pièce jointe

Transcription

pièce jointe
LA FAVORITE
Matthias Lehmann (Acte Sud)
p. 5
LE RESTE DU MONDE
Jean-Christophe Chauzy (Casterman)
p. 11
LA MAIN HEUREUSE
Frantz Duchazeau (Casterman)
p. 15
HISTOIRE DE L’ART MACAQUE
Benoît Préteseille (Cornélius)
p. 19
LA RENARDE
Blandin & Chrisostome (Casterman)
p. 23
MOONHEAD
Andrew Rae (Dargaud)
p. 27
LE JOUR LE PLUS LONG DU FUTUR
Lucas Varela (Delcourt)
p. 31
EMMETT TILL
Arnaud Floc’h (Sarbacane)
p. 35
PAPIER FROISSÉ
Nadar (Futuropolis)
p. 39
JUNIORS
Bourhis & Halfbob (Futuropolis)
p. 43
L’ÎLE AUX FEMMES
Zanzim (Glénat)
p. 47
VITA OBSCURA
Simon Schwartz (Ici Même)
p. 51
POISON CITY
Tetsuya Tsutsui (Ki-oon)
p. 55
DEMOKRATIA
Motoro Mase (Kaze Manga)
p. 59
PIEDS NUS DANS LES RONCES
Liza Zordan (Michel Lagarde)
p. 63
EN TEMPS DE GUERRE
Delphine Panique (Misma)
p. 67
PETITES COUPURES À SHIOGUNI
Florent Chavouet (Philippe Picquier)
p. 71
MIKE’S PLACE
Baxter, Faudem & Shadmi (Ki-oon)
p. 75
LA
FAVORITE
Dessin & Scénario
Matthias Lehmann
Éditeur
Actes Sud
Date de parution
Avril 2015
SYNOPSIS
Orpheline, Constance est élevée par ses grands-parents, dans une maison bourgeoise de la Brie, à l’écart du
monde. Le grand-père écoute Gustav Mahler dans un fauteuil, un verre à la main, maudissant le sort qui s’est
abattu sur la famille il y a bien longtemps. Un sort qui a fait de lui un lâche et a poussé sa femme, qu’il hait,
à punir et à battre cet enfant pour la moindre peccadille, et surtout à l’habiller en fille de bonne famille, alors
que Constance est un garçon...
C’est à l’arrivée des nouveaux gardiens de la maison et de leurs deux enfants, que Constance va découvrir sa
sexualité et s’insurger contre les règles établies. Matthias Lehmann campe son histoire dans les années 1970,
entre l’éclosion des grandes surfaces, des policiers à képi et Giscard qui s’invite à dîner chez les braves gens.
L’AUTEUR
Matthias Lehmann est un dessinateur et peintre français. Il publie depuis dix ans des histoires courtes en bande
dessinée dans des revues ou anthologies du monde entier. En France, ses romans graphiques sont publiés chez
Actes Sud BD, le dernier en date étant Les larmes d’Ezéchiel. Il est l’un des illustrateurs attitrés du quotidien Libération.
Matthias Lehmann est un auteur discret, encore confidentiel, mais qui a déjà acquis une certaine réputation
parmi les lecteurs exigeants. Coutumier du dessin à la
carte à gratter dans ses trois premiers albums, il la délaisse depuis son précédent livre, Les Larmes d’Ezéchiel,
sans pour autant renoncer à un graphisme qui s’apparente presque à de la gravure, où les corps semblent
extraits, trait après trait, de la densité de l’ombre et de
la matière.
Ce qui frappe d’emblée dans La Favorite, c’est
l’ambivalence de l’entreprise : ambivalence au sens
psychanalytique d’un entrecroisement et d’une
sédimentation de pulsions cruelles, qui ne cesse de
réactiver et d’entrelacer la violence des sentiments,
ceux des personnages autant que ceux du lecteur.
L’auteur raconte ici l’histoire d’un enfant que sa
grand-mère maltraite à la face d’un mari veule qui
se complet de sa propre impuissance. La cruauté
de la vieille dame n’a pas de bornes, et va jusqu’à
remodeler l’identité sociale et sexuelle de l’enfant.
La minutie de la reconstitution du milieu social –
une grande bourgeoisie désargentée, au milieu des
années 1970, dans un village endormi de la Brie –
ne fait qu’accentuer la sidération : l’effet de réel est
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AVIS / CRITIQUE
tellement saisissant qu’on sait gré à Matthias Lehmann
de lui opposer la distance du graphisme pour nous
éviter l’immersion complète dans la perversité de
l’histoire. Car disons-le tout net, nous ne goûtons pas
habituellement ce type de récit : bien des livres et des
films qui prétendent mettre le sadisme en scène au
nom de la complexité de la psyché, et sous le prétexte
d’une pseudo-édification morale (pour montrer
soi-disant toute la bassesse dont est capable l’être
humain, ce genre d’alibi moisi), se résolvent en une
vaste entreprise hypocrite de voyeurisme impudique.
C’était le cas, il y a plus de dix ans, des Magdalene
Sisters, et le genre du film de nazis tout entier peut
apparaître comme le point ultime où la tartuferie des
légitimations morales dissimule le plus mal le véritable
but, celui du plaisir pris à la vision des tourments
d’autrui (Le Pianiste de Polanski ou Amen de CostaGavras se posent là en exemples indépassables). De
ce point de vue, le cas de La Favorite est complexe :
comme le dit Matthias Lehmann dans un entretien
à paraître dans le prochain numéro de Kaboom,
son intention première est de reconstruire, en les
exagérant, ses propres sentiments ambivalents,
surtout l’ambiguïté sexuelle que chacun peut ressentir
lors de son adolescence, pour en dévoiler tous les
enjeux sado-masochistes et voyeurs-exhibisionnistes.
Et ce, loin de toute justification morale, simplement
pour le plaisir du jeu avec les pulsions, semble-t-il : la
dynamique des pulsions devient le cœur du propos,
sans aucune hypocrisie. Dès lors se met en place, à
travers la cruauté et l’exhibitionnisme des situations,
un jeu pervers et voyeuriste entre l’auteur et le lecteur.
Mais il semble que toute l’entreprise soit de le rejouer
pour le ramener, in fine, à la simplicité de la pulsion
de regarder, source étonnamment simple et claire de
toutes les ambivalences. Face à une ambition aussi
pure, et malgré l’évidente perversité de l’ensemble,
tous les soupçons de duplicité deviennent caducs.
Dans La Favorite, la logique du voir, la naïveté du
regard oppose toujours sa simplicité aux méandres
des pulsions sadiques et masochistes, et c’en est
désarmant. Du côté du récit, les linéaments des pulsions
sadiques de la grand-mère s’amoncèlent les uns audessus des autres, et comme
son pouvoir semble illimité, le
lecteur est tenu par ce crescendo
dans l’horreur. Il attend le
moment du renversement,
où enfin se résoudra cette
logique exhibitionniste, où
une échappatoire lui permettra
d’abandonner sa position peu
confortable de témoin, sinon
de voyeur. Sans rien dévoiler du
dénouement, on peut dire que
ce moment aura lieu, qu’il n’aura
cependant pas la signification
d’une libération mais plutôt
celle, inattendue, du finalement
ce n’était pas si grave. Car à la
perversité de la vieille femme et
à l’immobilisme du grand-père
répond, du côté de l’enfant, une
plasticité qui dépasse la passivité
de la douleur et le véritable
masochisme. D’une certaine
manière, il est incapable de masochisme au sens
propre, celui de Freud dans l’article Pulsions et destins
de pulsions de la Métapsychologie : incapable de prendre
sur lui le sadisme de ses bourreaux, il n’est jamais
coupable de rechercher la violence chez les autres,
en se présentant lui-même comme une victime.
Impuissant à comprendre le sadisme des autres, il est
empêché de se concevoir lui-même comme l’objet
des souffrances et des douleurs. De son point de vue,
qui est le plus important ici, les raffinements de la
perversité qui est exercée sur lui ne représentent que
l’occasion de jouer avec la plasticité de son identité,
de revêtir des masques et de faire l’expérience de la
différence qu’il y a, à l’intérieur de ses propres désirs,
entre leur but (la satisfaction sexuelle), et les multiples
objets sur lesquels ils peuvent se fixer (le fils ou la fille
des voisins ?). On peut donc bien faire, à la manière
de Freud, l’histoire de la pulsion perverse de la
grand-mère, comme le fait la seconde partie du livre,
il n’en reste pas moins que toute cette stratification
du sadisme se joue à deux, et se trouve ici d’emblée
désamorcée par la naïveté de l’enfant, et par la belle
pureté de son regard.
Cette dialectique relèverait encore d’un lieu commun
déjà cent fois rebattu, celui de l’opposition naïveté et
pureté vs. cruauté et perversion (qui n’est pas sans
valeur : on aime bien retrouver un regard de midinette
lorsqu’il nous est restitué sans affèterie ni justification
hypocrite), si La Favorite n’était pas, avant tout, la mise
au jour d’une pulsion originaire de regarder, et de ses
multiples possibilités. D’un côté, les retournements
sadiques de la grand-mère, dont le destin est
commandé par l’intensification de la complication
et l’approfondissement de la bassesse. De l’autre, le
regard de l’enfant, qui ne sombre
jamais dans la perversion
tant il évite l’ambivalence
des retournements et des
renversements contraires qui en
sont les traits principaux. Son
regard reste imperturbablement
souverain et maître car il se
transforme, change d’objet,
remanie l’individu lui-même
sans jamais se perdre, ni se
renverser dans son contraire, ni
même se retourner contre luimême. On comprend alors tout
le travail graphique de Matthias
Lehmann dans ce livre : celui
d’un dessin qui, tout en épousant
les retournements contraires
d’un destin pervers, en reste
toujours à la limite, n’accomplit
jamais le pas dans le véritable
renversement pervers, mais fait
toujours émerger la souveraineté
d’un regard originel qui garantit la puissance première
de la vision contre le voyeurisme. Certes, à certains
moments, on se sent pris au piège des contrastes en
noir et blanc, et de la crudité des épisodes. Il semble
alors que l’auteur agisse directement sur nos affects
les plus violents, sans nous laisser la possibilité d’une
distance critique. Mais les références graphiques aux
dessinateurs du début du XXe siècle, Chas Addams
ou Edward Gorey, cités par Matthias Lehmann, nous
rappellent que le regard demeure l’origine des visions
les plus sombres, et ne devient jamais leur victime.
Ce que l’auteur semble chercher chez ces dessinateurs
toujours proches du fantastique, c’est précisément la
limite entre la vision de cauchemar et le surréalisme :
la limite entre un regard qui convoque ce qu’il y a de
plus affreux et finit par le dominer, et un regard qui
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se livre lui-même entièrement au bizarre et au cruel,
qui s’y perd et s’engage dans tous les renversements
pervers. La beauté des images de Lehmann est bien
de s’en tenir toujours au cauchemar, sans se laisser
aller à une contre-vision, sans s’égarer dans les
dévoilements faciles d’une sauvagerie qui ne serait
que du voyeurisme. Chaque fois, il tient en même
temps le normal et l’étrange, le pathologique et le
monstrueux, sous la puissance du regard. Le jeu de
la vision de cauchemar peut alors se déployer sans
aucune justification morale ni anthropologique, car
il reste maître de ses apparitions inquiétantes sans
jamais verser dans le racolage.
Enfant, le grenier de ma grand-mère me terrorisait. Le
pire est dit d’emblée sur les malheurs d’une fillette
maltraitée par sa grand-mère, qui la bat et la punit à
tout propos. Qui l’humilie aussi, et de quelle façon:
Constance est un garçon que la vieille femme aux
allures de sorcière hystérique travestit en fille depuis
toujours. On lui a dit que ses parents étaient morts.
Il vit reclus dans une grande propriété au milieu de
nulle part, et se raconte des histoires sur le monde
extérieur qu’il n’a jamais vu. Tout va basculer le
jour où débarque un nouveau couple de gardiens
avec leurs deux enfants, un garçon et une fille. Le
brillant coup de force de Matthias Lehmann, c’est
d’avoir osé installer cette situation lourdement
plombée pour mieux la détourner, sans la moindre
velléité d’apitoiement, vers l’aventure détonnante
d’un enfant de 10 ans qui se découvre dans les
réactions des autres, moqueuses, hostiles ou trop
attentionnées pour être honnêtes.
Inconditionnels de la comtesse de Ségur, précipitezvous sur cet album. Le thème du châtiment corporel
cher aux plus célèbres romans de la femme de lettres
française (Les Malheurs de Sophie, Un bon petit diable…)
y tient une bonne place. Idem des hachures qui
étaient la norme des livres illustrés au XIXe siècle.
Là s’arrête la comparaison. Située dans la France
giscardienne des années 1970, La Favorite met en
scène un couple de vieux bourgeois et leur petitefille de 10 ans qui n’en est en fait pas une. Le garçon
a été travesti par une grand-mère sadique que la
morale obsède. Confit dans son eau-de-vie et dans
sa couardise, le grand-père ne bronche pas, aussi
terrorisé que l’enfant par cette Folcoche au coup de
martinet facile.
Question : d’où viennent les pulsions sadiques de
la grand-mère ? L’énigme ne sera levée que dans
le ­dernier tiers du livre, avec révélations en rafale.
Cela maintient la tension, même si le suspense n’est
pas l’enjeu majeur de cette fiction aussi singulière
par le trouble qu’elle suscite que subtile dans les réponses audacieuses que Lehmann y apporte. Avec
son dessin à la plume d’une vivacité t rès loquace,
dans une mise en scène d’un éclectisme déstructuré,
il déjoue le strict réalisme pour insinuer ce qu’il faut
d’imaginaire, de fantastique, à hauteur d’enfant. Où
l’on voit que sa naï­veté cède à mesure que sa curiosité, et bientôt l’attirance qu’il éprouve pour l’un(e)
ou l’autre, lui laisse entrevoir une autre version de
sa vie : l’histoire fascinante d’une résurrection, en
somme...
Jean-Claude Loiseau
pour Telerama
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Vincent Jung
pour chronicart.com
L’arrivée, dans la vaste demeure, de gardiens portugais
et de leur progéniture va bouleverser l’ordre établi,
et conduire progressivement le récit vers un puzzle
complexe sur fond de fait divers, où vont s’assembler
les thématiques de l’identité personnelle et de la
découverte du corps. Patient dans sa narration qu’il
rehausse çà et là de touches fantastiques à coups de
plume féroces, Matthias Lehmann se garde bien de
faire pleurer dans les chaumières avec cette histoire
renvoyant aux questionnements de l’enfance. Qui
ne s’est jamais interrogé sur sa place dans le monde
des adultes ferait peut-être mieux de revenir à des
lectures plus classiques.
Frédéric Potet
pour Le Monde
Constance n’a plus de parents. Alors, elle vit avec son
pépé et sa mémé. Lui, une vie pleine de contrariétés
l’a rendu misérable. L’alcool l’aide à se résigner. Elle,
la frustration en a fait une femme aigrie, acariâtre et
violente. Le tableau est peu reluisant, et le cadre de
la maison, dont la jeune fille ne peut sortir, bien trop
étroit pour permettre à un enfant de s’épanouir.
Entre punitions et restrictions, enfermement et
tentatives d’évasion par l’imaginaire, Constance
tente d’aller de l’avant. Difficile quand les seules
sources d’éducation sont les lectures imposées
par la grand-mère et les cours qu’elle lui dispense
dans l’enceinte de la vieille demeure, signe d’un
patrimoine qui s’étiole. Fille de substitution, la
pauvrette l’est assurément, elle qui doit vivre
dans l’ombre d’Éléonore, son aînée couronnée de
perfection qui périt et laissa un vide dans la famille
alors qu’elle était encore petiote. Son portrait en
habits de communiante, qui trône dans la bâtisse,
fait peser sur les épaules de l’héroïne un poids
impossible à supporter. Elle ne sera jamais à la
hauteur ; c’est évident.
comme si, en définitive, il fallait surtout sauver
les apparences ; celle d’une richesse passée, d’une
maisonnée bien tenue, d’une cohésion de façade
pour une famille qui, en fait, se déchire. Prendre ses
désirs pour des réalités, l’aïeule sait le faire. Accepter
la différence, c’est autre chose. Derrière cette fuite
se cachent bien sûr des souffrances, mais aussi le
refus de voir le monde tel qu’il est. L’aliénation des
corps et des esprits fait son œuvre, avec à la clé un
sentiment de perte d’identité, de flou qui entoure
un avenir incertain dans un monde que l’on aimerait
croire figé.
Page après page, Matthias Lehmann crée un vrai
petit théâtre où triomphent l’esprit de clocher et la
politique de comptoir, où chacun essaie malgré tout
de se faire une place. Avec ce dessin qui rappelle les
gravures d’antan et ces planches aux constructions
éclatées, il propose de fait une succession de
tableaux, de pans de vie qui, ensemble, forment une
destinée morcelée, chahutée. L’espoir, en dépit de
toutes ces avanies, reste présent pour cette petite
fille qui ne veut qu’une chose : la délivrance.
D. Wesel
Tout autour d’elle, il y a travestissement de la réalité,
pour Bdgest.com
L’ÉDITEUR
Créées en 1978, dans un village de la vallée des Baux, par Hubert Nyssen et sa femme, Christine Le Boeuf,
bientôt rejoints par les autres fondateurs, Françoise Nyssen, Bertrand Py, Jean-Paul Capitani, les éditions
Actes Sud développent une politique éditoriale généraliste.
Très vite, elles se sont distinguées non seulement par leur implantation en région, leur identité graphique
(format des livres, choix du papier, couvertures illustrées…), mais aussi par une ouverture de leur catalogue
aux littératures étrangères. Installées depuis 1983, au lieu dit Le Méjan, à Arles, les éditions Actes Sud
poursuivent leur développement dans une volonté d’indépendance et un esprit de découverte et de partage,
entretenant sans cesse la dynamique de la chaîne dite de conviction, qui va de l’auteur au lecteur en passant
par les principaux prescripteurs, libraires, bibliothécaires, médias, partenaires culturels. Si son catalogue,
depuis l’origine, réserve une place essentielle à la littérature, elle accueille aussi des auteurs venus des divers
champs de la connaissance ou des multiples disciplines artistiques.
Gouvernées par deux mots-clés, plaisir et nécessité, les éditions Actes Sud ont à coeur de soutenir et
d’encourager la créativité de tous ceux qui participent à leur aventure éditoriale et de favoriser l’émergence
et la reconnaissance de leur talent.
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LE RESTE
DU
MONDE
Dessin & Scénario
Jean-Christophe Chauzy
Éditeur
Casterman
Date de parution
Mars 2015
SYNOPSIS
Dernière soirée de vacances pour une jeune femme récemment plaquée, qui a du mal à faire face à sa
nouvelle situation de mère d’ados célibataire. Et c’est un crève coeur de fermer le chalet d’alpage où elle
avait pour un temps trouvé refuge. Quand un orage de montagne d’une violence inouïe éclate, suivi de secousses sismiques, celle qui se croyait dévastée, va comprendre ce qu’est la vraie dévastation... Destruction
en chaîne, fin des communications, des blessés et des morts partout et surtout des secours qui survolent
la zone et ne s’arrêtent pas. S’engage alors une lutte pour la vie, où pour protéger les siens et continuer à
avancer coûte que coûte il faut réapprendre l’instinct, les gestes de survie, tout en évitant de sombrer dans
la sauvagerie.
L’AUTEUR
Jean-Christophe Chauzy conçoit et dessine des ouvrages de bandes dessinées depuis une vingtaine
d’années. Il a tout d’abord fait ses premières armes en noir et blanc chez Futuropolis à la grande époque
Robial/Cestac pour quatre albums marqués par l’empreinte de la littérature noire qu’il découvrait alors.
Puis son entrée chez Casterman à l’aube des années 90 lui a permis de creuser en couleurs vives deux
veines différentes mais complémentaires : l’une prolongeant sa passion pour la littérature et le cinéma
noirs, le conduisant à des collaborations décisives avec de grands auteurs du genre, Thierry Jonquet
(pour La vie de ma mère, La vigie, DRH et Du papier faisons table rase) et Marc Villard (Rouge est ma couleur, La
guitare de Bo Didlley). L’autre plus fantaisiste, nourrie d’auto-dérision et d’une vision de la société et des
rapports humains désabusée, où l’auto-fiction occupe une place centrale (Parano, Béton armé, L’âge ingrat).
Récemment, il a réactivé cette veine humoristique pour Fluide Glacial au travers d’une nouvelle série,
Petite nature (trois tomes depuis lors), qui tourne en ridicule son personnage de quadragénaire débordé et
humilié. À cette occasion, il a sollicité la collaboration de plusieurs auteurs proches, Zep et Yan Lindingre.
Par ailleurs, il enseigne le design graphique dans une école publique parisienne, où il a trouvé en sa collègue
Anne Barrois une complice idéale pour scénariser Petite nature et concevoir pour Dargaud les péripéties de
notre bon parisien anachronique, Charles, au Bénin, en pays bien mal connu. Prenant plaisir avec Bonne
arrivée à Cotonou à dépayser leurs farces, ils comptent bien tous deux continuer à échafauder de concert des
histoires drôles et grinçantes.
Jean-Christophe Chauzy s’éloigne un tant soit peu
de ce qu’il a l’habitude de faire. Plutôt que de revenir
dans le registre du policier et de l’humour satirique
où il excelle, il prend ici un chemin semble-t-il
inexploré et s’engage dans une aventure oppressante
aux accents post-apocalyptiques très prononcés.
