présentations faites, elle nous demanda les prénoms de chaque membre de
notre famille ainsi que leur profession ; j’essayais de comprendre, mais les mots se
bousculaient dans ma tête.
« Et ton papa à toi, que fait-il ? », questionna-t-elle.
Je répondis très ému.
« Papa morto ! » (papa mort)
Une grande tristesse m’envahit ; une fois encore, j’étais différent des autres,
J’étais le seul de la classe à ne pas avoir de papa. Le seul bègue et triste de la classe.
La cloche sonna et nous sortîmes dans la cour pour la récréation. Je
m’empressais d’enlever mes chaussures qui me faisaient trop mal et mes nouveaux
copains se moquèrent de moi en me voyant courir, pieds nus, sur le macadam encore
chaud pour ce mois de septembre. Cette première journée m’avait marqué, car à la fin
de la classe, tous les parents étaient là pour accueillir leurs enfants, je les voyais
s’embrasser, j’essayais de voir si maman était là, mais au fond de moi je savais qu’elle
travaillait, je rebroussais chemin seul, jusqu’à la maison située à 700 mètres de l'école.
Maman m’avait expliqué le chemin à prendre, ce n’était pas compliqué ; il fallait juste
faire attention au passage de piétons. Tandis que dans mon village, il fallait faire juste
attention de ne pas glisser sur une bouse de vache.
À l’école, il y avait, évidemment, des cours de sport et tous les enfants devaient
y participer. Je n’avais pas de baskets comme les autres et je n’osais pas demander à
maman d’en acheter, elle qui avait déjà tellement de mal à joindre les deux bouts.
Avant chaque cours, je me déchaussais, sous le regard étonné de ma maîtresse,
jusqu’au jour où elle arriva avec une paire de baskets, toute neuve ou presque, je pense
même que c’était à son fils. J’étais heureux d’avoir mes premières baskets à 8 ans, je
savais déjà dire merci, je me souvenais avoir dit : « Merci Madame », je me sentais
bien dans mes nouvelles pompes, elle était bleue avec des lacets blancs.
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Maman était stupéfaite, me demanda le soir d’où sortaient ces nouvelles
chaussures. Lui racontant l’histoire, je la vis essuyer une larme sur sa joue, elle n’en
revenait pas… une maîtresse d’école qui offre une paire de chaussures à l’un de ses
élèves ! Jamais, au grand jamais nous n’avions vu cela au Portugal ! Elle ne tarissait
pas d’éloges sur les Français, concluant qu’ils étaient d’une infinie bonté.
Ma vie scolaire se passa à merveille ! J’étais premier de la classe en
mathématiques, la maîtresse me félicita en me disant que j’avais, en cette matière, une
bonne longueur d’avance sur les autres élèves.
Je me rappelle bien la première visite médicale, ils nous faisaient passer un test
pour la vue en alignant des images sous-titrées en langue française, je répondais en
portugais, Casa, gato (maison, chat) chat ? et la encore j’étais surpris car chat en
portugais est une boisson, un thé.
Le médecin m’annonça que je n’avais pas besoin de porter des lunettes, il
m’avait vu tellement excité en bafouillant ces mots, il avait compris que j’avais une
bonne vue, de toute façon, il n’avait rien compris à ce que je murmurais, j’étais ravi
surtout pour maman qui n’avait rien à débourser pour mes lunettes. Même si j’avais
besoin de lunettes, maman n’aurait pas les moyens d’en acheter. En apprenant le mot
chat, j’ai voulu faire une farce à maman, en lui disant que je voulais un chat, elle
m’avait dit : « Pourquoi ? As-tu mal au ventre ? Va aux toilettes », je suppose qu’elle
ne savait pas ce que le mot chat voulait dire en français.
Je m’habituais, tout doucement, à mon nouveau mode de vie ; au bout de 5
mois, j’arrivais à m’exprimer en français.
Madame Rassingnier, notre maîtresse, était adorable ; son fils faisait partie des
élèves, il excellait dans toutes les matières sauf en mathématiques, où je le battais
largement, au grand désespoir de sa mère. Elle lui répétait souvent :
« Prends exemple sur Emmanuel ». Emmanuel en portugais s’écrit avec un seul
M, c’est pour cela que chaque fois que j’écris mon nom, je mets un « M » à Emanuel,
c’est normal, parce que je suis Portugais non ?
Notre maîtresse l’incitait à jouer avec moi pendant la récréation. À la fin de
l’année, elle m’annonça que, étant donné mes bons résultats, je ne redoublerai pas.
Quel bonheur ! Ayant 3 ans de plus que les autres élèves, je m’étais tellement appliqué
pour être admis au cours élémentaire et mes efforts ont été récompensés.
Les vacances arrivaient, nous savions que nous serions, à nouveau, confinés à la
maison, maman avait tellement dépensé en matériel scolaire et vestimentaire afin que
nous ressemblions, un tant soit peu, aux petits Français, qu’il ne restait évidemment
plus d’argent pour partir en voyage et nos papiers n’étaient toujours pas en règle.
Puisque maman touchait les Allocations familiales et de peur que nous nous
échappions de la maison, durant son travail, elle nous acheta un téléviseur, en noir et
blanc, bien sûr !
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Nous étions affalés devant le petit écran toute la journée, ne ratant aucun
programme et après le repas, maman nous autorisait, en plus, à regarder, en sa
compagnie, le film de la soirée.
La télévision avait changé notre vie, nous en prenions bien soin car nous y
avions pris goût et ne pouvions plus nous en passer. La maison était toujours propre,
mais la télé brillait, car on avait tendance à l’astiquer plus que le restant du mobilier. Je
me souviens des tout premiers films de Tarzan, on était tous blottis les uns contre les
autres à suivre ses aventures palpitantes, à chaque film, c’était le silence, hormis les
ronflements de maman, qui avait tendance à s’endormir sur le canapé, car elle était
trop fatiguée sans doute.
Pour la rentrée 1973, les mêmes élèves de l’année précédente étaient tous là, il y
avait un nouveau dans ma classe qui s’appelait François, un petit Parisien, qui allait
devenir mon meilleur ami.
Madame Schmitt, notre enseignante, brune, la quarantaine, très dynamique,
était la maman d’un petit Noir. Je n’avais pas vraiment compris comment une Blanche
pouvait avoir un fils de couleur ? Quel idiot j’étais, peut-être que son mari était de
couleur ou peut-être que c’était un fils adopté, à vrai dire, c’était le premier enfant noir
que je voyais pour la première fois de ma vie. Il y avait aussi un Marocain, deux
Italiens, une Espagnole. Ce mélange de couleurs et de cultures m’intriguait car je
pensais qu’il n’y avait que des Portugais et des Français sur terre. J’étais peut-être futé
pour certaines choses, mais pour d’autres j’étais vraiment ignorant, que voulez-vous,
dans mon village, on était tous blancs, et nous parlions tous la même langue.
J’avais beaucoup de mal avec le vocabulaire et la grammaire française, mettre
« 2 M » à femme, lire « A » alors qu’il fallait écrire « E », c’était compliqué !
Entre-temps, j’avais sympathisé avec François. Il était si drôle avec ses petites
lunettes rondes et toujours tirées à quatre épingles. Son père, archéologue, restait à
Paris, ne rentrait que le week-end ; sa mère, professeur de français à la Faculté de
Strasbourg m’invitait souvent chez eux. Ils habitaient une superbe maison de maître,
située à une cinquantaine de mètres de la nôtre, meublée, avec beaucoup de goût, de
style baroque avec une petite touche contemporaine. Le ménage n’était pas souvent
fait, Madame Grommer ayant peu de temps à consacrer au rangement. J’adorais venir
chez mon ami partager ses jeux et découvrir ses nouveaux jouets qui faisaient,
cruellement, défaut à la maison. Mon plus grand plaisir, c’était de jouer sur son
magnifique piano à queue. François, suivait des cours de musique, depuis quelques
années, et était déjà un petit virtuose du clavier.
Je me souvenais qu’un jour, François portait une belle chemise, et moi pour
l’avoir, j’ai pris de la crotte de chien et je l’ai complètement sali, car je savais qu’en
rentrant, sa maman allait la jeter dans le vide-ordures. Moi ce jour-là, j’attendais sa
chemise en bas, caché dans le hangar à poubelle. Je l’ai récupérée tout content, et je
suis entré chez moi la laver, pour la porter le lendemain. Je me souviens encore de ta
tête lorsque tu l’as vue sur moi. Désolé François, mais je n’avais jamais eu de chemise
de toute ma vie et la tienne était particulièrement belle. Tu ne m’en veux pas, dis ?
Après tout, tu ne l’aurais mise que deux fois, tu as déjà une sacrée garde-robe pour ton
âge.
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Sa mère me gâtait énormément. Elle me fit connaître des boissons telles que :
jus de fruits, coca, soda… trop onéreuses pour que maman les achète. J’avais droit,
aussi, à des galettes de céréales et parfois, elle me donnait un franc pour des friandises.
J’avais réellement, de la chance d’avoir été adopté, moi le petit émigré, par cette
famille aisée.
Ma sœur Émilia avait trouvé, elle aussi, une copine issue d’une famille
fortunée ; sa maman lui donnait souvent de beaux habits que sa fille, de même taille,
ne voulait plus porter. Ma sœur aînée, Céleste, avait quitté son école pour travailler
dans les cuisines d’un hôtel-restaurant et ne rentrait qu’une fois par semaine. À 15 ans,
elle savait tout faire, la cuisine, la couture, la lessive… en bref, elle était devenue une
fée du logis.
Mina, ma troisième sœur, avait fait juste une année de primaire, vu son âge
avancé, puis elle est allée directement au collège. C’était une élève très douée ; dans sa
troisième année, elle parlait déjà couramment le français et était première en
mathématiques. Mina aurait bien aimé continuer ses études, elle avait du potentiel,
même le directeur est venu voir maman pour la persuader de laisser sa fille étudier.
Mais maman choisit de la faire travailler. La paie de notre mère ne suffisait plus à
couvrir nos besoins, mon frère avait fait la connaissance d’une jeune Portugaise de 16
ans et avait quitté le cocon familial pour se marier. Il allait sur ses 19 ans, encore très
jeune, mais son choix était fait. Maman n’avait pas compris pourquoi cette soudaine
décision, cela allait être plus dur pour elle, car il y aurait une rentrée de salaire en
moins, car Antonio, donnait la moitié de sa paye à maman, comme tout enfant qui
partage le seuil familial jusqu’à son départ de la maison.
Maria, la femme de mon frère, que dire de plus, c’était une fille singulière. Une
tête à claque. Ses parents avaient émigré, comme nous, dans les années 70 ; ils avaient
7 enfants et tout comme leur fille, étaient des gens plutôt bizarres. Maria, qui portait le
nom de la Vierge de Fatima, était loin d’être une sainte. Elle avait complètement
envoûté mon frère qui perdit toute sa personnalité ; il nous délaissait et se rapprochait
de plus en plus de sa belle-famille. Pas de grandes dépenses pour son mariage, une
cérémonie d’une grande simplicité à l’église portugaise et un repas chez ses beauxparents. Maman, excédée, en voyant le comportement de cette famille, sans scrupule,
ne félicita pas mon frère sur son choix, lui faisant remarquer que nous étions des gens
pauvres, mais ayant reçu une bonne éducation. Le seul garçon qui se différenciait
parmi ses frères était Davis, un garçon posé et diplomate.
Antonio parti, nous étions moins serrés dans notre appartement, ce qui n’était
pas négligeable.
Les fêtes de Pâques approchaient et dans la pâtisserie adjacente à la maison de
François, de magnifiques œufs en chocolat, exposés dans la vitrine, attiraient mon
regard ; je les admirais en salivant, sachant que je ne pourrais pas les acheter car ils
étaient, si j’ai bonne souvenance, affichés à 12 francs pièce. Pourtant j’aurais bien
aimé en offrir un à maman.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Lorsqu’une femme passa devant la devanture, soudain une idée germa dans
mon esprit… et pourquoi ne pas la prendre par les sentiments ? Je peux toujours
essayer ! Je me mis à pleurer et à crier comme si l’on m’avait battu ce qui attira
l’attention de la dame :
« Que se passe-t-il petit, que t’est-il arrivé mon petit ? », demanda-t-elle.
Je lui racontais, avec une infinie tristesse, qu’ayant perdu mon papa, maman se
retrouvait sans argent et si je pleurais autant, c’est parce que j’avais envie de lui offrir
cet œuf pour les fêtes, en pointant du doigt l’un des plus gros se trouvant dans la
vitrine. Elle entra dans la boutique puis l’acheta pour me l’offrir.
J’étais sidéré, mon petit stratagème avait marché.
Lorsque j’arrivais à la maison, maman n’était pas encore rentrée du Rectorat. Je
cachais, sous mon lit, l’œuf que j’avais enveloppé dans un papier journal, impatient de
pouvoir lui remettre dans la soirée et convaincu que ma surprise allait lui faire plaisir.
J’étais le garçon le plus heureux du monde.
Mais le soir, quelle immense déception !
« D’où sors-tu cet œuf ? Où l’as-tu volé ? Allez ! je veux la vérité…
Tu ne peux pas l’avoir acheté, tu n’as pas de sou. »
Le sol se déroba sous mes pieds… moi qui croyais qu’elle serait contente,
jamais je n’aurais pensé qu’elle me poserait autant de question, c’était le premier
cadeau que j’avais l’occasion de lui offrir.
Au lieu de lui avouer que j’avais joué la comédie à une dame, car je savais que
maman l’aurait mal pris, j’ai préféré mentir en lui disant que la pâtissière me l’avait
cédé, gracieusement, parce qu’elle me voyait piétiner pendant des heures devant son
magasin.
Maman m’administra une fessée magistrale et l’œuf en chocolat fut entièrement
dévoré par mes sœurs qui se léchèrent les babines. Moi, meurtri et boudant dans mon
coin, je refusais d’y goûter, j’étais trop déçu par l’attitude de maman qui, pour la
première fois, avait osé frapper son petit garçon, juste pour un œuf de Pâques !
Notre maîtresse nous demanda d’apporter 2 francs à l’occasion de la Fête des
Mères pour acheter des fleurs et de la terre glaise en vue de façonner un vase. Je ne
pouvais pas demander cet argent à maman, c’était le prix du pain de la semaine ; que
faire ? Me servant, à nouveau, de mes dons de comédien, j’expliquais, entre deux
sanglots, que je n’avais pas de sou pour payer le cadeau. Vous pouvez deviner la
suite…
Maman cette fois-ci l’accepta avec une immense joie, car elle savait que c’était
moi qui l’avais joliment fait, sans nullement savoir que j’avais encore joué des
sentiments.
« C’est très joli Manu », dit-elle en me serrant dans ses bras.
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Manu ? C’est vrai qu’elle m’appelait rarement Nelinho maintenant que j’étais
en train de devenir un petit homme, elle prétendait que ce nom était réservé aux
bambins.
Elle voulait me faire comprendre que l’homme de la maison c’était moi ; quelle
sacrée responsabilité ! Quelle fierté aussi !
L’année suivante, grand chamboulement ! Nous avions trouvé un appartement
plus spacieux, situé à 400 mètres du précédent et à 50 mètres environ du Rectorat.
Nous y emménageâmes, dare-dare, toujours à la force de nos bras. De la fenêtre de
notre cuisine, nous avions une vue directe sur le lieu de travail de notre mère, elle était
ravie, l’appartement était beau et elle n’était pas loin de ses enfants.
Moi aussi, j’étais très heureux, pour la première fois, j’avais une chambre à moi
et vous vous rendez compte, je n’avais plus de pot sous le lit puisque les toilettes
étaient à l’étage. Malheureusement, il n’y avait toujours pas d’eau chaude, ni de salle
de bains.
À l’étage en dessous, logeait une famille très chaleureuse, les « Thomas »
également d’origine portugaise avec deux enfants : une fille Célia, pratiquement du
même âge que moi, et un garçon, Carlos, qui avait trouvé un emploi de technicien. Il
réparait les téléviseurs des clients de son patron et aussi ceux qu’il avait stockés chez
lui ; c’est lui qui m’a fait découvrir la première télévision couleur.
Je continuai à fréquenter mon ami François ; il venait, de temps en temps, à la
maison et moi j’allais dormir chez lui. J’attendais, impatiemment, la fin de l’année
scolaire car maman nous avait promis de nous emmener au Portugal. Il nous tardait de
revoir grand-mère et le reste de la famille, ils nous manquaient, tous, énormément.
Maman écrivait à sa mère, régulièrement, mais celle-ci ne sachant ni lire, ni écrire,
c’est notre tante qui traduisait et répondait au courrier.
Nous ne dormions plus, tellement nous étions excités de retourner au pays ; ça
ne faisait que 2 ans que nous avions quitté le Portugal et pourtant ça nous semblait une
éternité.
Nous sommes partis en voiture, avec un ami de notre mère qui habitait à
proximité de notre maison lorsque nous vivions au Portugal. Sa femme et ses enfants
étaient restés au pays et il leur envoyait, tous les mois, une bonne partie de sa paie,
assez conséquente, parce qu’il travaillait du côté de Kehl, pas loin de la frontière
allemande.
Maman, de temps en temps, lui faisait la lessive et lui cuisinait de bons petits
plats ; en contrepartie, il lui venait en aide pour les travaux de bricolage ; il fallait bien
s’épauler entre compatriotes !
Un samedi, à 4 heures du matin, nous avons pris la route ; maman était, à
l’avant, avec le conducteur et nous tous les quatre, entassés à l’arrière, avec les
bagages ; j’avais l’impression que la voiture n’avançait pas ; elle était tellement
chargée et dire qu’il fallait parcourir 2 200 kilomètres !
Après un voyage éreintant, nous sommes enfin arrivés au village ; grand-mère
nous guettait sur le pas de la porte. Je l’observais, elle avait pris quelques rides et de
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nombreux cheveux gris, elle avait plus de 65 ans mais paraissait toujours en pleine
forme. Elle était belle ma grand-mère. Quelles retrouvailles ! Tout le monde était à
nouveau en pleurs.
Pendant que maman et grand-mère discutaient fébrilement, nous nous
échappions pour saluer le reste de la famille et les amis qui nous trouvaient en
excellente forme. Ils disaient que nous étions remplumés et que, sans aucun doute, il
faisait bon vivre en France.
Nous ne sommes restés que quelques heures chez grand-mère, il fallait se
rendre à Vizela, le village de mon enfance où une mauvaise surprise nous attendait !
La maison était dans un état lamentable, personne ne l’avait nettoyée durant ces 2
années d’absence. Après avoir enlevé les toiles d’araignées, changé la paille des
matelas et des coussins, elle avait déjà un tout autre aspect mais rien à voir avec le
confort que nous avions à Strasbourg.
Certains de nos voisins n’avaient pas quitté le village, d’autres avaient
déménagé pour une habitation plus décente. Ce mois d’août était d’une tristesse !
M’étant tellement réjoui pour ces vacances, je m’ennuyais à mourir. Tout était
différent, je ne retrouvais plus la même ambiance qu’avant. Les gens avaient tellement
changé, ils étaient certainement jaloux parce que maman avait réussi à nous sortir de la
misère ou c’est nous qui avions évolué. Après un mois passé à Vizela, nous fûmes
contents de retourner en France, retrouver notre appartement, nos habitudes et surtout
le téléviseur. Vivre, tout ce temps, sans eau ni électricité, sans gaz, sans la télévision,
quelle torture ! J’avais l’impression que c’était difficile de revenir comme avant, une
fois que l’on s’habitue au minimum de confort, c’est très difficile de revivre comme au
Moyen Âge.
En arrivant à la maison, quelques jours plus tard, maman reprit son travail ; ma
sœur et moi, nous nous apprêtions à retourner à l’école. J’allais au CE2 cette année-là,
je maîtrisais bien le français maintenant.
J’appréhendais chaque rentrée si la mère de mon ami François était mutée à
l’autre bout de la France, je ne le verrais plus.
Madame Jacob, notre nouvelle maîtresse, était jeune et jolie ; un brin provocant
avec ses minijupes ce qui, évidemment, ne déplaisait pas aux écoliers déjà attirés par
les belles gambettes.
Nous n’avons pas vu l’année passer, tout s’enchaînait, Noël, Pâques, le
dimanche et les messes portugaises, le catéchisme. Monsieur le Curé me préparait déjà
à ma grande communion. Oh ! Zut ! J’ai oublié de vous parler de ma première
communion. Tant pis ! je n’y reviendrai pas, de toute façon, il n’y a rien d’intéressant
à relever.
Il n’était pas prévu de retourner au pays cette année. Ça ne me dérangeait pas
dans la mesure où je n’avais pas passé de superbes vacances l’année d’avant ;
pourtant, grand-mère me manquait terriblement !
Nous allions bientôt avoir une surprise de taille ! Le monsieur, qui avait eu la
gentillesse de nous emmener au Portugal l’année dernière, repartit comme tous les ans
retrouver les siens et au retour, il nous ramena grand-mère pour quelques semaines.
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Maman était très fière de pouvoir, enfin, faire découvrir son nouvel univers à sa
mère.
Grand-mère, extrêmement, fatiguée du long voyage, avait beaucoup de mal à
récupérer.
Ce n’est que le troisième jour qu’elle se décida à visiter Strasbourg.
Quittant la première fois son pays ainsi que son village, elle était fascinée par la
beauté de la ville, mais la trouvait trop bruyante.
Notre mère lui offrit un sac et des chaussures, elle voulait la gâter autant que
possible.
Grand-mère était contente mais la seule chose qui la chagrinait, c’était de ne pas
pouvoir assister à la messe, tous les jours, comme au Portugal ; malheureusement, le
curé portugais n’officiait que le dimanche.
Tous les soirs, elle égrenait, inlassablement, son chapelet, comme elle avait
l’habitude de le faire en nous demandant de participer à la prière. Pas question de
tricher à nouveau car, quand elle s’endormait, c’est maman qui comptait les « Ave
Maria ».
Nous avions déjà repris les cours et notre mère, son travail. Seule, à la maison,
presque toute la journée, puisque les enfants ne pouvaient lui consacrer qu’une demiheure pendant le repas de midi, grand-mère vaquait aux tâches ménagères en attendant
de retrouver, le soir, sa chère famille.
Elle resta en Alsace jusqu’au mois de décembre.
J’étais au CM1, cette année-là, si mes souvenirs sont exacts, mon professeur
s’appelait Jacques BOHERT. Il était très autoritaire et n’admettait pas qu’on le
contredise. Il nous emmenait, régulièrement, à la piscine ; c’est lui, d’ailleurs, qui m’a
initié à la natation.
Sans aucune pudeur, il se mettait à nu et paradait devant nous. La nature l’ayant
doté d’une pilosité anormale, il ressemblait à un chimpanzé ; je me demande s’il
n’était pas un peu exhibitionniste ?
Noël approchait à grands pas, j’adorais cette saison où maman nous offrait des
cadeaux, évidemment que des choses utiles : pull, jupe, pantalon… jamais de superflu.
Cette année-là, l’hiver s’annonçait extrêmement rude. Nous n’arrêtions pas
d’alimenter le seul poêle à charbon qui chauffait toute la maison, presque toutes les
économies de maman passaient dans le combustible. La mauvaise saison dura jusqu’au
mois de mars ; le printemps nous ramena enfin les premiers rayons de soleil et aussi le
démarrage d’un gigantesque chantier en face de notre appartement, la construction
d’un grand complexe commercial « LES HALLES ».
Les riverains, incommodés par les nuisances sonores, n’appréciaient pas du tout
ce branle-bas ; par contre nous, les enfants, avions trouvé une nouvelle aire de jeu,
nous nous amusions à jouer à cache-cache dans ce grand bâtiment, nous faisant, de
temps en temps, gronder par les ouvriers.
Mes deux sœurs, Céleste et Mina, passionnées de danse, évoluaient dans un
groupe folklorique portugais. Deux frères jumeaux, Manuel et Clides, âgés de 21 ans,
faisaient également partie de la troupe. Les jumeaux qui ne se séparaient jamais
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avaient remarqué mes deux sœurs. Ce serait amusant, pensez-vous, si deux frères
convolaient avec deux sœurs ! Figurez-vous, c’est ce qui arriva !
Céleste et Manuel se fréquentaient depuis quelques mois quand ce dernier se
présenta un jour chez maman pour lui demander la main de ma sœur. Notre mère ne
déclina pas l’offre étant donné qu’il était issu d’une bonne famille. Le repas du
mariage se fit dans notre appartement, nous avions poussé tous les meubles pour
pouvoir accueillir un maximum de personnes et moi, le garçon d’honneur, je ressentais
une grande fierté.
Céleste, partie, nous n’étions plus que quatre à partager l’appartement, Mina,
Émilia, maman et moi. Peu de temps après le premier mariage, Clides sonna à la porte
pour demander la main de Mina. Maman, heureuse pour sa fille, était atterrée en
pensant à tous les frais qu’occasionneraient à nouveau ces noces, puisqu’elles allaient
avoir lieu au Portugal. Heureusement, les parents de Clides, plus aisés que nous, la
rassurèrent en lui promettant de contribuer davantage aux dépenses.
En juillet, nous partîmes tous pour le pays fêter l’événement. Mina emporta la
robe de mariage de Céleste, c’était toujours ça de gagné ! Les festivités durèrent 2
jours, le menu était très différent de ce que nous avions l’habitude de manger en
France ; ils nous avaient servi un énorme cochon de lait ; il était délicieux et les
desserts. Hum ! Je ne vous dis pas !
Et toujours le schéma classique, de retour à Strasbourg maman reprenait son
travail au Rectorat, elle faisait, en plus, le ménage dans un cabinet médical. Je
l’accompagnais, pratiquement, tous les soirs pour la soulager de certaines corvées en
attendant de rentrer au CM2. C’était un des seuls moments où j’avais maman rien que
pour moi, alors on discutait de tout et de rien, parfois j’enfilais la blouse du toubib, et
je jouais au docteur, en lui disant : « Madame, il faut vous reposer, vous êtes trop
submergée par le travail, allez-vous reposer, je fais le reste ». Maman trouvait cela très
drôle, mais à aucun moment, elle ne s’asseyait sur une chaise. Elle tenait à ce que tout
fût désinfecté, elle avait des responsabilités. Moi, je descendais juste les poubelles de
temps en temps, j’aspirais. Maman m’apprenait petit à petit à se servir d’un aspirateur,
d’un chiffon, je prenais cela comme un jeu, un jeu bien instructif. Cela allait me servir
pour plus tard, mais mon plus grand plaisir était ailleurs.
Dans ce grand magasin de jouets situé au centre-ville, tous ces jouets me
faisaient rêver, il y avait un train électrique, qui roulait du matin au soir. Je restais des
heures à le voir tourner, j’étais émerveillé devant tous ces jouets, je m’imaginais tous
les posséder. C’était un rêve évidemment, car je savais que jamais je n’en posséderais
aucun d’entre eux. Le père Noël passait chez nous, mais il nous laissait juste un slip ou
une paire de chaussettes, jamais de jouets ; même en lui écrivant, il avait sûrement
égaré ma lettre, ou il n’y avait plus pensé, merci père Noël !
En 1976, Monsieur Bourreau, ancien entraîneur de football était notre
instituteur. Son nom nous faisait froid dans le dos ; nous pensions qu’il était méchant
et, en fait, c’était tout le contraire, il était d’une gentillesse rare. Sa seule ambition était
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de nous confronter à d’autres écoles pour des concours d’athlétisme et de récolter un
maximum de victoires.
L’une des élèves, Marie-Rose, courait les 50 mètres en un temps record, elle
avait toutes les capacités pour devenir une athlète de haut niveau. J’ai appris plus tard
qu’elle était devenue une championne de France de marathon. Nous avions également
une bonne équipe de basket et de handball. Nous battions toutes les autres écoles en
« interclasse sportif ». Je pratiquais, moyennement, ces deux disciplines mais je
brillais dans les matchs de football. Connaissez-vous un Portugais qui n’aime par ce
sport ? Moi, non !
Monsieur Bourreau était fier de nos performances et nous encourageait,
vivement, comme s’il avait une revanche à prendre sur le passé. Malheureusement, il
n’y avait pas que le sport, il fallait aussi être à la hauteur dans les autres matières et
cette année-là, nous débutions nos cours d’allemand où j’étais plutôt médiocre.
Quelle année exceptionnelle ! J’étais amoureux pour la première fois, c’était
plutôt une amourette, car notre amour ne dura que quelque temps mais je n’oublierai
jamais le premier baiser d’Anna-Maria. J’avais déjà l’apparence d’un homme, ma voix
était en phase de mutation et je surveillais, avec une attention particulière, l’apparition
des premiers poils que je brossais, délicatement, dans le but d’obtenir une belle
moustache et paraître plus viril.
C’était aussi l’époque de ma grande communion ; finalement, je crois bien que
1976 fut une de mes plus belles années après 1972.
La fin d’année au CM2 rendait les élèves tristes, tout le noyau allait éclater
puisque certains allaient être dirigés, à la prochaine rentrée, vers différents collèges et
d’autres allaient quitter définitivement l’Alsace, comme mon ami François, dont la
mère avait accepté un poste à Lyon.
Cette dernière me demanda de passer les vacances avec eux dans un chalet,
situé près de Gérardmer et comme il n’était pas prévu de partir pour le Portugal,
j’acceptais avec joie.
Plongée, canoë, piscine, randonnées, les journées étaient trop courtes pour nous
adonner à toutes les activités. En fin de vacances, les adieux avec François mon
meilleur ami, m’avaient profondément marqué, je ne le reverrais plus jamais ; lui qui
m’avait appris la culture française, les jeux et tant d’autres choses.
La rentrée 1977 fut déjà moins drôle car les nouveaux arrivants au lycée se
faisaient chahuter par les aînés ; ils nous poussaient dans les escaliers, nous
enfermaient dans les toilettes en s’esclaffant de nous avoir piégés.
Nous changions de professeur toutes les heures, ce qui ne me plaisait pas du
tout. J’avais choisi le portugais en première langue ; maman prétendait que je le parlais
avec un fort accent français alors que quelques années auparavant, c’était le contraire.
Notre professeur de portugais s’appelait Monsieur Pinto, il était d’origine française,
mais marié à une Portugaise ; son accent n’était pas terrible et nous avions beaucoup
de mal à le comprendre.
J’avais sympathisé avec deux frères turcs, dont l’un était dans ma classe. Nous
sortions souvent ensemble et certains soirs, des Portugais, les « Ameida », qui ne
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faisaient pas partie de ma paroisse, se joignaient à nous. Leur famille était composée
de 7 enfants et les garçons étaient tous très doués pour le football.
Les membres de notre famille participaient, avec beaucoup de plaisir, aux
activités de la paroisse portugaise. Maman et mes sœurs chantaient à la chorale et moi
j’enseignais, à la demande de Frère Jacques, le catéchisme aux petits de 6 ans, tous les
dimanches après l’office. Très heureux de pouvoir lui rendre service, je me sentais
valorisé dans mon rôle de professeur de religion. Les enfants avaient une grande
sympathie pour moi ; pour détendre l’atmosphère et rendre les cours moins
monotones, je plaçais, de temps en temps, une blague entre les « Ave Maria » et les
« Notre Père ».
Entre-temps, Céleste avait accouché d’un garçon avec de superbes yeux bleus
prénommé Philippe ; j’étais tonton pour la deuxième fois car la femme de mon frère
Antonio avait mis au monde, peu de temps auparavant, une adorable petite fille
Christine.
1978… 1979. Je débutais ma 5e avec d’autres professeurs, à l’exception de
Monsieur Pinto, qui fidèle au poste, n’avait toujours pas amélioré son accent. Les
années défilèrent agrémentées, de temps en temps, d’un séjour au Portugal.
Un soir, j’entendis ma mère discuter avec Manuel ; ils projetaient de retourner
définitivement au pays. À partir de ce jour, je ne faisais plus d’effort à l’école, à quoi
bon étudier si je devais retourner au Portugal ? N’étant plus motivé, mes notes
chutaient, considérablement, et certains jours, je séchais même les cours.
Mina, mon autre sœur accoucha, à son tour, d’une charmante petite fille
prénommée Sandra et mon frère Antonio devint à nouveau papa d’un petit Gabriel. La
famille s’agrandissait, j’eus l’honneur d’être, à l’âge de 15 ans, tonton pour la
quatrième fois.
À la fin de la 5e, les professeurs m’orientèrent vers un lycée technique pour
suivre un apprentissage de mécanicien ou de menuisier. Pour faire plaisir à maman,
qui me voyait déjà à la tête d’une entreprise au Portugal, j’optai pour la menuiserie.
Céleste mettait au monde son deuxième enfant, une fille prénommée Élisabeth,
une petite brune, belle à croquer. Elle était ravie d’avoir un enfant du sexe opposé au
premier bébé.
Le lycée ne me convenait pas du tout, les ateliers étaient réservés uniquement
aux garçons, de ce fait… aucune fille à l’horizon. J’assistais, uniquement, à la
formation de menuiserie et au sport et je boudais les autres matières. J’allais prendre
les repas, qui n’étaient pas trop mauvais, à la cantine et je passais les après-midi avec
les copains à jouer au football.
Sur le bulletin scolaire en fin d’année, on pouvait lire « élève brillant par ses
absences » avec un « 0 » de moyenne sauf pour la menuiserie où j’étais noté « 14 sur
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20 » et le sport « 18 sur 20 ». Bien sûr, maman n’était pas au courant, j’imitais sa
signature sur les fiches d’absence. Je savais, maman, que ce n’était pas bien ce que je
faisais. Il fallait parler plus bas le jour où tu as décidé de retourner au Portugal, si je
n’avais pas entendu votre discussion, j’aurais travaillé normalement. Mais bon ! de
toute façon, je n’étais pas fait pour être menuisier, je tenais à mes doigts.
Mina venait d’avoir son deuxième enfant, un garçon, José Miguel qui était de
toute beauté, nous avions l’art de faire de superbes bébés dans la famille.
Ma sœur Émilia, elle aussi, avait quitté le collège pour aller travailler, elle
voulait être indépendante pour ne pas avoir à suivre maman déterminée, plus que
jamais, à repartir dans son pays. Elle souffrait d’hypertension et de problèmes
respiratoires et le climat à Strasbourg n’était pas très bénéfique pour elle.
Nous partîmes avec M. Manuel, notre ami dévoué, en juillet 1980, huit années
après notre arrivée en France.
Les adieux furent douloureux, c’était la première fois que je quittais mes sœurs
et mes petits neveux, et le plus dur, c’était de laisser Émilia, plus proche de moi que
les autres, étant donné qu’elle vivait toujours sous notre toit.
Elle avait 18 ans, maman lui faisait confiance surtout qu’elle allait habiter chez
Mina, le temps de se trouver son petit appartement.
Donc, maman est partie avec sa conscience tranquille, même si les deux aînés
ne comprenaient pas trop bien le choix de maman de partir si vite, de laisser ses
enfants et petits-enfants. Elle refaisait la même chose comme il y avait 13 ans en
arrière, mais là, c’était un peu différent, car on avait tous grandi.
Moi, je n’avais pas le choix, n’étant pas encore majeur. Alors, je n’avais pas le
choix du tout !
En découvrant au Portugal la superbe maison, située à quelques kilomètres de
Vizela que M. Manuel nous avait fait construire et qui était juste accolée à la sienne,
j’oubliais mon chagrin.
Nouveaux voisins, nouveaux amis et une nouvelle demeure équipée d’une salle
de bains avec de l’eau chaude et des toilettes, rien que pour nous. Ouf ! Enfin une salle
de bains et de l’eau chaude, j’ai attendu presque 17 ans pour avoir de l’eau chaude.
Une nouvelle vie commençait pour maman et moi.
M. Manuel, l’ami de maman, avait ouvert un café tout près de la maison ; tous
les soirs, maman s’occupait du bar ; moi aussi, de temps en temps, j’étais appelé à
faire le service en salle. J’étais perdu dans ce nouveau village où je ne connaissais
personne ; tout le monde m’appelait « le Français ».
Les affaires de Manuel étaient florissantes, le café tournait bien, maman était
contente de son nouvel emploi. Maman apportait son savoir-faire culinaire qu’elle
avait appris en France, dont les clients raffolaient bien. Tout allait pour le mieux…
jusqu’au jour où la femme de Manuel, ne supportant plus d’être boudée par les clients
qui préféraient être servis par ma mère, racontait, à qui voulait l’entendre, que maman
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était la maîtresse de son mari et qu’ils avaient déjà eu une liaison en France. Sale
garce, blonde, poilue et mauvaise langue, à cause d’elle !
Les langues allaient bon train, maman était pointée du doigt par tous les
villageois et traitée de « putain » ; une rumeur circulait que j’étais un bâtard, que
M. Manuel était mon père. Oui mon père s’appelait aussi Manuel, mais ce n’était pas
celui-là, Un soir, les beaux-frères de ce dernier firent irruption dans le café pour, soidisant, régler les comptes. J’étais, à ce moment-là, dans la salle de jeu en train de jouer
au billard et j’aperçus, l’un d’eux, prendre maman, subitement, par les cheveux.
J’arrivai à toute vitesse pour lui asséner, de toutes mes forces, la queue de billard sur la
tête.
Maman n’ayant rien à se reprocher, elle ne se culpabilisait pas, mais regrettait
déjà, amèrement, d’avoir quitté la France, elle qui pensait pouvoir trouver son bonheur
au Portugal. Après ces années durement passées en France à travailler sans relâche,
elle était déçue et se demandait si elle avait bien fait de suivre son ami, avait-elle un
penchant pour lui ?
Elle décida de ne plus aller au café et moi de mon côté, je me mis à chercher un
travail tout en suivant des cours du soir pour parfaire mon portugais. Je commençais à
déprimer, je n’imaginais pas vivre dans de telles conditions en revenant ici et l’absence
de mes sœurs me pesait énormément. De temps en temps, elles m’envoyaient un
courrier pour m’encourager : « Tiens bon Manu, aide maman » ; elle aussi, avait
beaucoup de mal à vivre sans sa petite famille à proximité.
Enfin, je trouvai un emploi dans une menuiserie, j’étais payé 15 euros par mois,
à raison de 10 heures par jour ; quand j’avais donné 10 euros à ma mère, il ne me
restait pas grand-chose. Les salaires en France étaient de 500 euros minimum.
J’aspirais à passer mon permis et à acheter une voiture comme les autres jeunes mais
avec si peu de moyens, c’était irréalisable !
J’écrivais à mes sœurs, en les suppliant, de me chercher pour me ramener en
France ; maman était d’accord mais il fallait que j’attende encore 1 an, je n’avais pas
encore 18 ans. La vie est souvent complexe ! Il y a 10 ans, je pleurais toutes les larmes
de mon corps parce que ma mère m’avait abandonné et maintenant, je n’avais qu’une
idée en tête c’était revenir en France en la laissant au Portugal. C’était à n’y rien
comprendre !