AVIS / CRITIQUE
d’une mère (Marie) et de ses deux enfants (Jules et
Hugo). C’est la fin du mois d’août, nous sommes
proches de la rentrée scolaire et de la reprise du
boulot. Certes Marie a une autre préoccupation qui
lui a bouffé ses vacances et qui concerne sa rupture
avec son mari. Aussi, l’heure n’est pas forcément à
la fête. Mais malheureusement ce n’est pas terminé
Cette première partie nous introduit dans l’intimité puisque cette contrariété lancinante va prendre des
d’une famille tout à fait commune déchirée, constituée proportions autrement plus démesurées lorsqu’un
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fait inhabituel (la fureur des éléments) va se déclarer qui, au travers de vignettes qui vont de la plus petite
et la lancer dans des péripéties à haut risque.
à la double page, met bien en évidence des paysages
montagneux tourmentés par les éléments déchaînés,
Force est de constater que l’auteur, de par le choix très convaincants pour leur côté réaliste. Côté
de sa thématique, trouve l’occasion de signer un personnages, là-aussi, on perçoit que l’artiste a mis
scénario catastrophe particulièrement prégnant. A la barre haute de manière a bien camper cet effroi
cet égard, on ne pourra se détacher du parcours que peut susciter une telle catastrophe grâce à un
intrigant et éprouvant de son personnage principal jeu expressif averti. Il va de soi que la colorisation
qui, à tout moment, se doit de lutter contre une directe remarquablement exploitée apporte un gros
mère nature particulièrement infernale et qui semble plus à la qualité générale de cette mise en image
devenue un adversaire à part entière. Partageant les époustouflante.
tourments de l’héroïne, Jean-Christophe Chauzy
trouve la juste évocation catastrophique qui sied Un album catastrophe particulièrement abouti
pour susciter l’attrait de son aventure, se jouant qui a l’avantage de faire monter la pression très
au fil des recherches, des rencontres mortelles, rapidement, de la maintenir au maximum tout
des mouvements incertains des éléments, des du long et la faire tomber d’un coup à la fin, rien
agissements terriblement désordonnés de ses pairs que pour frustrer volontairement le lecteur (qui
face à la catastrophe et nous faisant frémir à chaque n’était pas préparé à une suite). Monsieur Chauzy,
planche sans lâcher à aucun moment la tension.
dépêchez-vous de nous donner la suite, on veut
savoir ce qui est arrivé au reste du monde !
La partie graphique se veut totalement en
Phibes
conformité avec le scénario. En auteur polyvalent,
pour Sceneario.com
Jean-Christophe Chauzy nous sert un dessin superbe
13
Jean Christophe Chauzy a choisi une question
simple pour dérouler son aventure : que se passeraitil le jour où les secours ne viendraient pas ? Son
cadre, une montagne aussi belle que meurtrière, des
villages en altitude isolés, vulnérables... Au milieu
de tout cela, une famille, ou plutôt une mère hantée
par son ex-mari avec ses deux enfants, qui vont
s’efforcer de survivre. Finie l’angoisse zombie ou la
menace d’épidémie, on est dans une confrontation
entre l’humanité et la nature, sans question ni
réponse (du moins immédiate, car une suite est
heureusement prévue !). Dans la lignée de La Route
de Cormac McCarthy, ce n’est pas tellement ce qui
s’est passé qui importe, mais ce qui va se passer.
Comment les gens réagissent-ils ? Quels sont les
comportements à prévoir ?
Le reste du monde est une fresque qui n’est ni
sanglante, ni pleine de rebondissements ou d’action
pure ; c’est un tableau de la fragilité humaine,
face aux éléments et aussi face à elle-même. Les
doubles pages de décor illustrant l’orage sont aussi
impressionnantes que les recoins d’une planche où
un troupeau s’est écroulé dans une falaise.
L’ÉDITEUR
Les villages de Soulan et Cazaux, théâtres de
l’histoire existants bel et bien dans l’Ariège,
renforcent cette idée de solitude et d’oppression.
D’autant que hormis un ami des deux fils, la BD ne
fait pas la part belle aux personnages secondaires.
Un défilé d’anonymes, eux aussi survivants, des
scènes discrètes mais qui inquiètent (comme le fait
de brûler les corps des morts), pour finalement
révéler la force d’une mère au milieu d’un monde
qui s’écroule.
Tout ça pour dire que Le reste du monde peut
tenir tête au reste du monde, même sans suite cet
album est un franc succès, ne serait-ce que par
sa capacité à immerger le lecteur dans l’histoire,
dans ces Pyrénées piégeuses, dans la peau de cette
mère harassée et pourtant d’acier trempé. Jean
Christophe Chauzy signe une œuvre complète, de
part son dessin et son scénario, qui vaut le détour,
qui donne curieusement envie d’aller se balader en
randonnée en Ariège...en s’inquiétant tout de même
de la météo...
Baptiste Lépine
pour Avoir-alire.com
La maison Casterman a été fondée en 1780 et a intégré avec brio le monde de la bande dessinée dans les
années 1930 en éditant les albums de Tintin. Aujourd’hui, grâce à des valeurs-clés comme l’innovation et
la créativité, elle continue d’occuper une place privilégiée, fidèle à la même démarche: mettre à la portée
de tous des oeuvres de qualités.
En parallèle, les éditions Casterman développent un conséquent catalogue de livres pour la jeunesse
(petite enfance, albums, romans, documentaires) sur tous les sujets de la connaissance.
Depuis 1999, Casterman fait partie du groupe Flammarion.
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LA MAIN
HEUREUSE
Dessin & Scénario
Frantz Duchazeau
Éditeur
Casterman
Collection
Professeur Cyclope
Date de parution
Avril 2015
SYNOPSIS
Les années 90, en France. Dans leur patelin, Frantz et son pote Mike s’ennuient méchamment... Mais ils
ont comme remède un élixir décapant : la Mano Negra ! Aussi, quand Mike vient annoncer à Frantz que
la Mano passe à Bordeaux, leur rêve semble enfin devenir réalité. Grimpez à l’arrière de la mob de Frantz
Duchazeau et laissez-vous embarquer pour un road trip voodoo ! La Main noire veillera sur vous.
L’AUTEUR
De son vrai nom, Frantz Duchazeaubeneix est né en octobre 1971 à Angoulême. Le 2 janvier 1993, ne
fuyant ni dictature ni répression militaire, il s’installe tranquillement à Paris. Il débute dans divers journaux
et magasines comme Spirou et Mickey. En 2002, il sort le premier volet de la série Igor et les monstres chez
Dargaud. Fort de ce premier coup d’essai, il publie, avec son copain Gwen de Bonneval au scénario, un
double album intitulé Gilgamesh. Puis il enchaîne plusieurs albums avec son autre ami Fabien Vehlmann:
La Nuit de l’inca, Dieu qui pue dieu qui pète, Les 5 conteurs de Bagdad, Le Diable amoureux. Le succès aidant, il se
lance dans une carrière solo en 2006 avec plusieurs albums tels que Les Vaincus, Le Rêve de meteor slim, Les
Jumeaux de conoco station, et Lomax, puis il part en tournée mondiale à la rencontre de son public avant de
revenir à la réalité. En parallèle Frantz s’essaye à l’illustration jeunesse pour Nathan, Flammarion, Milan,
Sarbacane. À suivre...
AVIS / CRITIQUE
On connaissait l’intérêt de Frantz Duchazeau
pour la musique du Delta, dont les alluvions
mélancoliques tapissent trois de ses productions
récentes : Meteor Slim, Lomax et Blackface Banjo. Ce
qu’on ne savait pas, c’est qu’avant de s’abreuver à la
source blues, le dessinateur originaire d’Angoulême
-qui a dit prédestination?- se baignait dans les eaux
internationales et tumultueuses de la Mano Negra.
Un amour de jeunesse au coeur de ce nouvel album
parfumé à la nostalgie des premières fois pleines de
promesses.
qu’on est censé aller à l’école, c’est l’autre bout du
monde...
Back to the nineties. Frantz trompe l’ennui de son
âge ingrat et d’un patelin endormi en dessinant
le désastre annoncé du mariage de ses parents.
Un vague à l’âme potentiellement toxique bientôt
balayé par la bonne nouvelle colportée à dos de
mob asthmatique par son pote Mike : leur groupe
fétiche, cette main noire cambouis qui tatoue les têtes
et les coeurs passe deux jours plus tard à Bordeaux,
soit à 100 km à peine de là. Un cadeau du ciel. Sauf
que 100 bornes quand on a quatorze, quinze ans et
Et voilà comment le surlendemain nos deux Tintin
se lancent dans un voyage semé d’embûches.
Comme redouté, leur meule les lâche en rase
campagne, ils manquent de se faire écraser par un
chauffard et croisent un ex-camarade déjà confit
dans la routine, l’image même de tout ce qu’ils
refusent de devenir. Heureusement, les deux lascars
peuvent compter sur le soutien d’adultes attendris
par ce trip qui réveille en eux les rêves enfouis sous
la pile des résignations.
16
Si Mike n’entend pas louper ce rendez-vous, en
revanche Frantz a quelques scrupules, vite balayés
par la vidéo du concert de la bande à Manu Chao
en Equateur, la musique ayant le don de projeter
l’ado dans un univers parallèle où les personnages
des pochettes vintage de Thomas Dornal -le gorille,
la danseuse de cabaret...- prennent subitement vie.
Vivons nos rêves Mike!, finit-il par hurler.
Une fois arrivés à bon port, et alors qu’ils pensent
avoir fait le plus dur, c’est la douche froide. Le
concert est sold out et les prix des places au marché
noir bien au-dessus de leurs maigres moyens. Mais
la chance sourit aux audacieux. Une rencontre
inattendue avec l’idole va leur ouvrir les portes du
paradis.
Ce road-movie carbure à la tendresse. Fidèle à son
trait doux et charbonneux, Duchazeau navigue
entre réalisme et flou artistique. Une sorte de
débraillé graphique étudié qui laisse infuser ici et là
le fantastique et la poésie. Comme quand son trait
se fait dentelle pour chorégraphier un pas de danse
Frantz Duchazeau se souvient comme si c’était
hier de cette journée de 1989, mémorable, à l’aune
d’un rêve devenu réalité : avoir vu la Mano Negra
en live ! C’est peu dire que Frantz et son pote Mike
sont fans de Manu Chao et de sa clique hétéroclite.
Quand un concert est annoncé à Bordeaux, à 100
kilomètres du village de Charente où ils vivent, ils
décident illico de faire le voyage sur la mobylette de
Mike, avec Frantz sur le porte-bagages. Commence
une poussive odyssée bricolée à 35 à l’heure qui,
d’incidents mécaniques en rencontres improbables,
dérisoire jusqu’au burlesque, d’une naïveté exaltée, se
clôt par l’intervention quasi magique de Manu Chao
en personne.
Peu importe, au fond, que le Duchazeau d’aujourd’hui
restitue avec exactitude les péripéties vécues hier : il
se déleste par intermittences de l’anecdote dans des
séquences intenses où l’imaginaire s’insinue et où le
fantasme prend le relais. L’auteur dévoile un ado hanté
par le divorce de ses parents qui se dessine mis en
pièces par un loup sanguinaire ; ou se remémore le
bonheur en apesanteur qu’il éprouve en visionnant
pour la millième fois la cassette vidéo d’un concert de
la Mano en Équateur... Duchazeau raconte comme il
dessine (voir, en particulier l’excellent Rêve de Meteor
Slim, 2008) : un style elliptique et à vif, qui crée une
pulsation, dégage une énergie immédiate, et qui, avec
peu de mots, laisse entrevoir, cette fois, un petit raz-demarée intime. Un critique de rock écrivait, à l’époque
: en concert, la Mano negra est une main noire vaudoue
qui opère son rituel chamanique sur des kids chauffés à blanc. Ils
repartiront, les yeux hagards, se demandant ce qui leur est ­arrivé.
Duchazeau le cite, façon de dire que, lui non plus, ne
s’en est j­amais tout à fait remis. Tant mieux.
Jean-Claude Loiseau
pour Telerama
suave avec la danseuse de la Mano, une scène qu’on
dirait empruntée au Polina de Bastien Vivès.
Tout le monde passe par là, on sort de l’enfance, on vit sa
petite vie et un jour on prend une grosse claque en découvrant
quelque chose, écrit Jackie Berroyer dans la préface.
Ce quelque chose ce n’est pas rien, c’est la magie
de la musique, cette faculté à cristalliser, illuminer
et sublimer les espoirs et aspirations fragiles de
la jeunesse. Duchazeau livre une version intime
touchante de cette quête existentielle.
Laurent Raphaël
pour Focus.levif.be
Frantz Duchazeau réussit un nouveau petit tour
de force sur fond de passion musicale, en nous
faisant partager cette expérience d’adolescent fou
de musique, remarquablement rendue. Le culte
qui entourait la Mano Negra en pleine gloire est
ici plus vrai que nature, les musiciens et leur leader
Manu Chao faisaient effectivement l’objet d’une
admiration presque sans limites. L’effet hypnotique
de leurs morceaux cultes est traduit visuellement
par des images oniriques et le corps de Frantz qui
flotte de bonheur entre rêve et réalité. Même si la
plupart des cases de cet album sont peu remplies et
si ses pages se lisent rapidement, l’auteur parsème sa
tranche de vie de moments de grâce fulgurants. Un
simple mouvement de corps, un petit changement
d’attitude et tout est dit. Duchazeau est un maître
de la narration, qui fait oublier en trois cases une
apparente économie de moyens. Alors certes, cet
album parlera plus à ceux qui ont touché du doigt
le phénomène Mano Negra, et qui auront été plus
sensibles aux épopées latino américaines de Manu
Chao qu’à l’exil fiscal de Florent Pagny. Mais ce
trip d’adolescents insouciants qui foncent vers un
moment inoubliable est universel. L’auteur en donne
sa version personnelle, pleine de références aussi
arbitraires qu’authentiques. Un très chouette album
d’auteur pour tous les publics. Contemporain, léger
et drôle.
Mick Léonard
pour Planetbd.com
17
Plan foireux ou chance unique d’assister à un
concert de la Mano sur Bordeaux ? Frantz et Mike
ont pris leur décision, ils vont se taper cent bornes
en mob’. Peu importe ce que disent les parent ou
qu’il y a école : la vie c’est pas un brouillon, c’est tout de
suite maintenant !
Toujours avec une chanson à la bouche, Frantz
Duchazeau (Lomax, Le rêve de Meteor Slim) se dévoile
un peu avec un épisode marquant de sa jeunesse
dans La main heureuse. Derrière une couverture
à l’esthétique discutable et un titre quelque peu
malheureux (l’auteur ne voulait certainement pas
faire d’ombre à Marc Dacier) se cache un petit récit
autobiographique déguisé en road movie au guidon
d’un bolide de 49 cm³ (attention, la béquille ne tient
pas). Deux adolescents décident de s’émanciper en
allant voir un concert de la Mano Negra, le combo à
la mode des rebelles alternatifs du début des années
quatre-vingt-dix. Quoi de plus emblématique que
le rock pour s’affranchir des codes sociaux et se
forger sa propre identité ? Par contre, avant l’extase
musicale, il y a de la route à faire.
18
Oscillant entre un minimalisme misant sur
l’évocation et un onirisme reprenant l’esthétique
des pochettes de disques et des clips de la bande à
Manu Chao, la narration demande une participation
plus qu’active au lecteur et laissera sans doute de
marbre ceux qui seraient directement passé du
punk au grunge. Heureusement, entre deux pogos
endiablés, le scénariste évoque avec sensibilité
sa propre situation personnelle (la puberté, la
réalisation de tout ce que le monde à offrir) et
familiale (ses angoisses face aux disputes entre ses
parents). Au final, ces différentes séquences finissent
par s’accorder et, grâce à un humour omniprésent,
à offrir une partition pleine de rythme et de fougue.
Une référence connue de (presque) tous associée à des
fragments autobiographiques, La main heureuse se
révèle gagnante, spécialement auprès des nostalgiques
de la Mala vida et de Puta’s Fever.
A. Perroud
pour Bdgest.com
HISTOIRE
DE L’ART
MACAQUE
Dessin & Scénario
Benoît Preteseille
Éditeur
Cornélius
Date de parution
Septembre 2015
SYNOPSIS
Un macaque défoncé aux champis qui barbouille sur des rochers des représentations du grand dieu singe:
telle est la genèse de cette histoire de l’Art revisitée façon primate, de ses balbutiements à l’ère préhistorique à ses dérives contemporaines. Une fresque cynique, bourrée de références théoriques et de clins
d’oeil picturaux, qui analyse avec lucidité une institutionnalisation de la création artistique marquée par ses
liens intrinsèques avec le pouvoir et l’argent, où rien ni personne n’est épargné.
Englués dans leur vanité et leur ambition, alléchés par le profit, les macaques se déchirent joyeusement
dans une recherche constante de nouveauté qui confine parfois à l’absurde. Scandales et provocations
finissent par faire de l’Art un vaste champ de spéculation où le public et l’État se félicitent de consommer
du culturel - et peu importe s’ils n’y comprennent rien, car ce qui compte, c’est d’être dans le coup.
À travers cette relecture iconoclaste autant que décalée, Benoît Preteseille pose la question de la légitimité
d’une oeuvre d’Art. Des conventions bourgeoises d’un Art officiel au snobisme d’une élite bien-pensante,
l’importance de ceux qui se croient habilités à juger de la valeur artistique d’une oeuvre a pris le dessus sur
les qualités esthétiques réelles, vidant de son sens la définition même de l’Art. Et si tout renouveau passe
par une rupture, il est peut-être temps de faire du passé table rase, pour redonner enfin à l’Art un nouveau
souffle et une vraie liberté.
L’AUTEUR
Après des études à l’École nationale supérieure des arts décoratifs en Scénographie, Benoît Préteseille
conçoit pendant quelque temps des décors de théâtre de cirque. Il crée ensuite les éditions Ion, où il
débute son exploration de la bande dessinée. En 2004, après l’obtention d’un post-diplôme de l’Ensad en
image de synthèse 3D et effets visuels, il fonde avec Wandrille Leroy les éditions Warum, où il publie de
ses premiers longs albums Dadabuk, L’Écume d’écume des jours en 2005, Sexy Sadie en 2006, marquant son
intérêt pour l’hybridation artistique. En 2006, il entame une collaboration avec La Cinquième Couche où
il publie L’Oiseau de Francis Picabia puis en 2007 L’Histoire belge. Preteseille a également publié un recueil de
poésie et est chanteur du groupe Savon Tranchand.
Sous l’emprise de quelques champignons
hallucinogènes, un singe -Yannick- macule de
boue arbres et rochers quand soudain une forme
se distingue de par sa ressemblance avec le Grand
Dieu singe.
AVIS / CRITIQUE
à reproduire à l’envie, du plus offrant au plus
puissant.
Très vite, son succès engendre rivalités et
imitations: art officiel, avant-gardes, reproductions
et provocations, toute la société se divise entre élites
Coïncidence ou inspiration divine, l’art macaque et masses populaires.
naît de ce geste primordial que Yannick s’évertuera
20
Histoire de l’art macaque revisite l’Histoire de d’ironie et d’enseignements !
l’Art et tourne en dérision ses différents courants
Pascal
en réduisant leur dynamique à celle de l’offre et de
pour Bulledor.blogspot.fr
la demande. Une hilarante remise à niveau pleine
L’ÉDITEUR
Fondées par Jean-Louis Gauthey, rejoint assez vite par Bernard Granger, les éditions Cornélius ont commencé
par éditer des ouvrages qui, bien que réalisés en sérigraphie, ne cherchaient pas à se vendre comme objets de
luxe - l’utilisation de la sérigraphie était ici motivée par un souci d’autonomie.
Cornélius est proche de l’Association, les deux structures ont un temps partagé leurs locaux et ont beaucoup
d’auteurs en commun. Le fait que les premiers livres de Cornélius soient de la main de piliers de l’Association
tels que Menu et Trondheim brouillera d’ailleurs un temps l’image de marque de Cornélius qui, selon son
fondateur, passe un temps pour être un satellite un peu bizarre de l’Association. Cornélius est pourtant un éditeur
bien différent, ses livres ont une fabrication bien plus soignée et ont chacun une très forte identité.
Cornélius n’a pas de logo, son identité visuelle pourtant très identifiable repose sur des contraintes chromatiques
et formelles et non sur ce que les graphistes appellent en général une maquette.
Cornélius a par ailleurs édité plusieurs séries de Comix (fascicules à périodicité régulière, en format moyen)
d’auteurs alors inconnus tels que David B. (Les 4 savants, Le Nain jaune), Joann Sfar (Ossour Hyrsidoux), Blutch
(Mitchum), Jean-Christophe Menu (Mune Comix) et Lewis Trondheim (Approximate continium comix).
Cornélius est sans doute précurseur pour ce format parmi les éditeurs « alter », rejoint depuis par l’Association
(format Mimolette) ou 6 pieds sous terre (format lépidoptère).
21
LA
RENARDE
Scénario
Marine Blandin
Dessin
Sébastien Chrisostome
Éditeur
Casterman
Collection
Professeur Cyclope
Date de parution
Mai 2015
SYNOPSIS
Amis des bêtes, passez votre chemin ! Amoureux des lapereaux mignons, des fermiers sympathiques ou des
chiens de gardes efficaces, cet album n’est pas pour vous. Car la Renarde, monstre de drôlerie, obtient toujours
ce qu’elle veut, quoi qu’il en coûte à ses adversaires ! Cette pro de l’arnaque au pelage chatoyant met sens
dessus dessous la petite communauté rurale qui l’entoure. Elle mange les bébés de madame lapine, bouffe les
poules du fermier et les fait tous tourner en bourrique... même Kevin le cheval. Un personnage à la malice
méphistophélique qui aligne les gags à la mécanique parfaite. Ne vous fiez pas à leur graphisme tout en rondeur,
Marine Blandin et Sébastien Chrisostome distillent un humour au cynisme implacable. En refermant l’album, il
y a de bonnes chances que vous murmuriez à vous-même : quelle saloperie cette renarde, tout de même...