En attendant de repartir pour Strasbourg, je passai mes soirées chez la voisine
qui avec ses sept enfants (deux garçons et cinq filles) devait faire face à beaucoup de
difficultés ; son mari travaillant en Allemagne, elle les élevait toute seule. Je me
sentais bien dans cette famille, ils étaient tous tellement gentils. Une des plus
sympathiques du village, c’était les Lopez, je tombais même amoureux de l’une
d’elles, mais ce n’était qu’une petite amourette. Et j’avais aussi oublié la famille
Perreira, qui était émigrée aussi à La Rochelle et venait passer leurs vacances au pays
dès qu’ils le pouvaient, c’était les deux seules familles avec qui je m’entendais bien.
Vous voulez une bonne blague ? Un voisin qui avait acheté un magnétoscope, c’était
le premier du village à en avoir un, tout content il invita 5 de ses amis et par l’occasion
il m’avait invité aussi, il avait par la même occasion loué une cassette vidéo afin que
l’on puisse regarder et passer une bonne soirée ensemble. On était tous à attendre que
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le film commence, puis le film du soir débuta. Sans s’en rendre compte, on était en
train de voir le film qui passait sur la chaîne portugaise ; lui s’était dit que la
vidéothèque s’était trompée de cassette alors qu’on a regardé le film télévisé comme
des imbéciles et à la fin, il sortit la cassette pour la ranger dans son boîtier ; et là, il
s’était rendu compte qu’il n’avait pas appuyé sur PLAY, on était tous mort de rire.
Je travaillai toujours à la menuiserie, j’obtins, enfin, une augmentation de
2 euros par mois, ce qui ramenait mon salaire à 17 euros, montant dérisoire en
comparaison de ce que gagnaient mes collègues, soit environ 70 euros par mois.
Mon patron prétextait que j’étais nouveau et que, sans ancienneté, je ne pouvais
prétendre à une meilleure paye.
Il m’exploitait littéralement ! Je travaillais à la chaîne… environ 200 chaises et
une dizaine de tables dans la journée, du lundi au samedi et en cas de commande
importante, quelquefois le dimanche.
Mes sœurs arrivèrent vers la fin du mois de juillet et comme j’allais repartir
avec elles, j’arrêtai mon activité dans l’entreprise. Mes neveux avaient beaucoup
changé, Philippe s’exprimait parfaitement, Élisabeth et José Miguel avaient mûri et la
petite Sandra, ma préférée, devenait une jeune petite fille superbe ; j’étais ravi de les
revoir tous. Mes sœurs nous annonçaient aussi la naissance d’un troisième enfant pour
mon frère, un petit garçon prénommé Daniel.
En 1980 ou 1981, nous sommes partis, maman et moi à Gafanha rejoindre mes
sœurs chez leurs beaux-parents ; Mme Maria et M. Joao, les beaux-parents de mes
sœurs, des personnes d’une extrême gentillesse et d’une grande simplicité. À vrai dire,
jamais je n’ai rencontré un homme aussi juste, bon, honnête et respectueux que lui, un
père idéal pour tout enfant, un gentleman !
Nos vacances ne furent pas de tout repos ! Mes beaux-frères étaient venus
construire une maison sur 3 niveaux dans ce magnifique petit village tout près
d’Aveiro, 50 kilomètres à peine de Coimbra, entre Porto et Lisbonne.
Toute la famille aidait à mettre en place les fondations, chaque tâche était
définie, les femmes aux fourneaux, les hommes à la truelle. Moi je ne travaillais que le
matin, l’après-midi j’accompagnais les femmes à la plage et le soir, nous nous
retrouvions pour des repas gargantuesques.
Ce n’était pas un palace mais quand même une imposante bâtisse avec 10
chambres, quatre salles de bains, deux cuisines, quatre salons ; en fait, achevée, elle
devenait la maison la plus grande du village.
Maman partageait le bonheur de mes sœurs mais la tristesse la gagnait en
pensant qu’il ne restait plus que quelques jours avant notre départ. La séparation allait
être dure, autant pour elle que pour nous, nous étions conscients de la faire souffrir et
en ce qui me concerne, j’étais malheureux de la voir dans cet état. Il fallait pourtant
qu’elle comprenne que c’était à notre tour d’améliorer notre quotidien, comme elle
avait essayé de le faire quelques années auparavant.
Mes sœurs avaient quitté le Portugal avec leurs familles respectives. Il n’y avait
plus de place pour moi dans la voiture, je devais prendre le train pour revenir à
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Strasbourg ; maman m’ayant acheté le billet, m’accompagna, avec ma tante, jusqu’à
Porto où j’avais une liaison directe jusqu’à Paris.
Tout le long du trajet, la gorge nouée et le cœur serré, je me remémorais ma
mère, en pleurs, sur le quai de la gare ; je la revoyais agiter frénétiquement son
mouchoir blanc en criant :
« Adeus meu filho », adieu mon fils, sois un homme, ne fais pas de bêtises !
Voilà que le même scénario se renouvelait : rupture et chagrin ! Je me
demandais ce que le futur allait encore nous réserver ?
Après un voyage de 28 heures, j’arrivais, enfin, à Strasbourg ; il pleuvait des
cordes ce jour-là et ce temps triste n’était pas pour me remonter le moral.
Je m’installais, comme prévu, chez ma sœur Émilia qui avait trouvé un deuxpièces au-dessus d’un traiteur « Italien-Espagnol » Elle emménagea dans la chambre et
me laissa le salon.
Mes beaux-frères m’embauchèrent comme manœuvre dans leur entreprise de
construction. Le labeur était dur surtout quand le thermomètre descendait très bas ; je
n’avais plus l’habitude des grands froids.
Lorsque je réceptionnai ma première paye : 3 500 francs, (environ 530 euros)
mon cœur tressaillit de joie et de fierté ; je courus immédiatement me faire ouvrir un
compte à la banque.
L’affaire marchait bien, nous acceptions tout, même les petits travaux ; il y
avait des bouches à nourrir. Clides avait trouvé un nouveau chantier à Nice qui devait
durer 6 à 9 mois, il s’agissait de rénover un manoir du XIXe siècle.
Nous sommes partis, tous les trois, dans une estafette et après 15 heures de
trajet, nous nous sommes retrouvés, interloqués et ahuris, devant ledit manoir que
notre client avait la prétention d’appeler ainsi. En fait, il ne restait que 4 pans de murs.
Nous avons démarré le chantier, tout allait parfaitement bien !
La vie n’était pas facile, mes beaux-frères dormaient sur des plaques de
polystyrène, à la belle étoile ; moi, j’avais la chance de pouvoir m’abriter dans un
réduit qu’ils avaient installé pour stocker tout le matériel nécessaire à la réfection du
bâtiment.
À nouveau, pas d’eau courante, ni de WC, décidément, j’avais vraiment un
problème avec ces p… de toilettes !
Du puits situé sur le terrain, nous remontions de l’eau dans un seau en fer et la
faisions chauffer sur un feu de camp ; elle nous permettait de nous décrasser avant de
descendre, le soir, en ville pour boire un verre.
Les travaux avançaient rapidement. Clides attendait le chèque du client qui
tardait à venir et apprenait, avec effarement, que celui-ci n’avait pas pu obtenir les
fonds pour un tel investissement.
Nous étions sonnés à l’annonce de la nouvelle ; la tension montait d’un cran
quand les deux frères se rejetaient mutuellement la faute, moi je restais silencieux.
Après tout, l’affaire ne me concernait pas, je n’étais qu’un simple manœuvre.
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Clides décida d’arrêter le chantier et de retourner sur Strasbourg. C’était un
coup dur pour l’entreprise, il n’y avait pas eu de rentrée d’argent pendant 2 mois et il
fallait faire face aux dettes. J’ai été licencié peu après, mes beaux-frères n’arrivant plus
à me verser mon salaire.
Émilia avait fait la connaissance d’un jeune homme qui jouait dans l’équipe de
football portugaise. Elle était vraiment accrochée. J’étais content qu’elle ait réussi à
trouver un gars respectable : beau garçon, il était comptable dans une entreprise de
démolition.
Nous avions trouvé, ma sœur et moi, un autre appartement à Schiltigheim, un
grand deux-pièces dont la location était nettement moins chère que la précédente.
Son ami venait souvent partager nos repas et je ressentais que ma sœur était mal
à l’aise quand j’étais à la maison. Je ne pensais pas que je la dérangeais, mais
certainement n’aimait-elle pas trop que je tienne la chandelle.
Il fallait que je trouve rapidement un prétexte pour vider les lieux et lui laisser
la chance de vivre pleinement son amour car, elle aussi, avait beaucoup souffert dans
le passé. Je lui fis croire que j’avais loué avec des copains asiatiques un appartement
au centre-ville. Par amour pour elle, je partais à l’aventure, sans but précis, en
emportant, pour unique bagage, un sac avec des affaires de toilettes et quelques
vêtements.
Cette décision allait chambouler toute ma vie, j’allais sombrer dans une des
périodes les plus obscures de mon existence.
Je partis en ville et me dirigeai vers une salle de jeux « LAS VEGAS, non pas
en Amérique » mais à Strasbourg bien sûr ! C’était un repaire de truands où j’allais,
épisodiquement, jouer au billard. J’espérai y rencontrer un copain qui pourrait
m’héberger temporairement. Les personnes présentes ne faisaient pas partie de mon
cercle d’amis et je n’avais pas envie de demander à un étranger de passer la nuit chez
lui. J’attendis la fermeture de la salle et à 22 heures, je décidai d’aller au cinéma. À la
fin du film, je me rendis aux toilettes et j’attendis patiemment que les portes se
referment pour préparer un semblant de couche entre deux rangées de fauteuils.
Je fus réveillé le lendemain par les cris de la femme de ménage qui hurlait à
mort en me découvrant. Je courus, à toutes jambes, vers la sortie avant qu’elle n’ait eu
le temps de donner l’alerte.
Je passais mes journées dans la salle de jeux, c’était mon point de chute. J’étais
connu pour être un bon joueur, les Asiatiques le savaient et misaient beaucoup sur moi.
Je jouais souvent contre les Turcs et les Manouches, et quand les enjeux étaient trop
importants et qu’ils refusaient de payer, ça dégénérait rapidement en bagarre. La police
venait remettre de l’ordre, elle ne disait rien aux Asiatiques mais n’épargnait pas les
Turcs, envers qui la discrimination existait déjà.
Nous nous partagions les gains mais il fallait se méfier des Chinois, ils étaient
sournois et peu honnêtes quand il s’agissait de faire le décompte en fin de soirée. Un
sou c’est un sou, les Asiatiques sont réputés pour être des parieurs, ils parient sur
toutes sortes de jeux, même deux mouches qui se battent en duel pouvaient mener à
des paris.
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Je leur pardonnais car ils m’invitaient souvent à manger chez eux et parfois au
restaurant quand ils avaient gagné au jeu. Ils avaient aussi, passé une bonne journée en
gagnant au billard.
Mes journées étaient bien occupées mais les nuits, j’errais dans Strasbourg à la
recherche d’un endroit pour passer la nuit au chaud. Nous étions au mois de février et
les nuits étaient très fraîches. J’avais repéré un garage situé près du quartier touristique
« la Petite France ». C’était cet endroit-là qui allait devenir ma résidence principale,
n’ayons pas peur des mots, je devenais tout simplement « clochard » sans en avoir
l’apparence. En effet, personne ne savait où je logeais, tout le monde croyait que
j’avais un super appartement car j’étais toujours tiré à quatre épingles. Mes effets
personnels commençaient à s’encrasser, je les jetais au fur et à mesure plutôt que de
les laver et de les remettre non repassés ; j’étais dans la misère mais maniaque à
l’extrême.
Une bande de 4 garçons, tous issus du continent chinois me proposa un jour de
me joindre à eux, plus tard nous avons formé un groupuscule de 12 personnes.
Je m’étais fait tatouer un dragon sur le bras, j’avais aussi acheté une paire de
santiag, un blouson et des gants en cuir noir pour être bien intégré dans le groupe.
Nous avions tous des surnoms : tête de bœuf, scorpion, veuve noire, serpent, tigre, moi
on m’appela le dragon blanc car j’étais le seul à ne pas avoir d’origine asiatique.
Parmi nous, il y avait des champions de boxe thaï, de kung-fu, de taekwondo ;
l’après-midi, ils me faisaient une démonstration de leurs meilleures techniques et le
soir je les appliquais en combattant contre des bandes rivales. À douze, nous sortions
souvent vainqueurs ; nous allions régulièrement dans des parcs, à l’abri des curieux,
pour nous entraîner et améliorer notre style.
Nous fumions, quotidiennement du hasch, jusqu’à tomber, avec des morceaux
de bambous que nous avions taillés à l’aide de canifs, affalés autour d’une table basse.
Nous nous sentions forts, invincibles, les maîtres du monde… du moins nous le
pensions.
Défoncé par le hasch et l’alcool, je devenais un joueur de troisième zone, je
gagnais rarement au billard, donc plus d’argent alors qu’étant accro à la drogue, il
m’en fallait de plus en plus. Heureusement que mes frères ne me laissaient pas tomber
et me donnaient à manger. Sur le côté humain, les Asiatiques n’abandonnent jamais
quelqu’un qui les respecte.
Du hasch, je passai à la cocaïne ensuite je commençai à sniffer de l’héroïne. Je
refusai de me piquer, j’avais trop peur de devenir complètement dépendant.
Je me sentis dégringoler chaque jour davantage et je décidai d’arrêter la drogue
en me rabattant sur la cigarette. Je m’étais inscrit dans un club de box thaï, dont le
professeur était un ami que je connaissais de vue, qui fréquentait aussi la même salle
de jeux, mais jamais je n’aurais cru que ce petit bonhomme de 1 m 60 était une bête de
boxing thaï, il s’appelait Tid et était champion de Thaïlande. Quelques années
auparavant, j’ai fait aussi la connaissance de Thierry un grand garçon au cœur tendre,
et aussi Kham un Thaïlandais qui boxait super bien déjà, j’étais dans mon élément.
Boxe, kung-fu, tous ces sports de l’Asie m’attiraient particulièrement.
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Le soir venu, je sortais seul dans une boîte branchée mais uniquement quand
j’avais de l’argent. Je plaisais beaucoup aux filles et je me faisais offrir des verres, à
tour de bras, par des personnes inconnues qui me trouvaient mignon, de ce fait les
sorties devenaient moins onéreuses. Comme elle ne fermait que vers 6 heures du
matin, il m’arrivait, souvent, de m’y endormir et de me faire réveiller par le portier,
mais ses heures passées au chaud me faisaient du bien car dans mon garage, sur mes
cartons humides, j’avais beaucoup de mal à récupérer.
Je me faisais draguer de plus en plus, au début c’était uniquement pour pouvoir
dormir au chaud et prendre une douche, plus tard je couchais pour 300 francs la nuit ;
parfois même pour 500, tout dépendait de la tête du client. Étant sans ressources,
c’était un moyen facile de gagner de l’argent.
Je faisais l’amour avec des couples, participais à des partouzes et aussi, mais
c’était moins drôle, cédais aux caprices de certains pervers. J’étais devenu un
« gigolo » au vrai sens du terme et j’y prenais goût, flatté dans mon ego d’être autant
convoité.
Je fréquentais toujours mon gang, pendant la journée et la nuit « la bête de
sexe » entrait en scène manger.
Mes fréquentations devenaient plus sélectes, je côtoyais le « gratin
strasbourgeois de la nuit » qui m’hébergeait et m’habillait en compensation d’une nuit
agitée dans tous les sens du terme ; étant fier car je sortais en boîte gratuitement, je
mangeais bien ; boissons à volonté, quand on est dans la rue, a-t-on le droit de refuser
une telle offre ? et même si tout se paye dans la vie car on n’a rien sans rien, moi je
payais avec ma gueule, mon corps et avec mon sexe, c’était un moyen de prouver que
j’existais, même si parfois j’avais l’impression que mon corps ne m’appartenait plus,
que mon corps était à la merci de l’argent, en vente à chaque coin d’un bar ou d’une
discothèque, j’ai même eu des propositions pour tourner dans des films X amateurs,
pour 200 euros, l’idée de savoir qu’on allait me voir, et peut-être me reconnaître me
faisait peur, je ne voulais pas que mes proches et ma famille apprissent que je tournais
dans ce genre de film.
Un soir, dans un établissement fraîchement inauguré, j’étais installé au bar
quand soudain un homme d’une trentaine d’années demanda à la barmaid de me servir
un verre. Lui adressant un signe pour le remercier de sa délicatesse, je me rendis
compte qu’il cherchait à se rapprocher de moi pour me draguer. C’était un très bel
homme, brun, grand, sportif, avec de beaux yeux verts. Les barmaids bavaient
d’admiration, mais il ne voyait que moi ; il m’invita à reprendre un autre verre et me
demanda de coucher contre une liasse de billets ; à mon avis, il y avait au moins
13 000 francs sinon plus (2 000 euros). Je me défilais en voyant cette énorme somme
d’argent, c’était trop risqué, j’aurais pu tomber sur un inspecteur de la brigade des
mœurs. Le milieu de la nuit est beau, plein de lumière de strass, mais il faut faire
attention où l’on met les pieds car ça peut vite dégénérer.
On m’a rapporté plus tard que c’était le petit-fils du PDG d’un grand garage et
j’ai alors regretté d’avoir décliné son offre.
Ma vie aurait peut-être changé si j’avais accepté sa proposition ?
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À force de fréquenter ce milieu sexe drogue et fric, je me rendais compte que
ces gens très hypocrites et superficiels m’intéressaient de moins en moins ; assouvir
les fantasmes de ces détraqués ne m’amusait plus.
Un soir, blasé, je retournai dans ma « résidence » pour faire le bilan sur ma vie.
Arrivé dans le garage, à ma grande surprise, toutes mes affaires s’étaient volatilisées ;
quelqu’un avait trouvé ma planque et s’était approprié mes quelques biens.
Je me rappelai avoir croisé deux garçons portant un sac et si c’était le mien ?
Je les rattrapai et me rendis compte qu’ils avaient effectivement commis le
larcin.
Ils avaient à peu près mon âge, l’un des deux, un jeune Turc me demanda :
« Qu’est-ce que tu veux » ?
et je répondis, excité :
« Ce que tu viens de me voler ».
Et l’incroyable réponse tomba :
« Ben, c’est à moi maintenant ».
« Quoi ? »
Sortant de mes gonds ; un coup de pied atterrit sur le visage de celui qui m’avait
nargué ; il se retrouva au sol, crachant le sang. J’attrapai ensuite le deuxième qui
essayait de venir en aide à son comparse, je lui serrai la gorge de toutes mes forces. Il
suffoqua et je crois bien que son râle, devenant de plus en plus faible, me rendit la
raison.
C’est à ce moment-là que la police, sûrement avertie par des voisins ou en
simple ronde, débarqua pour essayer de nous séparer. Menotté, je me retrouvai au
poste de police ; je dus passer la nuit au cachot pour une comparution immédiate le
lendemain. J’étais au chaud, mais je m’en serais bien passé !
On m’a désigné un avocat d’office, un vieux fou, c’était un homme en manque
de sexe, qui draguait les jeunots ; il me proposa de venir le voir à la sortie de prison.
Ce n’est pas parce que vous êtes avocat que vous avez tout les droits sur des
jeunes, celui qui m’a défendu profitait de sa situation, défendre des petits minets,
gratuit, pour plus tard les attirer dans son lit dès la sortie de prison, en leur faisant
croire que c’était la seule chose à faire pour payer en contrepartie de leur défense. Je le
sais, JE LE JURE, car moi aussi il m’avait fait le même coup. Je ne le citerai pas son
nom, car il plaide encore au barreau de Strasbourg.
Les deux voleurs ont été relâchés affirmant que j’étais l’agresseur, et moi, le
SDF, j’ai écopé de 15 jours de prison ferme et trois ans de mise à l’épreuve dont trois
mois avec sursis. Juste pour une simple bagarre, j’étais accusé de coups et blessures, si
j’avais braqué une banque combien j’aurais attrapé ? Surtout que c’était moi la
victime.
La prison, c’était l’horreur ; il y avait vingt-cinq personnes dans ma cellule,
l’une plus débile que l’autre, j’étais un enfant de chœur par rapport à tous ces
délinquants. L’un avait tué sa femme, l’autre… braqué une banque ; ils avaient tous la
trentaine comme moi et attendaient d’être jugés.
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Un caïd faisait la loi, tous les autres prisonniers le respectaient, il pouvait leur
imposer des relations sexuelles, leur faire lécher ses pieds, ils obéissaient sans
rechigner.
Le jour de mon arrivée, il me lança en ricanant :
« Toi, tu vas travailler pour moi ! »
Je répondis :
« Je ne suis là que pour quinze jours, il n’est pas question que je travaille pour
toi. »
« Tu sais à qui tu as affaire ? » continua-t-il.
« Oui, à un homme ordinaire qui va me trouver s’il continue à me chercher. »
J’avais à peine fini ma phrase, qu’il levait sa main pour me gifler mais je pus
l’esquiver.
« Fais-tu un sport de combat du karaté ? » demanda-t-il.
J’acquiesçai, s’il avait envie de se battre, j’étais partant, les bagarres de rue
m’avaient appris à vaincre ma peur. À mon grand étonnement, il se radoucit, à croire
qu’il avait trouvé son maître et me demanda de devenir son ami. Je l’avais
certainement impressionné car dans les années 80, ce genre de sport n’était pas très
répandu. Il n’y avait que 2 clubs de karaté à Strasbourg ; la boxe thaïe et le kung-fu
étaient pratiquement méconnus, on avait découvert ces disciplines par le biais des
films du célèbre Bruce Lee, adulé par les jeunes.
Un matin, en me levant, le sol de la cellule était recouvert de sang ; un gars qui
avait pris 20 ans s’était tailladé les poignets à l’aide d’un rasoir jetable pendant la nuit.
En voyant qu’il n’était pas mort, nous nous sommes empressés d’alerter le gardien qui
le fit transporter à l’hôpital.
Très choqué par ce drame, je pris la ferme résolution de ne plus faire de bêtises
qui pourraient me ramener un jour dans un tel endroit.
Après ces quinze jours passés en prison, je raisonnais différemment, j’avais
compris que la liberté n’avait pas de prix. Quelle sensation quand le gardien vous
ouvre la porte de la prison ! J’avais l’impression d’avoir été enfermé 3 ans, j’ai du mal
à comprendre les personnes qui ont connu la prison, et une fois sortis, ils refont les
mêmes erreurs, et à nouveau, ils sont incarcérés. Moi, je n’ai été enfermé que 15 jours,
mais cela m’a suffi pour comprendre et m’ouvrir les yeux – que la prison est à tout
jamais L’ENFER – La liberté n’a pas de prix, être libre, aller où bon nous semble, que
c’est beau ! De toute façon, je n’avais pas intérêt à commettre un autre délit sinon
c’était trois mois d’enfermement en plus de la nouvelle peine.
Le soir venu, je me rendis à mon garage, mais il était fermé à clé, je pris alors la
décision d’aller dormir dans la salle d’attente de la gare, avec les autres clochards. Il
faisait froid, et à chaque moment, les contrôleurs venaient pour nous expulser, errant
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dans la rue, et durant toute la nuit, j’étais à la recherche d’un endroit, pour dormir au
chaud. Parfois, je dormais entre deux cartons sur un banc public, j’avais eu des amis,
enfin je pensais, car quand vous êtes dans la rue, les amis ne viennent plus vers vous,
vous vous sentez abandonné, seul, j’ai jamais fait la manche, même si parfois je volai
un sandwich, par-ci par-là, question de me nourrir un peu, j’aurais pu aller chez mes
sœurs, mais ma fierté de merde me l’interdisait. Que j’étais con ! Je savais que mes
sœurs m’auraient ouvert la porte et m’auraient donné un lit, de quoi manger, mais
c’était plus fort que moi, peut-être la honte ? la gêne ? la fierté ? Je me culpabilisai
d’être tombé si bas. Seigneur ! Quelle déchéance ! Aidez-moi, mon Dieu, je pensais à
ma maison au Portugal, ma chambre, mon lit, et si je retournais vivre dans mon pays.
Je me sentis minable, moi qui faisais partie d’une famille pauvre mais digne, je
refusais de finir comme ces vagabonds !
Je pensais à ma pauvre mère qui avait tant souffert pour nous élever
correctement, j’eus envie de lui crier :
« Pardonne-moi, maman pour ce que je suis devenu, toi qui étais tellement fière
de ton Nelinho, moi qui t’avais dit avant de te quitter (non, je ne ferais pas de bêtise),
je t’ai menti maman, excuse-moi. »
Je voulais être, à nouveau, une personne respectable dont elle n’aurait plus à
rougir. Je décidai de me battre de toutes mes forces pour y réussir.
Dès ma sortie de prison, j’avais perdu de vue mes copains du gang, ce n’était
pas plus mal ; si je voulais changer de vie, il valait mieux ne plus les fréquenter. Sinon,
je serais à nouveau tombé dans le même l’engrenage.
Un soir dans un bar, j’ai fait la connaissance d’un comptable, employé dans le
plus grand cirque du monde « L’American circus ».
Ayant sympathisé avec lui, il m’a offert un billet pour assister au spectacle.
Le jour suivant, je me suis rendu au cirque installé sur la place de l’Étoile, pas
loin du centre de Strasbourg. À la fin de la représentation, émerveillé par les
prestations des artistes, je suis allé voir mon nouveau copain pour lui expliquer que je
cherchais un travail. Justement me dit-il, on cherche du personnel. Il m’envoya chez le
directeur qui me proposa de suite de faire partie de la troupe et me désigna une roulotte
que je devais partager avec six autres personnes.
La première nuit, ayant du mal à m’endormir, très excité par ma nouvelle vie, je
me familiarisai avec le chapiteau en le passant en revue, sous tous les angles.
Le lendemain matin, on me demanda de balayer les pistes, on m’apprit à nourrir
les chevaux, les éléphants, les zèbres ; heureusement les dresseurs prenaient soin des
félins, je n’aurais pas été trop rassuré de rentrer dans leurs cages.
Après 7 jours passés à Strasbourg, le cirque repartit pour Nancy, je faisais
désormais partie des saltimbanques. Quelques mois plus tard, je montai en grade, le
directeur me demanda d’accueillir les clients et de les placer dans les gradins.
Il y avait, tous les jours, deux représentations, l’une a 14 h 30, l’autre à 20 h 30.
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La parade était fantastique ! il y avait une sorte d’osmose entre les artistes et les
animaux.
J’apprenais, un jour, que la direction recherchait un barman ; séduit par ce
poste, j’ai posé ma candidature et elle fut acceptée.
Le bar avait été agencé dans un camion où les spectateurs pouvaient venir se
ravitailler en café, thé et friandises de toutes sortes pendant l’entracte.
C’était aussi l’endroit où se retrouvaient les artistes, après le spectacle, avant de
regagner leurs roulottes.
En parlant de roulottes, je peux vous dire qu’on pouvait deviner, selon la
superficie et le luxe, quels artistes étaient le mieux rémunérés. La caravane du
directeur était, évidemment, la plus belle avec son intérieur en marbre importé d’Italie,
son sauna et son jacuzzi.
Le cirque appartenait à un Italien qui exploitait la réplique aux États-Unis, sauf
que là-bas les artistes ne se déplaçaient jamais, la troupe restait à Dallas.
470 personnes travaillaient dans le cirque, ce n’était pas évident de connaître
tout le monde mais j’avais déjà sympathisé avec certains artistes surtout les
« Fratellini » clowns de génération en génération qui étaient mes favoris. J’avais
affaire à de vraies virtuoses même si leur aspect humoristique a failli me le faire
oublier.
Ils étaient tellement drôles dans leur accoutrement qu’ils me faisaient rire aux
éclats quand ils venaient me voir au bar.
Il y avait aussi un magicien qui m’apprenait des tours de cartes ; entre deux
clients, il me dévoilait quelques secrets. À chaque pause, j’allais m’entraîner avec les
trapézistes, les jongleurs, les acrobates, j’avais envie de devenir, moi aussi, un artiste.
Mais devenir un artiste ne s’apprend pas comme ça du jour au lendemain, il fallait
commencer depuis sa tendre enfance, c’est des années de travail, de sacrifice et de
souffrance. On ne se rend pas compte en regardant un numéro, on croit que c’est
facile, mais je vous mets au défi de faire la même chose. Mes respects, Messieurs les
artistes !
Nous allions de ville en ville et à chaque nouvel emplacement, nous devions
faire face à des problèmes de raccordement d’eau, d’électricité ou de manque de place,
car c’était un immense chapiteau qui pouvait accueillir plus de 4 000 personnes.
Il fallait 12 heures pour le dresser et 8 heures pour le démonter. Tout le monde
y participait, même les femmes et les enfants, chaque personne avait son rôle à jouer.
J’étais nourri, logé, blanchi et on me donnait un salaire de 3 000 francs par mois
(environ 450 euros) que je n’avais pas le temps de dépenser.
Je me suis offert avec mon premier salaire des vêtements, des accessoires et des
produits de toilette pour être plus présentable.
Je mangeais à la cantine du cirque ; il y avait chaque jour un menu différent.
J’avais également la chance d’être invité, de temps en temps, à la table de certains
artistes ou d’aller dîner au restaurant avec les jeunes acrobates. Quand ils avaient trop
bu, ils faisaient des pirouettes dans la rue, ils étaient trop drôles.
Un jour, l’un des trapézistes ayant fumé de l’herbe n’était pas trop en forme
pour faire son triple salto. Il le tenta à 3 reprises, mais en vain, il n’arrivait pas à
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s’agripper aux mains de son équipier et retombait à chaque fois dans le filet. Je
m’imaginais ce qui aurait pu arriver s’il avait chuté au sol. Notre directeur suivant la
scène, d’un œil critique, ne le félicita pas.
Les artistes étaient payés selon les risques encourus : plus la prestation était
périlleuse, plus le salaire était conséquent. Un trapéziste américain travaillant en solo,
sans filet ni ceinture de sécurité avait, sans conteste, le meilleur salaire ; à chaque
instant il risquait sa vie, j’avais vraiment l’impression qu’il aimait défier la mort.
Il faisait deux numéros spectaculaires, l’un des deux s’appelait « la roue de la
mort », c’était une grande roue qui tournait à plus de 15 mètres du sol. L’artiste devait
maintenir le rythme, les yeux bandés, en tournant dans le sens de la rotation, c’était
vraiment impressionnant !
Il a eu le titre du « meilleur show de l’année 1983 ».
Chaque année, l’American circus changeait son spectacle, des artistes partaient,
de nouveaux arrivaient, ne restaient que ceux faisant partie de la famille tels que les
« Fratellini » et les « Rastelli ».
La petite fille des « Rastelli » était contorsionniste. Dotée d’une souplesse
extraordinaire, elle arrivait à plier et à tortiller son corps dans tous les sens ; vraiment
exceptionnelle, elle faisait la fierté de sa famille.
Il y avait 3 pistes, la piste centrale destinée aux meilleurs numéros où chaque
artiste rêvait d’accéder un jour et deux autres pistes, sur les côtés, pour les prestations
moins spectaculaires.
Ils se jalousaient et des petites querelles éclataient ; quelquefois, ils venaient
aux nouvelles pour savoir ce que l’autre avait colporté ; je restais neutre pour ne pas
semer la zizanie.
Nous avions 120 chevaux, 20 tigres, 10 lions, 5 panthères noires, 10 éléphants
et un tas d’autres animaux ; la clientèle pouvait visiter la ménagerie pour 10 francs
(1,50 euro).
J’étais en perpétuelle admiration devant notre directeur. C’était tout un art de
faire fonctionner correctement une aussi grande entreprise, je lui tire mon chapeau !
Après un an et demi passé au cirque, j’avais retrouvé un équilibre, je me sentais
bien dans mon nouveau travail mais il me manquait l’essentiel : ma famille ! Quand je
voyais les autres artistes entourés des leurs, je me sentais bien seul. Ma famille ne
savait pas où j’étais, je n’avais pas pris contact avec eux depuis mon départ de
Strasbourg, il fallait absolument que j’y retourne pour les revoir.
Lorsque j’ai remis ma démission au directeur, il voulut me retenir. Me félicitant
du travail fourni, il me proposa une augmentation ; il m’annonça, également, que
j’étais très apprécié par son épouse et me demanda même de venir partager leur
caravane. C’était un honneur et un privilège, mais rien ne pouvait me retenir, je voulus
rejoindre ma famille.
En quelques heures, tout le monde était au courant, chaque artiste vint me voir
pour me persuader de rester. J’étais très touché, je pleurais en voyant que ces inconnus
s’étaient pris d’affection pour moi, ils m’avaient adopté et je crois bien que ce fut la
première fois, depuis longtemps, que je me sentis aimé.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Mais ma décision était prise. À Bordeaux, ramassant mes quelques affaires, je
fis mes adieux, la gorge serrée, à toute la troupe. Je savais que j’allais quitter des gens
fantastiques qui étaient malheureux de me voir repartir. En m’éloignant du cirque, je
pleurai tellement que je faillis revenir sur mes pas, après tout, pourquoi m’en aller,
j’étais bien avec eux.
À la gare de Bordeaux, je sanglotais toujours autant me demandant si,
effectivement, je voulais monter dans ce train en destination de Strasbourg.
En arrivant, angoissé à l’idée de revoir ma famille, je descendis dans un hôtel
en attendant de trouver mieux. J’avais quelques économies.
J’étais très ému de retrouver mes amis et mes sœurs Céleste et Mina qui, en me
croisant en ville, parurent vraiment étonnées de me revoir.
Intimidé, je les serrai dans mes bras ; suite à cette longue séparation, nous
étions devenus pratiquement des inconnus.
Je ne leur racontai rien du temps passé loin de Strasbourg comme si j’avais
honte de mon travail. J’appris qu’Emilia était enceinte et attendait une petite fille. Je
courus chez elle pour la féliciter et lui raconter mon histoire ; elle n’en crut pas ses
yeux !
J’étais content de constater qu’elle était propriétaire, avec son ami Santos, d’un
joli appartement ; je ne regrettais pas de l’avoir quittée à l’époque même si j’avais
vécu tant de terribles choses. Je la trouvai épanouie et le fait de devenir maman, la
rendait radieuse.
Un professeur de kung-fu, Vietnamien, rencontré peu de temps après, me
proposa de cohabiter avec lui. J’acceptais car c’était moins cher qu’une chambre à
l’hôtel ; il s’était mis à son compte et enseignait dans diverses salles.
Je m’entraînai avec lui plus de six heures par jour ; grâce à la souplesse que
j’avais pu acquérir au cirque, il me demanda de devenir son assistant après quelques
mois. Lorsqu’il avait un empêchement, je le remplaçais.
La traduction de « kung-fu » est : « Accomplissement de l’homme par le
travail » ce qui veut dire plus clairement « Le travail te demande beaucoup d’efforts et
si tu consens à les faire, ton travail sera bon. »
Pratiquer le kung-fu n’était pas que bénéfique pour le corps, il me permettait de
percevoir la vie différemment, j’étais fin prêt maintenant pour passer à autre chose,
peut-être même à enseigner, à mon tour, cet art à d’autres personnes et monter ma
propre affaire.
Après les cours, nous allions parfois boire un verre « Au bar des Aviateurs » qui
avait ouvert récemment. C’était un bar fréquenté, en grande partie, par des étudiants
qui, lorsque nous avions sympathisé, nous proposaient de faire de la publicité pour le
club.
J’allais souvent prendre des nouvelles de ma sœur, Émilia, qui n’avait toujours
pas donné naissance à sa petite fille ; elle était impatiente d’accoucher car elle s’était
empâtée de 13 kg.
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Quand la petite Johanna pointa son nez, je fus tonton pour la huitième fois ; je
me demandai quand viendrait le jour où je verrais naître mon propre enfant. Fallait
déjà que je trouve la femme de ma vie, mais l’idée de me caser et avoir une vie
familiale ne m’aurait pas dérangé, j’avais l’impression d’avoir fait le tour de mes
expériences de la vie, mais, le cours de la vie allait bientôt changer la mienne.
Je fréquentais assidûment le « Bar des Aviateurs » ; Michelle, la patronne, était
une personne très accueillante. Un poste de barman se libérant et connaissant bien le
métier, je lui proposais de me prendre à l’essai. Les horaires étaient de 18 heures à
4 heures du matin. Ce n’était pas facile de travailler à ce rythme-là, mais il fallait bien
que je gagne ma vie ; je voulus tenir les bonnes résolutions prises quand j’étais dans la
rue.
J’essayais de bien récupérer dans la journée pour être en forme le soir, je ne
voulais pas décevoir ma patronne qui m’avait fait confiance. Comme pour tout travail
de nuit, avec la fatigue qui s’accumule, on n’arrive plus à faire grand-chose dans la
journée donc plus le temps de pratiquer le kung-fu. Je n’étais pas contrarié, l’ambiance
dans le bar était sympa, il y avait une très bonne entente entre barmans et serveurs.
Toute l’équipe touchait à la bouteille pendant le service et je commençais à les
imiter pour ne pas être traité de rabat-joie. Je n’avais plus bu d’alcool depuis un an.
À partir de ce jour, je me remis à boire et je recommençai aussi à me droguer.
Après le service, le personnel sortait en boîte. C’était à nouveau la
dégringolade ! Tout ce chemin parcouru pour rien ! Que la chair est faible ! Je redevins
la « bête de sexe » mais cette fois-ci, je ne le faisais plus pour l’argent… mais pour le
plaisir.
Je dilapidais mon salaire de barman 6 000 francs (900 euros) plus 1 500 francs
(230 euros) de pourboires dans les boîtes pour acheter de la drogue ; à la fin du mois, il
ne me restait plus rien. J’allais, à grands pas, vers la déchéance, le passé ne m’avait pas
servi de leçon. Pourquoi j’ai rechuté ?
Je ne pensais qu’à faire l’amour, avec n’importe qui, n’importe où, souvent
dans les toilettes de notre établissement entre deux pauses.
Un soir de janvier 1986, je rencontrai une fille, elle devait être toxicomane
comme moi, de toute façon ça n’avait aucune importance, je voulus passer à l’acte
sans trop me poser de questions. J’ai souvent pensé qu’un jour, je pourrais attraper la
petite vérole ou toutes autres maladies vénériennes, mais quand j’étais en présence
d’une fille et en plus consentante, mes craintes se dissipaient.
Pour en revenir à ma conquête, après pénétration, elle saigna, je ne me suis pas
inquiété, chose plutôt normale s’il s’agissait peut-être d’une pucelle. Une toxico
pucelle je n’en connais pas beaucoup, Tous les soirs, je continuais de sortir en boîte, je
ne voyais presque plus la lumière du jour. J’étais éreinté, j’avais aussi perdu l’appétit.
Vidé, je sentis qu’il y avait un problème, pensant plutôt que j’avais attrapé une
mauvaise grippe ou trop d’accumulation de soirées tardives, d’alcool et de hasch.