LES AUTEURS
Marine Blandin est née en 1984 en région parisienne. Elle intègre en 2002 l’École européenne supérieure de
l’image d’Angoulême et y reste cinq années durant lesquelles elle se familiarise avec la bande dessinée, exécute des
commandes d’illustrations, prépare des décors pour Blue Spirit, un studio de dessin animé, et participe à l’exposition
et à l’album Ginkgo. En 2008, elle entre en résidence à la Maison des auteurs pour développer ses Fables nautiques
publiées aux Éditions Delcourt dans la collection Shampooing, en avril 2011. Cet album est sélectionné à l’occasion
du Festival d’Angoulême 2013.
Sébastien Chrisostome est né en 1980 à Montréal (Québec) par une température largement en dessous de zéro. En
toute logique, les dix premières années de sa vie se dérouleraient dans l’insouciance d’une enfance passée à jouer
dans les bois et à chasser les castors Il quitte le Québec pour la France en 1990. Après quelques années comme
graphiste dans la communication, il entre aux Beaux-Arts d’Angoulême en 2003. Depuis 2007, il est accueilli en
résidence par la Maison des auteurs d’Angoulême.
Comment résister à une telle couverture ? Avec son
graphisme épuré mais résolument design et moderne,
ses belles couleurs et ses personnages expressifs, son
format à l’italienne et son style un brin rétro, ce livre
attire immédiatement l’attention. On dirait presque
un livre pour enfant, gai et coloré. Et puis, on s’étonne
du regard des personnages. Non, ceux là n’égaieront
probablement pas les lectures des juniors. La renarde
a l’air un brin sadique, l’âne a une tête de schizo, le
loup est estropié et la lapine fait peur à voir.
AVIS / CRITIQUE
pauvre lapine en mangeant ses petits. Mais elle le
fait avec le sens du spectacle. En d’autres termes,
Renarde est théâtrale. A tel point que l’on ne parvient
pas à lui en vouloir, elle qui rend tout son petit monde
complètement désespéré.
Avec ces deux auteurs, la pyramide alimentaire est
illustrée de manière décalée. L’innocence animale,
si courante dans l’univers de la BD, en prend ici un
coup. Les bêtes sont devenues très humaines dans
leur manière d’être et ça n’est pas pour leur bien !
Cette bande dessinée cache donc sûrement autre Mais cela les rend aussi très attachantes.
chose. Et la réponse tombe tel le troupeau de
moutons de Georges dans le ravin : ça n’est pas du Le livre, qui est un recueil des gags parus entre 2013
tout pour les enfants !
et 2014 dans le magazine en ligne Professeur Cyclope, est
vraiment un petit bijou d’humour caustique. Si vous
La Renarde est d’un cynisme incroyable. On pourrait aimez les histoires drôles qui sortent des sentiers
même parler de perversité. Ses aventures, et celles battus, vous ne serez pas déçus par cette balade en
des autres animaux de la forêt et de la ferme, sont forêt !
l’occasion d’étaler l’humour noir des auteurs dans
Legoffe
ce décor pourtant verdoyant. La campagne idyllique
pour Sceneario.com
rime soudain avec sadique ! La renarde rend folle la
24
Leur personnage principal est une anti-héroïne qui a
tous les culots : la renarde gobe les lapereaux qui lui
passent sous la truffe, persécute le pauvre chien de
ferme et manipule le cheval du champ voisin. Dans
les strips absurdes ou cruels de La Renarde, Marine
Blandin et Sébastien Chrisostome dépeignent une vie
animalière dévoyée, le plus souvent comique.
Georges le chien, trop naïf
Marine Blandin : « Georges est le petit chien de
garde du poulailler. Il doit faire dix centimètres de
hauteur, ses oreilles caches ses yeux. Il est très gentil,
mais absolument pas efficace. Il part à l’assaut de la
renarde mangeuse de poules, qui joue la comédie. Elle
lui fait croire qu’elle se soumet sexuellement à lui. Ce
qui choque beaucoup le prude et timide Georges.
Cette page est l’une des premières que j’ai dessinées.
La renarde n’a pas encore sa forme définitive, les
personnages sont de façon générale un peu mous,
comme en pâte à modeler. Dans les planches qui
suivent, mon approche sera plus minimaliste, avec un
trait plus simple, moins vibrant. »
Sébastien Chrisostome :
« La renarde est assez
libre, elle vient mettre
le souk dans la tête des
autres. Pour moi, elle
représente la frustration:
elle est très rapide
intellectuellement, et
vit entourée d’animaux
lents. Elle se moque des
poulets ou lapins qu’elle
tue, elle crée une sorte
de chaos artistique.
Comme Bugs Bunny,
c’est une brute, elle
impose sa supériorité.
La faire évoluer est un très grand défouloir!
Kevin le cheval, trop timoré
Marine Blandin : « Kevin est un gros percheron qui
vit dans un champ. Cet ado dans l’âme n’a rien connu
d’autre, et s’en plaint vaguement. La renarde lui ouvre
un jour son portail, et lui propose d’aller voir ailleurs.
Ce qui se révèlera n’être pas si facile... »
Sébastien Chrisostome : « Kevin me sert à écrire
des tirades, à utiliser un vocabulaire particulier, des
formules étranges. Son langage est très parlé, amusant
rythmiquement. Quand on l’a imaginé, on regardait
beaucoup la série Kaamelott. »
Marine Blandin : « Je fais d’abord des recherches pour
les personnages, puis je les mets en scène. La renarde,
cette grosse saucisse Knacki, m’a pris du temps,
davantage que Kevin, aux yeux très expressifs. Après
le crayonné, j’encre au stylo, en essayant de trouver
une symétrie entre la première et la dernière case.
J’essaie des effets de mise en scène, par exemple le
gros plan sur la quatrième case de cette page. Sébastien
fait les couleurs sur écran. Pour le décor, nous avons
opté pour une trame sans spécialement chercher
un effet rétro. Mais un
fond un peu plus pâle,
dégradé,
permettait
aux personnages de
ressortir.»
Les
lapinous,
trop
innocents
Sébastien Chrisostome:
«
Quatre
petits
lapinous se baignent
innocemment. Quelque
chose
d’orangé
s’approche sous l’eau.
C’est la renarde qui
surgit pour les effrayer
et jouer avec eux. Tout le monde rit, c’est bon enfant
et estival. Quand c’est l’heure de rentrer, elle propose
Le premier strip de cet album m’est venu en entier, de les ramener et les gobe. La renarde est farfelue et
complètement écrit, dialogué, alors que j’étais dans vicieuse !
mon lit, un matin. C’était comme un rêve éveillé, un
délire ! Je ne saurais pas expliquer d’où cette renarde Le strip demande une approche rigoureuse,
vient... J’ai écrit deux ou trois gags avec elle, puis j’ai mathématique. On réitère le même point de vue dans
laissé tomber, je n’y arrivais plus. Ensuite, nous avons plusieurs cases. Comment notre duo fonctionne?
vu qu’une revue numérique de création, Professeur Je cherche les histoires, Marine dessine, je fais les
Cyclope [qui a depuis changé de formule, et de couleurs. Mais nous intervenons l’un et l’autre sur
périodicité, ndlr], allait être lancée. Marine a travaillé le travail de chacun – par exemple, quand j’étais en
le design des personnages, et nous avons proposé ce retard sur une histoire, je l’entraînais au café pour en
projet. Il s’agit de mon deuxième album animalier, je discuter. J’ai réécrit certains strips dix fois, parfois je
ne saurais dire pourquoi.... Je n’aime pas spécialement n’ai pas de chute, ou plusieurs thématiques parasitent
les Fables de La Fontaine, mais je comprends bien la l’idée originale. J’ai la phobie du gag à la Boule et Bill,
démarche, la représentation symbolique. Utiliser les où une information est masquée au lecteur pendant
animaux permet une distance, qui me donne sans tout le récit, et révélée au dernier moment. Je cherche
doute une plus grand liberté. Mais ce que j’aimerais plutôt le gag de situation, qui doit être drôle dès le
faire, c’est un récit de science-fiction avec des humains. début du strip. »
25
Les expérimentations du Professeur Cyclope
continuent sous les rotatives des éditions
Casterman, avec cette Renarde dynamisée par un
souvent réjouissant mauvais esprit. Marine Blandin
avait déjà marqué quelques premiers points dans
le paysage de la BD avec ses singulières Fables
nautiques. Elle réussit à ici bien mettre en place un
univers de livre d’enfant déformé à l’humour noir.
Le design subtilement décalé des planches assuré
par Sébastien Chrisostome apporte ce qu’il fallait
de rond et de légèrement dérangeant pour que le
tout prenne consistance de façon cohérente. Dans
le genre pastiche assaisonné à l’acide, cette Renarde
constitue une certaine réussite.
La renarde est aussi maline que cruelle. Avec son
sourire enjôleur et ses combines, elle vole les poules
sous le nez du chien qui les garde, et dévore une
portée de lapereaux pour le goûter. Mais ce n’est
pas tout, elle pourrait rendre dingue tous ceux
qui l’entourent. En plus de la lapine qu’elle rend
complètement dépressive, elle fait tourner en
bourrique loup, âne, chasseur, cheval, puces. Tous
ceux qui croisent sa route en sont pour leur frais.
tout vire à la catastrophe. On se régale, ses victimes
beaucoup moins. Les dialogues sont bourrés
d’humour noir ou absurde selon les moments, voir
les deux en même temps.
En deux mots : Une noire et rigolarde parodie de
livre jeunesse.
Damian Leverd
pour Bdencre.com
Le trait rond, un peu naïf, appuie ce côté absurde,
mignon et affreux à la fois. La colorisation très
tramée, aux teintes rétro, est particulièrement
jolie. La mise en scène est pleine de malice et
d’inventivité, aussi dynamique qu’un dessin animé.
En ça, le passage du numérique à la version papier
est très réussi, on a presque l’impression de voir les
personnages en mouvement. Leur design en dit déjà
long sur la personnalité de chacun, pour un résultat
adorable et complètement décalé par rapport au
propos. Ils sont tous très expressifs, donnant encore
plus de mordant aux dialogues.
Forcément, le parallèle avec Le grand méchant renard,
bande dessinée elle-aussi en strip mettant en scène
tout un petit monde assez semblable à celui de
La Renarde, se fait rapidement. Mais le héros de
Benjamin Renner est aussi naïf que cette renarde
est vile. On ne joue pas ici dans un registre touchant
à l’humour fin, plutôt dans le bête et méchant. Et
La Renarde fait fort dans son genre. Si tant ait qu’on
n’ait rien contre des massacres de petits lapereaux La Renarde, c’est 104 pages de méchanceté presque
mignons, le résultat est jubilatoire.
gratuite et d’estomac rempli, des personnages
attachants à qui il n’arrive que des malheurs et une
Dans des strips courts et incisifs, Marine Blandin héroïne bien plus vile et rusée que La Fontaine
et Sébastien Chrisostome construisent leur petit n’aurait osé l’imaginer.
univers constitué de personnages pas forcément
très malins, mais attachants, auxquels la renarde
Elsa
vient pourrir la vie avec détachement et talent. Il
pour 9emeart.com
suffit qu’elle débarque de son pas léger pour que
26
MOONHEAD
ET LA
MUSIC
MACHINE
Dessin & Scénario
Andrew Rae
Éditeur
Dargaud
Date de parution
Janvier 2015
SYNOPSIS
Joey Moonhead est un jeune garçon ordinaire à un détail près : il a une lune à la place de la tête. Une tête
capable de voyager aux côtés des étoiles ou aux fonds des océans. Génial ? Pas vraiment... Être le souffredouleur du lycée, c’est pas très fun. Joey se réfugie alors dans la musique et ses disques et s’imagine en
guitariste célèbre. Une sublime histoire d’initiation, remarquée par la presse anglo-saxonne.
L’AUTEUR
Andrew Rae est né, vit et travaille à Londres, Royaume-Uni. Il est illustrateur, graphiste, et directeur
artistique. Ses travaux ont été vus et appréciés à la télévision, dans des publicités, ainsi que dans des
galeries d’art et des livres. Membre du collectif pluridisciplinaire Peepshow, Rae a comme clients la BBC,
MTV Asie, Time Magazine, The Guardian, Vice, The New York Times, Die Zeit, American Express, Puma, Sony...
En 2007, son court-métrage Stunt a été diffusé par Channel 4. Le travail d’Andrew Rae est tout à la fois
sophistiqué et amusant, à l’aise tout autant dans une pub Microsoft qu’à la Modern Tate, pour qui il a
désigné une ligne de t-shirts, de posters et de livres.
Comment ne pas répéter ce qui a déjà été dit
dans toutes les langues sur le thème ultra rabâché
de l’ado mal dans sa peau et souffre-douleur des
emmerdeurs de service? Poil de carotte, le classique
de Jules Renard, ou plus récemment, et dans des
registres forts différents, Harry Potter, We Need to
Talk about Kevin, Elephant, et jusqu’au biopic The
Imitation Game recensant les affres du jeune Alan
Turing qui façonneront sa personnalité agitée, ont
labouré intensivement ce champ affectif.
L’Anglais Andrew Rae, dont c’est la première
incursion au rayon BD, a pourtant déniché un lopin
de terre vierge où planter sa petite graine graphique.
Au récit dramatique ou au traitement humoristique
façon teenage movie, ce directeur artistique toucheà-tout (il est membre du collectif pluridisciplinaire
Peepshow et travaille pour de grandes marques
comme pour les principaux médias de sa Majesté) a
préféré la métaphore psyché pour aborder les rives
sauvages de l’âge ingrat. Larguez les amarres du
réalisme...
Joey Moonhead porte bien son nom. Ce collégien
presque ordinaire est en effet affublé d’une tête en
forme de lune. Comme ses parents. Une incongruité
physique dont ne semblent s’émouvoir ni sa
meilleure -et seule- amie Sockets ni son cauchemar
vivant, Douglas, qui non content de l’humilier à la
moindre occasion se tape la fille qui fait fantasmer
28
AVIS / CRITIQUE
tout le bahut, Joey le premier.
L’avantage de cette drôle de cafetière, c’est qu’elle
lui permet de s’échapper du réel sans se faire
trop remarquer. Son corps est bien présent mais
sa tête est en vadrouille. On la croise tantôt dans
l’univers, tantôt dans un jardin d’Eden au bras de
la sculpturale Melissa. Joey vit dans ses rêves. Voilà
pourquoi il est souvent aux abonnés absents quand
quelqu’un l’interpelle. Un garçon qui a la tête dans
la lune, au sens propre et figuré...
Quand l’école annonce l’organisation d’un radiocrochet, il y voit une occasion de sortir du placard des
losers. D’autant que la musique stimule chez lui ce
pouvoir d’évasion. Avec l’aide de Ghostboy, un fantôme
bricoleur et mélomane sorti de nulle part (sinon de son
imagination), il va fabriquer un instrument magique
dont les sons colorés vont transformer les élèves en
monstres inoffensifs. On se croirait chez Miyazaki
dans cette évocation de la différence par le prisme
faussement enfantin du fantastique.
Voilà en tout cas Joey propulsé d’un coup au sommet
de la coolitude, ce qui ne va pas tarder à le mettre en
confiance. Un peu trop même. Il ne va pas hésiter à
jeter Sockets comme une vieille... chaussette quand
Douglas et Melissa feront mine de s’intéresser à son
sort. Mais leur véritable nature ne tardera évidemment
pas à resurgir.
Sur une trame finalement très classique, l’auteur persécutés de tous poils. Osons le jeu de mots: pour
réussit à renouveler le mythe de l’ado mal-aimé et son premier essai, Rae n’est pas loin de... décrocher
différent en le parant des atours de la métaphore la lune.
onirique cousue dans une ligne claire soyeuse aux
Laurent Raphaël
effets légèrement psychédéliques. Une démonstration
pour Focus.levif.be
originale de la puissance de l’imagination, refuge des
Moonhead est un adolescent différent, mais les
adolescents ne sentent-ils pas tous différents ?
Chahuté ou ignoré, cet âge est sans pitié, il se rêve
musicien adulé, la rencontre avec Ghostboy, un
autre garçon à part, sera décisive. Mais pourquoi
doit-il laisser au bord de la route Sockets, sa seule
amie ?
Une bédé anglaise qui parle de musique, de solitude,
d’incommunicabilité, une bédé cruelle comme
l’adolescence, mais aussi une bédé anglaise fraiche,
tendre et délicate comme un premier baiser. Avec
Moonhead et la Music Machine Andrew Rae
revisite et réinvente un genre plutôt encombré : la
Teenexploitation.
L’adolescence, ce moment compliqué où le
corps et l’esprit vivent une collaboration difficile.
Hyperréaliste et poétique le dessin d’Andrew Rae
réussit à ouvrir une porte vers le propre imaginaire
du lecteur et tout au long des cases ce sont nos
souvenirs qui affluent en même temps qu’une
bouffée de nostalgie. La musique a le pouvoir de
panser nos plaies et de nous libérer de nos peurs, la
Musique, l’infirmière bienveillante des teenagers du
monde entier.
Andrew Rae, dans ce bel album, réussit le grand
écart entre Winsor Mc Cay et son Little Nemo et
Moëbus pour l’ensemble de son œuvre. Moonhead
et la Musique Machine concentre rien de moins
qu’un siècle de bande dessinée.
Michel D
pour Baz-art.com
Andrew Rae est un artiste londonien aux talents
variés : illustrateur, graphiste, membre d’un collectif
appelé Peepshow et même directeur artistique.
Nous le découvrons en France avec ce one-shot
nommé Moonhead et la music machine.
Dès les premières pages, nous nous rendons bien
compte que l’artiste va nous emmener dans un
drôle de voyage. L’histoire met en scène Joey, un
lycéen qui a la particularité d’avoir une tête en
forme de Lune. Cela donne des situations pour le
moins cocasses où des camarades de classe jouent
avec sa tête. Andrew Rae met en scène un héros
différent mais qui par son goût pour la musique va
réussir à se faire accepter par les autres. L’approche
fantaisiste d’Andrew Rae ne se limite pas à un
choix de protagoniste atypique, l’artiste propose
aussi un univers étonnant. Les effets produits par
l’instrument créé par Moonhead risquent d’ailleurs
d’en surprendre plus d’un.
Si l’originalité est de mise, le fond est
malheureusement un peu léger et l’album se lit
assez vite. On en profitera pour passer un peu plus
de temps à imaginer la bande son adéquate à ce
comics hanté par la musique. Le trait d’Andrew Rae
est très fin et ses dessins sont globalement bons.
Atypique mais pas non plus excentrique, cet album
est une jolie découverte pour qui apprécie les récits
différents.
Mickaël Géreaume
pour Planetebd.com
29
Cette bande dessinée Moonhead et la Music
Machine parle de manière fort originale de
l’impitoyable univers adolescent : celui où la loi est
celle du plus beau, du plus riche et du plus fort.
Celui où la moindre petite différence, le moindre
petit handicap te fait devenir la risée de tout le
monde, la tête de Turc, le souffre-douleur...
changement qui s’opère entre la première partie de
l’histoire (dans laquelle Moonhead est un loser) et
la seconde partie où il est en passe de réaliser le
rêve de beaucoup de gosses : devenir devant tout le
monde la star que personne ne soupçonnait, exister
enfin aux yeux des autres (aux yeux des filles !)…
Bref, être reconnu pour ce qu’il est et ce qu’il fait de
bien, pas pour l’image qu’il donne et qui apporte de
Joey Moonhead, le héros, est de ces malheureux l’eau aux moulins des gens malintentionnés...
derniers. Il est du genre humain mais est
volontairement représenté avec une différence Il y a une bonne dose de vintage, dans l’esprit cette
de taille puisqu’il a une lune à la place de la tête! BD, un peu du Soil d’Atsushi Kaneko, aussi, dans
Une lune qui se décroche même parfois de son son graphisme. Pourquoi pas des Simpson et de
corps pour s’en aller rêver plus loin ou y chercher Monstres & Cie... Il y a des moments durs et des
l’apaisement. Bref, une différence loin d’être réaliste, moments magiques... Du beau et du laid... De l’être
c’est le moins qu’on puisse dire, ce qui fait que cette et du paraître... Et tout ça s’entremêle en musique
chronique du mal-être en devient une fable.
pour nous parler de différence et d’acceptation,
d’amitié et de trahison, d’angoisse et de confiance
Le dessin et les couleurs participent à ce format en soi. Bref, de la vie, quoi.
fable : ils font facilement glisser le propos du
Sbuoro
réaliste vers le fantastique avec leurs volutes et
pour Sceneario.com
leurs tons. Ils comptent aussi énormément dans le
L’ÉDITEUR
Dargaud est une maison d’édition spécialisée dans la bande dessinée fondée par Georges Dargaud en
1936.
En 1960, Dargaud rachète l’hebdomadaire Pilote créé l’année précédente par Jean-Michel Charlier, René
Goscinny, Albert Uderzo avec le soutien de Radio Luxembourg. Parallèlement au succès de la presse
et dès 1961, Dargaud se lance dans la production d’albums lentement d’abord, puis de manière plus
intensive. C’est l’âge d’or de la bande dessinée et de Pilote qui rassemble tous les talents.
Après le premier Astérix, tiré à 6 000 exemplaires, paraissent les premiers numéros de séries qui feront le
tour du monde et qui populariseront la bande dessinée telle que nous la connaissons aujourd’hui. D’Achille
Talon à Iznogoud et Valérian, en passant par les romans graphiques d’Enki Bilal, de Philippe Druillet et de bien
d’autres créateurs tels Gotlib, Claire Bretécher, Lauzier, Cabu, Fred etc.
En 1984, Dargaud est la première maison d’édition européenne de BD maîtrisant plus de 40% du marché
avec une production annuelle de 20 millions d’ouvrages diffusés dans son réseau français et international
et un catalogue de 1500 titres.
Dans les années 90, Dargaud fait entre autre l’acquisition du Lombard, des Éditions Blake et Mortimer, du
Studio Jacobs et des titres du catalogue JMC (Jean-Michel Charlier, nouveautés Barbe Rouge et Blueberry).