Un samedi soir, installé au bar, une jeune femme blonde, la trentaine, me
dévorant des yeux me demanda :
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« Es-tu souple ? »
Je compris mal le sens de sa question mais je lui répondis nonchalamment :
« Oui, bien sûr, mais souple comment ? »
« Viens me voir après ton boulot ! »
Je suis resté sans voix un court instant, tout en travaillant, je la regardais, elle
me paraissait être une fille équilibrée, intelligente, et surtout surprenante.
Au moment de quitter l’établissement, elle me laissa ses coordonnées tout en
insistant de la retrouver, chez elle, après le service. J’avais compris que je lui plaisais ;
après tout, pourquoi ne pas y aller, je n’avais rien à perdre.
À la fermeture, alors que mes collègues me demandaient de finir la soirée avec
eux, comme d’habitude, je leur répondis que j’avais plus urgent à faire. Tout en me
dirigeant vers son domicile, je me posai mille questions : « Qui est-elle ? Que veutelle ? ».
Arrivé au bas de son immeuble, la porte s’ouvrit après mon coup de sonnette ;
je gravis à vive allure les trois étages et en arrivant à la hauteur de son palier, je
constatai que sa porte était entrouverte. J’entendis sa voix qui me disait :
« Entre ! »
Mon cœur battait très fort, un peu inquiet de ce que j’allais découvrir. La
décoration très « zen » de son appartement me frappa particulièrement, il y avait une
forte odeur d’encens qui se dégageait de sa chambre.
Avec stupéfaction, je la trouvai, étendue, nue, sur le lit.
Je la questionnai :
« Qu’attendez-vous de moi ? »
J’étais vraiment stupide ! Vu le contexte, c’était une question à ne pas poser ;
c’était tellement évident !
Pourtant, c’était loin de ce que j’avais imaginé. Elle m’expliqua qu’étant
professeur de yoga, elle avait une salle de sport dénommée « SIGNES ».
Ayant un projet de court-métrage sur le thème du yoga, en m’apercevant dans le
bar, mon « aura » lui aurait plu.
J’ai passé le reste de la nuit à discuter avec elle de son projet ; j’avais enfin
compris son allusion à la souplesse.
Après le petit-déjeuner, nous partîmes visiter sa salle pour faire les premières
évaluations de mes capacités.
Elle abandonna l’idée de me donner un rôle dans son court-métrage,
apparemment je n’étais pas aussi souple qu’elle l’espérait. Les postures de yoga
demandent vraiment une souplesse exceptionnelle, chose que je n’avais pas. Je faisais
le grand écart, mais cela ne suffisait pas, il fallait presque être contorsionniste, tout
comme la contorsionniste du cirque.
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En début d’après-midi, cette femme qui s’appelait Monique, me proposa une
promenade en forêt, suivie d’un dîner au restaurant où elle me demanda de partager
son appartement.
Oui, je sais, c’était une proposition rapide, mais celui-ci étant proche de mon
lieu de travail. Ça m’arrangeait plutôt bien. Le même soir, nous allions, en voiture,
récupérer mes affaires chez mon ami pour les ramener chez elle.
Les jours passèrent et même si je n’étais pas trop attiré par Monique au départ,
je commençais à apprécier son intelligence et sa sérénité. Étant constamment comme
un volcan en éruption, son calme m’apaisait.
Était-ce la femme de ma vie ? Pouvais-je bientôt fonder une famille, avoir des
enfants. Je n’en savais rien, Monique était tout simplement incroyable !
Avec sa souplesse remarquable, elle m’enseigna le « Kama-sutra » ce nouvel art
dont j’ignorais l’existence. En me faisant découvrir les différentes positions, souvent
bizarres, je me sentais comme un novice en la matière ; je croyais être expert en
amour, loin de là, toute mon éducation sexuelle était à refaire. Mais franchement, cela
ne me déplaisait pas, au contraire, cela était assez surprenant et mystérieux, on pouvait
jouer à qui cherche qui, souvent je m’en mêlais les pinceaux.
Quelques jours plus tard, je fus pris de fortes crampes au ventre et de diarrhées ;
Monique ne se faisait pas de soucis, elle pensait à une gastro, pourtant j’avais la nette
intuition qu’il ne s’agissait pas d’un banal malaise.
Au mois de février, j’avais pris 8 jours de congé pour partir au ski avec des
amis. Les douleurs devenaient de plus en plus vives et les diarrhées de plus en plus
fréquentes. Certains jours, il m’arrivait d’être incontinent.
Mon séjour vira au drame ! Mes amis ne comprenaient pas ce qui m’arrivait,
moi non plus d’ailleurs. Je décidai de consulter un médecin pendant mon séjour à la
montagne. Pensant qu’il pouvait s’agir d’une simple gastro, il me mit 7 jours en arrêt
maladie.
J’envoyai la feuille d’arrêt maladie à mon employeur et décidai de prolonger
mon séjour aux sports d’hiver pensant que le bon air m’aiderait à me remettre sur
pieds.
De retour, Monique constata ma petite mine. Elle me fit remarquer que j’avais
maigri, ce qui s’avéra juste, j’avais perdu effectivement 5 kg en 15 jours.
Je fus licencié pour faute professionnelle car, par malchance, Michelle n’avait
pas réceptionné ma feuille d’arrêt maladie. J’avais pensé, tout d’abord, l’attaquer au
Prud’homme mais en fin de compte, j’ai laissé tomber.
Faible et fatigué, je n’avais pas assez d’énergie pour faire les démarches
nécessaires et rechercher un nouveau travail.
L’été passa et mon état empira. Je me sentais mal, angoissé, je pressentais
quelque chose, j’en étais presque sûr, mais je ne voulais pas y croire. Étrange, comme
l’on sent les choses venir, quand on a le pressentiment d’avoir quelque chose
d’anormal.
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Danièle, une amie de Monique, qui habitait le même immeuble, était directrice
dans un laboratoire d’analyses. Elle lui suggéra de me faire une prise de sang pour voir
quel était mon problème.
Quelques jours plus tard, j’étais dans la chambre en train de regarder la télé
lorsque Danièle et Élisabeth, une autre laborantine sonnèrent à notre porte. Le regard
fuyant, ayant du mal à trouver les mots, elle me remit les résultats de l’analyse.
« À 22 h 30, le 1er décembre 1986, elle m’annonça que j’étais atteint du
virus du sida. »
L’effroyable nouvelle me glaça le sang ! Non ! Ce n’est pas possible ! Ce n’est
qu’un mauvais rêve !
Le regard apeuré de Monique effaça mes doutes. J’avais bien entendu ! le virus
mortel originaire d’Afrique, transmissible par les singes mais aussi par les
homosexuels.
Le 1er décembre était la « journée mondiale du sida » (World AIDS day). Drôle
de coïncidence ! J’avais entendu le matin à la radio les chiffres alarmants des gens
atteints de cette terrible affection mais jamais je n’aurais imaginé faire partie du lot.
Mes quelques rapports avec les hommes m’auraient donc été fatals ? La
toxicomane ? Je transpirai d’angoisse, mon rythme cardiaque s’accéléra, je suffoquai
et me mis à trembler de tous mes membres en disant :
« Je vais mourir, Oh ! Mon Dieu, je vais mourir ! »
Monique, en pleurs, me prit dans ses bras pour me consoler. Je continuai de
répéter.
« Je vais mourir, je vais mourir, o nossa senhora de Fatima vou morer ». Oh
sainte vierge Marie je vais mourir ! Maman, maman, je vais mourir, Émilia, Céleste,
Mina, Antonio, je vais mourir !
Quelle sensation bizarre de savoir que vos jours sont comptés, combien de
temps me restait-il à vivre ? Quelques jours ? Quelques semaines ? Ou quelques
mois ? J’ai presque failli mourir ce jour même en apprenant cette horrible nouvelle.
« Pourquoi moi, mais pourquoi moi, mon Dieu, je suis beaucoup trop jeune
pour mourir, je ne peux pas partir maintenant, je viens juste d’arriver, il n’y a que 22
ans que je suis là, il n’y a que 22 ans que vous m’avez mis au monde, Mon Dieu, je
vous en supplie, NON, pas maintenant laissez-moi encore un peu de temps, laissez-moi
vivre quelques années de plus, j’ai tellement de choses à faire dans ce monde, je vous
en supplie, je vous en supplie, mon Dieu pas maintenant ! »
La nuit fut horrible ! La plus horrible de toute ma vie, aucun mot, aucune une
phrase, ne peut décrire cette sensation, seules les personnes qui sont passées par-là
savent ce que c’est. J’avais mal au cœur, aux tripes, des sueurs froides, mon cœur
battait si vite qu’à chaque instant, je croyais que j’allais faire un infarctus.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Je me vis à l’agonie, puis mon âme quittait mon corps pour l’autre monde un
court instant. Tel dans le film Ghost ou l’acteur sort de son corps et s’aperçoit qu’il est
mort devant sa promise, mais là, ce n’était plus un film, mais vraiment ce qui allait se
passer ; enfin j’en étais persuadé ce jour-là. L’image de maman et de la famille
sanglotant devant mon cercueil hanta mon esprit. Dans mon imagination, je lisais
l’inscription gravée sur la pierre tombale :
« Emanuel de Castro, né le 18 10 64 mort le. ??? 1986. »
Je pensai à mon père, à ma famille disparue, mes amis. Papa j’allais bientôt te
rejoindre et faire ta connaissance ! Tu es parti à 31 ans, moi je n’en ai que 22, je n’ai
même pas été capable de vivre un peu plus que toi ; oh ! papa, comment c’est là-haut ?
La mort, l’au-delà m’angoissaient.
Je n’oublierai jamais ce jour-là. Comment peut-on oublier, oh non ! c’est
impossible !
Jamais, au grand jamais, je ne voudrais revivre ce moment et je ne le souhaite à
personne !
Après avoir passé le restant de la nuit à voir défiler ma vie, et à réaliser que
j’allais mourir, tout en vomissant mes tripes et en agonisant, tremblant de tous les
côtés tout en priant à notre Père le Seigneur, et à la vierge Marie, tout en croyant en
même temps que cela faisait partie d’un cauchemar et que j’allais me réveiller.
Monique aussi angoissée que moi, téléphona à toutes ses relations, aux quatre
coins du monde ; elle contacta également ses maîtres de yoga pour savoir s’il y avait
un remède à ce virus. Les réponses étaient toujours négatives, aucun traitement, il n’y
a qu’une seule issue, la mort.
Elle dut se rendre à l’évidence qu’ il n’y avait pas de solution à mon problème.
Je me demandais si j’avais fait des victimes ? Impossible de savoir, je ne savais
même pas comment retrouver mes nombreuses conquêtes. J’avais bien un petit doute
au sujet de la toxicomane, mais je n’étais sûr de rien, j’ai pu être contaminé par
n’importe qui.
À partir du jour où j’appris la nouvelle, je commençais à déprimer, mon moral
était au plus bas, pas moyen de stopper les diarrhées donc je maigris de plus en plus.
Monique n’arrêtait pas de me dire :
« Bats-toi, ne te laisse pas aller, tu pratiques le kung-fu, tu as un moral d’acier,
tu peux y arriver. »
Facile à dire, bats-toi, comment me battre contre quelque chose qui n’a pas de
remède, comment se battre contre sa propre mort, contre sa destinée, que fallait-il
faire pour ne pas mourir ? Tellement de questions sans réponse.
Je décidai d’aller à l’hôpital, je ne savais pas trop pourquoi car tout ce que les
médecins allaient m’apprendre, je le savais déjà ; c’était peut-être tout juste pour
mourir ! Je ne voulais pas que Monique soit obligée d’assister à mon agonie.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Les médecins lui demandèrent de procéder immédiatement au dépistage en lui
disant qu’il y aurait un long délai d’attente.
Un spécialiste des MST, détecta des ganglions, sous mes aisselles et dans ma
gorge. Et le verdict fut immédiat : il m’annonça que je n’avais plus que 15 jours à 3
semaines à vivre. La nouvelle fut effrayante. Là, les dernières forces que je possédais
me lâchèrent immédiatement. Plus que 15 jours, mon Dieu ! 15 jours à vivre. Je
n’aurais jamais le temps de prévenir et de voir ma famille réunie, mes amis. Mon Dieu,
laissez-moi encore un peu de temps, rien qu’un peu de temps pour leur dire au revoir !
En apprenant cette terrible nouvelle, j'aurai pu me fâcher avec Dieu, Lui dire ce que je
pensais de Lui, ce que j’avais dans mon cœur. Au contraire, je ne lui en voulais pas, Il
n’y était pour rien. Je Lui demandais juste un peu de temps, rien qu’un peu de temps.
C’était mon unique souhait avant de rejoindre mon père, mes ancêtres, mes amis…
On m’a isolé dans une chambre et à part les médecins, protégés par les blouses
aseptisées, masques et gants, personne n’avait le droit de me voir. Les internes
venaient par dizaine à mon chevet, j’avais l’impression d’être un animal en voie de
disparition. Pourquoi ? J’attendais qu’une seule chose du réconfort, de la sympathie,
j’étais encore en vie, j’étais encore un homme, un être vivant, oui j’étais encore vivant,
même si j’allais mourir, mais mourir dignement, pas comme une bête. Ils ne me
touchaient jamais et avaient peur de me serrer la main, se contentant uniquement de
remplir leur feuille de rapport. Ils étaient dépassés car le sida en 1986, c’était comme
la peste au Moyen Âge.
Ignorant tout de cette maladie, ils cherchaient à découvrir si elle se transmettait
par voie respiratoire, sanguine, par la salive ou par des piqûres de moustiques. Ils
refusaient même de me donner un verre, je buvais à la bouteille.
Je me dégradais de jour en jour, les médecins impuissants ne savaient pas
comment me traiter ; je servis de cobaye, j’étais complètement à la merci de la
médecine.
Monique avait eu la permission de venir me voir. Très choquée de voir dans
quel état j’étais et les conditions à l’hôpital, elle s’empressa de trouver le médecin qui
lui avoua qu’il ne me restait que peu de temps à vivre ; j’étais en phase 4 du virus,
phase terminale, donc en fin de vie. Mais je suis quand même un être humain. Je la
suppliai de me faire sortir de l’hôpital, mon seul désir était de retourner au Portugal,
mourir dans les bras de maman.
Refusant d’admettre ma mort imminente, elle signa la décharge et me ramena à
la maison.
Comment faire face à ce virus destructeur ?
Elle téléphona à ma sœur Émilia. Ce n’était vraiment pas évident de lui
annoncer que son frère, atteint du sida, était en train de mourir.
Enceinte de 3 mois, en apprenant la nouvelle, elle fit une fausse couche.
« Je suis désolé, Émilia, pardonne-moi, je me sens si coupable de t’avoir fait
perdre cet enfant. Je ne voulais pas, pardonne-moi encore. »
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Mes deux autres sœurs paniquèrent à l’idée d’annoncer la terrible nouvelle à
notre mère.
Mina, prenant son courage à deux mains, décida de lui téléphoner, il fallait
surtout la ménager. Elle souffrait d’hypertension et le choc pouvait lui être fatal.
Maman accepta très mal la nouvelle, prise d’un malaise, elle alerta les voisins ;
sa tension était passée de 12 à 21, elle risquait de faire un infarctus à tout instant.
Dire qu’elle a failli mourir à cause de moi ! je m’aurais culpabilisé le restant de
mes jours. Pardon maman, de t’avoir fait autant souffrir, et je sais que tu as vraiment
souffert à cause de moi, tu ne méritais pas ça, tu n’y étais pour rien, ta vie après cela a
changé, mais je suis resté ton fils, et je sais que tu m’aimes, tu aurais donné ta vie en
échange de la mienne, le jour où tu m’as dit ces mots, je me suis vraiment senti aimé,
je le savais déjà que tu m’aimais mais à tel point, non jamais, Moi aussi je t’aime,
maman !
Beaucoup de parents en apprenant que leur fils est atteint du sida, les rejettent,
les ignorent parfois. L’amour que vous avez pour votre enfant ne doit pas changer, au
contraire, ils ont besoin de vous plus que jamais, que vous soyez là, car si un de vos
enfants vous annonce sa séropositivité, croyez-moi sur parole, ce n’est pas facile ni
pour lui, ni pour vous, mais aimez-le plus fort, serrez-le dans vos bras car aucun mot
ne peut exprimer sa douleur, seul l’amour que vous le donnerez ira droit dans son
cœur, et le réconfortera dans son immense douleur. Si je suis là encore aujourd’hui,
c’est grâce à cet amour, ne l’oubliez jamais.
Ma mère n’a évidemment pas raconté aux voisins que j’étais atteint du sida, ils
n’auraient pas compris, elle leur a laissé entendre que j’avais une maladie incurable.
Imaginez les ragots… À l’époque, les Portugais avaient des idées bien arrêtées en ce
qui concernait le sida, pour eux, il n’y avait que deux possibilités : être homosexuel ou
toxicomane, ce qui n’est pas totalement faux pourtant on aurait dû expliquer à ces
paysans bornés et puritains qu’il n’est pas nécessaire de faire partie de ces 2 catégories
pour être contaminé.
Mes sœurs avaient juré à notre mère de prendre régulièrement de mes nouvelles
et en cas d’aggravation, elles s’étaient engagées à me faire rapatrier, par avion, pour
pouvoir finir mes jours avec elle.
Monique avait entendu parler d’un magnétiseur installé non loin de notre
appartement. Il était connu pour avoir guéri quelques personnes atteintes de cancer et
d’autres maladies incurables. Elle lui téléphona pour obtenir rapidement un rendezvous. Quelle aubaine ! Une personne tout proche de mon domicile pouvait s’occuper
de moi.
Mon poids était tombé de 75 à 56 kg. On voyait déjà mes os, plus rien à voir
avec le play-boy qui faisait tourner la tête des filles, il y a quelques mois encore.
Je ne supportais pas l’idée de devenir un légume, je préférai partir avant d’avoir
perdu toute ma dignité.
Souvent, je m’installais sur le rebord de la fenêtre en fixant le vide, une petite
voix me disait :
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« Vas-y Manu, allez saute, un peu de courage, il n’y a que souffrance sur terre,
à quoi bon vivre cet enfer, de toute façon, il n’y a pas d’espoir. Tu es condamné, tu le
sais, tes jours sont comptés, c’est dans l’au-delà que tu trouveras ton bonheur. »
Mais la mort me faisait peur, je n’étais pas encore assez dégoûté de la vie pour
franchir le pas. Je pris conscience que les personnes qui passaient à l’acte devaient
vraiment être au bout du rouleau.
À mon avis, il ne faut pas être courageux pour se suicider. Je crois que,
finalement, la souffrance devenant insupportable, les gens vulnérables et fragiles ne
sont plus en mesure de raisonner correctement et cherchent la délivrance.
Cette pensée morbide me trottait dans la tête tant et tant de fois mais dès que je
pensai à ma famille, à ma pauvre mère qui ne méritait pas de souffrir une fois de plus,
j’en abandonnai l’idée en me disant qu’il ne fallait pas décrocher, qu’il y avait, grâce
au guérisseur, un dernier espoir.
Monique m’accompagna chez lui ; il y avait un monde incroyable dans la salle
d’attente, nous confirmant qu’il avait de réelles capacités. J’observai les patients, leurs
regards vides m’effrayaient, certains brûlés au troisième degré, d’autres ressemblant à
de vrais zombies, attendaient silencieusement leur tour quand la porte s’ouvrit sur
Jean-Marc, un homme ordinaire dont j’attendais énormément.
Rien que le fait d’être en sa présence calmait déjà mes angoisses ; je n’avais
jamais ressenti un tel bien-être avant notre rencontre. Un rayonnement de sérénité et de
paix se dégageait de sa personne. Quelle maîtrise de soi devant tant de souffrances ! Il
était absolument remarquable !
Il m’adressa un large sourire en me secouant énergiquement la main,
contrairement à l’hôpital où les médecins me craignaient. Il voulait, certainement, me
faire comprendre qu’il ne me laisserait pas tomber, qu’il se battrait avec moi de toutes
ses forces.
Enfin une lueur d’espoir, quelqu’un à qui me raccrocher après toutes ces
semaines de doute et de désespoir. Il me demanda de m’allonger sur le divan, me parla
d’une voix paisible, j’avais beaucoup de mal à résister au sommeil, mes paupières se
fermaient malgré moi et je devais lutter pour rester éveillé.
Il m’imposa ses mains pendant une trentaine de minutes ; je sentis son énergie
traverser mon corps, même les yeux fermés, je pouvais deviner la partie du corps qu’il
était en train de magnétiser. C’était incroyable ! Je me disais « cet homme a les mains
de Dieu. »
Dès la première séance, je sentis une nette amélioration, j’étais d’un calme qui
étonna d’ailleurs Monique venue nous rejoindre dans le cabinet. Jean-Marc voulut me
voir tous les jours durant 3 mois. Son tarif était de 200 francs (30 euros). Je fis vite un
calcul me demandant si j’avais les moyens de régler les consultations quand il
m’annonça que pour moi ce serait gratuit.
Gratuit ! Mais pourquoi ? Je ne comprenais pas.
Tout simplement, ajouta-t-il, un jour j’aurai besoin de toi et à ce moment-là tu
me recevras gratuitement.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Je le fixai, effaré, je ne le compris plus du tout.
Il m’expliqua qu’il avait ressenti que j’avais également des dons de guérisseur
et que j’étais capable d’aider les autres.
Une petite étincelle jaillit, l’histoire du chaton ; mais bien sûr ! cela expliquait
tout ! C’est grâce à mon fluide que le petit animal avait échappé à la mort.
Je n’en revenais pas, moi aussi je pouvais soulager des êtres humains ! Emanuel
veut dire en hébreu « Dieu est en moi » mais pas au point d’avoir un tel pouvoir !
Par miracle, les jours suivants, les diarrhées devinrent plus rares, je repris des
couleurs et j’avais meilleur appétit. J’allais voir mon Jean-Marc tous les jours, la salle
d’attente ne désemplissait pas.
Certaines personnes, désargentées, lui apportaient des jambons fumés, des
pommes, des oranges, pour payer les consultations. Il ne leur demandait rien mais
acceptait avec grand plaisir leurs cadeaux. Jean-Marc ne mangeait qu’une orange par
jour qu’il avait pris soin de magnétiser avant de l’ingurgiter. Il ne prenait plus aucun
repas avant le dîner de 20 heures. Je ne sais pas comment il tenait à ce régime-là,
certainement qu’avec son calme, il ne ressentait pas la faim ; la preuve que celle-ci est
bien liée au stress et que l’on se jette souvent sur la nourriture uniquement pour calmer
les tensions.
Enfin, nous eûmes les résultats de Monique, heureusement négatifs. Quel
soulagement !
Cette longue attente était à la limite du supportable. Vois-tu Monique si je
t’avais contaminée, je ne sais pas ce que j’aurais fait, non je ne sais pas ? Merci mon
Dieu d’avoir épargné la personne que j’aime.
Tout doucement, mon poids grimpa, j’avais repris 6 à 8 kg en deux mois ; je me
sentis d’attaque pour aller enseigner le kung-fu dans la salle de Monique.
Le kung-fu serait salutaire pour mon corps et mon esprit ; en me remusclant, il
me permettrait d’avoir une autre image de moi et le fait de rencontrer d’autres
personnes contribuerait à me faire oublier ma maladie.
Ayant fait imprimer des tracts publicitaires, nous les avons distribués aux
commerçants de notre quartier. Mon premier cours démarra bien, une dizaine de
jeunes piétinaient devant la salle de sport ; je ne m’y attendais pas du tout. Ils devaient
être déçus en me voyant arriver, persuadés d’avoir un professeur super musclé comme
Jean-Claude Van Damme.
J’étais confiant, je savais que j’étais capable de leur apprendre cette discipline.
Ravis de leur première séance, ils me félicitèrent pour ma souplesse et mon
agilité. Au fond de moi, je ressentis une grande fierté, enfin j’étais à nouveau reconnu.
Je décidai d’enseigner aussi le kung-fu, le mercredi aux enfants de plus de 6
ans. Ces revenus me permettaient de vivre, à nouveau, décemment.
J’allais toujours voir Jean-Marc mais les rendez-vous étaient plus espacés. Il
disait que je n’avais plus besoin d’autant de soins.
Je me sentais super bien, il y a des jours où je me demandais si les médecins ne
s’étaient pas trompés en annonçant ma mort prochaine.
© copyright Emanuel de Castro 2010
4
Monique passa les fêtes de Noël 1987 avec ses parents, moi, avec mes sœurs
qui furent ravies de me revoir dans une telle forme.
Mina, enceinte de 8 mois prépara le repas de Noël pour toute la famille.
Pauvre Mina ! Je la regardais dans la cuisine, le ventre bien rond, s’affairant
autour des fourneaux.
J’avais un pincement au cœur en la voyant peiner, mais trop fière, elle refusa
toute aide.
Elle avait plaisir à organiser cette soirée pour les gens qu’elle aimait, c’est vrai
qu’elle était douée dans ce domaine. Pour ce qui est décoration, tu es la meilleure,
même ton sapin de Noël a toujours été le plus beau.
J’occupai mes neveux pour qu’ils ne dérangent pas la cuisinière, ça faisait
tellement longtemps que je n’avais pas joué avec ces petites canailles, ils étaient tous
beaux.
Ce fut une soirée magique, chargée d’émotions, je voulus profiter de chaque
minute ; les cadeaux, la famille, l’odeur des bougies, les bons petits plats de Mina, tout
respirait le bonheur. J’avais du mal à retenir mes larmes tellement j’étais heureux dans
le cocon familial. Dire que j’avais failli mourir il y a quelques mois ! Pourtant, une
petite ombre au tableau, ma chère maman n’était pas avec nous. Le coup de fil passé
pour lui souhaiter un joyeux Noël ne suffit pas à nous consoler de son absence.
J’avais tellement envie de la serrer dans mes bras, je ne l’avais pas vue pendant
5 longues années, elle me manquait terriblement.
Je me culpabilisais de l’avoir abandonnée, mais je n’avais pas trop le choix, il y
avait le travail, puis le manque de moyens et enfin la maladie.
« Tu comprendras maman, je ne t’avais pas oubliée, mes pensées étaient
toujours avec toi. »
L’année 1988 amena un peu plus de bonheur à Mina, elle accoucha d’une petite
fille Jessica, je fus tonton pour la neuvième fois.
Les Italiens sont réputés pour faire une flopée d’enfants, je crois que les
Portugais sont tout aussi doués.
Je vous entends dire : « Que voulez-vous, ce sont des gens du Sud ». C’est que,
tout simplement, ayant davantage le sens de la famille que les Français, nous avons
envie d’une plus grande progéniture.
Je n’avais pas revu Jean-Marc depuis un mois, à quoi bon ! Je n’avais aucune
raison d’y aller, je me sentais très bien.
Peu de temps après encore, une rechute, mes intestins me faisaient mal.
Puis soudain, les diarrhées réapparurent, j’eus de drôles de sensations au niveau
de l’anus, qu’est-ce qui m’arrivait encore ?
J’allai consulter un gastro-entérologue qui diagnostiqua une « maladie de
Crohn », inflammation de l’intestin grêle, maladie incurable.
Habituellement, ce sont les personnes de cinquante à soixante ans qui souffrent
de cette affection, je n’avais que 24 ans, le mauvais sort me poursuivait, à croire que
Dieu voulait me punir de mes erreurs passées.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Dans l’horoscope chinois, nous étions dans l’année du « Dragon ».
Les Chinois prédisent aux gens nés sous le signe du Dragon, soit une année
exceptionnelle avec réussite et bonheur, soit une année de malheurs.
Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que je faisais partie du deuxième
lot.
Au mois de mars, un matin en me réveillant, je ne pus plus bouger, toutes mes
articulations étaient bloquées. Monique se rendit compte que j’avais enflé pendant la
nuit, elle m’aida à me lever et m’amena dans la salle de bains pour la toilette.
Impossible de me brosser les dents, tétanisé, je criai de douleur en la
questionnant :
« Mais Monique, que m’arrive-t-il ? Que se passe-t-il, Oh ! Mon Dieu, ça y est,
c’est le commencement de la fin de ma vie. Suis-je arrivé au stade final ? »
Question idiote, elle n’en savait pas plus que moi. Elle décida de m’emmener
voir un ami ostéopathe qui, très surpris, m’annonça qu’il s’agissait d’une forme de
goutte, une chose peu commune qu’il ne savait pas comment traiter. Puis un médecin
généraliste, qui lui aussi, n’avait jamais encore vu une telle chose, il me disait que le
plus simple serait de m’hospitaliser, pour faire des examens.
Il n’était pas question que je retourne à l’hôpital.
Ils vont encore me prendre pour un cobaye, m’injecter des poisons, me faire des
tests à longueur de journée, comme en laboratoire où on teste les souris à toutes sortes
de virus. NON NON et NON, je ne leur ferai pas ce plaisir.
Une seule idée me passa par la tête, de retourner, à nouveau, chez Jean-Marc.
En arrivant chez lui, je fus déjà plus rassuré, ce n’est rien me disait-il. Comment
était-il si sûr que ce n’était rien ? Pour lui rien n’était grave, même pas la mort. Quelle
force ! D’où vient-elle cette force qui est en vous Jean-Marc ? Vous êtes sûr qu’un jour
j’aurai la même énergie que vous ? Il me magnétisa pendant une heure. La séance
terminée, il me dit :
« Ne t’inquiète pas, Manu, dans 15 jours tu seras à nouveau sur pied. »
Les deux semaines qui suivirent furent un véritable calvaire. Monique avait
loué un fauteuil roulant pour faciliter les déplacements. Je voulus continuer à
enseigner le kung-fu pour que les élèves ne soient pas lésés. Elle me déposa et me
rechercha après les cours.
Sainte femme ! Quelle chance d’avoir eu son soutien ! Je ne sais pas comment
j’aurais fait sans elle, pour m’épauler dans mon quotidien, je pensais que j’avais
beaucoup de chance contrairement à ces hommes frappés par la maladie qui se
faisaient rejeter par leurs épouses.
Elle avait bien du mérite ! En plus d’être ma concubine, elle devenait mon
infirmière. Mais combien de temps supporterait-elle ma maladie, ma dégradation, mes
angoisses ?
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Les élèves ne comprirent pas ce qui m’arrivait, je tins à leur fournir des
informations. Moi, le Maître du kung-fu, j’allais contre la logique de cette discipline
dont la devise est :
« Entraînez-vous afin d’obtenir un esprit sain, dans un corps sain ! »
Alors ! Là ! J’étais complètement à côté de la plaque, mon corps d’athlète ne
répondait plus, j’avais à peine la force de soulever les bras pour leur expliquer les
différentes techniques.
J’avais mis des « couches » pour me protéger car j’étais, à nouveau,
incontinent. Incapable de me déplacer rapidement aux toilettes, je donnais souvent mes
cours, assis dans mes excréments que j’espérais ne pas être trop nauséabonds pour ne
pas incommoder mes élèves.
Vous ne pouvez pas vous imaginer mon état d’esprit dans ces moments-là, je
me sentais diminué, minable, un pauvre infirme dépendant d’une femme qui, je
l’espérais, vivement, aurait encore un peu de patience et de courage pour s’occuper
d’un individu qu’elle traînait comme un boulet depuis quelques mois.
Mais avais-je le droit de lui imposer cela ? Peut-on infliger un tel sacrifice à la
personne que l’on aime ? Après tout, c’était mon calvaire pas le sien.
Le 15e jour, comme me l’avait prédit le magnétiseur, j’étais installé devant la
télé quand soudain j’arrivai à bouger mes deux pieds ; toutes les douleurs avaient
disparu.
Je cherchai à m’extraire de mon fauteuil sans l’aide de Monique qui, de sa
cuisine n’avait pas suivi la scène. Je l’appelai et elle accourut en toute hâte croyant
qu’il m’était arrivé un autre malheur ; estomaquée, elle me fixa, je me tenais debout, à
côté de mon fauteuil roulant arborant un large sourire de victoire. Incroyable JeanMarc ! Ses prédictions se sont réalisées. Il était voyant mon magnétiseur ! Comment
avait-il fait, je ne cherchais pas à comprendre, de toute façon il n’y avait rien à
comprendre.
Je ne pourrai jamais remercier suffisamment cet homme ; sans son aide,
j’ignore le sort qui m’aurait été réservé. Je sais que certains d’entre vous peuvent
penser que les magnétiseurs sont des charlatans, moi aussi au début, j’étais sceptique,
mais je vous jure de tout ce que j’ai le plus cher au monde qu’il y en a qui ont vraiment
des dons de guérisseur. Je suis la preuve vivante sinon je ne serais plus là et il n’y
aurait jamais eu mon autobiographie.
Émilia m’annonça la venue d’une autre petite fille. Non ! Ne me dites plus que
les Portugais ne savent faire que des enfants ! Je l’ai déjà entendu !
Décidément, l’année 1988 était forte en émotions et vous ne connaissez pas
encore la suite…
J’avais à nouveau perdu énormément de poids, mes cuisses avaient à peine la
circonférence d’une bouteille. Assis devant le miroir de ma chambre, je me regardai,
dégoûté par ce corps disgracieux, difforme et décharné ; je ressemblai de plus en plus à
l’un de ces prisonniers d’un camp de concentration de la dernière guerre mondiale ; je
© copyright Emanuel de Castro 2010
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me fis littéralement horreur ! On pouvait compter chaque côte, j’avais l’impression
d’être transparent, vu l’épaisseur de mon corps, quelle angoisse ! J’avais déjà vu des
morts dans des cercueils plus épais que moi.
Je dis à Monique que je désirai partir au Portugal. Je n’avais pas vu ma mère
depuis des lustres, sa présence m’aiderait à retrouver mon énergie.
Elle n’allait pas me contredire, le fait de ne plus devoir s’occuper de moi lui
permettrait de se reposer et de vivre autre chose. J’avais demandé à mon meilleur
élève de continuer les cours de kung-fu, j’avais expliqué, entre-temps, à tout le monde
que j’étais malade et que je partais me refaire une santé.
La veille de mon départ, je téléphonai à maman pour lui communiquer l’heure
d’arrivée et lui expliquer que je n’étais plus le même afin qu’elle ne soit pas trop
choquée en me voyant. Je pris l’avion pour Porto. En passant la douane, le policier,
contrôlant les passeports, me dévisagea à plusieurs reprises en me comparant à la
photo. Il n’y avait, en effet, pas grande similitude, je n’étais plus que l’ombre de moimême ; se rendant compte qu’il avait affaire à un malade, sans broncher, il me
demanda de passer.
J’avais tellement de mal à me déplacer avec ma lourde valise, mes petites
cuisses tremblaient et que je devais m’arrêter, toutes les 5 minutes, pour reprendre des
forces. J’étais à bout de souffle en arrivant dans le hall d’arrivée.
Maman se tenait là, elle me regarda, ahurie, en disant d’une voix fluette :
« Oh Mon Dieu ! mon fils, dans quel état es-tu ? Viens-tu me voir pour mourir,
Ai meu filho ? (oh mon fils). »
En la voyant, je me suis mis à pleurer, c’était plus fort que moi, je ne voulais
pas maman que tu me vois ainsi, j’aurais tout donné pour que tu aies une autre image
de moi, les personnes qui attendaient leurs proches étaient tous heureux des
retrouvailles. Toi, tu étais triste, pour cacher tes larmes qui coulaient à l’intérieur de
ton corps, tu as laissé juste couler une larme sur ta joue, mais cette larme était si
intense, si lourde, cette larme montrait toute ta souffrance, et ton désespoir comme une
mère qui voit son fils mourir devant ses yeux.
Elle me serra très fort dans ses bras comme lorsque j’étais petit et qu’elle me
retrouvait pour la première fois. Son cœur battait très fort contre le mien, puis ne
pouvant retenir cette énorme douleur, elle laissa ses larmes couler, son petit mouchoir
blanc ne pouvant plus contenir toutes ses larmes, elle les laissa couler à travers son
chemisier à fleurs. Entre Porto et Guimaraes, je me suis serré contre elle en lui
murmurant :
« Ma petite maman, je t’aime, je t’aime si fort. »
Elle me disait : « Moi aussi je t’aime mon fils, mon Nelinho ».
J’étais tellement bien, j’avais l’impression que plus rien ne pouvait m’arriver
maintenant, même si je devais mourir à cet instant, je pensais que je serais parti tout en
douceur, sans souffrance, elle me prit par les épaules et me dit :
© copyright Emanuel de Castro 2010
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« Ça va aller mon fils, je suis là maintenant, ne t’en fais pas, ça va aller, tu vas
voir, je vais prendre soin de toi, je t’aime ». Moi aussi je t’aime ma maman.
Tout le village était déjà au courant de mon arrivée, je savais que les
commentaires iraient bon train et après tout, ça me laissait complètement indifférent,
j’étais avec maman, c’est tout ce qui comptait pour moi. Les personnes ignorant ma
maladie disaient avec ironie :
« Oh le pauvre ! Comme il est maigre, il n’a pas assez à manger en France. »
Dès mon arrivée, la famille, les amis, les voisins sont venus me rendre visite.
Ne les ayant pas vus depuis fort longtemps, j’étais très ému. Comme c’est bon
de retrouver ses proches, même si c’est pour un court instant, mais cet instant-là est
émouvant.
Que de joie et de pleurs !
Certains villageois étaient peinés de me voir amaigri et faible, d’autres, par
contre, s’empressèrent de dire : « Mais non, ça, c’est la drogue ». Que voulez-vous ! il
y a des gens comme ça, toujours prêts à dire du mal des autres, et ils sont heureux,
fiers de leurs bêtises et de leurs ragots.
On ne changera pas le monde, il y aura toujours d’infâmes créatures se
réjouissant du malheur des autres. Ce n’est heureusement pas mon cas !
Je pris soin de moi, en faisant de longues promenades en forêt, en mangeant
sainement ; vous pouvez vous en douter, ma mère me gavait comme une oie. Pâtes à
midi, riz le soir, et soupes de légumes. Oh maman ! je sais que ta devise est, pour être
en bonne santé, il faut bien manger, mais vois-tu maman, « c’est bien de manger, mais
il ne faut pas me gaver ». Mais cela ne change rien, maman reste toujours comme tu
es !
J’avais toujours ces foutues diarrhées mais je me rendais moins souvent aux
toilettes. Maman me fit avaler un médicament très efficace que j’ai, d’ailleurs, dû
stopper après un certain temps car, ironie du sort, pour la première fois depuis le début
de ma maladie, j’eus des problèmes de constipation, enfin rien qu’un jour, mais pour
moi un jour sans aller aux toilettes relevait du miracle, car pendant les périodes de
crises, j’y allais entre 10 et 20 fois par jour, presque une fois toutes les heures, et
souvent même toutes les 30 minutes.
Vous voyez, je vous parle encore des toilettes, mais bizarrement, cet endroit me
poursuivra toute ma vie.