La fin des années années 1990 verra le développement du manga avec Kana et la constitution de Lucky
Comics dédié à l’exploitation des droits de Lucky Luke.
En 2004, Dargaud est contrôlé par la holding Média-Participations et dirigé par Claude de Saint Vincent.
30
LE JOUR
LE PLUS
LONG
DU FUTUR
Dessin & Scénario
Lucas Varela
Éditeur
Dargaud
Date de parution
Avril 2015
SYNOPSIS
Dans une ville futuriste, un robot et un employé de bureau sans histoire vont voir leur existence chamboulée
par l’arrivée d’un étranger portant une mystérieuse valise. Cette dernière donne accès à une étonnante
pièce permettant la matérialisation des désirs inconscients. Des désirs qui peuvent être tendres, absurdes
ou monstrueux. Et qui bouleverseront à jamais la vie de la ville et de ses habitants.
L’AUTEUR
Lucas Varela est né à Buenos Aires en 1971. Après des études de graphisme à l’université de Buenos
Aires, il fonde avec l’écrivain Roberto Barreiro le fanzine Kapop, dont six numéros paraissent entre 1998
et 2001. Il y dessine la plupart des récits, s’essayant avec bonheur à de nombreux styles graphiques.
Parallèlement, il travaille entre 1996 et 2002 comme dessinateur et graphiste pour le quotidien Clarín. Ce
travail sera récompensé par la Society of News Design. Il se consacre pleinement à la bande dessinée et
l’illustration depuis 2002.
Dans le domaine de la bande dessinée, il publie en Argentine le recueil d’histoires courtes Estupefacto
en 2007. Paolo Pinocchio, version cynique du personnage de Collodi, y fait son apparition. Un second
recueil, Matabicho, paraît en 2009 ; avec l’auteur Carlos Trillo, récemment disparu, il réalise La Corne écarlate
et L’Héritage du Colonel, Sasha Despierta et la série la jeunesse Ele.
Paolo Pinocchio, son premier album en tant qu’auteur complet, est publié en Espagne en 2011, puis en
France en 2012 par les éditions Tanibis. Parallèlement, son œuvre plastique est exposée dans les galeries
Casa L’inc, Turbo Galería, El Serpa et le Centro Cultural Recoleta. Il travaille régulièrement pour l’agence
anglaise Dutch Uncle et la revue mensuelle Fierro. Accueilli quatre mois en résidence en 2011 avec le
scénariste Diego Agrimbau pour la bande dessinée Diagnotics, il s’installe aujourd’hui à Angoulême pour
réaliser Le Jour le plus long du futur.
Lucas Varela on le connait depuis quelque
temps, surtout grâce à ses remarquables albums
Paolo Pinocchio et Diagnostics qui nous montraient
l’incroyable habileté de cet artiste hors norme qui
aime jouer avec ses mises en page, avec le format, les
styles graphiques et une narration très personnelle
et d’une grande fluidité !
AVIS / CRITIQUE
surtout de fil conducteur pour le reste, tout le délire
qui va suivre, même s’il s’agit d’un délire somme
toute très cohérent... De plus, Varela opte pour une
histoire sans dialogue, tout passe par le cadrage, les
regards, les effets de transition, c’est particulièrement
efficace. Mais cette technique évite aussi aux lecteurs
de se perdre dans des explications trop littéraires, il
faut se laisser mener, s’immerger dans le récit et en
Dans ce nouvel album, il nous entraîne dans un comprendre intuitivement la logique. Petit à petit
futur hypothétique peuplé de robots divers, de tout devient limpide, on est captivé !
machines volantes, d’une technologie qui s’immisce
dans toutes les strates de la vie quotidienne. Dans Le scénario est d’autant plus habile et intelligent
ce futur, deux énormes groupes industriels se font qu’il arrive à faire passer des idées assez audacieuses
la guerre à grand renfort de publicités comparatives sans un seul mot !
et agressives. Au milieu de tout ça, des employés
de bureau et un robot se retrouvent mêlés à une Graphiquement, c’est vraiment magnifique. Un trait
étrange affaire d’espionnage industriel qui part très extrêmement pur, en ligne claire, avec ce qu’il faut
vite en live !
d’expression, d’une légère touche cartoony... C’est
un vrai régal d’un bout à l’autre.
Et c’est ce qui rend l’album si difficile à résumer car
l’intrigue n’est en soi pas très importante, elle sert On se laisse vite conquérir par cet exercice de style
32
très ambitieux qui nous montre d’une part que Lucas Ce Jour le plus long du futur est un album que je
Varela est une valeur sure qu’il faut absolument vous conseille vivement. A découvrir sans plus
surveiller de très près, d’autant que chaque album attendre !
est d’une très grande maîtrise tant formelle que
Fredgri
narrative, mais ensuite qu’il est possible de faire
pour Sceneario.com
de la SF complètement atypique, ludique, à la fois
légère tout en restant sérieuse et profonde...
Un monde de SF, une ville de haute technologie au
sein de laquelle deux sociétés d’agroalimentaire se
mènent une lutte sans merci pour le pouvoir. Un
savant fou, des agents doubles, un petit employé
malchanceux, un vieux pervers, un robot gentil
mais pas trop, et un extraterrestre qui vient mettre
la pagaille… Voilà les acteurs de ce cartoon muet et
haletant, un régal de bande dessinée.
Quelque part dans la galaxie, sur une planète
lointaine, deux méga-entreprises se partagent le
pouvoir, tout en se livrant une guerre sans merci
pour éliminer l’autre. Complots, attentats ou guérilla
technologique, tous les moyens sont bons pour
annihiler la concurrence. Le crash d’une soucoupe
volante extra-terrestre va, peut-être, changer la
donne.
Dessinateur argentin talentueux de L’Héritage du
colonel (avec Carlos Trillo) et Diagnostics (avec Diego
Agrimbau), et auteur espiègle de Paolo Pinocchio, Lucas
Varela confirme avec ce one-shot muet tout le bien
qu’on pensait déjà de lui. Avec un beau sens du détail
et du rythme, et une ligne claire impeccable, il propose
une folle cavalcade qui ne dure qu’une journée, mais
qui mettra sa ville du futur à feu et à sang. Jamais les
mots ne paraissent manquer, tout est extrêmement
clair et fluide, l’intrigue passant d’un personnage à
l’autre sans heurt, et les enchaînements de séquence
paraissant toujours très naturels.
Lucas Varela entraîne le lecteur dans un monde à
mi-chemin entre la Ville-puit chère à John Difool et
le Brazil de Sam Lowry. Sous couvert de sciencefiction, le scénariste a en fait tissé une fable, un
réquisitoire quasiment, contre le consumérisme
et le capitalisme sans foi ni loi. L’individu n’existe
plus, il n’est qu’un pion dans un gigantesque jeu
sans pitié. D’ailleurs, il a perdu la parole.
On tourne alors les pages avec avidité, en riant
souvent devant des gags délicieux dignes de l’âge
d’or du cinéma muet, et en se passionnant pour un
monde foutraque et original, recelant mille surprises.
À tel point qu’on aimerait y passer plus de temps,
explorer plus en détail cette société morne aux
couleurs pastel, se réjouir des trouvailles graphiques
qui explosent sans prévenir… Un bel exercice de
genre, hautement maîtrisé et toujours orienté vers
le plaisir de lecture. Bravo !
Benjamin Roure
pour Bodoi.info
En effet, l’album a comme caractéristique d’être
muet. À la place des dialogues ou des digressions,
ce sont donc les événements qui dictent le ton et
rythment la lecture. Varela se joue de cette difficulté
formelle et offre un joli récital narratif. Mieux
encore, malgré la complexité des complots et de
l’accumulation des trahisons, ce thriller se révèle
des plus prenants et passionnant à suivre.
Quand les mots sont absents, c’est au dessin que
revient tous les rôles. La ligne claire mâtinée de
design japonisant des illustrations donne aux
planches toute la lisibilité nécessaire pour bien
suivre le récit.
Parfaitement calé dans son univers, le dessinateur se
fait également plaisir avec de grandes compositions
urbaines au look rétro-futuriste tout à fait admirables.
De plus, l’artiste argentin a semé, au fil des chapitres,
une multitude de références aux classiques (BD,
romanesques ou cinématographiques) de la S-F.
Ces petits clins d’œil apportent un supplément
sympathique que les amateurs du genre s’amuseront
certainement à détailler.
En dépit d’une intrigue finalement assez convenue,
Le jour le plus long du futur se démarque par sa
construction savante et très maîtrisée.
A. Perroud
pour Bdgest.com
33
EMMETT
TILL
Dessin & Scénario
Arnaud Floc’h
Éditeur
Sarbacane
Date de parution
Avril 2015
SYNOPSIS
De nos jours, un homme blanc, jeune journaliste, questionne un vieux musicien noir. En fait il s’intéresse
assez peu au blues : il voudrait savoir quels ont été – 60 ans plus tôt – les liens du musicien (alors âgé
de treize ans), avec Emmett Till. Et le bluesman, non sans émotion, accepte de parler, et de remonter le
temps...
L’AUTEUR
Né en 1961, en Bretagne à côté de Brest, je débarque au Cameroun (à N’gaoundéré) à 3 mois. Je vais
rester en Afrique noire, Cameroun puis Niger jusqu’à l’âge de 16 ans. Retour chaotique et échec scolaire
à Brest. S’ensuivent quelques années compliquées faites de pas grand chose. En 1984, retour définitif
en France, arrivée à Paris pour tenter de gagner ma vie par le dessin. Résultat, je me retrouve coursier à
l’UNIL-ACCIL, administration liée au Ministère du logement ! Et ce sont eux qui me confient par hasard
mes premières illustrations dans leurs revues inter-professionnelles. Larousse les aperçoit et me demande
d’illustrer une série d’encyclopédie - premier vrai boulot d’illustre ! Puis un D.A. de chez eux me présente
à Filipinni chez Glénat, et suivront du coup une dizaine de collaborations BD sous forme d’histoires
courtes et deux albums chez Glénat (sous le pseudonyme d’Arnaud Fontaine) et chez Trihan. Rencontre
à nouveau importante avec Gérard Dole, scénariste, musicien, romancier... que du bonheur.
En 1988, mon épouse est nommée comme professeur de philosophie à Montargis. Je la suis et décide
d’y monter mon studio de pub. Parallélement au studio, découverte du monde de l’imprimerie et de la
photogravure. Puis ma fille naît et nous sommes en 1989. L’argent arrivant un peu, nous décidons, en
famille cette fois, de repartir en Afrique régulièrement ! Et c’est la découverte du Mali et de la famille
Dolo qui deviendront des amis intimes et une troisième rencontre artistique importante en la personne
d’Ahaminghere Dolo, sculpteur dogon. En 1998, des amis dessinateurs de BD me poussent à revenir
vers l’illustration et me présentent à un jeune éditeur, Triskel. À partir de cette date se suivront diverses
publications qui ne me feront pas arrêter la communication graphique pour autant, (même si aujourd’hui,
mon souhait serait de pouvoir consacrer plus de temps au travail de création tant littéraire que graphique).
Le récit bouleversant des derniers jours de la courte
vie d’Emmett Till est raconté par un vieil homme,
bluesman, qui était l’un des camarades de jeu de la
victime au moment du drame. L’auteur nous décrit
la ségrégation ambiante de l’époque, avant d’entrer
dans les détails qui ont abouti au kidnapping et au
meurtre du petit Emmett Till. Un garçon crédule, sûr
de son bon droit mais ignorant les règles racistes qui
régnaient dans le Mississipi (le Sud étant en retard
par rapport aux progrès sociaux de Chicago, dont
Emmett Till était originaire). Il finit assassiné pour
être entré dans une épicerie tenue par une femme
blanche, qui s’est plainte au près de son mari.
AVIS / CRITIQUE
Floc’h ne nous épargne pas. Rapidement identifiés
comme suspects, puis accusés du meurtre, ils furent
acquittés par un jury exclusivement composé de
blancs… Une histoire effroyable, d’autant plus
lorsqu’on la met en perspective avec des faits divers
de notre temps (l’affaire Trayvon Martin en 2012, ou
encore celle de Michael Brown, dite de Ferguson en
2014).
Servi par le dessin réaliste d’Arnaud Floc’h, l’album
est mis en scène avec sobriété et efficacité. Un joli
coup de pinceau, qui donne une profondeur naturelle
au récit.
Gaël Bissuel
Ce dernier accompagné de son beau-frère passèrent à
pour Publikart.net
l’acte dans une expédition punitive atroce, qu’Arnaud
36
Tout le monde connait l’histoire de Rosa Parks, cette
Américaine noire qui refusa de céder sa place à un
Blanc dans un bus d’Alabama, en 1955, fait divers
où s’illustra un jeune avocat, Martin Luther King.
L’histoire d’Emmett Till, la même année, est moins
connue et beaucoup plus abominable, d’une part
parce qu’il s’agit d’un adolescent, d’autre part parce
qu’il fut sacrifié au nom d’un racisme ordinaire, enfin
parce que le procès qui s’ensuivit fut une mascarade…
Le 24 août 1955, Emmett Till, jeune noir de 14 ans,
débarque en gare de Money, une bourgade paumée
dans le Mississippi où les Blancs n’ont toujours pas
digéré leur défaite de la guerre de Sécession. Vivant
à Chicago, Emmett est envoyé par sa mère chez son
oncle Moïse afin d’apprendre la vie et s’endurcir en
participant aux durs travaux des champs. Du haut de sa
jeune insousciance adolescente, il ne se doute pas qu’il
vit les ultimes jours de sa courte vie... Pour avoir osé
entrer dans un drugstore réservé aux Blancs, le jeune
Emmett Till habite Chicago où le racisme est plus Noir sera mis à mort après avoir subi d’abominables
«discret», pourrait-on dire, que dans le Sud. En 1955, il tortures ! Son pauvre corps aux yeux arrachés sera
a 14 ans et sa mère l’envoie chez ses cousins, à Money, finalement balancé dans la rivière du coin.
un petit bled du Mississipi. Le Sud, c’est cette région
où les Noirs ont trimé plus que de raison au service Via de longs flash-back, entrecoupés par les échanges
de planteurs exploitant leur force physique, rabaissant contemporains entre un journaliste qui interroge un
ouvertement les négros et abusant des jeunes négresses témoin direct du drame, Arnaud Floc’h reconstitue les
parce que la chair est triste, hélas! La bonne conscience derniers jours d’Emmett Till et sa terrible exécution
des Blancs made in USA et leur suffisance mentale, par deux abrutis racistes, violents et alcooliques.
sous couvert d’une religion qui ne condamnait même Le comble de l’atroce est atteint quand on apprend
pas leurs actes, les pousse à
qu’après un jugement inique,
brimer, à frapper, sans état
les deux assassins seront
d’âme ce qui n’est pas blanc,
acquittés et iront jusqu’à se
car les réflexes esclavagistes ont
vanter de leur exploit dans un
la vie dure et le lynchage excite
magazine américain. Immonde
encore certains esprits. Alors,
!
quand le jeune Emmett, jovial
et confiant, se permet une
C’est un Arnaud Floc’h
plaisanterie à peine potache
en colère qui livre ici son
vis-à-vis d’une commerçante,
plus bel ouvrage (à ce jour),
dans un magasin réservé aux
mûri au fil d’une longue
Blancs, la violence inhumaine
réflexion. Généreux, édifiant
d’individus sûrs de leur bon
et humaniste, le propos de
droit, rejaillit sans honte, les
l’auteur est un long cri de
invitant à commettre jusqu’au
rage pour dénoncer l’ignoble
meurtre des atrocités sans
et l’inavouable, la bêtise et
nom sur ce gamin à l’humeur
l’infâmie que constitue la
conviviale.
plus bête des tares humaines:
le racisme. Jamais voyeur, le
Cette histoire, Arnaud Floc’h la délivre par séquences, dessinateur tisse un récit tout en suggestions, optant
au fil d’un entretien entre un vieux bluesman et un pour des cadrages évitant de montrer de façon
jeune journaliste venu, semblait-il, pour une chronique trop crue l’horreur. Au contraire, Floc’h la suggère,
musicale. Habilement construite, l’évocation de la donnant à cet immonde fait divers encore plus de
triste destinée d’Emmett se découvre peu à peu, force. Au point de secouer son lecteur, si ce n’est lui
autant que la vie de ces deux hommes et de ce qui tirer quelques larmes, face à la tragédie vécue par le
peut les réunir, 60 ans plus tard.
petit Emmett. Un livre bouleversant.
De son trait réaliste, Floc’h brosse une galerie de
portraits peu reluisants d’où émergent implacablement
l’injustice, l’inacceptable, l’écœurement face à
ces Derniers jours d’une courte vie (sous-titre de
l’ouvrage) dans ce Mississipi où les miasmes des
marais semblent avoir pourri les cerveaux des Blancs,
évidemment plus riches et tout-puissants que les
miséreux qui vivent dans leurs cabanes en bois, à
l’écart des villes.
Didier Quella-Guyot
pour Bdzoom.com
À noter : fort à propos, ce remarquable ouvrage,
soutenu par Amnesty International, dispose d’un
passionnant dossier historique signé Chantal Lévy qui
nous entraîne encore plus loin au pays de l’horreur.
C’était il y a seulement 60 ans.
Brieg Haslé-Le Gall
pour Auracan.com
37
Arnaud Floc’h remonte au 24 août 1955. Ce jour-là,
un adolescent noir, enthousiaste et volubile, prend
le train. Emmett vient de Chicago, il rejoint son
grand-oncle pour les vacances. Il a la spontanéité
et l’impudence d’un Noir qui a grandi loin de la
ségrégation sudiste. De quoi inquiéter son oncle,
et à raison. Car c’est un comportement que goûte
peu l’épicière, Carolyn Bryant. Elle se dit outragée
après que le jeune Emmett l’a interpellée. Elle sera
bientôt vengée par son mari et son demi-frère.
Torturé, énucléé, abattu et jeté dans le lac, ainsi a
fini sa courte vie d’Emmett Till. Acquittés, les deux
meurtriers n’hésiteront pas à avouer ensuite leur
méfait dans la presse (puisque la justice américaine
interdit de juger deux fois pour le même crime).
Difficile de raconter une histoire dont tout le
monde connaît la fin. Encore plus lorsque celleci est dramatique. C’est donc par un petit détour
qu’on remonte la trace du jeune Emmett. Celle
d’un vieux Noir, bluesman, et d’un jeune Blanc,
journaliste. Il prétend vouloir l’interviewer sur sa
musique. Mais ce qui l’intéresse vraiment, ce sont
les souvenirs du vieux musicien. Son père était un
ami de l’oncle d’Emmett, et l’ado qu’il était a vécu
L’ÉDITEUR
de près le drame. Cette tentative d’incarner l’histoire
dans des personnages d’aujourd’hui est louable. Le
récit, qui vogue entre passé et présent, parvient à
garder sa fluidité, notamment grâce au travail sur
les couleurs de Christophe Bouchard, qui alterne
avec justesse les ambiances. L’auteur ne tranche pas
forcément sur une version définitive des faits : on
ne sait si Emmett est vraiment entré dans l’épicerie,
ce qu’il a dit exactement à l’épicière, ou s’il l’a sifflée
dans la rue. Une prudence appréciable, sachant qu’à
l’inverse il n’y a aucun doute sur les conséquences:
le corps repêché quelques jours plus tard était
méconnaissable après tant de violence.
Cependant, ce système narratif manque quelque
peu de subtilité sur la longueur. Dès lors, l’ouvrage
se lit avant tout pour sa dimension pédagogique.
Et la mise en lumière de cet épisode après les
événements de Ferguson ou plus récemment de
Baltimore, n’est pas anodine. Elle montre que
soixante ans après, il est malheureusement toujours
d’une actualité brûlante.
Sophie Gindensperger
pour Bodoi.com
Redonner sa place à la lecture, dans des albums jeunesse à la fois exigeants et à la portée de tous : c’est, à
sa création en 2003, la ligne éditoriale de Sarbacane, qui vient de fêter ses 10 ans.
Au bout de la sarbacane, il y a l’envie d’aller loin, de toucher juste, de piquer l’intérêt et la curiosité. Et la
conviction que le texte, le propos et l’histoire sont trop souvent les parents pauvres d’albums séduisants sur
le plan visuel, mais décevants côté lecture, et pas toujours très parlants ni suffisamment attachants pour
leur premier public : les enfants.
Saveur d’une bonne histoire, humour et complicité avec le lecteur quel que soit son âge, simplicité
n’empêchant pas la profondeur… C’est la touche Sarbacane, avec les meilleurs auteurs et illustrateurs du
moment, à découvrir au fil des pages.
Avec les années, la maison a su aussi se diversifier tout en continuant d’innover : en novembre 2006, elle
lance une collection de romans Nouvelle génération tournée vers les grands ados et jeunes adultes, sous le
label Exprim’, qui a fait bouger les lignes. Puis en 2007, elle démarre un catalogue BD pour enfants et
pour adultes, aussi ouvert et exigeant que celui de l’album jeunesse, qui sera vite identifié par le public et
les professionnels.
38
PAPIER
FROISSÉ
Dessin & Scénario
Nadar
Éditeur
Futuropolis
Date de parution
Février 2015
SYNOPSIS
Javi, le maigrichon, a décroché des bancs de l’école à l’insu de sa famille pour devenir une sorte de mercenaire
à la petite semaine, prêt à rendre divers services contre de l’argent qu’il épargne dans une vieille boîte à
cigares en rêvant de jouer du piano en public. Parfois, j’ai l’impression que tout le monde fait de moi ce dont il a
envie... Comme si j’étais un putain de papier froissé. À la même époque, Jorge, locataire d’une petite chambre à la
pension Les chevaux, vient travailler dans une modeste menuiserie industrielle. Taciturne, mutique, il reste à
l’écart de ses collègues, sculptant des petits chevaux dans les chutes de bois qu’il collecte après ses heures
de boulot. Devenu l’amant d’Ana, la propriétaire, il n’est pourtant qu’un fantôme, une ombre assaillie par
le mot lâche, 5 lettres glissées sous sa porte ou taguées rageusement sur sa voiture… Un premier album
d’une grande maîtrise narrative et graphique. Nadar joue avec les codes du roman à tiroirs; l’histoire
revient sur ses pas, et relie les personnages les uns aux autres quand la vie les avait séparés, le noir & blanc
devient gris quand il s’agit de souvenirs trop lourds à porter…Peut-on refaire sa vie ? On la continue
seulement, avec quelques souvenirs parfois lourds comme un cheval mort !