En consultant un ouvrage sur « les RÊVES » vous pourrez lire que rêver des
toilettes n’est pas anodin : voilà ce qui est écrit :
« Vous prendrez connaissance de nouvelles désagréables, des ennuis de santé,
humiliation, affront… »
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Je ne sais pas s’il faut tenir compte de ces commentaires, mais, il faut admettre,
que c’est vraiment troublant !
Je récupérai tout doucement, mes formes revinrent, mon visage reprit des
couleurs, ma mère fut contente. Elle ne voulut plus que je reparte à Strasbourg pensant
que ce serait, à nouveau, ma perte.
Elle disait que j’étais bien avec elle, que personne ne pourrait prendre autant
soin de moi, que ma vie était au Portugal. Ah ! Une maman, c’est toujours une maman,
seule, elle pense qu’il n’y a qu’elle qui connaisse mieux ses enfants, et ce n’est pas
faux. Mais il fallait que je retourne en France, j’y avais laissé Monique qui me
manquait et je savais que Jean-Marc serait là au moindre problème.
Après trois mois, j’avais retrouvé 60 pour cent de mes capacités physiques.
Si j’en doutais auparavant, le fait d’être séparé de Monique me fit comprendre
que c’était vraiment l’amour de ma vie. Je ne pouvais plus envisager de vivre sans elle.
Maman, triste de ma décision, comprit finalement que si ma santé se dégradait,
les soins au Portugal ne seraient pas les mêmes ; j’avais tout intérêt à retourner en
France. J’avais laissé mon numéro de téléphone à certains de mes amis qui m’avaient
soutenu pendant ce séjour.
La séparation avec ma mère fut déchirante, comme d’habitude ! Pendant tout le
trajet entre Guimaraes et l’aéroport, j’avais la gorge nouée, et toujours cette boule à
l’estomac.
À Strasbourg, Monique m’attendait à l’aéroport, elle fut agréablement surprise
en voyant ma métamorphose, elle dit me trouver à nouveau beau et séduisant, ça me
réchauffa le cœur.
C’est vrai que je m’étais remplumé, mais je n’avais, de loin, pas le même
physique qu’avant, elle en faisait un peu trop… mais c’est qu’elle voulait juste me
faire plaisir.
Je lui serinai mes histoires, n’oubliant aucun détail des bons moments passés
dans mon pays.
Je lui fis part aussi de la décision de maman, de venir en France, pour faire sa
connaissance.
Monique était ravie à l’idée de la rencontrer, elle était au courant de tout ce
qu’elle avait enduré dans le passé.
Je repris les cours de kung-fu, j’avais hâte de revoir mes élèves.
Ils étaient là, au grand complet, il y avait même deux nouvelles têtes. Je les
félicitai de leur nette progression et de leur sérieux car, pendant mon absence, ils
auraient pu ne pas respecter l’élève désigné pour les diriger. La preuve que tous les
jeunes ne sont pas pourris, même si certaines personnes ont tendance à le croire.
Je fus à nouveau motivé, je me sentis fort et plein d’énergie comme dans le
temps. Enfin presque, car une fois atteint du sida et en plus le Crohn, rien n’est plus
comme avant. Oh non ! plus rien n’est comme avant, toute votre vie change, vos désirs
vos rêves, plus rien n’existe. Comment prévoir un avenir s’il n’y a plus d’avenir, il faut
© copyright Emanuel de Castro 2010
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juste vivre au jour le jour, et espérant ne pas trop souffrir, et profiter de chaque instant,
en savourant chaque moment et chaque jour passé encore sur cette terre.
J’avais lu un article dans un magazine annonçant l’arrivée en France des
Moines de Shaolin qui venaient enseigner les techniques du kung-fu ; je n’en revenais
pas, les Moines de Shaolin en France, c’était inespéré ! Je voulais profiter de cette
rencontre.
Aucun adepte d’arts martiaux n’ignore que les Moines sont les plus forts en
matière de combat.
Il ne fallait, en aucun cas, rater l’occasion de les voir à Paris. J’avais,
également, envie de m’inscrire au stage qui suivait la démonstration.
Monique et mes élèves, voyant mon enthousiasme, m’encouragèrent à y
participer.
Gilles, un ami de Monique habitant Paris, pratiquant également le kung-fu
pouvait m’héberger.
Il avait d’ailleurs hâte de faire ma connaissance pour pouvoir converser de notre
passion commune.
Je partis en train, j’étais impatient de rencontrer mes héros.
Gilles m’attendait sur le quai de la gare en agitant une pancarte où je pouvais
lire : « Manu de Strasbourg pour Shaolin » C’était plutôt comique !
C’était un jeune homme très avenant, il avait à peu près mon âge.
Nous avons vite sympathisé. Nos méthodes de kung-fu n’étaient pas exactement
les mêmes, lui pratiquait le Win-tsun, moi le Wushu, tous deux dérivant du kung-fu de
Shaolin.
Gilles s’était inscrit au stage, Monique ne le savait pas, il voulut me faire la
surprise mais mon étonnement fut plus grand encore d’apprendre que lui aussi était
atteint du VIH.
Coquin de sort ! Deux profs de kung-fu, porteurs du VIH. C’est étonnant non ?
Il avait les mêmes problèmes d’intestins, cette sale maladie attaquant en premier la
flore intestinale.
Gilles habitait le 13e, l’arrondissement où avait lieu le stage.
La nuit des Arts martiaux se déroula le soir même à Bercy.
La salle était bondée, 14 000 personnes dont 70 pour cent d’adeptes de sports de
combat.
Dès que les moines pénétrèrent dans la salle, le public, en délire fut comme
hypnotisé.
La plupart de ces personnes n’avaient jamais eu l’occasion de les voir évoluer
sur un tatami.
Mes yeux étaient rivés sur ces hommes qui dégageaient un « chi » intense,
comme nous disons dans notre jargon, c’est-à-dire de « l’énergie interne » Mon cœur
battait à 100 à l’heure, comme si j’avais été invité à faire la démonstration avec eux.
Ce fut tout simplement époustouflant !
Les acclamations fusèrent, les gens piétinèrent tellement ils étaient excités par
ce grand art.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Une soirée mémorable !
Le lendemain matin, nous débutions le stage à la salle « Omnisports du 13e
arrondissement », pas très loin de la maison de Gilles ; tant mieux comme ça, ce n’était
pas la peine de prendre le métro, car pendant les heures de pointe, cela m’angoissait,
j’avais toujours la peur au ventre d’avoir une envie pressante.
J’avais hâte de revoir les moines, de pouvoir enfin les toucher. Serrer la main,
choses que l’on n’avait même pas le droit de faire, mais j’espérais que cela arriverait.
500 personnes, venues des quatre coins d’Europe guettaient l’arrivée des grands
maîtres.
Nous étions priés de mettre le kimono, l’attente était interminable ! Il y avait
quelques-uns qui se prenaient pour Jackie Chan, en essayant d’impressionner les
autres, Gilles et moi nous restions à attendre dans notre coin sagement.
Quand ces derniers poussèrent la porte, un silence solennel régna sur la salle,
nous aurions pu entendre une mouche voler, les maîtres étaient prêts à nous enseigner
les techniques de combat de Shaolin. C’était très intense et éprouvant, même moi qui
avais l’habitude de m’entraîner, je ne sentais plus mon corps. Douleurs musculaires,
crampes, les articulations nous faisaient tellement mal, et moi en plus avec mes petites
gambettes. Nous n’avions qu’une hâte, Gilles et moi, regagner l’appartement et nous
mettre au lit.
Quelle première journée harassante !
Le deuxième jour, Gilles n’eut plus la force de continuer le stage ; j’étais aussi
fatigué que lui mais je me suis efforcé à poursuivre la formation, même si je sentais
plus mon corps, la veille, la journée fut rude et éprouvante. C’est un de mes principes,
ne jamais baisser les bras sauf en cas de force majeure.
Quelle ne fût pas ma surprise, en arrivant le lendemain constater que plus de la
moitié des participants avait déserté ; il ne restait, en effet, plus que 200 participants
sur les 500 inscrits.
Les jours suivants furent tout aussi éprouvants que les premiers, technique de
pieds, balayage Tao, Kata. 7 heures par jour, jamais je n’aurais pensé avoir assez
d’énergie pour participer à l’entraînement d’autant plus que je n’avais pas récupéré les
muscles perdus lorsque je me déplaçais encore en chaise roulante.
Les techniques devenaient de plus en plus dures, beaucoup d’élèves
abandonnaient en plein milieu du cours.
J’avais envie de tout lâcher, moi aussi, pourtant je me suis dit :
« Manu, fais un effort, il faut aller jusqu’au bout pour avoir ton diplôme de
formation. »
En fin de stage, nous n’étions plus qu’une centaine… et sur les genoux.
Une dernière démonstration et enfin la remise des diplômes. Quand le moine
« Shi-de-you », Grand Maître du monastère prononça mon nom, j’ai failli défaillir.
Quel moment inoubliable !
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Je récupérai mon diplôme, le serrant très fort de peur qu’on ne me le reprenne.
Je rentrai, tout guilleret, rejoindre Gilles en arborant le précieux papier ; il me félicita
en regrettant de ne pas avoir eu le courage de poursuivre la formation.
De retour à Strasbourg, j’étais gonflé à bloc pour enseigner à mes élèves tout ce
que j’avais acquis durant le stage.
Mon rêve était de disposer d’une voiture mais, jusqu’à présent, l’argent me
faisait défaut.
Je me suis inscrit, à l’auto-école du quartier.
Avec ma première leçon, reprise des diarrhées et crampes ! J’ai cru, au départ,
que tout était lié au stress. Pendant toute la période des cours, approximativement trois
mois, j’étais obligé de porter des couches en étant, constamment, angoissé, pensant
que le moniteur reniflerait mes effluves malodorants.
Au cirque, j’avais déjà conduit voitures et camions, c’était plutôt un jeu
d’enfant pour moi.
Le jour de l’examen du code, j’avais pris un médicament pour stopper la
diarrhée ; il fallait que je sois à l’aise et totalement concentré. Mais c’était une chose
perdue car en plein milieu de l’examen je fus pris par une poussée de diarrhées, j’ai dû
quitter la salle, direction les toilettes, je savais que j’avais loupé mon code, car ils
n’allaient pas m’attendre, pour continuer la suite, quelques semaines plus tard, je le
repassais et tout s’était bien passé, puis la conduite, je l’ai réussie du premier coup.
J’étais heureux de ne pas avoir eux d’incontinence ce jour-là, merci mon Dieu !
J’étais plus heureux encore quand l’inspecteur me donna le fameux papillon
rose en me félicitant.
Monique, convaincue que j’allais réussir cette foi-ci, n’avait pas pris sa voiture
la laissant à ma disposition, car elle était sûre que je l’aurais eu cette fois. Elle donnait
ses cours de yoga à Saverne, ce jour-là, et je partis la récupérer, tout fier. Me voyant
arriver, son émotion fut grande, elle avait autant de plaisir que moi ; nous avons fêté
l’événement avec des amis, eux au champagne et moi à l’eau, de peur que mes
diarrhées ne reprennent. Car toutes les boissons alcooliques me faisaient aller encore
plus vite, là où vous savez.
Les cours de kung-fu devaient s’arrêter au mois de juin. Afin de terminer
l’année en beauté, j’avais prévu un stage de 2 jours dans les Vosges du Nord pour mes
élèves de Strasbourg ainsi que ceux de Saverne : le matin et l’après-midi, c’était
l’entraînement, et le soir, barbecue.
L’ambiance était extra ! jusque tard dans la nuit nous chantions, racontions des
histoires drôles, des choses toutes simples qui me permettaient d’avoir, à nouveau, une
vision positive de la vie.
En juillet 1989, Monique et moi avons décidé de partir à San Francisco, en
Californie. Un voyage interminable ! 12 heures d’avion avec heureusement une escale
à New York.
Elle voulait revoir son amie artiste-peintre pour organiser des expositions en
France.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Arrivés à San Francisco, nous n’avions plus la force de jouer aux touristes, il
fallait récupérer du décalage horaire.
Le lendemain, j’ai découvert cette ville sensationnelle que je ne connaissais que
par les films ;
Monique venait voir son amie tous les ans, elle parlait parfaitement l’anglais ce
qui était loin d’être mon cas, heureusement qu’elle jouait le rôle de traductrice.
Les Américains de la côte Ouest sont des gens très sympathiques, plus libérés
que les Français, moins portés sur les principes. Son amie Frédérika, une artistepeintre Belge, âgée de 70 ans, mariée à un Russe émigré en Californie, était une
personne hors du commun. Tatouée de la tête aux pieds, elle portait plusieurs
piercings…
C’était une marginale… mais quelle artiste connue à travers le monde. Ses
toiles étaient de toute beauté !
Mon séjour se passa sans problème particulier, mis à part mes diarrhées
quotidiennes.
De retour à Strasbourg, il fallut penser à la rentrée ; j’avais décidé, en plus des
cours de Strasbourg, d’aller enseigner le kung-fu à Saverne, une petite ville très
bourgeoise à 50 km de Strasbourg. C’est là que Monique vit le jour et passa une partie
de son existence. Elle y était revenue pour enseigner les cours de Yoga ; c’est
d’ailleurs elle qui me trouva une salle.
Gilles s’installa chez nous, au mois de septembre ; nous lui avons donné une
clé de l’appartement pour qu’il puisse aller et venir à son aise. Sa santé se dégradait de
plus en plus. Il avait exactement les mêmes problèmes que moi ; je le présentais à
Jean-Marc dans l’espoir que celui-ci pourrait lui apporter son aide. Gilles prit
conscience qu’il devait changer beaucoup de choses, notamment son hygiène de vie. Il
m’accompagnait à tous les cours.
Les nouveaux élèves de Saverne étaient tous sympas, plus calmes et plus
attentifs que ceux de Strasbourg.
De temps en temps, je mangeai chez les parents de Monique, la salle n’était
qu’à deux pas de leur maison d’habitation ; sa mère était adorable, son père l’était
moins.
PDG d’une société de transports internationaux, directeur du conseil
d’administration d’une banque, il avait fait l’acquisition de plusieurs maisons,
appartements et locaux commerciaux au centre-ville.
D’une fierté déplacée, imbu de sa personne, il ne m’adressa jamais la parole
pendant les 7 ans de ma vie commune avec Monique.
Il ne comprenait pas que sa fille perde son temps avec un Portugais, un simple
professeur de sport ; il la voyait plutôt avec un avocat ou un médecin. Les parents de
Monique n’étaient pas au courant de ma maladie, je crois que Monsieur son père aurait
insisté pour qu’elle coupe court à nos relations.
Je fis la connaissance d’un magicien, Alex, également d’origine portugaise ; il
cherchait un partenaire pour monter un spectacle. Très doué, il venait à la maison
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m’apprendre ses tours. J’étais toujours autant attiré par la magie, je me remémorai la
belle époque où je travaillais au cirque.
Je ne savais plus où donner de la tête, entre le kung-fu et la magie, il ne me
restait pas beaucoup de temps pour m’occuper de moi. J’avais vite appris à devenir un
pro du spectacle.
Alex dit que j’étais très fort, après quelque temps, c’est moi qui lui montrais les
nouveaux tours que j’avais imaginés.
Gilles était resté deux mois, je n’avais pas beaucoup de temps à lui consacrer,
tellement j’étais occupé par mes deux hobbies. Je ne pensais plus à la maladie, comme
si elle ne faisait plus partie de moi. Monique, entre-temps, avait signé des contrats
avec « Warner home vidéo », tout allait à merveille !
Grâce aux rentrées d’argent importantes, nous déménagions au centre-ville,
dans un 220 mètres carrés avec vue sur les quais et sur la cathédrale.
Nous changions de voiture, achetions la dernière chaîne hi-fi, un magnétoscope
et une nouvelle télé. Nous avions même embauché une femme de ménage ; jamais je
n’aurais imaginé, quelques mois auparavant, avoir une personne à mon service. Notre
femme de ménage était d’origine portugaise, cela me faisait penser à mes sœurs.
Souvent, pour ne pas trop la fatiguer, je l’aidais aux tâches les plus lourdes, je ne
voulais à aucun cas être un employeur exigeant, cela n’était pas dans ma nature, bien
que Monique ne sût pas que je travaillais à sa place, cela m’arrivait même de lui servir
un café pendant que j’aspirais ou lavais les sols.
Les week-ends, nous les passions à Londres, Lisbonne, Paris, où nous allions
dîner dans les 4 étoiles Michelin, à « La tour d’Argent » « Chez Maxim’s Tour de
Montparnasse, avec vue sur le tout Paris ». Comme quoi avec de l’argent, on pouvait
presque tout faire, il nous arrivait d’aller manger avec des vieux jeans troués, mais
quand on sort avec la Gold carte ou l’American express, alors on vous regarde de haut.
Oui, avec l’argent, on peut payer tout, enfin presque, mais pas tout à fait la santé ni le
bonheur. Mais il vaut mieux avoir de l’argent qu’être pauvre et malade, ne serait-ce
que pour se payer les soins afin de rester en bonne santé.
Monique était remontée dans l’estime de son père, il appréciait qu’elle soit
autant médiatisée, qu’on puisse la voir dans les émissions télévisées et dans la presse.
Les gens de Saverne parlaient d’elle, c’est ce qui comptait le plus, surtout quand ils
rajoutaient… la fille du directeur du conseil d’administration de la banque.
À partir de ce moment-là, on l’invita à assister à des soirées mondaines.
Je l’accompagnai de mauvaise grâce, je me rappelais mes fréquentations
antérieures, des gens insignifiants, peu honnêtes qui n’ont qu’un seul but : LE FRIC.
Tant que tu en as, c’est « bonjour mon ami ». Dès qu’il n’y en a plus, ils font un large
détour pour ne pas avoir à te saluer. Bande d’hypocrites !
J’en avais assez de ces soirées où Monique brillait tandis que je m’ennuyais en
attendant qu’elle veuille bien rentrer. Nos relations avaient beaucoup changé, je ne
voulais plus l’accompagner sur ses tournages pour jouer à la « POTICHE ».
Je continuai à donner des cours de kung-fu et assistai Alex dans ses spectacles
de magie.
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Monique m’offrit une Golf décapotable pour mon anniversaire, la preuve que
les affaires ne tournaient pas mal. Pour moi aussi, sa notoriété était un tremplin, elle
m’apporta énormément au sein du club. Ses amis souvent la questionnaient :
« Que fais-tu avec un mec pareil ? »
Elle leur dit juste qu’elle m’aimait. Je pouvais lire dans leur tête : « Comment
Monique est-elle amoureuse d’un mec pareil, sidaïque et en plus et squelettique ? »
Furieux, j’eus vraiment envie de taper dans le tas mais je m’efforçai de garder
mon calme pour ne par leur permettre de critiquer, davantage, le pauvre naze que
j’étais à leurs yeux.
Quels individus prétentieux et arrogants ! Ils me toisaient de leur air supérieur
et suffisant, croyant me faire une faveur quand ils m’adressaient la parole.
Monique, plutôt amusée par la situation, voulut en rajouter une couche, elle me
demanda en mariage.
J’ai cru que la foudre allait me frapper ! Comment pouvait-elle se marier avec
un homme dont l’avenir était incertain, dont les jours étaient comptés ?
Pourquoi ce choix inexpliqué ?
Je ne lui faisais plus l’amour depuis bien longtemps ou alors,
occasionnellement, quand mon état me le permettait. J’avais une telle angoisse de la
contaminer, même en me protégeant, je préférais qu’il n’y ait entre nous que caresses
et baisers, au moins j’étais rassuré, même si j’avais toujours peur que je saigne des
gencives, après chaque brossage de mes dents ou qu’il restait du sang dans ma salive.
Alors, pourquoi ce mariage insensé ? En plus, nous ne pouvions pas avoir
d’enfants, je ne comprenais rien à sa décision.
Monique disait qu’elle était très heureuse avec moi, j’avais contribué à sa
réussite et de ce fait, elle avait repris confiance en elle.
J’ai accepté sa demande en mariage, je me suis dit que, moi aussi, j’avais droit
au bonheur.
Avec son prestige, elle avait les hommes à ses pieds, mais c’est moi, le…
pauvre naze qu’elle avait choisi comme époux et j’en étais très fier.
En fin de compte, j’étais un homme comme les autres, avec mes qualités et mes
défauts, mais j’étais atteint de cette terrible maladie.
J’annonçai la nouvelle à ma famille, qui ne comprit pas davantage le choix de
Monique. Tout le monde disait que c’était un acte courageux, qu’elle n’aurait pas pu
me donner une meilleure preuve d’amour.
Maman était si heureuse pour nous deux, elle était déjà tellement reconnaissante
à cette femme d’avoir pris si bien soin de moi.
Elle se disait que le jour où elle viendrait à mourir, je souffrirais moins de son
départ, que Monique était la compagne idéale, idéale, peut-être, mais pas en ce qui
concerne la cuisine car pour elle, l’amour ne passait pas par l’estomac, comme on a
toujours tendance à le croire, elle ne savait même pas faire cuire un œuf sur le plat.
Quand elle essayait d’en cuire un, je jetais la poêle car elle le laissait cramer à un tel
point que la poêle était irrécupérable. Bonne en affaire mais mauvaise en cuisine, on
ne peut pas tout avoir à la fois, la femme parfaite n’existe pas. Est-ce que je me
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trompe ? Si oui, dites-le moi. Les quelques fois où nous n’allions pas au restaurant,
c’était moi le cuisinier.
Nous allions convoler en septembre 1990.
Étant au mois de février, il nous restait largement le temps pour les préparatifs ;
de toute façon quand on a de l’argent, tout se négocie plus facilement.
Nous nous sommes mis à la recherche d’un chalet dans les Alpes ; nous
voulions skier en compagnie d’une bande de copains. Monique n’était pas novice en la
matière ; ses parents possédant un chalet, lorsqu’elle était plus jeune, elle partait skier
avec eux, tous les ans. Moi aussi, je skiais plutôt bien.
Quand elle m’annonça les noms des copains qui devaient nous accompagner, je
n’étais pas vraiment ravi, car partager mes journées avec deux couples de nouveaux
riches ne m’enchantait guère. Heureusement qu’elle avait aussi invité Danièle, la
directrice du laboratoire d’analyses médicales dont le rôle ingrat avait été de
m’annoncer ma maladie. Devenue notre meilleure amie, elle fréquentait, depuis un an,
un Japonais que je lui avais présenté, avec qui par la suite elle se maria et ils eurent
deux beaux enfants, comme dans un conte de fées, un prince aux yeux bridés, ça
existe.
J’avais aussi demandé à Hung, un restaurateur chinois, qui m’avait épaulé
quand j’étais dans la galère, de nous accompagner pour se changer les idées ; divorcé
depuis peu, il avait perdu ses repères. Lui, par contre, n’avait jamais skié.
Le chalet était très confortable, bien sûr… mais le contraire m’eut étonné, les
bourgeois ne le trouvèrent pas à leur goût ; selon eux, les chambres étaient moches, la
salle de bains exiguë, il n’y avait pas de sauna. Je n’en revenais pas de les voir déballer
leurs draps en soie, et toute leur garde-robe « dernier cri ».
Hung nous a amusés durant tout le séjour, nous étions morts de rire ; lui
apprendre à skier, était « mission impossible », le matériel loué se détériorait à force de
tomber.
Impossible de le faire tenir sur ses skis. Je crois que tout le temps où j’avais
pratiqué ce sport, je n’ai jamais vu une personne aussi maladroite que lui. Il s’étalait
cent fois, se relevait pour retomber, mais rien ne l’arrêtait, il voulait apprendre à skier
et persévérait malgré les souffrances qu’il endurait. Sa combinaison était usée à tel
point, qu’à certains endroits, la doublure devenait apparente.
Lui expliquer comment utiliser le tire-fesses, freiner, s’arrêter en bout de piste
relevait d’un véritable exploit. Sacré Hung ! Tu m’avais fait oublier, pendant ces
quelques jours, tous mes problèmes de santé ; pourtant, à part, mes éternelles
diarrhées, ces diarrhées, qui m’ont un peu pourri mon séjour au ski, parfois des envies
pressentes, me faisaient sortir des pistes, pour aller trouver un coin, loin des regards
des autres skieurs. En guise de papier toilette, je faisais des boules de neige qui me
soulageaient mon anus, tellement il était irrité, et souvent c’était trop tard, alors là, il
fallait rentrer au chalet, sans passer près des personnes pour ne pas trop empester, avec
mes odeurs. Une fois au chalet, je me déshabillais en prenant ma douche, tout en
lavant mes caleçons, donc j’en portais 3 ou 4 pour ne pas salir ma combinaison. Les
amies de Monique, ces bourgeois nouveaux riches, rentraient toujours avant les autres,
tout en s’exclamant : « Oh ça pue ici ». Moi dans mon coin, j’avais mal, j’étais gêné,
tout en me disant que je venais d’inventer le dernier parfum à la mode : DIARRHÉE
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de EMANUEL DE CASTRO. Bien sûr, vous ne trouverez ce parfum dans aucun
commerce ni dans aucune parfumerie, il n’existe pas, moi seul connais le secret de
fabrication, que je garde précieusement au plus profond de moi. Il pourrait faire un
tabac dans les magasins de farces et attrapes de boules puantes. Je lance un avis aux
inventeurs. Inventez une combinaison avec un pot de chambre à l’intérieur,
vidangeable bien sûr. Mais à part ça, j’allais à peu près bien.
J’étais quand même comblé, Monique, neige, soleil, ski, amis, tout était parfait.
Jamais, je n’aurais pensé pouvoir vivre tout cela, moi qui devais être déjà mort
depuis quelque temps si j’écoutais les médecins. La vie était vraiment belle mais je
n’étais toujours pas au bout de mes peines.
Au mois de mai, nous nous rendîmes à Cascais, petite ville portugaise « très
branchée » près d’Estoril, en vue d’organiser un « mariage blanc ».
Une simple cérémonie, sans maire, ni curé devait regrouper les amis. Nous
avions prévu de réserver tout un hôtel « 5 étoiles » pour une dizaine de jours au mois
d’août ; discothèque et piscine comprises.
Il fallait épater la bande de bourgeois et les réalisateurs de la Warner de Paris,
connaissances professionnelles de Monique.
J’avais demandé à maman de venir nous rejoindre et malgré la distance, elle
accourut. Quel bonheur de la revoir ! J’étais heureux d’être en compagnie des deux
femmes de ma vie.
Maman disposait d’une suite équipée d’un Spa avec vue sur la mer. Elle n’en
revenait pas, jamais elle n’avait connu un tel luxe. J’étais fier de ma maman, je la
regardais manger dans les grands restaurants, elle se débrouillait très bien comme si
elle appartenait à la grande classe, et avait fait partie du grand monde. Malgré qu’elle
ne comprît pas que nous gaspillions tant d’argent avant notre mariage – c’était mon
aussi opinion mais pas celle de Monique – il ne fallait pas la contredire, elle avait un
caractère bien trempé, et puis à vrai dire on était bien. Que c’est bon de se faire passer
pour des riches même si cela n’était pas encore le cas !
Nous sommes restés 3 jours, puis nous avons reconduit maman à la gare. Les
adieux furent moins déchirants que d’habitude, car nous devions nous revoir au mois
de septembre pour le mariage prévu à Saverne. Au cas où mon livre s’exportait loin de
France, Saverne c’est en Alsace en France, bien sûr !
J’ouvre une petite parenthèse :
Je viens encore de perdre une dent en les brossant. Il ne m’en reste plus que
deux à l’avant ; je ferais mieux de ne pas trop sourire le temps que la clinique dentaire
me rafistole ma prothèse.
Juin et juillet 1990, gros problèmes de diarrhées ! Beaucoup plus que
d’habitude, certainement déclenchés par l’excitation de notre mariage.
J’avais fait des confidences à Thiebaut, mon meilleur élève, marié depuis peu à
Anifa, une gentille fille qui faisait également partie de mon cours.
Il était abasourdi, il me voyait courir régulièrement aux toilettes, mais jamais il
n’aurait soupçonné ma maladie. Il ne dévoila pas le secret aux autres élèves.
Pour clôturer l’année, nous avons organisé une soirée chinoise.
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Au mois d’août, je partis, dans ma décapotable, au Portugal.
Monique devait me rejoindre, en avion, 15 jours plus tard, pour notre mariage
blanc. Faire 2 200 km, dans mon état, ce n’était pas prudent !
J’étais constamment à la recherche de toilettes publiques, je m’arrêtai toutes les
2 heures et souvent bien avant, en pleine nature, quand il y avait urgence. Et urgence,
il y en a eu, à quelques centaines de kilomètres du Portugal une forte poussée, ne m’a
pas pu empêcher de faire dans mon froc, c’est horrible heureusement, j’étais en rase
campagne, je me suis accosté, entre deux arbres, loin des voitures, et en défaisant ma
valise à la recherche d’un pantalon et d’un slip, j’avais une bouteille d’eau et des
mouchoirs en papiers dans ma voiture et aussi un vieux chiffon, ce qui m’a servi à
m’essuyer, légèrement, car l’endroit n’était pas approprié pour faire plus, j’ai roulé les
300 km qui me restaient sous une odeur de merde à vous faire vomir le peu de
nourriture que j’avais avalé. En arrivant, maman avait tout de suite compris et senti ce
qui s’était produit. Je l’ai légèrement embrassée et foncé directement à la douche.
Après cela, j’ai eu le temps de lui serrer dans mes bras, puis je me suis couché après
avoir avalé une bonne soupe chaude.
Il m’a fallu plus de deux jours pour me remettre du voyage.
Cette année-là me marqua particulièrement ! Je partis, avec une amie Émilia et
son mari Nel, passer un après-midi sur la plage située à 40 kilomètres environ de mon
village. J’ai l’honneur d’être le parrain de leur fille Paula Cristina.
Devant nous, une ribambelle de gamins s’ébattait dans l’eau avec leurs parents.
Je m’amusais à les compter, il y avait le père et la mère flanqués de leurs huit
chérubins. Le cliché de la famille portugaise.
Je les observais, ils paraissaient si démunis portant le slip en guise de maillot de
bain.
Je me revis, lorsque j’étais petit, entouré de mes frères et sœurs, souffrant de
faim et de froid.
Ce souvenir me déchira le cœur.
Il faisait une chaleur accablante, les petits n’avaient rien à boire ; certains
demandèrent à manger, la mère ignora leurs pleurs. Tous les gens les regardaient d’un
air critique, mais aucun d’entre eux n’aurait pensé à partager les friandises ou les fruits
qu’ils distribuaient, à profusion, à leurs propres marmots. Je me disais : « Bande
d’égoïstes ! N’avez-vous pas un peu de pitié pour votre prochain ! »
Un vendeur de glace agitant sa clochette me sortit de mes rêves. Je l’appelai en
lui demandant de donner à chacun des enfants une énorme glace et de venir les
encaisser chez moi.
Il me regarda, incrédule et voyant que j’insistai, il s’empressa de remettre à
chacun des bambins, qui se bousculaient autour de lui, un cornet de leur parfum favori.
Je lui avais dit qu’il fallait laisser croire aux parents, qu’il en avait pris
l’initiative pour ne pas les gêner.
Avec des yeux ronds comme des billes, ils attrapèrent la glace et l’engloutirent.
Ça devait être la première glace de leur vie !
La dépense n’était pas énorme, je ne déboursai que 10 francs (1,50 euro), mais
j’eus envie de pleurer en constatant l’immense joie que mon geste avait pu apporter à
ces pauvres enfants.
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Donner, c’est tellement simple ! Il suffit de peu de choses pour faire le bonheur
d’autrui !
Un sourire, une poignée de main, une pièce, tous ces signes peuvent déjà
apporter un peu de réconfort. Malheureusement, de nos jours, les gens repliés sur euxmêmes, ferment les yeux sur le malheur des autres. Ils ne se sentent pas concernés par
la pauvreté, on les entend souvent dire d’un air dédaigneux : « ils n’ont qu’à
travailler », ils ne se posent pas la question de savoir pourquoi ces pauvres gens sont
dans la misère.
Ce jour-là, j’avais fait ma bonne action, j’étais content. Saint Pierre m’en saura
gré le jour où je me présenterai à sa porte.
Ce même jour, je rencontrais une amie à qui j’avais laissé mon numéro de
téléphone, mais qui ne m’avait jamais téléphoné, je lui avais demandé pourquoi, elle
me disait que le numéro que je lui avais laissé était impossible de reproduire sur son
téléphone. Je n’avais pas compris, car je l’avais bien laissé mon numéro qui
commençait par 88 32 76. Et c’était avec stupéfaction qu’elle m’avait expliqué en
disant que son téléphone allait juste de 0 à 9 et que c’était impossible de faire le 88 32.
C’était encore les écrans ronds, vous vous souvenez ? Ce n’est pas une blague car c’est
bien vrai, la pauvre, c’était son premier téléphone qu’elle avait eu dans sa vie. Elle m’a
bien fait rire. Que c’est formidable de rire !
Quelques jours plus tard, nous nous rendîmes maman et moi à Gafanha chez
mes 2 sœurs déjà installées avec leurs familles dans la nouvelle maison. Je comptais y
séjourner jusqu’à l’arrivée de Monique.
J’eus aussi la joie de rencontrer des membres de ma famille vivant aux ÉtatsUnis, Laida et José vinrent marier leur fille Margaret à Zelito, un gentil garçon du
village.
Malheureusement, je ne pus assister à la cérémonie, car la mienne devait se
dérouler le même jour.
J’aurais préféré passer plus de temps avec eux, mais je devais repartir pour
accueillir les invités à Cascais.
Les 10 jours à l’hôtel passèrent trop vite, c’était un endroit paradisiaque.
Monique avait frappé fort, tout le monde était impressionné par la qualité du restaurant
étoilé et le confort des chambres. Délestée de quelques dizaines de milliers de francs,
elle semblait heureuse d’avoir pu satisfaire ses amis.
Je décidai, avec ma future épouse, de prolonger mon séjour dans ma famille.
Nous avons pu revivre le mariage de ma cousine à travers les albums photos. C’était
une cérémonie grandiose « à l’américaine ». Je me rappelai, soudain, que moi aussi, je
serais sollicité à mettre la bague au doigt de Monique dans peu de temps ! Tout en me
réjouissant, j’appréhendai cet instant.
Monique reprit l’avion pour s’occuper des préparatifs de notre mariage, moi je
restai encore quelques jours avant de repartir en voiture. À la seule pensée de refaire ce
long trajet, j’angoissai. Lorsque les nouveaux mariés décidèrent de passer leur lune de
miel en France, j’étais vraiment soulagé. Ma cousine, née à Strasbourg, avait envie d’y
revenir pour retrouver des souvenirs et Zélito ne connaissant pas cette ville, avait hâte
de découvrir cet endroit dont il avait tellement entendu parler par la famille.
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Il était si impatient d’arriver, c’est lui qui a fait pratiquement toute la route, je
ne pris le volant que pour parcourir 100 kilomètres. N’ayant jamais eu de chauffeur
lors de mes derniers voyages, il fallait admettre que c’était plutôt agréable. Je me
prélassai, déchaussé, sur le siège arrière, les doigts de pieds en éventail, en regardant
défiler le paysage.
Il y avait des sites admirables que je n’avais jamais remarqués, auparavant,
étant trop concentré sur la route. Quelle ambiance à bord ! Nous chantions à tue-tête,
tapant des pieds et des mains, ignorant le regard étonné des autres conducteurs que
nous croisions.
À la maison, Monique et moi, en parfaits hôtes, avons mis notre chambre à
coucher à disposition des tourtereaux et avons dormi sur le canapé-lit du salon,
beaucoup moins confortable, mais ce ne fut que pour peu de temps, car le couple
devait passer le reste de leurs vacances chez ma sœur Mina.
Je me sentis à nouveau si mal que je décidai de revoir Jean-Marc. Arrivé à son
cabinet, j’aperçus un amoncellement de courrier sur le pas de la porte verrouillée.
Que s’était-il passé pendant mon absence ? Je fus sidéré d’apprendre qu’il avait
quitté, brusquement, la région. Quelqu’un m’a dit plus tard pourquoi il avait pris cette
décision, mais par respect pour cette personne, qui a tant fait pour moi, je ne vous
expliquerai pas les raisons de son départ.
À partir de ce jour, nouvelle descente aux enfers ! Je perdis encore 6 kg en 15
jours.
Je commençais à me demander s’il ne fallait pas annuler, purement et
simplement, le mariage.
J’eus peur de ne pas être capable d’assister à la cérémonie. Les cartons
d’invitation expédiés, le restaurant réservé, c’était vraiment délicat.
Ma mère arriva avec mes sœurs, en voiture, peu de temps avant l’événement.
Elle comprit tout de suite ce qui se tramait.
Après mille hésitations, je pris la décision de maintenir la date. Je tins à
relooker maman pour l’occasion sachant qu’elle allait être inspectée à la loupe.
Coiffeuse, esthéticienne, essayage dans les boutiques, rien ne fut laissé au
hasard, il fallait qu’elle soit impeccable pour pouvoir concurrencer les bourgeoises de
Saverne. Le résultat fut absolument époustouflant ! Quelle élégance !
Elle fut métamorphosée !
J’étais fier de pouvoir la présenter, vêtue de son beau tailleur, à ma future bellemère.
Celle-ci en l’apercevant essaya de dissimuler sa jalousie ; elle croyait, sans
aucun doute rencontrer une de ces Portugaises traînant une valise en carton, dont elle
aurait eu à rougir devant ses amies huppées.
Le jour du mariage, la hantise de ne pas tenir durant les 20 minutes que durerait
la cérémonie me reprit. Je savais que je devais me rendre toutes les 5 minutes aux
toilettes.
Imodium et couches, rien ne pouvait calmer mes angoisses.
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J’eus énormément de peine à suivre les commentaires de Monsieur le Maire.
Crispé, j’essayai de tout contrôler le plus longtemps possible mais, la signature
apposée sur le livre, prenant mes jambes à mon cou, je courus vers la sortie, sous le
regard amusé des invités.
Ces derniers devaient se poser la question si je ne cherchais pas à m’enfuir en
me rendant compte que j’avais passé la bague au doigt de Monique.
Maman et Émilia comprirent ce qui m’arrivait et pleurèrent de me voir dans cet
état.
Un mariage devrait être, normalement, un jour de bonheur ; pour moi, c’était un
jour de souffrance.
Ma femme vint me rejoindre dans les toilettes, je me confondis en excuses, elle
me consola en m’assurant que personne n’avait fait allusion à ce qui venait de se
passer. Les parents de Monique n’étaient pas au courant de ma maladie ; Monique ne
leur a jamais dit. Pensez-vous si Monsieur son père le savait, il aurait tout fait pour
annuler le mariage en expliquant à sa fille avec son accent alsacien :
« Yo Monique, arrête tes conneries, ma fille ! Qu’est-ce que tu fous avec un
Portugais et en plus malade, il ne t’apportera pas d’argent celui-ci », et encore je pense
qu’il aurait rajouté plus.
Voyez-vous, Monsieur mon ex-beau-père, il n’y a pas que l’argent dans la vie,
savez-vous ce que veulent dire AMOUR et COMPASSION, NON, je ne pense pas,
ces deux mots ne font pas partie de votre vocabulaire, malheureusement !
Le restaurant gastronomique que les parents de Monique choisirent était à la
hauteur de sa réputation ; la prestation de l’orchestre irréprochable, les cadeaux
luxueux, dont le plus prestigieux était un cheval de course, d’une valeur inestimable.
Monique montait à cheval depuis sa tendre enfance, nous n’avions,
évidemment, pas les mêmes valeurs.
Mes « va-et-vient » répétés de la salle de fête vers les toilettes commencèrent à
agacer certains convives qui me firent remarquer vulgairement :
« Manu, arrête de chier et viens découper le gâteau maintenant ! »
Je fulminai, les traitant de cons, souhaitant qu’ils s’étouffent avec leur part de
biscuit.
La fête a duré jusqu’à trois heures du matin, je suis allé de nombreuses fois aux
toilettes entre la mairie et la fin de la soirée.
Tout ce que j’ingurgitais, je le restituais aussitôt. Il fallut trouver rapidement
une solution, à ce rythme-là, je me déshydratais. C’était un véritable calvaire, il y avait
déjà des traces de sang dans les selles, mon anus était tellement irrité que je souffrais
le martyre même en utilisant les papiers toilette les plus feutrés.
10 jours plus tard, troisième cérémonie à Plobsheim, petit village longeant le
Rhin, pour toutes les personnes n’ayant pu assister aux précédentes fêtes.
Mes élèves et ceux de Monique furent présents, nous étions à peu près 150
personnes, toutes nationalités confondues, la bière et le champagne coulèrent à flot. Ce
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fut une superbe soirée ! Les péniches qui glissaient sur le Rhin nous lançaient de longs
coups de sirène pour nous saluer.
Trois cérémonies dans un mois pour une union, c’est plutôt rare ; nous étions
épuisés.
Avec la cagnotte, remise le jour du mariage, j’investis dans la panoplie du
parfait magicien. J’avais envie de passer à autre chose.
Demandant à la femme de Thibaud de m’assister pendant mes spectacles, elle
accepta, séduite par mon offre car depuis sa tendre enfance, elle rêvait de monter sur
scène.
Anifa, très joli brin de fille, sympathique et souriante, née en Lorraine, de
parents algériens fut la partenaire idéale.
Après chaque cours du soir, nous allions répéter à la maison. Monique me
trouvant doué m’avait toujours incité à faire de la magie, elle dit que cet art pouvait
m’aider à m’épanouir.
Sans ma maladie, j’aurais peut-être pu devenir un grand artiste, comme David
Copperfield.
Mon objectif fut, tout d’abord, de me faire connaître à Strasbourg et dans les
alentours.
Inlassablement, Anifa et moi enchaînions, lévitation, malle des Indes,
catalepsie, anneaux chinois ; nous étions si motivés qu’au bout de 2 mois
d’entraînement, nous étions fin prêts pour notre premier spectacle dans un grand
restaurant chinois réputé pour ses soirées à thèmes.
Ce soir-là, tous les élèves de Strasbourg et de Saverne, furent au rendez-vous.
Thibaud, très nerveux, allait voir sa femme pour la première fois sur scène.
Mon stress me ramena comme d’habitude aux toilettes ; l’angoisse d’être
incontinent durant le spectacle me reprit. Heureusement, la pratique des arts martiaux
et du yoga m’aida à gérer mes problèmes.
Monique ne put assister à la première, étant sur Paris pour signer le contrat d’un
nouveau film. Elle me téléphona pour m’encourager et pour me dire qu’elle serait avec
moi, en pensées, durant toute la représentation.
Ce fut une réussite ! j’étais vraiment fier de moi et de ma partenaire.
Nous fûmes très émus de recevoir notre premier chèque en tant qu’artistes.
Propulsé dans le passé, je ressentis la même émotion que lorsque j’encaissai ma
première paye au cirque.
Mon état s’aggrava ; ayant entendu parler d’un acupuncteur à Besançon, je
décidais d’aller le consulter. J’étais conscient de ne pas pouvoir guérir du sida, je
voulais uniquement retrouver un peu d’énergie pour avoir une vie à peu près normale.
Maintenant que je m’étais donné tellement de mal pour monter ce spectacle de
magie, il ne fallait pas que ma maladie me joue… un mauvais tour. Mon système
immunitaire déficient, la moindre grippe pouvait m’emporter, je savais que ma vie ne
tenait qu’à un fil, il fallait être très vigilant. L’acupuncteur me soulagea en me
prescrivant un remède plutôt bizarre : un mélange de cornes de biche et d’écorces
d’arbres de Chine que je devais faire bouillir durant 2 heures.
Ce breuvage répugnant, ressemblant à de la bave de crapaud, me donna envie
de vomir.
Après quelques semaines, il commença à faire son effet.
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Durant trois mois, ma vie fut rythmée par mes allées et venues de Besançon à
Strasbourg, les cours de kung-fu et les répétitions de magie.
Souvent, au réveil, j’avais comme un voile devant mes yeux, la lumière du jour
me forçait à fermer mes paupières. Était-ce l’effet des plantes ou une mutation de mon
virus ? Je ne savais pas, plus rien pourtant ne m’étonnait, j’allais de surprise en
surprise.
Malgré tous ces désagréments, je repris, tout doucement, des forces.
Monique ne disait rien, mais je voyais qu’elle n’était pas au mieux de sa forme,
je ne lui avais plus fait l’amour depuis 6 mois, ayant toujours cette terrible peur de la
contaminer et d’ailleurs, je n’en ressentais pas le besoin.
Pourtant je la comprenais, je savais qu’étant jeunes mariés, nos relations
sexuelles avaient beaucoup d’importance, elles devaient contribuer à l’épanouissement
du couple.
Parfois je me forçai mais, sans désir, je n’arrivai pas à la satisfaire.
J’abandonnais, frustré me demandant où était passée « la bête de sexe » des années
fastes.
Mais comment donner de l’amour si on est incapable de s’aimer soi-même ?
J’avais peur de la perdre et, un soir, je lui proposai d’aller voir un autre homme.
C’était incroyable ! Je l’avais autorisé à satisfaire ses envies sexuelles, si elle le
désirait.
C’est très difficile de dire à la femme que vous aimez d’aller voir ailleurs, mais
j’étais prêt à tout pour sauver notre couple, notre mariage, même si je devais en
souffrir de la voir avec un autre.
Monique refusa, elle me dit :
« Manu, tant que je partagerai ta vie, je te resterai fidèle ! », la preuve qu’elle
m’aimait profondément.
À l’époque des fêtes de fin d’année, nous partîmes, en lune de miel, en Italie.
Nous avions loué une chambre dans un hôtel près de la place Saint-Marco, en
plein centre de Venise.
À mon arrivée, quelle déception ! Où était cette Venise romantique que je
connaissais à travers les films ? L’eau, plutôt la vase, puait le poisson pourri, les rues
étaient sales, les Vénitiens, loin d’être sympas, la réputation était surfaite !
En plus, tout était horriblement cher, un vrai piège à touristes. La ville étant
construite sur l’eau, on ressentait le froid et l’humidité, surtout à cette période de
l’année. Je ne fus nullement étonné quand les premiers symptômes d’une grippe
apparurent ; sur les 8 jours de vacances, je suis resté alité pendant 5 jours.
« Voir Venise et mourir », ça aurait pu être mon cas. Je ne peux vraiment pas
dire que j’en garde un souvenir impérissable !
Monique, tout aussi déçue du voyage et lassée de mes interminables malaises,
devint de plus en plus taciturne. Nous communiquâmes très peu.
Regrettant certainement notre mariage, elle devait se demander si elle allait
avoir la force de continuer le parcours avec un malade.
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Son amour serait-il assez fort pour supporter tous les inconvénients liés à mon
handicap ?
Je vis qu’elle était triste, j’étais sincèrement désolé de ne pouvoir faire son
bonheur.
On lui fit part qu’une de ses vidéos n’avait aucun impact, nouvelle déception !
elle qui pensait en vendre des milliers. Elle était en colère et explosait littéralement.
Maman me téléphona m’annonçant que grand-mère était très malade.
Oh non ! je ne voulais, en aucun cas que ma grand-mère, si gentille et
attentionnée, une seconde mère pour moi, nous quitte déjà ; nous avions une relation
privilégiée, elle ne me cachait pas que j’étais le préféré de ses 30 petits-enfants.
Je priais Dieu et la Sainte Vierge de faire un miracle, de la tirer de ce mauvais
pas.
Maman, peu rassurée, fit venir grand-mère chez elle pour pouvoir mieux
s’occuper d’elle.
Au Portugal, contrairement à la France, nous ne plaçons pas facilement les
personnes âgées dans les maisons de retraite, non seulement par manque de moyens
mais parce que nous jugeons qu’ils nous ont tellement donnés quand nous étions petits
et que c’est à notre tour de nous occuper d’eux.
Cette mauvaise nouvelle m’avait tellement déprimé que je m’affaiblissais à
nouveau.
Quelques jours plus tard, on m’annonça la mort subite de Cyril, un ami atteint
du sida.
Il était jeune, beau et venait de fêter ses 28 ans, il avait appris sa maladie il y a
10 mois à peine.
Je l’avais rencontré au « bar des Aviateurs », j’avais du mal à comprendre
pourquoi Dieu l’avait rappelé, dans la fleur de l’âge, lui qui adorait tellement la vie.
Putain de maladie ! Pourquoi lui, pourquoi moi ?
Maudit sida ! qui ronge mon corps, toute ma vie s’effondre à cause de toi.
Tu es en moi et je te hais, tu comprends, je te hais !
Monique changea de comportement, elle se renferma de plus en plus, j’étais
persuadé maintenant que notre vie de couple lui pesait. Lassée de devoir prendre
continuellement soin de moi, elle aspirait à un autre avenir avec un homme sain et
équilibré.
Un matin le téléphone sonna ; c’était ma mère qui m’annonça que grand-mère
était en train d’agoniser.
Je sautai dans le premier avion pour la rejoindre ; mes sœurs, pour des raisons
financières, ne purent faire le déplacement.
Mon seul désir était de la voir une dernière fois avant sa mort.
J’eus du mal à conduire la voiture louée à Porto. Des idées noires me trottèrent
dans la tête, j’avais tellement peur qu’elle puisse décéder avant mon arrivée que je ne
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me suis pas arrêté en cours de route, déféquant dans une couche que j’avais prise
l’habitude de porter depuis quelque temps.
Après cet interminable trajet, j’arrivai chez grand-mère. Mon cœur se serra en
voyant la famille discuter devant la porte avec les voisins.
J’imaginai le pire, je pensai qu’elle ne m’avait pas attendu.
Grâce à Dieu ! elle était toujours en vie. Je lui pris la main et la serrai très fort
contre mon cœur en lui disant :
« Bobo, oh ! Bobo, c’est moi Nelinho ».
Sa poitrine se souleva très doucement, ses yeux mi-clos ne me virent plus, la
bouche entrouverte, elle avait du mal à respirer. Le curé lui avait déjà donné l’extrêmeonction pensant que la fin était proche. Maman, effondrée au pied du lit, sanglotait en
répétant sans-cesse :
« Maman, maman, ne me laisse pas, ne me laisse pas, minha maezinha ! » (ma
petite mère).
Nous l’avons veillée toute la nuit, attendant son dernier soupir mais, robuste,
elle lutta et quelle ne fût pas notre surprise le lendemain matin de voir sa respiration
redevenir plus régulière et les couleurs remonter à ses joues ; elle arriva même à ouvrir
les yeux et boire quelques gorgées d’eau.
À n’y rien comprendre ! Une fois, encore, les paroles de Jean-Marc me
revinrent à l’esprit. Avais-je effectivement ce fluide en moi ? avais-je pu lui
transmettre le peu d’énergie qui restait en moi en lui serrant la main ?
Elle ne put s’exprimer et ne voyait plus à cause de son diabète mais
qu’importe ! c’est peut-être ingrat de ma part de penser cela, elle était toujours auprès
de nous.
À aucun moment, je n’avais pu imaginer qu’elle aurait préféré être délivrée de
ses souffrances. Maman la cajola, lui préparant soigneusement des tisanes ; je l’aidai à
la laver et à changer ses couches, je ne manquais pas de savoir-faire en la matière !
Nous nous sommes relayés, inlassablement, à son chevet durant 15 jours et petit à petit
elle reprit des forces.
En prenant soin de ma grand-mère, j’oubliai mes problèmes personnels. Je me
demandais s’il fallait rester pour attendre sa mort où retourner chez Monique. Maman,
tout en regrettant mon départ, me pria de repartir chez ma femme.
Comme il fallait aussi reprendre les cours, je décidai de revenir en France.
Heureusement que Thibaud était là pour me remplacer lors de mes absences
répétées sinon les élèves auraient démissionné depuis longtemps.
C’est mon cousin qui m’accompagna à l’aéroport pour décoller à 22 h 30.
L’avion ne quitta Porto qu’à 1 heure du matin, suite à un problème technique.
À peine quelques minutes dans les airs, les lumières se sont éteintes, l’avion se
mit à trembler ; le commandant de bord nous demanda de ne pas détacher les ceintures
de sécurité car il y avait de grosses turbulences en vue. Les secousses devinrent de plus
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en plus fortes, les hôtesses, pas trop rassurées, se jetèrent des regards apeurés en nous
demandant de nous mettre en position d’alerte, la tête sur les genoux.
L’avion fit des soubresauts, j’eus l’impression que la carlingue allait éclater,
quelle angoisse ! À tout moment, je voyais venir le crash, je n’avais pas envie de
mourir de cette façon, je murmurai des prières avec mes compatriotes.
Croyez-moi, mes couches, ce jour-là, m’ont doublement servi !
Les gens étaient choqués en arrivant à Paris, certains fulminaient… ils juraient
de ne plus jamais monter à bord d’un avion, d’autres embrassaient le sol.
Évidemment, j’avais loupé la correspondance pour Strasbourg et j’ai dû passer
la nuit à l’hôtel pour prendre le train le jour après.
Je racontais ma mésaventure à Monique qui disait n’avoir jamais été confrontée
à ce genre de problèmes, pourtant elle avait déjà fait le tour du monde.
Malgré tous les bons soins prodigués à ma grand-mère, elle nous quitta le
18 septembre 1991, juste un mois avant mon anniversaire. Maman m’annonça la triste
nouvelle ; je fus effondré du fait que je n’avais pas pu l’aider à franchir le pas.
J’eus envie de repartir au pays pour les obsèques mais elle me le déconseilla.
« Tu ne peux plus rien pour Bobo, prie pour elle ! »
Et puis, en fin de compte, pourquoi me torturer davantage, je préférai la garder
en mémoire telle que je l’avais connue, vaillante et affectueuse. Pour moi, elle avait
été la meilleure grand-mère du monde, son souvenir restera, à jamais, gravé dans mon
cœur.
Nouveau choc pour moi ! Mes nerfs me lâchèrent, crises d’angoisse, cœur qui
battait la chamade, en pleine dépression, je renonçai même à m’alimenter. Monique
essayait toujours de me soutenir malgré son ras-le-bol ; je le répète, je ne remercierai
jamais assez cette femme pour son soutien.
Je me laissai aller, je refusai des contrats pour mes spectacles de magie, je ne
me rendis plus aux cours, j’étais à nouveau au fond du gouffre.
Il fallut réagir, je retournai chez l’acupuncteur. Je me rendis en voiture, 500 km
dans la même journée, j’étais toujours aussi imprudent. Il me prescrivit un nouveau
traitement de phytothérapie plus répugnant que le premier mais très efficace. Mon
calme revint, les tensions me quittèrent.
Maman décida de venir voir ses petits-enfants pour oublier les mois terribles
qu’elle avait passés avec sa mère. Nous eûmes beaucoup de mal à la consoler, elle
pleura tous les soirs, nous disant qu’elle se sentait terriblement seule depuis la
disparition de grand-mère.
Mes sœurs lui proposèrent de rester à Strasbourg pendant quelque temps.
Elle alla d’un appartement à l’autre pour ne pas être à la charge d’un seul
couple.
Elle passa moins de temps avec nous me disant que Monique ne comprenant
pas le portugais et elle, ayant oublié son français, elle se sentait moins à l’aise.
Je pense que ce n’était qu’un prétexte, elle avait tout simplement remarqué un
changement au niveau de notre couple et était très malheureuse pour moi.
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Un après-midi du mois de juin 1992, Monique m’annonça qu’elle souhaitait
divorcer.
J’appréhendais depuis longtemps cet instant et bien que je fusse préparé à cette
éventualité, j’eus du mal à admettre sa décision. Je la regardai, pétrifié, était-elle
sincère ou voulait-elle juste me faire marcher pour voir ma réaction ?
Elle n’allait pas me quitter après 1 an et demi de mariage ! Non ! Monique ne
ferait jamais cela !
Je me suis mis à trembler de tous mes membres et aucun son ne sortit de ma
bouche. Je cherchai son regard pour voir si elle n’essayait pas de refréner un éclat de
rire. Non ! elle paraissait vraiment sérieuse, elle m’expliqua qu’elle était au bout du
rouleau, que c’était une erreur d’avoir voulu m’épouser, qu’elle devait finalement
reprendre sa vie en main.
Et moi, quel sera mon avenir ? Qui allait prendre soin de moi ? Qui sera mon
guide spirituel ? Non ! notre parcours ne pouvait pas s’arrêter là, je l’aimais de toutes
mes forces.
Je lui dis en pleurant :
« Non ! Monique, ne me quitte pas, je ne peux pas vivre sans toi, non !
Monique, ne fais pas cela, je t’aime ! ».
Elle eut du mal à contenir son émotion, les larmes coulèrent sur ses joues, elle
fut sincèrement désolée de m’abandonner avec toutes mes souffrances. Conscient
qu’elle n’était pas là pour tenir uniquement le rôle d’infirmière, je me disais qu’elle
aussi, avait le droit d’exister, je n’avais pas le droit d’être aussi égoïste et lui demander
de se sacrifier pour moi.
Soudainement, toutes les plaies que j’avais cherché à cicatriser, pendant de
longues années, se rouvrirent. Je revins quelques années en arrière, à l’époque où ma
mère m’avait quitté, toutes les angoisses, toutes les émotions resurgirent du passé.
« Maladies ! divorce ! Ne croyez-vous pas, mon Dieu, que j’ai largement
racheté mes fautes avec tout ce que j’ai à endurer maintenant. Je vous en prie, arrêtez
toutes ces souffrances, je vous en supplie, un peu de répit, je ne vous demande pas la
lune, uniquement des choses que tout homme, normalement constitué, a la possibilité
de faire : tels que respirer, voir le jour se lever, le soleil se coucher, manger, vivre
décemment avec sa maladie, bref ! avoir un minimum de bonheur. »
Le cœur déchiré, je pris la voiture pour me rendre dans une forêt, aux alentours
de Strasbourg. Je me mis à hurler de toutes mes forces pour évacuer mon chagrin, mais
pourquoi. Pourquoi moi. Pourquoi mon Dieu ? J’en ai assez de souffrir, ne m’enlevez
pas la femme que j’aime, que vais-je devenir sans elle ? Je ne me rappelle plus
combien de temps je suis resté, là-bas, à ressasser tout ce que Monique m’avait dit. Je
n’arrivais plus à réfléchir, j’en voulus à la terre entière, je m’en voulus aussi de ne pas
avoir pu sauver notre mariage. Quel gâchis !
Mon désespoir m’amena chez ma sœur Émilia où se trouvait, également,
maman qui n’avait toujours pas quitté la France. J’essayai de cacher la triste nouvelle,
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de ravaler mes larmes, en vain, je sanglotai, sans arrêt, et elles eurent beaucoup de mal
à me consoler. J’épanchai mon cœur et ne cessai de répéter :
« Oh ! Maman, pourquoi la vie est-elle si dure, pourquoi maman ? »
« La vie continue, mon fils, répondit-elle, ne baisse pas les bras et je suis là, tes
sœurs aussi sont là. »
Elle n’en voulut pas à Monique, elle m’expliqua que je m’étais trop reposé sur
elle, que je n’avais fait aucun effort pour me prendre en charge alors que j’étais
malade, que toute patience a des limites. Même si elle a éprouvé un immense amour
pour moi, les sentiments s’émoussent à force de donner, sans recevoir.
J’écoutai ma mère en hochant la tête, tout ce qu’elle me dit n’était pas faux.
Durant 6 ans, ma femme m’avait hébergé, soigné, consolé, elle était à bout de
forces et aspirait à une vie meilleure. Fatiguée de devoir faire face à un tas de
responsabilités, elle ne voulait plus d’un gamin malade à materner.
Elle espérait en me proposant le mariage pouvoir me faire mûrir ; tout le
contraire se produit, soumis, sans grande ambition, je restais collé à ses jupes comme
si je recherchais continuellement cette mère qui m’avait tant manqué durant mon
enfance.
Je retournai, chez moi, plus triste que jamais. Monique, encore sous le coup de
l’émotion, visiblement gênée, fuit mon regard. En lui annonçant que je consentais à
divorcer, je la pris dans mes bras en la serrant, très fort, lui demandant de me
pardonner pour ne pas avoir su lui apporter tout le bonheur qu’elle méritait.
Elle recommença à pleurer, me remercia d’être aussi compréhensif, disant
qu’elle était rongée par les remords à cause de cette nouvelle épreuve qu’elle allait
m’imposer.
Monique, si tu me lis aujourd’hui, sache que je ne t’en ai jamais voulu, tu étais
le soleil de ma vie, la meilleure chose qui me soit arrivée sur cette terre, je te serai
éternellement reconnaissant d’avoir pris soin de moi, tu resteras, à jamais, mon grand
amour, je ne pourrai jamais t’oublier et j’espère sincèrement que tu as trouvé ton
bonheur. S’il n’y avait pas eu cette foutue maladie, je pense que l’on serait encore
ensemble, mais le destin en a choisi autrement, j’aurai tant aimé avoir un enfant de
toi. Sache que je suis toujours là pour toi si tu as un problème, téléphone-moi à
n’importe quelle heure, car tu resteras à tout jamais mon amie, prends soin de toi mon
amour, et merci de tout mon cœur, pour tout. Pour tout !
Je lui demandai de me laisser un peu de temps, avant notre séparation, pour voir
ce que j’allais faire de ma vie. Elle n’y vit aucun inconvénient, là encore, je pus
constater qu’elle avait d’énormes qualités : un grand cœur, du courage, de l’honnêteté
et de la compassion.
Quelle femme admirable !
À nouveau, ma vie allait prendre un autre tournant. Je demandais à Anifa, ma
partenaire de magie si elle désirait faire une tournée au Portugal pendant ses congés.
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Nous n’avions aucun contrat à honorer mais espérions trouver des contacts sur place.
Comme ils n’avaient pas pris de vacances depuis quelque temps, elle et Thibaud
étaient enchantés de ma proposition.
Je me dis aussi qu’avec l’éloignement, Monique changerait peut-être d’avis et
renoncerait à divorcer.
Maman, retournée finalement à la maison, fut impatiente de nous voir arriver.
Je chargeai toute ma panoplie de magicien dans ma petite voiture et je me mis
en route pour cet interminable voyage qui allait encore pomper toute mon énergie.
Anifa devait me rejoindre avec Thibaud dans une dizaine de jours, elle ne
pouvait se libérer qu’à la fin du mois de juillet.
Pour une fois, je fus moins incommodé par mes diarrhées, ce qui ne voulait pas
dire qu’il y avait une rémission, mon anus était toujours à vif et la douleur persistante,
toutefois je la ressentis moins que d’habitude, certainement à cause de tous ces
bouleversements dans ma vie.
La première chose en arrivant au pays, même avant d’aller voir maman, ce fut
de me recueillir sur la tombe de grand-mère, je savais où je la trouverais, je
connaissais le petit cimetière du village comme ma poche.
Durant mes vacances, j’allais souvent là-bas faire une prière pour un cousin et
d’autres personnes qui me tenaient à cœur.
Nouvelle crise de larmes, que de souvenirs ! je revis toute mon enfance, le jour
où elle nous avait ouvert sa maison, mes adieux quand nous sommes partis en France,
sa maladie ; toutes mes pensées allèrent vers celle qui comptait tellement dans ma vie.
Même si tu me manques terriblement, repose en paix grand-mère, tu l’as bien
mérité. Dans ta nouvelle demeure, il n’y a ni misère, ni souffrance, jette un coup d’œil,
de temps en temps, sur la terre et protège ton Nelinho ; je t’aime de tout mon cœur !
Maman voulut aller à Fatima, un haut lieu de pèlerinage.
Elle dit qu’elle avait fait une promesse à la Vierge et qu’elle souhaitait la tenir ;
ma tante fut aussi du voyage.
Dans le sanctuaire, submergé par d’étranges sentiments, je regardai la statue de
la Sainte Mère.
Je fus pris de frissons et investi d’une grande force intérieure. Soudain, j’entrai
dans une sorte de torpeur qui me rappela, bizarrement, l’état second dans lequel je me
trouvai lorsque je me droguai. J’entendais une voix, une voix paisible, qui me
murmurait, était-ce le fruit de mon imagination, ou vraiment réel ? Peu importe, j’étais
bien serein, je me mis à prier (Notre Dame de Fatima, aidez-moi, je vous en supplie
donnez-moi la force pour affronter encore les épreuves à venir), soyez là dans mes
moments difficiles, faites en sorte de ne pas me faire souffrir, ayez pitié de moi, Oh !
Notre Dame de Fatima, je sais que ma maladie est incurable, je n’attends pas un
miracle, mais juste que vous me donnez le courage et la force de vivre le plus
longtemps possible sans souffrance, et aussi je vous demande pardon pour toutes les
personnes à qui j’ai pu faire du mal.
Ma conscience réintégra mon corps et mon mental reprit le dessus lorsque
maman se serra contre moi et adressa elle aussi une prière à la Vierge Marie :
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« Nossa Senhora de Fatima, deia uma ajuda ao meu filho, ele nao mèrece isto
tudo »
« Notre Dame de Fatima, aidez mon fils qui a tellement souffert ! »
En regardant sa statue, j’eus l’impression qu’elle me souriait et qu’elle me
disait :
« N’aie pas peur, Emanuel, je veille sur toi ! »
J’avais compris, ce jour-là, qu’ayant la foi, il pourrait m’arriver tous les
malheurs, elle serait toujours à mes côtés.
Prostrés devant l’autel, pendant une bonne demi-heure, unis dans la même
ferveur, nous étions reconnaissants à Dieu et à la Vierge Marie de nous permettre de
partager cet instant privilégié. Jamais, je ne m’étais senti si heureux et serein.
Quelques jours plus tard, Anifa et Thibaud arrivèrent en bus, ils étaient
littéralement vidés.
Vous vous imaginez, voyager 30 heures en ne dormant que 5 heures, à peine,
c’est vraiment exténuant ! Néanmoins, ils furent heureux de passer un peu de bon
temps au Portugal.
L’un de mes cousins, qui fréquentait le milieu de la nuit, nous décrocha une
entrevue avec le patron d’une discothèque proche de la maison, la plus grande
discothèque au Nord du Portugal. Je n’ai pas su comment il avait fait pour le
convaincre, mais il fallait que je sois à la hauteur pour ne pas le décevoir et pour éviter
qu’on ne lui fasse des reproches.
Comme convenu, le gérant de la discothèque me convoqua, j’étalai mon grand
art en enchaînant les tours de cartes, de pièces et les autres tours de magie que je
maîtrisai le mieux.
Il a été, immédiatement, séduit par mon savoir-faire et me proposa un contrat.
Le lendemain, il a fait coller, sur une partie des murs et des pancartes de la ville,
des affiches avec ma photo et celle d’Anifa où l’on pouvait lire :
« SPECTACLE DE GRANDE ILLUSION »
Samedi soir à « LA PENHA CLUB »
Maman, très fière, clama aux passants : « c’est mon fils » en me pointant du
doigt.
3 jours avant le show, je sentis la pression monter. Je fus tout excité, rendezvous compte ! un spectacle dans une des discothèques les plus renommées du pays.
Quel honneur ! Quelle gloire ! Anifa et moi répétions le show sous l’œil averti de
Thibaud ; sur les ondes de la radio locale, les DJ passèrent des spots publicitaires
toutes les heures.
Les voisins vinrent me féliciter. Bizarre, il y a encore quelque temps, j’étais ce
drogué et là j’étais devenu presque une star, comme la vie est étrange ! Maman avait
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peur pour moi, elle n’avait jamais vu mon spectacle et pensait que je n’étais pas à la
hauteur.
« Et si tu n’y arrives pas ? lâcha-t-elle, sceptique. »
Je répondis, d’un air rassurant :
« Ne t’en fais pas, maman, tout se passera très bien. »
2 000 personnes devaient assister à notre show, il fallait garder notre selfcontrol et surtout éviter les ratés.
J’avais invité des proches, quelques voisins, des amis et quelques membres de
ma famille ; la plupart d’entre eux n’avaient jamais eu l’occasion de franchir la porte
d’un tel établissement.
Anifa et moi, morts de peur, mettions au point les derniers détails dans la loge.
Thibaud, comme d’habitude, ne disait rien de peur de nous stresser davantage. Moi
aussi, je fis une dernière prière à la Sainte Vierge, pour que tout se passe bien, pour le
show. Et surtout, pour que tout se passe bien, malgré mes problèmes de santé, enfin de
diarrhées.
Maman, accompagnée de la famille et des amis, tremblait pour moi.
Il y avait un monde fou, les gens jouaient du coude dans la salle.
Le DJ ayant lancé la bande-son annonçant le début du show, nous nous
présentâmes, sous les applaudissements du public, avec nos habits de lumière.
Les premières minutes, mon cœur battit très fort, je restai quelques secondes,
penaud et hésitant, devant cette foule en délire, mais très vite, utilisant mes techniques
de relaxation acquises par le yoga, je me repris et leur présentai un spectacle à en faire
baver les pros.
Quel triomphe ! L’ambiance était survoltée, les spectateurs tapant des mains et
des pieds en redemandèrent ! Ce fut sensationnel ! Avant notre sortie, j’attrapai une
dernière fois le micro en m’adressant à ma mère qui pleurait de joie :
« Maman, j’ai fait ce show spécialement pour toi, je te remercie de m’avoir
toujours soutenu, c’est à toi que reviendra le cachet de ce soir. »
Toute la salle, émue, se leva et me fit une interminable ovation. Très touché par
ces témoignages d’affection qui me mirent du baume au cœur, je ressentis une
immense fierté et une énorme satisfaction. Quelle soirée mémorable !
Après ce spectacle, je devins la coqueluche de la ville. C’est incroyable comme
la bouche à oreille peut vous faire acquérir, rapidement, une grande notoriété. En un
mois, grâce à cette prestation, toutes les discothèques souhaitèrent m’embaucher. Je
signai, sans avoir à prouver ma compétence, une dizaine de contrats. Pour chaque
soirée, le cachet était l’équivalent de 5 mois de salaire d’un ouvrier portugais.
Rentrée d’argent appréciable pour un travail qui nous passionna !
Au fur à mesure que nous enchaînâmes les soirées, nous nous sentîmes de plus
en plus détendus.
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Nous passâmes la dernière semaine de vacances chez mes sœurs. Il fallait bien
se reposer un peu avant de rentrer en France.
Pour le retour, Anifa et Thibaud revinrent, avec moi, en voiture, Anifa à l’avant,
Thibaud à l’arrière. Je l’installai dans une malle, non pas pour passer la frontière en
clandestinité, mais il n’y avait pas assez de place à cause du matériel de magie que je
ramenais.
Pauvre Thibaud ! Enfermé comme un animal, avec cette chaleur accablante ; de
temps en temps, sa femme lui donnait de l’eau et quelques chips pour que le trajet lui
semble moins pénible.
À Strasbourg, après avoir déposé mes amis, je n’eus qu’une seule envie, ce fut
d’aller voir Monique pour l’entendre dire qu’elle avait changé d’avis au sujet de notre
divorce.
Hélas ! Elle campa sur ses positions. Durant mon absence, elle s’était chargée
de récupérer tous les documents nécessaires.
Ne voulant pas entamer de nouvelles discussions pour essayer de la sensibiliser,
je battis en retraite, le cœur gros. Comme j’étais déçu, Monique, mais je respectais ton
choix.
Quelques jours plus tard, on me fit une proposition pour un emploi de magicien
dans un nouveau cabaret qui allait ouvrir sur Forbach. Ce fut l’occasion de me
reconstruire et de quitter définitivement Monique. Je savais que l’épreuve serait
terrible mais finalement, la distance me permettrait peut-être de l’oublier plus
facilement.
Le séjour au Portugal m’avait redonné confiance. Je me suis rendu compte
qu’avec un peu de volonté, je pouvais arriver à gérer ma vie, sans être continuellement
assisté.
Toutefois, l’idée de quitter Monique me terrorisa. Livré à moi-même, j’eus
l’impression d’être un lionceau orphelin, errant dans la jungle, à la merci des
prédateurs.
Aurai-je la force de continuer ce combat sans l’appui de ma femme ?
Je mis Anifa et Thibaud au courant d’un emploi éventuel à Forbach. Une
question se posa maintenant, qui allait assurer les cours de kung-fu ? J’avais pensé que
Thibaud prendrait la relève, mais il déclina ma proposition, prétextant qu’il ne voulait
pas s’occuper des deux écoles : Strasbourg et Saverne.
La question était réglée, il fallut avertir les élèves que les cours s’arrêteraient
prochainement.
Je leur expliquai tant bien que mal, mon empêchement de continuer leur
enseignement au sein du club. Avec les années, ils étaient devenus des amis, ils
regrettèrent de devoir se mettre à la recherche d’un nouveau club pour s’adonner à leur
passion alors que nous formions une si bonne équipe. Le jour des adieux, ils me
souhaitèrent tout le bonheur possible me promettant, pour certains d’entre eux, de
venir m’applaudir à Forbach.
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Anifa ne voulut pas que nos routes se séparent déjà, elle adorait m’assister
pendant les spectacles ; démissionnant de son emploi de secrétaire, loin d’être lucratif,
elle décida de vivre cette aventure avec moi. Thibaud, au chômage, n’y vit pas
d’inconvénient, comme Anifa aurait l’équivalent de deux salaires, il ne s’inquiéta pas
trop de ne pouvoir retrouver un nouveau travail dans cette région déjà frappée, à cette
époque, d’un taux de chômage élevé.
La rupture avec Monique fut douloureuse. Le fait de la perdre, à jamais, me
rendit malade, je ne réalisais toujours pas qu’elle souhaitait mettre un terme à notre
relation. Ce fut vraiment dur à gérer ! Certains élèves vinrent me remonter le moral et
m’aider à déménager.
J’aimerais, au passage, faire un clin d’œil à ces derniers pour les remercier de
leur soutien.
Je serrai Monique, très fort, en l’embrassant, elle me souhaita « bonne chance ».
Certaines séparations virent au drame, chez nous il n’y avait aucune animosité,
nous nous quittions le cœur gros, sans haine, tout était clair, nous étions conscients que
chacun de nous devait poursuivre sa route, individuellement.
Nous avions trouvé une maison à louer à Forbach, à quelques kilomètres de
notre lieu de travail. La vieille 4 L d’Anifa nous amena au cabaret où les travaux
n’étaient pas encore achevés, les repreneurs voulaient transformer une discothèque en
music-hall.
Pour ne pas retarder l’échéance de l’ouverture, nous participions, de bonne
grâce, aux transformations, en maniant pinceaux et marteaux.
Si nous nous étions doutés de ce qui adviendrait, nous n’aurions, certainement,
pas mis, bénévolement, la main à la pâte. En effet, notre agent artistique, Monsieur
Y.W. nous a bel et bien arnaqués.
Il m’est d’ailleurs, toujours redevable de la coquette somme de 3 000 euros
dont, de toute évidence, je ne verrai jamais la couleur.
Grâce au dévouement et à l’efficacité du personnel, la date de l’inauguration put
être respectée. Salle comble le jour de l’ouverture !
Toutes les personnalités locales étaient présentes, avec en tête, Monsieur le
Maire de Forbach. Nous partagions les loges avec la soi-disant troupe du « Moulin
Rouge »
Après leur passage sur scène, j’observai ces filles ; venaient-elles effectivement
du célèbre cabaret parisien ? J’en doutais, même sous une épaisse couche de
maquillage et vêtues des plus jolis costumes, elles n’avaient pas le profil de
professionnelles.
Monsieur Y. W, pour faire une bonne publicité à l’établissement, les avait peutêtre ramassées dans des tripots parisiens.
Ça m’étonnerait fort qu’il ait pu débourser une telle somme pour les frais
d’hébergement, les repas et les prestations de toutes ces artistes alors qu’il discutait
déjà le prix de notre cachet qui, pourtant, n’était pas excessif.
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Au début, l’ambiance fut plutôt sympathique ; nous avions fait connaissance,
très vite, avec les artistes. J’avais pris, en leasing, un « combi transporteur », payable
en 3 ans pensant qu’avec mon salaire, je rembourserais aisément les mensualités.
Monsieur W. nous faisait travailler de 18 heures à 5 heures du matin et croyez-moi, ce
ne fut pas de tout repos.
Notre contrat stipulait que nous étions engagés pour faire un spectacle de magie
alors que notre directeur nous demandait, en plus, de nous occuper, moi, de l’accueil et
Anifa, des vestiaires ; et pire, Thibaud, qui ne comprenait rien à la comptabilité,
devenait gestionnaire du bar ; certainement que Monsieur Y.W. cherchait une
couverture, au cas où nous aurions des contrôles fiscaux ou autres.
Tout ça puait l’arnaque à des kilomètres ! Heureusement que nous avions
encore, quelques contrats en dehors du cabaret : des spectacles d’enfants, des
animations pour les comités d’entreprises, ceux-ci nous permirent de payer le loyer de
notre habitation. Au bout de trois mois, débâcle totale ! plus d’argent et moi, en plus,
un crédit sur le dos.
Nous avions fait notre dernier spectacle le 31 décembre 1992. Il y avait, ce soirlà, des invités de marque, en l’occurrence Patricia Kaas, une enfant du pays, et Bernard
M. Pas vraiment causante, Patricia, avait-elle déjà la grosse tête ? Ce qui n’enlève rien
à ses talents de chanteuse.
Bernard, moins réservé, me courtisa, il me trouvait beau et me fit des
compliments sur mes prouesses. Je pense qu’il aurait bien aimé que je lui donne des
cours particuliers. Malgré sa grande notoriété, je n’avais pas envie de répondre à ses
avances, j’avais déjà assez donné dans ce domaine et je le paie assez cher maintenant.
Ce fut une superbe soirée, éprouvante certes, car comme le cabaret fermait pour
une dizaine de jours, nous avions donné deux représentations. Repos bien mérité ! le
travail nocturne est usant, j’en savais quelque chose, pour mes deux amis, ce fut une
découverte.