L’AUTEUR
Nadar, de son vrai nom Pep Domingo, est né en 1985 en Espagne. Il a étudié les Beaux-Arts à l’université
de Barcelone. Ses premiers travaux ont été distingués par les prix Noble villa de Portugalete et Concurs
de comic Ciutat de Cornella. Il a publié de courtes histoires dans des magazines comme la revue de
bande dessinée espagnole 2 veces breve, en 2011. Lauréat 2012 de la résidence AlhóndigaBilbao / Cité
internationale de la bande dessinée et de l’image, il s’est installé à la Maison des auteurs d’Angoulême afin
de réaliser Papel estrujado (Papier froissé), aujourd’hui publié par Futuropolis.
Josef, un homme morne et taciturne, arrive en ville,
s’installe dans l’Hôtel-Pension Les Chevaux et se met
en quête d’un petit boulot. Il trouve un poste dans
une petite scierie et s’il ne se lie pas d’amitié avec ses
collègues et leur semble bien mystérieux, il n’en est pas
moins très habile de ses mains et progresse vite.
AVIS / CRITIQUE
qu’elle lui permettra de faire. Au même moment, la
paisible routine de Josef est quelque peu chamboulée
par d’incessants messages et dégradations faire à son
véhicule. A chaque fois le message est le même : lâche.
Premier roman graphique de Nadar, Papier Froissé est
une vraie réussite. Entièrement réalisé en noir est blanc
dans un style très épuré, cette BD concentre l’attention
du lecteur sur le récit est les émotions des personnages,
très bien retranscrite par le coup de crayon de l’auteur
Espagnol. Les flashbacks s’enchaînent pour nous
expliquer de manière très intimiste le passé de Josef et
Javi ou de personnages secondaires.
Javi est un adolescent qui sèche les cours à l’insu de
sa mère et qui joue les petites frappes pour se faire de
l’argent. Si Javi est devenu un mercenaire qui intimide,
récupère des choses ou distribue des coups pour le
compte d’autres adolescents trop couards pour s’en
charger eux-même, ce n’est pas qu’il ait un mauvais
fond. L’argent récolté, il le garde pour sa mère qui reste
cloîtrée chez elle aux prises avec une grave dépression. Papier Froissé pourrait impressionner avec sa
pagination de 390 pages mais rassurez vous, la lecture
Si Josef s’applique à rester à l’écart de tous et à mener est tellement fluide qu’on ne les voit pas passer.
une vie des plus routinière, presque recluse, Javis, L’histoire est d’une grande maturité et il incroyable
lui, aspire à changer de vie. Il a atteint les limites de de découvrir à quel point tous les personnages sont
sa condition de pseudo dur à cuir et une rencontre interconnectés et se croisent au fil du roman. Pour les
fortuite avec Sara, professeure de self défense va lui amateurs de trame à tiroirs...
permettre de s’ouvrir à de nouvelles perspectives
Deucalion Creed
au gré de leurs discussions, activités et rencontres
pour Bulles-et-onomatopees
40
Écrit comme une chronique sociale au cœur d’une
Espagne en crise, ce one-shot n’est pas seulement
une étude du petit peuple qui subsiste comme il peut
entre chômage et dépression. Il y a quelque chose
de plus humain, de plus introspectif qui ne cède
pas aux clichés pour raconter une véritable histoire.
Au fil de journées s’écoulant dans une temporalité
incertaine, le scénario se construit autour de ses
longueurs. Chassés-croisés de personnes qui ne
se connaissaient pas, mais qui, finalement, feront
partie de la même histoire Papier froissé surprend
par sa richesse comme sa simplicité.
Agencé sur trois strips, en des cases parfaitement
limitées, sauf lorsqu’il est question de se souvenir ou
de rêver, la mise en forme s’avère des plus frustres,
sans parler d’une mise en gris qui n’appelle pas à la
plus grande gaieté. Pourtant, le récit s’avère prenant
au fur à mesure que le lecteur s’immerge dans le
volumineux album. Progressivement, l’apparente
incohérence du début fait place à quelque chose de
plus ordonné qui trouve toute sa cohérence dans un
final surprenant.
À n’en pas douter, Nadar signe là un album d’une
étrange maturité pour une première œuvre et laisse
présager du meilleur. Décidément, la nouvelle
génération ibérique réserve bien des surprises !
S. Salin
pour Bdgest.com
Jorge erre, hagard, au volant de sa Fiat Panda, dans
la campagne espagnole. Il est recueilli par un vieux
fermier éleveur de chevaux, et s’établira là, avant de
partir et être engagé dans une menuiserie. Ailleurs,
Javi est un ado grand et costaud pour ses 16 ans.
Il sèche les cours et gagne sa vie en menaçant et
tabassant des gamins pour le compte d’autres. Sa
mère, dépressive et recluse dans son appartement,
ne le sait pas. Que cache Jorge et d’où vient-il ? Que
va-t-il devenir ?
Pour son premier roman graphique, réalisé en
résidence à Angoulême, l’auteur espagnol Nadar,
tout juste 30 ans, impressionne. Déjà par l’ampleur
du projet : une histoire familiale de près de 400
pages. Ensuite par un scénario extrêmement bien
construit, qui mêle passé et présent, et différentes
localisations, avec une belle fluidité, sans jamais être
confus ni trop évident. Dès lors, son drame intimiste,
empruntant pourtant à des thèmes relativement
classiques (la solitude des adultes mûrs, la vieillesse,
l’absence de père…), passionne de bout en bout.
Si le trait en noir et blanc ne souffre peut-être que
d’un manque de prise de risque et de distance vis-àvis du réel, il est lui aussi maîtrisé de la première à la
dernière page, démontrant ainsi une vraie maturité
artistique. Qu’on se le dise, Nadar est promis à bel
avenir.
Benjamin Roure
pour Bodoi.com
L’ÉDITEUR
Futuropolis est une maison d’édition de bandes dessinées fondée en 1972 par Étienne Robial et Florence
Cestac, qui privilégie depuis l’origine la création d’auteur. L’Association s’en réclame à sa fondation en
1990. Cédée en 1988 aux Éditions Gallimard, l’ancienne maison d’édition, devenue un peu orpheline
après le départ de Robial en 1994, est activement relancée en 2004 d’abord en partenariat avec Soleil
Productions, puis uniquement par Gallimard.
41
JUNIORS
Scénario
Hervé Bourhis
Dessin
HalfBob
Éditeur
Futuropolis
Date de parution
Janvier 2015
SYNOPSIS
Maxime et Victoire ne pensaient pas qu’ils allaient se retrouver à un moment clé de leur vie en allant
à la fête de Chloé. Victoire y découvre son amoureux, Félix, dans le lit d’une autre. Elle le larguera sur
Twitter. Maxime, lui, a cru bon de venir à cette fête habillé en nazi. Là, pour la première fois de sa vie, il
embrasse une fille, Sarah (une gothique), qui se suicidera quelques jours plus tard dans l’indifférence quasi
générale. Après un suicide raté, Victoire et Maxime larguent tout pour un concert des Dinosaur Jr à Paris.
Sur la route, ils croiseront des skinheads, une fan de Dean Martin, des flics, un routier sympa, le fantôme
de Sarah et peut-être même…l’Amour. La jeune génération occidentale est revue et dessinée par ce duo
d’auteurs habitués des tribunes rock en bande dessinée. Bourhis & Halfbob donnent un récit drôle et noir
sur les adolescents. Ils s’emparent de ces sujets sensibles et parviennent tout à la fois à nous en amuser
tout en soulignant la dérive inquiétante de la jeunesse contemporaine qui ne conçoit la vie et les échanges
qu’à travers le prisme des écrans Facebook ou Twitter. Et si les rapports humains n’étaient plus gouvernés
que par la Toile des réseaux sociaux, le rock restera le dernier rempart pour sauver l’amour et le monde.
LES AUTEURS
Hervé Bourhis est né en Touraine, en 1974 et vit à Bordeaux. Si c’est Le Petit livre Rock qui l’a fait connaître
au plus grand nombre, il est l’auteur d’une dizaine de bandes dessinées depuis 2002, comme auteur complet
ou scénariste. À travers son travail, on peut sentir une envie de retrouver ses sensations de jeunes lecteurs.
Dans Comix Remix, il revisite les histoires naïves des premiers super-héros Marvel qu’il lisait dans Strange.
Dans Ingmar, il crée avec Rudy Spiessert une sorte de Johan et Pirlouit moderne et acide. Ils revisitent ensemble
Star wars dans Naguère. Mais les sujets contemporains l’attirent également. Dans La Main verte, il s’amuse à
dépeindre un monde dépourvu de pétrole, alors qu’Un enterrement de vie de jeune fille est un road-movie féminin
et existentiel. Hervé Bourhis a reçu le prix Goscinny en 2002 pour son premier album Thomas ou le retour
du Tabou, où il est question de Boris Vian ; dont il a aussi écrit la biographie avec Christian Cailleaux, sous
le nom de Piscine Molitor. Il est également illustrateur et scénariste pour le dessin animé mais travaille aussi
régulièrement pour des évènements dans le milieu musical. Le Petit Livre des Beatles atteste encore une fois de
sa passion pour le rock. Hervé Bourhis a reçu en 2010 le prix Jacques Lob, pour l’ensemble de son œuvre.
Né en 1974 à Saint-Étienne, HalfBob a été membre de l’association Trait d’encre entre 2001 et 2005,
participant aux fanzines Murge et Sésame et publiant plusieurs fanzines personnels (Sweetland notamment).
Il s’est ensuite tourné vers le webcomic avec la publication en ligne de la BD jeune public Super Jean-Jacques.
En 2010, il a lancé un blog BD dédié à la musique, Gimme indie rock, qui a été sélectionné pour la révélation
blog du Festival d’Angoulême 2011, terminant à la 3e place. HalfBob a publié Just gimme indie rock aux
éditions Vide-Cocagne et Elmer la peluche qui parle chez Jarjille. Il collabore également à la revue d’humour
Alimentation générale, chez Vide-cocagne, et au webzine Gonzaï.
A travers ce one-shot choc (mais articulez, bon sang!),
tel un lanceur d’alerte, le scénariste Hervé Bourhis
fait une peinture aigre-acide d’une jeunesse – d’une
humanité ? – parfaitement dégénérée. Punk is dead ?
Vive le punk ! Pour mener les débats, le jeune Maxime
au physique ingrat emmerde cordialement les réflexes
bourgeois de ses parents. Il se trimballe déguisé en
44
AVIS / CRITIQUE
nazi si ça lui fait plaisir et il est blasé de tout, sauf du
sexe (il est encore puceau… au début). Que la meuf
qu’il a embrassée se soit suicidée comme elle lui avait
annoncé la veille, ça ne le perturbe pas plus que ça.
Dans cette chronique sociale décadente, un outil
semble orchestrer tous les comportements déviants:
les réseaux sociaux. En creux, le propos présente
Facebook® comme le grand Satan et quiconque
est parent d’ado comprendra ce prisme à peine
outrancier.
Ici, les déductions et les réflexions des ados sont
magnifiques de débilité primaire. Là, les dialogues
de djeunz sonnent authentiques, et glorifient un
vocabulaire restreint et des expressions fleuries.
Halfbob dessine et met en scène cette chronique
déprimante dans un environnement urbain, à l’aide
d’un trait stylisé en noir et blanc, parfaitement lisible
à défaut d’être élégant. On ressort de ce bouquin
avec une forte envie de se radier de Facebook® pour
liker la randonnée en solitaire...
Benoît Cassel
pour Planetebd.com
Maxime se pointe à la fête de Chloé déguisé en
néo-nazi. Il embrasse Sarah, une gothique, qui se
suicidera quelques jours plus tard, sans que cela
émeuve grand monde. Victoire ne jure que par son
nouveau copain, Félix… qu’elle découvre dans les
bras d’une autre, dans une posture sans équivoque.
Maxime et Victoire décident alors de partir, de
tout plaquer. S’en suit un road trip qui les mènera à
croiser des personnages tantôt sympathiques, tantôt
franchement inquiétants. Guidé par le fantôme de
Sarah, Maxime poursuit sa route, entre provocations
et grandes déclarations d’amour, lors d’un périple
qui doit les conduire à la rencontre des Dinosaur Jr,
en concert à Paris.
À peu près au même moment, Vénéneuses et
Juniors ont déboulé en librairie. Le parallèle entre
les deux est évident et tient à quelques thèmes
similaires : mal-être chez les jeunes, tentation du
suicide, déliquescence de la société, perspectives
bouchées… Bref, les deux ouvrages dressent un
portrait amer et peu reluisant du monde actuel, où
les espoirs se font rares pour une jeunesse en proie
au doute.
Ce touche à tout d’Hervé Bourhis, après des
ouvrages aux sujets d’une rare diversité (Le Teckel,
Prévert, inventeur, Hélas, Le Petit livre de la bande
dessinée…), s’attaque au monde adolescent, sans
oublier une de ses passions, le rock, évoqué à travers
le revival du groupe Dinosaur Jr – auquel les auteurs
consacrent quelques belles pages en fin d’ouvrage –
et qui constitue un motif récurrent dans l’album.
Le scénariste passe de vrais drames en fausses
tragédies avec une rare dextérité. Malaise suscité
par le suicide de Sarah, agaçante omniprésence
des écrans polluant les relations, qui ne peuvent
s’exprimer qu’au travers des réseaux sociaux,
moments franchement absurdes (Maxime rencontre
la belle-famille juive de son frère déguisé en nazi,
son dépucelage a lieu dans un van désaffecté)…
Autant d’histoires qui dressent un portrait acide,
parfois désenchanté, de la génération Z.
Si le sujet est le même, le traitement est quant à lui
radicalement différent. Tandis que Thomas Gilbert
joue sur la corde sensible, avec un déchaînement
d’émotions et de couleurs vives, Hervé Bourhis et
Halfbob misent sur la sobriété et le noir et blanc.
Il en ressort une sensation de profonde apathie
qui offre une expérience de lecture inhabituelle, le
manque de rythme et d’émotion n’étant pas ici un
défaut. Au contraire, par petites touches, les auteurs
suggèrent beaucoup de choses, dont un désespoir
à l’intensité variable. À chaque instant, le lecteur
est suspendu au fil de l’histoire, priant pour que les
deux personnages principaux, Victoire et Maxime,
fassent les bons choix. Pas comme Sarah, qui se
trompe de voie. Il y a dans cette narration une
sorte d’incertitude, et surtout une grande fragilité.
Au fond, tout tient à très peu de choses : un like
inopportun sur Facebook, un costume qui fait tache
dans une soirée étudiante, une rencontre alarmante
au cours d’une fugue, des routes qui se croisent un
peu par hasard, une prise de conscience parfois
tardive, etc. Dans la vie, chacun semble devenir
équilibriste, position délicate pour un adolescent
qui avance à l’aveugle.
Le trait clair et noir d’Halfbob, façon Beavis et ButtHead, construit un dessin simple et naïf, qui viendrait
contraster avec l’aspect cru des péripéties des deux
anti-héros. Cela sied à cet univers, tant et si bien
qu’on imagine Maxime et Victoire dessiner leurs
histoires sur un coin d’un bureau de salle de classe !
Juniors est un album d’une simplicité confondante,
mais d’une richesse qui se niche dans les détails. Le
dessin est épuré, mais il crée une ambiance propice
aux déambulations de héros à la recherche de
repères. Le scénario est mince, mais profond par
ce qu’il sous-entend. Assurément, une relecture
n’est pas de trop, tant il faut se replonger dans cette
Capter l’âme adolescente, c’est savoir retranscrire la atmosphère glaçante pour en goûter le sel.
grave désinvolture de cet âge. Un pari réussi pour
Juniors !
C’est un peu le triomphe du non-dit, qui reste à l’arrièreMarc Lamonzie plan, comme induit, mais est au centre de tout.
pour Bodoi.com
D. Wesel
pour Bdgest.com
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L’ÎLE AUX
FEMMES
Dessin & Scénario
Zanzim
Éditeur
Glénat
Collection
1000 Feuilles
Date de parution
Janvier 2015
SYNOPSIS
Lorsqu’un Don Juan se retrouve prisonnier sur une île remplie de femmes... Céleste Bompard est un Coq
en l’air, un as de la voltige. Ses prouesses lui valent un large succès auprès de la gent féminine. Il aligne
les conquêtes. Engagé alors que la Grande Guerre éclate, il est chargé de transporter les lettres que les
soldats du front écrivent à leurs femmes. Mais lors d’une mission, Céleste est victime d’un tir ennemi et
son biplan se crashe sur une île mystérieuse. Obligé de survivre dans cet endroit visiblement désert, il
trompe son ennui en lisant les lettres que les poilus destinent à leurs femmes. Un jour, en parcourant les
lieux, il découvre un jardin d’Éden entièrement peuplé de femmes ! De véritables amazones, aussi belles
que redoutables, qui ne tardent pas à le capturer pour remplacer leur reproducteur actuel. Alors qu’il avait
l’habitude de mener la danse avec les femmes, voilà que Céleste est devenu leur esclave ! Zanzim revient
dans la collection 1000 Feuilles et en solo avec un nouvel album truculent à souhait et féministe. Son trait
sobre et élégant restitue à merveille les courbes des créatures de rêve qui peuplent son Île aux femmes !
L’AUTEUR
Frédéric Leutelier, dit Zanzim, est né à Laval en janvier 1972. Fils ainé d’un père artisan et d’une mère
technicienne électronique, Zanzim a grandi à Saint-Georges le Flèchard en Mayenne où il n’y avait pas
grand chose à faire d’autre que de lire des bandes dessinées... et dessiner. Il vit actuellement à Rennes et
travaille à l’Atelier Pepe Martini avec cinq autres auteurs de bande dessinée.
L’Île aux femmes est donc la première histoire
imaginée par le talentueux Zanzim, qui avait jusque
là majoritairement déployé son talent pour mettre
en image des scénarios d’Hubert. Il place son héros
dans un lieu taillé sur mesure pour ce Don Juan
débrouillard : une île déserte remplie de jolies filles.
Malheureusement pour Céleste, il y a un grand écart
entre les fantasmes et la réalité.
Avec beaucoup de malice, Zanzim imagine une
histoire drôle, pleine de surprises, en nous faisant
découvrir en même temps que Céleste cette
petite communauté de guerrières où les hommes
ne présentent d’autres intérêts que d’être des
reproducteurs. Le héros, obsédé par son appétit des
femmes, a du mal à garder la tête froide entouré
de toute cette peau nue, mais doit faire preuve
d’inventivité s’il veut assurer sa survie. Le récit est
rythmé, léger, se jouant avec intelligence des codes
de la bd érotiques, pour un résultat sexy et plein de
fraicheur.
AVIS / CRITIQUE
nouveau mouche, pétillant, beau et fin. Les décors
sont très jolis, mais les personnages féminins qui
habitent les pages plus encore. On ne peut que
se réjouir de voir -enfin- un dessinateur imaginer
une multitudes de femmes superbes et qui sonnent
vraies. Ces guerrières-naïades sont minces, rondes,
musclées, grandes, petites, jeunes ou plus âgées,
et les poitrines et les fesses qui dansent devant les
yeux de Céleste sont également toutes différentes.
On pourra peut-être regretter qu’elles soient par
contre toutes plutôt typées occidentales, mais ce
choix trouve une explication dans le récit. Ça peut
sembler bête à dire, mais c’est vraiment un plaisir
que de voir un auteur ne pas s’enfermer dans
des stéréotypes trop souvent présents en bande
dessinée, et célébrer les femmes dans leur diversité.
Les couleurs ajoutent encore à la bonne humeur
que dégage ce titre.
Les personnages sont réussis, attachants, tous un
peu frappa-dingues. Les dialogues sont absolument
Graphiquement, le trait du dessinateur fait à savoureux, tout comme, plus largement, les
48
situations à la fois absurdes et hilarantes. L’auteur
se moque gentiment de son héros, mais nous
laisse aussi faire plus ample connaissance avec lui,
notamment grâce à de courtes scènes de flashbacks
qui nous renvoient dans son enfance. C’est loin
d’être un défaut, mais l’histoire reste assez légère,
sans morale ni grande aventure compliquée, comme
un petit rêve éveillé qui fait du bien.
L’île aux femmes est une petite aventure légère et
vraiment drôle qui se lit avec grand plaisir. En pleine
horreur de la guerre, l’histoire de Céleste est comme
une oasis en même temps absurde et enchantée où
tous les rêves du héros se réalisent... enfin presque.
Une ode aux femmes pleine de malice au graphisme
délicat et pétillant.
Elsa
pour 9emeart.fr
Revisitant à la fois les récits de naufragés et les vieux Après la Sirène des pompiers et Ma vie posthume, Zanzim,
mythes mi-coquins mi-cauchemardesques d’un seul aux commandes, revisite avec saveur le mythe
homme seul parmi des dizaines de femmes, Zanzim des Amazones dans un one-shot très poétique.
propose une fantaisie délicieuse et pleine d’humour.