Je profitai de ces quelques jours de congé pour retrouver mes sœurs à
Strasbourg ; Anifa et Thibaud pour rendre visite à leurs parents.
De retour au cabaret, tout le personnel fut invité autour d’une grande table que
notre cher Monsieur Y.W. avait fait placer au milieu de la piste.
Comme dans tout music-hall, il y avait une rotation, on gardait certains artistes
pour en renvoyer d’autres, ensuite pour redynamiser le spectacle, on en recrutait des
nouveaux.
J’assistai à cette réunion sans me sentir concerné, mon contrat était signé pour 3
ans, j’avais largement le temps de rechercher un nouvel employeur. J’étais plutôt
content, les gens appréciaient nos performances, et même en occupant des emplois qui
n’avaient rien à voir avec notre vocation première, nous nous contentions de faire
notre travail, correctement.
Grande surprise ! nous fûmes sur la liste des partants.
Verdict : Tous les 3, licenciés pour faute professionnelle.
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Motif : nous nous étions plaints, à maintes reprises, du mauvais fonctionnement
de l’entreprise et avions essayé de déstabiliser le reste du personnel sur lequel nous
avions une mauvaise influence.
Et comble de l’affaire, il nous renvoya, sans le moindre sou, apparemment, il
n’y avait plus de fonds dans les caisses.
« Alors là, Monsieur Yves, vous avez fait fort ! Figurez-vous que l’insignifiant
petit magicien s’était vite rendu compte de vos agissements peu scrupuleux. Ayant
constaté que nous ne marchions pas dans vos combines, vous avez monté, de toutes
pièces, ce stratagème et de peur que les actionnaires du music-hall, de braves
fabricants de meubles, installés dans les Vosges, puissent apprendre vos escroqueries,
vous avez préféré nous mettre à la porte.
Nos contrats étaient falsifiés, nos fiches de paye en un seul exemplaire pour
éviter de payer les charges ».
Yves avait tout prévu, c’était un truand, nous l’avions, malheureusement, appris
trop tard. Il devait à ses débiteurs, à travers la France, des centaines de milliers de
francs.
Mes amis et moi fûmes désespérés ; j’étais encore plus ennuyé qu’eux, j’avais
le crédit de la voiture à rembourser. Je ne voulus, en aucun cas, la vendre ; c’était mon
outil de travail, il me la fallait pour transporter le matériel si je voulais continuer mes
spectacles.
Il ne me resta qu’une solution, c’était de retourner à Strasbourg pour vivre avec
l’une de mes sœurs et pour mes amis, demander à la maman de Thibaud de les
héberger le temps de retrouver un travail.
Je me culpabilisais d’avoir admis qu’Anifa démissionne de son emploi de
secrétaire pour me suivre. Mais le mal était fait et il fallut trouver une issue. Anifa, par
chance, fut reprise par son ancien patron et de mon côté, j’allais dans les bars,
restaurants et discothèques pour décrocher quelques contrats.
Je fis le calcul, avec un travail fixe et quelques prestations, le problème serait
résolu, je pourrais vivre correctement et rembourser mon prêt. Malheureusement, rien
ne se déroula comme je l’avais prévu et puis passer d’un emploi d’artiste à un emploi
de plongeur dans un restaurant, ce ne fut pas évident, dur de faire marche arrière !
Un soir, j’avais rendez-vous dans une discothèque pour signer un contrat.
Hélas ! quand je vis la piste, je compris qu’il me serait impossible de me produire dans
cet établissement avec tout mon matériel. Je restai pour prendre un verre malgré la
musique techno que le DJ passait et qui n’était vraiment pas ma tasse de thé.
Il y avait pas mal de monde et l’ambiance était assez bonne !
À côté de moi, deux hommes étaient paisiblement attablés. L’un des comparses
me fixa, sans relâche, en m’adressant de timides sourires.
Une dizaine de minutes plus tard, il engagea la conversation en me disant :
« Pourquoi fais-tu cette tête ? Allez, souris ! »
Avec un large sourire, je le regardai d’un air amusé.
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« Ah ! Voilà qui est mieux, rajouta-t-il, quand on a un beau sourire comme le
tien il faut en profiter ! »
Le compliment venant de cet homme me flatta. J’appris qu’ils étaient
Canadiens, militaires et stationnés en Allemagne. Celui qui m’avait interpellé était un
très bel homme, la trentaine, avec un fort accent canadien que j’avais plaisir à écouter.
Il m’offrit gentiment un verre.
Je remarquai que le 2e manquait de virilité, certainement bisexuel ou gay.
Les trouvant très avenants, je conversai avec eux pendant deux bonnes heures.
Ils se levèrent, finalement, pour retourner à la base. Mon admirateur parut triste
de devoir prendre congé. Moi aussi, d’ailleurs, j’aurais bien aimé finir la soirée avec
eux car ils étaient extrêmement sympathiques.
Néanmoins, je décidai de rester jusqu’à la fermeture de la boîte.
Une heure, plus tard, je vis l’homme qui m’avait accosté, franchir à nouveau la
porte. Heureux de le revoir, je m’empressai de lui demander pourquoi il était revenu.
« Pour toi, me répondit-il. Te trouvant beau gosse, j’avais envie de mieux te
connaître. »
Il me confia qu’il s’appelait André ; marié, père de famille, il était Caporal chef
et originaire du Québec.
Tout confus, il m’avoua que c’était la première fois qu’il avait osé aborder un
homme, il ne comprenait pas son attitude n’ayant jamais eu d’attirance pour eux.
Il fut très troublé de découvrir un autre aspect de sa personnalité.
Autour d’une bouteille, nous discutâmes de choses et d’autres, je me sentis
vraiment bien en sa compagnie. À la fermeture de la discothèque, en voyant qu’il était
pas mal éméché, je lui conseillai de passer la nuit dans mon combi sur un vieux
matelas qui servait à caler les boîtes de magie. Ayant bu autant que lui, moi non plus,
je n’avais plus les idées très claires.
J’allumai un chauffage d’appoint et je m’allongeai près de lui, à moitié
somnolent.
Soudain, il me serra dans ses bras, je n’essayai même pas de le repousser, me
rendant compte que depuis fort longtemps, je n’avais pas ressenti un tel bonheur.
Enlacés comme un couple d’amoureux, nous sombrâmes dans un sommeil
profond qui ne dura que 3 heures.
André m’invita au réveil à prendre le petit-déjeuner au café du coin. Il
m’annonça qu’il ne resterait plus que 15 jours en Allemagne et repartait pour le
Québec.
Grande fut ma déception ! Je n’aurais jamais imaginé tomber amoureux de lui.
Ce fut une première pour moi aussi. Même en couchant, occasionnellement, avec des
hommes pour l’argent, jamais je n’avais ressenti une quelconque attirance pour l’un
d’eux.
Chose inouïe ! mon amour pour André fut intense, pas comme que celui que
j’avais pour mon épouse, mais j’éprouvais des sentiments, je n’y comprenais plus
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rien ! je me suis même demandé si je n’étais pas en phase de devenir « gay, aurais-je
été bisexuel toute ma vie, sans jamais faire attention à mes pulsions, et mon amour
pour Monique, comment expliquer cela, je l’avais aimée, pourtant ? »
Mystérieuse et imprévisible vie ! En analysant la situation, je me trouvais des
excuses : manque d’affection, problèmes psychologiques suite aux absences répétées
de ma mère, l’absence du père et au départ de ma femme. Finalement, je conclus qu’il
valait mieux ne pas trop se casser la tête, l’essentiel était de trouver le bonheur.
Je ne perdrais rien de ma virilité, ni de mes talents de magicien, ni de professeur
d’arts martiaux, je vivrais une expérience comme tous ces hommes qui, malgré leurs
principes bien arrêtés, avaient fini par céder à leurs pulsions sexuelles.
André, avant de réintégrer la caserne, me demanda de le retrouver le soir au
restaurant chinois. Mon cœur tressaillit de joie, mon plus grand désir était de le revoir
pour continuer notre drôle d’aventure. Excitante et palpitante !
Je passai chez Émilia pour prendre une douche et dormir un peu, j’avais
effectivement du sommeil à rattraper. Le soir venu, je me pomponnai, comme pour me
rendre à un premier rendez-vous galant et le retrouvai, allégrement, à l’heure et au lieu
convenu.
Il m’annonça que, lui aussi, était très épris et n’avait pas cessé de penser à moi
toute la journée. Il lui restait 15 jours de congé qu’il voulut passer avec moi avant de
s’envoler pour le Canada.
Les paroles d’André me réchauffèrent le cœur, pourtant, je ne pus cacher la
vérité à cet homme. Je suis beaucoup trop honnête, il fallait que je lui parle du sida et
de toutes mes autres affections.
Prenant mon courage à deux mains, je le mis au courant de mes problèmes de
santé, me demandant s’il n’allait pas se détourner de moi en apprenant la terrible
nouvelle.
Suspendu à mes lèvres, il m’écouta religieusement en buvant les paroles que je
débitai.
L’émotion me fit bégayer plus que d’habitude.
Soudain son visage se ferma, se raclant la gorge, il fit une grimace, il eut du mal
à parler.
Mort d’inquiétude, je le dévisageai en tentant de lire ses pensées ; je me dis
qu’il avait pris conscience du danger encouru.
Il tira sa chaise vers moi, me prit par les épaules et se mit à pleurer amèrement.
Le cœur brisé, il me caressa la main ignorant les clients indiscrets qui nous lancèrent
des regards insistants et perfides avec l’air de dire :
« Regardez donc ces deux pédales ! »
Je ne ressentis aucune gêne à lui témoigner ma gratitude.
Enfin, j’avais trouvé une personne attentionnée et sincère qui me comprenait et
soutenait mon âme solitaire en proie à un profond chagrin… et tant pis ! si c’était un
homme. C’est cela que je cherchais. Un ami profond, un frère, un père. Quelqu’un qui
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me comprenait, et m’aimait, je voulais tout cela à la fois, je ne voulais juste ne pas
rester seul.
Nous avons fini la soirée dans une chambre d’hôtel non pas pour nous adonner
à des pratiques sexuelles mais pour nous enlacer et nous câliner. Et à vrai dire, j’étais
heureux.
Notre relation fut intense, nous étions en parfait accord.
Le jour suivant, il souhaita m’emmener en Allemagne pour visiter la base
militaire.
J’étais avide de découvrir l’environnement où il avait évolué ces 3 dernières
années, d’autant plus que les personnes étrangères au service n’avaient pas le droit d’y
accéder.
Avec le passe qu’il avait récupéré chez un officier supérieur, je pus pénétrer
dans tous les bâtiments existants. Il me conseilla de dire que j’étais de la famille. De
toute façon, nous étions épiés, toute la caserne était sous vidéosurveillance.
Je fus très impressionné par l’immensité du site, la discipline et la rigueur qui
régnaient dans l’enceinte du quartier surtout que, n’ayant pas fait mon service
militaire, j’avais échappé à ce genre de contraintes.
Les équipements, aménagés pour permettre aux militaires de s’évader de cette
ambiance spartiate, étaient nombreux.
Cinéma, patinoire, coiffeur, bar, commerces d’alimentation et d’habillement,
restaurant, c’était absolument incroyable, ils avaient pensé à tout !
André me présenta à ses amis, tous des gars très gentils qui me firent rire avec
leurs différents accents canadiens.
Cet endroit ressemblait si peu au monde où j’avais l’habitude d’évoluer. C’était
vraiment captivant !
André en quelques jours fut au courant de toute ma vie. Il me proposa de
rembourser 2 mensualités du crédit de ma voiture soit : (1 100 euros)
Je fus gêné, il insista tellement que j’acceptai son offre pensant que si je
n’arrivais pas à retrouver d’autres contrats, je serais dans l’impossibilité de régler mes
prochaines échéances et sans mon combi, impossible de travailler.
Le week-end suivant notre rencontre, j’eus un contrat à honorer. Je l’invitai
avec une bande d’amis à assister à un spectacle de micro-magie qui ne nécessita pas
l’assistance d’Anifa.
Je croisai son regard à la fin du show, ses yeux, couleur vert jade, pétillèrent de
joie, il m’adressa un large sourire laissant transparaître qu’il était très fier de moi.
Les 15 jours passés avec lui furent inoubliables.
Monique me demanda de venir chez elle signer les papiers du divorce. Je
demandai à André de m’accompagner pour le présenter à mon ex-femme et me
soutenir dans cette démarche. Pas facile de revenir dans cet appartement où nous
avions vécu tant d’années de bonheur. Les souvenirs défilèrent au fur et à mesure que
je montais les escaliers. André, une fois de plus, devina mes pensées, il sut que
l’instant où je signerais mon accord pour le divorce, serait crucial, que toute une partie
de mon existence s’écroulerait.
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Il n’y avait pourtant pas d’autres alternatives, il fallait régulariser la situation.
En apposant ma signature sur le bas de la page, je faillis défaillir ; André me tapa sur
l’épaule en me disant :
« Ne t’en fais pas, Manu, ça ira ! »
Monique nous observa, perplexe, de toute évidence elle avait remarqué qu’il se
passait quelque chose de fort entre lui et moi.
La veille de son départ, André organisa un pot d’adieu. Je savais que bientôt je
ne le reverrais plus ; j’essayai de ne pas trop y penser pour vivre, pleinement, les
derniers instants de bonheur.
Il fut tiraillé entre l’envie de retrouver sa famille au Québec et celle de rester
avec moi.
Devait-il abandonner sa femme, son enfant qui attendait impatiemment son
père, pour vivre en France ? Choix difficile !
Je souhaitais de tout mon cœur qu’il ne parte pas, mais encore une fois, la
même question revint comme pour Monique, avais-je le droit de lui demander un tel
sacrifice ?
J’allais perdre un ami exceptionnel et même si j’avais ses coordonnées, je ne
me permettrai jamais, par respect pour sa femme et son enfant, de le relancer lorsqu’il
serait revenu près des siens.
J’aurais aimé que cette dernière nuit ne se termine jamais. Nous discutâmes,
jusqu’à l’aube, pesant le pour ou le contre, n’arrivant pas à trouver la solution adéquate
à notre problème.
Il avait collé sa photo sur une cassette de Céline Dion ; j’affectionnais,
particulièrement sa chanson : « L’AMOUR EXISTE ENCORE » dont les paroles sont
les suivantes :
« Quand je m’endors contre ton corps, alors je n’ai plus de doute, l’amour
existe encore.
Pour t’aimer une fois pour toutes, pour t’aimer coûte que coûte, malgré ce mal
qui court, et met l’amour à mort. »
J’avais l’impression en écoutant Céline, qu’elle s’adressait directement à moi.
Le texte était tout à fait approprié à mon cas, il faisait allusion à la maladie et reflétait,
parfaitement, les sentiments, si confus, éprouvés pour cet homme.
C’est étrange, en écoutant certaines chansons, nous pourrions croire qu’elles
nous sont destinées, nous nous y retrouvons, elles ont, souvent, tellement de similitude
avec notre vie.
Je voyais, clairement, ce que mon ami cherchait à m’expliquer :
« Qu’importe la couleur, la religion, l’apparence physique ou même le sexe de
la personne, qu’importe le handicap, la maladie ! La chose la plus importante sur
cette terre, c’est d’aimer et d’être aimé, j’ai eu des sentiments pour André, je ne
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pensais pas ce genre de pulsion pour un homme, mais l’amour et l’amitié si beaux et
même si c’est entre deux hommes ou deux femmes, peu importe ! »
Le lendemain, je l’accompagnai à l’aéroport, le cœur gros. Un lourd silence
pesa dans la voiture. Les mots nous manquèrent pour exprimer la vive douleur que
nous ressentions. Nous étions meurtris jusqu’au fond de nos entrailles.
Quand je vis l’avion prendre son envol, le sol se déroba sous moi, j’avais
l’estomac noué, je me tordis de douleur car les crampes me reprirent. Dur retour à la
réalité !
Et voilà que la deuxième fois, en un court laps de temps, je me remis en
question. Comment arriver à me reconstruire après cette nouvelle déception ? Me voilà
encore seul, c’était la seule chose que je redoutais le plus, la solitude, j’avais peur et
j’appréhendais de finir mes jours seul, et s’il m’arrivait quelque chose, comment m’en
sortir seul, sans personne pour m’épauler, me soutenir, m’aider et m’encourager.
Quelque temps plus tard, André téléphona chez Émilia pour lui demander de
mes nouvelles. Étant absent, ce jour-là, je ne sus jamais ce qu’il avait à me dire. Il
promit à ma sœur de rappeler mais il ne reprit jamais contact avec moi. Pourquoi?
Le seul souvenir qui me reste de cette tendre amitié est la cassette de Céline
Dion que je garde, précieusement, bien qu’elle soit inaudible car la bande est tellement
usée à force de tourner.
Mes pensées retournent à André dès que je vois cette artiste à la télé. J’aurai
tant aimé qu’on reste de bons amis.
Ma maladie s’était, plus ou moins, stabilisée sauf que les diarrhées persistaient
mais j’avais appris à vivre avec ce handicap.
Le quotidien revenait, je logeais toujours chez ma sœur en vivant des
prestations de quelques petits spectacles qui me permirent aussi de rembourser les
dernières traites du combi.
Un après-midi du mois de mars, je rencontrai un copain que je n’avais pas vu
depuis des années. Il me raconta avoir ouvert une boutique dans une petite ville de
l’Alsace du Nord. En apprenant que j’étais sans emploi fixe, il me proposa de travailler
avec lui, il dit avoir besoin d’une personne pour le seconder lors de ses absences.
Quelle opportunité ! je fus ravi de l’offre. J’appris vite à différencier les
produits expédiés des quatre coins du monde. Le travail fut très plaisant, les clients ne
se bousculant pas à la porte, il n’y avait aucun stress, j’aurais préféré, à la limite, plus
d’agitation car les journées ne passaient pas assez vite.
Je déchantai après quelques semaines passées dans la boutique. Mon patron
commença, sans motif, à me chercher des noises. Quel soudain revirement !
Il prit plaisir à me ridiculiser devant la clientèle et ses amis pour leur faire voir
que c’était lui le patron. Je me rendis compte qu’il était prétentieux, autoritaire et
atteint d’un grave complexe d’infériorité qui le forçait à me harceler à longueur de
journée.
Tout ce que je faisais dérangeait cet ignoble personnage. Rien n’était à sa
convenance.
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Il me cherchait querelle pour le moindre détail, jouissant de voir que je me
retranchais, pour pleurer, dans l’espèce de cagibi attenant à la boutique.
J’essayais de ne pas trop prendre en compte ses attaques continuelles car,
financièrement, cela m’arrangeait bien d’avoir ce job.
Mon patron, également, originaire de Strasbourg au lieu de parcourir 85 km
tous les jours et tomber dans les habituels bouchons sur l’autoroute, avait loué un
appartement proche de son commerce. Il me proposa de le partager avec lui ;
j’acceptai de bon cœur me disant que je n’aurais plus de frais d’essence et que je
pourrais traîner plus longtemps au lit, le matin.
Ce fut une très mauvaise idée, jamais, je n’aurais dû accepter sa proposition.
Tous les soirs, reclus dans l’appartement, nous avions des face-à-face houleux,
Monsieur savait tout, il me prenait pour un arriéré sans la moindre once d’intelligence.
Ce rebut de l’humanité me mit plus bas que terre ; de toute façon, c’était lui le
boss, il n’y avait rien à contester.
Un matin, en me réveillant, une éruption de boutons au niveau de ma hanche
gauche me démangea ; je n’y prêtai pas trop attention me disant qu’il s’agissait d’une
simple allergie provenant d’un aliment que je ne supportais pas.
Dans la journée, pourtant, la douleur devint de plus en plus vive, l’éruption
atteignant la cuisse me paralysa tout le côté gauche de la hanche et une forte fièvre
s’installa. Que m’arrivait-il encore ?
Je décidai d’aller voir un généraliste, pris au hasard dans l’annuaire. Ce dernier,
hésitant sur le diagnostic, me dirigea vers un spécialiste de la peau qui m’annonça
qu’il s’agissait d’un « zona », un dérivé de la varicelle qui se soignait uniquement aux
antibiotiques.
À partir de ce jour, ma santé déclina, un mois plus tard je fus atteint d’une
phlébite puis d’un déchaussement dentaire. Mon système immunitaire devint
déficient ; fatigué, je fus fragilisé et exposé à toutes les maladies.
Les médicaments aidant, j’eus une continuelle envie de dormir. Le médecin me
remit un traitement pour coaguler le sang et me conseilla de me reposer, je passai outre
ses recommandations en continuant à travailler pour ne pas exaspérer mon patron.
La seule chose positive depuis mon embauche fut d’avoir fait la connaissance
d’un couple de restaurateurs qui venaient s’approvisionner à la boutique ; j’allais,
régulièrement, prendre le café après mon travail. Liliane, la patronne, douce, souriante,
très vivante, était d’une gentillesse rare qui faisait chaud au cœur. Son mari, Jean-Paul,
d’un caractère autoritaire, certainement à cause de ses antécédents militaires, dirigeait
une vingtaine de personnes, à la baguette.
Il fallait que tout soit parfait, personne n’avait droit à l’erreur sinon il devenait
impitoyable, premier avertissement, sanction et licenciement si la personne lui
résistait.
La cuisine étant plutôt bonne, j’allais souvent m’y restaurer jusqu’à sympathiser
avec les tenanciers. Le courant passa très bien et à force de découvrir d’autres aspects
de la personnalité du maître de maison, je commençai, sincèrement, à l’apprécier.
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Liliane fut toujours à mon écoute, nous avions une telle complicité que je lui
racontai mon passé et lui avouai, un peu plus tard, que j’étais malade. Ayant un ami
commun qui était atteint de la même maladie que moi, nous nous sentions encore plus
proches.
Je fis aussi la connaissance d’autres personnes sympathiques : Patrick, Astrid,
Philippe, tous plus âgés que moi mais qui étaient restés de vrais gamins. Très farceurs,
ils amusaient toute la galerie.
Jean-Paul organisait des soirées à thèmes dans lesquelles, de temps en temps, je
me produisais. Patrick, aussi, avec un groupe de musiciens fut mis à contribution.
Liliane me présenta sa cousine, Judith, devenue une très bonne amie qui, plus tard, me
fut d’un grand soutien.
J’avais promis à mon beau-frère de lui prêter mon combi pour se rendre au
Portugal avec sa petite famille et je me suis dit : « Après tout, pourquoi ne pas profiter
du voyage pour aller me détendre chez maman ! »
Le zona m’avait fait perdre encore de l’énergie, il était grand temps de
reprendre du poil de la bête !
Lors de mon séjour au Portugal, mon patron me téléphona pour m’avertir qu’il
y aurait, à mon retour, un sacré changement dans ma vie professionnelle. Mais
qu’avait encore manigancé cet énergumène diabolique ? Je m’attendis au pire bien
qu’il m’affirmât que ce serait une bonne surprise.
À mon retour, je fus sidéré d’apprendre qu’il avait repris avec Jean-Paul, le
restaurateur, un établissement situé dans un patelin pas loin de mon lieu de travail. Les
murs du local datant de l’après-guerre semblaient être en bon état mais, l’intérieur, peu
fonctionnel, dut être retapé. Devinez qui a dû s’atteler à cette lourde tâche ?
Pendant plus de trois mois, du matin au soir, je m’occupai des travaux de
peinture, de tapisserie, de carrelage. Liliane prit en charge toute la décoration : choix
des rideaux, de la vaisselle, des nappes et autres accessoires.
J’installai une scène pour mes spectacles de magie pensant que ce serait un plus
pour attirer la clientèle. Le résultat fut étonnant, nous étions très fiers de la rénovation.
L’année 1995 s’annonça bien, j’allais enfin avoir ma propre scène.
Le jour de l’ouverture, nous avions invité famille et amis, s’y rajoutaient aussi
quelques villageois qui, curieux, nous espionnaient pour pouvoir faire après, le rapport
aux deux autres restaurateurs de la place.
Dès la première semaine, je remarquai que nous aurions beaucoup de mal à
faire tourner ce restaurant. N’étant pas du village et ne parlant pas l’alsacien, je sentis
que nous n’aurions pas la chance de persévérer. Les villageois avaient déjà leur point
de chute dans les deux autres restaurants installés depuis des années, spécialisés
comme nous dans la tarte flambée ; de plus il ne fallait pas trop compter sur la
clientèle extérieure.
Je fis mes spectacles de magie assistée d’Anifa, Thibaud l’approuvant, comme
d’habitude, malgré la mauvaise expérience de Forbach. Albina, une amie Portugaise,
drôle et gentille, qui avait été l’épouse du frère de ma belle-sœur, fut chargée de les
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récupérer en voiture ; c’est ainsi que tous les trois vinrent, de gaieté de cœur, les
vendredis, samedis et dimanches soirs.
Monsieur, mon patron, n’apprécia pas du tout leur compagnie, le contraire
m’eut d’ailleurs étonné. Il affirma que j’étais en mesure de faire mon petit spectacle
tout seul, que mes 3 amis, bien que ne touchant aucune paye, occasionneraient des
frais supplémentaires à l’établissement en mangeant et buvant. Je ne tins pas compte
de ses allusions, il pouvait s’estimer heureux de ne pas avoir à rembourser les frais
d’essence d’Albina, c’était toujours moi qui mis la main au portefeuille.
Nous embauchâmes Judith, en extra, les week-ends. Quelles parties de rigolades
après la fermeture ! Ce fut le meilleur moment de la soirée, nous nous retrouvâmes
autour d’une table pour boire le dernier verre et raconter des blagues. Cela tournait
souvent au délire ; entre Albina et Anifa, je ne me rappelle plus laquelle était la plus
drôle. Heureusement que nous avions encore ces quelques instants de détente car la vie
n’était pas tellement rose.
À partir du deuxième mois, le restaurant tourna passablement ; tous les
villageois avaient fini de défiler et se rabattirent à nouveau sur les deux autres
établissements, il n’y avait plus grand monde malgré mon show de magie. En faisant le
décompte de la caisse, le montant ne couvrit même pas les investissements, c’était
désespérant !
Je me culpabilisai, pensant que mon spectacle était nul, que les gens ne se
déplaceraient pas pour voir une chose aussi minable. Albina et Anifa, heureusement,
prétendirent le contraire, j’étais si mal que je n’aurais pas supporté davantage de
critiques.
Un après-midi du mois de février, en prenant ma douche, je constatai que ma
jambe avait presque doublé de volume et tirait vers le rouge violet. Étant seul dans
l’appartement, je paniquai car, à chaque mouvement, elle enflait davantage. Je ne
compris pas ce qui m’arrivait, je ne pus bouger, je rampai pour atteindre le téléphone
et demander du secours à Jean-Paul. Il arriva aussitôt ; en voyant l’état de ma jambe,
sans hésiter, il prit le combiné pour appeler une ambulance.
Le diagnostic fut rapide : une rechute de phlébite ; après être passé au scanner,
le médecin m’annonça que j’avais fait une embolie pulmonaire et que je pouvais
m’estimer heureux de m’en être tiré.
Ce fut encore une grande frayeur de ma vie, je n’aurais jamais imaginé passer
aussi près de la mort.
Pour détecter l’endroit où la veine était bouchée, ils me ligotèrent pieds et
mains et me suspendirent tel un cochon qu’on allait égorger. En m’injectant un produit
de couleur blanchâtre dans l’anus, ils me gonflèrent d’air, comme une baudruche, pour
avoir un meilleur aperçu de ce qui se tramait à l’intérieur de mon corps. La douleur fut
atroce, j’étais à la limite de l’évanouissement.
Ils me torturèrent, je me demandais quand le martyre allait s’arrêter lorsque,
d’un air triomphant, l’un des médecins m’annonça qu’il avait enfin trouvé le caillot de
sang.
Ouf ! quel soulagement !
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Il m’hospitalisa, une dizaine de jours, pour fluidifier le sang et permettre au
caillot de se résorber. Quelques vacances, par la force des choses, mais je savais très
bien que sorti de l’hôpital, j’allais reprendre immédiatement mon activité. On m’avait
déjà rapporté que mon patron racontait au restaurant que je n’étais pas malade, que
c’était la meilleure façon de bénéficier de congés gratuits.
Je dus rester très vigilant, une rechute pouvait être mortelle, j’étais atteint d’une
insuffisance veineuse comme beaucoup de membres de ma famille. Héritage
empoisonné dont je me serais bien passé avec tous mes autres problèmes de santé.
Non, je n’avais pas écouté les recommandations du médecin en sortant de
l’hôpital, je papillonnai, à nouveau, entre les tables du restaurant pour ne pas attirer les
foudres du patron.
Pendant près d’un mois, je jouai à l’infirmière en me faisant, tous les jours, des
injections.
L’affluence au restaurant, malgré tous nos efforts, se réduisit comme peau de
chagrin, pourtant la tarte flambée était délicieuse. Les seuls jours où nous faisions le
plein, c’était quand l’équipe de football ou ma famille, accompagnée d’amis, venaient
nous voir.
Ces soirs-là, je m’appliquai davantage pour faire mes shows afin de leur
permettre de passer une bonne soirée et surtout leur donner envie de revenir.
Quand le patron avait fait sa caisse et que la recette était minable, je savais que
je n’échapperais pas aux éternelles remontrances :
« Ton show est nul, tu ne vaux rien, tu ne veux pas travailler, fainéant ! »
Voilà, tout était encore de ma faute ; souvent je craquais et je pleurais en
cachette.
Je me réfugiai, à nouveau, dans l’alcool pour oublier tous mes problèmes.
Pourtant, je n’avais rien demandé à personne, le restaurant, ce n’était pas mon choix, il
ne fallait pas me mettre tout sur le dos.
Le patron calcula et recalcula, toutes les rentrées d’argent partaient dans les
charges et l’achat des matières premières, il ne dégageait aucun bénéfice, ne pouvant
nous verser les salaires ; je ne pus payer le restant de mes traites du combi.
Un huissier vint le confisquer, un matin, alors que j’avais pratiquement
remboursé mon prêt. J’en fus malade, d’autant plus que tout ce qui était arrivé était
indépendant de ma volonté. J’explosai, littéralement, mais mon patron, impassible,
répondit :
« Tu es nourri et logé, alors tu fermes ta gueule ! »
Oui, je me tus, je n’avais pas le choix, ça ne pouvait qu’envenimer la situation.
Nous quittâmes l’appartement de la ville pour faire des économies et nous nous
installâmes dans celui situé au-dessus du restaurant et malgré cela, nous n’arrivâmes
pas à joindre les deux bouts.
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La nuit, quand j’avais trop bu, les angoisses me reprenaient, je téléphonais à
Albina pour qu’elle me rassure, c’était la seule personne à qui je pouvais me confier, je
ne voulais pas que mes sœurs soient au courant de ma détresse.
À cause de mon mal-être, je m’adonnai de plus en plus à la boisson, la solitude
me pesant, elle devint mon unique compagne.
Je sombrai, une fois de plus dans l’alcool, pourtant j’aurais pu tirer des leçons
de mes erreurs passées ; je me maudis d’être si faible. Il m’aurait juste fallu un peu de
réconfort, quelqu’un qui me dise :
« Manu, c’est bien ce que tu fais, continue ! ne baisse pas les bras ! »
Malheureusement, ce ne fut pas le cas, sempiternelles remontrances ! comment
vivre avec un employeur qui vous harcèle à longueur de journée ?
J’oubliais mes ennuis quand j’étais sur scène, mais le rideau baissé, les lumières
éteintes, je dus me mettre à l’évidence que la soirée s’était encore mal passée, que les
clients avaient, une fois de plus, boudé l’établissement.
J’entamais alors ma nouvelle bouteille de whisky pour oublier… oublier… je ne
voulus… qu’oublier !
Pour mes 32 ans, j’avais invité mes amis et ma famille. Soirée fabuleuse !
J’étais entouré par toutes les personnes que j’adorais. Pour changer de la
traditionnelle tarte flambée, je leur servis un couscous.
Un show était, évidemment, prévu au programme.
Je pris plaisir à me produire, ce soir-là, je ne manquai pas de spectateurs.
Une énorme surprise m’attendit, Anifa avait monté un numéro de cabaret inédit.
Elle avait pris de la graine, mon assistante, elle fut absolument géniale !
Maman devait venir nous voir pour les fêtes de Noël, j’étais très heureux mais
en même temps atterré du fait qu’elle pouvait se rendre compte que j’avais
recommencé à boire.
J’essayai de réduire, avec beaucoup de peine, la consommation d’alcool.
C’est chez ma sœur qu’elle s’installa ; l’émotion étant trop forte, j’ai
littéralement craqué en la revoyant. Elle comprit, de suite, que j’étais déprimé et me
suggéra, après avoir écouté attentivement mon récit, de quitter, immédiatement, mon
employeur pour me mettre à la recherche d’un autre travail.
Le conseil fut plutôt judicieux ! Toutefois, elle oublia qu’en plus d’un nouvel
emploi, il me faudrait un autre logement.
J’aurais pu continuer les spectacles si j’avais eu mon combi ! hélas… bon ! ne
retournons pas le couteau dans la plaie !
Je l’invitai à venir goûter notre tarte flambée et assister au spectacle, le dernier
qu’elle avait vu remontait à très loin.
Comme convenu, elle arriva, le samedi soir, accompagnée de toute la famille.
Anifa et Thibaud furent ravis de la revoir, ils avaient vraiment apprécié sa gentillesse
lors de leur séjour au Portugal.
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Albina fut également heureuse de la rencontrer, elles s’étaient déjà entrevues
dans la famille de mon beau-frère lorsqu’elle était encore mariée.
Je fus particulièrement nerveux de monter sur scène, j’espérais plaire à ma mère
pour l’entendre dire, après le spectacle :
« C’était très bien, mon fils, félicitations ! tu as fait d’énormes progrès. »
Ces paroles me redonneraient confiance et dissiperaient mes doutes.
Le restaurant étant pratiquement plein, je fus très motivé. J’avais réservé, en
face de la scène, la meilleure table pour ma mère afin qu’elle puisse être aux premières
loges pour voir son fils.
Après le show de « Grande Illusion » durant 40 minutes, il y eut une heure de
pause pour permettre aux artistes de récupérer.
Car tout était calculé, les gens ayant choisi d’assister à la deuxième partie du
programme reprirent une bouteille, ce qui augmenta considérablement la recette.
J’enchaînai, ensuite, avec mon spectacle de « transformiste mime » d’environ 30
minutes qui me prit pas mal d’énergie, sa réussite dépendait beaucoup de la rapidité du
changement de costumes et de maquillage.
Du haut de la scène, je regardai ma mère ; admirative et émue, elle essaya de ne
pas pleurer pour ne pas me déstabiliser, peine perdue ! Il lui fut impossible de contenir
son émotion.
J’eus du mal à me concentrer, toutes mes pensées allèrent vers celle qui avait
tellement versé de larmes dans sa vie, mais ce soir-là ce furent des larmes de bonheur.
Pour la partie « mime », je me transformai en 5 personnages différents. Je
démarrais vêtu d’un costume de Pierrot, orné de paillettes, pour finir sur une chanson
de Léo Ferré, déguisé en vieillard, courbé et tremblant ; on avait beaucoup de mal à me
reconnaître sous mon maquillage.
Mais le moment le plus fort de la soirée, ce fut incontestablement, le mime sur
la chanson de Charles Aznavour intitulée : « Comme ils disent ». Je me démaquillais
en chantant sur la scène :
« J’habite, seul, avec maman, dans un très vieil appartement… »
Le texte représentait tellement pour moi que j’éclatai en sanglots en jetant un
regard vers ma mère qui pleura de plus belle.
Un tonnerre d’applaudissements couronna mon succès, les gens me félicitèrent
de pouvoir faire passer autant d’émotions.
« Excellent comédien », dirent-ils, c’était tout sauf de la comédie, cette chanson
était une des plus belles du répertoire de Charles, vous êtes formidable ! Quel bonheur
d’écouter tes chansons ; à vrai dire je les aime toutes. Quel grand artiste que tu es !
Malheureusement, je ne jouais pas la comédie, c’était de ma vie qu’il s’agissait,
peu importe, leurs éloges me réchauffèrent le cœur.
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Je pris la liberté de m’attabler avec ma famille pendant une bonne demi-heure
pensant que, pour une fois que ma mère venait me voir, je pouvais bien lui accorder un
peu de temps et naturellement, en fin de soirée, les critiques habituelles fusèrent :
« Gros fainéant, tu te la coulais douce, ce soir, tu en as profité ! »
J’eus envie de lui arracher les yeux, dire que lorsque sa famille ou des amis
venaient dîner, il buvait et riait, à gorge déployée, toute la soirée ! ça ne le dérangeait
pas, à ce moment-là de me laisser tout le travail, de toute façon quoi que je fasse, je ne
pouvais jamais le contenter.
Était-il jaloux de mes talents de magicien ? ou peut-être parce que j’avais
meilleure allure que lui ? je n’ai jamais réussi à savoir ce qui se passait dans sa tête, il
était tellement dur, aigri, négatif, irrationnel dans ses jugements. Il ne fallait surtout
pas critiquer ses idées ; ceux qui n’étaient pas du même avis ne cherchaient plus à
discuter, ils savaient que le contredire ne servirait à rien.
Cet individu machiavélique a pourri ma vie, pendant près de 3 ans, je l’ai haï de
tout mon être.
Un soir, il décida de m’emmener en ville pour fuir ce village mortel. Après une
soirée bien arrosée, plus borné encore que lorsqu’il était sobre, il se mit au volant.
Quelle angoisse ! il zigzagua, à vive allure, sur la petite route traversant la forêt,
prenant les virages sur deux roues. Je le surveillai du coin de l’œil, les cheveux en
épis, les lèvres serrées, puant l’alcool à des kilomètres, il eut du mal à garder les yeux
ouverts et pesta, sans arrêt, contre les autres conducteurs. À tout moment, je pensais
qu’on allait atterrir dans un fossé ou foncer dans un arbre. Mort de peur, je lui
demandai de stopper la voiture, lui proposant de prendre le volant. Ne voulant rien
entendre, il appuya, fou de rage, à fond sur l’accélérateur. J’eus envie de vomir toutes
mes tripes en pensant qu’à cette vitesse, en cas d’accident, nous n’aurions aucune
chance d’en réchapper. Mourir dans de telles circonstances, alors que je m’étais
tellement battu à survivre avec mes maladies, c’était vraiment trop idiot !
Une fois encore, cet égoïste personnage n’eut aucune compassion pour son
prochain. Il n’en fit qu’à sa tête. Je n’arrêtais pas de me lamenter pour essayer de le
sensibiliser quand, soudain, il donna un coup de frein violent qui m’aurait
certainement fait valser à travers le pare-brise, si je n’avais pas été attaché et oh !
miracle, il s’arrêta net. Enfin, il devenait raisonnable ! dans un moment de lucidité, il
avait certainement pensé qu’il valait mieux me laisser conduire.
Je repris mon souffle, détachant rapidement ma ceinture et poussant la porte de
peur qu’il redémarre, je n’avais pas encore fait le tour de la voiture, qu’il partit en
trombe, me laissant sur le carreau.