Hommage discret aux lettres des poilus dont il
Joliment rythmée et contée de manière très fine, distille les vers çà et là, son paradis perdu a l’ambiance
son histoire se concentre davantage sur le portrait nostalgique d’un Porco Rosso ou d’une Amerzone.
d’un homme qu’on apprend à apprécier, au fur et Avec un certain humour grinçant, il malmène et
à mesure qu’il délaisse sa concupiscence au profit humilie son héros égocentrique. Confronté à une
d’un simple amour du prochain.
concurrence inattendue, traité comme un chien
stérile, c’est grâce à un stratagème peu glorieux
Tour à tour homme à tout faire, cuisinier et poète, mais émouvant qu’il cherche à gagner la place qui, il
Céleste s’ingénie à séduire les habitantes de l’île en est convaincu, lui revient...
sans les brusquer – mais qu’il est difficile de se
maîtriser dans ce paradis terrestre peuplée de Mais chut, il faut garder le mystère jusqu’à la fin,
femmes dévêtues ! –, et se révélera plus fragile qu’il car le scénario est maîtrisé de bout en bout et
ne voulait le laisser paraître.
s’avère un délice jusqu’à la dernière page. Là, un
dénouement, efficace bien que classique, donne
Avec un dessin mouvant, expressif, laissant la une autre dimension au récit. Le graphisme mêle
ligne et les détails raconter autant que le texte, trognes propices à faire rire et charme sensuel
Zanzim démontre une belle maîtrise narrative par des tropiques, le tout baigné par une colorisation
un graphisme toujours dans le ton, idéalement lumineuse, signée par le fidèle complice Hubert, qui
souligné par le travail de couleurs d’Hubert, toujours restitue la chaleur et la moiteur des forêts tropicales.
impeccable. Un délice.
Le doute et l’émerveillement perdurent jusqu’à
Benjamin Roure l’ultime case.
pour Bodoi.info
En période de commémorations, ce livre évoque la
Grande Guerre sans en avoir l’air en revisitant un
classique de la mythologie : l’exploit mérite d’être
souligné. Cette première bande dessinée de Zanzim
en tant qu’auteur complet, teintée de sombre
légèreté, est une réussite.
M. Leroy
pour Bdgest.com
49
Zanzim produit ici un album en solo qui poursuit la
veine graphique déjà démontrée dans Ma vie posthume
ou La sirène des pompiers. Ses personnages fins ont
un côté rétro qui en fait des sortes de déclinaisons
modernes des Pieds Nickelés. Des traits accentués,
des situations rocambolesques racontées avec
un sens aigu de l’ellipse, le style Zanzim utilise à
plein une mise en page très actuelle pour gérer ses
effets. Des cases nombreuses pour détailler les
séquences d’action, des pleines pages inattendues
qui donnent de belles bouffées d’oxygène... Il y a un
impressionnant savoir-faire chez cet auteur habitué
des œuvres inattendues et décalées.
conduit à une forme de réflexion sur la force des
préjugés que l’on peut avoir envers des personnages
trop faciles à juger. L’auteur fait sans cesse des allerretours entre les clichés des hommes sur les femmes,
et vice versa. Une sensibilité surprenante traverse
l’album, une gentille moquerie pleine d’intelligence
qui surprend.
Et un hommage en creux aux lettres imaginaires
touchantes attribuées aux poilus des tranchées,
dont la poésie parfois naïve donne à ce récit une
touche presque surréaliste. La cerise sur le gâteau
d’un récit surprenant d’un bout à l’autre.
Mick Léonard
Le personnage de Céleste connait sur l’île aux
pour Planetebd.com
femmes un sort totalement imprévu, qui nous
L’ÉDITEUR
Glénat est une maison d’édition française fondée en 196 par le critique de bande dessinée Jacques Glénat.
Elle est présente dans le domaine de la bande dessinée, du manga et du beau-livre. Le groupe comprend
également Vents d’Ouest et Zenda.
Glénat est le premier éditeur à commercialiser des mangas en version reliée en France, avec Dragon Ball
et Akira. Longtemps leader du marché, il est aujourd’hui concurrencé par Kana, et a dû se conformer au
standard d’édition de ses concurrents (traduction, tramage, etc.), plus apprécié des lecteurs.
Glénat reprend, mi-2007, le fonds bande dessinée l’Échos des Savanes / Albin Michel, sous le nouveau label
baptisé Drugstore et, en septembre 2013, les actifs des éditions 12 bis comprenant l’ensemble du catalogue,
à l’exception toutefois des ouvrages de François Bourgeon, récupérés par ce dernier. La société est basée
à Grenoble, où elle occupe depuis l’automne 2009 un nouveau siège social dans le bâtiment rénové de
l’ancien monastère Sainte-Cécile.
50
VITA
OBSCURA
Dessin & Scénario
Simon Schwartz
Éditeur
Ici Même
Date de parution
Mai 2015
SYNOPSIS
Dans tous les domaines, les sciences, les arts, la politique, on rencontre des hommes et des femmes à
l’existence surprenante, à la destinée farfelue, aux inventions stupéfiantes, dont la grande Histoire ne
retient pas toujours les noms, qui ne gagnent pas forcément leur entrée dans les dictionnaires. Simon
Schwartz s’est attaché à 33 de ces personnages remarquables. En une page, il résume l’essence d’une vie,
l’ironie du hasard ou du destin. Chacune de ces vies se voit traitée selon un style narratif et graphique
qui lui est propre, correspondant au sujet, à l’époque. Comme un curriculum vitae soigneusement rédigé,
dessiné et composé de chacun de ces illustres inconnus ou excentriques célèbres. Ainsi, l’on apprendra
des choses passionnantes sur Thomas Harvey, l’homme qui a volé le cerveau d’Einstein, Joshua Norton,
unique empereur autoproclamé des Etats- Unis, le génial et aveugle musicien Moondog, le joueur de blues
Robert Johnson ou encore le fameux pétomane français Joseph Pujol. Le résultat est à la fois envoûtant
et drôle, et on peut naviguer dans ce bel album comme dans une délicieuse encyclopédie du bizarre.Qui
offre un intéressant point de départ à cette réflexion :qu’est-ce que la normalité chez l’espèce humaine ?
Original et réjouissant.
L’AUTEUR
Simon Schwartz est né en 1982 à Erfurt, en RDA. Deux ans plus tard, il quitte le pays avec ses parents
et la famille s’installe à Berlin-Ouest. En 2004, il part à Hambourg et commence des études d’illustrateur
à l’École d’arts appliqués, d’où il sort diplômé cinq ans plus tard. Dans les glaces a reçu le prix Max et
Moritz de la meilleure BD de l’année en Allemagne en 2012. Il vit et travaille à Hambourg.
Voici un ouvrage tout à fait épatant sur le fond
comme sur la forme (ce à quoi nous ont habitués les
éditions Ici Même) qui ravira les amateurs de bande
dessinée, d’Histoire et de destins singuliers. À travers
une trentaine de portraits de personnages méconnus
issus de toutes époques et de tous horizons, Simon
Schwartz nous invite à découvrir des hommes et
52
AVIS / CRITIQUE
des femmes qui connurent des parcours souvent
incroyables, remettant dans la lumière ceux qui
étaient restés dans l’ombre de l’Histoire…
Cet album procure un vrai plaisir de lecture, une
lecture enrichissante, passionnante, ludique et
érudite; c’est véritablement très agréable. À chaque
planche (et parfois à chaque case), on apprend tout
un tas de choses formidables sur ces petites histoires
qui ont fait la grande Histoire mais dont ne parle
pas ou peu, peut-être écartées des manuels d’histoire
parce qu’elles étaient plus un grain de sable dans le
système qu’autre chose…
De ce côté-ci des portraits issus de la « grande Histoire »,
on sent de la part de l’auteur une volonté de réhabiliter
ou/et de sortir de l’oubli des personnes ayant fait des
choses extraordinaires en arrière-plan – néanmoins
parfois proches – des grands héros historiques. Il en
va ainsi de Witold Pilecki, ancien officier polonais
qui se laissa arrêter sous un faux nom à Auschwitz
et qui créa dans le camp
un mouvement clandestin
de résistance, réussissant à
envoyer des messages aux
Alliés sur la réalité de ce
qui se passait… et qui fut
injustement jugé et exécuté
après la guerre. Des destins
tragiques, d’autres cocasses…
Nous faisons également
connaissance avec quelques
personnages hauts en couleur
qui figurent plus à la rubrique
faits divers: des excentriques,
des personnalités uniques, des
artistes, des incompris… Des
gens qui ont eu des vies de
fous… La diversité des sujets
est riche et nous fait passer
d’une époque à une autre,
d’un portrait à un autre, de la
petite à la grande histoire avec
naturel et malice.
Mais au-delà de l’originalité
de ce sujet, pour lequel
l’auteur
semble
s’être
considérablement documenté,
un autre paramètre intervient
fortement dans la réussite de
cet album : les différents visages graphiques de celuici.
En effet, le parti pris de Simon Schwartz a été de
réaliser une seule et unique planche pour chaque
portrait et de traiter ces planches dans un style
graphique à chaque fois différent, en adéquation avec
le sujet abordé. Ainsi, le destin tragique de Pilecki dont
je parlais plus haut est dessiné au crayon et à l’encre
noire sur papier un peu grisé/jauni, le visionnaire Karl
Hans Janke est traité en vision 3D, le prophète Mani
a droit à une succession de cases modelées en terre et
peintes, tandis que le psychédélique Ken Kesey voit
son portrait être exécuté avec des éclats de peinture
hallucinogène. En regard de chacune de ces planches
en largeur qui donnent son format à l’album, la page
de gauche reste vierge, juste recouverte d’une teinte
unie. Un spectre assez réduit de ces teintes quelque
peu rompues (gris, ocre, bleu, rouge, vert) est donc
utilisé pour faire écho à l’atmosphère esthétique
de chaque planche, instaurant une certaine fluidité
qui lie l’ensemble de ces portraits disparates dans
une cohérence engendrant de surcroît le plaisir du
bel ouvrage bien fait, bien pensé, par des artistes et
des éditeurs qui aiment le livre, véritablement. On
est évidemment admiratifs de l’éventail de styles
utilisé par l’auteur, car le résultat est impeccable, ne
souffrant jamais des faiblesses et des écueils possibles
d’un tel exercice. Chaque style
est parfaitement maîtrisé et
démontre combien le talent de
l’auteur est polymorphe tout
en ayant quelques constantes
que l’on retrouve çà et là. Tout
ceci n’est pas le moindre des
plaisirs que procure cet album!
En prenant un peu de recul
sur cette galerie de portraits
pittoresques et hétéroclites,
on s’aperçoit que l’ensemble
constitue une sorte de reflet
de ce qu’est notre humanité.
De grands hommes, de
grands faits, et puis des gens
dans l’ombre ou qui défrayent
la chronique, si uniques
que leur destin croisa – par
hasard ? – les déterminants
de l’Histoire. Enfin, il y a ceux
qui se construisent des vies
incroyables, par réelle folie ou
excentricité, marquant notre
histoire contemporaine des
décennies après leur passage
quelques fois injustement
oublié… Des héros du rien, des
inspirateurs, des personnalités
hors normes… Le fait que l’auteur ait ainsi exhumé
ces destins délaissés (ou trop peu remarqués même si
on ne peut que les trouver remarquables) joue aussi
pour beaucoup dans la qualité de cet ouvrage, car
voilà un très bel hommage aux illuminés, aux héros
invisibles, aux aventuriers du quotidien qui dérape.
Ces quelques destins sont autant d’exemples de ce
qui constitue notre humanité, et en ce sens l’album
de Schwartz est un beau travail de mémoire, révélant
à nouveau combien le parcours de tout un chacun
peut prendre des directions extraordinaires…
Cecil McKinley
pour Bdzoom.com
53
Dans la veine des suppléments de périodiques
américains des années 1920, l’auteur allemand
Simon Schwartz (De l’autre côté) invite à une balade
truffée de curiosités. Pour support, 33 figures du
passé restées dans l’ombre des grands de l’Histoire.
Et pour cause : oubliés car trop excentriques ou en
marge des us, un destin farceur a eu raison de leur
postérité. Tel le docteur Thomas Harvey qui préleva
en cachette le cerveau d’Albert Einstein avant de
le couper en dés, histoire de percer le secret d’un
génie ou Ken Kesey l’affreux qui a cru voir dans
le LSD la panacée universelle ! Pas grave, Simon
Schwartz vient leur rendre un hommage malin. Vita
Obscura brasse ainsi tous les domaines, de la science
à la politique en passant par les arts à raison d’une
planche en format à l’italienne par personnage.
Tour à tour passionnant, intrigant ou curieux,
l’album multiplie anecdotes et récits farfelus,
devient sérieux quand il capte l’origine d’un mot
ou d’une expression et surtout s’adapte, dans la
narration et le graphisme, à une époque, un thème
et une personnalité. Car Schwartz ne se contente
L’ÉDITEUR
pas de plaquer une biographie sans sel piquée dans
wikipédia sur quelques cases vaguement dessinées.
Il va loin, beaucoup plus loin en exploitant les
possibilités du 9e art et c’est là tout l’intérêt de
l’album.
Il déconstruit ainsi la page pour lui donner du
rythme (les cases de Trip sont éclatées en étoile,
juxtaposition d’étiquettes dans Le roi Wladyslaw III),
conforme les styles graphiques et les techniques
à l’époque (estampes, collages, montages photos,
cartoon, fusain, aquarelle, aérographe…) et nimbe
d’une intention comique – réussie – tous ces destins
en marge, sans jamais ennuyer. Et pourtant le
risque était grand. Un seul petit reproche : l’absence
de sources. Un conseil aussi : mieux vaut éviter
la lecture linéaire. Pour le reste, Vita Obscura est
un Who’s Who subtil et instructif qui, en plus de
dérouter et d’enchanter, révèle un talent rare. Joli
coup d’auteur et d’éditeur !
M. Ellis
pour Bodoi.com
Créée en novembre 2012, la maison d’édition Ici Même tire son nom de la bande-dessinée Ici-Même de
Forest et Tardi. Derrière ce projet une femme, à l’envie et l’amour pour la bande dessinée débordants :
Bérengère Orieux.
Voilà quinze ans déjà qu’elle travaille dans le monde de l’édition BD, notamment chez Vertige Graphic. Il
y a peu, elle a souhaité lancer son propre projet. Pour elle, ce fut une vraie bagarre. Mais une belle bagarre,
de celles qui valent le coup. Nantes, ville à ses yeux culturellement riche, sera sa terre d’élection.
54
POISON
CITY
Dessin & Scénario
Tetsuya Tsutsui
Éditeur
Ki-oon
Collection
Seinen
Date de parution
Mars 2015
SYNOPSIS
Tokyo, 2019. À moins d’un an de l’ouverture des Jeux olympiques, le Japon est bien décidé à faire place
nette afin de recevoir les athlètes du monde entier. Une vague de puritanisme exacerbé s’abat sur tout le
pays, cristallisée par la multiplication de mouvements autoproclamés de vigilance citoyenne. Littérature,
cinéma, jeu vidéo, bande dessinée : aucun mode d’expression n’est épargné.
C’est dans ce climat suffocant que Mikio Hibino, jeune auteur de 32 ans, se lance un peu naïvement dans
la publication d’un manga d’horreur ultra-réaliste, Dark Walker. Une démarche aux conséquences funestes
qui va précipiter l’auteur et son éditeur dans l’œil du cyclone...
L’AUTEUR
Tetsuya Tsutsui est un dessinateur indépendant qui a la particularité de présenter ses œuvres sur son site
Internet. Cette année, il a été remarqué par le rédacteur en chef et il a eu la chance de se voir proposer
une publication professionnelle dans le magazine Gangan YG (de l’éditeur SquareEnix) ce manga s’appelle
Reset. Malgré cela, il continue de travailler en parallèle et dessine toujours des histoires en indépendant !
AVIS / CRITIQUE
Mangaka atypique, Tetsuya Tsutsui (Prophecy) s’est
fait repérer en publiant ses planches sur Internet.
Ouvert, connecté, il a toujours su capter l’air du
temps et Duds Hunt (2002), déjà, précédait la vague
de récits de survie urbaine qui inonde aujourd’hui
l’archipel. Avec Poison City, il signe un pamphlet
contre les mesures liberticides, directement
développé avec les éditions Ki-oon.
sont victimes de restrictions et les mouvements
de vigilance citoyenne se multiplient. C’est dans ce
contexte que Mikio Hibino, jeune dessinateur sans
grand succès, se lance dans la création d’un manga
d’horreur réaliste, Dark Walker, quitte à accepter
quelques concessions – remplacer les humains par
des zombies, etc. C’était sans prévoir la réaction
d’un lecteur influent qui fera l’effet d’une bombe…
Junji Itô nous en parlait : même au sein d’un genre
extrême comme l’horreur, il n’existe pas de pleine
liberté dans les circuits principaux du manga et,
de manière préventive, les artistes peuvent tuer
des idées dans l’œuf – quand elles ne sont pas
refusées par l’éditeur. La censure, Tetsuya Tsutsui
la connaît bien : accusé d’être susceptible de réveiller
des pulsions meurtrières chez les jeunes, son thriller
horrifique Manhole a été interdit dans les librairies
et les bibliothèques du département de Nagasaki.
Dans Poison City, l’auteur imagine un futur proche
où le Japon, à l’aube des Jeux Olympiques de 2020,
connait un élan de puritanisme afin de se présenter
sous un jour assaini. Tous les modes d’expression
Organisé sous forme de récit à tiroirs, où les
planches de Dark Walker – dont nous découvrons
l’évolution au fur et à mesure des directives du
responsable éditorial – s’intercalent entre deux
séquences du quotidien de Mikio Hibino, Poison
City est absolument passionnant. Si la forme est
efficace, portée par un dessin fin et lumineux, nous
retiendrons surtout le fond : une prise de position
réfléchie, documentée, sur la liberté d’expression et
l’envers de la création de manga. Comme une sorte
de Bakuman pour adultes, finalement, mélangé à un
thriller addictif.
Frederico Anzalone
pour Bodoi.com
56
Tetsuya Tsutsui a décidé de faire ce manga, en
collaboration avec les éditions Ki-Oon lorsqu’il a
appris, en 2013, avoir été victime de censure par
l’agence pour l’enfance et l’avenir du département
de Nagasaki pour Manhole en 2009.
l’histoire de Poison City se déroule à Tokyo en 2019,
dans un monde proche du nôtre. Le Pays du Soleil
Levant se prépare aux prochains Jeux Olympiques,
tandis qu’une vague puritanisme extrême voit le jour.
De nombreux mouvements citoyens de vigilance
voient le jour et tous les domaines que sont la
littérature, le cinéma et les jeux vidéo sont touchés par
cette action. C’est pourtant dans ce climat délétère que
nous retrouvons Mikio Hibino, jeune mangaka qui
publie un récit d’horreur ultra-réaliste. Forcément pas
au goût de tous, l’auteur et son éditeur s’apprêtent à
une descente aux enfers...
Poison City est donc une œuvre de fiction mais c’est
sans doute, et avant tout, une œuvre personnelle qui
dénonce la censure de manière assez intelligente.
Nous nous retrouvons rapidement plongés dans
l’univers de Poison City et nous nous plaisons vite à
suivre Mikio Hibino dans son processus de création,
dans sa volonté de faire publier son ouvrage et
dans ses différentes rencontres avec éditeurs et Se basant sur son expérience personnelle, Tetsuya
dessinateurs.
Tsutsui présente une œuvre poignante nuançant
finement les deux thèmes mis en avant : celui de la
Là où le manga de Tetsuya Tsutsui est original c’est liberté d’expression, sujet d’actualité brûlante depuis
dans sa construction narrative. En effet, Poison le 7 janvier 2015 en France, ainsi que les coulisses de la
City mélange plusieurs niveaux de lectures. Dès les création des mangas au Japon.
premières pages nous sommes plongés dans l’histoire
fictive de Dark Walker, le manga que Mikio Hibino Car dans Poison City, il est question de censure dans
tente de faire publier, puis nous suivons Mikio dans un pays où tout semble minutieusement contrôlé pour
sa réalité quotidienne avant de retomber à nouveaux que le peuple marche à l’unisson dans les voies dictées
dans l’histoire fictive de Mikio. Ce procédé narratif d’en haut. La force de ce récit post-apocalyptique
est intelligent car il permet de suivre le processus pas si lointain de nos préoccupations du moment,
créatif du héros, de comprendre son travail et de se concentre justement à toucher le lecteur dans son
quoi il parle. Outre cela, le fait de suivre l’histoire raisonnement par une trame crédible et réaliste.
de Dark Walker permet aussi à Tetsuya Tsutsui de
faire échos à son style et à ses propres livres, tel que Tetsuya Tsutsui s’est bâti une solide renommée
Manhole qui a été concerné par la censure.
internationale. Spécialiste d’ouvrages à suspense,
ses thrillers modernes et nerveux font de lui un des
Le manga joue donc sur une mise en abyme auteurs les plus prisés à l’heure actuelle.
intéressante qui permet de créer une différenciation
entre l’œuvre fictive du héros, concerné par la Le premier tome de Manhole fût censuré à Nagasaki
censure, et sa vie quotidienne ancrée dans la réalité en 2013 au motif que ce manga était susceptible
dans laquelle il se bat pour faire vivre son projet. Le d’inciter les jeunes à la cruauté et à la violence. Cet
fait que Poison City soit situé dans un futur proche incident a provoqué une conséquence dramatique
nous permet de nous identifier au personnage et de pour l’auteur et ses fans, car l’ouvrage a été retiré
nous interroger sur les obstacles et les évènements des ventes au niveau du département. Sur les 210
qu’il vit. Où commence et où s’arrête notre liberté pages que compte le 1er tome de Manhole, 27 ont été
d’expression ? A quoi ressemblerait notre pays si la marquées comme nuisibles par un comité constitué de
censure était aussi présente ? Peut-elle être justifiée? 39 personnes. Précisons que ni le thème de l’ouvrage,
ni le titre n’étaient en cause, seul le dessin semble être
En ce qui concerne le dessin, le manga de Tetsuya critiqué... Ce jugement a uniquement été constitué sur
Tsutsui est assez classique, on y retrouve assez la base d’un visuel, attitude aberrante à une époque où
facilement son trait et son style qui s’inscrit dans la certaines œuvres poussent le bouchon de la violence
lignée de ses précédentes productions. Il n’y a donc et de la décadence bien plus loin que l’auteur, lequel
pas vraiment de surprise de ce côté là.
continue son combat pour réintégrer son titre à
Nagasaki, et c’est ce fil conducteur que l’on retrouve
Bref, vous l’aurez compris, Poison City est un livre dans Poison City.
intéressant, intelligent, poussant à la réflexion sur
des sujets importants. A mettre entre toutes les Le dessin, quant à lui, remplit son office en misant
mains.
paradoxalement sur la retenue dans l’expression
Stéphanie Mathieu graphique. Là, où pour certaines séries, cette approche
pour Avoir-alire.com est impensable, Poison City, qui manifeste son énergie
progressivement, au compte goutte.
Marc Vandermeer
pour Actuabd.com
57
L’auteur de Manhole et de Prophecy livre ici un manga
très personnel. A travers ce récit, il dénonce la
censure qui sévit de plus en plus au Japon. Il en a été
lui même victime pour Manhole, non pas au niveau
national, mais uniquement dans le département de
Nagasaki où son livre a été classé comme oeuvre
nocive pour les mineurs. Car, contrairement à l’histoire
qui nous est contée ici, où les livres sont soumis
à une commission nationale, le vrai Japon laisse
actuellement chacun de ses départements juger de
ce qui est nocif ou non pour la jeunesse.
Tsutsui rappelle aussi dans cet ouvrage que le
phénomène de la censure a frappé les comics, aux
Etats-Unis, à partir des années 1950. Pour lui, cela a
compromis le développement de la BD US.
Le talent de conteur du mangaka est remarquable,
comme toujours. Ce qui aurait pu être un livre
didactique sur le droit d’expression prend une autre
dimension entre les mains de Tsutsui. L’évolution
de la situation de Mikio Hibino et de son éditeur
prend des airs de récit à suspense. A chaque étape
de Dark Walker son lot de surprises. Le lecteur n’a
Tetsuya Tsutsui, à travers Hibino, décrit donc les alors qu’une envie, savoir comment tout cela va
méfaits de cette censure qui altère finalement finir.
l’intégrité des oeuvres des auteurs. Dès lors, fautil se plier au formatage national et garantir ses L’auteur a aussi trouvé une manière très habile
revenus, ou bien rester maître de son oeuvre au d’illustrer ses propos concernant la censure. Il
risque de ne plus pouvoir vendre qu’à des adultes le fait à travers les planches du mangaka fictif,
sur des réseaux de distribution secondaires ?
Hibino. Outre leur rôle d’exemples, elles rythment les
chapitres et apportent de la variété au livre.
L’auteur s’interroge aussi sur ce qui peut justifier
cette censure. Au fur et à mesure que nous avançons Les dessins de Tsutsui sont de qualité. Certains sont
dans la lecture, nous ne pouvons qu’être stupéfaits même très aboutis et détaillés, particulièrement
par ces classements aux méthodes discutables et ceux du récit Dark Walker.
par la fragilité de la liberté d’expression. Si nous ne
vivons pas la même chose en France, le sujet n’en J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre qui est un
est pas moins d’actualité chez nous. On pense, bien manifeste sur la liberté d’expression autant qu’une
sûr, en premier lieu à Charlie Hebdo et aux débats occasion de plonger dans les coulisses du monde
qui s’en sont suivis à propos de la frontière entre des mangas et ce d’une manière très différente de
caricatures et respect des religions.
Bakuman, pour ne citer que celui-là.
Legoffe
pour Sceneario.com
L’ÉDITEUR
Ki-oon est une maison d’édition spécialisée dans le manga présente sur le marché depuis mars 2004
avec la sortie de son premier manga, le premier tome d’Element Line. Fondée en octobre 2003 par Cécile
Pournin et Ahmed Agne, elle se consacre essentiellement à de l’heroic fantasy. Le nom Ki-oon vient de
l’onomatopée qui signifie avoir le cœur gonflé d’émotion. Avec un chiffre d’affaires en progression de 80% en
2009, Ki-oon est en 2010 le plus important éditeur indépendant de manga en France.
En octobre 2012, Ki-oon lance la collection au grand format nommée Latitudes. En 2014, Ki-oon change
de logo pour son dixième anniversaire et crée un code-couleur spécifique à chacune de leur collection :
seinen, shônen, shôjo et kids.
58
DEMO
KRATIA
Dessin & Scénario
Morotô Mase
Éditeur
Kazé Manga
Collection
Seinen
Date de parution
Janvier 2015
SYNOPSIS
Fruit de l’émulation entre Taku Maezawa, élève en ingénierie, et Hisashi Iguma, spécialiste en robotique, le
concept de Demokratía semble révolutionnaire : 3 000 personnes, recrutées au hasard sur le web, décideront
à la majorité via un réseau social des faits et gestes de Mai. Ce robot d’apparence féminine pourrait ainsi
devenir le creuset d’un savoir collectif, la convergence de 3 000 intelligences... Mais l’expérience pourrait
aussi révéler qu’à l’épreuve du monde réel, démocratie n’est pas toujours synonyme de raison...
L’AUTEUR
Motorô Mase commence sa carrière de mangaka en obtenant, en 1998, le prix Shôgakukan du meilleur
jeune auteur pour sa première œuvre Area. Il se consacre à son art et crée de nombreuses œuvres dont
Kyoichi (toujours inédit en France). L’une de ses œuvres les plus connues en France est Heads (édité en
France chez Delcourt), l’adaptation d’un roman de Keigo Higashino, qui confirme son talent de conteur
et la parfaite adéquation de son style avec le genre du thriller psychologique. En janvier 2005 commence
la publication dans Weekly Young Sunday (Shôgakukan), de son titre le plus apprécié, Ikigami, qui continue
aujourd’hui dans le Weekly Big Comic Spirits.
AVIS / CRITIQUE
Bienvenue dans Demokratía. Si cette application est
apparue sur votre ordinateur, c’est que vous avez été
sélectionnés pour faire partie d’une aventure d’un
nouveau genre. Votre mission consistera à contrôler
à distance les faits et gestes d’un robot à l’apparence
humaine plus vrai que nature, en compagnie de 2999
autres pilotes. Chaque action de l’androïde sera choisie
à la majorité, parmi les propositions suggérées par la
communauté. Quel sera votre premier choix ?
60
Après le succès public et critique d’Ikigami, Motorô
Mase est de retour aux éditions Kazé Manga avec son
nouveau titre, toujours en cours de parution au Japon:
Demokratía. Comme pour son succès précédent cette
nouvelle œuvre se base sur un concept simple, mais
très efficace : nous y suivrons les aventures de Mai, une
femme-androide guidée à chaque instant par un panel
de joueurs.
L’idée latente derrière ce concept est d’observer
le comportement d’un être dont les actions ne
découlent pas d’un simple libre arbitre, mais d’une
somme d’avis, de ressentis et de vécus différents,
le tout pour aboutir aux bonnes décisions, car
majoritaires , sans compter que Mai pourra bénéficier
des connaissances de tous ses pilotes pour agir de la
manière la plus efficace.
se fissure très rapidement pour faire apparaître
différents courants de pensée : ceux pour qui tout
cela n’est qu’un jeu ou qui se protègent derrière la
majorité pour se croire dans le vrai, les courants
dominants contre les idées novatrices... un véritable
exercice de style, mettant en pratique des siècles de
théorie politique, à l’échelle d’un seul individu. On
pourra regretter que le récit s’oriente rapidement
vers le sensationnalisme, mais ce péril est peut-être
Un être absolu, plus humainement correct qu’aucun une étape dans cette déconstruction des bienfaits
humain !
de la majorité. Mais il est encore un peu tôt pour
le dire... en attendant, ce premier volume remplit
Une nouvelle fois, le mangaka a soigné son parfaitement son office, exposant le concept et
background, même si cela induit une phase développant ses premiers questionnements.
d’exposition un brin longuette, où l’on découvre
les deux cerveaux à l’origine du projet. Mais nous Graphiquement parlant, nous sommes en terrain
rentrons bientôt dans le vif du sujet, dès lors conquis. Motorô Mase développe une galerie de
que l’application est lancée et que ses utilisateurs portraits assez réalistes. On regrettera peut-être
essaient de produire les premières actions de Mai. Si que l’auteur peine à se renouveler dans la création
ces premiers pas sont hésitants, le panel ne tarde pas de nouveaux visages. Dans cette foule, Mai se
à prendre des initiatives, par sa curiosité naturelle.
distingue aisément par un regard vide et un manque
d’expressivité, trahissant les réflexions de ses guides.
C’est alors que l’on comprend une des subtilités du
système : si la majorité s’impose souvent sans trop D’un autre côté, la vision informatique de Mai
de surprises, les votes permettent aussi de mettre en et les visages masqués numériques apportent un
avant des propositions plus inattendues. Autrement sentiment d’inconfort, presque d’angoisse. L’édition
dit, les créateurs ont laissé de la place pour que est quant à elle de qualité, et rappelons que Kazé
puissent s’exprimer les éclairs de génie au milieu de Manga nous offre une couverture réversible, pour
la neutralité de la masse. A l’instar d’Ikigami, Motorô profiter de la jaquette originale ou d’une jaquette
Mase va nous présenter ces quelques personnes dont spécialement réalisée pour l’édition française.
les avis spontanés va faire basculer la route de Mai :
l’élève subissant la pression des études, le supérieur En définitive, ce premier volume de Demokratía
hiérarchique devant gérer un employé dilettante est assez prometteur. Si toutes les subtilités du récit
ou la jeune femme traumatisée par un accident. Et peuvent être assez lourdes à ingérer, le concept
comme pour le précédent titre de l’auteur, les petites est suffisamment prenant pour que l’on décide de
histoires personnelles contribuent à la grande, Mai pousser l’aventure un peu plus loin. Derrière la
ne tardant pas à faire une rencontre troublante...
curiosité technologique, ce nouveau titre est une
Le lecteur suspendra volontairement son incrédulité nouvelle expérience à grande échelle ou l’individu
sur certains points (le temps de réaction de Mai, peut prendre le pas sur la majorité, et où les histoires
par exemple) pour se focaliser sur le cœur même du personnelles seront capitales. Laissez-vous tenter
récit. Après s’être attaqué à un régime totalitaire dans par l’expérience !
Ikigami, Motorô Mase nous pousse à réfléchir aux
Tianjun
limites de la démocratie. Sous couvert d’un concept
pour Manga-news.com
paraissant idéaliste de prime abord, le système
L’ÉDITEUR
Le label Kazé, et son fondateur Cédric Littardi, sont reconnus comme ayant fondé le panorama de
l’animation japonaise en France tel qu’il est aujourd’hui. En presque 20 ans, Kazé a édité de nombreux
programmes d’animation japonaise en France et est resté longtemps l’un des tout derniers éditeurs
indépendants en activité dans le domaine de la vidéo et du manga en Europe.
61
PIEDS NUS
DANS LES
RONCES
Dessin & Scénario
Lisa Zordan
Éditeur
Michel Lagarde
Date de parution
Juin 2015
SYNOPSIS
Terry reçoit un coup de téléphone. Sa mère est morte. Après de longues années d’un inexplicable silence,
il retourne dans son village natal pour les funérailles, comme si ce malheur seul pouvait l’y contraindre. Ce
retour le confronte à ses souvenirs, aux douleurs liées à sa jeunesse. Visions et cauchemars resurgissent,
sans que Terry puisse faire tout de suite la part des choses, comme si l’amnésie l’avait frappé jusque-là
pour échapper à une redoutable culpabilité — au prix d’une profonde mélancolie. En suivant pas à pas
son personnage, en lisant dans ses pensées, Lisa Zordan dissipe les brumes accumulées. La vérité est
atroce. Sa révélation nécessaire. Les manifestations des fantômes, le jeu des couleurs, le contraste des
saisons, des époques, des paysages, participent pleinement à la dramaturgie jusqu’à ce que Terry puisse
enfin marcher les pieds nus dans les ronces.
L’AUTEUR
Lisa Zordan est née en 1987, elle s’installe à Paris et entame des études d’art au lycée professionnel
Corvisart. Elle rejoint la FCIL illustration de Corvisart où elle rencontre l’illustrateur peintre et enseignant
Laurent Corvaisier, qui va l’orienter vers le concours des Arts Décoratifs en 2008 où elle intègre la section
image imprimée. Après des premiers pas dans l’édition jeunesse, elle intègre en quatrième année la School
of Visual Art de New York pour un séjour de 5 mois et décide de s’orienter vers la bande dessinée. Pour
son diplôme de fin d’année, elle présente une première version de Pieds nus dans les ronces et obtient les
félicitations du jury. Après deux ans de réflexion, ce premier roman graphique entièrement remanié sort
le 19 juin aux éditions Michel Lagarde.
AVIS / CRITIQUE
La prometteuse Lisa Zordan publie et expose une famille éparpillés lors de la vente de la maison de
œuvre semi-autobiographique au style évanescent son aïeule. Terry, le héros catatonique de ce récit
et au ton mélancolique.
endeuillé, retourne dans la demeure familiale à la
mort de sa mère et s’y replonge dans des tourments
Ce premier roman graphique écorché de la jeune adolescents : père absent, amour de jeunesse enfui,
illustratrice Lisa Zordan s’inspire de souvenirs de trauma dans un abattoir, mort violente…
64
Quelque part parmi les hautes herbes, nous errons seuls, tels fin d’études tourmenté, réalisé à l’encre de Chine,
des enfants, les pieds nus dans les ronces.
l’aquarelle et la gouache. La narration un tantinet
fastidieuse et lacunaire laisse place à la finesse du trait,
Crépusculaire, le dessin, à la jonction entre qui nimbe l’ensemble d’un tremblé fantomatique.
peinture et bande dessinée, s’y déploie à la lisière
du fantastique, quitte à virer parfois à la vision La dessinatrice expose en ce moment, et jusqu’à
nocturne monochrome.
la fin du mois, un aperçu de ses illustrations chez
le galeriste parisien Michel Lagarde, qui édite en
Déjà publiée dans le cadre de l’exposition The même temps son ouvrage.
Parisianer et dans la revue Citrus, Lisa Zordan a
Clémentine Gallot
développé à sa sortie des Arts-Déco ce projet de
pour Libération
L’ÉDITEUR
Depuis 2006, la ligne éditoriale des éditions Michel Lagarde se partage entre des collections liées à la
bande dessinée, au graphisme, à l’humour, à l’illustration contemporaine ou patrimoniale.
La Galerie Michel Lagarde ouverte en mars 2012, expose de jeunes artistes contemporains, et présente
également des expositions patrimoniales consacrées aux illustrateurs de l’entre-deux-guerres (Salon de
l’Araignée), au dessin d’humour et à l’illustration en général.
65
EN TEMPS
DE GUERRE
Dessin & Scénario
Delphine Panique
Éditeur
Misma
Date de parution
Février 2015
SYNOPSIS
Passionnés de récits de guerre, n’ouvrez pas ce livre ! Pas de combats au front, pas de tranchées, pas de
rats ni de plaies sanguinolentes et boueuses. Le temps de guerre dont il est question est celui de l’arrière,
celui d’un monde où tous les hommes sont partis.
Mme Bobi, sa fille Bobbie, Madeleine, Rosette et les autres, bonnes femmes un peu grotesques à têtes de
maison, doivent s’adapter : travailler à l’usine d’armement, mettre en place de nouveaux fonctionnements,
de nouvelles hiérarchies, faire face aux comportements fous, cruels, amers de leurs camarades. Et pourquoi
pas, par la même occasion, se retrouver entre filles, se découvrir un talent caché, se baigner nues dans la
rivière, se sentir libre peut-être ?
L’AUTEUR
Delphine Panique a grandi dans de magnifiques paysages du sud de la France, d’où son caractère
contemplatif. Elle a une Licence et un Master de Lettres Modernes, d’où son goût prononcé pour la
littérature. Elle est aujourd’hui illustratrice pour la jeunesse, et depuis plusieurs années publie des histoires
en bande-dessinée dans la revue Dopututto Max, aux Éditions Misma. Elle vit à Toulouse avec sa fille et son
chat. Orlando, paru en octobre 2013 aux Éditions Misma, est son premier album.
Feignant! Idiot! Incapable ! C’est ainsi que Madame
Bobi évoque avec tendresse le souvenir de son
époux, parti à la guerre dépenser leur argent chez
les putes et l’abandonnant, sans un sou, avec sa
gamine à roulettes. Après avoir pensé à demander à
sa fille de prodiguer des gentillesses aux messieurs,
la mégère doit s’y résoudre : il n’y a plus d’hommes,
il va falloir bosser !
AVIS / CRITIQUE
leur indépendance. Une nouvelle société émerge et,
dans son sillage, un bonheur inattendu et fragile.
Delphine Panique, dont c’est le second album,
compose avec un trait épuré une bande dessinée
complètement décalée sur le thème de l’arrière,
lointaine inspiration du sort des dames de 1418. C’est un réel plaisir de rire de son imbuvable
Madame Bobi, insupportable de mesquinerie et de
En temps de guerre n’est pas une BD sur la guerre méchanceté, qui parsème de ses diatribes chaque
de 14, mais quand même un petit peu... ou presque. mini-chapitre.
Elle décrit un monde pas si éloigné du nôtre, où il
n’y a plus un seul mâle et où leurs petites bonnes Drôle et absurde, En temps de guerre est un ouvrage
femmes aux chevelures en toiture de maison doivent original qui détonne au milieu des commémorations
apprendre à se débrouiller seules, privées de leurs du centenaire par son humour mais aussi par la
maris, pères, amants... Broyées par la mécanique de description des conséquences inattendues d’une
l’usine qui nourrit une guerre tellement lointaine logique martiale poussée à l’extrême. Savoureux.
qu’elle en devient irréelle, et elles ressassent la
M. Leroy
nostalgie de la belle époque. Jusqu’au moment où, à
pour Bdgest.com
défaut de devenir folles, elles finissent par prendre
68
Personnages à tête de maison, couleurs gaies et trait
quasi enfantin... sous le Rotring de la dessinatrice
Delphine Panique, la Grande Guerre se fait poignante
et amusante à la fois.
la guerre, elle travaillait à l’usine comme balayeuse ;
elle est désormais fraiseuse et en tire de la fierté. Elle
est l’une de ces munitionnettes employées par l’usine
d’armement, qui manipulent des explosifs toxiques.
J’ai choisi d’exagérer le propos, d’imaginer qu’il ne
reste plus d’hommes du tout – ce qui n’était pas le
cas à l’époque. Cela me permettait d’explorer l’arrière,
d’oublier le front. Madeleine est marraine de guerre,
elle reçoit des lettres de Roger. Elle les lit à haute voix
à ses collègues émues. Roger décrit rapidement les
combats, puis sa prose devient érotique...
C’est un petit livre étonnant, gai, coloré. En temps de
guerre traite pourtant d’un sujet noir mais par un biais
singulier : des hommes-maisons partent au front,
pendant la Grande Guerre, tandis que les femmesmaisons restent à l’arrière. Seule avec une fillette
handicapée, Madame Bobi vit mal sa solitude avant de
progressivement s’émanciper… Delphine Panique,
auteure d’une adaptation d’Orlando, de Virginia Woolf, Je me suis documentée sur les femmes pendant la
signe ici une bande dessinée faussement légère, à la guerre, mais j’ai surtout trouvé du matériel sur le
fois amusante et véritablement poignante.
front, les tranchées. Si les lettres des soldats ont été
conservées, celles de leurs femmes ou marraines ont
Le départ
le plus souvent disparu. Elles qui se sont émancipées
« Dans la famille Bobi, l’homme est convoqué pour entre 1914 et 1918 ont ensuite dû reprendre leur
la guerre. Restée seule, Madame – qui est plus grande place au foyer – alors qu’en Grande-Bretagne le
que lui, ne se laisse pas faire et lui crie dessus quand mouvement des suffragettes s’imposait. »
il part – pleure pendant une page puis passe à autre
chose. Avec Monsieur Bobi, elle a une fille qui est Le retour
différente et se déplace avec des roulettes. Mon idée « Les femmes ont échoué à faire fonctionner l’usine de
était de représenter une cellule familiale normale manière collective, et ont adopté des comportements
divisée par un événement. Le point de départ du livre de plus en plus cruels : en temps de guerre, on a le
est une certaine brutalité dans la séparation. Cela m’a droit de tuer, de torturer… Elles se réunissent au
été inspiré par mon histoire personnelle, et aussi par bistrot, boivent, dansent, s’amusent ensemble. Elle
l’envie de traiter de la guerre de 14-18. J’ai de la famille goûtent une certaine liberté. Madame Bobi aime ça
dans l’Aisne, j’en ai toujours beaucoup entendu parler. et se met à la trompette. A ce moment, les hommes
Mêler ces deux thématiques m’est apparu naturel.
reviennent. Ils sont mal en point, n’ont plus figure
humaine – certains ne ressemblent même plus à des
L’idée d’affubler mes personnages de têtes en forme maisons !
de maison est venue toute seule ! Finalement, c’est
très cohérent, car les femmes restaient beaucoup à la Dans cette page, la plupart des cases sont coupées
maison à l’époque. Et puis j’ai été marquée, enfant, par par une diagonale : d’un côté la femme, de l’autre son
les dessins de femmes-maisons de Louise Bourgeois. mari, ou ce qu’il en reste. J’apprécie particulièrement
Dans cette page, la caméra dézoome progressivement, cette construction, graphiquement esthétique avec ses
le plan est très fixe et simple. Il n’y a pas de décor, une constrastes entre le noir et le blanc. Dans le dernier
seule couleur au sol. On est centré sur Madame Bobi, tiers, Madame Bobi reste seule : Monsieur Bobi n’est
qui elle, est concentrée sur sa tristesse.
pas rentré. Depuis le tout début de l’album, le lecteur
sait que son époux est mort au front. Elle n’a pas reçu
Au départ, En temps de guerre n’était pas un album, le télégramme, et reste aveuglée par son énervement.
mais un récit court de quatre pages seulement –
pour la revue Dopututto Max des éditions Misma. Je voulais que ce livre soit un peu dur, comme le
Je voulais qu’il fonctionne tout seul, avec un gag en thème dont il traite. En même temps, les personnages
chute d’histoire. Puis j’ai ajouté un autre chapitre et sont quasi enfantins, les couleurs gaies, le trait
puis encore un autre... Le sujet me plaisait tant que j’en simple… J’aime ce contraste. Avant de réaliser les
ai tiré un livre ! Je l’ai construit comme un feuilleton, pages, j’écris beaucoup. Je ne fais pas de crayonnés,
avec des épisodes de plus en plus longs. »
mais un découpage rapide, plutôt rédigé. Le moment
du dessin (au Rotring) doit être spontané, pour garder
La lettre
une certaine fragilité. Je fais la mise en couleur sur
« J’aime beaucoup ce chapitre central. Madeleine, ordinateur, à la fin. Je suis assez autodidacte au niveau
la maison bleue, est un personnage assez symbolique: du dessin. J’admire beaucoup celui de Reiser, très
cette femme-enfant a un esprit joyeux, naïf. Avant épuré. »
69
La guerre, c’est terrible, ça tue les hommes. Mais
surtout, ça laisse les femmes toutes seules à
l’arrière, avec une tonne de boulot et les gosses
à gérer. Enfin, à l’heure de l’effort de guerre, les
enfants finissent pas accompagner les mamans à
l’usine d’armement, où on leur trouvera des tâches
adéquates. Le temps passe ainsi, et une nouvelle
société au féminin se met en place. Entre liberté
retrouvée, douleur de l’attente, crêpage de chignons
et solidarité nouvelle…
Ce deuxième album de Delphine Panique (après
Orlando, déjà chez Misma) évoque bien entendu la
vie loin du front lors des grands conflits, surtout
la Première Guerre mondiale. Mais en adoptant un
point de vue décalé et une esthétique fantaisiste –
ses héroïnes ont une maisonnette en guise de tête,
et une mignonne petite queue au-dessus du fessier–,
L’ÉDITEUR
elle délaisse le documentaire pour proposer une
vision drôle et engagée. Ses ouvrières prennent leur
vie en main en prônant l’autogestion, ses marraines
de guerre qui correspondent avec des soldats lisent
à haute voix de coquines lettres d’amour pour le
bonheur de leurs copines, et les virées nocturnes sont
l’occasion de se trouver un hobby, voire une passion.