J’étais sous une pluie battante, en pleine forêt, à deux heures du matin, à 5
kilomètres de l’appartement, sur une route où je n’avais pratiquement pas de chance de
trouver d’autres automobilistes. D’ailleurs, je n’ai pas vu une seule voiture durant ma
promenade forcée. J’espérai que, rongé par les remords, il rebrousserait chemin pour
me récupérer ; peine perdue ! je l’entendis ronfler, à faire trembler les murs, en
poussant la porte du restaurant. Je voulus, tout d’abord, le tirer de son lit mais,
finalement, il valait mieux le laisser cuver son vin ; avec toute la colère accumulée ces
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derniers mois, j’aurais, certainement, été incapable de contrôler mes actes en voyant
son sourire sarcastique.
Je vais vous raconter une autre anecdote pour vraiment vous dépeindre ce
répugnant bonhomme !
Un jour en faisant la plonge, j’avais éclaboussé le sol. Sans mot dire, il quitta la
cuisine et réapparut, peu de temps après, son fusil de chasse à la main.
Son regard, chargé de haine, il menaça de me tuer en pointant sa carabine vers
moi, vociférant :
« Tu fais encore tomber une seule goutte sur le carrelage et tu es un homme
mort ! »
Je n’en crus pas mes oreilles, celui qui prétendait être mon ami et que j’avais
estimé dans le passé se tenait devant moi avec la ferme intention de me tuer. De toute
évidence, j’avais affaire à un déséquilibré ; je repensai à maman, il était grand temps
de quitter ce fou avant que l’irrémédiable ne se produise.
Pour les fêtes de Noël et pour le Nouvel an, qui se célèbrent généralement en
famille, nous avions fermé le restaurant. J’étais content, je pouvais mieux me faire
câliner par ma mère.
Étant à bout de forces moralement et physiquement, j’en avais grand besoin.
Je sentis que mon énergie était en train de me lâcher comme si je couvais une
autre maladie. Je crois que lorsqu’on est malade, on sent les choses venir. Je dus faire
des efforts considérables pour me lever le matin, j’avais juste envie de rester au fond
de mon lit pour ne plus penser à rien.
Je ressassais, sans arrêt, les idées noires qui trottaient dans ma tête. Je me
demandais quelle serait ma nouvelle épreuve, si j’étais capable de l’affronter. C’est
vraiment terrible de se dire que votre vie est suspendue à un petit fil qui risque de se
rompre à tout moment.
Alors, je me stimulais pour ne pas sombrer davantage dans ma dépression.
Ma mère retourna au Portugal au mois de février, une séparation de plus !
Le restaurant ne tournant pratiquement plus, l’humeur du patron devint de plus
en plus maussade ; étant son souffre-douleur, j’en pris plein la gueule.
Nous commencions à organiser des dîners dansants… sans succès, les gens ne
se déplacèrent pas. Puis suivit une salle de jeu où, malheureusement, je fus le seul à
jouer des heures entières, question de faire un peu de bruit, pour faire croire que le
restaurant avait du monde, cela me plaisait, parfois dans mes sombres nuits. Alcoolisé,
je jouais au flipper jusqu’au petit matin, ça dérangeait juste la propriétaire qui dormait
juste de l’autre côté du mur, qui criait sans cesse : C’EST PAS FINI CE BRUIT, je
faisais semblant de ne pas l’écouter, je voulais absolument battre le record que j’avais
fait la veille au soir. Et pour terminer, nous proposâmes de livrer nos tartes flambées
dans un rayon de 10 km, également un mauvais plan ! les 4 ou 5 commandes à livrer,
dans des directions opposées, ne nous rendirent pas plus riches surtout après déduction
de l’essence.
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Ayant épuisé toutes les possibilités capables de redresser la situation, nous
dûmes admettre que nous avions lamentablement échoué. Apparemment les clients,
principalement les habitants du village, ne se sentaient pas à l’aise car je ne
comprenais pas l’alsacien, et voilà, « en plein dans le mille » c’était l’unique raison ! il
ne fallait pas chercher ailleurs, nous n’étions pas Alsaciens. Les gueules du Portugais
et de son patron, ne leur revenaient pas. Dans ce patelin arriéré et raciste, ils ne
voulaient nous laisser aucune chance ; ils n’avaient qu’une seule envie, nous voir
dégager le plus rapidement possible. Je pense que si nous avions ouvert une boîte à
putes, avec un pipe show, tous les vieux du village auraient accouru, en chaise roulante
ou avec leurs béquilles pour se faire faire des petites gâteries ; et si on avait fait un peu
plus de publicité, deux pipes pour le prix d’une alors là même, les gens de la ville
seraient venus, quand il y a du cul, ça marche toujours. Me représentant la scène, je ris
de bon cœur malgré mon grand désespoir.
Au mois de juillet, je décidai de repartir au Portugal avec des amis qui avaient
loué un camping-car. Je pris la route avec ma voiture, une Ford offerte par des gens de
cœur qui, malheureusement, et je le regrette sincèrement, ne font plus partie,
aujourd’hui, de mon cercle d’amis pour des circonstances que je ne dévoilerai pas.
Toutefois, je tiens à le redire, ce sont des personnes qui ont compté, énormément, pour
moi et si j’ai dû rompre notre amitié, c’est que la survie d’un couple en dépendait.
Des sentiments de doute ou d’incompréhension, des soupçons peuvent souvent
changer le cours de notre existence, pourtant des analyses pertinentes et des dialogues
sensés pourraient sauvegarder les bonnes relations avec la famille et les amis.
Pourquoi ne pas travailler dans ce sens pour conserver ce qu’il y a de plus beau,
l’amour et l’amitié ?
Au Portugal, nous profitions de toutes les bonnes choses que ce beau pays
pouvait nous offrir : bon air, baignades, nourriture saine avec produits de la terre et de
la mer. Le soir, ce n’était pas triste, non plus, on se prenait de sacrées cuites avec des
rasades de porto ou autres, comme d’habitude, quand je retournais chez moi. Peu
raisonnable dans mon état, me direz-vous, mais si je ne me relâchais pas, de temps en
temps, que me resterait-il sur terre ? Bien souvent, mes imprudences ont eu de graves
répercussions sur ma santé, comme ces diarrhées (tiens, ça fait bien longtemps que je
n’en ai pas parlé) qui affectaient toujours autant ma vie. J’y reviens encore ! chaque
fois, que je me torchais les fesses, c’était une réelle souffrance. Si je vous serine avec
ce problème, c’est pour vous expliquer à quel point il pourrissait mon quotidien.
Donc, je disais, nous faisions la fête avec la famille et les amis à Gafanha, le
petit village où mes sœurs étaient domiciliées. Les jeunes, sympathiques et très
ouverts, me réservaient toujours un accueil chaleureux contrairement à Guimaraes,
mon village d’origine, où à part quelques membres de ma famille, je ne connaissais
plus grand monde. Tous mes anciens copains étaient mariés et ne fréquentaient plus les
bistros.
À Gafanha d’Encarnaçao, le village était pris d’assaut en été par les touristes,
principalement des Américains qui s’esclaffaient sur les plages, à croire que nous
étions aux USA.
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Cet endroit a beaucoup évolué dans les années 90, des bars et des restaurants
typiques se sont implantés, beaucoup de discothèques, aussi, réputées pour leur
originalité : ouverture à 1 h 30 – fermeture à 8 heures Après avoir dansé toute la nuit,
on pouvait prendre le petit-déjeuner au salon de thé, reprendre l’apéritif dans un bistrot
et recommencer jusqu’à ce que la boucle soit bouclée mais pour une personne malade,
ce n’était pas très évident de suivre le rythme, je récupérais moins vite que les autres.
Maman voyait d’un mauvais œil ces escapades nocturnes, je savais qu’elle avait
raison pourtant je ne pouvais pas m’empêcher de rejoindre mes copains.
Pendant mon séjour au Portugal, je perdis à nouveau du poids, non pas parce
que de nouveaux problèmes de santé se greffèrent sur les anciens, mais le manque
d’appétit, suite à la fatigue accumulée par les nombreuses sorties, fit fondre
rapidement les quelques kilos, laborieusement, récupérés pendant l’année.
D’ailleurs, arrivé à Gafanha, mes angoisses disparurent, comme par
enchantement ; auprès de ma mère, je me sentis protégé. Je veillais, quand même, à ne
pas trop tirer sur la corde. Les soins prodigués dans mon pays n’étaient pas très
appropriés à ma maladie et pour me faire rapatrier en France, en cas d’urgence, il
aurait fallu avoir une bonne assurance que je n’avais pas les moyens de payer.
Enfin cette année-là en 1997, les vacances furent plutôt calmes. Me levant tôt
pour jouer au guide et faire l’interprète pour mes amis, qui ne comprenaient pas un
mot de portugais, il ne me restait pas beaucoup de vitalité pour passer des nuits
blanches.
De retour en France, mauvaise surprise ! Pendant mon absence, Jean-Paul et
mon employeur avaient fermé l’établissement. Je me retrouvais sur le carreau, sans
appartement, ni emploi.
Mes affaires personnelles, les costumes et le matériel de magie avaient été
entassés dans le garage de Jean-Paul. J’étais partagé entre un sentiment de joie et de
peur, bien content que cette aventure se termine et de ne plus avoir à côtoyer mon
tortionnaire, mais également angoissé parce que je n’avais plus de toit. Mais je te
pardonnais mon ami, je t’en veux plus, je te souhaite quand même de trouver la paix
en toi, que le restant de ta vie t’apporte du bonheur ; car malgré ce que tu m’as fait
subir, je sais qu’il y a une part en toi qui est bonne, dommage que je n’ai pas trop eu la
chance de la voir, je suis sûr que tu avais aussi tes problèmes, allez mon ami, c’est
oublié, n’en parlons plus, prends soin de toi !
Le couple d’amis qui m’avaient accompagné au Portugal me proposa,
gentiment, de m’héberger le temps de me retourner. Après avoir mûrement réfléchi, je
me dis que l’idée n’était pas si mauvaise, de toute façon, ce n’était qu’une situation
passagère, je comptais retrouver très vite un emploi.
En effet, mon inactivité fut de courte durée. Peu de temps après, Jean-Paul me
proposa une place de barman dans sa brasserie. Je fus content, j’avais toujours trouvé
l’endroit sympathique ; le courant entre le patron et les employés passait bien, à
condition d’être performant ; rappelez-vous, Jean-Paul supervisait tout, avec l’âge, il
devenait de plus en plus exigeant.
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Ce n’est pas une critique, son caractère intransigeant lui permettait de bien
mener la barque, son affaire tournait plutôt bien.
Tout était rentré dans l’ordre, mon moral grimpait à nouveau, j’avais enfin
retrouvé une vie normale. Malheureusement, de nouvelles épreuves m’attendaient ; les
3 mois suivant mon embauche, une phlébite se déclara suivie de 2 autres. Je perdis
encore une dent, signe que mon corps s’affaiblissait. Alors que j’essayais de me sortir
de mes soucis de santé, un coup de fil m’annonça la mort d’un autre ami atteint du
sida. Fred mon ami avec qui je travaillais au bar des Aviateurs, avec qui je sortais
souvent, Monique l’aimait bien, ils se connaissaient, c’était un gentil gars, il était mort
3 mois après la découverte de sa maladie. Pourquoi tellement si vite ? Sacrée claque !
Je me demandais à nouveau quand ce serait mon tour ?
Mes gencives se déchaussèrent et les dents tombèrent les unes après les autres,
je fus atterré. À chaque dent tombée c’était le désespoir, je perdais une partie de moimême, je me mettais à pleurer en criant : « Mon Dieu comment je vais devenir,
sourire, manger, comment j’allais remonter sur scène sans mes dents, un magicien sans
dents, je ne pourrai jamais trouver des acheteurs pour mon spectacle, et mon mime, un
pierrot sans ses dents ». Je m’imaginais sur scène, au grand désespoir des gens qui
partaient, en criant : « Mon Dieu quelle horreur ! » Psychologiquement, la morale
prend un coup, un sacré coup. Le physique aussi prend un coup : même si vous êtes
jeune, sans vos dents, vous faites tout de suite 10 ans de plus, moi qui étais un
maniaque, je me brossais 4 à 5 fois par jour, j’avais toujours un joli sourire. La
polyclinique dentaire de Strasbourg m’avait déjà mis en place une plaque dentaire pour
greffer de fausses dents, ce n’était pas très esthétique. Pourrai-je supporter cette
prothèse, moi qui vomissait même avec un cheveu dans la bouche ? Je n’avais pas les
moyens de me payer des implants qui m’auraient valorisé davantage et seraient
pratiquement passés inaperçus. Derrière mon bar, je m’efforçais de ne pas trop sourire,
j’avais peur de faire fuir les clients.
Liliane, la patronne, me conseilla d’aller chez son médecin traitant, également
un ami de la famille. Ce dernier me demanda de faire un bilan sanguin à l’hôpital civil
de Strasbourg, en particulier analyser mes T4.
Ce terme médical ne vous dira peut-être, pas grand-chose : les T4 sont les
leucocytes que le virus du sida attaque en premier en affaiblissant progressivement les
défenses immunitaires.
15 jours après la prise de sang, le médecin déclara qu’il ne me restait que « 10 »
T4 alors qu’une personne de bonne constitution en possède entre 500 et 1 000.
Je me demandais comment j’avais réussi à échapper à d’autres maladies telles
que le cancer de la peau ou des poumons. Avec si peu de réserve, une simple grippe
aurait pu m’emporter.
J’avais vraiment un ange gardien qui veillait sur moi. Même les médecins n’en
revenaient pas, ils avaient vu partir des gens qui avaient beaucoup plus de T4 que moi,
j’étais, comme on dirait, un miraculé.
Un traitement de trithérapie fut mis en place, de toute urgence. Dire que toute
ma vie dépendait de ces médicaments n’était pas pour me rassurer. 26 pilules à
ingurgiter, en deux prises seulement, pendant le restant de mes jours pour me
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permettre de continuer ce parcours de combattant, quel calvaire ! Je pouvais déjà
m’imaginer les effets secondaires : maux d’estomac, problèmes de reins, maux de tête
et… diarrhées. Est-ce que j’aurais encore la force de surmonter tout cela ?
Je regardais souvent mes flacons, me demandant si ça valait la peine de
m’empoisonner encore davantage. Ce serait tellement plus simple de tout stopper ainsi
je ne serais plus à la charge de la société. Je me disais :
« Manu, N’en as-tu pas marre de toutes ces souffrances ? Veux-tu jouer encore
longtemps au cobaye ? N’as-tu pas encore compris qu’ils t’utilisent pour leurs
expériences ? que ces types n’en ont rien à foutre de tes sentiments, des douleurs que
tu endures. Ne veux-tu pas leur demander de trouver une autre victime pour servir
leur noble cause ? »
Mais fallait-il se résigner ? Je n’avais que 33 ans, deux petites années de plus
que mon père quand il nous a quittés. Pourtant, avec les antibiotiques, la tuberculose se
soigne très bien. Pourquoi n’avait-il pas suivi les recommandations de son docteur ?
Nous aurions pu apprendre à nous connaître, j’aurais eu la chance de le voir vieillir.
Je sombrai, à nouveau, dans mes idées noires :
« C’est mieux ainsi, Manu, toutes tes histoires l’auraient certainement
beaucoup affecté, cet homme si fier de sa progéniture, aurait-il pu affronter toutes ces
vérités ? »
J’étais en train de revivre ce que mon père avait vécu mais mon choix était
différent. Il fallait combattre, j’avais encore des choses à vivre. Je n’avais pas le droit
d’abandonner ma famille, ma mère ne pourrait survivre en apprenant ma mort. Je me
tournai vers Dieu espérant qu’Il consentirait à m’envoyer la même énergie que celle
que j’avais reçue lorsque je priais la Sainte Vierge à Fatima :
« Sainte Marie, je vous en conjure, ne m’abandonnez pas, donnez-moi la force
nécessaire pour continuer ma route, laissez-moi être pour les autres malades un
modèle de courage, permettez-moi de leur montrer, qu’avec un peu de volonté et
accompagné de votre bienveillance, ils arriveront à affronter tous leurs problèmes.
Mon Dieu, je vous supplie de toute mon âme, aidez-moi ! »
Mes craintes furent fondées, les effets secondaires de la trithérapie ne se firent
pas attendre, je fus malade à en crever. Pendant les premiers jours du traitement, je
planais littéralement, pertes de mémoire, nausées, maux de tête, sueurs froides firent
partie de mon quotidien.
Je n’arrivais plus à dormir, passant la moitié de la nuit aux toilettes, je
vomissais mes tripes, je crachais du sang et encore et toujours ces diarrhées qui ne me
laissaient aucun répit.
Je ne voulus pas partager mes angoisses avec mes amis, ils m’avaient déjà
hébergé alors pourquoi leur imposer, en plus mes jérémiades. J’étais seul, si seul,
personne ne pouvait m’aider !
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Je ne vis qu’une issue à tous mes problèmes, il fallait que je retourne à
Strasbourg chez ma sœur Céleste. Nous avions déjà discuté, auparavant, de cette
éventualité, elle me disait que dans les moments cruciaux, il n’y a que la famille qui
puisse vous aider. Les Portugais sont très soudés, ils s’entraident et ne laissent jamais
tomber l’un des leurs.
C’était la meilleure solution, au moins chez elle, je serais entouré, elle prendrait
soin de moi et avoir la compagnie de mes neveux ne me déplaisait pas.
Installé chez ma sœur, je me sentis beaucoup plus serein ; je partageais la
chambre de Filipe qui, à 20 ans, était un garçon intéressant. Nous passions nos soirées
à regarder la télé, à commenter des actualités, c’était très enrichissant !
Il avait une totale confiance en moi, me demandant des conseils sur des sujets
qu’il ne voulait pas aborder avec ses parents. Mon neveu me fut d’un soutien
inestimable !
Mon autre neveu, José, venait me voir régulièrement, lui et Filippe firent tout
leur possible pour me faire oublier ma maladie. À chaque fois que je prenais les
médicaments, ils m’encourageaient, allez tonton Manu, c’est pour ton bien, on sait que
c’est dur, mais on veut te garder encore longtemps parmi nous, tu es notre oncle
préféré, on ne veut pas te perdre tonton.
« Merci, mes chers neveux pour votre gentillesse, votre compréhension, vous
avez réussi à me faire oublier parfois cette trithérapie difficile à avaler, je suis si fier
de vous, vous ensoleillez mes tristes journées ! »
Je crois que sans ma famille, je ne serais plus de ce monde, ils m’ont donné la
force de continuer mon combat. Je suis persuadé que les personnes seules et
abandonnées se laissent dépérir en se disant, à quoi bon continuer de vivre, personne
ne me regrettera.
Suivez mon conseil, si un jour vous êtes atteint d’une maladie grave, ne restez
pas seul à vous morfondre, allez vers votre famille, ne refusez pas leur aide, la solitude
est vraiment la pire des choses dans ses moments douloureux.
Deux mois plus tard je fis refaire un bilan, mes T4 étaient remontés à 250, de ce
fait le virus fut « indétectable » (endormi) Je repris goût à la vie. Je pensais reprendre
mes spectacles de magie quand mon médecin me conseilla de me mettre en invalidité.
Je paniquai en entendant ce terme, pour moi invalidité était synonyme d’infirmité donc
incapacité de m’assumer complètement.
J’entamais les pénibles et interminables démarches administratives.
J’essayais de mener une vie saine, plus d’alcool à outrance, repas et sommeil
bien réglés et malgré tous mes efforts, un abcès anal me renvoya à l’hôpital pour 5
jours. Le problème résolu, 2 mois plus tard, récidive et nouvelle intervention sous
anesthésie générale.
Cette année-là, je repartis au Portugal. Yves, un ami de longue date, résidant
également à Strasbourg, devait m’y rejoindre avec Thierry, un de mes anciens élèves.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Je ne pus jouer au guide comme je le faisais habituellement. Thierry dormit à la
maison, mais, par manque de place, Yves descendit à l’hôtel.
Le seul fait de le récupérer le matin et le ramener le soir me fatiguait déjà. Sortir
en boîte, n’en parlons pas ! Je sais qu’ils auraient aimé que je m’investisse davantage
mais, malheureusement, mon état ne me le permettait pas. Alors excusez-moi, les
amis, si j’ai manqué à tous mes devoirs !
J’appréhendais les 2 200 km à parcourir pour le retour, j’avais à peine récupéré
de l’aller.
Dans une position inconfortable, je repris le volant, je dus passer outre ces
terribles douleurs pour me concentrer uniquement sur la route surtout que je n’étais
pas seul à bord, mon neveu Filipe et Thierry voulaient revenir à Strasbourg.
La souffrance m’incita à interrompre le trajet. Je décidais de visiter des amis à
La Rochelle et j’en profitais pour passer quelques jours avec eux. Les batteries
rechargées, le reste du voyage fut moins pénible.
Le lendemain de mon arrivée, je fus hospitalisé, à nouveau, pour un autre abcès
anal ; nouvelle anesthésie et pose d’un drain. En faisant le calcul, j’ai subi une dizaine
d’interventions liées au même problème.
À ma sortie, je consultai un angiologue qui, en m’auscultant, se demanda
comment je pouvais vivre dans de telles conditions. Mon anus était infecté au plus
haut point, avec ces diarrhées répétées, aucune guérison n’était envisageable. Il fallait
dévier la trajectoire des selles pour permettre à l’anus de cicatriser correctement. Je
suivis, attentivement, ce que le docteur cherchait à me faire comprendre. Quand il
m’expliqua qu’il fallait me placer une stomie (anus artificiel) pendant un an, je faillis
m’évanouir ; en plus, étant affaibli, l’opération n’était pas sans risques.
Je me représentais déjà me promenant avec un sac à m… sur mon ventre. Les
questions affluèrent : risquerait-il de se décrocher en dormant ? pourrait-il exploser ?
comment faire pour le vider ? passerait-il inaperçu sous les vêtements ?
Un fort pressentiment me dit que je n’étais pas au bout de mes peines ;
j’anticipai, au cas où mon opération tournerait mal, en rédigeant un courrier à ma
famille. Je voulus leur faire part de tout mon amour et de ma gratitude pour tout ce
qu’ils m’avaient donné durant ces dernières années.
J’encourageai mes frères et sœurs de prendre bien soin de notre mère.
Je dis à maman, que de l’au-delà, je veillerai sur elle.
« O meus deus, que é tao triste de sofrer ! »
« Oh ! mon Dieu que c’est dur de souffrir ! »
Toute la famille était réunie autour de moi pour me rassurer. À la lecture de ma
lettre, je pus voir sur leurs visages une grande émotion, même mon beau-frère qui ne
pleurait jamais avait du mal à retenir ses larmes.
Pas moyen de m’endormir ce soir-là, comme si je vivais mes derniers moments.
Je quittai la maison, la peur au ventre en me demandant si j’aurais la chance de
revenir.
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À la clinique, on me prit rapidement en charge, entre les prises de sang et les
électrocardiogrammes, je n’eus pas trop le temps de m’apitoyer sur mon sort.
Le chirurgien m’annonça que l’opération se ferait entre 9 heures et 10 heures, le
lendemain matin. Dans la chambre, je me sentis si seul. Je voyais défiler ma vie, je me
remémorais toutes les erreurs commises. Je savais que j’avais fait également des
bonnes actions et qu’elles m’aideraient peut-être à gagner le ciel. Je priai Dieu de
toutes mes forces :
« Seigneur, que ta volonté soit faite, ma vie désormais repose entre tes mains.
Pourrais-Tu, dans ton immense bonté, assister le chirurgien durant l’opération
et me permettre de passer encore un peu de temps avec les miens ? Mon Dieu, je T’en
serais éternellement reconnaissant. »
À 9 heures 30, comme prévu, je me retrouvai couché sur la table d’opération.
Le produit que l’anesthésiste m’avait injecté fit rapidement son effet.
Dans mon inconscience, le fameux tunnel blanc apparut, une sorte de pulsion
m’incita à avancer jusqu’à atteindre la lumière aveuglante.
Je me sentis si bien, pourtant, je réalisai qu’en arrivant au bout de ce long
couloir, impossible de rebrousser chemin. Je me débattis, convaincu que ce n’était pas
encore mon heure.
Je me réveillai, le corps raidi, en claquant des dents. Une infirmière me souriait
m’affirmant que tout s’était bien passé. Intubé, entouré de tuyaux et d’appareils, je
sortis tout doucement du néant, même la morphine qu’ils m’avaient administrée, ne me
soulagea pas, les douleurs furent atroces. Quand je repris mes esprits, ma première
préoccupation fut de me tâter pour voir s’ils m’avaient fixé la poche. En effet, elle était
bien là, il y avait aussi une sonde à mon pénis, une autre dans la bouche. Je ne compris
pas à quoi pouvait servir tout cet attirail.
Ma famille s’empressa de venir pour prendre de mes nouvelles, ils furent
soulagés que l’intervention ait réussi.
L’infirmière ne fit rentrer que deux personnes à la fois pour ne pas trop me
fatiguer.
Elle leur demanda de mettre des gants, un masque et une blouse pour éviter de
me transmettre des microbes.
Je les regardai et je pleurai, incapable de leur parler, j’essayai de me faire
comprendre par gestes.
Mes sœurs me tinrent la main en me disant :
« Ça va aller Manu, nous t’aimons ! »
Et ces paroles m’allèrent droit au cœur.
Merci mes sœurs adorées pour votre présence, pour votre soutien dans ces
moments pénibles !
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Quel réconfort de se sentir entouré, mais maman me manquait terriblement. Il
n’y avait qu’elle pour me rassurer. J’aurais tellement aimé qu’elle soit là.
Après 5 jours passés en réanimation, je retrouvai ma chambre ; j’étais toujours
sous morphine. Un kiné passait me voir tous les jours. Il avait la charge de me
remuscler car j’avais fondu à vue d’œil.
Lorsque l’infirmière décolla le pansement sur la stomie, je n’arrivai plus à
détacher mon regard de ce trou au milieu de mon abdomen. Quelle horreur ! C’était
répugnant ! Un sentiment de dégoût m’envahit, je n’avais jamais vu une chose aussi
abjecte et dire qu’elle ferait partie de moi dorénavant.
Devinant ce qui se passait dans ma tête, elle me rassura :
« Allons, calmez-vous ! ce n’est pas catastrophique ! tellement de personnes ont
eu la même intervention que vous et ils se portent très bien. »
« Mais n’oubliez pas, rajouta-t-elle, il y a des règles d’hygiène particulières à
respecter ».
Je me sentis démuni, comme un gamin à qui on apprenait à se torcher pour la
première fois. Ce ne fut pas facile d’admettre que des excréments sortiraient par un
trou de votre ventre alors que pendant 34 ans cela se faisait naturellement. Maintenant
les selles sortaient de mon ventre, que c’est dur à accepter, il fallait se rendre à
l’évidence, ma vie allait changer.
Avec toute la volonté du monde, je n’arrivais pas à gérer tout cela. Je fermais
les yeux quand l’infirmière me prodiguait les soins, refusant d’apprendre les gestes
élémentaires : détacher et vider mon sac, nettoyer l’orifice souillé, remettre le sac.
Souvent, je pensais à ces hommes mariés stomisés qui devaient partager la
couche de leurs épouses. Plus d’un devait perdre ses moyens en cherchant à honorer sa
compagne de peur d’affronter son regard.
J’avais aussi une pensée pour ces pauvres femmes. Elles, aussi, devaient avoir
le courage de passer le restant de leurs jours avec un homme atteint de ce genre de
handicap.
Je les imaginais dans leurs ébats sexuels me félicitant que Monique ait eu l’idée
de mettre un terme à notre relation avant cette intervention.
Je n’aurais pas aimé qu’elle me voie dans cet état de délabrement physique.
Après une vingtaine de jours passés à l’hôpital, la balance afficha 10 kg en
moins. J’étais un squelette ambulant ! mes os me faisaient mal, mes jambes me
soutenaient à peine.
Ma sœur me chercha pour me ramener à la maison où une énorme surprise
m’attendait.
Maman était là ! Elle est arrivée le 18 octobre, le jour de mes 34 ans.
Je ne peux vous décrire mon bonheur en l’apercevant. Avec des rires
entrecoupés de pleurs, elle dit :
© copyright Emanuel de Castro 2010
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« Je suis là, mon fils, arrête de pleurer, ne t’en fais pas, tu seras bientôt sur
pied. »
Je répondis, tristement :
« Mais regarde-moi bien, maman, as-tu vu ce que je suis devenu ? reconnais-tu
encore ton fils ? »
« Bien sûr, ajouta-t-elle, à mes yeux tu resteras toujours le même : mon petit
Nelinho, je t’aime mon fils ! »
Nelinho ! qu’il était doux d’entendre, à nouveau, ce prénom dans sa bouche.
J’étais redevenu le bambin qu’elle chérissait. Avoir ma mère près de moi, c’était le
plus beau cadeau que mes sœurs avaient pu m’offrir pour mon anniversaire.
J’étais ravi qu’elle prenne soin de moi pendant ma convalescence, j’étais
persuadé qu’avec elle, je récupérerais beaucoup mieux. Rien n’est plus fort que
l’amour d’une mère !
Ma maman est tout pour moi, c’est la personne que j’aime le plus au monde,
pourtant, je vous assure, j’ai coupé le cordon depuis longtemps, peut-être pas
complètement, car l’amour que je ressens pour elle est tellement immense. Peut-être
est-ce normal ! c’est « ma maman »
Elle fut aux petits soins pour moi, du matin au soir, elle s’occupa de tout, des
repas, de ma toilette, elle vida même ma poche quand l’infirmière ne venait pas. J’étais
très gêné qu’elle ait à s’occuper de cette besogne.
Ça ne la dérangeait pas, mon orifice dans l’abdomen ne l’impressionnait pas,
décidément une mère est capable de tout par amour pour son enfant.
Je commençai, tout doucement, à m’habituer à mon anus artificiel, pourtant je
me posais mille questions : comment pourrais-je draguer avec cette poche fixée à mon
ventre ? comment faire du sport ? comment faire de la natation ?
Maman, après 3 mois passés en France, retourna au Portugal. Je pratiquai mes
soins tout seul, vidange, toilette, mise en place du sac. Une seule chose m’incommoda
encore, la puanteur qui s’en dégageait.
Bien sûr que ma poche pourrit ma vie même si parfois cela ne se passe pas
comme prévu. Combien de fois je me suis réveillé dans une mare à merde car la poche
s’était décollée. Combien de fois j’ai dû rentrer plus tôt que prévu des soirées car
encore une fois la poche se détachait, et des fuites par centaines : dans le train, le bus,
le métro, en voiture… À ces moments-là, il vaut mieux en avoir une rechange sur soi,
mais malheureusement ce n’était pas toujours le cas, car tout peut vous arriver et
quand cela vous arrive, je vous assure que vous êtes mal ; il n’y a qu’une seule chose à
faire, la changer. Je l’ai déjà changé dans toutes les positions tel un contorsionniste :
en voiture, dans les toilettes du train – pas évident –, surtout en mouvement, dans la
nature. Bien sûr, il ne faut pas passer juste après moi, vous ne vous en remettrez jamais
de l’odeur que cela dégage. Imaginez-vous faire un pet, c’est déjà répugnant, alors
1 000 pets relâchés d’un coup. Comparé à cela, Hiroshima, ce n’est rien !
© copyright Emanuel de Castro 2010
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10 ans après ma stomie, ma famille, mes proches, on a encore beaucoup de mal
à supporter cette odeur infecte ; elle est si persistante que vous avez l’impression de
vous trouver devant une fosse à purin. Je n’ai trouvé, jusqu’à présent, aucun produit
pour la masquer et pourtant j’ai essayé toutes les marques de sprays désodorisants
existant dans le commerce, même si, souvent j’ai droit à leurs réflexions :
« Mon Dieu, Manu, comme ça pue ! »
Je suis désolé de leur imposer ces odeurs. Parfois, je me demande comment ils
ont le courage de vivre avec moi ; ils sont obligés de me supporter avec mes maladies
et en prime je les empeste.
Je dois vous dire, j’ai un beau-frère exceptionnel, jamais en 8 ans, il ne m’a fait
un seul reproche. Je trouve, d’ailleurs, que pendant tout ce temps, nous n’avons pas
beaucoup discuté entre hommes. J’aimerais tant avoir une relation différente avec lui,
aller au foot ou au cinéma, boire un verre ou parler tout simplement.
Nos seuls échanges sont « salut » le matin et « salut » le soir ; pourtant je sais
qu’il m’aime bien. On m’a déjà rapporté qu’il vantait mon courage au bistrot et revenu
à la maison, il se renferme, il fait comme si je n’existais pas.
« Comme tu es étrange, Manuel, j’ai beaucoup de mal à te comprendre. J’ai
appris à te connaître, pendant toutes ces années ; en fait, tu n’es qu’un grincheux au
cœur d’or.
Quel dommage que tu ne puisses pas exprimer davantage tes sentiments !
Je me suis immiscé dans votre vie de couple et souvent j’ai l’impression d’être
un parasite.
C’est pour cette raison que je m’isole, le soir, vous laissant en tête-à-tête.
Je préfère prendre mes repas dans ma chambre afin que vous puissiez vous
retrouver, je n’ai pas à partager votre intimité.
Je tiens à te dire, Manuel, je n’aurais pas pu avoir un meilleur beau-frère ; le
restant de ma vie ne suffira pas pour te témoigner toute ma gratitude. »
Voici, également un petit message pour ma sœur Céleste :
« Ma chère sœur, mon cœur déborde d’amour pour toi, si je n’en ai pas parlé,
auparavant, c’est peut-être par pudeur ou juste parce que ces choses-là sont plus
faciles à écrire. Ta gentillesse, ton indulgence et ta bonté me donnent la force de
vivre ! Tu es si dévouée, souvent trop, je suis obligé, de temps en temps, d’être dur
avec toi car je me soucie de ta santé tout aussi précieuse que la mienne, sinon plus.
Je n’aimerais pas qu’il t’arrive malheur, je ne supporterais pas de te perdre, toi
encore moins que mes autres sœurs. Tu es mon équilibre, ma raison de vivre. Tu as le
don de suppléer maman lorsque son absence me pèse.
J’espère que tu n’auras jamais à souffrir, tu ne le mérites pas.
Ma chère Céleste, sans toi je ne suis rien, alors excuse mes coups de gueule et
mes excès de colère, ils ne te sont pas destinés personnellement, c’est ma façon
d’évacuer toute la souffrance accumulée par ma maladie. Personne n’est parfait !
avec tous mes antécédents, moi encore moins que les autres.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Tu aurais déjà eu mille raisons de me mettre à la porte, au contraire, tu as
continué à me soutenir, je ne l’oublierai jamais.
Je ne souhaite qu’une chose, ma sœur adorée, pouvoir cohabiter le plus
longtemps possible avec toi. Je te promets de faire, dorénavant, des efforts pour
contenir ma colère afin que tu ne perdes pas ton délicieux sourire. Ma chère Céleste,
je t’aime tendrement. »
Toi aussi Mina, merci pour tout, tu es toujours là quand je vais mal, tu es la
plus robuste des filles, je ne saurais jamais comment te remercier, pour ton amour que
tu me donnes, je t’aime ma sœur, je voudrais que tu profites de la vie, fais ce que tu as
envie de faire Mimi, pense à toi, OK !
Et toi Émilia, ma petite sœur, tu as deux ans de plus que moi, mais à mes yeux
tu es ma petite sœur, toi aussi tu es là pour tout, même pour plus, tu me gâtes de ton
amour, de ta gentillesse, tu es toujours prête à me faire plaisir avec des cadeaux, tu te
fais du souci pour moi, J’aimerais te voir plus heureuse, plus épanouie.
Je vous aime toutes les trois, je vous aime vraiment.
Antonio, toi mon frère, je regrette juste une chose c’est que tu ne t’intéresses
davantage à moi, tu ne prends jamais de mes nouvelles, tu ne passes jamais. On
n’habite qu’à quelques kilomètres l’un de l’autre et je te vois juste une fois tous les
deux ans au Portugal. Tu n’appelle pas, ni à maman, même pas pour les fêtes, je ne te
comprends pas, on a le même sang qui coule dans nos veines. Pourtant, que s’est-il
passé dans ton cœur ? On se connaît à peine, et pourtant je t’aime. À chaque fois que
je te croise, je suis heureux, je respecte ton choix mon frère, mais n’es-tu pas influencé
par quelqu’un d’autre, ou par ta femme ? Mais l’homme et chef de famille, c’est toi,
aurais-tu peur d’elle ?
Mon histoire pourrait s’arrêter là.
Les diarrhées, les poussées de la maladie de Crohn, les couches-culottes, les
heures passées aux toilettes, tout cela me paraissait tellement loin.
Je croyais qu’avec la pose de la stomie, mes problèmes étaient réglés.
Pensez-vous ! j’étais loin du compte. Un mois plus tard, j’eus la mauvaise
surprise de voir apparaître un autre abcès, au même emplacement.
Le médecin me fit hospitaliser à nouveau. Chaque réveil devint de plus en plus
pénible, l’anesthésiant y était sûrement pour quelque chose.
Pas étonnant, je n’avais pas encore éliminé le produit de l’intervention
précédente, qu’on m’injectait à nouveau ce sale poison.
Cette fois-ci, le chirurgien décida de faire une biopsie de la zone infectée. Il
m’annonça, quelques jours plus tard, qu’il avait détecté un cancer de l’anus.
Je n’en revins pas ! Pourquoi n’avait-il pas fait cette analyse lors des
précédentes interventions ? On aurait pu éviter toutes les récidives !
Oh, mon Dieu ! pas ça, encore un cancer, pourquoi, pourquoi ? J’ai déjà assez
souffert, quelle épreuve voulez-vous me faire subir ?
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Paniqué, j’ai immédiatement téléphoné à mes sœurs pour leur demander de
venir me voir au plus vite. Ayant appris l’horrible nouvelle, elles furent effondrées ; le
médecin nous expliqua le cheminement du traitement qu’il allait me faire suivre en
commençant par l’opération la plus importante : une radiothérapie pour stopper les
métastases. Je fus conscient que ce ne serait pas une partie de plaisir, vu l’endroit où le
cancer s’était déclaré.
Rendez-vous pris chez le radiologue, je commençai ma première séance sur les
30 que j’aurais à subir. Avec une mine peu réjouie, il m’apprit que je risquais de
devenir stérile.
J’eus envie de rire, la nouvelle me sembla tellement absurde, je n’avais plus de
rapports depuis des années. Pour un autre homme, le fait de ne plus pouvoir procréer
aurait été dramatique. Je savais qu’il m’était impossible d’avoir des enfants, donc la
stérilité fut le moindre de mes soucis.
Deux fois par semaine, je me rendis à la clinique de l’Orangerie pour mes
séances de radiothérapie. Et toujours seul, jamais personne pour m’accompagner,
j’aurai eu tellement besoin d’une présence, quelqu’un qui me soutienne, mais je
n’allais pas déranger ma famille, faire perdre leur travail, à cause de moi. Chaque
malade était accompagné par un de leurs proches, moi j’avais juste mon ombre et moimême, personne pour me prendre la main, personne pour me faire un sourire, rien
qu’un petit sourire qui m’aurait donné un peu d’espoir, de la force pour cette nouvelle
épreuve. Comme c’est triste d’être seul.
J’en ai passé des heures à attendre mon tour. Je regardai autour de moi, jamais
je n’aurais imaginé qu’autant de gens puissent être atteints de cette sale maladie.
C’était effrayant, des personnes de toutes tranches d’âge patientaient, sagement,
dans une ambiance funèbre qui me donnait la chair de poule. Tous étaient très calmes,
conversant peu, à quoi bon étaler leurs problèmes alors qu’ils savaient que les autres
patients étaient là pour la même raison.
Quand le médecin m’appela, il me demanda de me déshabiller et me présenter,
nu comme un ver, devant les médecins. C’était la plupart du temps des internes qui,
comme pour le sida, m’inspectèrent comme s’ils avaient à faire à une espèce rare.
Auparavant, je n’aurais pas ressenti de gêne, mais, à présent, avec ma poche, je
me sentis vraiment humilié.
Ils en avaient certainement vu d’autres, mais je ne voulais pas le savoir, il
s’agissait de moi et de ma fierté ; il fallait la laisser dans la cabine de déshabillage, ce
qui n’est pas facile quand on est un être humain.
Les 10 premières séances se passèrent à peu près bien. À partir de la 11e, le
rayon toujours positionné à la même hauteur de mon anus pour bien cibler la zone
infectée, commença à me brûler la peau. On put sentir, fréquemment, une odeur de
chair brûlée. Elle me rappelait celle d’un poulet que vous passez sous la flamme pour
éliminer les restes de plumes.
Je serrai les dents, la douleur fut atroce, j’avais hâte d’en finir, je comptai les
minutes qui passaient et quand le médecin désactiva le laser, je me dis : « Ça y est
Manu, une en moins. »
© copyright Emanuel de Castro 2010
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À la fin de la 30e séance, mon anus fut complètement brûlé. Ce n’était pas
dramatique ! de toute façon je ne voulais pas parader, les fesses en l’air, dans un camp
de nudistes. Je pense qu’avec mon cul brûlé et mon sac à merde suspendu à mon
ventre, je ferais fuir tous ces naturistes ; si vous voulez être seul dans un coin de plage
loin des regards des vacanciers, appelez-moi, vous verrez bien qu’en me voyant nu, il
y aura plus personne 5 minutes après.
Je retournai régulièrement à la clinique pour des contrôles. Toutes les parties
brûlées se cicatrisèrent bien. Ouf ! enfin ! j’étais sorti de la galère. Encore une épreuve
passée, à quand la prochaine ?
Je tiens à remercier le Service de Radiothérapie, j’ai énormément apprécié la
compétence et la gentillesse de son personnel.
Malgré toute la sympathie que j’éprouve pour eux, j’aimerais ne plus jamais les
revoir.
Peu de temps après, je remarquai que la stomie n’avait plus le même aspect que
les premiers jours. Des croûtes s’étaient formées et à certains endroits, il y avait des
plaies qui suintaient. Les poches ne furent plus appropriées au diamètre de l’orifice. À
chaque douche ou au changement de la poche, je ressentis des douleurs insoutenables.
Je me rendis compte qu’il y avait un nouveau problème. Personne ne m’avait dit que
dans les mois qui suivaient l’intervention, la stomie a tendance à évoluer et ceci
souvent en fonction des fluctuations du poids.
Comme j’avais récupéré quelques kilos, ce changement était normal.
J’aurais dû mesurer ma stomie afin d’adapter le diamètre intérieur du protecteur
cutané à sa forme et à sa taille. Mais on ne m’avait pas mis au courant.
Voilà la preuve qu’il y a beaucoup de manque d’informations dans les hôpitaux.
Ce fut le même cas pour la dilatation. Un stomathérapeute m’apprit plus tard
qu’il fallait se faire dilater deux fois dans l’année, étant donné que l’orifice avait
tendance à se boucher.
Les stomisés n’ont pas intérêt à ignorer ces règles sinon, en cas d’obstruction,
ils peuvent y laisser leur peau. C’est ce qui a failli m’arriver à maintes reprises.
Ma dernière dilatation remonte au mois de juin 2005. Elle a été faite sous
anesthésie générale comme toutes les autres d’ailleurs car j’en suis à ma 21e petite ou
grande opération et dire qu’à l’époque, le chirurgien m’avait dit qu’il me fallait cette
poche pour une année.
Que d’angoisse à chaque intervention ! La dernière me marqua spécialement, le
chirurgien fit une biopsie et détecta un cancer au niveau de ma stomie. Encore une, je
dus subir une autre grande opération afin d’enlever les métastases ; et un nouveau
traumatisme en découvrant l’horrible cicatrice sur mon ventre. Je crois qu’un paysan
aurait fait mieux en éventrant son cochon. Mon ventre, si on pouvait encore l’appeler
ainsi, était découpé de bas en haut, d’énormes points de suture retenaient tant bien que
mal mes lambeaux de chair.
J’étais furieux, je m’emportais contre le chirurgien, c’était vraiment un travail
bâclé !
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Puis, je me raisonnais en me disant que si j’étais dans cet état, c’est qu’il avait,
certainement, gratté au maximum pour éliminer les métastases. Tant pis alors pour
l’esthétique, il valait mieux enrayer le cancer, les cicatrices s’estomperaient avec le
temps. Il m’a quand même fallu 5 mois pour retrouver un ventre d’un aspect à peu près
normal.
Pendant tout ce temps, je ruminais : quand est-ce mes problèmes allaient
s’arrêter ?
Pourquoi la vie me réserve-t-elle tant d’épreuves ?
Éreinté, j’aspirais, enfin, à un peu de répit. J’aurais aimé que le bon Dieu
m’accorde la faveur de vivre au moins 3 années, sans aucune intervention, j’aurais été
le plus heureux des hommes.
Malheureusement, il n’écouta pas mes prières, les ennuis continuèrent, je fis
gingivite sur gingivite, puis une occlusion intestinale, trois mois de cortisone, bonjour
ma tête après 3 mois, gonflé à bloc.
J’aurais dû faire le compte des heures passées dans les hôpitaux durant les 8
dernières années et, je présume, ce n’est pas fini, je ne serai en paix que lorsque je
serai mort. Quelle vie de m… ! J’ai tellement chié dans ma vie que j’aurais pu remplir
une piscine olympique.
Non, je refuse cette idée, Manu il faut continuer à te battre, rappelle-toi, tu es le
modèle de courage de milliers de personnes, tu ne peux pas te laisser aller !
Depuis quelque temps, mon état est stationnaire ; mes résultats sanguins sont
corrects. Bien que mes T4 jouent au yo-yo, dans l’ensemble, je me porte bien ; aucun
nouveau virus n’a été détecté.
À chaque bilan, la même hantise ! j’attends, la peur au ventre, les résultats.
Lorsque les nouvelles sont bonnes, un sentiment de soulagement et de bonheur
m’envahissent et me donnent le courage de continuer ma lutte.
Au service médical, à l’hôpital de Strasbourg, le personnel de l’accueil est très
avenant. Je me dis que leur métier n’est pas facile. Confrontés, quotidiennement, à la
misère humaine et à des gens irrespectueux qui les traitent souvent comme des
pestiférés, ils ne perdent pas leur sourire et leur amabilité pour autant et se mettent en
quatre pour aider les patients.
Les infirmières sont également très gentilles, je leur suis très reconnaissant.
Sans elles et mon médecin, je ne serais plus de ce monde.
Je tiens à rappeler à ces ignobles personnes qui les agressent, aussi terrible que
soit leur maladie, elle ne leur donne aucun droit d’offenser autrui.
Je pense avoir choisi le médecin le plus compétent et le plus sympathique du
service. Le Docteur Hess-Kempf, pour ne pas la nommer, une belle femme, qui a
approximativement le même âge que moi et est constamment à mon écoute. Elle est
d’une extrême bonté, toujours d’humeur égale, je me sens vraiment à l’aise avec elle.
Quel bonheur d’avoir une si belle complicité avec son médecin ! Je peux lui confier
mes soucis, elle aussi se confie souvent à moi, après tout elle a aussi ses problèmes. Je
suis très attaché à elle et ne voudrais, en aucun cas, changer de thérapeute.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Je reviens à ces patients qui se plaignent, à vrai dire, je ne les comprends pas.
En France, la médecine est l’une des meilleures au monde, notre couverture
sociale est, sans conteste, supérieure à celle de bien d’autres pays, même aux USA, ils
n’ont pas les mêmes avantages et croyez-moi, je suis bien informé, une partie de ma
famille vit là-bas. Sans argent, pas de soins ; tout se monnaye, si vous payez une
assurance-maladie exorbitante, les hôpitaux vous acceptent sinon vous pouvez crever.
Au Portugal, pas même à deux heures d’avion de la France, la médecine est
encore différente de celle de tous les autres pays d’Europe. C’est un peu comme aux
USA, si vous ne contractez pas une assurance-maladie, on vous soigne, mais dans
quelles conditions !
On vous rajoute sur une liste d’attente et le temps d’être accepté dans un
hôpital, vous pouvez avoir succombé. C’est ignoble ! l’argent dirige le monde, vous en
possédez, vous pouvez avoir votre chambre en 24 heures, vous êtes pauvre, tant pis
pour vous ! vous n’aviez qu’à naître riche pour avoir le droit de vivre.
Ces médecins, quelle bande de ripoux ! Pas étonnant qu’on puisse les voir
circuler en Audi ou Mercedes.
Pour cette raison, je vérifie que tout soit en ordre avant de repartir dans mon
pays, s’il m’arrivait le moindre problème de santé, je retournerais en France car je
n’aimerais pas y être hospitalisé.
J’ai failli abréger mes vacances, plus d’une fois, mais, heureusement, les choses
se sont arrangées par la suite.
Dans mon pays, vous trouvez aisément des partenaires sexuels. Après des nuits
bien arrosées et défoncées par les stupéfiants, certaines personnes perdent
complètement la tête ; vous n’avez que l’embarras du choix. J’ai déjà eu des
propositions mais freiné par la gêne et la peur de la découverte de ma stomie, je refuse,
systématiquement, toutes relations. Je ne suis nullement frustré de vivre ainsi étant
donné que je n’ai plus eu de rapports sexuels depuis près de 10 ans. Déjà, 12 ans sans
faire l’amour, moi qui étais à fond là-dedans, moi la bête à sexe, comme c’est loin tout
ça, il me reste juste des souvenirs, mais petit à petit tout cela s’efface de ma mémoire.
Après mon opération et bien avant déjà, beaucoup de choses ont changé. Pas
vraiment évident de faire abstinence parce que, moi aussi, comme la majorité des
hommes, j’ai des pulsions et des envies. Heureusement, la masturbation calme les
ardeurs, et de cette manière, je ne me sens pas exposé au regard de mes partenaires.
Ce qui est rassurant, c’est de constater que je plais encore malgré tout ce que
j’ai enduré. On me dit beau gosse, j’en suis flatté et j’accepte le compliment. Ne
croyez pas que mes chevilles enflent pour autant. Ce n’est qu’un coup de pouce pour
mon moral, il me donne le courage d’affronter davantage la maladie ; tous les éléments
positifs ne peuvent être que bénéfiques. J’aime me mettre en valeur, soigner mon
apparence est très important pour moi ; j’ai le sentiment d’être sur un pied d’égalité
avec le reste de la gent masculine.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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J’aimerais pouvoir franchir le pas, faire fi de cette stomie, mettre ma fierté au
placard et essayer de trouver une partenaire capable de m’aimer avec tous mes
handicaps.
Mon docteur me l’a fortement conseillé, une liaison serait essentielle à mon
épanouissement.
Il faut admettre que je suis beaucoup trop jeune pour vivre comme ces moines
du Monastère de Shaolin formés, uniquement, aux techniques du kung-fu.
On leur a enseigné qu’il fallait « pâlir rien qu’à parler du tigre ». Ce n’est pas de
l’animal que je veux parler, les adeptes du kung-fu savent que le tigre est un
euphémisme chez les bouddhistes pour désigner la femme.
En ce qui me concerne, malgré ma passion pour ce grand art, je ne cherche pas
à fuir le « tigre » comme les frères séculiers de Shaolin, qui, j’en ai la ferme
conviction, préféreraient sortir de leur célibat s’ils en avaient le choix. C’est que la
décision n’est pas facile à prendre, laissons le temps au temps ; je pense que le jour
viendra, avant que je sois vieux et bossu, où j’abandonnerai tous mes préjugés. À
savoir si, le moment venu, la frustration accumulée au fil des années, ne provoquera
pas un déferlement passionnel.
Je lance un appel, si vous êtes intéressée, je suis un cœur à prendre, j’ai un
physique plutôt agréable surtout avec le Botox, ce produit miracle a effacé les
stigmates de ma maladie, il m’a rajeuni, au moins, de 10 ans. Merveilleuse initiative de
mon médecin qui trouvait que mes joues étaient trop creuses ; le résultat est étonnant,
j’ai l’air d’un jeune homme maintenant, il ne faut pas exagérer, je ne faisais déjà pas
mon âge avant le traitement.
Là, je viens de me rendre compte que j’ai un comportement narcissique, et
alors ! il n’y a pas de mal à se sentir bien dans sa peau. C’est bien la première fois
depuis fort longtemps !
L’année dernière, mon neveu José Miguel convola avec une jolie jeune fille
Lucie. J’eus l’honneur d’être choisi comme témoin. Le mariage fut grandiose, mon
neveu était superbe dans son smoking, tout comme la mariée, radieuse, dans sa belle
robe blanche.
Je me rends compte que les années défilent à une vitesse incroyable, je l’ai vu
naître et le voilà déjà marié. Son départ m’a beaucoup affecté, comme si j’avais perdu
un être très cher.
Je sais qu’il n’est pas très loin, que je le reverrai selon ses disponibilités mais
nous avons tellement partagé, il m’a soutenu durant toutes les phases de ma maladie
que je ne l’oublierai jamais. Ses parents, accaparés par leur travail, ne pouvant pas
toujours être à son écoute, je lui témoignais toute l’affection que je n’avais pas pu
donner à mon propre fils, j’étais comme son deuxième père.
La maison est tellement vide depuis que Filippe et José sont partis pour vivre
leur propre vie.
« Si tu savais, José Miguel, comme tu me manques, n’oublie pas, je serai
toujours là pour toi comme tu l’as été pour moi, je te souhaite tout le bonheur possible
avec Lucie ! »
© copyright Emanuel de Castro 2010
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J’ai également une pensée pour ma nièce Sandra.
« Je sais, ma chérie, que ta vie ne fut pas rose. Tu cherchais, désespérément,
l’âme sœur, je sais que tu en souffrais et, étant dans la même situation, qui d’autre que
moi pouvait mieux te comprendre, mais moi je l’avais trouvée et elle s’est envolée.
Tu as toujours été ma nièce favorite. Je me rappelle, étant petite fille, je fondais
littéralement quand tu venais m’embrasser en balbutiant « tonton Manu ». J’ai
l’impression que c’était hier !
Maintenant que tu as trouvé un gentil garçon au Portugal et que tu vas bientôt
partir le rejoindre, je prie, de toute mon âme, pour que tu sois heureuse !
Tu vois, les choses s’arrangent pour toi, il ne faut jamais désespérer, toi qui
croyais que tu resterais une vieille fille aigrie et acariâtre.
N’oublie pas tes parents et pense, un tout petit peu, à tonton Manu qui, même
s’il était un peu dur avec toi quand il avait trop bu, n’avait jamais cessé de t’aimer.
Tu peux compter sur moi, ma chère Sandra, au moindre souci dans ta vie,
rappelle-toi, tonton Manu sera toujours là pour toi. »
Je suis l’oncle le plus comblé de la terre. Mes neveux et nièces, tellement
différents par leur personnalité, ont pourtant une chose en commun : la grandeur de
leur âme.
« Filippe, José, Sandra, Joanna, Marine, Élisabeth, Jessica, vous êtes,
absolument fabuleux. Merci de tout votre amour, je sais qu’en tant qu’adolescents, on
a d’autres envies que de partager ses journées avec un oncle malade. Vous étiez à mes
petits soins, sans vous à mes côtés, le fardeau aurait été beaucoup plus lourd à porter.
Je suis fier de ce que vous êtes devenus, des adultes responsables et équilibrés qui
sauront faire face aux aléas de la vie »
L’année 2006 a été pour moi une année assez forte en émotions. En surfant sur
le net, avec un copain j’ai fait la connaissance d’un ami de Montpellier, André, en
passant mes soirées dans ma petite chambre, que j’occupais depuis 10 ans. On s’est lié
d’amitié, grâce à la webcam, on pouvait se voir, se parler de tout et de rien. Je lui avais
dit ce que j’avais, et lui aussi m’avoua qu’il est également séropositif et vivait seul
pendant plus de deux mois, c’était notre épisode du soir de 23 heures à 2 heures du
matin.
Je décidais d’aller le rencontrer après un court séjour au ski, question de
prendre un peu de couleur. Notre rencontre fut très belle et émouvante, il m’attendait à
la gare de Montpellier, tout beau et souriant. C’était magique, je venais de faire la
rencontre avec mon futur ami. Après avoir passé plus de 15 jours ensemble, à raconter
nos vies et à se connaître, j’avais compris qu’André était un gentil garçon, doux et
sensible. Il m’acceptait comme j’étais et pour moi, c’était très fort ! Je n’aurais jamais
pensé que quelqu’un pouvait encore s’intéresser à moi et m’aimer avec mon handicap,
ma poche, ma prothèse, mon virus. J’avais enfin trouvé quelqu’un de bien ! Non !
désolé ce n’est pas une femme, mais peu importe.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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J’étais heureux et bien dans ma peau. Les 10 ans de solitude passés dans une
pièce, seul, juste le net et la télé comme passe-temps m’ont laissé des séquelles. Mais
maintenant, je ne suis plus jamais seul.
Vous aussi qui êtes seul, mal dans votre peau, peu importe votre handicap ! Il y
a toujours quelqu’un qui sera là pour vous, même si c’est du même sexe – pour moi, le
sexe et le cul je m’en fous. J’ai dépassé le cap maintenant, je veux juste être heureux,
non plus vivre seul comme un ermite. À deux, c’est tellement plus sympa de pouvoir
rire, pleurer, manger, partager, c’est merveilleux. Même si les gens disent : « Oh !
deux hommes ensemble », laissez dire.
J’ai enfin compris que les on-dit je m’en moque, soyez heureux pour moi
comme je le suis pour vous, et franchement, je vais vous avouer, André je l’aime, à ma
façon, j’aime ma famille, ma maman, mes amis et toi André, je t’aime aussi. C’est ça
l’amour entre deux êtres qui se respectent. La famille c’est fantastique, c’est bien. Ils
sont là quand on a besoin d’eux et vice versa. Mais la famille n’est pas tout, pensez à
vous aussi, pensez à votre bonheur car vous le méritez !
André a quitté sa belle ville de Montpellier pour venir s’installer avec moi, dans
un appartement, non loin du centre de Strasbourg. Pas facile pour lui d’avoir laissé sa
belle ville du Sud, mais quand il y a de l’amour, on peut laisser n’importe quoi, pourvu
que l’amour ou l’amitié soit fort et sincère.
Oui enfin, je suis HEUREUX, merci mon Dieu. Je n’aurais jamais pensé avoir
un peu de bonheur, rien que cela a changé ma vie, ma façon d’être. Ah ! la vie à deux
c’est merveilleux. Partager, donner et recevoir : trois mots qu’on ne peut pas décrire,
c’est vraiment magnifique !
Donc je ne suis plus à prendre, vous arrivez trop tard. Je pense que c’est le bon
ami sincère pour la vie, je le souhaite de toute mon âme. On rigole bien ensemble,
comme on se prend aussi la tête, mais ainsi va la vie. C’est tout simplement la vie,
avec ses hauts et ses bas, mais qu’est-ce qu’elle est belle la vie ! Dommage qu’elle soit
si courte, on devrait vivre 300 ans pour pouvoir faire ce qu’on veut et vivre à tout
jamais avec la personne que l’on aime. Même au-delà, je vais profiter de chaque
moment passé avec lui et si le futur nous éloigne – chose que l’on ne sait jamais –, il
resteras toujours mon ami, quoi qu’il arrive.
José et Élisabeth sont déjà parents. Eh oui ! Je suis arrière-oncle déjà 6 fois, je
suis ravi. Et toi Sandra, à quand le septième ? La famille s’agrandit, d’autres sont déjà
partis, des oncles, les parents de mes beaux-frères,mes oncles,mes tantes. Chaque
décès est une grande souffrance, mais la vie continue.
2007, j’ai encore décroché une hernie, l’opération s’est bien passée, une lourde
opération m’attend à nouveau, cela me fait peur, mais je veux continuer mon combat,
encore et encore, jusqu’au bout : pour moi, pour ma famille, mes amis, pour vous.
André et moi partons en vacance au mois d’août, au Portugal. Je souhaite que
tout se passe bien, que je n’aurais pas de problèmes.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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J’ai annoncé à tout le monde que j’étais en train de faire la suite de ma
biographie et de l’approfondir. N’ayant pas l’étoffe d’un écrivain, je ne veux
certainement pas gagner un prix littéraire.
Cet ouvrage m’a permis d’exprimer, avec des mots et des phrases simples, mes
plus forts ressentiments. C’est une très bonne thérapie d’écrire, on peut dévoiler des
secrets, je me suis mis a nu, mais il me reste encore bien des secrets car on a tous nos
jardins secrets. Il ne faut pas croire que je vous ai tout raconté, personne ne racontera
jamais toute sa vie, mais mon plus grand message, c’est l’AMOUR que j’ai voulu
transmettre à travers ce livre.
Je suis fier de pouvoir véhiculer un message d’espoir aux malades qui me liront.
Je dédierai un de mes livres à la Vierge de Fatima qui, en me tendant si
gentiment la main, m’a donné la force d’affronter toutes les souffrances.
« Oh ! Sainte Mère de Dieu, merci de votre soutien dans mes moments les plus
cruciaux, je mets mon âme à vos pieds, je vous vénère et vous adore. Jamais, sans
votre aide, je n’aurais réussi à endurer toutes mes douleurs, soyez bénie, Mère du
Christ.
Je vous en prie, continuez à me protéger, moi, pauvre pécheur, jusqu’à l’heure
de ma mort ! »
Je me suis arrêté de fumer après 20 ans de dépendance à cette drogue. Ma
décision est salutaire en ce qui concerne ma maladie et aussi mon porte-monnaie, au
prix où sont les cigarettes de nos jours !
Lorsque j’étais sportif, je ne ressentais pas trop l’effet nocif du tabac, à partir du
jour où j’ai abandonné la course et, essentiellement, après la pose de la stomie, les
choses ont changé ; j’avais du mal à parcourir une vingtaine de mètres et pour monter
les escaliers, j’ai dû m’arrêter, à chaque palier, pour reprendre mon souffle.
Devant mon ordinateur, je fumais en continuité, j’en étais arrivé à deux paquets
par jour.
Ça devenait invalidant et très malsain, le manque d’oxygène diminuait mes
défenses naturelles.
C’est un jour, en écrivant ce livre, que me vint le déclic et j’en suis très
heureux.
Je me sens différent, j’ai une nette amélioration du goût et de l’odorat. Pour le
dernier, ce n’est pas, forcément, une bonne chose car, diminué, il m’avait évité de
sentir la puanteur lorsque je changeais ma poche. Je comprends mieux, à présent, les
commentaires des personnes qui occupèrent les toilettes après moi !
Comme je le disais, s’adonner à la cigarette revenait très cher, la moitié de ma
pension d’invalidité y passait. Je n’ai que 480 euros par mois, pas grand-chose pour
satisfaire mes envies.
Maintenant, avec le recul, je me dis « Quel gaspillage ! » L’argent parti en
fumée m’aurait permis d’acheter des choses plus utiles. Que voulez-vous ? C’est la
© copyright Emanuel de Castro 2010
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cigarette à l’époque qui me permettait de calmer mes angoisses. Il ne me fut donc pas
facile de stopper ce vice.
Si je tiens à préserver le restant de mon capital santé encore un certain temps,
interdiction totale de toucher au tabac ! Je ne regrette pas cette décision, je suis fier
d’avoir pu décrocher et de persévérer.
Ma prothèse dentaire, je ne la supporte pas ! Elle me pourrit la vie, j’ai des
rejets une cinquantaine par jour. Si mon livre se vend bien, je ne souhaite qu’une
chose : refaire mes dents, mettre des implants. Je sais que c’est super cher, je serais
prêt à investir, même faire un crédit, car vraiment cela m’est difficile à vivre, cela
m’empêche de sortir, voir, rencontrer des autres personnes, car je suis toujours obligé
de m’éclipser pour ne pas vomir. Je rate énormément de belles choses de la vie à cause
d’une simple prothèse. Si je pouvais m’en passer, je le ferais, mais voyez-vous, sans
dents, je me sens diminué, et vraiment ce n’est pas très esthétique, prothèse en haut,
sac à merde en bas, cul brûlé, que me reste-t-il de normal encore ? Je demande juste
avoir un beau sourire pour montrer aux personnes que j’ai la joie de vivre, et pour que
je vive moi aussi un peu mieux, retrouver un peu de dignité. Y a-t-il un dentiste au
cœur tendre pour m’aider à réaliser mon rêve ? Des dents, rien que des dents, sans
prothèse sans rejets,
J’espère que l’on trouvera bientôt, un vaccin contre le sida, ils font tellement de
découvertes invraisemblables, je suis sûr que dans un proche futur, un éminent savant
découvrira la formule magique.
« Vous qui êtes atteint de cette foutue maladie, ayez la patience d’attendre ce
jour, tenez bon et d’ici là, soyez vigilant, protégez-vous pour ne pas la transmettre à
autrui.
Sachez que si vous ne prenez pas vos précautions et que si vos partenaires
contractent le virus, vous aurez leur maladie sur la conscience, c’est un acte criminel
très lourd à porter d’autant plus lourd si vous étiez au courant de votre séropositivité.
Si vous ne voulez pas faire partie de ces ordures qui se vengent de leur maladie
sur des tiers, suivez mes conseils. Être honnête avec les autres est une des plus
grandes vertus surtout quand il s’agit de sauver des vies. »
Alors en attendant de trouver un vaccin, ne faites pas n’importe quoi, surtout
dans les soirées arrosées sous l’alcool ou sous produits stupéfiants, où l’on fait des
rencontres d’un soir, car je sais que c’est là que l’on se dit que rien ne peut nous
arriver. On se croit invincible, le plus fort. C’est justement là qu’on est plus
vulnérable, plus fragile. Pensez à vous protéger, ne soyez pas égoïste, pensez à la
personne avec qui vous êtes, car il n’est pas écrit sur votre front ni sur le sien : « je suis
séropositif », même si vous l’êtes et l’autre !
Alors prudence car ce court instant de plaisir peut vous pourrir le restant de
votre vie.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Et n’oubliez pas, la trithérapie ne guérit pas le sida, elle vous aide simplement à
aller mieux, à survivre.
Beaucoup de personnes en meurent encore de nos jours, même sous trithérapie
et ces médicaments ne sont pas à prendre à la légère, il y a beaucoup d’effets
indésirables, comme maux de tête, nausées, vomissements, maux de ventre, diarrhée,
fièvre, éruption cutanée, gonflement ou démangeaisons, augmentation du nombre de
certaines enzymes du foie, douleurs articulaires, douleurs musculaires, sensation de
vertige, toux, symptômes au niveau nasal, fatigue, troubles du sommeil, chute de
cheveux, anémie, réduction du taux de globules rouges, essoufflement, modification de
la pigmentation de l’intérieur de la bouche, brûlures d’estomac, douleur au niveau de
la poitrine, altération du tissu musculaire, troubles du foie tels qu’augmentation du
volume du foie, augmentation des graisses dans le foie, et inflammation du foie et du
pancréas, modification de la pigmentation des ongles et de la peau, sudations,
symptôme pseudo-grippal, somnolence, envie fréquente d’uriner, augmentation du
volume des seins chez les sujets de sexe masculin, douleur thoracique, frissons, perte
d’appétit, modification du goût, fourmillements, convulsions, diminution de
l’attention, dépression, et sentiment d’anxiété, etc. Sans oublier chez certaines
personnes : LA MORT.
Faites en sorte de ne pas avoir ingurgité la trithérapie, elle va pourrir la vie, tout
le restant de votre vie, un simple préservatif vous évitera tous ses effets indésirables !
À tous les autres malades qui souffrent de maladies grave, ne baissez pas les
bras, continuez a vous battre, luttez jusqu’au bout, soyez positif. La morale y est
beaucoup, tenez bon. Je sais ce n’est pas facile mais rien n’est acquis dans ce monde, il
faut se battre pour avoir sa place, pour prouver que l’on existe et que l’on veut vivre,
accrochez-vous à la vie.
À toutes les personnes qui se plaignent de ceci et de cela, arrêtez de vous
lamenter, pensez aux autres, ceux qui souffrent en silence, à ses enfants atteints par des
maladies dites orphelines, à tous ceux qui luttent vraiment pour rester en vie, alors les
maux de tête, les maux de dents, oubliez cela, soyez heureux d’être en bonne santé, et
je vous souhaite de le rester tout le long de votre vie, mais soyez prudent quand
même !
J’espère ne pas avoir trop choqué ma famille, je sais que vous allez apprendre
des autres faces cachées, mais ne me jugez pas mes sœurs, mes neveux ! Maman, je
suis toujours ton Nelinho. Acceptez-moi comme je suis, et soyeux heureux pour moi.
Je vous aime, je vous ai toujours aimé, vous êtes tout pour moi. Notre famille est très
soudée, restons en encore, à tout jamais. Je suis tellement fier de vous tous, vous êtes
ce que j’ai de plus au monde, vous, mes sœurs, mes neveux et petits-neveux, maman,
ma famille,
JE VOUS AIME !
© copyright Emanuel de Castro 2010
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En conclusion, pour revenir à la préface.
À toutes les personnes atteintes de sida, de cancer ou d’autres affections :
« Battez-vous ! Vous pouvez encore trouver des satisfactions sur cette terre.
Ne désespérez pas, il y aura, forcément, des jours meilleurs.
Les savants travaillent jour et nuit, ils ne vous laissent pas tomber car les
chiffres sont alarmants, le sida fait des ravages inimaginables.
Pensez à vous protéger avec un préservatif, c’est la seule solution d’épargner
la vie à une personne innocente.
Je regrette, profondément, ne pas l’avoir utilisé en 1986, ça ne prenait que
quelques secondes et elles m’auraient épargné toutes ces souffrances.
Quelle inconscience ! un petit moment de plaisir pour des années de calvaire.
Il est trop tard pour avoir des regrets. Je subis, lourdement, les conséquences
de mon imprudence. Je n’en tiens pas rigueur à la personne qui m’a contaminé,
j’espère seulement que ce n’était pas intentionnel, de toute façon, je préfère ne pas le
savoir.
Je vous en prie, ne faites pas la même erreur que moi, les spots publicitaires,
les écoles, vous informent, régulièrement, de la présence du sida dans le monde.
C’est un véritable fléau, ne prenez pas leurs conseils à la légère, et même si je
me répète, achetez des préservatifs, au prix où ils sont, vous n’avez pas d’excuse.
Je vous en supplie !
« PROTÉGEZ-VOUS »
Je vous souhaite de tout cœur :
« BONNE CHANCE et que Dieu vous garde en BONNE SANTÉ ! »
et si vous vous sentez seul, et que vous avez besoin d’un coup de pouce, alors je
suis là pour vous tendre la main, Vous pouvez me contacter par e-mail à l’adresse
suivante.
[email protected]
pourquoi Neldragon, Nel comme Nelinho, dragon c’est mon signe chinois 142
parce que le 141 et le 143 étaient déjà occupés par quelqu’un d’autre.
Allez courage, et si je peux vous aider, vous remonter le moral, je le ferai avec
joie !
Laissez-moi aussi vos impressions sur mon autobiographie, cela va m’aider
peut-être à faire une suite, si Dieu le veut, j’écrirai une autre pour mes 30 années de
combats. En attendant, vous qui souffrez, battez-vous, vous en valez la peine,
continuez votre combat jusqu’au bout. Que Dieu vous garde !
Emanuel.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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J’aimerais remercier ma famille et mes amis, toujours prêts à m’épauler dans les
moments difficiles :
Maman,
Céleste, Mina, Émilia, Antonio, Philippe, José, Lucie, Sandra, Élisabeth, Nuno,
Jessica, Joanna, Marine, Cristine, Gabriel, Daniel.
Clides, Manuel, Alberto.
Aux derniers nés, Lara et Hugo Miguel, mes petits petits-neveux, un grand
bisou aux autres petits-neveux que je ne connais pas, du côté de mon frère.
Mon ex-femme, Monique de Castro,
À Danièle et Élisabeth, les deux laborantines,
Merci à toi Danièle, pour ton soutien face à ma maladie,
Tia Micas, Tio Toninho, Tio Tia Rosa, Manuel, Élisabeth, To Zé, Paulo.
Laida, Zé, Marguaret Zélito, Dany, Emanuel, Lourde, Paulo, Nathalia, Gabriel,
Marco.
À Lili, ma coiffeuse, et à Albina, toujours là pour me faire rire, ne changez rien
les filles, restez comme ça, Adé toi aussi, les trois sœurs drôles à mourir, je vous
aime !
Les amis de France :
Thibaud, Anifa, Judith, Thierry, Jean-Éric, Sébastien, Maria, Jean-Marie, Yves,
Laetitia, Sotha, Maniseng, Papa et Maman Thailong Liliane, Jean-Paul, Anne et Hung,
Noie, Soumeth, Lee, Chino, Thierry, Nelly, Kham, Faty de La Rochelle, Pan, Tid,
Mitsoulu, Gilles, Carlos, Filipe, Manuel, Claude, Bruno, Sacha, Caroline et si j’en
oublie, veuillez m’en excuser, vous êtes là dans mes pensées.
Une pensée plus forte à mon amie Judith toujours là pour m’aider et partager
des moments inoubliables.
Les amis du Portugal :
Patela, Suelly, Cristina, Rui, Catarina, Nuno, Paulo, Pilas, Batista, Joao Manel,
Ricardo, Carlos, Ferreira, Fernando, Bina, Dino da Cave de Gafanha d’Encarnaçao,
Alberto, Ferreira, Folitas, Joao, Lola, Anna Maria, Romi du Portugal, Luis, José, Paulo
Carlos, Émilia, Nel, Carlos do Oliveira Bar, Rui, mon ami José de tour, Rosa, Léonor,
Fernando, Belem, André, Micinhas lopes, Cristina, ma filleule, Claudia.
À toutes les Maria et à tous les Manuel car j’en connais beaucoup.
Si un jour vous voulez visiter le Portugal, Gafanha, là où je passe mes vacances,
vous verrez, c’est super beau un petit village de pêcheurs. Mes amis DINO e BINA da
CAVE peuvent vous accueillir, dans leur joli bar-restaurant. En plus, ils louent des
chambres sympas, à prix raisonnable.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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Ah oui ! Gafanha da Encarnaçao, pas do Carmo, ni Da Nazaré.
Un grand remerciement à Sébastien, mon pharmacien, Liliane et Astrid pour le
corrigé de ce livre.
Je te remercie Astrid, pour le travail que tu as fourni.
Un Grand remerciement au magasin Planète Saturn de Strasbourg qui m'ont
gentillement offert un super Ordinateur portable afin de pouvoir continuer mon
ouvrage.Merci infiniment, il y a des personnes de coeur sur cette terre!
Liliane, merci pour tout, aucun mot ne peut exprimer ta bonté et ta générosité.
Sébastien, tu es devenu mon ami, là où tu travaillais, tu as pu te rendre compte
de suite de ce que j’avais, mais sans voir le malade, tu as vu un être humain, j’ai tout
de suite apprécié ta gentillesse, à la pharmacie des VIGNES tu étais le plus cool. On a
passé des heures à chercher les meilleurs produits, comme les poches, les
compléments, ta patience était sans limite, et merci encore pour nos soirées passées
ensemble, mon ami !
À mes médecins :
DR Bernard-Henry,Dr Hess-kempf, Dr Christian Loeb, Dr Reibel, Dr Lantz, Dr
Partisan. Dr Urban.
Une pensée affectueuse pour mes amis qui sont morts du sida ou du cancer.
Dominique (mort du sida), Fred (mort du sida), Alain (mort du sida), Virgil
(mort du sida), Cyril (mort du sida), Sandra (morte du sida),Pascal M.( mort du sida)
Joël (mort du sida), Pascal (mort du sida), Claude (mort du sida), Didier (mort du
sida), Jacques (mort du sida), Christophe, Luc (morts du sida), Betty (morte du
cancer), Serge (mort du sida), Patrick (mort du sida). Michèle N. (morte du cancer),
Michelle C. (morte du cancer)
Mon magnétiseur Jean-Marc (mort d’un arrêt cardiaque), je n’ai appris sa mort
qu’en 2009, jamais je n’aurais cru qu’il partirait si vite. Merci mon ami, merci pour
tout ce que tu as fait pour moi, sans toi je ne serai plus de ce monde, mais je pense
qu’avec le bien que tu as fait, tu es allé droit au paradis. Tu as ton étoile, elle brillera à
tout jamais dans nos cœurs, le mien et ceux des autres.
A ma grande amie Zaniboni chanteuse a la voix d’or allez voir son site.
http://zani.musicblog.fr Pour tous les amoureux de Piat et de Barbara enfin un
truc de ouf.
À VOUS TOUS !
« Du haut du ciel, veillez sur moi ! je n’oublierai jamais les merveilleux
moments passés, ensemble, même si je ne vous ai pas suivis dans votre dernier voyage,
je suis de tout cœur avec vous. Notre amitié est éternelle, je puis vous assurer que, le
© copyright Emanuel de Castro 2010
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moment venu, quand Notre Seigneur me rappellera à Lui, je serai heureux de vous
retrouver dans l’au-delà.
Que Dieu vous garde, reposez en paix ! »
Papa, grand-mère, grand-père, vous aussi, protégez-moi ! Vous me manquez
tellement mais, pardonnez mon égoïsme, je n’ai aucune envie de mourir, je me battrai
de toutes mes forces contre ma maladie pour pouvoir prolonger mon passage sur la
terre.
André est partie adieu mon ami, me revoilà à nouveau seul encore et encore
jusqu'àquand..?
A ma A ma maman, à mes sœurs, à mes amis à vous!
je vous ai offert mon livre,ma vie mes joies et mes douleurs si vous voulez faire
un don pour améliorer mon quotidien,alors laissez parler votre cœur.
© copyright Emanuel de Castro 2010
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