Avec humour et intelligence, Delphine Panique
alterne le poignant, le cocasse et le douloureux, au fil
de courtes saynètes comme autant d’instantanés de
la vie loin des tranchées. Son trait fin et ses couleurs
lumineuses, qui ne s’encombrent que rarement de
décors en privilégiant les protagonistes, donnent
à l’ensemble une petite touche irréelle délicate et
envoûtante. Voilà un album singulier et attachant,
encore une jolie réussite des éditions Misma.
Benjamin Roure
pour Bodoi.info
Misma est une association d’édition française de bande dessinée, fondée à Toulouse en 2004 par les frères
Estocafich et El Don Guillermo, désireux de s’auto-éditer et de publier des auteurs amis. Ils éditent
des récits en bandes dessinées sous divers formats ainsi que la revue Dopututto Max, créée sous le nom
Dopututto en 2004.
Lors du 40ème festival international de la bande dessinée d’Angoulême, les Éditions Misma reçoivent le
Prix de la bande dessinée alternative pour leur revue Dopututto Max n°3.
70
PETITES
COUPURES
A SHIOGUNI
Dessin & Scénario
Florent Chavouet
Éditeur
Philippe Picquier
Date de parution
Novembre 2014
SYNOPSIS
Kenji avait emprunté de l’argent à des gens qui n’étaient pas une banque pour ouvrir un restaurant qui
n’avait pas de clients. Forcément, quand les prêteurs sont revenus, c’était pas pour goûter les plats.
L’AUTEUR
Florent Chavouet, né le 11 février 1980, est un auteur de bande dessinée et illustrateur français. Titulaire
d’un master d’Arts plastiques, il séjourne régulièrement au Japon à partir de 2004, et tire de ces séjours
deux bandes dessinées remarquées, Tokyo Sanpo et Manabé Shima, publiées par les éditions Philippe Picquier
en 2009 et 2010.
L’histoire commence avec Kenji la tête plaquée contre
son grill par trois men in black qui grignotent ses
crevettes. Ensuite accrochez-vous, ça va partir dans
tous les sens. Un taxi, un tigre, et des distributeurs de
canettes.
AVIS / CRITIQUE
devienne limpide. Bourré d’humour et de détails loin
d’être anodins, le récit a une construction qui réveille
en nous des instincts d’enfant. L’impression d’être
au beau milieu d’une chasse au trésor, ou en tout cas
d’une aventure incroyable pleine de rebondissements
imprévisibles. Ce genre de sensation qu’on oublie un
Dans cette bande dessinée complètement dingue, peu quand on se met à tout vouloir rationnaliser tout
Florent Chavouet assemble cette nuit étrange comme de suite (ce soit-disant fichu passage à l’âge adulte).
un puzzle. On assiste aux dépositions des uns et des
autres, on voit les scènes dans le désordre, et on peut Les personnages sont tous géniaux. Les rapports
aussi lire les notes de l’auteur en pleine enquête. Il y a entre eux sont seulement abordés grâce aux hilarants
des petits instants de rien, des grandes discussions, des dialogues, mais suffisent à donner à chacun une
quiproquos et des secrets à planquer.
personnalité forte. Il n’y en a pas un à qui on ne s’attache
pas tout de suite, même si beaucoup d’entre eux ne sont
Lire Petites coupures à Shioguni est une expérience pas si sympathiques que ça, à première vue. Personne
absolument jubilatoire. On ne comprend rien, et n’est complètement mauvais ni complètement bon. Ils
tout à coup tout commence à s’assembler, comme sont comme des gens qu’on aurait croisé une heure
s’il ne nous avait manqué que de minuscules ressorts dans notre vie, avec qui on aurait échangé un peu, et
pour enclencher le mécanisme et pour que l’histoire dont on garderait un bon souvenir.
72
Graphiquement, Florent Chavouet nous en met plein
la vue. Mixant les techniques, il donne encore une fois
toute sa place à la couleur, aux textures, et aux décors.
L’histoire se déroulant de nuit, il s’amuse avec les
éclairages des lampadaires, des enseignes, des phares,
qui donnent une ambiance un peu chaleureuse, mais
glauque aussi, à l’ensemble... Jouant sur des points de
vue presque improbables (à part s’il vous arrive souvent
de vous suspendre au plafond), il livre des planches
chargées en adrénaline. Cette bd donne l’impression
d’être sur des montagnes russes, et les moments
un peu plus calmes nous laissent juste le temps de
reprendre notre souffle avant que tout explose. Il y a
un vrai lâcher prise dans la mise en scène, les cadrages,
la narration, et pourtant tout file naturellement. Un
joyeux n’importe quoi absolument cohérent.
C’est d’ailleurs une des forces de cette bd. Elle est
incroyablement dense, et se lit pourtant avec une
parfaite fluidité. On n’a jamais le temps de s’ennuyer,
de se reposer sur ses lauriers, et on est dans l’incapacité
de prévoir ce qui va se passer ensuite. Un régal.
Ses crayons vibrent pour l’archipel. Depuis Tokyo
Sanpo, recueil de scènes de quartiers tokyoïtes,
Florent Chavouet croque l’anecdotique dans des
ouvrages entre le carnet d’illustrations et la BD.
Galerie de portraits et d’anecdotes, Petites coupures
à Shioguni en regorgent et des plus savoureux. Un
chauffeur de taxi blasé de son métier, un restaurateur
qui se fait griller, un poulpe, un hippopotame bleu
bourré de fric, trois yakusa très amateurs, une petite
voleuse en pull rose, un livreur de Kombini qui se
fait tirer ses clefs… Les personnages et l’ambiance
déjantés de l’album n’est pas sans évoquer l’univers
tout aussi disparate et parcellaire des frères Cohen...
Né d’une envie de poser ses mines sur une histoire
complète, Petites coupures à Shioguni est un
premier récit de fiction pour l’auteur de Manabé
Shima. Un récit éclaté, fidèle au style Chavouet, qui
alterne entre documents d’enquête et planches au
découpage innovant. Parfois morcelées en damier
de cases, certes, mais jamais exemptes d’originalité
formelle – dialogues mélangés aux dessins, points
de vue insolites, etc. Ces pièces de puzzle forment
un jeu à voix multiples, entre notes lacunaires,
témoignages farfelus et dépositions contradictoires.
Que s’est-il vraiment passé cette nuit-là ? Qui dit la
vérité, qui ment ? Et surtout : pourquoi ?
Cette affaire criminelle, aussi burlesque et
mouvementée devient-elle, n’est pas l’intérêt
principal. Une fois remise dans l’ordre, elle se
révèle un peu simpliste. Non, ce qui nous tient en
hypnose, c’est bien la découverte de chaque page,
toujours inventive et différente de la précédente,
créant un rythme de lecture dynamique. Autant que
le dessin en lui-même, riche de crayonnés expressifs
et d’aquarelles nuancées. Florent Chavouet bout de
passion pour son sujet, c’est une évidence : il peint
un Japon urbain très référencé – presque trop pour
le néophyte ! –, qui flirte avec la parodie tout en
conservant suffisamment d’authenticité pour rester
crédible. Comme l’ingrédient secret d’un bouiboui de quartier, ce goût de vrai transforme Petites
coupures à Shioguni en polar vivant (sélectionné à
Angoulême), dépassant le simple statut d’objet de
curiosité.
Frederico Anzalone
pour Bodoi.info
Florent Chavouet laisse exploser tout son talent dans
ce titre atypique. Polar imprévisible bourré d’humour,
de personnages charismatiques et de hasards qui font
bien mal les choses, ce titre se dévore avec bonheur.
Laissez votre sens de l’orientation à l’entrée, Florent
Chavouet vous emmène en balade.
Elsa
pour 9emeart.fr
Au delà de l’histoire toujours très ironique (et
vraiment marrante) cette fiction est servie par
un graphisme d’une richesse rarement égalée.
Patchwork improbable de prises de notes rapides,
de documents récoltés, de planches de BD, Florent
Chavouet explore tout, sans rien s’interdire.
Remplis d’une foule de détails et d’un flot de textes,
les planches, tantôt illustratives, tantôt narratives
varient de forme et d’aspect suivant l’envie.
Toujours maître de son dessin, Florent Chavouet
varie les techniques. Couleurs hyper saturées ou
pur jus noir et blanc, tout est possible… et son
contraire. Le résultat visuel est... étonnant, mais
surtout, particulièrement immersif !
Jacques Viel
pour Unamourdebd.fr
73
Florent Chavouet avait déjà montré qu’il aimait
le Japon avec ses carnets de voyage Tokyo Sanpo
et Manabé Shima ou il se mettait en scène. Il a
maintenant passé le cap de la découverte du pays
et s’est suffisamment imprégné du Japon pour
raconter une histoire qui s’y passe sans chercher à
juste faire un récit de voyage. Petites coupures à Shioguni
est un polar. Pas un roman noir rempli de meurtres
sanglants mais un livre qui préfère la description
d’un quotidien perturbé. Tout est dans l’ambiance
de ce quartier parfaitement retranscrit. Jamais
l’impression n’est donnée d’un Japon fantasmé par
un occidental. Tout paraît juste. Sans cliché.
Petites coupures à Shioguni narre plusieurs faits
divers se déroulant dans un quartier japonais durant
quelques heures d’une nuit. Toutes les histoires se
croisent et s’entrecroisent. La trame prend la forme
d’un dossier d’enquête ou chaque protagoniste
raconte sa version de cette nuit. L’intérêt repose sur
le fait que, comme dans une enquête de police, la
vérité de l’un n’est pas celle d’un autre. L’histoire
ne suit pas un ordre chronologique et, selon les
intervenants du récit, le spectateur migrera dans le
temps à un moment donné de la nuit. La trame,
éclatée, rappelle Pulp Fiction. Le lecteur est quasi
dans le rôle de l’enquêteur et doit lui-même démêler
ce puzzle au cours des différents interrogatoires.
L’ÉDITEUR
Ce jeu de fausses pistes, plutôt drôle, est renforcé
par la mise en page de l’ouvrage. Formellement,
c’est très fort. Le livre alterne cartes de quartier,
coupures de presses, notes de dossier, rapports de
police, illustrations et bande dessinée. Le dessin est
semi-caricatural et les couleurs flashy ne plairont pas
à tout le monde, mais cela sort de l’ordinaire. Florent
Chavouet explose le format BD habituel, recourant
rarement à des cases et des bandes. En feuilletant
rapidement le livre, on pourrait croire à tort qu’il
s’agit d’un récit illustré. Les magnifiques pleines
pages sautent aux yeux. Pourtant, l’art séquentiel
est bien en place. Chaque détail a son importance
et, souvent, seuls un indice en arrière-plan, un mot
dans un carnet ou un article de journal permettent
de faire le lien entre les différents événements
narrés. Un retour en arrière peut s’avérer nécessaire
pour tout bien appréhender.
Le superbe boulot des éditions Philippe Picquier
est à saluer: le livre est de toute beauté avec son
format cartonné et une belle couverture résumant
parfaitement l’ouvrage. Espérons que le prix du
polar obtenu à Angoulême remette en tête de
gondole ce livre passé relativement inaperçu lors de
sa sortie.
J. Degryse
pour Bdgest.com
Depuis 1986, les Editions Philippe Picquier se sont attachées à publier en France des livres de l’ExtrêmeOrient, avec la certitude que l’Asie est suffisamment vaste pour qu’on ne s’occupe que d’elle. Le catalogue -comprenant
une collection de livres de poche- est consacré à la Chine, au Japon et à l’Inde et s’ouvre progressivement à
l’Asie du Sud-Est. Une maison d’édition singulière qui a trouvé sa place dans le paysage éditorial français en
publiant aussi bien des traductions des oeuvres des principaux écrivains de ces pays - classiques, modernes
ou contemporains - que des essais, des livres d’art, des reportages et maintenant des livres pour enfants,
destinés à faire connaître les cultures orientales aux lecteurs français dans leur richesse et leur diversité.
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MIKE‘S
PLACE
Dessin
Koren Shadmi
Scénario
Jack Baxter & Joshua Faudem
Éditeurs
Steinkis
Date de parution
Mai 2015
SYNOPSIS
Mike’s Place est l’un des rares endroits a Tel Aviv ou juifs, chretiens et musulmans pouvaient sortir
paisiblement, entoures par les expatries et les touristes qui remplissaient le bar tous les soirs. Dans ce
cocon de paix cosmopolite, l’amour est la grande affaire de chacun et le blues une passion commune. Au
printemps de 2003, Jack Baxter decide de realiser un documentaire sur le phenomene Mike’s Place. Mais
le 30 avril, la frivolite fait place a la tragedie : le bar est la cible d’un attentat suicide qui fait trois morts
et une cinquantaine de blessés, dont Jack et Josh, son cameraman. Mike’s Place retrace l’histoire vraie de
l’equipe du bar et de ses clients, avant, pendant et apres l’attentat.
LES AUTEURS
Koren Shadmi est née en Israël, où il a travaillé comme illustrateur et caricaturiste pour divers magazines.
A 17 ans, il a eu son premier roman graphique publié, Profil 107 - une collaboration avec le mentor
dessinateur Uri Fink . À la fin de son service pour la Force de défense israélienne, Shadmi déménagé à
New York pour étudier l’illustration à la School of Visual Arts , où il a acquis son diplôme de baccalauréat
en 2006.
Jack Baxter est un cinéaste et journaliste pigiste de New York. Il a écrit, produit et dirigé le controversé et
acclamé par la critique 1995 film Brother Minister : The Assassination of Malcolm X. Lui et son épouse, Fran
Strauss-Baxter, sont les co-producteurs du documentaire primé Blues by the Beach.
Joshua Faudem est un cinéaste documentaire américano-israélien qui a étudié à la prestigieuse
programmation de films à l’Académie des Arts du spectacle à Prague (FAMU). Il a filmé, produit et réalisé
des documentaires remarquables et des émissions de télévision en Israël, en Europe et en Amérique du
Nord. Il est le réalisateur du documentaire primé Blues by the Beach. Il vit en Israël. Il produit des films qui
exposent et/ou confrontent divers aspects de la friction culturelle en Israël et des stratégies qu’emploient
des gens ordinaires de traiter ces problèmes. Un thème commun de son travail est une exploration de la
façon dont les membres de cultures en conflit arrivent à surmonter leurs différences. Alors que Joshua
n’est ni un militant politique, ni un spécialiste des sciences sociales, il est un fin observateur de la condition
humaine et un conteur de talent.
Lorsque l’on évoque successivement les termes Israël
ou Palestine, il est difficile d’avoir un avis totalement
neutre et exempt de tout esprit partisan. Mike’s Place
est le genre de comics que l’on aimerait lire plus
souvent, afin que certains clichés volent en éclats et
que seul la paix compte pour les populations.
AVIS / CRITIQUE
réalisé un reportage sur un lieu étonnant situé sur
les bords de mer de Tel-Aviv et qui se nomme
le Mike’s Place. Cet endroit est un bar où les
différentes communautés locales ou étrangères
pouvaient se retrouver pour boire un verre en
écoutant un groupe jouer sur scène. Un projet de
hippies comme le décrit le patron des lieux. Loin
En 2003, le journaliste américain John Baxter a de l’imagerie sombre et violence que l’on peut se
76
faire de l’Israël, nous découvrons une autre version
de ce pays, plus riche humainement et surtout
plus libre intellectuellement. Comme l’indique le
sous-titre de l’album, Chronique d’un attentat, un
drame se produit là-bas, alors que Jack Baxter était
encore sur les lieux. Cet album est en quelque sorte
l’adaptation du documentaire qu’il a co-réalisé avec
Joshua Faudem.
De manière progressive, nous suivons la lente
montée dans l’horreur de la barbarie à venir.
L’histoire se découpe en plusieurs chapitres, chacun
étant introduit par un extrait du coran. C’est une des
grandes forces du récit : ne jamais tomber dans le
prosélytisme. Ce sont avant tout des humains dont
nous suivons le sort funeste et, pour les survivants,
Ce qui frappe, c’est de découvrir un tout autre
visage de Tel Aviv que l’on peut percevoir comme
ville à risques. Les auteurs évoquent les échanges
entre les uns et les autres, les raisons de lâcher du
lest, de se retrouver en toute décontraction entre
amis, en famille, en couple, à discuter pleinement
de l’avenir, de ses projets. Jusqu’à cette date du 30
avril 2003, journée effroyable, faisant 3 morts et de
nombreux blessés.
les jours qui suivront la boucherie. Le décorum
présentera aussi bien des juifs que des musulmans
pratiquants, ainsi que des chrétiens.
Dès les premières pages, on plonge totalement dans
cette histoire qui vous laisse avec la boule au ventre,
une fois terminée. Mike’s Place a été mis en scène
par un artiste qui nous avait subjugué avec sa série
Abaddon : Koren Shadmi. L’artiste israélien vivant
aux USA ne cache pas que ses influences proviennent
en partie de la bande dessinée européenne. Son
style colle à merveille et la tonalité grave du titre est
parfaitement retranscrite. Inattendu et marquant,
Mike’s Place est un ouvrage hautement conseillé.
Mickaël Géreaume
pour Planetebd.com
de Mike’s Place. Ces auteurs ont aussi réalisé un
film documentaire intitulé Blues by the Beach, en lien
direct avec les événements.
Au dessin, l’Israélien Koren Shadmi apporte une
touche graphique qui s’adapte relativement bien à
la trame. Sans artifice, il aborde un sujet terrible qui
montre à quel point l’humanité .et la paix sont des
choses particulièrement fragiles.
Marc Vandermeer
Le duo de scénaristes de l’album, composé de Jack
pour Actuabd.com
Baxter & Josh Faudem a vécu en direct l’histoire
L’ÉDITEUR
Steinkis publie des livres accessibles et stimulants autour du thème de la relation à l’Autre. Qu’il s’agisse
de romans, de romans graphiques, de documents ou d’essais, nos livres déclinent les thèmes des relations
entre les peuples, les cultures, les civilisations ; des questions d’identité et d’appartenance ou du rôle et de
l’intégration des minorités, qu’elles soient religieuses, ethniques, sexuelles, etc.
Ces sujets sont, de façon récurrente, au cœur de l’actualité et de nos préoccupations. Notre démarche est
de prendre du recul et d’apporter un regard parfois décalé afin de publier des ouvrages de fond.
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PRIX LYCÉEN DE LA BD
Vendredi 13 novembre | 9h-17h
cinéma Le Central & Hall Comminges
FESTIVAL BD COLOMIERS 2015
Vendredi 13 novembre | 14h-19h
Samedi 14 novembre | 10h-19h
Dimanche 15 novembre | 10h-19h
CONTACTS
Amandine Doche - chargé de mission BD
Mairie de Colomiers
Direction Sports, Culture et Développement Associatif
1, place Alex Raymond - BP 30330
31776 Colomiers Cedex
05.61.15.23.82 | [email protected]
Angelo Lorusso - référent du rectorat
Rectorat de l’académie de Toulouse
Place Saint-Jacques - BP 7203
31073 Toulouse cedex 7
05.62.13.10.21 | [email protected]
PROGRAMME & INFORMATIONS PRATIQUES
www.bdcolomiers.com | expositions, invités, horaires...